"H.P. LOVECRAFT: Contre le monde, contre la vie" - читать интересную книгу автора (Houellebecq Michel)Attaquez le récit comme un radieux suicideUne conception classique du récit fantastique pourrait se résumer comme suit. Au commencement, il ne se passe absolument rien. Les personnages baignent dans un bonheur banal et béat, adéquatement symbolisé par le vie de famille d’un agent d’assurances dans une banlieue américaine. Les enfants jouent au base-ball, la femme fait un peu de piano, etc. Tout va bien. Puis, peu à peu, des incidents presque insignifiants se multiplient et se recoupent de manière dangereuse. Le vernis de la banalité se fissure, laissant le champ libre à d’inquiétantes hypothèses. Inexorablement, les forces du mal font leur entrée dans le décor. Il faut souligner que cette conception a fini par donner naissance à des résultars réellement impressionnants. On pourra citer comme aboutissement les nouvelles de Richard Matheson, qui, au sommet de son art, prend un plaisir manifeste à choisir des décors d'une totale banalité (supermarchés, stations-service…), décrits d’une manière volontairement prosaïque et terne. Howard Phillips Lovecraft se situe aux antipodes de cette manière d’aborder le récit. Chez lui, pas de «banalité qui se fissure», d’ «incidents au départ presque insignifiants»… Tout ça ne l’intéresse pas. Il n’a aucune envie de consacrer trente pages, ni même trois, à la description de la vie de famille d’un Américain moyen. Il veut bien se documenter sur n’importe quoi, les rituels aztèques ou l’anatomie des batraciens, mais certainement pas sur la vie quotidienne. Considérons pour clarifier le débat les premiers paragraphes d’une des réussites les plus insidieuses de Matheson, « Voici maintenant l’attaque de « Le moins qu’on puisse dire, c’est que Lovecraft annonce la couleur. A première vue, c’est plutôt un inconvénient. Et en effet on constate que peu de gens, amateurs de fantastique ou non, réussissent à reposer la nouvelle de Matheson sans savoir ce qu'il en est de ce maudit bouton. HPL, lui, aurait plutôt tendance à sélectionner ses lecteurs dès le départ. Il écrit pour un public de fanatiques; public qu’il finira par trouver, quelques années après sa mort. D’une manière plus profonde et cachée, il y a cependant un défaut dans la méthode du récit fantastique à progression lente. Il ne se révèle généralement qu’après lecture de plusieurs ouvrages écrits dans la même veine. En multipliant les incidents plus ambigus que terrifants, on titille l’imagination du lecteur sans vraiment la satisfaire; on l’incite à se mettre en route. Et il est toujours dangereux de laisser l’imagination du lecteur en liberté. Car elle peut fort bien en arriver d’elle-même à des conclusions atroce; vraiment atroces. Et au moment où l’auteur, après cinquante pages de préparation, nous livre le secret de son horreur finale, il arrive que nous soyons un peu déçus. Nous attendions mieux. Dans ses meilleures réussites, Matlieson parvient à écarter le danger en introduisant dans les dernières pages une dimension philosophique ou morale tellement évidente, tellement poignante et pertinente que l’ensemble de la nouvelle se trouve aussitôt baigné dans un éclairage différent, d’une tristesse mortelle. Il n’empêche que ses plus beaux textes restent des textes assez brefs. Lovecraft, lui, se meut aisément dans des nouvelles de cinquante ou soixante pages, voire plus. Au sommet de ses moyens artistiques, il a besoin d’espace suffisamment vaste pour y loger tous les éléments de sa grandiose machinerie. L’étagement de paroxysmes qui constitue l’architecture des «grands textes» ne saurait se satisfaire d’une dizaine de pages. Et Quant à la «chute», si chère aux Américains, elle ne l’intéresse en général que fort peu. Aucune nouvelle de Lovecraft n’est close sur elle-même. Chacune d’entre elles est un morceau de peur ouvert, et qui hurle. La nouvelle suivante reprendra la peur du lecteur exactement au même point, pour lui donner de nouveaux aliments. Le grand Ctulhu est indestructible, même si le péril peut être temporairement écarté. Dans sa demeure de R'lyeh sous les mers, il recommencera à atrendre, à dormir en rêvant: « Logique avec lui-même, HPL pratique avec une énergie déconcertante ce qu’on pourrait appeler « Parfois, au balancement harmonieux des phrases, il préférera une certaine brutalité, comme pour « Ce qui est étonnant, c’est qu'après un pareil début il réussisse à maintenir le récit sur un plan d’exaltation croissante. Mais il avait, ses pires détracteurs s’accordent à le reconnaître, une imagination assez extraordinaire. Par contre, ses personnages ne tiennent pas le choc. Et c’est là le véritable défaut de sa méthode d’attaque brutale. On se demande souvent, à la lecture de ses nouvelles, pourquoi les protagonistes mettent tantde temps à comprendre la nature de l’horreur qui les menace. Ils nous paraissenr franchement obtus. Et il y a là un vrai problème. Car, d’un autre côté, s’ils comprenaient ce qui est en train de se passer, rien ne pourrait les empêcher de s’enfuir, en proie à une terreur abjecte. Ce qui ne doit se produire qu'à la fin du récit. Avait-il une solution? Peut-être. On peut imaginer que ses personnages, tout en étant pleinement conscients de la hideuse réalité qu’ils ont à affronter, décident cependant de le faire. Un tel courage viril était sans doute trop peu dans le tempérament de Lovecraft pour qu’il envisage de le décrire. Graham Masterton et Lin Carter ont fait des tentatives dans ce sens, assez peu convaincantes il est vrai. Mais la chose semble, cependant, envisageable. On peur rêver d’un roman d’aventures mystérieuses où des héros ayant la solidité et la ténacité des personnages de John Buchan seraient confrontés à l’univers épouvantable et merveilleux d’Howard Phillips Lovecraft. |
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