"Le Barbier de Séville" - читать интересную книгу автора (Beaumarchais Pierre de Augustin Caron)

Scène XIV

BARTHOLO, ROSINE


BARTHOLO le regarde aller. il est enfin parti. (A part.) Dissimulons.


ROSINE. Convenez pourtant, Monsieur, qu'il est bien gai, ce jeune soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit, ni d'une certaine éducation.


BARTHOLO. Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer!

Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis?


ROSINE. Quel papier?


BARTHOLO. Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter.


ROSINE. Bon! c'est la lettre de mon cousin l'officier, qui était tombée de ma poche.


BARTHOLO. J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne.


ROSINE. Je l'ai très bien reconnue.


BARTHOLO. Qu'est-ce qu'il te coûte d'y regarder?


ROSINE. Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait.


BARTHOLO, montrant la pochette. Tu l'as mise là.


ROSINE. Ah, ah, par distraction.


BARTHOLO. Ah! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie.


ROSINE, à part. Si je ne le mets pas en colère, il n'y aura pas moyen de refuser.


BARTHOLO. Donne donc, mon coeur.


ROSINE. Mais, quelle idée avez-vous en insistant, Monsieur?

Est-ce encore quelque méfiance?


BARTHOLO. Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas la montrer?


ROSINE. Je vous répète, Monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaît excessivement.


BARTHOLO. Je ne vous entends pas.


ROSINE. Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore.


BARTHOLO. Comment, révoltée! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi.


ROSINE. Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'était pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément.


BARTHOLO. De quelle offense parlez-vous?


ROSINE. C'est qu'il est inouï qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un.


BARTHOLO. De sa femme?


ROSINE. Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne?


BARTHOLO. Vous voulez me faire prendre le change, et détourner mon attention du billet qui, sans doute, est une missive de quelque amant. Mais je le verrai, je vous assure.


ROSINE. Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu.


BARTHOLO. Qui ne vous recevra point.


ROSINE. C'est ce qu'il faudra voir.


BARTHOLO. Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes; mais, pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte.


ROSINE, pendant qu'il y va. Ah, Ciel! que faire?… Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu de la prendre.

Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans sa pochette, de façon qu'elle sorte un peu.


BARTHOLO, revenant. Ah! j'espère maintenant la voir.


ROSINE. De quel droit, s'il vous plaît?


BARTHOLO. Du droit le plus universellement reconnu, celui du plus fort.


ROSINE. On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi.


BARTHOLO, frappant du pied. Madame! Madame!…


ROSINE tombe sur un fauteuil, et feint de se trouver mal. Ah!

quelle indignité!…


BARTHOLO. Donnez cette lettre, ou craignez ma colère.


ROSINE, renversée. Malheureuse Rosine!


BARTHOLO. Qu'avez-vous donc?


ROSINE. Quel avenir affreux!


BARTHOLO. Rosine!


ROSINE. J'étouffe de fureur.


BARTHOLO. Elle se trouve mal.


ROSINE. Je m'affaiblis, je meurs.


BARTHOLO lui tâte le pouls et dit à part. Dieux! la lettre!

Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. Il continue à lui tâter le pouls, et prend la lettre, qu'il tâche de lire en se tournant un peu.


ROSINE, toujours renversée. Infortunée! ah!.


BARTHOLO lui quitte le bras, et dit à part. Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir!


ROSINE. Ah! pauvre Rosine!


BARTHOLO. L'usage des odeurs… produit ces affections spasmodiques.

Il lit par-derrière le fauteuil, en lui tâtant le pouls. Rosine se relève un peu, le regarde finement, fait un geste de tête, et se remet sans parler.


BARTHOLO, à part. ô Ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude! Comment l'apaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue!

Il fait semblant de la soutenir, et remet la lettre dans la pochette.


ROSINE soupire. Ah!…


BARTHOLO. Eh bien! ce n'est rien, mon enfant; un petit mouvement de vapeurs, voilà tout; car ton pouls n'a seulement pas varié. Il va prendre un flacon sur la console.


ROSINE, à part. il a remis la lettre! fort bien.


BARTHOLO. Ma chère Rosine, un peu de cette eau spiritueuse?


ROSINE. Je ne veux rien de vous: laissez-moi.


BARTHOLO. Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet.


ROSINE. Il s'agit bien du billet! C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante.


BARTHOLO, à genoux. Pardon: j'ai bientôt senti tous mes torts; et tu me vois à tes pieds, prêt à les réparer.


ROSINE. Oui, pardon! lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin.


BARTHOLO. Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement.


ROSINE, lui présentant la lettre. Vous voyez qu'avec de bonnes façons, on obtient tout de moi. Lisez-la.


BARTHOLO. Cet honnête procédé dissiperait mes soupçons, si j'étais assez malheureux pour en conserver.


ROSINE. Lisez-la donc, Monsieur.


BARTHOLO se retire. A Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure!


ROSINE. Vous me contrariez de la refuser.


BARTHOLO. Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignée au pied; n'y viens-tu pas aussi?


ROSINE. J'y monterai dans un moment.


BARTHOLO. Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m'aimer, ah! comme tu serais heureuse.

ROSINE, baissant les yeux. Si vous pouviez me plaire, ah! comme je vous aimerais.


BARTHOLO. Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je te plairai!

Il sort.