"Le Barbier de Séville" - читать интересную книгу автора (Beaumarchais Pierre de Augustin Caron)Scène IVLE COMTE, ROSINE, BARTHOLO ROSINE, avec une colère simulée. Tout ce que vous direz est inutile, Monsieur. J'ai pris mon parti; je ne veux plus entendre parler de musique. BARTHOLO. Écoute donc, mon enfant; c'est le seigneur Alonzo, l'élève et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour être un de nos témoins… La musique te calmera, je t'assure. ROSINE. Oh! pour cela, vous pouvez vous en détacher. Si je chante ce soir!… Où donc est-il ce maître que vous craignez de renvoyer? Je vais, en deux mots, lui donner son compte, et celui de Bazile. (Elle aperçoit son amant; elle fait un cri.) Ah!… BARTHOLO. Qu'avez-vous? ROSINE, les deux mains sur son coeur, avec un grand trouble. Ah! mon Dieu, Monsieur… Ah! mon Dieu, Monsieur… BARTHOLO. Elle se trouve encore mal! Seigneur Alonzo! ROSINE. Non, je ne me trouve pas mal… mais c'est qu'en me tournant… Ah!… LE COMTE. Le pied vous a tourné, Madame? ROSINE. Ah! oui, le pied m'a tourné. Je me suis fait un mal horrible. LE COMTE. Je m'en suis bien aperçu. ROSINE, regardant le comte. Le coup m'a porté au coeur. BARTHOLO. Un siège, un siège. Et pas un fauteuil ici? Il va le chercher. LE COMTE. Ah! Rosine! ROSINE. Quelle imprudence! LE COMTE. J'ai mille choses essentielles à vous dire. ROSINE. il ne nous quittera pas. LE COMTE. Figaro va venir nous aider. BARTHOLO apporte un fauteuil. Tiens, mignonne, assieds-toi. – Il n'y a pas d'apparence, bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir; ce sera pour un autre jour. Adieu. ROSINE, au comte. Non, attendez; ma douleur est un peu apaisée. (A Bartholo.) Je sens que j'ai eu tort avec vous, Monsieur: je veux vous imiter, en réparant sur-le-champ… BARTHOLO. Oh! le bon petit naturel de femme! Mais après une pareille émotion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, bachelier. ROSINE, au comte. Un moment, de grâce! (A Bartholo.) Je croirai, Monsieur, que vous n'aimez pas à m'obliger, si vous m'empêchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon. LE COMTE, à part, à Bartholo. Ne la contrariez pas, si vous m'en croyez. BARTHOLO. Voilà qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher à te déplaire, que je veux rester là tout le temps que tu vas étudier. ROSINE. Non, Monsieur, je sais que la musique n'a nul attrait pour vous. BARTHOLO. Je t'assure que ce soir elle m'enchantera. ROSINE, au comte, à part. Je suis au supplice. LE COMTE, prenant un papier de musique sur le pupitre. Est-ce là ce que vous voulez chanter, Madame? ROSINE. Oui, c'est un morceau très agréable de La Précaution inutile. BARTHOLO. Toujours La Précaution inutile? LE COMTE. C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du printemps, d'un genre assez vif. Si Madame veut l'essayer… ROSINE, regardant le comte. Avec un grand plaisir: un tableau du printemps me ravit; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'hiver, il semble que le coeur acquière un plus haut degré de sensibilité: comme un esclave, enfermé depuis longtemps, goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui être offerte. BARTHOLO, bas, au comte. Toujours des idées romanesques en tête. LE COMTE, bas. En sentez-vous l'application? BARTHOLO. Parbleu! Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupé Rosine. ROSINE chante. Quand, dans la plaine L'amour ramène Le printemps Si chéri des amants, Tout reprend l'être, Son feu pénètre Dans les fleurs Et dans les jeunes coeurs. On voit les troupeaux Sortir des hameaux; Dans tous les coteaux Les cris des agneaux Retentissent; Ils bondissent; Tout fermente, Tout augmente; Les brebis paissent Les fleurs qui naissent; Les chiens fidèles Veillent sur elles; Mais Lindor enflammé Ne songe guère Qu'u bonheur d'être aimé De sa bergère. (Même air) Loin de sa mère Cette bergère Va chantant Où son amant l'attend. Par cette ruse, L'amour l'abuse; Mais chanter Sauve-t-il du danger? Les doux chalumeaux, Les chants des oiseaux, Ses charmes naissants, Ses quinze ou seize ans, Tout l'excite, Tout l'agite; La pauvrette S'inquiète; De sa retraite, Lindor la guette; Elle s'avance; Lindor s'élance; Il vient de l'embrasser: Elle, bien aise, Feint de se courroucer Pour qu'on l'apaise. (PETITE REPRISE) Les soupirs, Les soins, les promesses, Les vives tendresses, Les plaisirs, Le fin badinage, Sont mis en usage; Et bientôt la bergère Ne sent plus de colère. Si quelque jaloux Trouble un bien si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrême… … De voiler leur transport; Mais quand on s'aime, La gêne ajoute encor Au plaisir même. En l'écoutant, Bartholo s'est assoupi. Le comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main qu'il couvre de baisers. L'émotion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit, et finit même par lui couper la voilà au milieu de la cadence, au mot: extrême. L'orchestre suit les mouvements de la chanteuse, affaiblit son jeu, et se tait avec elle. L'absence du bruit qui avait endormi Bartholo le réveille. Le comte se relève, Rosine et l'orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se répète, le même jeu recommence. LE COMTE. En vérité, c'est un morceau charmant; et Madame l'exécute avec une intelligence… ROSINE. Vous me flattez, seigneur; la gloire est tout entière au maître. BARTHOLO, bâillant. Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille, et sitôt que je m'assieds, mes pauvres jambes! Il se lève et pousse le fauteuil. ROSINE, bas, au comte. Figaro ne vient pas! LE COMTE. Filons le temps. BARTHOLO. Mais, bachelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile: est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en roulant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements? Là, de ces petits airs qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement? J'en savais autrefois… Par exemple… Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tête, et chante en faisant claquer ses pouces, et dansant des genoux comme les vieillards. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris?… (Au comte, en riant.) Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable, et la faire cadrer aux circonstances. Ah, ah, ah, ah! Fort bien! pas vrai? LE COMTE, riant. Ah, ah, ah! Oui, tout au mieux. |
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