"Том 3. Публицистические произведения" - читать интересную книгу автора (Тютчев Федор Иванович)La question Romaine*Si, parmi les questions du jour ou plut#244;t du si#232;cle, il en est une qui r#233;sume et concentre comme dans un foyer toutes les anomalies, toutes les contradictions et toutes les impossibilit#233;s contre lesquelles se d#233;bat l’Europe Occidentale, c’est assur#233;ment la question romaine. Et il n’en pouvait #234;tre autrement, gr#226;ce #224; cette inexorable logique que Dieu a mise, comme une justice cach#233;e, dans les #233;v#233;nements de ce monde. La profonde et irr#233;conciliable scission qui travaille depuis des si#232;cles l’Occident, devait trouver enfin son expression supr#234;me, elle devait p#233;n#233;trer jusqu’#224; la racine de l’arbre. Or, c’est un titre de gloire que personne ne contestera #224; Rome: elle est encore de nos jours, comme elle l’a toujours #233;t#233;, la racine du monde occidental. Il est douteux toutefois, malgr#233; la vive pr#233;occupation que cette question suscite, qu’on se soit rendu un compte exact de tout ce qu’elle contient. Ce qui contribue probablement #224; donner le change sur la nature et sur la port#233;e de la question telle qu’elle vient de se poser, c’est d’abord la fausse analogie de ce que nous avons vu arriver #224; Rome avec certains ant#233;c#233;dents de ses r#233;volutions ant#233;rieures; c’est aussi la solidarit#233; tr#232;s r#233;elle qui rattache le mouvement actuel de Rome au mouvement g#233;n#233;ral de la r#233;volution europ#233;enne. Toutes ces circonstances accessoires, qui paraissent expliquer au premier abord la question romaine, ne servent en r#233;alit#233; qu’#224; en dissimuler la profondeur. Non, certes, ce n’est pas l#224; une question comme une autre — car non seulement elle touche #224; tout dans l’Occident, mais on peut m#234;me dire qu’elle le d#233;borde. On ne serait assur#233;ment pas accus#233; de soutenir un paradoxe ou d’avancer une calomnie en affirmant qu’#224; l’heure qu’il est, tout ce qui reste encore de Christianisme positif #224; l’Occident, se rattache, soit explicitement, soit par des affinit#233;s plus ou moins avou#233;es, au Catholicisme Romain dont la Papaut#233;, telle que les si#232;cles l’ont faite, est #233;videmment la clef de vo#251;te et la condition d’existence. Le Protestantisme avec ses nombreuses ramifications, apr#232;s avoir fourni #224; peine une carri#232;re de trois si#232;cles, se meurt de d#233;cr#233;pitude dans tous les pays o#249; il avait regn#233; jusqu’#224; pr#233;sent, l’Angleterre seule except#233;e; — ou s’il r#233;v#232;le encore quelques #233;l#233;ments de vie, ces #233;l#233;ments aspirent #224; rejoindre Rome. Quant aux doctrines religieuses qui se produisent en dehors de toute communaut#233; avec l’un ou l’autre de ces deux symboles, ce ne sont #233;videmment que des opinions individuelles. En un mot: la Papaut#233; — telle est la colonne unique qui soutient tant bien que mal en Occident tout ce pan de l’#233;difice chr#233;tien rest#233; debout apr#232;s la grande ruine du seizi#232;me si#232;cle et les #233;croulements successifs qui ont eu lieu depuis. Maintenant c’est cette colonne que l’on se dispose #224; attaquer par sa base. Nous connaissons fort bien toutes les banalit#233;s, tant de la presse quotidienne que du langage officiel de certains gouvernements, dont on a l’habitude de se servir pour masquer la r#233;alit#233;: on ne veut pas toucher #224; l’institution religieuse de la Papaut#233;, — on est #224; genoux devant elle, — on la respecte, on la maintiendra, — on ne conteste m#234;me pas #224; la Papaut#233; son autorit#233; temporelle, — on pr#233;tend seulement en modifier l’exercice. On ne lui demandera que des concessions reconnues indispensables et on ne lui imposera que des r#233;formes parfaitement l#233;gitimes. Il y a dans tout ceci passablement de mauvaise foi et surabondamment d’illusions. Il y a certainement de la mauvaise foi, m#234;me de la part des plus candides, #224; faire semblant de croire que des r#233;formes s#233;rieuses et sinc#232;res, introduites dans le r#233;gime actuel de l’Etat Romain, puissent ne pas aboutir dans un temps donn#233; #224; une s#233;cularisation compl#232;te de cet Etat. Mais la question n’est m#234;me pas l#224;: la v#233;ritable question est de savoir au profit de qui se ferait cette s#233;cularisation, c’est-#224;-dire quels seront: la nature, l’esprit et les tendances du pouvoir auquel vous remettriez l’autorit#233; temporelle apr#232;s en avoir d#233;pouill#233; la Papaut#233;? — Car, vous ne sauriez vous le dissimuler, c’est sous la tutelle de ce nouveau pouvoir que la Papaut#233; serait d#233;sormais appel#233;e #224; vivre. Et c’est ici que les illusions abondent. Nous connaissons le f#233;tichisme des Occidentaux pour tout ce qui est forme, formule et m#233;canisme politique. Ce f#233;tichisme est devenu comme une derni#232;re religion de l’Occident; mais, #224; moins d’avoir les yeux et l’esprit compl#232;tement ferm#233;s et scell#233;s a toute exp#233;rience comme #224; toute #233;vidence, comment, apr#232;s ce qui vient de se passer, parviendrait-on encore #224; se persuader que dans l’#233;tat actuel de l’Europe, de l’Italie, de Rome, les institutions lib#233;rales ou semi-lib#233;rales que vous aurez impos#233;es au Pape resteraient longtemps aux mains de cette opinion moyenne, mod#233;r#233;e, mitig#233;e, telle que vous vous plaisez #224; la r#234;ver dans l’int#233;r#234;t de votre th#232;se, qu’elles ne seraient point promptement envahies par la r#233;volution et transform#233;es aussit#244;t en machines de guerre pour battre en br#232;che, non pas seulement la souverainet#233; temporelle du Pape, mais bien l’institution religieuse elle-m#234;me. Car vous auriez beau recommander au principe r#233;volutionnaire, comme l’Eternel #224; Satan, de ne molester que le corps du fid#232;le Job sans toucher #224; son #226;me, soyez bien convaincus que la r#233;volution, moins scrupuleuse que l’ange des t#233;n#232;bres, ne tendrait nul compte de vos injonctions. Toute illusion, toute m#233;prise #224; cet #233;gard sont impossibles pour qui a bien r#233;ellement compris ce qui fait le fond du d#233;bat qui s’agite en Occident — ce qui en est devenu depuis des si#232;cles la vie m#234;me; vie anormale mais r#233;elle, maladie qui ne date pas d’hier et qui est toujours encore en voie de progr#232;s. Et s’il se rencontre si peu d’hommes qui ont le sentiment de cette situation, cela prouve seulement que la maladie est d#233;j#224; bien avanc#233;e. Nul doute, quant #224; la question romaine, que la plupart des int#233;r#234;ts qui r#233;clament des r#233;formes et des concessions de la part du Pape sont des int#233;r#234;ts honn#234;tes, l#233;gitimes et sans arri#232;re-pens#233;e; qu’une satisfaction leur est due et que m#234;me elle ne saurait leur #234;tre plus longtemps refus#233;e. Mais telle est l’incroyable fatalit#233; de la situation, que ces int#233;r#234;ts d’une nature toute locale et d’une valeur comparativement m#233;diocre dominent et compromettent une question immense. Ce sont de modestes et inoffensives habitations de particuliers situ#233;es de telle sorte qu’elles commandent une place de guerre et, malheureusement, l’ennemi est aux portes. Car encore une fois la s#233;cularisation de l’Etat romain est au bout de toute r#233;forme sinc#232;re et s#233;rieuse qu’on voudrait y introduire, et d’autre part la s#233;cularisation dans les circonstances pr#233;sentes ne serait qu’un d#233;sarmement devant l’ennemi — une capitulation… Eh bien, qu’est-ce #224; dire? que la question romaine pos#233;e dans ces termes est tout bonnement un labyrinthe sans issue; que l’institution papale par le d#233;veloppement d’un vice cach#233; en est arriv#233;e apr#232;s une dur#233;e de quelques si#232;cles #224; cette p#233;riode de l’existence o#249; la vie, comme on l’a dit, ne se faisait plus sentir que par une difficult#233; d’#234;tre? Que Rome qui a fait l’Occident #224; son image se trouve comme lui accul#233;e #224; une impossibilit#233;? Nous ne disons pas le contraire… Et c’est ici qu’#233;clate visible comme le soleil cette logique providentielle qui r#233;git comme une loi int#233;rieure les #233;v#233;nements de ce monde. Huit si#232;cles seront bient#244;t r#233;volus depuis le jour o#249; Rome a bris#233; le dernier lien qui la rattachait #224; la tradition orthodoxe de l’Eglise universelle. — Ce jour-l#224; Rome en se faisant une destin#233;e #224; part a d#233;cid#233; pour des si#232;cles de celle de l’Occident. On conna#238;t g#233;n#233;ralement les diff#233;rences dogmatiques qui s#233;parent Rome de l’Eglise orthodoxe. Au point de vue de la raison humaine cette diff#233;rence, tout en motivant la s#233;paration, n’explique pas suffisamment l’ab#238;me qui c’est creus#233; non pas entre les deux Eglises — puisque l’Eglise est Une et Universelle — mais entre les deux mondes, les deux humanit#233;s pour ainsi dire qui ont suivi ces deux drapeaux diff#233;rents. Elle n’explique pas suffisamment comment ce qui a d#233;vi#233; alors, a d#251; de toute n#233;cessit#233; aboutir au terme o#249; nous le voyons arriver aujourd’hui. J#233;sus-Christ avait dit: «Mon Royaume n’est pas de ce monde»; — eh bien, il s’agit de comprendre comment Rome, apr#232;s s’#234;tre s#233;par#233;e de l’Unit#233;, s’est crue en droit, dans un int#233;r#234;t qu’elle a identifi#233; avec l’int#233;r#234;t m#234;me du christianisme, d’organiser un Royaume du Christ comme un royaume du monde. Il est tr#232;s difficile, nous le savons bien, dans les id#233;es de l’Occident de donner #224; cette parole sa signification l#233;gitime; on sera toujours tenter de l’expliquer, non pas dans le sens orthodoxe, mais dans un sens protestant. Or, il y a entre ces deux sens la distance, qui s#233;pare ce qui est divin de ce qui est humain. Mais pour #234;tre s#233;par#233;e par cette incommensurable distance, la doctrine orthodoxe, il faut le reconna#238;tre, n’est gu#232;re plus rapproch#233;e de celle de Rome — et voici pourquoi: Rome, il est vrai, n’a pas fait comme le Protestantisme, elle n’a point supprim#233; le centre chr#233;tien qui est l’Eglise, au profit du moi humain — mais elle l’a absorb#233; dans le moi romain. — Elle n’a point ni#233; la tradition, elle s’est content#233;e de la confisquer #224; son profit. Mais usurper sur ce qui est divin n’est-ce pas aussi le nier?.. Et voil#224; ce qui #233;tablit cette redoutable, mais incontestable solidarit#233; qui rattache #224; travers les temps l’origine du Protestantisme aux usurpations de Rome. Car l’usurpation a cela de particulier que non-seulement elle suscite la r#233;volte, mais cr#233;e encore #224; son profit une apparence de droit. Aussi l’#233;cole r#233;volutionnaire moderne ne s’y est-elle pas tromp#233;e. La r#233;volution, qui n’est que l’apoth#233;ose de ce m#234;me moi humain arriv#233; #224; son entier et plein #233;panouissement, n’a pas manqu#233; de reconna#238;tre pour siens et de saluer comme ses deux glorieux ma#238;tres Luther aussi bien que Gr#233;goire VII. La voix du sang lui a parl#233; et elle a adopt#233; l’un en d#233;pit de ses croyances chr#233;tiennes comme elle a presque canonis#233; l’autre, tout pape qu’il #233;tait. Mais si le rapport #233;vident qui lie les trois termes de cette s#233;rie est le fond m#234;me de la vie historique de l’Occident, il est tout aussi incontestable qu’on ne saurait lui assigner d’autre point de d#233;part que cette alt#233;ration profonde que Rome a fait subir au principe chr#233;tien par l’organisation qu’elle lui a impos#233;e. Pendant des si#232;cles l’Eglise d’Occident, sous les auspices de Rome, avait presque enti#232;rement perdu le caract#232;re que la loi de son origine lui assignait. Elle avait cess#233; d’#234;tre au milieu de la grande soci#233;t#233; humaine une soci#233;t#233; de fid#232;les librement r#233;unie en esprit et en v#233;rit#233; sous la loi du Christ. Elle #233;tait devenue une institution, une puissance politique — un Etat dans l’Etat. A vrai dire, pendant la dur#233;e du moyen-#226;ge, l’Eglise en Occident n’#233;tait autre chose qu’une colonie romaine #233;tablie dans un pays conquis. C’est cette organisation qui, en rattachant l’Eglise #224; la gl#232;be des int#233;r#234;ts terrestres, lui avait fait, pour ainsi dire, des destin#233;es mortelles. En incarnant l’#233;l#233;ment divin dans un corps infirme et p#233;rissable, elle lui a fait contracter toutes les infirmit#233;s comme tous les app#233;tits de la chair. De cette organisation est sortie pour l’Eglise romaine, par une fatalit#233; providentielle, — la n#233;cessit#233; de la guerre, de la guerre mat#233;rielle, n#233;cessit#233; qui, pour une institution comme l’Eglise, #233;quivalait #224; une condamnation absolue. De cette organisation sont n#233;s ce conflit de pr#233;tentions et cette rivalit#233; d’int#233;r#234;ts qui devaient forc#233;ment aboutir #224; une lutte acharn#233;e entre le Sacerdoce et l’Empire — #224; ce duel vraiment impie et sacril#232;ge qui en se prolongeant #224; travers tout le moyen-#226;ge a bless#233; #224; mort en Occident le principe m#234;me de l’autorit#233;. De l#224; tant d’exc#232;s, de violences, d’#233;normit#233;s accumul#233;s pendant des si#232;cles pour #233;tayer ce pouvoir mat#233;riel dont Rome ne croyait pas pouvoir se passer pour sauvegarder l’Unit#233; de l’Eglise et qui n#233;anmoins ont fini, comme ils devaient finir, par briser en #233;clats cette Unit#233; pr#233;tendue. Car, on ne saurait le nier, l’explosion de la R#233;forme au seizi#232;me si#232;cle n’a #233;t#233; dans son origine que la r#233;action du sentiment chr#233;tien trop longtemps froiss#233;, contre l’autorit#233; d’une Eglise qui sous beaucoup de rapports ne l’#233;tait plus que de nom. — Mais comme depuis des si#232;cles Rome s’#233;tait soigneusement interpos#233;e entre l’Eglise universelle et l’Occident, les chefs de la R#233;forme, au lieu de porter leurs griefs au tribunal de l’autorit#233; l#233;gitime et comp#233;tente, aim#232;rent mieux en appeler au jugement de la conscience individuelle — c’est-#224;-dire qu’ils se firent juges dans leur propre cause. Voil#224; l’#233;cueil sur lequel la r#233;forme du seizi#232;me si#232;cle est venue #233;chouer. Telle est, n’en d#233;plaise #224; la sagesse des docteurs de l’Occident, la v#233;ritable et la seule cause qui a fait d#233;vier ce mouvement de la r#233;forme — chr#233;tien #224; son origine, jusqu’#224; la faire aboutir #224; la n#233;gation de l’autorit#233; de l’Eglise et, par suite, du principe m#234;me de toute autorit#233;. Et c’est par cette br#232;che, que le Protestantisme a ouverte pour ainsi dire #224; son insu, que le principe anti-chr#233;tien a fait plus tard irruption dans la soci#233;t#233; de l’Occident. Ce r#233;sultat #233;tait in#233;vitable, car le moi humain livr#233; #224; lui-m#234;me est anti-chr#233;tien par essence. La r#233;volte, l’usurpation du moi ne datent pas assur#233;ment des trois derniers si#232;cles, mais ce qui alors #233;tait nouveau, ce qui se produisait pour la premi#232;re fois dans l’histoire de l’humanit#233;, c’#233;tait de voir cette r#233;volte, cette usurpation #233;lev#233;es #224; la dignit#233; d’un principe et s’exer#231;ant #224; titre d’un droit essentiellement inh#233;rent #224; la personnalit#233; humaine. II ne fallait pas moins que la venue au monde du Christianisme pour inspirer #224; l’homme des pr#233;tentions aussi alti#232;res, comme il ne fallait pas moins que la pr#233;sence du souverain l#233;gitime pour rendre la r#233;volte compl#232;te et l’usurpation flagrante. Depuis ces trois derniers si#232;cles la vie historique de l’Occident n’a donc #233;t#233;, et n’a pu #234;tre, qu’une guerre incessante, un assaut continuel livr#233; #224; tout ce qu’il y avait d’#233;l#233;ments chr#233;tiens dans la composition de l’ancienne soci#233;t#233; occidentale. Ce travail de d#233;molition a #233;t#233; long, car avant de pouvoir s’attaquer aux institutions il avait fallu d#233;truire ce qui en faisait le ciment: c’est-#224;-dire les croyances. Ce qui fait de la premi#232;re r#233;volution fran#231;aise une date #224; jamais m#233;morable dans l’histoire du monde, c’est qu’elle a inaugur#233; pour ainsi dire l’av#232;nement de l’id#233;e anti-chr#233;tienne aux gouvernements de la soci#233;t#233; politique. Que cette id#233;e est le caract#232;re propre et comme l’#226;me elle-m#234;me de la R#233;volution, il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner quel est son dogme essentiel, — le dogme nouveau qu’elle a apport#233; au monde. C’est #233;videmment le dogme de la souverainet#233; du peuple. Or, qu’est-ce que la souverainet#233; du peuple, sinon celle du moi humain multipli#233; par le nombre — c’est-#224;-dire appuy#233; sur la force? Tout ce qui n’est pas ce principe n’est plus la r#233;volution et ne saurait avoir qu’une valeur purement relative et contingente. Voil#224; pourquoi, soit dit en passant, rien n’est plus niais, ou plus perfide que d’attribuer aux institutions politiques que la R#233;volution a cr#233;#233;es, une autre valeur que celle-l#224;. Ce sont des machines de guerre admirablement appropri#233;es #224; l’usage pour lequel elles ont #233;t#233; faites, mais qui en dehors de cette destination ne sauraient jamais, dans une soci#233;t#233; r#233;guli#232;re, trouver d’emploi convenable. La R#233;volution d’ailleurs a pris soin elle-m#234;me de ne nous laisser aucun doute sur sa v#233;ritable nature en formulant ainsi ses rapports vis-#224;-vis du christianisme: «l’Etat comme tel n’a point de religion». — Car tel est le Credo de l’Etat moderne. Voil#224;, #224; vrai dire, la grande nouveaut#233; que la R#233;volution a apport#233;e au monde. Voil#224; son oeuvre propre, essentielle — un fait sans ant#233;c#233;dents dans l’histoire des soci#233;t#233;s humaines. C’#233;tait la premi#232;re fois qu’une soci#233;t#233; politique acceptait pour la r#233;gir un Etat parfaitement #233;tranger #224; toute sanction sup#233;rieure #224; l’homme; un Etat qui d#233;clarait qu’il n’avait point d’#226;me ou que s’il en avait une, cette #226;me n’#233;tait point religieuse. — Car, qui ne sait que m#234;me dans l’antiquit#233; pa#239;enne, dans tout ce monde de l’autre c#244;t#233; de la croix, plac#233; sous l’empire de la tradition universelle que le paganisme a bien pu d#233;figurer mais sans l’interrompre, — la cit#233;, l’Etat, #233;taient avant tout une institution religieuse. C’#233;tait comme un fragment d#233;tach#233; de la tradition universelle qui en s’incarnant dans une soci#233;t#233; particuli#232;re se constituait comme un centre ind#233;pendant. C’#233;tait pour ainsi dire de la religion localis#233;e, mat#233;rialis#233;e. Nous savons fort bien que cette pr#233;tendue neutralit#233; en mati#232;re religieuse n’est pas une chose s#233;rieuse de la part de la R#233;volution. Elle-m#234;me conna#238;t trop bien la nature de son adversaire pour ne pas savoir que vis-#224;-vis de lui la neutralit#233; est impossible: «Qui n’est pas pour moi est contre moi». En effet, pour offrir la neutralit#233; au christianisme il faut d#233;j#224; avoir cess#233; d’#234;tre chr#233;tien. Le sophisme de la doctrine moderne #233;choue ici contre la nature toute-puissante des choses. Pour que cette pr#233;tendue neutralit#233; e#251;t un sens, pour qu’elle f#251;t autre chose qu’un mensonge et un pi#232;ge, il faudrait de toute n#233;cessit#233; que l’Etat moderne consent#238;t #224; se d#233;pouiller de tout caract#232;re d’autorit#233; morale, qu’il se r#233;sign#226;t #224; n’#234;tre qu’une simple institution de police, un simple fait mat#233;riel, incapable par nature d’exprimer une id#233;e morale quelconque. — Soutiendra-t-on s#233;rieusement que la R#233;volution accepte pour l’Etat qu’elle a cr#233;#233; et qui la repr#233;sente une condition semblable, non seulement humble, mais impossible?.. Elle l’accepte si peu que d’apr#232;s sa doctrine bien connue elle ne fait d#233;river l’incomp#233;tence de la loi moderne en mati#232;re religieuse que de la conviction o#249; elle est que la morale, d#233;pouill#233;e de toute sanction surnaturelle, suffit aux destin#233;es de la soci#233;t#233; humaine. Cette proposition peut #234;tre vraie ou fausse, mais cette proposition, on l’avouera, est toute une doctrine, et, pour tout homme de bonne foi, une doctrine qui #233;quivaut #224; la n#233;gation la plus compl#232;te de la v#233;rit#233; chr#233;tienne. Aussi, en d#233;pit de cette pr#233;tendue incomp#233;tence et de sa neutralit#233; constitutionnelle en mati#232;re de religion, nous voyons que partout o#249; l’Etat moderne s’est #233;tabli, il n’a pas manqu#233; de r#233;clamer et d’exercer vis-#224;-vis de l’Eglise la m#234;me autorit#233; et les m#234;mes droits que ceux qui avaient appartenu aux anciens pouvoirs. Ainsi en France, par exemple, dans ce pays de logique par excellence, la loi a beau d#233;clarer que l’Etat comme tel n’a point de religion, celui-ci, dans ses rapports #224; l’#233;gard de l’Eglise catholique, n’en persiste pas moins #224; se consid#233;rer comme l’h#233;ritier parfaitement l#233;gitime du Roi tr#232;s chr#233;tien, — du fils a#238;n#233; de cette Eglise. R#233;tablissons donc la v#233;rit#233; des faits. L’Etat moderne ne proscrit les religions d’Etat que parce qu’il a la sienne — et cette religion c’est la R#233;volution. Maintenant, pour en revenir #224; la question romaine, on comprendra sans peine la position impossible que l’on pr#233;tend faire #224; la Papaut#233; en l’obligeant #224; accepter pour sa souverainet#233; temporelle les conditions de l’Etat moderne. La Papaut#233; sait fort bien quelle est la nature du principe dont il rel#232;ve. Elle le comprend d’instinct, la conscience chr#233;tienne du pr#234;tre dans le Pape l’en avertirait au besoin. Entre la Papaut#233; et ce principe il n’y a point de transaction possible; car ici une transaction ne serait pas une pure concession de pouvoir, ce serait tout bonnement une apostasie. — Mais, dira-t-on, pourquoi le Pape n’accepterait-il pas les institutions sans le principe? — C’est encore l#224; une des illusions de cette opinion soi-disant mod#233;r#233;e, qui se croit #233;minemment raisonnable et qui n’est qu’inintelligente. Comme si des institutions pouvaient se s#233;parer du principe qui les a cr#233;#233;es et qui les fait vivre… Comme si le mat#233;riel d’institutions priv#233;es de leur #226;me #233;tait autre chose qu’un attirail mort et sans utilit#233; — un v#233;ritable encombrement. D’ailleurs les institutions politiques ont toujours en d#233;finitive la signification que leur attribuent, non pas ceux qui les donnent, mais ceux qui les obtiennent — surtout quand ils vous les imposent. Si le Pape n’e#251;t #233;t#233; que pr#234;tre, c’est-#224;-dire si la Papaut#233; f#251;t rest#233;e fid#232;le #224; son origine, la R#233;volution n’aurait eu aucune prise sur elle, car la pers#233;cution n’en est pas une. Mais c’est l’#233;l#233;ment mortel et p#233;rissable qu’elle s’est identifi#233; qui la rend maintenant accessible #224; ses coups. C’est l#224; le gage que depuis des si#232;cles la Papaut#233; romaine a donn#233; par avance #224; la R#233;volution. Et c’est ici, comme nous l’avons dit, que la logique souveraine de l’action providentielle s’est manifest#233;e avec #233;clat. De toutes les institutions que la Papaut#233; a enfant#233;es depuis sa s#233;paration d’avec l’Eglise Orthodoxe, celle qui a le plus profond#233;ment marqu#233; cette s#233;paration, qui la le plus aggrav#233;e, le plus consolid#233;e, c’est sans nul doute la souverainet#233; temporelle du Pape. Et c’est pr#233;cis#233;ment contre cette institution que nous voyons la Papaut#233; venir se heurter aujourd’hui. Depuis longtemps assur#233;ment le monde n’avait rien eu de comparable au spectacle qu’a offert la malheureuse Italie pendant les derniers temps qui ont pr#233;c#233;d#233; ses nouveaux d#233;sastres. Depuis longtemps nulle situation, nul fait historique n’avaient eu cette physionomie #233;trange. Il arrive parfois que des individus #224; la veille de quelque grand malheur se trouvent, sans motif apparent, subitement pris d’un acc#232;s de gaiet#233; fr#233;n#233;tique, d’hilarit#233; furieuse — eh bien, ici c’est un peuple tout entier qui a #233;t#233; tout #224; coup saisi d’un acc#232;s de cette nature. Et cette fi#232;vre, ce d#233;lire s’est soutenu, s’est propag#233; pendant des mois. Il y a eu un moment o#249; il avait enlac#233; comme d’une cha#238;ne #233;lectrique toutes les classes, toutes les conditions de la soci#233;t#233; et ce d#233;lire si intense, si g#233;n#233;ral, avait adopt#233; pour mot d’ordre le nom d’un Pape!.. Que de fois le pauvre pr#234;tre chr#233;tien au fond de sa retraite n’a-t-il pas d#251; fr#233;mir au bruit de cette orgie dont on le faisait le dieu! Que de fois ces vocif#233;rations d’amour, ces convulsions d’enthousiasme n’ont-elles pas d#251; porter la consternation et le doute dans l’#226;me de ce chr#233;tien livr#233; en proie #224; cette effrayante popularit#233;! Ce qui surtout devait le consterner, lui, le Pape, c’est qu’au fond de cette popularit#233; immense, #224; travers toute cette exaltation des masses, quelque effr#233;n#233;e qu’elle f#251;t, il ne pouvait m#233;conna#238;tre un calcul et une arri#232;re-pens#233;e. C’#233;tait la premi#232;re fois que l’on affectait d’adorer le Pape en le s#233;parant de la Papaut#233;. Ce n’est pas assez dire: tous ces hommages, toutes ces adorations ne s’adressaient #224; l’homme que parce que l’on esp#233;rait trouver en lui un complice contre l’institution. En un mot, on voulait f#234;ter le Pape en faisant un feu de joie de la Papaut#233;. Et ce qu’il y avait de particuli#232;rement redoutable dans cette situation, c’est que ce calcul, cette arri#232;re-pens#233;e n’#233;taient pas seulement dans l’intention des partis, ils se retrouvaient aussi dans le sentiment instinctif des masses. Et rien assur#233;ment ne pouvait mieux mettre #224; nu toute la fausset#233; et toute l’hypocrisie de la situation que de voir l’apoth#233;ose d#233;cern#233;e au chef de l’Eglise Catholique, au moment m#234;me o#249; la pers#233;cution se d#233;cha#238;nait plus ardente que jamais contre l’ordre des J#233;suites. L’institution des J#233;suites sera toujours un probl#232;me pour l’Occident. C’est encore l#224; une de ces #233;nigmes dont la clef est ailleurs. On peut dire avec v#233;rit#233; que la question des J#233;suites tient de trop pr#232;s #224; la conscience religieuse de l’Occident pour qu’il puisse jamais la r#233;soudre d’une mani#232;re enti#232;rement satisfaisante. En parlant des j#233;suites, en cherchant #224; les soumettre #224; une appr#233;ciation #233;quitable, il faut commencer par mettre hors de cause tous ceux (et leur nom est l#233;gion) pour qui le mot de j#233;suite n’est plus qu’un mot de passe, un cri de guerre. Certes, de toutes les apologies que l’on a essay#233;es en faveur de cet ordre, il n’en est pas de plus #233;loquente, de plus convaincante que la haine, cette haine furieuse et implacable que lui ont vou#233;e tous les ennemis de la Religion Chr#233;tienne. Mais, ceci admis, on ne saurait se dissimuler que bien des catholiques romains les plus sinc#232;res, les plus d#233;vou#233;s #224; leur Eglise, depuis Pascal jusqu’#224; nos jours, n’ont cess#233; de g#233;n#233;ration en g#233;n#233;ration de nourrir une antipathie d#233;clar#233;e insurmontable contre cette institution. Cette disposition d’esprit dans une fraction consid#233;rable du monde catholique constitue peut-#234;tre une des situations les plus r#233;ellement saisissantes et les plus tragiques o#249; il soit donn#233; #224; l’#226;me humaine de se trouver plac#233;e. En effet, que peut-on imaginer de plus profond#233;ment tragique que le combat qui doit se livrer dans le c#339;ur de l’homme, lorsque, partag#233; entre le sentiment de la v#233;n#233;ration religieuse, de ce sentiment de pi#233;t#233; plus que filiale, et une odieuse #233;vidence, il s’efforce de r#233;cuser, de refouler le t#233;moignage de sa propre conscience plut#244;t que de s’avouer: la solidarit#233; r#233;elle et incontestable qui lie l’objet de son culte #224; celui de son aversion. — Et cependant telle est la situation de tout catholique fid#232;le qui, aveugl#233; par son inimiti#233; contre les j#233;suites, cherche #224; se dissimuler un fait d’une #233;clatante #233;vidence, #224; savoir: la profonde, l’intime solidarit#233; qui lie cet ordre, ses tendances, ses doctrines, ses destin#233;es, aux tendances, aux doctrines, aux destin#233;es de l’Eglise romaine et l’impossibilit#233; absolue de les s#233;parer l’un de l’autre, sans qu’il en r#233;sulte une l#233;sion organique et une mutilation #233;vidente. Car si, en se d#233;gageant de toute pr#233;vention, de toute pr#233;occupation de parti, de secte et m#234;me de nationalit#233;, l’esprit appliqu#233; #224; l’impartialit#233; la plus absolue et le c#339;ur rempli de charit#233; chr#233;tienne, on se place en pr#233;sence de l’histoire et de la r#233;alit#233; et que, apr#232;s les avoir interrog#233;es l’une et l’autre, on se pose de bonne foi cette question: Qu’est-ce que les j#233;suites? voici, nous pensons, la r#233;ponse que l’on se fera: les j#233;suites sont des hommes pleins d’un z#232;le ardent, infatigable, souvent h#233;ro#239;que, pour la cause chr#233;tienne et qui pourtant se sont rendus coupables d’un bien grand crime vis-#224;-vis du christianisme; — c’est que, domin#233;s par le moi humain, non pas comme individus mais comme ordre, ils ont cru la cause chr#233;tienne tellement li#233;e #224; la leur propre — ils ont dans l’ardeur de la poursuite et dans l’#233;motion du combat si compl#232;tement oubli#233; cette parole du Ma#238;tre: «Que Ta volont#233; soit faite et non pas la mienne!» — qu’ils ont fini par rechercher la victoire de Dieu #224; tout prix, sauf celui de leur satisfaction personnelle. Or, cette erreur, qui a sa racine dans la corruption originelle de l’homme et qui a #233;t#233; d’une port#233;e incalculable dans ses cons#233;quences pour les int#233;r#234;ts du christianisme, n’est pas, tant s’en faut, un fait particulier #224; la Soci#233;t#233; de J#233;sus. Cette erreur, cette tendance, lui est si bien commune avec l’Eglise de Rome elle-m#234;me que l’on pourrait #224; bon droit dire que c’est elle qui les rattache l’une #224; l’autre par une affinit#233; vraiment organique, par un v#233;ritable lien du sang. C’est cette communaut#233;, cette identit#233; de tendances qui fait de l’Institut des j#233;suites l’expression concentr#233;e mais litt#233;ralement fid#232;le du catholicisme romain; qui fait pour tout dire que c’est le catholicisme romain lui-m#234;me, mais #224; l’#233;tat d’action, #224; l’#233;tat militant. Et voil#224; pourquoi cet ordre: « Mais ce n’est pas seulement contre les j#233;suites, cette force vive du catholicisme, qu’on a cherch#233; #224; exploiter la popularit#233; moiti#233; factice, moiti#233; sinc#232;re dont on avait envelopp#233; le pape Pie IX. Un autre parti encore comptait aussi sur lui — une autre mission lui #233;tait r#233;serv#233;e. Les partisans de l’ind#233;pendance nationale esp#233;raient que, s#233;cularisant tout #224; fait la Papaut#233; au profit de leur cause, celui qui avant tout est pr#234;tre, consentirait #224; se faire le gonfalonier de la libert#233; italienne. C’est ainsi que les deux sentiments les plus vivaces et les plus imp#233;rieux de l’Italie contemporaine: l’antipathie pour la domination s#233;culi#232;re du clerg#233; et la haine traditionnelle de l’#233;tranger, du barbare, de l’Allemand, revendiquaient tous deux, au profit de leur cause, la coop#233;ration du Pape. Tout le monde le glorifiait, le d#233;ifiait m#234;me, mais #224; la condition qu’il se ferait le serviteur de tout le monde, et cela dans un sens qui n’#233;tait nullement celui de l’humilit#233; chr#233;tienne. Parmi les opinions ou les influences politiques qui venaient ainsi briguer son patronage en lui offrant leur concours, il y en avait une qui avait jet#233; pr#233;c#233;demment quelque #233;clat parce qu’elle avait eu pour interpr#232;tes et pour ap#244;tres quelques hommes d’un talent litt#233;raire peu commun. A en croire les doctrines na#239;vement ambitieuses de ces th#233;oriciens politiques, l’Italie contemporaine allait sous les auspices du Pontificat romain r#233;cup#233;rer la primaut#233; universelle et ressaisir pour la troisi#232;me fois le sceptre du monde. C’est-#224;-dire qu’au moment o#249; l’#233;tablissement papal #233;tait secou#233; jusque dans ses fondements, ils proposaient s#233;rieusement au Pape de rench#233;rir encore sur les donn#233;es du moyen-#226;ge et lui offraient quelque chose comme un Califat chr#233;tien — #224; la condition, bien entendu, que cette th#233;ocratie nouvelle s’exercerait avant tout dans l’int#233;r#234;t de la nationalit#233; italienne. On ne saurait, en v#233;rit#233;, assez s’#233;merveiller de cette tendance vers le chim#233;rique et l’impossible qui domine les esprits de nos jours et qui est un des traits distinctifs de l’#233;poque. Il faut qu’il y ait une affinit#233; r#233;elle entre l’utopie et la R#233;volution, car chaque fois que celle-ci, un moment infid#232;le #224; ses habitudes, veut cr#233;er au lieu de d#233;truire, elle tombe infailliblement dans l’utopie. Il est juste de dire que celle #224; laquelle nous venons de faire allusion est encore une des plus inoffensives. Enfin vint un moment dans la situation donn#233;e o#249;, l’#233;quivoque n’#233;tant plus possible, la Papaut#233;, pour ressaisir son droit, se vit oblig#233;e de rompre en visi#232;re aux pr#233;tendus amis du Pape. C’est alors que la R#233;volution jeta #224; son tour le masque et apparut au monde sous les traits de la r#233;publique romaine. Quant #224; ce parti on le conna#238;t maintenant, on l’a vu #224; l’#339;uvre. C’est le v#233;ritable, le l#233;gitime repr#233;sentant de la R#233;volution en Italie. Ce parti-l#224; consid#232;re la Papaut#233; comme son ennemi personnel #224; cause de l’#233;l#233;ment chr#233;tien qu’il d#233;couvre en elle. Aussi n’en veut-il #224; aucun prix, pas m#234;me pour l’exploiter. Il voudrait tout simplement la supprimer et c’est par un motif semblable qu’il voudrait aussi supprimer tout le pass#233; de l’Italie, toutes les conditions historiques de son existence comme entach#233;es et infect#233;es de catholicisme, se r#233;servant de rattacher, par une pure abstraction r#233;volutionnaire, l’existence du r#233;gime qu’il pr#233;tend fonder, aux ant#233;c#233;dents r#233;publicains de l’ancienne Rome. Eh bien, ce qu’il y a de particulier dans cette brutale utopie, c’est que, quel que soit le caract#232;re profond#233;ment anti-historique dont elle est empreinte, elle aussi a sa tradition bien connue dans l’histoire de la civilisation italienne. — Elle n’est apr#232;s tout que la r#233;miniscence classique de l’ancien monde pa#239;en, de la civilisation pa#239;enne, — tradition qui a jou#233; un grand r#244;le dans l’histoire de l’Italie, qui s’est perp#233;tu#233;e #224; travers tout le pass#233; de ce pays, qui a eu ses repr#233;sentants, ses h#233;ros et m#234;me ses martyrs et qui, non contente de dominer presque exclusivement ses arts et sa litt#233;rature, a tent#233; #224; plusieurs reprises de se constituer politiquement pour s’emparer de la soci#233;t#233; tout enti#232;re. Et, chose remarquable, — chaque fois que cette tradition, celle tendance a essay#233; de rena#238;tre, elle est toujours apparue #224; la mani#232;re des revenants, invariablement attach#233;e #224; la m#234;me localit#233; — #224; celle de Rome. Arriv#233;e jusqu’#224; nos jours, le principe r#233;volutionnaire ne pouvait gu#232;re manquer de l’accueillir et de se l’approprier #224; cause de la pens#233;e anti-chr#233;tienne qui #233;tait en elle. Maintenant ce parti vient d’#234;tre abattu et l’autorit#233; du Pape en apparence restaur#233;e. Mais si quelque chose, il faut en convenir, pouvait encore grossir le tr#233;sor de fatalit#233;s que cette question romaine renferme, c’#233;tait de voir ce double r#233;sultat obtenu par une intervention de la France. Le lieu commun de l’opinion courante au sujet de cette intervention c’est de n’y voir, comme on le fait assez g#233;n#233;ralement, qu’un coup de t#234;te ou une maladresse du gouvernement fran#231;ais. Ce qu’il y a de vrai #224; dire, #224; ce sujet, c’est que si le gouvernement fran#231;ais, en s’engageant dans cette question insoluble en elle-m#234;me, s’est dissimul#233; qu’elle #233;tait plus insoluble pour lui que pour tout autre, cela prouverait seulement de sa part une compl#232;te inintelligence tant de sa propre position que de celle de la France… ce qui d’ailleurs est fort possible, nous en convenons. En g#233;n#233;ral on s’est trop habitu#233; en Europe, dans ces derniers temps, #224; r#233;sumer l’appr#233;ciation que l’on fait des actes ou plut#244;t des vell#233;it#233;s d’action de la politique fran#231;aise par une phrase devenue proverbiale: «La France ne sait ce qu’elle veut». — Cela peut #234;tre vrai, mais pour #234;tre parfaitement juste on devrait ajouter que la France ne peut pas savoir ce qu’elle veut. Car pour y r#233;ussir il faut avant tout avoir Et ici il ne s’agit pas de ce d#233;saccord, de cette divergence d’opinions politiques ou autres qui se rencontrent dans tous les pays o#249; la soci#233;t#233; par la fatalit#233; des circonstances se trouve livr#233;e au gouvernement des partis. II s’agit d’un fait bien autrement grave; il s’agit d’un antagonisme permanent, essentiel et #224; tout jamais insoluble, qui depuis soixante ans constitue, pour ainsi dire, le fond m#234;me de la conscience nationale en France. C’est l’#226;me de la France qui est divis#233;e. La R#233;volution, depuis qu’elle s’est empar#233;e de ce pays, a bien pu le bouleverser, le modifier, l’alt#233;rer profond#233;ment, mais elle n’a pu, ni ne pourra jamais se l’assimiler enti#232;rement. Elle aura beau faire, il y a des #233;l#233;ments, des principes dans la vie morale de la France qui r#233;sisteront toujours — ou du moins aussi longtemps qu’il y aura une France au monde; tels sont: l’Eglise catholique avec ses croyances et son enseignement; le mariage chr#233;tien et la famille, et m#234;me la propri#233;t#233;. D’autre part, comme il est #224; pr#233;voir que la R#233;volution, qui est entr#233;e non-seulement dans le sang, mais dans l’#226;me m#234;me de cette soci#233;t#233;, ne se d#233;cidera jamais #224; l#226;cher prise volontairement, et comme dans l’histoire du monde nous ne connaissons pas une formule d’exorcisme applicable #224; une nation tout enti#232;re, il est fort #224; craindre que l’#233;tat de lutte, mais d’une lutte intime et incessante, de scission permanente et pour ainsi dire organique, ne soit devenu pour bien longtemps la condition normale de la nouvelle soci#233;t#233; fran#231;aise. Et voil#224; pourquoi dans ce pays, o#249; nous voyons depuis soixante ans se r#233;aliser cette combinaison d’un Etat r#233;volutionnaire par principe tra#238;nant #224; la remorque une soci#233;t#233; qui n’est que r#233;volutionn#233;e, le gouvernement, le pouvoir qui tient n#233;cessairement des deux sans parvenir #224; les concilier, s’y trouve fatalement condamn#233; #224; une position fausse, pr#233;caire, entour#233;e de p#233;rils et frapp#233;e d’impuissance. Aussi avons-nous vu que depuis cette #233;poque tous les gouvernements en France — moins un, celui de la Convention pendant la Terreur, — quelque f#251;t la diversit#233; de leur origine, de leurs doctrines et de leurs tendances, ont eu ceci en commun: c’est que tous, sans excepter m#234;me celui du lendemain de F#233;vrier, ils ont subi la R#233;volution bien plus qu’ils ne l’ont repr#233;sent#233;e. Et il n’en pouvait #234;tre autrement. Car ce n’est qu’#224; la condition de lutter contre elle, tout en la subissant, qu’ils ont pu vivre. Mais il est vrai de dire que, jusqu’#224; pr#233;sent du moins, ils ont tous p#233;ri #224; la t#226;che. Comment donc un pouvoir ainsi fait, aussi peu s#251;r de son droit, d’une nature aussi ind#233;cise, aurait-il eu quelque chance de succ#232;s en intervenant dans une question comme l’est cette question romaine? En se pr#233;sentant comme m#233;diateur ou comme arbitre entre la R#233;volution et le Pape, il ne pouvait gu#232;re esp#233;rer de concilier ce qui est inconciliable par nature. Et d’autre part il ne pouvait donner gain de cause #224; l’une des parties adverses sans se blesser lui-m#234;me, sans renier pour ainsi dire une moiti#233; de lui-m#234;me. Ce qu’il pouvait donc obtenir par cette intervention #224; double tranchant, quelque #233;mouss#233; qu’il f#251;t, c’#233;tait d’embrouiller encore davantage ce qui d#233;j#224; #233;tait inextricable, d’envenimer la plaie en l’irritant. C’est #224; quoi il a parfaitement r#233;ussi. Maintenant quelle est au vrai la situation du Pape #224; l’#233;gard de ses sujets? Et quel est le sort probable r#233;serv#233; aux nouvelles institutions qu’il vient de leur accorder? — Ici malheureusement les plus tristes pr#233;visions sont seules de droit. C’est le doute qui ne l’est pas. La situation, — c’est l’ancien #233;tat des choses, celui ant#233;rieur au r#232;gne actuel, celui qui d#232;s lors croulait d#233;j#224; sous le poids de son impossibilit#233;, mais d#233;mesur#233;ment aggrav#233; par tout ce qui est arriv#233; depuis. Au moral, par d’immenses d#233;ceptions et d’immenses trahisons; au mat#233;riel, par toutes les ruines accumul#233;es. On conna#238;t ce cercle vicieux o#249; depuis quarante ans nous avons vu rouler et se d#233;battre tant de peuples et tant de gouvernements. Des gouvern#233;s n’acceptant les concessions que leur faisait le pouvoir, que comme un faible acompte pay#233; #224; contrec#339;ur par un d#233;biteur de mauvaise foi. Des gouvernements qui ne voyaient dans les demandes qu’on leur adressait que les emb#251;ches d’un ennemi hypocrite. Eh bien, cette situation, cette r#233;ciprocit#233; de mauvais sentiments, d#233;testable et d#233;moralisante partout et toujours, est encore grandement envenim#233;e ici par le caract#232;re particuli#232;rement sacr#233; du pouvoir et par la nature tout exceptionnelle de ses rapports avec ses sujets. Car, encore une fois, dans la situation donn#233;e et sur la pente o#249; l’on se trouve plac#233;, non seulement par la passion des hommes, mais par la force m#234;me des choses, — toute concession, toute r#233;forme, pour peu qu’elle soit sinc#232;re et s#233;rieuse, pousse infailliblement l’Etat romain vers une s#233;cularisation compl#232;te. La s#233;cularisation, nul n’en doute, est le dernier mot de la situation. Et cependant le Pape, sans droit pour l’accorder m#234;me dans les temps ordinaires, puisque la souverainet#233; temporelle n’est pas son bien, mais celui de l’Eglise de Rome, — pourrait bien moins encore y consentir maintenant qu’il a la certitude que cette s#233;cularisation, lors m#234;me qu’elle serait accord#233;e #224; des n#233;cessit#233;s r#233;elles, tournerait en d#233;finitive au profit des ennemis jur#233;s, non pas de son pouvoir seulement, mais de l’Eglise elle-m#234;me. Y consentir, ce serait se rendre coupable d’apostasie et de trahison tout #224; la fois. Voici pour le Pouvoir. Pour ce qui est des sujets, il est clair que cette antipathie inv#233;t#233;r#233;e contre la domination des pr#234;tres, qui constitue tout l’esprit public de la population romaine, n’aura pas diminu#233; par suite des derniers #233;v#233;nements. Et si d’une part une semblable disposition des esprits suffit #224; elle seule pour faire avorter les r#233;formes les plus g#233;n#233;reuses et les plus loyales, d’autre part l’insucc#232;s de ces r#233;formes ne peut qu’ajouter infiniment #224; l’irritation g#233;n#233;rale, confirmer l’opinion dans sa haine pour l’autorit#233; r#233;tablie et — Voil#224; certes une situation parfaitement d#233;plorable et qui a tous les caract#232;res d’un ch#226;timent providentiel. Car pour un pr#234;tre chr#233;tien quel plus grand malheur peut-on imaginer que celui de se voir ainsi fatalement investi d’un pouvoir qu’il ne peut exercer qu’au d#233;triment des #226;mes et pour la ruine de la Religion!.. Non, en v#233;rit#233;, cette situation est trop violente, trop contre nature pour pouvoir se prolonger. Ch#226;timent ou #233;preuve, il est impossible que la Papaut#233; romaine reste longtemps encore enferm#233;e dans ce cercle de feu sans que Dieu dans Sa mis#233;ricorde lui vienne en aide et lui ouvre une voie, une issue merveilleuse, #233;clatante, inattendue — ou, disons mieux, attendue depuis des si#232;cles. Peut-#234;tre en est-elle s#233;par#233;e encore, elle — la Papaut#233; — et l’Eglise soumise #224; ses lois, par bien des tribulations et bien des d#233;sastres; peut-#234;tre n’est-elle encore qu’#224; l’entr#233;e de ces temps calamiteux. Car ce ne sera pas une petite flamme, ce ne sera pas un incendie de quelques heures que celui qui, en d#233;vorant et r#233;duisant en cendres des si#232;cles entiers de pr#233;occupations mondaines et d’inimiti#233;s anti-chr#233;tiennes, fera enfin crouler devant elle cette fatale barri#232;re qui lui cachait l’issue d#233;sir#233;e. Et comment #224; la vue de ce qui se passe, en pr#233;sence de cette organisation nouvelle du principe du mal, la plus savante et la plus formidable que les hommes aient jamais vue, — en pr#233;sence de ce monde du mal tout constitu#233; et tout arm#233;, avec son #233;glise d’irr#233;ligion et son gouvernement de r#233;volte, — comment, disons-nous, serait-il interdit aux chr#233;tiens d’esp#233;rer que Dieu daignera proportionner les forces de Son Eglise #224; Lui, #224; la nouvelle t#226;che qu’Il lui assigne? — Qu’#224; la veille des combats qui se pr#233;parent Il daignera lui restituer la pl#233;nitude de ses forces, et qu’#224; cet effet Lui-m#234;me, #224; son heure, viendra, de Sa main mis#233;ricordieuse, gu#233;rir au flanc de Son Eglise la plaie que la main des hommes y a faite — cette plaie ouverte qui saigne depuis huit cents ans!.. L’Eglise Orthodoxe n’a jamais d#233;sesp#233;r#233; de cette gu#233;rison. Elle l’attend — elle y compte — non pas avec confiance, mais avec certitude. Comment ce qui est Rome et elle esp#232;re qu’au jour de la grande r#233;union elle lui restituera intact ce d#233;p#244;t sacr#233;. Qu’il nous soit permis de rappeler, en finissant, un incident qui se rattache #224; la visite que l’Empereur de Russie a faite #224; Rome en 1846. On s’y souviendra peut-#234;tre encore de l’#233;motion g#233;n#233;rale qui l’a accueilli #224; son apparition dans l’#233;glise de Saint-Pierre — l’apparition de l’Empereur orthodoxe revenu #224; Rome apr#232;s plusieurs si#232;cles d’absence! et du mouvement #233;lectrique qui a parcouru la foule, lorsqu’on l’a vu aller prier au tombeau des Ap#244;tres. Cette #233;motion #233;tait juste et l#233;gitime. L’Empereur prostern#233; n’y #233;tait pas seul. Toute la Russie #233;tait l#224; prostern#233;e avec lui. — Esp#233;rons qu’il n’aura pas pri#233; en vain devant les saintes reliques. |
||
|