"Dioptrique" - читать интересную книгу автора (Descartes Rene)Renй Descartes La Dioptrique (1637) De la lumiиre Toute la conduite de notre vie dйpend
de nos sens, entre lesquels celui de la vue йtant le plus universel et le plus
noble, il n’y a point de. doute que les inventions qui servent а augmenter sa
puissance ne soient des plus utiles qui puissent кtre. Et il est malaisй d’en
trouver aucune qui l’augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes
qui, n’йtant en usage que depuis peu, nous ont dйjа dйcouvert de nouveaux
astres dans le ciel, et d’autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand
nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que,
portant notre vue beaucoup plus loin que n’avait coutume d’aller l’imagination
de nos pиres, elles semblent nous avoir ouvert le chemin, pour parvenir а une
connaissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu’ils ne l’ont
eue. Mais, а la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si
admirable, n’a premiиrement йtй trouvйe que par l’expйrience et la fortune. Il
y a environ trente ans, qu’un nommй Jacques Metius , de la ville d’Alcmar
en Hollande, homme qui n’avait jamais йtudiй, bien qu’il eыt un pиre et un
frиre qui ont fait profession des mathйmatiques, mais qui prenait
particuliиrement plaisir а faire des miroirs et verres brыlants, en composant
mкme l’hiver avec de la glace, ainsi que l’expйrience a montrй qu’on en peut
faire, ayant а cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s’avisa par
bonheur de regarder au travers de deux, dont l’un йtait un peu plus йpais au
milieu qu’aux extrйmitйs, et l’autre au contraire beaucoup plus йpais aux extrйmitйs
qu’au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d’un tuyau, que
la premiиre des lunettes dont nous parlons, en fut composйe. Et c’est seulement
sur ce patron que toutes les autres qu’on a vues depuis ont йtй faites, sans
que personne encore, que je sache, ait suffisamment dйterminй les figures que
ces verres doivent avoir. Car, bien qu’il y ait eu depuis quantitй de bons
esprits, qui ont fort cultivй cette matiиre, et ont trouvй а son occasion
plusieurs choses en l’Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient
laissй les anciens, toutefois, а cause que les inventions un peu malaisйes
n’arrivent pas а leur dernier degrй de perfection du premier coup, il est
encore demeurй assez de difficultйs en celle-ci, pour me donner sujet d’en
йcrire. Et d’autant que l’exйcution des choses que je dirai doit dйpendre de
l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point йtudiй, je tвcherai
de me rendre intelligible а tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer,
qu’on doive avoir appris des autres sciences. C’est pourquoi je commencerai par
l’explication de la lumiиre et de ses rayons ; puis, ayant fait une brиve
description des parties de l’њil, je dirai particuliиrement en quelle sorte se
fait la vision ; et ensuite, ayant remarquй toutes les choses qui sont
capables de la rendre plus parfaite, j’enseignerai comment elles y peuvent кtre
ajoutйes par les inventions que je dйcrirai. Or, n’ayant ici autre occasion de
parler de la lumiиre, que pour expliquer comment ses rayons entrent dans l’њil,
et comment ils peuvent кtre dйtournйs par les divers corps qu’ils rencontrent,
il n’est pas besoin que j’entreprenne de dire au vrai quelle est sa nature, et
je crois qu’il suffira que je me serve de deux ou trois comparaisons, qui
aident а la concevoir en la faзon qui me semble la plus commode, pour expliquer
toutes celles de ses propriйtйs que l’expйrience nous fait connaоtre, et pour
dйduire ensuite toutes les autres qui ne peuvent pas si aisйment кtre
remarquйes ; imitant en ceci les astronomes, qui, bien que leurs
suppositions soient presque toutes fausses ou incertaines, toutefois, а cause
qu’elles se rapportent а diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent
pas d’en tirer plusieurs consйquences trиs vraies et trиs assurйes. Il vous est bien sans doute
arrivй quelquefois, en marchant de nuit sans flambeau, par des lieux un peu
difficiles, qu’il fallait vous aider d’un bвton pour vous conduire, et vous
avez pour lors pu remarquer que vous sentiez, par l’entremise de ce bвton, les divers
objets qui se rencontraient autour de vous, et mкme que vous pouviez distinguer
s’il y avait des arbres, ou des pierres, ou du sable, ou de l’eau, ou de
l’herbe, ou de la boue, ou quelque autre chose de semblable. Il est vrai que
cette sorte de sentiment est un peu confuse et obscure, en ceux qui n’en ont
pas un long usage ; mais considйrez-la en ceux qui, йtant nйs aveugles,
s’en sont servis toute leur vie, et vous l’y trouverez si parfaite et si
exacte, qu’on pourrait quasi dire qu’ils voient des mains, ou que leur bвton
est l’organe de quelque sixiиme sens, qui leur a йtй donnй au dйfaut de la vue.
Et pour tirer une comparaison de ceci, je dйsire que vous pensiez que la
lumiиre n’est autre chose, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’un certain mouvement,
ou une action fort prompte et tort vive, qui passe vers nos yeux, par
l’entremise de l’air et des autres corps transparents, en mкme faзon que le
mouvement ou la rйsistance des corps, que rencontre cet aveugle, passe vers sa
main, par l’entremise de son bвton. Ce qui vous empкchera d’abord de trouver
йtrange, que cette lumiиre puisse йtendre ses rayons en un instant, depuis le
soleil jusques а nous : car vous savez que l’action, dont on meut l’un des
bouts d’un bвton, doit ainsi passer en un instant jusques а l’autre, et qu’elle
y devrait passer en mкme sorte, encore qu’il y aurait plus de distance qu’il
n’y en a, depuis la terre jusques aux cieux. Vous ne trouverez pas йtrange non
plus, que par son moyen nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; et
mкme vous croirez peut-кtre que ces couleurs ne sont autre chose, dans les
corps qu’on nomme colorйs, que les diverses faзons dont ces corps la reзoivent
et la renvoient contre nos yeux : si vous considйrez que les diffйrences,
qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses
semblables, par l’entremise de son bвton, ne lui semblent pas moindres que nous
font celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert, et toutes les autres
couleurs ; et toutefois que ces diffйrences ne sont autre chose, en tous
ces corps, que les diverses faзons de mouvoir, ou de rйsister aux mouvements de
ce bвton. En suite de quoi vous aurez occasion de juger, qu’il n’est pas besoin
de supposer qu’il passe quelque chose de matйriel depuis les objets jusques а
nos yeux, pour nous faire voir les couleurs et la lumiиre, ni mкme qu’il y ait
rien en ces objets, qui soit semblable aux idйes ou aux sentiments que nous en
avons : tout de mкme qu’il ne sort rien des corps, que sent un aveugle,
qui doive passer le long de son bвton jusques а sa main, et que la rйsistance
ou le mouvement de ces corps, qui est la seule cause des sentiments qu’il en a,
n’est rien de semblable aux idйes qu’il en conзoit. Et par ce moyen votre
esprit sera dйlivrй de toutes ces petites images voltigeantes par l’air,
nommйes des espиces intentionnelles, qui travaillent tant l’imagination des
philosophes. Mкme vous pourrez aisйment dйcider la question, qui est entre eux,
touchant le lieu d’oщ vient l’action qui cause le sentiment de la vue :
car, comme notre aveugle peut sentir les corps qui sont autour de lui, non
seulement par l’action de ces corps, lorsqu’ils se meuvent contre son bвton,
mais aussi par celle de sa main, lorsqu’ils ne font que lui rйsister ;
ainsi faut-il avouer que les objets de la vue peuvent кtre sentis, non
seulement par le moyen de l’action qui, йtant en eux, tend vers les yeux, mais
aussi par le moyen de celle qui, йtant dans les yeux, tend vers eux. Toutefois,
parce que cette action n’est autre chose que la lumiиre, il faut remarquer
qu’il n’y a que ceux qui peuvent voir pendant les tйnиbres de la nuit, comme
les chats, dans les yeux desquels elle se trouve ; et que, pour
l’ordinaire des hommes, ils ne voient que par l’action qui vient des
objets : car l’expйrience nous montre que ces objets doivent кtre lumineux
ou illuminйs pour кtre vus, et non point nos yeux pour les voir. Mais, parce
qu’il y a grande diffйrence entre le bвton de cet aveugle et l’air ou les
autres corps transparents, par l’entremise desquels nous voyons, il faut que je
me serve encore ici d’une autre comparaison.
Voyez une cuve au temps de vendange, toute pleine de
raisins а demi foulйs, et dans le fond de laquelle on ait fait un trou ou deux,
comme A et B, par oщ le vin doux, qu’elle contient, puisse couler. Puis pensez
que, n’y ayant point de vide en la Nature, ainsi que presque tous les
Philosophes avouent , et nйanmoins y ayant plusieurs pores en tous les
corps que nous apercevons autour de nous, ainsi que l’expйrience peut montrer
fort clairement ; il est nйcessaire que ces pores soient remplis de
quelque matiиre fort subtile et fort fluide, qui s’йtende sans interruption
depuis les Astres jusques а nous. Or, cette matiиre subtile йtant comparйe avec
le vin de cette cuve, et les parties moins fluides ou plus grossiиres, tant de
l’air que des autres corps transparents, avec les grappes de raisins qui sont
parmi : vous entendrez facilement que, comme les parties de ce vin, qui
sont par exemple vers C, tendent а descendre en ligne droite par le trou A, au
mкme instant qu’il est ouvert, et ensemble par le trou B, et que celles qui
sont vers D, et vers E, tendent aussi en mкme temps а descendre par ces deux
trous, sans qu’aucune de ces actions soit empкchйe par les autres, ni aussi par
la rйsistance des grappes qui sont en cette cuve : nonobstant que ces
grappes, йtant soutenues l’une par l’autre, ne tendent point du tout а
descendre par ces trous A et B, comme le vin, et mкme qu’elles puissent cependant
кtre mues, en plusieurs autres faзons, par ceux qui les foulent. Ainsi toutes
les parties de la matiиre subtile, que touche le cфtй du Soleil qui nous
regarde, tendent en ligne droite vers nos yeux au mкme instant qu’il sont
ouverts, sans s’empкcher les unes les autres, et mкme sans кtre empкchйes par
les parties grossiиres des corps transparents, qui sont entre deux : soit
que ces corps se meuvent en d’autres faзons, comme l’air, qui est presque
toujours agitй par quelque vent ; soit qu’ils soient sans mouvement, comme
eut кtre le verre ou le cristal. Et remarquez ici qu’il faut distinguer entre
le mouvement, et l’action ou inclination а se mouvoir. Car on peut fort bien
concevoir que les parties du vin, qui sont par exemple vers C, tendent vers B,
et ensemble vers A, nonobstant qu’elles ne puissent actuellement se mouvoir
vers ces deux cфtйs en mкme temps ; et qu’elles tendent exactement en
ligne droite vers B et vers A, nonobstant qu’elles ne se puissent mouvoir si
exactement vers la ligne droite, а cause des grappes de raisins qui sont entre
deux : et ainsi, pensant que ce n’est pas tant le mouvement, comme
l’action des corps lumineux qu’il faut prendre pour leur lumiиre, vous devez
juger que les rayons de cette lumiиre ne sont autre chose que les lignes suivant
lesquelles tend cette action. En sorte qu’il y a une infinitй de tels rayons
qui viennent de tous les points des corps lumineux, vers tous les points de
ceux qu’ils illuminent, ainsi que vous pouvez imaginer une infinitй de lignes
droites, suivant lesquelles les actions, qui viennent de tous les points de la
superficie du vin CDE, tendent vers A, et une infinitй d’autres, suivant
lesquelles les actions, qui viennent de ces mкmes points, tendent aussi vers B,
sans que les unes empкchent les autres. Au reste, ces rayons doivent bien
кtre ainsi toujours imaginйs exactement droits, lorsqu’ils ne passent que par
un seul corps transparent, qui est partout йgal а soi-mкme : mais,
lorsqu’ils rencontrent quelques autres corps, ils sont sujets а кtre dйtournйs
par eux, ou amortis, en mкme faзon que l’est le mouvement d’une balle, ou d’une
pierre jetйe dans l’air, par ceux qu’elle rencontre. Car il est bien aisй а
croire que l’action ou inclination а se mouvoir, que j’ai dit devoir кtre prise
pour la lumiиre, doit suivre en ceci les mкmes lois que le mouvement. Et afin
que j’explique cette troisiиme comparaison tout au long, considйrez que les
corps, qui peuvent ainsi кtre rencontrйs par une balle qui passe dans l’air,
sont ou mous, ou durs, ou liquides ; et que, s’ils sont mous, ils arrкtent
et amortissent tout а fait son mouvement : comme lorsqu’elle donne contre
des toiles, ou du sable, ou de la boue ; au lieu que, s’ils sont durs, ils
la renvoient d’un autre cфtй sans l’arrкter ; et ce, en plusieurs diverses
faзons. Car ou leur superficie est toute йgale et unie, ou raboteuse et
inйgale ; et derechef, йtant йgale, elle est ou plate, ou courbйe ;
et йtant inйgale, ou son inйgalitй ne consiste qu’en ce qu’elle est composйe de
plusieurs parties diversement courbйes, dont chacune est en soi assez
unie ; ou bien elle consiste, outre cela, en ce qu’elle a plusieurs divers
angles ou pointes, ou des parties plus dures l’une que l’autre, ou qui se
meuvent, et ce, avec des variйtйs qui peuvent кtre imaginйes en mille sortes. Et
il faut remarquer que la balle, outre son mouvement simple et ordinaire, qui la
porte d’un lieu en l’autre, en peut encore avoir un deuxiиme, qui la fait
tourner autour de son centre, et que la vitesse de celui-ci peut avoir
plusieurs diverses proportions avec celle de l’autre. Or, quand plusieurs
balles, venant d’un mкme cфtй, rencontrent un corps, dont la superficie est
toute unie et йgale, elles se rйflйchissent йgalement, et en mкme ordre, en
sorte que, si cette superficie est toute plate, elles gardent entre elles la
mкme distance, aprиs l’avoir rencontrйe, qu’elles avaient auparavant ; et
si elle est courbйe en dedans ou en dehors, elles s’approchent ou s’йloignent
en mкme ordre les unes des autres, plus ou moins, а raison de cette courbure. Comme
vous voyez ici les balles A, B, C, qui, aprиs avoir rencontrй les superficies
des corps D, E, F, se rйflйchissent vers G, H, I. Et si ces balles rencontrent
une superficie inйgale, comme L ou M, elles se rйflйchissent vers divers cфtйs,
chacune selon la situation de l’endroit de cette superficie qu’elle touche. Et
elles ne changent rien que cela en la faзon de leur mouvement, lorsque son
inйgalitй ne consiste qu’en ce que ses parties sont courbйes diversement.
Mais elle peut aussi consister en plusieurs autres choses
et faire, par ce moyen, que, si ces balles n’ont eu auparavant qu’un. simple
mouvement droit, elles en perdent une partie, et en acquiиrent au lieu un
circulaire, qui peut avoir diverse proportion avec ce qu’elles retiennent du
droit, selon que la superficie du corps qu’elles rencontrent peut кtre
diversement disposйe. Ce que ceux qui jouent а la paume йprouvent assez,
lorsque leur balle rencontre de faux carreaux, ou bien qu’ils la touchent en biaisant
de leur raquette, ce qu’ils nomment, ce me semble, couper ou friser .
Enfin, considйrez que, si une balle qui se meut rencontre obliquement la
superficie d’un corps liquide, par lequel elle puisse passer plus ou moins
facilement que par celui d’oщ elle sort, elle se dйtourne et change son cours
en y entrant : comme, par exemple, si йtant en l’air au point A, on la
pousse vers B, elle va bien en ligne droite depuis A jusques а B, si ce n’est
que sa pesanteur ou quelqu’autre cause particuliиre l’en empкche ; mais,
йtant au point B oщ je suppose qu’elle rencontre la superficie de l’eau CBE,
elle se dйtourne et prend son cours vers I, allant derechef en ligne droite
depuis B jusques а I, ainsi qu’il est aisй а vйrifier par l’expйrience.
Or il faut penser, en mкme faзon, qu’il y a des corps qui,
йtant rencontrйs par les rayons de la lumiиre, les amortissent, et leur фtent
toute leur force, а savoir ceux qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre
couleur que les tйnиbres ; et qu’il y en a d’autres qui les font
rйflйchir, les uns au mкme ordre qu’ils les reзoivent, а savoir ceux qui, ayant
leur superficie toute polie, peuvent servir de miroirs tant plats que courbйs,
et les autres confusйment vers plusieurs cфtйs ; et que derechef, entre
ceux-ci, les uns font rйflйchir ces rayons sans apporter aucun autre changement
en leur action, а savoir ceux qu’on nomme blancs, et les autres y apportent
avec cela un changement semblable а celui que reзoit le mouvement d’une balle
quand on la frise, а savoir ceux qui sont rouges, ou jaunes, ou bleus, ou de
quelque autre telle couleur. Car je pense pouvoir dйterminer en quoi consiste
la nature de chacune de ces couleurs, et le faire voir par expйrience ;
mais cela passe les bornes de mon sujet. Et il me suffit ici de vous avertir
que les rayons, qui tombent sur les corps qui sont colorйs et non polis, se
rйflйchissent ordinairement de tous cфtйs, encore mкme qu’ils ne viennent que
d’un seul cфtй : comme, encore que ceux qui tombent sur la superficie du
corps blanc AB, ne viennent que du flambeau C, ils ne laissent pas de se
rйflйchir tellement de tous cфtйs, qu’en quelque lieu qu’on pose l’њil, comme
par exemple vers D, il s’en trouve toujours plusieurs venant de chaque endroit
de cette superficie AB, tendent vers lui. Et mкme, si l’on suppose ce corps
fort dйliй comme un papier ou une toile, en sorte que le jour passe au travers,
encore que l’њil soit d’autre cфtй que le flambeau, comme vers E, il ne
laissera pas de se rйflйchir vers lui quelques rayons de chacune des parties de
ce corps.
Enfin, considйrez que les rayons se dйtournent aussi, en
mкme faзon qu’il a йtй dit d’une balle quand ils rencontrent obliquement la
superficie d’un corps transparent, par lequel ils pйnиtrent plus ou moins
facilement que par celui d’oщ ils viennent, et cette faзon de se dйtourner
s’appelle en eux Rйfraction. De la rйfraction D’autant que nous aurons besoin ci-aprиs de savoir
exactement la quantitй de cette rйfraction, et qu’elle peut assez commodйment
кtre entendue par la comparaison dont je viens de me servir, je crois qu’il est
а propos que je tвche ici tout d’un train de l’expliquer, et que je parle
premiиrement de la rйflexion, afin d’en rendre l’intelligence d’autant plus
aisйe.
Pensons donc qu’une balle, йtant poussйe d’A vers B,
rencontre, au point B, la superficie de la terre CBE, qui, l’empкchant de
passer outre, est cause qu’elle se dйtourne ; et voyons vers quel cфtй.
Mais afin de ne nous embarrasser point en de nouvelles difficultйs, supposons
que la terre est parfaitement plate et dure, et que la balle va toujours
d’йgale vitesse, tant en descendant qu’en remontant, sans nous enquйrir en
aucune faзon de la puissance qui continue de la mouvoir, aprиs qu’elle n’est
plus touchйe de la raquette, ni considйrer aucun effet de sa pesanteur, ni de
sa grosseur, ni de sa figure. Car il n’est pas ici question d’y regarder de si
prиs, et il n’y a aucune de ces choses qui ait lieu en l’action de la lumiиre а
laquelle ceci se doit rapporter. Seulement faut-il remarquer que la puissance,
telle qu’elle soit, qui fait continuer le mouvement de cette balle, est
diffйrente de celle qui la dйtermine а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers
un autre, ainsi qu’il est trиs aisй а connaоtre de ce que c’est la force dont
elle a йtй poussйe par la raquette, de qui dйpend son mouvement, et que cette
mкme force l’aurait pu faire mouvoir vers tout autre cфtй, aussi facilement que
vers B, au lieu que c’est la situation de cette raquette qui la dйtermine а
tendre vers B, et qui aurait pu l’y dйterminer en mкme faзon, encore qu’une autre
force l’aurait mue. Ce qui montre dйjа qu’il n’est pas impossible que cette
balle soit dйtournйe par la rencontre de la terre, et ainsi, que la
dйtermination qu’elle avait а tendre vers B soit changйe, sans qu’il y ait rien
pour cela de changй en la force de son mouvement, puisque ce sont deux choses
diverses, et par consйquent qu’on ne doit pas imaginer qu’il soit nйcessaire
qu’elle s’arrкte quelque moment au point B avant que de retourner vers F, ainsi
que font plusieurs de nos Philosophes ; car, si son mouvement йtait une
fois interrompu par cet arrкt, il ne se trouverait aucune cause, qui le fоt par
aprиs recommencer.
De plus, il faut remarquer que la dйtermination а se
mouvoir vers quelque cфtй peut, aussi bien que le mouvement et gйnйralement que
toute autre sorte de quantitй, кtre divisйe entre toutes les parties desquelles
on peut imaginer qu’elle est composйe ; et qu’on peut aisйment imaginer
que celle de la balle qui se meut d’A vers B est composйe de deux autres, dont
l’une la fait descendre de la ligne AF vers la ligne CE, et l’autre en mкme
temps la fait aller de la gauche AC vers la droite FE, en sorte que ces deux,
jointes ensemble, la conduisent jusques а B suivant la ligne droite AB. Et ensuite
il est aisй а entendre, que la rencontre de la terre ne peut empкcher que l’une
de ces deux dйterminations, et non point l’autre en aucune faзon. Car elle doit bien empкcher celle
qui faisait descendre la balle d’AF vers CE, а cause qu’elle occupe tout
l’espace qui est au-dessous de CE ; mais pourquoi empкcherait-elle
l’autre, qui la faisait avancer vers la main droite, vu qu’elle ne lui est
aucunement opposйe en ce sens-lа ? Pour trouver donc justement vers quel
cфtй cette balle doit retourner, dйcrivons un cercle du centre B, qui passe par
le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis а se mouvoir
depuis A jusques а B, elle doit infailliblement retourner depuis B jusques а
quelque point de la circonfйrence de ce cercle, d’autant que tous les points
qui sont aussi distants de celui-ci B qu’en est A, se trouvent en cette
circonfйrence, et que nous supposons le mouvement de cette balle кtre toujours
йgalement vite.
Puis afin de savoir prйcisйment
auquel de tous les points de cette circonfйrence elle doit retourner, tirons
trois lignes droites AC, HB, et FE perpendiculaires sur CE, et en telle sorte,
qu’il n’y ait ni plus ni moins de distance entre AC et HB qu’entre HB et
FE ; et disons, qu’en autant de temps que la balle a mis а s’avancer vers
le cфtй droit, depuis A, l’un des points de la ligne AC, jusques а B, l’un de
ceux de la ligne HB, elle doit aussi s’avancer depuis la ligne HB jusques а
quelque point de la ligne FE ; car tous les points de cette ligne FE sont
autant йloignйs de HB en ce sens-lа, l’un comme l’autre, et autant que ceux de
la ligne AC, et elle est aussi autant dйterminйe а s’avancer vers ce cфtй-lа,
qu’elle a йtй auparavant. Or est-il qu’elle ne peut arriver
en mкme temps en quelque point de la, ligne FE, et ensemble а quelque point de
la circonfйrence du cercle AFD, si ce n’est au point D, ou au point F, d’autant
qu’il n’y a que ces deux, oщ elles s’entrecoupent l’une l’autre ; si bien
que, la terre l’empкchant de passer vers D, il faut conclure qu’elle doit aller
infailliblement vers F. Et ainsi vous voyez facilement comment se fait la
rйflexion, а savoir selon un angle toujours йgal а celui qu’on nomme l’angle
d’incidence. Comme, si un rayon, venant du point A, tombe au point B sur la
superficie du miroir plat CBE, il se rйflйchit vers F, en sorte que l’angle de
la rйflexion FBE n’est ne plus ne moins grand que celui de l’incidence ABC. Venons maintenant а la
Rйfraction. Et premiиrement supposons qu’une balle, poussйe d’A vers B,
rencontre au point B, non plus la superficie de la terre, mais une toile CBE,
qui soit si faible et dйliйe que cette balle ait la force de la rompre et de
passer tout au travers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, а
savoir, par exemple, la moitiй. Or cela posй, afin de savoir quel chemin elle
doit suivre, considйrons derechef que son mouvement diffиre entiиrement de sa
dйtermination а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers un autre, d’oщ il suit
que leur quantitй doit кtre examinйe sйparйment. Et considйrons aussi que, des
deux parties dont on peut imaginer que cette dйtermination est composйe, il n’y
a que celle qui faisait tendre la balle de haut en bas, qui puisse кtre changйe
en quelque faзon par la rencontre de la toile ; et que, pour celle qui la
faisait tendre vers la main droite, elle doit toujours demeurer la mкme qu’elle
a йtй, а cause que cette toile ne lui est aucunement opposйe en ce sens-lа.
Puis, ayant dйcrit du centre B le cercle AFD, et tirй а
angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu’il
y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu’entre HB et AC, nous
verrons que cette balle doit tendre vers le point I. Car, puisqu’elle perd la
moitiй de sa vitesse, en traversant la toile CBE, elle doit employer deux fois
autant de temps а passer au-dessous, depuis B jusques а quelque point de la
circonfйrence du cercle AFD, qu’elle a fait au-dessus а venir depuis A jusques
а B. Et puisqu’elle ne perd rien du
tout de la dйtermination qu’elle avait а s’avancer vers le cфtй droit, en deux
fois autant de temps qu’elle en a mis а passer depuis la ligne AC jusques а HB,
elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce mкme cфtй, et par consйquent
arriver а quelque point de la ligne droite FE, au mкme instant qu’elle arrive
aussi а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD. Ce qui serait
impossible, si elle n’allait vers I, d’autant que c’est le seul point
au-dessous de la toile CBE, oщ le cercle AFD et la ligne droite FF,
s’entrecoupent. Pensons maintenant que la balle,
qui vient d’A vers D, rencontre au point B, non plus une toile, mais de l’eau,
dont la superficie CBE lui фte justement la moitiй de sa vitesse, ainsi que
faisait cette toile. Et le reste posй comme devant, je dis que cette balle doit
passer de B en ligne droite, non vers D, mais vers I. Car, premiиrement, il est
certain que la superficie de l’eau la doit dйtourner vers lа en mкme faзon que
la toile, vu qu’elle lui фte tout autant de sa force, et qu’elle lui est
opposйe en mкme sens.
Puis, pour le reste du corps de l’eau qui remplit tout
l’espace qui est depuis B jusques а I, encore qu’il lui rйsiste plus ou moins
que ne faisait l’air que nous y supposions auparavant, ce n’est pas а dire pour
cela qu’il doive plus ou moins la dйtourner : car il se peut ouvrir, pour
lui faire passage, tout aussi facilement vers un cфtй que vers un autre, au
moins si on suppose toujours, comme nous faisons., que ni la pesanteur ou
lйgиretй de cette balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni aucune autre telle
cause йtrangиre ne change son cours. Et on peut ici remarquer, qu’elle
est d’autant plus dйtournйe par la superficie de l’eau ou de la toile, qu’elle
la rencontre plus obliquement, en sorte que, si elle la rencontre а angles
droits, comme lorsqu’elle est poussйe d’H vers B, elle doit passer outre en
ligne droite vers G, sans aucunement se dйtourner. Mais si elle est poussйe
suivant une ligne comme AB, qui soit si fort inclinйe sur la superficie de
l’eau ou de la toile CBE, que la ligne FE, йtant tirйe comme tantфt, ne coupe
point le cercle AD, cette balle ne doit aucunement la pйnйtrer, mais rejaillir
de sa superficie B vers l’air L, tout de mкme que si elle y avait rencontrй de
la terre. Ce qu’on a quelque-fois expйrimentй avec regret, lorsque, faisant
tirer pour plaisir des piиces d’artillerie vers le fond d’une riviиre, on a
blessй ceux qui йtaient de l’autre cфtй sur le rivage.
Mais faisons encore ici une autre supposition, et pensons
que la balle, ayant йtй premiиrement poussйe d’A vers B, est poussйe derechef,
йtant au point B, par la raquette CBE, qui augmente la force de son mouvement,
par exemple, d’un tiers, en sorte qu’elle puisse faire, par aprиs, autant de
chemin en deux moments, qu’elle en faisait en trois auparavant. Ce qui fera le
mкme effet, que si elle rencontrait au point B un corps de telle nature,
qu’elle passвt au travers de sa superficie CBE, d’un tiers plus-facilement que
par l’air. Et il suit manifestement de ce qui a йtй dйjа dйmontrй, que, si l’on
dйcrit le cercle AD comme devant, et les lignes AC, RB, FE, en telle sorte
qu’il y ait d’un tiers moins de distance entre FE et RB qu’entre RB et AC, le
point I, oщ la ligne droite FE et la circulaire AD s’entrecoupent, dйsignera le
lieu vers lequel cette balle, йtant au point B, se doit dйtourner. Or on peut prendre aussi le
revers de cette conclusion et dire que, puisque la balle qui vient d’A en ligne
droite jusques а B, se dйtourne йtant au point B, et prend son cours de lа vers
I, cela signifie que la force ou facilitй, dont elle entre dans le corps CBEI,
est а celle dont elle sort du corps ACBE, comme la distance qui est entre AC et
HB, а celle qui est entre HB et FI, c’est-а-dire comme la ligne CB est а
BE .
Enfin, d’autant que l’action de la lumiиre suit en ceci
les mкmes lois que le mouvement de cette balle, il faut dire que, lorsque ses
rayons passent obliquement d’un corps transparent dans un autre, qui les reзoit
plus ou moins facilement que le premier, ils s’y dйtournent en telle sorte,
qu’ils se trouvent toujours moins inclinйs sur la superficie de ces corps, du
cфtй oщ est celui qui les reзoit le plus aisйment, que du cфtй oщ est
l’autre : et ce, justement а proportion de ce qu’il les reзoit plus
aisйment que ne fait l’autre. Seulement faut-il prendre garde que cette
inclination se doit mesurer par la quantitй des lignes droites, comme CB ou AH,
et EB ou IG, et semblables, comparйes les unes aux autres ; non par celle
des angles, tels que sont ABH ou GBI, ni beaucoup moins par celle des
semblables а DBI, qu’on nomme les angles de Rйfraction. Car la raison ou
proportion qui est entre Ces angles varie а toutes les diverses inclinations
des rayons ; au lieu que celle qui est entre les lignes AH et IG, ou
semblables, demeure la mкme en toutes les rйfractions qui sont causйes par les
mкmes corps. Comme, par exemple, s’il passe un rayon dans l’air d’A vers B,
qui, rencontrant au point B la superficie du verre CBR, se dйtourne vers I dans
ce verre ; et qu’il en vienne un autre de K vers B, qui se dйtourne vers
L ; et un autre de P vers R, qui se dйtourne vers S ; il doit avoir
mкme proportion entre les lignes KM et LN, ou PQ et ST, qu’entre AH et IG, mais
non pas la mкme entre les angles KBM et LBN, ou PRQ et SRT, qu’entre ABH et
IBG. Si bien que vous voyez maintenant en quelle sorte se
doivent mesurer les rйfractions ; et encore que, pour dйterminer leur
quantitй, en tant qu’elle dйpend de la nature particuliиre des corps oщ elles
se font, il soit besoin d’en venir а l’expйrience, on ne laisse pas de le
pouvoir faire assez certainement et aisйment, depuis qu’elles sont ainsi toutes
rйduites sous une mкme mesure ; car il suffit de les examiner en un seul
rayon, pour connaоtre toutes celles qui se font en une mкme superficie, et on
peut йviter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres.
Comme, si nous voulons savoir la
quantitй de celles qui se font en la superficie CBR, qui sйpare l’air AKP du
verre LIS, nous n’avons qu’а l’йprouver en celle du rayon ABI, en cherchant la
proportion qui est entre les lignes AH et IG. Puis, si nous craignons d’avoir
failli en cette expйrience, il faut encore l’йprouver en quelques autres
rayons, comme KBL ou PRS, et trouvant mкme proportion de KM а LN, et de PQ а.
ST, que d’AH а IG, nous n’aurons plus aucune occasion de douter de la vйritй. Mais peut-кtre vous
йtonnerez-vous, en faisant ces expйriences, de trouver que les rayons de la
lumiиre s’inclinent plus dans l’air que dans l’eau, sur les superficies oщ se
fait leur rйfraction, et encore plus dans l’eau que dans le verre, tout au
contraire d’une balle qui s’incline davantage dans l’eau que dans l’air, et ne
peut aucunement passer dans le verre.
Car, par exemple, si c’est une
balle qui, йtant poussйe dans l’air d’A vers B, rencontre au point B la
superficie de l’eau CBE, elle se dйtournera de B vers V ; et si c’est un
rayon, il ira, tout au contraire, de B vers I. Ce que vous cesserez toutefois
de trouver йtrange, si vous vous souvenez de la nature que j’ai attribuйe а la
lumiиre, quand j’ai dit qu’elle n’йtait autre chose qu’un certain mouvement ou
une action reзue en une matiиre trиs subtile, qui remplit les pores des autres
corps ; et que vous considйriez que, comme une balle perd davantage de son
agitation, en donnant contre un corps mou, que contre un qui est dur, et
qu’elle roule moins aisйment sur un tapis, que sur une table toute nue, ainsi
l’action de cette matiиre subtile peut beaucoup plus кtre empкchйe par les
parties de l’air, qui, йtant comme molles et mal jointes, ne lui font pas
beaucoup de rйsistance, que par celles de l’eau, qui lui en font
davantage ; et encore plus par celles de l’eau, que par celles du verre,
ou du cristal. En sorte que, d’autant que les petites parties d’un corps
transparent sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent-elles passer la
lumiиre plus aisйment : car cette lumiиre n’en doit pas chasser aucunes
hors de leurs places, ainsi qu’une balle en doit chasser de celles de l’eau,
pour trouver passage parmi elles.
Au reste, sachant ainsi la cause
des rйfractions qui se font dans l’eau et dans le verre, et communйment en tous
les autres corps transparents qui sont autour de nous, on peut remarquer
qu’elles y doivent кtre toutes semblables, quand les rayons sortent de ces
corps, et quand ils y entrent. Comme, si le rayon qui vient d’A vers B, se
dйtourne de B vers I, en passant de l’air dans le verre, celui qui reviendra
d’I vers B, doit aussi se dйtourner de B vers A. Toutefois il se peut bien
trouver d’autres corps, principalement dans le ciel, oщ les rйfractions,
procйdant d’autres causes, ne sont pas ainsi rйciproques. Et il se peut aussi
trouver certains cas, auxquels les rayons se doivent courber, encore qu’ils ne
passent que par un seul corps transparent, ainsi que se courbe sou vent le
mouvement d’une balle, parce qu’elle est dйtour nйe vers un cфtй par sa
pesanteur, et vers un autre par l’action dont on l’a poussйe, ou pour diverses
autres raisons. Car enfin j’ose dire que les trois comparaisons, dont je
viens de me servir, sont si propres, que toutes les particularitйs qui s’y
peuvent remarquer se rapportent а quelques autres qui se trouvent toutes
semblables en la lumiиre ; mais je n’ai tвchй que d’expliquer celles qui
faisaient le plus а mon sujet. Et je ne vous veux plus faire ici considйrer
autre chose, sinon que les superficies des corps transparents qui sont courbйes
dйtournent les rayons qui passent par chacun de leurs points, en mкme sorte que
feraient les superficies plates, qu’on peut imaginer toucher ces corps aux
mкmes points. Comme, par exemple, la rйfraction des rayons AB, AC, AD, qui,
venant du flambeau A, tombent sur la superficie courbe de la boule de cristal
BCD, doit кtre considйrйe en mкme sorte, que si AB tombait sur la superficie
plate EBF, et AC sur GCH, et AD sur IDK, et ainsi des autres.
D’oщ vous voyez que ces rayons se
peuvent assembler ou йcarter diversement, selon qu’ils tombent sur des superficies
qui sont courbйes diversement. Et il est temps que je commence а vous dйcrire
quelle est la structure de l’њil, afin de vous pouvoir faire entendre comment
les rayons, qui entrent dedans, s’y disposent pour causer le sentiment de la
vue. De l’њil S’il йtait possible de couper l’њil par la moitiй, sans
que les liqueurs dont il est rempli s’йcoulassent, ni qu’aucune de ses parties
changeвt de place, et que le plan de la section passвt justement par le milieu
de la prunelle, il paraоtrait tel qu’il est reprйsentй en cette figure.
ABCB est une peau assez dure et йpaisse qui compose comme
un vase rond dans lequel toutes ses parties intйrieures sont contenues. DEF est
une autre peau dйliйe, qui est tendue ainsi qu’une tapisserie au dedans de la
prйcйdente. ZH est le nerf nommй optique, qui est composй d’un grand nombre de
petits filets, dont les extrйmitйs s’йtendent en tout l’espace GHI, oщ, se
mкlant avec une infinitй de petites veines et artиres, elles composent une
espиce de chair extrкmement tendre et dйlicate, laquelle est comme une
troisiиme peau, qui couvre tout le fond de la seconde. K, L, M sont trois
sortes de glaires ou humeurs fort transparentes, qui remplissent tout l’espace
contenu au dedans de ces peaux, et ont chacune la figure, en laquelle vous la
voyez ici reprйsentйe. Et l’expйrience montre que celle
du milieu, L, qu’on nomme l’humeur cristalline, cause а peu prиs mкme rйfraction
que le verre ou le cristal ; et que les deux autres, K et M, la causent un
peu moindre, environ comme l’eau commune, en sorte que les rayons de la lumiиre
passent plus facilement par celle du milieu que par les deux autres, et encore
plus facilement par ces deux que par l’air. En la premiиre peau, la partie BCB
est transparente, et un peu plus voыtйe que le reste BAB. En la seconde, la
superficie intйrieure de la partie EF, qui regarde le fond de l’њil , est toute
noire et obscure ; et elle a au milieu un petit trou rond FF, qui est ce
qu’on nomme la prunelle, et qui paraоt si noir au milieu de l’њil , quand on le
regarde par dehors. Ce trou n’est pas toujours de mкme grandeur, et la partie
EF de la peau en laquelle il est, nageant librement en l’humeur K, qui est fort
liquide, semble кtre comme un petit muscle, qui se peut йtrйcir et йlargir а
mesure qu’on regarde des objets plus ou moins proches, ou plus ou moins
йclairйs, ou qu’on les veut voir plus ou moins distinctement. Et vous pourrez voir facilement l’expйrience de tout ceci
en l’њil d’un enfant ; car si vous lui faites regarder fixement un objet
proche, vous verrez que sa prunelle deviendra un peu plus petite que si vous
lui en faites regarder un plus йloignй, qui ne soit point avec cela plus йclairй.
Et derechef, qu’encore qu’il regarde toujours le mкme objet, il l’aura beaucoup
plus petite, йtant en une chambre fort claire, que si, en fermant la plupart
des fenкtres, on la rend fort obscure. Et enfin que, demeurant au mкme jour, et
regardant le mкme objet, s’il tвche d’en distinguer les moindres parties, sa
prunelle sera plus petite, que s’il ne le considиre que tout entier, et sans
attention. Et notez que ce mouvement doit кtre appelй volontaire, nonobstant
qu’il soit ordinairement ignorй de ceux qui le font, car il ne laisse pas pour
cela d’кtre dйpendant et de suivre de la volontй qu’ils ont de bien voir ;
ainsi que les mouvements des lиvres et de la langue, qui servent а prononcer
les paroles, se nomment volontaires, а cause qu’ils suivent de la volontй qu’on
a de parler, nonobstant qu’on ignore souvent quels ils doivent кtre pour servir
а la prononciation de chaque lettre. EN, EN sont plusieurs petit filets noirs,
qui embrassent tout autour l’humeur marquйe L, et qui, naissant aussi de la seconde
peau, en l’endroit oщ la troisiиme se termine, semblent autant de petits
tendons, par le moyen desquels cette humeur L, devenant tantфt plus voыtйe,
tantфt plus plate, selon l’intention qu’on a de regarder des objets proches ou
йloignйs, change un peu toute la figure du corps de l’њil. Et vous pouvez
connaоtre ce mouvement par expйrience : car si, lorsque vous regardez
fixement une tour ou une montagne un peu йloignйe, on prйsente un livre devant
vos yeux, vous n’y pourrez voir distinctement aucune lettre, jusques а ce que
leur figure soit un peu changйe. Enfin O, O sont six ou sept muscles attachйs а
l’њil par dehors, qui le peuvent mouvoir de tous cфtйs, et mкme aussi,
peut-кtre, en le pressant ou retirant, aider а changer sa figure. je laisse а dessein
plusieurs autres particularitйs qui se remarquent en cette matiиre, et dont les
anatomistes grossissent leurs livres ; car je crois que celles que j’ai
mises ici suffiront pour expliquer tout ce qui sert а mon sujet, et que les
autres que j’y pourrais ajouter, n’aidant en rien votre intelligence, ne
feraient que divertir votre attention. Des sens en gйnйral Mais il faut que je vous dise
maintenant quelque chose de la nature des sens en gйnйral, afin de pouvoir
d’autant plus aisйment expliquer en particulier celui de la vue. On sait dйjа
assez que c’est l’вme qui sent, et non le corps : car on voit que, lorsqu’elle
est divertie par une extase ou forte contemplation, tout le corps demeure sans
sentiment, encore qu’il ait divers objets qui le touchent. Et on sait que ce
n’est pas proprement en tant qu’elle est dans les membres qui servent d’organes
aux sens extйrieurs, qu’elle sent, mais en tant qu’elle est dans le cerveau, oщ
elle exerce cette facultй qu’ils appellent le sens commun : car on voit
des blessures et maladies qui, n’offensant que le cerveau seul, empкchent
gйnйralement tous les sens, encore que le reste du corps ne laisse point pour
cela d’кtre animй. Enfin on sait que c’est par l’entremise des nerfs que les
impressions, que font les objets dans les membres extйrieurs, parviennent
jusques а l’вme dans le cerveau : car on voit divers accidents, qui, ne
nuisant а rien qu’а quelque nerf, фtent le sentiment de toutes les parties du
corps oщ ce nerf envoie ses branches, sans rien diminuer de celui des autres.
Mais, pour savoir plus particuliиrement en quelle sorte l’вme, demeurant dans
le cerveau, peut ainsi, par l’entremise des nerfs, recevoir les impressions des
objets qui sont au dehors, il faut distinguer trois choses en ces nerfs :
а savoir, premiиrement, les peaux qui les enveloppent, et qui, prenant leur
origine de celles qui enveloppent le cerveau, sont comme de petits tuyaux
divisйs en plusieurs branches, qui se vont йpandre за et lа par tous les
membres, en mкme faзon que les veines et les artиres ; puis leur substance
intйrieure, qui s’йtend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux,
depuis le cerveau, d’oщ elle prend son origine, jusques aux extrйmitйs des
autres membres, oщ elle s’attache, en sorte qu’on peut imaginer, en chacun de
ces petits tuyaux, plusieurs de ces petits filets indйpendants les uns des
autres ; puis enfin les esprits animaux , qui sont comme un air ou un
vent trиs subtil, qui, venant des chambres ou concavitйs qui sont dans le
cerveau, s’йcoule par ces mкmes tuyaux dans les muscles. Or les anatomistes et
mйdecins avouent assez que ces trois choses se trouvent dans les nerfs ;
mais il ne me semble point qu’aucun d’eux en ait encore bien distinguй les
usages. Car, voyant que les nerfs ne servent pas seulement а donner le
sentiment aux membres, mais aussi а les mouvoir, et qu’il y a quelquefois des
paralysies qui фtent le mouvement, sans фter pour cela le sentiment, tantфt ils
ont dit qu’il y avait deux sortes de nerfs, dont les uns ne servaient que pour
les sens, et les autres que pour les mouvements, et tantфt que la facultй de
sentir йtait dans les peaux ou membranes, et que celle de mouvoir йtait dans la
substance intйrieure des nerfs : qui sont choses fort rйpugnantes а
l’expйrience et а la raison. Car qui a jamais pu remarquer aucun nerf, qui
servоt au mouvement, sans servir aussi a quelque sens ? Et comment, si
c’йtait des peaux que le sentiment dйpendоt, les diverses impressions des
objets pourraient-elles, par le moyen de ces peaux, parvenir jusques au
cerveau ? Afin donc d’йviter ces difficultйs, il faut penser que ce sont
les esprits qui, coulant par les nerfs dans les muscles, et les enflant plus ou
moins, tantфt les uns, tantфt les autres, selon les diverses faзons que le
cerveau les distribue, causent le mouvement de tous les membres ; et que
ce sont les petits filets, dont la substance intйrieure de ces nerfs est
composйe, qui servent aux sens. Et d’autant que je n’ai point ici besoin de
parler des mouvements, je dйsire seulement que vous conceviez que ces petits
filets, йtant enfermйs, comme j’ai dit, en des tuyaux qui sont toujours enflйs
et tenus ouverts par les esprits qu’ils contiennent, ne se pressent ni
empкchent aucunement les uns les autres, et sont йtendus depuis le cerveau
jusques aux extrйmitйs de tous les membres qui sont capables de quelque
sentiment, en telle sorte que, pour peu qu’on touche et fasse mouvoir l’endroit
de ces membres oщ quelqu’un d’eux est attachй, on fait aussi mouvoir au mкme
instant l’endroit du cerveau d’oщ il vient, ainsi que, tirant l’un des bouts
d’une corde qui est toute tendue, on fait mouvoir au mкme instant l’autre bout.
Car, sachant que ces filets sont ainsi enfermйs en des tuyaux, que les esprits
tiennent toujours un peu enflйs et entre-ouverts, il est aisй а entendre
qu’encore qu’ils fussent beaucoup plus dйliйs que ceux que filent les vers а
soie, et plus faibles que ceux des araignйes, ils ne laisseraient pas de se
pouvoir йtendre depuis la tкte jusques aux membres les plus йloignйs, sans кtre
en aucun hasard de se rompre, ni que les diverses situations de ces membres
empкchassent leurs mouvements. Il faut, outre cela, prendre garde а ne pas
supposer que, pour sentir, l’вme ait besoin de contempler quelques images qui
soient envoyйes par les objets jusques au cerveau, ainsi que font communйment
nos philosophes ; ou, du moins, il faut concevoir la nature de ces images
tout autrement qu’ils ne font. Car, d’autant qu’ils ne considиrent en elles
autre chose, sinon qu’elles doivent avoir de la ressemblance avec les objets
qu’elles reprйsentent, il leur est impossible de nous montrer comment elles
peuvent кtre formйes par ces objets, et reзues par les organes des sens
extйrieurs, et transmises par les nerfs jusques au cerveau. Et ils n’ont eu
aucune raison de les supposer, sinon que, voyant que notre pensйe peut
facilement кtre excitйe, par un tableau, а concevoir l’objet qui y est peint,
il leur a semblй qu’elle devait l’кtre, en mкme faзon, а concevoir ceux qui
touchent nos sens, par quelques petits tableaux qui s’en formassent en notre
tкte, au lieu que nous devons considйrer qu’il y a plusieurs autres choses que
des images, qui peuvent exciter notre pensйe ; comme, par exemple, les
signes et les paroles, qui ne ressemblent en aucune faзon aux choses qu’elles
signifient. Et si, pour ne nous йloigner que le moins qu’il est possible des
opinions dйjа reзues, nous aimons mieux avouer que les objets que nous sentons
envoient vйritablement leurs images jusques au dedans de notre cerveau, il faut
au moins que nous remarquions qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout
ressembler aux objets qu’elles reprйsentent : car autrement il n’y aurait
point de distinction entre l’objet et son image : mais qu’il suffit
qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent mкme, que leur
perfection dйpend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles
pourraient faire. Comme vous voyez que les tailles-douces, n’йtant faites que
d’un eu d’encre posйe за et lа sur du papier, nous reprйsentent es forкts, des
villes, des hommes, et mкme des batailles et des tempкtes, bien que, d’une
infinitй de diverses qualitйs qu’elles nous font concevoir en ces objets, il
n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la
ressemblance ; et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que,
sur une superficie toute plate, elles nous reprйsentent des corps diversement
relevйs et enfoncйs, et que mкme, suivant les rиgles de la perspective, souvent
elles reprйsentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres
cercles ; et des carrйs par des losanges que par d’autres carrйs ; et
ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour кtre plus
parfaites en qualitй d’images, et reprйsenter mieux un objet, elles doivent ne
lui pas ressembler. Or il faut que nous pensions tout le mкme des images qui se
forment en notre cerveau, et que nous remarquions qu’il est seulement question
de savoir comment elles peuvent donner moyen а l’вme de sentir toutes les
diverses qualitйs des objets auxquels elles se rapportent, et non point comment
elles ont en soi leur ressemblance. Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons
parlй ci-dessus, touche quelques corps de son bвton, il est certain que ces
corps n’envoient autre chose jusques а lui, sinon que, faisant mouvoir
diversement son bвton selon les diverses qualitйs qui sont en eux, ils meuvent
par mкme moyen les nerfs de sa main, et ensuite les endroits de son cerveau
d’oщ viennent ces nerfs ; ce qui donne occasion а son вme de sentir tout
autant de diverses qualitйs en ces corps, qu’il se trouve de variйtйs dans les
mouvements qui sont causйs par eux en son cerveau. Des images qui se forment sur le
fond de l’њil Vous voyez donc assez que, pour sentir, l’вme n’a pas
besoin de contempler aucunes images qui soient semblables aux choses qu’elle
sent ; mais cela n’empкche pas qu’il ne soit vrai que les objets que nous
regardons en impriment d’assez parfaites dans le fond de nos yeux ; ainsi
que quelques-uns ont dйjа trиs ingйnieusement expliquй , par la
comparaison de celles qui paraissent dans une chambre, lorsque l’ayant toute
fermйe, rйservй un seul trou et ayant nus au-devant de ce trou un verre en
forme de lentille, on йtend derriиre, а certaine distance, un linge blanc, sur
qui la lumiиre, qui vient des objets de dehors, forme ces images. Car ils
disent que cette chambre reprйsente l’њil ; ce trou, la prunelle ; ce
verre, l’humeur cristalline, ou plutфt toutes celles des parties de l’њil qui
causent quelque rйfraction ; et ce linge, la peau intйrieure, qui est
composйe des extrйmitйs du nerf optique.
Mais vous en pourrez кtre encore plus certain, si, prenant
l’њil d’un homme fraоchement mort, ou, au dйfaut, celui d’un bњuf ou de quelque
autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui
l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure
dйcouverte, sans qu’il y ait rien d’elle pour cela qui se rйpande ; puis,
l’ayant recouverte de quelque corps blanc, qui soit si dйliй que le jour passe
au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un
њuf, RST, que vous mettiez cet њil dans le trou d’une fenкtre fait exprиs,
comme Z, en sorte qu’il ait le devant, BCD, tournй vers quelque lieu oщ il y
ait divers objets, comme V, X, Y, йclairйs par le soleil ; et le derriиre,
oщ est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre, P, oщ vous serez, et
en laquelle il ne doit entrer aucune lumiиre, que celle qui pourra pйnйtrer au
travers de cet њil , dont vous savez que toutes les parties, depuis C jusques а
S, sont transparentes. Car, cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST,
vous y verrez, non peut-кtre sans admiration et plaisir, une peinture, qui
reprйsentera fort naпvement en perspective tous les objets qui seront au dehors
vers VXY, au moins si vous faites en sorte que cet њil retienne sa figure
naturelle, proportionnйe а la distance de ces objets : car, pour peu que
vous le pressiez plus ou moins que de raison, cette peinture en deviendra moins
distincte. Et il est а remarquer qu’on doit le presser un peu davantage, et
tendre sa figure un peu plus longue, lorsque les objets sont fort proches, que
lorsqu’ils sont plus йloignйs. Mais il est besoin que j’explique ici plus au
long comment se forme cette peinture ; car je pourrai, par mкme moyen,
vous faire entendre plusieurs choses qui appartiennent а la vision. Considйrez donc, premiиrement,
que, de chaque point des objets V, X, Y, il entre en cet њil autant de rayons,
qui pйnиtrent jusques au corps blanc RST, que l’ouverture de la prunelle FF en
peut comprendre, et que, suivant ce qui a йtй dit ici dessus, tant de la nature
de la rйfraction que de celle des trois humeurs K, L, M, tous ceux de ces
rayons, qui viennent d’un mкme point, se courbent en traversant les trois
superficies BCD, 123 et 456, en la faзon qui est requise pour se rassembler
derechef environ vers un mкme point. Et il faut remarquer qu’afin que la
peinture, dont il est ici question, soit la plus parfaite qu’il est possible,
les figures de ces trois superficies doivent кtre telles que tous les rayons,
qui viennent de l’un des points des objets, se rassemblent exactement en l’un
des points du corps blanc RST. Comme vous voyez ici que ceux du point X
s’assemblent au point S ; en suite de quoi ceux qui viennent du point V
s’assemblent aussi а peu prиs au point R ; et ceux du point Y, au point T.
Et que, rйciproquement, il ne vient aucun rayon vers S, que du point X ;
ni quasi aucun vers R, que du point V ; ni vers T, que du point Y, et
ainsi des autres. Or cela posй, si vous vous souvenez de ce qui a йtй dit
ci-dessus de la lumiиre et des couleurs en gйnйral, et en particulier des corps
blancs, il vous sera facile а entendre, qu’йtant enfermй dans la chambre P, et
jetant vos yeux sur le corps blanc RST, vous y devez voir la ressemblance des
objets V, X, Y. Car, premiиrement, la lumiиre, c’est-а-dire le mouvement ou
l’action dont le soleil, ou quelque autre des corps qu’on nomme lumineux,
pousse une certaine matiиre fort subtile qui se trouve en tous les corps
transparents, йtant repoussйe vers R par l’objet V, que je suppose, par
exemple, кtre rouge, c’est-а-dire, кtre disposй а faire que les petites parties
de cette matiиre subtile, qui ont йtй seulement poussйes en lignes droites par
les corps lumineux, se meuvent aussi en rond autour de leurs centres, aprиs les
avoir rencontrйs, et que leurs deux mouvements aient entre eux la proportion
qui est requise pour faire sentir la couleur rouge ; il est certain que
l’action de ces deux mouvements, ayant rencontrй au point R un corps
blanc , c’est-а-dire un corps disposй а la renvoyer vers tout autre cфtй
sans la changer, doit de lа se rйflйchir vers vos yeux par les pores de ce
corps, que j’ai supposй а cet effet fort dйliй, et comme percй а jour de tous
cфtйs, et ainsi vous faire voir le point R de couleur rouge. Puis, la lumiиre
йtant aussi repoussйe de l’objet X, que je suppose jaune, vers S ; et d’Y,
que je suppose bleu, vers T, d’oщ elle est portйe vers vos yeux ; elle
vous doit faire paraоtre S de couleur jaune, et T de couleur bleue. Et ainsi les
trois points R, S, T, paraissant des mкmes couleurs, et gardant entre eux le
mкme ordre que les trois V, X, Y, en ont manifestement la ressemblance. Et la
perfection de cette peinture dйpend principalement de trois choses : а
savoir de ce que, la prunelle de l’њil ayant quelque grandeur, il y entre
plusieurs rayons de chaque point de l’objet, comme ici XB14S, XC25S, XD36S, et
tout autant d’autres qu’on en puisse imaginer entre ces trois, y viennent du
seul point X ; et de ce que ces rayons souffrent dans l’њil de telles
rйfractions, que ceux qui viennent de divers points se rassemblent а peu prиs
en autant d’autres divers points sur le corps blanc RST ; et enfin de ce
que, tant les petits filets EN que le dedans de la peau EF йtant de couleur
noire, et la chambre P toute fermйe et obscure, il ne vient d’ailleurs que des
objets V, X, Y, aucune lumiиre qui trouble l’action de ces rayons. Car, si la
prunelle йtait si йtroite, qu’il ne passвt qu’un seul rayon de chaque point de
l’objet vers chaque point du corps RST, il n’aurait pas assez de force pour se
rйflйchir de lа dans la chambre P, vers vos yeux. Et la prunelle йtant un peu
grande, s’il ne se faisait dans l’њil aucune rйfraction, les rayons qui
viendraient de chaque point des objets, s’йpandraient за et lа en tout l’espace
RST, en sorte que, par exemple, les trois points V, X, Y enverraient trois
rayons vers R, qui, se rйflйchissant de lа tous ensemble vers vos yeux, vous
feraient paraоtre ce point R d’une couleur moyenne entre le rouge, le jaune et
le bleu, et tout semblable aux points S et T, vers lesquels les mкmes points V.
X, Y enverraient aussi chacun un de leurs rayons. Et il arriverait aussi quasi
le mкme, si la rйfraction qui se fait en l’њil йtait plus ou moins grande
qu’elle ne doit, а raison de la grandeur de cet њil : car, йtant trop grande,
les rayons qui viendraient, par exemple, du point X, s’assembleraient avant que
d’кtre parvenus jusques а S, comme vers M ; et, au contraire, йtant trop
petite, ils ne s’assembleraient qu’au delа, comme vers P ; si bien qu’ils
toucheraient le corps blanc RST en plusieurs points, vers lesquels il viendrait
aussi d’autres rayons des autres parties de l’objet. Enfin, si les corps EN, EF
n’йtaient noirs, c’est-а-dire disposйs а faire que la lumiиre qui donne de
contre s’y amortisse, les rayons qui viendraient vers eux du corps blanc RST,
pourraient de lа retourner, ceux de T, vers S et vers R ; ceux de R, vers
T et vers S ; et ceux de S, vers R et vers T : au moyen de quoi ils
troubleraient l’action les uns des autres ; et le mкme feraient aussi les
rayons qui viendraient de la chambre P vers RST, s’il y avait quelque autre
lumiиre en cette chambre, que celle qu’y envoient les objets V, X, Y. Mais, aprиs vous avoir parlй des
perfections de cette peinture, il faut aussi que je vous fasse considйrer ses
dйfauts, dont le premier et le principal est que, quelques figures que puissent
avoir les parties de l’њil, il est impossible qu’elles fassent que les rayons
qui viennent de divers points, s’assemblent tous en autant d’autres divers
points, et que tout le mieux qu’elles puissent faire c’est seulement que tous
ceux qui viennent de quelque point, comme d’X, s’assemblent en un autre point,
comme S, dans le milieu du fond de l’њil ; en quel cas il n’y en peut
avoir que quelques-uns de ceux du point V, qui s’assemblent justement au point
R, ou du point Y, qui s’assemblent justement au point T ; et les autres
s’en doivent йcarter quelque peu, tout а l’entour, ainsi que j’expliquerai
ci-aprиs. Et ceci est cause que cette peinture n’est jamais si distincte vers
ses extrйmitйs qu’au milieu, comme il a йtй assez remarque par ceux qui ont
йcrit de l’optique. Car c’est pour cela qu’ils ont dit que la vision se fait
principalement suivant la ligne droite, qui passe par les centres de l’humeur cristalline
et de la prunelle, telle qu’est ici la ligne XKLS, qu’ils nomment l’essieu de
la vision. Et notez que les rayons, par exemple, ceux qui viennent du point V,
s’йcartent autour du point R, d’autant plus que l’ouverture de la prunelle est
plus grande ; et ainsi que, si sa grandeur sert а rendre les couleurs de
cette peinture plus vives et plus fortes, elle empкche en revanche que ces
figures ne soient si distinctes, d’oщ vient qu’elle ne doit кtre que mйdiocre.
Notez aussi que ces rayons s’йcarteraient encore plus autour du point R, qu’ils
ne font, si le point V, d’oщ ils viennent, йtait beaucoup plus proche de l’њil,
comme vers 10, ou beaucoup plus йloignй, comme vers 11, que n’est X, а la
distance duquel je suppose que la figure de l’њil est proportionnйe ; de
sorte qu’ils rendraient la partie R de cette peinture encore moins distincte
qu’ils ne font. Et vous entendrez facilement les dйmonstrations de tout ceci,
lorsque vous aurez vu, ci-aprиs, quelle figure doivent avoir les corps
transparents, pour faire que les rayons, qui viennent d’un point, s’assemblent
en quelque autre point, aprиs les avoir traversйs. Pour les autres dйfauts de
cette peinture, ils consistent en ce que ses parties sont renversйes,
c’est-а-dire en position toute contraire а celle des objets ; et en ce
qu’elles sont apetissйes et raccourcies les unes plus, les autres moins, а
raison de la diverse distance et situation des choses qu’elles reprйsentent,
quasi en mкme faзon que dans un tableau de perspective. Comme vous voyez ici
clairement que T, qui est vers le cфtй gauche, reprйsente Y, qui est vers le
droit, et que R, qui est vers le droit, reprйsente V, qui est vers le gauche.
Et de plus, que la figure de l’objet V ne doit pas occuper plus d’espace vers
R, que celle de l’objet 10, qui est plus petit, mais plus proche ; ni
moins que celle de l’objet II, qui est plus grand, mais а proportion plus
йloignй, sinon en tant qu’elle est un peu plus distincte. Et enfin, que la
ligne droite VXY est reprйsentйe par la courbe RST. Or, ayant ainsi vu cette peinture dans l’њil d’un animal
mort, et en ayant considйrй les raisons, on ne peut douter qu’il ne s’en forme
une toute semblable en celui d’un homme vif, sur la peau intйrieure, en la
place de laquelle nous avions substituй le corps blanc RST ; et mкme
qu’elle ne s’y forme beaucoup mieux, а cause que ses humeurs, йtant pleines
d’esprits, sont plus transparentes, et ont plus exactement la figure qui est
requise а cet effet. Et peut-кtre aussi qu’en l’њil d’un bњuf la figure de la
prunelle, qui n’est pas ronde, empкche que cette peinture n’y soit si parfaite.
On ne peut douter non plus que
les images qu’on fait paraоtre sur un linge blanc, dans une chambre obscure, ne
s’y forment tout de mкme et pour la mкme raison qu’au fond de l’њil ;
mкme, а cause qu’elles y sont ordinairement beaucoup plus grandes, et s’y
forment en plus de faзons, on y peut plus commodйment remarquer diverses
particularitйs, dont je dйsire ici vous avertir, afin que vous en fassiez
l’expйrience, si vous ne l’avez encore jamais faite. Voyez donc, premiиrement,
que, si on ne met aucun verre au-devant du trou qu’on aura fait en cette
chambre, il paraоtra bien quelques images sur le linge, pourvu que le trou soit
fort йtroit, mais qui seront fort confuses et imparfaites, et qui le seront
d’au tant plus, que ce trou sera moins йtroit ; et qu’elles seront aussi
d’autant plus grandes, qu’il y aura plus de distance entre lui et le linge, en
sorte que leur grandeur doit avoir, а peu prиs, mкme proportion avec cette
distance, que la grandeur des objets, qui les causent, avec la distance qui est
entre eux et ce mкme trou. Comme il est йvident que, si ACB est l’objet, D le
trou, et EFG l’image, EG est а FD comme AB est а CD. Puis, ayant nus un verre
en forme de lentille au-devant de ce trou, considйrez qu’il y a certaine
distance dйterminйe, а laquelle tenant le linge, les images paraissent fort
distinctes, et que, pour peu qu’on l’йloigne ou qu’on l’approche davantage du
verre, elles commencent а l’кtre moins. Et que cette distance doit кtre mesurйe
par l’espace qui est, non pas entre le linge et le trou, mais entre le linge et
le verre : en sorte que, si l’on met le verre un peu au delа du trou de
part ou d’autre, le linge en doit aussi кtre d’autant approchй ou reculй. Et
qu’elle dйpend en partie de la figure de ce verre, et en partie aussi de
l’йloignement des objets : car, en laissant l’objet en mкme lieu, moins
les superficies du verre sont courbйes, plus le linge en doit кtre йloignй, et
en se servant du mкme verre, si les objets en sont fort proches, il en faut
tenir le linge un peu plus loin, que s’ils en sont plus йloignйs. Et que de
cette distance dйpend la grandeur des images, quasi en mкme faзon que lorsqu’il
n’y a point de verre au-devant du trou. Et que ce trou peut кtre beaucoup plus
grand, lorsqu’on y met un verre, que lorsqu’on le laisse tout vide, sans que
les images en soient pour cela de beaucoup moins distinctes. Et que, plus il
est grand, plus elles paraissent claires et illuminйes : en sorte que, si
on couvre une partie de ce verre, elles paraоtront bien plus obscures
qu’auparavant, mais qu’elles ne laisseront pas pour cela d’occuper autant
d’espace sur le linge. Et que, plus ces images sont grandes et claires, plus elles
se voient parfaitement : en sorte que, si on pouvait aussi faire un њil ,
dont la profondeur fыt fort grande, et la prunelle fort large, et que les
figures de celles de ses superficies qui causent quelque rйfraction, fussent
proportionnйes а cette grandeur, les images s’y formeraient d’autant plus
visibles. Et que, si ayant deux ou plusieurs verres en forme de lentilles, mais
assez plats, on les joint l’un contre l’autre, ils auront а peu prиs le mкme
effet qu’aurait un seul, qui serait autant voыtй ou convexe qu’eux deux
ensemble ; car le nombre des superficies oщ se font les rйfractions n’y
fait pas grand chose. Mais que, si on йloigne ces verres а certaines distances
les uns des autres, le second pourra redresser l’image que le premier aura renversйe,
et le troisiиme la renverser derechef, et ainsi de suite. Qui sont toutes
choses dont les raisons sont fort aisйes а dйduire de ce que j’ai dit, et elles
seront bien plus vфtres, s’il vous faut user d’un peu de rйflexion pour les
concevoir, que si vous les trouviez ici mieux expliquйes.
Au reste, les images des objets
ne se forment pas seulement ainsi au fond de l’њil, mais elles passent encore
au-delа jusques au cerveau, comme vous entendrez facilement, si vous pensez
que, par exemple, les rayons qui viennent dans l’њil de l’objet V touchent au
point R l’extrйmitй de l’un des petits filets du nerf optique, qui prend son
origine de l’endroit 7 de la superficie intйrieure du cerveau 789 ; et
ceux de l’objet X touchent au point S l’extrйmitй d’un autre de ces filets,
dont le commencement est au point 8 ; et ceux de l’objet Y en touchent un
autre au point T, qui rйpond а l’endroit du cerveau marquй 9, et ainsi des
autres. Et que, la lumiиre n’йtant autre chose qu’un mouvement, ou une action
qui tend а causer quelque mouvement, ceux de ses rayons qui viennent de V vers
R, ont la force de mouvoir tout le filet R7, et par consйquent l’endroit du
cerveau marquй 7 ; et ceux qui viennent d’X vers S, de mouvoir tout le
nerf S8, et mкme de le mouvoir d’autre faзon que n’est mы R7, а cause que les
objets X et V sont de deux diverses couleurs ; et ainsi, que ceux qui
viennent d’Y, meuvent le point 9. D’oщ il est manifeste qu’il se forme derechef
une peinture 789, assez semblable aux objets V, X, Y, en la superficie
intйrieure du cerveau qui regarde ses concavitйs. Et de lа je pourrais encore
la transporter jusques а une certaine petite glande, qui se trouve environ le
milieu de ces concavitйs, et est proprement le siиge du sens commun . Mкme
je pourrais, encore plus outre, vous montrer comment quelquefois elle peut
passer de lа par les artиres d’une femme enceinte, jusques а quelque membre
dйterminй de l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, et y former ces marques
d’envie, qui causent tant d’admiration а tous les Doctes. De la vision Or, encore que cette peinture, en passant ainsi jusques au
dedans de notre tкte, retienne toujours quelque chose de la ressemblance des
objets dont elle procиde, il ne se faut point toutefois persuader, ainsi que je
vous ai dйjа tantфt assez fait entendre, que ce soit par le moyen de cette
ressemblance qu’elle fasse que nous les sentons, comme s’il y avait derechef
d’autres yeux en notre cerveau, avec lesquels nous la pussions
apercevoir ; mais plutфt, que ce sont les mouvements par lesquels elle est
composйe, qui, agissant immйdiatement contre notre вme, d’autant qu’elle est
unie а notre corps, sont instituйs de la Nature pour lui faire avoir de tels
sentiments. Ce que je vous veux ici expliquer plus en dйtail. Toutes les
qualitйs que nous apercevons dans les objets de la vue, peuvent кtre rйduites а
six principales, qui sont : la lumiиre, la couleur, la situation, la
distance, la grandeur, et la figure. Et premiиrement, touchant la lumiиre et la
couleur, qui seules appartiennent proprement au sens de la vue, il faut penser
que notre вme est de telle nature que la force des mouvements, qui se trouvent
dans les endroits du cerveau d’oщ viennent les petits filets des nerfs
optiques, lui fait avoir le sentiment de la lumiиre ; et la faзon de ces
mouvements, celui de la couleur : ainsi que les mouvements des nerfs qui
rйpondent aux oreilles lui font ouпr les sons ; et ceux des nerfs de la
langue lui font goыter les saveurs ; et, gйnйralement, ceux des nerfs de
tout le corps lui font sentir quelque chatouillement, quand ils sont modйrйs,
et quand ils sont trop violents, quelque douleur ; sans qu’il doive, en
tout cela, y avoir aucune ressemblance entre les idйes qu’elle conзoit, et les
mouvements qui causent ces idйes. Ce que vous croirez facilement, si vous
remarquez qu’il semble а ceux qui reзoivent quelque blessure dans l’њil, qu’ils
voient une infinitй de feux et d’йclairs devant eux, nonobstant qu’ils ferment
les yeux, ou bien qu’ils soient en lieu fort obscur ; en sorte que ce
sentiment ne peut кtre attribuй qu’а la seule force du coup, laquelle meut les
petits filets du nerf optique, ainsi que ferait une violente lumiиre ; et
cette mкme force, touchant les oreilles, pourrait faire ouпr quelque son ;
et touchant le corps en d’autres parties, y faire sentir de la douleur. Et ceci se confirme aussi de ce
que, si quelquefois on force ses yeux а regarder le soleil, ou quelque autre
lumiиre fort vive, ils en retiennent, aprиs un peu de temps, l’impression en
telle sorte que, nonobstant mкme qu’on les tienne fermйs, il semble qu’on voie
diverses couleurs, qui se changent et passent de l’une а l’autre, а mesure
qu’elles s’affaiblissent : car cela ne peut procйder que de ce que les
petits filets du nerf optique, ayant йtй mus extraordinairement fort, ne se
peuvent arrкter sitфt que de coutume. Mais l’agitation, qui est encore en eux
aprиs que les yeux sont fermйs, n’йtant plus assez grande pour reprйsenter
cette forte lumiиre qui l’a causйe, reprйsente des couleurs moins vives. Et ces
couleurs se changent en s’affaiblissant, ce qui montre que leur nature ne
consiste qu’en la diversitй du mouvement, et n’est point autre que je l’ai
ci-dessus supposйe. Et enfin ceci se manifeste de ce que les couleurs
paraissent souvent en des corps transparents, oщ il est certain qu’il n’y a
rien qui les puisse causer, que les diverses faзons dont les rayons de la lumiиre
y sont reзus, comme lorsque l’arc-en-ciel paraоt dans les nues, et encore plus
clairement, lorsqu’on en voit la ressemblance dans un verre qui est taillй а
plusieurs faces.
Mais il faut ici particuliиrement considйrer en quoi
consiste la quantitй de la lumiиre qui se voit, c’est-а-dire, de la force dont
est mы chacun des petits filets du nerf optique : car elle n’est pas
toujours йgale а la lumiиre qui est dans les objets, mais elle varie а raison de
leur distance et de la grandeur de la prunelle, et aussi а raison de l’espace
que les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, peuvent occuper au
fond de l’њil. Comme, par exemple, il est manifeste que le point X enverrait
plus de rayons dans l’њil B qu’il ne fait, si la prunelle FF йtait ouverte
jusques а G ; et qu’il en envoie tout autant en cet њil B qui est proche
de lui, et dont la prunelle est fort йtroite, qu’il fait en l’њil A, dont la
prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est а proportion plus йloignйe. Et
encore qu’il n’entre pas plus de rayons des divers points de l’objet VXY,
considйrйs tous ensemble, dans le fond de l’њil A que dans celui de l’њil B,
toutefois, parce que ces rayons ne s’y йtendent qu’en l’espace TR, qui est plus
petit que n’est HI, dans lequel ils s’йtendent au fond de l’њil B, ils y
doivent agir avec plus de force contre chacune des extrйmitйs du nerf qu’ils y
touchent : ce qui est fort aisй а calculer. Car si, par exemple, l’espace
HI est quadruple de TR, et qu’il contienne les extrйmitйs de quatre mille des
petits filets du nerf optique, TR ne contiendra que celles de mille, et par
consйquent chacun de ces petits filets sera mы, dans le fond de l’њil A, par la
milliиme partie des forces qu’ont tous les rayons qui y entrent, jointes
ensemble, et, dans le fond de l’њil B, par le quart de la milliиme partie
seulement. Il faut aussi considйrer qu’on ne peut discerner les parties des
corps qu’on regarde, qu’en tant qu’elles diffиrent en quelque faзon de couleur ;
et que la vision distincte de ces couleurs ne dйpend pas seulement de ce que
tous les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, se rassemblent а peu
prиs en autant d’autres divers points au fond de l’њil, et de ce qu’il n’en
vient aucuns autres d’ailleurs vers ces mкmes points, ainsi qu’il a йtй tantфt
amplement expliquй ; mais aussi de la multitude des petits filets du nerf
optique, qui sont en l’espace qu’occupe l’image au fond de l’њil. Car si, par
exemple, l’objet VXY est composй de dix mille parties, qui soient disposйes а
envoyer des rayons vers le fond de l’њil RST, en dix mille faзons diffйrentes,
et par consйquent а faire voir en mкme temps dix mille couleurs, elles n’en
pourront nйanmoins faire distinguer а l’вme que mille tout au plus, si nous supposons
qu’il n’y ait que mille des filets du nerf optique en l’espace RST ;
d’autant que dix des parties de l’objet, agissant ensemble contre chacun de ces
filets, ne le peuvent mouvoir que d’une seule faзon, composйe de toutes celles
dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne
doit кtre considйrй que comme un point. Et c’est ce qui fait que souvent
une prairie, qui sera peinte d’une infinitй de couleurs toutes diverses, ne
paraоtra de loin que toute blanche, ou toute bleue ; et, gйnйralement, que
tous les corps se voient moins distinctement de loin que de prиs ; et
enfin que, plus on peut faire que l’image d’un mкme objet occupe d’espace au
fond de l’њil, plus il peut кtre vu distinctement. Ce qui sera ci-aprиs fort а
remarquer. Pour la situation, c’est-а-dire le cфtй vers lequel est
posйe chaque partie de l’objet au respect de notre corps, nous ne l’apercevons
pas autrement par l’entremise de nos yeux que par celle de nos mains ; et
sa connaissance ne dйpend d’aucune image, ni d’aucune action qui vienne de
l’objet, mais seulement de la situation des petites parties du cerveau d’oщ les
nerfs prennent leur origine. Car cette situation, se changeant tant soit peu, а
chaque fois que se change celle des membres oщ ces nerfs sont insйrйs, est
instituйe de la Nature pour faire, non seulement que l’вme connaisse en quel
endroit est chaque partie du corps qu’elle anime, au respect de toutes les
autres ; mais aussi qu’elle puisse transfйrer de lа son attention а tous
les lieux contenus dans les lignes droites qu’on peut imaginer кtre tirйes de
l’extrйmitй de chacune de ces parties, et prolongйes а l’infini.
Comme, lorsque l’aveugle, dont
nous avons dйjа tant parlй ci-dessus, tourne sa main A vers E, ou C aussi vers
E, les nerfs insйrйs en cette main causent un certain changement en son cerveau
qui donne moyen а son вme de connaоtre, non seulement le lieu A ou C, mais
aussi tous les autres qui sont en la ligne droite AE ou CE, en sorte qu’elle
peut porter son attention jusques aux objets B et D, et dйterminer les lieux oщ
ils sont, sans connaоtre pour cela ni penser aucunement а ceux oщ sont ses deux
mains. Et ainsi, lorsque notre њil ou notre tкte se tournent vers quelque cфtй,
notre вme en est avertie par le changement que les nerfs insйrйs dans les
muscles, qui servent а ces mouvements, causent en notre cerveau. Comme ici, en l’њil RST, il faut
penser que la situation du petit filet optique, qui est au point R, ou S, ou T,
est suivie d’une autre certaine situation de la partie du cerveau 7, ou 8, ou
9, qui fait que l’вme peut connaоtre tous les lieux qui sont en la ligne RV, ou
SX, ou TY. De faзon que vous ne devez pas trouver йtrange que les objets
puissent кtre vus en leur vraie situation, nonobstant que la peinture, qu’ils
impriment dans l’њil, en ait une toute contraire : ainsi que notre aveugle
peut sentir en mкme temps l’objet B, qui est а droite, par l’entremise de sa
main gauche ; et D, qui est а gauche, par l’entremise de sa main droite.
Et comme cet aveugle ne juge point qu’un corps soit double, encore qu’il le
touche de ses deux mains, ainsi, lorsque nos yeux sont tous deux disposйs en la
faзon qui est requise pour porter notre attention vers un mкme lieu, ils ne
nous y doivent faire voir qu’un seul objet, nonobstant qu’il s’en forme en
chacun d’eux une peinture.
La vision de la distance ne
dйpend, non plus que celle de la situation, d’aucunes images envoyйes des
objets, mais, premiиrement, de la figure du corps de l’њil ; car, comme
nous avons dit, cette figure doit кtre un peu autre, pour nous faire voir ce
qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus
йloignй, et а mesure que nous la changeons pour la proportionner а la distance
des objets, nous changeons aussi certaine partie de notre cerveau, d’une faзon
qui est instituйe de la Nature pour faire apercevoir а notre вme cette
distance. Et ceci nous arrive ordinairement sans que nous y fassions de rйflexion ;
tout de mкme que, lorsque nous serrons quelque corps de notre main, nous la
conformons а la grosseur et а la figure de ce corps, et le sentons par son
moyen, sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions а ses mouvements.
Nous connaissons, en second lieu, la distance par le rapport qu’ont les deux
yeux l’un а l’autre. Car, comme notre aveugle, tenant les deux bвtons AE, CE,
dont je suppose qu’il ignore la longueur, et sachant seulement l’intervalle qui
est entre ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de
lа, comme par une Gйomйtrie naturelle, connaоtre oщ est le point E ;
ainsi, quand nos deux yeux, RST et rst, sont tournйs vers X, la grandeur de la
ligne Ss, et celle des deux angles XSs et XsS, nous font savoir oщ est le point
X. Nous pouvons aussi le mкme par l’aide d’un њil seul, en lui faisant changer
de place : comme si, le tenant tournй vers X, nous le mettons premiиrement
au point S et incontinent aprиs au point s, cela suffira pour faire que la
grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouvent ensemble en
notre fantaisie, et nous fassent apercevoir la distance du point X : et
ce, par une action de la pensйe, qui, n’йtant qu’une imagination toute simple,
ne laisse point d’envelopper en soi un raisonnement tout semblable а celui que
font les arpenteurs, lorsque, par le moyen de deux diffйrentes stations, ils
mesurent les lieux inaccessibles. Nous avons encore une autre faзon
d’apercevoir la distance, а savoir par la distinction ou confusion de la figure,
et ensemble par la force ou dйbilitй de la lumiиre. Comme, pendant que nous
regardons fixement vers X, les rayons qui viennent des objets 10 et 12, ne
s’assemblent pas si exactement vers R et vers T, au fond de notre њil , que si
ces objets йtaient aux points V et Y ; d’oщ nous voyons qu’ils sont plus
йloignйs, ou plus proches de nous, que n’est X. Puis, de ce que la lumiиre, qui
vient de l’objet 10 vers notre њil , est plus forte que si cet objet йtait vers
V, nous le jugeons кtre plus proche ; et de ce que celle qui vient de
l’objet 12 est plus faible que s’il йtait vers Y, nous le jugeons plus йloignй.
Enfin, quand nous imaginons dйjа d’ailleurs la grandeur d’un objet, ou sa
situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la
force de la lumiиre qui vient de lui, cela nous peut servir, non pas proprement
а voir, mais а imaginer sa distance. Comme, regardant de loin quelque corps,
que nous avons accoutumй de voir de prиs, nous en jugeons bien mieux
l’йloignement, que nous ne ferions si sa grandeur nous йtait moins connue. Et
regardant une montagne exposйe au soleil, au delа d’une forкt couverte d’ombre,
ce n’est que la situation de cette forкt, qui nous la fait juger la plus
proche. Et regardant sur mer deux vaisseaux, dont l’un soit plus petit que
l’autre, mais plus proche а proportion, en sorte qu’ils paraissent йgaux, nous
pourrons, par la diffйrence de leurs figures et de leurs couleurs, et de la
lumiиre qu’ils envoient vers nous, juger lequel sera le plus loin.
Au reste, pour la faзon dont nous
voyons la grandeur et la figure des objets, je n’ai pas besoin d’en rien dire
de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise en celle dont nous voyons
la distance et la situation de leurs parties. A savoir, leur grandeur s’estime
par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de leur distance, comparйe avec la
grandeur des images qu’ils impriment au fond de l’њil ; et non pas
absolument par la grandeur de ces images, ainsi qu’il est assez manifeste de ce
que, encore qu’elles soient, par exemple, cent fois plus grandes, lorsque les
objets sont fort proches de nous, que lorsqu’ils en sont dix fois plus
йloignйs, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grands,
mais presque йgaux, au moins si leur distance ne nous trompe. Et il est manifeste aussi que la
figure se juge par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de la situation des
diverses parties des objets, et non par la ressemblance des peintures qui sont
dans l’њil : car ces-peintures ne contiennent ordinairement que des ovales
et des losanges lorsqu’elles nous font voir des cercles et des carrйs. Mais, afin que vous ne puissiez
aucunement douter que la vision ne se fasse ainsi que je l’ai expliquйe, je
vous veux faire encore ici considйrer les raisons pourquoi il arrive
quelquefois qu’elle nous trompe. Premiиrement, а cause que c’est l’вme qui
voit, et non pas l’њil, et qu’elle ne voit immйdiatement que par l’entremise du
cerveau, de lа vient que les frйnйtiques , et ceux qui dorment, voient
souvent, ou pensent voir, divers objets qui ne sont point pour cela devant
leurs yeux : а savoir quand quelques vapeurs, remuant leur cerveau,
disposent celles de ses parties qui ont coutume de servir а la vision, en mкme
faзon que feraient ces objets, s’ils йtaient prйsents. Puis, а cause que les
impressions, qui viennent de dehors, passent vers le sens commun par
l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque
cause extraordinaire, elle peut faire voir les objets en d’autres lieux qu’ils
ne sont. Comme si l’њil rst, йtant disposй de soi а regarder vers X, est
contraint par le doigt N а se tourner vers M, les parties du cerveau d’oщ
viennent ses nerfs, ne se disposent pas tout а fait en mкme sorte que si
c’йtaient ses muscles qui le tournassent vers M ; ni aussi en mкme sorte
que s’il regardait vйritablement vers X ; mais d’une faзon moyenne entre
ces deux, а savoir, comme s’il regardait vers Y ; et ainsi l’objet M paraоtra
au lieu oщ est Y, par l’entremise de cet њil, et Y au lieu oщ est X, et X au
lieu oщ est V, et ces objets paraissant aussi en mкme temps en leurs vrais
lieux, par l’entremise de l’autre њil RST, ils sembleront doubles.
En mкme faзon que, touchant la petite boule G des deux
doigts A et D croisйs l’un sur l’autre, on en pense toucher deux ; а cause
que, pendant que ces doigts se retiennent l’un l’autre ainsi croisйs, les
muscles de chacun d’eux tendent а les йcarter, A vers C, et D vers F, au moyen
de quoi les parties du cerveau d’oщ viennent les nerfs qui sont insйrйs en ces
muscles, se trouvent disposйes en la faзon qui est requise pour faire qu’ils
semblent кtre, A vers B, et D vers E, et par consйquent y toucher deux diverses
boules, H et I. De plus, а cause que nous sommes accoutumйs de juger que les
impressions, qui meuvent notre vue, viennent des lieux vers lesquels nous
devons regarder pour les sentir, quand il arrive qu’elles viennent d’ailleurs,
nous y pouvons facilement кtre trompйs.
Comme ceux qui ont les yeux
infectйs de la jaunisse, ou bien qui regardent au travers d’un verre jaune, ou
qui sont enfermйs dans une chambre oщ il n’entre aucune lumiиre que par de tels
verres, attribuent cette couleur а tous les corps qu’ils regardent. Et celui
qui est dans la chambre obscure que j’ai tantфt dйcrite, attribue au corps
blanc RST les couleurs des objets V, X, Y, а cause que c’est seulement vers lui
qu’il dresse sa vue. Et les yeux A, B, C, D, E, F, voyant les objets T, V, X,
Y, Z, etc. au travers des verres N, O, P, et dans les miroirs Q, R, S, les
jugent кtre aux points G, H, I, K, L, M ; et V, Z кtre plus petits, et X,
etc. plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussi X, etc. plus petits et
avec cela renversйs, а savoir, lorsqu’ils sont un peu loin des yeux C, F,
d’autant que ces verres et ces miroirs dйtournent les rayons qui viennent de
ces objets, en telle sorte que ces yeux ne les peuvent voir distinctement, qu’en
se disposant comme ils doivent кtre pour regarder vers les points G, H, I, K,
L, M, ainsi que connaоtront facilement ceux qui prendront la peine de
l’examiner. Et ils verront, par mкme moyen, combien les anciens se sont abusйs
en leur Catoptrique , lorsqu’ils ont voulu dйterminer le lieu des images
dans les miroirs creux et convexes. Il est aussi а remarquer que tous les
moyens qu’on a pour connaоtre la distance sont fort incertains : car,
quant а la figure de l’њil, elle ne varie quasi plus sensiblement, lorsque
l’objet est а plus de quatre ou cinq pieds loin de lui, et mкme elle varie si
peu lorsqu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connaissance bien
prйcise. Et pour les angles compris entre les lignes tirйes des deux yeux l’un
а l’autre et de lа vers l’objet, ou de deux stations d’un mкme њil , ils
ne varient aussi presque plus, lorsqu’on regarde tant soit peu loin. Ensuite de
quoi notre sens commun mкme ne semble pas кtre capable de recevoir en soi
l’idйe d’une distance plus grande qu’environ de cent ou deux cents pieds, ainsi
qu’il se peut vйrifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des
corps les plus йloignйs que nous puissions voir, et dont les diamиtres sont а
leur distance а peu prиs comme un а cent, n’ont coutume de nous paraоtre que
d’un ou deux pieds de diamиtre tout au plus, nonobstant que nous sachions
assez, par raison, qu’ils sont extrкmement grands et extrкmement йloignйs. Car
cela ne nous arrive pas faute de les pouvoir concevoir plus grands que nous ne
faisons, vu que nous concevons bien des tours et des montagnes beaucoup plus
grandes, mais parce que, ne les pouvant concevoir plus йloignйs que de cent ou
deux cents pieds, il suit de lа que leur diamиtre ne nous doit paraоtre que
d’un ou de deux pieds. En quoi la situation aide aussi а nous tromper ;
car ordinairement ces astres semblent plus petits, lorsqu’ils sont fort hauts
vers le midi, que lorsque, se levant ou se couchant, il se trouve divers objets
entre eux et nos yeux, qui nous font mieux remarquer leur distance. Et les astronomes йprouvent
assez, en les mesurant avec leurs instruments, que ce qu’ils paraissent ainsi
plus grands une fois que l’autre, ne vient point de ce qu’ils se voient sous un
plus grand angle, mais de ce qu’ils se jugent plus йloignйs ; d’oщ il suit
que l’axiome de l’ancienne optique, qui dit que la grandeur apparente des
objets est proportionnйe а celle de l’angle de la vision, n’est pas toujours
vrai. On se trompe aussi en ce que les corps blancs ou lumineux, et gйnйralement
tous ceux qui ont beaucoup de force pour mouvoir le sens de la vue, paraissent
toujours quelque peu plus proches et plus grands qu’ils ne feraient, s’ils en
avaient moins. Or la raison qui les fait paraоtre plus proches, est que le
mouvement dont la prunelle s’йtrйcit pour йviter la force de leur lumiиre, est
tellement joint avec celui qui dispose tout l’њil а voir distinctement les
objets proches, et par lequel on juge de leur distance, que l’un ne se peut
guиre faire, sans qu’il se fasse aussi un peu de l’autre : en mкme faзon
qu’on ne peut fermer entiиrement les deux premiers doigts de la main, sans que
le troisiиme se courbe aussi quelque peu, comme pour se fermer avec eux. Et la
raison pourquoi ces corps blancs ou lumineux paraissent plus grands, ne consiste
pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur dйpend de celle de
leur distance, mais aussi en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans
le fond de l’њil. Car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf
optique qui le couvrent, encore que trиs petits, ont nйanmoins quelque
grosseur ; en sorte que chacun d’eux peut кtre touchй en l’une de ses
parties par un objet, et en d’autres par d’autres ; et que n’йtant
toutefois capable d’кtre mы que d’une seule faзon а chaque fois, lorsque la
moindre de ses parties est touchйe par quelque objet fort йclatant, et les
autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouvement de
celui qui est le plus йclatant, et en reprйsente l’image, sans reprйsenter
celle des autres.
Comme, si les bouts de ces petits filets sont 1, 2, 3, et
que les rayons qui viennent, par exemple, tracer l’image d’une йtoile sur le
fond de l’њil, s’y йtendent sur celui qui est marquй I, et tant soit peu au delа
tout autour sur les extrйmitйs des six autres marquйs 2, sur lesquels je
suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort faibles, des parties du
ciel voisines а cette йtoile, son image s’йtendra en tout l’espace qu’occupent
ces six marquйs 2, et mкme peut-кtre encore en tout celui qu’occupent les douze
marquйs 3, si la force du mouvement est si grande qu’elle se communique aussi а
eux. Et ainsi vous voyez que les йtoiles, quoiqu’elles paraissent assez
petites, paraissent nйanmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne devraient а
raison de leur extrкme distance. Et encore qu’elles ne seraient pas entiиrement
rondes, elles ne laisseraient pas de paraоtre telles, comme aussi une tour
carrйe йtant vue de loin paraоt ronde, et tous les corps qui ne tracent que de
fort petites images dans l’њil, n’y peuvent tracer les figures de leurs angles.
Enfin, pour ce qui est de juger de la distance par la grandeur, ou la figure,
ou la couleur, ou la lumiиre, les tableaux de perspective nous montrent assez
combien il est facile de s’y tromper. Car souvent, parce que les choses, qui y
sont peintes, sont plus petites que nous ne nous imaginons qu’elles doivent
кtre, et que leurs linйaments sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes
ou plus faibles, elles nous paraissent plus йloignйes qu’elles ne sont. Des
moyens de perfectionner la vision Maintenant que nous avons assez
examinй comment se fait la vision, recueillons en peu de mots et nous remettons
devant les yeux toutes les conditions qui sont requises а sa perfection, afin
que, considйrant en quelle sorte il a dйjа йtй pourvu а chacune par la Nature,
nous puissions faire un dйnombrement exact de tout ce qui reste encore а l’art
а y ajouter. On peut rйduire toutes les choses auxquelles il faut avoir ici
йgard а trois principales, qui sont : les objets, les organes intйrieurs
qui reзoivent les actions de ces objets, et les extйrieurs qui disposent ces
actions а кtre reзues comme elles doivent. Et, touchant les objets, il suffit
de savoir que les uns sont proches ou accessibles, et les autres йloignйs et
inaccessibles, et avec cela les uns plus, les autres moins illuminйs ;
afin que nous soyons avertis que., pour ce qui est des accessibles, nous les
pouvons approcher ou йloigner, et augmenter ou diminuer la lumiиre qui les
йclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que, pour ce qui
concerne les autres, nous n’y pouvons changer aucune chose. Puis, touchant les
organes intйrieurs, qui sont les nerfs et le cerveau, il est certain aussi que
nous ne saurions rien ajouter par art а leur fabrique ; car nous ne
saurions nous faire un nouveau corps ; et si les mйdecins y peuvent aider
en quelque chose, cela n’appartient point а notre sujet. Si bien qu’il ne nous
reste а considйrer que les organes extйrieurs, entre lesquels je comprends
toutes les parties transparentes de l’њil aussi bien que tous les autres corps
qu’on peut mettre entre lui et l’objet. Et je trouve que toutes les choses
auxquelles il est besoin de pourvoir avec ces organes extйrieurs peuvent кtre
rйduites а quatre points. Dont le premier est, que tous les rayons qui se vont
rendre vers chacune des extrйmitйs du nerf optique ne viennent, autant qu’il
est possible, que d’une mкme partie de l’objet, et qu’ils ne reзoivent aucun
changement en l’espace qui est entre deux ; car, sans cela, les images
qu’ils forment ne sauraient кtre ni bien semblables а leur original ni bien
distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes, non pas en йtendue
de lieu, car elles ne sauraient occuper que le peu d’espace qui se trouve au
fond de l’њil, mais en l’йtendue de leurs linйaments ou de leurs traits, car il
est certain qu’ils seront d’autant plus aisйs а discerner qu’ils seront plus
grands. Le troisiиme, que les rayons qui les forment soient assez forts pour
mouvoir les petits filets du nerf optique, et par ce moyen кtre sentis, mais
qu’ils ne le soient pas tant qu’ils blessent la vue. Et le quatriиme, qu’il y
ait le plus d’objets qu’il sera possible dont les images se forment dans l’њil
en mкme temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’une
vue. Or la Nature a employй plusieurs
moyens а pourvoir а la premiиre de ces choses. Car premiиrement, remplissant
l’њil de liqueurs fort transparentes et qui ne sont teintes d’aucune couleur,
elle a fait que les actions qui viennent de dehors peuvent passer jusques au
fond sans se changer. Et par les rйfractions que causent les superficies de ces
liqueurs elle a fait qu’entre les rayons, suivant lesquels ces actions se
conduisent, ceux qui viennent d’un mкme point se rassemblent en un mкme point
contre le nerf ; et ensuite que ceux qui viennent des autres points s’y
rassemblent aussi en autant d’autres divers points, le plus exactement qu’il
est possible. Car nous devons supposer que la Nature a fait en ceci tout ce qui
est possible, d’autant que l’expйrience ne nous y lait rien apercevoir au
contraire. Et mкme nous voyons que, pour rendre d’autant moindre le dйfaut qui
ne peut en ceci кtre totalement йvitй, elle a fait qu’on puisse rйtrйcir la
prunelle quasi autant que la force de la lumiиre le permet. Puis, par la
couleur noire dont elle a teint toutes les parties de l’њil opposйes au nerf,
qui ne sont point transparentes, elle a empкchй qu’il n’allвt aucun autre rayon
vers ces mкmes points. Et enfin, par le changement de la figure du corps de
l’њil, elle a fait qu’encore que les objets en puissent кtre plus ou moins
йloignйs une fois que l’autre, les rayons qui viennent de chacun de leurs
points ne laissent pas de s’assembler, toujours aussi exactement qu’il se peut,
en autant d’autres points au fond de l’њil. Toutefois elle n’a pas si
entiиrement pourvu а cette derniиre partie qu’il ne se trouve encore quelque
chose а y ajouter : car, outre que, communйment а tous, elle ne nous a pas
donnй le moyen de courber tant les superficies de nos yeux, que nous puissions
voir distinctement les objets qui en sont fort proches, comme а un doigt ou un
demi-doigt de distance, elle y a encore manquй davantage en quelques-uns, а qui
elle a fait les yeux de telle figure qu’ils ne leur peuvent servir qu’а
regarder les choses йloignйes, ce qui arrive principalement aux
vieillards ; et aussi en quelques autres а qui, au contraire, elle les a
fait tels qu’ils ne leur servent qu’а regarder les choses proches, ce qui est
plus ordinaire aux jeunes gens. En sorte qu’il semble que les yeux se forment,
au commencement, un peu plus longs et plus йtroits qu’ils ne doivent кtre et
que par aprиs, pendant qu’on vieillit, ils deviennent plus plats et plus
larges. Or, afin que nous puissions remйdier par art а ces dйfauts, il sera
premiиrement besoin que nous cherchions les figures que les superficies d’une
piиce de verre ou de quelque autre corps transparent doivent avoir, pour
courber les rayons qui tombent sur elles en telle sorte que tous ceux qui
viennent d’un certain point de l’objet, se disposent, en les traversant, tout
de mкme ne s’ils йtaient venus d’un autre point qui fыt plus proche ou plus
йloignй, а savoir, qui fыt plus proche pour servir а ceux qui ont la vue
courte, et qui fыt plus йloignй tant pour les vieillards que gйnйralement pour
tous ceux qui veulent voir des objets plus proches que la figure de leurs yeux
ne le permet. (…) De la faзon de tailler les verres (...) Enfin, la derniиre et principale chose а quoi je
voudrais qu’on s’exerзвt, c’est а polir les verres convexes des deux cфtйs pour
les lunettes qui servent а voir les objets accessibles, et que, s’йtant
premiиrement exercй а en faire de ceux qui rendent ces lunettes fort courtes, а
cause que ce seront les plus aisйs, on tвchвt aprиs, par degrйs, а en faire de
ceux qui les rendent plus longues, jusques а ce qu’on soit Parvenu aux plus
longues dont on se puisse servir. Et afin que la difficultй que vous pourrez
trouver en la construction de ces derniиres lunettes ne vous dйgoыte, je vous
veux avertir qu’encore que d’abord leur usage n’attire pas tant que celui de
ces autres qui semblent promettre de nous йlever dans les cieux, et de nous y
montrer sur les astres des corps aussi particuliers et peut-кtre aussi divers
que ceux qu’on voit sur la terre, je les juge toutefois beaucoup plus utiles, а
cause qu’on pourra voir par leur moyen les divers mйlanges et arrangements des
petites parties dont les animaux et les plantes, et peut-кtre aussi les autres
corps qui nous environnent, sont composйs, et de lа tirer beaucoup d’avantage
pour venir а la connaissance de leur nature. Car dйjа, selon l’opinion de
plusieurs philosophes, tous ces corps ne sont faits que des parties des
йlйments diversement mкlйes ensemble ; et, selon la mienne, toute leur
nature et leur essence, au moins de ceux qui sont inanimйs, ne consiste qu’en la
grosseur, la figure, l’arrangement et les mouvements de leurs parties. (...) Renй Descartes La Dioptrique (1637) De la lumiиre Toute la conduite de notre vie dйpend
de nos sens, entre lesquels celui de la vue йtant le plus universel et le plus
noble, il n’y a point de. doute que les inventions qui servent а augmenter sa
puissance ne soient des plus utiles qui puissent кtre. Et il est malaisй d’en
trouver aucune qui l’augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes
qui, n’йtant en usage que depuis peu, nous ont dйjа dйcouvert de nouveaux
astres dans le ciel, et d’autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand
nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que,
portant notre vue beaucoup plus loin que n’avait coutume d’aller l’imagination
de nos pиres, elles semblent nous avoir ouvert le chemin, pour parvenir а une
connaissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu’ils ne l’ont
eue. Mais, а la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si
admirable, n’a premiиrement йtй trouvйe que par l’expйrience et la fortune. Il
y a environ trente ans, qu’un nommй Jacques Metius , de la ville d’Alcmar
en Hollande, homme qui n’avait jamais йtudiй, bien qu’il eыt un pиre et un
frиre qui ont fait profession des mathйmatiques, mais qui prenait
particuliиrement plaisir а faire des miroirs et verres brыlants, en composant
mкme l’hiver avec de la glace, ainsi que l’expйrience a montrй qu’on en peut
faire, ayant а cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s’avisa par
bonheur de regarder au travers de deux, dont l’un йtait un peu plus йpais au
milieu qu’aux extrйmitйs, et l’autre au contraire beaucoup plus йpais aux extrйmitйs
qu’au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d’un tuyau, que
la premiиre des lunettes dont nous parlons, en fut composйe. Et c’est seulement
sur ce patron que toutes les autres qu’on a vues depuis ont йtй faites, sans
que personne encore, que je sache, ait suffisamment dйterminй les figures que
ces verres doivent avoir. Car, bien qu’il y ait eu depuis quantitй de bons
esprits, qui ont fort cultivй cette matiиre, et ont trouvй а son occasion
plusieurs choses en l’Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient
laissй les anciens, toutefois, а cause que les inventions un peu malaisйes
n’arrivent pas а leur dernier degrй de perfection du premier coup, il est
encore demeurй assez de difficultйs en celle-ci, pour me donner sujet d’en
йcrire. Et d’autant que l’exйcution des choses que je dirai doit dйpendre de
l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point йtudiй, je tвcherai
de me rendre intelligible а tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer,
qu’on doive avoir appris des autres sciences. C’est pourquoi je commencerai par
l’explication de la lumiиre et de ses rayons ; puis, ayant fait une brиve
description des parties de l’њil, je dirai particuliиrement en quelle sorte se
fait la vision ; et ensuite, ayant remarquй toutes les choses qui sont
capables de la rendre plus parfaite, j’enseignerai comment elles y peuvent кtre
ajoutйes par les inventions que je dйcrirai. Or, n’ayant ici autre occasion de
parler de la lumiиre, que pour expliquer comment ses rayons entrent dans l’њil,
et comment ils peuvent кtre dйtournйs par les divers corps qu’ils rencontrent,
il n’est pas besoin que j’entreprenne de dire au vrai quelle est sa nature, et
je crois qu’il suffira que je me serve de deux ou trois comparaisons, qui
aident а la concevoir en la faзon qui me semble la plus commode, pour expliquer
toutes celles de ses propriйtйs que l’expйrience nous fait connaоtre, et pour
dйduire ensuite toutes les autres qui ne peuvent pas si aisйment кtre
remarquйes ; imitant en ceci les astronomes, qui, bien que leurs
suppositions soient presque toutes fausses ou incertaines, toutefois, а cause
qu’elles se rapportent а diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent
pas d’en tirer plusieurs consйquences trиs vraies et trиs assurйes. Il vous est bien sans doute
arrivй quelquefois, en marchant de nuit sans flambeau, par des lieux un peu
difficiles, qu’il fallait vous aider d’un bвton pour vous conduire, et vous
avez pour lors pu remarquer que vous sentiez, par l’entremise de ce bвton, les divers
objets qui se rencontraient autour de vous, et mкme que vous pouviez distinguer
s’il y avait des arbres, ou des pierres, ou du sable, ou de l’eau, ou de
l’herbe, ou de la boue, ou quelque autre chose de semblable. Il est vrai que
cette sorte de sentiment est un peu confuse et obscure, en ceux qui n’en ont
pas un long usage ; mais considйrez-la en ceux qui, йtant nйs aveugles,
s’en sont servis toute leur vie, et vous l’y trouverez si parfaite et si
exacte, qu’on pourrait quasi dire qu’ils voient des mains, ou que leur bвton
est l’organe de quelque sixiиme sens, qui leur a йtй donnй au dйfaut de la vue.
Et pour tirer une comparaison de ceci, je dйsire que vous pensiez que la
lumiиre n’est autre chose, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’un certain mouvement,
ou une action fort prompte et tort vive, qui passe vers nos yeux, par
l’entremise de l’air et des autres corps transparents, en mкme faзon que le
mouvement ou la rйsistance des corps, que rencontre cet aveugle, passe vers sa
main, par l’entremise de son bвton. Ce qui vous empкchera d’abord de trouver
йtrange, que cette lumiиre puisse йtendre ses rayons en un instant, depuis le
soleil jusques а nous : car vous savez que l’action, dont on meut l’un des
bouts d’un bвton, doit ainsi passer en un instant jusques а l’autre, et qu’elle
y devrait passer en mкme sorte, encore qu’il y aurait plus de distance qu’il
n’y en a, depuis la terre jusques aux cieux. Vous ne trouverez pas йtrange non
plus, que par son moyen nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; et
mкme vous croirez peut-кtre que ces couleurs ne sont autre chose, dans les
corps qu’on nomme colorйs, que les diverses faзons dont ces corps la reзoivent
et la renvoient contre nos yeux : si vous considйrez que les diffйrences,
qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses
semblables, par l’entremise de son bвton, ne lui semblent pas moindres que nous
font celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert, et toutes les autres
couleurs ; et toutefois que ces diffйrences ne sont autre chose, en tous
ces corps, que les diverses faзons de mouvoir, ou de rйsister aux mouvements de
ce bвton. En suite de quoi vous aurez occasion de juger, qu’il n’est pas besoin
de supposer qu’il passe quelque chose de matйriel depuis les objets jusques а
nos yeux, pour nous faire voir les couleurs et la lumiиre, ni mкme qu’il y ait
rien en ces objets, qui soit semblable aux idйes ou aux sentiments que nous en
avons : tout de mкme qu’il ne sort rien des corps, que sent un aveugle,
qui doive passer le long de son bвton jusques а sa main, et que la rйsistance
ou le mouvement de ces corps, qui est la seule cause des sentiments qu’il en a,
n’est rien de semblable aux idйes qu’il en conзoit. Et par ce moyen votre
esprit sera dйlivrй de toutes ces petites images voltigeantes par l’air,
nommйes des espиces intentionnelles, qui travaillent tant l’imagination des
philosophes. Mкme vous pourrez aisйment dйcider la question, qui est entre eux,
touchant le lieu d’oщ vient l’action qui cause le sentiment de la vue :
car, comme notre aveugle peut sentir les corps qui sont autour de lui, non
seulement par l’action de ces corps, lorsqu’ils se meuvent contre son bвton,
mais aussi par celle de sa main, lorsqu’ils ne font que lui rйsister ;
ainsi faut-il avouer que les objets de la vue peuvent кtre sentis, non
seulement par le moyen de l’action qui, йtant en eux, tend vers les yeux, mais
aussi par le moyen de celle qui, йtant dans les yeux, tend vers eux. Toutefois,
parce que cette action n’est autre chose que la lumiиre, il faut remarquer
qu’il n’y a que ceux qui peuvent voir pendant les tйnиbres de la nuit, comme
les chats, dans les yeux desquels elle se trouve ; et que, pour
l’ordinaire des hommes, ils ne voient que par l’action qui vient des
objets : car l’expйrience nous montre que ces objets doivent кtre lumineux
ou illuminйs pour кtre vus, et non point nos yeux pour les voir. Mais, parce
qu’il y a grande diffйrence entre le bвton de cet aveugle et l’air ou les
autres corps transparents, par l’entremise desquels nous voyons, il faut que je
me serve encore ici d’une autre comparaison.
Voyez une cuve au temps de vendange, toute pleine de
raisins а demi foulйs, et dans le fond de laquelle on ait fait un trou ou deux,
comme A et B, par oщ le vin doux, qu’elle contient, puisse couler. Puis pensez
que, n’y ayant point de vide en la Nature, ainsi que presque tous les
Philosophes avouent , et nйanmoins y ayant plusieurs pores en tous les
corps que nous apercevons autour de nous, ainsi que l’expйrience peut montrer
fort clairement ; il est nйcessaire que ces pores soient remplis de
quelque matiиre fort subtile et fort fluide, qui s’йtende sans interruption
depuis les Astres jusques а nous. Or, cette matiиre subtile йtant comparйe avec
le vin de cette cuve, et les parties moins fluides ou plus grossiиres, tant de
l’air que des autres corps transparents, avec les grappes de raisins qui sont
parmi : vous entendrez facilement que, comme les parties de ce vin, qui
sont par exemple vers C, tendent а descendre en ligne droite par le trou A, au
mкme instant qu’il est ouvert, et ensemble par le trou B, et que celles qui
sont vers D, et vers E, tendent aussi en mкme temps а descendre par ces deux
trous, sans qu’aucune de ces actions soit empкchйe par les autres, ni aussi par
la rйsistance des grappes qui sont en cette cuve : nonobstant que ces
grappes, йtant soutenues l’une par l’autre, ne tendent point du tout а
descendre par ces trous A et B, comme le vin, et mкme qu’elles puissent cependant
кtre mues, en plusieurs autres faзons, par ceux qui les foulent. Ainsi toutes
les parties de la matiиre subtile, que touche le cфtй du Soleil qui nous
regarde, tendent en ligne droite vers nos yeux au mкme instant qu’il sont
ouverts, sans s’empкcher les unes les autres, et mкme sans кtre empкchйes par
les parties grossiиres des corps transparents, qui sont entre deux : soit
que ces corps se meuvent en d’autres faзons, comme l’air, qui est presque
toujours agitй par quelque vent ; soit qu’ils soient sans mouvement, comme
eut кtre le verre ou le cristal. Et remarquez ici qu’il faut distinguer entre
le mouvement, et l’action ou inclination а se mouvoir. Car on peut fort bien
concevoir que les parties du vin, qui sont par exemple vers C, tendent vers B,
et ensemble vers A, nonobstant qu’elles ne puissent actuellement se mouvoir
vers ces deux cфtйs en mкme temps ; et qu’elles tendent exactement en
ligne droite vers B et vers A, nonobstant qu’elles ne se puissent mouvoir si
exactement vers la ligne droite, а cause des grappes de raisins qui sont entre
deux : et ainsi, pensant que ce n’est pas tant le mouvement, comme
l’action des corps lumineux qu’il faut prendre pour leur lumiиre, vous devez
juger que les rayons de cette lumiиre ne sont autre chose que les lignes suivant
lesquelles tend cette action. En sorte qu’il y a une infinitй de tels rayons
qui viennent de tous les points des corps lumineux, vers tous les points de
ceux qu’ils illuminent, ainsi que vous pouvez imaginer une infinitй de lignes
droites, suivant lesquelles les actions, qui viennent de tous les points de la
superficie du vin CDE, tendent vers A, et une infinitй d’autres, suivant
lesquelles les actions, qui viennent de ces mкmes points, tendent aussi vers B,
sans que les unes empкchent les autres. Au reste, ces rayons doivent bien
кtre ainsi toujours imaginйs exactement droits, lorsqu’ils ne passent que par
un seul corps transparent, qui est partout йgal а soi-mкme : mais,
lorsqu’ils rencontrent quelques autres corps, ils sont sujets а кtre dйtournйs
par eux, ou amortis, en mкme faзon que l’est le mouvement d’une balle, ou d’une
pierre jetйe dans l’air, par ceux qu’elle rencontre. Car il est bien aisй а
croire que l’action ou inclination а se mouvoir, que j’ai dit devoir кtre prise
pour la lumiиre, doit suivre en ceci les mкmes lois que le mouvement. Et afin
que j’explique cette troisiиme comparaison tout au long, considйrez que les
corps, qui peuvent ainsi кtre rencontrйs par une balle qui passe dans l’air,
sont ou mous, ou durs, ou liquides ; et que, s’ils sont mous, ils arrкtent
et amortissent tout а fait son mouvement : comme lorsqu’elle donne contre
des toiles, ou du sable, ou de la boue ; au lieu que, s’ils sont durs, ils
la renvoient d’un autre cфtй sans l’arrкter ; et ce, en plusieurs diverses
faзons. Car ou leur superficie est toute йgale et unie, ou raboteuse et
inйgale ; et derechef, йtant йgale, elle est ou plate, ou courbйe ;
et йtant inйgale, ou son inйgalitй ne consiste qu’en ce qu’elle est composйe de
plusieurs parties diversement courbйes, dont chacune est en soi assez
unie ; ou bien elle consiste, outre cela, en ce qu’elle a plusieurs divers
angles ou pointes, ou des parties plus dures l’une que l’autre, ou qui se
meuvent, et ce, avec des variйtйs qui peuvent кtre imaginйes en mille sortes. Et
il faut remarquer que la balle, outre son mouvement simple et ordinaire, qui la
porte d’un lieu en l’autre, en peut encore avoir un deuxiиme, qui la fait
tourner autour de son centre, et que la vitesse de celui-ci peut avoir
plusieurs diverses proportions avec celle de l’autre. Or, quand plusieurs
balles, venant d’un mкme cфtй, rencontrent un corps, dont la superficie est
toute unie et йgale, elles se rйflйchissent йgalement, et en mкme ordre, en
sorte que, si cette superficie est toute plate, elles gardent entre elles la
mкme distance, aprиs l’avoir rencontrйe, qu’elles avaient auparavant ; et
si elle est courbйe en dedans ou en dehors, elles s’approchent ou s’йloignent
en mкme ordre les unes des autres, plus ou moins, а raison de cette courbure. Comme
vous voyez ici les balles A, B, C, qui, aprиs avoir rencontrй les superficies
des corps D, E, F, se rйflйchissent vers G, H, I. Et si ces balles rencontrent
une superficie inйgale, comme L ou M, elles se rйflйchissent vers divers cфtйs,
chacune selon la situation de l’endroit de cette superficie qu’elle touche. Et
elles ne changent rien que cela en la faзon de leur mouvement, lorsque son
inйgalitй ne consiste qu’en ce que ses parties sont courbйes diversement.
Mais elle peut aussi consister en plusieurs autres choses
et faire, par ce moyen, que, si ces balles n’ont eu auparavant qu’un. simple
mouvement droit, elles en perdent une partie, et en acquiиrent au lieu un
circulaire, qui peut avoir diverse proportion avec ce qu’elles retiennent du
droit, selon que la superficie du corps qu’elles rencontrent peut кtre
diversement disposйe. Ce que ceux qui jouent а la paume йprouvent assez,
lorsque leur balle rencontre de faux carreaux, ou bien qu’ils la touchent en biaisant
de leur raquette, ce qu’ils nomment, ce me semble, couper ou friser .
Enfin, considйrez que, si une balle qui se meut rencontre obliquement la
superficie d’un corps liquide, par lequel elle puisse passer plus ou moins
facilement que par celui d’oщ elle sort, elle se dйtourne et change son cours
en y entrant : comme, par exemple, si йtant en l’air au point A, on la
pousse vers B, elle va bien en ligne droite depuis A jusques а B, si ce n’est
que sa pesanteur ou quelqu’autre cause particuliиre l’en empкche ; mais,
йtant au point B oщ je suppose qu’elle rencontre la superficie de l’eau CBE,
elle se dйtourne et prend son cours vers I, allant derechef en ligne droite
depuis B jusques а I, ainsi qu’il est aisй а vйrifier par l’expйrience.
Or il faut penser, en mкme faзon, qu’il y a des corps qui,
йtant rencontrйs par les rayons de la lumiиre, les amortissent, et leur фtent
toute leur force, а savoir ceux qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre
couleur que les tйnиbres ; et qu’il y en a d’autres qui les font
rйflйchir, les uns au mкme ordre qu’ils les reзoivent, а savoir ceux qui, ayant
leur superficie toute polie, peuvent servir de miroirs tant plats que courbйs,
et les autres confusйment vers plusieurs cфtйs ; et que derechef, entre
ceux-ci, les uns font rйflйchir ces rayons sans apporter aucun autre changement
en leur action, а savoir ceux qu’on nomme blancs, et les autres y apportent
avec cela un changement semblable а celui que reзoit le mouvement d’une balle
quand on la frise, а savoir ceux qui sont rouges, ou jaunes, ou bleus, ou de
quelque autre telle couleur. Car je pense pouvoir dйterminer en quoi consiste
la nature de chacune de ces couleurs, et le faire voir par expйrience ;
mais cela passe les bornes de mon sujet. Et il me suffit ici de vous avertir
que les rayons, qui tombent sur les corps qui sont colorйs et non polis, se
rйflйchissent ordinairement de tous cфtйs, encore mкme qu’ils ne viennent que
d’un seul cфtй : comme, encore que ceux qui tombent sur la superficie du
corps blanc AB, ne viennent que du flambeau C, ils ne laissent pas de se
rйflйchir tellement de tous cфtйs, qu’en quelque lieu qu’on pose l’њil, comme
par exemple vers D, il s’en trouve toujours plusieurs venant de chaque endroit
de cette superficie AB, tendent vers lui. Et mкme, si l’on suppose ce corps
fort dйliй comme un papier ou une toile, en sorte que le jour passe au travers,
encore que l’њil soit d’autre cфtй que le flambeau, comme vers E, il ne
laissera pas de se rйflйchir vers lui quelques rayons de chacune des parties de
ce corps.
Enfin, considйrez que les rayons se dйtournent aussi, en
mкme faзon qu’il a йtй dit d’une balle quand ils rencontrent obliquement la
superficie d’un corps transparent, par lequel ils pйnиtrent plus ou moins
facilement que par celui d’oщ ils viennent, et cette faзon de se dйtourner
s’appelle en eux Rйfraction. De la rйfraction D’autant que nous aurons besoin ci-aprиs de savoir
exactement la quantitй de cette rйfraction, et qu’elle peut assez commodйment
кtre entendue par la comparaison dont je viens de me servir, je crois qu’il est
а propos que je tвche ici tout d’un train de l’expliquer, et que je parle
premiиrement de la rйflexion, afin d’en rendre l’intelligence d’autant plus
aisйe.
Pensons donc qu’une balle, йtant poussйe d’A vers B,
rencontre, au point B, la superficie de la terre CBE, qui, l’empкchant de
passer outre, est cause qu’elle se dйtourne ; et voyons vers quel cфtй.
Mais afin de ne nous embarrasser point en de nouvelles difficultйs, supposons
que la terre est parfaitement plate et dure, et que la balle va toujours
d’йgale vitesse, tant en descendant qu’en remontant, sans nous enquйrir en
aucune faзon de la puissance qui continue de la mouvoir, aprиs qu’elle n’est
plus touchйe de la raquette, ni considйrer aucun effet de sa pesanteur, ni de
sa grosseur, ni de sa figure. Car il n’est pas ici question d’y regarder de si
prиs, et il n’y a aucune de ces choses qui ait lieu en l’action de la lumiиre а
laquelle ceci se doit rapporter. Seulement faut-il remarquer que la puissance,
telle qu’elle soit, qui fait continuer le mouvement de cette balle, est
diffйrente de celle qui la dйtermine а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers
un autre, ainsi qu’il est trиs aisй а connaоtre de ce que c’est la force dont
elle a йtй poussйe par la raquette, de qui dйpend son mouvement, et que cette
mкme force l’aurait pu faire mouvoir vers tout autre cфtй, aussi facilement que
vers B, au lieu que c’est la situation de cette raquette qui la dйtermine а
tendre vers B, et qui aurait pu l’y dйterminer en mкme faзon, encore qu’une autre
force l’aurait mue. Ce qui montre dйjа qu’il n’est pas impossible que cette
balle soit dйtournйe par la rencontre de la terre, et ainsi, que la
dйtermination qu’elle avait а tendre vers B soit changйe, sans qu’il y ait rien
pour cela de changй en la force de son mouvement, puisque ce sont deux choses
diverses, et par consйquent qu’on ne doit pas imaginer qu’il soit nйcessaire
qu’elle s’arrкte quelque moment au point B avant que de retourner vers F, ainsi
que font plusieurs de nos Philosophes ; car, si son mouvement йtait une
fois interrompu par cet arrкt, il ne se trouverait aucune cause, qui le fоt par
aprиs recommencer.
De plus, il faut remarquer que la dйtermination а se
mouvoir vers quelque cфtй peut, aussi bien que le mouvement et gйnйralement que
toute autre sorte de quantitй, кtre divisйe entre toutes les parties desquelles
on peut imaginer qu’elle est composйe ; et qu’on peut aisйment imaginer
que celle de la balle qui se meut d’A vers B est composйe de deux autres, dont
l’une la fait descendre de la ligne AF vers la ligne CE, et l’autre en mкme
temps la fait aller de la gauche AC vers la droite FE, en sorte que ces deux,
jointes ensemble, la conduisent jusques а B suivant la ligne droite AB. Et ensuite
il est aisй а entendre, que la rencontre de la terre ne peut empкcher que l’une
de ces deux dйterminations, et non point l’autre en aucune faзon. Car elle doit bien empкcher celle
qui faisait descendre la balle d’AF vers CE, а cause qu’elle occupe tout
l’espace qui est au-dessous de CE ; mais pourquoi empкcherait-elle
l’autre, qui la faisait avancer vers la main droite, vu qu’elle ne lui est
aucunement opposйe en ce sens-lа ? Pour trouver donc justement vers quel
cфtй cette balle doit retourner, dйcrivons un cercle du centre B, qui passe par
le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis а se mouvoir
depuis A jusques а B, elle doit infailliblement retourner depuis B jusques а
quelque point de la circonfйrence de ce cercle, d’autant que tous les points
qui sont aussi distants de celui-ci B qu’en est A, se trouvent en cette
circonfйrence, et que nous supposons le mouvement de cette balle кtre toujours
йgalement vite.
Puis afin de savoir prйcisйment
auquel de tous les points de cette circonfйrence elle doit retourner, tirons
trois lignes droites AC, HB, et FE perpendiculaires sur CE, et en telle sorte,
qu’il n’y ait ni plus ni moins de distance entre AC et HB qu’entre HB et
FE ; et disons, qu’en autant de temps que la balle a mis а s’avancer vers
le cфtй droit, depuis A, l’un des points de la ligne AC, jusques а B, l’un de
ceux de la ligne HB, elle doit aussi s’avancer depuis la ligne HB jusques а
quelque point de la ligne FE ; car tous les points de cette ligne FE sont
autant йloignйs de HB en ce sens-lа, l’un comme l’autre, et autant que ceux de
la ligne AC, et elle est aussi autant dйterminйe а s’avancer vers ce cфtй-lа,
qu’elle a йtй auparavant. Or est-il qu’elle ne peut arriver
en mкme temps en quelque point de la, ligne FE, et ensemble а quelque point de
la circonfйrence du cercle AFD, si ce n’est au point D, ou au point F, d’autant
qu’il n’y a que ces deux, oщ elles s’entrecoupent l’une l’autre ; si bien
que, la terre l’empкchant de passer vers D, il faut conclure qu’elle doit aller
infailliblement vers F. Et ainsi vous voyez facilement comment se fait la
rйflexion, а savoir selon un angle toujours йgal а celui qu’on nomme l’angle
d’incidence. Comme, si un rayon, venant du point A, tombe au point B sur la
superficie du miroir plat CBE, il se rйflйchit vers F, en sorte que l’angle de
la rйflexion FBE n’est ne plus ne moins grand que celui de l’incidence ABC. Venons maintenant а la
Rйfraction. Et premiиrement supposons qu’une balle, poussйe d’A vers B,
rencontre au point B, non plus la superficie de la terre, mais une toile CBE,
qui soit si faible et dйliйe que cette balle ait la force de la rompre et de
passer tout au travers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, а
savoir, par exemple, la moitiй. Or cela posй, afin de savoir quel chemin elle
doit suivre, considйrons derechef que son mouvement diffиre entiиrement de sa
dйtermination а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers un autre, d’oщ il suit
que leur quantitй doit кtre examinйe sйparйment. Et considйrons aussi que, des
deux parties dont on peut imaginer que cette dйtermination est composйe, il n’y
a que celle qui faisait tendre la balle de haut en bas, qui puisse кtre changйe
en quelque faзon par la rencontre de la toile ; et que, pour celle qui la
faisait tendre vers la main droite, elle doit toujours demeurer la mкme qu’elle
a йtй, а cause que cette toile ne lui est aucunement opposйe en ce sens-lа.
Puis, ayant dйcrit du centre B le cercle AFD, et tirй а
angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu’il
y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu’entre HB et AC, nous
verrons que cette balle doit tendre vers le point I. Car, puisqu’elle perd la
moitiй de sa vitesse, en traversant la toile CBE, elle doit employer deux fois
autant de temps а passer au-dessous, depuis B jusques а quelque point de la
circonfйrence du cercle AFD, qu’elle a fait au-dessus а venir depuis A jusques
а B. Et puisqu’elle ne perd rien du
tout de la dйtermination qu’elle avait а s’avancer vers le cфtй droit, en deux
fois autant de temps qu’elle en a mis а passer depuis la ligne AC jusques а HB,
elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce mкme cфtй, et par consйquent
arriver а quelque point de la ligne droite FE, au mкme instant qu’elle arrive
aussi а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD. Ce qui serait
impossible, si elle n’allait vers I, d’autant que c’est le seul point
au-dessous de la toile CBE, oщ le cercle AFD et la ligne droite FF,
s’entrecoupent. Pensons maintenant que la balle,
qui vient d’A vers D, rencontre au point B, non plus une toile, mais de l’eau,
dont la superficie CBE lui фte justement la moitiй de sa vitesse, ainsi que
faisait cette toile. Et le reste posй comme devant, je dis que cette balle doit
passer de B en ligne droite, non vers D, mais vers I. Car, premiиrement, il est
certain que la superficie de l’eau la doit dйtourner vers lа en mкme faзon que
la toile, vu qu’elle lui фte tout autant de sa force, et qu’elle lui est
opposйe en mкme sens.
Puis, pour le reste du corps de l’eau qui remplit tout
l’espace qui est depuis B jusques а I, encore qu’il lui rйsiste plus ou moins
que ne faisait l’air que nous y supposions auparavant, ce n’est pas а dire pour
cela qu’il doive plus ou moins la dйtourner : car il se peut ouvrir, pour
lui faire passage, tout aussi facilement vers un cфtй que vers un autre, au
moins si on suppose toujours, comme nous faisons., que ni la pesanteur ou
lйgиretй de cette balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni aucune autre telle
cause йtrangиre ne change son cours. Et on peut ici remarquer, qu’elle
est d’autant plus dйtournйe par la superficie de l’eau ou de la toile, qu’elle
la rencontre plus obliquement, en sorte que, si elle la rencontre а angles
droits, comme lorsqu’elle est poussйe d’H vers B, elle doit passer outre en
ligne droite vers G, sans aucunement se dйtourner. Mais si elle est poussйe
suivant une ligne comme AB, qui soit si fort inclinйe sur la superficie de
l’eau ou de la toile CBE, que la ligne FE, йtant tirйe comme tantфt, ne coupe
point le cercle AD, cette balle ne doit aucunement la pйnйtrer, mais rejaillir
de sa superficie B vers l’air L, tout de mкme que si elle y avait rencontrй de
la terre. Ce qu’on a quelque-fois expйrimentй avec regret, lorsque, faisant
tirer pour plaisir des piиces d’artillerie vers le fond d’une riviиre, on a
blessй ceux qui йtaient de l’autre cфtй sur le rivage.
Mais faisons encore ici une autre supposition, et pensons
que la balle, ayant йtй premiиrement poussйe d’A vers B, est poussйe derechef,
йtant au point B, par la raquette CBE, qui augmente la force de son mouvement,
par exemple, d’un tiers, en sorte qu’elle puisse faire, par aprиs, autant de
chemin en deux moments, qu’elle en faisait en trois auparavant. Ce qui fera le
mкme effet, que si elle rencontrait au point B un corps de telle nature,
qu’elle passвt au travers de sa superficie CBE, d’un tiers plus-facilement que
par l’air. Et il suit manifestement de ce qui a йtй dйjа dйmontrй, que, si l’on
dйcrit le cercle AD comme devant, et les lignes AC, RB, FE, en telle sorte
qu’il y ait d’un tiers moins de distance entre FE et RB qu’entre RB et AC, le
point I, oщ la ligne droite FE et la circulaire AD s’entrecoupent, dйsignera le
lieu vers lequel cette balle, йtant au point B, se doit dйtourner. Or on peut prendre aussi le
revers de cette conclusion et dire que, puisque la balle qui vient d’A en ligne
droite jusques а B, se dйtourne йtant au point B, et prend son cours de lа vers
I, cela signifie que la force ou facilitй, dont elle entre dans le corps CBEI,
est а celle dont elle sort du corps ACBE, comme la distance qui est entre AC et
HB, а celle qui est entre HB et FI, c’est-а-dire comme la ligne CB est а
BE .
Enfin, d’autant que l’action de la lumiиre suit en ceci
les mкmes lois que le mouvement de cette balle, il faut dire que, lorsque ses
rayons passent obliquement d’un corps transparent dans un autre, qui les reзoit
plus ou moins facilement que le premier, ils s’y dйtournent en telle sorte,
qu’ils se trouvent toujours moins inclinйs sur la superficie de ces corps, du
cфtй oщ est celui qui les reзoit le plus aisйment, que du cфtй oщ est
l’autre : et ce, justement а proportion de ce qu’il les reзoit plus
aisйment que ne fait l’autre. Seulement faut-il prendre garde que cette
inclination se doit mesurer par la quantitй des lignes droites, comme CB ou AH,
et EB ou IG, et semblables, comparйes les unes aux autres ; non par celle
des angles, tels que sont ABH ou GBI, ni beaucoup moins par celle des
semblables а DBI, qu’on nomme les angles de Rйfraction. Car la raison ou
proportion qui est entre Ces angles varie а toutes les diverses inclinations
des rayons ; au lieu que celle qui est entre les lignes AH et IG, ou
semblables, demeure la mкme en toutes les rйfractions qui sont causйes par les
mкmes corps. Comme, par exemple, s’il passe un rayon dans l’air d’A vers B,
qui, rencontrant au point B la superficie du verre CBR, se dйtourne vers I dans
ce verre ; et qu’il en vienne un autre de K vers B, qui se dйtourne vers
L ; et un autre de P vers R, qui se dйtourne vers S ; il doit avoir
mкme proportion entre les lignes KM et LN, ou PQ et ST, qu’entre AH et IG, mais
non pas la mкme entre les angles KBM et LBN, ou PRQ et SRT, qu’entre ABH et
IBG. Si bien que vous voyez maintenant en quelle sorte se
doivent mesurer les rйfractions ; et encore que, pour dйterminer leur
quantitй, en tant qu’elle dйpend de la nature particuliиre des corps oщ elles
se font, il soit besoin d’en venir а l’expйrience, on ne laisse pas de le
pouvoir faire assez certainement et aisйment, depuis qu’elles sont ainsi toutes
rйduites sous une mкme mesure ; car il suffit de les examiner en un seul
rayon, pour connaоtre toutes celles qui se font en une mкme superficie, et on
peut йviter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres.
Comme, si nous voulons savoir la
quantitй de celles qui se font en la superficie CBR, qui sйpare l’air AKP du
verre LIS, nous n’avons qu’а l’йprouver en celle du rayon ABI, en cherchant la
proportion qui est entre les lignes AH et IG. Puis, si nous craignons d’avoir
failli en cette expйrience, il faut encore l’йprouver en quelques autres
rayons, comme KBL ou PRS, et trouvant mкme proportion de KM а LN, et de PQ а.
ST, que d’AH а IG, nous n’aurons plus aucune occasion de douter de la vйritй. Mais peut-кtre vous
йtonnerez-vous, en faisant ces expйriences, de trouver que les rayons de la
lumiиre s’inclinent plus dans l’air que dans l’eau, sur les superficies oщ se
fait leur rйfraction, et encore plus dans l’eau que dans le verre, tout au
contraire d’une balle qui s’incline davantage dans l’eau que dans l’air, et ne
peut aucunement passer dans le verre.
Car, par exemple, si c’est une
balle qui, йtant poussйe dans l’air d’A vers B, rencontre au point B la
superficie de l’eau CBE, elle se dйtournera de B vers V ; et si c’est un
rayon, il ira, tout au contraire, de B vers I. Ce que vous cesserez toutefois
de trouver йtrange, si vous vous souvenez de la nature que j’ai attribuйe а la
lumiиre, quand j’ai dit qu’elle n’йtait autre chose qu’un certain mouvement ou
une action reзue en une matiиre trиs subtile, qui remplit les pores des autres
corps ; et que vous considйriez que, comme une balle perd davantage de son
agitation, en donnant contre un corps mou, que contre un qui est dur, et
qu’elle roule moins aisйment sur un tapis, que sur une table toute nue, ainsi
l’action de cette matiиre subtile peut beaucoup plus кtre empкchйe par les
parties de l’air, qui, йtant comme molles et mal jointes, ne lui font pas
beaucoup de rйsistance, que par celles de l’eau, qui lui en font
davantage ; et encore plus par celles de l’eau, que par celles du verre,
ou du cristal. En sorte que, d’autant que les petites parties d’un corps
transparent sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent-elles passer la
lumiиre plus aisйment : car cette lumiиre n’en doit pas chasser aucunes
hors de leurs places, ainsi qu’une balle en doit chasser de celles de l’eau,
pour trouver passage parmi elles.
Au reste, sachant ainsi la cause
des rйfractions qui se font dans l’eau et dans le verre, et communйment en tous
les autres corps transparents qui sont autour de nous, on peut remarquer
qu’elles y doivent кtre toutes semblables, quand les rayons sortent de ces
corps, et quand ils y entrent. Comme, si le rayon qui vient d’A vers B, se
dйtourne de B vers I, en passant de l’air dans le verre, celui qui reviendra
d’I vers B, doit aussi se dйtourner de B vers A. Toutefois il se peut bien
trouver d’autres corps, principalement dans le ciel, oщ les rйfractions,
procйdant d’autres causes, ne sont pas ainsi rйciproques. Et il se peut aussi
trouver certains cas, auxquels les rayons se doivent courber, encore qu’ils ne
passent que par un seul corps transparent, ainsi que se courbe sou vent le
mouvement d’une balle, parce qu’elle est dйtour nйe vers un cфtй par sa
pesanteur, et vers un autre par l’action dont on l’a poussйe, ou pour diverses
autres raisons. Car enfin j’ose dire que les trois comparaisons, dont je
viens de me servir, sont si propres, que toutes les particularitйs qui s’y
peuvent remarquer se rapportent а quelques autres qui se trouvent toutes
semblables en la lumiиre ; mais je n’ai tвchй que d’expliquer celles qui
faisaient le plus а mon sujet. Et je ne vous veux plus faire ici considйrer
autre chose, sinon que les superficies des corps transparents qui sont courbйes
dйtournent les rayons qui passent par chacun de leurs points, en mкme sorte que
feraient les superficies plates, qu’on peut imaginer toucher ces corps aux
mкmes points. Comme, par exemple, la rйfraction des rayons AB, AC, AD, qui,
venant du flambeau A, tombent sur la superficie courbe de la boule de cristal
BCD, doit кtre considйrйe en mкme sorte, que si AB tombait sur la superficie
plate EBF, et AC sur GCH, et AD sur IDK, et ainsi des autres.
D’oщ vous voyez que ces rayons se
peuvent assembler ou йcarter diversement, selon qu’ils tombent sur des superficies
qui sont courbйes diversement. Et il est temps que je commence а vous dйcrire
quelle est la structure de l’њil, afin de vous pouvoir faire entendre comment
les rayons, qui entrent dedans, s’y disposent pour causer le sentiment de la
vue. De l’њil S’il йtait possible de couper l’њil par la moitiй, sans
que les liqueurs dont il est rempli s’йcoulassent, ni qu’aucune de ses parties
changeвt de place, et que le plan de la section passвt justement par le milieu
de la prunelle, il paraоtrait tel qu’il est reprйsentй en cette figure.
ABCB est une peau assez dure et йpaisse qui compose comme
un vase rond dans lequel toutes ses parties intйrieures sont contenues. DEF est
une autre peau dйliйe, qui est tendue ainsi qu’une tapisserie au dedans de la
prйcйdente. ZH est le nerf nommй optique, qui est composй d’un grand nombre de
petits filets, dont les extrйmitйs s’йtendent en tout l’espace GHI, oщ, se
mкlant avec une infinitй de petites veines et artиres, elles composent une
espиce de chair extrкmement tendre et dйlicate, laquelle est comme une
troisiиme peau, qui couvre tout le fond de la seconde. K, L, M sont trois
sortes de glaires ou humeurs fort transparentes, qui remplissent tout l’espace
contenu au dedans de ces peaux, et ont chacune la figure, en laquelle vous la
voyez ici reprйsentйe. Et l’expйrience montre que celle
du milieu, L, qu’on nomme l’humeur cristalline, cause а peu prиs mкme rйfraction
que le verre ou le cristal ; et que les deux autres, K et M, la causent un
peu moindre, environ comme l’eau commune, en sorte que les rayons de la lumiиre
passent plus facilement par celle du milieu que par les deux autres, et encore
plus facilement par ces deux que par l’air. En la premiиre peau, la partie BCB
est transparente, et un peu plus voыtйe que le reste BAB. En la seconde, la
superficie intйrieure de la partie EF, qui regarde le fond de l’њil , est toute
noire et obscure ; et elle a au milieu un petit trou rond FF, qui est ce
qu’on nomme la prunelle, et qui paraоt si noir au milieu de l’њil , quand on le
regarde par dehors. Ce trou n’est pas toujours de mкme grandeur, et la partie
EF de la peau en laquelle il est, nageant librement en l’humeur K, qui est fort
liquide, semble кtre comme un petit muscle, qui se peut йtrйcir et йlargir а
mesure qu’on regarde des objets plus ou moins proches, ou plus ou moins
йclairйs, ou qu’on les veut voir plus ou moins distinctement. Et vous pourrez voir facilement l’expйrience de tout ceci
en l’њil d’un enfant ; car si vous lui faites regarder fixement un objet
proche, vous verrez que sa prunelle deviendra un peu plus petite que si vous
lui en faites regarder un plus йloignй, qui ne soit point avec cela plus йclairй.
Et derechef, qu’encore qu’il regarde toujours le mкme objet, il l’aura beaucoup
plus petite, йtant en une chambre fort claire, que si, en fermant la plupart
des fenкtres, on la rend fort obscure. Et enfin que, demeurant au mкme jour, et
regardant le mкme objet, s’il tвche d’en distinguer les moindres parties, sa
prunelle sera plus petite, que s’il ne le considиre que tout entier, et sans
attention. Et notez que ce mouvement doit кtre appelй volontaire, nonobstant
qu’il soit ordinairement ignorй de ceux qui le font, car il ne laisse pas pour
cela d’кtre dйpendant et de suivre de la volontй qu’ils ont de bien voir ;
ainsi que les mouvements des lиvres et de la langue, qui servent а prononcer
les paroles, se nomment volontaires, а cause qu’ils suivent de la volontй qu’on
a de parler, nonobstant qu’on ignore souvent quels ils doivent кtre pour servir
а la prononciation de chaque lettre. EN, EN sont plusieurs petit filets noirs,
qui embrassent tout autour l’humeur marquйe L, et qui, naissant aussi de la seconde
peau, en l’endroit oщ la troisiиme se termine, semblent autant de petits
tendons, par le moyen desquels cette humeur L, devenant tantфt plus voыtйe,
tantфt plus plate, selon l’intention qu’on a de regarder des objets proches ou
йloignйs, change un peu toute la figure du corps de l’њil. Et vous pouvez
connaоtre ce mouvement par expйrience : car si, lorsque vous regardez
fixement une tour ou une montagne un peu йloignйe, on prйsente un livre devant
vos yeux, vous n’y pourrez voir distinctement aucune lettre, jusques а ce que
leur figure soit un peu changйe. Enfin O, O sont six ou sept muscles attachйs а
l’њil par dehors, qui le peuvent mouvoir de tous cфtйs, et mкme aussi,
peut-кtre, en le pressant ou retirant, aider а changer sa figure. je laisse а dessein
plusieurs autres particularitйs qui se remarquent en cette matiиre, et dont les
anatomistes grossissent leurs livres ; car je crois que celles que j’ai
mises ici suffiront pour expliquer tout ce qui sert а mon sujet, et que les
autres que j’y pourrais ajouter, n’aidant en rien votre intelligence, ne
feraient que divertir votre attention. Des sens en gйnйral Mais il faut que je vous dise
maintenant quelque chose de la nature des sens en gйnйral, afin de pouvoir
d’autant plus aisйment expliquer en particulier celui de la vue. On sait dйjа
assez que c’est l’вme qui sent, et non le corps : car on voit que, lorsqu’elle
est divertie par une extase ou forte contemplation, tout le corps demeure sans
sentiment, encore qu’il ait divers objets qui le touchent. Et on sait que ce
n’est pas proprement en tant qu’elle est dans les membres qui servent d’organes
aux sens extйrieurs, qu’elle sent, mais en tant qu’elle est dans le cerveau, oщ
elle exerce cette facultй qu’ils appellent le sens commun : car on voit
des blessures et maladies qui, n’offensant que le cerveau seul, empкchent
gйnйralement tous les sens, encore que le reste du corps ne laisse point pour
cela d’кtre animй. Enfin on sait que c’est par l’entremise des nerfs que les
impressions, que font les objets dans les membres extйrieurs, parviennent
jusques а l’вme dans le cerveau : car on voit divers accidents, qui, ne
nuisant а rien qu’а quelque nerf, фtent le sentiment de toutes les parties du
corps oщ ce nerf envoie ses branches, sans rien diminuer de celui des autres.
Mais, pour savoir plus particuliиrement en quelle sorte l’вme, demeurant dans
le cerveau, peut ainsi, par l’entremise des nerfs, recevoir les impressions des
objets qui sont au dehors, il faut distinguer trois choses en ces nerfs :
а savoir, premiиrement, les peaux qui les enveloppent, et qui, prenant leur
origine de celles qui enveloppent le cerveau, sont comme de petits tuyaux
divisйs en plusieurs branches, qui se vont йpandre за et lа par tous les
membres, en mкme faзon que les veines et les artиres ; puis leur substance
intйrieure, qui s’йtend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux,
depuis le cerveau, d’oщ elle prend son origine, jusques aux extrйmitйs des
autres membres, oщ elle s’attache, en sorte qu’on peut imaginer, en chacun de
ces petits tuyaux, plusieurs de ces petits filets indйpendants les uns des
autres ; puis enfin les esprits animaux , qui sont comme un air ou un
vent trиs subtil, qui, venant des chambres ou concavitйs qui sont dans le
cerveau, s’йcoule par ces mкmes tuyaux dans les muscles. Or les anatomistes et
mйdecins avouent assez que ces trois choses se trouvent dans les nerfs ;
mais il ne me semble point qu’aucun d’eux en ait encore bien distinguй les
usages. Car, voyant que les nerfs ne servent pas seulement а donner le
sentiment aux membres, mais aussi а les mouvoir, et qu’il y a quelquefois des
paralysies qui фtent le mouvement, sans фter pour cela le sentiment, tantфt ils
ont dit qu’il y avait deux sortes de nerfs, dont les uns ne servaient que pour
les sens, et les autres que pour les mouvements, et tantфt que la facultй de
sentir йtait dans les peaux ou membranes, et que celle de mouvoir йtait dans la
substance intйrieure des nerfs : qui sont choses fort rйpugnantes а
l’expйrience et а la raison. Car qui a jamais pu remarquer aucun nerf, qui
servоt au mouvement, sans servir aussi a quelque sens ? Et comment, si
c’йtait des peaux que le sentiment dйpendоt, les diverses impressions des
objets pourraient-elles, par le moyen de ces peaux, parvenir jusques au
cerveau ? Afin donc d’йviter ces difficultйs, il faut penser que ce sont
les esprits qui, coulant par les nerfs dans les muscles, et les enflant plus ou
moins, tantфt les uns, tantфt les autres, selon les diverses faзons que le
cerveau les distribue, causent le mouvement de tous les membres ; et que
ce sont les petits filets, dont la substance intйrieure de ces nerfs est
composйe, qui servent aux sens. Et d’autant que je n’ai point ici besoin de
parler des mouvements, je dйsire seulement que vous conceviez que ces petits
filets, йtant enfermйs, comme j’ai dit, en des tuyaux qui sont toujours enflйs
et tenus ouverts par les esprits qu’ils contiennent, ne se pressent ni
empкchent aucunement les uns les autres, et sont йtendus depuis le cerveau
jusques aux extrйmitйs de tous les membres qui sont capables de quelque
sentiment, en telle sorte que, pour peu qu’on touche et fasse mouvoir l’endroit
de ces membres oщ quelqu’un d’eux est attachй, on fait aussi mouvoir au mкme
instant l’endroit du cerveau d’oщ il vient, ainsi que, tirant l’un des bouts
d’une corde qui est toute tendue, on fait mouvoir au mкme instant l’autre bout.
Car, sachant que ces filets sont ainsi enfermйs en des tuyaux, que les esprits
tiennent toujours un peu enflйs et entre-ouverts, il est aisй а entendre
qu’encore qu’ils fussent beaucoup plus dйliйs que ceux que filent les vers а
soie, et plus faibles que ceux des araignйes, ils ne laisseraient pas de se
pouvoir йtendre depuis la tкte jusques aux membres les plus йloignйs, sans кtre
en aucun hasard de se rompre, ni que les diverses situations de ces membres
empкchassent leurs mouvements. Il faut, outre cela, prendre garde а ne pas
supposer que, pour sentir, l’вme ait besoin de contempler quelques images qui
soient envoyйes par les objets jusques au cerveau, ainsi que font communйment
nos philosophes ; ou, du moins, il faut concevoir la nature de ces images
tout autrement qu’ils ne font. Car, d’autant qu’ils ne considиrent en elles
autre chose, sinon qu’elles doivent avoir de la ressemblance avec les objets
qu’elles reprйsentent, il leur est impossible de nous montrer comment elles
peuvent кtre formйes par ces objets, et reзues par les organes des sens
extйrieurs, et transmises par les nerfs jusques au cerveau. Et ils n’ont eu
aucune raison de les supposer, sinon que, voyant que notre pensйe peut
facilement кtre excitйe, par un tableau, а concevoir l’objet qui y est peint,
il leur a semblй qu’elle devait l’кtre, en mкme faзon, а concevoir ceux qui
touchent nos sens, par quelques petits tableaux qui s’en formassent en notre
tкte, au lieu que nous devons considйrer qu’il y a plusieurs autres choses que
des images, qui peuvent exciter notre pensйe ; comme, par exemple, les
signes et les paroles, qui ne ressemblent en aucune faзon aux choses qu’elles
signifient. Et si, pour ne nous йloigner que le moins qu’il est possible des
opinions dйjа reзues, nous aimons mieux avouer que les objets que nous sentons
envoient vйritablement leurs images jusques au dedans de notre cerveau, il faut
au moins que nous remarquions qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout
ressembler aux objets qu’elles reprйsentent : car autrement il n’y aurait
point de distinction entre l’objet et son image : mais qu’il suffit
qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent mкme, que leur
perfection dйpend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles
pourraient faire. Comme vous voyez que les tailles-douces, n’йtant faites que
d’un eu d’encre posйe за et lа sur du papier, nous reprйsentent es forкts, des
villes, des hommes, et mкme des batailles et des tempкtes, bien que, d’une
infinitй de diverses qualitйs qu’elles nous font concevoir en ces objets, il
n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la
ressemblance ; et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que,
sur une superficie toute plate, elles nous reprйsentent des corps diversement
relevйs et enfoncйs, et que mкme, suivant les rиgles de la perspective, souvent
elles reprйsentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres
cercles ; et des carrйs par des losanges que par d’autres carrйs ; et
ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour кtre plus
parfaites en qualitй d’images, et reprйsenter mieux un objet, elles doivent ne
lui pas ressembler. Or il faut que nous pensions tout le mкme des images qui se
forment en notre cerveau, et que nous remarquions qu’il est seulement question
de savoir comment elles peuvent donner moyen а l’вme de sentir toutes les
diverses qualitйs des objets auxquels elles se rapportent, et non point comment
elles ont en soi leur ressemblance. Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons
parlй ci-dessus, touche quelques corps de son bвton, il est certain que ces
corps n’envoient autre chose jusques а lui, sinon que, faisant mouvoir
diversement son bвton selon les diverses qualitйs qui sont en eux, ils meuvent
par mкme moyen les nerfs de sa main, et ensuite les endroits de son cerveau
d’oщ viennent ces nerfs ; ce qui donne occasion а son вme de sentir tout
autant de diverses qualitйs en ces corps, qu’il se trouve de variйtйs dans les
mouvements qui sont causйs par eux en son cerveau. Des images qui se forment sur le
fond de l’њil Vous voyez donc assez que, pour sentir, l’вme n’a pas
besoin de contempler aucunes images qui soient semblables aux choses qu’elle
sent ; mais cela n’empкche pas qu’il ne soit vrai que les objets que nous
regardons en impriment d’assez parfaites dans le fond de nos yeux ; ainsi
que quelques-uns ont dйjа trиs ingйnieusement expliquй , par la
comparaison de celles qui paraissent dans une chambre, lorsque l’ayant toute
fermйe, rйservй un seul trou et ayant nus au-devant de ce trou un verre en
forme de lentille, on йtend derriиre, а certaine distance, un linge blanc, sur
qui la lumiиre, qui vient des objets de dehors, forme ces images. Car ils
disent que cette chambre reprйsente l’њil ; ce trou, la prunelle ; ce
verre, l’humeur cristalline, ou plutфt toutes celles des parties de l’њil qui
causent quelque rйfraction ; et ce linge, la peau intйrieure, qui est
composйe des extrйmitйs du nerf optique.
Mais vous en pourrez кtre encore plus certain, si, prenant
l’њil d’un homme fraоchement mort, ou, au dйfaut, celui d’un bњuf ou de quelque
autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui
l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure
dйcouverte, sans qu’il y ait rien d’elle pour cela qui se rйpande ; puis,
l’ayant recouverte de quelque corps blanc, qui soit si dйliй que le jour passe
au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un
њuf, RST, que vous mettiez cet њil dans le trou d’une fenкtre fait exprиs,
comme Z, en sorte qu’il ait le devant, BCD, tournй vers quelque lieu oщ il y
ait divers objets, comme V, X, Y, йclairйs par le soleil ; et le derriиre,
oщ est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre, P, oщ vous serez, et
en laquelle il ne doit entrer aucune lumiиre, que celle qui pourra pйnйtrer au
travers de cet њil , dont vous savez que toutes les parties, depuis C jusques а
S, sont transparentes. Car, cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST,
vous y verrez, non peut-кtre sans admiration et plaisir, une peinture, qui
reprйsentera fort naпvement en perspective tous les objets qui seront au dehors
vers VXY, au moins si vous faites en sorte que cet њil retienne sa figure
naturelle, proportionnйe а la distance de ces objets : car, pour peu que
vous le pressiez plus ou moins que de raison, cette peinture en deviendra moins
distincte. Et il est а remarquer qu’on doit le presser un peu davantage, et
tendre sa figure un peu plus longue, lorsque les objets sont fort proches, que
lorsqu’ils sont plus йloignйs. Mais il est besoin que j’explique ici plus au
long comment se forme cette peinture ; car je pourrai, par mкme moyen,
vous faire entendre plusieurs choses qui appartiennent а la vision. Considйrez donc, premiиrement,
que, de chaque point des objets V, X, Y, il entre en cet њil autant de rayons,
qui pйnиtrent jusques au corps blanc RST, que l’ouverture de la prunelle FF en
peut comprendre, et que, suivant ce qui a йtй dit ici dessus, tant de la nature
de la rйfraction que de celle des trois humeurs K, L, M, tous ceux de ces
rayons, qui viennent d’un mкme point, se courbent en traversant les trois
superficies BCD, 123 et 456, en la faзon qui est requise pour se rassembler
derechef environ vers un mкme point. Et il faut remarquer qu’afin que la
peinture, dont il est ici question, soit la plus parfaite qu’il est possible,
les figures de ces trois superficies doivent кtre telles que tous les rayons,
qui viennent de l’un des points des objets, se rassemblent exactement en l’un
des points du corps blanc RST. Comme vous voyez ici que ceux du point X
s’assemblent au point S ; en suite de quoi ceux qui viennent du point V
s’assemblent aussi а peu prиs au point R ; et ceux du point Y, au point T.
Et que, rйciproquement, il ne vient aucun rayon vers S, que du point X ;
ni quasi aucun vers R, que du point V ; ni vers T, que du point Y, et
ainsi des autres. Or cela posй, si vous vous souvenez de ce qui a йtй dit
ci-dessus de la lumiиre et des couleurs en gйnйral, et en particulier des corps
blancs, il vous sera facile а entendre, qu’йtant enfermй dans la chambre P, et
jetant vos yeux sur le corps blanc RST, vous y devez voir la ressemblance des
objets V, X, Y. Car, premiиrement, la lumiиre, c’est-а-dire le mouvement ou
l’action dont le soleil, ou quelque autre des corps qu’on nomme lumineux,
pousse une certaine matiиre fort subtile qui se trouve en tous les corps
transparents, йtant repoussйe vers R par l’objet V, que je suppose, par
exemple, кtre rouge, c’est-а-dire, кtre disposй а faire que les petites parties
de cette matiиre subtile, qui ont йtй seulement poussйes en lignes droites par
les corps lumineux, se meuvent aussi en rond autour de leurs centres, aprиs les
avoir rencontrйs, et que leurs deux mouvements aient entre eux la proportion
qui est requise pour faire sentir la couleur rouge ; il est certain que
l’action de ces deux mouvements, ayant rencontrй au point R un corps
blanc , c’est-а-dire un corps disposй а la renvoyer vers tout autre cфtй
sans la changer, doit de lа se rйflйchir vers vos yeux par les pores de ce
corps, que j’ai supposй а cet effet fort dйliй, et comme percй а jour de tous
cфtйs, et ainsi vous faire voir le point R de couleur rouge. Puis, la lumiиre
йtant aussi repoussйe de l’objet X, que je suppose jaune, vers S ; et d’Y,
que je suppose bleu, vers T, d’oщ elle est portйe vers vos yeux ; elle
vous doit faire paraоtre S de couleur jaune, et T de couleur bleue. Et ainsi les
trois points R, S, T, paraissant des mкmes couleurs, et gardant entre eux le
mкme ordre que les trois V, X, Y, en ont manifestement la ressemblance. Et la
perfection de cette peinture dйpend principalement de trois choses : а
savoir de ce que, la prunelle de l’њil ayant quelque grandeur, il y entre
plusieurs rayons de chaque point de l’objet, comme ici XB14S, XC25S, XD36S, et
tout autant d’autres qu’on en puisse imaginer entre ces trois, y viennent du
seul point X ; et de ce que ces rayons souffrent dans l’њil de telles
rйfractions, que ceux qui viennent de divers points se rassemblent а peu prиs
en autant d’autres divers points sur le corps blanc RST ; et enfin de ce
que, tant les petits filets EN que le dedans de la peau EF йtant de couleur
noire, et la chambre P toute fermйe et obscure, il ne vient d’ailleurs que des
objets V, X, Y, aucune lumiиre qui trouble l’action de ces rayons. Car, si la
prunelle йtait si йtroite, qu’il ne passвt qu’un seul rayon de chaque point de
l’objet vers chaque point du corps RST, il n’aurait pas assez de force pour se
rйflйchir de lа dans la chambre P, vers vos yeux. Et la prunelle йtant un peu
grande, s’il ne se faisait dans l’њil aucune rйfraction, les rayons qui
viendraient de chaque point des objets, s’йpandraient за et lа en tout l’espace
RST, en sorte que, par exemple, les trois points V, X, Y enverraient trois
rayons vers R, qui, se rйflйchissant de lа tous ensemble vers vos yeux, vous
feraient paraоtre ce point R d’une couleur moyenne entre le rouge, le jaune et
le bleu, et tout semblable aux points S et T, vers lesquels les mкmes points V.
X, Y enverraient aussi chacun un de leurs rayons. Et il arriverait aussi quasi
le mкme, si la rйfraction qui se fait en l’њil йtait plus ou moins grande
qu’elle ne doit, а raison de la grandeur de cet њil : car, йtant trop grande,
les rayons qui viendraient, par exemple, du point X, s’assembleraient avant que
d’кtre parvenus jusques а S, comme vers M ; et, au contraire, йtant trop
petite, ils ne s’assembleraient qu’au delа, comme vers P ; si bien qu’ils
toucheraient le corps blanc RST en plusieurs points, vers lesquels il viendrait
aussi d’autres rayons des autres parties de l’objet. Enfin, si les corps EN, EF
n’йtaient noirs, c’est-а-dire disposйs а faire que la lumiиre qui donne de
contre s’y amortisse, les rayons qui viendraient vers eux du corps blanc RST,
pourraient de lа retourner, ceux de T, vers S et vers R ; ceux de R, vers
T et vers S ; et ceux de S, vers R et vers T : au moyen de quoi ils
troubleraient l’action les uns des autres ; et le mкme feraient aussi les
rayons qui viendraient de la chambre P vers RST, s’il y avait quelque autre
lumiиre en cette chambre, que celle qu’y envoient les objets V, X, Y. Mais, aprиs vous avoir parlй des
perfections de cette peinture, il faut aussi que je vous fasse considйrer ses
dйfauts, dont le premier et le principal est que, quelques figures que puissent
avoir les parties de l’њil, il est impossible qu’elles fassent que les rayons
qui viennent de divers points, s’assemblent tous en autant d’autres divers
points, et que tout le mieux qu’elles puissent faire c’est seulement que tous
ceux qui viennent de quelque point, comme d’X, s’assemblent en un autre point,
comme S, dans le milieu du fond de l’њil ; en quel cas il n’y en peut
avoir que quelques-uns de ceux du point V, qui s’assemblent justement au point
R, ou du point Y, qui s’assemblent justement au point T ; et les autres
s’en doivent йcarter quelque peu, tout а l’entour, ainsi que j’expliquerai
ci-aprиs. Et ceci est cause que cette peinture n’est jamais si distincte vers
ses extrйmitйs qu’au milieu, comme il a йtй assez remarque par ceux qui ont
йcrit de l’optique. Car c’est pour cela qu’ils ont dit que la vision se fait
principalement suivant la ligne droite, qui passe par les centres de l’humeur cristalline
et de la prunelle, telle qu’est ici la ligne XKLS, qu’ils nomment l’essieu de
la vision. Et notez que les rayons, par exemple, ceux qui viennent du point V,
s’йcartent autour du point R, d’autant plus que l’ouverture de la prunelle est
plus grande ; et ainsi que, si sa grandeur sert а rendre les couleurs de
cette peinture plus vives et plus fortes, elle empкche en revanche que ces
figures ne soient si distinctes, d’oщ vient qu’elle ne doit кtre que mйdiocre.
Notez aussi que ces rayons s’йcarteraient encore plus autour du point R, qu’ils
ne font, si le point V, d’oщ ils viennent, йtait beaucoup plus proche de l’њil,
comme vers 10, ou beaucoup plus йloignй, comme vers 11, que n’est X, а la
distance duquel je suppose que la figure de l’њil est proportionnйe ; de
sorte qu’ils rendraient la partie R de cette peinture encore moins distincte
qu’ils ne font. Et vous entendrez facilement les dйmonstrations de tout ceci,
lorsque vous aurez vu, ci-aprиs, quelle figure doivent avoir les corps
transparents, pour faire que les rayons, qui viennent d’un point, s’assemblent
en quelque autre point, aprиs les avoir traversйs. Pour les autres dйfauts de
cette peinture, ils consistent en ce que ses parties sont renversйes,
c’est-а-dire en position toute contraire а celle des objets ; et en ce
qu’elles sont apetissйes et raccourcies les unes plus, les autres moins, а
raison de la diverse distance et situation des choses qu’elles reprйsentent,
quasi en mкme faзon que dans un tableau de perspective. Comme vous voyez ici
clairement que T, qui est vers le cфtй gauche, reprйsente Y, qui est vers le
droit, et que R, qui est vers le droit, reprйsente V, qui est vers le gauche.
Et de plus, que la figure de l’objet V ne doit pas occuper plus d’espace vers
R, que celle de l’objet 10, qui est plus petit, mais plus proche ; ni
moins que celle de l’objet II, qui est plus grand, mais а proportion plus
йloignй, sinon en tant qu’elle est un peu plus distincte. Et enfin, que la
ligne droite VXY est reprйsentйe par la courbe RST. Or, ayant ainsi vu cette peinture dans l’њil d’un animal
mort, et en ayant considйrй les raisons, on ne peut douter qu’il ne s’en forme
une toute semblable en celui d’un homme vif, sur la peau intйrieure, en la
place de laquelle nous avions substituй le corps blanc RST ; et mкme
qu’elle ne s’y forme beaucoup mieux, а cause que ses humeurs, йtant pleines
d’esprits, sont plus transparentes, et ont plus exactement la figure qui est
requise а cet effet. Et peut-кtre aussi qu’en l’њil d’un bњuf la figure de la
prunelle, qui n’est pas ronde, empкche que cette peinture n’y soit si parfaite.
On ne peut douter non plus que
les images qu’on fait paraоtre sur un linge blanc, dans une chambre obscure, ne
s’y forment tout de mкme et pour la mкme raison qu’au fond de l’њil ;
mкme, а cause qu’elles y sont ordinairement beaucoup plus grandes, et s’y
forment en plus de faзons, on y peut plus commodйment remarquer diverses
particularitйs, dont je dйsire ici vous avertir, afin que vous en fassiez
l’expйrience, si vous ne l’avez encore jamais faite. Voyez donc, premiиrement,
que, si on ne met aucun verre au-devant du trou qu’on aura fait en cette
chambre, il paraоtra bien quelques images sur le linge, pourvu que le trou soit
fort йtroit, mais qui seront fort confuses et imparfaites, et qui le seront
d’au tant plus, que ce trou sera moins йtroit ; et qu’elles seront aussi
d’autant plus grandes, qu’il y aura plus de distance entre lui et le linge, en
sorte que leur grandeur doit avoir, а peu prиs, mкme proportion avec cette
distance, que la grandeur des objets, qui les causent, avec la distance qui est
entre eux et ce mкme trou. Comme il est йvident que, si ACB est l’objet, D le
trou, et EFG l’image, EG est а FD comme AB est а CD. Puis, ayant nus un verre
en forme de lentille au-devant de ce trou, considйrez qu’il y a certaine
distance dйterminйe, а laquelle tenant le linge, les images paraissent fort
distinctes, et que, pour peu qu’on l’йloigne ou qu’on l’approche davantage du
verre, elles commencent а l’кtre moins. Et que cette distance doit кtre mesurйe
par l’espace qui est, non pas entre le linge et le trou, mais entre le linge et
le verre : en sorte que, si l’on met le verre un peu au delа du trou de
part ou d’autre, le linge en doit aussi кtre d’autant approchй ou reculй. Et
qu’elle dйpend en partie de la figure de ce verre, et en partie aussi de
l’йloignement des objets : car, en laissant l’objet en mкme lieu, moins
les superficies du verre sont courbйes, plus le linge en doit кtre йloignй, et
en se servant du mкme verre, si les objets en sont fort proches, il en faut
tenir le linge un peu plus loin, que s’ils en sont plus йloignйs. Et que de
cette distance dйpend la grandeur des images, quasi en mкme faзon que lorsqu’il
n’y a point de verre au-devant du trou. Et que ce trou peut кtre beaucoup plus
grand, lorsqu’on y met un verre, que lorsqu’on le laisse tout vide, sans que
les images en soient pour cela de beaucoup moins distinctes. Et que, plus il
est grand, plus elles paraissent claires et illuminйes : en sorte que, si
on couvre une partie de ce verre, elles paraоtront bien plus obscures
qu’auparavant, mais qu’elles ne laisseront pas pour cela d’occuper autant
d’espace sur le linge. Et que, plus ces images sont grandes et claires, plus elles
se voient parfaitement : en sorte que, si on pouvait aussi faire un њil ,
dont la profondeur fыt fort grande, et la prunelle fort large, et que les
figures de celles de ses superficies qui causent quelque rйfraction, fussent
proportionnйes а cette grandeur, les images s’y formeraient d’autant plus
visibles. Et que, si ayant deux ou plusieurs verres en forme de lentilles, mais
assez plats, on les joint l’un contre l’autre, ils auront а peu prиs le mкme
effet qu’aurait un seul, qui serait autant voыtй ou convexe qu’eux deux
ensemble ; car le nombre des superficies oщ se font les rйfractions n’y
fait pas grand chose. Mais que, si on йloigne ces verres а certaines distances
les uns des autres, le second pourra redresser l’image que le premier aura renversйe,
et le troisiиme la renverser derechef, et ainsi de suite. Qui sont toutes
choses dont les raisons sont fort aisйes а dйduire de ce que j’ai dit, et elles
seront bien plus vфtres, s’il vous faut user d’un peu de rйflexion pour les
concevoir, que si vous les trouviez ici mieux expliquйes.
Au reste, les images des objets
ne se forment pas seulement ainsi au fond de l’њil, mais elles passent encore
au-delа jusques au cerveau, comme vous entendrez facilement, si vous pensez
que, par exemple, les rayons qui viennent dans l’њil de l’objet V touchent au
point R l’extrйmitй de l’un des petits filets du nerf optique, qui prend son
origine de l’endroit 7 de la superficie intйrieure du cerveau 789 ; et
ceux de l’objet X touchent au point S l’extrйmitй d’un autre de ces filets,
dont le commencement est au point 8 ; et ceux de l’objet Y en touchent un
autre au point T, qui rйpond а l’endroit du cerveau marquй 9, et ainsi des
autres. Et que, la lumiиre n’йtant autre chose qu’un mouvement, ou une action
qui tend а causer quelque mouvement, ceux de ses rayons qui viennent de V vers
R, ont la force de mouvoir tout le filet R7, et par consйquent l’endroit du
cerveau marquй 7 ; et ceux qui viennent d’X vers S, de mouvoir tout le
nerf S8, et mкme de le mouvoir d’autre faзon que n’est mы R7, а cause que les
objets X et V sont de deux diverses couleurs ; et ainsi, que ceux qui
viennent d’Y, meuvent le point 9. D’oщ il est manifeste qu’il se forme derechef
une peinture 789, assez semblable aux objets V, X, Y, en la superficie
intйrieure du cerveau qui regarde ses concavitйs. Et de lа je pourrais encore
la transporter jusques а une certaine petite glande, qui se trouve environ le
milieu de ces concavitйs, et est proprement le siиge du sens commun . Mкme
je pourrais, encore plus outre, vous montrer comment quelquefois elle peut
passer de lа par les artиres d’une femme enceinte, jusques а quelque membre
dйterminй de l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, et y former ces marques
d’envie, qui causent tant d’admiration а tous les Doctes. De la vision Or, encore que cette peinture, en passant ainsi jusques au
dedans de notre tкte, retienne toujours quelque chose de la ressemblance des
objets dont elle procиde, il ne se faut point toutefois persuader, ainsi que je
vous ai dйjа tantфt assez fait entendre, que ce soit par le moyen de cette
ressemblance qu’elle fasse que nous les sentons, comme s’il y avait derechef
d’autres yeux en notre cerveau, avec lesquels nous la pussions
apercevoir ; mais plutфt, que ce sont les mouvements par lesquels elle est
composйe, qui, agissant immйdiatement contre notre вme, d’autant qu’elle est
unie а notre corps, sont instituйs de la Nature pour lui faire avoir de tels
sentiments. Ce que je vous veux ici expliquer plus en dйtail. Toutes les
qualitйs que nous apercevons dans les objets de la vue, peuvent кtre rйduites а
six principales, qui sont : la lumiиre, la couleur, la situation, la
distance, la grandeur, et la figure. Et premiиrement, touchant la lumiиre et la
couleur, qui seules appartiennent proprement au sens de la vue, il faut penser
que notre вme est de telle nature que la force des mouvements, qui se trouvent
dans les endroits du cerveau d’oщ viennent les petits filets des nerfs
optiques, lui fait avoir le sentiment de la lumiиre ; et la faзon de ces
mouvements, celui de la couleur : ainsi que les mouvements des nerfs qui
rйpondent aux oreilles lui font ouпr les sons ; et ceux des nerfs de la
langue lui font goыter les saveurs ; et, gйnйralement, ceux des nerfs de
tout le corps lui font sentir quelque chatouillement, quand ils sont modйrйs,
et quand ils sont trop violents, quelque douleur ; sans qu’il doive, en
tout cela, y avoir aucune ressemblance entre les idйes qu’elle conзoit, et les
mouvements qui causent ces idйes. Ce que vous croirez facilement, si vous
remarquez qu’il semble а ceux qui reзoivent quelque blessure dans l’њil, qu’ils
voient une infinitй de feux et d’йclairs devant eux, nonobstant qu’ils ferment
les yeux, ou bien qu’ils soient en lieu fort obscur ; en sorte que ce
sentiment ne peut кtre attribuй qu’а la seule force du coup, laquelle meut les
petits filets du nerf optique, ainsi que ferait une violente lumiиre ; et
cette mкme force, touchant les oreilles, pourrait faire ouпr quelque son ;
et touchant le corps en d’autres parties, y faire sentir de la douleur. Et ceci se confirme aussi de ce
que, si quelquefois on force ses yeux а regarder le soleil, ou quelque autre
lumiиre fort vive, ils en retiennent, aprиs un peu de temps, l’impression en
telle sorte que, nonobstant mкme qu’on les tienne fermйs, il semble qu’on voie
diverses couleurs, qui se changent et passent de l’une а l’autre, а mesure
qu’elles s’affaiblissent : car cela ne peut procйder que de ce que les
petits filets du nerf optique, ayant йtй mus extraordinairement fort, ne se
peuvent arrкter sitфt que de coutume. Mais l’agitation, qui est encore en eux
aprиs que les yeux sont fermйs, n’йtant plus assez grande pour reprйsenter
cette forte lumiиre qui l’a causйe, reprйsente des couleurs moins vives. Et ces
couleurs se changent en s’affaiblissant, ce qui montre que leur nature ne
consiste qu’en la diversitй du mouvement, et n’est point autre que je l’ai
ci-dessus supposйe. Et enfin ceci se manifeste de ce que les couleurs
paraissent souvent en des corps transparents, oщ il est certain qu’il n’y a
rien qui les puisse causer, que les diverses faзons dont les rayons de la lumiиre
y sont reзus, comme lorsque l’arc-en-ciel paraоt dans les nues, et encore plus
clairement, lorsqu’on en voit la ressemblance dans un verre qui est taillй а
plusieurs faces.
Mais il faut ici particuliиrement considйrer en quoi
consiste la quantitй de la lumiиre qui se voit, c’est-а-dire, de la force dont
est mы chacun des petits filets du nerf optique : car elle n’est pas
toujours йgale а la lumiиre qui est dans les objets, mais elle varie а raison de
leur distance et de la grandeur de la prunelle, et aussi а raison de l’espace
que les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, peuvent occuper au
fond de l’њil. Comme, par exemple, il est manifeste que le point X enverrait
plus de rayons dans l’њil B qu’il ne fait, si la prunelle FF йtait ouverte
jusques а G ; et qu’il en envoie tout autant en cet њil B qui est proche
de lui, et dont la prunelle est fort йtroite, qu’il fait en l’њil A, dont la
prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est а proportion plus йloignйe. Et
encore qu’il n’entre pas plus de rayons des divers points de l’objet VXY,
considйrйs tous ensemble, dans le fond de l’њil A que dans celui de l’њil B,
toutefois, parce que ces rayons ne s’y йtendent qu’en l’espace TR, qui est plus
petit que n’est HI, dans lequel ils s’йtendent au fond de l’њil B, ils y
doivent agir avec plus de force contre chacune des extrйmitйs du nerf qu’ils y
touchent : ce qui est fort aisй а calculer. Car si, par exemple, l’espace
HI est quadruple de TR, et qu’il contienne les extrйmitйs de quatre mille des
petits filets du nerf optique, TR ne contiendra que celles de mille, et par
consйquent chacun de ces petits filets sera mы, dans le fond de l’њil A, par la
milliиme partie des forces qu’ont tous les rayons qui y entrent, jointes
ensemble, et, dans le fond de l’њil B, par le quart de la milliиme partie
seulement. Il faut aussi considйrer qu’on ne peut discerner les parties des
corps qu’on regarde, qu’en tant qu’elles diffиrent en quelque faзon de couleur ;
et que la vision distincte de ces couleurs ne dйpend pas seulement de ce que
tous les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, se rassemblent а peu
prиs en autant d’autres divers points au fond de l’њil, et de ce qu’il n’en
vient aucuns autres d’ailleurs vers ces mкmes points, ainsi qu’il a йtй tantфt
amplement expliquй ; mais aussi de la multitude des petits filets du nerf
optique, qui sont en l’espace qu’occupe l’image au fond de l’њil. Car si, par
exemple, l’objet VXY est composй de dix mille parties, qui soient disposйes а
envoyer des rayons vers le fond de l’њil RST, en dix mille faзons diffйrentes,
et par consйquent а faire voir en mкme temps dix mille couleurs, elles n’en
pourront nйanmoins faire distinguer а l’вme que mille tout au plus, si nous supposons
qu’il n’y ait que mille des filets du nerf optique en l’espace RST ;
d’autant que dix des parties de l’objet, agissant ensemble contre chacun de ces
filets, ne le peuvent mouvoir que d’une seule faзon, composйe de toutes celles
dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne
doit кtre considйrй que comme un point. Et c’est ce qui fait que souvent
une prairie, qui sera peinte d’une infinitй de couleurs toutes diverses, ne
paraоtra de loin que toute blanche, ou toute bleue ; et, gйnйralement, que
tous les corps se voient moins distinctement de loin que de prиs ; et
enfin que, plus on peut faire que l’image d’un mкme objet occupe d’espace au
fond de l’њil, plus il peut кtre vu distinctement. Ce qui sera ci-aprиs fort а
remarquer. Pour la situation, c’est-а-dire le cфtй vers lequel est
posйe chaque partie de l’objet au respect de notre corps, nous ne l’apercevons
pas autrement par l’entremise de nos yeux que par celle de nos mains ; et
sa connaissance ne dйpend d’aucune image, ni d’aucune action qui vienne de
l’objet, mais seulement de la situation des petites parties du cerveau d’oщ les
nerfs prennent leur origine. Car cette situation, se changeant tant soit peu, а
chaque fois que se change celle des membres oщ ces nerfs sont insйrйs, est
instituйe de la Nature pour faire, non seulement que l’вme connaisse en quel
endroit est chaque partie du corps qu’elle anime, au respect de toutes les
autres ; mais aussi qu’elle puisse transfйrer de lа son attention а tous
les lieux contenus dans les lignes droites qu’on peut imaginer кtre tirйes de
l’extrйmitй de chacune de ces parties, et prolongйes а l’infini.
Comme, lorsque l’aveugle, dont
nous avons dйjа tant parlй ci-dessus, tourne sa main A vers E, ou C aussi vers
E, les nerfs insйrйs en cette main causent un certain changement en son cerveau
qui donne moyen а son вme de connaоtre, non seulement le lieu A ou C, mais
aussi tous les autres qui sont en la ligne droite AE ou CE, en sorte qu’elle
peut porter son attention jusques aux objets B et D, et dйterminer les lieux oщ
ils sont, sans connaоtre pour cela ni penser aucunement а ceux oщ sont ses deux
mains. Et ainsi, lorsque notre њil ou notre tкte se tournent vers quelque cфtй,
notre вme en est avertie par le changement que les nerfs insйrйs dans les
muscles, qui servent а ces mouvements, causent en notre cerveau. Comme ici, en l’њil RST, il faut
penser que la situation du petit filet optique, qui est au point R, ou S, ou T,
est suivie d’une autre certaine situation de la partie du cerveau 7, ou 8, ou
9, qui fait que l’вme peut connaоtre tous les lieux qui sont en la ligne RV, ou
SX, ou TY. De faзon que vous ne devez pas trouver йtrange que les objets
puissent кtre vus en leur vraie situation, nonobstant que la peinture, qu’ils
impriment dans l’њil, en ait une toute contraire : ainsi que notre aveugle
peut sentir en mкme temps l’objet B, qui est а droite, par l’entremise de sa
main gauche ; et D, qui est а gauche, par l’entremise de sa main droite.
Et comme cet aveugle ne juge point qu’un corps soit double, encore qu’il le
touche de ses deux mains, ainsi, lorsque nos yeux sont tous deux disposйs en la
faзon qui est requise pour porter notre attention vers un mкme lieu, ils ne
nous y doivent faire voir qu’un seul objet, nonobstant qu’il s’en forme en
chacun d’eux une peinture.
La vision de la distance ne
dйpend, non plus que celle de la situation, d’aucunes images envoyйes des
objets, mais, premiиrement, de la figure du corps de l’њil ; car, comme
nous avons dit, cette figure doit кtre un peu autre, pour nous faire voir ce
qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus
йloignй, et а mesure que nous la changeons pour la proportionner а la distance
des objets, nous changeons aussi certaine partie de notre cerveau, d’une faзon
qui est instituйe de la Nature pour faire apercevoir а notre вme cette
distance. Et ceci nous arrive ordinairement sans que nous y fassions de rйflexion ;
tout de mкme que, lorsque nous serrons quelque corps de notre main, nous la
conformons а la grosseur et а la figure de ce corps, et le sentons par son
moyen, sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions а ses mouvements.
Nous connaissons, en second lieu, la distance par le rapport qu’ont les deux
yeux l’un а l’autre. Car, comme notre aveugle, tenant les deux bвtons AE, CE,
dont je suppose qu’il ignore la longueur, et sachant seulement l’intervalle qui
est entre ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de
lа, comme par une Gйomйtrie naturelle, connaоtre oщ est le point E ;
ainsi, quand nos deux yeux, RST et rst, sont tournйs vers X, la grandeur de la
ligne Ss, et celle des deux angles XSs et XsS, nous font savoir oщ est le point
X. Nous pouvons aussi le mкme par l’aide d’un њil seul, en lui faisant changer
de place : comme si, le tenant tournй vers X, nous le mettons premiиrement
au point S et incontinent aprиs au point s, cela suffira pour faire que la
grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouvent ensemble en
notre fantaisie, et nous fassent apercevoir la distance du point X : et
ce, par une action de la pensйe, qui, n’йtant qu’une imagination toute simple,
ne laisse point d’envelopper en soi un raisonnement tout semblable а celui que
font les arpenteurs, lorsque, par le moyen de deux diffйrentes stations, ils
mesurent les lieux inaccessibles. Nous avons encore une autre faзon
d’apercevoir la distance, а savoir par la distinction ou confusion de la figure,
et ensemble par la force ou dйbilitй de la lumiиre. Comme, pendant que nous
regardons fixement vers X, les rayons qui viennent des objets 10 et 12, ne
s’assemblent pas si exactement vers R et vers T, au fond de notre њil , que si
ces objets йtaient aux points V et Y ; d’oщ nous voyons qu’ils sont plus
йloignйs, ou plus proches de nous, que n’est X. Puis, de ce que la lumiиre, qui
vient de l’objet 10 vers notre њil , est plus forte que si cet objet йtait vers
V, nous le jugeons кtre plus proche ; et de ce que celle qui vient de
l’objet 12 est plus faible que s’il йtait vers Y, nous le jugeons plus йloignй.
Enfin, quand nous imaginons dйjа d’ailleurs la grandeur d’un objet, ou sa
situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la
force de la lumiиre qui vient de lui, cela nous peut servir, non pas proprement
а voir, mais а imaginer sa distance. Comme, regardant de loin quelque corps,
que nous avons accoutumй de voir de prиs, nous en jugeons bien mieux
l’йloignement, que nous ne ferions si sa grandeur nous йtait moins connue. Et
regardant une montagne exposйe au soleil, au delа d’une forкt couverte d’ombre,
ce n’est que la situation de cette forкt, qui nous la fait juger la plus
proche. Et regardant sur mer deux vaisseaux, dont l’un soit plus petit que
l’autre, mais plus proche а proportion, en sorte qu’ils paraissent йgaux, nous
pourrons, par la diffйrence de leurs figures et de leurs couleurs, et de la
lumiиre qu’ils envoient vers nous, juger lequel sera le plus loin.
Au reste, pour la faзon dont nous
voyons la grandeur et la figure des objets, je n’ai pas besoin d’en rien dire
de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise en celle dont nous voyons
la distance et la situation de leurs parties. A savoir, leur grandeur s’estime
par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de leur distance, comparйe avec la
grandeur des images qu’ils impriment au fond de l’њil ; et non pas
absolument par la grandeur de ces images, ainsi qu’il est assez manifeste de ce
que, encore qu’elles soient, par exemple, cent fois plus grandes, lorsque les
objets sont fort proches de nous, que lorsqu’ils en sont dix fois plus
йloignйs, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grands,
mais presque йgaux, au moins si leur distance ne nous trompe. Et il est manifeste aussi que la
figure se juge par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de la situation des
diverses parties des objets, et non par la ressemblance des peintures qui sont
dans l’њil : car ces-peintures ne contiennent ordinairement que des ovales
et des losanges lorsqu’elles nous font voir des cercles et des carrйs. Mais, afin que vous ne puissiez
aucunement douter que la vision ne se fasse ainsi que je l’ai expliquйe, je
vous veux faire encore ici considйrer les raisons pourquoi il arrive
quelquefois qu’elle nous trompe. Premiиrement, а cause que c’est l’вme qui
voit, et non pas l’њil, et qu’elle ne voit immйdiatement que par l’entremise du
cerveau, de lа vient que les frйnйtiques , et ceux qui dorment, voient
souvent, ou pensent voir, divers objets qui ne sont point pour cela devant
leurs yeux : а savoir quand quelques vapeurs, remuant leur cerveau,
disposent celles de ses parties qui ont coutume de servir а la vision, en mкme
faзon que feraient ces objets, s’ils йtaient prйsents. Puis, а cause que les
impressions, qui viennent de dehors, passent vers le sens commun par
l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque
cause extraordinaire, elle peut faire voir les objets en d’autres lieux qu’ils
ne sont. Comme si l’њil rst, йtant disposй de soi а regarder vers X, est
contraint par le doigt N а se tourner vers M, les parties du cerveau d’oщ
viennent ses nerfs, ne se disposent pas tout а fait en mкme sorte que si
c’йtaient ses muscles qui le tournassent vers M ; ni aussi en mкme sorte
que s’il regardait vйritablement vers X ; mais d’une faзon moyenne entre
ces deux, а savoir, comme s’il regardait vers Y ; et ainsi l’objet M paraоtra
au lieu oщ est Y, par l’entremise de cet њil, et Y au lieu oщ est X, et X au
lieu oщ est V, et ces objets paraissant aussi en mкme temps en leurs vrais
lieux, par l’entremise de l’autre њil RST, ils sembleront doubles.
En mкme faзon que, touchant la petite boule G des deux
doigts A et D croisйs l’un sur l’autre, on en pense toucher deux ; а cause
que, pendant que ces doigts se retiennent l’un l’autre ainsi croisйs, les
muscles de chacun d’eux tendent а les йcarter, A vers C, et D vers F, au moyen
de quoi les parties du cerveau d’oщ viennent les nerfs qui sont insйrйs en ces
muscles, se trouvent disposйes en la faзon qui est requise pour faire qu’ils
semblent кtre, A vers B, et D vers E, et par consйquent y toucher deux diverses
boules, H et I. De plus, а cause que nous sommes accoutumйs de juger que les
impressions, qui meuvent notre vue, viennent des lieux vers lesquels nous
devons regarder pour les sentir, quand il arrive qu’elles viennent d’ailleurs,
nous y pouvons facilement кtre trompйs.
Comme ceux qui ont les yeux
infectйs de la jaunisse, ou bien qui regardent au travers d’un verre jaune, ou
qui sont enfermйs dans une chambre oщ il n’entre aucune lumiиre que par de tels
verres, attribuent cette couleur а tous les corps qu’ils regardent. Et celui
qui est dans la chambre obscure que j’ai tantфt dйcrite, attribue au corps
blanc RST les couleurs des objets V, X, Y, а cause que c’est seulement vers lui
qu’il dresse sa vue. Et les yeux A, B, C, D, E, F, voyant les objets T, V, X,
Y, Z, etc. au travers des verres N, O, P, et dans les miroirs Q, R, S, les
jugent кtre aux points G, H, I, K, L, M ; et V, Z кtre plus petits, et X,
etc. plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussi X, etc. plus petits et
avec cela renversйs, а savoir, lorsqu’ils sont un peu loin des yeux C, F,
d’autant que ces verres et ces miroirs dйtournent les rayons qui viennent de
ces objets, en telle sorte que ces yeux ne les peuvent voir distinctement, qu’en
se disposant comme ils doivent кtre pour regarder vers les points G, H, I, K,
L, M, ainsi que connaоtront facilement ceux qui prendront la peine de
l’examiner. Et ils verront, par mкme moyen, combien les anciens se sont abusйs
en leur Catoptrique , lorsqu’ils ont voulu dйterminer le lieu des images
dans les miroirs creux et convexes. Il est aussi а remarquer que tous les
moyens qu’on a pour connaоtre la distance sont fort incertains : car,
quant а la figure de l’њil, elle ne varie quasi plus sensiblement, lorsque
l’objet est а plus de quatre ou cinq pieds loin de lui, et mкme elle varie si
peu lorsqu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connaissance bien
prйcise. Et pour les angles compris entre les lignes tirйes des deux yeux l’un
а l’autre et de lа vers l’objet, ou de deux stations d’un mкme њil , ils
ne varient aussi presque plus, lorsqu’on regarde tant soit peu loin. Ensuite de
quoi notre sens commun mкme ne semble pas кtre capable de recevoir en soi
l’idйe d’une distance plus grande qu’environ de cent ou deux cents pieds, ainsi
qu’il se peut vйrifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des
corps les plus йloignйs que nous puissions voir, et dont les diamиtres sont а
leur distance а peu prиs comme un а cent, n’ont coutume de nous paraоtre que
d’un ou deux pieds de diamиtre tout au plus, nonobstant que nous sachions
assez, par raison, qu’ils sont extrкmement grands et extrкmement йloignйs. Car
cela ne nous arrive pas faute de les pouvoir concevoir plus grands que nous ne
faisons, vu que nous concevons bien des tours et des montagnes beaucoup plus
grandes, mais parce que, ne les pouvant concevoir plus йloignйs que de cent ou
deux cents pieds, il suit de lа que leur diamиtre ne nous doit paraоtre que
d’un ou de deux pieds. En quoi la situation aide aussi а nous tromper ;
car ordinairement ces astres semblent plus petits, lorsqu’ils sont fort hauts
vers le midi, que lorsque, se levant ou se couchant, il se trouve divers objets
entre eux et nos yeux, qui nous font mieux remarquer leur distance. Et les astronomes йprouvent
assez, en les mesurant avec leurs instruments, que ce qu’ils paraissent ainsi
plus grands une fois que l’autre, ne vient point de ce qu’ils se voient sous un
plus grand angle, mais de ce qu’ils se jugent plus йloignйs ; d’oщ il suit
que l’axiome de l’ancienne optique, qui dit que la grandeur apparente des
objets est proportionnйe а celle de l’angle de la vision, n’est pas toujours
vrai. On se trompe aussi en ce que les corps blancs ou lumineux, et gйnйralement
tous ceux qui ont beaucoup de force pour mouvoir le sens de la vue, paraissent
toujours quelque peu plus proches et plus grands qu’ils ne feraient, s’ils en
avaient moins. Or la raison qui les fait paraоtre plus proches, est que le
mouvement dont la prunelle s’йtrйcit pour йviter la force de leur lumiиre, est
tellement joint avec celui qui dispose tout l’њil а voir distinctement les
objets proches, et par lequel on juge de leur distance, que l’un ne se peut
guиre faire, sans qu’il se fasse aussi un peu de l’autre : en mкme faзon
qu’on ne peut fermer entiиrement les deux premiers doigts de la main, sans que
le troisiиme se courbe aussi quelque peu, comme pour se fermer avec eux. Et la
raison pourquoi ces corps blancs ou lumineux paraissent plus grands, ne consiste
pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur dйpend de celle de
leur distance, mais aussi en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans
le fond de l’њil. Car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf
optique qui le couvrent, encore que trиs petits, ont nйanmoins quelque
grosseur ; en sorte que chacun d’eux peut кtre touchй en l’une de ses
parties par un objet, et en d’autres par d’autres ; et que n’йtant
toutefois capable d’кtre mы que d’une seule faзon а chaque fois, lorsque la
moindre de ses parties est touchйe par quelque objet fort йclatant, et les
autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouvement de
celui qui est le plus йclatant, et en reprйsente l’image, sans reprйsenter
celle des autres.
Comme, si les bouts de ces petits filets sont 1, 2, 3, et
que les rayons qui viennent, par exemple, tracer l’image d’une йtoile sur le
fond de l’њil, s’y йtendent sur celui qui est marquй I, et tant soit peu au delа
tout autour sur les extrйmitйs des six autres marquйs 2, sur lesquels je
suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort faibles, des parties du
ciel voisines а cette йtoile, son image s’йtendra en tout l’espace qu’occupent
ces six marquйs 2, et mкme peut-кtre encore en tout celui qu’occupent les douze
marquйs 3, si la force du mouvement est si grande qu’elle se communique aussi а
eux. Et ainsi vous voyez que les йtoiles, quoiqu’elles paraissent assez
petites, paraissent nйanmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne devraient а
raison de leur extrкme distance. Et encore qu’elles ne seraient pas entiиrement
rondes, elles ne laisseraient pas de paraоtre telles, comme aussi une tour
carrйe йtant vue de loin paraоt ronde, et tous les corps qui ne tracent que de
fort petites images dans l’њil, n’y peuvent tracer les figures de leurs angles.
Enfin, pour ce qui est de juger de la distance par la grandeur, ou la figure,
ou la couleur, ou la lumiиre, les tableaux de perspective nous montrent assez
combien il est facile de s’y tromper. Car souvent, parce que les choses, qui y
sont peintes, sont plus petites que nous ne nous imaginons qu’elles doivent
кtre, et que leurs linйaments sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes
ou plus faibles, elles nous paraissent plus йloignйes qu’elles ne sont. Des
moyens de perfectionner la vision Maintenant que nous avons assez
examinй comment se fait la vision, recueillons en peu de mots et nous remettons
devant les yeux toutes les conditions qui sont requises а sa perfection, afin
que, considйrant en quelle sorte il a dйjа йtй pourvu а chacune par la Nature,
nous puissions faire un dйnombrement exact de tout ce qui reste encore а l’art
а y ajouter. On peut rйduire toutes les choses auxquelles il faut avoir ici
йgard а trois principales, qui sont : les objets, les organes intйrieurs
qui reзoivent les actions de ces objets, et les extйrieurs qui disposent ces
actions а кtre reзues comme elles doivent. Et, touchant les objets, il suffit
de savoir que les uns sont proches ou accessibles, et les autres йloignйs et
inaccessibles, et avec cela les uns plus, les autres moins illuminйs ;
afin que nous soyons avertis que., pour ce qui est des accessibles, nous les
pouvons approcher ou йloigner, et augmenter ou diminuer la lumiиre qui les
йclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que, pour ce qui
concerne les autres, nous n’y pouvons changer aucune chose. Puis, touchant les
organes intйrieurs, qui sont les nerfs et le cerveau, il est certain aussi que
nous ne saurions rien ajouter par art а leur fabrique ; car nous ne
saurions nous faire un nouveau corps ; et si les mйdecins y peuvent aider
en quelque chose, cela n’appartient point а notre sujet. Si bien qu’il ne nous
reste а considйrer que les organes extйrieurs, entre lesquels je comprends
toutes les parties transparentes de l’њil aussi bien que tous les autres corps
qu’on peut mettre entre lui et l’objet. Et je trouve que toutes les choses
auxquelles il est besoin de pourvoir avec ces organes extйrieurs peuvent кtre
rйduites а quatre points. Dont le premier est, que tous les rayons qui se vont
rendre vers chacune des extrйmitйs du nerf optique ne viennent, autant qu’il
est possible, que d’une mкme partie de l’objet, et qu’ils ne reзoivent aucun
changement en l’espace qui est entre deux ; car, sans cela, les images
qu’ils forment ne sauraient кtre ni bien semblables а leur original ni bien
distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes, non pas en йtendue
de lieu, car elles ne sauraient occuper que le peu d’espace qui se trouve au
fond de l’њil, mais en l’йtendue de leurs linйaments ou de leurs traits, car il
est certain qu’ils seront d’autant plus aisйs а discerner qu’ils seront plus
grands. Le troisiиme, que les rayons qui les forment soient assez forts pour
mouvoir les petits filets du nerf optique, et par ce moyen кtre sentis, mais
qu’ils ne le soient pas tant qu’ils blessent la vue. Et le quatriиme, qu’il y
ait le plus d’objets qu’il sera possible dont les images se forment dans l’њil
en mкme temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’une
vue. Or la Nature a employй plusieurs
moyens а pourvoir а la premiиre de ces choses. Car premiиrement, remplissant
l’њil de liqueurs fort transparentes et qui ne sont teintes d’aucune couleur,
elle a fait que les actions qui viennent de dehors peuvent passer jusques au
fond sans se changer. Et par les rйfractions que causent les superficies de ces
liqueurs elle a fait qu’entre les rayons, suivant lesquels ces actions se
conduisent, ceux qui viennent d’un mкme point se rassemblent en un mкme point
contre le nerf ; et ensuite que ceux qui viennent des autres points s’y
rassemblent aussi en autant d’autres divers points, le plus exactement qu’il
est possible. Car nous devons supposer que la Nature a fait en ceci tout ce qui
est possible, d’autant que l’expйrience ne nous y lait rien apercevoir au
contraire. Et mкme nous voyons que, pour rendre d’autant moindre le dйfaut qui
ne peut en ceci кtre totalement йvitй, elle a fait qu’on puisse rйtrйcir la
prunelle quasi autant que la force de la lumiиre le permet. Puis, par la
couleur noire dont elle a teint toutes les parties de l’њil opposйes au nerf,
qui ne sont point transparentes, elle a empкchй qu’il n’allвt aucun autre rayon
vers ces mкmes points. Et enfin, par le changement de la figure du corps de
l’њil, elle a fait qu’encore que les objets en puissent кtre plus ou moins
йloignйs une fois que l’autre, les rayons qui viennent de chacun de leurs
points ne laissent pas de s’assembler, toujours aussi exactement qu’il se peut,
en autant d’autres points au fond de l’њil. Toutefois elle n’a pas si
entiиrement pourvu а cette derniиre partie qu’il ne se trouve encore quelque
chose а y ajouter : car, outre que, communйment а tous, elle ne nous a pas
donnй le moyen de courber tant les superficies de nos yeux, que nous puissions
voir distinctement les objets qui en sont fort proches, comme а un doigt ou un
demi-doigt de distance, elle y a encore manquй davantage en quelques-uns, а qui
elle a fait les yeux de telle figure qu’ils ne leur peuvent servir qu’а
regarder les choses йloignйes, ce qui arrive principalement aux
vieillards ; et aussi en quelques autres а qui, au contraire, elle les a
fait tels qu’ils ne leur servent qu’а regarder les choses proches, ce qui est
plus ordinaire aux jeunes gens. En sorte qu’il semble que les yeux se forment,
au commencement, un peu plus longs et plus йtroits qu’ils ne doivent кtre et
que par aprиs, pendant qu’on vieillit, ils deviennent plus plats et plus
larges. Or, afin que nous puissions remйdier par art а ces dйfauts, il sera
premiиrement besoin que nous cherchions les figures que les superficies d’une
piиce de verre ou de quelque autre corps transparent doivent avoir, pour
courber les rayons qui tombent sur elles en telle sorte que tous ceux qui
viennent d’un certain point de l’objet, se disposent, en les traversant, tout
de mкme ne s’ils йtaient venus d’un autre point qui fыt plus proche ou plus
йloignй, а savoir, qui fыt plus proche pour servir а ceux qui ont la vue
courte, et qui fыt plus йloignй tant pour les vieillards que gйnйralement pour
tous ceux qui veulent voir des objets plus proches que la figure de leurs yeux
ne le permet. (…) De la faзon de tailler les verres (...) Enfin, la derniиre et principale chose а quoi je
voudrais qu’on s’exerзвt, c’est а polir les verres convexes des deux cфtйs pour
les lunettes qui servent а voir les objets accessibles, et que, s’йtant
premiиrement exercй а en faire de ceux qui rendent ces lunettes fort courtes, а
cause que ce seront les plus aisйs, on tвchвt aprиs, par degrйs, а en faire de
ceux qui les rendent plus longues, jusques а ce qu’on soit Parvenu aux plus
longues dont on se puisse servir. Et afin que la difficultй que vous pourrez
trouver en la construction de ces derniиres lunettes ne vous dйgoыte, je vous
veux avertir qu’encore que d’abord leur usage n’attire pas tant que celui de
ces autres qui semblent promettre de nous йlever dans les cieux, et de nous y
montrer sur les astres des corps aussi particuliers et peut-кtre aussi divers
que ceux qu’on voit sur la terre, je les juge toutefois beaucoup plus utiles, а
cause qu’on pourra voir par leur moyen les divers mйlanges et arrangements des
petites parties dont les animaux et les plantes, et peut-кtre aussi les autres
corps qui nous environnent, sont composйs, et de lа tirer beaucoup d’avantage
pour venir а la connaissance de leur nature. Car dйjа, selon l’opinion de
plusieurs philosophes, tous ces corps ne sont faits que des parties des
йlйments diversement mкlйes ensemble ; et, selon la mienne, toute leur
nature et leur essence, au moins de ceux qui sont inanimйs, ne consiste qu’en la
grosseur, la figure, l’arrangement et les mouvements de leurs parties. (...) |
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