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La Dioptrique

Renй Descartes

La Dioptrique

(1637)

 

 

 

Discours premier

De la lumiиre

 

Toute la conduite de notre vie dйpend de nos sens, entre lesquels celui de la vue йtant le plus universel et le plus noble, il n’y a point de. doute que les inventions qui servent а augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent кtre. Et il est malaisй d’en trouver aucune qui l’augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes qui, n’йtant en usage que depuis peu, nous ont dйjа dйcouvert de nouveaux astres dans le ciel, et d’autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que, portant notre vue beaucoup plus loin que n’avait coutume d’aller l’imagination de nos pиres, elles semblent nous avoir ouvert le chemin, pour parvenir а une connaissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu’ils ne l’ont eue. Mais, а la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si admirable, n’a premiиrement йtй trouvйe que par l’expйrience et la fortune. Il y a environ trente ans, qu’un nommй Jacques Metius , de la ville d’Alcmar en Hollande, homme qui n’avait jamais йtudiй, bien qu’il eыt un pиre et un frиre qui ont fait profession des mathйmatiques, mais qui prenait particuliиrement plaisir а faire des miroirs et verres brыlants, en composant mкme l’hiver avec de la glace, ainsi que l’expйrience a montrй qu’on en peut faire, ayant а cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s’avisa par bonheur de regarder au travers de deux, dont l’un йtait un peu plus йpais au milieu qu’aux extrйmitйs, et l’autre au contraire beaucoup plus йpais aux extrйmitйs qu’au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d’un tuyau, que la premiиre des lunettes dont nous parlons, en fut composйe. Et c’est seulement sur ce patron que toutes les autres qu’on a vues depuis ont йtй faites, sans que personne encore, que je sache, ait suffisamment dйterminй les figures que ces verres doivent avoir. Car, bien qu’il y ait eu depuis quantitй de bons esprits, qui ont fort cultivй cette matiиre, et ont trouvй а son occasion plusieurs choses en l’Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient laissй les anciens, toutefois, а cause que les inventions un peu malaisйes n’arrivent pas а leur dernier degrй de perfection du premier coup, il est encore demeurй assez de difficultйs en celle-ci, pour me donner sujet d’en йcrire. Et d’autant que l’exйcution des choses que je dirai doit dйpendre de l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point йtudiй, je tвcherai de me rendre intelligible а tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer, qu’on doive avoir appris des autres sciences. C’est pourquoi je commencerai par l’explication de la lumiиre et de ses rayons ; puis, ayant fait une brиve description des parties de l’њil, je dirai particuliиrement en quelle sorte se fait la vision ; et ensuite, ayant remarquй toutes les choses qui sont capables de la rendre plus parfaite, j’enseignerai comment elles y peuvent кtre ajoutйes par les inventions que je dйcrirai.

Or, n’ayant ici autre occasion de parler de la lumiиre, que pour expliquer comment ses rayons entrent dans l’њil, et comment ils peuvent кtre dйtournйs par les divers corps qu’ils rencontrent, il n’est pas besoin que j’entreprenne de dire au vrai quelle est sa nature, et je crois qu’il suffira que je me serve de deux ou trois comparaisons, qui aident а la concevoir en la faзon qui me semble la plus commode, pour expliquer toutes celles de ses propriйtйs que l’expйrience nous fait connaоtre, et pour dйduire ensuite toutes les autres qui ne peuvent pas si aisйment кtre remarquйes ; imitant en ceci les astronomes, qui, bien que leurs suppositions soient presque toutes fausses ou incertaines, toutefois, а cause qu’elles se rapportent а diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent pas d’en tirer plusieurs consйquences trиs vraies et trиs assurйes.

Il vous est bien sans doute arrivй quelquefois, en marchant de nuit sans flambeau, par des lieux un peu difficiles, qu’il fallait vous aider d’un bвton pour vous conduire, et vous avez pour lors pu remarquer que vous sentiez, par l’entremise de ce bвton, les divers objets qui se rencontraient autour de vous, et mкme que vous pouviez distinguer s’il y avait des arbres, ou des pierres, ou du sable, ou de l’eau, ou de l’herbe, ou de la boue, ou quelque autre chose de semblable. Il est vrai que cette sorte de sentiment est un peu confuse et obscure, en ceux qui n’en ont pas un long usage ; mais considйrez-la en ceux qui, йtant nйs aveugles, s’en sont servis toute leur vie, et vous l’y trouverez si parfaite et si exacte, qu’on pourrait quasi dire qu’ils voient des mains, ou que leur bвton est l’organe de quelque sixiиme sens, qui leur a йtй donnй au dйfaut de la vue. Et pour tirer une comparaison de ceci, je dйsire que vous pensiez que la lumiиre n’est autre chose, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’un certain mouvement, ou une action fort prompte et tort vive, qui passe vers nos yeux, par l’entremise de l’air et des autres corps transparents, en mкme faзon que le mouvement ou la rйsistance des corps, que rencontre cet aveugle, passe vers sa main, par l’entremise de son bвton. Ce qui vous empкchera d’abord de trouver йtrange, que cette lumiиre puisse йtendre ses rayons en un instant, depuis le soleil jusques а nous : car vous savez que l’action, dont on meut l’un des bouts d’un bвton, doit ainsi passer en un instant jusques а l’autre, et qu’elle y devrait passer en mкme sorte, encore qu’il y aurait plus de distance qu’il n’y en a, depuis la terre jusques aux cieux. Vous ne trouverez pas йtrange non plus, que par son moyen nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; et mкme vous croirez peut-кtre que ces couleurs ne sont autre chose, dans les corps qu’on nomme colorйs, que les diverses faзons dont ces corps la reзoivent et la renvoient contre nos yeux : si vous considйrez que les diffйrences, qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses semblables, par l’entremise de son bвton, ne lui semblent pas moindres que nous font celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert, et toutes les autres couleurs ; et toutefois que ces diffйrences ne sont autre chose, en tous ces corps, que les diverses faзons de mouvoir, ou de rйsister aux mouvements de ce bвton. En suite de quoi vous aurez occasion de juger, qu’il n’est pas besoin de supposer qu’il passe quelque chose de matйriel depuis les objets jusques а nos yeux, pour nous faire voir les couleurs et la lumiиre, ni mкme qu’il y ait rien en ces objets, qui soit semblable aux idйes ou aux sentiments que nous en avons : tout de mкme qu’il ne sort rien des corps, que sent un aveugle, qui doive passer le long de son bвton jusques а sa main, et que la rйsistance ou le mouvement de ces corps, qui est la seule cause des sentiments qu’il en a, n’est rien de semblable aux idйes qu’il en conзoit. Et par ce moyen votre esprit sera dйlivrй de toutes ces petites images voltigeantes par l’air, nommйes des espиces intentionnelles, qui travaillent tant l’imagination des philosophes. Mкme vous pourrez aisйment dйcider la question, qui est entre eux, touchant le lieu d’oщ vient l’action qui cause le sentiment de la vue : car, comme notre aveugle peut sentir les corps qui sont autour de lui, non seulement par l’action de ces corps, lorsqu’ils se meuvent contre son bвton, mais aussi par celle de sa main, lorsqu’ils ne font que lui rйsister ; ainsi faut-il avouer que les objets de la vue peuvent кtre sentis, non seulement par le moyen de l’action qui, йtant en eux, tend vers les yeux, mais aussi par le moyen de celle qui, йtant dans les yeux, tend vers eux. Toutefois, parce que cette action n’est autre chose que la lumiиre, il faut remarquer qu’il n’y a que ceux qui peuvent voir pendant les tйnиbres de la nuit, comme les chats, dans les yeux desquels elle se trouve ; et que, pour l’ordinaire des hommes, ils ne voient que par l’action qui vient des objets : car l’expйrience nous montre que ces objets doivent кtre lumineux ou illuminйs pour кtre vus, et non point nos yeux pour les voir. Mais, parce qu’il y a grande diffйrence entre le bвton de cet aveugle et l’air ou les autres corps transparents, par l’entremise desquels nous voyons, il faut que je me serve encore ici d’une autre comparaison.

 


 

Voyez une cuve au temps de vendange, toute pleine de raisins а demi foulйs, et dans le fond de laquelle on ait fait un trou ou deux, comme A et B, par oщ le vin doux, qu’elle contient, puisse couler. Puis pensez que, n’y ayant point de vide en la Nature, ainsi que presque tous les Philosophes avouent , et nйanmoins y ayant plusieurs pores en tous les corps que nous apercevons autour de nous, ainsi que l’expйrience peut montrer fort clairement ; il est nйcessaire que ces pores soient remplis de quelque matiиre fort subtile et fort fluide, qui s’йtende sans interruption depuis les Astres jusques а nous. Or, cette matiиre subtile йtant comparйe avec le vin de cette cuve, et les parties moins fluides ou plus grossiиres, tant de l’air que des autres corps transparents, avec les grappes de raisins qui sont parmi : vous entendrez facilement que, comme les parties de ce vin, qui sont par exemple vers C, tendent а descendre en ligne droite par le trou A, au mкme instant qu’il est ouvert, et ensemble par le trou B, et que celles qui sont vers D, et vers E, tendent aussi en mкme temps а descendre par ces deux trous, sans qu’aucune de ces actions soit empкchйe par les autres, ni aussi par la rйsistance des grappes qui sont en cette cuve : nonobstant que ces grappes, йtant soutenues l’une par l’autre, ne tendent point du tout а descendre par ces trous A et B, comme le vin, et mкme qu’elles puissent cependant кtre mues, en plusieurs autres faзons, par ceux qui les foulent. Ainsi toutes les parties de la matiиre subtile, que touche le cфtй du Soleil qui nous regarde, tendent en ligne droite vers nos yeux au mкme instant qu’il sont ouverts, sans s’empкcher les unes les autres, et mкme sans кtre empкchйes par les parties grossiиres des corps transparents, qui sont entre deux : soit que ces corps se meuvent en d’autres faзons, comme l’air, qui est presque toujours agitй par quelque vent ; soit qu’ils soient sans mouvement, comme eut кtre le verre ou le cristal. Et remarquez ici qu’il faut distinguer entre le mouvement, et l’action ou inclination а se mouvoir. Car on peut fort bien concevoir que les parties du vin, qui sont par exemple vers C, tendent vers B, et ensemble vers A, nonobstant qu’elles ne puissent actuellement se mouvoir vers ces deux cфtйs en mкme temps ; et qu’elles tendent exactement en ligne droite vers B et vers A, nonobstant qu’elles ne se puissent mouvoir si exactement vers la ligne droite, а cause des grappes de raisins qui sont entre deux : et ainsi, pensant que ce n’est pas tant le mouvement, comme l’action des corps lumineux qu’il faut prendre pour leur lumiиre, vous devez juger que les rayons de cette lumiиre ne sont autre chose que les lignes suivant lesquelles tend cette action. En sorte qu’il y a une infinitй de tels rayons qui viennent de tous les points des corps lumineux, vers tous les points de ceux qu’ils illuminent, ainsi que vous pouvez imaginer une infinitй de lignes droites, suivant lesquelles les actions, qui viennent de tous les points de la superficie du vin CDE, tendent vers A, et une infinitй d’autres, suivant lesquelles les actions, qui viennent de ces mкmes points, tendent aussi vers B, sans que les unes empкchent les autres.

Au reste, ces rayons doivent bien кtre ainsi toujours imaginйs exactement droits, lorsqu’ils ne passent que par un seul corps transparent, qui est partout йgal а soi-mкme : mais, lorsqu’ils rencontrent quelques autres corps, ils sont sujets а кtre dйtournйs par eux, ou amortis, en mкme faзon que l’est le mouvement d’une balle, ou d’une pierre jetйe dans l’air, par ceux qu’elle rencontre. Car il est bien aisй а croire que l’action ou inclination а se mouvoir, que j’ai dit devoir кtre prise pour la lumiиre, doit suivre en ceci les mкmes lois que le mouvement. Et afin que j’explique cette troisiиme comparaison tout au long, considйrez que les corps, qui peuvent ainsi кtre rencontrйs par une balle qui passe dans l’air, sont ou mous, ou durs, ou liquides ; et que, s’ils sont mous, ils arrкtent et amortissent tout а fait son mouvement : comme lorsqu’elle donne contre des toiles, ou du sable, ou de la boue ; au lieu que, s’ils sont durs, ils la renvoient d’un autre cфtй sans l’arrкter ; et ce, en plusieurs diverses faзons. Car ou leur superficie est toute йgale et unie, ou raboteuse et inйgale ; et derechef, йtant йgale, elle est ou plate, ou courbйe ; et йtant inйgale, ou son inйgalitй ne consiste qu’en ce qu’elle est composйe de plusieurs parties diversement courbйes, dont chacune est en soi assez unie ; ou bien elle consiste, outre cela, en ce qu’elle a plusieurs divers angles ou pointes, ou des parties plus dures l’une que l’autre, ou qui se meuvent, et ce, avec des variйtйs qui peuvent кtre imaginйes en mille sortes. Et il faut remarquer que la balle, outre son mouvement simple et ordinaire, qui la porte d’un lieu en l’autre, en peut encore avoir un deuxiиme, qui la fait tourner autour de son centre, et que la vitesse de celui-ci peut avoir plusieurs diverses proportions avec celle de l’autre. Or, quand plusieurs balles, venant d’un mкme cфtй, rencontrent un corps, dont la superficie est toute unie et йgale, elles se rйflйchissent йgalement, et en mкme ordre, en sorte que, si cette superficie est toute plate, elles gardent entre elles la mкme distance, aprиs l’avoir rencontrйe, qu’elles avaient auparavant ; et si elle est courbйe en dedans ou en dehors, elles s’approchent ou s’йloignent en mкme ordre les unes des autres, plus ou moins, а raison de cette courbure. Comme vous voyez ici les balles A, B, C, qui, aprиs avoir rencontrй les superficies des corps D, E, F, se rйflйchissent vers G, H, I. Et si ces balles rencontrent une superficie inйgale, comme L ou M, elles se rйflйchissent vers divers cфtйs, chacune selon la situation de l’endroit de cette superficie qu’elle touche. Et elles ne changent rien que cela en la faзon de leur mouvement, lorsque son inйgalitй ne consiste qu’en ce que ses parties sont courbйes diversement.

 


 

Mais elle peut aussi consister en plusieurs autres choses et faire, par ce moyen, que, si ces balles n’ont eu auparavant qu’un. simple mouvement droit, elles en perdent une partie, et en acquiиrent au lieu un circulaire, qui peut avoir diverse proportion avec ce qu’elles retiennent du droit, selon que la superficie du corps qu’elles rencontrent peut кtre diversement disposйe. Ce que ceux qui jouent а la paume йprouvent assez, lorsque leur balle rencontre de faux carreaux, ou bien qu’ils la touchent en biaisant de leur raquette, ce qu’ils nomment, ce me semble, couper ou friser . Enfin, considйrez que, si une balle qui se meut rencontre obliquement la superficie d’un corps liquide, par lequel elle puisse passer plus ou moins facilement que par celui d’oщ elle sort, elle se dйtourne et change son cours en y entrant : comme, par exemple, si йtant en l’air au point A, on la pousse vers B, elle va bien en ligne droite depuis A jusques а B, si ce n’est que sa pesanteur ou quelqu’autre cause particuliиre l’en empкche ; mais, йtant au point B oщ je suppose qu’elle rencontre la superficie de l’eau CBE, elle se dйtourne et prend son cours vers I, allant derechef en ligne droite depuis B jusques а I, ainsi qu’il est aisй а vйrifier par l’expйrience.

 


 

Or il faut penser, en mкme faзon, qu’il y a des corps qui, йtant rencontrйs par les rayons de la lumiиre, les amortissent, et leur фtent toute leur force, а savoir ceux qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre couleur que les tйnиbres ; et qu’il y en a d’autres qui les font rйflйchir, les uns au mкme ordre qu’ils les reзoivent, а savoir ceux qui, ayant leur superficie toute polie, peuvent servir de miroirs tant plats que courbйs, et les autres confusйment vers plusieurs cфtйs ; et que derechef, entre ceux-ci, les uns font rйflйchir ces rayons sans apporter aucun autre changement en leur action, а savoir ceux qu’on nomme blancs, et les autres y apportent avec cela un changement semblable а celui que reзoit le mouvement d’une balle quand on la frise, а savoir ceux qui sont rouges, ou jaunes, ou bleus, ou de quelque autre telle couleur. Car je pense pouvoir dйterminer en quoi consiste la nature de chacune de ces couleurs, et le faire voir par expйrience ; mais cela passe les bornes de mon sujet. Et il me suffit ici de vous avertir que les rayons, qui tombent sur les corps qui sont colorйs et non polis, se rйflйchissent ordinairement de tous cфtйs, encore mкme qu’ils ne viennent que d’un seul cфtй : comme, encore que ceux qui tombent sur la superficie du corps blanc AB, ne viennent que du flambeau C, ils ne laissent pas de se rйflйchir tellement de tous cфtйs, qu’en quelque lieu qu’on pose l’њil, comme par exemple vers D, il s’en trouve toujours plusieurs venant de chaque endroit de cette superficie AB, tendent vers lui. Et mкme, si l’on suppose ce corps fort dйliй comme un papier ou une toile, en sorte que le jour passe au travers, encore que l’њil soit d’autre cфtй que le flambeau, comme vers E, il ne laissera pas de se rйflйchir vers lui quelques rayons de chacune des parties de ce corps.

 


 

Enfin, considйrez que les rayons se dйtournent aussi, en mкme faзon qu’il a йtй dit d’une balle quand ils rencontrent obliquement la superficie d’un corps transparent, par lequel ils pйnиtrent plus ou moins facilement que par celui d’oщ ils viennent, et cette faзon de se dйtourner s’appelle en eux Rйfraction.

 

 

 

Discours second

De la rйfraction

 

D’autant que nous aurons besoin ci-aprиs de savoir exactement la quantitй de cette rйfraction, et qu’elle peut assez commodйment кtre entendue par la comparaison dont je viens de me servir, je crois qu’il est а propos que je tвche ici tout d’un train de l’expliquer, et que je parle premiиrement de la rйflexion, afin d’en rendre l’intelligence d’autant plus aisйe.

 


 

Pensons donc qu’une balle, йtant poussйe d’A vers B, rencontre, au point B, la superficie de la terre CBE, qui, l’empкchant de passer outre, est cause qu’elle se dйtourne ; et voyons vers quel cфtй. Mais afin de ne nous embarrasser point en de nouvelles difficultйs, supposons que la terre est parfaitement plate et dure, et que la balle va toujours d’йgale vitesse, tant en descendant qu’en remontant, sans nous enquйrir en aucune faзon de la puissance qui continue de la mouvoir, aprиs qu’elle n’est plus touchйe de la raquette, ni considйrer aucun effet de sa pesanteur, ni de sa grosseur, ni de sa figure. Car il n’est pas ici question d’y regarder de si prиs, et il n’y a aucune de ces choses qui ait lieu en l’action de la lumiиre а laquelle ceci se doit rapporter. Seulement faut-il remarquer que la puissance, telle qu’elle soit, qui fait continuer le mouvement de cette balle, est diffйrente de celle qui la dйtermine а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers un autre, ainsi qu’il est trиs aisй а connaоtre de ce que c’est la force dont elle a йtй poussйe par la raquette, de qui dйpend son mouvement, et que cette mкme force l’aurait pu faire mouvoir vers tout autre cфtй, aussi facilement que vers B, au lieu que c’est la situation de cette raquette qui la dйtermine а tendre vers B, et qui aurait pu l’y dйterminer en mкme faзon, encore qu’une autre force l’aurait mue. Ce qui montre dйjа qu’il n’est pas impossible que cette balle soit dйtournйe par la rencontre de la terre, et ainsi, que la dйtermination qu’elle avait а tendre vers B soit changйe, sans qu’il y ait rien pour cela de changй en la force de son mouvement, puisque ce sont deux choses diverses, et par consйquent qu’on ne doit pas imaginer qu’il soit nйcessaire qu’elle s’arrкte quelque moment au point B avant que de retourner vers F, ainsi que font plusieurs de nos Philosophes ; car, si son mouvement йtait une fois interrompu par cet arrкt, il ne se trouverait aucune cause, qui le fоt par aprиs recommencer.

 


 

De plus, il faut remarquer que la dйtermination а se mouvoir vers quelque cфtй peut, aussi bien que le mouvement et gйnйralement que toute autre sorte de quantitй, кtre divisйe entre toutes les parties desquelles on peut imaginer qu’elle est composйe ; et qu’on peut aisйment imaginer que celle de la balle qui se meut d’A vers B est composйe de deux autres, dont l’une la fait descendre de la ligne AF vers la ligne CE, et l’autre en mкme temps la fait aller de la gauche AC vers la droite FE, en sorte que ces deux, jointes ensemble, la conduisent jusques а B suivant la ligne droite AB. Et ensuite il est aisй а entendre, que la rencontre de la terre ne peut empкcher que l’une de ces deux dйterminations, et non point l’autre en aucune faзon.

Car elle doit bien empкcher celle qui faisait descendre la balle d’AF vers CE, а cause qu’elle occupe tout l’espace qui est au-dessous de CE ; mais pourquoi empкcherait-elle l’autre, qui la faisait avancer vers la main droite, vu qu’elle ne lui est aucunement opposйe en ce sens-lа ? Pour trouver donc justement vers quel cфtй cette balle doit retourner, dйcrivons un cercle du centre B, qui passe par le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis а se mouvoir depuis A jusques а B, elle doit infailliblement retourner depuis B jusques а quelque point de la circonfйrence de ce cercle, d’autant que tous les points qui sont aussi distants de celui-ci B qu’en est A, se trouvent en cette circonfйrence, et que nous supposons le mouvement de cette balle кtre toujours йgalement vite.

 


 

Puis afin de savoir prйcisйment auquel de tous les points de cette circonfйrence elle doit retourner, tirons trois lignes droites AC, HB, et FE perpendiculaires sur CE, et en telle sorte, qu’il n’y ait ni plus ni moins de distance entre AC et HB qu’entre HB et FE ; et disons, qu’en autant de temps que la balle a mis а s’avancer vers le cфtй droit, depuis A, l’un des points de la ligne AC, jusques а B, l’un de ceux de la ligne HB, elle doit aussi s’avancer depuis la ligne HB jusques а quelque point de la ligne FE ; car tous les points de cette ligne FE sont autant йloignйs de HB en ce sens-lа, l’un comme l’autre, et autant que ceux de la ligne AC, et elle est aussi autant dйterminйe а s’avancer vers ce cфtй-lа, qu’elle a йtй auparavant.

Or est-il qu’elle ne peut arriver en mкme temps en quelque point de la, ligne FE, et ensemble а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD, si ce n’est au point D, ou au point F, d’autant qu’il n’y a que ces deux, oщ elles s’entrecoupent l’une l’autre ; si bien que, la terre l’empкchant de passer vers D, il faut conclure qu’elle doit aller infailliblement vers F. Et ainsi vous voyez facilement comment se fait la rйflexion, а savoir selon un angle toujours йgal а celui qu’on nomme l’angle d’incidence. Comme, si un rayon, venant du point A, tombe au point B sur la superficie du miroir plat CBE, il se rйflйchit vers F, en sorte que l’angle de la rйflexion FBE n’est ne plus ne moins grand que celui de l’incidence ABC.

Venons maintenant а la Rйfraction. Et premiиrement supposons qu’une balle, poussйe d’A vers B, rencontre au point B, non plus la superficie de la terre, mais une toile CBE, qui soit si faible et dйliйe que cette balle ait la force de la rompre et de passer tout au travers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, а savoir, par exemple, la moitiй. Or cela posй, afin de savoir quel chemin elle doit suivre, considйrons derechef que son mouvement diffиre entiиrement de sa dйtermination а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers un autre, d’oщ il suit que leur quantitй doit кtre examinйe sйparйment. Et considйrons aussi que, des deux parties dont on peut imaginer que cette dйtermination est composйe, il n’y a que celle qui faisait tendre la balle de haut en bas, qui puisse кtre changйe en quelque faзon par la rencontre de la toile ; et que, pour celle qui la faisait tendre vers la main droite, elle doit toujours demeurer la mкme qu’elle a йtй, а cause que cette toile ne lui est aucunement opposйe en ce sens-lа.

 


 

Puis, ayant dйcrit du centre B le cercle AFD, et tirй а angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu’il y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu’entre HB et AC, nous verrons que cette balle doit tendre vers le point I. Car, puisqu’elle perd la moitiй de sa vitesse, en traversant la toile CBE, elle doit employer deux fois autant de temps а passer au-dessous, depuis B jusques а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD, qu’elle a fait au-dessus а venir depuis A jusques а B.

Et puisqu’elle ne perd rien du tout de la dйtermination qu’elle avait а s’avancer vers le cфtй droit, en deux fois autant de temps qu’elle en a mis а passer depuis la ligne AC jusques а HB, elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce mкme cфtй, et par consйquent arriver а quelque point de la ligne droite FE, au mкme instant qu’elle arrive aussi а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD. Ce qui serait impossible, si elle n’allait vers I, d’autant que c’est le seul point au-dessous de la toile CBE, oщ le cercle AFD et la ligne droite FF, s’entrecoupent.

Pensons maintenant que la balle, qui vient d’A vers D, rencontre au point B, non plus une toile, mais de l’eau, dont la superficie CBE lui фte justement la moitiй de sa vitesse, ainsi que faisait cette toile. Et le reste posй comme devant, je dis que cette balle doit passer de B en ligne droite, non vers D, mais vers I. Car, premiиrement, il est certain que la superficie de l’eau la doit dйtourner vers lа en mкme faзon que la toile, vu qu’elle lui фte tout autant de sa force, et qu’elle lui est opposйe en mкme sens.

 


 

Puis, pour le reste du corps de l’eau qui remplit tout l’espace qui est depuis B jusques а I, encore qu’il lui rйsiste plus ou moins que ne faisait l’air que nous y supposions auparavant, ce n’est pas а dire pour cela qu’il doive plus ou moins la dйtourner : car il se peut ouvrir, pour lui faire passage, tout aussi facilement vers un cфtй que vers un autre, au moins si on suppose toujours, comme nous faisons., que ni la pesanteur ou lйgиretй de cette balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni aucune autre telle cause йtrangиre ne change son cours.

Et on peut ici remarquer, qu’elle est d’autant plus dйtournйe par la superficie de l’eau ou de la toile, qu’elle la rencontre plus obliquement, en sorte que, si elle la rencontre а angles droits, comme lorsqu’elle est poussйe d’H vers B, elle doit passer outre en ligne droite vers G, sans aucunement se dйtourner. Mais si elle est poussйe suivant une ligne comme AB, qui soit si fort inclinйe sur la superficie de l’eau ou de la toile CBE, que la ligne FE, йtant tirйe comme tantфt, ne coupe point le cercle AD, cette balle ne doit aucunement la pйnйtrer, mais rejaillir de sa superficie B vers l’air L, tout de mкme que si elle y avait rencontrй de la terre. Ce qu’on a quelque-fois expйrimentй avec regret, lorsque, faisant tirer pour plaisir des piиces d’artillerie vers le fond d’une riviиre, on a blessй ceux qui йtaient de l’autre cфtй sur le rivage.

 


 

Mais faisons encore ici une autre supposition, et pensons que la balle, ayant йtй premiиrement poussйe d’A vers B, est poussйe derechef, йtant au point B, par la raquette CBE, qui augmente la force de son mouvement, par exemple, d’un tiers, en sorte qu’elle puisse faire, par aprиs, autant de chemin en deux moments, qu’elle en faisait en trois auparavant. Ce qui fera le mкme effet, que si elle rencontrait au point B un corps de telle nature, qu’elle passвt au travers de sa superficie CBE, d’un tiers plus-facilement que par l’air. Et il suit manifestement de ce qui a йtй dйjа dйmontrй, que, si l’on dйcrit le cercle AD comme devant, et les lignes AC, RB, FE, en telle sorte qu’il y ait d’un tiers moins de distance entre FE et RB qu’entre RB et AC, le point I, oщ la ligne droite FE et la circulaire AD s’entrecoupent, dйsignera le lieu vers lequel cette balle, йtant au point B, se doit dйtourner.

Or on peut prendre aussi le revers de cette conclusion et dire que, puisque la balle qui vient d’A en ligne droite jusques а B, se dйtourne йtant au point B, et prend son cours de lа vers I, cela signifie que la force ou facilitй, dont elle entre dans le corps CBEI, est а celle dont elle sort du corps ACBE, comme la distance qui est entre AC et HB, а celle qui est entre HB et FI, c’est-а-dire comme la ligne CB est а BE .

 


 

Enfin, d’autant que l’action de la lumiиre suit en ceci les mкmes lois que le mouvement de cette balle, il faut dire que, lorsque ses rayons passent obliquement d’un corps transparent dans un autre, qui les reзoit plus ou moins facilement que le premier, ils s’y dйtournent en telle sorte, qu’ils se trouvent toujours moins inclinйs sur la superficie de ces corps, du cфtй oщ est celui qui les reзoit le plus aisйment, que du cфtй oщ est l’autre : et ce, justement а proportion de ce qu’il les reзoit plus aisйment que ne fait l’autre. Seulement faut-il prendre garde que cette inclination se doit mesurer par la quantitй des lignes droites, comme CB ou AH, et EB ou IG, et semblables, comparйes les unes aux autres ; non par celle des angles, tels que sont ABH ou GBI, ni beaucoup moins par celle des semblables а DBI, qu’on nomme les angles de Rйfraction. Car la raison ou proportion qui est entre Ces angles varie а toutes les diverses inclinations des rayons ; au lieu que celle qui est entre les lignes AH et IG, ou semblables, demeure la mкme en toutes les rйfractions qui sont causйes par les mкmes corps. Comme, par exemple, s’il passe un rayon dans l’air d’A vers B, qui, rencontrant au point B la superficie du verre CBR, se dйtourne vers I dans ce verre ; et qu’il en vienne un autre de K vers B, qui se dйtourne vers L ; et un autre de P vers R, qui se dйtourne vers S ; il doit avoir mкme proportion entre les lignes KM et LN, ou PQ et ST, qu’entre AH et IG, mais non pas la mкme entre les angles KBM et LBN, ou PRQ et SRT, qu’entre ABH et IBG.

Si bien que vous voyez maintenant en quelle sorte se doivent mesurer les rйfractions ; et encore que, pour dйterminer leur quantitй, en tant qu’elle dйpend de la nature particuliиre des corps oщ elles se font, il soit besoin d’en venir а l’expйrience, on ne laisse pas de le pouvoir faire assez certainement et aisйment, depuis qu’elles sont ainsi toutes rйduites sous une mкme mesure ; car il suffit de les examiner en un seul rayon, pour connaоtre toutes celles qui se font en une mкme superficie, et on peut йviter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres.

 


 

Comme, si nous voulons savoir la quantitй de celles qui se font en la superficie CBR, qui sйpare l’air AKP du verre LIS, nous n’avons qu’а l’йprouver en celle du rayon ABI, en cherchant la proportion qui est entre les lignes AH et IG. Puis, si nous craignons d’avoir failli en cette expйrience, il faut encore l’йprouver en quelques autres rayons, comme KBL ou PRS, et trouvant mкme proportion de KM а LN, et de PQ а. ST, que d’AH а IG, nous n’aurons plus aucune occasion de douter de la vйritй.

Mais peut-кtre vous йtonnerez-vous, en faisant ces expйriences, de trouver que les rayons de la lumiиre s’inclinent plus dans l’air que dans l’eau, sur les superficies oщ se fait leur rйfraction, et encore plus dans l’eau que dans le verre, tout au contraire d’une balle qui s’incline davantage dans l’eau que dans l’air, et ne peut aucunement passer dans le verre.

 


 

Car, par exemple, si c’est une balle qui, йtant poussйe dans l’air d’A vers B, rencontre au point B la superficie de l’eau CBE, elle se dйtournera de B vers V ; et si c’est un rayon, il ira, tout au contraire, de B vers I. Ce que vous cesserez toutefois de trouver йtrange, si vous vous souvenez de la nature que j’ai attribuйe а la lumiиre, quand j’ai dit qu’elle n’йtait autre chose qu’un certain mouvement ou une action reзue en une matiиre trиs subtile, qui remplit les pores des autres corps ; et que vous considйriez que, comme une balle perd davantage de son agitation, en donnant contre un corps mou, que contre un qui est dur, et qu’elle roule moins aisйment sur un tapis, que sur une table toute nue, ainsi l’action de cette matiиre subtile peut beaucoup plus кtre empкchйe par les parties de l’air, qui, йtant comme molles et mal jointes, ne lui font pas beaucoup de rйsistance, que par celles de l’eau, qui lui en font davantage ; et encore plus par celles de l’eau, que par celles du verre, ou du cristal. En sorte que, d’autant que les petites parties d’un corps transparent sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent-elles passer la lumiиre plus aisйment : car cette lumiиre n’en doit pas chasser aucunes hors de leurs places, ainsi qu’une balle en doit chasser de celles de l’eau, pour trouver passage parmi elles.

 


 

Au reste, sachant ainsi la cause des rйfractions qui se font dans l’eau et dans le verre, et communйment en tous les autres corps transparents qui sont autour de nous, on peut remarquer qu’elles y doivent кtre toutes semblables, quand les rayons sortent de ces corps, et quand ils y entrent. Comme, si le rayon qui vient d’A vers B, se dйtourne de B vers I, en passant de l’air dans le verre, celui qui reviendra d’I vers B, doit aussi se dйtourner de B vers A. Toutefois il se peut bien trouver d’autres corps, principalement dans le ciel, oщ les rйfractions, procйdant d’autres causes, ne sont pas ainsi rйciproques. Et il se peut aussi trouver certains cas, auxquels les rayons se doivent courber, encore qu’ils ne passent que par un seul corps transparent, ainsi que se courbe sou vent le mouvement d’une balle, parce qu’elle est dйtour nйe vers un cфtй par sa pesanteur, et vers un autre par l’action dont on l’a poussйe, ou pour diverses autres raisons.

Car enfin j’ose dire que les trois comparaisons, dont je viens de me servir, sont si propres, que toutes les particularitйs qui s’y peuvent remarquer se rapportent а quelques autres qui se trouvent toutes semblables en la lumiиre ; mais je n’ai tвchй que d’expliquer celles qui faisaient le plus а mon sujet. Et je ne vous veux plus faire ici considйrer autre chose, sinon que les superficies des corps transparents qui sont courbйes dйtournent les rayons qui passent par chacun de leurs points, en mкme sorte que feraient les superficies plates, qu’on peut imaginer toucher ces corps aux mкmes points. Comme, par exemple, la rйfraction des rayons AB, AC, AD, qui, venant du flambeau A, tombent sur la superficie courbe de la boule de cristal BCD, doit кtre considйrйe en mкme sorte, que si AB tombait sur la superficie plate EBF, et AC sur GCH, et AD sur IDK, et ainsi des autres.

 


 

D’oщ vous voyez que ces rayons se peuvent assembler ou йcarter diversement, selon qu’ils tombent sur des superficies qui sont courbйes diversement. Et il est temps que je commence а vous dйcrire quelle est la structure de l’њil, afin de vous pouvoir faire entendre comment les rayons, qui entrent dedans, s’y disposent pour causer le sentiment de la vue.

 

 

 

Discours troisiиme

De l’њil

 

S’il йtait possible de couper l’њil par la moitiй, sans que les liqueurs dont il est rempli s’йcoulassent, ni qu’aucune de ses parties changeвt de place, et que le plan de la section passвt justement par le milieu de la prunelle, il paraоtrait tel qu’il est reprйsentй en cette figure.

 


 

ABCB est une peau assez dure et йpaisse qui compose comme un vase rond dans lequel toutes ses parties intйrieures sont contenues. DEF est une autre peau dйliйe, qui est tendue ainsi qu’une tapisserie au dedans de la prйcйdente. ZH est le nerf nommй optique, qui est composй d’un grand nombre de petits filets, dont les extrйmitйs s’йtendent en tout l’espace GHI, oщ, se mкlant avec une infinitй de petites veines et artиres, elles composent une espиce de chair extrкmement tendre et dйlicate, laquelle est comme une troisiиme peau, qui couvre tout le fond de la seconde. K, L, M sont trois sortes de glaires ou humeurs fort transparentes, qui remplissent tout l’espace contenu au dedans de ces peaux, et ont chacune la figure, en laquelle vous la voyez ici reprйsentйe.

Et l’expйrience montre que celle du milieu, L, qu’on nomme l’humeur cristalline, cause а peu prиs mкme rйfraction que le verre ou le cristal ; et que les deux autres, K et M, la causent un peu moindre, environ comme l’eau commune, en sorte que les rayons de la lumiиre passent plus facilement par celle du milieu que par les deux autres, et encore plus facilement par ces deux que par l’air. En la premiиre peau, la partie BCB est transparente, et un peu plus voыtйe que le reste BAB. En la seconde, la superficie intйrieure de la partie EF, qui regarde le fond de l’њil , est toute noire et obscure ; et elle a au milieu un petit trou rond FF, qui est ce qu’on nomme la prunelle, et qui paraоt si noir au milieu de l’њil , quand on le regarde par dehors. Ce trou n’est pas toujours de mкme grandeur, et la partie EF de la peau en laquelle il est, nageant librement en l’humeur K, qui est fort liquide, semble кtre comme un petit muscle, qui se peut йtrйcir et йlargir а mesure qu’on regarde des objets plus ou moins proches, ou plus ou moins йclairйs, ou qu’on les veut voir plus ou moins distinctement.

Et vous pourrez voir facilement l’expйrience de tout ceci en l’њil d’un enfant ; car si vous lui faites regarder fixement un objet proche, vous verrez que sa prunelle deviendra un peu plus petite que si vous lui en faites regarder un plus йloignй, qui ne soit point avec cela plus йclairй. Et derechef, qu’encore qu’il regarde toujours le mкme objet, il l’aura beaucoup plus petite, йtant en une chambre fort claire, que si, en fermant la plupart des fenкtres, on la rend fort obscure. Et enfin que, demeurant au mкme jour, et regardant le mкme objet, s’il tвche d’en distinguer les moindres parties, sa prunelle sera plus petite, que s’il ne le considиre que tout entier, et sans attention. Et notez que ce mouvement doit кtre appelй volontaire, nonobstant qu’il soit ordinairement ignorй de ceux qui le font, car il ne laisse pas pour cela d’кtre dйpendant et de suivre de la volontй qu’ils ont de bien voir ; ainsi que les mouvements des lиvres et de la langue, qui servent а prononcer les paroles, se nomment volontaires, а cause qu’ils suivent de la volontй qu’on a de parler, nonobstant qu’on ignore souvent quels ils doivent кtre pour servir а la prononciation de chaque lettre. EN, EN sont plusieurs petit filets noirs, qui embrassent tout autour l’humeur marquйe L, et qui, naissant aussi de la seconde peau, en l’endroit oщ la troisiиme se termine, semblent autant de petits tendons, par le moyen desquels cette humeur L, devenant tantфt plus voыtйe, tantфt plus plate, selon l’intention qu’on a de regarder des objets proches ou йloignйs, change un peu toute la figure du corps de l’њil. Et vous pouvez connaоtre ce mouvement par expйrience : car si, lorsque vous regardez fixement une tour ou une montagne un peu йloignйe, on prйsente un livre devant vos yeux, vous n’y pourrez voir distinctement aucune lettre, jusques а ce que leur figure soit un peu changйe. Enfin O, O sont six ou sept muscles attachйs а l’њil par dehors, qui le peuvent mouvoir de tous cфtйs, et mкme aussi, peut-кtre, en le pressant ou retirant, aider а changer sa figure. je laisse а dessein plusieurs autres particularitйs qui se remarquent en cette matiиre, et dont les anatomistes grossissent leurs livres ; car je crois que celles que j’ai mises ici suffiront pour expliquer tout ce qui sert а mon sujet, et que les autres que j’y pourrais ajouter, n’aidant en rien votre intelligence, ne feraient que divertir votre attention.

 

 

 

Discours quatriиme

Des sens en gйnйral

 

Mais il faut que je vous dise maintenant quelque chose de la nature des sens en gйnйral, afin de pouvoir d’autant plus aisйment expliquer en particulier celui de la vue. On sait dйjа assez que c’est l’вme qui sent, et non le corps : car on voit que, lorsqu’elle est divertie par une extase ou forte contemplation, tout le corps demeure sans sentiment, encore qu’il ait divers objets qui le touchent. Et on sait que ce n’est pas proprement en tant qu’elle est dans les membres qui servent d’organes aux sens extйrieurs, qu’elle sent, mais en tant qu’elle est dans le cerveau, oщ elle exerce cette facultй qu’ils appellent le sens commun : car on voit des blessures et maladies qui, n’offensant que le cerveau seul, empкchent gйnйralement tous les sens, encore que le reste du corps ne laisse point pour cela d’кtre animй. Enfin on sait que c’est par l’entremise des nerfs que les impressions, que font les objets dans les membres extйrieurs, parviennent jusques а l’вme dans le cerveau : car on voit divers accidents, qui, ne nuisant а rien qu’а quelque nerf, фtent le sentiment de toutes les parties du corps oщ ce nerf envoie ses branches, sans rien diminuer de celui des autres. Mais, pour savoir plus particuliиrement en quelle sorte l’вme, demeurant dans le cerveau, peut ainsi, par l’entremise des nerfs, recevoir les impressions des objets qui sont au dehors, il faut distinguer trois choses en ces nerfs : а savoir, premiиrement, les peaux qui les enveloppent, et qui, prenant leur origine de celles qui enveloppent le cerveau, sont comme de petits tuyaux divisйs en plusieurs branches, qui se vont йpandre за et lа par tous les membres, en mкme faзon que les veines et les artиres ; puis leur substance intйrieure, qui s’йtend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux, depuis le cerveau, d’oщ elle prend son origine, jusques aux extrйmitйs des autres membres, oщ elle s’attache, en sorte qu’on peut imaginer, en chacun de ces petits tuyaux, plusieurs de ces petits filets indйpendants les uns des autres ; puis enfin les esprits animaux , qui sont comme un air ou un vent trиs subtil, qui, venant des chambres ou concavitйs qui sont dans le cerveau, s’йcoule par ces mкmes tuyaux dans les muscles. Or les anatomistes et mйdecins avouent assez que ces trois choses se trouvent dans les nerfs ; mais il ne me semble point qu’aucun d’eux en ait encore bien distinguй les usages. Car, voyant que les nerfs ne servent pas seulement а donner le sentiment aux membres, mais aussi а les mouvoir, et qu’il y a quelquefois des paralysies qui фtent le mouvement, sans фter pour cela le sentiment, tantфt ils ont dit qu’il y avait deux sortes de nerfs, dont les uns ne servaient que pour les sens, et les autres que pour les mouvements, et tantфt que la facultй de sentir йtait dans les peaux ou membranes, et que celle de mouvoir йtait dans la substance intйrieure des nerfs : qui sont choses fort rйpugnantes а l’expйrience et а la raison. Car qui a jamais pu remarquer aucun nerf, qui servоt au mouvement, sans servir aussi a quelque sens ? Et comment, si c’йtait des peaux que le sentiment dйpendоt, les diverses impressions des objets pourraient-elles, par le moyen de ces peaux, parvenir jusques au cerveau ? Afin donc d’йviter ces difficultйs, il faut penser que ce sont les esprits qui, coulant par les nerfs dans les muscles, et les enflant plus ou moins, tantфt les uns, tantфt les autres, selon les diverses faзons que le cerveau les distribue, causent le mouvement de tous les membres ; et que ce sont les petits filets, dont la substance intйrieure de ces nerfs est composйe, qui servent aux sens. Et d’autant que je n’ai point ici besoin de parler des mouvements, je dйsire seulement que vous conceviez que ces petits filets, йtant enfermйs, comme j’ai dit, en des tuyaux qui sont toujours enflйs et tenus ouverts par les esprits qu’ils contiennent, ne se pressent ni empкchent aucunement les uns les autres, et sont йtendus depuis le cerveau jusques aux extrйmitйs de tous les membres qui sont capables de quelque sentiment, en telle sorte que, pour peu qu’on touche et fasse mouvoir l’endroit de ces membres oщ quelqu’un d’eux est attachй, on fait aussi mouvoir au mкme instant l’endroit du cerveau d’oщ il vient, ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde qui est toute tendue, on fait mouvoir au mкme instant l’autre bout. Car, sachant que ces filets sont ainsi enfermйs en des tuyaux, que les esprits tiennent toujours un peu enflйs et entre-ouverts, il est aisй а entendre qu’encore qu’ils fussent beaucoup plus dйliйs que ceux que filent les vers а soie, et plus faibles que ceux des araignйes, ils ne laisseraient pas de se pouvoir йtendre depuis la tкte jusques aux membres les plus йloignйs, sans кtre en aucun hasard de se rompre, ni que les diverses situations de ces membres empкchassent leurs mouvements. Il faut, outre cela, prendre garde а ne pas supposer que, pour sentir, l’вme ait besoin de contempler quelques images qui soient envoyйes par les objets jusques au cerveau, ainsi que font communйment nos philosophes ; ou, du moins, il faut concevoir la nature de ces images tout autrement qu’ils ne font. Car, d’autant qu’ils ne considиrent en elles autre chose, sinon qu’elles doivent avoir de la ressemblance avec les objets qu’elles reprйsentent, il leur est impossible de nous montrer comment elles peuvent кtre formйes par ces objets, et reзues par les organes des sens extйrieurs, et transmises par les nerfs jusques au cerveau. Et ils n’ont eu aucune raison de les supposer, sinon que, voyant que notre pensйe peut facilement кtre excitйe, par un tableau, а concevoir l’objet qui y est peint, il leur a semblй qu’elle devait l’кtre, en mкme faзon, а concevoir ceux qui touchent nos sens, par quelques petits tableaux qui s’en formassent en notre tкte, au lieu que nous devons considйrer qu’il y a plusieurs autres choses que des images, qui peuvent exciter notre pensйe ; comme, par exemple, les signes et les paroles, qui ne ressemblent en aucune faзon aux choses qu’elles signifient. Et si, pour ne nous йloigner que le moins qu’il est possible des opinions dйjа reзues, nous aimons mieux avouer que les objets que nous sentons envoient vйritablement leurs images jusques au dedans de notre cerveau, il faut au moins que nous remarquions qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout ressembler aux objets qu’elles reprйsentent : car autrement il n’y aurait point de distinction entre l’objet et son image : mais qu’il suffit qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent mкme, que leur perfection dйpend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles pourraient faire. Comme vous voyez que les tailles-douces, n’йtant faites que d’un eu d’encre posйe за et lа sur du papier, nous reprйsentent es forкts, des villes, des hommes, et mкme des batailles et des tempкtes, bien que, d’une infinitй de diverses qualitйs qu’elles nous font concevoir en ces objets, il n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la ressemblance ; et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que, sur une superficie toute plate, elles nous reprйsentent des corps diversement relevйs et enfoncйs, et que mкme, suivant les rиgles de la perspective, souvent elles reprйsentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles ; et des carrйs par des losanges que par d’autres carrйs ; et ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour кtre plus parfaites en qualitй d’images, et reprйsenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler. Or il faut que nous pensions tout le mкme des images qui se forment en notre cerveau, et que nous remarquions qu’il est seulement question de savoir comment elles peuvent donner moyen а l’вme de sentir toutes les diverses qualitйs des objets auxquels elles se rapportent, et non point comment elles ont en soi leur ressemblance. Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons parlй ci-dessus, touche quelques corps de son bвton, il est certain que ces corps n’envoient autre chose jusques а lui, sinon que, faisant mouvoir diversement son bвton selon les diverses qualitйs qui sont en eux, ils meuvent par mкme moyen les nerfs de sa main, et ensuite les endroits de son cerveau d’oщ viennent ces nerfs ; ce qui donne occasion а son вme de sentir tout autant de diverses qualitйs en ces corps, qu’il se trouve de variйtйs dans les mouvements qui sont causйs par eux en son cerveau.

 

 

 

Discours cinquiиme

Des images qui se forment sur le fond de l’њil

 

Vous voyez donc assez que, pour sentir, l’вme n’a pas besoin de contempler aucunes images qui soient semblables aux choses qu’elle sent ; mais cela n’empкche pas qu’il ne soit vrai que les objets que nous regardons en impriment d’assez parfaites dans le fond de nos yeux ; ainsi que quelques-uns ont dйjа trиs ingйnieusement expliquй , par la comparaison de celles qui paraissent dans une chambre, lorsque l’ayant toute fermйe, rйservй un seul trou et ayant nus au-devant de ce trou un verre en forme de lentille, on йtend derriиre, а certaine distance, un linge blanc, sur qui la lumiиre, qui vient des objets de dehors, forme ces images. Car ils disent que cette chambre reprйsente l’њil ; ce trou, la prunelle ; ce verre, l’humeur cristalline, ou plutфt toutes celles des parties de l’њil qui causent quelque rйfraction ; et ce linge, la peau intйrieure, qui est composйe des extrйmitйs du nerf optique.

 


 

Mais vous en pourrez кtre encore plus certain, si, prenant l’њil d’un homme fraоchement mort, ou, au dйfaut, celui d’un bњuf ou de quelque autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure dйcouverte, sans qu’il y ait rien d’elle pour cela qui se rйpande ; puis, l’ayant recouverte de quelque corps blanc, qui soit si dйliй que le jour passe au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un њuf, RST, que vous mettiez cet њil dans le trou d’une fenкtre fait exprиs, comme Z, en sorte qu’il ait le devant, BCD, tournй vers quelque lieu oщ il y ait divers objets, comme V, X, Y, йclairйs par le soleil ; et le derriиre, oщ est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre, P, oщ vous serez, et en laquelle il ne doit entrer aucune lumiиre, que celle qui pourra pйnйtrer au travers de cet њil , dont vous savez que toutes les parties, depuis C jusques а S, sont transparentes. Car, cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST, vous y verrez, non peut-кtre sans admiration et plaisir, une peinture, qui reprйsentera fort naпvement en perspective tous les objets qui seront au dehors vers VXY, au moins si vous faites en sorte que cet њil retienne sa figure naturelle, proportionnйe а la distance de ces objets : car, pour peu que vous le pressiez plus ou moins que de raison, cette peinture en deviendra moins distincte. Et il est а remarquer qu’on doit le presser un peu davantage, et tendre sa figure un peu plus longue, lorsque les objets sont fort proches, que lorsqu’ils sont plus йloignйs. Mais il est besoin que j’explique ici plus au long comment se forme cette peinture ; car je pourrai, par mкme moyen, vous faire entendre plusieurs choses qui appartiennent а la vision.

Considйrez donc, premiиrement, que, de chaque point des objets V, X, Y, il entre en cet њil autant de rayons, qui pйnиtrent jusques au corps blanc RST, que l’ouverture de la prunelle FF en peut comprendre, et que, suivant ce qui a йtй dit ici dessus, tant de la nature de la rйfraction que de celle des trois humeurs K, L, M, tous ceux de ces rayons, qui viennent d’un mкme point, se courbent en traversant les trois superficies BCD, 123 et 456, en la faзon qui est requise pour se rassembler derechef environ vers un mкme point. Et il faut remarquer qu’afin que la peinture, dont il est ici question, soit la plus parfaite qu’il est possible, les figures de ces trois superficies doivent кtre telles que tous les rayons, qui viennent de l’un des points des objets, se rassemblent exactement en l’un des points du corps blanc RST. Comme vous voyez ici que ceux du point X s’assemblent au point S ; en suite de quoi ceux qui viennent du point V s’assemblent aussi а peu prиs au point R ; et ceux du point Y, au point T. Et que, rйciproquement, il ne vient aucun rayon vers S, que du point X ; ni quasi aucun vers R, que du point V ; ni vers T, que du point Y, et ainsi des autres. Or cela posй, si vous vous souvenez de ce qui a йtй dit ci-dessus de la lumiиre et des couleurs en gйnйral, et en particulier des corps blancs, il vous sera facile а entendre, qu’йtant enfermй dans la chambre P, et jetant vos yeux sur le corps blanc RST, vous y devez voir la ressemblance des objets V, X, Y. Car, premiиrement, la lumiиre, c’est-а-dire le mouvement ou l’action dont le soleil, ou quelque autre des corps qu’on nomme lumineux, pousse une certaine matiиre fort subtile qui se trouve en tous les corps transparents, йtant repoussйe vers R par l’objet V, que je suppose, par exemple, кtre rouge, c’est-а-dire, кtre disposй а faire que les petites parties de cette matiиre subtile, qui ont йtй seulement poussйes en lignes droites par les corps lumineux, se meuvent aussi en rond autour de leurs centres, aprиs les avoir rencontrйs, et que leurs deux mouvements aient entre eux la proportion qui est requise pour faire sentir la couleur rouge ; il est certain que l’action de ces deux mouvements, ayant rencontrй au point R un corps blanc , c’est-а-dire un corps disposй а la renvoyer vers tout autre cфtй sans la changer, doit de lа se rйflйchir vers vos yeux par les pores de ce corps, que j’ai supposй а cet effet fort dйliй, et comme percй а jour de tous cфtйs, et ainsi vous faire voir le point R de couleur rouge. Puis, la lumiиre йtant aussi repoussйe de l’objet X, que je suppose jaune, vers S ; et d’Y, que je suppose bleu, vers T, d’oщ elle est portйe vers vos yeux ; elle vous doit faire paraоtre S de couleur jaune, et T de couleur bleue. Et ainsi les trois points R, S, T, paraissant des mкmes couleurs, et gardant entre eux le mкme ordre que les trois V, X, Y, en ont manifestement la ressemblance. Et la perfection de cette peinture dйpend principalement de trois choses : а savoir de ce que, la prunelle de l’њil ayant quelque grandeur, il y entre plusieurs rayons de chaque point de l’objet, comme ici XB14S, XC25S, XD36S, et tout autant d’autres qu’on en puisse imaginer entre ces trois, y viennent du seul point X ; et de ce que ces rayons souffrent dans l’њil de telles rйfractions, que ceux qui viennent de divers points se rassemblent а peu prиs en autant d’autres divers points sur le corps blanc RST ; et enfin de ce que, tant les petits filets EN que le dedans de la peau EF йtant de couleur noire, et la chambre P toute fermйe et obscure, il ne vient d’ailleurs que des objets V, X, Y, aucune lumiиre qui trouble l’action de ces rayons. Car, si la prunelle йtait si йtroite, qu’il ne passвt qu’un seul rayon de chaque point de l’objet vers chaque point du corps RST, il n’aurait pas assez de force pour se rйflйchir de lа dans la chambre P, vers vos yeux. Et la prunelle йtant un peu grande, s’il ne se faisait dans l’њil aucune rйfraction, les rayons qui viendraient de chaque point des objets, s’йpandraient за et lа en tout l’espace RST, en sorte que, par exemple, les trois points V, X, Y enverraient trois rayons vers R, qui, se rйflйchissant de lа tous ensemble vers vos yeux, vous feraient paraоtre ce point R d’une couleur moyenne entre le rouge, le jaune et le bleu, et tout semblable aux points S et T, vers lesquels les mкmes points V. X, Y enverraient aussi chacun un de leurs rayons. Et il arriverait aussi quasi le mкme, si la rйfraction qui se fait en l’њil йtait plus ou moins grande qu’elle ne doit, а raison de la grandeur de cet њil : car, йtant trop grande, les rayons qui viendraient, par exemple, du point X, s’assembleraient avant que d’кtre parvenus jusques а S, comme vers M ; et, au contraire, йtant trop petite, ils ne s’assembleraient qu’au delа, comme vers P ; si bien qu’ils toucheraient le corps blanc RST en plusieurs points, vers lesquels il viendrait aussi d’autres rayons des autres parties de l’objet. Enfin, si les corps EN, EF n’йtaient noirs, c’est-а-dire disposйs а faire que la lumiиre qui donne de contre s’y amortisse, les rayons qui viendraient vers eux du corps blanc RST, pourraient de lа retourner, ceux de T, vers S et vers R ; ceux de R, vers T et vers S ; et ceux de S, vers R et vers T : au moyen de quoi ils troubleraient l’action les uns des autres ; et le mкme feraient aussi les rayons qui viendraient de la chambre P vers RST, s’il y avait quelque autre lumiиre en cette chambre, que celle qu’y envoient les objets V, X, Y.

Mais, aprиs vous avoir parlй des perfections de cette peinture, il faut aussi que je vous fasse considйrer ses dйfauts, dont le premier et le principal est que, quelques figures que puissent avoir les parties de l’њil, il est impossible qu’elles fassent que les rayons qui viennent de divers points, s’assemblent tous en autant d’autres divers points, et que tout le mieux qu’elles puissent faire c’est seulement que tous ceux qui viennent de quelque point, comme d’X, s’assemblent en un autre point, comme S, dans le milieu du fond de l’њil ; en quel cas il n’y en peut avoir que quelques-uns de ceux du point V, qui s’assemblent justement au point R, ou du point Y, qui s’assemblent justement au point T ; et les autres s’en doivent йcarter quelque peu, tout а l’entour, ainsi que j’expliquerai ci-aprиs. Et ceci est cause que cette peinture n’est jamais si distincte vers ses extrйmitйs qu’au milieu, comme il a йtй assez remarque par ceux qui ont йcrit de l’optique. Car c’est pour cela qu’ils ont dit que la vision se fait principalement suivant la ligne droite, qui passe par les centres de l’humeur cristalline et de la prunelle, telle qu’est ici la ligne XKLS, qu’ils nomment l’essieu de la vision. Et notez que les rayons, par exemple, ceux qui viennent du point V, s’йcartent autour du point R, d’autant plus que l’ouverture de la prunelle est plus grande ; et ainsi que, si sa grandeur sert а rendre les couleurs de cette peinture plus vives et plus fortes, elle empкche en revanche que ces figures ne soient si distinctes, d’oщ vient qu’elle ne doit кtre que mйdiocre. Notez aussi que ces rayons s’йcarteraient encore plus autour du point R, qu’ils ne font, si le point V, d’oщ ils viennent, йtait beaucoup plus proche de l’њil, comme vers 10, ou beaucoup plus йloignй, comme vers 11, que n’est X, а la distance duquel je suppose que la figure de l’њil est proportionnйe ; de sorte qu’ils rendraient la partie R de cette peinture encore moins distincte qu’ils ne font. Et vous entendrez facilement les dйmonstrations de tout ceci, lorsque vous aurez vu, ci-aprиs, quelle figure doivent avoir les corps transparents, pour faire que les rayons, qui viennent d’un point, s’assemblent en quelque autre point, aprиs les avoir traversйs. Pour les autres dйfauts de cette peinture, ils consistent en ce que ses parties sont renversйes, c’est-а-dire en position toute contraire а celle des objets ; et en ce qu’elles sont apetissйes et raccourcies les unes plus, les autres moins, а raison de la diverse distance et situation des choses qu’elles reprйsentent, quasi en mкme faзon que dans un tableau de perspective. Comme vous voyez ici clairement que T, qui est vers le cфtй gauche, reprйsente Y, qui est vers le droit, et que R, qui est vers le droit, reprйsente V, qui est vers le gauche. Et de plus, que la figure de l’objet V ne doit pas occuper plus d’espace vers R, que celle de l’objet 10, qui est plus petit, mais plus proche ; ni moins que celle de l’objet II, qui est plus grand, mais а proportion plus йloignй, sinon en tant qu’elle est un peu plus distincte. Et enfin, que la ligne droite VXY est reprйsentйe par la courbe RST.

Or, ayant ainsi vu cette peinture dans l’њil d’un animal mort, et en ayant considйrй les raisons, on ne peut douter qu’il ne s’en forme une toute semblable en celui d’un homme vif, sur la peau intйrieure, en la place de laquelle nous avions substituй le corps blanc RST ; et mкme qu’elle ne s’y forme beaucoup mieux, а cause que ses humeurs, йtant pleines d’esprits, sont plus transparentes, et ont plus exactement la figure qui est requise а cet effet. Et peut-кtre aussi qu’en l’њil d’un bњuf la figure de la prunelle, qui n’est pas ronde, empкche que cette peinture n’y soit si parfaite.

 


 

On ne peut douter non plus que les images qu’on fait paraоtre sur un linge blanc, dans une chambre obscure, ne s’y forment tout de mкme et pour la mкme raison qu’au fond de l’њil ; mкme, а cause qu’elles y sont ordinairement beaucoup plus grandes, et s’y forment en plus de faзons, on y peut plus commodйment remarquer diverses particularitйs, dont je dйsire ici vous avertir, afin que vous en fassiez l’expйrience, si vous ne l’avez encore jamais faite. Voyez donc, premiиrement, que, si on ne met aucun verre au-devant du trou qu’on aura fait en cette chambre, il paraоtra bien quelques images sur le linge, pourvu que le trou soit fort йtroit, mais qui seront fort confuses et imparfaites, et qui le seront d’au tant plus, que ce trou sera moins йtroit ; et qu’elles seront aussi d’autant plus grandes, qu’il y aura plus de distance entre lui et le linge, en sorte que leur grandeur doit avoir, а peu prиs, mкme proportion avec cette distance, que la grandeur des objets, qui les causent, avec la distance qui est entre eux et ce mкme trou. Comme il est йvident que, si ACB est l’objet, D le trou, et EFG l’image, EG est а FD comme AB est а CD. Puis, ayant nus un verre en forme de lentille au-devant de ce trou, considйrez qu’il y a certaine distance dйterminйe, а laquelle tenant le linge, les images paraissent fort distinctes, et que, pour peu qu’on l’йloigne ou qu’on l’approche davantage du verre, elles commencent а l’кtre moins. Et que cette distance doit кtre mesurйe par l’espace qui est, non pas entre le linge et le trou, mais entre le linge et le verre : en sorte que, si l’on met le verre un peu au delа du trou de part ou d’autre, le linge en doit aussi кtre d’autant approchй ou reculй. Et qu’elle dйpend en partie de la figure de ce verre, et en partie aussi de l’йloignement des objets : car, en laissant l’objet en mкme lieu, moins les superficies du verre sont courbйes, plus le linge en doit кtre йloignй, et en se servant du mкme verre, si les objets en sont fort proches, il en faut tenir le linge un peu plus loin, que s’ils en sont plus йloignйs. Et que de cette distance dйpend la grandeur des images, quasi en mкme faзon que lorsqu’il n’y a point de verre au-devant du trou. Et que ce trou peut кtre beaucoup plus grand, lorsqu’on y met un verre, que lorsqu’on le laisse tout vide, sans que les images en soient pour cela de beaucoup moins distinctes. Et que, plus il est grand, plus elles paraissent claires et illuminйes : en sorte que, si on couvre une partie de ce verre, elles paraоtront bien plus obscures qu’auparavant, mais qu’elles ne laisseront pas pour cela d’occuper autant d’espace sur le linge. Et que, plus ces images sont grandes et claires, plus elles se voient parfaitement : en sorte que, si on pouvait aussi faire un њil , dont la profondeur fыt fort grande, et la prunelle fort large, et que les figures de celles de ses superficies qui causent quelque rйfraction, fussent proportionnйes а cette grandeur, les images s’y formeraient d’autant plus visibles. Et que, si ayant deux ou plusieurs verres en forme de lentilles, mais assez plats, on les joint l’un contre l’autre, ils auront а peu prиs le mкme effet qu’aurait un seul, qui serait autant voыtй ou convexe qu’eux deux ensemble ; car le nombre des superficies oщ se font les rйfractions n’y fait pas grand chose. Mais que, si on йloigne ces verres а certaines distances les uns des autres, le second pourra redresser l’image que le premier aura renversйe, et le troisiиme la renverser derechef, et ainsi de suite. Qui sont toutes choses dont les raisons sont fort aisйes а dйduire de ce que j’ai dit, et elles seront bien plus vфtres, s’il vous faut user d’un peu de rйflexion pour les concevoir, que si vous les trouviez ici mieux expliquйes.

 


 

Au reste, les images des objets ne se forment pas seulement ainsi au fond de l’њil, mais elles passent encore au-delа jusques au cerveau, comme vous entendrez facilement, si vous pensez que, par exemple, les rayons qui viennent dans l’њil de l’objet V touchent au point R l’extrйmitй de l’un des petits filets du nerf optique, qui prend son origine de l’endroit 7 de la superficie intйrieure du cerveau 789 ; et ceux de l’objet X touchent au point S l’extrйmitй d’un autre de ces filets, dont le commencement est au point 8 ; et ceux de l’objet Y en touchent un autre au point T, qui rйpond а l’endroit du cerveau marquй 9, et ainsi des autres. Et que, la lumiиre n’йtant autre chose qu’un mouvement, ou une action qui tend а causer quelque mouvement, ceux de ses rayons qui viennent de V vers R, ont la force de mouvoir tout le filet R7, et par consйquent l’endroit du cerveau marquй 7 ; et ceux qui viennent d’X vers S, de mouvoir tout le nerf S8, et mкme de le mouvoir d’autre faзon que n’est mы R7, а cause que les objets X et V sont de deux diverses couleurs ; et ainsi, que ceux qui viennent d’Y, meuvent le point 9. D’oщ il est manifeste qu’il se forme derechef une peinture 789, assez semblable aux objets V, X, Y, en la superficie intйrieure du cerveau qui regarde ses concavitйs. Et de lа je pourrais encore la transporter jusques а une certaine petite glande, qui se trouve environ le milieu de ces concavitйs, et est proprement le siиge du sens commun . Mкme je pourrais, encore plus outre, vous montrer comment quelquefois elle peut passer de lа par les artиres d’une femme enceinte, jusques а quelque membre dйterminй de l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, et y former ces marques d’envie, qui causent tant d’admiration а tous les Doctes.

 

 

 

Discours sixiиme

De la vision

 

Or, encore que cette peinture, en passant ainsi jusques au dedans de notre tкte, retienne toujours quelque chose de la ressemblance des objets dont elle procиde, il ne se faut point toutefois persuader, ainsi que je vous ai dйjа tantфt assez fait entendre, que ce soit par le moyen de cette ressemblance qu’elle fasse que nous les sentons, comme s’il y avait derechef d’autres yeux en notre cerveau, avec lesquels nous la pussions apercevoir ; mais plutфt, que ce sont les mouvements par lesquels elle est composйe, qui, agissant immйdiatement contre notre вme, d’autant qu’elle est unie а notre corps, sont instituйs de la Nature pour lui faire avoir de tels sentiments. Ce que je vous veux ici expliquer plus en dйtail. Toutes les qualitйs que nous apercevons dans les objets de la vue, peuvent кtre rйduites а six principales, qui sont : la lumiиre, la couleur, la situation, la distance, la grandeur, et la figure. Et premiиrement, touchant la lumiиre et la couleur, qui seules appartiennent proprement au sens de la vue, il faut penser que notre вme est de telle nature que la force des mouvements, qui se trouvent dans les endroits du cerveau d’oщ viennent les petits filets des nerfs optiques, lui fait avoir le sentiment de la lumiиre ; et la faзon de ces mouvements, celui de la couleur : ainsi que les mouvements des nerfs qui rйpondent aux oreilles lui font ouпr les sons ; et ceux des nerfs de la langue lui font goыter les saveurs ; et, gйnйralement, ceux des nerfs de tout le corps lui font sentir quelque chatouillement, quand ils sont modйrйs, et quand ils sont trop violents, quelque douleur ; sans qu’il doive, en tout cela, y avoir aucune ressemblance entre les idйes qu’elle conзoit, et les mouvements qui causent ces idйes. Ce que vous croirez facilement, si vous remarquez qu’il semble а ceux qui reзoivent quelque blessure dans l’њil, qu’ils voient une infinitй de feux et d’йclairs devant eux, nonobstant qu’ils ferment les yeux, ou bien qu’ils soient en lieu fort obscur ; en sorte que ce sentiment ne peut кtre attribuй qu’а la seule force du coup, laquelle meut les petits filets du nerf optique, ainsi que ferait une violente lumiиre ; et cette mкme force, touchant les oreilles, pourrait faire ouпr quelque son ; et touchant le corps en d’autres parties, y faire sentir de la douleur.

Et ceci se confirme aussi de ce que, si quelquefois on force ses yeux а regarder le soleil, ou quelque autre lumiиre fort vive, ils en retiennent, aprиs un peu de temps, l’impression en telle sorte que, nonobstant mкme qu’on les tienne fermйs, il semble qu’on voie diverses couleurs, qui se changent et passent de l’une а l’autre, а mesure qu’elles s’affaiblissent : car cela ne peut procйder que de ce que les petits filets du nerf optique, ayant йtй mus extraordinairement fort, ne se peuvent arrкter sitфt que de coutume. Mais l’agitation, qui est encore en eux aprиs que les yeux sont fermйs, n’йtant plus assez grande pour reprйsenter cette forte lumiиre qui l’a causйe, reprйsente des couleurs moins vives. Et ces couleurs se changent en s’affaiblissant, ce qui montre que leur nature ne consiste qu’en la diversitй du mouvement, et n’est point autre que je l’ai ci-dessus supposйe. Et enfin ceci se manifeste de ce que les couleurs paraissent souvent en des corps transparents, oщ il est certain qu’il n’y a rien qui les puisse causer, que les diverses faзons dont les rayons de la lumiиre y sont reзus, comme lorsque l’arc-en-ciel paraоt dans les nues, et encore plus clairement, lorsqu’on en voit la ressemblance dans un verre qui est taillй а plusieurs faces.

 


 

Mais il faut ici particuliиrement considйrer en quoi consiste la quantitй de la lumiиre qui se voit, c’est-а-dire, de la force dont est mы chacun des petits filets du nerf optique : car elle n’est pas toujours йgale а la lumiиre qui est dans les objets, mais elle varie а raison de leur distance et de la grandeur de la prunelle, et aussi а raison de l’espace que les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, peuvent occuper au fond de l’њil. Comme, par exemple, il est manifeste que le point X enverrait plus de rayons dans l’њil B qu’il ne fait, si la prunelle FF йtait ouverte jusques а G ; et qu’il en envoie tout autant en cet њil B qui est proche de lui, et dont la prunelle est fort йtroite, qu’il fait en l’њil A, dont la prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est а proportion plus йloignйe. Et encore qu’il n’entre pas plus de rayons des divers points de l’objet VXY, considйrйs tous ensemble, dans le fond de l’њil A que dans celui de l’њil B, toutefois, parce que ces rayons ne s’y йtendent qu’en l’espace TR, qui est plus petit que n’est HI, dans lequel ils s’йtendent au fond de l’њil B, ils y doivent agir avec plus de force contre chacune des extrйmitйs du nerf qu’ils y touchent : ce qui est fort aisй а calculer. Car si, par exemple, l’espace HI est quadruple de TR, et qu’il contienne les extrйmitйs de quatre mille des petits filets du nerf optique, TR ne contiendra que celles de mille, et par consйquent chacun de ces petits filets sera mы, dans le fond de l’њil A, par la milliиme partie des forces qu’ont tous les rayons qui y entrent, jointes ensemble, et, dans le fond de l’њil B, par le quart de la milliиme partie seulement. Il faut aussi considйrer qu’on ne peut discerner les parties des corps qu’on regarde, qu’en tant qu’elles diffиrent en quelque faзon de couleur ; et que la vision distincte de ces couleurs ne dйpend pas seulement de ce que tous les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, se rassemblent а peu prиs en autant d’autres divers points au fond de l’њil, et de ce qu’il n’en vient aucuns autres d’ailleurs vers ces mкmes points, ainsi qu’il a йtй tantфt amplement expliquй ; mais aussi de la multitude des petits filets du nerf optique, qui sont en l’espace qu’occupe l’image au fond de l’њil. Car si, par exemple, l’objet VXY est composй de dix mille parties, qui soient disposйes а envoyer des rayons vers le fond de l’њil RST, en dix mille faзons diffйrentes, et par consйquent а faire voir en mкme temps dix mille couleurs, elles n’en pourront nйanmoins faire distinguer а l’вme que mille tout au plus, si nous supposons qu’il n’y ait que mille des filets du nerf optique en l’espace RST ; d’autant que dix des parties de l’objet, agissant ensemble contre chacun de ces filets, ne le peuvent mouvoir que d’une seule faзon, composйe de toutes celles dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne doit кtre considйrй que comme un point.

Et c’est ce qui fait que souvent une prairie, qui sera peinte d’une infinitй de couleurs toutes diverses, ne paraоtra de loin que toute blanche, ou toute bleue ; et, gйnйralement, que tous les corps se voient moins distinctement de loin que de prиs ; et enfin que, plus on peut faire que l’image d’un mкme objet occupe d’espace au fond de l’њil, plus il peut кtre vu distinctement. Ce qui sera ci-aprиs fort а remarquer.

Pour la situation, c’est-а-dire le cфtй vers lequel est posйe chaque partie de l’objet au respect de notre corps, nous ne l’apercevons pas autrement par l’entremise de nos yeux que par celle de nos mains ; et sa connaissance ne dйpend d’aucune image, ni d’aucune action qui vienne de l’objet, mais seulement de la situation des petites parties du cerveau d’oщ les nerfs prennent leur origine. Car cette situation, se changeant tant soit peu, а chaque fois que se change celle des membres oщ ces nerfs sont insйrйs, est instituйe de la Nature pour faire, non seulement que l’вme connaisse en quel endroit est chaque partie du corps qu’elle anime, au respect de toutes les autres ; mais aussi qu’elle puisse transfйrer de lа son attention а tous les lieux contenus dans les lignes droites qu’on peut imaginer кtre tirйes de l’extrйmitй de chacune de ces parties, et prolongйes а l’infini.

 


 

Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons dйjа tant parlй ci-dessus, tourne sa main A vers E, ou C aussi vers E, les nerfs insйrйs en cette main causent un certain changement en son cerveau qui donne moyen а son вme de connaоtre, non seulement le lieu A ou C, mais aussi tous les autres qui sont en la ligne droite AE ou CE, en sorte qu’elle peut porter son attention jusques aux objets B et D, et dйterminer les lieux oщ ils sont, sans connaоtre pour cela ni penser aucunement а ceux oщ sont ses deux mains. Et ainsi, lorsque notre њil ou notre tкte se tournent vers quelque cфtй, notre вme en est avertie par le changement que les nerfs insйrйs dans les muscles, qui servent а ces mouvements, causent en notre cerveau.

Comme ici, en l’њil RST, il faut penser que la situation du petit filet optique, qui est au point R, ou S, ou T, est suivie d’une autre certaine situation de la partie du cerveau 7, ou 8, ou 9, qui fait que l’вme peut connaоtre tous les lieux qui sont en la ligne RV, ou SX, ou TY. De faзon que vous ne devez pas trouver йtrange que les objets puissent кtre vus en leur vraie situation, nonobstant que la peinture, qu’ils impriment dans l’њil, en ait une toute contraire : ainsi que notre aveugle peut sentir en mкme temps l’objet B, qui est а droite, par l’entremise de sa main gauche ; et D, qui est а gauche, par l’entremise de sa main droite. Et comme cet aveugle ne juge point qu’un corps soit double, encore qu’il le touche de ses deux mains, ainsi, lorsque nos yeux sont tous deux disposйs en la faзon qui est requise pour porter notre attention vers un mкme lieu, ils ne nous y doivent faire voir qu’un seul objet, nonobstant qu’il s’en forme en chacun d’eux une peinture.

 


 

La vision de la distance ne dйpend, non plus que celle de la situation, d’aucunes images envoyйes des objets, mais, premiиrement, de la figure du corps de l’њil ; car, comme nous avons dit, cette figure doit кtre un peu autre, pour nous faire voir ce qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus йloignй, et а mesure que nous la changeons pour la proportionner а la distance des objets, nous changeons aussi certaine partie de notre cerveau, d’une faзon qui est instituйe de la Nature pour faire apercevoir а notre вme cette distance. Et ceci nous arrive ordinairement sans que nous y fassions de rйflexion ; tout de mкme que, lorsque nous serrons quelque corps de notre main, nous la conformons а la grosseur et а la figure de ce corps, et le sentons par son moyen, sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions а ses mouvements. Nous connaissons, en second lieu, la distance par le rapport qu’ont les deux yeux l’un а l’autre. Car, comme notre aveugle, tenant les deux bвtons AE, CE, dont je suppose qu’il ignore la longueur, et sachant seulement l’intervalle qui est entre ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de lа, comme par une Gйomйtrie naturelle, connaоtre oщ est le point E ; ainsi, quand nos deux yeux, RST et rst, sont tournйs vers X, la grandeur de la ligne Ss, et celle des deux angles XSs et XsS, nous font savoir oщ est le point X. Nous pouvons aussi le mкme par l’aide d’un њil seul, en lui faisant changer de place : comme si, le tenant tournй vers X, nous le mettons premiиrement au point S et incontinent aprиs au point s, cela suffira pour faire que la grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouvent ensemble en notre fantaisie, et nous fassent apercevoir la distance du point X : et ce, par une action de la pensйe, qui, n’йtant qu’une imagination toute simple, ne laisse point d’envelopper en soi un raisonnement tout semblable а celui que font les arpenteurs, lorsque, par le moyen de deux diffйrentes stations, ils mesurent les lieux inaccessibles.

Nous avons encore une autre faзon d’apercevoir la distance, а savoir par la distinction ou confusion de la figure, et ensemble par la force ou dйbilitй de la lumiиre. Comme, pendant que nous regardons fixement vers X, les rayons qui viennent des objets 10 et 12, ne s’assemblent pas si exactement vers R et vers T, au fond de notre њil , que si ces objets йtaient aux points V et Y ; d’oщ nous voyons qu’ils sont plus йloignйs, ou plus proches de nous, que n’est X.

Puis, de ce que la lumiиre, qui vient de l’objet 10 vers notre њil , est plus forte que si cet objet йtait vers V, nous le jugeons кtre plus proche ; et de ce que celle qui vient de l’objet 12 est plus faible que s’il йtait vers Y, nous le jugeons plus йloignй. Enfin, quand nous imaginons dйjа d’ailleurs la grandeur d’un objet, ou sa situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la force de la lumiиre qui vient de lui, cela nous peut servir, non pas proprement а voir, mais а imaginer sa distance. Comme, regardant de loin quelque corps, que nous avons accoutumй de voir de prиs, nous en jugeons bien mieux l’йloignement, que nous ne ferions si sa grandeur nous йtait moins connue. Et regardant une montagne exposйe au soleil, au delа d’une forкt couverte d’ombre, ce n’est que la situation de cette forкt, qui nous la fait juger la plus proche. Et regardant sur mer deux vaisseaux, dont l’un soit plus petit que l’autre, mais plus proche а proportion, en sorte qu’ils paraissent йgaux, nous pourrons, par la diffйrence de leurs figures et de leurs couleurs, et de la lumiиre qu’ils envoient vers nous, juger lequel sera le plus loin.

 


 

Au reste, pour la faзon dont nous voyons la grandeur et la figure des objets, je n’ai pas besoin d’en rien dire de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise en celle dont nous voyons la distance et la situation de leurs parties. A savoir, leur grandeur s’estime par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de leur distance, comparйe avec la grandeur des images qu’ils impriment au fond de l’њil ; et non pas absolument par la grandeur de ces images, ainsi qu’il est assez manifeste de ce que, encore qu’elles soient, par exemple, cent fois plus grandes, lorsque les objets sont fort proches de nous, que lorsqu’ils en sont dix fois plus йloignйs, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grands, mais presque йgaux, au moins si leur distance ne nous trompe.

Et il est manifeste aussi que la figure se juge par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de la situation des diverses parties des objets, et non par la ressemblance des peintures qui sont dans l’њil : car ces-peintures ne contiennent ordinairement que des ovales et des losanges lorsqu’elles nous font voir des cercles et des carrйs.

Mais, afin que vous ne puissiez aucunement douter que la vision ne se fasse ainsi que je l’ai expliquйe, je vous veux faire encore ici considйrer les raisons pourquoi il arrive quelquefois qu’elle nous trompe. Premiиrement, а cause que c’est l’вme qui voit, et non pas l’њil, et qu’elle ne voit immйdiatement que par l’entremise du cerveau, de lа vient que les frйnйtiques , et ceux qui dorment, voient souvent, ou pensent voir, divers objets qui ne sont point pour cela devant leurs yeux : а savoir quand quelques vapeurs, remuant leur cerveau, disposent celles de ses parties qui ont coutume de servir а la vision, en mкme faзon que feraient ces objets, s’ils йtaient prйsents. Puis, а cause que les impressions, qui viennent de dehors, passent vers le sens commun par l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque cause extraordinaire, elle peut faire voir les objets en d’autres lieux qu’ils ne sont. Comme si l’њil rst, йtant disposй de soi а regarder vers X, est contraint par le doigt N а se tourner vers M, les parties du cerveau d’oщ viennent ses nerfs, ne se disposent pas tout а fait en mкme sorte que si c’йtaient ses muscles qui le tournassent vers M ; ni aussi en mкme sorte que s’il regardait vйritablement vers X ; mais d’une faзon moyenne entre ces deux, а savoir, comme s’il regardait vers Y ; et ainsi l’objet M paraоtra au lieu oщ est Y, par l’entremise de cet њil, et Y au lieu oщ est X, et X au lieu oщ est V, et ces objets paraissant aussi en mкme temps en leurs vrais lieux, par l’entremise de l’autre њil RST, ils sembleront doubles.

 


 

En mкme faзon que, touchant la petite boule G des deux doigts A et D croisйs l’un sur l’autre, on en pense toucher deux ; а cause que, pendant que ces doigts se retiennent l’un l’autre ainsi croisйs, les muscles de chacun d’eux tendent а les йcarter, A vers C, et D vers F, au moyen de quoi les parties du cerveau d’oщ viennent les nerfs qui sont insйrйs en ces muscles, se trouvent disposйes en la faзon qui est requise pour faire qu’ils semblent кtre, A vers B, et D vers E, et par consйquent y toucher deux diverses boules, H et I. De plus, а cause que nous sommes accoutumйs de juger que les impressions, qui meuvent notre vue, viennent des lieux vers lesquels nous devons regarder pour les sentir, quand il arrive qu’elles viennent d’ailleurs, nous y pouvons facilement кtre trompйs.

 


 

Comme ceux qui ont les yeux infectйs de la jaunisse, ou bien qui regardent au travers d’un verre jaune, ou qui sont enfermйs dans une chambre oщ il n’entre aucune lumiиre que par de tels verres, attribuent cette couleur а tous les corps qu’ils regardent. Et celui qui est dans la chambre obscure que j’ai tantфt dйcrite, attribue au corps blanc RST les couleurs des objets V, X, Y, а cause que c’est seulement vers lui qu’il dresse sa vue. Et les yeux A, B, C, D, E, F, voyant les objets T, V, X, Y, Z, etc. au travers des verres N, O, P, et dans les miroirs Q, R, S, les jugent кtre aux points G, H, I, K, L, M ; et V, Z кtre plus petits, et X, etc. plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussi X, etc. plus petits et avec cela renversйs, а savoir, lorsqu’ils sont un peu loin des yeux C, F, d’autant que ces verres et ces miroirs dйtournent les rayons qui viennent de ces objets, en telle sorte que ces yeux ne les peuvent voir distinctement, qu’en se disposant comme ils doivent кtre pour regarder vers les points G, H, I, K, L, M, ainsi que connaоtront facilement ceux qui prendront la peine de l’examiner. Et ils verront, par mкme moyen, combien les anciens se sont abusйs en leur Catoptrique , lorsqu’ils ont voulu dйterminer le lieu des images dans les miroirs creux et convexes. Il est aussi а remarquer que tous les moyens qu’on a pour connaоtre la distance sont fort incertains : car, quant а la figure de l’њil, elle ne varie quasi plus sensiblement, lorsque l’objet est а plus de quatre ou cinq pieds loin de lui, et mкme elle varie si peu lorsqu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connaissance bien prйcise. Et pour les angles compris entre les lignes tirйes des deux yeux l’un а l’autre et de lа vers l’objet, ou de deux stations d’un mкme њil , ils ne varient aussi presque plus, lorsqu’on regarde tant soit peu loin. Ensuite de quoi notre sens commun mкme ne semble pas кtre capable de recevoir en soi l’idйe d’une distance plus grande qu’environ de cent ou deux cents pieds, ainsi qu’il se peut vйrifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des corps les plus йloignйs que nous puissions voir, et dont les diamиtres sont а leur distance а peu prиs comme un а cent, n’ont coutume de nous paraоtre que d’un ou deux pieds de diamиtre tout au plus, nonobstant que nous sachions assez, par raison, qu’ils sont extrкmement grands et extrкmement йloignйs. Car cela ne nous arrive pas faute de les pouvoir concevoir plus grands que nous ne faisons, vu que nous concevons bien des tours et des montagnes beaucoup plus grandes, mais parce que, ne les pouvant concevoir plus йloignйs que de cent ou deux cents pieds, il suit de lа que leur diamиtre ne nous doit paraоtre que d’un ou de deux pieds. En quoi la situation aide aussi а nous tromper ; car ordinairement ces astres semblent plus petits, lorsqu’ils sont fort hauts vers le midi, que lorsque, se levant ou se couchant, il se trouve divers objets entre eux et nos yeux, qui nous font mieux remarquer leur distance.

Et les astronomes йprouvent assez, en les mesurant avec leurs instruments, que ce qu’ils paraissent ainsi plus grands une fois que l’autre, ne vient point de ce qu’ils se voient sous un plus grand angle, mais de ce qu’ils se jugent plus йloignйs ; d’oщ il suit que l’axiome de l’ancienne optique, qui dit que la grandeur apparente des objets est proportionnйe а celle de l’angle de la vision, n’est pas toujours vrai. On se trompe aussi en ce que les corps blancs ou lumineux, et gйnйralement tous ceux qui ont beaucoup de force pour mouvoir le sens de la vue, paraissent toujours quelque peu plus proches et plus grands qu’ils ne feraient, s’ils en avaient moins. Or la raison qui les fait paraоtre plus proches, est que le mouvement dont la prunelle s’йtrйcit pour йviter la force de leur lumiиre, est tellement joint avec celui qui dispose tout l’њil а voir distinctement les objets proches, et par lequel on juge de leur distance, que l’un ne se peut guиre faire, sans qu’il se fasse aussi un peu de l’autre : en mкme faзon qu’on ne peut fermer entiиrement les deux premiers doigts de la main, sans que le troisiиme se courbe aussi quelque peu, comme pour se fermer avec eux. Et la raison pourquoi ces corps blancs ou lumineux paraissent plus grands, ne consiste pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur dйpend de celle de leur distance, mais aussi en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans le fond de l’њil. Car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf optique qui le couvrent, encore que trиs petits, ont nйanmoins quelque grosseur ; en sorte que chacun d’eux peut кtre touchй en l’une de ses parties par un objet, et en d’autres par d’autres ; et que n’йtant toutefois capable d’кtre mы que d’une seule faзon а chaque fois, lorsque la moindre de ses parties est touchйe par quelque objet fort йclatant, et les autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouvement de celui qui est le plus йclatant, et en reprйsente l’image, sans reprйsenter celle des autres.

 


 

Comme, si les bouts de ces petits filets sont 1, 2, 3, et que les rayons qui viennent, par exemple, tracer l’image d’une йtoile sur le fond de l’њil, s’y йtendent sur celui qui est marquй I, et tant soit peu au delа tout autour sur les extrйmitйs des six autres marquйs 2, sur lesquels je suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort faibles, des parties du ciel voisines а cette йtoile, son image s’йtendra en tout l’espace qu’occupent ces six marquйs 2, et mкme peut-кtre encore en tout celui qu’occupent les douze marquйs 3, si la force du mouvement est si grande qu’elle se communique aussi а eux. Et ainsi vous voyez que les йtoiles, quoiqu’elles paraissent assez petites, paraissent nйanmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne devraient а raison de leur extrкme distance. Et encore qu’elles ne seraient pas entiиrement rondes, elles ne laisseraient pas de paraоtre telles, comme aussi une tour carrйe йtant vue de loin paraоt ronde, et tous les corps qui ne tracent que de fort petites images dans l’њil, n’y peuvent tracer les figures de leurs angles. Enfin, pour ce qui est de juger de la distance par la grandeur, ou la figure, ou la couleur, ou la lumiиre, les tableaux de perspective nous montrent assez combien il est facile de s’y tromper. Car souvent, parce que les choses, qui y sont peintes, sont plus petites que nous ne nous imaginons qu’elles doivent кtre, et que leurs linйaments sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes ou plus faibles, elles nous paraissent plus йloignйes qu’elles ne sont.

 

 

 

Discours septiиme (extrait)

Des moyens de perfectionner la vision

 

Maintenant que nous avons assez examinй comment se fait la vision, recueillons en peu de mots et nous remettons devant les yeux toutes les conditions qui sont requises а sa perfection, afin que, considйrant en quelle sorte il a dйjа йtй pourvu а chacune par la Nature, nous puissions faire un dйnombrement exact de tout ce qui reste encore а l’art а y ajouter. On peut rйduire toutes les choses auxquelles il faut avoir ici йgard а trois principales, qui sont : les objets, les organes intйrieurs qui reзoivent les actions de ces objets, et les extйrieurs qui disposent ces actions а кtre reзues comme elles doivent. Et, touchant les objets, il suffit de savoir que les uns sont proches ou accessibles, et les autres йloignйs et inaccessibles, et avec cela les uns plus, les autres moins illuminйs ; afin que nous soyons avertis que., pour ce qui est des accessibles, nous les pouvons approcher ou йloigner, et augmenter ou diminuer la lumiиre qui les йclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que, pour ce qui concerne les autres, nous n’y pouvons changer aucune chose. Puis, touchant les organes intйrieurs, qui sont les nerfs et le cerveau, il est certain aussi que nous ne saurions rien ajouter par art а leur fabrique ; car nous ne saurions nous faire un nouveau corps ; et si les mйdecins y peuvent aider en quelque chose, cela n’appartient point а notre sujet. Si bien qu’il ne nous reste а considйrer que les organes extйrieurs, entre lesquels je comprends toutes les parties transparentes de l’њil aussi bien que tous les autres corps qu’on peut mettre entre lui et l’objet. Et je trouve que toutes les choses auxquelles il est besoin de pourvoir avec ces organes extйrieurs peuvent кtre rйduites а quatre points. Dont le premier est, que tous les rayons qui se vont rendre vers chacune des extrйmitйs du nerf optique ne viennent, autant qu’il est possible, que d’une mкme partie de l’objet, et qu’ils ne reзoivent aucun changement en l’espace qui est entre deux ; car, sans cela, les images qu’ils forment ne sauraient кtre ni bien semblables а leur original ni bien distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes, non pas en йtendue de lieu, car elles ne sauraient occuper que le peu d’espace qui se trouve au fond de l’њil, mais en l’йtendue de leurs linйaments ou de leurs traits, car il est certain qu’ils seront d’autant plus aisйs а discerner qu’ils seront plus grands. Le troisiиme, que les rayons qui les forment soient assez forts pour mouvoir les petits filets du nerf optique, et par ce moyen кtre sentis, mais qu’ils ne le soient pas tant qu’ils blessent la vue. Et le quatriиme, qu’il y ait le plus d’objets qu’il sera possible dont les images se forment dans l’њil en mкme temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’une vue.

Or la Nature a employй plusieurs moyens а pourvoir а la premiиre de ces choses. Car premiиrement, remplissant l’њil de liqueurs fort transparentes et qui ne sont teintes d’aucune couleur, elle a fait que les actions qui viennent de dehors peuvent passer jusques au fond sans se changer. Et par les rйfractions que causent les superficies de ces liqueurs elle a fait qu’entre les rayons, suivant lesquels ces actions se conduisent, ceux qui viennent d’un mкme point se rassemblent en un mкme point contre le nerf ; et ensuite que ceux qui viennent des autres points s’y rassemblent aussi en autant d’autres divers points, le plus exactement qu’il est possible. Car nous devons supposer que la Nature a fait en ceci tout ce qui est possible, d’autant que l’expйrience ne nous y lait rien apercevoir au contraire. Et mкme nous voyons que, pour rendre d’autant moindre le dйfaut qui ne peut en ceci кtre totalement йvitй, elle a fait qu’on puisse rйtrйcir la prunelle quasi autant que la force de la lumiиre le permet. Puis, par la couleur noire dont elle a teint toutes les parties de l’њil opposйes au nerf, qui ne sont point transparentes, elle a empкchй qu’il n’allвt aucun autre rayon vers ces mкmes points. Et enfin, par le changement de la figure du corps de l’њil, elle a fait qu’encore que les objets en puissent кtre plus ou moins йloignйs une fois que l’autre, les rayons qui viennent de chacun de leurs points ne laissent pas de s’assembler, toujours aussi exactement qu’il se peut, en autant d’autres points au fond de l’њil. Toutefois elle n’a pas si entiиrement pourvu а cette derniиre partie qu’il ne se trouve encore quelque chose а y ajouter : car, outre que, communйment а tous, elle ne nous a pas donnй le moyen de courber tant les superficies de nos yeux, que nous puissions voir distinctement les objets qui en sont fort proches, comme а un doigt ou un demi-doigt de distance, elle y a encore manquй davantage en quelques-uns, а qui elle a fait les yeux de telle figure qu’ils ne leur peuvent servir qu’а regarder les choses йloignйes, ce qui arrive principalement aux vieillards ; et aussi en quelques autres а qui, au contraire, elle les a fait tels qu’ils ne leur servent qu’а regarder les choses proches, ce qui est plus ordinaire aux jeunes gens. En sorte qu’il semble que les yeux se forment, au commencement, un peu plus longs et plus йtroits qu’ils ne doivent кtre et que par aprиs, pendant qu’on vieillit, ils deviennent plus plats et plus larges. Or, afin que nous puissions remйdier par art а ces dйfauts, il sera premiиrement besoin que nous cherchions les figures que les superficies d’une piиce de verre ou de quelque autre corps transparent doivent avoir, pour courber les rayons qui tombent sur elles en telle sorte que tous ceux qui viennent d’un certain point de l’objet, se disposent, en les traversant, tout de mкme ne s’ils йtaient venus d’un autre point qui fыt plus proche ou plus йloignй, а savoir, qui fыt plus proche pour servir а ceux qui ont la vue courte, et qui fыt plus йloignй tant pour les vieillards que gйnйralement pour tous ceux qui veulent voir des objets plus proches que la figure de leurs yeux ne le permet. (…)

 

 

 

Discours dixiиme (extrait)

De la faзon de tailler les verres

 

(...) Enfin, la derniиre et principale chose а quoi je voudrais qu’on s’exerзвt, c’est а polir les verres convexes des deux cфtйs pour les lunettes qui servent а voir les objets accessibles, et que, s’йtant premiиrement exercй а en faire de ceux qui rendent ces lunettes fort courtes, а cause que ce seront les plus aisйs, on tвchвt aprиs, par degrйs, а en faire de ceux qui les rendent plus longues, jusques а ce qu’on soit Parvenu aux plus longues dont on se puisse servir. Et afin que la difficultй que vous pourrez trouver en la construction de ces derniиres lunettes ne vous dйgoыte, je vous veux avertir qu’encore que d’abord leur usage n’attire pas tant que celui de ces autres qui semblent promettre de nous йlever dans les cieux, et de nous y montrer sur les astres des corps aussi particuliers et peut-кtre aussi divers que ceux qu’on voit sur la terre, je les juge toutefois beaucoup plus utiles, а cause qu’on pourra voir par leur moyen les divers mйlanges et arrangements des petites parties dont les animaux et les plantes, et peut-кtre aussi les autres corps qui nous environnent, sont composйs, et de lа tirer beaucoup d’avantage pour venir а la connaissance de leur nature. Car dйjа, selon l’opinion de plusieurs philosophes, tous ces corps ne sont faits que des parties des йlйments diversement mкlйes ensemble ; et, selon la mienne, toute leur nature et leur essence, au moins de ceux qui sont inanimйs, ne consiste qu’en la grosseur, la figure, l’arrangement et les mouvements de leurs parties. (...)


La Dioptrique

Renй Descartes

La Dioptrique

(1637)

 

 

 

Discours premier

De la lumiиre

 

Toute la conduite de notre vie dйpend de nos sens, entre lesquels celui de la vue йtant le plus universel et le plus noble, il n’y a point de. doute que les inventions qui servent а augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent кtre. Et il est malaisй d’en trouver aucune qui l’augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes qui, n’йtant en usage que depuis peu, nous ont dйjа dйcouvert de nouveaux astres dans le ciel, et d’autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que, portant notre vue beaucoup plus loin que n’avait coutume d’aller l’imagination de nos pиres, elles semblent nous avoir ouvert le chemin, pour parvenir а une connaissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu’ils ne l’ont eue. Mais, а la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si admirable, n’a premiиrement йtй trouvйe que par l’expйrience et la fortune. Il y a environ trente ans, qu’un nommй Jacques Metius , de la ville d’Alcmar en Hollande, homme qui n’avait jamais йtudiй, bien qu’il eыt un pиre et un frиre qui ont fait profession des mathйmatiques, mais qui prenait particuliиrement plaisir а faire des miroirs et verres brыlants, en composant mкme l’hiver avec de la glace, ainsi que l’expйrience a montrй qu’on en peut faire, ayant а cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s’avisa par bonheur de regarder au travers de deux, dont l’un йtait un peu plus йpais au milieu qu’aux extrйmitйs, et l’autre au contraire beaucoup plus йpais aux extrйmitйs qu’au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d’un tuyau, que la premiиre des lunettes dont nous parlons, en fut composйe. Et c’est seulement sur ce patron que toutes les autres qu’on a vues depuis ont йtй faites, sans que personne encore, que je sache, ait suffisamment dйterminй les figures que ces verres doivent avoir. Car, bien qu’il y ait eu depuis quantitй de bons esprits, qui ont fort cultivй cette matiиre, et ont trouvй а son occasion plusieurs choses en l’Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient laissй les anciens, toutefois, а cause que les inventions un peu malaisйes n’arrivent pas а leur dernier degrй de perfection du premier coup, il est encore demeurй assez de difficultйs en celle-ci, pour me donner sujet d’en йcrire. Et d’autant que l’exйcution des choses que je dirai doit dйpendre de l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point йtudiй, je tвcherai de me rendre intelligible а tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer, qu’on doive avoir appris des autres sciences. C’est pourquoi je commencerai par l’explication de la lumiиre et de ses rayons ; puis, ayant fait une brиve description des parties de l’њil, je dirai particuliиrement en quelle sorte se fait la vision ; et ensuite, ayant remarquй toutes les choses qui sont capables de la rendre plus parfaite, j’enseignerai comment elles y peuvent кtre ajoutйes par les inventions que je dйcrirai.

Or, n’ayant ici autre occasion de parler de la lumiиre, que pour expliquer comment ses rayons entrent dans l’њil, et comment ils peuvent кtre dйtournйs par les divers corps qu’ils rencontrent, il n’est pas besoin que j’entreprenne de dire au vrai quelle est sa nature, et je crois qu’il suffira que je me serve de deux ou trois comparaisons, qui aident а la concevoir en la faзon qui me semble la plus commode, pour expliquer toutes celles de ses propriйtйs que l’expйrience nous fait connaоtre, et pour dйduire ensuite toutes les autres qui ne peuvent pas si aisйment кtre remarquйes ; imitant en ceci les astronomes, qui, bien que leurs suppositions soient presque toutes fausses ou incertaines, toutefois, а cause qu’elles se rapportent а diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent pas d’en tirer plusieurs consйquences trиs vraies et trиs assurйes.

Il vous est bien sans doute arrivй quelquefois, en marchant de nuit sans flambeau, par des lieux un peu difficiles, qu’il fallait vous aider d’un bвton pour vous conduire, et vous avez pour lors pu remarquer que vous sentiez, par l’entremise de ce bвton, les divers objets qui se rencontraient autour de vous, et mкme que vous pouviez distinguer s’il y avait des arbres, ou des pierres, ou du sable, ou de l’eau, ou de l’herbe, ou de la boue, ou quelque autre chose de semblable. Il est vrai que cette sorte de sentiment est un peu confuse et obscure, en ceux qui n’en ont pas un long usage ; mais considйrez-la en ceux qui, йtant nйs aveugles, s’en sont servis toute leur vie, et vous l’y trouverez si parfaite et si exacte, qu’on pourrait quasi dire qu’ils voient des mains, ou que leur bвton est l’organe de quelque sixiиme sens, qui leur a йtй donnй au dйfaut de la vue. Et pour tirer une comparaison de ceci, je dйsire que vous pensiez que la lumiиre n’est autre chose, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’un certain mouvement, ou une action fort prompte et tort vive, qui passe vers nos yeux, par l’entremise de l’air et des autres corps transparents, en mкme faзon que le mouvement ou la rйsistance des corps, que rencontre cet aveugle, passe vers sa main, par l’entremise de son bвton. Ce qui vous empкchera d’abord de trouver йtrange, que cette lumiиre puisse йtendre ses rayons en un instant, depuis le soleil jusques а nous : car vous savez que l’action, dont on meut l’un des bouts d’un bвton, doit ainsi passer en un instant jusques а l’autre, et qu’elle y devrait passer en mкme sorte, encore qu’il y aurait plus de distance qu’il n’y en a, depuis la terre jusques aux cieux. Vous ne trouverez pas йtrange non plus, que par son moyen nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; et mкme vous croirez peut-кtre que ces couleurs ne sont autre chose, dans les corps qu’on nomme colorйs, que les diverses faзons dont ces corps la reзoivent et la renvoient contre nos yeux : si vous considйrez que les diffйrences, qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses semblables, par l’entremise de son bвton, ne lui semblent pas moindres que nous font celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert, et toutes les autres couleurs ; et toutefois que ces diffйrences ne sont autre chose, en tous ces corps, que les diverses faзons de mouvoir, ou de rйsister aux mouvements de ce bвton. En suite de quoi vous aurez occasion de juger, qu’il n’est pas besoin de supposer qu’il passe quelque chose de matйriel depuis les objets jusques а nos yeux, pour nous faire voir les couleurs et la lumiиre, ni mкme qu’il y ait rien en ces objets, qui soit semblable aux idйes ou aux sentiments que nous en avons : tout de mкme qu’il ne sort rien des corps, que sent un aveugle, qui doive passer le long de son bвton jusques а sa main, et que la rйsistance ou le mouvement de ces corps, qui est la seule cause des sentiments qu’il en a, n’est rien de semblable aux idйes qu’il en conзoit. Et par ce moyen votre esprit sera dйlivrй de toutes ces petites images voltigeantes par l’air, nommйes des espиces intentionnelles, qui travaillent tant l’imagination des philosophes. Mкme vous pourrez aisйment dйcider la question, qui est entre eux, touchant le lieu d’oщ vient l’action qui cause le sentiment de la vue : car, comme notre aveugle peut sentir les corps qui sont autour de lui, non seulement par l’action de ces corps, lorsqu’ils se meuvent contre son bвton, mais aussi par celle de sa main, lorsqu’ils ne font que lui rйsister ; ainsi faut-il avouer que les objets de la vue peuvent кtre sentis, non seulement par le moyen de l’action qui, йtant en eux, tend vers les yeux, mais aussi par le moyen de celle qui, йtant dans les yeux, tend vers eux. Toutefois, parce que cette action n’est autre chose que la lumiиre, il faut remarquer qu’il n’y a que ceux qui peuvent voir pendant les tйnиbres de la nuit, comme les chats, dans les yeux desquels elle se trouve ; et que, pour l’ordinaire des hommes, ils ne voient que par l’action qui vient des objets : car l’expйrience nous montre que ces objets doivent кtre lumineux ou illuminйs pour кtre vus, et non point nos yeux pour les voir. Mais, parce qu’il y a grande diffйrence entre le bвton de cet aveugle et l’air ou les autres corps transparents, par l’entremise desquels nous voyons, il faut que je me serve encore ici d’une autre comparaison.

 


 

Voyez une cuve au temps de vendange, toute pleine de raisins а demi foulйs, et dans le fond de laquelle on ait fait un trou ou deux, comme A et B, par oщ le vin doux, qu’elle contient, puisse couler. Puis pensez que, n’y ayant point de vide en la Nature, ainsi que presque tous les Philosophes avouent , et nйanmoins y ayant plusieurs pores en tous les corps que nous apercevons autour de nous, ainsi que l’expйrience peut montrer fort clairement ; il est nйcessaire que ces pores soient remplis de quelque matiиre fort subtile et fort fluide, qui s’йtende sans interruption depuis les Astres jusques а nous. Or, cette matiиre subtile йtant comparйe avec le vin de cette cuve, et les parties moins fluides ou plus grossiиres, tant de l’air que des autres corps transparents, avec les grappes de raisins qui sont parmi : vous entendrez facilement que, comme les parties de ce vin, qui sont par exemple vers C, tendent а descendre en ligne droite par le trou A, au mкme instant qu’il est ouvert, et ensemble par le trou B, et que celles qui sont vers D, et vers E, tendent aussi en mкme temps а descendre par ces deux trous, sans qu’aucune de ces actions soit empкchйe par les autres, ni aussi par la rйsistance des grappes qui sont en cette cuve : nonobstant que ces grappes, йtant soutenues l’une par l’autre, ne tendent point du tout а descendre par ces trous A et B, comme le vin, et mкme qu’elles puissent cependant кtre mues, en plusieurs autres faзons, par ceux qui les foulent. Ainsi toutes les parties de la matiиre subtile, que touche le cфtй du Soleil qui nous regarde, tendent en ligne droite vers nos yeux au mкme instant qu’il sont ouverts, sans s’empкcher les unes les autres, et mкme sans кtre empкchйes par les parties grossiиres des corps transparents, qui sont entre deux : soit que ces corps se meuvent en d’autres faзons, comme l’air, qui est presque toujours agitй par quelque vent ; soit qu’ils soient sans mouvement, comme eut кtre le verre ou le cristal. Et remarquez ici qu’il faut distinguer entre le mouvement, et l’action ou inclination а se mouvoir. Car on peut fort bien concevoir que les parties du vin, qui sont par exemple vers C, tendent vers B, et ensemble vers A, nonobstant qu’elles ne puissent actuellement se mouvoir vers ces deux cфtйs en mкme temps ; et qu’elles tendent exactement en ligne droite vers B et vers A, nonobstant qu’elles ne se puissent mouvoir si exactement vers la ligne droite, а cause des grappes de raisins qui sont entre deux : et ainsi, pensant que ce n’est pas tant le mouvement, comme l’action des corps lumineux qu’il faut prendre pour leur lumiиre, vous devez juger que les rayons de cette lumiиre ne sont autre chose que les lignes suivant lesquelles tend cette action. En sorte qu’il y a une infinitй de tels rayons qui viennent de tous les points des corps lumineux, vers tous les points de ceux qu’ils illuminent, ainsi que vous pouvez imaginer une infinitй de lignes droites, suivant lesquelles les actions, qui viennent de tous les points de la superficie du vin CDE, tendent vers A, et une infinitй d’autres, suivant lesquelles les actions, qui viennent de ces mкmes points, tendent aussi vers B, sans que les unes empкchent les autres.

Au reste, ces rayons doivent bien кtre ainsi toujours imaginйs exactement droits, lorsqu’ils ne passent que par un seul corps transparent, qui est partout йgal а soi-mкme : mais, lorsqu’ils rencontrent quelques autres corps, ils sont sujets а кtre dйtournйs par eux, ou amortis, en mкme faзon que l’est le mouvement d’une balle, ou d’une pierre jetйe dans l’air, par ceux qu’elle rencontre. Car il est bien aisй а croire que l’action ou inclination а se mouvoir, que j’ai dit devoir кtre prise pour la lumiиre, doit suivre en ceci les mкmes lois que le mouvement. Et afin que j’explique cette troisiиme comparaison tout au long, considйrez que les corps, qui peuvent ainsi кtre rencontrйs par une balle qui passe dans l’air, sont ou mous, ou durs, ou liquides ; et que, s’ils sont mous, ils arrкtent et amortissent tout а fait son mouvement : comme lorsqu’elle donne contre des toiles, ou du sable, ou de la boue ; au lieu que, s’ils sont durs, ils la renvoient d’un autre cфtй sans l’arrкter ; et ce, en plusieurs diverses faзons. Car ou leur superficie est toute йgale et unie, ou raboteuse et inйgale ; et derechef, йtant йgale, elle est ou plate, ou courbйe ; et йtant inйgale, ou son inйgalitй ne consiste qu’en ce qu’elle est composйe de plusieurs parties diversement courbйes, dont chacune est en soi assez unie ; ou bien elle consiste, outre cela, en ce qu’elle a plusieurs divers angles ou pointes, ou des parties plus dures l’une que l’autre, ou qui se meuvent, et ce, avec des variйtйs qui peuvent кtre imaginйes en mille sortes. Et il faut remarquer que la balle, outre son mouvement simple et ordinaire, qui la porte d’un lieu en l’autre, en peut encore avoir un deuxiиme, qui la fait tourner autour de son centre, et que la vitesse de celui-ci peut avoir plusieurs diverses proportions avec celle de l’autre. Or, quand plusieurs balles, venant d’un mкme cфtй, rencontrent un corps, dont la superficie est toute unie et йgale, elles se rйflйchissent йgalement, et en mкme ordre, en sorte que, si cette superficie est toute plate, elles gardent entre elles la mкme distance, aprиs l’avoir rencontrйe, qu’elles avaient auparavant ; et si elle est courbйe en dedans ou en dehors, elles s’approchent ou s’йloignent en mкme ordre les unes des autres, plus ou moins, а raison de cette courbure. Comme vous voyez ici les balles A, B, C, qui, aprиs avoir rencontrй les superficies des corps D, E, F, se rйflйchissent vers G, H, I. Et si ces balles rencontrent une superficie inйgale, comme L ou M, elles se rйflйchissent vers divers cфtйs, chacune selon la situation de l’endroit de cette superficie qu’elle touche. Et elles ne changent rien que cela en la faзon de leur mouvement, lorsque son inйgalitй ne consiste qu’en ce que ses parties sont courbйes diversement.

 


 

Mais elle peut aussi consister en plusieurs autres choses et faire, par ce moyen, que, si ces balles n’ont eu auparavant qu’un. simple mouvement droit, elles en perdent une partie, et en acquiиrent au lieu un circulaire, qui peut avoir diverse proportion avec ce qu’elles retiennent du droit, selon que la superficie du corps qu’elles rencontrent peut кtre diversement disposйe. Ce que ceux qui jouent а la paume йprouvent assez, lorsque leur balle rencontre de faux carreaux, ou bien qu’ils la touchent en biaisant de leur raquette, ce qu’ils nomment, ce me semble, couper ou friser . Enfin, considйrez que, si une balle qui se meut rencontre obliquement la superficie d’un corps liquide, par lequel elle puisse passer plus ou moins facilement que par celui d’oщ elle sort, elle se dйtourne et change son cours en y entrant : comme, par exemple, si йtant en l’air au point A, on la pousse vers B, elle va bien en ligne droite depuis A jusques а B, si ce n’est que sa pesanteur ou quelqu’autre cause particuliиre l’en empкche ; mais, йtant au point B oщ je suppose qu’elle rencontre la superficie de l’eau CBE, elle se dйtourne et prend son cours vers I, allant derechef en ligne droite depuis B jusques а I, ainsi qu’il est aisй а vйrifier par l’expйrience.

 


 

Or il faut penser, en mкme faзon, qu’il y a des corps qui, йtant rencontrйs par les rayons de la lumiиre, les amortissent, et leur фtent toute leur force, а savoir ceux qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre couleur que les tйnиbres ; et qu’il y en a d’autres qui les font rйflйchir, les uns au mкme ordre qu’ils les reзoivent, а savoir ceux qui, ayant leur superficie toute polie, peuvent servir de miroirs tant plats que courbйs, et les autres confusйment vers plusieurs cфtйs ; et que derechef, entre ceux-ci, les uns font rйflйchir ces rayons sans apporter aucun autre changement en leur action, а savoir ceux qu’on nomme blancs, et les autres y apportent avec cela un changement semblable а celui que reзoit le mouvement d’une balle quand on la frise, а savoir ceux qui sont rouges, ou jaunes, ou bleus, ou de quelque autre telle couleur. Car je pense pouvoir dйterminer en quoi consiste la nature de chacune de ces couleurs, et le faire voir par expйrience ; mais cela passe les bornes de mon sujet. Et il me suffit ici de vous avertir que les rayons, qui tombent sur les corps qui sont colorйs et non polis, se rйflйchissent ordinairement de tous cфtйs, encore mкme qu’ils ne viennent que d’un seul cфtй : comme, encore que ceux qui tombent sur la superficie du corps blanc AB, ne viennent que du flambeau C, ils ne laissent pas de se rйflйchir tellement de tous cфtйs, qu’en quelque lieu qu’on pose l’њil, comme par exemple vers D, il s’en trouve toujours plusieurs venant de chaque endroit de cette superficie AB, tendent vers lui. Et mкme, si l’on suppose ce corps fort dйliй comme un papier ou une toile, en sorte que le jour passe au travers, encore que l’њil soit d’autre cфtй que le flambeau, comme vers E, il ne laissera pas de se rйflйchir vers lui quelques rayons de chacune des parties de ce corps.

 


 

Enfin, considйrez que les rayons se dйtournent aussi, en mкme faзon qu’il a йtй dit d’une balle quand ils rencontrent obliquement la superficie d’un corps transparent, par lequel ils pйnиtrent plus ou moins facilement que par celui d’oщ ils viennent, et cette faзon de se dйtourner s’appelle en eux Rйfraction.

 

 

 

Discours second

De la rйfraction

 

D’autant que nous aurons besoin ci-aprиs de savoir exactement la quantitй de cette rйfraction, et qu’elle peut assez commodйment кtre entendue par la comparaison dont je viens de me servir, je crois qu’il est а propos que je tвche ici tout d’un train de l’expliquer, et que je parle premiиrement de la rйflexion, afin d’en rendre l’intelligence d’autant plus aisйe.

 


 

Pensons donc qu’une balle, йtant poussйe d’A vers B, rencontre, au point B, la superficie de la terre CBE, qui, l’empкchant de passer outre, est cause qu’elle se dйtourne ; et voyons vers quel cфtй. Mais afin de ne nous embarrasser point en de nouvelles difficultйs, supposons que la terre est parfaitement plate et dure, et que la balle va toujours d’йgale vitesse, tant en descendant qu’en remontant, sans nous enquйrir en aucune faзon de la puissance qui continue de la mouvoir, aprиs qu’elle n’est plus touchйe de la raquette, ni considйrer aucun effet de sa pesanteur, ni de sa grosseur, ni de sa figure. Car il n’est pas ici question d’y regarder de si prиs, et il n’y a aucune de ces choses qui ait lieu en l’action de la lumiиre а laquelle ceci se doit rapporter. Seulement faut-il remarquer que la puissance, telle qu’elle soit, qui fait continuer le mouvement de cette balle, est diffйrente de celle qui la dйtermine а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers un autre, ainsi qu’il est trиs aisй а connaоtre de ce que c’est la force dont elle a йtй poussйe par la raquette, de qui dйpend son mouvement, et que cette mкme force l’aurait pu faire mouvoir vers tout autre cфtй, aussi facilement que vers B, au lieu que c’est la situation de cette raquette qui la dйtermine а tendre vers B, et qui aurait pu l’y dйterminer en mкme faзon, encore qu’une autre force l’aurait mue. Ce qui montre dйjа qu’il n’est pas impossible que cette balle soit dйtournйe par la rencontre de la terre, et ainsi, que la dйtermination qu’elle avait а tendre vers B soit changйe, sans qu’il y ait rien pour cela de changй en la force de son mouvement, puisque ce sont deux choses diverses, et par consйquent qu’on ne doit pas imaginer qu’il soit nйcessaire qu’elle s’arrкte quelque moment au point B avant que de retourner vers F, ainsi que font plusieurs de nos Philosophes ; car, si son mouvement йtait une fois interrompu par cet arrкt, il ne se trouverait aucune cause, qui le fоt par aprиs recommencer.

 


 

De plus, il faut remarquer que la dйtermination а se mouvoir vers quelque cфtй peut, aussi bien que le mouvement et gйnйralement que toute autre sorte de quantitй, кtre divisйe entre toutes les parties desquelles on peut imaginer qu’elle est composйe ; et qu’on peut aisйment imaginer que celle de la balle qui se meut d’A vers B est composйe de deux autres, dont l’une la fait descendre de la ligne AF vers la ligne CE, et l’autre en mкme temps la fait aller de la gauche AC vers la droite FE, en sorte que ces deux, jointes ensemble, la conduisent jusques а B suivant la ligne droite AB. Et ensuite il est aisй а entendre, que la rencontre de la terre ne peut empкcher que l’une de ces deux dйterminations, et non point l’autre en aucune faзon.

Car elle doit bien empкcher celle qui faisait descendre la balle d’AF vers CE, а cause qu’elle occupe tout l’espace qui est au-dessous de CE ; mais pourquoi empкcherait-elle l’autre, qui la faisait avancer vers la main droite, vu qu’elle ne lui est aucunement opposйe en ce sens-lа ? Pour trouver donc justement vers quel cфtй cette balle doit retourner, dйcrivons un cercle du centre B, qui passe par le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis а se mouvoir depuis A jusques а B, elle doit infailliblement retourner depuis B jusques а quelque point de la circonfйrence de ce cercle, d’autant que tous les points qui sont aussi distants de celui-ci B qu’en est A, se trouvent en cette circonfйrence, et que nous supposons le mouvement de cette balle кtre toujours йgalement vite.

 


 

Puis afin de savoir prйcisйment auquel de tous les points de cette circonfйrence elle doit retourner, tirons trois lignes droites AC, HB, et FE perpendiculaires sur CE, et en telle sorte, qu’il n’y ait ni plus ni moins de distance entre AC et HB qu’entre HB et FE ; et disons, qu’en autant de temps que la balle a mis а s’avancer vers le cфtй droit, depuis A, l’un des points de la ligne AC, jusques а B, l’un de ceux de la ligne HB, elle doit aussi s’avancer depuis la ligne HB jusques а quelque point de la ligne FE ; car tous les points de cette ligne FE sont autant йloignйs de HB en ce sens-lа, l’un comme l’autre, et autant que ceux de la ligne AC, et elle est aussi autant dйterminйe а s’avancer vers ce cфtй-lа, qu’elle a йtй auparavant.

Or est-il qu’elle ne peut arriver en mкme temps en quelque point de la, ligne FE, et ensemble а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD, si ce n’est au point D, ou au point F, d’autant qu’il n’y a que ces deux, oщ elles s’entrecoupent l’une l’autre ; si bien que, la terre l’empкchant de passer vers D, il faut conclure qu’elle doit aller infailliblement vers F. Et ainsi vous voyez facilement comment se fait la rйflexion, а savoir selon un angle toujours йgal а celui qu’on nomme l’angle d’incidence. Comme, si un rayon, venant du point A, tombe au point B sur la superficie du miroir plat CBE, il se rйflйchit vers F, en sorte que l’angle de la rйflexion FBE n’est ne plus ne moins grand que celui de l’incidence ABC.

Venons maintenant а la Rйfraction. Et premiиrement supposons qu’une balle, poussйe d’A vers B, rencontre au point B, non plus la superficie de la terre, mais une toile CBE, qui soit si faible et dйliйe que cette balle ait la force de la rompre et de passer tout au travers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, а savoir, par exemple, la moitiй. Or cela posй, afin de savoir quel chemin elle doit suivre, considйrons derechef que son mouvement diffиre entiиrement de sa dйtermination а se mouvoir plutфt vers un cфtй que vers un autre, d’oщ il suit que leur quantitй doit кtre examinйe sйparйment. Et considйrons aussi que, des deux parties dont on peut imaginer que cette dйtermination est composйe, il n’y a que celle qui faisait tendre la balle de haut en bas, qui puisse кtre changйe en quelque faзon par la rencontre de la toile ; et que, pour celle qui la faisait tendre vers la main droite, elle doit toujours demeurer la mкme qu’elle a йtй, а cause que cette toile ne lui est aucunement opposйe en ce sens-lа.

 


 

Puis, ayant dйcrit du centre B le cercle AFD, et tirй а angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu’il y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu’entre HB et AC, nous verrons que cette balle doit tendre vers le point I. Car, puisqu’elle perd la moitiй de sa vitesse, en traversant la toile CBE, elle doit employer deux fois autant de temps а passer au-dessous, depuis B jusques а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD, qu’elle a fait au-dessus а venir depuis A jusques а B.

Et puisqu’elle ne perd rien du tout de la dйtermination qu’elle avait а s’avancer vers le cфtй droit, en deux fois autant de temps qu’elle en a mis а passer depuis la ligne AC jusques а HB, elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce mкme cфtй, et par consйquent arriver а quelque point de la ligne droite FE, au mкme instant qu’elle arrive aussi а quelque point de la circonfйrence du cercle AFD. Ce qui serait impossible, si elle n’allait vers I, d’autant que c’est le seul point au-dessous de la toile CBE, oщ le cercle AFD et la ligne droite FF, s’entrecoupent.

Pensons maintenant que la balle, qui vient d’A vers D, rencontre au point B, non plus une toile, mais de l’eau, dont la superficie CBE lui фte justement la moitiй de sa vitesse, ainsi que faisait cette toile. Et le reste posй comme devant, je dis que cette balle doit passer de B en ligne droite, non vers D, mais vers I. Car, premiиrement, il est certain que la superficie de l’eau la doit dйtourner vers lа en mкme faзon que la toile, vu qu’elle lui фte tout autant de sa force, et qu’elle lui est opposйe en mкme sens.

 


 

Puis, pour le reste du corps de l’eau qui remplit tout l’espace qui est depuis B jusques а I, encore qu’il lui rйsiste plus ou moins que ne faisait l’air que nous y supposions auparavant, ce n’est pas а dire pour cela qu’il doive plus ou moins la dйtourner : car il se peut ouvrir, pour lui faire passage, tout aussi facilement vers un cфtй que vers un autre, au moins si on suppose toujours, comme nous faisons., que ni la pesanteur ou lйgиretй de cette balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni aucune autre telle cause йtrangиre ne change son cours.

Et on peut ici remarquer, qu’elle est d’autant plus dйtournйe par la superficie de l’eau ou de la toile, qu’elle la rencontre plus obliquement, en sorte que, si elle la rencontre а angles droits, comme lorsqu’elle est poussйe d’H vers B, elle doit passer outre en ligne droite vers G, sans aucunement se dйtourner. Mais si elle est poussйe suivant une ligne comme AB, qui soit si fort inclinйe sur la superficie de l’eau ou de la toile CBE, que la ligne FE, йtant tirйe comme tantфt, ne coupe point le cercle AD, cette balle ne doit aucunement la pйnйtrer, mais rejaillir de sa superficie B vers l’air L, tout de mкme que si elle y avait rencontrй de la terre. Ce qu’on a quelque-fois expйrimentй avec regret, lorsque, faisant tirer pour plaisir des piиces d’artillerie vers le fond d’une riviиre, on a blessй ceux qui йtaient de l’autre cфtй sur le rivage.

 


 

Mais faisons encore ici une autre supposition, et pensons que la balle, ayant йtй premiиrement poussйe d’A vers B, est poussйe derechef, йtant au point B, par la raquette CBE, qui augmente la force de son mouvement, par exemple, d’un tiers, en sorte qu’elle puisse faire, par aprиs, autant de chemin en deux moments, qu’elle en faisait en trois auparavant. Ce qui fera le mкme effet, que si elle rencontrait au point B un corps de telle nature, qu’elle passвt au travers de sa superficie CBE, d’un tiers plus-facilement que par l’air. Et il suit manifestement de ce qui a йtй dйjа dйmontrй, que, si l’on dйcrit le cercle AD comme devant, et les lignes AC, RB, FE, en telle sorte qu’il y ait d’un tiers moins de distance entre FE et RB qu’entre RB et AC, le point I, oщ la ligne droite FE et la circulaire AD s’entrecoupent, dйsignera le lieu vers lequel cette balle, йtant au point B, se doit dйtourner.

Or on peut prendre aussi le revers de cette conclusion et dire que, puisque la balle qui vient d’A en ligne droite jusques а B, se dйtourne йtant au point B, et prend son cours de lа vers I, cela signifie que la force ou facilitй, dont elle entre dans le corps CBEI, est а celle dont elle sort du corps ACBE, comme la distance qui est entre AC et HB, а celle qui est entre HB et FI, c’est-а-dire comme la ligne CB est а BE .

 


 

Enfin, d’autant que l’action de la lumiиre suit en ceci les mкmes lois que le mouvement de cette balle, il faut dire que, lorsque ses rayons passent obliquement d’un corps transparent dans un autre, qui les reзoit plus ou moins facilement que le premier, ils s’y dйtournent en telle sorte, qu’ils se trouvent toujours moins inclinйs sur la superficie de ces corps, du cфtй oщ est celui qui les reзoit le plus aisйment, que du cфtй oщ est l’autre : et ce, justement а proportion de ce qu’il les reзoit plus aisйment que ne fait l’autre. Seulement faut-il prendre garde que cette inclination se doit mesurer par la quantitй des lignes droites, comme CB ou AH, et EB ou IG, et semblables, comparйes les unes aux autres ; non par celle des angles, tels que sont ABH ou GBI, ni beaucoup moins par celle des semblables а DBI, qu’on nomme les angles de Rйfraction. Car la raison ou proportion qui est entre Ces angles varie а toutes les diverses inclinations des rayons ; au lieu que celle qui est entre les lignes AH et IG, ou semblables, demeure la mкme en toutes les rйfractions qui sont causйes par les mкmes corps. Comme, par exemple, s’il passe un rayon dans l’air d’A vers B, qui, rencontrant au point B la superficie du verre CBR, se dйtourne vers I dans ce verre ; et qu’il en vienne un autre de K vers B, qui se dйtourne vers L ; et un autre de P vers R, qui se dйtourne vers S ; il doit avoir mкme proportion entre les lignes KM et LN, ou PQ et ST, qu’entre AH et IG, mais non pas la mкme entre les angles KBM et LBN, ou PRQ et SRT, qu’entre ABH et IBG.

Si bien que vous voyez maintenant en quelle sorte se doivent mesurer les rйfractions ; et encore que, pour dйterminer leur quantitй, en tant qu’elle dйpend de la nature particuliиre des corps oщ elles se font, il soit besoin d’en venir а l’expйrience, on ne laisse pas de le pouvoir faire assez certainement et aisйment, depuis qu’elles sont ainsi toutes rйduites sous une mкme mesure ; car il suffit de les examiner en un seul rayon, pour connaоtre toutes celles qui se font en une mкme superficie, et on peut йviter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres.

 


 

Comme, si nous voulons savoir la quantitй de celles qui se font en la superficie CBR, qui sйpare l’air AKP du verre LIS, nous n’avons qu’а l’йprouver en celle du rayon ABI, en cherchant la proportion qui est entre les lignes AH et IG. Puis, si nous craignons d’avoir failli en cette expйrience, il faut encore l’йprouver en quelques autres rayons, comme KBL ou PRS, et trouvant mкme proportion de KM а LN, et de PQ а. ST, que d’AH а IG, nous n’aurons plus aucune occasion de douter de la vйritй.

Mais peut-кtre vous йtonnerez-vous, en faisant ces expйriences, de trouver que les rayons de la lumiиre s’inclinent plus dans l’air que dans l’eau, sur les superficies oщ se fait leur rйfraction, et encore plus dans l’eau que dans le verre, tout au contraire d’une balle qui s’incline davantage dans l’eau que dans l’air, et ne peut aucunement passer dans le verre.

 


 

Car, par exemple, si c’est une balle qui, йtant poussйe dans l’air d’A vers B, rencontre au point B la superficie de l’eau CBE, elle se dйtournera de B vers V ; et si c’est un rayon, il ira, tout au contraire, de B vers I. Ce que vous cesserez toutefois de trouver йtrange, si vous vous souvenez de la nature que j’ai attribuйe а la lumiиre, quand j’ai dit qu’elle n’йtait autre chose qu’un certain mouvement ou une action reзue en une matiиre trиs subtile, qui remplit les pores des autres corps ; et que vous considйriez que, comme une balle perd davantage de son agitation, en donnant contre un corps mou, que contre un qui est dur, et qu’elle roule moins aisйment sur un tapis, que sur une table toute nue, ainsi l’action de cette matiиre subtile peut beaucoup plus кtre empкchйe par les parties de l’air, qui, йtant comme molles et mal jointes, ne lui font pas beaucoup de rйsistance, que par celles de l’eau, qui lui en font davantage ; et encore plus par celles de l’eau, que par celles du verre, ou du cristal. En sorte que, d’autant que les petites parties d’un corps transparent sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent-elles passer la lumiиre plus aisйment : car cette lumiиre n’en doit pas chasser aucunes hors de leurs places, ainsi qu’une balle en doit chasser de celles de l’eau, pour trouver passage parmi elles.

 


 

Au reste, sachant ainsi la cause des rйfractions qui se font dans l’eau et dans le verre, et communйment en tous les autres corps transparents qui sont autour de nous, on peut remarquer qu’elles y doivent кtre toutes semblables, quand les rayons sortent de ces corps, et quand ils y entrent. Comme, si le rayon qui vient d’A vers B, se dйtourne de B vers I, en passant de l’air dans le verre, celui qui reviendra d’I vers B, doit aussi se dйtourner de B vers A. Toutefois il se peut bien trouver d’autres corps, principalement dans le ciel, oщ les rйfractions, procйdant d’autres causes, ne sont pas ainsi rйciproques. Et il se peut aussi trouver certains cas, auxquels les rayons se doivent courber, encore qu’ils ne passent que par un seul corps transparent, ainsi que se courbe sou vent le mouvement d’une balle, parce qu’elle est dйtour nйe vers un cфtй par sa pesanteur, et vers un autre par l’action dont on l’a poussйe, ou pour diverses autres raisons.

Car enfin j’ose dire que les trois comparaisons, dont je viens de me servir, sont si propres, que toutes les particularitйs qui s’y peuvent remarquer se rapportent а quelques autres qui se trouvent toutes semblables en la lumiиre ; mais je n’ai tвchй que d’expliquer celles qui faisaient le plus а mon sujet. Et je ne vous veux plus faire ici considйrer autre chose, sinon que les superficies des corps transparents qui sont courbйes dйtournent les rayons qui passent par chacun de leurs points, en mкme sorte que feraient les superficies plates, qu’on peut imaginer toucher ces corps aux mкmes points. Comme, par exemple, la rйfraction des rayons AB, AC, AD, qui, venant du flambeau A, tombent sur la superficie courbe de la boule de cristal BCD, doit кtre considйrйe en mкme sorte, que si AB tombait sur la superficie plate EBF, et AC sur GCH, et AD sur IDK, et ainsi des autres.

 


 

D’oщ vous voyez que ces rayons se peuvent assembler ou йcarter diversement, selon qu’ils tombent sur des superficies qui sont courbйes diversement. Et il est temps que je commence а vous dйcrire quelle est la structure de l’њil, afin de vous pouvoir faire entendre comment les rayons, qui entrent dedans, s’y disposent pour causer le sentiment de la vue.

 

 

 

Discours troisiиme

De l’њil

 

S’il йtait possible de couper l’њil par la moitiй, sans que les liqueurs dont il est rempli s’йcoulassent, ni qu’aucune de ses parties changeвt de place, et que le plan de la section passвt justement par le milieu de la prunelle, il paraоtrait tel qu’il est reprйsentй en cette figure.

 


 

ABCB est une peau assez dure et йpaisse qui compose comme un vase rond dans lequel toutes ses parties intйrieures sont contenues. DEF est une autre peau dйliйe, qui est tendue ainsi qu’une tapisserie au dedans de la prйcйdente. ZH est le nerf nommй optique, qui est composй d’un grand nombre de petits filets, dont les extrйmitйs s’йtendent en tout l’espace GHI, oщ, se mкlant avec une infinitй de petites veines et artиres, elles composent une espиce de chair extrкmement tendre et dйlicate, laquelle est comme une troisiиme peau, qui couvre tout le fond de la seconde. K, L, M sont trois sortes de glaires ou humeurs fort transparentes, qui remplissent tout l’espace contenu au dedans de ces peaux, et ont chacune la figure, en laquelle vous la voyez ici reprйsentйe.

Et l’expйrience montre que celle du milieu, L, qu’on nomme l’humeur cristalline, cause а peu prиs mкme rйfraction que le verre ou le cristal ; et que les deux autres, K et M, la causent un peu moindre, environ comme l’eau commune, en sorte que les rayons de la lumiиre passent plus facilement par celle du milieu que par les deux autres, et encore plus facilement par ces deux que par l’air. En la premiиre peau, la partie BCB est transparente, et un peu plus voыtйe que le reste BAB. En la seconde, la superficie intйrieure de la partie EF, qui regarde le fond de l’њil , est toute noire et obscure ; et elle a au milieu un petit trou rond FF, qui est ce qu’on nomme la prunelle, et qui paraоt si noir au milieu de l’њil , quand on le regarde par dehors. Ce trou n’est pas toujours de mкme grandeur, et la partie EF de la peau en laquelle il est, nageant librement en l’humeur K, qui est fort liquide, semble кtre comme un petit muscle, qui se peut йtrйcir et йlargir а mesure qu’on regarde des objets plus ou moins proches, ou plus ou moins йclairйs, ou qu’on les veut voir plus ou moins distinctement.

Et vous pourrez voir facilement l’expйrience de tout ceci en l’њil d’un enfant ; car si vous lui faites regarder fixement un objet proche, vous verrez que sa prunelle deviendra un peu plus petite que si vous lui en faites regarder un plus йloignй, qui ne soit point avec cela plus йclairй. Et derechef, qu’encore qu’il regarde toujours le mкme objet, il l’aura beaucoup plus petite, йtant en une chambre fort claire, que si, en fermant la plupart des fenкtres, on la rend fort obscure. Et enfin que, demeurant au mкme jour, et regardant le mкme objet, s’il tвche d’en distinguer les moindres parties, sa prunelle sera plus petite, que s’il ne le considиre que tout entier, et sans attention. Et notez que ce mouvement doit кtre appelй volontaire, nonobstant qu’il soit ordinairement ignorй de ceux qui le font, car il ne laisse pas pour cela d’кtre dйpendant et de suivre de la volontй qu’ils ont de bien voir ; ainsi que les mouvements des lиvres et de la langue, qui servent а prononcer les paroles, se nomment volontaires, а cause qu’ils suivent de la volontй qu’on a de parler, nonobstant qu’on ignore souvent quels ils doivent кtre pour servir а la prononciation de chaque lettre. EN, EN sont plusieurs petit filets noirs, qui embrassent tout autour l’humeur marquйe L, et qui, naissant aussi de la seconde peau, en l’endroit oщ la troisiиme se termine, semblent autant de petits tendons, par le moyen desquels cette humeur L, devenant tantфt plus voыtйe, tantфt plus plate, selon l’intention qu’on a de regarder des objets proches ou йloignйs, change un peu toute la figure du corps de l’њil. Et vous pouvez connaоtre ce mouvement par expйrience : car si, lorsque vous regardez fixement une tour ou une montagne un peu йloignйe, on prйsente un livre devant vos yeux, vous n’y pourrez voir distinctement aucune lettre, jusques а ce que leur figure soit un peu changйe. Enfin O, O sont six ou sept muscles attachйs а l’њil par dehors, qui le peuvent mouvoir de tous cфtйs, et mкme aussi, peut-кtre, en le pressant ou retirant, aider а changer sa figure. je laisse а dessein plusieurs autres particularitйs qui se remarquent en cette matiиre, et dont les anatomistes grossissent leurs livres ; car je crois que celles que j’ai mises ici suffiront pour expliquer tout ce qui sert а mon sujet, et que les autres que j’y pourrais ajouter, n’aidant en rien votre intelligence, ne feraient que divertir votre attention.

 

 

 

Discours quatriиme

Des sens en gйnйral

 

Mais il faut que je vous dise maintenant quelque chose de la nature des sens en gйnйral, afin de pouvoir d’autant plus aisйment expliquer en particulier celui de la vue. On sait dйjа assez que c’est l’вme qui sent, et non le corps : car on voit que, lorsqu’elle est divertie par une extase ou forte contemplation, tout le corps demeure sans sentiment, encore qu’il ait divers objets qui le touchent. Et on sait que ce n’est pas proprement en tant qu’elle est dans les membres qui servent d’organes aux sens extйrieurs, qu’elle sent, mais en tant qu’elle est dans le cerveau, oщ elle exerce cette facultй qu’ils appellent le sens commun : car on voit des blessures et maladies qui, n’offensant que le cerveau seul, empкchent gйnйralement tous les sens, encore que le reste du corps ne laisse point pour cela d’кtre animй. Enfin on sait que c’est par l’entremise des nerfs que les impressions, que font les objets dans les membres extйrieurs, parviennent jusques а l’вme dans le cerveau : car on voit divers accidents, qui, ne nuisant а rien qu’а quelque nerf, фtent le sentiment de toutes les parties du corps oщ ce nerf envoie ses branches, sans rien diminuer de celui des autres. Mais, pour savoir plus particuliиrement en quelle sorte l’вme, demeurant dans le cerveau, peut ainsi, par l’entremise des nerfs, recevoir les impressions des objets qui sont au dehors, il faut distinguer trois choses en ces nerfs : а savoir, premiиrement, les peaux qui les enveloppent, et qui, prenant leur origine de celles qui enveloppent le cerveau, sont comme de petits tuyaux divisйs en plusieurs branches, qui se vont йpandre за et lа par tous les membres, en mкme faзon que les veines et les artиres ; puis leur substance intйrieure, qui s’йtend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux, depuis le cerveau, d’oщ elle prend son origine, jusques aux extrйmitйs des autres membres, oщ elle s’attache, en sorte qu’on peut imaginer, en chacun de ces petits tuyaux, plusieurs de ces petits filets indйpendants les uns des autres ; puis enfin les esprits animaux , qui sont comme un air ou un vent trиs subtil, qui, venant des chambres ou concavitйs qui sont dans le cerveau, s’йcoule par ces mкmes tuyaux dans les muscles. Or les anatomistes et mйdecins avouent assez que ces trois choses se trouvent dans les nerfs ; mais il ne me semble point qu’aucun d’eux en ait encore bien distinguй les usages. Car, voyant que les nerfs ne servent pas seulement а donner le sentiment aux membres, mais aussi а les mouvoir, et qu’il y a quelquefois des paralysies qui фtent le mouvement, sans фter pour cela le sentiment, tantфt ils ont dit qu’il y avait deux sortes de nerfs, dont les uns ne servaient que pour les sens, et les autres que pour les mouvements, et tantфt que la facultй de sentir йtait dans les peaux ou membranes, et que celle de mouvoir йtait dans la substance intйrieure des nerfs : qui sont choses fort rйpugnantes а l’expйrience et а la raison. Car qui a jamais pu remarquer aucun nerf, qui servоt au mouvement, sans servir aussi a quelque sens ? Et comment, si c’йtait des peaux que le sentiment dйpendоt, les diverses impressions des objets pourraient-elles, par le moyen de ces peaux, parvenir jusques au cerveau ? Afin donc d’йviter ces difficultйs, il faut penser que ce sont les esprits qui, coulant par les nerfs dans les muscles, et les enflant plus ou moins, tantфt les uns, tantфt les autres, selon les diverses faзons que le cerveau les distribue, causent le mouvement de tous les membres ; et que ce sont les petits filets, dont la substance intйrieure de ces nerfs est composйe, qui servent aux sens. Et d’autant que je n’ai point ici besoin de parler des mouvements, je dйsire seulement que vous conceviez que ces petits filets, йtant enfermйs, comme j’ai dit, en des tuyaux qui sont toujours enflйs et tenus ouverts par les esprits qu’ils contiennent, ne se pressent ni empкchent aucunement les uns les autres, et sont йtendus depuis le cerveau jusques aux extrйmitйs de tous les membres qui sont capables de quelque sentiment, en telle sorte que, pour peu qu’on touche et fasse mouvoir l’endroit de ces membres oщ quelqu’un d’eux est attachй, on fait aussi mouvoir au mкme instant l’endroit du cerveau d’oщ il vient, ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde qui est toute tendue, on fait mouvoir au mкme instant l’autre bout. Car, sachant que ces filets sont ainsi enfermйs en des tuyaux, que les esprits tiennent toujours un peu enflйs et entre-ouverts, il est aisй а entendre qu’encore qu’ils fussent beaucoup plus dйliйs que ceux que filent les vers а soie, et plus faibles que ceux des araignйes, ils ne laisseraient pas de se pouvoir йtendre depuis la tкte jusques aux membres les plus йloignйs, sans кtre en aucun hasard de se rompre, ni que les diverses situations de ces membres empкchassent leurs mouvements. Il faut, outre cela, prendre garde а ne pas supposer que, pour sentir, l’вme ait besoin de contempler quelques images qui soient envoyйes par les objets jusques au cerveau, ainsi que font communйment nos philosophes ; ou, du moins, il faut concevoir la nature de ces images tout autrement qu’ils ne font. Car, d’autant qu’ils ne considиrent en elles autre chose, sinon qu’elles doivent avoir de la ressemblance avec les objets qu’elles reprйsentent, il leur est impossible de nous montrer comment elles peuvent кtre formйes par ces objets, et reзues par les organes des sens extйrieurs, et transmises par les nerfs jusques au cerveau. Et ils n’ont eu aucune raison de les supposer, sinon que, voyant que notre pensйe peut facilement кtre excitйe, par un tableau, а concevoir l’objet qui y est peint, il leur a semblй qu’elle devait l’кtre, en mкme faзon, а concevoir ceux qui touchent nos sens, par quelques petits tableaux qui s’en formassent en notre tкte, au lieu que nous devons considйrer qu’il y a plusieurs autres choses que des images, qui peuvent exciter notre pensйe ; comme, par exemple, les signes et les paroles, qui ne ressemblent en aucune faзon aux choses qu’elles signifient. Et si, pour ne nous йloigner que le moins qu’il est possible des opinions dйjа reзues, nous aimons mieux avouer que les objets que nous sentons envoient vйritablement leurs images jusques au dedans de notre cerveau, il faut au moins que nous remarquions qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout ressembler aux objets qu’elles reprйsentent : car autrement il n’y aurait point de distinction entre l’objet et son image : mais qu’il suffit qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent mкme, que leur perfection dйpend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles pourraient faire. Comme vous voyez que les tailles-douces, n’йtant faites que d’un eu d’encre posйe за et lа sur du papier, nous reprйsentent es forкts, des villes, des hommes, et mкme des batailles et des tempкtes, bien que, d’une infinitй de diverses qualitйs qu’elles nous font concevoir en ces objets, il n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la ressemblance ; et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que, sur une superficie toute plate, elles nous reprйsentent des corps diversement relevйs et enfoncйs, et que mкme, suivant les rиgles de la perspective, souvent elles reprйsentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles ; et des carrйs par des losanges que par d’autres carrйs ; et ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour кtre plus parfaites en qualitй d’images, et reprйsenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler. Or il faut que nous pensions tout le mкme des images qui se forment en notre cerveau, et que nous remarquions qu’il est seulement question de savoir comment elles peuvent donner moyen а l’вme de sentir toutes les diverses qualitйs des objets auxquels elles se rapportent, et non point comment elles ont en soi leur ressemblance. Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons parlй ci-dessus, touche quelques corps de son bвton, il est certain que ces corps n’envoient autre chose jusques а lui, sinon que, faisant mouvoir diversement son bвton selon les diverses qualitйs qui sont en eux, ils meuvent par mкme moyen les nerfs de sa main, et ensuite les endroits de son cerveau d’oщ viennent ces nerfs ; ce qui donne occasion а son вme de sentir tout autant de diverses qualitйs en ces corps, qu’il se trouve de variйtйs dans les mouvements qui sont causйs par eux en son cerveau.

 

 

 

Discours cinquiиme

Des images qui se forment sur le fond de l’њil

 

Vous voyez donc assez que, pour sentir, l’вme n’a pas besoin de contempler aucunes images qui soient semblables aux choses qu’elle sent ; mais cela n’empкche pas qu’il ne soit vrai que les objets que nous regardons en impriment d’assez parfaites dans le fond de nos yeux ; ainsi que quelques-uns ont dйjа trиs ingйnieusement expliquй , par la comparaison de celles qui paraissent dans une chambre, lorsque l’ayant toute fermйe, rйservй un seul trou et ayant nus au-devant de ce trou un verre en forme de lentille, on йtend derriиre, а certaine distance, un linge blanc, sur qui la lumiиre, qui vient des objets de dehors, forme ces images. Car ils disent que cette chambre reprйsente l’њil ; ce trou, la prunelle ; ce verre, l’humeur cristalline, ou plutфt toutes celles des parties de l’њil qui causent quelque rйfraction ; et ce linge, la peau intйrieure, qui est composйe des extrйmitйs du nerf optique.

 


 

Mais vous en pourrez кtre encore plus certain, si, prenant l’њil d’un homme fraоchement mort, ou, au dйfaut, celui d’un bњuf ou de quelque autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure dйcouverte, sans qu’il y ait rien d’elle pour cela qui se rйpande ; puis, l’ayant recouverte de quelque corps blanc, qui soit si dйliй que le jour passe au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un њuf, RST, que vous mettiez cet њil dans le trou d’une fenкtre fait exprиs, comme Z, en sorte qu’il ait le devant, BCD, tournй vers quelque lieu oщ il y ait divers objets, comme V, X, Y, йclairйs par le soleil ; et le derriиre, oщ est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre, P, oщ vous serez, et en laquelle il ne doit entrer aucune lumiиre, que celle qui pourra pйnйtrer au travers de cet њil , dont vous savez que toutes les parties, depuis C jusques а S, sont transparentes. Car, cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST, vous y verrez, non peut-кtre sans admiration et plaisir, une peinture, qui reprйsentera fort naпvement en perspective tous les objets qui seront au dehors vers VXY, au moins si vous faites en sorte que cet њil retienne sa figure naturelle, proportionnйe а la distance de ces objets : car, pour peu que vous le pressiez plus ou moins que de raison, cette peinture en deviendra moins distincte. Et il est а remarquer qu’on doit le presser un peu davantage, et tendre sa figure un peu plus longue, lorsque les objets sont fort proches, que lorsqu’ils sont plus йloignйs. Mais il est besoin que j’explique ici plus au long comment se forme cette peinture ; car je pourrai, par mкme moyen, vous faire entendre plusieurs choses qui appartiennent а la vision.

Considйrez donc, premiиrement, que, de chaque point des objets V, X, Y, il entre en cet њil autant de rayons, qui pйnиtrent jusques au corps blanc RST, que l’ouverture de la prunelle FF en peut comprendre, et que, suivant ce qui a йtй dit ici dessus, tant de la nature de la rйfraction que de celle des trois humeurs K, L, M, tous ceux de ces rayons, qui viennent d’un mкme point, se courbent en traversant les trois superficies BCD, 123 et 456, en la faзon qui est requise pour se rassembler derechef environ vers un mкme point. Et il faut remarquer qu’afin que la peinture, dont il est ici question, soit la plus parfaite qu’il est possible, les figures de ces trois superficies doivent кtre telles que tous les rayons, qui viennent de l’un des points des objets, se rassemblent exactement en l’un des points du corps blanc RST. Comme vous voyez ici que ceux du point X s’assemblent au point S ; en suite de quoi ceux qui viennent du point V s’assemblent aussi а peu prиs au point R ; et ceux du point Y, au point T. Et que, rйciproquement, il ne vient aucun rayon vers S, que du point X ; ni quasi aucun vers R, que du point V ; ni vers T, que du point Y, et ainsi des autres. Or cela posй, si vous vous souvenez de ce qui a йtй dit ci-dessus de la lumiиre et des couleurs en gйnйral, et en particulier des corps blancs, il vous sera facile а entendre, qu’йtant enfermй dans la chambre P, et jetant vos yeux sur le corps blanc RST, vous y devez voir la ressemblance des objets V, X, Y. Car, premiиrement, la lumiиre, c’est-а-dire le mouvement ou l’action dont le soleil, ou quelque autre des corps qu’on nomme lumineux, pousse une certaine matiиre fort subtile qui se trouve en tous les corps transparents, йtant repoussйe vers R par l’objet V, que je suppose, par exemple, кtre rouge, c’est-а-dire, кtre disposй а faire que les petites parties de cette matiиre subtile, qui ont йtй seulement poussйes en lignes droites par les corps lumineux, se meuvent aussi en rond autour de leurs centres, aprиs les avoir rencontrйs, et que leurs deux mouvements aient entre eux la proportion qui est requise pour faire sentir la couleur rouge ; il est certain que l’action de ces deux mouvements, ayant rencontrй au point R un corps blanc , c’est-а-dire un corps disposй а la renvoyer vers tout autre cфtй sans la changer, doit de lа se rйflйchir vers vos yeux par les pores de ce corps, que j’ai supposй а cet effet fort dйliй, et comme percй а jour de tous cфtйs, et ainsi vous faire voir le point R de couleur rouge. Puis, la lumiиre йtant aussi repoussйe de l’objet X, que je suppose jaune, vers S ; et d’Y, que je suppose bleu, vers T, d’oщ elle est portйe vers vos yeux ; elle vous doit faire paraоtre S de couleur jaune, et T de couleur bleue. Et ainsi les trois points R, S, T, paraissant des mкmes couleurs, et gardant entre eux le mкme ordre que les trois V, X, Y, en ont manifestement la ressemblance. Et la perfection de cette peinture dйpend principalement de trois choses : а savoir de ce que, la prunelle de l’њil ayant quelque grandeur, il y entre plusieurs rayons de chaque point de l’objet, comme ici XB14S, XC25S, XD36S, et tout autant d’autres qu’on en puisse imaginer entre ces trois, y viennent du seul point X ; et de ce que ces rayons souffrent dans l’њil de telles rйfractions, que ceux qui viennent de divers points se rassemblent а peu prиs en autant d’autres divers points sur le corps blanc RST ; et enfin de ce que, tant les petits filets EN que le dedans de la peau EF йtant de couleur noire, et la chambre P toute fermйe et obscure, il ne vient d’ailleurs que des objets V, X, Y, aucune lumiиre qui trouble l’action de ces rayons. Car, si la prunelle йtait si йtroite, qu’il ne passвt qu’un seul rayon de chaque point de l’objet vers chaque point du corps RST, il n’aurait pas assez de force pour se rйflйchir de lа dans la chambre P, vers vos yeux. Et la prunelle йtant un peu grande, s’il ne se faisait dans l’њil aucune rйfraction, les rayons qui viendraient de chaque point des objets, s’йpandraient за et lа en tout l’espace RST, en sorte que, par exemple, les trois points V, X, Y enverraient trois rayons vers R, qui, se rйflйchissant de lа tous ensemble vers vos yeux, vous feraient paraоtre ce point R d’une couleur moyenne entre le rouge, le jaune et le bleu, et tout semblable aux points S et T, vers lesquels les mкmes points V. X, Y enverraient aussi chacun un de leurs rayons. Et il arriverait aussi quasi le mкme, si la rйfraction qui se fait en l’њil йtait plus ou moins grande qu’elle ne doit, а raison de la grandeur de cet њil : car, йtant trop grande, les rayons qui viendraient, par exemple, du point X, s’assembleraient avant que d’кtre parvenus jusques а S, comme vers M ; et, au contraire, йtant trop petite, ils ne s’assembleraient qu’au delа, comme vers P ; si bien qu’ils toucheraient le corps blanc RST en plusieurs points, vers lesquels il viendrait aussi d’autres rayons des autres parties de l’objet. Enfin, si les corps EN, EF n’йtaient noirs, c’est-а-dire disposйs а faire que la lumiиre qui donne de contre s’y amortisse, les rayons qui viendraient vers eux du corps blanc RST, pourraient de lа retourner, ceux de T, vers S et vers R ; ceux de R, vers T et vers S ; et ceux de S, vers R et vers T : au moyen de quoi ils troubleraient l’action les uns des autres ; et le mкme feraient aussi les rayons qui viendraient de la chambre P vers RST, s’il y avait quelque autre lumiиre en cette chambre, que celle qu’y envoient les objets V, X, Y.

Mais, aprиs vous avoir parlй des perfections de cette peinture, il faut aussi que je vous fasse considйrer ses dйfauts, dont le premier et le principal est que, quelques figures que puissent avoir les parties de l’њil, il est impossible qu’elles fassent que les rayons qui viennent de divers points, s’assemblent tous en autant d’autres divers points, et que tout le mieux qu’elles puissent faire c’est seulement que tous ceux qui viennent de quelque point, comme d’X, s’assemblent en un autre point, comme S, dans le milieu du fond de l’њil ; en quel cas il n’y en peut avoir que quelques-uns de ceux du point V, qui s’assemblent justement au point R, ou du point Y, qui s’assemblent justement au point T ; et les autres s’en doivent йcarter quelque peu, tout а l’entour, ainsi que j’expliquerai ci-aprиs. Et ceci est cause que cette peinture n’est jamais si distincte vers ses extrйmitйs qu’au milieu, comme il a йtй assez remarque par ceux qui ont йcrit de l’optique. Car c’est pour cela qu’ils ont dit que la vision se fait principalement suivant la ligne droite, qui passe par les centres de l’humeur cristalline et de la prunelle, telle qu’est ici la ligne XKLS, qu’ils nomment l’essieu de la vision. Et notez que les rayons, par exemple, ceux qui viennent du point V, s’йcartent autour du point R, d’autant plus que l’ouverture de la prunelle est plus grande ; et ainsi que, si sa grandeur sert а rendre les couleurs de cette peinture plus vives et plus fortes, elle empкche en revanche que ces figures ne soient si distinctes, d’oщ vient qu’elle ne doit кtre que mйdiocre. Notez aussi que ces rayons s’йcarteraient encore plus autour du point R, qu’ils ne font, si le point V, d’oщ ils viennent, йtait beaucoup plus proche de l’њil, comme vers 10, ou beaucoup plus йloignй, comme vers 11, que n’est X, а la distance duquel je suppose que la figure de l’њil est proportionnйe ; de sorte qu’ils rendraient la partie R de cette peinture encore moins distincte qu’ils ne font. Et vous entendrez facilement les dйmonstrations de tout ceci, lorsque vous aurez vu, ci-aprиs, quelle figure doivent avoir les corps transparents, pour faire que les rayons, qui viennent d’un point, s’assemblent en quelque autre point, aprиs les avoir traversйs. Pour les autres dйfauts de cette peinture, ils consistent en ce que ses parties sont renversйes, c’est-а-dire en position toute contraire а celle des objets ; et en ce qu’elles sont apetissйes et raccourcies les unes plus, les autres moins, а raison de la diverse distance et situation des choses qu’elles reprйsentent, quasi en mкme faзon que dans un tableau de perspective. Comme vous voyez ici clairement que T, qui est vers le cфtй gauche, reprйsente Y, qui est vers le droit, et que R, qui est vers le droit, reprйsente V, qui est vers le gauche. Et de plus, que la figure de l’objet V ne doit pas occuper plus d’espace vers R, que celle de l’objet 10, qui est plus petit, mais plus proche ; ni moins que celle de l’objet II, qui est plus grand, mais а proportion plus йloignй, sinon en tant qu’elle est un peu plus distincte. Et enfin, que la ligne droite VXY est reprйsentйe par la courbe RST.

Or, ayant ainsi vu cette peinture dans l’њil d’un animal mort, et en ayant considйrй les raisons, on ne peut douter qu’il ne s’en forme une toute semblable en celui d’un homme vif, sur la peau intйrieure, en la place de laquelle nous avions substituй le corps blanc RST ; et mкme qu’elle ne s’y forme beaucoup mieux, а cause que ses humeurs, йtant pleines d’esprits, sont plus transparentes, et ont plus exactement la figure qui est requise а cet effet. Et peut-кtre aussi qu’en l’њil d’un bњuf la figure de la prunelle, qui n’est pas ronde, empкche que cette peinture n’y soit si parfaite.

 


 

On ne peut douter non plus que les images qu’on fait paraоtre sur un linge blanc, dans une chambre obscure, ne s’y forment tout de mкme et pour la mкme raison qu’au fond de l’њil ; mкme, а cause qu’elles y sont ordinairement beaucoup plus grandes, et s’y forment en plus de faзons, on y peut plus commodйment remarquer diverses particularitйs, dont je dйsire ici vous avertir, afin que vous en fassiez l’expйrience, si vous ne l’avez encore jamais faite. Voyez donc, premiиrement, que, si on ne met aucun verre au-devant du trou qu’on aura fait en cette chambre, il paraоtra bien quelques images sur le linge, pourvu que le trou soit fort йtroit, mais qui seront fort confuses et imparfaites, et qui le seront d’au tant plus, que ce trou sera moins йtroit ; et qu’elles seront aussi d’autant plus grandes, qu’il y aura plus de distance entre lui et le linge, en sorte que leur grandeur doit avoir, а peu prиs, mкme proportion avec cette distance, que la grandeur des objets, qui les causent, avec la distance qui est entre eux et ce mкme trou. Comme il est йvident que, si ACB est l’objet, D le trou, et EFG l’image, EG est а FD comme AB est а CD. Puis, ayant nus un verre en forme de lentille au-devant de ce trou, considйrez qu’il y a certaine distance dйterminйe, а laquelle tenant le linge, les images paraissent fort distinctes, et que, pour peu qu’on l’йloigne ou qu’on l’approche davantage du verre, elles commencent а l’кtre moins. Et que cette distance doit кtre mesurйe par l’espace qui est, non pas entre le linge et le trou, mais entre le linge et le verre : en sorte que, si l’on met le verre un peu au delа du trou de part ou d’autre, le linge en doit aussi кtre d’autant approchй ou reculй. Et qu’elle dйpend en partie de la figure de ce verre, et en partie aussi de l’йloignement des objets : car, en laissant l’objet en mкme lieu, moins les superficies du verre sont courbйes, plus le linge en doit кtre йloignй, et en se servant du mкme verre, si les objets en sont fort proches, il en faut tenir le linge un peu plus loin, que s’ils en sont plus йloignйs. Et que de cette distance dйpend la grandeur des images, quasi en mкme faзon que lorsqu’il n’y a point de verre au-devant du trou. Et que ce trou peut кtre beaucoup plus grand, lorsqu’on y met un verre, que lorsqu’on le laisse tout vide, sans que les images en soient pour cela de beaucoup moins distinctes. Et que, plus il est grand, plus elles paraissent claires et illuminйes : en sorte que, si on couvre une partie de ce verre, elles paraоtront bien plus obscures qu’auparavant, mais qu’elles ne laisseront pas pour cela d’occuper autant d’espace sur le linge. Et que, plus ces images sont grandes et claires, plus elles se voient parfaitement : en sorte que, si on pouvait aussi faire un њil , dont la profondeur fыt fort grande, et la prunelle fort large, et que les figures de celles de ses superficies qui causent quelque rйfraction, fussent proportionnйes а cette grandeur, les images s’y formeraient d’autant plus visibles. Et que, si ayant deux ou plusieurs verres en forme de lentilles, mais assez plats, on les joint l’un contre l’autre, ils auront а peu prиs le mкme effet qu’aurait un seul, qui serait autant voыtй ou convexe qu’eux deux ensemble ; car le nombre des superficies oщ se font les rйfractions n’y fait pas grand chose. Mais que, si on йloigne ces verres а certaines distances les uns des autres, le second pourra redresser l’image que le premier aura renversйe, et le troisiиme la renverser derechef, et ainsi de suite. Qui sont toutes choses dont les raisons sont fort aisйes а dйduire de ce que j’ai dit, et elles seront bien plus vфtres, s’il vous faut user d’un peu de rйflexion pour les concevoir, que si vous les trouviez ici mieux expliquйes.

 


 

Au reste, les images des objets ne se forment pas seulement ainsi au fond de l’њil, mais elles passent encore au-delа jusques au cerveau, comme vous entendrez facilement, si vous pensez que, par exemple, les rayons qui viennent dans l’њil de l’objet V touchent au point R l’extrйmitй de l’un des petits filets du nerf optique, qui prend son origine de l’endroit 7 de la superficie intйrieure du cerveau 789 ; et ceux de l’objet X touchent au point S l’extrйmitй d’un autre de ces filets, dont le commencement est au point 8 ; et ceux de l’objet Y en touchent un autre au point T, qui rйpond а l’endroit du cerveau marquй 9, et ainsi des autres. Et que, la lumiиre n’йtant autre chose qu’un mouvement, ou une action qui tend а causer quelque mouvement, ceux de ses rayons qui viennent de V vers R, ont la force de mouvoir tout le filet R7, et par consйquent l’endroit du cerveau marquй 7 ; et ceux qui viennent d’X vers S, de mouvoir tout le nerf S8, et mкme de le mouvoir d’autre faзon que n’est mы R7, а cause que les objets X et V sont de deux diverses couleurs ; et ainsi, que ceux qui viennent d’Y, meuvent le point 9. D’oщ il est manifeste qu’il se forme derechef une peinture 789, assez semblable aux objets V, X, Y, en la superficie intйrieure du cerveau qui regarde ses concavitйs. Et de lа je pourrais encore la transporter jusques а une certaine petite glande, qui se trouve environ le milieu de ces concavitйs, et est proprement le siиge du sens commun . Mкme je pourrais, encore plus outre, vous montrer comment quelquefois elle peut passer de lа par les artиres d’une femme enceinte, jusques а quelque membre dйterminй de l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, et y former ces marques d’envie, qui causent tant d’admiration а tous les Doctes.

 

 

 

Discours sixiиme

De la vision

 

Or, encore que cette peinture, en passant ainsi jusques au dedans de notre tкte, retienne toujours quelque chose de la ressemblance des objets dont elle procиde, il ne se faut point toutefois persuader, ainsi que je vous ai dйjа tantфt assez fait entendre, que ce soit par le moyen de cette ressemblance qu’elle fasse que nous les sentons, comme s’il y avait derechef d’autres yeux en notre cerveau, avec lesquels nous la pussions apercevoir ; mais plutфt, que ce sont les mouvements par lesquels elle est composйe, qui, agissant immйdiatement contre notre вme, d’autant qu’elle est unie а notre corps, sont instituйs de la Nature pour lui faire avoir de tels sentiments. Ce que je vous veux ici expliquer plus en dйtail. Toutes les qualitйs que nous apercevons dans les objets de la vue, peuvent кtre rйduites а six principales, qui sont : la lumiиre, la couleur, la situation, la distance, la grandeur, et la figure. Et premiиrement, touchant la lumiиre et la couleur, qui seules appartiennent proprement au sens de la vue, il faut penser que notre вme est de telle nature que la force des mouvements, qui se trouvent dans les endroits du cerveau d’oщ viennent les petits filets des nerfs optiques, lui fait avoir le sentiment de la lumiиre ; et la faзon de ces mouvements, celui de la couleur : ainsi que les mouvements des nerfs qui rйpondent aux oreilles lui font ouпr les sons ; et ceux des nerfs de la langue lui font goыter les saveurs ; et, gйnйralement, ceux des nerfs de tout le corps lui font sentir quelque chatouillement, quand ils sont modйrйs, et quand ils sont trop violents, quelque douleur ; sans qu’il doive, en tout cela, y avoir aucune ressemblance entre les idйes qu’elle conзoit, et les mouvements qui causent ces idйes. Ce que vous croirez facilement, si vous remarquez qu’il semble а ceux qui reзoivent quelque blessure dans l’њil, qu’ils voient une infinitй de feux et d’йclairs devant eux, nonobstant qu’ils ferment les yeux, ou bien qu’ils soient en lieu fort obscur ; en sorte que ce sentiment ne peut кtre attribuй qu’а la seule force du coup, laquelle meut les petits filets du nerf optique, ainsi que ferait une violente lumiиre ; et cette mкme force, touchant les oreilles, pourrait faire ouпr quelque son ; et touchant le corps en d’autres parties, y faire sentir de la douleur.

Et ceci se confirme aussi de ce que, si quelquefois on force ses yeux а regarder le soleil, ou quelque autre lumiиre fort vive, ils en retiennent, aprиs un peu de temps, l’impression en telle sorte que, nonobstant mкme qu’on les tienne fermйs, il semble qu’on voie diverses couleurs, qui se changent et passent de l’une а l’autre, а mesure qu’elles s’affaiblissent : car cela ne peut procйder que de ce que les petits filets du nerf optique, ayant йtй mus extraordinairement fort, ne se peuvent arrкter sitфt que de coutume. Mais l’agitation, qui est encore en eux aprиs que les yeux sont fermйs, n’йtant plus assez grande pour reprйsenter cette forte lumiиre qui l’a causйe, reprйsente des couleurs moins vives. Et ces couleurs se changent en s’affaiblissant, ce qui montre que leur nature ne consiste qu’en la diversitй du mouvement, et n’est point autre que je l’ai ci-dessus supposйe. Et enfin ceci se manifeste de ce que les couleurs paraissent souvent en des corps transparents, oщ il est certain qu’il n’y a rien qui les puisse causer, que les diverses faзons dont les rayons de la lumiиre y sont reзus, comme lorsque l’arc-en-ciel paraоt dans les nues, et encore plus clairement, lorsqu’on en voit la ressemblance dans un verre qui est taillй а plusieurs faces.

 


 

Mais il faut ici particuliиrement considйrer en quoi consiste la quantitй de la lumiиre qui se voit, c’est-а-dire, de la force dont est mы chacun des petits filets du nerf optique : car elle n’est pas toujours йgale а la lumiиre qui est dans les objets, mais elle varie а raison de leur distance et de la grandeur de la prunelle, et aussi а raison de l’espace que les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, peuvent occuper au fond de l’њil. Comme, par exemple, il est manifeste que le point X enverrait plus de rayons dans l’њil B qu’il ne fait, si la prunelle FF йtait ouverte jusques а G ; et qu’il en envoie tout autant en cet њil B qui est proche de lui, et dont la prunelle est fort йtroite, qu’il fait en l’њil A, dont la prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est а proportion plus йloignйe. Et encore qu’il n’entre pas plus de rayons des divers points de l’objet VXY, considйrйs tous ensemble, dans le fond de l’њil A que dans celui de l’њil B, toutefois, parce que ces rayons ne s’y йtendent qu’en l’espace TR, qui est plus petit que n’est HI, dans lequel ils s’йtendent au fond de l’њil B, ils y doivent agir avec plus de force contre chacune des extrйmitйs du nerf qu’ils y touchent : ce qui est fort aisй а calculer. Car si, par exemple, l’espace HI est quadruple de TR, et qu’il contienne les extrйmitйs de quatre mille des petits filets du nerf optique, TR ne contiendra que celles de mille, et par consйquent chacun de ces petits filets sera mы, dans le fond de l’њil A, par la milliиme partie des forces qu’ont tous les rayons qui y entrent, jointes ensemble, et, dans le fond de l’њil B, par le quart de la milliиme partie seulement. Il faut aussi considйrer qu’on ne peut discerner les parties des corps qu’on regarde, qu’en tant qu’elles diffиrent en quelque faзon de couleur ; et que la vision distincte de ces couleurs ne dйpend pas seulement de ce que tous les rayons, qui viennent de chaque point de l’objet, se rassemblent а peu prиs en autant d’autres divers points au fond de l’њil, et de ce qu’il n’en vient aucuns autres d’ailleurs vers ces mкmes points, ainsi qu’il a йtй tantфt amplement expliquй ; mais aussi de la multitude des petits filets du nerf optique, qui sont en l’espace qu’occupe l’image au fond de l’њil. Car si, par exemple, l’objet VXY est composй de dix mille parties, qui soient disposйes а envoyer des rayons vers le fond de l’њil RST, en dix mille faзons diffйrentes, et par consйquent а faire voir en mкme temps dix mille couleurs, elles n’en pourront nйanmoins faire distinguer а l’вme que mille tout au plus, si nous supposons qu’il n’y ait que mille des filets du nerf optique en l’espace RST ; d’autant que dix des parties de l’objet, agissant ensemble contre chacun de ces filets, ne le peuvent mouvoir que d’une seule faзon, composйe de toutes celles dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne doit кtre considйrй que comme un point.

Et c’est ce qui fait que souvent une prairie, qui sera peinte d’une infinitй de couleurs toutes diverses, ne paraоtra de loin que toute blanche, ou toute bleue ; et, gйnйralement, que tous les corps se voient moins distinctement de loin que de prиs ; et enfin que, plus on peut faire que l’image d’un mкme objet occupe d’espace au fond de l’њil, plus il peut кtre vu distinctement. Ce qui sera ci-aprиs fort а remarquer.

Pour la situation, c’est-а-dire le cфtй vers lequel est posйe chaque partie de l’objet au respect de notre corps, nous ne l’apercevons pas autrement par l’entremise de nos yeux que par celle de nos mains ; et sa connaissance ne dйpend d’aucune image, ni d’aucune action qui vienne de l’objet, mais seulement de la situation des petites parties du cerveau d’oщ les nerfs prennent leur origine. Car cette situation, se changeant tant soit peu, а chaque fois que se change celle des membres oщ ces nerfs sont insйrйs, est instituйe de la Nature pour faire, non seulement que l’вme connaisse en quel endroit est chaque partie du corps qu’elle anime, au respect de toutes les autres ; mais aussi qu’elle puisse transfйrer de lа son attention а tous les lieux contenus dans les lignes droites qu’on peut imaginer кtre tirйes de l’extrйmitй de chacune de ces parties, et prolongйes а l’infini.

 


 

Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons dйjа tant parlй ci-dessus, tourne sa main A vers E, ou C aussi vers E, les nerfs insйrйs en cette main causent un certain changement en son cerveau qui donne moyen а son вme de connaоtre, non seulement le lieu A ou C, mais aussi tous les autres qui sont en la ligne droite AE ou CE, en sorte qu’elle peut porter son attention jusques aux objets B et D, et dйterminer les lieux oщ ils sont, sans connaоtre pour cela ni penser aucunement а ceux oщ sont ses deux mains. Et ainsi, lorsque notre њil ou notre tкte se tournent vers quelque cфtй, notre вme en est avertie par le changement que les nerfs insйrйs dans les muscles, qui servent а ces mouvements, causent en notre cerveau.

Comme ici, en l’њil RST, il faut penser que la situation du petit filet optique, qui est au point R, ou S, ou T, est suivie d’une autre certaine situation de la partie du cerveau 7, ou 8, ou 9, qui fait que l’вme peut connaоtre tous les lieux qui sont en la ligne RV, ou SX, ou TY. De faзon que vous ne devez pas trouver йtrange que les objets puissent кtre vus en leur vraie situation, nonobstant que la peinture, qu’ils impriment dans l’њil, en ait une toute contraire : ainsi que notre aveugle peut sentir en mкme temps l’objet B, qui est а droite, par l’entremise de sa main gauche ; et D, qui est а gauche, par l’entremise de sa main droite. Et comme cet aveugle ne juge point qu’un corps soit double, encore qu’il le touche de ses deux mains, ainsi, lorsque nos yeux sont tous deux disposйs en la faзon qui est requise pour porter notre attention vers un mкme lieu, ils ne nous y doivent faire voir qu’un seul objet, nonobstant qu’il s’en forme en chacun d’eux une peinture.

 


 

La vision de la distance ne dйpend, non plus que celle de la situation, d’aucunes images envoyйes des objets, mais, premiиrement, de la figure du corps de l’њil ; car, comme nous avons dit, cette figure doit кtre un peu autre, pour nous faire voir ce qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus йloignй, et а mesure que nous la changeons pour la proportionner а la distance des objets, nous changeons aussi certaine partie de notre cerveau, d’une faзon qui est instituйe de la Nature pour faire apercevoir а notre вme cette distance. Et ceci nous arrive ordinairement sans que nous y fassions de rйflexion ; tout de mкme que, lorsque nous serrons quelque corps de notre main, nous la conformons а la grosseur et а la figure de ce corps, et le sentons par son moyen, sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions а ses mouvements. Nous connaissons, en second lieu, la distance par le rapport qu’ont les deux yeux l’un а l’autre. Car, comme notre aveugle, tenant les deux bвtons AE, CE, dont je suppose qu’il ignore la longueur, et sachant seulement l’intervalle qui est entre ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de lа, comme par une Gйomйtrie naturelle, connaоtre oщ est le point E ; ainsi, quand nos deux yeux, RST et rst, sont tournйs vers X, la grandeur de la ligne Ss, et celle des deux angles XSs et XsS, nous font savoir oщ est le point X. Nous pouvons aussi le mкme par l’aide d’un њil seul, en lui faisant changer de place : comme si, le tenant tournй vers X, nous le mettons premiиrement au point S et incontinent aprиs au point s, cela suffira pour faire que la grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouvent ensemble en notre fantaisie, et nous fassent apercevoir la distance du point X : et ce, par une action de la pensйe, qui, n’йtant qu’une imagination toute simple, ne laisse point d’envelopper en soi un raisonnement tout semblable а celui que font les arpenteurs, lorsque, par le moyen de deux diffйrentes stations, ils mesurent les lieux inaccessibles.

Nous avons encore une autre faзon d’apercevoir la distance, а savoir par la distinction ou confusion de la figure, et ensemble par la force ou dйbilitй de la lumiиre. Comme, pendant que nous regardons fixement vers X, les rayons qui viennent des objets 10 et 12, ne s’assemblent pas si exactement vers R et vers T, au fond de notre њil , que si ces objets йtaient aux points V et Y ; d’oщ nous voyons qu’ils sont plus йloignйs, ou plus proches de nous, que n’est X.

Puis, de ce que la lumiиre, qui vient de l’objet 10 vers notre њil , est plus forte que si cet objet йtait vers V, nous le jugeons кtre plus proche ; et de ce que celle qui vient de l’objet 12 est plus faible que s’il йtait vers Y, nous le jugeons plus йloignй. Enfin, quand nous imaginons dйjа d’ailleurs la grandeur d’un objet, ou sa situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la force de la lumiиre qui vient de lui, cela nous peut servir, non pas proprement а voir, mais а imaginer sa distance. Comme, regardant de loin quelque corps, que nous avons accoutumй de voir de prиs, nous en jugeons bien mieux l’йloignement, que nous ne ferions si sa grandeur nous йtait moins connue. Et regardant une montagne exposйe au soleil, au delа d’une forкt couverte d’ombre, ce n’est que la situation de cette forкt, qui nous la fait juger la plus proche. Et regardant sur mer deux vaisseaux, dont l’un soit plus petit que l’autre, mais plus proche а proportion, en sorte qu’ils paraissent йgaux, nous pourrons, par la diffйrence de leurs figures et de leurs couleurs, et de la lumiиre qu’ils envoient vers nous, juger lequel sera le plus loin.

 


 

Au reste, pour la faзon dont nous voyons la grandeur et la figure des objets, je n’ai pas besoin d’en rien dire de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise en celle dont nous voyons la distance et la situation de leurs parties. A savoir, leur grandeur s’estime par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de leur distance, comparйe avec la grandeur des images qu’ils impriment au fond de l’њil ; et non pas absolument par la grandeur de ces images, ainsi qu’il est assez manifeste de ce que, encore qu’elles soient, par exemple, cent fois plus grandes, lorsque les objets sont fort proches de nous, que lorsqu’ils en sont dix fois plus йloignйs, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grands, mais presque йgaux, au moins si leur distance ne nous trompe.

Et il est manifeste aussi que la figure se juge par la connaissance, ou l’opinion, qu’on a de la situation des diverses parties des objets, et non par la ressemblance des peintures qui sont dans l’њil : car ces-peintures ne contiennent ordinairement que des ovales et des losanges lorsqu’elles nous font voir des cercles et des carrйs.

Mais, afin que vous ne puissiez aucunement douter que la vision ne se fasse ainsi que je l’ai expliquйe, je vous veux faire encore ici considйrer les raisons pourquoi il arrive quelquefois qu’elle nous trompe. Premiиrement, а cause que c’est l’вme qui voit, et non pas l’њil, et qu’elle ne voit immйdiatement que par l’entremise du cerveau, de lа vient que les frйnйtiques , et ceux qui dorment, voient souvent, ou pensent voir, divers objets qui ne sont point pour cela devant leurs yeux : а savoir quand quelques vapeurs, remuant leur cerveau, disposent celles de ses parties qui ont coutume de servir а la vision, en mкme faзon que feraient ces objets, s’ils йtaient prйsents. Puis, а cause que les impressions, qui viennent de dehors, passent vers le sens commun par l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque cause extraordinaire, elle peut faire voir les objets en d’autres lieux qu’ils ne sont. Comme si l’њil rst, йtant disposй de soi а regarder vers X, est contraint par le doigt N а se tourner vers M, les parties du cerveau d’oщ viennent ses nerfs, ne se disposent pas tout а fait en mкme sorte que si c’йtaient ses muscles qui le tournassent vers M ; ni aussi en mкme sorte que s’il regardait vйritablement vers X ; mais d’une faзon moyenne entre ces deux, а savoir, comme s’il regardait vers Y ; et ainsi l’objet M paraоtra au lieu oщ est Y, par l’entremise de cet њil, et Y au lieu oщ est X, et X au lieu oщ est V, et ces objets paraissant aussi en mкme temps en leurs vrais lieux, par l’entremise de l’autre њil RST, ils sembleront doubles.

 


 

En mкme faзon que, touchant la petite boule G des deux doigts A et D croisйs l’un sur l’autre, on en pense toucher deux ; а cause que, pendant que ces doigts se retiennent l’un l’autre ainsi croisйs, les muscles de chacun d’eux tendent а les йcarter, A vers C, et D vers F, au moyen de quoi les parties du cerveau d’oщ viennent les nerfs qui sont insйrйs en ces muscles, se trouvent disposйes en la faзon qui est requise pour faire qu’ils semblent кtre, A vers B, et D vers E, et par consйquent y toucher deux diverses boules, H et I. De plus, а cause que nous sommes accoutumйs de juger que les impressions, qui meuvent notre vue, viennent des lieux vers lesquels nous devons regarder pour les sentir, quand il arrive qu’elles viennent d’ailleurs, nous y pouvons facilement кtre trompйs.

 


 

Comme ceux qui ont les yeux infectйs de la jaunisse, ou bien qui regardent au travers d’un verre jaune, ou qui sont enfermйs dans une chambre oщ il n’entre aucune lumiиre que par de tels verres, attribuent cette couleur а tous les corps qu’ils regardent. Et celui qui est dans la chambre obscure que j’ai tantфt dйcrite, attribue au corps blanc RST les couleurs des objets V, X, Y, а cause que c’est seulement vers lui qu’il dresse sa vue. Et les yeux A, B, C, D, E, F, voyant les objets T, V, X, Y, Z, etc. au travers des verres N, O, P, et dans les miroirs Q, R, S, les jugent кtre aux points G, H, I, K, L, M ; et V, Z кtre plus petits, et X, etc. plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussi X, etc. plus petits et avec cela renversйs, а savoir, lorsqu’ils sont un peu loin des yeux C, F, d’autant que ces verres et ces miroirs dйtournent les rayons qui viennent de ces objets, en telle sorte que ces yeux ne les peuvent voir distinctement, qu’en se disposant comme ils doivent кtre pour regarder vers les points G, H, I, K, L, M, ainsi que connaоtront facilement ceux qui prendront la peine de l’examiner. Et ils verront, par mкme moyen, combien les anciens se sont abusйs en leur Catoptrique , lorsqu’ils ont voulu dйterminer le lieu des images dans les miroirs creux et convexes. Il est aussi а remarquer que tous les moyens qu’on a pour connaоtre la distance sont fort incertains : car, quant а la figure de l’њil, elle ne varie quasi plus sensiblement, lorsque l’objet est а plus de quatre ou cinq pieds loin de lui, et mкme elle varie si peu lorsqu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connaissance bien prйcise. Et pour les angles compris entre les lignes tirйes des deux yeux l’un а l’autre et de lа vers l’objet, ou de deux stations d’un mкme њil , ils ne varient aussi presque plus, lorsqu’on regarde tant soit peu loin. Ensuite de quoi notre sens commun mкme ne semble pas кtre capable de recevoir en soi l’idйe d’une distance plus grande qu’environ de cent ou deux cents pieds, ainsi qu’il se peut vйrifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des corps les plus йloignйs que nous puissions voir, et dont les diamиtres sont а leur distance а peu prиs comme un а cent, n’ont coutume de nous paraоtre que d’un ou deux pieds de diamиtre tout au plus, nonobstant que nous sachions assez, par raison, qu’ils sont extrкmement grands et extrкmement йloignйs. Car cela ne nous arrive pas faute de les pouvoir concevoir plus grands que nous ne faisons, vu que nous concevons bien des tours et des montagnes beaucoup plus grandes, mais parce que, ne les pouvant concevoir plus йloignйs que de cent ou deux cents pieds, il suit de lа que leur diamиtre ne nous doit paraоtre que d’un ou de deux pieds. En quoi la situation aide aussi а nous tromper ; car ordinairement ces astres semblent plus petits, lorsqu’ils sont fort hauts vers le midi, que lorsque, se levant ou se couchant, il se trouve divers objets entre eux et nos yeux, qui nous font mieux remarquer leur distance.

Et les astronomes йprouvent assez, en les mesurant avec leurs instruments, que ce qu’ils paraissent ainsi plus grands une fois que l’autre, ne vient point de ce qu’ils se voient sous un plus grand angle, mais de ce qu’ils se jugent plus йloignйs ; d’oщ il suit que l’axiome de l’ancienne optique, qui dit que la grandeur apparente des objets est proportionnйe а celle de l’angle de la vision, n’est pas toujours vrai. On se trompe aussi en ce que les corps blancs ou lumineux, et gйnйralement tous ceux qui ont beaucoup de force pour mouvoir le sens de la vue, paraissent toujours quelque peu plus proches et plus grands qu’ils ne feraient, s’ils en avaient moins. Or la raison qui les fait paraоtre plus proches, est que le mouvement dont la prunelle s’йtrйcit pour йviter la force de leur lumiиre, est tellement joint avec celui qui dispose tout l’њil а voir distinctement les objets proches, et par lequel on juge de leur distance, que l’un ne se peut guиre faire, sans qu’il se fasse aussi un peu de l’autre : en mкme faзon qu’on ne peut fermer entiиrement les deux premiers doigts de la main, sans que le troisiиme se courbe aussi quelque peu, comme pour se fermer avec eux. Et la raison pourquoi ces corps blancs ou lumineux paraissent plus grands, ne consiste pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur dйpend de celle de leur distance, mais aussi en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans le fond de l’њil. Car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf optique qui le couvrent, encore que trиs petits, ont nйanmoins quelque grosseur ; en sorte que chacun d’eux peut кtre touchй en l’une de ses parties par un objet, et en d’autres par d’autres ; et que n’йtant toutefois capable d’кtre mы que d’une seule faзon а chaque fois, lorsque la moindre de ses parties est touchйe par quelque objet fort йclatant, et les autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouvement de celui qui est le plus йclatant, et en reprйsente l’image, sans reprйsenter celle des autres.

 


 

Comme, si les bouts de ces petits filets sont 1, 2, 3, et que les rayons qui viennent, par exemple, tracer l’image d’une йtoile sur le fond de l’њil, s’y йtendent sur celui qui est marquй I, et tant soit peu au delа tout autour sur les extrйmitйs des six autres marquйs 2, sur lesquels je suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort faibles, des parties du ciel voisines а cette йtoile, son image s’йtendra en tout l’espace qu’occupent ces six marquйs 2, et mкme peut-кtre encore en tout celui qu’occupent les douze marquйs 3, si la force du mouvement est si grande qu’elle se communique aussi а eux. Et ainsi vous voyez que les йtoiles, quoiqu’elles paraissent assez petites, paraissent nйanmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne devraient а raison de leur extrкme distance. Et encore qu’elles ne seraient pas entiиrement rondes, elles ne laisseraient pas de paraоtre telles, comme aussi une tour carrйe йtant vue de loin paraоt ronde, et tous les corps qui ne tracent que de fort petites images dans l’њil, n’y peuvent tracer les figures de leurs angles. Enfin, pour ce qui est de juger de la distance par la grandeur, ou la figure, ou la couleur, ou la lumiиre, les tableaux de perspective nous montrent assez combien il est facile de s’y tromper. Car souvent, parce que les choses, qui y sont peintes, sont plus petites que nous ne nous imaginons qu’elles doivent кtre, et que leurs linйaments sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes ou plus faibles, elles nous paraissent plus йloignйes qu’elles ne sont.

 

 

 

Discours septiиme (extrait)

Des moyens de perfectionner la vision

 

Maintenant que nous avons assez examinй comment se fait la vision, recueillons en peu de mots et nous remettons devant les yeux toutes les conditions qui sont requises а sa perfection, afin que, considйrant en quelle sorte il a dйjа йtй pourvu а chacune par la Nature, nous puissions faire un dйnombrement exact de tout ce qui reste encore а l’art а y ajouter. On peut rйduire toutes les choses auxquelles il faut avoir ici йgard а trois principales, qui sont : les objets, les organes intйrieurs qui reзoivent les actions de ces objets, et les extйrieurs qui disposent ces actions а кtre reзues comme elles doivent. Et, touchant les objets, il suffit de savoir que les uns sont proches ou accessibles, et les autres йloignйs et inaccessibles, et avec cela les uns plus, les autres moins illuminйs ; afin que nous soyons avertis que., pour ce qui est des accessibles, nous les pouvons approcher ou йloigner, et augmenter ou diminuer la lumiиre qui les йclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que, pour ce qui concerne les autres, nous n’y pouvons changer aucune chose. Puis, touchant les organes intйrieurs, qui sont les nerfs et le cerveau, il est certain aussi que nous ne saurions rien ajouter par art а leur fabrique ; car nous ne saurions nous faire un nouveau corps ; et si les mйdecins y peuvent aider en quelque chose, cela n’appartient point а notre sujet. Si bien qu’il ne nous reste а considйrer que les organes extйrieurs, entre lesquels je comprends toutes les parties transparentes de l’њil aussi bien que tous les autres corps qu’on peut mettre entre lui et l’objet. Et je trouve que toutes les choses auxquelles il est besoin de pourvoir avec ces organes extйrieurs peuvent кtre rйduites а quatre points. Dont le premier est, que tous les rayons qui se vont rendre vers chacune des extrйmitйs du nerf optique ne viennent, autant qu’il est possible, que d’une mкme partie de l’objet, et qu’ils ne reзoivent aucun changement en l’espace qui est entre deux ; car, sans cela, les images qu’ils forment ne sauraient кtre ni bien semblables а leur original ni bien distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes, non pas en йtendue de lieu, car elles ne sauraient occuper que le peu d’espace qui se trouve au fond de l’њil, mais en l’йtendue de leurs linйaments ou de leurs traits, car il est certain qu’ils seront d’autant plus aisйs а discerner qu’ils seront plus grands. Le troisiиme, que les rayons qui les forment soient assez forts pour mouvoir les petits filets du nerf optique, et par ce moyen кtre sentis, mais qu’ils ne le soient pas tant qu’ils blessent la vue. Et le quatriиme, qu’il y ait le plus d’objets qu’il sera possible dont les images se forment dans l’њil en mкme temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’une vue.

Or la Nature a employй plusieurs moyens а pourvoir а la premiиre de ces choses. Car premiиrement, remplissant l’њil de liqueurs fort transparentes et qui ne sont teintes d’aucune couleur, elle a fait que les actions qui viennent de dehors peuvent passer jusques au fond sans se changer. Et par les rйfractions que causent les superficies de ces liqueurs elle a fait qu’entre les rayons, suivant lesquels ces actions se conduisent, ceux qui viennent d’un mкme point se rassemblent en un mкme point contre le nerf ; et ensuite que ceux qui viennent des autres points s’y rassemblent aussi en autant d’autres divers points, le plus exactement qu’il est possible. Car nous devons supposer que la Nature a fait en ceci tout ce qui est possible, d’autant que l’expйrience ne nous y lait rien apercevoir au contraire. Et mкme nous voyons que, pour rendre d’autant moindre le dйfaut qui ne peut en ceci кtre totalement йvitй, elle a fait qu’on puisse rйtrйcir la prunelle quasi autant que la force de la lumiиre le permet. Puis, par la couleur noire dont elle a teint toutes les parties de l’њil opposйes au nerf, qui ne sont point transparentes, elle a empкchй qu’il n’allвt aucun autre rayon vers ces mкmes points. Et enfin, par le changement de la figure du corps de l’њil, elle a fait qu’encore que les objets en puissent кtre plus ou moins йloignйs une fois que l’autre, les rayons qui viennent de chacun de leurs points ne laissent pas de s’assembler, toujours aussi exactement qu’il se peut, en autant d’autres points au fond de l’њil. Toutefois elle n’a pas si entiиrement pourvu а cette derniиre partie qu’il ne se trouve encore quelque chose а y ajouter : car, outre que, communйment а tous, elle ne nous a pas donnй le moyen de courber tant les superficies de nos yeux, que nous puissions voir distinctement les objets qui en sont fort proches, comme а un doigt ou un demi-doigt de distance, elle y a encore manquй davantage en quelques-uns, а qui elle a fait les yeux de telle figure qu’ils ne leur peuvent servir qu’а regarder les choses йloignйes, ce qui arrive principalement aux vieillards ; et aussi en quelques autres а qui, au contraire, elle les a fait tels qu’ils ne leur servent qu’а regarder les choses proches, ce qui est plus ordinaire aux jeunes gens. En sorte qu’il semble que les yeux se forment, au commencement, un peu plus longs et plus йtroits qu’ils ne doivent кtre et que par aprиs, pendant qu’on vieillit, ils deviennent plus plats et plus larges. Or, afin que nous puissions remйdier par art а ces dйfauts, il sera premiиrement besoin que nous cherchions les figures que les superficies d’une piиce de verre ou de quelque autre corps transparent doivent avoir, pour courber les rayons qui tombent sur elles en telle sorte que tous ceux qui viennent d’un certain point de l’objet, se disposent, en les traversant, tout de mкme ne s’ils йtaient venus d’un autre point qui fыt plus proche ou plus йloignй, а savoir, qui fыt plus proche pour servir а ceux qui ont la vue courte, et qui fыt plus йloignй tant pour les vieillards que gйnйralement pour tous ceux qui veulent voir des objets plus proches que la figure de leurs yeux ne le permet. (…)

 

 

 

Discours dixiиme (extrait)

De la faзon de tailler les verres

 

(...) Enfin, la derniиre et principale chose а quoi je voudrais qu’on s’exerзвt, c’est а polir les verres convexes des deux cфtйs pour les lunettes qui servent а voir les objets accessibles, et que, s’йtant premiиrement exercй а en faire de ceux qui rendent ces lunettes fort courtes, а cause que ce seront les plus aisйs, on tвchвt aprиs, par degrйs, а en faire de ceux qui les rendent plus longues, jusques а ce qu’on soit Parvenu aux plus longues dont on se puisse servir. Et afin que la difficultй que vous pourrez trouver en la construction de ces derniиres lunettes ne vous dйgoыte, je vous veux avertir qu’encore que d’abord leur usage n’attire pas tant que celui de ces autres qui semblent promettre de nous йlever dans les cieux, et de nous y montrer sur les astres des corps aussi particuliers et peut-кtre aussi divers que ceux qu’on voit sur la terre, je les juge toutefois beaucoup plus utiles, а cause qu’on pourra voir par leur moyen les divers mйlanges et arrangements des petites parties dont les animaux et les plantes, et peut-кtre aussi les autres corps qui nous environnent, sont composйs, et de lа tirer beaucoup d’avantage pour venir а la connaissance de leur nature. Car dйjа, selon l’opinion de plusieurs philosophes, tous ces corps ne sont faits que des parties des йlйments diversement mкlйes ensemble ; et, selon la mienne, toute leur nature et leur essence, au moins de ceux qui sont inanimйs, ne consiste qu’en la grosseur, la figure, l’arrangement et les mouvements de leurs parties. (...)