"Lettre a Herodote" - читать интересную книгу автора (Epicurus)Йpicure Lettre а Hйrodote (Traduction anonyme) Йpicure а Hйrodote, salut. Comme il y a beaucoup de
personnes, cher Hйrodote, qui ne sont pas en йtat d’йtudier avec soin tout ce
que j’ai йcrit sur la Nature, ni d’examiner attentivement mes ouvrages plus
йtendus, j’ai composй un abrйgй de toute ma philosophie, afin qu’elles gardent
bien dans la mйmoire les doctrines principales et puissent, dans la mesure oщ
elles s’appliquent а l’йtude de la Nature, y recourir а chaque instant pour les
points les plus importants. Et ceux mкmes qui sont suffisamment avancйs dans
l’investigation de l’univers doivent avoir en mйmoire le caractиre fondamental
de toute la doctrine. Car de la vue d’ensemble nous avons souvent besoin, mais
il n’en est pas de mкme des dйtails. Il faut par consйquent, d’une part,
progresser continuellement dans l’investigation de l’univers et, d’autre part,
fixer dans la mйmoire autant qu’il est nйcessaire pour avoir une vue principale
des choses ; et l’on parviendra aussi, une fois que les caractиres
principaux auront йtй bien compris et retenus, а une connaissance complиte des
dйtails. Car mкme celui qui est parfaitement instruit tirera de la connaissance
complиte et prйcise cet avantage capital de manier les notions avec finesse, en
ramenant toutes choses а des йlйments simples et а des formules. Car il n’est
pas possible de connaоtre la masse accumulйe par l’йtude persйvйrante de
l’univers, si l’on n’est pas capable tout а la fois d’embrasser par l’esprit,
au moyen de formules brиves, les dйtails explorйs avec soin. Йtant donnй donc
qu’une telle mйthode est utile а tous ceux qui s’adonnent aux recherches
physiques et que je recommande l’йtude constante de la Nature, grвce а laquelle
je jouis dans ma vie d’une sйrйnitй parfaite, j’ai composй pour toi cet abrйgй
et exposй йlйmentaire de toutes mes doctrines. En premier lieu, cher Hйrodote,
il faut dйcouvrir ce qui est а la base des mots, afin que, en y ramenant les
opinions ou les objets en discussion ou les sujets de doute, nous puissions
juger et que toutes choses ne restent incertaines pour nous et nous obligent а
les prouver indйfiniment, ou nous ne possйderions que des mots vides. En effet,
il est nйcessaire que la signification primitive de chaque mot soit mise en
йvidence et n’ait plus besoin de preuve, si toutefois nous voulons possйder
quelque chose а quoi nous puissions rapporter l’objet en discussion ou le sujet
de doute ou l’opinion. Il faut de plus observer d’une maniиre complиte les
sensations et les notions rйelles, soit de l’esprit soit de n’importe quel
critиre, de mкme encore les affections dominantes, afin de pouvoir, а leur
aide, donner des indications sur ce qui est en suspens et sur l’invisible. Ces points йtant йtablis, il
convient maintenant de fixer l’attention sur les choses invisibles. Tout d’abord, rien ne naоt de
rien, autrement tout pourrait naоtre de tout sans avoir besoin d’aucune
semence. Et si ce qui disparaоt йtait rйduit а rien, toutes choses auraient
dйjа pйri, йtant donnй que celles en lesquelles elles se sont dissoutes
n’existeraient pas. L’univers a toujours йtй le mкme qu’il est maintenant et
sera le mкme dans toute йternitй. En effet, il n’y a rien en quoi il puisse se
transformer, car il n’existe rien en dehors de l’univers qui puisse y pйnйtrer
et produire un changement. L’univers est constituй de corps
et de lieu. Que les corps existent, la sensation l’atteste en toute
occasion, et c’est nйcessairement en conformitй avec elle qu’on fait, par le
raisonnement, des conjectures sur l’invisible, comme je l’ai dit plus haut. Si,
d’autre part, il n’y avait pas ce que nous appelons vide, espace ou nature
impalpable, les corps n’auraient pas oщ se placer ni oщ se mouvoir, ce qu’ils
semblent bien faire. En dehors de ces choses on ne peut rien concevoir, ni par
gйnйralisation ni par analogie, qui puisse кtre pris pour des substances
parfaites et non pas pour ce qu’on appelle attributs ou accidents de ces
derniиres. Parmi les corps il y en a qui
sont composйs et d’autres dont les composйs sont constituйs. Ceux-ci sont
indivisibles et immuables, si l’on ne veut pas que toutes choses soient
rйduites au non-кtre, mais qu’il reste, aprиs les dissolutions des composйs,
des йlйments rйsistants d’une nature compacte et ne pouvant d’aucune maniиre
кtre dissous. Donc, les principes indivisibles sont de toute nйcessitй les
substances des corps. L’univers est infini. En effet,
ce qui est fini a une extrйmitй ; or, celle-ci est considйrйe par rapport
а quelque chose qui lui est extйrieur, de sorte que s’il n’a pas d’extrйmitй il
n’a pas de fin ; mais s’il n’a pas de fin il est infini et non pas fini. L’univers est encore infini quant
а la quantitй des corps et а l’йtendue du vide. Car, si le vide йtait infini et
le nombre des corps fini, ceux-ci ne resteraient nulle part, mais seraient
transportйs et dispersйs а travers le vide infini, puisqu’ils n’auraient pas de
points d’appui et ne seraient pas arrкtйs par les chocs. Si, d’autre part, le vide
йtait limitй, il n’y aurait pas de place pour contenir les corps en nombre
infini. En outre, les corps indivisibles
et compacts, dont les composйs sont formйs et en lesquels ils se rйsolvent,
sont d’une variйtй de formes indйfinie. Il ne pourrait pas, en effet, rйsulter
tant de variйtйs des mкmes formes en nombre limitй. Chaque forme est
reprйsentйe par un nombre infini d’atomes ; quant а la diversitй des
formes, leur nombre n’est pas absolument infini, mais seulement indйfini, а
moins qu’on ne s’avise de regarder aussi les grandeurs des atomes comme pouvant
s’йtendre а l’infini. Les atomes se meuvent
continuellement de toute йternitй, et les uns en s’entrechoquant s’йcartent
loin les uns des autres, les autres, en revanche, entrent en vibration aussitфt
qu’il leur arrive d’кtre liйs par l’entrelacement ou quand ils sont enveloppйs
par les atomes propres а s’entrelacer. Car il est dans la nature du vide de
sйparer les atomes les uns des autres, puisqu’il ne peut pas leur fournir un
support ; et la duretй inhйrente aux atomes produit le rebondissement
aprиs le choc, dans la mesure oщ l’entrelacement leur permet de revenir aprиs
le choc а l’йtat antйrieur. Il n’y a pas de commencement а ces processus, йtant
donnй que les atomes et le vide existent de toute йternitй. Le bref exposй de tous ces faits,
dignes d’кtre retenus par la mйmoire, offre un plan suffisant pour la rйflexion
sur la nature des choses. Les mondes de mкme sont en nombre
infini, aussi bien ceux qui ressemblent au nфtre que ceux qui en diffиrent. En
effet, les atomes йtant en nombre infini, comme il vient d’кtre dйmontrй, ils
sont aussi emportйs extrкmement loin. Car ces atomes qui donnent naissance а un
monde, ou qui le constituent, ne sont pas йpuisйs par la formation d’un seul
monde ou de plusieurs en nombre fini, ni par tous ceux qui se ressemblent, ni
par tous ceux qui diffиrent de ces derniers. Rien, par consйquent, ne s’oppose
а l’existence d’une infinitй de mondes. En outre il y a des images qui
ont la mкme forme que les objets rйels et se distinguent des phйnomиnes par
leur finesse extrкme. Il n’est nullement impossible que de telles йmanations se
produisent dans l’atmosphиre, ni qu’il y ait des conditions favorables pour la
production de formes creuses et tйnues, ni que les effluves gardent la position
relative et l’ordre qu’ils avaient dans les objets rйels. Nous appelons ces
images simulacres. Dans leur mouvement а travers le vide ils parcourent, si
aucun obstacle dы а la collision des atomes n’intervient, toute distance
imaginable dans un temps imperceptible. Car la rйsistance et la non-rйsistance
prennent l’aspect de lenteur et de vitesse. Le mкme corps en mouvement ne
peut pas, dans des temps concevables par la raison, arriver simultanйment en
plusieurs lieux, cela est inconcevable ; et s’il arrivait dans un temps
sensible de n’importe oщ de l’infini, il ne viendrait pas du lieu d’oщ nous le
voyons partir ; il sera, en effet, l’expression de la collision d’atomes,
bien que nous ayons concйdй jusqu’а prйsent que la vitesse du mouvement n’est
pas entravйe. Il est utile de retenir aussi ce principe fondamental. Que les simulacres soient d’une
finesse insurpassable, aucun phйnomиne ne le contredit ; de lа vient
qu’ils sont aussi animйs de vitesses insurpassables, tous trouvant un passage
appropriй, parce qu’un nombre infini d’entre eux ne rencontre aucun ou peu
d’obstacles, tandis que les atomes en nombre infini rencontrent aussitфt
quelque obstacle. Il faut en outre ajouter que la
genиse des simulacres a lieu avec la rapiditй de la pensйe et que l’йmanation
de la surface des corps est continue, sans qu’une diminution y soit visible,
parce que la perte est rйparйe. Les simulacres conservent longtemps l’ordre et
la position des atomes dans l’objet, bien qu’ils s’embrouillent parfois, et
comme il n’est pas nйcessaire qu’ils soient remplis, des assemblages serrйs se
forment rapidement dans l’atmosphиre ; c’est encore de certaines autres
maniиres que les phйnomиnes de ce genre peuvent se produire. Rien de tout cela
n’est contredit par le tйmoignage des sens, si, d’une maniиre dйterminйe, on
fixe son regard sur les perceptions claires, auxquelles on ramиnera aussi les
rapports naturels que les objets extйrieurs ont avec nous. Il convient encore de noter que
c’est parce que quelque chose des objets extйrieurs pйnиtre en nous que nous
voyons les formes et que nous pensons. Car les objets ne pourraient pas, par
l’intermйdiaire de l’air se trouvant entre nous et eux, ni au moyen de rayons
lumineux ou d’йmanations quelconques allant de nous а eux, imprimer en nous
leurs couleurs et leurs formes aussi bien qu’au moyen de certaines copies qui
s’en dйtachent, qui leur ressemblent par la couleur et la forme et qui, selon
leur grandeur appropriйe, pйnиtrent dans nos yeux ou dans notre esprit. Elles
se meuvent trиs rapidement, et c’est pour cette raison qu’elles reproduisent
l’image d’un tout cohйrent, en gardant avec lui le rapport naturel grвce а la
pression uniforme qui vient de la vibration des atomes а l’intйrieur du corps
solide. Et quelle que soit l’image que nous recevons, immйdiatement par
l’esprit ou par les sens, d’une forme ou d’attributs, c’est la forme de l’objet
rйel produite par la frйquence successive ou le souvenir du simulacre. Mais le
faux jugement et l’erreur rйsident toujours dans ce qui est ajoutй par
l’opinion. Et les images qu’on voit, par
exemple, dans un miroir, celles qui apparaissent dans le sommeil, celles qui
sont contenues dans certaines notions de l’entendement, ou dans les autres
critиres, n’auraient pas de ressemblance avec les objets appelйs rйels et
vrais, si ceux-ci ne les йmettaient pas. Et l’erreur n’existerait pas, si nous
n’йprouvions dans notre intйrieur un certain mouvement qui est certes liй а la
facultй imaginative, mais qui cependant prйsente une particularitй distinctive ;
si celle-ci n’est pas confirmйe ou est infirmйe, nous sommes dans l’erreur,
mais si elle est confirmйe ou n’est pas infirmйe, nous sommes ans le vrai. Il
importe beaucoup de retenir ce principe, afin que les critиres йvidents ne
soient pas dйtruits et que l’erreur, йtant raffermie comme la vйritй, ne mette
tout en dйsordre. L’audition aussi a pour cause un
courant partant d’un objet, qui produit soit un phonиme, soit un son, soit un
bruit ou une affection auditive quelconque. Ce courant se propage par parties
semblables, qui gardent entre elles un certain rapport et une unitй
caractйristique, laquelle se rattache а l’objet йmetteur et produit, le plus
souvent, la sensation qui lui correspond, ou rend simplement manifeste
l’existence de l’objet extйrieur. Car, sans un certain rapport avec celui-ci,
une sensation de ce genre ne pourrait pas naоtre. Il ne faut pas, par consйquent,
croire que l’air mкme soit modelй par la voix ou par des sons semblables — il
s’en faut de beaucoup qu’il puisse en subir cette influence —, mais que la
percussion qui se produit en nous, aussitфt que nous йmettons un son, engendre
une poussйe de certains corpuscules qui forment un courant du mкme genre que le
souffle, lequel nous procure la sensation auditive. Notons encore que, de mкme que
l’objet sonore, l’objet odorant ne pourrait jamais produire de sensation, s’il
ne s’en dйtachait certaines particules propres а exciter l’organe
olfactif : les unes d’une maniиre dйsordonnйe et dйsagrйable, les autres d’une
maniиre ordonnйe et agrйable. Il faut en outre admettre que les
atomes n’ont aucune autre qualitй phйnomйnale en dehors de la pesanteur, de la
grandeur, de la forme et de tout ce qui est nйcessairement inhйrent а cette
derniиre. Car toute qualitй change, les atomes, par contre, ne subissent aucun
changement, puisqu’il faut qu’il reste dans les dissolutions des composйs
quelque chose de solide et d’indissoluble, qui aura pour effet que les
changements ne finiront pas en non кtre et ne viendront pas du non кtre, mais,
dans beaucoup de corps, des dйplacements des atomes et aussi de leur
augmentation et de leur diminution. Il en rйsulte avec nйcessitй que
les йlйments qui se dйplacent sont indestructibles et ne possиdent rien de la
nature changeante ; ils ont des masses et des formes propres, qui sont
nйcessairement permanentes. Dans les choses, en effet, qui se transforment sous
nos yeux, la forme est considйrйe comme leur йtant inhйrente ; mais il
n’en est pas des qualitйs comme de cette derniиre, qui disparaissent
entiиrement du corps qui change. Il ne faut pas croire non plus,
si l’on ne veut pas se mettre en contradiction avec le tйmoignage des
phйnomиnes, que les atomes puissent avoir toutes les grandeurs possibles ;
mais il faut admettre une certaine variйtй de ces derniиres. En accordant ceci
on pourra mieux expliquer les affections et les sensations. Il n’est mкme
d’aucune utilitй, pour rendre compte de la variйtй des qualitйs, de supposer
l’existence de toute grandeur possible ; car alors il devrait y avoir des
atomes visibles, ce qui ne s’est jamais produit et on ne voit pas comment cela
pourrait jamais se produire. Il ne faut pas en outre croire
qu’il puisse exister, dans le corps limitй, des atomes en nombre infini et de
n’importe quelle grandeur. Il devient ainsi nйcessaire non seulement de rejeter
la divisibilitй en parties de plus en plus tйnues а l’infini, pour йviter que
tout ce qui existe ne devienne dйbile et que nous ne soyons forcйs, dans nos
conceptions des masses atomiques, d’anйantir les choses а force de les rйduire,
mais aussi de ne pas admettre que, dans les corps limitйs, le passage d’un
point а un autre puisse se faire а l’infini, ni mкme d’une partie а une partie
toujours plus petite. Si quelqu’un s’avisait de dire
qu’un corps fini contient des atomes en nombre infini et de n’importe quelle
grandeur, on serait dans l’impossibilitй de le comprendre. Car, comment un tel
corps pourrait-il encore кtre d’une grandeur finie ? Il est, en effet,
йvident que les atomes en nombre infini doivent avoir une certaine
grandeur ; or, quelles que soient leurs grandeurs, celle du corps devra de
mкme кtre infinie. Йtant donnй, d’autre part, que le corps limitй a une
extrйmitй discernable, bien qu’elle ne soit pas visible en soi, on ne peut pas
concevoir que celle qui vient а sa suite ne soit pas de mкme caractиre et qu’en
passant ainsi successivement d’une extrйmitй а une autre on puisse de la sorte
aller, par la pensйe, а l’infini. Le minimum sensible ne doit кtre
conзu, ni comme йtant de mкme nature que le corps permettant le passage d’une
partie а une autre, ni comme en йtant complиtement diffйrent, mais comme ayant
une certaine communautй avec lui. Mais quand, par suite de la ressemblance
rйsultant de cette derniиre, nous croyons y distinguer quelque partie en deза
et au-delа, ce doit кtre un minimum semblable qui se prйsente а nous. Nous
considйrons ces minima, en commenзant par le premier, successivement et non
dans l’ensemble, ni comme parties contiguлs а d’autres, mais dans leur nature
particuliиre et mesurant les grandeurs, йtant plus nombreux dans les grandeurs
considйrables et moins nombreux dans les grandeurs moindres. Il faut supposer
que le minimum dans l’atome est quelque chose d’analogue. Car, bien qu’il soit
manifeste qu’il se distingue du minimum sensible par sa petitesse, l’analogie
est la mкme. C’est, en effet, par analogie avec les objets sensibles que nous
avons affirmй que l’atome a une grandeur, en rйduisant la petitesse а
l’extrкme. Il faut de plus regarder les
minima indivisibles, comme limites des longueurs et fournissant naturellement а
la rйflexion de la raison sur les invisibles la mesure originaire pour les
grandeurs supйrieures et infйrieures. L’affinitй entre ces minima et les
particules immuables est propre а achever le sujet traitй jusqu’ici, mais il
est impossible que le groupement vienne de ces minima en mouvement. Il ne faut pas en outre attribuer
а l’infini le haut ou le bas dans le sens de haut absolu ou de bas absolu. Car,
si haut que nous nous йlevions, du lieu oщ nous sommes placйs, au-dessus de la
tкte vers l’infini, jamais ne nous apparaоtra le point extrкme ; ce qui,
d’autre part, s’йtend а l’infini au-dessous de ce lieu imaginй ne peut pas кtre
а la fois haut et bas par rapport au mкme point ; cela est tout а fait inconcevable. Il faut ainsi considйrer
distinctement le mouvement qui s’effectue а l’infini vers le haut et celui qui
s’effectue а l’infini vers le bas, mкme si le mobile qui se dirige vers le haut
touche mille et mille fois les pieds de ceux qui habitent au-dessus de nous, ou
que celui qui se dirige vers le bas touche mille et mille fois la tкte de ceux
qui se trouvent au-dessous de nous. Le mouvement dans son ensemble n’est pas
moins conзu comme s’effectuant dans des sens opposйs l’un а l’autre а l’infini. Les atomes ont nйcessairement la
mкme vitesse quand, en se dйplaзant а travers le vide, ils ne rencontrent aucun
obstacle. Car les atomes lourds ne se meuvent pas plus rapidement que ceux qui
sont petits et lйgers, du moment que rien ne leur rйsiste. Les petits atomes,
d’autre part, ne se meuvent pas plus rapidement que les gros, йtant donnй
qu’ils trouvent tous un passage facile quand eux non plus ne rencontrent aucun
obstacle. Il n’y a pas non plus de diffйrence de vitesse entre le mouvement
vers le haut et le mouvement oblique, dйterminй par les chocs, et celui qui
s’effectue vers le bas en vertu de la pesanteur propre des atomes. Car, tant
que l’atome conservera l’un ou l’autre de ces mouvements, il se dйplacera avec
la rapiditй de la pensйe jusqu’au moment oщ, soit par une cause extйrieure,
soit par sa pesanteur propre, il sera amenй а rйagir contre l’impulsion reзue. Toutefois, en ce qui concerne les
composйs, l’un se meut plus rapidement que l’autre, bien que les atomes soient
de vitesse йgale, parce que les atomes contenus dans les agrйgats tendent vers
le mкme lieu dans le minimum de temps continu, tandis qu’ils n’arrivent pas au
mкme lieu dans l’intervalle de temps concevable par la raison ; mais ils
se heurtent souvent avant que la continuitй de leur mouvement devienne
perceptible par les sens. En effet, ce que la pensйe ajoute
au sujet des choses invisibles, а savoir que mкme les intervalles de temps
concevables par la raison contiennent la continuitй du mouvement, n’est pas
vrai dans des cas de ce genre. On ne doit considйrer comme vrai que ce qu’on
peut rйellement voir, ou ce qui est immйdiatement saisi par la pensйe. Aprиs cela il faut reconnaоtre,
en se rйfйrant aux sensations et aux sentiments — car en procйdant ainsi on
arrivera а la certitude inйbranlable — que l’вme est un corps composй de
particules subtiles, qui est dissйminй dans tout l’agrйgat constituant notre
corps et qui ressemble de plus а un souffle mкlй de chaleur, se rapprochant en
partie de l’un, en partie de l’autre. Mais une certaine partie de l’вme se
distingue notablement de ces derniиres propriйtйs par sa tйnuitй extrкme et est
de la sorte mкlйe plus intimement а notre corps. C’est ce que mettent en
йvidence les forces de l’вme, ses affections, la facilitй de ses mouvements, ses
pensйes et tout ce dont la privation entraоne notre mort. Il faut en outre
retenir que l’вme est la cause principale de la sensibilitй. Mais elle ne
pourrait pas l’кtre si elle n’йtait pas en quelque sorte abritйe par
l’organisme. Celui-ci, en permettant а l’вme de produire la sensibilitй, en
reзoit sa part, pas cependant de toutes les propriйtйs qu’elle possиde. C’est
pourquoi il perd la sensibilitй sitфt que l’вme se retire. Car le corps n’a pas
acquis de lui-mкme cette facultй, mais c’est l’вme, nйe avec lui, qui la lui a
procurйe. Quand elle a, grвce а l’excitation, pleinement dйveloppй sa
puissance, elle acquiert la sensibilitй que, par suite de leur contiguпtй et
conformitй, elle communique au corps, comme je l’ai dйjа dit. C’est pourquoi tant que l’вme est
prйsente dans le corps elle ne cesse jamais de sentir, mкme si quelque partie
s’est dйtachйe de lui ; et quelle que soit la perte qu’elle subit quand le
corps se relвche, soit tout entier, soit dans quelque partie, pourvu qu’elle
subsiste, elle conservera la sensibilitй. Au contraire, l’organisme qui reste,
soit entiиrement, soit en partie, ne possиde plus de sensibilitй si la quantitй
d’atomes appartenant а la nature de l’вme a disparu. Mais lorsque l’organisme tout
entier s’est dissous, l’вme se disperse, ne possиde plus les mкmes facultйs,
n’est plus excitйe et est de la sorte privйe de sensibilitй. Car on ne peut
concevoir que l’вme qui n’est plus dans cet organisme puisse nйanmoins, quand
son enveloppe protectrice n’est pas telle que celle oщ elle se trouve а
prйsent, йprouver les mкmes excitations que dans cette derniиre. Ajoutons en outre que nous
appelons incorporel d’aprиs l’usage le plus frйquent de ce terme, ce qui peut
кtre conзu comme existant en soi. Mais, le vide йtant mis а part, il n’est pas
possible de concevoir l’incorporel en soi. Le vide ne peut ni agir ni pвtir, il
permet seulement aux corps d’effectuer leurs mouvements. Ceux donc qui disent
que l’вme est incorporelle parlent sottement. Car si elle йtait telle, elle ne
pourrait ni agir ni pвtir. Il est cependant certain que nous distinguons en
elle ces deux genres de manifestations. En appliquant, par suite, tous ces
raisonnements concernant l’вme aux sentiments et aux sensations et en se
rappelant ce qui a йtй dit au dйbut, on verra aisйment qu’ils sont embrassйs
par des formules au moyen desquelles on pourra йtudier les dйtails d’une faзon
sыre. Les formes et les couleurs, les
grandeurs et les poids, ainsi que toutes les autres qualitйs qu’on affirme du
corps et qui sont des attributs de tous les objets, ou de ceux qui sont
visibles et connaissables par la sensation qu’ils nous donnent, ne doivent pas
кtre regardйs comme des natures ayant une existence indйpendante — cela est
inconcevable — ni comme йtant totalement privйs d’existence, ni comme certaines
natures incorporelles appartenant au corps, ni comme parties de ce dernier,
mais il faut reconnaоtre que le corps entier tient absolument sa nature durable
de toutes ces propriйtйs, sans en кtre d’ailleurs le simple assemblage, comme
il arrive quand un complexe supйrieur est formй, soit d’йlйments primaires,
soit de grandeurs qui lui sont infйrieures. C’est de toutes ces propriйtйs,
comme je l’ai dйjа dit, qu’il tient sa nature durable. Elles dйterminent aussi
des perceptions et des notions propres, pourvu que l’agrйgat leur soit associй
et n’en soit jamais sйparй ; c’est en effet grвce а la notion d’ensemble
qu’il reзoit l’attribut de corps. Il arrive souvent que les corps
ont des propriйtйs qui ne les accompagnent pas d’une maniиre permanente, qui ne
se trouvent pas parmi les substances invisibles et qui ne sont pas non plus
incorporelles. En employant ce terme dans son acception courante, nous rendons
manifeste que les propriйtйs accidentelles ne possиdent ni la nature du complexe,
que nous appelons corps quand nous le saisissons dans sa totalitй, ni celle des
propriйtйs permanentes, sans lesquelles le corps ne peut кtre conзu. Et c’est
en conformitй avec certaines notions de la masse qui leur est connexe qu’elles
sont dйnommйes, mais au moment seulement oщ chacune d’elles se manifeste, йtant
donnй qu’elles ne lui sont pas attachйes d’une faзon permanente. Et il ne faut pas exclure de
l’кtre ces propriйtйs йvidentes sous prйtexte qu’elles ne possиdent pas la
nature du tout oщ elles apparaissent et que nous appelons corps, ni celles des
propriйtйs qui lui sont attachйes d’une maniиre permanente. Il ne faut pas non
plus croire qu’elles existent en soi (cela n’est concevable ni d’elles ni des
qualitйs permanentes), mais les regarder toutes ensemble, ce qui est
parfaitement йvident, comme des accidents du corps et non comme des attributs
qui les accompagnent йternellement, ni comme ayant rang de substances par
elles-mкmes ; il faut observer de quelle faзon la sensation produit leur
caractиre particulier. Nous devons maintenant insister
avec force sur le fait suivant. Il ne faut pas explorer le temps de la mкme
maniиre que les autres phйnomиnes, comme ceux, par exemple, qui ont leur siиge
dans un objet concret, en nous reportant aux prйnotions que nous constatons en
nous-mкmes, mais prendre comme point de dйpart du raisonnement le fait йvident
qui nous conduit а affirmer que le temps est long ou court, en lui appliquant
ce qualificatif par analogie. Pour dйsigner le temps, il faut
se servir de termes qui sont en usage, et ne pas lui en substituer d’autres
sous prйtexte qu’ils sont meilleurs. Il ne faut pas non plus lui attribuer des
caractиres йtrangers et prйtendre qu’ils sont identiques а ce qui constitue sa
nature propre (ce que font en effet certaines gens), mais considйrer
principalement avec quoi nous formons cette notion particuliиre et comment nous
la mesurons. Or, il suffit d’une simple rйflexion, sans qu’il soit besoin de
recourir а une dйmonstration, pour se convaincre que nous la formons avec les
jours et les nuits et avec leurs divisions, ainsi qu’avec les affections et les
йtats apathiques, avec les mouvements et les йtats de repos, supposant dans
toutes ces choses une certaine caractйristique particuliиre que nous appelons
temps. Il faut ajouter а ce qui vient
d’кtre dit que les mondes, et tout groupe d’atomes limitй qui est de mкme
espиce que les objets que nous voyons constamment autour de nous, viennent de
l’infini ; car tous les mondes, les grands aussi bien que les petits, ont
leur origine dans des tourbillons dйterminйs. Et toutes choses se dissolvent de
nouveau, les unes plus rapidement, les autres plus lentement, les unes par
suite de telle cause, les autres par suite de telles autres. Il ne faut pas, en
outre, croire que les mondes aient nйcessairement une forme unique. Personne ne
saurait dйmontrer que ces sortes de germes, d’oщ sont sortis les кtres
vivants, les plantes et toutes les autres choses visibles, pourraient ou non
exister dans tel monde et ne le pourraient pas dans tel autre. Il convient de noter que la
nature humaine acquiert des connaissances nombreuses et variйes grвce au
contact qu’elle prend avec les choses et sous l’empire de la nйcessitй. La
raison explore ensuite minutieusement ce que la nature lui a donnй et y ajoute
de nouvelles dйcouvertes : dans tel domaine plus rapidement, dans tel
autre plus lentement. Ses progrиs sont plus considйrables dans telle pйriode et
moindres dans telle autre. C’est pourquoi les noms ne sont pas а l’origine de
pures conventions, mais c’est la constitution physique des hommes de chaque
peuple qui, prouvant des sentiments particuliers et recevant des images
particuliиres des objets, expire l’air d’une maniиre spйciale, modelй qu’il est
par chacune des affections et des images, selon la diversitй des peuples qui
vient des lieux qu’ils habitent. Chaque peuple a ensuite йtabli
pour son usage commun des termes appropriйs, afin que ses membres disposent de
significations moins ambiguлs et plus concises. Ceux enfin qui ont introduit certaines
choses qu’ils connaissaient parfaitement, mais qui йtaient inconnues avant eux,
furent forcйs de crйer certains termes pour les dйsigner. Les autres, en
appliquant les procйdйs du raisonnement, adoptиrent ces termes et les
interprйtиrent selon le motif prйdominant. En ce qui concerne les corps
cйlestes, il ne faut pas croire que leurs mouvements, leurs changements de
direction, leurs йclipses, leurs levers et leurs couchers, et tous les autres
phйnomиnes du mкme genre, soient dus а l’action d’un кtre qui les rиgle, ou qui
les a rйglйs, et qui jouirait en mкme temps de la fйlicitй absolue et de
l’immortalitй. Car les occupations et les soucis, les colиres et les faveurs ne
s’accordent pas avec la fйlicitй, mais sont liйs а la faiblesse, а la peur et а
l’йtat de dйpendance de nos semblables. Il ne faut pas croire non plus que les
corps cйlestes, formйs de feu conglobй, soient en possession de la fйlicitй et
qu’ils exйcutent tous ces mouvements en vertu de leur volontй propre. Mais il convient de garder tout
le respect а ces idйes, conformйment aux termes ou dйnominations qu’on leur
applique, si toutefois il n’y a rien en eux qui paraisse y кtre contraire. Si
on ne le fait pas, le contraste portera le plus grand trouble dans les вmes.
C’est pourquoi il faut supposer que c’est depuis l’origine, suivant les
rйpartitions de ces masses agglomйrйes au moment de la formation du monde, que
s’accomplit avec nйcessitй ce mouvement pйriodique. Il faut ensuite se pйnйtrer de
l’idйe que c’est la tвche de la physique de rechercher avec soin la cause des
faits principaux, que notre fйlicitй consiste dans la connaissance des
phйnomиnes cйlestes et dans la dйtermination de leur nature, ainsi que de tous
les phйnomиnes semblables dont l’йtude exacte contribue au bonheur. Il n’est
pas, en outre, permis de soutenir que toutes ces choses pourraient s’expliquer
de diverses faзons ou qu’elles pourraient кtre autres qu’elles ne sont, car il
n’y a absolument rien, dans la nature immortelle et bienheureuse, qui soit
capable d’engendrer la discordance ou le dйsordre. Il est facile de saisir par
l’intelligence qu’il en est rйellement ainsi. En ce qui concerne l’йtude du
coucher et du lever des astres, des solstices et des йclipses, et de tous les
phйnomиnes analogues, elle ne contribue en rien а la fйlicitй qui est attachйe
а la connaissance, car ceux qui savent cela, mais qui ignorent la nature et les
causes principales des choses, йprouvent autant de craintes que s’ils ne le
savaient pas. Peut-кtre mкme en йprouvent-ils de plus grandes, si l’йtonnement
rйsultant de la connaissance de ces faits n’arrive pas а se dissiper en
prйsence de l’ordonnance des faits principaux. C’est pourquoi nous pouvons
imaginer plusieurs causes pour les couchers et les levers des astres, les
solstices et les йclipses, et les autres phйnomиnes du mкme genre, comme on le
constate dans les phйnomиnes particuliers. Et il ne faut pas croire que la
question concernant ces choses n’ait pas йtй йtudiйe avec le soin qu’il est
nйcessaire pour qu’elle nous procure la tranquillitй de l’вme et la fйlicitй.
En observant de combien de maniиres un mкme fait se manifeste autour de nous,
nous devrons ensuite chercher la cause des phйnomиnes se produisant dans les
rйgions supйrieures et de tout ce qui est encore inconnu. Il ne faut avoir
aucune estime pour ceux qui mйconnaissent ce qui existe ou se produit d’une
seule maniиre et ce qui arrive de plusieurs maniиres, qui ne tiennent pas
compte de l’illusion due aux distances et qui, de plus, ignorent dans quels cas
il n’est pas possible de jouir de la tranquillitй d’вme et dans quels cas il
est possible d’en jouir. Si donc nous croyons possible
qu’un phйnomиne se manifeste de telle ou telle maniиre, le fait de savoir qu’il
pourrait se manifester de plusieurs autres maniиres ne nous empкchera pas de
jouir de la mкme tranquillitй d’вme que dans le premier cas. Aprиs toutes ces considйrations
il faut se mettre dans l’esprit que le plus grand trouble est engendrй dans les
вmes humaines par le fait qu’on regarde ces corps cйlestes comme des кtres
bienheureux et immortels, et qu’on leur attribue en mкme temps des propriйtйs
opposйes, telles que des dйsirs, des actes et des motifs ; parce qu’on
attend ou qu’on suspecte, en croyant aux mythes, quelque torture йternelle et
qu’on craint mкme l’insensibilitй de la mort, comme si elle avait quelque
rapport avec nous ; et, enfin, parce que toutes ces affections ne
proviennent pas d’une opinion philosophique, mais d’un sentiment irrйflйchi, de
sorte que, faute de dйlimiter ce qui est а craindre, on йprouve un trouble
aussi grand ou mкme plus grand que si l’on avait une opinion bien fondйe
lа-dessus. La tranquillitй d’вme n’est possible que si l’on s’est affranchi de
tout cela et qu’on garde constamment dans la mйmoire les principes gйnйraux de
l’ensemble des choses. C’est pourquoi il faut fixer
notre esprit sur les affections prйsentes et les sensations, sur les communes
quand il s’agit de quelque chose de commun, et sur les individuelles quand il
s’agit de quelque chose d’individuel, ainsi que sur la parfaite йvidence
inhйrente а chaque critиre. Car, en nous attachant а l’examen attentif de
toutes ces choses, nous parviendrons а dйcouvrir les motifs vйritables du
trouble et de la peur, et en dйterminant la cause des phйnomиnes cйlestes et
des autres йvйnements, nous serons dйlivrйs de ce qui effraie а l’extrкme les
autres hommes. Voici, cher Hйrodote, briиvement
rйsumйes, les idйes principales sur la nature de l’Univers. Notre doctrine peut
de la sorte кtre comprise avec exactitude, et je suis persuadй que celui qui la
suivra, tout en ne pйnйtrant pas le dйtail de toutes choses, aura une
incomparable supйrioritй sur les autres hommes. Car il йclaircira de lui-mкme
beaucoup de sujets que nous avons йtudiйs minutieusement dans notre oeuvre et
ces idйes, une fois gravйes dans la mйmoire, lui seront d’un secours constant.
Elles sont, en effet, d’une nature telle que ceux-lа mкmes qui ont dйjа
explorй, d’une maniиre suffisante ou complиte, les choses dans leurs dйtails,
poursuivront leurs recherches en s’appuyant sur ces notions. Et ceux qui ne
sont pas des chercheurs accomplis pourront, sans кtre instruits de vive voix,
acquйrir pour leur apaisement, par leur seule pensйe, un aperзu des vйritйs
fondamentales. (Diogиne Laлrce, X,
35-83) Йpicure Lettre а Hйrodote (Traduction anonyme) Йpicure а Hйrodote, salut. Comme il y a beaucoup de
personnes, cher Hйrodote, qui ne sont pas en йtat d’йtudier avec soin tout ce
que j’ai йcrit sur la Nature, ni d’examiner attentivement mes ouvrages plus
йtendus, j’ai composй un abrйgй de toute ma philosophie, afin qu’elles gardent
bien dans la mйmoire les doctrines principales et puissent, dans la mesure oщ
elles s’appliquent а l’йtude de la Nature, y recourir а chaque instant pour les
points les plus importants. Et ceux mкmes qui sont suffisamment avancйs dans
l’investigation de l’univers doivent avoir en mйmoire le caractиre fondamental
de toute la doctrine. Car de la vue d’ensemble nous avons souvent besoin, mais
il n’en est pas de mкme des dйtails. Il faut par consйquent, d’une part,
progresser continuellement dans l’investigation de l’univers et, d’autre part,
fixer dans la mйmoire autant qu’il est nйcessaire pour avoir une vue principale
des choses ; et l’on parviendra aussi, une fois que les caractиres
principaux auront йtй bien compris et retenus, а une connaissance complиte des
dйtails. Car mкme celui qui est parfaitement instruit tirera de la connaissance
complиte et prйcise cet avantage capital de manier les notions avec finesse, en
ramenant toutes choses а des йlйments simples et а des formules. Car il n’est
pas possible de connaоtre la masse accumulйe par l’йtude persйvйrante de
l’univers, si l’on n’est pas capable tout а la fois d’embrasser par l’esprit,
au moyen de formules brиves, les dйtails explorйs avec soin. Йtant donnй donc
qu’une telle mйthode est utile а tous ceux qui s’adonnent aux recherches
physiques et que je recommande l’йtude constante de la Nature, grвce а laquelle
je jouis dans ma vie d’une sйrйnitй parfaite, j’ai composй pour toi cet abrйgй
et exposй йlйmentaire de toutes mes doctrines. En premier lieu, cher Hйrodote,
il faut dйcouvrir ce qui est а la base des mots, afin que, en y ramenant les
opinions ou les objets en discussion ou les sujets de doute, nous puissions
juger et que toutes choses ne restent incertaines pour nous et nous obligent а
les prouver indйfiniment, ou nous ne possйderions que des mots vides. En effet,
il est nйcessaire que la signification primitive de chaque mot soit mise en
йvidence et n’ait plus besoin de preuve, si toutefois nous voulons possйder
quelque chose а quoi nous puissions rapporter l’objet en discussion ou le sujet
de doute ou l’opinion. Il faut de plus observer d’une maniиre complиte les
sensations et les notions rйelles, soit de l’esprit soit de n’importe quel
critиre, de mкme encore les affections dominantes, afin de pouvoir, а leur
aide, donner des indications sur ce qui est en suspens et sur l’invisible. Ces points йtant йtablis, il
convient maintenant de fixer l’attention sur les choses invisibles. Tout d’abord, rien ne naоt de
rien, autrement tout pourrait naоtre de tout sans avoir besoin d’aucune
semence. Et si ce qui disparaоt йtait rйduit а rien, toutes choses auraient
dйjа pйri, йtant donnй que celles en lesquelles elles se sont dissoutes
n’existeraient pas. L’univers a toujours йtй le mкme qu’il est maintenant et
sera le mкme dans toute йternitй. En effet, il n’y a rien en quoi il puisse se
transformer, car il n’existe rien en dehors de l’univers qui puisse y pйnйtrer
et produire un changement. L’univers est constituй de corps
et de lieu. Que les corps existent, la sensation l’atteste en toute
occasion, et c’est nйcessairement en conformitй avec elle qu’on fait, par le
raisonnement, des conjectures sur l’invisible, comme je l’ai dit plus haut. Si,
d’autre part, il n’y avait pas ce que nous appelons vide, espace ou nature
impalpable, les corps n’auraient pas oщ se placer ni oщ se mouvoir, ce qu’ils
semblent bien faire. En dehors de ces choses on ne peut rien concevoir, ni par
gйnйralisation ni par analogie, qui puisse кtre pris pour des substances
parfaites et non pas pour ce qu’on appelle attributs ou accidents de ces
derniиres. Parmi les corps il y en a qui
sont composйs et d’autres dont les composйs sont constituйs. Ceux-ci sont
indivisibles et immuables, si l’on ne veut pas que toutes choses soient
rйduites au non-кtre, mais qu’il reste, aprиs les dissolutions des composйs,
des йlйments rйsistants d’une nature compacte et ne pouvant d’aucune maniиre
кtre dissous. Donc, les principes indivisibles sont de toute nйcessitй les
substances des corps. L’univers est infini. En effet,
ce qui est fini a une extrйmitй ; or, celle-ci est considйrйe par rapport
а quelque chose qui lui est extйrieur, de sorte que s’il n’a pas d’extrйmitй il
n’a pas de fin ; mais s’il n’a pas de fin il est infini et non pas fini. L’univers est encore infini quant
а la quantitй des corps et а l’йtendue du vide. Car, si le vide йtait infini et
le nombre des corps fini, ceux-ci ne resteraient nulle part, mais seraient
transportйs et dispersйs а travers le vide infini, puisqu’ils n’auraient pas de
points d’appui et ne seraient pas arrкtйs par les chocs. Si, d’autre part, le vide
йtait limitй, il n’y aurait pas de place pour contenir les corps en nombre
infini. En outre, les corps indivisibles
et compacts, dont les composйs sont formйs et en lesquels ils se rйsolvent,
sont d’une variйtй de formes indйfinie. Il ne pourrait pas, en effet, rйsulter
tant de variйtйs des mкmes formes en nombre limitй. Chaque forme est
reprйsentйe par un nombre infini d’atomes ; quant а la diversitй des
formes, leur nombre n’est pas absolument infini, mais seulement indйfini, а
moins qu’on ne s’avise de regarder aussi les grandeurs des atomes comme pouvant
s’йtendre а l’infini. Les atomes se meuvent
continuellement de toute йternitй, et les uns en s’entrechoquant s’йcartent
loin les uns des autres, les autres, en revanche, entrent en vibration aussitфt
qu’il leur arrive d’кtre liйs par l’entrelacement ou quand ils sont enveloppйs
par les atomes propres а s’entrelacer. Car il est dans la nature du vide de
sйparer les atomes les uns des autres, puisqu’il ne peut pas leur fournir un
support ; et la duretй inhйrente aux atomes produit le rebondissement
aprиs le choc, dans la mesure oщ l’entrelacement leur permet de revenir aprиs
le choc а l’йtat antйrieur. Il n’y a pas de commencement а ces processus, йtant
donnй que les atomes et le vide existent de toute йternitй. Le bref exposй de tous ces faits,
dignes d’кtre retenus par la mйmoire, offre un plan suffisant pour la rйflexion
sur la nature des choses. Les mondes de mкme sont en nombre
infini, aussi bien ceux qui ressemblent au nфtre que ceux qui en diffиrent. En
effet, les atomes йtant en nombre infini, comme il vient d’кtre dйmontrй, ils
sont aussi emportйs extrкmement loin. Car ces atomes qui donnent naissance а un
monde, ou qui le constituent, ne sont pas йpuisйs par la formation d’un seul
monde ou de plusieurs en nombre fini, ni par tous ceux qui se ressemblent, ni
par tous ceux qui diffиrent de ces derniers. Rien, par consйquent, ne s’oppose
а l’existence d’une infinitй de mondes. En outre il y a des images qui
ont la mкme forme que les objets rйels et se distinguent des phйnomиnes par
leur finesse extrкme. Il n’est nullement impossible que de telles йmanations se
produisent dans l’atmosphиre, ni qu’il y ait des conditions favorables pour la
production de formes creuses et tйnues, ni que les effluves gardent la position
relative et l’ordre qu’ils avaient dans les objets rйels. Nous appelons ces
images simulacres. Dans leur mouvement а travers le vide ils parcourent, si
aucun obstacle dы а la collision des atomes n’intervient, toute distance
imaginable dans un temps imperceptible. Car la rйsistance et la non-rйsistance
prennent l’aspect de lenteur et de vitesse. Le mкme corps en mouvement ne
peut pas, dans des temps concevables par la raison, arriver simultanйment en
plusieurs lieux, cela est inconcevable ; et s’il arrivait dans un temps
sensible de n’importe oщ de l’infini, il ne viendrait pas du lieu d’oщ nous le
voyons partir ; il sera, en effet, l’expression de la collision d’atomes,
bien que nous ayons concйdй jusqu’а prйsent que la vitesse du mouvement n’est
pas entravйe. Il est utile de retenir aussi ce principe fondamental. Que les simulacres soient d’une
finesse insurpassable, aucun phйnomиne ne le contredit ; de lа vient
qu’ils sont aussi animйs de vitesses insurpassables, tous trouvant un passage
appropriй, parce qu’un nombre infini d’entre eux ne rencontre aucun ou peu
d’obstacles, tandis que les atomes en nombre infini rencontrent aussitфt
quelque obstacle. Il faut en outre ajouter que la
genиse des simulacres a lieu avec la rapiditй de la pensйe et que l’йmanation
de la surface des corps est continue, sans qu’une diminution y soit visible,
parce que la perte est rйparйe. Les simulacres conservent longtemps l’ordre et
la position des atomes dans l’objet, bien qu’ils s’embrouillent parfois, et
comme il n’est pas nйcessaire qu’ils soient remplis, des assemblages serrйs se
forment rapidement dans l’atmosphиre ; c’est encore de certaines autres
maniиres que les phйnomиnes de ce genre peuvent se produire. Rien de tout cela
n’est contredit par le tйmoignage des sens, si, d’une maniиre dйterminйe, on
fixe son regard sur les perceptions claires, auxquelles on ramиnera aussi les
rapports naturels que les objets extйrieurs ont avec nous. Il convient encore de noter que
c’est parce que quelque chose des objets extйrieurs pйnиtre en nous que nous
voyons les formes et que nous pensons. Car les objets ne pourraient pas, par
l’intermйdiaire de l’air se trouvant entre nous et eux, ni au moyen de rayons
lumineux ou d’йmanations quelconques allant de nous а eux, imprimer en nous
leurs couleurs et leurs formes aussi bien qu’au moyen de certaines copies qui
s’en dйtachent, qui leur ressemblent par la couleur et la forme et qui, selon
leur grandeur appropriйe, pйnиtrent dans nos yeux ou dans notre esprit. Elles
se meuvent trиs rapidement, et c’est pour cette raison qu’elles reproduisent
l’image d’un tout cohйrent, en gardant avec lui le rapport naturel grвce а la
pression uniforme qui vient de la vibration des atomes а l’intйrieur du corps
solide. Et quelle que soit l’image que nous recevons, immйdiatement par
l’esprit ou par les sens, d’une forme ou d’attributs, c’est la forme de l’objet
rйel produite par la frйquence successive ou le souvenir du simulacre. Mais le
faux jugement et l’erreur rйsident toujours dans ce qui est ajoutй par
l’opinion. Et les images qu’on voit, par
exemple, dans un miroir, celles qui apparaissent dans le sommeil, celles qui
sont contenues dans certaines notions de l’entendement, ou dans les autres
critиres, n’auraient pas de ressemblance avec les objets appelйs rйels et
vrais, si ceux-ci ne les йmettaient pas. Et l’erreur n’existerait pas, si nous
n’йprouvions dans notre intйrieur un certain mouvement qui est certes liй а la
facultй imaginative, mais qui cependant prйsente une particularitй distinctive ;
si celle-ci n’est pas confirmйe ou est infirmйe, nous sommes dans l’erreur,
mais si elle est confirmйe ou n’est pas infirmйe, nous sommes ans le vrai. Il
importe beaucoup de retenir ce principe, afin que les critиres йvidents ne
soient pas dйtruits et que l’erreur, йtant raffermie comme la vйritй, ne mette
tout en dйsordre. L’audition aussi a pour cause un
courant partant d’un objet, qui produit soit un phonиme, soit un son, soit un
bruit ou une affection auditive quelconque. Ce courant se propage par parties
semblables, qui gardent entre elles un certain rapport et une unitй
caractйristique, laquelle se rattache а l’objet йmetteur et produit, le plus
souvent, la sensation qui lui correspond, ou rend simplement manifeste
l’existence de l’objet extйrieur. Car, sans un certain rapport avec celui-ci,
une sensation de ce genre ne pourrait pas naоtre. Il ne faut pas, par consйquent,
croire que l’air mкme soit modelй par la voix ou par des sons semblables — il
s’en faut de beaucoup qu’il puisse en subir cette influence —, mais que la
percussion qui se produit en nous, aussitфt que nous йmettons un son, engendre
une poussйe de certains corpuscules qui forment un courant du mкme genre que le
souffle, lequel nous procure la sensation auditive. Notons encore que, de mкme que
l’objet sonore, l’objet odorant ne pourrait jamais produire de sensation, s’il
ne s’en dйtachait certaines particules propres а exciter l’organe
olfactif : les unes d’une maniиre dйsordonnйe et dйsagrйable, les autres d’une
maniиre ordonnйe et agrйable. Il faut en outre admettre que les
atomes n’ont aucune autre qualitй phйnomйnale en dehors de la pesanteur, de la
grandeur, de la forme et de tout ce qui est nйcessairement inhйrent а cette
derniиre. Car toute qualitй change, les atomes, par contre, ne subissent aucun
changement, puisqu’il faut qu’il reste dans les dissolutions des composйs
quelque chose de solide et d’indissoluble, qui aura pour effet que les
changements ne finiront pas en non кtre et ne viendront pas du non кtre, mais,
dans beaucoup de corps, des dйplacements des atomes et aussi de leur
augmentation et de leur diminution. Il en rйsulte avec nйcessitй que
les йlйments qui se dйplacent sont indestructibles et ne possиdent rien de la
nature changeante ; ils ont des masses et des formes propres, qui sont
nйcessairement permanentes. Dans les choses, en effet, qui se transforment sous
nos yeux, la forme est considйrйe comme leur йtant inhйrente ; mais il
n’en est pas des qualitйs comme de cette derniиre, qui disparaissent
entiиrement du corps qui change. Il ne faut pas croire non plus,
si l’on ne veut pas se mettre en contradiction avec le tйmoignage des
phйnomиnes, que les atomes puissent avoir toutes les grandeurs possibles ;
mais il faut admettre une certaine variйtй de ces derniиres. En accordant ceci
on pourra mieux expliquer les affections et les sensations. Il n’est mкme
d’aucune utilitй, pour rendre compte de la variйtй des qualitйs, de supposer
l’existence de toute grandeur possible ; car alors il devrait y avoir des
atomes visibles, ce qui ne s’est jamais produit et on ne voit pas comment cela
pourrait jamais se produire. Il ne faut pas en outre croire
qu’il puisse exister, dans le corps limitй, des atomes en nombre infini et de
n’importe quelle grandeur. Il devient ainsi nйcessaire non seulement de rejeter
la divisibilitй en parties de plus en plus tйnues а l’infini, pour йviter que
tout ce qui existe ne devienne dйbile et que nous ne soyons forcйs, dans nos
conceptions des masses atomiques, d’anйantir les choses а force de les rйduire,
mais aussi de ne pas admettre que, dans les corps limitйs, le passage d’un
point а un autre puisse se faire а l’infini, ni mкme d’une partie а une partie
toujours plus petite. Si quelqu’un s’avisait de dire
qu’un corps fini contient des atomes en nombre infini et de n’importe quelle
grandeur, on serait dans l’impossibilitй de le comprendre. Car, comment un tel
corps pourrait-il encore кtre d’une grandeur finie ? Il est, en effet,
йvident que les atomes en nombre infini doivent avoir une certaine
grandeur ; or, quelles que soient leurs grandeurs, celle du corps devra de
mкme кtre infinie. Йtant donnй, d’autre part, que le corps limitй a une
extrйmitй discernable, bien qu’elle ne soit pas visible en soi, on ne peut pas
concevoir que celle qui vient а sa suite ne soit pas de mкme caractиre et qu’en
passant ainsi successivement d’une extrйmitй а une autre on puisse de la sorte
aller, par la pensйe, а l’infini. Le minimum sensible ne doit кtre
conзu, ni comme йtant de mкme nature que le corps permettant le passage d’une
partie а une autre, ni comme en йtant complиtement diffйrent, mais comme ayant
une certaine communautй avec lui. Mais quand, par suite de la ressemblance
rйsultant de cette derniиre, nous croyons y distinguer quelque partie en deза
et au-delа, ce doit кtre un minimum semblable qui se prйsente а nous. Nous
considйrons ces minima, en commenзant par le premier, successivement et non
dans l’ensemble, ni comme parties contiguлs а d’autres, mais dans leur nature
particuliиre et mesurant les grandeurs, йtant plus nombreux dans les grandeurs
considйrables et moins nombreux dans les grandeurs moindres. Il faut supposer
que le minimum dans l’atome est quelque chose d’analogue. Car, bien qu’il soit
manifeste qu’il se distingue du minimum sensible par sa petitesse, l’analogie
est la mкme. C’est, en effet, par analogie avec les objets sensibles que nous
avons affirmй que l’atome a une grandeur, en rйduisant la petitesse а
l’extrкme. Il faut de plus regarder les
minima indivisibles, comme limites des longueurs et fournissant naturellement а
la rйflexion de la raison sur les invisibles la mesure originaire pour les
grandeurs supйrieures et infйrieures. L’affinitй entre ces minima et les
particules immuables est propre а achever le sujet traitй jusqu’ici, mais il
est impossible que le groupement vienne de ces minima en mouvement. Il ne faut pas en outre attribuer
а l’infini le haut ou le bas dans le sens de haut absolu ou de bas absolu. Car,
si haut que nous nous йlevions, du lieu oщ nous sommes placйs, au-dessus de la
tкte vers l’infini, jamais ne nous apparaоtra le point extrкme ; ce qui,
d’autre part, s’йtend а l’infini au-dessous de ce lieu imaginй ne peut pas кtre
а la fois haut et bas par rapport au mкme point ; cela est tout а fait inconcevable. Il faut ainsi considйrer
distinctement le mouvement qui s’effectue а l’infini vers le haut et celui qui
s’effectue а l’infini vers le bas, mкme si le mobile qui se dirige vers le haut
touche mille et mille fois les pieds de ceux qui habitent au-dessus de nous, ou
que celui qui se dirige vers le bas touche mille et mille fois la tкte de ceux
qui se trouvent au-dessous de nous. Le mouvement dans son ensemble n’est pas
moins conзu comme s’effectuant dans des sens opposйs l’un а l’autre а l’infini. Les atomes ont nйcessairement la
mкme vitesse quand, en se dйplaзant а travers le vide, ils ne rencontrent aucun
obstacle. Car les atomes lourds ne se meuvent pas plus rapidement que ceux qui
sont petits et lйgers, du moment que rien ne leur rйsiste. Les petits atomes,
d’autre part, ne se meuvent pas plus rapidement que les gros, йtant donnй
qu’ils trouvent tous un passage facile quand eux non plus ne rencontrent aucun
obstacle. Il n’y a pas non plus de diffйrence de vitesse entre le mouvement
vers le haut et le mouvement oblique, dйterminй par les chocs, et celui qui
s’effectue vers le bas en vertu de la pesanteur propre des atomes. Car, tant
que l’atome conservera l’un ou l’autre de ces mouvements, il se dйplacera avec
la rapiditй de la pensйe jusqu’au moment oщ, soit par une cause extйrieure,
soit par sa pesanteur propre, il sera amenй а rйagir contre l’impulsion reзue. Toutefois, en ce qui concerne les
composйs, l’un se meut plus rapidement que l’autre, bien que les atomes soient
de vitesse йgale, parce que les atomes contenus dans les agrйgats tendent vers
le mкme lieu dans le minimum de temps continu, tandis qu’ils n’arrivent pas au
mкme lieu dans l’intervalle de temps concevable par la raison ; mais ils
se heurtent souvent avant que la continuitй de leur mouvement devienne
perceptible par les sens. En effet, ce que la pensйe ajoute
au sujet des choses invisibles, а savoir que mкme les intervalles de temps
concevables par la raison contiennent la continuitй du mouvement, n’est pas
vrai dans des cas de ce genre. On ne doit considйrer comme vrai que ce qu’on
peut rйellement voir, ou ce qui est immйdiatement saisi par la pensйe. Aprиs cela il faut reconnaоtre,
en se rйfйrant aux sensations et aux sentiments — car en procйdant ainsi on
arrivera а la certitude inйbranlable — que l’вme est un corps composй de
particules subtiles, qui est dissйminй dans tout l’agrйgat constituant notre
corps et qui ressemble de plus а un souffle mкlй de chaleur, se rapprochant en
partie de l’un, en partie de l’autre. Mais une certaine partie de l’вme se
distingue notablement de ces derniиres propriйtйs par sa tйnuitй extrкme et est
de la sorte mкlйe plus intimement а notre corps. C’est ce que mettent en
йvidence les forces de l’вme, ses affections, la facilitй de ses mouvements, ses
pensйes et tout ce dont la privation entraоne notre mort. Il faut en outre
retenir que l’вme est la cause principale de la sensibilitй. Mais elle ne
pourrait pas l’кtre si elle n’йtait pas en quelque sorte abritйe par
l’organisme. Celui-ci, en permettant а l’вme de produire la sensibilitй, en
reзoit sa part, pas cependant de toutes les propriйtйs qu’elle possиde. C’est
pourquoi il perd la sensibilitй sitфt que l’вme se retire. Car le corps n’a pas
acquis de lui-mкme cette facultй, mais c’est l’вme, nйe avec lui, qui la lui a
procurйe. Quand elle a, grвce а l’excitation, pleinement dйveloppй sa
puissance, elle acquiert la sensibilitй que, par suite de leur contiguпtй et
conformitй, elle communique au corps, comme je l’ai dйjа dit. C’est pourquoi tant que l’вme est
prйsente dans le corps elle ne cesse jamais de sentir, mкme si quelque partie
s’est dйtachйe de lui ; et quelle que soit la perte qu’elle subit quand le
corps se relвche, soit tout entier, soit dans quelque partie, pourvu qu’elle
subsiste, elle conservera la sensibilitй. Au contraire, l’organisme qui reste,
soit entiиrement, soit en partie, ne possиde plus de sensibilitй si la quantitй
d’atomes appartenant а la nature de l’вme a disparu. Mais lorsque l’organisme tout
entier s’est dissous, l’вme se disperse, ne possиde plus les mкmes facultйs,
n’est plus excitйe et est de la sorte privйe de sensibilitй. Car on ne peut
concevoir que l’вme qui n’est plus dans cet organisme puisse nйanmoins, quand
son enveloppe protectrice n’est pas telle que celle oщ elle se trouve а
prйsent, йprouver les mкmes excitations que dans cette derniиre. Ajoutons en outre que nous
appelons incorporel d’aprиs l’usage le plus frйquent de ce terme, ce qui peut
кtre conзu comme existant en soi. Mais, le vide йtant mis а part, il n’est pas
possible de concevoir l’incorporel en soi. Le vide ne peut ni agir ni pвtir, il
permet seulement aux corps d’effectuer leurs mouvements. Ceux donc qui disent
que l’вme est incorporelle parlent sottement. Car si elle йtait telle, elle ne
pourrait ni agir ni pвtir. Il est cependant certain que nous distinguons en
elle ces deux genres de manifestations. En appliquant, par suite, tous ces
raisonnements concernant l’вme aux sentiments et aux sensations et en se
rappelant ce qui a йtй dit au dйbut, on verra aisйment qu’ils sont embrassйs
par des formules au moyen desquelles on pourra йtudier les dйtails d’une faзon
sыre. Les formes et les couleurs, les
grandeurs et les poids, ainsi que toutes les autres qualitйs qu’on affirme du
corps et qui sont des attributs de tous les objets, ou de ceux qui sont
visibles et connaissables par la sensation qu’ils nous donnent, ne doivent pas
кtre regardйs comme des natures ayant une existence indйpendante — cela est
inconcevable — ni comme йtant totalement privйs d’existence, ni comme certaines
natures incorporelles appartenant au corps, ni comme parties de ce dernier,
mais il faut reconnaоtre que le corps entier tient absolument sa nature durable
de toutes ces propriйtйs, sans en кtre d’ailleurs le simple assemblage, comme
il arrive quand un complexe supйrieur est formй, soit d’йlйments primaires,
soit de grandeurs qui lui sont infйrieures. C’est de toutes ces propriйtйs,
comme je l’ai dйjа dit, qu’il tient sa nature durable. Elles dйterminent aussi
des perceptions et des notions propres, pourvu que l’agrйgat leur soit associй
et n’en soit jamais sйparй ; c’est en effet grвce а la notion d’ensemble
qu’il reзoit l’attribut de corps. Il arrive souvent que les corps
ont des propriйtйs qui ne les accompagnent pas d’une maniиre permanente, qui ne
se trouvent pas parmi les substances invisibles et qui ne sont pas non plus
incorporelles. En employant ce terme dans son acception courante, nous rendons
manifeste que les propriйtйs accidentelles ne possиdent ni la nature du complexe,
que nous appelons corps quand nous le saisissons dans sa totalitй, ni celle des
propriйtйs permanentes, sans lesquelles le corps ne peut кtre conзu. Et c’est
en conformitй avec certaines notions de la masse qui leur est connexe qu’elles
sont dйnommйes, mais au moment seulement oщ chacune d’elles se manifeste, йtant
donnй qu’elles ne lui sont pas attachйes d’une faзon permanente. Et il ne faut pas exclure de
l’кtre ces propriйtйs йvidentes sous prйtexte qu’elles ne possиdent pas la
nature du tout oщ elles apparaissent et que nous appelons corps, ni celles des
propriйtйs qui lui sont attachйes d’une maniиre permanente. Il ne faut pas non
plus croire qu’elles existent en soi (cela n’est concevable ni d’elles ni des
qualitйs permanentes), mais les regarder toutes ensemble, ce qui est
parfaitement йvident, comme des accidents du corps et non comme des attributs
qui les accompagnent йternellement, ni comme ayant rang de substances par
elles-mкmes ; il faut observer de quelle faзon la sensation produit leur
caractиre particulier. Nous devons maintenant insister
avec force sur le fait suivant. Il ne faut pas explorer le temps de la mкme
maniиre que les autres phйnomиnes, comme ceux, par exemple, qui ont leur siиge
dans un objet concret, en nous reportant aux prйnotions que nous constatons en
nous-mкmes, mais prendre comme point de dйpart du raisonnement le fait йvident
qui nous conduit а affirmer que le temps est long ou court, en lui appliquant
ce qualificatif par analogie. Pour dйsigner le temps, il faut
se servir de termes qui sont en usage, et ne pas lui en substituer d’autres
sous prйtexte qu’ils sont meilleurs. Il ne faut pas non plus lui attribuer des
caractиres йtrangers et prйtendre qu’ils sont identiques а ce qui constitue sa
nature propre (ce que font en effet certaines gens), mais considйrer
principalement avec quoi nous formons cette notion particuliиre et comment nous
la mesurons. Or, il suffit d’une simple rйflexion, sans qu’il soit besoin de
recourir а une dйmonstration, pour se convaincre que nous la formons avec les
jours et les nuits et avec leurs divisions, ainsi qu’avec les affections et les
йtats apathiques, avec les mouvements et les йtats de repos, supposant dans
toutes ces choses une certaine caractйristique particuliиre que nous appelons
temps. Il faut ajouter а ce qui vient
d’кtre dit que les mondes, et tout groupe d’atomes limitй qui est de mкme
espиce que les objets que nous voyons constamment autour de nous, viennent de
l’infini ; car tous les mondes, les grands aussi bien que les petits, ont
leur origine dans des tourbillons dйterminйs. Et toutes choses se dissolvent de
nouveau, les unes plus rapidement, les autres plus lentement, les unes par
suite de telle cause, les autres par suite de telles autres. Il ne faut pas, en
outre, croire que les mondes aient nйcessairement une forme unique. Personne ne
saurait dйmontrer que ces sortes de germes, d’oщ sont sortis les кtres
vivants, les plantes et toutes les autres choses visibles, pourraient ou non
exister dans tel monde et ne le pourraient pas dans tel autre. Il convient de noter que la
nature humaine acquiert des connaissances nombreuses et variйes grвce au
contact qu’elle prend avec les choses et sous l’empire de la nйcessitй. La
raison explore ensuite minutieusement ce que la nature lui a donnй et y ajoute
de nouvelles dйcouvertes : dans tel domaine plus rapidement, dans tel
autre plus lentement. Ses progrиs sont plus considйrables dans telle pйriode et
moindres dans telle autre. C’est pourquoi les noms ne sont pas а l’origine de
pures conventions, mais c’est la constitution physique des hommes de chaque
peuple qui, prouvant des sentiments particuliers et recevant des images
particuliиres des objets, expire l’air d’une maniиre spйciale, modelй qu’il est
par chacune des affections et des images, selon la diversitй des peuples qui
vient des lieux qu’ils habitent. Chaque peuple a ensuite йtabli
pour son usage commun des termes appropriйs, afin que ses membres disposent de
significations moins ambiguлs et plus concises. Ceux enfin qui ont introduit certaines
choses qu’ils connaissaient parfaitement, mais qui йtaient inconnues avant eux,
furent forcйs de crйer certains termes pour les dйsigner. Les autres, en
appliquant les procйdйs du raisonnement, adoptиrent ces termes et les
interprйtиrent selon le motif prйdominant. En ce qui concerne les corps
cйlestes, il ne faut pas croire que leurs mouvements, leurs changements de
direction, leurs йclipses, leurs levers et leurs couchers, et tous les autres
phйnomиnes du mкme genre, soient dus а l’action d’un кtre qui les rиgle, ou qui
les a rйglйs, et qui jouirait en mкme temps de la fйlicitй absolue et de
l’immortalitй. Car les occupations et les soucis, les colиres et les faveurs ne
s’accordent pas avec la fйlicitй, mais sont liйs а la faiblesse, а la peur et а
l’йtat de dйpendance de nos semblables. Il ne faut pas croire non plus que les
corps cйlestes, formйs de feu conglobй, soient en possession de la fйlicitй et
qu’ils exйcutent tous ces mouvements en vertu de leur volontй propre. Mais il convient de garder tout
le respect а ces idйes, conformйment aux termes ou dйnominations qu’on leur
applique, si toutefois il n’y a rien en eux qui paraisse y кtre contraire. Si
on ne le fait pas, le contraste portera le plus grand trouble dans les вmes.
C’est pourquoi il faut supposer que c’est depuis l’origine, suivant les
rйpartitions de ces masses agglomйrйes au moment de la formation du monde, que
s’accomplit avec nйcessitй ce mouvement pйriodique. Il faut ensuite se pйnйtrer de
l’idйe que c’est la tвche de la physique de rechercher avec soin la cause des
faits principaux, que notre fйlicitй consiste dans la connaissance des
phйnomиnes cйlestes et dans la dйtermination de leur nature, ainsi que de tous
les phйnomиnes semblables dont l’йtude exacte contribue au bonheur. Il n’est
pas, en outre, permis de soutenir que toutes ces choses pourraient s’expliquer
de diverses faзons ou qu’elles pourraient кtre autres qu’elles ne sont, car il
n’y a absolument rien, dans la nature immortelle et bienheureuse, qui soit
capable d’engendrer la discordance ou le dйsordre. Il est facile de saisir par
l’intelligence qu’il en est rйellement ainsi. En ce qui concerne l’йtude du
coucher et du lever des astres, des solstices et des йclipses, et de tous les
phйnomиnes analogues, elle ne contribue en rien а la fйlicitй qui est attachйe
а la connaissance, car ceux qui savent cela, mais qui ignorent la nature et les
causes principales des choses, йprouvent autant de craintes que s’ils ne le
savaient pas. Peut-кtre mкme en йprouvent-ils de plus grandes, si l’йtonnement
rйsultant de la connaissance de ces faits n’arrive pas а se dissiper en
prйsence de l’ordonnance des faits principaux. C’est pourquoi nous pouvons
imaginer plusieurs causes pour les couchers et les levers des astres, les
solstices et les йclipses, et les autres phйnomиnes du mкme genre, comme on le
constate dans les phйnomиnes particuliers. Et il ne faut pas croire que la
question concernant ces choses n’ait pas йtй йtudiйe avec le soin qu’il est
nйcessaire pour qu’elle nous procure la tranquillitй de l’вme et la fйlicitй.
En observant de combien de maniиres un mкme fait se manifeste autour de nous,
nous devrons ensuite chercher la cause des phйnomиnes se produisant dans les
rйgions supйrieures et de tout ce qui est encore inconnu. Il ne faut avoir
aucune estime pour ceux qui mйconnaissent ce qui existe ou se produit d’une
seule maniиre et ce qui arrive de plusieurs maniиres, qui ne tiennent pas
compte de l’illusion due aux distances et qui, de plus, ignorent dans quels cas
il n’est pas possible de jouir de la tranquillitй d’вme et dans quels cas il
est possible d’en jouir. Si donc nous croyons possible
qu’un phйnomиne se manifeste de telle ou telle maniиre, le fait de savoir qu’il
pourrait se manifester de plusieurs autres maniиres ne nous empкchera pas de
jouir de la mкme tranquillitй d’вme que dans le premier cas. Aprиs toutes ces considйrations
il faut se mettre dans l’esprit que le plus grand trouble est engendrй dans les
вmes humaines par le fait qu’on regarde ces corps cйlestes comme des кtres
bienheureux et immortels, et qu’on leur attribue en mкme temps des propriйtйs
opposйes, telles que des dйsirs, des actes et des motifs ; parce qu’on
attend ou qu’on suspecte, en croyant aux mythes, quelque torture йternelle et
qu’on craint mкme l’insensibilitй de la mort, comme si elle avait quelque
rapport avec nous ; et, enfin, parce que toutes ces affections ne
proviennent pas d’une opinion philosophique, mais d’un sentiment irrйflйchi, de
sorte que, faute de dйlimiter ce qui est а craindre, on йprouve un trouble
aussi grand ou mкme plus grand que si l’on avait une opinion bien fondйe
lа-dessus. La tranquillitй d’вme n’est possible que si l’on s’est affranchi de
tout cela et qu’on garde constamment dans la mйmoire les principes gйnйraux de
l’ensemble des choses. C’est pourquoi il faut fixer
notre esprit sur les affections prйsentes et les sensations, sur les communes
quand il s’agit de quelque chose de commun, et sur les individuelles quand il
s’agit de quelque chose d’individuel, ainsi que sur la parfaite йvidence
inhйrente а chaque critиre. Car, en nous attachant а l’examen attentif de
toutes ces choses, nous parviendrons а dйcouvrir les motifs vйritables du
trouble et de la peur, et en dйterminant la cause des phйnomиnes cйlestes et
des autres йvйnements, nous serons dйlivrйs de ce qui effraie а l’extrкme les
autres hommes. Voici, cher Hйrodote, briиvement
rйsumйes, les idйes principales sur la nature de l’Univers. Notre doctrine peut
de la sorte кtre comprise avec exactitude, et je suis persuadй que celui qui la
suivra, tout en ne pйnйtrant pas le dйtail de toutes choses, aura une
incomparable supйrioritй sur les autres hommes. Car il йclaircira de lui-mкme
beaucoup de sujets que nous avons йtudiйs minutieusement dans notre oeuvre et
ces idйes, une fois gravйes dans la mйmoire, lui seront d’un secours constant.
Elles sont, en effet, d’une nature telle que ceux-lа mкmes qui ont dйjа
explorй, d’une maniиre suffisante ou complиte, les choses dans leurs dйtails,
poursuivront leurs recherches en s’appuyant sur ces notions. Et ceux qui ne
sont pas des chercheurs accomplis pourront, sans кtre instruits de vive voix,
acquйrir pour leur apaisement, par leur seule pensйe, un aperзu des vйritйs
fondamentales. (Diogиne Laлrce, X,
35-83) |
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