"Ensemble, c’est tout" - читать интересную книгу автора (Gavalda Anne)3Yvonne n'y tenait pas trop mais les pompiers lui avaient demandé de monter dans le camion avec eux pour régler des problèmes administratifs et les conditions d'entrée aux urgences : — Vous la connaissez c'te dame ? Elle s'était offusquée : — Je crois bien que je la connais ! On était à la communale ensemble ! — Alors montez. — Et ma voiture ? — Elle va pas s'envoler votre voiture ! On vous ramènera tout à l'heure... — Bon... fit-elle résignée, j'irai en courses tantôt... C'était bien malcommode là-dedans. On lui avait indiqué un tabouret minuscule à côté du brancard où elle s'était calée tant bien que mal. Elle serrait fort son sac à main et manquait de tomber à chaque tournant. Un jeune homme était avec elle. Il gueulait parce qu'il ne trouvait pas de veine dans le bras de la malade et Yvonne n'aimait pas ces manières : — Gueulez pas comme ça, marmonnait-elle, gueulez pas comme ça... Qu'est-ce que vous lui voulez d'abord ? — La mettre sous perf. — Sous quoi ? Au regard du garçon, elle sut qu'il valait mieux la mettre en veilleuse et continua son petit monologue dans sa barbe : « Regardez-moi ça, comment qu'il lui triture le bras, non mais regardez-moi ça... Quelle misère... Je préfère ne pas voir... Sainte Marie, priez pour... Hé ! Mais vous lui faites mal là ! » Il se tenait debout et réglait une petite molette sur le fil. Yvonne comptait les bulles et priait n'importe comment. Le bruit de la sirène l'empêchait de se concentrer. Elle avait pris sur son genou la main de son amie et la lissait comme si c'était le bas de sa jupe, mécaniquement. Le chagrin et l'effroi l'empêchaient d'être plus tendre... Yvonne Carminot soupirait, regardait ces rides, ces cals, ces taches sombres par endroits, ces ongles fins encore, mais durs, mais sales et fendus. Elle avait posé la sienne à côté et les comparait. Certes elle était plus jeune pour sa part et plus dodue aussi, mais surtout, elle avait eu moins de peine ici-bas. Elle avait travaillé moins dur et reçu davantage de caresses... Elle, il y avait bien longtemps qu'elle ne s'échinait plus au jardin... Son mari continuait les patates, mais pour le reste, c'était beaucoup mieux à l'Inter. Les légumes étaient propres et elle n'était plus obligée de dépiauter le cœur des laitues à cause des limaces... Et puis elle avait son monde : son Gilbert, sa Nathalie et les petites à cajoler... Alors que la Paulette, qu'est-ce qu'il lui restait à elle ? Rien. Rien de bon. Un mari mort, une traînée de fille et un gamin qui venait jamais la voir. Que des soucis, que des souvenirs comme un chapelet de petites misères... Yvonne Carminot était songeuse : alors c'était ça, une vie ? Ça pesait si léger ? C'était si ingrat ? La Paulette pourtant... Quelle belle femme c'était ! Et comme elle était bonne ! Comme elle rayonnait autrefois... Et alors ? Où ce que c'était donc parti tout ça ? À ce moment-là, les lèvres de la vieille dame se mirent à bouger. En un instant, Yvonne chassa tout ce bazar de philosophie qui l'encombrait : — Paulette, c'est Yvonne. Tout va bien ma Paulette... J'étais venue pour les commissions et... — Je suis morte ? Ça y est, je suis morte ? murmura-t-elle. — Bien sûr que non, ma Paulette ! Bien sûr que non ! Vous êtes pas morte, voyons ! — Ah, fit l'autre en refermant les yeux, ah... Ce « ah » était affreux. Petite syllabe déçue, découragée et déjà résignée. Ah, je ne suis pas morte... Ah bon... Ah tant pis... Ah excusez-moi... Yvonne n'était pas de cet avis : — Allons ! Il faut vivre ma Paulette ! Il faut vivre, tout de même ! La vieille dame secoua la tête de droite à gauche. À peine et tout doucement. Minuscule regret triste et têtu. Minuscule révolte. La première peut-être... Puis ce fut le silence. Yvonne ne savait plus quoi dire. Elle se moucha et reprit la main de son amie avec plus de délicatesse. — Ils vont me mettre dans une maison, n'est-ce pas ? Yvonne sursauta : — Mais non, ils vont pas vous mettre dans une maison ! Mais non ! Et pourquoi que vous dites ça ? Ils vont vous soigner et puis voilà ! Dans quelques jours vous serez chez vous ! — Non. Je sais bien que non... — Ah ! ça par exemple, mais voilà autre chose ! Et pourquoi donc, mon petit bonhomme ? Le pompier lui fit un geste de la main pour lui demander de parler moins fort. — Et mon chat ? — Je m'en occuperai de votre chat... Soyez sans crainte. — Et mon Franck ? — On va l'appeler votre gars, on va l'appeler de suite. Je vais m'en charger. — Je ne retrouve plus son numéro. Je l'ai perdu... — Je le retrouverai, moi ! — Mais il ne faut pas le déranger, hein... Il travaille dur, vous savez... — Oui Paulette, je sais bien. Je lui laisserai un message. Vous savez comment c'est aujourd'hui... Les gamins, ils ont tous un portable... On ne les dérange plus maintenant... — Vous lui direz que... que je... que... La vieille dame s'étranglait. Alors que le véhicule amorçait sa montée dans la côte de l'hôpital, Paulette Lestafier murmura en pleurant : « Mon jardin... Ma maison... Ramenez-moi dans ma maison s'il vous plaît... » Yvonne et le jeune brancardier s'étaient déjà levés. |
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