"L’ultime secret" - читать интересную книгу автора (Werber Bernard)

4.

Quand ses paupieres remontent, Samuel Fincher apercoit devant lui une vingtaine de journalistes. Ils se sont precipites pour lui tendre des micros et des magnetophones.

– Docteur Fincher, docteur Fincher! S'il vous plait!

Deja l'organisateur du match leur fait signe de retourner a leur place, il annonce que Fincher va prendre la parole.

Un groupe d'ingenieurs vient debrancher Deep Blue IV qui, apres avoir fait clignoter quelques diodes, cesse de ronronner et s'eteint.

Le joueur monte sur l'estrade derriere un pupitre place sur le cote droit.

Les applaudissements redoublent.

– Merci, merci, dit Samuel Fincher, levant les mains en geste d'apaisement.

La demande provoque l'effet contraire: les acclamations s'amplifient et, apres une premiere vague d'applaudissements chaotiques, tout le monde se rejoint dans un rythme binaire pour applaudir a l'unisson.

Le joueur patiente en s'essuyant le front avec un mouchoir blanc.

– Merci.

Enfin les applaudissements commencent a decroitre.

– Si vous saviez comme je suis heureux d'avoir remporte ce match! Oh, bon sang, si vous saviez comme je suis heureux! Ma… Ma victoire, je la dois a un ressort secret.

La salle est attentive.

– Theoriquement un ordinateur est toujours plus fort qu'un homme parce que l'ordinateur n'a pas d'etat d'ame. Apres un coup gagnant, l'ordinateur n'est ni joyeux ni fier. Apres un coup rate, il n'est ni deprime ni decu. L'ordinateur ne possede pas d'ego. Il n'eprouve pas de rage de vaincre, il ne se remet pas en question, il n'en veut meme pas personnellement a son adversaire. L'ordinateur est toujours concentre, il joue toujours au mieux de ses possibilites sans tenir compte des coups passes. Voila pourquoi les ordinateurs de jeu d'echecs battent systematiquement les humains… tout du moins jusqu'a aujourd'hui.

Le docteur Fincher sourit, comme gene d'enoncer une verite aussi simple.

– L'ordinateur n'a pas d'etats d'ame, mais… il n'a pas de «motivations» non plus. Deep Blue IV savait qu'il ne beneficierait pas d'un surplus d'electricite ou de logiciel s'il gagnait.

Quelques rires fusent dans la salle.

– Il n'avait pas peur d'etre debranche s'il perdait. Alors que moi… j'etais mo-ti-ve! Je voulais venger la defaite du champion Leonid Kaminsky ici meme l'annee derniere alors qu'il affrontait Deep Blue III et encore avant je voulais venger Garry Kasparov battu a New York par Deeper Blue en 97. Car je considere ces revers comme autant d'affronts non seulement pour ces joueurs mais pour toute l'espece humaine.

Samuel Fincher essuie ses lunettes avec son mouchoir, les rechausse et fixe le public.

– J'avais peur d'etre oblige de reconnaitre que desormais nous nous montrerions, nous humains, toujours moins intelligents aux echecs que les machines. Mais un homme motive n'a pas de limite. C'est parce qu'il etait motive qu'Ulysse a traverse la Mediterranee, affrontant mille perils. C'est parce qu'il etait motive que Christophe Colomb a traverse l'Atlantique. C'est parce qu'il etait motive qu'Armstrong a franchi l'espace pour gagner la Lune. L'humanite sera condamnee le jour ou les humains n'auront plus envie de se surpasser. Aussi, vous tous qui m'ecoutez, posez-vous cette question: «Mais au fait, qu'est-ce qui me donne envie de me lever le matin pour entreprendre des choses? Qu'est-ce qui me donne envie de faire des efforts? Qu'est-ce qui me pousse a agir?»

Le docteur Samuel Fincher balaie la salle de son regard extenue.

– Quelle est votre motivation principale dans la vie… voila peut-etre la question la plus importante.

Il baisse les yeux, comme pour s'excuser de s'etre exprime avec autant de vehemence.

– Merci de votre attention.

Il descend de l'estrade et traverse une foule dense qui se range en une haie d'honneur tandis qu'il rejoint sa fiancee, Natacha Andersen.

Apres un dernier salut au public, le couple s'engouffre dans une voiture de sport noire et s'enfuit dans une volute de poussieres devenues stroboscopiques sous le crepitement des appareils photo.