"99 francs (14, 99 €)" - читать интересную книгу автора (Beigbeder Frédéric)

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La bonne cocaïne coûte 100 euros le gramme. C’est cher exprès: pour que seuls les riches puissent être en forme, tandis que les pauvres continuent de s’abrutir au Ricard.

Tu téléphones à Tamara, ta call-girl favorite. Sa messagerie te répond d’une voix suave: «Si vous voulez m’inviter à prendre un verre, appuyez sur la touche 1. Si vous voulez m’inviter à dîner, appuyez sur la touche 2. Et si vous voulez m’épouser, veuillez raccrocher». Tu lui laisses le numéro de ta ligne directe à l’agence: «Rappelle-moi, tes épaules ressemblent à des oeufs à la coque, il faut que tu me changes les idées, c’est urgent, je veux tremper mes mouillettes dans ta vie, Octave». Elle a un visage dont ton regard ne parvient pas à se détacher.

Devinette: Qu’est-ce qui a la peau ambrée et un corps de Mexicaine avec des yeux d’Eurasienne? Réponse: une rebeu dont le vrai nom n’est pas Tamara. Le soir elle vient chez toi.

Tu lui as demandé de porter «Obsession», le parfum de Sophie.

Elle a la voix rauque, les doigts fins, le sang mêlé. Le corps féminin est composé de nombreux éléments non dénués de charme: tendons bronzés reliant les chevilles aux mollets, ongles des orteils maquillés, fossettes éparses (à la commissure des lèvres, à la naissance des fesses), dents dont la blancheur contraste avec les lèvres pourpres, cambrures diverses (plante des pieds, bas du dos), rougeurs variées (pommettes, genoux, talons, suçons), mais l’intérieur des bras reste toujours blanc comme neige et tendre comme l’émotion qu’il provoque.

Oui, c’était une époque où même la tendresse était à vendre.

Tamara est la putain que tu ne baises pas. Sur sa mini-jupe est écrit «LICK ME TILL I SCREAM» mais tu te contentes de lécher son oreille (elle déteste ça). Contre 500 euros, elle vient dormir à domicile. Auparavant, vous écoutez des disques ensemble: le groupe «Il était une fois», les Moody Blues, Massive Attack. Tu es prêt à payer très cher juste pour le moment où vos lèvres s’attirent comme des aimants. Tu ne veux pas coucher avec elle, juste la frôler, subir son attraction extra-terrestre. Les amants sont des aimants. Tu refuses de mettre une capote dans Tamara. C’est pourquoi vous ne faites jamais l’amour. Au début, elle ne comprenait pas ce client qui se contentait d’enrouler sa langue autour de la sienne. Et puis elle y a pris goût, aux dents qui mordillent la bouche, à la pointe nerveuse de salive parfumée de vodka, et maintenant c’est elle qui enfonce sa langue dans ta bouche douce, et la pelle devient profonde, pénétration buccale où ta langue devient bite, lèche ses joues, son cou, ses yeux, saveur, gémissement, souffle, désir titillé. Stop. Tu t’arrêtes pour lui sourire à un centimètre du visage, savoir attendre, déguster, ralentir et recommencer. Il faut dire les choses telles qu’elles sont: un baiser est parfois plus beau que baiser.

— J’adore tes cheveux.

— C’est une perruque.

— J’adore tes yeux bleus.

— Ce sont des lentilles.

— J’adore tes seins.

— C’est un Wonderbra.

— J’adore tes jambes.

— Ah! Enfin un compliment.

Tamara éclate de rire.

— Tu me fais trop kiffer.

— C’est un mot de jeune pour dire que tu es heureuse?

— En cet instant précis? Oui.

— En cet instant précis, je sais très bien que tu fais semblant.

— Premièrement, ce n’est pas parce que je fais pas gratuit que je fais semblant. Cela n’a rien à voir. Deuxièmement, oui, je suis plutôt heureuse, considérant que je gagne dix patates par mois en cash.

— L’argent fait le bonheur, alors?

— Pas du tout mais j’en mets plein de côté pour m’acheter une maison et élever mon bébé.

— Quel dommage. J’aurais tellement aimé te rendre malheureuse.

— Je ne suis jamais malheureuse quand je fais payer.

— Moi c’est le contraire: je te paye pour ne pas être malheureux.

— Embrasse-moi, ce soir je te fais 10 % de remise.

Elle enlève le haut. Une fine chaîne en or entoure sa taille. Une rose est tatouée au-dessus de son sein droit.

— C’est un vrai tatouage ou une décalcomanie?

— Un vrai, tu peux sucer, il s’en ira pas.

Quelques aimantations après, tu filmes Tamara au caméscope numérique en l’interviewant:

— Dis-moi Tamara, tu veux vraiment devenir comédienne ou c’était une blague?

— C’est mon rêve, de faire ce métier en plus de… celui-ci.

— Mais pourquoi t’es pas mannequin?

— Mais je le suis, la journée. Comme beaucoup de filles qui travaillent au Bar Biturique. Je cours les castings à longueur de temps. Seulement y a tellement de filles et si peu de boulot qu’on doit bien se démerder pour arrondir les fins de mois…

— Non je te demandais ça parce que… enfin écoute, voilà: j’aimerais proposer ton composite pour la prochaine publicité Maigrelette.

— OK, ce soir j’avale ton foutre gratos.

— Pas question, voyons, tu n’as donc pas compris que je suis le nouveau Robin des Bois?

— Comment ça?

— C’est pourtant simple: je prends aux riches pour donner aux filles.

Oui, certains soirs, tu déboursais 500 €-balles juste pour l’embrasser sous la pluie, et ça les valait. Bon sang, ça les valait largement.