"Hannibal" - читать интересную книгу автора (Harris Thomas)13Grâce à l’attention que lui portait un dément et aux obsessions d’un autre, Starling avait obtenu ce qu’elle avait toujours désiré: un bureau dans le couloir de la division Science du comportement, en ce sous-sol objet de tant de rumeurs. C’était une satisfaction qui avait un goût amer. A sa sortie de l’École du FBI, elle n’avait jamais imaginé rejoindre aussitôt cette section d’élite mais elle avait fermement cru pouvoir y gagner une place à la force du poignet, après plusieurs années passées sur le terrain. Bonne professionnelle, Starling ignorait tout des intrigues de bureau et il lui avait fallu très longtemps pour comprendre que la Science du comportement lui serait à jamais fermée, et cela en dépit des souhaits du chef de cette division, Jack Crawford. Le principal obstacle à une telle ascension lui était resté invisible jusqu’au moment où, tel un astronome qui arrive soudain à localiser un trou noir, elle avait repéré l’inspecteur général adjoint Paul Krendler à l’influence occulte que ce dernier exerçait sur tous les services alentour. Krendler ne lui avait jamais pardonné de l’avoir devancé dans la poursuite du serial killer Jame Gumb, et le prestige médiatique que sa capture avait apporté à la jeune femme lui était resté en travers de la gorge. Par une pluvieuse nuit d’hiver, il l’avait appelée chez elle. Elle avait décroché le téléphone en peignoir de bain et pantoufles Bugs Bunny, les cheveux pris dans une serviette en turban. Elle ne pouvait oublier la date, puisque c’était la première semaine de l’opération « Tempête du désert ». Agent technique à l’époque, elle venait de rentrer de New York où elle avait eu pour mission de remplacer le poste de radio dans la limousine de la mission irakienne auprès de l’ONU. Le nouvel appareil avait exactement le même aspect que l’ancien, sinon qu’il retransmettait toutes les conversations menées dans la voiture à un satellite militaire américain. L’intervention dans un garage privé avait été des plus délicates et elle était encore sous le coup de la tension nerveuse. Pendant une seconde de naïveté, elle avait cru que Krendler téléphonait pour la féliciter de son travail. Elle se rappelait encore les rafales contre les vitres et sa voix dans le combiné, un peu pâteuse, un brouhaha de bar en bruit de fond. Il lui avait proposé de sortir avec lui. Il pouvait passer la prendre dans une demi-heure, avait-il assuré. C’était un homme marié. — Je ne pense vraiment pas, Mr Krendler. Et elle avait enfoncé la touche d’enregistrement sur son répondeur, ce qui avait produit un bip très reconnaissable. A l’autre bout, il avait aussitôt raccroché. Plusieurs années après, installée dans ce bureau qu’elle avait tant attendu, Starling calligraphia son nom sur un bout de papier qu’elle scotcha à la porte. Mais cela n’avait rien de drôle, alors elle l’arracha et l’expédia à la poubelle. Il n’y avait qu’une seule lettre dans sa corbeille de courrier. C’était un questionnaire du Elle entamait sa deuxième heure de recherches laborieuses sur son terminal d’ordinateur, non sans souffler de temps à autre sur une mèche de ses cheveux blonds pour l’écarter de son visage, lorsque quelqu’un frappa à la porte et passa la tête à l’intérieur. C’était Crawford. — J’ai eu un coup de fil de Brian au labo, Starling. La radio fournie par Mason et celle que vous avez obtenue de Barney correspondent point par point. C’est bien le bras de Lecter. Ils vont les digitaliser pour les comparer encore mais d’après Brian ça ne fait aucun doute. On va verser le tout dans le dossier protégé qui est réservé à Lecter sur le VICAP (le — Et Mason Verger? — On va lui dire la vérité. Vous et moi, Starling, nous savons pertinemment qu’il ne partagera rien avec nous, à moins de tomber sur quelque chose qui dépasse ses moyens. Mais à ce stade, si nous essayons de lui rafler sa piste brésilienne sous le nez, on va se retrouver sans rien. — Vous m’avez dit de laisser tomber, c’est ce que j’ai fait. — Oui ? Mais vous aviez l’air bien occupée, tout de suite… — Verger a reçu la radiographie par DHL. Avec le code-barre et le carnet de service du porteur, ils ont retrouvé assez facilement le lieu de la prise en charge de l’enveloppe. Hôtel Ibarra, à Rio. — Elle leva une main pour couper court à toute protestation. — Tout ça uniquement de source new-yorkaise, notez bien. Pas la moindre enquête au Brésil même. Par ailleurs, pour traiter ses petites affaires au téléphone, et il y en a un paquet, Mason passe par le standard du bureau des paris sportifs de Las Vegas. Vous pouvez imaginez le nombre d’appels qui transitent par là. — Est-ce que j’ai vraiment envie de savoir comment vous avez appris ça ? — Un plan réglo à cent pour cent… Enfin, pratiquement. Je n’ai rien planté chez lui, si c’est ce que vous vous demandez. Simplement, je me suis procuré les codes d’accès à ses factures téléphoniques. N’importe quel agent du service technique peut faire pareil. Bon, admettons qu’il fasse obstruction à l’enquête. Avec l’influence qu’il a, combien de temps il nous faudrait pour obtenir un mandat nous autorisant à le mettre sur écoutes ? Et à quoi ça nous servirait, même au cas où il serait inculpé ? Seulement, voilà, il passe par les paris sportifs… — Je vois. La Commission des jeux du Nevada serait en droit de surveiller leur standard, ou de tracasser ce bureau jusqu’à obtenir ce dont nous avons besoin. Les destinataires de ses appels, en l’occurrence. — Voilà. J’ai laissé tomber Mason, exactement comme vous me l’avez demandé. — C’est clair, en effet. Bon, vous pouvez lui dire que nous avons demandé de l’aide à Interpol et à notre ambassade. Expliquez-lui que nous avons besoin d’envoyer des types à nous là-bas pour préparer le terrain à son extradition. Il a probablement commis des crimes en Amérique du Sud, donc nous avons intérêt à l’extrader avant que la police de Rio ne se mette à piocher dans ses dossiers étiquetés « cannibalisme ». Tout ça, s’il est vraiment là-bas, évidemment… Dites-moi, Starling : ça ne vous rend pas malade de traiter avec Verger ? — Ça demande une certaine préparation, j’admets. Mais vous m’avez initiée quand on a sorti de l’eau ce macchab’ en Virginie… Comment je parle, moi ? Je voulais dire cette jeune femme, Fredericka Bimmel. Oui, il me rend malade, Mason. Et la vérité, Jack, c’est que plein de choses me produisent le même effet, ces derniers temps… La surprise lui coupa la voix. Jamais encore elle n’avait appelé le chef de division Crawford par son prénom, jamais elle n’en avait eu l’intention. Ce « Jack » était un choc pour elle. Elle étudia les réactions éventuelles sur un visage réputé impénétrable. Il hocha la tête avec un petit sourire triste. — Moi aussi, Starling. Euh, vous voudriez un ou deux comprimés de Sorbitol avant de l’appeler? Mason Verger ne prit pas la peine de lui répondre personnellement. Un secrétaire la remercia du message et l’assura qu’il la recontacterait. Mais il ne le fit pas : venue d’un échelon bien plus élevé que celui de Clarice Starling, l’information sur les radiographies concordantes était déjà pour lui de l’histoire ancienne. |
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