"Hannibal" - читать интересную книгу автора (Harris Thomas)

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Une impasse d’un quartier prolétaire d’Arlington, en Virginie, peu après minuit. C’est une nuit chaude d’automne, la pluie a cessé il y a peu. Il fait lourd, malgré le passage de la dépression. Un grillon pousse sa chansonnette quelque part dans l’odeur âcre de la terre et des feuilles mouillées. Il se tait lorsqu’un grondement sourd l’atteint, le souffle puissant d’une Mustang cinq litres à pots chromés qui s’est engagée dans le cul-de-sac, suivie par une voiture de police. Les deux véhicules se garent dans l’allée d’une sobre maison en duplex. La Mustang vibre légèrement en passant au point mort, puis les moteurs s’éteignent. Le grillon attend un moment puis reprend son chant, le dernier avant l’arrivée des grands froids, le dernier de son existence.

Un marshal en uniforme descend de la Mustang côté conducteur. Il contourne l’auto pour ouvrir la portière à Clarice Starling. Elle apparaît à son tour. Elle a le front ceint d’un bandeau blanc qui retient un pansement au-dessus de son oreille. Des taches orangées de Bétadine parsèment son cou. Au lieu d’un chemisier, elle porte une blouse d’hôpital verte.

Le sac en plastique zippé qu’elle tient à la main contient ses effets personnels : des bonbons à la menthe et des clés, sa carte d’agent spécial du FBI, un chargeur d’appoint contenant cinq balles, une capsule de gaz paralysant. Dans la même main, elle a un ceinturon et un holster, vide.

Le marshal lui tend les clés de la Mustang.

— Merci, Bobby.

— Vous voulez qu’on entre un moment, Pharon et moi? Ou vous préférez que je fasse venir Sandra ? Elle attend mon appel. Je pourrais lui dire de passer vous tenir un peu compagnie. Vous en avez besoin…

— Non, merci. Ardelia ne va pas tarder à rentrer. Ne vous en faites pas, Bobby.

Le marshal rejoint son coéquipier dans la voiture de police, qui ne démarre qu’une fois Starling chez elle, en sécurité.

Dans la maison, la buanderie est baignée d’une chaude odeur d’assouplissant. Les tuyaux de la machine à laver et du sèche-linge sont fixés de place en place par des liens de sûreté en plastique que les policiers préfèrent désormais aux menottes en acier. Quand Starling dépose son sac sur l’un des appareils, les clés résonnent bruyamment sur la surface métallique. Elle retire une lessive de la machine, la transfère dans le sèche-linge, puis elle se dépouille de son pantalon de treillis, de sa blouse et de son soutien-gorge tachés de sang. Lorsqu’elle relance la machine, elle ne porte plus que des chaussettes, une culotte et un 38 spécial glissé dans un étui à l’aisselle. Son dos et ses côtes sont couverts de traces livides, son coude écorché. L’œil droit tuméfié.

La machine à laver est lancée. Starling s’enroule dans une grande serviette avant de passer dans le salon, d’où elle revient avec deux doigts de Jack Daniel’s dans un gobelet. Elle s’étend sur un matelas en caoutchouc étalé au pied de la machine et reste sur le dos, dans l’obscurité, tandis que l’appareil vibre et tressaute. Elle se redresse, visage levé. Quelques sanglots secs la secouent avant que les larmes n’arrivent, des larmes qui lui écorchent les joues en s’écoulant.


Vers une heure moins le quart du matin, le petit ami d’Ardelia Mapp la déposa devant chez elle. La route avait été longue depuis le Cap May. Elle lui souhaita bonne nuit sur le perron. Ardelia était sous sa douche lorsqu’elle entendit le flux de l’eau dans les canalisations et les vibrations de la machine à laver qui poursuivait son programme.

Traversant le couloir, elle alluma le plafonnier de la cuisine qu’elle partageait avec Starling. De là où elle était, elle apercevait l’intérieur de la buanderie. Starling assise par terre, la tête bandée.

— Oh, Clarice, ma doudou ! (Elle était déjà accroupie à ses côtés.) Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je me suis pris une bastos dans l’oreille. Ils m’ont réparé ça à Walter Reed. Laisse la lumière éteinte, tu veux bien ?

— Pas de problème. Je vais te préparer quelque chose. Je n’étais pas du tout au courant, tu sais : on a écouté des cassettes, en voiture. Raconte.

— John est mort, Ardelia.

— Johnny Brigham ? Non, pas lui!

Toutes les deux, elles avaient flashé sur Brigham au temps où il était instructeur de tir à l’école du FBI. L’une et l’autre avaient essayé de discerner le tatouage qu’il avait sur le bras sous sa chemise.

Comme une enfant, Starling s’essuya les yeux avec le dos de la main.

— Evelda et les Crip, oui. C’est Evelda qui l’a eu. Ils ont flingué Burke, aussi. Marquez Burke, un gars de John. C’était une opération conjointe, tu comprends. Evelda était au jus, donc les télés étaient là pratiquement au moment où on a débarqué. Elle était à moi, Evelda. Elle n’aurait jamais laissé tomber. Elle voulait aller jusqu’au bout et elle avait son bébé dans les bras. Elle a tiré, moi aussi. Elle est morte.

Ardelia Mapp n’avait encore jamais vu Starling pleurer.

— J’ai… Aujourd’hui j’ai tué cinq personnes, Ardelia.

Sans un mot, elle s’assit à côté de sa camarade et passa son bras autour de sa taille, toutes deux adossées à la machine qui continuait à tourner.

— Et son gosse, à Evelda ?

— J’ai enlevé le sang qu’il avait sur lui. Je n’ai remarqué aucune blessure visible, à l’hosto ils disent qu’il est OK, physiquement. Ils vont le confier à la mère d’Evelda d’ici deux trois jours. Tu sais… Tu sais le dernier truc qu’elle m’a dit, Evelda ? Elle m’a dit : « Viens qu’on échange nos jus, salope. »

— Laisse-moi te préparer quelque chose, d’accord ?

— Comme quoi?