"Hannibal" - читать интересную книгу автора (Harris Thomas)6La chambre dans laquelle Mason passe sa vie est silencieuse, et cependant animée de sa propre respiration : le chuintement rythmé du poumon artificiel qui lui donne son souffle. Tout est obscur à l’exception du grand aquarium faiblement éclairé où une anguille exotique s’enroule et se déroule en un huit interminable dont l’ombre se déplace comme un ruban énigmatique sur les murs. Les cheveux de Mason sont ramassés en une natte épaisse qui repose sur le couvercle du poumon artificiel dans lequel son torse est emprisonné. Un assemblage de tuyaux est accroché devant lui, suggérant quelque étrange flûte de Pan. Sa langue acérée jaillit d’entre ses mâchoires et s’entortille autour de l’extrémité d’un tube tandis qu’il aspire une nouvelle bouffée d’oxygène. Aussitôt, une voix s’élève du hautparleur fixé à côté de son lit surélevé : — Oui, monsieur? — Le Les consonnes initiales sont gommées, mais la voix est puissante, profonde. Une voix de présentateur de radio. — Eh bien, en première page, il y a… — Pas besoin de me le lire. Envoyez-moi ça sur l’écran. Son élocution n’est qu’un amas de voyelles. Un énorme moniteur suspendu au mur se met à grésiller. Ses reflets d’un bleu-vert tournent au rose quand le gros titre rouge du Il peut agrandir les photographies sur l’écran, en cliquant avec l’unique main qui émerge des couvertures, une araignée de mer blafarde qui se meut plus sous l’action pénible des doigts que par la volonté de son bras atrophié, l’index et le majeur palpitant telles des antennes pour suppléer sa vision déficiente, pendant que le pouce, l’annulaire et l’auriculaire font office de pattes tâtonnant après la télécommande. Mason a du mal à lire. Collé à son unique œil, un monocle électrique émet un bref sifflement toutes les trente secondes lorsqu’il vaporise de sérum son globe oculaire privé de paupière, opération qui brouille souvent le verre grossisseur. Il lui faut une bonne vingtaine de minutes pour parvenir au bout du reportage et de l’encadré. — Envoyez la radio, commande-t-il, quand il a terminé. Après un blanc, un cliché aux rayons X apparaît sur l’écran. C’est une main, visiblement endommagée. Un autre plan lui succède, avec tout le bras cette fois. Une flèche collée sur le tirage pointe une ancienne fracture à l’humérus, à mi-chemin entre le coude et l’épaule. Mason le contemple longuement avant de croasser : — La lettre, maintenant. Une écriture cursive envahit le moniteur, amplifiée jusqu’à l’absurde. « Chère Clarice, j’ai suivi avec le plus grand intérêt les péripéties de votre disgrâce publique… » Sous le seul rythme des mots, de vieux souvenirs remontent en lui et tout se met à tourner, le lit, la chambre. Ils arrachent la croûte de ses rêves innommables, précipitent les battements son cœur jusqu’à le faire manquer d’air. Percevant son excitation, l’appareil respiratoire accélère ses pulsations. Par-dessus le poumon d’acier, il déchiffre péniblement, comme s’il lisait un livre sur un cheval au trot. A la fin, il ne peut pas fermer son œil de cyclope, mais son esprit abandonne l’effort de la vision pour réfléchir. La machine se calme peu à peu. Il souffle à nouveau dans son tuyau. — Monsieur ? — Passez-moi Vellmore, sur le casque. Et coupez le hautparleur. — Clarice Starling, ahane-t-il dans la bouffée d’air que lui procure l’appareil. Le nom ne comporte pas de consonne explosive, il l’a très bien prononcé. Tous les sons y étaient. En attendant la communication téléphonique, il s’assoupit un instant, alors que l’ombre de l’anguille rampe sur ses draps, son visage, ses cheveux nattés. |
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