"La question disputée sur l'union hypostatique du Verbe incarné" - читать интересную книгу автора (Aquinas St. Thomas)

QU

LA QUESTION DISPUTЙE SUR

L’UNION HYPOSTATIQUE DU VERBE INCARNЙ

EN PRЙSENCE DE MAОTRE THOMAS D'AQUIN

Docteur des docteurs de l'Йglise

Nouvelle traduction par Jean Sйbastien rйalisйe en 2005

pour le site http://docteurangelique.free.fr

Les њuvres complиtes de saint Thomas d'Aquin

 

Ces cinq articles furent probablement discutйs а Viterbe entre septembre et novembre 1268.

 

ARTICLE 1: L'UNION DU VERBE INCARNЙ S’EST-ELLE FAITE DANS LA PERSONNE, OU DANS LA NATURE?  1

ARTICLE 2: LE VERBE INCARNE A-T-IL UN SEUL SUJET (HYPOSTASE OU SUPPФT) OU DEUX?_ 8

ARTICLE 3: LE VERBE INCARNE EST-IL UNE SEULE REALITE, OU DEUX?_ 14

ARTICLE 4: LE VERBE INCARNE EST-IL UN SEUL КTRE?_ 20

ARTICLE 5: LE VERBE INCARNE A-T-IL UNE SEULE OPЙRATION OU DEUX?_ 21

 

 

Vocabulaire mйtaphysique

- Nature: ce qui appartient de maniиre commune plusieurs кtres (ex: la nature humaine est commune а Jacques et Jean)

- Sujet (synonymes: suppфt –latin-, hypostase -grec-): C'est tel individu (Ex: Le "sujet" Jacques n'est pas le "sujet" Jean).

- Personne: Se dit de tout sujet (suppфt, hypostase) de nature spirituelle (Dieu, anges et hommes). Mais en Dieu, nature et sujet sont identiques.

- Essence: Ce qui constitue de maniиre profonde un кtre. (Ex: l'essence de l'вme). Elle peut dйsigner aussi l'objet ultime visй par l'intelligence dans sa quкte de la connaissance des кtres.

- Substance: Peut signifie selon le contexte 1° le sujet; 2° la personne; 3° La nature; 4° La cause et le principe des кtres et de leur unitй.

 

ARTICLE 1: L'UNION DU VERBE INCARNЙ S’EST-ELLE FAITE DANS LA PERSONNE OU DANS LA NATURE?

 

Objections:

Il semble que l'union s'est faite dans la nature.

1. Dans son Symbole, Saint Athanase йcrit: "De mкme que l’вme raisonnable et la chair sont unies pour faire un seul homme, de mкme Dieu et l’homme sont unis en un seul кtre, le Verbe incarnй." Mais l’вme raisonnable et la chair sont unies pour former une seule nature humaine. Donc, dans le Verbe incarnй, Dieu et l’homme sont unis pour former une unique nature dans le Verbe incarnй.

2. En outre, saint jean Damascиne йcrit dans le III° livre De la Foi Orthodoxe: "L’erreur des hйrйtiques consiste en ce qu’ils identifient la nature et le sujet (hypostase)." Mais leur affirmation ne paraоt pas fausse. Car dans n'importe quelle rйalitй simple, et surtout en Dieu, le sujet est identique а la nature. Donc ce que disent les hйrйtiques n’est pas faux: si l’union s’est faite dans la personne, elle s’est faite aussi dans la nature.

3. Saint jean Damascиne йcrit aussi au II° livre De la Foi Orthodoxe: "Les deux natures sont unies l'une а l’autre de maniиre non convertible et inaltйrable". Mais l’union des natures semble impliquer une union naturelle. Donc l’union s’est faite dans nature.

4. Il semble donc que l’union s'est effectuйe dans la nature. En effet, le Philosophe montre avec йvidence au VIII° livre des Mйtaphysiques que dans toute rйalitй en qui le sujet (suppфt) contient quelque rйalitй de plus que la nature de l’espиce (cela peut кtre un accident ou une nature individuelle), il est nйcessaire que le sujet (suppфt) diffиre de la nature. Mais si l’union de nature humaine avec le Verbe ne s’est pas faite dans la nature divine, elle appartiendra pas а la nature spйcifique du Verbe lui-mкme. Donc il ensuivra que le sujet (suppфt) du Verbe sera autre chose que la nature du Verbe. Or cela est impossible.

5. On peut montrer que l’union du verbe incarnй ne s’est-elle pas faite dans la personne. En effet, toute union aboutit а quelque rйalitй d’un, qui est postйrieur а l’union elle-mкme. Mais l’unitй de la personne divine est йternelle. Elle n’est donc pas postйrieure а l’union qui s’est accomplie а la plйnitude des temps historiques.

6. L’union implique une certaine addition. Aussi ne peut-il s’accomplir d’union en quelque rйalitй qui est d’une simplicitй souveraine. Mais la personne du Verbe, comme elle est vraiment Dieu, est d’une simplicitй souveraine. Aussi il ne peut s’accomplir d’union dans la personne du Verbe.

7. Deux rйalitйs qui n’appartiennent pas а un genre unique ne peuvent s’unir pour constituer quelque rйalitй: ainsi, on ne fait pas une rйalitй unique d’une ligne et de la blancheur. Mais la nature humaine diffиre beaucoup plus de la nature divine que ce qui diffиre par le genre. Donc il ne peut s’effectuer d’union а la fois de la nature humaine et de la nature divine pour constituer une seule personne.

8. La personne et la nature du Verbe diffиrent seulement selon le maniиre de les comprendre, c'est-а-dire que la personne du Verbe implique une relation d’origine, mais pas sa nature. Mais par la relation d’origine le Verbe ne se rйfиre pas а la nature humaine, mais au Pиre. Donc la personne du Verbe et sa nature sont dans le mкme rapport avec la nature assumйe. Si donc l’union s’est faite dans la personne, elle se sera faite dans la nature.

9. Le mystиre de l’incarnation vise а nous faire aimer le Dieu incarnй. Mais nous ne devons pas aimer une personne de la Trinitй plus qu'une autre. En effet, elle possиdent toute la mкme bontй et doivent recevoir le mкme amour. Donc l’union de l’Incarnation s’est accomplie dans la nature commune aux trois personnes de la Trinitй.

10. Dans le II° livre De l’вme, le Philosophe йcrit: "vivre, pour les vivants, c’est кtre". Or il y a une double vie dans le Verbe incarnй: sa vie humaine et sa vie divine. Donc il a un double кtre et par consйquent une double personne; car l’кtre appartient au sujet (suppфt), c'est-а-dire а la personne. Donc l’union ne s’est pas faite dans la personne.

11. Il y a le mкme rapport entre la forme de la partie et la matiиre, qu’entre la forme du tout et le sujet (suppфt). Mais la forme de la partie ne peut se trouver que dans une matiиre qui lui est propre. Donc la forme du tout, qui est la nature, ne peut кtre que dans un sujet (suppфt) qui lui est propre, а savoir la personne humaine. Ainsi, pour la mкme raison, la nature divine est dans la personne divine. Donc s’il y a lа deux natures, il faut qu'il y ait aussi deux personnes.

12. Tout ce qu'on attribue en vйritй а une rйalitй peut supplйer pour celle-ci. Mais on attribue en vйritй la nature divine а la personne du Verbe. Donc elle peut supplйer pour celle-ci. Si donc l’union s’est faite dans la personne, on peut dire en vйritй qu'elle s'est faite aussi dans la nature.

13. Tout ce qui est uni а une rйalitй, lui est uni soit essentiellement, soit accidentellement. Mais la nature humaine n’est pas unie au Verbe accidentellement; car s'il en йtait ainsi, elle garderait sa personnalitй, et il y aurait deux personnes. En effet toute substance qui s'unit ainsi а une autre garde sa singularitй, comme le vкtement que l’on revкt, et le cheval par rapport au cavalier. Donc, dans Verbe incarnй, il y a union essentiellement, c'est-а-dire dans l’essence ou la nature du Verbe. Donc l’union s’est faite dans la nature.

14. Rien de ce qui est compris sous autre chose ne s’йtend а quelque rйalitй d’extrinsиque; ainsi, ce qui est compris dans un lieu ne se trouve pas dans un lieu extйrieur. Mais un sujet (suppфt) de n’importe quelle nature est compris sous cette nature; c’est aussi pourquoi on l’appelle une rйalitй naturelle. Car l’individu est compris sous l’espиce, comme l’espиce sous le genre. Donc comme le Verbe est un sujet (suppфt) de nature divine, il ne peut s’йtendre а une autre nature pour en кtre le sujet (suppфt), sans qu'il s’effectue une nature unique

15. La nature a rapport au sujet (suppфt) comme quelque rйalitй de plus formel, de plus simple, et qui le constitue. Mais la nature humaine ne peut se trouver dans un tel rapport avec la personne du Verbe. Donc la personne du Verbe ne peut кtre la personne d’une nature humaine

16. On attribue l’action au sujet (suppфt) c'est-а-dire а la personne, car, selon le Philosophe, les actions appartiennent aux rйalitйs singuliиres. Mais, comme le prouve saint Jean Damascиne au III° livre De la Foi Orthodoxe, il y a dans le Verbe incarnй deux opйrations. Donc il y a en lui deux personnes. En consйquence, l’union ne s’est pas accomplie dans la personne.

17. La personne se dйfinit comme йtant une nature distincte par la propriйtй. Si donc l’union s’est faite dans la personne, il s’ensuit qu’elle s’est faite dans la nature.

 

Cependant:

1. Saint Augustin йcrit dans le livre: De la foi а Pierre: "La vйritй des deux natures demeure dans le Verbe incarnй, selon une unique personne".

2. De plus, saint Augustin йcrit dans son livre A Orose: "Nous confessons deux natures dans l’unique personne du Verbe incarnй".

 

Rйponse: Pour rйpondre а cette question, nous procиderons comme suit: on doit 1° d’abord dйfinir ce qu’est la nature; 2° en second lieu, ce qu’est la personne; 3° en troisiиme lieu, on doit expliquer comment l’union du Verbe incarnй s’est rйalisйe non dans la nature, mais dans la personne.

1° Le nom de nature vient du verbe "naоtre". Aussi a-t on d’abord appelй nature, de nascitura, "ce qui va naоtre", la naissance elle-mкme des vivants, animaux et plantes. Ensuite on a йlargi le nom de nature au principe de la susdite naissance. Et parce que le principe d'une telle naissance est intrinsиque, on a encore fait dйriver le sens du nom de nature jusqu’а lui faire signifier le principe intйrieur du mouvement. Ainsi, il est йcrit au second livre des Physiques que la nature est le principe du mouvement dans le sujet oщ elle se trouve, par elle-mкme et non par accident. Et comme, dans la gйnйration, le mouvement naturel se termine principalement а l’essence de l’espиce, on appelle nature l’essence de l’espиce, que signifie la dйfinition. C’est pourquoi Boиce йcrit, dans son livre Des deux natures que la nature est la diffйrence spйcifique informant chaque rйalitй. Et c’est en ce sens qu’on entend ici le terme de nature.

2° Nous devons en second lieu comprendre ce qu’est la personne. Il faut considйrer ceci.

- S’il existe une rйalitй dans laquelle il n’y a rien d’autre que l’essence de son espиce, alors cette essence de l’espиce elle-mкme sera subsistante par soi individuellement. Et ainsi, dans une telle rйalitй, le sujet (suppфt) et la nature seront rйellement identiques, et ne prйsenteront qu'une diffйrence de raison, en tant que l’on parle de nature pour dйsigner l’essence de l’espиce, de sujet (suppфt), pour dйsigner la rйalitй qui subsiste par elle-mкme.

- Si en revanche il existe une rйalitй а l’intйrieur de laquelle, outre l’essence de l’espиce, que signifie la dйfinition, il y a quelque rйalitй d’autre, accident ou matiиre individuelle, alors le sujet (suppфt) ne sera pas tout а fait la mкme rйalitй que la nature, mais il ajoutera quelque rйalitй а la nature, comme cela apparaоt surtout dans les rйalitйs composйes de matiиre et de forme. Et ce qu’on a dit du sujet (suppфt), doit s’entendre de la personne dans la nature raisonnable; car la personne n’est autre chose qu’un sujet (suppфt) de nature raisonnable, selon ce que йcrit Boиce au livre Des deux natures: la personne est une substance individuelle de nature raisonnable.

3° L’union du Verbe incarnй: Ainsi donc, de toute йvidence, rien n’empкche que certaines rйalitйs soient unies dans la personne, sans l’кtre dans la nature. En effet une substance individuelle de nature raisonnable peut avoir quelque rйalitй qui n’appartient pas а la nature de l’espиce; et ce quelque rйalitй lui est uni personnellement, non naturellement.

Et c’est donc dans ce sens qu’il faut entendre que la nature humaine est unie au Verbe de Dieu dans la personne, non dans la nature. Car si elle n’appartient pas а la nature divine, elle appartient cependant а la personne divine, en tant que la personne du Verbe s'est adjoint une nature humaine en l’assumant pour former un seul кtre.

Mais des doutes et des dissensions surgissent а propos du mode d’une telle conjonction. Nous voyons en effet dans les crйatures qu’une rйalitй peut advenir а une autre de deux maniиres: accidentellement et essentiellement.

Ainsi Nestorius, et avant lui Thйodore de Mopsueste, ont soutenu que, dans le Verbe incarnй, la nature humaine йtait conjointe au Verbe accidentellement, selon une inhabitation de grвce: ils prйtendaient que le Verbe de Dieu йtait uni а l’homme-Verbe incarnй en tant qu’il habitait en lui comme dans son temple. A cela il faut rйpondre que nous voyons que toute substance conjointe а une autre accidentellement garde sa propre singularitй: comme le vкtement qui advient а un homme, ou la maison contenant celui qui l’habite. Ainsi, s'il en йtait comme cela dans le Verbe incarnй, cet homme aurait eu une singularitй propre, qui est sa personnalitй. Il s’ensuivait donc, selon Nestorius, que dans le Verbe incarnй la personne de l’homme serait distincte de la personne du Verbe. En consйquence, autre serait le Fils de l’homme, et autre serait le Fils de Dieu. En consйquence, Nestorius ne reconnaissait pas que la bienheureuse Vierge fыt Mиre de Dieu, mais seulement mиre d’un homme. Cette thйorie est tout а fait absurde. En premier lieu, parce que la sainte Ecriture parle tout autrement des hommes en qui la parole de Dieu a habitй par la grвce qu'elle parle du Verbe incarnй. Des premiers elle dit: "la parole de Dieu a йtй adressйe а tel prophиte"; mais du Verbe incarnй elle dit: "La Parole s’est faite chair", c’est-а-dire homme ce qui suggиre que la Parole elle-mкme est homme dans sa personne. Deuxiиme raison: dans la lettre aux Philippiens, l’Apфtre appelle cette union un dйpouillement du Fils de Dieu. Or il est йvident qu’une inhabitation de grвce ne suffit pas а justifier la raison formelle de dйpouillement. Autrement le dйpouillement conviendrait non seulement au Fils, mais encore au Pиre et au Saint Esprit, dont le Seigneur dit (Jn 14, 17): "Il demeurera auprиs de vous, et il sera en vous"; et il dit de lui-mкme et du Pиre (Jean 14, 23): "Nous viendrons en lui, et nous ferons en lui notre demeure". Pour ce motif donc, et beaucoup d’autres, l'erreur de Nestorius a йtй condamnйe par le concile d’Ephиse.

Autre hйrйsie: certains cependant, soutenant avec Nestorius que la nature humaine est advenue au Verbe accidentellement, ont voulu йviter la consйquence qui consiste а poser deux personnes, comme le faisait Nestorius. Ils ont donc imaginй que le Verbe aurait assumй l’вme et le corps non-unis entre eux: ainsi l’вme et le corps, dans le Verbe incarnй, ne constitueraient pas une personne humaine. Mais il s’ensuit un inconvйnient plus grave encore: dans cette hypothиse, le Verbe incarnй ne serait pas vraiment йtй homme. Car la raison formelle d’homme consiste dans l’union de l’вme et du corps. Cette erreur a йtй aussi condamnйe sous le pape Alexandre III au concile de Tours.

Troisiиme hйrйsie: D'autres ont choisi un autre parti: ils ont soutenu que la nature humaine advient au Verbe essentiellement, comme si on fondait une seule et nouvelle nature ou essence а partir de la nature divine et de la nature humaine unies. C'est la pensйe d'Apollinaire de Laodicйe qui posa trois affirmations, comme l'йcrit le pape Lйon dans une Lettre а Constantinople. 1° Il prйtendait d’abord que l’вme n’йtait pas unie (а la chair) dans le Verbe incarnй, mais que le Verbe s'йtait uni а la chair pour lui servir d’вme. Ainsi, du Verbe et de la chair rйsulterait une seule nature, comme en nous de l’вme et du corps. Apollinaire suit ici Arius. 2° Mais comme la sainte Ecriture dans l’Evangile parle expressйment de l’вme du Verbe incarnй, selon cette parole de saint Jean 10, 18: "J’ai le pouvoir de dйposer mon вme", il йlabora une seconde thйorie: il soutenait qu’il y avait une вme sensitive dans le Verbe incarnй, mais pas une вme raisonnable: c’est le Verbe qui, selon lui, tenait lieu d’intellect а l’homme-Verbe incarnй. Mais ceci ne convient pas: car dans cette hypothиse le Verbe n’aurait pas asuumй une nature humaine, mais une nature de bкte, comme le remarque contre lui saint Augustin, dans son Livre des quatre-vingt trois questions. 3° En troisiиme lieu, il affirma que la chair du Verbe incarnй n'aurait pas йtй tirйe d’une femme, mais qu'elle aurait йtй faite а partir du Verbe qui se serait changй et transformй en chair. Mais ceci est au plus haut point impossible. Car le Verbe de Dieu, йtant vraiment Dieu, est d'une nature absolument immuable. Il est йvident que, en raison de ces thйories, Apollinaire fut condamnй au concile de Constantinople. Eutychиs, qui suivit sa troisiиme affirmation, fut condamnй au concile de Chalcйdoine.

Rйsumons:

Nestorius: si l’union ne s’est pas rйalisйe dans la personne, mais seulement par inhabitation, il n’est rien arrivй de nouveau dans l’Incarnation du Verbe incarnй.

Apollinaire et Eutychиs: Inversement, si l’union s'est accomplie dans la nature, c'est absolument impossible. Car les espиces des rйalitйs sont comme les nombres, qui changent d’espиce quand on ajoute ou soustrait une unitй, comme il est йcrit au VIII° livre des Mйtaphysiques. Aussi est-il impossible, pour une nature parfaite en elle-mкme, de recevoir l’addition d’une autre nature; dans cette hypothиse, si elle la recevait, ce ne serait plus la mкme nature, mais une autre. Or la nature divine est souverainement parfaite; de mкme aussi, la nature humaine possиde la perfection de son espиce. Aussi est-il impossible que l’une se joigne а l’autre en vertu d’une union naturelle. Et а supposer que cela fыt possible, alors ce qui serait constituй а partir des deux ne serait ni la nature divine, ni la nature humaine. Et ainsi le Verbe incarnй ne serait ni homme ni Dieu, mais autre chose, ce qui est inacceptable pour la foi.

Il reste donc que la nature humaine est unie au Verbe, non pas accidentellement, ni essentiellement (dans la nature), mais substantiellement selon que la substance signifie le sujet (l’hypostase), et hypostatiquement ou pour former une seule personne.

Parmi toutes les rйalitйs crййes, pour comprendre cette union, il n'y pas d’analogie plus approchante que l’union de l’вme raisonnable et du corps, comme la propose saint Athanase. Cette analogie ne porte pas, certes, selon que l’вme est la forme du corps. En effet, le Verbe ne peut кtre une forme dans une matiиre; mais elle porte sur le fait que le corps est pour l’вme un instrument, non extrinsиque ni adventice, mais propre et conjoint. Aussi saint Jean Damascиne йcrit-il que, dans le Verbe incarnй, la nature humaine est l’organe du Verbe.

Autre analogie: Saint Augustin йcrit Contre Fйlicien que l'analogie serait encore plus grande, si nous imaginions, comme plusieurs le prйtendent, qu’il y a dans le monde une вme gйnйrale qui, informant la matiиre passible pour ses propres usages, la ferait кtre (avec elle) une seule personne.

Cependant, toutes ces analogies sont dйficientes car l’union d’un instrument est accidentelle. Mais il s’agit ici d’une union unique, supйrieure а tous les modes d’union que nous connaissons. En effet de mкme que Dieu est la bontй mкme, et son propre кtre, de mкme aussi il est l’unitй mкme par essence. Et c’est pourquoi, parce que sa puissance n’est pas limitйe а ces modes de bontй et d’кtre qui se trouvent dans les crйatures, il peut susciter de nouveaux modes de bontй et d’кtre inconnus de nous. Il a pu susciter un mode d’union nouveau par l’infinitй de sa puissance: que la nature humaine fыt unie au Verbe personnellement. Et cela n'est pas une union accidentelle, mкme si on n’en trouve aucun exemple adйquat dans les crйatures. C'est pour cette raison que saint Augustin йcrit dans sa Lettre а Volusien а propos de ce mystиre: "Si on veut en possйder la comprйhension, c’est que ce mystиre n’est pas admirable. Si on en veut l'illustrer par un exemple, c’est qu’il n’est pas unique. Accordons а Dieu le pouvoir de faire une rйalitй qui йchappe а nos investigations; dans de telles matiиres en effet, toute l'esxplication de l’oeuvre est la volontй de celui qui l’a rйalisйe".

Et saint Denys йcrit, au chapitre second des Noms divins: "Jйsus est une composition", c’est-а-dire une union, "divine selon moi, inaccessible а toute parole et ignorйe de tout esprit, mкme du plus йlevй et du plus digne des anges".

 

Solutions:

1. Cette comparaison ne doit pas se comprendre en tant que de l’вme et de la chair, il rйsulte une unique nature humaine, mais sur le point suivant: l’une et l’autre constituent une seule personne.

2. Il est vrai qu'en Dieu la nature et le sujet (suppфt), ou la personne, ne diffиrent pas rйellement. Elles prйsentent cependant une distinction de raison, comme on l’a dit. Et le mкme subsiste dans la nature humaine et dans la nature divine, mais ce n’est pas une mкme essence qui est composйe de l’une et de l’autre. De lа vient que l’union s’est rйalisйe dans la personne, а la raison formelle de laquelle il appartient de subsister mais cela n’appartient pas а la nature, qui implique l’essence de la rйalitй.

3. Il est vrai que les natures sont unies dans le Verbe incarnй; cependant, elles ne le sont pas dans la nature, mais dans la personne. Cela apparaоt dans le fait mкme qu’on les dit unies "de maniиre inconvertible et inaltйrable".

4. Les hйrйtiques prйtendent que si l’union s’est rйalisйe dans la personne, il s’ensuit qu’elle s’est rйalisйe dans la nature. Ils ne se sont pas avisйs que la personne est une rйalitй et la nature une autre selon une distinction rйelle et selon une distinction de raison. C’est pourquoi ils se sont trompйs.

5. On dit proprement qu’une rйalitй est unie en vertu d’une union, comme on dit qu’une rйalitй est une en vertu de son unitй. Et c’est pourquoi on n’entend pas que l’union se termine а la personne divine, en tant que celle-ci est une en elle-mкme de toute йternitй, mais en tant qu’elle s’est unie а la nature humaine dans le temps. Et ainsi l’union, selon notre mode de comprendre, prйcиde la personne, non en tant qu’elle est une, mais en tant qu’elle est unie.

6. Dans l'union du Verbe incarnй, on ne dit pas que l’union se rйalise dans la personne divine, au sens oщ la personne divine elle-mкme serait constituйe des deux natures unies entre elles; car cela rйpugnerait а la simplicitй souveraine de Dieu. Mais on dit que l’union s’est rйalisйe dans la personne, en tant que la personne divine, qui est simple, subsiste dans les deux natures, divine et humaine.

7. Deux rйalitйs de genre diffйrent ne peuvent s’unir en une seule essence ou nature. Mais rien ne les empкche de s’unir en un seul sujet (suppфt) ou personne. Ainsi la ligne et la blancheur ne constituent pas une essence. On peut cependant les trouver dans un sujet (suppфt) unique.

8. On peut considйrer la personne du Fils de Dieu de deux maniиres.

1° En premier lieu, selon la raison commune de personne, en tant qu’elle signifie un кtre subsistant. Et de ce point de vue, l’union s’est rйalisйe dans la personne selon la raison de personne, comme on l’a dit (voir dans la rйponse de l’article).

2° D’une autre maniиre, on peut la considйrer dans ce qui est propre а la personne йternelle du Fils, а savoir la relation qui le rйfиre au Pиre. Or ce n'est pas selon la raison formelle de cette relation qu’on envisage l’union des deux natures.

9. L’incarnation n’ajoute rien а la bontй d’une personne divine. De mкme elle n’ajoute rien non plus а son amabilitй. Aussi ne doit on pas aimer la personne du Verbe incarnй plus que la personne du Verbe purement et simplement. On doit, certes, l’aimer sous une autre raison formelle. Mais cette raison est comprise sous la bontй universelle du Verbe. En consйquence, il ne s’ensuit pas, du fait que l’union de l’Incarnation s’est rйalisйe dans une personne, et non dans une autre, qu’il faille pour autant aimer une personne plus qu’une autre.

10. L’кtre appartient d’une part а la personne subsistante, et d’autre part а la nature dans laquelle elle subsiste, en tant que la personnel a l’кtre selon cette nature. Donc l’кtre de la personne du Verbe Incarnй est un du cфtй de la personne subsistante, mais non du cфtй de la nature.

11. La nature ne se trouve pas avec le sujet (suppфt) dans le mкme rapport que la forme avec la matiиre. Car la matiиre n’est constituйe dans l’кtre que par la forme. C’est pourquoi la forme requiert une matiиre dйterminйe pour faire que celle-ci soit en acte. Mais le sujet (suppфt) n’est pas seulement constituй par la nature de l’espиce: il peut aussi inclure d’autres йlйments. Et c’est pourquoi rien n’empкche d’attribuer une nature а un sujet (suppфt) d’une autre nature.

12. On attribue la nature divine а la personne divine en vertu d’une identitй rйelle, et non selon la propriйtй du mode de signifier. Et c’est pourquoi un sujet (suppфt) ne peut supplйer pour un autre. Car mкme en Dieu cette proposition est vraie: "la personne engendre"; mais celle-ci ne l’est pas: "l’essence engendre."

13. La nature humaine n'est pas unie au Verbe:

1° accidentellement

2° essentiellement, comme si elle appartenait а la nature divine du Verbe;

3° mais substantiellement, c’est-а-dire hypostatiquement comme appartenant au sujet (l’hypostase) ou personne du Verbe.

14. La personne du Verbe est comprise sous la nature du Verbe, et ne peut s’йtendre au-delа. Mais la nature divine, а raison de son infinitй, comprend toute nature finie. Et c’est pourquoi, quand la personne du Verbe assume la nature humaine, elle ne s’йtend pas au-delа de la nature divine, mais elle prend plutфt ce qui lui est infйrieur Aussi l’Apфtre йcrit-il aux Philippiens 2, 6: "Alors que le Fils de Dieu йtait dans la forme de Dieu, il s’est dйpouillй". Il n'a pas certes abandonnй la grandeur de la nature de Dieu, mais il a assumй la petitesse de la nature humaine.

15. La nature du Verbe est infinie. De mкme aussi la personne du Verbe est infinie. C’est pourquoi la nature divine du Verbe correspond adйquatement а la personne du Verbe en elle-mкme. Mais la nature humaine correspond au Verbe selon qu’il s’est fait homme. C’est pourquoi cette nature n’est pas nйcessairement plus simple et plus formelle que le Verbe en lui-mкme, mais elle est plus simple et plus formelle que cet homme qui est le Verbe fait chair, et elle le constitue en tant qu’il est homme.

16. L’action appartient au sujet (suppфt), selon une nature ou une forme. Et c’est pourquoi les actions ne se diversifient pas seulement selon la diversitй des sujets (suppфts), mais aussi selon la diversitй de la nature ou de la forme Ainsi, dans un seul et mкme homme, voir est une action, et entendre en est une autre, en fonction de la diversitй des puissances. Aussi dans le Verbe incarnй, en raison de ses deux natures, y a-t-il deux actions, bien qu’il n’y ait qu’une personne ou hypostase.

17. La personne est certes une substance distinguйe par sa propriйtй, qui relиve de la dignitй. Mais ici, le mot substance ne signifie pas l’essence ou la nature. Il signifie le sujet (l’hypostase) ou la personne.

 

ARTICLE 2: LE VERBE INCARNE A-T-IL UN SEUL SUJET (HYPOSTASE OU SUPPФT) OU DEUX?

 

Objections: Il semble que le Verbe incarnй n'est pas un seul sujet.

1. Saint Augustin йcrit dans son livre Contre Fйlicien: "Dans le Mйdiateur de Dieu et des hommes, le Fils de Dieu йtait une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre chose". Mais rien de ce qui est un par le sujet (suppфt ou hypostase) n’est une rйalitй et une autre, ainsi sйparйes. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement un sujet (suppфt) ou une hypostase mais deux.

2. Saint Augustin йcrit aussi au second livre De la Trinitй: "Dans le Verbe incarnй, l’un et l’autre est Dieu, а cause de Dieu qui assume, et l’un et l’autre est homme, а cause de l’homme assumй" Mais rien de ce qui est un quant au sujet (suppфt) ou selon 1'hypostase n’est deux, en sorte que l’on puisse parler de l’un et l’autre, comme ici. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement une hypostase ou sujet (suppфt).

3. La nature humaine du Verbe incarnй est une certaine substance. Mais ce n’йtait pas une substance universelle, car il n’y a pas de substance universelle en dehors de l’esprit. Donc c’est une substance particuliиre. Mais une substance particuliиre est une hypostase. Donc dans le Verbe incarnй la nature humaine йtait une hypostase. Mais la nature humaine du Verbe incarnй est une rйalitй distincte du sujet du Verbe de Dieu. Donc dans le Verbe incarnй il y a une hypostase en dehors du sujet du Verbe de Dieu. Et ainsi dans le Verbe incarnй il y a plusieurs hypostases.

4. Lorsqu'on dit "homme", on le dit univoquement du Verbe incarnй et de Pierre. Mais quand on le dit de Pierre, ce nom n’implique rien d’autre qu’un certain composй d’вme raisonnable et de corps. Donc il en va de mкme quand on le dit du Verbe incarnй. Mais а cфtй de l’вme et du corps il y a dans le Verbe incarnй le sujet (l’hypostase, suppфt) du Verbe de Dieu. Donc dans le Verbe incarnй le sujet (l’hypostase, suppфt) de la nature humaine est une rйalitй, et 1'hypostase ou sujet (suppфt) de la nature divine en est une autre. Et ainsi dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement une hypostase ou sujet (suppфt).

5. Une nature finie ne peut rien contenir d’infini. Mais le sujet (suppфt) ou hypostase du Verbe de Dieu est infini. Donc il ne peut кtre contenu dans la nature humaine, qui est finie. Mais tout sujet (suppфt) est contenu sous la nature dont il est le sujet (suppфt). Donc le sujet (suppфt) qui est le Verbe de Dieu ne peut кtre le sujet (suppфt) de la nature humaine, mais il faut nйcessairement qu’il y ait quelque autre sujet (suppфt). Donc dans le Verbe incarnй il y a un autre sujet, а cфtй du sujet qui est le Verbe de Dieu. Il y a donc dans le Verbe incarnй deux sujets, suppфts ou hypostases.

6. L’espиce est vis-а-vis des individus dans le mкme rapport que le genre vis-а-vis de l’espиce. Mais la mкme espиce ne peut se trouver dans des genres divers. Donc le mкme individu ne peut se trouver dans des espиces diverses. Mais le sujet (l’hypostase) est une substance individuelle, et de mкme le sujet (suppфt). Donc une seule hypostase ou sujet (suppфt) ne peut appartenir а la nature humaine et а la nature divine, qui ne sont pas de mкme espиce.

7. Dans la Trinitй, il y a une seule nature en trois personnes. De mкme, dans le Verbe incarnй il y a deux natures en une seule personne. Mais les trois personnes sont une seule rйalitй, а cause de l'unitй de nature, selon cette parole de l’йvangile de Jean: "Le Pиre et moi nous sommes un". Donc le Verbe incarnй est deux а cause de la dualitй des natures. Mais on ne peut dire de rien de ce qui est un quant au sujet (suppфt ou hypostase), que cela soit deux. Donc le Verbe incarnй n’est pas un quant au sujet (suppфt ou hypostase).

8. Le Verbe incarnй a quelque rйalitй de commun avec le Pиre en tant qu’il est le Fils de Dieu. Mais en tant qu’il est dit Fils de l’homme, il n’a rien de commun avec le Pиre. Donc dans le Verbe incarnй le Fils de Dieu est une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre. Donc il n’est pas un quant au sujet (suppфt ou hypostase).

9. Il existe des rйalitйs qui sont, en soi, incommunicables. Elles ne peuvent pas, semble-t-il, devenir en soi communicables. De mкme, comme le dit le Commentateur sur le X° livre des Mйtaphysiques, ce qui est de soi impossible ne peut devenir possible. Mais la nature humaine, selon qu’elle est dans le Verbe incarnй, est de soi incommunicable, puisqu’elle est une certaine rйalitй particuliиre. Donc elle ne peut кtre communiquйe а un sujet (suppфt) de nature divine. Donc le sujet (suppфt) de la nature humaine ne peut кtre le mкme que celui de la nature divine.

10. Chaque rйalitй se rйsout dans les йlйments qui la constituent. Si donc il arrivait par impossible que le Verbe de Dieu abandonnвt la nature humaine, celle-ci possйderait dиs lors une hypostase (sujet, suppфt) propres. Donc, dans sa condition actuelle d’union, elle possиde aussi une hypostase (sujet, suppфt) propres. Donc il n’y a pas lа une seule hypostase.

11. La nature ne dйpend pas plus du sujet (suppфt) que le sujet (suppфt) ne dйpend de la nature. Mais il est impossible que le Verbe de Dieu ait pu assumer un sujet de nature humaine, sans assumer la nature humaine elle-mкme. Donc il n’a pas davantage pu assumer la nature humaine, sans assumer le sujet (suppфt) de cette nature humaine. Mais l’assumant n’est pas 1'assumй. Donc le sujet (suppфt) de la nature humaine n’est pas le sujet (suppфt) du Verbe de Dieu lui-mкme. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux sujets (suppфt).

12. L’вme et le corps n’ont pas moins de puissance ou de dignitй dans le Verbe incarnй qu’en nous. Mais en nous de la composition de l’вme et du corps rйsulte une hypostase ou un sujet (suppфt). Il en est donc de mкme dans le Verbe incarnй. Mais il ne s’agit pas du sujet (suppфt ou hypostase) du Verbe de Dieu, qui est йternel, puisque l'union qui en a fait le Verbe incarnй est temporelle. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux sujets (suppфt) ou hypostases.

13. Il y a trois substances Dans le Verbe incarnй: le corps, l'вme et Dieu. Mais l’вme n’est pas le sujet (suppфt) du corps. Donc Dieu n’est pas le sujet (suppфt) de la nature humaine.

14. Porphyre йcrit que l’individuation rйsulte de l’agrйgation de propriйtйs qu’il est impossible de retrouver dans un autre. Mais dans le Verbe incarnй se trouvait une agrйgation de propriйtйs appartenant а la nature humaine, qu’on ne peut trouver dans un autre. Donc ces propriйtйs ont effectuй son individuation. Mais il ne s’agit pas de l’individuation du Verbe de Dieu, qui n’est pas susceptible de recevoir des accidents. Donc dans le Verbe incarnй il y a un autre individu ou sujet (suppфt) que le sujet (suppфt) du Verbe de Dieu. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux sujets (suppфt).

15. De rйalitйs entre lesquelles il n’y a pas une certaine proportion. Il ne peut rйsulter une rйalitй unique Mais la nature divine, qui est infinie, n’a aucune proportion avec la nature humaine, qui est finie. Donc il ne peut rйsulter de ces deux natures une seule hypostase ou un seul sujet (suppфt).

16. La gйnйration se termine au sujet (suppфt). En effet c’est le particulier qui est engendrй Mais dans le Verbe incarnй il y a une double naissance temporelle et йternelle Donc dans le Verbe incarnй il y a un double sujet (suppфt), non un sujet (suppфt) unique.

17. Le Verbe de Dieu a assumй le corps et l’вme, non comme sйparйs, mais comme unis pour former une nature humaine. Mais un sujet (suppфt) de nature humaine n’est rien d’autre qu’une вme et un corps pour autant qu’ils sont unis Donc dans le Verbe incarnй il y a un autre sujet (suppфt), en dehors du sujet (suppфt) du Verbe de Dieu.

18. Une mкme rйalitй ne peut кtre а la fois simple et composйe. Mais un sujet (suppфt) de nature humaine est composй, puisque la nature humaine est composйe: en effet un sujet (suppфt) ne peut кtre plus simple que la nature dont il est le sujet (suppфt). Donc comme le sujet (suppфt) de la nature divine est simple, il y aura dans le Verbe incarnй un autre sujet (suppфt), outre le sujet (suppфt) du Verbe йternel de Dieu.

 

Cependant:

1. Saint jean Damascиne йcrit au III° livre De la Foi Orthodoxe: "Nous reconnaissons une seule hypostase dans le Seigneur Jйsus-Christ ".

2. On n’attribue pas l’une а l’autre les rйalitйs qui diffиrent quant au sujet (suppфt). Si donc dans le Verbe incarnй il y avait deux sujets, celui de l’homme, et un autre de Dieu, on ne pourrait pas dire que l’homme est Dieu, ou que Dieu est homme; or c’est une erreur de le nier. Donc il n’y a pas dans le Verbe incarnй un sujet (suppфt) de Dieu et un autre de l’homme.

 

Rйponse:

En voulant йviter l’hйrйsie de Nestorius, certains posиrent dans le Verbe incarnй deux personnes. Ils prйtendirent qu’il y avait dans le Verbe incarnй une seule personne, mais deux hypostases ou deux sujets (suppфt). Cet homme, quand on dйsigne le Verbe incarnй, йtait, selon eux, un sujet (suppфt) ou une hypostase de nature humaine, non divine. Car en disant: "cet homme", on n’entend rien d’autre qu’une certaine substance particuliиre composйe d’вme et de chair. Ils ajoutaient cependant que le sujet (hypostase ou suppфt) humain appartenait а la personne du Verbe, du fait que le Verbe l’avait assumй. Et c’est cette opinion que l’on prйsente comme la premiиre au III° livre des Sentences, а la distinction x.

Mais ceux qui avaient йmis cette opinion, se trompaient.

1° En premier lieu, ils ignoraient le sens des mots. L’hypostase en effet n’est pas autre chose que la substance individuelle, que l’on dйsigne aussi sous le nom de sujet ou suppфt. Par ailleurs, Boиce йcrit au livre des Deux natures que "la personne est une substance individuelle de nature raisonnable". Ainsi donc, de toute йvidence, il ne peut exister d’hypostase de nature raisonnable qui ne soit une personne. D’autre part, la nature humaine est manifestement une nature raisonnable. Dиs lors, si dans le Verbe incarnй il y avait une hypostase ou un sujet (suppфt) propre а la nature humaine, а cфtй du sujet (l’hypostase) ou du sujet (suppфt) du Verbe de Dieu, il s’ensuivrait qu’il y aurait dans le Verbe incarnй une personne propre а la nature humaine, а cфtй du sujet (l’hypostase) du Verbe. On le voit, cette position ne diffиre pas de celle de Nestorius.

2° En second lieu, parce qu’а supposer que la personne ajoute au sujet (l’hypostase) de nature raisonnable "une certaine propriйtй ayant trait а la dignitй" comme on dit que certains jouissent d’un personat du fait qu’ils sont bйnйficiaires de quelque dignitй, il s’ensuivrait que l’union de la nature humaine avec le Verbe se serait rйalisйe seulement en quelque rйalitй d’accidentel, c’est а dire dans "une certaine propriйtй ayant trait а la dignitй", ce que Nestorius a aussi prйtendu.

Mais ceci constitue une hйrйsie condamnйe au V° concile de Constantinople, oщ on lit: "Si quelqu’un prйtend que, dans le mystиre du Verbe incarnй, il y a deux subsistances ou deux personnes, comme l’ont йcrit dans leur folie Thйodore et Nestorius, qu’il soit anathиme... En effet la sainte Trinitй ne reзoit pas l’adjonction d’une personne ou d’une subsistance par 1'Incarnation d’une des personnes de la Sainte Trinitй, le Verbe divin."

Ainsi, pour savoir ce qui on peut кtre acceptй ou ce qui doit кtre niй en de telles matiиres, il faut considйrer ceci. Parmi les noms qui se rapportent а l’individuation,

1° certains se rapportent а la premiиre imposition comme "personne" ou "hypostase", qui signifient les rйalitйs en elles-mкmes.

2° Certains se rapportent de seconde imposition, comme "individu", "sujet (suppфt)", et autres de ce genre, qui signifient l’intention de l’individualitй.

3° Certains appartiennent au seul genre de la substance, comme "sujet (suppфt)" et "hypostase", qui ne se disent pas des accidents "personne" dans la nature raisonnable, et aussi "rйalitй naturelle", selon l’acception oщ le prend saint Hilaire.

4° D’autres, en revanche, se rйfиrent а l’individuation dans n’importe quel genre, comme "individu", "particulier" et "singulier", qui se disent aussi des accidents.

Or c’est le propre de la substance de subsister par soi et en soi alors qu'il appartient а l’accident d’кtre dans un autre. Et ainsi, les noms qui se rйfиrent а l’individuation de la substance conviennent seulement aux rйalitйs qui subsistent par elles-mкmes et en elles-mкmes. On n'utilise pas de tels noms pour les parties substantielles qui ne sont pas en elles-mкmes mais dans le tout, bien qu’elles n’y soient pas comme dans leur sujet. On peut cependant appliquer а celles-ci les noms qui se rйfиrent lйgitimement tant aux substances qu’aux accidents. Exemple: on ne peut pas dire que cette main est une personne, une hypostase ou un sujet; mais on peut dire que c’est une rйalitй particuliиre, singuliиre ou individuelle. En effet la main appartient, certes, au genre de la substance; mais ce n’est pas une substance complиte subsistant par soi; aussi ne l’appelle-t-on pas une hypostase, un sujet, un suppфt ou une personne.

Or la nature humaine dans le Verbe incarnй ne subsiste pas par soi sйparйment, mais existe dans le sujet du Verbe de Dieu, non certes comme un accident dans un sujet, ni, а proprement parler, comme une partie dans le tout, mais par une partie ineffablement assumйe. C’est pourquoi on peut tout а fait appeler la nature humaine du Verbe incarnй une rйalitй individuelle, particuliиre ou singuliиre; mais on ne peut l'appeler une hypostase ou un sujet, pas plus qu’on ne peut dire d'elle qu'elle est une personne.

Conclusion: il n’y a dans le Verbe incarnй qu’une seule hypostase ou un seul sujet (suppфt): celui du Verbe divin.

 

Solutions:

1. Il est vrai qu'on attribue au Verbe incarnй des propriйtйs divines et des propriйtйs humaines. Si l’on se demande а quoi on les attribue, on doit rйpondre que c’est а une seule et mкme rйalitй. Si on demande selon quoi on les attribue, alors il s’agit de deux rйalitйs diffйrentes, comme le dit Augustin au premier livre De la Trinitй.

1° On attribue au Verbe incarnй les propriйtйs divines selon la nature divine,

2° On attribue les propriйtйs humaines, selon la nature humaine.

Donc quand on dit que dans le Verbe incarnй le Fils de Dieu est une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre, il ne faut pas rйfйrer cette altйritй а ce а quoi on attribue l’un et l’autre, а savoir а l’unique sujet (suppфt) de l’une et l’autre filiation. Il faut la rйfйrer а ce а raison de quoi on l’attribue (la nature). Ainsi, saint Augustin ajoute au mкme endroit: "Autre chose, dis-je, en raison de la distinction de la substance dans le Verbe incarnй", c’est-а-dire de la nature, "mais non un autre, en raison de l’unitй de la personne du Verbe incarnй."

2. Il est vrai qu'on attribue au Verbe incarnй la nature divine. Mais on ne peut lui attribuer la nature humaine, pas plus qu’а Pierre, avec qui il est univoquement homme. Aussi ne peut-on dire que le Verbe incarnй soit deux, ni l’un et l’autre bien qu’il y ait deux natures. Le sujet (suppфt) de la nature humaine, en revanche, s’attribue au Verbe incarnй mais il ne fait pas nombre avec le sujet (suppфt) de la nature divine, comme on l’a montrй. Que conclure? Quand on dit que le Verbe incarnй est l’un et l’autre, on l’entend matйriellement comme lorsqu'on dit: le mur et le toit sont la maison, parce que l’un et l’autre concourt а l’unique maison. C'est pourquoi saint Augustin йcrit dans le livre Contre Fйlicien qu’un seul et mкme homme est dit corps et esprit.

Autre explication: on pourrait dire que cette expression, "l’un et l’autre", se rйfйre au nombre des noms signifiant les deux natures; car l’homme Verbe incarnй est appelй а la fois Dieu et homme; comme aussi le Dieu Verbe est appelй Dieu et homme. Et c’est ce que signifie cette formule: "L’un et l’autre est Dieu, а cause de Dieu qui assume"; car ce nom, "Dieu", s’attribue а la fois а Dieu et а l’homme: "et l’un et l’autre est homme, а cause de l’homme assumй", parce que ce nom, "homme", s’attribue а l’un et l’autre.

3. Comme on l’a dit, pour que la raison formelle d’hypostase ou de sujet (suppфt) soit accomplie dans un кtre, il ne suffit pas qu’une rйalitй soit une rйalitй particuliиre dans le genre de la substance; mais il est encore requis qu’elle soit complиte et subsistante en elle-mкme.

4. L'univocitй et l’йquivocitй se considиrent selon que la raison du nom est la mкme ou non. Or la raison du nom est celle que signifie la dйfinition. Et c’est pourquoi l’йquivocitй et l’univocitй se considиrent selon la signification, et non selon les sujets (suppфt). Application: ce nom d’homme se dit-il univoquement du Verbe incarnй et de Pierre; en effet, de part et d’autre, il signifie une unique nature: la nature humaine, composйe d’вme et de corps. Mais dans le Verbe incarnй, le sujet (suppфt) est le Verbe йternel, ce qui n'est pas le cas pour Pierre.

5. C'est au sujet (suppфt ou l’hypostase) du Verbe de Dieu qu'il appartient d'кtre infini selon la nature divine. Selon la nature humaine, au contraire, il est fini et contenu dans un nature finie. C'est pourquoi saint Denys йcrit: "Celui qui dйpasse substantiellement tout ordre, selon toute nature s’est insйrй dans notre nature".

6. Comme aussi le nom de genre, le nom d’espиce signifie la nature. C’est pourquoi si une seule espиce se trouvait dans des genres divers, il s’ensuivrait qu’une seule nature serait deux natures, ce qui est impossible. Mais il existe dans l’individu quelque rйalitй qui n'appartient pas а la nature. En consйquence, il n’est pas contraire а la raison d’individu que le mкme individu soit le sujet (suppфt) de deux natures.

7. La nature divine est absolument identique, quant а la rйalitй, а n’importe laquelle des trois personnes; c'est pourquoi on peut dire que les trois personnes sont une seule rйalitй. Par contre, la nature humaine n’est pas tout а fait identique, quant а la rйalitй, quand elle est rйalisйe dans son sujet (suppфt). C’est pourquoi on ne la lui attribue pas. Et ainsi on ne peut pas dire que le Verbe incarnй est deux en raison des deux natures.

8. Le Fils йternel de Dieu a en commun avec le Pиre la nature divine, mais non le sujet (l’hypostase) ou la personne. Quant au Fils de l’homme il n’a en commun avec Dieu le Pиre ni le sujet (l’hypostase) ni la nature. Aussi il ne s’ensuit pas qu’entre le Fils de Dieu et le Fils de l’homme il y ait une distinction quant а la personne ou le sujet (l’hypostase). Mais la distinction se fait seulement quant а la nature.

9. Du fait qu’elle est individuelle, la nature humaine assumйe par le Verbe ne peut кtre en plusieurs sujets. C'’est pourquoi, de ce point de vue, on dit qu’elle est incommunicable. Mais du fait mкme qu’elle est une nature, elle ne subsiste que dans un sujet (suppфt).

10. Tant que la nature humaine du Verbe incarnй est unie au Verbe, parce qu'elle n’existe pas selon elle-mкme, elle ne possиde pas de sujet (suppфt ou hypostase) propre en dehors de la personne du Verbe. Mais si cette nature humaine йtait par impossible sйparйe du Verbe, elle aurait non seulement une hypostase ou un sujet (suppфt) propre, mais encore elle serait sa propre personne. En effet, dиs ce moment, elle existerait par elle mкme. De mкme aussi, la partie d’un corps continu est en puissance un sujet, et non en acte aussi longtemps qu’elle n’est pas sйparйe du tout; (elle n'existe en acte comme un sujet individuel) qu'une fois la sйparation accomplie.

11. Le sujet (suppфt) intиgre en lui la nature, et non l’inverse. Et c’est pourquoi l’assomption du sujet (suppфt) aurait йtй impossible dans le Verbe incarnй sans l’assomption de la nature. Mais l’inverse a pu se produire.

12. L’union de l’вme et du corps est plus digne dans le Verbe incarnй qu’en nous. En effet, elle n'aboutit pas а un sujet (suppфt) crйй, mais au sujet (suppфt) du Verbe йternel de Dieu.

13. Pour constituer la nature humaine, l’вme est unie au corps comme sa forme. Mais ce n’est pas ainsi que dans le Verbe incarnй la divinitй est unie а l’humanitй, car l’union ne s'est pas rйalisйe dans la nature, comme on l’a montrй plus haut. Et ainsi il n’y a pas comparaison.

14. L’agrйgation des accidents propres prouve suffisamment l’individuation de la nature humaine dans le Verbe incarnй; mais cette agrйgation ne prouve pas qu’elle possиde la raison de sujet (suppфt ou hypostase), car elle n'existe pas par soi.

15. L’union de la nature humaine а la personne ou au sujet (l’hypostase) ne s’est pas rйalisйe dans le Verbe incarnй de telle sorte qu’il y ait fusion entre elles, comme si la premiиre contenait la seconde ou que la personne du Verbe ne dйpassвt la nature humaine que selon une proportion dйterminйe. Car la personne du Verbe ne cesse pas de dйpasser la nature humaine а l’infini. Cependant cette supйrioritй infinie n’exclut pas que, d’une maniиre ineffable, la personne de Dieu se soit uni la nature humaine pour former une seule hypostase. Bien plus, la puissance infinie du Verbe qui assume opиre plus efficacement, en vue d’une union plus haute.

16. Il est vrai que la gйnйration aboutit au sujet comme а ce qui est engendrй; mais elle aboutit а la nature comme а ce qui est reзu par la gйnйration. C'est pourquoi on dit que la forme est le terme de la gйnйration. Or les gйnйrations et les mouvements se distinguent selon leur terme. C'est pourquoi le Verbe incarnй a deux naissances, une йternelle et une dans le temps, selon ses deux natures. Mais le Verbe incarnй est une seule personne (sujet) qui naоt, parce que son sujet (suppфt) est un.

17. L’вme et le corps unis constituent un sujet (suppфt ou hypostase), si ce qui est composй des deux existe par soi. Mais ce n'est pas ce que propose le cas invoquй.

18. Comme il apparaоt avec йvidence dans saint Denys, au chapitre des Noms divins, le Verbe incarnй est simple selon la nature divine, mais composй selon la nature humaine.

 

ARTICLE 3: LE VERBE INCARNE EST-IL UNE SEULE REALITE, OU DEUX?

 

Objections:

Il semble bien que Jйsus soit deux rйalitйs.

1. Saint Augustin йcrit dans le premier livre De la Trinitй: "L’un et l’autre est Dieu, et l’un et l’autre est homme parce que la forme de Dieu a assumй la forme de l’homme". Mais on ne peut parler de l’un et l’autre en ce qui est une seule rйalitй. Donc le Verbe incarnй n’est pas une seule rйalitй, mais deux.

2. De mкme que dans les trois personnes divines dans une unique nature, de mкme il y a deux natures dans l’unique personne du Verbe incarnй. Mais on dit que les trois personnes sont un а cause de l’unitй de nature. Donc il faut dire que le Verbe incarnй est deux en raison de la dualitй de ses natures.

3. Saint Augustin йcrit Contre Fйlicien: "Le Fils de Dieu est une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre". Mais partout oщ il y aune rйalitй et une autre, il y a bien deux rйalitйs. Donc le Verbe incarnй est deux, selon qu’il est Fils de Dieu et Fils de l’homme.

4. Ce qui est un quant au sujet (suppфt), devient autre qu’il n’йtait, dans la succession du temps, en raison de la modification des accidents. On dit par exemple que Socrate devient un vieillard, alors qu’il йtait un enfant. Ainsi, de mкme qu’une diffйrence accidentelle rend autre, de mкme une diffйrence substantielle produit une autre chose. Donc si le mкme sujet (suppфt) pouvait passer d’une diffйrence substantielle а l’autre, il serait une rйalitй et une autre chose. Pour la mкme raison, si un mкme sujet (suppфt) possйdait а la fois deux diffйrences substantielles, il serait а la fois une rйalitй et une autre chose. Mais comme l'йcrit Boиce dans le livre Des deux natures, avoir deux natures, c’est possйder deux diffйrences substantielles; car la nature, c’est la diffйrence spйcifique qui donne sa forme а chaque rйalitй. Donc le Verbe incarnй est а la fois une rйalitй et une autre chose. Et ainsi il est а la fois deux rйalitйs.

5. Chaque rйalitй est ce qu’on lui attribue en vйritй. Mais ce nom, "homme", attribue une rйalitй au Verbe incarnй, et ce nom, "Dieu", une autre. Car l’un et l’autre nom attribue ce qu’il signifie. En effet, de mкme que, selon le Philosophe (Le prйdicament substance), ce nom "blanc" ne signifie rien d’autre que la qualitй, de mкme ce nom "homme", ne signifie rien d’autre que l’humanitй, qui est distincte de la divinitй, que signifie ce nom: "Dieu". Donc le Verbe incarnй est une rйalitй et une autre. Et ainsi il est deux rйalitйs.

6. Cependant il disait que le nom, d'"homme", inclut dans sa signification le sujet (suppфt) de l’homme, qui n’est autre que le sujet (suppфt) de Dieu. Et c’est pourquoi le Verbe incarnй, selon qu’il est homme et Dieu, n’est pas une rйalitй et une autre. — Mais en sens contraire, la diversitй des rйalitйs ne requiert pas qu’elles soient diverses quant а tout ce qui se trouve en elles. Mais il suffit qu’elles soient diverses d’un certain point de vue. Car l’homme et l’вne ont en commun l’animalitй, mais ils se distinguent par la diffйrence qui oppose le raisonnable et l’irrationnel. Pour que ce nom, homme, attribue autre chose que ce nom, Dieu, il suffit donc que la nature signifiйe soit diffйrente, bien que le sujet (suppфt) soit identique.

7. En tant que Dieu le Verbe incarnй est une rйalitй une d’une unitй incrййe; en tant qu’homme, au contraire, il est une rйalitй une d’une unitй crййe. Mais une unitй crййe et une unitй incrййe font deux unitйs. Donc le Verbe incarnй est deux rйalitйs.

8. Si le Verbe incarnй est une rйalitй seulement, il s’ensuit qu’il est ceci et non autre chose. Donc si le consйquent s’avиre faux, et que l’on ne puisse pas dire que le Verbe incarnй soit homme et non une autre chose, il en rйsulte qu’on ne peut dire que le Verbe incarnй soit une rйalitй seulement. Mais cette proposition est fausse: le Verbe incarnй est seulement homme. Donc le Verbe incarnй est homme et une autre chose. Et ainsi le Verbe incarnй est deux rйalitйs.

9. Cette proposition, "le Verbe incarnй est Dieu et homme", est une proposition composйe, puisqu'elle elle porte sur un prйdicat contenant une copule. Mais ce genre de proposition attribue toujours plusieurs rйalitйs. Donc le Verbe incarnй n’est pas une rйalitй seulement, mais plusieurs.

10. Le Philosophe йcrit dans le VIII° livre des Mйtaphysiques que, de plusieurs rйalitйs dont l’une n’est pas en puissance а l’autre, il ne rйsulte pas une rйalitй unique, mais plusieurs. Ainsi, si je dis: "l’homme est un animal bipиde", j’attribue а l’homme quelque rйalitй d’unique; ce qui n'est pas le cas si je dis: "Socrate est un musicien blanc" Mais l’humanitй et la divinitй ne se trouvent pas dans le rapport de puissance а acte. Donc quand on dit: le Verbe incarnй est Dieu et homme, on ne pose pas une rйalitй unique, mais plusieurs. Et ainsi le Verbe incarnй n’est pas une seule rйalitй, mais deux.

11. On dit qu'une rйalitй est un sujet (suppфt) si elle est subsistante. Mais le Fils de l’homme a une raison de subsister, et le Fils de Dieu en a une autre. Donc il y a deux sujets (suppфt) distincts. Et ainsi le Verbe incarnй n'est pas une rйalitй, mais deux.

12. La diffйrence conduit а la pluralitй Mais il y a une diffйrence souveraine entre la nature humaine et la nature divine. Donc le Verbe incarnй est au plus haut point deux rйalitйs.

13. Rien de ce qui est un ne peut participer а des propriйtйs contraires. Mais dans le Verbe incarnй se rйunissent des propriйtйs contraires. Ainsi, l’кtre йternel est nй dans le temps; l'кtre infini est circonscrit dans un lieu; et autres de ce genre. Ainsi, le Verbe incarnй ne peut кtre une rйalitй, mais deux.

14. Le Verbe incarnй est homme. Mais l’homme est l’humanitй, car l’essence de la rйalitй est identique а ce dont elle est l’essence, comme l'йcrit Aristote au VIII° livre des Mйtaphysiques. Donc le Verbe incarnй est sa propre humanitй. Il est aussi sa divinitй. Donc, comme l’humanitй n’est pas la divinitй, il s’ensuit que le Verbe incarnй n’est pas un, mais deux rйalitйs.

 

 

Cependant:

1. On a montrй avec йvidence а l’article prйcйdent que le Verbe incarnй n’est pas deux personnes (ni deux hypostases, ni deux sujets ou suppфt). Il n'est p non plus deux natures, car on ne lui attribue pas la nature humaine. Donc le Verbe incarnй n’est pas deux rйalitйs.

2. Dans son livre De l’unitй et de l’un, Boиce dit que toute rйalitй est, parce qu’elle possиde une unitй numйrique. Si donc le Verbe incarnй n’est pas un, il s’ensuit qu’il n’est pas un йtant.

3. Les rйalitйs qui s’attribuent l’une а l’autre ne font pas nombre. Mais l’homme et Dieu s’attribuent l’un а l’autre dans le Verbe incarnй. Donc le Verbe incarnй n’est pas deux, en tant qu'il est Dieu et homme, mais un.

4. On a montrй plus haut que l’union de la nature divine et de la nature humaine dans le Verbe incarnй est plus intime que l’union de l’accident et du sujet. Mais le Philosophe montre que l’accident et le sujet ont une unitй numйrique. Donc, а bien plus forte raison, le Verbe incarnй est une seule rйalitй, en tant qu’il est Dieu et homme.

5. Dans le Symbole, saint Athanase йcrit du Verbe incarnй: "Bien qu’il soit Dieu et homme, cependant le Verbe incarnй n’est pas deux, mais un."

6. Ce qui est devenu un, est un: de mкme, ce qui est devenu blanc, est blanc Mais selon Hugues, au livre Des Sacrements, le Verbe de Dieu est devenu une seule rйalitй avec l’homme. Donc le Verbe incarnй, existant comme Dieu et comme homme, est une seule rйalitй.

7. L’unitй est ce par quoi on dit de chaque rйalitй qu’elle est une. Mais aprиs l’unitй de la sainte Trinitй, la plus grande unitй est celle du Verbe incarnй. Donc le Verbe incarnй est souverainement un.

 

Rйponse:

La coutume veut qu'on mette la personne au genre masculin, qui est formй. C’est pourquoi il est manifeste que le Verbe incarnй n’est pas deux au masculin, mais un seul. Car dans le Verbe incarnй il n’y a pas deux personnes, mais une seule.

Certains cependant, ont posй dans le Verbe incarnй une seule personne, mais deux sujets (suppфt ou hypostases): l’un du Fils de Dieu, l’autre du Fils de l’homme. En consйquence, s’ils ne disaient pas que le Verbe incarnй fыt deux au masculin, en raison de l’unitй de personne. Ils disaient cependant qu'il йtait deux rйalitйs, en raison de la dualitй des sujets (suppфt). Mais, comme on l’a montrй, cette opinion s’oppose а la vйritй de la foi. Aussi, sans nous y attarder, faut-il considйrer si, йtant supposй que dans le Verbe incarnй il y a une seule hypostase et un seul sujet ou suppфt, il faut dire que le Verbe incarnй est deux rйalitйs, ou une seule.

On peut le montrer avec йvidence en considйrant ceci. On dit un, de maniиre dйnominative, ce qui possиde l’unitй, comme on appelle blanc ce qui possиde la blancheur, ou en est le sujet. Pour la mкme raison, on dit "multiple" de maniиre dйnominative une "multitude", et "deux", une "dualitй". Par ailleurs, l’un est convertible avec l’йtant. Dиs lors, de mкme qu’il y a l’кtre accidentel et l’кtre substantiel, de mкme on dit qu’une rйalitй est une ou multiple 1° soit selon la forme accidentelle, 2° soit selon la forme substantielle.

1° On dit qu’une rйalitй est multiple selon les formes accidentelles, si elle est sujet de diverses formes accidentelles, soit successivement, soit simultanйment. Successivement, comme Socrate assis est autre que Socrate debout. Aussi Socrate, en tant qu’il est d’abord debout et ensuite assis, est-il multiple successivement. Simultanйment, comme Socrate, en tant qu’il est blanc et musicien, est multiple.

En effet, si "animal bipиde", que l’on attribue а Socrate, est une seule rйalitй et non plusieurs, cela provient du fait que l’un des deux est avec l’autre dans le rapport de puissance а acte comme il est йcrit au VIII° livre des Mйtaphysiques. Au contraire, "blanc" et "musicien" ne se trouvent pas dans ce rapport. Et c’est pourquoi Socrate, en tant qu’il est blanc et musicien, est multiple, non certes purement et simplement mais sous un certain rapport. De mкme aussi, selon les accidents, on dit qu’une rйalitй est sous un certain rapport, et non purement et simplement.

2° Selon la substance, au contraire, on dit qu’une rйalitй est une et multiple purement et simplement, comme on dit que c’est un йtant. Mais, selon le Philosophe, au V° livre des Mйtaphysiques, on parle de substance de deux maniиres: (pour dйsigner) le sujet (suppфt), qui ne s’attribue pas а un autre; et la forme ou nature de l’espиce, qui s'attribue au sujet (suppфt).

Et en aucun de ces deux sens, assurйment, chez les pures crйatures, la substance n’est а la fois une et multiple. En effet l’essence de sujets (suppфt) divers n’est pas numйriquement une, et on ne trouve dans les pures crйatures aucun sujet (suppфt) unique ayant deux substances naturelles. Mais le second de ces deux cas se rйalise exclusivement dans le Verbe incarnй; et le premier, exclusivement dans les trois personnes divines.

On peut donc bien йvidement dire que le Verbe incarnй est, de quelque maniиre, une seule rйalitй, parce qu’il est un quant au sujet (suppфt); mais il est aussi, d'une autre maniиre multiple, ou deux, parce qu'il a deux natures; Cela se rйalise dans le Verbe incarnй beaucoup plus que dans Socrate, а qui on attribue l’unitй en tant qu’il est un par le sujet; et la multiplicitй en tant qu’il est blanc et musicien.

Mais il faut aussi considйrer laquelle de ces deux attributions se fait purement et simplement; et laquelle se fait d’un certain point de vue. Ainsi, il faut savoir qu’on dit qu’une rйalitй est telle simplement et proprement, quand elle l’est selon elle-mкme. Et on dit qu’une rйalitй est selon elle-mкme ce qu’elle est selon le tout, plutфt que ce qu’elle est selon la partie. Car la partie n'est pas purement et simplement identique au tout. Or comme ipse, "lui-mкme", est un rйciproque, c’est un relatif d’identitй. Et c’est pourquoi ce qui convient а quelque rйalitй selon le tout lui convient purement et simplement, de prйfйrence а ce qui lui convient selon la partie.

Dиs lors, si quelque rйalitй est de nature а convenir а quelqu’un selon le tout et la partie, et que cela lui convienne seulement selon la partie, on dit que cela lui convient sous un certain rapport, et non purement et simplement, comme si l’on disait: cet Ethiopien est blanc, parce qu’il a les dents blanches. Mais il en va autrement de ce qui n’est susceptible de se trouver en lui que selon la partie: on dit purement et simplement qu’un homme est frisй, s’il a les cheveux frisйs.

Or, il est manifeste que le sujet (suppфt) est signifiй par mode de tout, la nature, par mode de partie formelle, ainsi qu'il est patent d’aprиs ce qu’on a dit plus haut. C’est pourquoi, comme l’un et le multiple peuvent se rйfйrer au sujet (suppфt) et а la nature, si un sujet unique a plusieurs natures substantielles, il sera de toute йvidence un purement et simplement, et multiple d’un certain point de vue.

Un signe de cette vйritй, c’est que les rйalitйs qui diffиrent par le sujet (suppфt), et sont unes en ce qui appartient par soi а la nature, sont certes multiples purement et simplement, mais unes par le genre et l’espиce. Aussi, а l’inverse, si un sujet (suppфt) unique a des natures diverses, i il sera un purement et simplement, et multiple sous un certain rapport. Donc, comme nous l'avons dit, puisque le Verbe incarnй est un sujet (suppфt) ayant deux natures, il s’ensuit qu’il est un purement et simplement, et qu'il est deux sous un certain rapport.

 

Solutions

1. Cette parole de saint Augustin, "l’un et l’autre est Dieu et l’un et l’autre est homme", ne doit pas кtre appliquй а une dualitй de sujets (suppфt), en vertu de laquelle on dirait que le Verbe incarnй est purement et simplement deux; mais cela doit кtre appliquй а la dualitй des natures signifiйes par deux noms: "Dieu" et "homme." Car on attribue а Dieu ce qui est humain et ce qui est divin: et а l’homme on attribue aussi ce qui est divin et ce qui est humain.

2. Les trois personnes divines sont tout а fait identiques, quant а la rйalitй, а l’essence divine et rien ne s’ajoute dans la Personne а la nature divine pour produire quelque diversitй substantielle. C’est pourquoi, du fait que les trois personnes ont en commun la nature divine, elles sont une seule rйalitй purement et simplement. Mais il n’en va pas de mкme dans le rapport de la nature humaine а la personne divine. Aussi n’y a-t-il pas de comparaison.

3. Dans le Verbe incarnй, on dit que le Fils de l’homme est une rйalitй, et le Fils de Dieu une autre, du fait que chacun de ces deux noms attribue au Verbe incarnй une nature diffйrente non qu’il soit deux sujets (suppфt) distincts, ce qui ferait que le Verbe incarnй serait purement et simplement deux rйalitйs. En effet, si le sujet (suppфt) humain et le sujet (suppфt) divin йtaient diffйrents, ils diffйreraient nйcessairement substantiellement.

4. Si le sujet (suppфt) demeure le mкme, les diffйrentes formes inhйrent soit au mкme moment soit а des moments diffйrents ne produisent pas autre chose purement et simplement. Ceci n’arrive qu’en raison du sujet (suppфt), quand le sujet (suppфt) est.

5. Dans le nom "blanc", on entend la blancheur et le sujet de la blancheur; mais on entend la blancheur, de maniиre dйterminйe; on entend le sujet de la blancheur, de maniиre indйterminйe. Car quand on dit: "le blanc", on entend une rйalitй informйe par la blancheur, mais sans dйterminer de quelle rйalitй il s’agit; en revanche, on dйtermine la forme. De mкme aussi, quand on dit: "homme" ou quelque autre nom dйsignant une substance, on entend un "йtant ayant l’humanitй". Mais une rйalitй est dйterminйe а une espиce par son essence ou par sa nature, pas par ses accidents. Aussi dans ce nom "homme", on entend de maniиre dйterminйe ce qui a l’humanitй, plutфt que dans ce nom "blanc", on n’entend ce qui a la blancheur. Or ce qu’on entend par le nom d’une maniиre dйterminйe, est proprement ce que signifie le nom. Ce nom "homme" signifie donc plutфt le sujet (suppфt) de l’humanitй que ce nom "blanc", le sujet de la blancheur. Pourtant ce nom, "homme", ne signifie pas non plus le sujet (suppфt) de l’humanitй selon qu’il est dйterminй dans sa singularitй, mais seulement en tant qu'il est dйterminй par la nature de l’espиce Donc, puisque le sujet (suppфt) de nature humaine et divine dans le Verbe incarnй, selon qu’on le prend comme distinct dans sa singularitй, est un seul et le mкme en deux natures dйterminйes, il est certes purement et simplement une seule rйalitй en lui-mкme; mais sous un certain rapport, en tant qu’il a deux natures, il est deux rйalitйs.

6. Pour qu’une rйalitй soit autre chose qu’une autre, il n’est pas nйcessaire qu’elle s’en distingue selon le tout; mais pour qu’elle soit autre chose purement et simplement, il faut qu’elle s’en distingue selon elle-mкme.

7. On ne peut pas conclure que le Verbe incarnй est deux rйalitйs du fait que l’unitй crййe n’est pas l’unitй incrййe. On peut seulement conclure qu’il subsiste dans une double unitй, comme il subsiste dans une double nature.

8. Si le Verbe incarnй йtait cette rйalitй unique qu’est un homme, il s’ensuivrait qu’il serait une seule rйalitй а tout point de vue, c’est-а-dire aussi bien selon la nature que selon le sujet (suppфt). Mais du fait que le Verbe incarnй est une rйalitй — ce qu’est un homme—, et autre chose —ce qu’est Dieu —, il s’ensuit qu’il est deux rйalitйs selon la nature; mais il ne s'ensuit pas qu’il soit deux absolument et simplement, en raison de l’unitй de sujet (suppфt).

9. Ce qui reзoit plusieurs prйdicats dans une proposition incluant plusieurs prйdicats unis par une copule n’est pas nйcessairement plusieurs rйalitйs purement et simplement; autrement Socrate serait plusieurs rйalitйs purement et simplement, s’il est blanc et musicien. Ainsi si le Verbe incarnй est Dieu et homme, il n’est pas nйcessairement deux rйalitйs purement et simplement.

10. De la nature divine et de la nature humaine il ne rйsulte pas une rйalitй unique selon la nature; cependant elles concourent а un unique sujet (suppфt), en raison duquel le Verbe incarnй est une seule rйalitй.

11. Le Verbe incarnй n’est pas nйcessairement deux fils du fait qu’il est nй du Pиre selon une raison formelle et de sa mиre selon une autre raison formelle. De mкme aussi, il n’est pas nйcessairement deux selon le sujet (suppфt), du fait qu'il subsiste selon une raison de subsister diffйrente en tant que Dieu et en tant qu'homme.

12. La diffйrence souveraine qui sйpare la nature humaine de la nature divine montre qu’il ne peut y avoir une seule nature de Dieu et de l’homme. Mais il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse y avoir un unique sujet (suppфt) de l’une et l’autre nature.

13. Des diffйrences contraires et opposйes peuvent exister dans le mкme (sujet) selon des points de vue divers. Ainsi l’homme est selon l’вme incorruptible, et selon le corps corruptible. Ainsi, dans le Verbe incarnй, certaines propriйtйs opposйes coexistent selon la nature humaine et la nature divine.

14. Cette proposition: "l’homme est l’humanitй" est fausse. En effet l’un et l’autre de ces termes ne signifie pas exactement la mкme rйalitй. Le Philosophe йcrit au VII° livre des Mйtaphysiques, que ce qu’est une rйalitй, c’est-а-dire l’essence de chaque rйalitй, lui est identique quant а ce qui est par soi, non quant а ce qui est par accident. C’est pourquoi tout ce а quoi il peut advenir quelque rйalitй, en plus de la nature de son essence, n’est pas tout а fait identique а son essence. Or beaucoup de rйalitйs adviennent а l’homme, en plus de l’essence de son espиce. Aussi, de toute йvidence, l’homme n’est pas exactement la mкme rйalitй que l’humanitй. Car on appelle humanitй ce par quoi on est homme, et ainsi ce terme inclut dans sa signification cela seul qui appartient а l’essence de l’espиce. Mais on appelle homme l'individu qui possиde l’humanitй et en qui se trouvent encore beaucoup d’autres rйalitйs, entre autre l’essence de l’espиce.

 

ARTICLE 4: LE VERBE INCARNE EST-IL UN SEUL КTRE?

 

Objections:

Il semble que non.

1. Dans le Verbe incarnй, il y a un кtre divin et un кtre humain qui ne peuvent кtre un seul кtre, car l’кtre ne se dit pas de maniиre univoque de Dieu et des crйatures. Ce prouve que dans le Verbe incarnй il n’y a pas un seul кtre, mais deux кtres.

2. A chaque forme correspond son кtre. Autre chose en effet est d’кtre blanc, autre chose d’кtre homme. Mais dans le Verbe incarnй il y a deux formes, car, comme le dit (l’Apфtre) aux Philippiens 2, 7: "Lui qui йtait dans la forme de Dieu, il a pris la forme d’esclave". Cependant il n’a pas abandonnй la forme de Dieu. Donc il y a dualitй d’кtre dans le Verbe incarnй.

3. Le Philosophe dit dans le livre De l’вme, "vivre, pour les vivants, c’est кtre". Mais dans le Verbe incarnй il y a une double vie а savoir la vie humaine, dont il fut privй par la mort; et la vie divine, dont la mort n’a pu le priver. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement un кtre, mais deux кtres.

 

Cependant:

Le Verbe incarnй est un purement et simplement, comme on l’a montrй plus haut. Or Tout ce qui est un purement et simplement est un selon l’кtre. Donc il y a bien en lui un seul кtre.

 

Rйponse:

La rйponse а cette question trouve son principe, d’une certaine maniиre, dans le mкme que la prйcйdente. En effet, c'est а cause du mкme principe qu’on dit qu’une rйalitй est une, et qu’elle est un йtant. En effet, l’кtre se dit au sens propre et en vйritй du sujet (suppфt) subsistant. Car si l’on dit que les accidents et les formes non subsistantes sont, c’est en tant que par eux quelque rйalitй subsiste. Ainsi on dit que la blancheur est un йtant, en tant que par elle quelque rйalitй est blanc. Or il y a certaines formes en vertu desquelles quelque rйalitй est un йtant, non purement et simplement, mais sous un certain rapport, comme c’est le cas de toutes les formes accidentelles. En revanche, il est d’autres formes par lesquelles une rйalitй subsistante possиde l’кtre purement et simplement car elles constituent l’кtre substantiel de cette rйalitй subsistante. Or dans le Verbe incarnй, le sujet subsistant, c’est la personne du Fils de Dieu, laquelle trouve purement simplement son кtre substantiel par la nature divine, et non par la nature humaine. Car, avant qu'elle assumer l’humanitй, la personne du Fils de Dieu йtait. Sa personne n’a reзu aucun accroissement ni aucun perfectionnement du fait qu'elle a assumй la nature humaine. Mais le sujet (suppфt) йternel est substantifiй par la nature humaine, en tant qu'il est cet homme. C’est pourquoi, de mкme que le Verbe incarnй est une seule rйalitй purement et simplement en raison de l’unitй de sujet (suppфt), et deux sous un certain rapport, en raison de ses deux natures; de mкme il possиde un кtre unique purement et simplement en raison de l’unique кtre йternel du sujet (suppфt) йternel.

Il y a cependant aussi un autre кtre de ce sujet (suppфt) non en tant qu'il est йternel, mais en tant qu’il s’est fait homme dans le temps. Cet кtre, assurйment, n’est pas un кtre accidentel, car ce n’est pas par accident que l’on attribue "homme" au Fils de Dieu comme on l’a dit plus haut. Cependant, ce n’est pas l’кtre principal de son sujet (suppфt), mais un кtre secondaire.

Au contraire, s’il y avait dans le Verbe incarnй deux sujets (suppфt), alors l’un et l’autre sujet (suppфt) possйderait un кtre propre qui serait son кtre principal. Et ainsi dans le Verbe incarnй il y aurait un кtre double purement et simplement, ce qui est aberrant.

 

Solutions:

1. L’кtre de la nature humaine n’est pas l’кtre de la (nature) divine. Cependant il ne faut pas dire purement et simplement que le Verbe incarnй soit deux selon l’кtre; car le sujet (suppфt) йternel ne regarde pas а йgalitй l’un et l’autre кtre.

2 et 3. Et il faut rйpondre de la mкme maniиre aux autres objections.

 

ARTICLE 5: LE VERBE INCARNE A-T-IL UNE SEULE OPЙRATION OU DEUX?

 

Objections:

Il semble qu'il y a une seule opйration dans le Verbe incarnй.

1. Dans sa Lettre au moine Gaпos, Denys йcrit: "Dieu, aprиs qu'il se soit fait homme, a vйcu avec une certaine opйration nouvelle de Dieu et de l’homme." Mais il n’y aurait pas "une opйration nouvelle de Dieu et de l’homme", si l’opйration de l’un et de l’autre n’йtait pas unique. Donc il y a une seule opйration de Dieu et de l’homme dans le Verbe incarnй.

2. Ce qui concourt а une mкme opйration, ne diversifie pas l’opйration. Mais la divinitй et l’humanitй dans le Verbe incarnй concourent а une mкme opйration: ainsi, deux choses concourent а la guйrison du lйpreux: la vertu divine et le contact de la chair.

3. C'est par un certain principe d’action que l’action procиde de l’agent; exemple: la calйfaction procиde du feu par la chaleur. Donc pour comprendre la multiplicitй et l’unicitй de l’action, il faut la considйrer soit du cфtй de l’agent, soit du cфtй du principe par lequel l’agent agit. Mais le nombre des actions du Verbe incarnй ne se prend pas du cфtй du principe par lequel l’agent agit; car s’il en йtait ainsi, il y aurait beaucoup plus de deux actions dans le Verbe incarnй, selon la multiplicitй des puissances de son вme. Il faut donc dire qu’il y a une seule action dans le Verbe incarnй, а cause de l’unique sujet (suppфt) qui agit.

4. L’agent principal et l’instrument ont une seule et mкme action. Exemple: couper est l’action du charpentier et de la scie. Mais, comme l'йcrit saint Jean Damascиne au III° livre De la Foi Orthodoxe, l’humanitй dans le Verbe incarnй est l’organe de la divinitй. Donc, dans le Verbe incarnй, il n’y a qu’une seule et mкme action de la divinitй et de l’humanitй.

5. L'action appartient aux sujets. Or dans le Verbe incarnй il n’y a pas d’autre sujet (suppфt) que le sujet (suppфt) йternel. Et l’on ne peut dire que celui-ci agisse par la vertu de la nature humaine; car s’il en йtait ainsi, il recevrait quelque rйalitй de la nature humaine, et il possиderait de l’кtre et de l’actualitй de par la nature humaine. Car chaque rйalitй agit en tant qu’elle est un йtant en acte. Donc il n’y a dans le Verbe incarnй aucune action qui ne s’exerce par la vertu de la nature divine. Donc il n’y a pas dans le Verbe incarnй deux actions selon ses deux natures, divine et humaine.

6. Le sujet (suppфt) est plus йtroitement uni а la nature divine que l’opйration. Mais la nature humaine du Verbe incarnй ne possиde pas de sujet (suppфt) propre, du fait de son union а la nature divine. Donc а plus forte raison elle n’a pas d’opйration propre. Donc dans le Verbe incarnй il n'y a pas deux opйrations.

7. c'est le composй qui agit. Or affirmer que l’вme fait acte d’intellection revient au mкme que de dire qu’elle tisse ou construit, comme l'йcrit le Philosophe dans le I° livre De l’вme. Mais il n’y a dans le Verbe incarnй qu’une seule personne, dans laquelle il y a composition d’humanitй et de divinitй. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a qu'une seule opйration.

8. L’intellection est la premiиre et la principale opйration de la nature intellectuelle. Mais l’intellection demeure dans le sujet lui-mкme et n’est pas une opйration passant dans une nature extйrieure. Or agir est le fait du sujet (suppфt) et, dans le Verbe incarnй il n’y a qu’un seul sujet (suppфt) incrйй, qui est simple. Donc il semble que dans le Verbe incarnй il ne puisse y avoir deux opйrations intellectuelles puisque dans une rйalitй simple unique il ne peut y avoir deux intellections,.

9. L’opйration de n’importe quelle rйalitй est consйcutive а ce qui lui est propre. Mais les deux natures dans le Verbe incarnй se communiquent mutuellement leurs idiomes, c’est-а-dire leurs propriйtйs, en raison de l’unitй de leur unique sujet (suppфt), comme le dit saint Jean Damascиne. Donc pour la mкme raison, il y a en lui communication des opйrations; et ainsi les opйrations ne se distinguent pas d’aprиs la distinction des natures.

10. Toutes les opйrations d’un seul homme se rapportent а un premier principe unique qui est la volontй. En effet, c'est elle qui meut toutes les autres puissances а agir. Mais on peut poser de la mкme maniиre un premier principe dans le Verbe incarnй. Il s'agit de la divinitй, par laquelle son humanitй йtait mue. Et ainsi les opйrations de l’humanitй se rйfиrent en lui а la divinitй comme а leur premier principe. Donc il n'y a qu'une seule opйration dans le Verbe incarnй.

11. Saint Athanase йcrit: "Comme l’вme raisonnable et le corps sont un seul homme, ainsi Dieu et l’homme sont un seul Verbe incarnй". Mais l’opйration du corps humain, ou de l’вme raisonnable est appelйe une opйration humaine. Donc dans le Verbe incarnй on doit appeler une opйration christique l’opйration tant de la divinitй que de l’humanitй. Et ainsi, comme il n'y a qu'un seul Verbe incarnй, il n’y aura dans le Verbe incarnй qu'une seule opйration.

12. Toute opйration procиde de quelque forme ou vertu. Mais l’agent principal ne donne aucune forme ou vertu а son instrument. Donc l’instrument n’exerce aucune opйration en tant qu’il est un instrument. Or saint Jean Damascиne dit que la nature humaine du Verbe incarnй йtait l’organe de la divinitй. Donc 1a humaine dans le Verbe incarnй n’exerce aucune opйration. On en conclut que, dans le Verbe incarnй, il n’y a qu'une seule opйration qui est celle de sa divinitй.

13. L’action informe l’agent. Mais dans le Verbe incarnй il n’y a qu’un seul sujet (suppфt), le sujet (suppфt) йternel. Ce sujet йternel ne peut кtre informй par une opйration crййe. Or agir appartient au sujet (suppфt); il semble donc que dans le Verbe incarnй il n’y a aucune opйration crййe et qu'ainsi, en lui, il n’y a qu’une seule opйration incrййe.

14. Un seul (sujet) a une seule opйration. Mais, comme on l’a dit plus haut, le Verbe incarnй est un, а parler purement et simplement. Donc, il y a une seule opйration dans le Verbe incarnй.

 

Cependant:

1. Un dйcret du VI° concile oecumйnique йcrit: "Nous honorons deux opйrations naturelles, sans division, sans changement, sans confusion et sans sйparation, dans le mкme Seigneur Jйsus-Christ notre vrai Dieu, а savoir l’opйration divine et l’opйration humaine".

2. Au III° livre De la Foi Orthodoxe, saint Jean Damascиne йcrit: "Nous disons qu'il y a deux actions dans le Seigneur: en effet, il possиde une action divine en tant qu'il est consubstantiel au Pиre; et il possиde, l’action de la nature humaine en tant qu’il s’est fait homme ".

3. Comme il y a dans la Trinitй une seule nature en trois personnes, de mкme il y a dans le Verbe incarnй deux natures en une seule personne. Mais la Trinitй tout entiиre a une opйration unique, en raison de l’unitй de nature. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux opйrations en raison de l'existence de deux natures.

4. Au livre Des deux natures, Boиce йcrit que la nature est ce qui peut agir et pвtir; et ainsi l’action suit la nature. Mais il y a dans le Verbe incarnй deux natures et par consйquent deux actions.

5. L’opйration suit la vertu, et la vertu suit l’essence, qui est la nature de la rйalitй. Donc lа oщ il y a deux natures, il y a deux vertus, et par consйquent deux opйrations. Et ainsi dans le Verbe incarnй il n’y a pas une seule, mais deux opйrations.

 

Rйponse:

On peut regarder l’unitй ou la pluralitй de l’action sous deux rapports:

1° D’un premier point de vue, on peut la regarder du cфtй du sujet qui agit. Et, sous ce rapport, on envisage l’unitй ou la pluralitй de l’action selon le nombre. De mкme aussi, n’importe quel autre accident tient son unitй ou sa pluralitй numйrique de son sujet. Car cette vision ou cette audition de Socrate est numйriquement distincte de la vision ou de l’audition de Platon.

2° D’un autre point de vue, on peut regarder l’unitй ou la pluralitй de l’action du cфtй du principe par lequel l’agent opиre. Et de la sorte, on dit que l’action est une ou multiple selon son espиce ainsi, la vision et l’audition sont des opйrations spйcifiquement diffйrentes: en effet, l’action procиde de l’agent selon la raison de la vertu par laquelle il agit.

Et ceci ne s’oppose pas au fait que les actions sont spйcifiйes par leur objet; car les vertus dйterminйes regardent des objets dйterminйs.

Cependant, il faut considйrer que si une vertu, qui est principe d’action, est mue par une autre vertu supйrieure, l’opйration qui en procиde n’est pas seulement une action, mais aussi une passion puisqu'elle procиde d’une vertu qui est mue par un principe supйrieur. Mais chez l’homme, toutes les vertus de la partie sensitive sont mues de quelque maniиre par la volontй comme par une sorte de premier principe. C’est pourquoi entendre, voir, imaginer, dйsirer, se mettre en colиre, ne sont pas seulement des actions, mais aussi des sortes de passions, procйdant de la motion de la volontй, en tant que l’homme s’y engage par sa propre volontй. Certes, dans un homme, on constate des actions multiples, spйcifiquement diffйrentes suivant les puissances et les habitus divers; cependant, toutes procиdent d’une unique action premiиre de la volontй. Aussi on dit qu’il y a une seule action pour un homme unique. Ainsi, si un artisan unique opйrait а l’aide de nombreux instruments, on dirait que son opйration est unique.

Ceci dit, certains ont soutenu qu'il n’y a qu’une seule opйration dans le Verbe incarnй, du fait que la nature humaine est en lui soumise а l’action divine, et est mue par elle. Et ainsi l’action de la nature humaine, par comparaison avec l’opйration divine, offre plutфt le caractиre d’une passion. Aussi, ils disaient qu'en considйration de la vertu de l’action divine, que dans le Verbe incarnй il n’y a qu’une seule action.

Mais cette thйorie n’est pas conforme а la raison et ce pour deux motifs:

1° Parce que toute vertu qui n’a pas la maоtrise de son acte est mue par un agent supйrieur de telle sorte qu’elle n’agit pas elle-mкme, mais plutфt subit une action. C'est pourquoi le Philosophe йcrit dans les Ethiques que la facultй sensitive n’est principe d’aucune action. Mais la volontй qui est la puissance qui jouit de la maоtrise de son acte, est mue par un principe supйrieur, c’est-а-dire par Dieu, de telle sorte que non seulement elle subit une action, mais encore elle l’exerce. Or le Verbe incarnй, selon la nature humaine, possиde une puissance crййe de volontй comme aussi un intellect crйй puisque rien ne lui manque de ce qui appartient а la perfection de la nature humaine. Par consйquent, le mouvement de la volontй humaine dans le Verbe incarnй est une action, et non seulement une passion. Autrement il n’aurait pu mйriter selon la nature humaine.

2° L’opйration d’un sujet tient son espиce et son unitй d’un principe premier appartenant а la mкme nature; ainsi, la volontй, qui confиre leur unitй а toutes les actions humaines, est une sorte de principe intrinsиque а la nature humaine. Mais il n’existe pas d’action qui tire son unitй du fait qu’elle se ramиnerait а quelque principe premier d’une autre nature. Autrement, il s’ensuivrait que toutes les rйalitйs n’auraient qu’une action unique, puisqu’il n’y a qu’un premier Principe unique qui meut toutes rйalitйs, а savoir Dieu.

Donc, bien que dans le Verbe incarnй la nature humaine est mue par la nature divine, cependant, puisqu’il y a deux natures distinctes, il y aussi deux actions, et ce de toute nйcessitй. Si l’on pose une seule action dans le Verbe incarnй, il s’ensuit qu’il n’y a en lui qu’une seule nature et une seule volontй. C'est pourquoi cette position hйrйtique a йtй condamnйe au VI° concile њcumйnique.

 

Solutions:

1. L’opйration du Verbe incarnй selon l’humanitй est thйandrique c’est-а-dire qu'elle est divine et humaine а la fois. En effet, l’humanitй du Verbe incarnй agissait de par la vertu divine et c’est pourquoi l’action de cette humanitй йtait salutaire, comme l’instrument agit de par la vertu de l’agent principal. Et si l’on dit qu’il s’est fait une action "nouvelle", c’est parce que pour la premiиre fois il est arrivй que l’humanitй du Verbe incarnй a йtй un instrument conjoint а la divinitй en unitй de personne; mais non au sens oщ de deux actions il rйsulterait une action composйe unique.

2. Dans le Verbe incarnй, la divinitй et l’humanitй concourent а la mкme opйration sans confusion, car comme il est йcrit dans la lettre du pape Lйon, "l’une et l’autre nature opиre ce qui lui est propre en communion avec l’autre nature". Ainsi la vertu divine guйrissait le lйpreux par le contact du corps humain, qui au mкme moment recevait son efficacitй de la vertu divine.

3. Dans le Verbe incarnй, en raison de l’unitй de leur principe connaturel, la volontй, toutes les actions appartenant а la nature humaine se ramиnent а une seule action. Il n’en va pas de mкme de la divinitй et de l’humanitй, comme on l’a dit.

4. La nature humaine du Verbe incarnй n’est pas un instrument tel qu’il subisse seulement une action. Mais elle est aussi principe d’action, puisqu'elle possиde la maоtrise de ses actes.

5. Une rйalitй agit par la vertu d’une autre de deux maniиres.

1° en tant qu’elle est mue par la vertu de celle-ci, comme la chaleur naturelle agit par la vertu l’вme.

2° en tant qu’un agent se sert de la vertu d’un instrument, comme l’вme voit par la vertu de l’oeil. Et c’est de cette maniиre que le sujet (suppфt) йternel agit dans le Verbe incarnй par la vertu de la nature humaine.

6. Le sujet (suppфt) est ce qui est distinct du reste. C’est pourquoi si la nature humaine avait son propre sujet (suppфt), elle rйpugnerait а l’union personnelle. Mais l’opйration n'implique aucune raison formelle de distinction. Ainsi le raisonnement ne tient pas.

7. Les opйrations appartiennent au composй de plusieurs rйalitйs, rйuni dans une seule nature. Mais telle n’est pas la composition de l’humanitй et de la divinitй dans le Verbe incarnй. Ainsi le raisonnement ne tient pas.

8. L’opйration intellectuelle est intrinsиque а l’intellect. Or il y a dans le Verbe incarnй deux intellects, а savoir l’intellect crйй et l’intellect incrйй. C’est pourquoi dans le Verbe incarnй il y a deux opйrations intellectuelles.

9. Il y a communication des idiomes dans le Verbe incarnй, non en ce sens qu’il y aurait quelque confusion des propriйtйs naturelles, mais parce que les propriйtйs de l’une et l’autre nature se disent du mкme sujet (suppфt). Et c’est dans le mкme sens qu’il y a communication des opйrations car c’est au mкme sujet (suppфt) (le Verbe incarnй) qu’on attribue la mкme opйration, divine et humaine.

10. Le cas n’est-il pas semblable car la volontй est le principe connaturel aux autres puissances de l’вme. Au contraire, la divinitй n’est pas connaturelle а l’humanitй.

11. Saint Athanase parle ici de l’unitй de personne, et non l’unitй de nature. En effet l’вme et le corps s’unissent en une seule personne et en une seule nature et c’est pourquoi on dit qu'il y a une seule opйration humaine. Par contre, dans le Verbe incarnй, la nature divine et la nature humaine s’unissent en une seule personne, mais pas en une seule nature. Il n'y a par consйquent pas en lui une seule opйration.

12. Bien que l’agent ne donne pas toujours а l’instrument une forme ou une vertu nouvelle qui repose en lui, pourtant en tant que l’instrument est mы par l’agent, il en reзoit une certaine vertu intentionnelle par l’influx de l’agent. Cet agent produit son effet par l’instrument.

13. C'est par l’intermйdiaire de l’oeil que la vision informe l’homme. De mкme c'est par l’intermйdiaire de la nature humaine que l’action crййe informe le sujet (suppфt) йternel.

14. C'est en raison de son unique sujet (suppфt) que le Verbe incarnй est un, et il est un purement et simplement. Pourtant, il y a en lui deux natures. C'est pourquoi le Verbe incarnй est un seul agent tout en ayant en lui deux opйrations.

FIN DE LA QUESTION DISPUTЙE SUR L’UNION HYPOSTATIQUE DU VERBE INCARNЙ,

Nouvelle traduction par Jean Sйbastien, 2005

 


QU

LA QUESTION DISPUTЙE SUR

L’UNION HYPOSTATIQUE DU VERBE INCARNЙ

EN PRЙSENCE DE MAОTRE THOMAS D'AQUIN

Docteur des docteurs de l'Йglise

Nouvelle traduction par Jean Sйbastien rйalisйe en 2005

pour le site http://docteurangelique.free.fr

Les њuvres complиtes de saint Thomas d'Aquin

 

Ces cinq articles furent probablement discutйs а Viterbe entre septembre et novembre 1268.

 

ARTICLE 1: L'UNION DU VERBE INCARNЙ S’EST-ELLE FAITE DANS LA PERSONNE, OU DANS LA NATURE?  1

ARTICLE 2: LE VERBE INCARNE A-T-IL UN SEUL SUJET (HYPOSTASE OU SUPPФT) OU DEUX?_ 8

ARTICLE 3: LE VERBE INCARNE EST-IL UNE SEULE REALITE, OU DEUX?_ 14

ARTICLE 4: LE VERBE INCARNE EST-IL UN SEUL КTRE?_ 20

ARTICLE 5: LE VERBE INCARNE A-T-IL UNE SEULE OPЙRATION OU DEUX?_ 21

 

 

Vocabulaire mйtaphysique

- Nature: ce qui appartient de maniиre commune plusieurs кtres (ex: la nature humaine est commune а Jacques et Jean)

- Sujet (synonymes: suppфt –latin-, hypostase -grec-): C'est tel individu (Ex: Le "sujet" Jacques n'est pas le "sujet" Jean).

- Personne: Se dit de tout sujet (suppфt, hypostase) de nature spirituelle (Dieu, anges et hommes). Mais en Dieu, nature et sujet sont identiques.

- Essence: Ce qui constitue de maniиre profonde un кtre. (Ex: l'essence de l'вme). Elle peut dйsigner aussi l'objet ultime visй par l'intelligence dans sa quкte de la connaissance des кtres.

- Substance: Peut signifie selon le contexte 1° le sujet; 2° la personne; 3° La nature; 4° La cause et le principe des кtres et de leur unitй.

 

ARTICLE 1: L'UNION DU VERBE INCARNЙ S’EST-ELLE FAITE DANS LA PERSONNE OU DANS LA NATURE?

 

Objections:

Il semble que l'union s'est faite dans la nature.

1. Dans son Symbole, Saint Athanase йcrit: "De mкme que l’вme raisonnable et la chair sont unies pour faire un seul homme, de mкme Dieu et l’homme sont unis en un seul кtre, le Verbe incarnй." Mais l’вme raisonnable et la chair sont unies pour former une seule nature humaine. Donc, dans le Verbe incarnй, Dieu et l’homme sont unis pour former une unique nature dans le Verbe incarnй.

2. En outre, saint jean Damascиne йcrit dans le III° livre De la Foi Orthodoxe: "L’erreur des hйrйtiques consiste en ce qu’ils identifient la nature et le sujet (hypostase)." Mais leur affirmation ne paraоt pas fausse. Car dans n'importe quelle rйalitй simple, et surtout en Dieu, le sujet est identique а la nature. Donc ce que disent les hйrйtiques n’est pas faux: si l’union s’est faite dans la personne, elle s’est faite aussi dans la nature.

3. Saint jean Damascиne йcrit aussi au II° livre De la Foi Orthodoxe: "Les deux natures sont unies l'une а l’autre de maniиre non convertible et inaltйrable". Mais l’union des natures semble impliquer une union naturelle. Donc l’union s’est faite dans nature.

4. Il semble donc que l’union s'est effectuйe dans la nature. En effet, le Philosophe montre avec йvidence au VIII° livre des Mйtaphysiques que dans toute rйalitй en qui le sujet (suppфt) contient quelque rйalitй de plus que la nature de l’espиce (cela peut кtre un accident ou une nature individuelle), il est nйcessaire que le sujet (suppфt) diffиre de la nature. Mais si l’union de nature humaine avec le Verbe ne s’est pas faite dans la nature divine, elle appartiendra pas а la nature spйcifique du Verbe lui-mкme. Donc il ensuivra que le sujet (suppфt) du Verbe sera autre chose que la nature du Verbe. Or cela est impossible.

5. On peut montrer que l’union du verbe incarnй ne s’est-elle pas faite dans la personne. En effet, toute union aboutit а quelque rйalitй d’un, qui est postйrieur а l’union elle-mкme. Mais l’unitй de la personne divine est йternelle. Elle n’est donc pas postйrieure а l’union qui s’est accomplie а la plйnitude des temps historiques.

6. L’union implique une certaine addition. Aussi ne peut-il s’accomplir d’union en quelque rйalitй qui est d’une simplicitй souveraine. Mais la personne du Verbe, comme elle est vraiment Dieu, est d’une simplicitй souveraine. Aussi il ne peut s’accomplir d’union dans la personne du Verbe.

7. Deux rйalitйs qui n’appartiennent pas а un genre unique ne peuvent s’unir pour constituer quelque rйalitй: ainsi, on ne fait pas une rйalitй unique d’une ligne et de la blancheur. Mais la nature humaine diffиre beaucoup plus de la nature divine que ce qui diffиre par le genre. Donc il ne peut s’effectuer d’union а la fois de la nature humaine et de la nature divine pour constituer une seule personne.

8. La personne et la nature du Verbe diffиrent seulement selon le maniиre de les comprendre, c'est-а-dire que la personne du Verbe implique une relation d’origine, mais pas sa nature. Mais par la relation d’origine le Verbe ne se rйfиre pas а la nature humaine, mais au Pиre. Donc la personne du Verbe et sa nature sont dans le mкme rapport avec la nature assumйe. Si donc l’union s’est faite dans la personne, elle se sera faite dans la nature.

9. Le mystиre de l’incarnation vise а nous faire aimer le Dieu incarnй. Mais nous ne devons pas aimer une personne de la Trinitй plus qu'une autre. En effet, elle possиdent toute la mкme bontй et doivent recevoir le mкme amour. Donc l’union de l’Incarnation s’est accomplie dans la nature commune aux trois personnes de la Trinitй.

10. Dans le II° livre De l’вme, le Philosophe йcrit: "vivre, pour les vivants, c’est кtre". Or il y a une double vie dans le Verbe incarnй: sa vie humaine et sa vie divine. Donc il a un double кtre et par consйquent une double personne; car l’кtre appartient au sujet (suppфt), c'est-а-dire а la personne. Donc l’union ne s’est pas faite dans la personne.

11. Il y a le mкme rapport entre la forme de la partie et la matiиre, qu’entre la forme du tout et le sujet (suppфt). Mais la forme de la partie ne peut se trouver que dans une matiиre qui lui est propre. Donc la forme du tout, qui est la nature, ne peut кtre que dans un sujet (suppфt) qui lui est propre, а savoir la personne humaine. Ainsi, pour la mкme raison, la nature divine est dans la personne divine. Donc s’il y a lа deux natures, il faut qu'il y ait aussi deux personnes.

12. Tout ce qu'on attribue en vйritй а une rйalitй peut supplйer pour celle-ci. Mais on attribue en vйritй la nature divine а la personne du Verbe. Donc elle peut supplйer pour celle-ci. Si donc l’union s’est faite dans la personne, on peut dire en vйritй qu'elle s'est faite aussi dans la nature.

13. Tout ce qui est uni а une rйalitй, lui est uni soit essentiellement, soit accidentellement. Mais la nature humaine n’est pas unie au Verbe accidentellement; car s'il en йtait ainsi, elle garderait sa personnalitй, et il y aurait deux personnes. En effet toute substance qui s'unit ainsi а une autre garde sa singularitй, comme le vкtement que l’on revкt, et le cheval par rapport au cavalier. Donc, dans Verbe incarnй, il y a union essentiellement, c'est-а-dire dans l’essence ou la nature du Verbe. Donc l’union s’est faite dans la nature.

14. Rien de ce qui est compris sous autre chose ne s’йtend а quelque rйalitй d’extrinsиque; ainsi, ce qui est compris dans un lieu ne se trouve pas dans un lieu extйrieur. Mais un sujet (suppфt) de n’importe quelle nature est compris sous cette nature; c’est aussi pourquoi on l’appelle une rйalitй naturelle. Car l’individu est compris sous l’espиce, comme l’espиce sous le genre. Donc comme le Verbe est un sujet (suppфt) de nature divine, il ne peut s’йtendre а une autre nature pour en кtre le sujet (suppфt), sans qu'il s’effectue une nature unique

15. La nature a rapport au sujet (suppфt) comme quelque rйalitй de plus formel, de plus simple, et qui le constitue. Mais la nature humaine ne peut se trouver dans un tel rapport avec la personne du Verbe. Donc la personne du Verbe ne peut кtre la personne d’une nature humaine

16. On attribue l’action au sujet (suppфt) c'est-а-dire а la personne, car, selon le Philosophe, les actions appartiennent aux rйalitйs singuliиres. Mais, comme le prouve saint Jean Damascиne au III° livre De la Foi Orthodoxe, il y a dans le Verbe incarnй deux opйrations. Donc il y a en lui deux personnes. En consйquence, l’union ne s’est pas accomplie dans la personne.

17. La personne se dйfinit comme йtant une nature distincte par la propriйtй. Si donc l’union s’est faite dans la personne, il s’ensuit qu’elle s’est faite dans la nature.

 

Cependant:

1. Saint Augustin йcrit dans le livre: De la foi а Pierre: "La vйritй des deux natures demeure dans le Verbe incarnй, selon une unique personne".

2. De plus, saint Augustin йcrit dans son livre A Orose: "Nous confessons deux natures dans l’unique personne du Verbe incarnй".

 

Rйponse: Pour rйpondre а cette question, nous procиderons comme suit: on doit 1° d’abord dйfinir ce qu’est la nature; 2° en second lieu, ce qu’est la personne; 3° en troisiиme lieu, on doit expliquer comment l’union du Verbe incarnй s’est rйalisйe non dans la nature, mais dans la personne.

1° Le nom de nature vient du verbe "naоtre". Aussi a-t on d’abord appelй nature, de nascitura, "ce qui va naоtre", la naissance elle-mкme des vivants, animaux et plantes. Ensuite on a йlargi le nom de nature au principe de la susdite naissance. Et parce que le principe d'une telle naissance est intrinsиque, on a encore fait dйriver le sens du nom de nature jusqu’а lui faire signifier le principe intйrieur du mouvement. Ainsi, il est йcrit au second livre des Physiques que la nature est le principe du mouvement dans le sujet oщ elle se trouve, par elle-mкme et non par accident. Et comme, dans la gйnйration, le mouvement naturel se termine principalement а l’essence de l’espиce, on appelle nature l’essence de l’espиce, que signifie la dйfinition. C’est pourquoi Boиce йcrit, dans son livre Des deux natures que la nature est la diffйrence spйcifique informant chaque rйalitй. Et c’est en ce sens qu’on entend ici le terme de nature.

2° Nous devons en second lieu comprendre ce qu’est la personne. Il faut considйrer ceci.

- S’il existe une rйalitй dans laquelle il n’y a rien d’autre que l’essence de son espиce, alors cette essence de l’espиce elle-mкme sera subsistante par soi individuellement. Et ainsi, dans une telle rйalitй, le sujet (suppфt) et la nature seront rйellement identiques, et ne prйsenteront qu'une diffйrence de raison, en tant que l’on parle de nature pour dйsigner l’essence de l’espиce, de sujet (suppфt), pour dйsigner la rйalitй qui subsiste par elle-mкme.

- Si en revanche il existe une rйalitй а l’intйrieur de laquelle, outre l’essence de l’espиce, que signifie la dйfinition, il y a quelque rйalitй d’autre, accident ou matiиre individuelle, alors le sujet (suppфt) ne sera pas tout а fait la mкme rйalitй que la nature, mais il ajoutera quelque rйalitй а la nature, comme cela apparaоt surtout dans les rйalitйs composйes de matiиre et de forme. Et ce qu’on a dit du sujet (suppфt), doit s’entendre de la personne dans la nature raisonnable; car la personne n’est autre chose qu’un sujet (suppфt) de nature raisonnable, selon ce que йcrit Boиce au livre Des deux natures: la personne est une substance individuelle de nature raisonnable.

3° L’union du Verbe incarnй: Ainsi donc, de toute йvidence, rien n’empкche que certaines rйalitйs soient unies dans la personne, sans l’кtre dans la nature. En effet une substance individuelle de nature raisonnable peut avoir quelque rйalitй qui n’appartient pas а la nature de l’espиce; et ce quelque rйalitй lui est uni personnellement, non naturellement.

Et c’est donc dans ce sens qu’il faut entendre que la nature humaine est unie au Verbe de Dieu dans la personne, non dans la nature. Car si elle n’appartient pas а la nature divine, elle appartient cependant а la personne divine, en tant que la personne du Verbe s'est adjoint une nature humaine en l’assumant pour former un seul кtre.

Mais des doutes et des dissensions surgissent а propos du mode d’une telle conjonction. Nous voyons en effet dans les crйatures qu’une rйalitй peut advenir а une autre de deux maniиres: accidentellement et essentiellement.

Ainsi Nestorius, et avant lui Thйodore de Mopsueste, ont soutenu que, dans le Verbe incarnй, la nature humaine йtait conjointe au Verbe accidentellement, selon une inhabitation de grвce: ils prйtendaient que le Verbe de Dieu йtait uni а l’homme-Verbe incarnй en tant qu’il habitait en lui comme dans son temple. A cela il faut rйpondre que nous voyons que toute substance conjointe а une autre accidentellement garde sa propre singularitй: comme le vкtement qui advient а un homme, ou la maison contenant celui qui l’habite. Ainsi, s'il en йtait comme cela dans le Verbe incarnй, cet homme aurait eu une singularitй propre, qui est sa personnalitй. Il s’ensuivait donc, selon Nestorius, que dans le Verbe incarnй la personne de l’homme serait distincte de la personne du Verbe. En consйquence, autre serait le Fils de l’homme, et autre serait le Fils de Dieu. En consйquence, Nestorius ne reconnaissait pas que la bienheureuse Vierge fыt Mиre de Dieu, mais seulement mиre d’un homme. Cette thйorie est tout а fait absurde. En premier lieu, parce que la sainte Ecriture parle tout autrement des hommes en qui la parole de Dieu a habitй par la grвce qu'elle parle du Verbe incarnй. Des premiers elle dit: "la parole de Dieu a йtй adressйe а tel prophиte"; mais du Verbe incarnй elle dit: "La Parole s’est faite chair", c’est-а-dire homme ce qui suggиre que la Parole elle-mкme est homme dans sa personne. Deuxiиme raison: dans la lettre aux Philippiens, l’Apфtre appelle cette union un dйpouillement du Fils de Dieu. Or il est йvident qu’une inhabitation de grвce ne suffit pas а justifier la raison formelle de dйpouillement. Autrement le dйpouillement conviendrait non seulement au Fils, mais encore au Pиre et au Saint Esprit, dont le Seigneur dit (Jn 14, 17): "Il demeurera auprиs de vous, et il sera en vous"; et il dit de lui-mкme et du Pиre (Jean 14, 23): "Nous viendrons en lui, et nous ferons en lui notre demeure". Pour ce motif donc, et beaucoup d’autres, l'erreur de Nestorius a йtй condamnйe par le concile d’Ephиse.

Autre hйrйsie: certains cependant, soutenant avec Nestorius que la nature humaine est advenue au Verbe accidentellement, ont voulu йviter la consйquence qui consiste а poser deux personnes, comme le faisait Nestorius. Ils ont donc imaginй que le Verbe aurait assumй l’вme et le corps non-unis entre eux: ainsi l’вme et le corps, dans le Verbe incarnй, ne constitueraient pas une personne humaine. Mais il s’ensuit un inconvйnient plus grave encore: dans cette hypothиse, le Verbe incarnй ne serait pas vraiment йtй homme. Car la raison formelle d’homme consiste dans l’union de l’вme et du corps. Cette erreur a йtй aussi condamnйe sous le pape Alexandre III au concile de Tours.

Troisiиme hйrйsie: D'autres ont choisi un autre parti: ils ont soutenu que la nature humaine advient au Verbe essentiellement, comme si on fondait une seule et nouvelle nature ou essence а partir de la nature divine et de la nature humaine unies. C'est la pensйe d'Apollinaire de Laodicйe qui posa trois affirmations, comme l'йcrit le pape Lйon dans une Lettre а Constantinople. 1° Il prйtendait d’abord que l’вme n’йtait pas unie (а la chair) dans le Verbe incarnй, mais que le Verbe s'йtait uni а la chair pour lui servir d’вme. Ainsi, du Verbe et de la chair rйsulterait une seule nature, comme en nous de l’вme et du corps. Apollinaire suit ici Arius. 2° Mais comme la sainte Ecriture dans l’Evangile parle expressйment de l’вme du Verbe incarnй, selon cette parole de saint Jean 10, 18: "J’ai le pouvoir de dйposer mon вme", il йlabora une seconde thйorie: il soutenait qu’il y avait une вme sensitive dans le Verbe incarnй, mais pas une вme raisonnable: c’est le Verbe qui, selon lui, tenait lieu d’intellect а l’homme-Verbe incarnй. Mais ceci ne convient pas: car dans cette hypothиse le Verbe n’aurait pas asuumй une nature humaine, mais une nature de bкte, comme le remarque contre lui saint Augustin, dans son Livre des quatre-vingt trois questions. 3° En troisiиme lieu, il affirma que la chair du Verbe incarnй n'aurait pas йtй tirйe d’une femme, mais qu'elle aurait йtй faite а partir du Verbe qui se serait changй et transformй en chair. Mais ceci est au plus haut point impossible. Car le Verbe de Dieu, йtant vraiment Dieu, est d'une nature absolument immuable. Il est йvident que, en raison de ces thйories, Apollinaire fut condamnй au concile de Constantinople. Eutychиs, qui suivit sa troisiиme affirmation, fut condamnй au concile de Chalcйdoine.

Rйsumons:

Nestorius: si l’union ne s’est pas rйalisйe dans la personne, mais seulement par inhabitation, il n’est rien arrivй de nouveau dans l’Incarnation du Verbe incarnй.

Apollinaire et Eutychиs: Inversement, si l’union s'est accomplie dans la nature, c'est absolument impossible. Car les espиces des rйalitйs sont comme les nombres, qui changent d’espиce quand on ajoute ou soustrait une unitй, comme il est йcrit au VIII° livre des Mйtaphysiques. Aussi est-il impossible, pour une nature parfaite en elle-mкme, de recevoir l’addition d’une autre nature; dans cette hypothиse, si elle la recevait, ce ne serait plus la mкme nature, mais une autre. Or la nature divine est souverainement parfaite; de mкme aussi, la nature humaine possиde la perfection de son espиce. Aussi est-il impossible que l’une se joigne а l’autre en vertu d’une union naturelle. Et а supposer que cela fыt possible, alors ce qui serait constituй а partir des deux ne serait ni la nature divine, ni la nature humaine. Et ainsi le Verbe incarnй ne serait ni homme ni Dieu, mais autre chose, ce qui est inacceptable pour la foi.

Il reste donc que la nature humaine est unie au Verbe, non pas accidentellement, ni essentiellement (dans la nature), mais substantiellement selon que la substance signifie le sujet (l’hypostase), et hypostatiquement ou pour former une seule personne.

Parmi toutes les rйalitйs crййes, pour comprendre cette union, il n'y pas d’analogie plus approchante que l’union de l’вme raisonnable et du corps, comme la propose saint Athanase. Cette analogie ne porte pas, certes, selon que l’вme est la forme du corps. En effet, le Verbe ne peut кtre une forme dans une matiиre; mais elle porte sur le fait que le corps est pour l’вme un instrument, non extrinsиque ni adventice, mais propre et conjoint. Aussi saint Jean Damascиne йcrit-il que, dans le Verbe incarnй, la nature humaine est l’organe du Verbe.

Autre analogie: Saint Augustin йcrit Contre Fйlicien que l'analogie serait encore plus grande, si nous imaginions, comme plusieurs le prйtendent, qu’il y a dans le monde une вme gйnйrale qui, informant la matiиre passible pour ses propres usages, la ferait кtre (avec elle) une seule personne.

Cependant, toutes ces analogies sont dйficientes car l’union d’un instrument est accidentelle. Mais il s’agit ici d’une union unique, supйrieure а tous les modes d’union que nous connaissons. En effet de mкme que Dieu est la bontй mкme, et son propre кtre, de mкme aussi il est l’unitй mкme par essence. Et c’est pourquoi, parce que sa puissance n’est pas limitйe а ces modes de bontй et d’кtre qui se trouvent dans les crйatures, il peut susciter de nouveaux modes de bontй et d’кtre inconnus de nous. Il a pu susciter un mode d’union nouveau par l’infinitй de sa puissance: que la nature humaine fыt unie au Verbe personnellement. Et cela n'est pas une union accidentelle, mкme si on n’en trouve aucun exemple adйquat dans les crйatures. C'est pour cette raison que saint Augustin йcrit dans sa Lettre а Volusien а propos de ce mystиre: "Si on veut en possйder la comprйhension, c’est que ce mystиre n’est pas admirable. Si on en veut l'illustrer par un exemple, c’est qu’il n’est pas unique. Accordons а Dieu le pouvoir de faire une rйalitй qui йchappe а nos investigations; dans de telles matiиres en effet, toute l'esxplication de l’oeuvre est la volontй de celui qui l’a rйalisйe".

Et saint Denys йcrit, au chapitre second des Noms divins: "Jйsus est une composition", c’est-а-dire une union, "divine selon moi, inaccessible а toute parole et ignorйe de tout esprit, mкme du plus йlevй et du plus digne des anges".

 

Solutions:

1. Cette comparaison ne doit pas se comprendre en tant que de l’вme et de la chair, il rйsulte une unique nature humaine, mais sur le point suivant: l’une et l’autre constituent une seule personne.

2. Il est vrai qu'en Dieu la nature et le sujet (suppфt), ou la personne, ne diffиrent pas rйellement. Elles prйsentent cependant une distinction de raison, comme on l’a dit. Et le mкme subsiste dans la nature humaine et dans la nature divine, mais ce n’est pas une mкme essence qui est composйe de l’une et de l’autre. De lа vient que l’union s’est rйalisйe dans la personne, а la raison formelle de laquelle il appartient de subsister mais cela n’appartient pas а la nature, qui implique l’essence de la rйalitй.

3. Il est vrai que les natures sont unies dans le Verbe incarnй; cependant, elles ne le sont pas dans la nature, mais dans la personne. Cela apparaоt dans le fait mкme qu’on les dit unies "de maniиre inconvertible et inaltйrable".

4. Les hйrйtiques prйtendent que si l’union s’est rйalisйe dans la personne, il s’ensuit qu’elle s’est rйalisйe dans la nature. Ils ne se sont pas avisйs que la personne est une rйalitй et la nature une autre selon une distinction rйelle et selon une distinction de raison. C’est pourquoi ils se sont trompйs.

5. On dit proprement qu’une rйalitй est unie en vertu d’une union, comme on dit qu’une rйalitй est une en vertu de son unitй. Et c’est pourquoi on n’entend pas que l’union se termine а la personne divine, en tant que celle-ci est une en elle-mкme de toute йternitй, mais en tant qu’elle s’est unie а la nature humaine dans le temps. Et ainsi l’union, selon notre mode de comprendre, prйcиde la personne, non en tant qu’elle est une, mais en tant qu’elle est unie.

6. Dans l'union du Verbe incarnй, on ne dit pas que l’union se rйalise dans la personne divine, au sens oщ la personne divine elle-mкme serait constituйe des deux natures unies entre elles; car cela rйpugnerait а la simplicitй souveraine de Dieu. Mais on dit que l’union s’est rйalisйe dans la personne, en tant que la personne divine, qui est simple, subsiste dans les deux natures, divine et humaine.

7. Deux rйalitйs de genre diffйrent ne peuvent s’unir en une seule essence ou nature. Mais rien ne les empкche de s’unir en un seul sujet (suppфt) ou personne. Ainsi la ligne et la blancheur ne constituent pas une essence. On peut cependant les trouver dans un sujet (suppфt) unique.

8. On peut considйrer la personne du Fils de Dieu de deux maniиres.

1° En premier lieu, selon la raison commune de personne, en tant qu’elle signifie un кtre subsistant. Et de ce point de vue, l’union s’est rйalisйe dans la personne selon la raison de personne, comme on l’a dit (voir dans la rйponse de l’article).

2° D’une autre maniиre, on peut la considйrer dans ce qui est propre а la personne йternelle du Fils, а savoir la relation qui le rйfиre au Pиre. Or ce n'est pas selon la raison formelle de cette relation qu’on envisage l’union des deux natures.

9. L’incarnation n’ajoute rien а la bontй d’une personne divine. De mкme elle n’ajoute rien non plus а son amabilitй. Aussi ne doit on pas aimer la personne du Verbe incarnй plus que la personne du Verbe purement et simplement. On doit, certes, l’aimer sous une autre raison formelle. Mais cette raison est comprise sous la bontй universelle du Verbe. En consйquence, il ne s’ensuit pas, du fait que l’union de l’Incarnation s’est rйalisйe dans une personne, et non dans une autre, qu’il faille pour autant aimer une personne plus qu’une autre.

10. L’кtre appartient d’une part а la personne subsistante, et d’autre part а la nature dans laquelle elle subsiste, en tant que la personnel a l’кtre selon cette nature. Donc l’кtre de la personne du Verbe Incarnй est un du cфtй de la personne subsistante, mais non du cфtй de la nature.

11. La nature ne se trouve pas avec le sujet (suppфt) dans le mкme rapport que la forme avec la matiиre. Car la matiиre n’est constituйe dans l’кtre que par la forme. C’est pourquoi la forme requiert une matiиre dйterminйe pour faire que celle-ci soit en acte. Mais le sujet (suppфt) n’est pas seulement constituй par la nature de l’espиce: il peut aussi inclure d’autres йlйments. Et c’est pourquoi rien n’empкche d’attribuer une nature а un sujet (suppфt) d’une autre nature.

12. On attribue la nature divine а la personne divine en vertu d’une identitй rйelle, et non selon la propriйtй du mode de signifier. Et c’est pourquoi un sujet (suppфt) ne peut supplйer pour un autre. Car mкme en Dieu cette proposition est vraie: "la personne engendre"; mais celle-ci ne l’est pas: "l’essence engendre."

13. La nature humaine n'est pas unie au Verbe:

1° accidentellement

2° essentiellement, comme si elle appartenait а la nature divine du Verbe;

3° mais substantiellement, c’est-а-dire hypostatiquement comme appartenant au sujet (l’hypostase) ou personne du Verbe.

14. La personne du Verbe est comprise sous la nature du Verbe, et ne peut s’йtendre au-delа. Mais la nature divine, а raison de son infinitй, comprend toute nature finie. Et c’est pourquoi, quand la personne du Verbe assume la nature humaine, elle ne s’йtend pas au-delа de la nature divine, mais elle prend plutфt ce qui lui est infйrieur Aussi l’Apфtre йcrit-il aux Philippiens 2, 6: "Alors que le Fils de Dieu йtait dans la forme de Dieu, il s’est dйpouillй". Il n'a pas certes abandonnй la grandeur de la nature de Dieu, mais il a assumй la petitesse de la nature humaine.

15. La nature du Verbe est infinie. De mкme aussi la personne du Verbe est infinie. C’est pourquoi la nature divine du Verbe correspond adйquatement а la personne du Verbe en elle-mкme. Mais la nature humaine correspond au Verbe selon qu’il s’est fait homme. C’est pourquoi cette nature n’est pas nйcessairement plus simple et plus formelle que le Verbe en lui-mкme, mais elle est plus simple et plus formelle que cet homme qui est le Verbe fait chair, et elle le constitue en tant qu’il est homme.

16. L’action appartient au sujet (suppфt), selon une nature ou une forme. Et c’est pourquoi les actions ne se diversifient pas seulement selon la diversitй des sujets (suppфts), mais aussi selon la diversitй de la nature ou de la forme Ainsi, dans un seul et mкme homme, voir est une action, et entendre en est une autre, en fonction de la diversitй des puissances. Aussi dans le Verbe incarnй, en raison de ses deux natures, y a-t-il deux actions, bien qu’il n’y ait qu’une personne ou hypostase.

17. La personne est certes une substance distinguйe par sa propriйtй, qui relиve de la dignitй. Mais ici, le mot substance ne signifie pas l’essence ou la nature. Il signifie le sujet (l’hypostase) ou la personne.

 

ARTICLE 2: LE VERBE INCARNE A-T-IL UN SEUL SUJET (HYPOSTASE OU SUPPФT) OU DEUX?

 

Objections: Il semble que le Verbe incarnй n'est pas un seul sujet.

1. Saint Augustin йcrit dans son livre Contre Fйlicien: "Dans le Mйdiateur de Dieu et des hommes, le Fils de Dieu йtait une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre chose". Mais rien de ce qui est un par le sujet (suppфt ou hypostase) n’est une rйalitй et une autre, ainsi sйparйes. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement un sujet (suppфt) ou une hypostase mais deux.

2. Saint Augustin йcrit aussi au second livre De la Trinitй: "Dans le Verbe incarnй, l’un et l’autre est Dieu, а cause de Dieu qui assume, et l’un et l’autre est homme, а cause de l’homme assumй" Mais rien de ce qui est un quant au sujet (suppфt) ou selon 1'hypostase n’est deux, en sorte que l’on puisse parler de l’un et l’autre, comme ici. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement une hypostase ou sujet (suppфt).

3. La nature humaine du Verbe incarnй est une certaine substance. Mais ce n’йtait pas une substance universelle, car il n’y a pas de substance universelle en dehors de l’esprit. Donc c’est une substance particuliиre. Mais une substance particuliиre est une hypostase. Donc dans le Verbe incarnй la nature humaine йtait une hypostase. Mais la nature humaine du Verbe incarnй est une rйalitй distincte du sujet du Verbe de Dieu. Donc dans le Verbe incarnй il y a une hypostase en dehors du sujet du Verbe de Dieu. Et ainsi dans le Verbe incarnй il y a plusieurs hypostases.

4. Lorsqu'on dit "homme", on le dit univoquement du Verbe incarnй et de Pierre. Mais quand on le dit de Pierre, ce nom n’implique rien d’autre qu’un certain composй d’вme raisonnable et de corps. Donc il en va de mкme quand on le dit du Verbe incarnй. Mais а cфtй de l’вme et du corps il y a dans le Verbe incarnй le sujet (l’hypostase, suppфt) du Verbe de Dieu. Donc dans le Verbe incarnй le sujet (l’hypostase, suppфt) de la nature humaine est une rйalitй, et 1'hypostase ou sujet (suppфt) de la nature divine en est une autre. Et ainsi dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement une hypostase ou sujet (suppфt).

5. Une nature finie ne peut rien contenir d’infini. Mais le sujet (suppфt) ou hypostase du Verbe de Dieu est infini. Donc il ne peut кtre contenu dans la nature humaine, qui est finie. Mais tout sujet (suppфt) est contenu sous la nature dont il est le sujet (suppфt). Donc le sujet (suppфt) qui est le Verbe de Dieu ne peut кtre le sujet (suppфt) de la nature humaine, mais il faut nйcessairement qu’il y ait quelque autre sujet (suppфt). Donc dans le Verbe incarnй il y a un autre sujet, а cфtй du sujet qui est le Verbe de Dieu. Il y a donc dans le Verbe incarnй deux sujets, suppфts ou hypostases.

6. L’espиce est vis-а-vis des individus dans le mкme rapport que le genre vis-а-vis de l’espиce. Mais la mкme espиce ne peut se trouver dans des genres divers. Donc le mкme individu ne peut se trouver dans des espиces diverses. Mais le sujet (l’hypostase) est une substance individuelle, et de mкme le sujet (suppфt). Donc une seule hypostase ou sujet (suppфt) ne peut appartenir а la nature humaine et а la nature divine, qui ne sont pas de mкme espиce.

7. Dans la Trinitй, il y a une seule nature en trois personnes. De mкme, dans le Verbe incarnй il y a deux natures en une seule personne. Mais les trois personnes sont une seule rйalitй, а cause de l'unitй de nature, selon cette parole de l’йvangile de Jean: "Le Pиre et moi nous sommes un". Donc le Verbe incarnй est deux а cause de la dualitй des natures. Mais on ne peut dire de rien de ce qui est un quant au sujet (suppфt ou hypostase), que cela soit deux. Donc le Verbe incarnй n’est pas un quant au sujet (suppфt ou hypostase).

8. Le Verbe incarnй a quelque rйalitй de commun avec le Pиre en tant qu’il est le Fils de Dieu. Mais en tant qu’il est dit Fils de l’homme, il n’a rien de commun avec le Pиre. Donc dans le Verbe incarnй le Fils de Dieu est une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre. Donc il n’est pas un quant au sujet (suppфt ou hypostase).

9. Il existe des rйalitйs qui sont, en soi, incommunicables. Elles ne peuvent pas, semble-t-il, devenir en soi communicables. De mкme, comme le dit le Commentateur sur le X° livre des Mйtaphysiques, ce qui est de soi impossible ne peut devenir possible. Mais la nature humaine, selon qu’elle est dans le Verbe incarnй, est de soi incommunicable, puisqu’elle est une certaine rйalitй particuliиre. Donc elle ne peut кtre communiquйe а un sujet (suppфt) de nature divine. Donc le sujet (suppфt) de la nature humaine ne peut кtre le mкme que celui de la nature divine.

10. Chaque rйalitй se rйsout dans les йlйments qui la constituent. Si donc il arrivait par impossible que le Verbe de Dieu abandonnвt la nature humaine, celle-ci possйderait dиs lors une hypostase (sujet, suppфt) propres. Donc, dans sa condition actuelle d’union, elle possиde aussi une hypostase (sujet, suppфt) propres. Donc il n’y a pas lа une seule hypostase.

11. La nature ne dйpend pas plus du sujet (suppфt) que le sujet (suppфt) ne dйpend de la nature. Mais il est impossible que le Verbe de Dieu ait pu assumer un sujet de nature humaine, sans assumer la nature humaine elle-mкme. Donc il n’a pas davantage pu assumer la nature humaine, sans assumer le sujet (suppфt) de cette nature humaine. Mais l’assumant n’est pas 1'assumй. Donc le sujet (suppфt) de la nature humaine n’est pas le sujet (suppфt) du Verbe de Dieu lui-mкme. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux sujets (suppфt).

12. L’вme et le corps n’ont pas moins de puissance ou de dignitй dans le Verbe incarnй qu’en nous. Mais en nous de la composition de l’вme et du corps rйsulte une hypostase ou un sujet (suppфt). Il en est donc de mкme dans le Verbe incarnй. Mais il ne s’agit pas du sujet (suppфt ou hypostase) du Verbe de Dieu, qui est йternel, puisque l'union qui en a fait le Verbe incarnй est temporelle. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux sujets (suppфt) ou hypostases.

13. Il y a trois substances Dans le Verbe incarnй: le corps, l'вme et Dieu. Mais l’вme n’est pas le sujet (suppфt) du corps. Donc Dieu n’est pas le sujet (suppфt) de la nature humaine.

14. Porphyre йcrit que l’individuation rйsulte de l’agrйgation de propriйtйs qu’il est impossible de retrouver dans un autre. Mais dans le Verbe incarnй se trouvait une agrйgation de propriйtйs appartenant а la nature humaine, qu’on ne peut trouver dans un autre. Donc ces propriйtйs ont effectuй son individuation. Mais il ne s’agit pas de l’individuation du Verbe de Dieu, qui n’est pas susceptible de recevoir des accidents. Donc dans le Verbe incarnй il y a un autre individu ou sujet (suppфt) que le sujet (suppфt) du Verbe de Dieu. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux sujets (suppфt).

15. De rйalitйs entre lesquelles il n’y a pas une certaine proportion. Il ne peut rйsulter une rйalitй unique Mais la nature divine, qui est infinie, n’a aucune proportion avec la nature humaine, qui est finie. Donc il ne peut rйsulter de ces deux natures une seule hypostase ou un seul sujet (suppфt).

16. La gйnйration se termine au sujet (suppфt). En effet c’est le particulier qui est engendrй Mais dans le Verbe incarnй il y a une double naissance temporelle et йternelle Donc dans le Verbe incarnй il y a un double sujet (suppфt), non un sujet (suppфt) unique.

17. Le Verbe de Dieu a assumй le corps et l’вme, non comme sйparйs, mais comme unis pour former une nature humaine. Mais un sujet (suppфt) de nature humaine n’est rien d’autre qu’une вme et un corps pour autant qu’ils sont unis Donc dans le Verbe incarnй il y a un autre sujet (suppфt), en dehors du sujet (suppфt) du Verbe de Dieu.

18. Une mкme rйalitй ne peut кtre а la fois simple et composйe. Mais un sujet (suppфt) de nature humaine est composй, puisque la nature humaine est composйe: en effet un sujet (suppфt) ne peut кtre plus simple que la nature dont il est le sujet (suppфt). Donc comme le sujet (suppфt) de la nature divine est simple, il y aura dans le Verbe incarnй un autre sujet (suppфt), outre le sujet (suppфt) du Verbe йternel de Dieu.

 

Cependant:

1. Saint jean Damascиne йcrit au III° livre De la Foi Orthodoxe: "Nous reconnaissons une seule hypostase dans le Seigneur Jйsus-Christ ".

2. On n’attribue pas l’une а l’autre les rйalitйs qui diffиrent quant au sujet (suppфt). Si donc dans le Verbe incarnй il y avait deux sujets, celui de l’homme, et un autre de Dieu, on ne pourrait pas dire que l’homme est Dieu, ou que Dieu est homme; or c’est une erreur de le nier. Donc il n’y a pas dans le Verbe incarnй un sujet (suppфt) de Dieu et un autre de l’homme.

 

Rйponse:

En voulant йviter l’hйrйsie de Nestorius, certains posиrent dans le Verbe incarnй deux personnes. Ils prйtendirent qu’il y avait dans le Verbe incarnй une seule personne, mais deux hypostases ou deux sujets (suppфt). Cet homme, quand on dйsigne le Verbe incarnй, йtait, selon eux, un sujet (suppфt) ou une hypostase de nature humaine, non divine. Car en disant: "cet homme", on n’entend rien d’autre qu’une certaine substance particuliиre composйe d’вme et de chair. Ils ajoutaient cependant que le sujet (hypostase ou suppфt) humain appartenait а la personne du Verbe, du fait que le Verbe l’avait assumй. Et c’est cette opinion que l’on prйsente comme la premiиre au III° livre des Sentences, а la distinction x.

Mais ceux qui avaient йmis cette opinion, se trompaient.

1° En premier lieu, ils ignoraient le sens des mots. L’hypostase en effet n’est pas autre chose que la substance individuelle, que l’on dйsigne aussi sous le nom de sujet ou suppфt. Par ailleurs, Boиce йcrit au livre des Deux natures que "la personne est une substance individuelle de nature raisonnable". Ainsi donc, de toute йvidence, il ne peut exister d’hypostase de nature raisonnable qui ne soit une personne. D’autre part, la nature humaine est manifestement une nature raisonnable. Dиs lors, si dans le Verbe incarnй il y avait une hypostase ou un sujet (suppфt) propre а la nature humaine, а cфtй du sujet (l’hypostase) ou du sujet (suppфt) du Verbe de Dieu, il s’ensuivrait qu’il y aurait dans le Verbe incarnй une personne propre а la nature humaine, а cфtй du sujet (l’hypostase) du Verbe. On le voit, cette position ne diffиre pas de celle de Nestorius.

2° En second lieu, parce qu’а supposer que la personne ajoute au sujet (l’hypostase) de nature raisonnable "une certaine propriйtй ayant trait а la dignitй" comme on dit que certains jouissent d’un personat du fait qu’ils sont bйnйficiaires de quelque dignitй, il s’ensuivrait que l’union de la nature humaine avec le Verbe se serait rйalisйe seulement en quelque rйalitй d’accidentel, c’est а dire dans "une certaine propriйtй ayant trait а la dignitй", ce que Nestorius a aussi prйtendu.

Mais ceci constitue une hйrйsie condamnйe au V° concile de Constantinople, oщ on lit: "Si quelqu’un prйtend que, dans le mystиre du Verbe incarnй, il y a deux subsistances ou deux personnes, comme l’ont йcrit dans leur folie Thйodore et Nestorius, qu’il soit anathиme... En effet la sainte Trinitй ne reзoit pas l’adjonction d’une personne ou d’une subsistance par 1'Incarnation d’une des personnes de la Sainte Trinitй, le Verbe divin."

Ainsi, pour savoir ce qui on peut кtre acceptй ou ce qui doit кtre niй en de telles matiиres, il faut considйrer ceci. Parmi les noms qui se rapportent а l’individuation,

1° certains se rapportent а la premiиre imposition comme "personne" ou "hypostase", qui signifient les rйalitйs en elles-mкmes.

2° Certains se rapportent de seconde imposition, comme "individu", "sujet (suppфt)", et autres de ce genre, qui signifient l’intention de l’individualitй.

3° Certains appartiennent au seul genre de la substance, comme "sujet (suppфt)" et "hypostase", qui ne se disent pas des accidents "personne" dans la nature raisonnable, et aussi "rйalitй naturelle", selon l’acception oщ le prend saint Hilaire.

4° D’autres, en revanche, se rйfиrent а l’individuation dans n’importe quel genre, comme "individu", "particulier" et "singulier", qui se disent aussi des accidents.

Or c’est le propre de la substance de subsister par soi et en soi alors qu'il appartient а l’accident d’кtre dans un autre. Et ainsi, les noms qui se rйfиrent а l’individuation de la substance conviennent seulement aux rйalitйs qui subsistent par elles-mкmes et en elles-mкmes. On n'utilise pas de tels noms pour les parties substantielles qui ne sont pas en elles-mкmes mais dans le tout, bien qu’elles n’y soient pas comme dans leur sujet. On peut cependant appliquer а celles-ci les noms qui se rйfиrent lйgitimement tant aux substances qu’aux accidents. Exemple: on ne peut pas dire que cette main est une personne, une hypostase ou un sujet; mais on peut dire que c’est une rйalitй particuliиre, singuliиre ou individuelle. En effet la main appartient, certes, au genre de la substance; mais ce n’est pas une substance complиte subsistant par soi; aussi ne l’appelle-t-on pas une hypostase, un sujet, un suppфt ou une personne.

Or la nature humaine dans le Verbe incarnй ne subsiste pas par soi sйparйment, mais existe dans le sujet du Verbe de Dieu, non certes comme un accident dans un sujet, ni, а proprement parler, comme une partie dans le tout, mais par une partie ineffablement assumйe. C’est pourquoi on peut tout а fait appeler la nature humaine du Verbe incarnй une rйalitй individuelle, particuliиre ou singuliиre; mais on ne peut l'appeler une hypostase ou un sujet, pas plus qu’on ne peut dire d'elle qu'elle est une personne.

Conclusion: il n’y a dans le Verbe incarnй qu’une seule hypostase ou un seul sujet (suppфt): celui du Verbe divin.

 

Solutions:

1. Il est vrai qu'on attribue au Verbe incarnй des propriйtйs divines et des propriйtйs humaines. Si l’on se demande а quoi on les attribue, on doit rйpondre que c’est а une seule et mкme rйalitй. Si on demande selon quoi on les attribue, alors il s’agit de deux rйalitйs diffйrentes, comme le dit Augustin au premier livre De la Trinitй.

1° On attribue au Verbe incarnй les propriйtйs divines selon la nature divine,

2° On attribue les propriйtйs humaines, selon la nature humaine.

Donc quand on dit que dans le Verbe incarnй le Fils de Dieu est une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre, il ne faut pas rйfйrer cette altйritй а ce а quoi on attribue l’un et l’autre, а savoir а l’unique sujet (suppфt) de l’une et l’autre filiation. Il faut la rйfйrer а ce а raison de quoi on l’attribue (la nature). Ainsi, saint Augustin ajoute au mкme endroit: "Autre chose, dis-je, en raison de la distinction de la substance dans le Verbe incarnй", c’est-а-dire de la nature, "mais non un autre, en raison de l’unitй de la personne du Verbe incarnй."

2. Il est vrai qu'on attribue au Verbe incarnй la nature divine. Mais on ne peut lui attribuer la nature humaine, pas plus qu’а Pierre, avec qui il est univoquement homme. Aussi ne peut-on dire que le Verbe incarnй soit deux, ni l’un et l’autre bien qu’il y ait deux natures. Le sujet (suppфt) de la nature humaine, en revanche, s’attribue au Verbe incarnй mais il ne fait pas nombre avec le sujet (suppфt) de la nature divine, comme on l’a montrй. Que conclure? Quand on dit que le Verbe incarnй est l’un et l’autre, on l’entend matйriellement comme lorsqu'on dit: le mur et le toit sont la maison, parce que l’un et l’autre concourt а l’unique maison. C'est pourquoi saint Augustin йcrit dans le livre Contre Fйlicien qu’un seul et mкme homme est dit corps et esprit.

Autre explication: on pourrait dire que cette expression, "l’un et l’autre", se rйfйre au nombre des noms signifiant les deux natures; car l’homme Verbe incarnй est appelй а la fois Dieu et homme; comme aussi le Dieu Verbe est appelй Dieu et homme. Et c’est ce que signifie cette formule: "L’un et l’autre est Dieu, а cause de Dieu qui assume"; car ce nom, "Dieu", s’attribue а la fois а Dieu et а l’homme: "et l’un et l’autre est homme, а cause de l’homme assumй", parce que ce nom, "homme", s’attribue а l’un et l’autre.

3. Comme on l’a dit, pour que la raison formelle d’hypostase ou de sujet (suppфt) soit accomplie dans un кtre, il ne suffit pas qu’une rйalitй soit une rйalitй particuliиre dans le genre de la substance; mais il est encore requis qu’elle soit complиte et subsistante en elle-mкme.

4. L'univocitй et l’йquivocitй se considиrent selon que la raison du nom est la mкme ou non. Or la raison du nom est celle que signifie la dйfinition. Et c’est pourquoi l’йquivocitй et l’univocitй se considиrent selon la signification, et non selon les sujets (suppфt). Application: ce nom d’homme se dit-il univoquement du Verbe incarnй et de Pierre; en effet, de part et d’autre, il signifie une unique nature: la nature humaine, composйe d’вme et de corps. Mais dans le Verbe incarnй, le sujet (suppфt) est le Verbe йternel, ce qui n'est pas le cas pour Pierre.

5. C'est au sujet (suppфt ou l’hypostase) du Verbe de Dieu qu'il appartient d'кtre infini selon la nature divine. Selon la nature humaine, au contraire, il est fini et contenu dans un nature finie. C'est pourquoi saint Denys йcrit: "Celui qui dйpasse substantiellement tout ordre, selon toute nature s’est insйrй dans notre nature".

6. Comme aussi le nom de genre, le nom d’espиce signifie la nature. C’est pourquoi si une seule espиce se trouvait dans des genres divers, il s’ensuivrait qu’une seule nature serait deux natures, ce qui est impossible. Mais il existe dans l’individu quelque rйalitй qui n'appartient pas а la nature. En consйquence, il n’est pas contraire а la raison d’individu que le mкme individu soit le sujet (suppфt) de deux natures.

7. La nature divine est absolument identique, quant а la rйalitй, а n’importe laquelle des trois personnes; c'est pourquoi on peut dire que les trois personnes sont une seule rйalitй. Par contre, la nature humaine n’est pas tout а fait identique, quant а la rйalitй, quand elle est rйalisйe dans son sujet (suppфt). C’est pourquoi on ne la lui attribue pas. Et ainsi on ne peut pas dire que le Verbe incarnй est deux en raison des deux natures.

8. Le Fils йternel de Dieu a en commun avec le Pиre la nature divine, mais non le sujet (l’hypostase) ou la personne. Quant au Fils de l’homme il n’a en commun avec Dieu le Pиre ni le sujet (l’hypostase) ni la nature. Aussi il ne s’ensuit pas qu’entre le Fils de Dieu et le Fils de l’homme il y ait une distinction quant а la personne ou le sujet (l’hypostase). Mais la distinction se fait seulement quant а la nature.

9. Du fait qu’elle est individuelle, la nature humaine assumйe par le Verbe ne peut кtre en plusieurs sujets. C'’est pourquoi, de ce point de vue, on dit qu’elle est incommunicable. Mais du fait mкme qu’elle est une nature, elle ne subsiste que dans un sujet (suppфt).

10. Tant que la nature humaine du Verbe incarnй est unie au Verbe, parce qu'elle n’existe pas selon elle-mкme, elle ne possиde pas de sujet (suppфt ou hypostase) propre en dehors de la personne du Verbe. Mais si cette nature humaine йtait par impossible sйparйe du Verbe, elle aurait non seulement une hypostase ou un sujet (suppфt) propre, mais encore elle serait sa propre personne. En effet, dиs ce moment, elle existerait par elle mкme. De mкme aussi, la partie d’un corps continu est en puissance un sujet, et non en acte aussi longtemps qu’elle n’est pas sйparйe du tout; (elle n'existe en acte comme un sujet individuel) qu'une fois la sйparation accomplie.

11. Le sujet (suppфt) intиgre en lui la nature, et non l’inverse. Et c’est pourquoi l’assomption du sujet (suppфt) aurait йtй impossible dans le Verbe incarnй sans l’assomption de la nature. Mais l’inverse a pu se produire.

12. L’union de l’вme et du corps est plus digne dans le Verbe incarnй qu’en nous. En effet, elle n'aboutit pas а un sujet (suppфt) crйй, mais au sujet (suppфt) du Verbe йternel de Dieu.

13. Pour constituer la nature humaine, l’вme est unie au corps comme sa forme. Mais ce n’est pas ainsi que dans le Verbe incarnй la divinitй est unie а l’humanitй, car l’union ne s'est pas rйalisйe dans la nature, comme on l’a montrй plus haut. Et ainsi il n’y a pas comparaison.

14. L’agrйgation des accidents propres prouve suffisamment l’individuation de la nature humaine dans le Verbe incarnй; mais cette agrйgation ne prouve pas qu’elle possиde la raison de sujet (suppфt ou hypostase), car elle n'existe pas par soi.

15. L’union de la nature humaine а la personne ou au sujet (l’hypostase) ne s’est pas rйalisйe dans le Verbe incarnй de telle sorte qu’il y ait fusion entre elles, comme si la premiиre contenait la seconde ou que la personne du Verbe ne dйpassвt la nature humaine que selon une proportion dйterminйe. Car la personne du Verbe ne cesse pas de dйpasser la nature humaine а l’infini. Cependant cette supйrioritй infinie n’exclut pas que, d’une maniиre ineffable, la personne de Dieu se soit uni la nature humaine pour former une seule hypostase. Bien plus, la puissance infinie du Verbe qui assume opиre plus efficacement, en vue d’une union plus haute.

16. Il est vrai que la gйnйration aboutit au sujet comme а ce qui est engendrй; mais elle aboutit а la nature comme а ce qui est reзu par la gйnйration. C'est pourquoi on dit que la forme est le terme de la gйnйration. Or les gйnйrations et les mouvements se distinguent selon leur terme. C'est pourquoi le Verbe incarnй a deux naissances, une йternelle et une dans le temps, selon ses deux natures. Mais le Verbe incarnй est une seule personne (sujet) qui naоt, parce que son sujet (suppфt) est un.

17. L’вme et le corps unis constituent un sujet (suppфt ou hypostase), si ce qui est composй des deux existe par soi. Mais ce n'est pas ce que propose le cas invoquй.

18. Comme il apparaоt avec йvidence dans saint Denys, au chapitre des Noms divins, le Verbe incarnй est simple selon la nature divine, mais composй selon la nature humaine.

 

ARTICLE 3: LE VERBE INCARNE EST-IL UNE SEULE REALITE, OU DEUX?

 

Objections:

Il semble bien que Jйsus soit deux rйalitйs.

1. Saint Augustin йcrit dans le premier livre De la Trinitй: "L’un et l’autre est Dieu, et l’un et l’autre est homme parce que la forme de Dieu a assumй la forme de l’homme". Mais on ne peut parler de l’un et l’autre en ce qui est une seule rйalitй. Donc le Verbe incarnй n’est pas une seule rйalitй, mais deux.

2. De mкme que dans les trois personnes divines dans une unique nature, de mкme il y a deux natures dans l’unique personne du Verbe incarnй. Mais on dit que les trois personnes sont un а cause de l’unitй de nature. Donc il faut dire que le Verbe incarnй est deux en raison de la dualitй de ses natures.

3. Saint Augustin йcrit Contre Fйlicien: "Le Fils de Dieu est une rйalitй, et le Fils de l’homme une autre". Mais partout oщ il y aune rйalitй et une autre, il y a bien deux rйalitйs. Donc le Verbe incarnй est deux, selon qu’il est Fils de Dieu et Fils de l’homme.

4. Ce qui est un quant au sujet (suppфt), devient autre qu’il n’йtait, dans la succession du temps, en raison de la modification des accidents. On dit par exemple que Socrate devient un vieillard, alors qu’il йtait un enfant. Ainsi, de mкme qu’une diffйrence accidentelle rend autre, de mкme une diffйrence substantielle produit une autre chose. Donc si le mкme sujet (suppфt) pouvait passer d’une diffйrence substantielle а l’autre, il serait une rйalitй et une autre chose. Pour la mкme raison, si un mкme sujet (suppфt) possйdait а la fois deux diffйrences substantielles, il serait а la fois une rйalitй et une autre chose. Mais comme l'йcrit Boиce dans le livre Des deux natures, avoir deux natures, c’est possйder deux diffйrences substantielles; car la nature, c’est la diffйrence spйcifique qui donne sa forme а chaque rйalitй. Donc le Verbe incarnй est а la fois une rйalitй et une autre chose. Et ainsi il est а la fois deux rйalitйs.

5. Chaque rйalitй est ce qu’on lui attribue en vйritй. Mais ce nom, "homme", attribue une rйalitй au Verbe incarnй, et ce nom, "Dieu", une autre. Car l’un et l’autre nom attribue ce qu’il signifie. En effet, de mкme que, selon le Philosophe (Le prйdicament substance), ce nom "blanc" ne signifie rien d’autre que la qualitй, de mкme ce nom "homme", ne signifie rien d’autre que l’humanitй, qui est distincte de la divinitй, que signifie ce nom: "Dieu". Donc le Verbe incarnй est une rйalitй et une autre. Et ainsi il est deux rйalitйs.

6. Cependant il disait que le nom, d'"homme", inclut dans sa signification le sujet (suppфt) de l’homme, qui n’est autre que le sujet (suppфt) de Dieu. Et c’est pourquoi le Verbe incarnй, selon qu’il est homme et Dieu, n’est pas une rйalitй et une autre. — Mais en sens contraire, la diversitй des rйalitйs ne requiert pas qu’elles soient diverses quant а tout ce qui se trouve en elles. Mais il suffit qu’elles soient diverses d’un certain point de vue. Car l’homme et l’вne ont en commun l’animalitй, mais ils se distinguent par la diffйrence qui oppose le raisonnable et l’irrationnel. Pour que ce nom, homme, attribue autre chose que ce nom, Dieu, il suffit donc que la nature signifiйe soit diffйrente, bien que le sujet (suppфt) soit identique.

7. En tant que Dieu le Verbe incarnй est une rйalitй une d’une unitй incrййe; en tant qu’homme, au contraire, il est une rйalitй une d’une unitй crййe. Mais une unitй crййe et une unitй incrййe font deux unitйs. Donc le Verbe incarnй est deux rйalitйs.

8. Si le Verbe incarnй est une rйalitй seulement, il s’ensuit qu’il est ceci et non autre chose. Donc si le consйquent s’avиre faux, et que l’on ne puisse pas dire que le Verbe incarnй soit homme et non une autre chose, il en rйsulte qu’on ne peut dire que le Verbe incarnй soit une rйalitй seulement. Mais cette proposition est fausse: le Verbe incarnй est seulement homme. Donc le Verbe incarnй est homme et une autre chose. Et ainsi le Verbe incarnй est deux rйalitйs.

9. Cette proposition, "le Verbe incarnй est Dieu et homme", est une proposition composйe, puisqu'elle elle porte sur un prйdicat contenant une copule. Mais ce genre de proposition attribue toujours plusieurs rйalitйs. Donc le Verbe incarnй n’est pas une rйalitй seulement, mais plusieurs.

10. Le Philosophe йcrit dans le VIII° livre des Mйtaphysiques que, de plusieurs rйalitйs dont l’une n’est pas en puissance а l’autre, il ne rйsulte pas une rйalitй unique, mais plusieurs. Ainsi, si je dis: "l’homme est un animal bipиde", j’attribue а l’homme quelque rйalitй d’unique; ce qui n'est pas le cas si je dis: "Socrate est un musicien blanc" Mais l’humanitй et la divinitй ne se trouvent pas dans le rapport de puissance а acte. Donc quand on dit: le Verbe incarnй est Dieu et homme, on ne pose pas une rйalitй unique, mais plusieurs. Et ainsi le Verbe incarnй n’est pas une seule rйalitй, mais deux.

11. On dit qu'une rйalitй est un sujet (suppфt) si elle est subsistante. Mais le Fils de l’homme a une raison de subsister, et le Fils de Dieu en a une autre. Donc il y a deux sujets (suppфt) distincts. Et ainsi le Verbe incarnй n'est pas une rйalitй, mais deux.

12. La diffйrence conduit а la pluralitй Mais il y a une diffйrence souveraine entre la nature humaine et la nature divine. Donc le Verbe incarnй est au plus haut point deux rйalitйs.

13. Rien de ce qui est un ne peut participer а des propriйtйs contraires. Mais dans le Verbe incarnй se rйunissent des propriйtйs contraires. Ainsi, l’кtre йternel est nй dans le temps; l'кtre infini est circonscrit dans un lieu; et autres de ce genre. Ainsi, le Verbe incarnй ne peut кtre une rйalitй, mais deux.

14. Le Verbe incarnй est homme. Mais l’homme est l’humanitй, car l’essence de la rйalitй est identique а ce dont elle est l’essence, comme l'йcrit Aristote au VIII° livre des Mйtaphysiques. Donc le Verbe incarnй est sa propre humanitй. Il est aussi sa divinitй. Donc, comme l’humanitй n’est pas la divinitй, il s’ensuit que le Verbe incarnй n’est pas un, mais deux rйalitйs.

 

 

Cependant:

1. On a montrй avec йvidence а l’article prйcйdent que le Verbe incarnй n’est pas deux personnes (ni deux hypostases, ni deux sujets ou suppфt). Il n'est p non plus deux natures, car on ne lui attribue pas la nature humaine. Donc le Verbe incarnй n’est pas deux rйalitйs.

2. Dans son livre De l’unitй et de l’un, Boиce dit que toute rйalitй est, parce qu’elle possиde une unitй numйrique. Si donc le Verbe incarnй n’est pas un, il s’ensuit qu’il n’est pas un йtant.

3. Les rйalitйs qui s’attribuent l’une а l’autre ne font pas nombre. Mais l’homme et Dieu s’attribuent l’un а l’autre dans le Verbe incarnй. Donc le Verbe incarnй n’est pas deux, en tant qu'il est Dieu et homme, mais un.

4. On a montrй plus haut que l’union de la nature divine et de la nature humaine dans le Verbe incarnй est plus intime que l’union de l’accident et du sujet. Mais le Philosophe montre que l’accident et le sujet ont une unitй numйrique. Donc, а bien plus forte raison, le Verbe incarnй est une seule rйalitй, en tant qu’il est Dieu et homme.

5. Dans le Symbole, saint Athanase йcrit du Verbe incarnй: "Bien qu’il soit Dieu et homme, cependant le Verbe incarnй n’est pas deux, mais un."

6. Ce qui est devenu un, est un: de mкme, ce qui est devenu blanc, est blanc Mais selon Hugues, au livre Des Sacrements, le Verbe de Dieu est devenu une seule rйalitй avec l’homme. Donc le Verbe incarnй, existant comme Dieu et comme homme, est une seule rйalitй.

7. L’unitй est ce par quoi on dit de chaque rйalitй qu’elle est une. Mais aprиs l’unitй de la sainte Trinitй, la plus grande unitй est celle du Verbe incarnй. Donc le Verbe incarnй est souverainement un.

 

Rйponse:

La coutume veut qu'on mette la personne au genre masculin, qui est formй. C’est pourquoi il est manifeste que le Verbe incarnй n’est pas deux au masculin, mais un seul. Car dans le Verbe incarnй il n’y a pas deux personnes, mais une seule.

Certains cependant, ont posй dans le Verbe incarnй une seule personne, mais deux sujets (suppфt ou hypostases): l’un du Fils de Dieu, l’autre du Fils de l’homme. En consйquence, s’ils ne disaient pas que le Verbe incarnй fыt deux au masculin, en raison de l’unitй de personne. Ils disaient cependant qu'il йtait deux rйalitйs, en raison de la dualitй des sujets (suppфt). Mais, comme on l’a montrй, cette opinion s’oppose а la vйritй de la foi. Aussi, sans nous y attarder, faut-il considйrer si, йtant supposй que dans le Verbe incarnй il y a une seule hypostase et un seul sujet ou suppфt, il faut dire que le Verbe incarnй est deux rйalitйs, ou une seule.

On peut le montrer avec йvidence en considйrant ceci. On dit un, de maniиre dйnominative, ce qui possиde l’unitй, comme on appelle blanc ce qui possиde la blancheur, ou en est le sujet. Pour la mкme raison, on dit "multiple" de maniиre dйnominative une "multitude", et "deux", une "dualitй". Par ailleurs, l’un est convertible avec l’йtant. Dиs lors, de mкme qu’il y a l’кtre accidentel et l’кtre substantiel, de mкme on dit qu’une rйalitй est une ou multiple 1° soit selon la forme accidentelle, 2° soit selon la forme substantielle.

1° On dit qu’une rйalitй est multiple selon les formes accidentelles, si elle est sujet de diverses formes accidentelles, soit successivement, soit simultanйment. Successivement, comme Socrate assis est autre que Socrate debout. Aussi Socrate, en tant qu’il est d’abord debout et ensuite assis, est-il multiple successivement. Simultanйment, comme Socrate, en tant qu’il est blanc et musicien, est multiple.

En effet, si "animal bipиde", que l’on attribue а Socrate, est une seule rйalitй et non plusieurs, cela provient du fait que l’un des deux est avec l’autre dans le rapport de puissance а acte comme il est йcrit au VIII° livre des Mйtaphysiques. Au contraire, "blanc" et "musicien" ne se trouvent pas dans ce rapport. Et c’est pourquoi Socrate, en tant qu’il est blanc et musicien, est multiple, non certes purement et simplement mais sous un certain rapport. De mкme aussi, selon les accidents, on dit qu’une rйalitй est sous un certain rapport, et non purement et simplement.

2° Selon la substance, au contraire, on dit qu’une rйalitй est une et multiple purement et simplement, comme on dit que c’est un йtant. Mais, selon le Philosophe, au V° livre des Mйtaphysiques, on parle de substance de deux maniиres: (pour dйsigner) le sujet (suppфt), qui ne s’attribue pas а un autre; et la forme ou nature de l’espиce, qui s'attribue au sujet (suppфt).

Et en aucun de ces deux sens, assurйment, chez les pures crйatures, la substance n’est а la fois une et multiple. En effet l’essence de sujets (suppфt) divers n’est pas numйriquement une, et on ne trouve dans les pures crйatures aucun sujet (suppфt) unique ayant deux substances naturelles. Mais le second de ces deux cas se rйalise exclusivement dans le Verbe incarnй; et le premier, exclusivement dans les trois personnes divines.

On peut donc bien йvidement dire que le Verbe incarnй est, de quelque maniиre, une seule rйalitй, parce qu’il est un quant au sujet (suppфt); mais il est aussi, d'une autre maniиre multiple, ou deux, parce qu'il a deux natures; Cela se rйalise dans le Verbe incarnй beaucoup plus que dans Socrate, а qui on attribue l’unitй en tant qu’il est un par le sujet; et la multiplicitй en tant qu’il est blanc et musicien.

Mais il faut aussi considйrer laquelle de ces deux attributions se fait purement et simplement; et laquelle se fait d’un certain point de vue. Ainsi, il faut savoir qu’on dit qu’une rйalitй est telle simplement et proprement, quand elle l’est selon elle-mкme. Et on dit qu’une rйalitй est selon elle-mкme ce qu’elle est selon le tout, plutфt que ce qu’elle est selon la partie. Car la partie n'est pas purement et simplement identique au tout. Or comme ipse, "lui-mкme", est un rйciproque, c’est un relatif d’identitй. Et c’est pourquoi ce qui convient а quelque rйalitй selon le tout lui convient purement et simplement, de prйfйrence а ce qui lui convient selon la partie.

Dиs lors, si quelque rйalitй est de nature а convenir а quelqu’un selon le tout et la partie, et que cela lui convienne seulement selon la partie, on dit que cela lui convient sous un certain rapport, et non purement et simplement, comme si l’on disait: cet Ethiopien est blanc, parce qu’il a les dents blanches. Mais il en va autrement de ce qui n’est susceptible de se trouver en lui que selon la partie: on dit purement et simplement qu’un homme est frisй, s’il a les cheveux frisйs.

Or, il est manifeste que le sujet (suppфt) est signifiй par mode de tout, la nature, par mode de partie formelle, ainsi qu'il est patent d’aprиs ce qu’on a dit plus haut. C’est pourquoi, comme l’un et le multiple peuvent se rйfйrer au sujet (suppфt) et а la nature, si un sujet unique a plusieurs natures substantielles, il sera de toute йvidence un purement et simplement, et multiple d’un certain point de vue.

Un signe de cette vйritй, c’est que les rйalitйs qui diffиrent par le sujet (suppфt), et sont unes en ce qui appartient par soi а la nature, sont certes multiples purement et simplement, mais unes par le genre et l’espиce. Aussi, а l’inverse, si un sujet (suppфt) unique a des natures diverses, i il sera un purement et simplement, et multiple sous un certain rapport. Donc, comme nous l'avons dit, puisque le Verbe incarnй est un sujet (suppфt) ayant deux natures, il s’ensuit qu’il est un purement et simplement, et qu'il est deux sous un certain rapport.

 

Solutions

1. Cette parole de saint Augustin, "l’un et l’autre est Dieu et l’un et l’autre est homme", ne doit pas кtre appliquй а une dualitй de sujets (suppфt), en vertu de laquelle on dirait que le Verbe incarnй est purement et simplement deux; mais cela doit кtre appliquй а la dualitй des natures signifiйes par deux noms: "Dieu" et "homme." Car on attribue а Dieu ce qui est humain et ce qui est divin: et а l’homme on attribue aussi ce qui est divin et ce qui est humain.

2. Les trois personnes divines sont tout а fait identiques, quant а la rйalitй, а l’essence divine et rien ne s’ajoute dans la Personne а la nature divine pour produire quelque diversitй substantielle. C’est pourquoi, du fait que les trois personnes ont en commun la nature divine, elles sont une seule rйalitй purement et simplement. Mais il n’en va pas de mкme dans le rapport de la nature humaine а la personne divine. Aussi n’y a-t-il pas de comparaison.

3. Dans le Verbe incarnй, on dit que le Fils de l’homme est une rйalitй, et le Fils de Dieu une autre, du fait que chacun de ces deux noms attribue au Verbe incarnй une nature diffйrente non qu’il soit deux sujets (suppфt) distincts, ce qui ferait que le Verbe incarnй serait purement et simplement deux rйalitйs. En effet, si le sujet (suppфt) humain et le sujet (suppфt) divin йtaient diffйrents, ils diffйreraient nйcessairement substantiellement.

4. Si le sujet (suppфt) demeure le mкme, les diffйrentes formes inhйrent soit au mкme moment soit а des moments diffйrents ne produisent pas autre chose purement et simplement. Ceci n’arrive qu’en raison du sujet (suppфt), quand le sujet (suppфt) est.

5. Dans le nom "blanc", on entend la blancheur et le sujet de la blancheur; mais on entend la blancheur, de maniиre dйterminйe; on entend le sujet de la blancheur, de maniиre indйterminйe. Car quand on dit: "le blanc", on entend une rйalitй informйe par la blancheur, mais sans dйterminer de quelle rйalitй il s’agit; en revanche, on dйtermine la forme. De mкme aussi, quand on dit: "homme" ou quelque autre nom dйsignant une substance, on entend un "йtant ayant l’humanitй". Mais une rйalitй est dйterminйe а une espиce par son essence ou par sa nature, pas par ses accidents. Aussi dans ce nom "homme", on entend de maniиre dйterminйe ce qui a l’humanitй, plutфt que dans ce nom "blanc", on n’entend ce qui a la blancheur. Or ce qu’on entend par le nom d’une maniиre dйterminйe, est proprement ce que signifie le nom. Ce nom "homme" signifie donc plutфt le sujet (suppфt) de l’humanitй que ce nom "blanc", le sujet de la blancheur. Pourtant ce nom, "homme", ne signifie pas non plus le sujet (suppфt) de l’humanitй selon qu’il est dйterminй dans sa singularitй, mais seulement en tant qu'il est dйterminй par la nature de l’espиce Donc, puisque le sujet (suppфt) de nature humaine et divine dans le Verbe incarnй, selon qu’on le prend comme distinct dans sa singularitй, est un seul et le mкme en deux natures dйterminйes, il est certes purement et simplement une seule rйalitй en lui-mкme; mais sous un certain rapport, en tant qu’il a deux natures, il est deux rйalitйs.

6. Pour qu’une rйalitй soit autre chose qu’une autre, il n’est pas nйcessaire qu’elle s’en distingue selon le tout; mais pour qu’elle soit autre chose purement et simplement, il faut qu’elle s’en distingue selon elle-mкme.

7. On ne peut pas conclure que le Verbe incarnй est deux rйalitйs du fait que l’unitй crййe n’est pas l’unitй incrййe. On peut seulement conclure qu’il subsiste dans une double unitй, comme il subsiste dans une double nature.

8. Si le Verbe incarnй йtait cette rйalitй unique qu’est un homme, il s’ensuivrait qu’il serait une seule rйalitй а tout point de vue, c’est-а-dire aussi bien selon la nature que selon le sujet (suppфt). Mais du fait que le Verbe incarnй est une rйalitй — ce qu’est un homme—, et autre chose —ce qu’est Dieu —, il s’ensuit qu’il est deux rйalitйs selon la nature; mais il ne s'ensuit pas qu’il soit deux absolument et simplement, en raison de l’unitй de sujet (suppфt).

9. Ce qui reзoit plusieurs prйdicats dans une proposition incluant plusieurs prйdicats unis par une copule n’est pas nйcessairement plusieurs rйalitйs purement et simplement; autrement Socrate serait plusieurs rйalitйs purement et simplement, s’il est blanc et musicien. Ainsi si le Verbe incarnй est Dieu et homme, il n’est pas nйcessairement deux rйalitйs purement et simplement.

10. De la nature divine et de la nature humaine il ne rйsulte pas une rйalitй unique selon la nature; cependant elles concourent а un unique sujet (suppфt), en raison duquel le Verbe incarnй est une seule rйalitй.

11. Le Verbe incarnй n’est pas nйcessairement deux fils du fait qu’il est nй du Pиre selon une raison formelle et de sa mиre selon une autre raison formelle. De mкme aussi, il n’est pas nйcessairement deux selon le sujet (suppфt), du fait qu'il subsiste selon une raison de subsister diffйrente en tant que Dieu et en tant qu'homme.

12. La diffйrence souveraine qui sйpare la nature humaine de la nature divine montre qu’il ne peut y avoir une seule nature de Dieu et de l’homme. Mais il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse y avoir un unique sujet (suppфt) de l’une et l’autre nature.

13. Des diffйrences contraires et opposйes peuvent exister dans le mкme (sujet) selon des points de vue divers. Ainsi l’homme est selon l’вme incorruptible, et selon le corps corruptible. Ainsi, dans le Verbe incarnй, certaines propriйtйs opposйes coexistent selon la nature humaine et la nature divine.

14. Cette proposition: "l’homme est l’humanitй" est fausse. En effet l’un et l’autre de ces termes ne signifie pas exactement la mкme rйalitй. Le Philosophe йcrit au VII° livre des Mйtaphysiques, que ce qu’est une rйalitй, c’est-а-dire l’essence de chaque rйalitй, lui est identique quant а ce qui est par soi, non quant а ce qui est par accident. C’est pourquoi tout ce а quoi il peut advenir quelque rйalitй, en plus de la nature de son essence, n’est pas tout а fait identique а son essence. Or beaucoup de rйalitйs adviennent а l’homme, en plus de l’essence de son espиce. Aussi, de toute йvidence, l’homme n’est pas exactement la mкme rйalitй que l’humanitй. Car on appelle humanitй ce par quoi on est homme, et ainsi ce terme inclut dans sa signification cela seul qui appartient а l’essence de l’espиce. Mais on appelle homme l'individu qui possиde l’humanitй et en qui se trouvent encore beaucoup d’autres rйalitйs, entre autre l’essence de l’espиce.

 

ARTICLE 4: LE VERBE INCARNE EST-IL UN SEUL КTRE?

 

Objections:

Il semble que non.

1. Dans le Verbe incarnй, il y a un кtre divin et un кtre humain qui ne peuvent кtre un seul кtre, car l’кtre ne se dit pas de maniиre univoque de Dieu et des crйatures. Ce prouve que dans le Verbe incarnй il n’y a pas un seul кtre, mais deux кtres.

2. A chaque forme correspond son кtre. Autre chose en effet est d’кtre blanc, autre chose d’кtre homme. Mais dans le Verbe incarnй il y a deux formes, car, comme le dit (l’Apфtre) aux Philippiens 2, 7: "Lui qui йtait dans la forme de Dieu, il a pris la forme d’esclave". Cependant il n’a pas abandonnй la forme de Dieu. Donc il y a dualitй d’кtre dans le Verbe incarnй.

3. Le Philosophe dit dans le livre De l’вme, "vivre, pour les vivants, c’est кtre". Mais dans le Verbe incarnй il y a une double vie а savoir la vie humaine, dont il fut privй par la mort; et la vie divine, dont la mort n’a pu le priver. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a pas seulement un кtre, mais deux кtres.

 

Cependant:

Le Verbe incarnй est un purement et simplement, comme on l’a montrй plus haut. Or Tout ce qui est un purement et simplement est un selon l’кtre. Donc il y a bien en lui un seul кtre.

 

Rйponse:

La rйponse а cette question trouve son principe, d’une certaine maniиre, dans le mкme que la prйcйdente. En effet, c'est а cause du mкme principe qu’on dit qu’une rйalitй est une, et qu’elle est un йtant. En effet, l’кtre se dit au sens propre et en vйritй du sujet (suppфt) subsistant. Car si l’on dit que les accidents et les formes non subsistantes sont, c’est en tant que par eux quelque rйalitй subsiste. Ainsi on dit que la blancheur est un йtant, en tant que par elle quelque rйalitй est blanc. Or il y a certaines formes en vertu desquelles quelque rйalitй est un йtant, non purement et simplement, mais sous un certain rapport, comme c’est le cas de toutes les formes accidentelles. En revanche, il est d’autres formes par lesquelles une rйalitй subsistante possиde l’кtre purement et simplement car elles constituent l’кtre substantiel de cette rйalitй subsistante. Or dans le Verbe incarnй, le sujet subsistant, c’est la personne du Fils de Dieu, laquelle trouve purement simplement son кtre substantiel par la nature divine, et non par la nature humaine. Car, avant qu'elle assumer l’humanitй, la personne du Fils de Dieu йtait. Sa personne n’a reзu aucun accroissement ni aucun perfectionnement du fait qu'elle a assumй la nature humaine. Mais le sujet (suppфt) йternel est substantifiй par la nature humaine, en tant qu'il est cet homme. C’est pourquoi, de mкme que le Verbe incarnй est une seule rйalitй purement et simplement en raison de l’unitй de sujet (suppфt), et deux sous un certain rapport, en raison de ses deux natures; de mкme il possиde un кtre unique purement et simplement en raison de l’unique кtre йternel du sujet (suppфt) йternel.

Il y a cependant aussi un autre кtre de ce sujet (suppфt) non en tant qu'il est йternel, mais en tant qu’il s’est fait homme dans le temps. Cet кtre, assurйment, n’est pas un кtre accidentel, car ce n’est pas par accident que l’on attribue "homme" au Fils de Dieu comme on l’a dit plus haut. Cependant, ce n’est pas l’кtre principal de son sujet (suppфt), mais un кtre secondaire.

Au contraire, s’il y avait dans le Verbe incarnй deux sujets (suppфt), alors l’un et l’autre sujet (suppфt) possйderait un кtre propre qui serait son кtre principal. Et ainsi dans le Verbe incarnй il y aurait un кtre double purement et simplement, ce qui est aberrant.

 

Solutions:

1. L’кtre de la nature humaine n’est pas l’кtre de la (nature) divine. Cependant il ne faut pas dire purement et simplement que le Verbe incarnй soit deux selon l’кtre; car le sujet (suppфt) йternel ne regarde pas а йgalitй l’un et l’autre кtre.

2 et 3. Et il faut rйpondre de la mкme maniиre aux autres objections.

 

ARTICLE 5: LE VERBE INCARNE A-T-IL UNE SEULE OPЙRATION OU DEUX?

 

Objections:

Il semble qu'il y a une seule opйration dans le Verbe incarnй.

1. Dans sa Lettre au moine Gaпos, Denys йcrit: "Dieu, aprиs qu'il se soit fait homme, a vйcu avec une certaine opйration nouvelle de Dieu et de l’homme." Mais il n’y aurait pas "une opйration nouvelle de Dieu et de l’homme", si l’opйration de l’un et de l’autre n’йtait pas unique. Donc il y a une seule opйration de Dieu et de l’homme dans le Verbe incarnй.

2. Ce qui concourt а une mкme opйration, ne diversifie pas l’opйration. Mais la divinitй et l’humanitй dans le Verbe incarnй concourent а une mкme opйration: ainsi, deux choses concourent а la guйrison du lйpreux: la vertu divine et le contact de la chair.

3. C'est par un certain principe d’action que l’action procиde de l’agent; exemple: la calйfaction procиde du feu par la chaleur. Donc pour comprendre la multiplicitй et l’unicitй de l’action, il faut la considйrer soit du cфtй de l’agent, soit du cфtй du principe par lequel l’agent agit. Mais le nombre des actions du Verbe incarnй ne se prend pas du cфtй du principe par lequel l’agent agit; car s’il en йtait ainsi, il y aurait beaucoup plus de deux actions dans le Verbe incarnй, selon la multiplicitй des puissances de son вme. Il faut donc dire qu’il y a une seule action dans le Verbe incarnй, а cause de l’unique sujet (suppфt) qui agit.

4. L’agent principal et l’instrument ont une seule et mкme action. Exemple: couper est l’action du charpentier et de la scie. Mais, comme l'йcrit saint Jean Damascиne au III° livre De la Foi Orthodoxe, l’humanitй dans le Verbe incarnй est l’organe de la divinitй. Donc, dans le Verbe incarnй, il n’y a qu’une seule et mкme action de la divinitй et de l’humanitй.

5. L'action appartient aux sujets. Or dans le Verbe incarnй il n’y a pas d’autre sujet (suppфt) que le sujet (suppфt) йternel. Et l’on ne peut dire que celui-ci agisse par la vertu de la nature humaine; car s’il en йtait ainsi, il recevrait quelque rйalitй de la nature humaine, et il possиderait de l’кtre et de l’actualitй de par la nature humaine. Car chaque rйalitй agit en tant qu’elle est un йtant en acte. Donc il n’y a dans le Verbe incarnй aucune action qui ne s’exerce par la vertu de la nature divine. Donc il n’y a pas dans le Verbe incarnй deux actions selon ses deux natures, divine et humaine.

6. Le sujet (suppфt) est plus йtroitement uni а la nature divine que l’opйration. Mais la nature humaine du Verbe incarnй ne possиde pas de sujet (suppфt) propre, du fait de son union а la nature divine. Donc а plus forte raison elle n’a pas d’opйration propre. Donc dans le Verbe incarnй il n'y a pas deux opйrations.

7. c'est le composй qui agit. Or affirmer que l’вme fait acte d’intellection revient au mкme que de dire qu’elle tisse ou construit, comme l'йcrit le Philosophe dans le I° livre De l’вme. Mais il n’y a dans le Verbe incarnй qu’une seule personne, dans laquelle il y a composition d’humanitй et de divinitй. Donc dans le Verbe incarnй il n’y a qu'une seule opйration.

8. L’intellection est la premiиre et la principale opйration de la nature intellectuelle. Mais l’intellection demeure dans le sujet lui-mкme et n’est pas une opйration passant dans une nature extйrieure. Or agir est le fait du sujet (suppфt) et, dans le Verbe incarnй il n’y a qu’un seul sujet (suppфt) incrйй, qui est simple. Donc il semble que dans le Verbe incarnй il ne puisse y avoir deux opйrations intellectuelles puisque dans une rйalitй simple unique il ne peut y avoir deux intellections,.

9. L’opйration de n’importe quelle rйalitй est consйcutive а ce qui lui est propre. Mais les deux natures dans le Verbe incarnй se communiquent mutuellement leurs idiomes, c’est-а-dire leurs propriйtйs, en raison de l’unitй de leur unique sujet (suppфt), comme le dit saint Jean Damascиne. Donc pour la mкme raison, il y a en lui communication des opйrations; et ainsi les opйrations ne se distinguent pas d’aprиs la distinction des natures.

10. Toutes les opйrations d’un seul homme se rapportent а un premier principe unique qui est la volontй. En effet, c'est elle qui meut toutes les autres puissances а agir. Mais on peut poser de la mкme maniиre un premier principe dans le Verbe incarnй. Il s'agit de la divinitй, par laquelle son humanitй йtait mue. Et ainsi les opйrations de l’humanitй se rйfиrent en lui а la divinitй comme а leur premier principe. Donc il n'y a qu'une seule opйration dans le Verbe incarnй.

11. Saint Athanase йcrit: "Comme l’вme raisonnable et le corps sont un seul homme, ainsi Dieu et l’homme sont un seul Verbe incarnй". Mais l’opйration du corps humain, ou de l’вme raisonnable est appelйe une opйration humaine. Donc dans le Verbe incarnй on doit appeler une opйration christique l’opйration tant de la divinitй que de l’humanitй. Et ainsi, comme il n'y a qu'un seul Verbe incarnй, il n’y aura dans le Verbe incarnй qu'une seule opйration.

12. Toute opйration procиde de quelque forme ou vertu. Mais l’agent principal ne donne aucune forme ou vertu а son instrument. Donc l’instrument n’exerce aucune opйration en tant qu’il est un instrument. Or saint Jean Damascиne dit que la nature humaine du Verbe incarnй йtait l’organe de la divinitй. Donc 1a humaine dans le Verbe incarnй n’exerce aucune opйration. On en conclut que, dans le Verbe incarnй, il n’y a qu'une seule opйration qui est celle de sa divinitй.

13. L’action informe l’agent. Mais dans le Verbe incarnй il n’y a qu’un seul sujet (suppфt), le sujet (suppфt) йternel. Ce sujet йternel ne peut кtre informй par une opйration crййe. Or agir appartient au sujet (suppфt); il semble donc que dans le Verbe incarnй il n’y a aucune opйration crййe et qu'ainsi, en lui, il n’y a qu’une seule opйration incrййe.

14. Un seul (sujet) a une seule opйration. Mais, comme on l’a dit plus haut, le Verbe incarnй est un, а parler purement et simplement. Donc, il y a une seule opйration dans le Verbe incarnй.

 

Cependant:

1. Un dйcret du VI° concile oecumйnique йcrit: "Nous honorons deux opйrations naturelles, sans division, sans changement, sans confusion et sans sйparation, dans le mкme Seigneur Jйsus-Christ notre vrai Dieu, а savoir l’opйration divine et l’opйration humaine".

2. Au III° livre De la Foi Orthodoxe, saint Jean Damascиne йcrit: "Nous disons qu'il y a deux actions dans le Seigneur: en effet, il possиde une action divine en tant qu'il est consubstantiel au Pиre; et il possиde, l’action de la nature humaine en tant qu’il s’est fait homme ".

3. Comme il y a dans la Trinitй une seule nature en trois personnes, de mкme il y a dans le Verbe incarnй deux natures en une seule personne. Mais la Trinitй tout entiиre a une opйration unique, en raison de l’unitй de nature. Donc dans le Verbe incarnй il y a deux opйrations en raison de l'existence de deux natures.

4. Au livre Des deux natures, Boиce йcrit que la nature est ce qui peut agir et pвtir; et ainsi l’action suit la nature. Mais il y a dans le Verbe incarnй deux natures et par consйquent deux actions.

5. L’opйration suit la vertu, et la vertu suit l’essence, qui est la nature de la rйalitй. Donc lа oщ il y a deux natures, il y a deux vertus, et par consйquent deux opйrations. Et ainsi dans le Verbe incarnй il n’y a pas une seule, mais deux opйrations.

 

Rйponse:

On peut regarder l’unitй ou la pluralitй de l’action sous deux rapports:

1° D’un premier point de vue, on peut la regarder du cфtй du sujet qui agit. Et, sous ce rapport, on envisage l’unitй ou la pluralitй de l’action selon le nombre. De mкme aussi, n’importe quel autre accident tient son unitй ou sa pluralitй numйrique de son sujet. Car cette vision ou cette audition de Socrate est numйriquement distincte de la vision ou de l’audition de Platon.

2° D’un autre point de vue, on peut regarder l’unitй ou la pluralitй de l’action du cфtй du principe par lequel l’agent opиre. Et de la sorte, on dit que l’action est une ou multiple selon son espиce ainsi, la vision et l’audition sont des opйrations spйcifiquement diffйrentes: en effet, l’action procиde de l’agent selon la raison de la vertu par laquelle il agit.

Et ceci ne s’oppose pas au fait que les actions sont spйcifiйes par leur objet; car les vertus dйterminйes regardent des objets dйterminйs.

Cependant, il faut considйrer que si une vertu, qui est principe d’action, est mue par une autre vertu supйrieure, l’opйration qui en procиde n’est pas seulement une action, mais aussi une passion puisqu'elle procиde d’une vertu qui est mue par un principe supйrieur. Mais chez l’homme, toutes les vertus de la partie sensitive sont mues de quelque maniиre par la volontй comme par une sorte de premier principe. C’est pourquoi entendre, voir, imaginer, dйsirer, se mettre en colиre, ne sont pas seulement des actions, mais aussi des sortes de passions, procйdant de la motion de la volontй, en tant que l’homme s’y engage par sa propre volontй. Certes, dans un homme, on constate des actions multiples, spйcifiquement diffйrentes suivant les puissances et les habitus divers; cependant, toutes procиdent d’une unique action premiиre de la volontй. Aussi on dit qu’il y a une seule action pour un homme unique. Ainsi, si un artisan unique opйrait а l’aide de nombreux instruments, on dirait que son opйration est unique.

Ceci dit, certains ont soutenu qu'il n’y a qu’une seule opйration dans le Verbe incarnй, du fait que la nature humaine est en lui soumise а l’action divine, et est mue par elle. Et ainsi l’action de la nature humaine, par comparaison avec l’opйration divine, offre plutфt le caractиre d’une passion. Aussi, ils disaient qu'en considйration de la vertu de l’action divine, que dans le Verbe incarnй il n’y a qu’une seule action.

Mais cette thйorie n’est pas conforme а la raison et ce pour deux motifs:

1° Parce que toute vertu qui n’a pas la maоtrise de son acte est mue par un agent supйrieur de telle sorte qu’elle n’agit pas elle-mкme, mais plutфt subit une action. C'est pourquoi le Philosophe йcrit dans les Ethiques que la facultй sensitive n’est principe d’aucune action. Mais la volontй qui est la puissance qui jouit de la maоtrise de son acte, est mue par un principe supйrieur, c’est-а-dire par Dieu, de telle sorte que non seulement elle subit une action, mais encore elle l’exerce. Or le Verbe incarnй, selon la nature humaine, possиde une puissance crййe de volontй comme aussi un intellect crйй puisque rien ne lui manque de ce qui appartient а la perfection de la nature humaine. Par consйquent, le mouvement de la volontй humaine dans le Verbe incarnй est une action, et non seulement une passion. Autrement il n’aurait pu mйriter selon la nature humaine.

2° L’opйration d’un sujet tient son espиce et son unitй d’un principe premier appartenant а la mкme nature; ainsi, la volontй, qui confиre leur unitй а toutes les actions humaines, est une sorte de principe intrinsиque а la nature humaine. Mais il n’existe pas d’action qui tire son unitй du fait qu’elle se ramиnerait а quelque principe premier d’une autre nature. Autrement, il s’ensuivrait que toutes les rйalitйs n’auraient qu’une action unique, puisqu’il n’y a qu’un premier Principe unique qui meut toutes rйalitйs, а savoir Dieu.

Donc, bien que dans le Verbe incarnй la nature humaine est mue par la nature divine, cependant, puisqu’il y a deux natures distinctes, il y aussi deux actions, et ce de toute nйcessitй. Si l’on pose une seule action dans le Verbe incarnй, il s’ensuit qu’il n’y a en lui qu’une seule nature et une seule volontй. C'est pourquoi cette position hйrйtique a йtй condamnйe au VI° concile њcumйnique.

 

Solutions:

1. L’opйration du Verbe incarnй selon l’humanitй est thйandrique c’est-а-dire qu'elle est divine et humaine а la fois. En effet, l’humanitй du Verbe incarnй agissait de par la vertu divine et c’est pourquoi l’action de cette humanitй йtait salutaire, comme l’instrument agit de par la vertu de l’agent principal. Et si l’on dit qu’il s’est fait une action "nouvelle", c’est parce que pour la premiиre fois il est arrivй que l’humanitй du Verbe incarnй a йtй un instrument conjoint а la divinitй en unitй de personne; mais non au sens oщ de deux actions il rйsulterait une action composйe unique.

2. Dans le Verbe incarnй, la divinitй et l’humanitй concourent а la mкme opйration sans confusion, car comme il est йcrit dans la lettre du pape Lйon, "l’une et l’autre nature opиre ce qui lui est propre en communion avec l’autre nature". Ainsi la vertu divine guйrissait le lйpreux par le contact du corps humain, qui au mкme moment recevait son efficacitй de la vertu divine.

3. Dans le Verbe incarnй, en raison de l’unitй de leur principe connaturel, la volontй, toutes les actions appartenant а la nature humaine se ramиnent а une seule action. Il n’en va pas de mкme de la divinitй et de l’humanitй, comme on l’a dit.

4. La nature humaine du Verbe incarnй n’est pas un instrument tel qu’il subisse seulement une action. Mais elle est aussi principe d’action, puisqu'elle possиde la maоtrise de ses actes.

5. Une rйalitй agit par la vertu d’une autre de deux maniиres.

1° en tant qu’elle est mue par la vertu de celle-ci, comme la chaleur naturelle agit par la vertu l’вme.

2° en tant qu’un agent se sert de la vertu d’un instrument, comme l’вme voit par la vertu de l’oeil. Et c’est de cette maniиre que le sujet (suppфt) йternel agit dans le Verbe incarnй par la vertu de la nature humaine.

6. Le sujet (suppфt) est ce qui est distinct du reste. C’est pourquoi si la nature humaine avait son propre sujet (suppфt), elle rйpugnerait а l’union personnelle. Mais l’opйration n'implique aucune raison formelle de distinction. Ainsi le raisonnement ne tient pas.

7. Les opйrations appartiennent au composй de plusieurs rйalitйs, rйuni dans une seule nature. Mais telle n’est pas la composition de l’humanitй et de la divinitй dans le Verbe incarnй. Ainsi le raisonnement ne tient pas.

8. L’opйration intellectuelle est intrinsиque а l’intellect. Or il y a dans le Verbe incarnй deux intellects, а savoir l’intellect crйй et l’intellect incrйй. C’est pourquoi dans le Verbe incarnй il y a deux opйrations intellectuelles.

9. Il y a communication des idiomes dans le Verbe incarnй, non en ce sens qu’il y aurait quelque confusion des propriйtйs naturelles, mais parce que les propriйtйs de l’une et l’autre nature se disent du mкme sujet (suppфt). Et c’est dans le mкme sens qu’il y a communication des opйrations car c’est au mкme sujet (suppфt) (le Verbe incarnй) qu’on attribue la mкme opйration, divine et humaine.

10. Le cas n’est-il pas semblable car la volontй est le principe connaturel aux autres puissances de l’вme. Au contraire, la divinitй n’est pas connaturelle а l’humanitй.

11. Saint Athanase parle ici de l’unitй de personne, et non l’unitй de nature. En effet l’вme et le corps s’unissent en une seule personne et en une seule nature et c’est pourquoi on dit qu'il y a une seule opйration humaine. Par contre, dans le Verbe incarnй, la nature divine et la nature humaine s’unissent en une seule personne, mais pas en une seule nature. Il n'y a par consйquent pas en lui une seule opйration.

12. Bien que l’agent ne donne pas toujours а l’instrument une forme ou une vertu nouvelle qui repose en lui, pourtant en tant que l’instrument est mы par l’agent, il en reзoit une certaine vertu intentionnelle par l’influx de l’agent. Cet agent produit son effet par l’instrument.

13. C'est par l’intermйdiaire de l’oeil que la vision informe l’homme. De mкme c'est par l’intermйdiaire de la nature humaine que l’action crййe informe le sujet (suppфt) йternel.

14. C'est en raison de son unique sujet (suppфt) que le Verbe incarnй est un, et il est un purement et simplement. Pourtant, il y a en lui deux natures. C'est pourquoi le Verbe incarnй est un seul agent tout en ayant en lui deux opйrations.

FIN DE LA QUESTION DISPUTЙE SUR L’UNION HYPOSTATIQUE DU VERBE INCARNЙ,

Nouvelle traduction par Jean Sйbastien, 2005