"Les cinq questions disputées sur les vertus (De virtutibus)" - читать интересную книгу автора (Aquinas St. Thomas)

Question 3 : la correction fraternelle

Saint Thomas d’Aquin

 

Les cinq questions disputйes sur les vertus

 

De virtutibus

 

Traduction professeur Jacques Mйnard, pиre Dominique Dupont osb, Anne Michel Marie-Louis Evrard

sous la direction de Raymond Berton

 

Prйface du professeur Maxime Allard op

 

Edition numйrique http ://docteurangelique.free.fr 2003-2007

Les њuvres complиtes de saint Thomas d'Aquin

 


Prйface par Maxime Allard op_ 3

Avertissement des traducteurs 11

Question 1 : [Les vertus en gйnйral] 11

Prologue_ 12

Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ? 12

Article 2 – La dйfinition de la vertu donnйe par Augustin est-elle appropriйe ? 22

Article 3 – Une puissance de l’вme peut-elle кtre le sujet d’une vertu ? 28

Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils кtre sujets de la vertu ? 32

Article 5 ‑ La volontй est-elle le sujet d’une vertu ? 44

Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ? 51

Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spйculatif ? 57

Article 8 – Les habitus existent-ils en nous par nature ? 64

Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ? 76

Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ? 89

Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentйe ? 105

Article 12 – Est-ce que les vertus se distinguent entre elles? La question porte sur la distinction des vertus. 119

Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu? 137

Question 2 : [La charitй] 150

Prologue_ 151

Article 1 – La charitй est-elle quelque chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?  151

Article 2La charitй est-elle une vertu ? 167

Article 3La charitй est-elle la forme des vertus ? 176

Article 4La charitй est-elle une vertu unique ? 185

Article 5La charitй est-elle une vertu spйciale, diffйrente de autres vertus ou pas ? 193

Article 6La charitй peut-elle exister avec le pйchй originel ? 199

Article 7 – La nature raisonnable est-elle un objet digne d’кtre aimй par charitй ? 208

Article 8Aimer ses ennemis concerne-t-il la perfection du conseil ? 219

Article 9Y a-t-il un ordre dans la charitй ? 231

Article 10Est-il possible que la charitй soit parfaite en cette vie ? 240

Article 11Tous les hommes sont-ils tenus de possйder une charitй parfaite ? 248

Article 12La charitй, une fois acquise, peut-elle se perdre ? 258

Article 13La charitй est-elle perdue par un seul pйchй mortel ? 274

Question 3 : la correction fraternelle 280

Prologue_ 280

Article 1La correction fraternelle est-elle dans le prйcepte ? 280

Article 2La rиgle de la correction fraternelle est-t-elle dans le prйcepte qui se trouve en Mt 18 ?  295

Question 4 : [L’espйrance] 312

Prologue_ 312

Article 1 – Est-ce que l’espйrance est une vertu ? 312

Article 2 – Est-ce que l’espйrance se trouve dans la volontй comme dans son sujet? 325

Article 3 – Est-ce que l’espйrance prйcиde la charitй ? 327

Article 4 – Est-ce que l’espйrance n’existe que chez ceux qui sont en route [in viatoribus] ?  334

Question 5 : [Les vertus cardinales] 344

Prologue_ 344

Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?  344

Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les possиde toutes ?  356

Article 3 – Toutes les vertus sont-elles йgales en l’homme ? 370

Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ? 384



 

Prйface par Maxime Allard op[1]

            Une prйface possиde une fonction d’exposition. Encadrant un texte, du coup, elle l’expose. Elle offre une perspective pour le regarder, assigne un point de vue au lecteur. А tout le moins, elle en dйsigne un parmi d’autres possibles. Pour ce faire, elle doit jouer de contrastes et de lumiиres. Pour un texte ancien, il importe qu’elle fasse surgir quelque chose du contexte de rйdaction et de rйflexion. Mais cela ne suffit pas. Elle signale aussi l’actualitй de ce qui se joue dans le texte.

Vertus а la mode

Les « vertus » reviennent а la mode. Dans le monde philosophique anglophone, certainement, depuis les travaux de Philippa Foot il y a prиs de quarante ans et ceux plus rйcent de Alasdair MacIntyre, les « йthiques de la vertu » (virtue ethics) se sont multipliйes[2]. Et, grвce а des traductions, ces discussions rйcentes nourrissent dйsormais des discussions dans le monde francophone. Pour diffйrentes raisons, dans divers milieux catholiques, le mot « vertu » et ce а quoi il ferait rйfйrence reviennent aussi en force sur le devant de la scиne. Dans plusieurs de ces cas, le nom de Thomas d’Aquin est utilisй comme garant, comme autoritй. Il aurait structurй une de ces йthiques de la vertu  ou des vertus. J’йcris ceci au conditionnel car l’йcart me semble parfois tel entre la nйgociation thйologique thomasienne et les entreprises actuelles que son patronage risque fort de porter а faux ou d’entraоner dans des quiproquos malheureux.

Retour donc а une doctrine thomiste, а l’autoritй du docteur commun. Mais attention, les pensйes du « retour » sont souvent dangereuses et les retours plus imaginaires et fantasmйs qu’autre chose. Il serait peut-кtre mieux et а long terme plus fructueux encore, de parler d’un tour par les textes signйs « Thomas d’Aquin » pour les dйcouvrir : d’un tour de leur diversitй, de leurs parallиles, d’une dйcouverte de leurs йcarts, voire de leurs tensions, selon la diversitй possible des hermйneutiques inventйes pour ces lectures.

La prйsente traduction des questions disputйes De virtutibus in communi participe de ce mouvement car elle offre la premiиre traduction complиte de ces questions peu frйquentйes. Elle facilitera la tвche de qui voudra plonger dans les dynamiques des nйgociations et traitements, philosophiques et thйologiques, du thиme thomasien de la vertu et de sa place importante dans l’йconomie de l’agir humain tendu par Dieu vers Dieu pour que l’кtre humain, contemplant Dieu, jouisse de Dieu.

Il faut l’avouer, ces questions disputйes avaient йtй peu prйsentes explicitement dans la discussion, mкme entre thomistes, jusqu’а prйsent dans les lieux classiques francophones, pourtant elles les hantaient. Ainsi, par exemple, le P. Bernard leur faisait une belle place dans ces notes explicatives et dans ses notes « doctrinales » а la fin des deux volumes sur la vertu dans l’Йdition dite de la « Revue des jeunes » de 1933-1934. Mais alors, s’agissant d’йclaircir ou de prolonger des aperзus de la Summa theologiae, ces questions disputйes n’йtaient pas travaillйes en et pour elles-mкmes; leurs йconomies propres n’йtaient pas nйcessairement respectйes et la mise en discours particuliиre de leurs dйterminations aisйment escamotйes. On les pillait pour construire une « doctrine », pour produire un systиme, jamais йnoncй et impensable а l’йpoque de la rйdaction des questions disputйes et de la Summa theologiae. Heureusement, on remarque un lent changement dans cette pratique grвce а quelques publications rйcentes sur un point ou l’autre de ces questions elles-mкmes[3].

 

Une collection de questions

De virtutibus in communi est un assemblage relativement bref de questions thйologiques parmi les « questions disputйes » signйes Thomas d’Aquin. Seulement cinq questions pour un total de trente-six articles. Par contraste, le De malo, par exemple, en compte 15 avec un total de 96 articles ou le De veritatae avec ses vingt-sept questions et deux cents cinquante-trois articles, dans un contexte historique particulier, ou le De potentia, avec dix questions. Mais plus long que le De Anima avec son unique question de vingt-et-un articles ou du De unione verbi incarnati avec seulement cinq article en une question. Pour expliquer ces diffйrences, il faut recourir, entre autre, а la distinction entre les disputes « privйes » et les « publiques » et а la distinction entre la dispute ayant eu lieu effectivement et la « rйdaction » а laquelle elle donna lieu par la suite. De plus, а propos de certaines piиces du texte de la premiиre question disputйe portant sur les vertus en gйnйral, les йditions existantes signalent un « ajout » signй de « Vincent de Castel novo », dominicain, qui s’йtend de l’ad 9 jusqu’а la fin du deuxiиme article[4].

Tous les catalogues anciens les situent explicitement а l’йpoque du second enseignement parisien de Thomas d’Aquin, dont on pourra lire les enjeux philosophiques et thйologiques ainsi que leur complexitй dans les ouvrages du P. Wйber sur l’« homme » et la « personne » et dans les mises en contexte par Alain de Libera de la querelle anti-averroпste sur l’unitй de l’intellect а cette pйriode[5]. Les recherches les plus rйcentes, en attendant la publication de l’йdition critique par la Commission lйonine, les datent de la fin de ce second sйjour, soit entre 1271 et 1272[6]. Ces recherches tablent sur des critиres externes car rien dans le texte comme tel des questions disputйes en cause n’offre de prise pour une datation prйcise. Ces questions auraient donc eu lieu et auraient йtй rйdigйes de maniиre parallиle а la nйgociation de la Prima Secundae de la Summa theologiae.

 

Une organisation diffйrente

Et, pourtant, les questions sont regroupйes et posйes autrement. De plus, l’йquilibre des autoritйs patristiques, philosophiques, bibliques et ecclйsiastiques n’est pas le mкme.[7] Une prйface n’est pas lа pour analyser tous les enjeux de ces dйplacements et diffйrences. Un bref tableau, pour la premiиre question sur la vertu en gйnйral, indique clairement l’ampleur des transformations et transmutations:

De virtutibus in communi

Summa Theologiae, Prima Secundae

Article 1

q. 55, a. 1

Article 2

q. 55, a. 4

Article 3

q. 56, a. 1

Article 4

q. 56, a. 3

Article 5

q. 56. a. 6

Article 6

q. 57, a. 5 (plus ou moins parallиle)

Article 7

q. 56, a. 3 et q. 57, a. 1

Article 8

q. 63, a. 1

Article 9

q. 63, a. 2

Article 10

q. 63, a. 3

Article 11

q. 63, a. 3 et 4 (plus ou moins parallиle) mais aussi q. 52, a. 1 et 66, a. 1

Article 12

q. 57, a. 2, 4 et 6 et q. 58, a. 2 (plus ou moins parallиle)

Article 13

q. 64, a. 1 quant а la question йnoncйe; incluant des parties des articles 2, 3 et 4 quant au contenu

 

Un rйamйnagement de l’ordre aussi radical a lieu а propos des vertus cardinales :

De virtutibus in communi q. 5

Summa Theologiae, Prima Secundae

Article 1

q. 61, a. 4

Article 2

q. 65

Article 3

q. 66, a. 2

Article 4

q. 67, a. 1

 

De plus, comme presque toujours, lа oщ la Summa theologiae se contente de trois ou quatre « objections », les questions disputйes en regorgent : jusqu’а vingt-sept pour l’article 12 de la question sur les vertus en gйnйral avec un sed contra de quatre objections pour l’article septiиme! De plus, les objections elles-mкmes peuvent кtre complexifiйes par des sed contra internes aux objections elles-mкmes comme on le voit pour la question 3, a. 1, obj. 2, а propos de la correction fraternelle[8]. La multiplication et la complication de ces perspectives irrйductibles construisent un espace plus en tension pour le respondeo et la determinatio magistrale qui s’y nйgocie et s’y configure. Du point de vue de la reconstitution historique du contexte des « disputes », cela requerrait une enquкte fine sur les manuscrits de l’йpoque et des maоtres parisiens et autres pour identifier les tenants possibles de ces positions, mais aussi pour la reconstruction des enjeux philosophiques et thйologiques soulevйs. Cette multiplication a trait а la nature mкme de la question disputйe et а son mode de rйalisation concrиte dans le cadre universitaire de l’йpoque[9].

 

Logique de la suite des questions

            Difficile de dйterminer, enfin, une logique faisant tenir ensemble un traitement des vertus en gйnйral, de la charitй de la correction fraternelle, de l’espйrance et des vertus cardinales. Les rйdacteurs des introductions aux diverses йditions Marietti dйclarent : « Manifesto, hoc non est commentarium de virtutibus ad modum integrum, perfectum et natura sua cohaerens.[10] » Aucune logique n’est йnoncйe dans le texte. L’ordre d’ailleurs ne reproduit pas celui de la Prima Secundae ou de la Secunda Secundae. Si on voulait y voir la sйquence suivante : vertus en gйnйral, vertus thйologales, vertus cardinales, d’une part, l’absence de la « foi » dans le groupe surprendrait; d’autre part, la prйsence de la brиve question sur la « correction fraternelle » pourrait йtonner. Mais, sur ce point, il est possible d’offrir une explication. D’une part, la vertu thйologale de « foi » avait fait l’objet dйjа d’une question (la douziиme) dans les questions disputйes De veritate lors du premier enseignement parisien; d’autre part, une nйgociation sur la charitй appelle le traitement de la « correctio fraterna » comme il s’agit, selon la structure de la Secunda secundae et ce qui est indiquй dans le corps de cette question, d’un acte de la charitй (S.T., IIaIIae, q. 33)[11]. Pour sa part la prioritй de la charitй sur l’espйrance йtant l’objet d’un traitement propre а propos de l’espйrance (DVC, q. 4, a. 3 : « Utrum spes sit prior caritate »), l’ordre suivi est cohйrent avec le contenu de la discussion bien que cela entraоne un renversement de l’ordre habituel.

Mais alors rebondit la question : pourquoi privilйgier la « correction fraternelle » sur l’ensemble des autres actes de la charitй? Quelque chose dans la question antйcйdente sur la charitй ou dans les deux articles qui en traitent offrent-ils quelques йlйments de rйponse? Pas vraiment car les brиves apparitions de la correctio  dans le traitement des questions antйrieures, soit en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10 ne constituent guиre des appels ou des impйratifs а un traitement ultйrieur. Cependant, ici, le parallиle avec la Summa theologiae peut encore s’avйrer prйcieux. Sur les sept aumфnes spirituelles йnumйrйes en IIaIIae, q. 32, a. 2 а la suite des sept aumфnes corporelles, seule la correction fraternelle reзoit comme telle un traitement explicite et dйveloppй dans le cadre du traitй de la charitй. Ce traitement est dйployй sur huit articles divisйs en deux groupes (qui corrige qui [articles 1 а 5] et comment corriger [article 6 а 8]); la question disputйe ne retient que la premiиre question et en nйgocie une autre qui n’a pas d’йquivalent en tant que question dans la Summa theologiae, ce qui n’empкche pas les respondeo et les rйponses aux diverses objections de couvrir une part du matйriel mis en discours dans les articles de la question de la Summa theologiae. 

 

Des traitements originaux

Mais plus encore, sans parler de transformation profonde de la pensйe dans le cas des questions qui nous occupent – comme, а la mкme йpoque cela arrive avec la question 6 du De Malo – il faut cependant reconnaоtre que le traitement varie ici. Je n’en veux donner que deux exemples mais la comparaison vaudrait pour bien d’autres questions ou articles du recueil De virtutibus in communi. Comparons l’article premier du De virtutibus in communi а l’article premier de son йquivalent dans la Summa theologiae, soit la question 55 de la Prima Secundae. Au lieu des 15 objections du De virtutibus in communi nous n’en retrouvons que cinq dans la Prima Secundae; et de ces cinq, seulement trois se retrouvent dans la question disputйe correspondante et, encore, pas tout а fait. De plus, le respondeo de la question 55 ne reprйsente que 14.2% du total du respondeo correspondant. Une partie du respondeo de la question disputйe prend du matйriel dйjа nйgociй dans les questions 49, article 2 et surtout 51 article 2 de la Prima Secundae. Pourtant, ce n’est que dans le respondeo de la question disputйe que l’on trouve explicitйs et argumentйs les trois йlйments sur lesquels une certaine dйfinition traditionnelle de la vertu thomasienne s’enracinera :

Premiиrement, afin qu’il y ait uniformitй dans son opйration : en effet, ce qui dйpend de la seule opйration est facilement changй, а moins d’кtre affermi par une inclination habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une opйration parfaite soit toujours prкte. En effet, а moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine faзon inclinйe а une seule chose, il faudra toujours que prйcиde une recherche sur une opйration, alors qu’il est nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la vertu. (…) Troisiиmement, afin que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En effet, ce qui est accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon une certaine nature, rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et par consйquent dйlectable.[12]

 

Le second exemple est tirй de la derniиre question, celle portant sur les vertus cardinales. L’йconomie de la nйgociation est  trиs diffйrente entre les deux questions : les questions ne sont pas les mкmes (ce qui est uni dans la question disputйe est dissйminй sur plusieurs questions dans la Summa theologiae); le dйsйquilibre dans la longueur de le respondeo de la question disputйe et celle de la Summa theologiae est encore plus accentuй que dans l’exemple prйcйdent; le vocabulaire ne se recoupe guиre; la problйmatique de la vertu « gйnйrale » ainsi que la tension entre la perspective des vertus « principales » et celle des vertus « cardinales » qui sous-tend la dйfinition de la vertu cardinale dans la Summa theologiae n’apparaоt pas structurante dans la question disputйe; enfin, la mйtaphore а laquelle on recourt trиs souvent, celle du gond, n’est pas mise en scиne dans les questions gйnйrales sur les vertus cardinales dans la Summa theologiae alors qu’elle ouvre la discussion de la question disputйe et avait йtй utilisйe dиs la question sur la vertu en gйnйral (q. 1, a. 12, ad 24).

 

Un enjeu

            Au point nйvralgique de l’йthique se love l’acte de choisir, d’йlire[13], de choisir d’кtre heureux, avec Dieu. Les nйgociations de questions disputйes sur les vertus en gйnйral, sur la charitй, la correction fraternelle, l’espйrance et les vertus cardinales, selon diverses perspectives, constituent l’йclaircissement des conditions pour rendre possible l’acte de choisir de maniиre rapide, ferme et plaisante. Elles signalent, le travail d’habituation nйcessaire de l’acteur humain dans toutes ses dimensions. Elles tйmoignent de ce que travail passe par l’engagement tant par soi-mкme que par l’intervention de Dieu qui vient se rendre prйsent et dйsirable, dйjа aimant cet acteur pour qu’il choisisse de l’aimer et espйrer en lui, puisse parvenir а choisir de vivre et de jouir d’кtre а l’image de Dieu et d’кtre en route vers une contemplation dйjа amorcйe mais encore en attente de complйtion qui dйpasse les limite des capacitйs humaines. Mieux que le registre thйologal est comme une « porte » pour la moralitй[14]. Sur ce chemin, la communautй des « prochains » joue un rфle et l’acteur a une responsabilitй envers autrui : celle de l’aider а s’habituer а choisir Dieu comme fin et ce qui mиne а Dieu et, du coup, а la paix[15].

            Mais cet enjeu et l’йlaboration des rйponses se heurtent а plusieurs objections liйes soit а des comprйhensions diffйrentes de la nature humaine et des aspects constitutifs de l’agir et de la psychologie humains, soit de lectures et d’interprйtations divergentes de l’Йcriture ou de la Tradition, soit encore d’options thйologiques autorisйes а l’йcart des options nйgociйes par Thomas d’Aquin. Parfois, aussi, des йlйments d’un respondeo servent d’objections lors d’une mise а la question subsйquente. En ce sens, plus encore que pour la Summa theologiae les objections et les rйponses aux objections s’avиrent ici structurantes de la « doctrine » mise en discours patiemment par Thomas d’Aquin.      Ainsi, il est possible de montrer que les objections sont massivement en provenance de l’orbite augustinienne : sur 168 occurrences du nom de saint Augustin et de ses oeuvres, 118 se retrouvent dans les objections; dans les respondeo, on trouve seulement 23 recours а l’autoritй d’Augustin et 27 dans les rйponses aux objections mкmes. Divers arguments sont aussi objectйs en provenance du corpus aristotйlicien; mais lа le rapport est plus йquilibrй : pour 97 occurrences en positions d’objections, on trouve un total de 75 rйfйrences а ce corpus dans les respondeo et les solutions aux objections. Un patient travail pourrait кtre fait pour voir d’une part comment se nouent dans ces questions disputйes ces deux grand fils conducteurs de la pensйe et comment, d’autre part les rйfйrences bibliques trиs nombreuses (67 pour l’Ancien Testament et 147 pour le Nouveau) sont tressйes avec ceux-ci.

Cette situation invite а кtre attentif а la polysйmie des termes utilisйs au Moyen Вge et aussi la plasticitй des concepts. Cela signale aussi qu’il n’existe pas une йconomie discursive unique, unifiйe ou unifiante qui pourrait accorder toutes les options ouvertes, surtout lorsque sont injectйs dans la discussion des йlйments en provenance de la Parole de Dieu. Certaines des positions avec et contre lesquelles la nйgociation thomasienne compose sont encore en circulation de nos jours.         

Conclusion

Dйsormais, le lecteur est prкt а plonger dans le texte, а ce laisser surprendre par l’univers de sens dont il est porteur, а s’y laisser questionner, а le soumettre charitablement а la question. Surtout а lire lentement, а prendre son temps et de fonctionner comme un patient orfиvre des mots et des arguments, pour faire йcho au Nietzsche d’Aurore[16]. Reste а y dйcouvrir la finesse philosophique et thйologique des analyses, certes, mais aussi ce qu’elles offrent pour penser et mettre en discours, non loin de la phйnomйnologie ou d’une psychologie, une anthropologie fondamentale. Reste а repйrer les complйments, les йcarts par rapport aux textes plus connus de Thomas d’Aquin et aux attentes qu’ils ont dйjа suscitйes et de construire pour lui-mкme et en lui-mкme la cohйrence du discours thomasien oщ il y va pour le lecteur de s’ajuster lа oщ il n’attendait peut-кtre pas de se retrouver. Reste enfin et surtout peut-кtre а trouver les guйs et а inventer des protocoles pour faire entrer ces riches analyses dans la discussion contemporaine.

Avertissement des traducteurs

 

            1. En l’absence d’une йdition critique des questions disputйes sur les vertus par saint Thomas d’Aquin, la prйsente traduction franзaise se fonde sur l’йdition йlectronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, rйalisйe par Enrique Alarcуn, dans le cadre du Corpus thomisticum (Universitй de Navarre, 2006) : http://www.corpusthomisticum.org/.

            2. Dans le texte latin du commentaire, seules les rйfйrences aux chapitres de la Bible sont indiquйes, puisque que tel йtait l’usage au XIIIe siиcle. Toutefois, pour la commoditй du lecteur, les rйfйrences aux versets ont йtй ajoutйes dans la prйsente traduction, chaque fois que ceux-ci ont pu кtre identifiйs. De mкme, les rйfйrences exactes ont йtй rйtablies en cas d’erreur. Les abrйviations des livres bibliques sont celles de La Bible de Jйrusalem, Paris, 1998. En cas de diffйrence de numйrotation des versets entre la version latine de la Bible et La Bible de Jйrusalem, la numйrotation de La Bible de Jйrusalem a йtй retenue. La traduction franзaise des textes bibliques suit d’aussi prиs que possible la version latine de la Bible utilisйe par Thomas d’Aquin. On ne s’йtonnera donc pas de certains йcarts par rapport а la version latine de la Bible reзue depuis le XVIe siиcle ou par rapport а une traduction moderne de la Bible.

            3. Les passages bibliques commentйs par Thomas d’Aquin sont citйs en majuscules dans le corps du texte. Nous indiquons aussi en majuscules et entre crochets le contexte des mots commentйs par Thomas d’Aquin, lorsque cela semble nйcessaire pour la comprйhension du commentaire. Les autres citations bibliques sont donnйes en italiques. Afin de faciliter le repйrage des passages commentйs, la rйfйrence au chapitre et au verset est donnйe en caractиres gras entre crochets а l’endroit oщ dйbute le commentaire de Thomas d’Aquin sur chaque verset. Les citations autres que les citations bibliques sont placйes entre guillemets.

            4. La traduction a йtй rйalisйe en 2003 et en 2007 par Jacques Mйnard (question 1 et 4), Anne Michel (question 5), Raymond Berton (Question 2 et 3), avec la collaboration du R.P. Dominique Dupont, abbй de Solesmes et de Marie-Louise Evrard. Raymond Berton a unifiй la traduction. Madame Dominique Pillet a assurй la relecture de l’ensemble. Le professeur Maxime Allard op a rйdigй la prйsentation de l’oeuvre. La coordination des travaux et la mise en forme de l’йdition йlectronique ont йtй assurйs par Arnaud Dumouch, pour le projet http://docteurangelique.free.fr

 

 

 

Question 1 : [Les vertus en gйnйral]

© Traduction Professeur Jacques Mйnard, avril 2007[17]

 

Quaestio 1 : De virtutibus in communi Prooemium

Prologue

[65463] De virtutibus, q. 1 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum virtutes sint habitus.

[65464] De virtutibus, q. 1 pr. 2 Secundo utrum definitio virtutis quam Augustinus ponit, sit conveniens.

[65465] De virtutibus, q. 1 pr. 3 Tertio utrum potentia animae possit esse virtutis subiectum.

[65466] De virtutibus, q. 1 pr. 4 Quarto utrum irascibilis et concupiscibilis possint esse subiectum virtutis.

[65467] De virtutibus, q. 1 pr. 5 Quinto utrum voluntas sit subiectum virtutis.

[65468] De virtutibus, q. 1 pr. 6 Sexto utrum in intellectu practico sit virtus sicut in subiecto.

[65469] De virtutibus, q. 1 pr. 7 Septimo utrum in intellectu speculativo sit virtus.

[65470] De virtutibus, q. 1 pr. 8 Octavo utrum virtutes insint nobis a natura.

[65471] De virtutibus, q. 1 pr. 9 Nono utrum virtutes acquirantur ex actibus.

[65472] De virtutibus, q. 1 pr. 10 Decimo utrum sint aliquae virtutes homini ex infusione.

[65473] De virtutibus, q. 1 pr. 11 Undecimo utrum virtus infusa augeatur.

[65474] De virtutibus, q. 1 pr. 12 Duodecimo de distinctione virtutum.

[65475] De virtutibus, q. 1 pr. 13 Decimotertio utrum virtus sit in medio.

Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ?

Article 2 – La dйfinition de la vertu donnйe par Augustin est-elle appropriйe ?

Article 3 – Une puissance de l’вme peut-elle кtre le sujet d’une vertu ?

Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils кtre sujets de la vertu ?

Article 5 – La volontй est-elle le sujet d’une vertu ?

Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ?

Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spйculatif ?

Article 8 – Les vertus existent-elles en nous par nature ?

Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ?

Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ?

Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentйe ?

Article 12 – La distinction entre les vertus.

Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu ?

 

Articulus 1 : [65476] De virtutibus, q. 1 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum virtutes sint habitus

Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ?

[65477] De virtutibus, q. 1 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non, sed magis actus.

Il semble que non, mais qu’elles sont plutфt des actes.

[65478] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 1 Augustinus enim dicit in Lib. Retract., quod bonus usus liberi arbitrii est virtus. Sed usus liberi arbitrii est actus. Ergo virtus est actus.

1. En effet, Augustin dit, dans le livre des Rйtractations, que le bon usage du libre arbitre est la vertu. Or, l’usage du libre arbitre est un acte. La vertu est donc un acte.

 [65479] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, praemium non debetur alicui nisi ratione actus. Debetur autem omni habenti virtutem; quia quicumque in caritate decedit, ad beatitudinem perveniet. Ergo virtus est meritum. Meritum autem est actus. Ergo virtus est actus.

2. Une rйcompense n’est due а quelqu’un qu’en raison d’un acte. Or, elle est due а tous ceux qui possиdent la vertu, car tous ceux qui meurent avec la charitй parviennent а la bйatitude. La vertu est donc un mйrite. Or, le mйrite est un acte. La vertu est donc un acte.

 [65480] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid est in nobis Deo similius, tanto est melius. Sed maxime Deo similamur secundum quod sumus in actu, quia est actus purus. Ergo actus est optimum eorum quae sunt in nobis. Sed virtutes sunt maxima bona quae sunt in nobis, ut Augustinus dicit in libro de libero arbitrio. Ergo virtutes sunt actus.

3. Plus ce qui est en nous est semblable а Dieu, meilleur cela est. Or, nous sommes semblables а Dieu selon que nous sommes en acte, car il est acte pur. L’acte est donc ce qu’il ce qu’il y a de meilleur en nous. Or, les vertus sont les plus grands biens qui sont en nous, comme le dit Augustin dans le livre Sur le libre arbitre. Les vertus sont donc des actes.

[65481] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, perfectio viae respondet perfectioni patriae. Sed perfectio patriae est actus, scilicet felicitas, quae in actu consistit, secundum philosophum. Ergo et perfectio viae, scilicet virtus, actus est.

4. La perfection de la route [perfectio viae] correspond la perfecton de la patrie [perfectio patriae]. Or, la perfection de la patrie est un acte, а savoir, la fйlicitй, qui consiste dans un acte, selon le Philosophe. La perfection de la route, а savoir, la vertu, est donc aussi un acte.

[65482] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, contraria sunt quae in eodem genere ponuntur, et mutuo se expellunt. Sed actus peccati expellit virtutem ratione oppositionis quam habet ad ipsam. Ergo virtus est in genere actus.

5. Les contraires se situent dans un mкme genre et se repoussent mutuellement. Or, l’acte du pйchй repousse la vertu en raison de son opposition qu’il a par rapport а elle. La vertu se situe donc dans le genre de l’acte.

 [65483] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum de potentia : ultimum potentiae est actus. Ergo virtus est actus.

6. Le Philosophe dit, dans Sur le ciel et le monde, I, que la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, le point ultime d’une puissance est l’acte. La vertu est donc un acte.

[65484] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, pars rationalis est nobilior et perfectior quam pars sensitiva. Sed vis sensitiva habet suam operationem nullo habitu vel qualitate mediante. Ergo nec in parte intellectiva oportet ponere habitus, quibus mediantibus pars intellectiva perfectam operationem habeat.

7. La partie raisonnable est plus noble et plus parfaite que la partie sensible. Or, la puissance sensible exerce son opйration sans l’intermйdiaire d’un habitus ou d’une qualitй. Il n’est donc pas nйcessaire de situer dans la partie intellective les habitus, par l’intermйdiaire desquels celle-ci exerce une opйration parfaite.

 [65485] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VII Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Optimum autem est actus; dispositio autem est eiusdem generis cum eo ad quod disponit. Ergo virtus est actus.

8. Le Philosophe dit, dans Physique, VII, que la vertu est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur. Or, ce qui est le meilleur est un acte ; mais la disposition fait partie du mкme genre que ce а quoi elle dispose. La vertu est donc un acte.

[65486] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus Ecclesiae, quod virtus est ordo amoris : ordo autem, ut ipse dicit in XIX de Civit. Dei, est parium dispariumque sua cuique tribuens loca dispositio. Virtus ergo est dispositio : non ergo habitus.

9. Augustin dit, dans le livre Sur le comportement de l’Йglise, que la vertu est l’ordre de l’amour. Or, l’ordre, comme il le dit lui-mкme dans La citй de Dieu, XIX, est une disposition qui donne leur place а des choses йgales et inйgales. La vertu est donc une disposition. Elle n’est donc pas un habitus.

 [65487] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 10 Praeterea, habitus est qualitas de difficili mobilis. Sed virtus est facile mobilis, quia per unum actum peccati mortalis amittitur. Ergo virtus non est habitus.

10. L’habitus est une qualitй difficilement changeable. Or, la vertu peut changer facilement, car elle est enlevйe par un seul acte de pйchй mortel. La vertu n’est donc pas un habitus.

 [65488] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, si habitibus aliquibus indigemus, qui sint virtutes, aut indigemus ad operationes naturales, aut meritorias, quae sunt quasi supernaturales. Non autem ad naturales : quia si quaelibet natura, etiam sensibilis et insensibilis, potest suam operationem perficere absque habitu, multo fortius hoc poterit rationalis natura. Similiter nec ad operationes meritorias, quia has Deus in nobis operatur : Philipp. II, 13. Qui operatur in nobis velle et perficere, pro bona voluntate. Ergo nullo modo virtutes sunt habitus.

11. Si nous avons besoin d’habitus, qui seraient les vertus, ou bien nous en avons besoin pour des opйrations naturelles, ou bien pour [des opйrations] mйritoires, qui sont pour ainsi dire surnaturelles. Or, [nous n’en avons pas besoin] pour des [opйrations] naturelles, car, si toute nature, mкme la sensible et l’insensible, peut accomplir son opйration sans habitus, а bien plus forte raison la nature raisonnable le pourra-t-elle. De mкme, [nous n’en avons pas besoin] pour les opйrations mйritoires, car Dieu les accomplit en nous, Ph 2, 13 : Lui qui accomplit en nous le vouloir et l’opйration, pour une bonne volontй. Les vertus ne sont donc d’aucune maniиre des habitus.

[65489] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne agens secundum formam, semper agit secundum exigentiam illius formae, sicut calidum agit semper calefaciendo. Si ergo in mente sit aliqua habitualis forma quae virtus dicatur, oportebit quod habens virtutem, secundum virtutem operetur; quod est falsum : quia sic quilibet habens virtutem esset confirmatus. Ergo virtutes non sunt habitus.

12. Tout ce qui agit selon une forme agit toujours selon que l’exige cette forme, comme le chaud agit toujours en rйchauffant. Si donc il existe dans l’esprit une forme habituelle appelйe vertu, il sera nйcessaire que celui qui possиde la vertu agisse selon la vertu, ce qui est faux, car ainsi quiconque possиde la vertu serait confirmй [dans la vertu]. Les vertus ne sont donc pas des habitus.

[65490] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 13 Praeterea, habitus ad hoc insunt potentiis, ut tribuant eis facilitatem operandi. Sed ad actus virtutum non indigemus aliquo facilitatem faciente, ut videtur. Consistunt enim principaliter in electione et voluntate : nihil autem est facilius eo quod est in voluntate constitutum. Ergo virtutes non sunt habitus.

13. Les habitus sont inhйrents aux puissances afin de leur donner une facilitй d’agir. Or, pour les actes des vertus, nous n’avons pas besoin de quelque chose qui assure la facilitй, semble-t-il. En effet, ils consistent principalement dans le choix et la volontй. Or, rien n’est plus facile que ce qui est dйterminй par la volontй. Les vertus ne sont donc pas des habitus.

 [65491] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 14 Praeterea, effectus non potest esse nobilior quam sua causa. Sed si virtus est habitus, erit causa actus, qui est habitu nobilior. Ergo non videtur conveniens quod virtus sit habitus.

14. L’effet ne peut pas кtre plus noble que la cause. Or, si la vertu est un habitus, la cause de l’acte, qui est plus noble que l’habitus, en sera aussi un. Il ne semble donc pas appropriй que la vertu soit un habitus.

[65492] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt unius generis. Sed virtus moralis est medium inter passiones; passiones autem sunt de genere actuum. Ergo, et cetera.

15. Le milieu et les extrкmes appartiennent au mкme genre. Or, la vertu morale est un milieu entre des passions. Or, les passions font partie du genre des actes. Donc, etc.

Cependant :

[65493] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Virtus, secundum Augustinum, est bona qualitas mentis. Non autem potest esse in aliqua specie nisi in prima, quae est habitus. Ergo virtus est habitus.

1. La vertu, selon Augutin, est une bonne qualitй de l’esprit. Or, elle ne peut кtre dans une autre espиce que la premiиre, qui est l’habitus. La vertu est donc un habitus.

[65494] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in II Ethic., quod virtus est habitus electivus in mente consistens.

2. Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu un habitus йlectif йtabli dans l’esprit.

[65495] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt in dormientibus; quia non amittuntur nisi per peccatum mortale. Non sunt autem in eis actus virtutum, quia non habent usum liberi arbitrii. Ergo virtutes non sunt actus.

3. Les vertus existent chez ceux qui dorment, car elles ne sont enlevйes que par le pйchй mortel. Or, il n’existe pas chez eux d’actes des vertus, car ils n’ont pas l’usage du libre arbitre. Les vertus ne sont donc pas des actes.

Rйponse :

[65496] De virtutibus, q. 1 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod virtus, secundum sui nominis rationem, potentiae complementum designat; unde et vis dicitur, secundum quod res aliqua per potestatem completam quam habet, potest sequi suum impetum vel motum. Virtus enim, secundum suum nomen, potestatis perfectionem demonstrat; unde philosophus dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum in re de potentia. Quia vero potentia ad actum dicitur, complementum potentiae attenditur penes hoc quod completam operationem suscipit. Quia vero operatio est finis operantis, cum omnis res, secundum philosophum in I caeli et mundi, sit propter suam operationem, sicut propter finem proximum; unumquodque est bonum, secundum quod habet completum ordinem ad suum finem. Inde est quod virtus bonum facit habentem, et opus eius reddit bonum, ut dicitur in II Ethic.; et per hunc etiam modum patet quod est dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Metaph. Et haec omnia conveniunt virtuti cuiuscumque rei. Nam virtus equi est quae facit ipsum bonum, et opus ipsius; similiter virtus lapidis, vel hominis, vel cuiuscumque alterius. Secundum autem diversam conditionem potentiarum, diversus est modus complexionis ipsius. Est enim aliqua potentia tantum agens; aliqua tantum acta vel mota; alia vero agens et acta. Potentia igitur quae est tantum agens, non indiget, ad hoc quod sit principium actus, aliquo inducto; unde virtus talis potentiae nihil est aliud quam ipsa potentia. Talis autem potentia est divina, intellectus agens, et potentiae naturales; unde harum potentiarum virtutes non sunt aliqui habitus, sed ipsae potentiae in seipsis completae. Illae vero potentiae sunt tantum actae quae non agunt nisi ab aliis motae; nec est in eis agere vel non agere, sed secundum impetum virtutis moventis agunt; et tales sunt vires sensitivae secundum se consideratae; unde in III Ethic. dicitur, quod sensus nullius actus est principium : et hae potentiae perficiuntur ad suos actus per aliquid superinductum; quod tamen non inest eis sicut aliqua forma manens in subiecto, sed solum per modum passionis, sicut species in pupilla. Unde nec harum potentiarum virtutes sunt habitus, sed magis ipsae potentiae, secundum quod sunt actu passae a suis activis. Potentiae vero illae sunt agentes et actae quae ita moventur a suis activis, quod tamen per eas non determinantur ad unum; sed in eis est agere, sicut vires aliquo modo rationales; et hae potentiae complentur ad agendum per aliquid superinductum, quod non est in eis per modum passionis tantum, sed per modum formae quiescentis, et manentis in subiecto; ita tamen quod per eas non de necessitate potentia ad unum cogatur; quia sic potentia non esset domina sui actus. Harum potentiarum virtutes non sunt ipsae potentiae; neque passiones, sicut est in sensitivis potentiis; neque qualitates de necessitate agentes, sicut sunt qualitates rerum naturalium; sed sunt habitus, secundum quos potest quis agere cum voluerit ut dicit Commentator in III de anima. Et Augustinus in Lib. de bono coniugali dicit, quod habitus est quo quis agit, cum tempus affuerit. Sic ergo patet quod virtutes sunt habitus. Et qualiter habitus distent a secunda et tertia specie qualitatis, qualiter autem a quarta differant, in promptu est : nam figura non dicit ordinem ad actum quantum in se est. Ex his etiam potest patere quod habitus virtutum ad tria indigemus. Primo ut sit uniformitas in sua operatione; ea enim quae ex sola operatione dependent, facile immutantur, nisi secundum aliquam inclinationem habitualem fuerint stabilita. Secundo ut operatio perfecta in promptu habeatur. Nisi enim potentia rationalis per habitum aliquo modo inclinetur ad unum, oportebit semper, cum necesse fuerit operari, praecedere inquisitionem de operatione; sicut patet de eo qui vult considerare nondum habens scientiae habitum, et qui vult secundum virtutem agere habitu virtutis carens. Unde philosophus dicit in V Ethic., quod repentina sunt ab habitu. Tertio ut delectabiliter perfecta operatio compleatur. Quod quidem fit per habitum; qui cum sit per modum cuiusdam naturae, operationem sibi propriam quasi naturalem reddit, et per consequens delectabilem. Nam convenientia est delectationis causa; unde philosophus, in II Ethic., ponit signum habitus, delectationem in opere existentem.

Il faut dire que la vertu, selon le sens du mot, dйsigne l’achиvement d’une puissance. Aussi est-elle appelйe une force, selon laquelle une chose, en vertu de la puissance achevйe qu’elle possиde, peut suivre son йlan ou son mouvement. En effet, la vertu, selon le sens du mot, exprime la perfection d’une puissance. Aussi le Philosophe dit-il, dans Le ciel et le monde, I, que la vertu est le point ultime de la puissance dans une chose. Or, comme la puissance se dit par rapport а l’acte, l’achиvement d’une puissance se prend du fait qu’elle reзoit une opйration achevйe. Mais comme l’opйration est la fin de celui qui agit, et comme toute chose, selon le Philosophe, dans Le ciel et le monde, I, existe pour son opйration comme pour sa fin prochaine, toute chose est bonne selon qu’elle possиde un ordre achevй а sa fin. De lа vient que la vertu rend bon celui qui la possиde et rend bonne son action, comme il est dit dans Йthique, II. De cette maniиre aussi, il ressort clairement qu’elle est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur, comme il est dit dans Mйtaphysique, VII. Et tout cela convient а la vertu de n’importe quelle chose. Car la vertu du cheval est ce qui le rend bon, ainsi que son opйration ; de la mкme maniиre, la vertu de la pierre, de l’homme ou de n’importe quelle autre chose. Or, selon la condition diverse des puissances, divers est le mode de sa complexion. En effet, il existe une puissance qui est seulement active ; une autre est seulement passive ou mue ; mais une autre est active et passive. La puissance qui est seulement active n’a donc pas besoin, pour кtre le principe d’un acte, de quelque chose d’ajoutй ; aussi la vertu d’une telle puissance n’est-elle rien d’autre que la puissance elle-mкme. Or, une telle puissance est [la puissance] divine, l’intellect agent et les puissances naturelles. Aussi, les vertus de ces puissances ne sont-elles pas des habitus, mais les puissances elles-mкmes en tant qu’elles sont achevйes en elles-mкmes. Mais les puissances seulement passives sont celles qui n’agissent que si elles sont mues par quelque chose d’autre ; elles n’ont pas non plus en elles-mкmes le pouvoir d’agir ou de ne pas agir, mais elles agissent sous l’impulsion de la puissance qui meut. Telles sont les puissances sensibles considйrйes en elles-mкmes. Aussi est-il dit dans Йthique, III, que le sens n’est le principe d’aucun acte. Et ces puissances sont perfectionnйes en vue de leurs actes par quelque chose d’ajoutй, qui n’existe cependant pas en elles comme une forme demeure dans un sujet, mais seulement par mode de passion, comme l’espиce dans la pupille. Il dйcoule de cela que les vertus de ces puissances ne sont pas non plus des habitus, mais plutфt les puissances elles-mкmes, selon qu’elles subissent l’action de ce qui les active. Mais les puissances qui sont а la fois actives et passives sont mues par ce qui les active de telle maniиre qu’elles ne sont cependant pas dйterminйes а une seule chose, mais qu’il leur est possible d’agir, comme des puissances en quelque sorte raisonnables. Et ces puissances sont achevйes en vue d’agir par quelque chose d’ajoutй, qui n’existe pas en elles seulement par mode de passion, mais par mode d’une forme qui repose et demeure dans un sujet, de telle maniиre, cependant, que, par elles, une puissance n’est pas nйcessairement forcйe а une seule chose, car ainsi cette puissance ne serait pas maоtresse de son acte. Les vertus de ces puissances ne sont pas les puissances elles-mкmes ; elles ne sont pas non plus des passions, comme c’est le cas pour les puissances sensibles ; elles ne sont pas non plus des qualitйs qui agissent par nйcessitй, comme les qualitйs des choses naturelles. Mais elles sont des habitus par lesquels quelqu’un peut agir lorsqu’il le veut, comme le dit le Commentateur, dans Sur l’вme, III. Et Augustin dit, dans le livre Le bien conjugal, que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit, lorsque le moment est venu. Il est donc clair que les vertus sont des habitus. Comment les habitus s’йloignent de la deuxiиme et de la troisiиme espиce de qualitй et comment ils diffиrent de la quatriиme, cela est йvident, car la figure ne comporte pas en elle-mкme d’ordre а l’acte. А partir de cela, on peut voir clairement que nous avons besoin des habitus des vertus pour trois choses. Premiиrement, afin qu’il y ait uniformitй dans son opйration : en effet, ce qui dйpend de la seule opйration est facilement changй, а moins d’кtre affermi par une inclinaton habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une opйration parfaite soit toujours prкte. En effet, а moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine faзon inclinйe а une seule chose, il faudra toujours que prйcиde une recherche sur une opйration, alors qu’il est nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la vertu. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Йthique, V, que ce qui vient de la vertu est subit. Troisiиmement, afin que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En effet, ce qui est accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon une certaine nature, rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et par consйquent dйlectable. Car l’adйquation est la cause du plaisir. Aussi, dans Йthique, II, le Philosophe donne-t-il comme signe d’un habitus le fait qu’il y a plaisir dans l’opйration.

Solutions :

[65497] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut potestas, ita et virtus accipitur dupliciter. Uno modo materialiter, prout dicimus, id quod possumus, esse nostram potentiam; et sic Augustinus bonum usum liberi arbitrii dicit esse virtutem. Alio modo essentialiter; et sic neque potentia neque virtus est actus.

1. Comme la puissance, la vertu s’entend de deux maniиres. D’une maniиre, matйrielle­ment, comme lorsque nous disons que ce que nous pouvons est notre puissance; et ainsi, Augustin dit que l’usage du libre arbitre est la vertu. D’une autre maniиre, essentiellement; et ainsi, ni la puissance ni la vertu ne sont des actes.

[65498] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mereri dupliciter accipitur. Uno modo proprie; et sic nihil aliud est quam facere aliquam actionem unde aliquis sibi iuste acquirat mercedem. Alio modo improprie; et sic quaelibet conditio quae facit hominem aliquo modo dignum, meritum dicitur; ut si dicamus, quod species Priami meruit imperium, quia digna imperio fuit. Praemium ergo cum merito debeatur, debetur quodammodo et qualitati habituali, per quam aliquis redditur idoneus ad praemium : et sic debetur parvulis baptizatis. Et iterum debetur merito actuali; et sic non debetur virtuti, sed actui virtutis. Et tamen etiam parvulis quodammodo redditur ratione meriti actualis, in quantum ex merito Christi sacramentum efficaciam habet, quo regenerantur ad vitam.

2. Mйriter s’entend de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre; et ainsi, ce n’est rien d’autre que de faire une action par laquelle on acquiert une rйcompense pour soi-mкme. D’une autre maniиre, en un sens impropre; et ainsi, toute condition qui rend l’homme digne d’une certaine faзon est appelйe mйrite, comme si nous disions que l’espиce de Priam mйritait le pouvoir parce qu’elle йtait digne du pouvoir. Puisque la rйcompense est due au mйrite, elle est donc aussi due d’une certaine faзon а la qualitй habituelle par laquelle quelqu’un est rendu apte а la rйcompense. Et ainsi est-elle due aux petits enfants baptisйs. Elle est aussi due au mйrite actuel; et ainsi, elle n’est pas due а la vertu, mais а l’acte de la vertu. Cependant, la rйcompense est d’une certaine faзon donnйe aux petits enfants en raison d’un mйrite actuel, pour autant que le sacrement par lequel ils sont rйgйnйrйs pour la vie tire son efficacitй du mйrite du Christ.

[65499] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus dicit, virtutes esse maxima bona, non simpliciter, sed in genere; sicut et ignis dicitur subtilissimum corporum. Unde non sequitur quod nihil sit in nobis ipsis virtutibus melius; sed quod sint de numero eorum quae sunt maxima bona secundum genus suum.

3. Augustin dit que les vertus sont les plus grands biens, non pas tout simplement, mais d’une maniиre gйnйrale, comme le feu est le plus subtil parmi les corps. Il n’en dйcoule donc pas que rien ne soit meilleur en nous que les vertus, mais qu’elles font partie des biens qui sont les plus grands selon leur genre.

[65500] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in vita est perfectio habitualis quae est virtus, et perfectio actualis quae est virtutis actus; ita etiam in ipsa patria felicitas est perfectio actualis, procedens ex aliquo habitu consummato. Unde etiam philosophus in I Ethic. dicit, quod felicitas est operatio secundum virtutem perfectam.

4. De mкme que, durant la vie, il existe une perfection habituelle qui est la vertu, et une perfection actuelle, qui est l’acte de la vertu, de mкme aussi, dans la patrie, existe-t-il une perfection actuelle, provenant d’un habitus consommй. Aussi, mкme le Philosophe dit-il, dans Йthique, I, que la fйlicitй est une opйration conforme а la vertu parfaite.

[65501] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus vitiosus directe tollit actum virtutis per modum contrarietatis; ipsum vero virtutis habitum tollit per accidens, in quantum separatur a causa virtutis infusae, scilicet a Deo. Unde Is., LIX, 2 : peccata vestra diviserunt inter vos et Deum vestrum. Et propter hoc virtutes acquisitae, per unum actum vitiosum non tolluntur.

5. L’acte vicieux enlиve directement l’acte de la vertu parce qu’il lui est contraire, mais il enlиve l’habitus lui-mкme par accident, pour autant qu’il est sйparй de la cause de la vertu infuse, а savoir, de Dieu. Aussi Isaпe dit-il, 49, 2 : Vos pйchйs ont mis une sйparation entre vous et votre Dieu. Pour cette raison, les vertus acquises ne sont pas enlevйes par un seul acte vicieux.

[65502] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa definitio philosophi potest dupliciter intelligi. Uno modo materialiter, ut per virtutem intelligamus id in quod virtus potest, quod est ultimum inter ea in quae potentia potest; sicut virtus eius qui potest ferre centum libras, est in eo in quantum potest ferre centum libras non in quantum ferre potest sexaginta. Alio modo potest intelligi essentialiter; et sic virtus dicitur ultimum potentiae, quia designat potentiae complementum; sive id per quod potentia completur, sit aliud a potentia, sive non.

6. Cette dйfinition du Philosophe peut s’entendre de deux faзons. D’une faзon, matйriellement, de sorte que nous entendions par vertu ce sur quoi porte la vertu, qui est le point ultime de ce dont une puissance est capable, comme la vertu de celui qui peut porter cent livres est en lui pour autant qu’il peut porter cent livres, et non pour autant qu’il peut en porter soixante. D’une autre faзon, on peut l’entendre essentiellement; et ainsi, on appelle vertu le point ultime d’une puissance, parce qu’elle dйsigne l’achиvement de la puissance, que cela soit diffйrent de la puissance ou non.

[65503] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 7 Ad sep­timum dicendum, quod non est similis ratio de potentiis sensitivis et rationabilibus, ut dictum est.

7. Il n’en va pas de mкme des puissances sensibles et raisonnables, comme on l’a dit.

[65504] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 8 Ad octa­vum dicendum, quod dispositio ad aliquid dicitur id per quod aliquid movetur in illud consequendum. Motus autem habet quandoque terminum in eodem genere, sicut motus alterationis est qualitas; unde dispositio ad hunc terminum semper est eiusdem generis cum termino. Quandoque vero habet terminum alterius generis, sicut alterationis terminus est forma substantialis; et sic dispositio non est semper eiusdem generis cum eo ad quod disponit; sicut calor est dispositio ad formam substantialem ignis.

8. On dit que la disposition а quelque chose est ce par quoi quelque chose est mы pour l’atteindre. Or, le mouvement a parfois un terme du mкme genre, comme lorsque [le terme] d’une altйration est une qualitй; aussi la disposition а ce terme est-elle toujours du mкme genre que le terme. Mais parfois, [le mouvement] a un terme d’un autre genre, comme lorsque le terme de l’altйration est une forme substantielle. Ainsi, la disposition n’est pas toujours du mкme genre que ce а quoi elle dispose, comme lorsque la chaleur est une disposition а la forme substantielle du feu.

[65505] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod dispositio dicitur tribus modis. Uno modo per quam materia disponitur ad formae receptionem, sicut calor est dispositio ad formam ignis. Alio modo per quam aliquod agens disponitur ad agendum, sicut velocitas est dispositio ad cursum. Tertio modo dispositio dicitur ipsa ordinatio aliquorum ad invicem; et hoc modo dispositio ab Augustino sumitur. Dispositio vero contra habitum dividitur primo modo; ipsa vero virtus, dispositio est secundo modo.

9. On parle de disposition de trois maniиres. D’une maniиre, selon laquelle la matiиre est disposйe а la rйception de la forme, comme la chaleur est une disposition а la forme du feu. D’une autre maniиre, selon laquelle un agent est disposй а agir, comme la rapiditй est une disposition а la course. D’une troisiиme maniиre, on appelle disposition l’ordre mкme de certanes choses les unes par rapport aux autres. Et Augustin entend la disposition de cette maniиre. Mais, la disposition s’oppose а l’habitus de la premiиre maniиre; mais la vertu elle-mкme est une disposition selon la deuxiиme maniиre.

[65506] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod nulla res est adeo stabilis, quae non statim ex se deficiat, sua causa deficiente. Unde non est mirum, si deficiente coniunctione ad Deum per peccatum mortale, deficiat virtus infusa. Nec hoc repugnat suae immobilitati, quae intelligi non potest nisi sua causa manente.

10. Aucune chose n’est а ce point stable qu’elle ne disparaisse d’elle-mкme, si sa cause disparaоt. Aussi n’est-il pas йtonnant que, l’union а Dieu faisant dйfaut par le pйchй mortel, la vertu infuse disparaisse. Cela ne s’oppose pas non plus а son immobilitй, qu’on ne peut entendre que si sa cause demeure.

[65507] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ad utrasque operationes habitu indigemus; ad naturales quidem tribus rationibus superius positis; ad meritorias autem insuper, ut naturalis potentia elevetur ad id quod est supra naturam ex habitu infuso. Nec hoc removetur ex hoc quod Deus in nobis operatur; quia ita agit in nobis, quod et nos agimus; unde habitu indigemus, quo sufficienter agere possimus.

11. Nous avons besoin d’un habitus pour les deux opйrations. Pour les [opйrations] naturelles, pour les trois raisons indiquйes plus haut; et en plus, pour les [opйrations] mйritoires, afin que la puissance naturelle soit йlevйe а ce qui est supйrieure а la nature par un habitus infus. Et cela n’est pas enlevй par le fait que Dieu agit en nous, car il agit en nous de la maniиre dont nous agissons. Aussi avons-nous besoin d’un habitus par lequel nous puissions agir d’une maniиre suffisante.

[65508] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod omnis forma recipitur in suo supposito secundum modum recipientis. Proprietas autem rationalis potentiae est ut in opposita possit, et ut sit domina sui actus. Unde nunquam per formam habitualem receptam cogitur potentia rationalis ad similiter agendum; sed potest agere vel non agere.

12. Toute forme est reзue dans son suppфt selon le mode de celui qui reзoit. Or, le propre d’une puissance raisonnable est qu’elle peut se porter vers des choses opposйes, et qu’elle soit maоtresse de son acte. Aussi la puissance raisonnable n’est-elle jamais contrainte par une forme habituelle а agir de maniиre semblable, mais elle peut agir ou ne pas agir.

[65509] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa quae in sola electione consistunt facile est quod qualitercumque fiant; sed quod debito modo fiant, scilicet expedite, firmiter, et delectabiliter, hoc non est facile; unde ad hoc habitibus virtutum indigemus.

13. Il est facile de faire n’importe comment ce qui relиve du simple choix; mais le faire de la maniиre appropriйe, а savoir, rapidement, fermement et avec plaisir, cela n’est pas facile. Aussi avons-nous besoin des habitus des vertus pour cela.

[65510] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnes motus animalium vel hominum, qui de novo incipiunt, sunt ab aliquo movente moto, et dependent ab aliquo priori actu existente; et sic habitus de se actum non elicit, nisi ab aliquo agente excitatus.

14. Tous les mouvements des animaux ou des hommes, а leur dйbut, viennent d’un agent qui est mы, et ils dйpendent de quelque chose d’antйrieur qui existe en acte. Et ainsi, l’habitus n’amиne pas de lui-mкme а l’acte, а moins qu’il ne soit rйveillй par un agent.

[65511] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus est medium inter passiones, non quasi aliqua passio media; sed actio, quae in passionibus medium constituit.

15. La vertu est un milieu entre les passions, non comme une passion moyenne, mais comme une action qui instaure un milieu entre les passions.

 

Articulus 2 : [65512] De virtutibus, q. 1 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum definitio virtutis quam Augustinus ponit sit conveniens

Article 2 – La dйfinition de la vertu donnйe par Augustin est-elle appropriйe ?

[La dйfinition communйment reзue, attribuйe а Augustin, йtait la suivante : Virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur : «La vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en nous sans nous.» Voir plus loin, article 9, arg. 1; aussi II-II, q. 55, a. 4, arg. 1.]

Objections :

[65514] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 1 Virtus enim est bonitas quaedam. Si ergo ipsa est bona : aut ergo sua bonitate, aut alia. Si alia, procedetur in infinitum : si seipsa, ergo virtus est bonitas prima quia sola bonitas prima est bona per seipsam.

 

1. En effet, la vertu est une certaine bontй. Si donc elle est bonne, elle l’est soit par sa propre bontй, soit par une autre. Si elle l’est par une autre, il faudrait remonter а l’infini; si elle l’est par elle-mкme, la vertu est donc la bontй premiиre, car seule la bontй premiиre est bonne par elle-mкme.

[65515] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est commune omni enti, non debet poni in definitione alicuius. Sed bonum, quod convertitur cum ente, est commune omni enti. Ergo non debet poni in definitione virtutis.

2. Ce qui est commun а tout кtre ne doit pas кtre placй dans la dйfinition de l’un d’entre eux. Or, le bien, qui est convertible avec l’кtre, est commun а tout кtre. Il ne doit donc pas кtre placй dans la dйfinition de la vertu.

[65516] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut bonum est in moralibus, ita et in naturalibus. Sed bonum et malum in naturalibus non diversificant speciem. Ergo nec in definitione virtutis debet poni bona, quasi differentia specifica ipsius virtutis.

3. De mкme que le bien existe dans le domaine moral, de mкme existe-t-il dans le domaine naturel. Or, le bien et le mal dans le domaine naturel ne donnent pas des espиces diffйrentes. Il ne faut donc pas indiquer dans la dйfinition de la vertu le fait qu’elle est bonne, comme s’il s’agissait d’une diffйrence spйcifique de la vertu.

[65517] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, differentia non includitur in ratione generis. Sed bonum includitur in ratione qualitatis, sicut et ens. Ergo non debet addi in definitione virtutis, ut dicatur : virtus est bona qualitas mentis et cetera.

4. La diffйrence ne fait pas partie de la raison du genre. Or, le bien fait partie de la raison de la qualitй, de mкme que l’кtre. Il ne doit donc pas кtre ajoutй dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «La vertu est une bonne qualitй de l’esprit, etc.»

[65518] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, malum et bonum sunt opposita. Sed malum non constituit aliquam speciem, cum sit privatio. Ergo nec bonum; ergo non debet poni in definitione virtutis tamquam differentia constitutiva.

5. Le mal et le bien sont des contraires. Or, le mal ne constitue pas une espиce, puisqu’il est une privation. Il en est donc de mкme pour le bien. Il ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu comme diffйrence constitutive.

[65519] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, bonum est in plus quam qualitas. Ergo per bonum non differt una qualitas ab alia; ergo non debet poni in definitione virtutis bonum, sicut differentia qualitatis vel virtutis.

6. Le bien s’ajoute а la qualitй. Une qualitй ne diffиre donc pas d’une autre par le bien. Le bien ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu en tant que diffйrence de la qualitй ou de la vertu.

[65520] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, ex duobus actibus nihil fit. Sed bonum importat actum quemdam, et qualitas similiter. Ergo male dicitur, quod virtus sit bona qualitas.

7. Rien n’est fait а partir de deux actes. Or, le bien comporte un certain acte; de mкme en est-il de la qualitй. C’est donc а tort qu’on dit de la vertu qu’elle est une bonne qualitй.

[65521] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, quod praedicatur in abstracto, non praedicatur in concreto; sicut albedo est color, non tamen colorata. Sed bonitas praedicatur de virtute in abstracto. Ergo non praedicatur in concreto; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.

8. Ce qui est prйdiquй dans l’abstrait n’est pas prйdiquй dans le concret : ainsi la blancheur est une couleur, mais non ce qui est colorй. Or, la bontй est prйdiquйe de la vertu dans l’abstrait. Elle n’en est donc pas prйdiquйe dans le concret. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne qualitй.»

[65522] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla differentia praedicatur in abstracto de specie unde dicit Avicenna, quod homo non est rationalitas, sed rationale. Sed virtus est bonitas. Ergo bonitas non est differentia virtutis; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.

9. Aucune diffйrence n’est prйdiquйe de l’espиce dans l’abstrait; aussi Avicenne dit-il que l’homme n’est pas la rationalitй, mais raisonnable. Or, la vertu est bontй. La bontй n’est donc pas une diffйrence de la vertu. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne qualitй.»

[65523] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, malum moris idem est quod vitium. Ergo bonum moris idem est quod virtus; ergo bonum non debet poni in definitione virtutis, quia sic idem definiret seipsum.

10. Le mal du comportement est la mкme chose que le vice. Le bien du comportement est donc la mкme chose que la vertu. Le bien ne doit pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu, car ainsi le mкme dйfinirait le mкme.

[65524] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea, mens ad intellectum pertinet. Sed virtus magis respicit affectum. Ergo male dicitur, quod virtus sit bona qualitas mentis.

11. L’esprit se rapporte а l’intellect. Or, la vertu concerne plutфt l’affectivitй. On dit donc incorrectement que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit.

[65525] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 12 Praeterea, secundum Augustinum, mens nominat superiorem partem animae. Sed aliquae virtutes sunt in inferioribus potentiis. Ergo male ponitur in definitione virtutis bona qualitas mentis.

12. Selon Augustin, l’esprit dйsigne la partie supйrieure de l’вme. Or, certaines vertus se situent dans les puissances infйrieures. On met donc incorrectement dans la dйfinition de la vertu : «Une bonne qualitй de l’esprit.»

[65526] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 13 Praeterea, subiectum virtutis nominat potentiam, non essentiam. Sed mens videtur nominare essentiam animae; quia dicit Augustinus, quod in mente est intelligentia, memoria et voluntas. Ergo non debet poni mens in definitione virtutis.

13. Le sujet de la vertu dйsigne une puissance, non une essence. Or, l’esprit semble dйsigner l’essence de l’вme, car Augustin dit que, dans l’esprit, se trouvent l’intelligence, la mйmoire et la volontй. L’esprit ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu.

[65527] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 14 Praeterea, illud quod est proprium speciei, non debet poni in definitione generis. Sed rectitudo est proprium iustitiae. Ergo non debet poni rectitudo in definitione virtutis, ut dicatur bona qualitas mentis, qua recte vivitur.

14. Ce qui est le propre d’une espиce ne doit pas кtre mis dans la dйfinition du genre. Or, la rectitude est le propre de la justice. La rectitude ne doit donc pas кtre mise dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «Une bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit correctement.»

[65528] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 15 Praeterea, vivere viventibus est esse. Sed virtus non perficit ad esse, sed ad opera. Ergo male dicitur, qua recte vivitur.

15. Vivre, c’est кtre pour les vivants. Or, la vertu ne rend pas parfait pour l’кtre, mais pour les actions. On dit donc incorrectement : «Par laquelle on vit correctememnt.»

[65529] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 16 Praeterea, quicumque superbit de aliqua re, male utitur ea. Sed de virtutibus aliquis superbit. Ergo virtutibus aliquis male utitur.

16. Quiconque s’enorgueillit d’une chose en fait un mauvais usage. Or, on s’enorgueillit des vertus. On fait donc un mauvais usage des vertus.

[65530] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 17 Praeterea, Augustinus in libro de Lib. Arbit. dicit, quod solum maximis bonis nullus male utitur. Sed virtus non est de maximis bonis; quia maxima bona sunt quae propter se appetuntur; quod non convenit virtutibus, cum propter aliud appetantur, quia propter felicitatem. Ergo male ponitur qua nullus male utitur.

17. Augustin, dans le livre sur Le libre arbitre, dit que personne n’utilise mal que les plus grands biens. Or, la vertu ne porte pas sur les plus grands biens, car les plus grands biens sont ceux qui sont dйsirйs pour eux-mкmes, ce qui ne convient pas aux vertus, puisqu’elles sont dйsirйes pour autre chose, а savoir, pour la fйlicitй. On ne dit donc pas correctement que «personne n’en fait un mauvais usage».

[65531] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 18 Praeterea, ab eodem aliquid generatur et nutritur et augetur. Sed virtus per actus nostros nutritur et augetur; quia diminutio cupiditatis est augmentum caritatis. Ergo per actus nostros virtus generatur; ergo male ponitur in definitione, quam Deus in nobis sine nobis operatur.

18. Quelque chose est engendrй, entretenu et accru par la mкme chose. Or, la vertu est entretenue et accrue par nos actes, car la diminution de la convoitise est l’accroissement de la charitй. La vertu est donc engendrйe par nos actes. On met donc incorrectement dans sa dйfinition : «Que Dieu rйalise en nous sans nous.»

[65532] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 19 Praeterea, removens prohibens ponitur movens et causa. Sed liberum arbitrium est quodammodo removens prohibens virtutis. Ergo est quodammodo causa; ergo non bene ponitur, quod sine nobis Deus virtutem operetur.

19. Celui qui йcarte un obstacle est un agent et une cause. Or, le libre arbitre enlиve d’une certaine maniиre l’obstacle а la vertu. Il en est donc cause d’une certaine maniиre. On ne dit donc pas correctement que «Dieu rйalise en nous la vertu sans nous».

[65533] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 20 Praeterea, Augustinus dicit : qui creavit te sine te, non iustificabit te sine te. Ergo et cetera.

20. Augustin dit : «Celui t’a crйй sans toi ne te justifiera pas sans toi.» Donc, etc.

[65534] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 21 Praeterea, ista definitio convenit gratiae, ut videtur. Sed virtus et gratia non sunt unum et idem. Ergo non bene definitur per hanc definitionem virtus.

21. Cette dйfinition convient а la grвce, semble-t-il. Or, la vertu et la grвce ne sont pas une seule et mкme chose. La vertu n’est donc pas bien dйfinie par cette dйfinition.

Rйponse :

[65535] De virtutibus, q. 1 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod ista definitio complectitur definitionem virtutis, etiam si ultima particula omittatur; et convenit omni virtuti humanae. Sicut enim dictum est, virtus perficit potentiam in comparatione ad actum perfectum; actus autem perfectus est finis potentiae vel operantis; unde virtus facit et potentiam bonam et operantem, ut prius dictum est. Et ideo in definitione virtutis aliquid ponitur quod pertinet ad perfectionem actus, et aliquid quod pertinet ad perfectionem potentiae vel operantis. Ad perfectionem autem actus duo requiruntur. Requiritur autem quod actus sit rectus, et quod habitus non possit esse principium contrarii actus. Illud enim quod est principium boni et mali actus, non potest esse, quantum est de se, principium perfectum boni actus; quia habitus est perfectio potentiae. Oportet ergo quod ita sit principium actus boni, quod nullo modo mali; propter quod philosophus dicit in VI Ethic., quod opinio, quae potest esse vera et falsa, non est virtus; sed scientia, quae non est nisi de vero. Primum designatur in hoc quod dicitur, qua recte vivitur : secundum, in hoc quod dicitur, qua nemo male utitur. Ad hoc vero quod virtus facit subiectum bonum, tria sunt ibi consideranda. Subiectum ipsum : et hoc determinatur cum dicitur mentis; quia virtus humana non potest esse nisi in eo quod est hominis in quantum est homo. Perfectio vero intellectus designatur in hoc quod dicitur bona; quia bonum dicitur secundum ordinem ad finem. Modus autem inhaerendi designatur in hoc quod dicitur qualitas; quia virtus non inest per modum passionis, sed per modum habitus; ut supra dictum est. Haec autem omnia conveniunt tam virtuti morali quam intellectuali, quam theologicae, quam acquisitae, quam infusae. Hoc vero quod Augustinus addit quam in nobis sine nobis Deus operatur, convenit solum virtuti infusae.

Cette dйfinition exprime la dйfinition de la vertu, mкme si l’on omet la derniиre partie, et elle convient а toute vertu humaine. En effet, comme on l’a dit, la vertu perfectionne une puissance par rapport а son acte parfait. Or, l’acte parfait est la fin d’une puissance ou d’un agent. Aussi la vertu rend-elle bons а la fois la puissance et l’agent, comme on l’a dйjа dit. C’est pourquoi, dans la dйfinition de la vertu, quelque chose est mis qui se rapporte а la perfection de l’acte, et quelque chose qui se rapporte а la perfection de la puissance ou de l’agent. Or, deux choses sont nйcessaires pour la perfection de l’acte : il est nйcessaire que l’acte soit droit, et que l’habitus ne puisse кtre le principe d’un acte contraire. En effet, ce qui est le principe d’un acte bon et mauvais ne peut кtre de soi le principe parfait d’un acte bon, car l’habitus est la perfection de la puissance. Il faut donc que ce soit le principe d’un acte bon, qui ne soit d’aucune maniиre [principe d’un acte] mauvais. C’est la raison pour laquelle le Philosophe dit, dans Йthique, VI, que l’opinion, qui peut кtre vraie ou fausse, n’est pas une vertu, mais la science, qui ne porte que sur ce qui est vrai. Le premier point est indiquй lorsqu’on dit : «par laquelle on vit correctement»; le second, lorsqu’on dit : «dont personne ne fait un mauvais usage». Or, pour que la vertu rende un sujet bon, il faut y relever trois choses. Le sujet lui-mкme : et cela est prйcisй lorsqu’on dit : «de l’esprit», car la vertu humaine ne peut rйsider que dans ce appartient а l’homme en tant qu’il est homme. Mais la perfection de l’intelligence est dйsignйe par le fait qu’on dit : «bonne», car on parle de bien selon l’ordre а la fin. La maniиre d’adhйrer est dйsignйe lorsqu’on dit : «une qualitй», car la vertu n’est pas prйsente par mode de passion, mais par mode d’habitus, comme on l’a dit plus haut. Or, tout cela convient autant а la vertu morale, а la vertu thйologale, а la vertu acquise ou а la vertu infuse. Mais ce que Augustin ajoute : «Que Dieu rйalise en nous sans nous», convient seulement а la vertu infuse.

Solutions :

[65536] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidentia sicut non dicuntur entia quia subsistant, sed quia aliquid eis est; ita virtus non dicitur bona quod ipsa sit bona, sed qua aliquid est bonum. Unde non oportet quod virtus sit bona alia bonitate, quasi informetur alia bonitate.

1. De mкme que les accidents ne sont pas appelйs des кtres parce qu’ils subsisteraient, mais parce que quelque chose existe en eux, de mкme la vertu n’est pas appelйe bonne parce qu’elle est elle-mкme bonne, mais parce que quelque chose est bon. Il n’est donc pas nйcessaire que la vertu soit bonne par une autre bontй, comme si elle recevait la forme d’une autre bontй.

[65537] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum quod convertitur cum ente, non ponitur hic in definitione virtutis; sed bonum quod determinatur ad actum moralem.

2. Le bien qui est convertible avec l’кtre n’est pas mis ici dans la dйfinition de la vertu, mais le bien qui est concerne un acte moral.

[65538] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actiones diversificantur secundum formam agentis, ut calefacere et infrigidare. Bonum autem et malum sunt quasi forma et obiectum voluntatis; quia semper agens imprimit formam suam in patientem, et movens in motum. Et ideo actus morales, quorum principium est voluntas, diversificantur specie secundum bonum et malum. Principium autem naturalium operationum non est finis, sed forma; et ideo non diversificantur in naturalibus species secundum bonum et malum; sed in moralibus sic.

3. Les actions se diversifient selon la forme de l’agent, comme chauffer et refroidir. Or, le bien et le mal sont comme la forme et l’objet de la volontй, car l’agent imprime toujours sa forme dans le patient, et ce qui meut dans ce qui est mы. C’est pourquoi les actes moraux, dont le principe est la volontй, se diversifient selon l’espиce par le bien et le mal. Or, le principe des opйrations naturelles n’est pas la fin, mais la forme. C’est pourquoi, dans les choses naturelles, les espиces ne se diversifient pas selon le bien et le mal, mais il en est ainsi dans les choses morales.

[65539] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonitas moralis non includitur in intellectu qualitatis; et ideo ratio non est ad propositum.

4. La bontй morale ne fait pas partie de la notion de qualitй. C’est pourquoi l’argument est hors de propos.

 [65540] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod malum non constituit speciem ratione privationis, sed ratione eius quod privationi substernitur, quia non compatitur secum rationem boni; et ex hoc habet quod constituit speciem.

5. Le mal ne constitue pas une espиce en raison de la privation, mais en raison de ce qui est sous-jacent а la privation, parce que cela ne supporte pas la raison de bien. Et c’est ainsi qu’il a ce par quoi il constitue une espиce.

[65541] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod obiectio illa procedit de bono naturae, non de bono moris, quod ponitur in definitione virtutis.

6. Cette objection vient du bien naturel, et non du bien moral, qui est mis dans la dйfinition de la vertu.

 [65542] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod bonitas non importat aliam bonitatem quam ipsam virtutem, ut ex dictis patet. Ipsa enim virtus per essentiam suam est qualitas; unde manifestum est quod bona et qualitas non dicunt diversos actus, sed unum.

7. La bontй ne comporte pas d’autre bontй que la vertu elle-mкme, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit. En effet, la vertu elle-mкme est par son essence une qualitй. Il est donc clair que «bonne» et «qualitй» n’expriment pas des actes diffйrents, mais un seul acte.

[65543] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod istud fallit in transcendentibus, quae circumeunt omne ens. Nam essentia est ens, et bonitas bona, et unitas una, non autem sic potest dici albedo alba. Cuius ratio est, quia quidquid cadit in intellectu, oportet quod cadat sub ratione entis, et per consequens sub ratione boni et unius; unde essentia et bonitas et unitas non possunt intelligi, nisi intelligantur sub ratione boni et unius et entis. Propter hoc potest dici bonitas bona, et unitas una.

8. Ceci est le cas pour les transcendentaux, qui englobent tout кtre. Car l’essence est кtre, la bontй est bonne et l’unitй est une; mais on ne peut dire de cette faзon que la blancheur est blanche. La raison en est qu’il est nйcessaire que tout ce qui tombe sous l’intelligence tombe sous la raison d’кtre, et par consйquent, sous la raison de bon et d’un. Aussi l’essence, la bontй et l’unitй ne peuvent-elles кtre comprises que si elles sont comprises sous la raison de bien, d’un et d’кtre. Pour cette raison, la bontй peut кtre dite bonne, et l’unitй une.

 

Articulus 3 : [65544] De virtutibus, q. 1 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum potentia animae possit esse virtutis subiectum

Article 3 – Une puissance de l’вme peut-elle кtre le sujet d’une vertu ?

Objections :

[65545] De virtutibus, q. 1 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

1. Selon Augustin, la vertu est ce par quoi l’on vit bien. Or, on ne vit pas pas une puissance, mais par son essence. Une puissance de l’вme n’est donc pas le sujet de la vertu.

[65547] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nobilius est esse gratiae quam naturae. Esse autem naturae est per essentiam animae, quae est nobilior suis potentiis, utpote earum principium. Ergo esse gratiae, quod est per virtutes, non est per potentias : et sic potentia non est virtutis subiectum.

2. L’кtre de la grвce est plus noble que l’кtre de la nature. Or, l’кtre de la nature vient de l’essence de l’вme, qui est plus noble que ses puissances en tant qu’elle est leur principe. L’кtre de la grвce, qui vient des vertus, ne vient donc pas des puissances. Et ainsi, une puissance n’est pas le sujet de la vertu.

[65548] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, accidens subiectum esse non potest. Sed potentia animae est de genere accidentium; potentia enim et impotentia naturalis pertinent ad secundam speciem qualitatis. Ergo potentia animae non potest esse virtutis subiectum.

3. Un accident ne peut кtre un sujet. Or, la puissance de l’вme fait partie du genre des accidents : en effet, la puissance et l’impuissance naturelles relиvent de la deuxiиme espиce de la qualitй. La puissance de l’вme ne peut donc кtre le sujet de la vertu.

[65549] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si aliqua potentia animae est virtutis subiectum, et quaelibet; cum quaelibet potentia animae vitiis impugnetur, contra quae virtutes ordinantur, sed non quaelibet potentia animae potest esse virtutis subiectum, ut post patebit. Ergo virtutis subiectum potentia esse non potest.

4. Si une puissance de l’вme est le sujet d’une vertu, toutes [le seront], puisque toutes les puissances de l’вme sont combattues par les vices, contre lesquels les vertus sont ordonnйs, mais que toutes les puissances de l’вme ne peuvent кtre le sujet de la vertu, comme ce sera clair par la suite. La puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.

[65550] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, principia activa in naturis aliorum agentium subiecta non sunt, ut calor et frigus. Sed potentiae animae sunt quaedam activa principia; sunt enim principia operationum animae. Ergo aliorum accidentium subiecta esse non possunt.

5. Les principes actifs dans les natures des autres agents ne sont pas des sujets, tels la chaleur et le froid. Or, les puissances de l’вme sont des principes actifs : en effet, elles sont les principes des opйrations de l’вme. Elles ne peuvent donc pas кtre les sujets d’autres accidents.

[65551] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, anima subiectum est potentiae. Si ergo potentia subiectum est alterius accidentis, pari ratione illud accidens erit subiectum alterius accidentis; et ita ibitur in infinitum; quod est inconveniens. Non ergo potentia animae est subiectum virtutis.

6. L’вme est le sujet de la puissance. Si donc la puissance est le sujet d’un autre accident, pour la mкme raison cet accident sera le sujet d’un autre accident; et ainsi, on remontera а l’infini, ce qui ne convient pas. La puissance de l’вme n’est donc pas le sujet de la vertu.

[65552] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, in Lib. I Poster. dicitur quod qualitatis non est qualitas. Sed potentia animae quaedam qualitas est in secunda specie qualitatis; virtus autem in prima specie qualitatis est. Ergo potentia animae non potest esse subiectum virtutis.

7. Dans les Seconds analytiques, I, il est dit qu’il n’y a pas de qualitй de la qualitй. Or, la puissance de l’вme est une certaine qualitй de la deuxiиme espиce de qualitй; mais la vertu fait partie de la premiиre espиce de qualitй. La puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.

Cependant :

[65553] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Cuius est actio, eius est principium actionis. Sed actiones virtutum sunt potentiarum animae. Ergo et ipsae virtutes.

1. Le principe de l’action appartient а ce dont elle est l’action. Or, les actions des vertus appartiennent aux puissances de l’вme. Il en va donc de mкme pour les vertus.

[65554] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in I Ethic., quod virtutes intelligibiles sunt rationales per essentiam, virtutes autem morales sunt rationales per participationem. Sed rationale per essentiam et per participationem nominat quasdam animae potentias. Ergo potentiae animae sunt subiecta virtutum.

2. Le Philosophe dit, dans Йthiques, I, que les vertus intellectuelles sont raisonnables par essence, mais que les vertus morales sont raisonnables par participation. Or, кtre raisonnable par essence et [кtre raisonnable] par participation dйsignent des puissances de l’вme. Les puissances de l’вme sont donc les sujets des vertus.

Rйponse :

[65555] De virtutibus, q. 1 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod subiectum tripliciter comparatur ad accidens. Uno modo sicut praebens ei sustentamentum; nam accidens per se non subsistit, fulcitur vero per subiectum. Alio modo sicut potentia ad actum; nam subiectum accidenti subiicitur, sicut quaedam potentia activi; unde et accidens forma dicitur. Tertio modo sicut causa ad effectum; nam principia subiecta sunt principia per se accidentis. Quantum igitur ad primum, unum accidens alterius subiectum esse non potest. Nam, cum nullum accidens per se subsistat, non potest alteri sustentamentum praebere : nisi fortasse dicatur, quod in quantum est a subiecto sustentatum, aliud accidens sustentat. Sed quantum ad alia duo, unum accidens se habet ad aliud per modum subiecti : nam unum accidens est in potentia ad alterum, sicut diaphanum ad lucem, et superficies ad colorem. Unum etiam accidens potest esse causa alterius, ut humor saporis; et per hunc modum dicitur unum accidens alterius accidentis esse subiectum. Non quod unum accidens possit alteri accidenti sustentamentum praebere; sed quia subiectum est receptivum unius accidentis altero mediante. Et per hunc modum dicitur potentia animae esse habitus subiectum. Nam habitus ad potentiam animae comparatur ut actus ad potentiam; cum potentia sit indeterminata quantum est de se, et per habitum determinetur ad hoc vel illud. Ex principiis etiam potentiarum habitus acquisiti causantur. Sic ergo dicendum est, potentias esse virtutum subiecta; quia virtus animae inest, potentia mediante.

Le sujet se compare а l’accident d’une triple maniиre. D’une premiиre maniиre, comme ce qui lui prкte un support, car l’accident ne subsiste pas par lui-mкme, mais il est soutenu par le sujet. D’une autre maniиre, comme la puissance а l’acte, car le sujet est sujet de l’accident comme une puissance а un principe actif; aussi l’accident est-il appelй une forme. D’une troisiиme maniиre, comme la cause а l’effet, car les principes sous-jacents sont par eux-mкmes [les principes] de l’accident. Pour ce qui est du premier point, un accident ne peut pas кtre le sujet d’un autre [accident], car, puisqu’aucun accident ne subsiste par lui-mкme, il ne peut fournir d’appui а un autre, а moins qu’on ne dise que, pour autant qu’il est soutenu par un sujet, il soutient un autre accident. Mais, pour ce qui est des autres points, un accident joue le rфle de sujet pour quelque chose d’autre, car un accident est en puissance а un autre, comme ce qui est diaphane par rapport а la lumiиre, et la surface par rapport а la couleur. Un accident peut aussi кtre la cause d’un autre, comme l’humiditй l’est pour le goыt. Et, de cette maniиre, on dit qu’un accident est le sujet d’un autre accident. Non pas qu’un accident puisse fournir appui а un autre accident, mais parce que le sujet reзoit un accident par l’intermйdiaire d’un autre [accident]. C’est ainsi qu’on dit que la puissance de l’вme est le sujet d’un habitus. Car l’habitus entretient avec l’вme le rapport de l’acte avec la puissance, puisque la puissance est indйterminйe pour ce qui relиve d’elle-mкme, et qu’elle est dйterminйe а ceci ou а cela par l’habitus. C’est aussi а partir des principes des puissances que les habitus acquis sont causйs. Il faut donc dire que des puissances sont sujets de vertus, parce que la vertu est prйsente dans l’вme par l’intermйdiaire de la puissance.

Solutions :

[65556] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vivere in definitione virtutis positum ad actionem pertinet, ut supra dictum est.

1. Le mot «vivre», mis dans la dйfinition de la vertu, se rapporte а l’action, comme on l’a dit plus haut.

[65557] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse spirituale non per virtutes est, sed per gratiam. Nam gratia est principium spiritualiter essendi, virtus vero spiritualiter operandi.

2. L’кtre spirituel n’existe pas par les vertus, mais par la grвce, car la grвce est le principe de l’existence spirituelle, mais la vertu [est le principe] de l’opйration spirituelle.

[65558] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia non est per se subiectum, sed in quantum est per animam sustentata.

3. La puissance n’est pas sujet par elle-mкme, mais pour autant qu’elle est soutenue par l’вme.

[65559] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nunc loquimur de virtutibus humanis; et ideo illae potentiae quae nullo modo possunt esse humanae, ad quas nullo modo se extendit imperium rationis, sicut sunt vires animae vegetabilis, non possunt esse subiecta virtutum. Omnis autem impugnatio quae ex his viribus provenit, fit mediante appetitu sensitivo, ad quem pertingit imperium rationis, ut possit dici humanus, et virtutis humanae subiectum.

4. Nous parlons maintenant des vertus humaines. C’est pourquoi les puissances qui ne peuvent кtre humaines d’aucune maniиre, sur lesquelles le commandement de la raison ne s’йtend aucunement, comme c’est le cas des puissances de l’вme vйgйtative, ne peuvent pas кtre les sujets de vertus. Mais tout combat qui vient de ces puissances se fait par l’intermйdiaire de l’appйtit sensible, sur lequel la raison exerce son commandement, de sorte qu’il puisse кtre appelй humain et sujet de la vertu humaine.

[65560] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inter potentias animae non sunt activae nisi intellectus agens, et vires animae vegetabilis, quae non sunt aliquorum habituum subiecta. Aliae autem potentiae animae sunt passivae : principia tamen actionum animae existentes secundum quod sunt motae a suis activis.

5. Parmi les puissances de l’вme, ne sont actives que l’intellect agent et les puissances de l’вme vйgйtative, qui ne sont pas les sujets d’habitus. Les autres puissances de l’вme sont passives, mais elles sont cependant les principes des actions de l’вme qui sont mues par ce qui les active.

[65561] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non oportet in infinitum abire, quia pervenietur ad aliquod accidens quod non est in potentia respectu alterius accidentis.

6. Il n’est pas nйcessaire de remonter а l’infini, car on parviendra а un accident qui n’est pas en puissance par rapport а un autre accident.

[65562] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qualitatis non dicitur esse qualitas, ita quod per se sit qualitas qualitatis subiectum; quod in proposito non accidit, ut supra dictum est.

7. On ne dit pas de la qualitй qu’elle est une qualitй, de telle maniиre que la qualitй soit le sujet d’une qualitй, ce qui n’est pas en cause, comme on l’a dit plus haut.

 

Articulus 4 : [65563] De virtutibus, q. 1 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum irascibilis et concupiscibilis possint esse subiectum virtutis

Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils кtre sujets de la vertu ?

Objections :

[65564] De virtutibus, q. 1 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65565] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 1 Quia contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem contrarium est peccatum mortale, quod non potest esse in sensualitate, cuius partes sunt irascibilis et concupiscibilis. Ergo irascibilis et concupiscibilis subiectum virtutis esse non possunt.

1. Les contraires portent de soi sur la mкme chose. Or, le contraire de la vertu est le pйchй mortel, qui ne peut exister dans l’appйtit sensibe, dont les parties sont l’irascible et le concupiscible. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas кtre sujets de la vertu.

[65566] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, eiusdem potentiae sunt habitus et actus. Sed principalis actus virtutis est electio, secundum philosophum in Lib. Ethic., quae non potest esse actus irascibilis et concupiscibilis. Ergo nec habitus virtutum possunt esse in irascibili et concupiscibili.

2. Les habitus et les actes relиvent de la mкme puissance. Or, l’acte principal de la vertu est le choix, selon le Philosophe, dans l’Йthique, lequel ne peut кtre un acte de l’irascible et du concupiscible. Les habitus des vertus ne peuvent donc pas se trouver dans l’irascible et le concupiscible.

[65567] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullum corruptibile est subiectum perpetui; unde Augustinus probat animam esse perpetuam, quia est subiectum veritatis, quae est perpetua. Sed irascibilis et concupiscibilis, sicut et ceterae potentiae sensitivae, non remanent post corpus, ut quibusdam videtur; virtutes autem manent. Nam iustitia est perpetua et immortalis, ut dicitur Sapient. I, v. 15; quod pari ratione de omnibus dici potest. Ergo irascibilis et concupiscibilis virtutum subiectum esse non possunt.

3. Aucun chose corruptible ne peut кtre le sujet de ce qui est perpйtuel. Ainsi Augustin prouve-t-il que l’вme est perpйtuelle, parce qu’elle est le sujet de la vйritй, qui est perpйtuelle. Or, l’irascible et le concupiscible, comme les autres puissances sensibles, ne demeurent pas aprиs que le corps [a disparu], comme il semble а certains, mais les vertus demeurent, car la justice est perpйtuelle et immortelle, comme il est dit dans Sg 1, 15, ce qui peut кtre dit de toutes les [vertus] pour la mкme raison. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas кtre le sujet des vertus.

 [65568] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, irascibilis et concupiscibilis habent organum corporale. Si ergo virtutes sunt in irascibili et concupiscibili, sunt in organo corporali. Ergo possunt apprehendi per imaginationem vel phantasiam; et sic non sunt sola mente perceptibiles; ut Augustinus dicit de iustitia, quod est rectitudo sola mente perceptibilis.

4. L’irascible et le concupiscible ont un organe corporel. Si donc les vertus sont dans l’irascible et le concupiscible, elles existent dans un organe corporel. Elles peuvent donc кtre saisies par l’imagination ou la «fantaisie». Et ainsi, elles ne sont pas perceptibles par la seule raison, comme Augustin dit de la justice qu’«elle est une rectitude perceptible par l’esprit seul».

[65569] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis possunt esse subiectum virtutis, in quantum participant aliqualiter, ratione.- Sed contra, irascibilis et concupiscibilis dicuntur ratione participare, in quantum a ratione ordinantur. Sed ordo rationis non potest virtuti sustentamentum praebere, cum non sit quid subsistens. Ergo nec in quantum ratione participant, possunt irascibilis et concupiscibilis esse virtutis subiectum.

5. L’irascible et le concupiscible peuvent кtre sujets de la vertu pour autant qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison. – Mais, en sens contraire, on dit que l’irascible et le concupiscible participent а la raison pour autant qu’ils sont commandйs par la raison. Or, l’ordre de la raison ne peut fournir de support а la vertu, puisqu’il n’est pas quelque chose de subsistant. Ni l’irascible ni le concupiscible ne peuvent donc pas non plus кtre sujets de la vertu pour autant qu’ils participent а la raison.

[65570] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, sicuti irascibilis et concupiscibilis, quae pertinent ad sensibilem appetitum, subserviunt rationi; ita et potentiae apprehensivae et sensitivae. Sed in nulla apprehensiva potentiarum sensitivarum potest esse virtus. Ergo nec in irascibili et concupiscibili.

6. De mкme que l’irascible et le concupiscible, qui relиvent de l’appйtit sensible, obйissent а la raison, de mкme les puissances cognitives et sensibles. Or, il n’y a de vertu dans aucune puissance cognitive parmi les puissances sensibles. Il n’y en a donc pas non plus dans l’irascible et le concupiscible.

 [65571] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, si ordo rationis participari potest in irascibili et concupiscibili, poterit minui rebellio sensualitatis, quae has duas vires continet ad rationem. Sed rebellio praedicta non est infinita, cum sensualitas sit virtus finita, et virtutis finitae non possit esse actio infinita. Ergo poterit totaliter tolli praedicta rebellio; omne enim finitum consumitur multoties ablato quodam, ut patet per philosophum in I Physic.; et sic sensualitas in hac vita possit totaliter curari. Quod est impossibile.

7. Si l’irascible et le concupiscible peuvent participer а l’ordre de la raison, la rйbellion de la sensualitй sera diminuйe, qui comprend ces deux puissances en rapport avec la raison. Or, la rйbellion dont il a йtй question n’est pas infinie, puisque la sensualitй est une puissance finie, et qu’il ne peut exister d’action infinie d’une puissance finie. Ladite rйbellion pourra donc кtre entiиrement abolie : en effet, tout ce qui est fini disparaоt, si on en enlиve souvent quelque chose, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Physique, I. Et ainsi, en cette vie, la sensualitй pourra кtre totalement guйrie. Ce qui est impossible.

[65572] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 8 Sed dicendum, quod Deus, qui virtutem infundit, posset totaliter praedictam rebellionem auferre; sed ex parte nostra est quod non totaliter auferatur.- Sed contra, homo est id quod est in quantum est rationalis; cum ex hoc speciem sortiatur. Quanto igitur id quod est in homine, magis rationi subiicitur; tanto magis competit humanae naturae. Maxime autem subiicerentur inferiores vires animae rationi si praedicta rebellio totaliter tolleretur. Ergo hoc esset competens maxime humanae naturae; et ita ex parte nostra non est impedimentum quin praedicta rebellio totaliter tollatur.

8. Mais Dieu, qui infuse la vertu, pourrait йcarter complиtement cette rйbellion; cependant, cela vient de nous qu’elle ne soit pas totalement йcartйe. – Mais, en sens contraire, l’homme est ce qu’il est pour autant qu’il est raisonnable, puisqu’il tire de cela son espиce. Plus ce qui est dans l’homme est soumis а la raison, plus cela relиve donc de la nature humaine. Or, les puissances infйrieures seraient soumises а la raison au plus haut point si ladite rйbellion йtait totalement йcartйe. Cela conviendrait donc au plus haut point а la nature humaine. Et ainsi, il n’y a pas d’empкchement de notre part а ce que ladite rйbellion soit totalement йcartйe.

 [65573] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, ad rationem virtutis non sufficit quod peccatum vitetur. Perfectio enim iustitiae in hoc consistit quod in Psal. XXXIII, v. 15, dicitur : declina a malo, et fac bonum. Sed ad irascibilem pertinet detestari malum, ut dicitur in Lib. de spiritu et anima. Ergo in irascibili ad minus non potest esse virtus.

9. Il ne suffit pas а la raison de vertu que le pйchй soit йvitй. En effet, la perfection de la justice consiste en ce que dit le Ps 38, 15 : Dйtourne-toi du mal et fais le bien. Or, il appartient а l’irascible de dйtester le mal, comme il est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’вme. Dans l’irascible au moins, il ne peut donc y avoir de vertu.

[65574] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, in eodem libro dicitur, quod in ratione est desiderium virtutum, in irascibili odium vitiorum. Sed in eodem est desiderium virtutis et virtus, cum quaelibet res suam perfectionem desideret. Ergo omnis virtus est in ratione, et non in irascibili et concupiscibili.

10. Dans le mкme livre, on dit qu’il existe un dйsir des vertus dans la raison, et une haine des vices dans l’irascible. Or, le dйsir de la vertu et la vertu se trouvent dans le mкme [sujet], puisque toute chose dйsire sa perfection. Toute vertu se trouve donc dans la raison, et non dans l’irascible et le concupiscible.

 [65575] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 11 Praeterea, in nulla potentia potest esse habitus quae agitur tantum et non agit; eo quod habitus est id quo quis agit cum voluerit, ut dicit Commentator in III de anima. Sed irascibilis et concupiscibilis non agunt, sed aguntur : quia ut dicitur in III Ethic., sensus nullius actus dominus est. Ergo non potest esse habitus virtutis in irascibili et concupiscibili.

11. Dans aucune puissance ne peut exister un habitus qui est seulement mы et qui n’agit pas, йtant donnй que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut, comme le dit le Commantateur dans Sur l’вme, III. Or, l’irascible et le concupiscible n’agissent pas mais sont mus, car, comme on le dit dans Йthique, III, le sens n’est maоtre d’aucun acte. Il ne peut donc y avoir de vertu dans l’irascible et le concupiscible.

[65576] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 12 Praeterea, proprium subiectum parificatur propriae passioni. Virtus autem parificatur rationi, non autem irascibili et concupiscibili, quae sunt nobis et brutis communes. Virtus ergo est in hominibus tantum, sicut et ratio; ergo omnis virtus est in ratione, non autem in irascibili et concupiscibili.

12. Le sujet propre est assimilй а la passion propre. Or, la vertu est assimilйe а la raison, et non а l’irascible et au concupiscible, qui sont communs а nous et aux animaux sans raison. La vertu se trouve donc dans l’homme seulement, comme la raison. Toute vertu est donc dans la raison, et non dans l’irascible et le concupiscible.

 [65577] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 13 Praeterea, Rom. VII, dicit Glossa : bona est lex, quae dum concupiscentiam prohibet, omne malum prohibet. Omnia ergo vitia ad concupiscibilem pertinent, cuius est concupiscentia. Sed in eodem, sunt virtutes et vitia. Ergo virtutes non sunt in irascibili, sed in concupiscibili ad minus.

13. А propos de Rm 7, la Glose dit : «La loi est bonne, puisqu’elle interdit la convoitise et empкche tout mal.» Tous les vices se rapportent donc au concupiscible, dont relиve la convoitise. Or, les vertus et les vices se trouvent dans le mкme [sujet]. Les vertus ne sont donc pas dans l’irascible, mais au moins dans le concupiscible.

Cependant :

[65578] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus, dicit de temperantia et fortitudine, quod sunt irrationabilium partium. Partes autem irrationabiles, id est sensibilis appetitus, sunt irascibilis et concupiscibilis, ut habetur in III de anima. Ergo in irascibili et concupiscibili possunt esse virtutes.

1. Il y a ce que le Philosophe dit de la tempйrance et de la force, qui appartiennent aux parties non raisonnables. Or, les parties non raisonnables, а savoir, l’appйtit sensible, sont l’irascible et le concupiscible, comme on le trouve dans Sur l’вme, III. Les vertus peuvent donc exister dans l’irascible et le concupiscible.

[65579] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, peccatum veniale est dispositio ad mortale. Perfectio autem et dispositio sunt in eodem. Cum igitur veniale peccatum sit in irascibili et concupiscibili (prius enim motus est actus sensualitatis, ut ponitur in Glossa ad Rom. VIII); ergo et mortale peccatum ibi esse poterit; et sic etiam virtus, quae est peccato mortali contraria.

2. Le pйchй vйniel est une disposition au pйchй mortel. Or, la perfection et la disposition existent dans le mкme [sujet]. Comme le pйchй vйniel existe dans l’irascible et le concupiscible (en effet, il y a d’abord un mouvement de la sensualitй, comme on le trouve dans la Glose а propos de Rm 8), le pйchй mortel peut donc aussi y exister, et donc aussi la vertu, qui est contraire au pйchй mortel.

[65580] De virtuoses, q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem. Sed virtus aliqua est medium inter contrarias passiones; sicut fortitudo inter timorem et audaciam, et temperantia inter superfluum et diminutum in concupiscentiis. Cum igitur huiusmodi passiones sint in irascibili et concupiscibili, videtur etiam quod in eisdem sit virtus.

3. Le milieu et les extrкmes existent dans le mкme [sujet]. Or, une vertu est le milieu entre des passions contraires, comme la force entre la crainte et l’audace, et la tempйrance entre l’excиs et la carence dans les dйsirs. Puisque ces passions sont dans l’irascible et le concupiscible, il semble donc aussi que la vertu existe en eux.

Rйponse :

[65581] De virtutibus, q. 1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod circa quaestionem istam partim ab omnibus convenitur, et partim opiniones sibi invicem repugnant. Ab omnibus enim conceditur aliquas virtutes in irascibili et concupiscibili esse, sicut temperantiam in concupiscibili et fortitudinem in irascibili; sed in hoc est differentia. Quidam enim distinguunt duplicem irascibilem et concupiscibilem esse; in superiori parte animae, et iterum in inferiori. Dicunt enim, quod irascibilis et concupiscibilis quae sunt in superiori parte animae, cum ad naturam rationalem pertineant, possunt esse subiectum virtutis; non tamen illae quae sunt in inferiori parte ad naturam sensualem et brutalem pertinentes. Sed hoc quidem in alia quaestione discussum est; utrum scilicet in superiori parte animae possint distingui duae vires, quarum una sit irascibilis et alia concupiscibilis, proprie loquendo. Sed, quidquid de hoc dicatur, nihilominus in irascibili et concupiscibili quae sunt in inferiori appetitu, secundum philosophum in III Ethic., oportet ponere esse aliquas virtutes, ut etiam alii dicunt : quod quidem sic patet. Cum enim virtus, ut supra dictum est, nominet quoddam potentiae complementum, potentia autem ad actum respiciat; oportet humanam virtutem in illa potentia ponere quae est principium actus humani. Actus autem humanus dicitur qui non quocumque modo in homine vel per hominem exercetur; cum in quibusdam etiam plantae, bruta et homines conveniant; sed qui hominis proprius est. Inter cetera vero hoc habet homo proprium in suo actu, quod sui actus est dominus. Quilibet igitur actus cuius homo dominus est, est proprie actus humanus; non autem illi quorum homo non est dominus, licet in homine fiant, ut digerere, et augeri, et alia huiusmodi. In eo igitur quod est principium talis actus cuius homo dominus est, potest poni virtus humana. Sciendum tamen est, quod huiusmodi actus contingit esse triplex principium. Unum sicut primum movens et imperans, per hoc quod homo sui actus sit dominus; et hoc est ratio vel voluntas. Aliud est movens motum, sicut appetitus sensibilis, qui etiam movetur ab appetitu superiori in quantum ei obedit, et tunc iterum movet membra exteriora per sui imperium. Tertium autem est quod est motum tantum, scilicet membrum exterius. Cum autem utrumque, scilicet membrum exterius et appetitus inferior a superiori parte animae moveantur; tamen aliter, et aliter. Nam membrum exterius ad nutum obedit superiori imperanti absque ulla repugnantia secundum naturae ordinem, nisi sit impedimentum aliquod; ut patet in manu et pede. Appetitus autem inferior habet propriam inclinationem ex natura sua, unde non obedit superiori appetitui ad nutum, sed interdum repugnat; unde Aristoteles dicit in politica sua, quod anima dominatur corpori dispotico principatu, sicut dominus servo, qui non habet facultatem resistendi in aliquo imperio domini; ratio vero dominatur inferioribus animae partibus regali et politico principatu, id est sicut reges et principes civitatum dominantur liberis, qui habent ius et facultatem repugnandi quantum ad aliqua praecepta regis vel principis. In membro igitur exteriori non est necessarium aliquid perfectivum actus humani, nisi naturalis eius dispositio, per quam natum est moveri a ratione; sed in appetitu inferiori, qui rationi repugnare potest, est necessarium aliquid quo operationem quam ratio imperat, absque repugnantia prosequatur. Si enim immediatum operationis principium sit imperfectum, oportet operationem esse imperfectam, quantacumque perfectio adsit superiori principio. Et ideo, si appetitus inferior non esset in perfecta dispositione ad sequendum imperium rationis, operatio, quae est appetitus inferioris, sicut proximi principii, non esset in bonitate perfecta; esset enim cum quadam repugnantia sensibilis appetitus; ex quo quaedam tristitia consequeretur appetitui inferiori per quamdam violentiam a superiori moto; sicut accidit in eo qui habet fortes concupiscentias, quas tamen non sequitur, ratione prohibente. Quando igitur oportet operationem hominis esse circa ea quae sunt obiecta sensibilis appetitus, requiritur ad bonitatem operationis quod sit in appetitu sensibili aliqua dispositio, vel perfectio, per quam appetitus praedictus de facili obediat rationi; et hanc virtutem vocamus. Quando igitur aliqua virtus est circa illa quae proprie ad vim irascibilem pertinent, sicut fortitudo circa timores et audacias, magnanimitas circa ardua sperata, mansuetudo circa iras : talis virtus dicitur esse etiam in irascibili sicut in subiecto. Quando autem est circa ea quae sunt proprie concupiscibilis, dicitur esse in concupiscibili sicut in subiecto; sicut castitas, quae est circa delectationes venereas, et sobrietas et abstinentia, quae sunt circa delectationes in cibis et potibus.

А propos de cette question, tous sont d’accord en partie, et les opinions s’opposent les unes aux autres en partie. Tous concиdent en effet qu’il existe certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible, comme la tempйrance dans le concupiscible et la force dans l’irascible. Mais il y a sur ce point une divergence. En effet, certains font une distinction selon laquelle il existe une double irascible et concupiscible : dans la partie supйrieure de l’вme, et aussi dans [la partie] infйrieure. En effet, ils disent que l’irascible et le concupiscible qui existent dans la partie supйreure de l’вme, puisqu’ils relиvent de la nature raisonnable, peuvent кtre le sujet de la vertu, mais que ce n’est cependant pas le cas de ceux qui existent dans la partie infйrieure, qui se rapporte а la nature sensible et sans raison. Mais cela a йtй discutй dans une autre question, а savoir, si l’on peut distinguer deux puissances dans la partie supйrieure de l’вme, dont l’une est l’irascible et l’autre le concupiscible au sens propre. Mais quoi qu’on dise а ce sujet, il est nйanmoins nйcessaire de situer certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible qui se trouvent dans l’appйtit infйrieur, selon le Philosophe, dans Йthique, II, et comme d’autres aussi le disent. Et cela peut s’expliquer ainsi. En effet, puisque la vertu, comme on l’a dit, dйsigne un achиvement de la puissance et que la puissance concerne l’acte, il est nйcessaire de situer la vertu humaine dans la puissance qui est le principe de l’acte humain. Or, on appelle acte humain non pas celui qui existe dans l’homme ou est exercй par l’homme de n’importe quelle maniиre, puisque les plantes, les animaux sans raison et les hommes ont certaines choses en commun, mais [l’acte] qui est propre а l’homme. Or, parmi les autres choses, l’homme a en propre dans son acte d’кtre maоtre de son acte. Tout acte dont l’homme est maоtre est donc humain au sens propre, mais non ceux dont l’homme n’est pas maоtre, bien qu’ils s’accomplissent chez l’homme, comme digйrer, grandir et les autres choses de ce genre. C’est donc dans ce qui est le principe de l’acte dont l’homme est maоtre qu’on peut situer la vertu humaine. Il faut cependant savoir qu’il se fait que le principe d’un tel acte est triple. L’un, comme premier agent et commandant, par lequel l’homme est maоtre de son acte : et cela est la raison ou la volontй. Un autre est l’agent qui est mы, comme l’appйtit sensible, qui est aussi mы par un appйtit supйrieur dans la mesure oщ il lui obйit, et par le commandement duquel aussi [l’homme] meut ses membres extйrieurs. Le troisiиme est celui qui est mы seulement, а savoir, le membre extйrieur, bien que les deux, а savoir, le membre infйrieur et l’appйtit infйrieur, soient mus par la partie supйrieure de l’вme, mais cependant d’une maniиre diffйrente. Car le membre extйrieur obйit au moindre commandement de la [partie] supйrieure qui le commande, sans aucune rйsistance, selon l’ordre de la nature, а moins qu’il y ait un empкchement, comme cela est manifeste pour la main et le pied. Mais l’appйtit infйrieur a sa propre inclination par sa nature; aussi n’obйit-il pas au moindre commendemenet de l’appйtit supйrieur, mais parfois lui rйsiste. C’est ainsi qu’Aristote dit, dans sa Politique, que l’вme commande au corps par un pouvoir despotique, comme le maоtre а l’esclave, qui n’a la capacitй de rйsister а aucun commandement du maоtre; mais la raison s’impose aux parties infйrieures de l’вme par un pouvoir royal et politique, c’est-а-dire comme les rois et les dirigeants des villes s’imposent aux hommes libres, qui ont le droit et la capacitй de rйsister а certains ordres du roi ou du dirigeant. Il n’est donc pas nйcessaire qu’existe dans le membre extйrieur quelque chose qui perfectionne l’acte humain, sinon sa disposition naturelle, par laquelle il est disposй а кtre mы par la raison. Mais, dans l’appйtit infйrieur, qui peut rйsister а la raison, quelque chose est nйcessaire pour que suive sans rйsistance l’opйration que commande la raison. En effet, si le principe immйdiat de l’opйration est imparfait, l’opйration sera nйcessairement imparfaite, quelle que soit la perfection du principe supйrieur. C’est pourquoi, si l’appйtit infйrieur n’est pas parfaitement disposй а suivre le commandement de la raison, l’opйration, qui relиve de l’appйtit infйrieur comme de son principe rapprochй, ne sera pas d’une bontй parfaite. En effet, elle se ferait avec une certaine rйsistance de l’appйtit sensible, d’oщ viendrait une tristesse de l’appйtit infйrieur mы selon une certaine violence par l’appйtit supйrieur, comme il arrive chez celui qui a de fortes convoitises, qu’il ne suit cependant pas parce que la raison l’en empкche. Ainsi donc, lorsque l’opйration de l’homme doit porter sur les choses qui sont les objets de l’appйtit sensible, il est nйcessaire pour la bontй de l’opйration qu’il y ait dans l’appйtit sensible une certaine disposition ou perfection, par laquelle ledit appйtit puisse obйir facilement а la raison. Et c’est cette disposition que nous appelons vertu. Lors donc qu’une vertu porte sur ce qui relиve en propre de la puissance irascible, comme la force pour les craintes et les audaces, la magnanimitй pour les choses difficiles qu’on espиre, la douceur pour les colиres, on dit qu’une telle vertu rйside dans l’irascible comme dans son sujet. Mais lorsqu’elle porte sur ce qui relиve en propre du concupiscible, on dit qu’elle rйside dans le concupiscible comme dans son sujet, comme la chastetй, qui porte sur les plaisirs sexuels, la sobriйtй et l’abstinence, qui portent sur les plaisirs associйs а la nourriture et aux boissons.

Solutions :

[65582] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus et peccatum mortale dupliciter considerari possunt; scilicet secundum actum et secundum habitum. Sicut autem actio concupiscibilis et irascibilis si secundum se consideratur, non est peccatum mortale, concurrit tamen in actu peccati mortalis, quando ratione movente vel consentiente tendit in contrarium legis divinae; ita actus eorumdem, si per se accipiantur, non possunt esse actus virtutis, sed solum quando concurrunt ad consequendum imperium rationis. Et sic actus peccati mortalis et virtutis pertinet aliquo modo ad irascibilem et concupiscibilem; unde et habitus utriusque in irascibili et concupiscibili esse possunt. Hoc tamen in re est, quod sicut actus virtutis consistit in hoc quod irascibilis et concupiscibilis sequuntur rationem, ita actus peccati consistit in hoc quod ratio trahitur ad sequendum inclinationem irascibilis et concupiscibilis. Unde et peccatum consuevit frequentius rationi attribui tamquam proximae causae; et eadem ratione virtus irascibilis et concupiscibilis.

1. La vertu et le pйchй mortel peuvent кtre abordйs de deux faзons : selon l’acte et selon l’habitus. De mкme que l’action du concupiscible et de l’irascible, considйrйe en elle-mкme, n’est pas un pйchй mortel, mais concourt cependant а l’acte du pйchй mortel lorsque, malgrй le mouvement ou le consentement de la raison, elle tend а ce qui est contraire а la loi divine, de mкme leurs actes, considйrйs en eux-mкmes, ne peuvent-ils кtre considйrйs comme des actes de vertu, mais seulement lorsqu’ils parviennent а se conformer au commandement de la raison. Et ainsi, l’acte du pйchй mortel et de la vertu se rapportent-ils d’une certaine maniиre а l’irascible et au concupiscible; l’habitus de chacun peut donc rйsider dans l’irascible et le concupiscible. En rйalitй, de mкme que l’acte de la vertu consiste en ce que l’irascible et le concupiscible suivent la raison, de mкme l’acte du pйchй consiste-t-il en ce que la raison soit entraоnйe а suivre l’inclination de l’irascible et du concupiscible. Aussi a-t-on l’habitude d’attribuer plus frйquemment le pйchй а la raison comme а sa cause prochaine et, pour la mкme raison, la vertu de l’irascible et du concupuscible.

 [65583] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut iam dictum est, actus virtutis non potest esse irascibilis vel concupiscibilis tantum, sine ratione. Id tamen quod est in actu virtutis, principalius est rationis, scilicet electio; sicut et in qualibet operatione principalior est agentis actio quam passio patientis. Ratio enim imperat irascibili et concupiscibili. Non ergo pro tanto dicitur esse virtus in irascibili vel concupiscibili, quasi per eas totus actus virtutis vel principalior pars expleatur; sed in quantum, per virtutis habitum, ultimum complementum bonitatis actui virtutis confertur : in hoc scilicet quod irascibilis et concupiscibilis absque difficultate sequantur ordinem rationis.

2. Comme on l’a dйjа dit, l’acte de la vertu ne peut relever de l’irascible et du concupiscible seulement, sans la raison. Cependant, ce qui constitue l’acte de la vertu relиve principalement de la raison, а savoir, le choix, comme dans toute action, l’action de l’agent est plus importante que la passion de ce qui reзoit l’action. En effet, la raison commande а l’irascible et au concupiscible. Pour autant, on ne dit donc pas qu’existe une vertu dans l’irascible ou dans le concupiscible, comme si s’accomplissait par eux tout l’acte ou la partie principale de la vertu, mais pour autant que, par l’habitus de la vertu, l’ultime achиvement de la bontй est apportй а l’acte de la vertu, а savoir, par le fait que l’irascible et le concupiscible suivent l’ordre de la raison.

[65584] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposito quod irascibilis et concupiscibilis non remaneant actu in anima separata, manent tamen in ea sicut in radice : nam essentia animae est radix potentiarum. Et similiter virtutes quae ascribuntur irascibili et concupiscibili, manent in ratione sicut in radice. Nam ratio est radix omnium virtutum, ut postea ostendetur.

3. А supposer que l’irascible et le concupiscible ne demeurent pas en acte dans l’вme sйparйe, ils demeurent cependant en elle comme en leur racine, car l’essence de l’вme est la racine des puissances. De mкme, les vertus qui sont attribuйes а l’irascible et au concupiscible demeurent dans la raison comme en leur racine. Car la raison est la racine de toutes les vertus, comme on le montrera plus loin.

[65585] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in formis invenitur quidam gradus. Sunt enim quaedam formae et virtutes totaliter ad materiam depressae, quarum omnis actio materialis est; ut patet in formis elementaribus. Intellectus vero est totaliter a materia liber; unde et eius operatio est absque corporis communione. Irascibilis autem et concupiscibilis medio modo se habent. Quod enim organo corporali utantur, ostendit corporalis transmutatio, quae earum actibus adiungitur; quod iterum sint aliquo modo a materia elevatae, ostenditur per hoc quod per imperium moventur et quod obediunt rationi. Et sic in eis est virtus, id est in quantum elevatae sunt a materia, et rationi obediunt.

4. Il existe une certaine gradation dans les formes. En effet, certaines formes et puissances sont entiиrement immergйes dans la matiиre : toute leur action est matйrielle, comme cela ressort clairement dans les formes йlйmentaires. Mais l’intellect est entiиrement libre par rapport а la matiиre; aussi son opйration se rйalise-t-elle sans communion avec le corps. Cependant, l’irascible et le concupiscible occupent une position intermйdiaire. En effet, qu’ils utilisent un organe corporel, la transformation corporelle qui est associйe а leurs actes le montre; mais qu’ils soient d’une certaine maniиre йlevйs au-dessus de la matiиre, cela est montrй par le fait qu’ils sont mus par un commandement et qu’ils obйissent а la raison. Et ainsi rйside en eux la vertu, а savoir, pour autant qu’elles sont йlevйes au-dessus de la matiиre et obйissent а la raison.

 [65586] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet ordo rationis quo irascibilis et concupiscibilis participant, non sit aliquid subsistens, nec per se possit esse subiectum; potest tamen esse ratio quare aliquid sit subiectum.

5. Bien que l’ordre de la raison auquel l’irascible et le concupiscible participent ne soit pas quelque chose de subsistant et ne puisse par lui-mкme кtre un sujet, il peut cependant кtre la raison pour laquelle quelque chose est un sujet.

[65587] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtutes sensitivae cognitivae sunt naturaliter praeviae rationi, cum ab eis ratio accipiat; appetitivae autem sequuntur naturaliter ordinem rationis cum naturaliter appetitus inferior superiori obediat; et ideo non est simile.

6. Les puissances sensibles cognitives prйcиdent naturellement la raison, puisque la raison reзoit d’elles ; mais les puissances appйtitives suivent naturellement l’ordre de la raison, puisque l’appйtit infйrieur obйit naturellement а [l’appйtit] supйrieur. Ce n’est donc pas la mкme chose.

[65588] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod tota rebellio irascibilis et concupiscibilis ad rationem tolli non potest per virtutem; cum ex ipsa sui natura irascibilis et concupiscibilis in id quod est bonum secundum sensum, quandoque rationi repugnet; licet hoc possit fieri divina virtute, quae potens est etiam naturas immutare. Nihilominus tamen per virtutem minuitur illa rebellio, in quantum praedictae vires assuefiunt ut rationi subdantur; ut sic ex extrinseco habeant id quod ad virtutem pertinet, scilicet ex dominio rationis super eas; ex seipsis autem retineant aliquid de motibus propriis, qui quandoque sunt contrarii rationi.

7. Toute la rйbellion de l’irascible et du concupiscible contre la raison ne peut pas кtre enlevйe par la vertu, puisque, par sa nature mкme, [le mouvement de] l’irascible et du concupiscible vers ce qui est bon selon le sens est parfois contraire а la raison ; cela peut cependant кtre accompli par la puissance divine, qui a le pouvoir de changer mкme les natures. Toutefois, cette rйbellion est diminuйe par la vertu, pour autant que lesdites puissances sont habituйes а se soumettre а la raison, de sorte qu’elles reзoivent de l’extйrieur ce qui relиve de la vertu, а savoir, du pouvoir de la raison sur elles, et qu’elles gardent par elles-mкmes quelque chose de leurs propres mouvements, qui sont parfois contraires а la raison.

 [65589] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet quandoque in homine principium sit quod est rationis; tamen ad integritatem humanae naturae requiritur non solum ratio, sed inferiores animae vires, et ipsum corpus. Et ideo ex conditione humanae naturae sibi relictae provenit ut in inferioribus animae viribus aliquid sit rationi rebellans, dum inferiores vires animae proprios motus habent. Secus autem est in statu innocentiae et gloriae, cum ex coniunctione ad Deum ratio sortitur vim totaliter sub se inferiores vires continendi.

8. Bien que parfois, chez l’homme, ce qui relиve de la raison soit principe, toutefois, non seulement la raison est-elle nйcessaire pour l’intйgritй de la nature humaine, mais aussi les puissances infйrieures de l’вme, et le corps lui-mкme. C’est pourquoi vient de la condition de la nature humaine laissйe а elle-mкme que quelque chose se rebelle contre la raison, lorsque les puissances infйrieures de l’вme exercent leurs propres mouvements. Il en est autrement dans l’йtat d’innocence et de gloire, puisque, par suite de l’union а Dieu, la raison possиde la force de maintenir sous sous son contrфle les puissances infйrieures.

[65590] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod detestari malum, secundum quod ad irascibilem pertinere dicitur, non solum importat declinationem a malo, sed quemdam motum irascibilis ad mali destructionem; sicut accidit illi qui non solum malum refugit, sed ad mala extirpanda per vindictam movetur. Hoc autem est aliquod bonum facere. Licet autem sic malum detestari, ad irascibilem et concupiscibilem pertineat, non tamen solum habet actum hunc; nam et insurgere ad arduum bonum consequendum ad irascibilem pertinet; in qua non solum est passio irae et audaciae, sed etiam spei.

9. Dйtester le mal, pour autant qu’on le dit relever de l’irascible, ne comporte pas seulement un йloignement du mal, mais un certain mouvement de l’irascible pour dйtruire le mal, comme cela arrive chez celui qui, non seulement fuit le mal, mais est mы par la vengeance а extirper le mal. Or, c’est lа accomplir un certain bien. Bien que dйtester ainsi le mal relиve de l’irascible et du concupiscible, cela ne comporte donc pas seulement cet acte, car entreprendre d’atteindre un bien difficile relиve aussi de l’irascible, dans lequel n’existent pas seulement les passions de colиre et d’audace, mais aussi d’espoir.

[65591] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa verba sunt accipienda per quamdam adaptationem, et non per proprietatem. Nam in qualibet potentia animae est desiderium boni proprii; unde et irascibilis appetit victoriam, sicut et concupiscibilis delectationem. Sed quia concupiscibilis fertur in id quod est bonum toti animali simpliciter sive absolute; ideo omne desiderium boni appropriatur sibi.

10. Ces paroles doivent кtre interprйtйes selon une certaine adaptation, et non au sens propre. Car, en toute puissance de l’вme, existe le dйsir de son bien propre. Ainsi, l’irascible dйsire la victoire, comme le concupiscible dйsire le plaisir. Mais parce que le concupiscible se porte vers ce qui est bon pour tout animal purement et absolument, c’est la raison pour laquelle tout dйsir du bien lui est appropriй.

[65592] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet irascibilis et concupiscibilis secundum se consideratae agantur, et non agant : tamen in homine secundum quod participant aliqualiter rationem, etiam quodam modo agunt; non tamen totaliter aguntur. Unde etiam in politicis dicit philosophus, quod dominium rationis super has vires est politicum; quia huiusmodi vires aliquid habent de proprio motu, ubi non totaliter obediunt rationi. Dominium autem animae ad corpus non est regale, sed dispoticum; quia membra corporis ad nutum obediunt animae quantum ad motum.

11. Bien que l’irascible et le concupiscible, considйrйs en eux-mкmes, soient mus et ne meuvent pas, cependant, chez l’homme, pour autant qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison, ils meuvent aussi d’une certaine faзon, et ne sont pas totalement mus. Aussi le Philosophe dit-il, dans la Politique, que le pouvoir de la raison sur ces autres puissances est politique, car ces puissances ont quelque chose de leur propre mouvement, en quoi elles n’obйissent pas totalement а la raison. Mais le pouvoir de l’вme sur le corps n’est pas royal, mais despotique, car les membres du corps obйissent au moindre commandement de l’вme pour ce qui est de se mouvoir.

[65593] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet istae vires sint in brutis, non tamen in eis participant aliquid rationis; et ideo virtutes morales habere non possunt.

12. Bien que ces puissances existent chez les animaux sans raison, elles ne participent cependant pas chez eux а quelque chose de la raison. C’est pourquoi ils ne peuvent avoir de vertus morales.

[65594] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod omnia mala ad concupiscentiam pertinent, sicut ad primam radicem, et non sicut ad proximum principium. Nam omnes passiones ex irascibili et concupiscibili oriuntur, ut ostensum est, cum de passionibus animae ageretur. Perversitas vero rationis et voluntatis ut plurimum ex passionibus accidit. Vel potest dici quod per concupiscentiam intelligit non solum id quod est proprium vis concupiscibilis, sed quod est commune toti appetitivae potentiae; in cuius unaquaque particula invenitur alicuius concupiscentia, circa quam contingit esse peccatum. Nec aliter peccari potest nisi aliquid concupiscendo vel appetendo.

13. Tous les maux relиvent de la concupiscence comme de leur racine premiиre, et non selon leur principe propre. Car toutes les passions sont issues de l’irascible et du concupiscible, comme on l’a montrй, lorsqu’il a йtй question des passions de l’вme. Mais la perversitй de la raison et de la volontй vient la plupart du temps des passions. Ou l’on peut dire que, par concupiscence, on entend non seulement ce qui est propre а la puissance concupiscible, mais ce qui est commun а toute puissance appйtitive : en chaque petite parcelle de celle-ci, se rencontre la concupiscence de quelque chose, dans laquelle il arrive que se trouve le pйchй. Et l’on ne peut pйcher autrement qu’en convoitant ou en dйsirant quelque chose.

 

Articulus 5 : [65595] De virtutibus, q. 1 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum voluntas sit subiectum virtutis

Article 5 ‑ La volontй est-elle le sujet d’une vertu ?

Objections :

[65596] De virtutibus, q. 1 a. 5 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

[65597] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 1 Maior enim perfectio requiritur in imperante ad hoc quod recte imperet, quam in exequente ad hoc quod recte exequatur; quia ex imperante procedit ordinatio exequentis. Sed ad actum virtutis se habet voluntas sicut imperans, irascibilis autem et concupiscibilis sicut obedientes et exequentes. Cum igitur in irascibili et concupiscibili sit virtus sicut in subiecto, videtur quod multo fortius debeat esse in voluntate.

1. En effet, une plus grande perfection est requise chez celui qui commande pour qu’il commande correctement, que chez celui qui exйcute pour qu’il exйcute correctememnt, car la mise en ordre de celui qui exйcute vient de celui qui commande. Or, la volontй joue le rфle de commandant par rapport а l’acte de la vertu, mais l’irascible et le concupiscible obйissent et exйcutent. Puisque la vertu rйside dans l’irascible et le concupuscible comme dans un sujet, il semble qu’elle doive а bien plus forte raison rйsider dans la volontй.

 [65598] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 2 Sed diceretur, quod naturalis inclinatio voluntatis ad bonum sufficit ad eius rectitudinem. Nam finem naturaliter desideramus; unde non requiritur quod rectificetur per habitum virtutis superadditum.- Sed contra, voluntas non solum est finis ultimi, sed etiam finium aliorum. Sed circa appetitum aliorum finium contingit voluntatem et recte et non recte se habere. Nam boni praestituunt sibi bonos fines, mali vero malos, ut dicitur in III Ethic. : qualis unusquisque est, talis finis videtur ei. Ergo requiritur ad rectitudinem voluntatis, quod sit in ea aliquis habitus virtutis ipsam perficiens.

2. Mais on pourrait dire que l’inclination naturelle de la volontй au bien suffit а sa rectitude. Car nous dйsirons naturellement la fin. Aussi n’a-t-elle pas besoin d’кtre rectifiйe par un habitus de vertu surajoutй. – Par contre, la volontй n’a pas seulement pour objet la fin ultime, mais aussi les autres fins. Or, il arrive qu’а propos des autres fins, la volontй soit et ne soit pas droite, car les bons se donnent des fins bonnes, et les mйchants, [des fins] mauvaises, comme il est dit dans Йthique, III : «Tel est chacun, telle lui paraоt la fin.» Il est donc nйcessaire pour la rectitude la volontй qu’il existe en elle un habitus de vertu qui la perfectionne.

 [65599] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, etiam inest animae cognoscitivae aliqua cognitio naturalis, quae est primorum principiorum; et tamen respectu huius cognitionis est aliqua virtus intellectualis in nobis, scilicet intellectus, qui est habitus principiorum. Ergo et in voluntate debet esse aliqua virtus respectu eius ad quod naturaliter inclinatur.

3. Il existe aussi dans l’вme cognitive une connaissance naturelle, qui porte sur les premiers principes. Et cependant, par rapport а cette connaissance, il existe en nous une vertu intellectuelle, а savoir, l’intellect, qui est l’habitus des principes. Il doit donc aussi exister dans la volontй une vertu pour ce а quoi elle est naturellement inclinйe.

[65600] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, sicut circa passiones est aliqua virtus moralis, ut temperantia et fortitudo; ita etiam est aliqua virtus circa operationes, ut iustitia. Operari autem sine passione est voluntatis, sicut operari ex passione est irascibilis et concupiscibilis. Ergo sicut aliqua virtus moralis est in irascibili et concupiscibili, ita aliqua est in voluntate.

4. De mкme qu’il existe une vertu morale par rapport aux passions, comme la tempйrance et la force, de mкme aussi existe-t-il une vertu par rapport aux actions, comme la justice. Or, agir sans passion relиve de la volontй, comme agir par passion relиve de l’irascible et du concupiscible. De mкme qu’il existe une vertu morale dans l’irascible et dans le concupiscible, de mкme en existe-t-il donc une dans la volontй.

 [65601] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, philosophus in IV Ethic. dicit, quod amor sive amicitia est ex passione. Amicitia autem est ex electione. Dilectio autem quae est sine passione, est actus voluntatis. Cum igitur amicitia sit vel virtus, vel non sine virtute, ut dicitur in VIII Ethic.; videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.

5. L’amour ou l’amitiй vient d’une passion. Or, l’amitiй vient d’un choix. Mais l’amour qui existe sans passion est un acte de la volontй. Puisque l’amitiй est une vertu ou n’existe pas sans vertu, comme il est dit dans Йthique, VIII, il semble donc que la vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.

 [65602] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, caritas est potissima inter virtutes, ut probat apostolus, I ad Cor. XIII. Sed caritatis subiectum esse non potest nisi voluntas; non enim est eius subiectum concupiscibilis inferior, quae solum ad bona sensibilia se extendit. Ergo voluntas est subiectum virtutis.

6. La charitй est la plus importante des vertus, comme le montre l’Apфtre en 1 Co 13. Or, le sujet de la charitй ne peut кtre que la volontй : en effet, le concupiscible infйrieur, qui ne porte que sur les biens sensibles, n’est pas son sujet. La volontй est donc le sujet de la vertu.

[65603] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, secundum Augustinum, per voluntatem immediatius Deo coniungimur. Sed id quod coniungit nos Deo, est virtus. Ergo videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.

7. Selon Augustin, c’est par la volontй que nous sommes unis а Dieu de maniиre plus immйdiate. Or, ce qui nous unit а Dieu, c’est la vertu. Il semble donc que la vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.

 [65604] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea, felicitas, secundum Hugonem de s. Victore, in voluntate est. Virtutes autem sunt dispositiones quaedam ad felicitatem. Cum igitur dispositio et perfectio sint in eodem, videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.

8. La fйlicitй, selon Hugues de Saint-Victor, se trouve dans la volontй. Or, les vertus sont des dispositions а la fйlicitй. Puisque la disposition et l’accomplissement se trouvent dans la mкme chose, il semble que la vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.

 [65605] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum Augustinum, voluntas est qua peccatur et recte vivitur. Rectitudo autem vitae pertinet ad virtutem; unde Augustinus dicit, quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur. Ergo virtus est in voluntate.

9. Selon Augustin, c’est par la volontй que l’on pиche ou que l’on vit correctement. Or, la rectitude de la vie relиve de la vertu. Aussi Augustin dit-il que «la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement». La vertu est donc dans la volontй.

[65606] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem peccatum contrariatur. Cum igitur omne peccatum sit in voluntate, ut Augustinus dicit, videtur quod virtus sit in eadem.

10. Par nature, les contraires portent sur la mкme chose. Or, le pйchй est le contraire de la vertu. Puisque tout pйchй est dans la volontй, comme le dit Augustin, il semble donc que la vertu y soit aussi.

[65607] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 11 Praeterea, virtus humana in illa parte animae debet esse quae est propria hominis. Sed voluntas est propria hominis, sicut et ratio; utpote magis propinqua rationi quam irascibilis et concupiscibilis. Cum igitur irascibilis et concupiscibilis sint subiecta virtutum, videtur quod multo fortius voluntas.

11. La vertu humaine doit exister dans cette partie de l’вme qui est propre а l’homme. Or, la volontй est propre а l’homme, comme la raison, car elle est plus rapprochйe de la raison que l’irascible et le concupiscible. Puisque l’irascible et le concupiscible sont des sujets de vertus, il semble donc qu’а bien plus forte raison la volontй le soit.

Cependant :

 [65608] De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Omnis virtus aut est intellectualis, aut moralis, ut patet per philosophum in fine I Ethic. Virtus autem moralis est sicut in subiecto in eo quod est rationale non per essentiam, sed per participationem; virtus vero intellectualis habet pro subiecto id quod est rationale per essentiam. Cum igitur voluntas in neutra parte possit computari; quia nec est cognoscitiva potentia, quod pertinet ad rationalem per essentiam; neque pertinet ad irrationalem animae partem quae pertinet ad rationalem per participationem; videtur quod voluntas nullo modo subiectum virtutis esse possit.

1. Toute vertu est ou bien intellectuelle, ou morale, comme le dit clairement le Philosophe а la fin du premier livre de l’Йthique. Or, la vertu morale a comme sujet ce qui est raisonnable, non pas par essence, mais par participation; mais la vertu intellectuelle a comme sujet ce qui est raisonnable par essence. Puisque la volontй ne peut кtre situйe dans aucune des deux parties, car elle n’est pas une puissance cognitive, ce qui relиve de la raison par essence, et elle ne relиve pas de la partie non raisonnable de l’вme, laquelle relиve de la partie raisonnable par participation, il semble donc que la volontй ne puisse кtre d’aucune maniиre le sujet d’une vertu.

[65609] De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, ad eumdem actum non debent ordinari plures virtutes. Hoc autem sequeretur, si voluntas virtutis esset subiectum; quia ostensum est, quod in irascibili et concupiscibili sunt aliquae virtutes; et cum ad actus illarum virtutum se habeat quodammodo voluntas, oporteret quod ad eosdem actus essent aliquae virtutes in voluntate. Ergo non est dicendum, quod voluntas sit subiectum virtutis.

2. Plusieurs vertus ne doivent pas кtre ordonnйes а un mкme acte. Or, telle serait la consйquence, si la volontй йtait le sujet d’une vertu, car on a montrй qu’il existe des vertus dans l’irascible et dans le concupiscible et, comme la volontй a un rapport avec les actes de ces vertus, il serait nйcessaire qu’il existe des vertus de la volontй pour les mкmes actes. Il ne faut donc pas dire que la volontй est le sujet de la vertu.

Rйponse :

[65610] De virtutibus, q. 1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod per habitum virtutis potentia quae ei subiicitur, respectu sui actus complementum acquirit. Unde ad id ad quod potentia aliqua se extendit ex ipsa ratione potentiae, non est necessarius habitus virtutis. Virtus autem ordinat potentias ad bonum; ipsa enim est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Voluntas autem hoc quod virtus facit circa alias potentias, habet ex ipsa ratione suae potentiae : nam eius obiectum est bonum. Unde tendere in bonum hoc modo se habet ad voluntatem sicut tendere in delectabile ad concupiscibilem, et sicut ordinari ad sonum se habet ad auditum. Unde voluntas non indiget aliquo habitu virtutis inclinante ipsam ad bonum quod est sibi proportionatum, quia in hoc ex ipsa ratione potentiae tendit; sed ad bonum quod transcendit proportionem potentiae, indiget habitu virtutis. Cum autem uniuscuiusque appetitus tendat in proprium bonum appetentis; dupliciter aliquod bonum potest excedere voluntatis proportionem. Uno modo ratione speciei; alio modo ratione individui. Ratione quidem speciei, ut voluntas elevetur ad aliquod bonum quod excedit limites humani boni : et dico humanum id quod ex viribus naturae homo potest. Sed supra humanum bonum est bonum divinum, id quod voluntatem hominis caritas elevat, et similiter spes. Ratione autem individui, hoc modo quod aliquis quaerat id quod est alterius bonum, licet voluntas extra limites boni humani non feratur; et sic voluntatem perficit iustitia, et omnes virtutes in aliud tendentes, ut liberalitas, et alia huiusmodi. Nam iustitia est alterius bonum, ut philosophus dicit in V Ethic. Sic ergo duae virtutes sunt in voluntate sicut in subiecto; scilicet caritas et iustitia. Cuius signum est, quod istae virtutes quamvis ad appetitivam pertineant, tamen non circa passiones consistunt, sicut temperantia et fortitudo : unde patet quod non sunt in sensibili appetitu, in quo sunt passiones, sed in appetitu rationali, qui est voluntas, in quo passiones non sunt. Nam omnis passio est in parte animae sensitiva, ut probatur in VII Physic. Illae autem virtutes quae circa passiones consistunt, sicut fortitudo circa timores et audacias, et temperantia circa concupiscentias, oportet eadem ratione esse in appetitu sensitivo. Nec oportet quod ratione istarum passionum sit aliqua virtus in voluntate quia bonum in istis passionibus est quod est secundum rationem. Et ad hoc naturaliter se habet voluntas ex ratione ipsius potentiae, cum sit proprium obiectum voluntatis.

Par l’habitus de la vertu, la puissance qui en est le sujet acquiert un complement par rapport а son acte. Aussi un habitus de vertu n’est-il pas nйcessaire pour ce sur quoi porte une puissance en raison mкme de sa puissance. Cependant, la vertu ordonne les puissances au bien. En effet, c’est elle qui rend bon celui qui la possиde et rend son acte bon. Or, la volontй possиde par sa propre puissance ce qui fait une vertu dans les autres puissances, car son objet est le bien. Aussi tendre vers le bien de cette maniиre est-il а la volontй ce que tendre vers ce qui est dйlectable est au concupiscible, et comme кtre ordonnй au son l’est pour l’ouпe. De sorte que la volontй n’a pas besoin d’un habitus de vertu qui l’incline vers le bien qui lui est proportionnй, car elle tend vers lui en raison mкme de sa puissance; mais, pour le bien qui dйpasse la proportion de sa puissance, elle a besoin d’un habitus de vertu. Or, puisque l’appйtit de toute chose tend vers le bien propre de ce qui dйsire, un bien peut dйpasser la proportion de la volontй de deux maniиres : d’une maniиre, en raison de l’espиce; d’une autre maniиre, en raison de l’individu. En raison de l’espиce, afin que la volontй soit йlevйe а un bien qui dйpasse les limites du bien humain, et j’entends par humain ce que l’homme peut par les puissances de sa nature. Or, au-dessus du bien humain, existe le bien divin, auquel la charitй йlиve la volontй de l’homme, de mкme que l’espйrance. En raison de l’individu, de telle sorte que quelqu’un recherche ce qui est le bien d’un autre, bien que la volontй ne soit pas portйe hors des limites du bien humain; et ainsi, la justice perfectionne la volontй, et toutes les vertus quit tendent vers quelque chose d’autre, comme la libйralitй et les choses de ce genre. Car la justice porte sur le bien d’un autre, comme le dit le Philosophe dans Йthique, V. Il y a ainsi deux vertus qui existent dans la volontй comme dans leur sujet : la charitй et la justice. Le signe en est que ces vertus, bien qu’elles se rapportent а l’appйtit, ne portent cependant pas sur les passions, comme la tempйrance et la force. Il est donc clair qu’elles ne rйsident pas dans l’appйtit sensible, dans lequel sont les passions, mais dans l’appйtit raisonnable, qui est la volontй, dans lequel il n’y a pas de passions. Car toute passion se trouve dans la partie sensible de l’вme, comme cela est dйmontrй dans Physique, VII. Il faut donc que les vertus qui portent sur les passions, comme la force par rapport aux craintes et aux audaces, et la tempйrance par rapport aux concupiscences, se trouvent pour la mкme raison dans l’appйtit sensible. Et il n’est pas nйcessaire qu’en raison de ces passions, existe dans la volontй une vertu, car le bien de ces vertus est ce qui est conforme а la raison. Et la volontй a un rapport naturel avec cela en raison mкme de sa puissance, puisque c’est l’objet propre de la volontй.

Solutions :

[65611] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad imperandum sufficit voluntati iudicium rationis; nam voluntas appetit naturaliter quod est bonum secundum rationem, sicut concupiscibilis quod est delectabile secundum sensum.

1. Le jugement de la raison suffit а la volontй pour commander, car la volontй dйsire naturellement ce qui est bien selon la raison, comme le concupiscible ce qui est dйlectable selon le sens.

[65612] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inclinatio naturalis voluntatis non solum est in ultimum finem, sed in id bonum quod sibi a ratione demonstratur. Nam bonum intellectum est obiectum voluntatis, ad quod naturaliter ordinatur voluntas, sicut et quaelibet potentia in suum obiectum, dummodo hoc sit proprium bonum, ut supra dictum est. Tamen circa hoc aliquis peccat, in quantum iudicium rationis intercipitur passione.

2. L’inclination naturelle de la volontй ne porte pas seulement sur la fin ultime, mais sur ce qui lui est montrй comme bien par la raison. Car le bien intelligй est l’objet de la volontй, auquel est naturellement ordonnйe la volontй, comme toute puissance а son objet, pourvu que ce soit son bien propre, comme on l’a dit plus haut. Toutefois, quelqu’un pиche а ce sujet pour autant que le jugement de la raison est surpris par la passion.

 [65613] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fit per aliquam speciem; nec ad cognoscendum potentia intellectus sufficit per seipsam, nisi species a sensibilibus accipiat. Et ideo oportet in his etiam quae naturaliter cognoscimus, esse quemdam habitum, qui etiam quodammodo principium a sensibus sumit, ut dicitur in fine Poster. Sed voluntas ad volendum non indiget aliqua specie; unde non est simile.

3. La connaissance se rйalise par une certaines espиce, et la puissance de l’intelligence ne suffit pas par elle-mкme, а moins qu’elle ne reзoive une espиce а partir des choses sensibles. C’est pourquoi il est nйcessaire pour cela mкme que nous connaissons naturellement qu’il existe un habitus, qui, lui aussi, tire son principe des sens, comme il est dit а la fin des Postйrieurs [analytiques]. Mais la volontй n’a pas besoin d’une espиce pour vouloir. Ce n’est donc pas la mкme chose.

[65614] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa passiones virtutes sunt in appetitu inferiori; nec ad huiusmodi requiritur alia virtus in appetitu superiori, ratione iam dicta.

4. Pour ce qui est des passions, les vertus se trouvent dans l’appйtit infйrieur, et une autre vertu n’est pas nйcessaire pour ces choses dans l’appйtit supйrieur, pour la raison dйjа donnйe.

[65615] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amicitia proprie non est virtus, sed consequens virtutem. Nam ex hoc ipso quod aliquis est virtuosus, sequitur quod diligat sibi similes. Secus autem est de caritate, quae est quaedam amicitia ad Deum, elevans hominem in id quod metam naturae excedit; unde caritas in voluntate est, ut diximus.

5. А proprement parler, l’amitiй n’est pas une vertu, mais la consйquence de la vertu, car du fait mкme que quelqu’un est vertueux, dйcoule qu’il aime ses semblables. Mais il en est autrement de la charitй, qui est une certaine amitiй envers Dieu, qui йlиve l’homme а ce qui dйpasse la mesure de la nature. C’est pourquoi la charitй existe dans la volontй, comme nous l’avons dit.

[65616] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 6 Et per hoc patet responsio ad sextum et septimum; nam virtus coniungens voluntatem Deo est caritas.

6. La rйponse а la sixiиme et а la septiиme objection est ainsi claire, car la vertu qui unit la volontй а Dieu est la charitй.

Ad 7 : absent.

7. [Absente]

[65617] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad felicitatem quaedam praeexiguntur sicut dispositiones, sicuti actus virtutum moralium, per quos removentur impedimenta felicitatis; scilicet inquietudo mentis a passionibus, et ab exterioribus perturbationibus. Aliquis autem actus est virtutis qui est essentialiter ipsa felicitas quando est completus; scilicet actus rationis vel intellectus. Nam felicitas contemplativa nihil aliud est quam perfecta contemplatio summae veritatis; felicitas autem activa est actus prudentiae, quo homo et se et alios gubernat. Aliquid autem est in felicitate sicut perfectivum felicitatis; scilicet delectatio, quae perficit felicitatem, sicut decor iuventutem, ut dicitur in X Ethic. : et hoc pertinet ad voluntatem; et in ordine ad hoc perficit voluntatem caritas, si loquamur de felicitate caelesti, quae sanctis repromittitur. Si autem loquamur de felicitate contemplativa, de qua philosophi tractaverunt, ad huiusmodi delectationem voluntas naturali desiderio ordinatur. Et sic patet quod non oportet omnes virtutes esse in voluntate.

8. Certaines choses sont prйrequises а la fйlicitй comme des dispositions, tels les actes des vertus morales, par lesquels sont enlevйs les empкchements а la fйlicitй, а savoir, l’agitation de l’esprit par les passions et par les troubles extйrieurs. Mais il existe un acte de vertu qui est par essence la fйlicitй elle-mкme, lorsqu’il se rйalise : l’acte de la raison ou de l’intellect. Car la fйlicitй contemplative n’est rien d’autre que la contemplation parfaite de la vйritй suprкme; mais la fйlicitй active est l’acte de la prudence, par lequel l’homme se gouverne ainsi que les autres. Or, il existe quelque chose dans la fйlicitй qui parfait la fйlicitй : la dйlectation, qui parfait la fйlicitй, comme la beautй le fait pour la jeunesse, comme il est dit dans Йthique, X. Et cela relиve de la volontй, et, par rapport а cela, la charitй perfectionne la volontй, si nous parlons de la fйlicitй cйleste, qui est promise aux saints. Mais si nous parlons de la fйlicitй contemplative, dont ont traitй les philosophes, la volontй est ordonnйe а une telle dйlectation par un dйsir naturel. Il ressort ainsi clairement qu’il n’est pas nйcessaire que toutes les vertus se trouvent dans la volontй.

[65618] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod voluntate recte vivitur et peccatur sicut imperante omnes actus virtutum et vitiorum; non autem sicut eliciente; unde non oportet quod voluntas sit proximum subiectum cuiuslibet virtutis.

9. On vit correctemement ou l’on pиche par la volontй pour autant qu’elle commande tous les actes des vertus et des vices, et non parce qu’elle les accomplit. Aussi n’est-il pas nйcessaire que la volontй soit le sujet prochain de toutes les vertus.

[65619] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod peccatum omne est in voluntate sicut in causa, in quantum omne peccatum fit ex consensu voluntatis; non tamen oportet quod omne peccatum sit in voluntate sicut in subiecto; sed sicut gula et luxuria sunt in concupiscibili, ita et superbia in irascibili.

10. Tout pйchй se trouve dans la volontй comme dans sa cause, pour autant que tout pйchй est fait par consentement de la volontй. Il n’est cependant pas nйcessaire que tout pйchй soit dans la volontй comme dans son sujet ; mais de mкme que la gourmandise et la luxure se trouvent dans le concupiscible, de mкme l’orgueil se trouve-t-il dans l’irascible.

[65620] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ex propinquitate voluntatis ad rationem contingit quod voluntas secundum ipsam rationem potentiae consonet rationi; et ideo non indiget ad hoc habitu virtutis super inducto, sicut inferiores potentiae, scilicet irascibilis et concupiscibilis.

11. А cause de la proximitй de la volontй par rapport а la raison, il se fait que la volontй soit d’accord avec la raison selon la raison mкme de sa puissance. C’est pourquoi elle n’a pas besoin que lui soit ajoutй un habitus de vertu, comme c’est le cas des puissances infйrieures, l’irascible et le concupiscible.

[65621] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum, quod caritas et spes, quae sunt in voluntate, non continentur sub ista philosophi divisione; sunt enim aliud genus virtutum, et dicuntur virtutes theologicae. Iustitia vero inter morales continetur; voluntas enim sicut et alii appetitus, ratione participat, in quantum dirigitur a ratione. Licet enim voluntas ad eamdem naturam intellectivae partis pertineat, non tamen ad ipsam potentiam rationis.

Rйponse au premier argument en sens contraire. La charitй et l’espйrance, qui existent dans la volontй, ne sont pas contenues dans cette division du Philosophe : en effet, elles sont un autre genre de vertus, qu’on appelle vertus thйologales. Mais la justice est comprise parmi les vertus morales : en effet, la volontй, comme les autres appйtits, participe а la raison, pour autant qu’elle est dirigйe par la raison. Bien que la volontй relиve de la mкme nature que la partie intellectuelle, elle ne relиve cependant pas de la puissance mкme de la raison.

[65622] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod respectu illorum ad quae habetur virtus in irascibili et concupiscibili, non oportet esse virtutem in voluntate, ratione prius dicta.

Rйponse au deuxiиme argument en sens contraire. Par rapport а ce qui est l’objet de la vertu dans l’irascible et dans le concupiscible, il n’est pas nйcessaire qu’il y ait une vertu dans la volontй, pour la raison donnйe auparavant.

 

Articulus 6 : [65623] De virtutibus, q. 1 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum in intellectu practico sit virtus sicut in subiecto

Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ?

Objections :

[65624] De virtutibus, q. 1 a. 6 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

 [65625] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 1 Quia secundum philosophum in II Ethic., scire, parum vel nihil prodest ad virtutem. Loquitur autem ibi de scientia practica; quod patet ex hoc quod subiungit, quod multi non operantur ea quorum habent scientiam; scientia enim ordinata ad opus est practici intellectus. Ergo practicus intellectus non poterit esse subiectum virtutis.

1. Selon le Philosophe, dans Йthique, II, connaоtre est peu utile ou pas du tout а la vertu. Or, il est question lа de science pratique, ce qui ressort clairement de ce qu’il ajoute, que beaucoup ne pratiquent pas ce dont ils ont la science. Or, la science ordonnйe а l’action relиve de l’intellect pratique. L’intellect pratique ne pourra donc pas кtre le sujet d’une vertu.

[65626] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, sine virtute non potest aliquis recte agere. Sed sine perfectione practici intellectus potest aliquis recte agere, eo quod potest instrui ab alio de agendis. Ergo perfectio practici intellectus non est virtus.

2. Quelqu’un ne peut agir correctement sans la vertu. Or, quelqu’un peut agir correctement sans une perfection de l’intellect pratique, du fait qu’il peut кtre instruit par un autre de ce qu’il faut faire. Une perfection de l’intellect pratique n’est donc pas une vertu.

[65627] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, tanto aliquid magis peccat, quanto magis recedit a virtute. Sed recessus a perfectione practici intellectus diminuit peccatum; ignorantia enim excusat vel a tanto, vel a toto. Ergo perfectio practici intellectus non potest esse virtus.

3. Plus quelqu’un pиche, plus il s’йloigne de la vertu. Or, l’йloignement de la perfection de l’intellect pratique diminue le pйchй : en effet, l’ignorance excuse en partie ou en totalitй. La perfection de l’intellect pratique ne peut donc pas кtre une vertu.

 [65628] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, virtus secundum Tullium, agit in modum naturae. Sed modus agendi naturae opponitur contra modum agendi rationis, sive practici intellectus; quod patet in II Physic., ubi dividitur agens a natura contra agens a proposito. Ergo videtur quod in practico intellectu non sit virtus.

4. Selon Tullius [Cicйron], la vertu agit а la maniиre de la nature. Or, le mode d’agir de la nature s’oppose au mode d’agir de la raison ou de l’intellect pratique, comme cela ressort clairement de Physique, II, oщ l’agent naturel est opposй а l’agent qui dйcide. Il semble donc qu’il n’y ait pas de vertu dans l’intellect pratique.

[65629] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, bonum et verum formaliter differunt secundum proprias rationes. Sed differentia formalis obiectorum diversificat habitus. Cum igitur virtutis obiectum sit bonum, practici autem intellectus perfectio sit verum, tamen ordinatum ad opus; videtur quod perfectio practici intellectus non sit virtus.

5. Le bien et le vrai diffиrent formellement selon leurs raisons propres. Or, la diffйrence formelle des objets diffйrencie les habitus. Puisque que l’objet de la vertu est le bien et que la perfection de l’intellect pratique est le vrai, mais ordonnй а l’action, il semble donc que la perfection de l’intellect pratique ne soit pas une vertu.

[65630] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, virtus, secundum philosophum in II Ethic., est habitus voluntarius. Sed habitus intellectus practici differunt ab habitibus voluntatis vel appetitivae partis. Ergo habitus qui sunt in intellectu practico, non sunt virtutes; et sic intellectus practicus non potest esse subiectum virtutis.

6. Selon le Philosophe, dans Йthique, II, la vertu est un habitus volontaire. Or, les habitus de l’intellect pratique diffиrent des habitus de la volontй ou partie appйtitive. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect pratique ne sont donc pas des vertus. Et ainsi, l’intellect pratique ne peut pas кtre le sujet de la vertu.

Cependant :

[65631] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod prudentia ponitur una quatuor virtutum principalium; et tamen eius subiectum est practicus intellectus. Ergo intellectus practicus potest esse subiectum virtutis.

1. La prudence est prйsentйe comme une des quatre vertus principales, et cependant, son sujet est l’intellect pratique. L’intellect pratique peut donc кtre le sujet d’une vertu.

[65632] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, virtus humana est cuius subiectum est potentia humana. Sed potentia humana magis est intellectus practicus quam irascibilis et concupiscibilis; sicut quod est per essentiam tale, magis est eo quod est per participationem. Ergo intellectus practicus potest esse subiectum virtutis humanae.

2. La vertu humaine est celle dont le sujet est une puissance humaine. Or, l’intellect pratique est davantage une puissance humaine que l’irascible et le concupiscible, de la mкme faзon que ce qui est une chose par essence l’est davantage que ce qui l’est par participation. L’intellect pratique peut donc кtre le sujet d’une vertu humaine.

[65633] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, propter quod unumquodque, et illud magis. Sed in parte affectiva est virtus propter rationem; quia ad hoc quod obediat rationi vis affectiva, in ea ponitur virtus. Ergo multo fortius in ratione practica debet esse virtus.

3. Ce pour quoi une chose existe en est davantage la raison d’кtre. Or, la vertu dans la partie affective existe en vue de la raison, car une vertu existe en elle afin qu’elle obйisse а la raison. А bien plus forte raison doit-il donc y avoir une vertu dans la raison pratique.

Rйponse :

[65634] De virtutibus, q. 1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod inter virtutes naturales et rationales haec differentia assignatur; quod naturalis virtus est determinata ad unum, virtus autem rationalis ad multa se habet. Oportet autem ut appetitus animalis vel rationalis inclinetur in suum appetibile ex aliqua apprehensione praeexistente; inclinatio enim in finem absque praeexistente cognitione ad appetitum pertinet naturalem, sicut grave inclinatur ad medium. Sed quia aliquod bonum apprehensum oportet esse obiectum appetitus animalis et rationalis; ubi ergo istud bonum uniformiter se habet, potest esse inclinatio naturalis in appetitu, et iudicium naturale in vi cognitiva, sicut accidit in brutis. Cum enim sint paucarum operationum propter debilitatem principii activi quod ad pauca se extendit; est in omnibus unius speciei bonum uniformiter se habens. Unde per appetitum naturalem inclinationem habent in id, et per vim cognitivam naturale iudicium habent de illo proprio bono uniformiter se habente. Et ex hoc naturali iudicio et naturali appetitu provenit quod omnis hirundo uniformiter facit nidum, et quod omnis aranea uniformiter facit telam; et sic est in omnibus aliis brutis considerare. Homo autem est multarum operationum et diversarum; et hoc propter nobilitatem sui principii activi, scilicet animae, cuius virtus ad infinita quodammodo se extendit. Et ideo non sufficeret homini naturalis appetitus boni, nec naturale iudicium ad recte agendum, nisi amplius determinetur et perficiatur. Per naturalem siquidem appetitum homo inclinatur ad appetendum proprium bonum; sed cum hoc multipliciter varietur, et in multis bonum hominis consistat; non potuit homini inesse naturalis appetitus huius boni determinati, secundum conditiones omnes quae requiruntur ad hoc quod sit ei bonum; cum hoc multipliciter varietur secundum diversas conditiones personarum et temporum et locorum, et huiusmodi. Et eadem ratione naturale iudicium; quod est uniforme, et ad huiusmodi bonum quaerendum non sufficit; unde oportuit in homine per rationem, cuius est inter diversa conferre, invenire et diiudicare proprium bonum, secundum omnes conditiones determinatum, prout est nunc et hic quaerendum. Et ad hoc faciendum ratio absque habitu perficiente hoc modo se habet sicut et in speculativo se habet ratio absque habitu scientiae ad diiudicandum de aliqua conclusione alicuius scientiae; quod quidem non potest nisi imperfecte et cum difficultate agere. Sicut igitur oportet rationem speculativam habitu scientiae perfici ad hoc quod recte diiudicet de scibilibus ad scientiam aliquam pertinentibus; ita oportet quod ratio practica perficiatur aliquo habitu ad hoc quod recte diiudicet de bono humano secundum singula agenda. Et haec virtus dicitur prudentia, cuius subiectum est ratio practica; et est perfectiva omnium virtutum moralium quae sunt in parte appetitiva, quarum unaquaeque facit inclinationem appetitus in aliquod genus humani boni : sicut iustitia facit inclinationem in bonum quod est aequalitas pertinentium ad communicationem vitae; temperantia in bonum quod est refrenari a concupiscentiis; et sic de singulis virtutibus. Unumquodque autem horum contingit multipliciter fieri, et non eodem modo in omnibus; unde ad hoc quod rectus modus statuatur, requiritur iudicii prudentia. Et ita ab ipsa est rectitudo et complementum bonitatis in omnibus aliis virtutibus; unde philosophus dicit quod medium in virtute morali determinatur secundum rationem rectam. Et quia ex hac rectitudine et bonitatis complemento omnes habitus appetitivi virtutis rationem sortiuntur, inde est quod prudentia est causa omnium virtutum appetitivae partis, quae dicuntur morales in quantum sunt virtutes; et propterea dicit Gregorius in XXII Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt.

Entre les puissances naturelles et raisonnables, il existe cette diffйrence que la puissance naturelle est dйterminйe а une seule chose, alors que puissance raisonnable se rapporte а plusieurs choses. Or, il est nйcessaire que l’appйtit animal ou raisonnable soit inclinй vers ce qui est l’objet de son dйsir en vertu d’une saisie antйrieure : en effet, l’inclination vers la fin sans connaissance antйrieure relиve de l’appйtit naturel, comme ce qui est lourd est inclinй vers le milieu. Mais parce qu’il est nйcessaire qu’un bien connu soit l’objet de l’appйtit animal et raisonnable, lа oщ ce bien se trouve de maniиre uniforme, il peut exister une inclination naturelle dans l’appйtit et un jugement naturel dans la puissance cognitive, comme cela se produit chez les animaux sans raison. En effet, comme ils ont peu d’opйrations en raison de la faiblesse du principe actif qui s’йtend а peu de choses, il existe chez tous un bien d’une seule espиce qui se trouve de maniиre uniforme. Aussi, par l’appйtit naturel, tendent-ils vers celui-ci, et, par la connaissance naturelle, jugent-ils de ce bien propre qui existe de maniиre uniforme. Et de ce jugement naturel vient le fait que toutes les hirondelles font leur nid de maniиre uniforme, et que toutes les araignйes tissent leur toile de maniиre uniforme. Et il faut penser la la mкme chose pour tous les animaux sans raison. Mais l’homme possиde des opйrations multiples et diverses, et cela, en raison de son principe actif, а savoir, l’вme, dont la puissance s’йtend pour ainsi dire а l’infini. C’est pourquoi ne suffirait pas а l’homme un appйtit naturel du bien, ni un jugement naturel pour agir correctement, а moins qu’il ne soit davantage dйterminй et perfectionnй. Car, par l’appйtit naturel, l’homme est inclinй а dйsirer son propre bien; mais puisque celui-ci se diversifie de multiples maniиres et que le bien de l’homme consiste dans plusieurs choses, il ne pouvait pas exister chez l’homme un appйtit naturel de tel bien dйterminй, selon toutes les conditions qui sont requises pour que cela soit bon, puisque cela se diversifie de multiples faзons selon les diverses conditions de personnes, de temps, de lieux et de choses de ce genre. Et il en est de mкme pour le jugement naturel, qui est uniforme, et qui ne suffit pas pour rechercher un bien de ce genre. Aussi fallait-il que, par la raison, а qui il appartient de rapprocher les choses diverses, l’homme trouve son propre bien et en juge, tel qu’il est dйterminй selon toutes les conditions, en tant qu’il doit кtre recherchй ici et maintenant. Et pour faire cela, la raison sans un habitus qui la perfectionne se trouve dans la mкme condition que la raison en matiиre spйculative, sans l’habitus de la science, pour juger de la conclusion d’une science, ce qu’elle ne peut faire qu’imparfaitement et avec difficultй. Puisqu’il faut que la raison spйculative soit perfectionnйe par l’habitus de la science pour juger correctement des objets connaissables qui relиvent de cette science, de mкme est-il donc nйcessaire que la raison pratique soit perfectionnйe par un habitus afin de juger correctement du bien humain pour chaque action а poser. Et cette vertu s’appelle la prudence, dont le sujet est la raison pratique, et elle perfectionne toutes les vertus morales qui existent dans la partie appйtitive, dont chacune incline l’appйtit vers un certain genre de bien humain, comme la justice incline vers le bien qui est l’йgalitй dans ce qui se rapporte а la vie sociale, la tempйrance, vers le bien qui consiste se retenir des dйsirs dйsordonnйs, et ainsi pour toutes les vertus. Or, chacune de ces choses peut кtre accomplie de multiples faзons, et non de la mкme faзon chez tous. Aussi, pour que la bonne mesure soit dйterminйe, la prudence du jugement est-elle nйcessaire. Et ainsi, une rectitude et un complйment de bontй viennent-ils de [la prudence] pour toutes les autres vertus. C’est pourquoi le Philosophe dit que le milieu de la vertu morale est dйterminйe selon la raison droite. Et parce que toutes les vertus de la puissance appйtitive tirent leur raison de vertu de cette rectitude et de ce complйment de bontй, de lа vient que la prudence est la cause de toutes les vertus de la partie appйtitive, qui sont appelйes morales pour autant qu’elles sont des vertus. Et c’est pourquoi Grйgoire dit, dans les Morales, XXII, que les autres vertus, si elles ne font pas prudemment ce qu’elles dйsirent, ne peuvent jamais кtre des vertus.

Solutions :

[65635] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus ibi loquitur de scientia practica; sed prudentia plus importat quam scientia practica : nam ad scientiam practicam pertinet universale iudicium de agendis; sicut fornicationem esse malam, furtum non esse faciendum, et huiusmodi. Qua quidem scientia existente, in particulari actu contingit iudicium rationis intercipi, ut non recte diiudicet; et propter hoc dicitur parum valere ad virtutem, quia ea existente contingit hominem contra virtutem peccare. Sed ad prudentiam pertinet recte iudicare de singulis agibilibus, prout sint nunc agenda : quod quidem iudicium corrumpitur per quodlibet peccatum. Et ideo prudentia manente, homo non peccat; unde ipsa non parum sed multum confert ad virtutem; immo ipsam virtutem causat, ut dictum est.

1. Le Philosophe parle lа de la science pratique. Mais la prudence comporte plus que la science pratique, car il relиve de la science pratique de porter un jugement universel sur ce qu’il faut faire, comme le fait que la fornication est mauvaise, qu’il ne faut pas voler, et les choses de ce genre. Alors que cette science existe, il arrive cependant que, dans les actes particuliers, le jugement de la raison soit pris par surprise, de sorte qu’il ne juge par correctement. C’est pour cette raison que l’on dit que [la science pratique] contribue peu а la vertu, parce que, alors qu’elle existe, il arrive que l’homme pиche contre la vertu. Mais il relиve de la prudence de juger correctement de chaque action а poser, pour autant qu’elle doit кtre accomplie maintenant; c’est ce jugement est corrompu par n’importe quel pйchй. C’est pourquoi, lorsque la prudence demeure, l’homme ne pиche pas. Aussi celle-ci n’apporte-t-elle pas peu, mais beaucoup а la vertu, bien plus, elle cause la vertu elle-mкme, comme on l’a dit.

 [65636] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo ab alio potest accipere consilium in universali de agendis; sed quod iudicium recte servet in ipso actu contra omnes passiones, hoc solum ex rectitudine prudentiae provenit; et sine hoc virtus esse non potest.

2. Un homme peut recevoir un conseil dans l’universel sur les actes а poser. Mais qu’il maintienne dans l’acte mкme un jugement droit contre toutes les passions, cela provient seulement de la rectitude de la prudence. Et sans cela, il ne peut y avoir de vertu.

[65637] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignorantia quae opponitur prudentiae, est ignorantia electionis, secundum quam omnis malus est ignorans; quae provenit ex eo quod iudicium rationis intercipitur per appetitus inclinationem : et hoc non excusat peccatum, sed constituit. Sed ignorantia quae opponitur scientiae practicae, excusat vel diminuit peccatum.

3. L’ignorance qui s’oppose а la prudence est l’ignorance dans le choix, selon laquelle tout mйchant est ignorant. Celle-ci vient du fait que le jugement de la raison est surpris par l’inclination de l’appйtit. Et cela n’excuse pas le pйchй, mais le constitue. Mais l’ignorance qui s’oppose а la science pratique excuse ou diminue le pйchй.

 [65638] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum Tullii intelligitur quantum ad inclinationem appetitus tendentis in aliquod bonum commune, sicut in fortiter agere, vel aliquid huiusmodi. Sed nisi rationis iudicio dirigeretur, talis inclinatio frequenter duceretur in praecipitium; et tanto magis, quanto esset vehementior; sicut ponit philosophus exemplum de caeco, in VI Ethic., qui tanto magis laeditur ad parietem impingens, quanto fortius currit.

4. La parole de Tullius [Cicйron] s’entend de l’inclination de l’appйtit qui tend vers un bien gйnйral, comme agir avec force, ou quelque chose du genre. Mais si elle n’йtait pas dirigйe par le jugement de la raison, une telle inclination mиnerait souvent au prйcipice, et d’autant plus qu’elle serait plus impйtueuse, comme le Philosophe le dit en prйsentant, dans Йthique, VI, l’exemple de l’aveugle qui se blesse d’autant plus, en heurtant un mur, qu’il court plus vite.

[65639] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum et verum sunt obiecta duarum partium animae, scilicet intellectivae et appetitivae : quae quidem duo hoc modo se habent, quod utraque ad actum alterius operatur; sicut voluntas vult intellectum intelligere, et intellectus intelligit voluntatem velle. Et ideo haec duo, bonum et verum, se invicem includunt : nam bonum est quoddam verum, in quantum est ab intellectu apprehensum; prout scilicet intellectus intelligit voluntatem velle bonum, vel etiam in quantum intelligit aliquid esse bonum; similiter etiam et ipsum verum est quoddam bonum intellectus, quod etiam sub voluntate cadit, in quantum homo vult intelligere verum. Nihilominus tamen verum intellectus practici est bonum, quod et finis operationis : bonum enim non movet appetitum, nisi in quantum est apprehensum. Ideo nihil prohibet in intellectu practico esse virtutem.

5. Le bien et le vrai sont les objets de deux parties de l’вme, а savoir, de l’intellective et l’appйtitive. Ces deux [parties] se comportent de maniиre telle que chacune opиre en vue de l’acte de l’autre, comme la volontй veut que l’intellect comprenne, et l’intellect comprend que la volontй veut. C’est pourquoi ces deux choses, le bien et le vrai, s’incluent l’une l’autre. Car le bien est quelque chose de vrai en tant qu’il est saisi par l’intellect, pour autant que l’intellect comprend que la volontй veut le bien, ou encore qu’il comprend que quelque chose est bon. Semblablement, le vrai lui-mкme est un certain bien de l’intellect, qui relиve aussi de la volontй, pour autant que l’homme veut comprendre ce qui est vrai. Toutefois, le vrai qui est l’objet de l’intellect pratique est le bien qui est la fin de l’opйration : en effet, le bien ne meut l’appйtit que dans la mesure oщ il est compris. C’est pourquoi rien n’empкche qu’il y ait une vertu dans l’intellect pratique.

 [65640] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus in II Ethic., definit virtutem moralem : de virtute enim intellectuali determinat in VI Ethic. Virtus autem quae est in intellectu practico, non est moralis, sed intellectualis : nam etiam prudentiam inter virtutes intellectuales philosophus ponit, ut patet in II Ethic.

6. Dans Йthique, II, le Philosophe dйfinit la vertu morale : en effet, il prйcise ce qu’est la vertu intellectuelle dans Йthique, VI. Or, la vertu qui est dans l’intellect pratique n’est pas une vertu morale, mais intellectuelle, car le Philosophe range aussi la prudence parmi les vertus intellectuelles, comme cela ressort clairement d’Йthique, II.

 

Articulus 7 : [65641] De virtutibus, q. 1 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum in intellectu speculativo sit virtus

Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spйculatif ?

Objections :

[65642] De virtutibus, q. 1 a. 7 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65643] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 1 Virtus enim omnis ordinatur ad actum : virtus enim est quae opus bonum reddit. Intellectus autem speculativus non ordinatur ad actum : nihil enim dicit de imitando vel fugiendo, ut patet in III de anima. Ergo in intellectu speculativo non potest esse virtus.

1. En effet, toute vertu est ordonnйe а l’acte, car la vertu est ce qui rend un acte bon. Or, l’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а l’acte, car il ne dit rien de l’imitation ou de la fuite, comme cela ressort clairement de Sur l’вme, III. Il ne peut donc pas y avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.

[65644] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, virtus est quae bonum facit habentem, ut dicitur in II Ethic. Sed habitus intellectus speculativi non faciunt bonum habentem; non enim dicitur propter hoc bonus homo, quia habet scientiam. Ergo habitus qui sunt in intellectu speculativo, non sunt virtutes.

2. La vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde, comme il est dit dans Йthique, II. Or, les habitus de l’intellect spйculatif ne rendent pas bon celui qui les possиdent, car on ne dit pas qu’un homme est bon parce qu’il possиde la science. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect spйculatif ne sont donc pas des vertus.

 [65645] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, intellectus speculativus praecipue perficitur habitu scientiae. Scientia autem non est virtus; quod ex hoc patet, quia contra virtutes dividitur : dicitur enim in prima specie qualitatis esse habitus et dispositio; et habitus dicitur scientiae et virtutis. Ergo in intellectu speculativo non est virtus.

3. L’intellect spйculatif est principalement perfectionnй par l’habitus de science. Or, la science n’est pas une vertu, ce qui ressort clairement du fait qu’elle est distinguйe des vertus : en effet, on dit que l’habitus et la disposition se trouvent dans la premiиre espиce de qualitй, et on parle d’habitus de la science et de la vertu. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect spйculatif.

[65646] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, omnis virtus ordinatur ad aliquid, quia ad felicitatem quae est finis virtutis. Sed intellectus speculativus non ordinatur ad aliquid : non enim scientiae speculativae propter utilitatem quaeruntur, sed propter seipsas, ut dicitur in I Metaph. Ergo in intellectu speculativo non potest esse virtus.

4. Toute vertu est ordonnйe а quelque chose, parce qu’elle est ordonnйe а la fйlicitй qui est la fin de la vertu. Or, l’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose : en effet, les sciences spйculatives ne sont pas recherchйes pour leur utilitй, mais pour elles-mкmes, comme il est dit dans Mйtaphysique, I. Il ne peut donc pas y avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.

[65647] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, actus virtutis est meritorius. Sed intelligere non sufficit ad meritum; immo scienti bonum, et non facienti peccatum est illi, ut dicit Iacobus, IV, 17. Ergo in intellectu speculativo non est virtus.

5. L’acte de la vertu est mйritoire. Or, comprendre ne suffit pas pour le mйrite ; bien plus, c’est pйchй de connaоtre le bien, et de ne pas l’accomplir, comme il est dit en Jc 4, 17. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect spйculatif.

Cependant :

[65648] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Fides est in intellectu speculativo, cum sit eius obiectum veritas prima. Sed fides est virtus. Ergo intellectus speculativus potest esse subiectum virtutis.

1. La foi se trouve dans l’intellect spйculatif, puisque son objet est la Vйritй premiиre, Or, la foi est une vertu. L’intellect spйculatif peut donc кtre le sujet d’une vertu.

[65649] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, verum et bonum sunt aeque nobilia. Nam se invicem circumeunt; nam verum est quoddam bonum, et bonum est quoddam verum : et utrumque commune omni enti. Si igitur in voluntate, cuius obiectum est bonum, potest esse virtus; ergo et in intellectu speculativo, cuius obiectum est verum, poterit esse virtus.

2. Le vrai et le bien sont йgalement nobles. En effet, ils s’englobent rйciproquement, car le vrai est un certain bien, et le bien est quelque chose de vrai, et les deux sont communs а tout кtre. Si donc il peut exister une vertu dans la volontй, dont l’objet est le bien, il pourra aussi exister une vertu dans l’intellect spйculatif, dont l’objet est le vrai.

Rйponse :

[65650] De virtutibus, q. 1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod virtus in unaquaque re dicitur per respectum ad bonum; eo quod uniuscuiusque virtus est, ut philosophus dicit, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; sicut virtus equi quae facit equum esse bonum, et bene ire, et bene ferre sessorem, quod est opus equi. Ex hoc quidem igitur aliquis habitus habebit rationem virtutis, quia ordinatur ad bonum. Hoc autem contingit dupliciter : uno modo formaliter, alio modo materialiter. Formaliter quidem, quando aliquis habitus ordinatur ad bonum sub ratione boni; materialiter vero, quando ordinatur ad id quod est bonum, non tamen sub ratione boni. Bonum autem sub ratione boni est obiectum solius appetitivae partis; nam bonum est quod omnia appetunt. Illi igitur habitus qui vel sunt in parte appetitiva, vel a parte appetitiva dependent, ordinantur formaliter ad bonum; unde potissime habent rationem virtutis. Illi vero habitus qui nec sunt in appetitiva parte, nec ab eadem dependent, possunt quidem ordinari materialiter in id quod est bonum, non tamen formaliter sub ratione boni; unde et possunt aliquo modo dici virtutes, non tamen ita proprie sicut primi habitus. Sciendum est autem, quod intellectus tam speculativus quam practicus potest perfici dupliciter aliquo habitu. Uno modo absolute et secundum se, prout praecedit voluntatem, quasi eam movens; alio modo prout sequitur voluntatem, quasi ad imperium actum suum eliciens : quia, ut dictum est, istae duae potentiae, scilicet intellectus et voluntas, se invicem circumeunt. Illi igitur habitus qui sunt in intellectu practico vel speculativo, primo modo, possunt dici aliquo modo virtutes, licet non ita secundum perfectam rationem; et hoc modo intellectus scientia et sapientia, sunt in intellectu speculativo, ars vero in intellectu practico. Dicitur enim aliquis intelligens vel sciens secundum quod eius intellectus perfectus est ad cognoscendum verum; quod quidem est bonum intellectus. Et licet istud verum possit esse volitum, prout homo vult intelligere verum; non tamen quantum ad hoc perficiuntur habitus praedicti. Non enim ex hoc quod homo habet scientiam, efficitur volens considerare verum, sed solummodo potens; unde et ipsa veri consideratio non est scientia in quantum est volita, sed secundum quod directe tendit in obiectum. Et similiter est de arte respectu intellectus practici; unde ars non perficit hominem ex hoc quod bene velit operari secundum artem, sed solummodo ad hoc quod sciat et possit. Habitus vero qui sunt in intellectu speculativo vel practico secundum quod intellectus sequitur voluntatem, habent verius rationem virtutis; in quantum per eos homo efficitur non solum potens vel sciens recte agere, sed volens. Quod quidem ostenditur in fide et prudentia, sed diversimode. Fides enim perficit intellectum speculativum, secundum quod imperatur ei a voluntate; quod ex actu patet : homo enim ad ea quae sunt supra rationem humanam, non assentit per intellectum nisi quia vult; sicut Augustinus dicit, quod credere non potest homo nisi volens. Ita et similiter erit fides in intellectu speculativo, secundum quod subiacet imperio voluntatis; sicut temperantia est in concupiscibili secundum quod subiacet imperio rationis. Unde voluntas imperat intellectui, credendo, non solum quantum ad actum exequendum, sed quantum ad determinationem obiecti : quia ex imperio voluntatis in determinatum creditum intellectus assentit; sicut et in determinatum medium a ratione, concupiscibilis, per temperantiam tendit. Prudentia vero est in intellectu sive ratione practica, ut dictum est : non quidem ita quod ex voluntate determinetur obiectum prudentiae, sed solum finis; obiectum autem ipsa perquirit : praesupposito enim a voluntate fine boni, prudentia perquirit vias per quas hoc bonum et perficiatur et conservetur. Sic igitur patet quod habitus in intellectu existentes diversimode se habent ad voluntatem. Nam quidam in nullo a voluntate dependent, nisi quantum ad eorum usum; et hoc quidem per accidens, cum huiusmodi usus habituum aliter a voluntate dependeat, et aliter ab habitibus praedictis, sicut sunt scientia et sapientia et ars. Non enim per hos habitus homo ad hoc perficitur, ut homo eis bene velit uti; sed solum ut ad hoc sit potens. Aliquis vero habitus intellectus dependet a voluntate sicut a qua accipit principium suum : nam finis in operativis principium est; et sic se habet prudentia. Aliquis vero habitus etiam determinationem obiecti a voluntate accipit, sicut est in fide. Et licet omnes quoquo modo possint dici virtutes; tamen perfectius et magis proprie hi duo ultimi habent rationem virtutis; licet ex hoc non sequatur quod sint nobiliores habitus aut perfectiores.

En toute chose, on parle de vertu par rapport au bien, du fait que la vertu, comme le dit le Philosophe, est, chez chacun, ce qui le rend bon et rend son acte bon, comme la vertu du cheval est ce qui rend le cheval bon, et le fait bien aller et porter celui qui le monte, ce qui est l’action du cheval. Et donc, un habitus aura la raison de vertu parce qu’il est ordonnй au bien. Or, cela se produit de deux maniиres : d’une maniиre, formelle­ment ; d’une autre maniиre, matйriellement. Formellement, lorsqu’un habitus est ordonnй au bien sous la raison de bien ; mais matй­riellement lorsqu’il est ordonnй а ce qui est bon, mais non sous la raison de bien. Or, le bien sous la raison de bien est l’objet de la seule partie appйtitive, car le bien est ce que toutes choses dйsirent. Les habitus qui se trouvent dans la partie appйtitive ou dйpen­dent de la partie appйtitive sont donc formel­lement ordonnйs au bien. C’est pourquoi ils ont principalement raison de vertu. Mais les habitus qui ne se trouvent pas dans la partie appйtitive ni n’en dйpendent peuvent toute­fois кtre ordonnйs matйriellement а ce qui est bon, mais non pas formellement sous la rai­son de bien. C’est pourquoi ils peuvent кtre appelйs d’une certaine faзon des vertus, mais non pas aussi proprement que les premiers habitus. Or, il faut savoir que l’intellect aussi bien spйculatif que pratique peut кtre perfectionnй par un habitus de deux faзons. D’une faзon, tout simplement et par soi, en tant qu’il prйcиde la volontй en la mouvant ; d’une autre faзon, en tant qu’il suit la volontй, comme s’il exйcutait son acte au comman­dement [de la volontй], car, ainsi qu’on l’a dit, ces deux puissances, l’intellect et la vo­lontй, s’englobent l’une l’autre. Les habi­tus qui se trouvent dans l’intellect pratique ou spйculatif de la premiиre faзon peuvent кtre appelйs vertus d’une certaine maniиre, bien que ce ne soit pas selon une parfaite raison. Et de cette maniиre, la science et la sagesse de l’intellect se trouvent dans l’intellect spйculatif, et l’art, dans l’intellect pratique. En effet, on dit de quelqu’un qu’il comprend ou sait selon que son intellect a йtй perfectionnй pour connaоtre le vrai, qui est le bien de l’intellect. Et bien que ce vrai puisse кtre voulu, pour autant que l’homme veut comprendre le bien, toutefois les habitus mentionnйs ne sont pas mis en њuvre pour cette raison. En effet, ce n’est pas parce que l’homme a la science qu’il veut en acte considйrer ce qui est vrai, mais il en est rendu seulement capable. Aussi la considйration du vrai elle-mкme n’est-elle pas la science en tant que celle-ci est voulue, mais selon qu’elle tend directement а son sujet. Et de mкme en est-il pour l’art par rapport а l’intellect pratique. Aussi l’art ne perfec­tionne-t-il pas l’homme du fait qu’il veut bien agir selon l’art, mais seulement afin qu’il le sache et le puisse. Mais les habitus qui se trouvent dans l’intellect spй­culatif ou pratique selon que l’intellect suit la volontй possиdent la raison de vertu avec plus de vйritй, dans la mesure oщ, par eux, l’homme est rendu non seulement capable ou sait agir correctement, mais le veut. Ce qui apparaоt dans la foi et la prudence, mais de maniиre diffйrente. En effet, la foi parfait l’intellect spйculatif en tant qu’il est com­mandй par la volontй, ce qui ressort claire­ment de son acte : en effet, l’homme ne donne son assentiment а ce qui dйpasse la raison humaine par l’intellect que parce qu’il le veut. Ainsi Augustin dit-il que l’homme ne peut croire que s’il le veut. Semblablement, la foi se trouvera dans l’intellect spйculatif selon qu’il est soumis а la volontй, comme la tempйrance se trouve dans le concupiscible selon qu’il est soumis au commandement de la raison. Aussi la volontй commande-t-elle а l’intellect en croyant, non seulement pour l’accomplissement de l’acte, mais pour la dйtermination de l’objet, car l’intellect consent а ce qui est cru de maniиre dйterminйe sous le commandement de la volontй, de la mкme maniиre qu’il tend par la tempйrance vers un milieu dйterminй du concupiscible par la raison. Or, la prudence se trouve dans l’intellect ou la raison pratique, comme on l’a dit : non pas que l’objet de la prudence soit dйterminй par la volontй, mais seulement la fin. Elle recherche elle-mкme l’objet : en effet, йtant prйsupposйe le fin du bien par la volontй, la prudence recherche les moyens par lesquels ce bien est accompli et conservй. Il ressort donc clairement que les habitus qui existent dans l’intellect ont divers rapports avec la volontй. Certains ne dйpendant aucunement de la volontй, si ce n’est pour leur usage, et cela, par accident, puisque cette usage des habitus depend de la volontй d’une autre maniиre que les habitus mentionnйs, tels que la science, la sagesse et l’art. En effet, par ces habitus, l’homme n’est pas perfectionnй de telle maniиre que l’homme veuille les bien utiliser, mais seulement qu’il en soit capable. Mais un certain habitus de l’intellect dйpend de la volontй en tant que celui-ci reзoit d’elle son principe, car la fin est le principe pour les actions : il en va ainsi pour la prudence. Un autre habitus reзoit aussi de la volontй la dйtermination de son objet, comme c’est le cas de la foi. Et bien que tous puissent кtre appelйs des vertus d’une certaine maniиre, ces deux derniиres possиdent cependant plus parfaitement et а parler plus proprement la raison de vertu, bien qu’il n’en dйcoule pas qu’elles soient des habitus plus nobles ou plus parfaits.

Solutions :

[65651] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habitus intellectus speculativi ordinatur ad actum proprium, quem perfectum reddit, qui est veri consideratio : non autem ordinatur sicut in finem in aliquem exteriorem actum, sed finem habet in suo actu proprio. Intellectus autem practicus ordinatur sicut in finem in alium exteriorem actum : non enim consideratio de agendis vel faciendis pertinet ad intellectum practicum nisi propter agere vel facere. Et sic habitus intellectus speculativi reddit actum suum nobiliori modo bonum quam habitus intellectus practici : quia ille ut finem, hic ut ad finem; licet habitus intellectus practici, ex eo quod ordinat ad bonum sub ratione boni, prout praesupponitur voluntati, magis proprie habeat rationem virtutis.

1. L’habitus de l’intellect spйculatif est ordonnй а son acte propre qu’il rend parfait : c’est la considйration de la vйritй. Mais il n’est pas ordonnй comme а sa fin а un acte extйrieur, car il a sa fin dans son acte propre. Mais l’intellect pratique est ordonnй comme а sa fin а un acte extйrieur : en effet, la considйration des actes а poser ou des choses а faire ne relиve de l’intellect pratique qu’en raison de l’action ou de la rйalisation. Et ainsi, l’habitus de l’intellect spйculatif rend son acte bon d’une maniиre plus noble que l’habitus de l’intellect pratique, car celui-lа en tant que fin, celui-ci en tant qu’ordonnй а une fin, bien que l’habitus de l’intellect pratique, du fait qu’il ordonne au bien sous la raison de bien, en tant qu’il est prйsupposй а la volontй, ait davantage la raison de vertu.

[65652] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non dicitur bonus simpliciter ex eo quod est in parte bonus, sed ex eo quod secundum totum est bonus : quod quidem contingit per bonitatem voluntatis. Nam voluntas imperat actibus omnium potentiarum humanarum. Quod provenit ex hoc quod quilibet actus est bonum suae potentiae; unde solus ille dicitur esse bonus homo simpliciter qui habet bonam voluntatem. Ille autem qui habet bonitatem secundum aliquam potentiam, non praesupposita bona voluntate, dicitur bonus secundum quod habet bonum visum et auditum, aut est bene videns et audiens. Et sic patet, quod ex eo quod homo habet scientiam, non dicitur bonus simpliciter, sed bonus secundum intellectum, vel bene intelligens; et similiter est de arte, et de aliis huiusmodi habitibus.

2. On ne dit pas que l’homme est tout simplement bon du fait qu’il est bon en partie, mais parce qu’il est entiиrement bon, ce qui se produit par la bontй de la volontй, car la volontй commande aux actes de toutes les puissances humaines. Cela vient de ce que tout acte est le bien de sa puissance ; aussi dit-on qu’un homme est tout simplement bon lorsqu’il a une volontй bonne. Mais celui qui possиde la bontй selon quelque puissance, sans que prйexiste une volontй bonne, est appelй bon selon qu’il a une bonne vue ou une bonne ouпe, ou qu’il voit et entend bien. Ainsi ressort-il clairement que, du fait qu’un homme possиde la science, il n’est pas appelй bon tout simplement, mais bon selon l’intellect, et comme ayant une bonne intelligence. Et il en va de mкme pour l’art, et pour les autres habitus de ce genre.

[65653] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod scientia dividitur contra moralem virtutem, et tamen ipsa est virtus intellectualis; vel etiam dividitur contra virtutem propriissime dictam : sic enim ipsa non est virtus, ut supra dictum est.

3. La science se distingue de la vertu morale, et cependant elle est elle-mкme une vertu intellectuelle. Ou bien, elle se distingue de la vertu entendue au sens le plus propre : ainsi n’est-elle pas elle-mкme une vertu, comme on l’a dit plus haut.

[65654] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus speculativus non ordinatur ad aliquid extra se; ordinatur autem ad proprium actum sicut ad finem. Felicitas autem ultima, scilicet contemplativa, in eius actu consistit. Unde actus speculativi intellectus sunt propinquiores felicitati ultimae per modum similitudinis, quam habitus practici intellectus; licet habitus intellectus practici fortasse sint propinquiores per modum praeparationis, vel per modum meriti.

4. L’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose qui lui est extйrieur, mais il est ordonnй а son acte propre comme а sa fin. Or, la fйlicitй ultime, а savoir, la [fйlicitй] contemplative, consiste dans son acte. Aussi les actes de l’intellect spйculatif sont-ils plus proches de la fйlicitй ultime par mode de ressemblance, que les habitus de l’intellect pratique, bien que les habitus de l’intellect pratique puissent peut-кtre en кtre plus proches par mode de prйparation ou par mode de mйrite.

[65655] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per actum scientiae, aut alicuius talis habitus, potest homo mereri, secundum quod imperatur a voluntate, sine qua nullum est meritum. Tamen scientia non ad hoc perficit intellectum ut dictum est. Non enim ex eo quod homo habet scientiam, efficitur bene volens considerare, sed solummodo bene potens; et ideo mala voluntas non opponitur scientiae vel arti, sicut prudentiae, vel fidei, aut temperantiae. Et inde est quod philosophus dicit, quod ille qui peccat voluntarius in agibilibus, est minus prudens; licet e contrario sit in scientia et arte. Nam grammaticus qui involuntarie soloecizat, apparet esse minus sciens grammaticam.

5. Par l’acte de la science ou d’un habitus semblable, l’homme peut mйriter selon que [l’acte] est commandй par la volontй, sans laquelle il n’existe aucun mйrite. Toutefois, la science ne perfectionne pas l’intellect pour cela, comme on l’a dit. En effet, du fait que l’homme a la science, il n’est pas rendu bien disposй а examiner, mais seulement capable de le faire. C’est pourquoi la volontй mauvaise ne s’oppose pas а la science ou а l’art, comme а la prudence, а la foi ou а la tempйrance. De lа vient que le Philosophe dit que celui qui pиche volontairement pour les actes а poser est moins prudent, bien que ce soit le contraire dans le cas de la science et de l’art. Car le grammairien qui commet involontairement un solйcisme montre qu’il connaоt moins la grammaire.

 

Articulus 8 : [65656] De virtutibus, q. 1 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum virtutes insint nobis a natura

Article 8 – Les habitus existent-ils en nous par nature ?

Objections :

[65657] De virtutibus, q. 1 a. 8 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

[65658] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 1 Dicit enim Damascenus, III Lib. : naturales sunt virtutes, et naturaliter et aequaliter insunt nobis.

1. En effet, [Jean] Damascиne dit, au livre III : «Les vertus sont naturelles, et existent en nous naturellement et йgalement.»

[65659] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea, Matth., IV, 23, dicit Glossa : docet naturales iustitias : scilicet castitatem, iustitiam, humilitatem, quales naturaliter habet homo.

2. De plus, а propos de Mt 4, 23, la Glose dit : «Il enseigne les justice naturelles, а savoir, la chastetй, la justice, l’humilitй, que l’homme possиde naturellement.»

[65660] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea, Rom. II, 14, dicitur quod homines non habentes legem, naturaliter ea quae legis sunt, faciunt. Sed lex praecipit actum virtutis. Ergo actum virtutis naturaliter homo facit; et ita videtur quod virtus sit a natura.

3. De plus, en Rm 2, 14, il est dit que les hommes qui n’ont pas de loi font naturellement ce qui se trouve dans la loi. Or, la loi prescrit l’acte de la vertu. L’homme accomplit donc naturellement l’acte de la vertu, et ainsi il semble que la vertu vienne de la nature.

[65661] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea, Antonius dicit in sermone ad monachos : si naturam voluntas mutaverit, perversitas est. Conditio servetur, et virtus est. Et in eodem sermone dicitur, quod sufficit homini naturalis ornatus. Hoc autem non esset, si virtutes non essent naturales. Ergo virtutes sunt naturales.

4. Antoine dit, dans un sermon adressй aux moines : «Si la volontй a changй la nature, cela est mauvais. Si la condition [naturelle] est maintenue, cela est vertu.» Et il est dit dans le mкme sermon que la beautй naturelle suffit а l’homme. Or, cela ne serait pas le cas si les vertus n’йtaient pas naturelles. Les vertus sont donc naturelles.

[65662] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea, Tullius dicit, quod celsitudo animi est nobis a natura. Sed hoc videtur ad magnanimitatem pertinere. Ergo magnanimitas inest nobis a natura; et eadem ratione aliae virtutes.

5. Tullius [Cicйron] dit que la grandeur d’вme existe en nous par nature. Or, cela semble relever de la magnanimitй. La magnanimitй existe donc en nous par nature et, pour la mкme raison, les autres vertus.

[65663] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 6 Praeterea, ad faciendum opus virtutis non requiritur nisi posse bonum, et velle, et nosse. Sed notio boni inest nobis a natura, ut dicit Augustinus in II de libero arbitrio. Velle etiam bonum inest homini a natura, ut idem dicit super Genes. ad litteram. Posse etiam bonum inest homini naturaliter, cum voluntas sit domina sui actus. Ergo ad opus virtutis sufficit natura. Virtus igitur est homini naturalis, quantum ad sui inchoationem.

6. Pour accomplir un acte de vertu, il n’est nйcessaire que de pouvoir faire le bien, de le vouloir et de le connaоtre. Or, la connaissance du bien existe en nous par nature, comme le dit Augustin dans le livre II de Sur le libre arbitre. Vouloir le bien existe aussi en l’homme par nature, comme le dit le mкme dans le Commentaire littйral de la Genиse. Pouvoir le bien existe aussi dans l’homme par nature, puisque la volontй est maоtresse de son acte. La nature suffit donc а l’acte de vertu. La vertu est donc naturelle а l’homme, quant а son amorce.

[65664] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 7 Sed diceretur, quod virtus est homini naturalis quantum ad sui inchoationem, sed perfectio virtutis non est a natura.- Sed contra est quod Damascenus dicit in III Lib. : manentes in eo quod secundum naturam, in virtute sumus; declinantes autem ab eo quod est secundum naturam, ex virtute, ad id quod est praeter naturam devenimus et in malitia sumus. Ex quo patet, quod secundum naturam inest a malitia declinare. Sed hoc est perfectae virtutis. Ergo et perfectio virtutis est a natura.

7. Mais on pourrait dire que la vertu est naturelle а l’homme pour ce qui est de son amorce, mais que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature. – Toutefois, ce que dit Damascиne, dans le livre III, va en sens contraire : «En demeurant dans ce qui est conforme а la nature, nous sommes dans la vertu; mais en nous йcartant de ce qui est conforme а la nature, nous sortons de la vertu, nous parvenons а ce qui est au-delа de la nature et nous sommes dans le mal.» Il ressort clairement de cela qu’il est conforme а la nature de s’йcarter du mal. Or, ceci est le fait d’une vertu parfaite. La perfection de la vertu vient donc de la nature.

 [65665] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 8 Praeterea, virtus, cum sit forma, est quoddam simplex, et partibus carens. Si igitur secundum aliquid sui est a natura videtur quod totaliter sit a natura.

8. La vertu, puisqu’elle est une forme, est quelque chose de simple, qui n’a pas de parties. Si donc quelque chose d’elle vient de la nature, il semble qu’elle vienne entiиrement de la nature.

[65666] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 9 Praeterea, homo dignior est et perfectior aliis creaturis irrationalibus. Sed aliae creaturae sufficienter habent a natura ea quae pertinent ad suam perfectionem. Cum igitur virtutes sint quaedam perfectiones hominis, videtur quod insint homini a natura.

9. L’homme est plus digne et plus parfait que les crйatures non raisonnables. Or, les autres crйatures possиdent suffisamment par nature ce qui se rapporte а leur perfection. Puis que les vertus sont des perfections de l’homme, il semble donc qu’elles sont dans l’homme par nature.

[65667] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 10 Sed diceretur, quod hoc non potest esse, quia perfectio hominis consistit in multis et diversis; natura autem ordinatur ad unum. Sed contra est, quod virtutis inclinatio est etiam ad unum, sicut et naturae : dicit enim Tullius, quod virtus est habitus in modum naturae, rationi consentaneus. Ergo nihil prohibet virtutes inesse homini a natura.

10. Mais on pourrait dire que cela est impossible, car la perfection de l’homme consiste dans des choses nombreuses et diverses. Or, la nature est ordonnйe а une seule chose. En sens contraire, l’inclination de la vertu va aussi vers une seule chose, comme celle de la nature. En effet, Tullius [Cicйron] dit que la vertu est un habitus par mode de nature, conforme а la raison. Rien n’empкche donc que les vertus soient dans l’homme par nature.

[65668] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 11 Praeterea, virtus in medio consistit. Medium autem est unum determinatum. Ergo nihil prohibet inclinationem naturae esse ad id quod est virtutis.

11. La vertu se situe dans un milieu. Or, le milieu est quelque chose de dйterminй. Rien n’empкche donc que l’inclination de la nature aille dans le sens de la vertu.

[65669] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 12 Praeterea, peccatum est privatio modi, speciei et ordinis. Sed peccatum est privatio virtutis. Ergo virtus consistit in modo, specie et ordine. Sed modus, species et ordo sunt homini naturalia. Ergo virtus est homini naturalis.

12. Le pйchй est une privation de mesure, de beautй et d’ordre. Or, le pйchй est la privation de la vertu. La vertu consiste donc dans la mesure, la beautй et l’ordre. Mais la mesure, la beautй et l’ordre sont naturels а l’homme. La vertu est donc naturelle а l’homme.

[65670] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 13 Praeterea, pars appetitiva in anima sequitur partem cognitivam. Sed in parte cognitiva est aliquis habitus naturalis, scilicet intellectus principiorum. Ergo et in parte appetitiva et affectiva, quae est subiectum virtutis, est aliquis habitus naturalis; et ita videtur quod aliqua virtus sit naturalis.

13. La partie appйtitive de l’вme suit la partie cognitive. Or, dans la partie cognitive, il existe un habitus naturel, а savoir, l’intelligence des principes. Dans la partie appйtitive et affective, qui est le sujet de la vertu, il existe donc aussi un habitus naturel. Et ainsi, il semble qu’une vertu soit naturelle.

[65671] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 14 Praeterea, naturale est cuius principium est intra; sicut ferri sursum est naturale igni, quia principium huius motus est in eo quod movetur. Sed principium virtutis est in homine. Ergo virtus est homini naturalis.

14. Est naturel ce dont le principe est interne, comme d’кtre portй vers le haut est naturel au feu, parce que le principe de ce mouvement se trouve а l’intйrieur de ce qui est mы. Or, le principe de la vertu existe а l’intйrieur de l’homme. La vertu est donc naturelle а l’homme.

[65672] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 15 Praeterea, cuius est semen naturale, ipsum quoque est naturale. Sed semen virtutis est naturale; dicit enim quaedam Glossa, Hebr., I, quod voluit Deus inseminare omni animae initia sapientiae et intellectus. Ergo videtur quod virtutes sint naturales.

15. Ce dont la semence est naturelle est naturel. Or, la semence de la vertu est naturelle. En effet, une glose dit, а propos de He 1, que Dieu a voulu semer en toute вme des amorces de sagesse et d’intelligence. Il semble donc que les vertus soient naturelles.

[65673] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 16 Praeterea, contraria sunt eiusdem generis. Sed virtuti contrariatur malitia. Malitia autem est naturalis; dicitur enim Sap., XII, v. 10 : erat enim naturalis malitia eius; et Ephes., II, 3, dicitur : eramus natura filii irae. Ergo videtur quod virtus sit naturalis.

16. Les contraires appartiennent au mкme genre. Or, la malice est contraire а la vertu. En effet, il est dit en Sg 12, 10 : Car, sa malice lui йtait naturelle; et en Ep 2, 3 : Nous йtions par nature fils de la colиre. Il semble donc que la vertu soit naturelle.

[65674] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 17 Praeterea, naturale est quod vires inferiores rationi subdantur; dicit enim philosophus in III de anima, quod appetitus superioris, qui est rationis, movet inferiorem, qui est partis sensitivae; sicut sphaera superior movet inferiorem sphaeram. Virtus autem moralis in hoc consistit quod inferiores vires rationi subdantur. Ergo huiusmodi virtutes sunt naturales.

17. Il est naturel que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. En effet, le Philosophe dit, dans Sur l’вme, III, que l’appйtit supйrieur, qui est celui de la raison, meut l’infйrieur, qui est la partie sensible, comme la sphиre supйrieure meut la sphиre infйrieure. Or, la vertu morale consiste en ce que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. Les vertus de ce genre sont donc naturelles.

[65675] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 18 Praeterea, ad hoc quod aliquis motus sit naturalis, sufficit naturalis aptitudo interioris principii passivi. Sic enim generatio simplicium corporum dicitur naturalis, et etiam motus caelestium corporum; nam principium activum caelestium corporum non est natura, sed intellectus; principium etiam generationis simplicium corporum est extrinsecus. Sed ad virtutem inest homini aptitudo naturalis; dicit enim philosophus in II Ethicor. : innatis quidem nobis a natura suscipere, perfectis autem ab assuetudine. Ergo videtur quod virtus est naturalis.

18. Pour qu’un mouvement soit naturel, une aptitude naturelle du principe passif intйrieur suffit. En effet, la gйnйration des corps simples est ainsi appelйe naturelle, et mкme le mouvement des corps cйlestes, car le principe actif des corps cйlestes n’est pas la nature, mais l’intelligence, et le principe de la gйnйration des corps simples est aussi extйrieur. Or, une aptitude naturelle а la vertu existe dans l’homme. En effet, le Philosophe dit, dans Йthique, II : «Les choses innйes, nous les recevons de la nature; les choses parfaites, de l’habitus.» Il semble donc que la vertu soit naturelle.

[65676] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 19 Praeterea, illud quod inest homini a nativitate, est naturale. Sed secundum philosophum in VI Ethic., quidam confestim a nativitate videntur esse fortes et temperati, et secundum alias virtutes dispositi; et Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero egressa est mecum. Ergo virtutes sunt homini naturales.

19. Ce que l’homme possиde par naissance est naturel. Or, selon le Philosophe, dans Йthique, VI, certains semblent кtre immйdiatement а la naissance forts et modйrйs, et disposйs а d’autres vertus. Et [il est dit] en Jb 31, 18 : La compassion s’est dйveloppйe en moi depuis la naissance, et elle est sortie du sein en mкme temps que moi. Des vertus sont donc naturelles а l’homme.

[65677] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 20 Praeterea, natura non deficit in necessariis. Sed virtutes sunt homini necessariae ad finem ad quem naturaliter ordinatur, scilicet ad felicitatem, quae est actus virtutis perfectae. Ergo virtutes habet homo a natura.

20. La nature ne fait pas dйfaut pour les choses nйcessaires. Or, les vertus sont nйcessaires а l’homme pour la fin а laquelle il est naturellement ordonnй, а savoir, la fйlicitй, qui est un acte de la vertu parfaite. L’homme possиde donc les vertus par nature.

Cependant :

[65678] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Naturalia per peccatum non amittuntur; unde Dionysius dicit, quod data naturalia in Daemonibus permanent. Sed virtutes per peccatum amittuntur. Ergo non sunt naturales.

1. Les choses naturelles ne sont pas enlevйes par le pйchй. Aussi Denys dit-il que les dons naturels demeurent chez les dйmons. Or, les vertus sont enlevйes par le pйchй. Elles ne sont donc pas naturelles.

[65679] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 2 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, et ea quae sunt a natura, neque assuescimus neque dissuescimus. Sed ea quae sunt virtutis, possumus assuescere et dissuescere. Ergo virtutes non sunt naturales.

2. Ce qui existe en nous naturellement et ce qui vient de la nature, nous ne nous y habituons pas et nous n’en perdons pas l’habitude. Or, nous pouvons nous habituer et nous dйshabituer de ce qui relиve de la vertu. Les vertus sont donc naturelles.

[65680] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 3 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, communiter insunt omnibus. Sed virtutes non insunt communiter omnibus, cum quibusdam insint vitia contraria virtutibus.

3. Ce qui existe naturellement existe chez tous d’une maniиre commune. Or, les vertus n’existent pas chez tous d’une maniиre commune, puisqu’il existe chez certains des vices contraires aux vertus.

 [65681] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 4 Praeterea, naturalibus neque meremur neque demeremur, quia sunt in nobis. Sed virtutibus meremur, sicut et vitiis demeremur. Ergo virtutes et vitia non sunt naturalia.

4. Nous ne mйritons pas ni ne perdons le mйrite en raison des choses naturelles, car elles existent en nous. Or, nous mйritons par les vertus, comme nous dйmйritons par les vices. Les vertus et les vices ne sont donc pas naturels.

Rйponse :

[65682] De virtutibus, q. 1 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum quod diversificati sunt aliqui circa productionem formarum naturalium, ita diversificati sunt circa adeptionem scientiarum et virtutum. Fuerunt enim aliqui qui posuerunt formas praeexistere in materia secundum actum, latenter autem; et quod per agens naturale reducuntur de occulto in manifestum. Et haec fuit opinio Anaxagorae qui posuit omnia esse in omnibus, ut ex omnibus omnia generari possent. Alii autem dixerunt, formas esse totaliter ab extrinseco, vel participatione idearum, ut posuit Plato, vel intelligentia agente, ut posuit Avicenna; et quod agentia naturalia disponunt solummodo materiam ad formam. Tertia est via Aristotelis media, quae ponit, quod formae praeexistunt in potentia materiae, sed reducuntur in actum per agens exterius naturale. Similiter etiam et circa scientias et virtutes aliqui dixerunt, quod scientiae et virtutes insunt nobis a natura, et quod per studium solummodo tolluntur impedimenta scientiae et virtutis : et hoc videtur Plato posuisse; qui posuit scientias et virtutes causari in nobis per participationem formarum separatarum; sed anima impediebatur ab earum usu per unionem ad corpus; quod impedimentum tolli oportebat per studium scientiarum, et exercitium virtutum. Alii vero dixerunt, quod scientiae et virtutes sunt in nobis ex influxu intelligentiae agentis, ad cuius influentiam recipiendam homo disponitur per studium et exercitium. Tertia est opinio media, quod scientiae et virtutes secundum aptitudinem insunt nobis a natura; sed earum perfectio non est nobis a natura. Et haec opinio melior est, quia sicut circa formas naturales nihil derogat virtus naturalium agentium; ita circa adeptionem scientiae et virtutis studio et exercitio suam efficaciam conservat. Sciendum tamen est, quod aptitudo perfectionis et formae in aliquo subiecto potest esse dupliciter. Uno modo secundum potentiam passivam tantum; sicut in materia aeris est aptitudo ad formam ignis. Alio modo secundum potentiam passivam et activam simul : sicut in corpore sanabili est aptitudo ad sanitatem, quia corpus est susceptivum sanitatis. Et hoc modo in homine est aptitudo naturalis ad virtutem; partim quidem secundum naturam speciei, prout aptitudo ad virtutem est communis omnibus hominibus, et partim secundum naturam individui, secundum quod quidam prae aliis sunt apti ad virtutem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod in homine triplex potest esse subiectum virtutis, sicut ex superioribus patet; scilicet intellectus, voluntas et appetitus inferior, qui in concupiscibilem et irascibilem dividitur. In unoquoque autem est considerare aliquo modo et susceptibilitatem virtutis et principium activum virtutis. Manifestum est enim quod in parte intellectiva est intellectus possibilis, qui est in potentia ad omnia intelligibilia, in quorum cognitione consistit intellectualis virtus; et intellectus agens, cuius lumine intelligibilia fiunt actu; quorum quaedam statim a principio naturaliter homini innotescunt absque studio et inquisitione : et huiusmodi sunt principia prima, non solum in speculativis, ut : omne totum est maius sua parte, et similia; sed etiam in operativis, ut : malum esse fugiendum, et huiusmodi. Haec autem naturaliter nota, sunt principia totius cognitionis sequentis, quae per studium acquiritur; sive sit practica, sive sit speculativa. Similiter autem circa voluntatem manifestum est quod est aliquod principium activum naturale. Nam voluntas naturaliter inclinatur in ultimum finem. Finis autem in operativis habet rationem principii naturalis. Ergo inclinatio voluntatis est quoddam principium activum respectu omnis dispositionis, quae per exercitium in parte affectiva acquiritur. Manifestum autem est quod ipsa voluntas, in quantum est potentia ad utrumlibet se habens, in his quae sunt ad finem, est susceptiva habitualis inclinationis in haec vel in illa. Irascibilis autem et concupiscibilis naturaliter sunt obaudibiles rationi : unde naturaliter sunt susceptivae virtutis, quae in eis perficitur, secundum quod disponuntur ad bonum rationis sequendum. Et omnes praedictae inchoationes virtutum consequuntur naturam speciei humanae unde et omnibus sunt communes. Est autem aliqua inchoatio virtutis, quae consequitur naturam individui, secundum quod aliquis homo ex naturali complexione vel caelesti impressione inclinatur ad actum alicuius virtutis. Et haec quidem inclinatio est quaedam virtutis inchoatio; non tamen est virtus perfecta; quia ad virtutem perfectam requiritur moderatio rationis : unde et in definitione virtutis ponitur, quod est electiva medii secundum rationem rectam. Si enim aliquis absque rationis discretione inclinationem huiusmodi sequeretur, frequenter peccaret. Et sicut haec virtutis inchoatio absque rationis opere, perfectae virtutis rationem non habet, ita nec aliqua praemissarum. Nam ex universalibus principiis in specialia pervenitur per inquisitionem rationis. Rationis etiam officio ex appetitu ultimi finis homo deducitur in ea quae sunt convenientia illi fini. Ipsa etiam ratio imperando irascibilem et concupiscibilem facit sibi esse subiectas. Unde manifestum est quod ad consummationem virtutis requiritur opus rationis; sive virtus sit in intellectu, sive sit in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Haec tamen est consummatio : quod ad virtutem inferioris partis ordinatur inchoatio virtutis quae est in superiori; sicut ad virtutem quae est in voluntate, aptus redditur homo et per inchoationem virtutis quae est in voluntate, et per eam quae est in intellectu. Ad virtutem vero quae est in irascibili et concupiscibili, per inchoationem virtutis quae est in eis, et per eam quae est in superioribus; sed non e converso. Unde etiam manifestum est, quod ratio, quae est superior, operatur ad completionem omnis virtutis. Dividitur autem principium operativum quod est ratio, contra principium operativum quod est natura, ut patet in II Phys.; eo quod rationalis potestas est ad opposita, natura autem ordinatur ad unum. Unde manifestum est quod perfectio virtutis non est a natura, sed a ratione.

De mкme que certains ont des positions dif­fйrentes а propos de la production des formes naturelles, de mкme diffиrent-ils а propos de l’acquisition des sciences et des vertus. En effet, certains ont soutenu que les formes prйexistent dans la matiиre selon l’acte, mais de maniиre cachйe, et qu’elles sont ramenйes de l’йtat occulte а l’йtat manifeste par un agent naturel. Telle fut l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que tout йtait en tout, de sorte que tout pouvait кtre engendrй а partir de tout. Mais d’autres ont dit que les formes viennent entiиrement de l’extйrieur, soit par la participation aux idйes, comme l’affirmait Platon, soit par l’intellect agent, comme l’affirmait Avicenne, et que les agents naturels ne font que disposer la matiиre en vue de la forme. La troisiиme voie, celle d’Aristote, se situe au milieu : elle affirme que les formes prйexistent dans la puissance de la matiиre, mais qu’elles sont amenйs а l’acte par un agent extйrieur naturel. De mкme, а propos des sciences et des vertus, certains ont-ils dit qu’elles existent en nous par nature et que, par l’effort, sont seulement enlevйs les obstacles а la science et а la vertu. Platon semble avoir affirmй cela, en affirmant que les sciences et les vertus sont causйes en nous par la participation aux for­mes sйparйes, mais que l’вme йtait empкchйe d’en faire usage par l’union au corps, empк­chement qu’il fallait йcarter par l’йtude des sciences et par l’application aux vertus. Mais d’autres ont dit que les sciences et les vertus existent en nous sous l’influence de l’intellect agent, que l’homme se dispose а recevoir par l’йtude et l’application. La troi­siиme opinion se situe au centre : les sciences et les vertus existent en nous par nature par l’aptitude, mais leur perfection ne nous vient pas de la nature. Et cette opinion est meil­leure, car, de mкme que la puissance des agents naturels ne fait en rien dйfaut pour ce qui est des formes naturelles, de mкme, pour l’acquisition de la science et l’application а la vertu et pour sa pratique, elle conserve son efficacitй. Toutefois, il faut savoir que l’aptitude а la perfection et а la forme chez un sujet peut exister de deux maniиres. D’une maniиre, selon une puissance passive seule­ment, comme il existe une aptitude а la forme du feu dans la matiиre de l’air. D’une autre maniиre, selon une puissance passive et ac­tive en mкme temps, comme dans un corps susceptible d’кtre guйri, il existe une aptitude а la santй, parce que le corps est rйceptif par rapport а la santй. Et c’est de cette maniиre qu’il existe dans l’homme une aptitude naturelle а la vertu, en partie selon la nature de l’espиce, pour autant que l’aptitude а la vertu est commune а tous les hommes, et en partie selon la nature de l’individu, pour autant que certains sont plus aptes que d’autres а la vertu. Pour йclairer cela, il faut savoir que, dans l’homme, peut exister un triple sujet de la vertu, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut : l’intellect, la volontй et l’appйtit infйrieur, qui se divise en concu­piscible et en irascible. Or, dans chacun, il faut d’une certaine faзon prendre en compte а la fois la rйceptivitй а la vertu et le principe actif de la vertu. En effet, il est clair que, dans la partie intellective, existe l’intellect possible, qui est en puissance а tous les intel­ligibles, dans la connaissance desquels consiste la vertu intellectuelle; et l’intellect agent, par la lumiиre duquel les intelligibles le deviennent en acte. Certains [de ces intel­ligibles] sont connus naturellement par l’homme immйdiatement et dиs le dйbut, sans йtude ni recherche. Ce sont les principes premiers, non seulement en matiиre spйcula­tive, comme : le tout est plus grand que la partie, et les choses semblables, mais aussi en matiиre d’action, comme : il faut fuir le mal, et les choses de ce genre. Or, ces connaissances naturelles sont les principes de toute la connaissance ultйrieure, qui est ac­quise par l’йtude, qu’elle soit pratique ou spйculative. De mкme, а propos de la vo­lontй, il est clair qu’il existe un principe actif naturel, car la volontй est naturellement in­clinйe а la fin ultime. Or, dans le domaine des actions, la fin a raison de principe natu­rel. L’inclination de la volontй est donc un principe actif par rapport а toute disposition, qui est acquise dans la partie affective par la pratique. Or, il est clair que la volontй elle-mкme, pour autant qu’elle se trouve en puis­sance а n’importe quelle chose parmi celles qui concernent la fin, est rйceptive а une in­clination habituelle а telle ou telle chose. Mais l’irascible et le concupiscible, pour leur part, sont naturellement rйceptifs а la rai­son; aussi sont-ils naturellement rйceptifs а la vertu qui s’accomplit en eux, selon qu’ils sont disposйs а suivre le bien de la raison. Et toutes ces amorces de vertus dйcoulent de la nature de l’espиce humaine : elles sont donc communes а tous. Mais il y a une amorce de vertu qui dйcoule de la nature d’un individu, selon qu’un homme, en raison de sa com­plexion ou d’une influence cйleste, est in­clinй а l’acte d’une vertu. Et cette inclination est une amorce de vertu; elle n’est cependant pas une vertu parfaite, car la modйration de la raison est nйcessaire pour la vertu parfaite. Aussi met-on dans la dйfinition de la vertu qu’elle choisit le milieu selon la raison droite. En effet, si quelqu’un suivait cette inclination sans le jugement de la raison, il pйcherait souvent. Et de mкme que cette amorce de vertu sans intervention de la rai­son ne possиde pas la raison de vertu par­faite, de mкme aucune de celles mentionnйes plus haut. Car l’on parvient aux choses parti­culiиres а partir de principes universels par la recherche de la raison. C’est aussi par la fonction de la raison que l’homme est conduit de l’appйtit de la fin ultime а ce qui convient а cette fin. C’est encore par le com­mandement de la raison que celle-ci se sou­met l’irascible et le concupiscible. Ainsi res­sort-il clairement que, pour l’achиvement de la vertu, l’action de la raison est nйcessaire, que la vertu soit dans l’intellect, qu’elle soit dans la volontй ou qu’elle soit dans l’irascible et le concupiscible. Cependant tel est l’achиvement : que l’amorce de vertu qui est dans la partie supйrieure soit ordonnйe а la vertu de la partie infйrieure, comme l’homme est rendu apte а la vertu qui est dans la volontй а la fois par l’amorce de vertu qui se trouve dans la volontй et par celle qui se trouve dans l’intellect; mais а la vertu qui se trouve dans l’irascible et le concupiscible, par l’amorce de vertu qui est en eux, et par celle qui se trouve dans les [puissances] supйrieures. Mais il n’en va pas de mкme en sens inverse. Aussi est-il clair que la raison, qui est supйrieure, agit en vue de l’achиvement de toute vertu. Or, le principe opйratif qu’est la raison se distingue du principe opйratif qu’est la nature, comme cela ressort clairement de Physique, II, du fait que la puissance rationnelle porte sur des choses opposйes, alors que la nature est ordonnйe а une seule chose. Il est donc clair que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature, mais de la raison.

Solutions :

[65683] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes dicuntur naturales quantum ad naturales inchoationes virtutum quae insunt homini, non quantum ad earum perfectionem.

1. Les vertus sont appelйes naturelles quant aux amorces de vertus qui sont innйes chez l’homme, et non quant а leur perfection.

[65684] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum, tertium, quartum et quintum.

2-5. Il faut dire la mкme chose pour les deuxiиme, troisiиme, qautriиme et cinquiиme arguments.

[65685] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod posse bonum simpliciter inest nobis a natura, eo quod potentiae sunt naturales; velle autem et scire est nobis aliquo modo a natura, scilicet secundum quamdam inchoationem in universali. Sed hoc non sufficit ad virtutem. Requiritur autem ad bonam operationem, quae est effectus virtutis, quod homo prompte et infallibiliter ut in pluribus bonum attingat; quod non potest aliquis facere sine habitu virtutis : sicut etiam manifestum est quod aliquis in universali scit opus artis facere, ut puta argumentari, vel secare, aut aliquid huiusmodi facere; sed ad hoc quod prompte et sine errore faciat, requiritur quod habeat artem; et similiter est in virtute.

6. Pouvoir faire le bien est tout simplement innй chez nous par nature, du fait que les puissances sont naturelles ; mais vouloir et savoir nous viennent d’une certaine maniиre de la nature, а savoir, dans leur amorce d’une maniиre gйnйrale. Mais cela n’est pas suffisant pour la vertu. Il est nйcessaire pour une opйration bonne, qui est l’effet de la vertu, que l’homme atteigne le bien rapidement et sans se tromper dans la plupart des cas, ce que quelqu’un ne peut faire sans l’habitus de la vertu, de mкme qu’il est clair que quelqu’un sait accomplir de maniиre universelle l’acte d’un art, par exemple, argumenter ou couper, ou faire quelque chose de ce genre ; mais pour qu’il fasse cela rapidement et sans erreur, il est nйcessaire qu’il en possиde l’art. Et de mкme en est-il pour la vertu.

[65686] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex natura habet homo aliqualiter quod declinet malitiam; sed ad hoc quod hoc prompte faciat et infallibiliter, requiritur habitus virtutis.

7. L’homme a d’une certaine maniиre par nature ce qu’il faut pour s’йcarter de la mйchancetй; mais pour qu’il le fasse promptement et infailliblement, un habitus de vertu est nйcessaire.

[65687] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus non dicitur partim a natura esse, eo quod aliqua pars eius sit a natura et aliqua non, sed quia secundum aliquem modum essendi imperfectum est a natura; scilicet secundum potentiam et aptitudinem.

8. On ne dit pas que la vertu vient en partie de la nature parce qu’une partie d’elle vient de la nature et une autre n’[en vient] pas, mais parce qu’elle vient de la nature selon un mode d’exister imparfait, а savoir, selon la puissance et l’aptitude.

[65688] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus est per se perfectus in bonitate; unde nullo indiget ad bonitatem consequendam. Substantiae autem superiores et ei propinquae, paucis indigent ad consequendam perfectionem bonitatis ab ipso. Homo autem, qui est magis remotus, pluribus indiget ad assecutionem perfectae bonitatis, quia est capax beatitudinis. Quae autem creaturae non sunt capaces beatitudinis, paucioribus indigent quam homo. Unde homo est dignior eis licet pluribus indigeat; sicut ille qui potest consequi perfectam sanitatem multis exercitiis, est melius dispositus quam ille qui non potest consequi nisi parvam, sed per modica exercitia.

9. Dieu est par lui-mкme parfait en bontй : aussi n’a-t-il besoin de rien pour atteindre la bontй. Les substances supйrieures et qui lui sont proches ont besoin de peu de choses pour obtenir de lui la bontй. Mais l’homme, qui en est plus йloignй, a besoin de plus de choses pour atteindre la bontй parfaite, car il est capable de la bйatitude. Les crйatures qui ne sont pas capables de la bйatitude ont besoin de moins de choses que l’homme. Aussi l’homme est-il plus digne qu’elles, bien qu’il ait besoin de plus de choses, comme celui qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux exercices est mieux disposй que celui qui ne peut en obtenir qu’une petite, mais par peu d’exercices.

[65689] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad ea quae sunt unius virtutis, posset esse inclinatio naturalis. Sed ad ea quae sunt omnium virtutum, non posset esse inclinatio a natura; quia dispositio naturalis quae inclinat ad unam virtutem, inclinat ad contrarium alterius virtutis : puta, qui est dispositus secundum naturam ad fortitudinem, quae est in prosequendo ardua, est minus dispositus ad mansuetudinem, quae consistit in refrenando passiones irascibilis. Unde videmus quod animalia quae naturaliter inclinantur ad actum alicuius virtutis, inclinantur ad vitium contrarium alteri virtuti; sicut leo, qui naturaliter est audax est etiam naturaliter crudelis. Et haec quidem naturalis inclinatio ad hanc vel illam virtutem sufficit aliis animalibus, quae non possunt consequi perfectum bonum secundum virtutem, sed consequuntur qualecumque determinatum bonum. Homines autem nati sunt pervenire ad perfectum bonum secundum virtutem; et ideo oportet quod habeant inclinationem ad omnes actus virtutum : quod cum non possit esse a natura, oportet quod sit secundum rationem, in qua existunt semina omnium virtutum.

10. Il pourrait exister une inclination naturelle а ce qui ne relиve que d’une seule vertu. Mais il ne peut exister d’inclination venant de la nature а ce qui relиve de toutes les vertus, car la disposition naturelle qui incline а une seule vertu incline а ce qui est contraire а une autre vertu, par exemple, celui qui est disposй par nature а la force, qui consiste а poursuivre les choses difficiles, est moins disposй а la douceur, qui consiste а rйfrйner les passions de l’irascible. Ainsi voyons-nous que les animaux qui sont naturellement inclinйs а l’acte d’une vertu sont inclinйs au vice contraire а une autre vertu, comme le lion, qui est naturellement audacieux, est aussi naturellement cruel. Et cette inclination naturelle а telle ou telle vertu suffit aux autres animaux, qui ne peuvent obtenir le bien parfait selon la vertu, mais poursuivent tel bien dйterminй. Mais les hommes sont destinйs а parvenir au bien parfait selon la vertu. C’est pourquoi il est nйcessaire qu’ils aient une inclination а tous les actes des vertus. Comme cela ne peut venir de la nature, il est nйcessaire que cela soit selon la raison, dans laquelle existent les semences de toutes les vertus.

[65690] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod medium virtutis non est determinatum secundum naturam, sicut est determinatum medium mundi in quod tendunt gravia; sed oportet quod medium virtutis determinetur secundum rationem rectam, ut dicitur in II Ethic. Quia quod est mediocre uni, est parum vel multum alteri.

11. Le milieu de la vertu n’est pas dйterminй selon la nature, comme est dйterminй le milieu du monde vers lequel tendent tous les objets lourds, mais il est nйcessaire que le milieu de la vertu soit dйterminй selon la raison droite, comme il est dit dans Йthique, II. Car ce qui est milieu pour l’un est peu ou beaucoup pour un autre.

[65692] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod voluntas non exit in actum suum per aliquas species ipsam informantes, sicut intellectus possibilis; et ideo non requiritur aliquis naturalis habitus in voluntate ad naturale desiderium; et praecipue cum ex habitu naturali intellectus moveatur voluntas, in quantum bonum intellectum est obiectum voluntatis.

13. La volontй ne va pas vers son action par des espиces qui lui donnent forme, comme l’intellect possible. C’est pourquoi un habitus naturel n’est pas nйcessaire dans la volontй pour son dйsir naturel, et surtout lorsque la volontй est mue par un habitus naturel de l’intellect, dans la mesure oщ le bien intelligй est l’objet de la volontй.

[65693] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet principium virtutis sit intra hominem, scilicet ratio; tamen hoc principium non agit per modum naturae; et ideo quod ab ea est, non dicitur naturale.

14. Bien que le principe de la vertu soit intйrieur а l’homme, а savoir, la raison, ce principe n’agit cependant pas par mode de nature. C’est pourquoi ce qui vient d’elle n’est pas appelй naturel.

[65694] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 15 Et similiter dicendum est ad decimumquintum.

15. Il faut dire la mкme chose en rйponse а la quinziиme objection.

[65695] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod malitia eorum erat naturalis, in quantum erat in consuetudinem reducta, prout consuetudo est altera natura. Nos autem eramus natura filii irae propter peccatum originale, quod est peccatum naturae.

16. Leur malice йtait naturelle dans la mesure oщ elle йtait devenue coutumiиre, pour autant que la coutume est une seconde nature. Mais nous йtions fils de la colиre en raison du pйchй originel, qui est un pйchй de nature.

[65696] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod naturale est quod vires inferiores sint subiicibiles rationi, non tamen quod sint secundum habitum subiectae.

17. Il est naturel que les puissances infйrieures soient susceptibles de se soumettre а la raison, mais non qu’elles lui soient soumises selon un habitus.

[65697] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod motus dicitur esse naturalis propter aptitudinem naturalem mobilis, quando movens movet ad unum determinate per modum naturae; sicut generans in elementis, et motor corporum caelestium. Sic autem non est in proposito; unde ratio non sequitur.

18. Un mouvement est appelй naturel en raison de l’aptitude naturelle de ce qui est mы, lorsque l’agent meut prйcisйment а une seule chose par mode de nature, comme c’est le cas pour ce qui engendre dans les йlйments et pour ce qui meut les corps cйlestes. Mais ce n’est pas ce qui est en cause ici. L’argument ne vaut donc pas.

[65698] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa inclinatio naturalis ad virtutem, secundum quam quidam mox a nativitate sunt fortes et temperati, non sufficit ad perfectam virtutem, ut dictum est.

19. L’inclination naturelle а la vertu, selon laquelle certains sont forts et tempйrйs peu aprиs leur naissance, ne suffit pas pour la vertu parfaite, comme on l’a dit.

[65699] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura non deficit homini in necessariis; licet enim non det omnia quae sunt ei necessaria, tamen dat ei unde possit omnia necessaria acquirere secundum rationem, et quae ei deserviunt.

20. La nature ne fait pas dйfaut а l’homme pour les choses nйcessaires : en effet, bien qu’elle ne lui donne pas tout ce qui lui est nйcessaire, elle lui donne cependant les moyens de pouvoir acquйrir tout ce qui est nйcessaire selon la raison, et qui est а son service.

 

Articulus 9 : [65700] De virtutibus, q. 1 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum virtutes acquirantur ex actibus

Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ?

Objections :

[65701] De virtutibus, q. 1 a. 9 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65702] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur. Sed illud quod fit ex actibus nostris, non operatur Deus in nobis. Ergo virtus non causatur ex actibus nostris.

1. En effet, Augustin dit que «la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en nous sans nous.» Or, ce qui est fait par nos actes, Dieu ne le rйalise pas en nous. La vertu n’est donc pas causйe par nos actes.

[65703] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit : omnium infidelium vita peccatum est, et nihil est bonum sine summo bono, ubi deest cognitio veritatis, falsa est virtus etiam in optimis moribus. Ex quo habetur quod virtus non potest esse sine fide. Fides autem non est ex operibus nostris, sed ex gratia, ut patet Ephes. cap. II, 8 : gratia estis salvati per fidem, et non ex vobis : nec quis glorietur; Dei enim donum est. Ergo virtus non potest causari ex actibus nostris.

2. Augustin dit aussi : «La vie de tous les infidиles est pйchй, et rien n’est bon sans le bien suprкme ; lа oщ fait dйfaut la connaissance de la vйritй, la vertu est fausse, mкme lorsque le comportement est le meilleur.» On conclut de cela que la vertu ne peut exister sans la foi. Or, la foi ne compte pas parmi nos њuvres, mais elle vient de la grвce, comme cela ressort clairement de Ep 2, 8 : C’est par grвce que vous avez йtй sauvйs par la foi, et non par vous-mкmes. Que personne donc ne se glorifie, car elle est un don de Dieu. La vertu ne peut donc кtre causйe par nos actes.

[65704] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 3 Praeterea, Bernardus dicit, quod incassum quis ad virtutem laborat, nisi a domino eam sperandam putet. Quod autem speratur obtinendum a Deo, non causatur ex actibus nostris. Virtus ergo non causatur ex actibus nostris.

3. Bernard dit que c’est en vain que quelqu’un travaille pour la vertu, а moins qu’il ne pense pouvoir l’espйrer du Seigneur. Or, ce que nous espйrons obtenir de Dieu n’est pas causй par nos actes. La vertu n’est donc pas causйe par nos actes.

[65705] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 4 Praeterea, continentia est minus virtute, ut patet per philosophum in VII Ethic. Sed continentia non est in nobis nisi ex divino munere; dicitur enim Sapient. cap. VIII, 21 : scio quod non possum esse continens, nisi Deus det. Ergo nec virtutes possumus acquirere ex nostris actibus, sed solum ex dono Dei.

4. La continence est moins que la vertu, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Йthique, VII. Or, la continence n’existe en nous que par un don divin. En effet, il est dit dans Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis кtre continent, а moins que Dieu ne m’en fasse le don. Nous ne pouvons donc pas non plus acquйrir les vertus par nos actes, mais seulement par un don de Dieu.

[65706] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo non potest vitare peccatum sine gratia. Sed per virtutem vitatur peccatum; non enim potest esse homo simul vitiosus et virtuosus. Ergo virtus non potest esse sine gratia; non ergo potest acquiri ex actibus.

5. Augustin dit que l’homme ne peut йviter le pйchй sans la grвce. Or, le pйchй est йvitй par la vertu : en effet, un homme ne peut кtre en mкme temps vicieux et vertueux. La vertu ne peut donc exister sans la grвce. Elle ne peut donc кtre acquise par nos actes.

[65707] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 6 Praeterea, per virtutem pervenitur ad felicitatem. Nam felicitas virtutis est praemium, ut philosophus dicit in I Ethic. Si ergo ex actibus nostris acquiratur virtus, ex actibus nostris possumus pervenire ad vitam aeternam, quae est hominis ultima felicitas, sine gratia; quod est contra apostolum, Rom. VI, 23 : gratia Dei vita aeterna.

6. C’est par la vertu que l’on parvient а la fйlicitй, car la fйlicitй est la rйcompense de la vertu, comme le Philosophe le dit dans Йthique, I. Si donc la vertu est acquise par nos actes, nous pouvons parvenir par nos actes et sans la grвce а la vie йternelle, qui est l’ultime fйlicitй de l’homme. Ce qui est contraire а ce que dit l’Apфtre, Rm 6, 23 : La vie йternelle est une grвce de Dieu.

[65708] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 7 Praeterea, virtus computatur inter maxima bona, secundum Augustinum, Lib. de libero arbitrio, quia virtute nullus male utitur. Sed maxima bona sunt a Deo, secundum illud Iacob. I, 17 : omne datum optimum et omne donum perfectum de sursum est, descendens a patre luminum. Ergo videtur quod virtus non sit in nobis nisi ex dono Dei.

7. La vertu compte parmi les plus grands biens, selon Augustin, Sur le libre arbitre, car personne n’utilise mal la vertu. Or, les plus grands biens viennent de Dieu, selon ce passage de Jc 1, 17 : Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Pиre des lumiиres. Il semble donc que la vertu n’existe en nous que par un don de Dieu.

[65709] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. de libero arbitrio, nihil potest formare seipsum. Sed virtus est quaedam forma animae. Ergo homo non potest in se per suos actus causare virtutem.

8. Comme Augustin le dit, dans Sur le libre arbitre, rien ne peut se former soi-mкme. Or, la vertu est une certaine forme de l’вme. L’homme ne peut donc pas causer en lui-mкme la vertu par ses actes.

[65710] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 9 Praeterea, sicut intellectus a principio est in potentia essentiali ad scientiam, ita vis affectiva ad virtutem. Sed intellectus in potentia essentiali existens, ad hoc ut reducatur in actum scientiae, indiget motore extrinseco, scilicet doctore ad hoc quod scientiam acquirat in actu. Ergo similiter ad hoc quod homo virtutem acquirat, indiget aliquo agente exteriori, et non sufficiunt ad hoc actus proprii.

9. De mкme que l’intellect est au dйpart en puissance essentielle par rapport а la science, de mкme la puissance affective par rapport а la vertu. Or, l’intellect qui est en puissance essentielle, pour кtre amenй а l’acte de la science, a besoin d’un moteur extйrieur, а savoir, un enseignant, pour acquйrir la science en acte. De la mкme maniиre, pour que l’homme acquiиre la vertu, il a donc besoin d’un agent extйrieur, et ses propres actes ne suffisent pas.

[65711] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 10 Praeterea, acquisitio fit per receptionem. Actio autem non fit per receptionem, sed magis per emissionem vel exitum actionis ab agente. Ergo per hoc quod aliquid agimus, non acquiritur virtus in nobis.

10. L’acquisition se fait par rйception. Or, l’action ne se fait pas par rйception, mais plutфt par йmission ou par sortie de l’action de l’agent. Par le fait que nous faisons quelque chose, la vertu n’est donc pas acquise par nous.

[65712] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 11 Praeterea, si per actum nostrum virtus in nobis acquiritur; aut acquiritur per unum, aut per plures. Non per unum; quia ex uno non efficitur aliquis studiosus, ut dicitur II Ethic.; similiter etiam nec ex multis; quia multi actus, cum non sint simul, non possunt simul aliquem effectum inducere. Ergo videtur quod nullo modo virtus in nobis causetur ex actibus nostris.

11. Si la vertu est acquise en nous par notre acte, ou bien elle est acquise par un seul, ou bien [elle est acquise] par plusieurs. [Elle n’est pas acquise] par un seul, car quelqu’un ne devient pas studieux par un seul acte, comme il est dit dans Йthique, II. De mкme, [elle n’est pas acquise] par plusieurs, car plusieurs actes, lorsqu’ils ne sont pas simultanйs, ne peuvent produire un effet simultanйment. Il semble donc que la vertu ne soit d’aucune maniиre causйe en nous par nos actes.

[65713] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 12 Praeterea, Avicenna dicit, quod virtus est potentia essentialiter rebus attributa ad suas peragendas operationes. Sed id quod essentialiter attribuitur rei, non causatur ex actu eius. Ergo virtus non causatur ex actu habentis virtutem.

12. Avicenne dit que la vertu est une puissance attribuйe essentiellement aux choses en vue d’accomplir leurs actions. Or, ce qui est attribuй essentiellement а une chose n’est pas causй par son acte. La vertu n’est donc pas causйe par l’acte de celui qui possиde la vertu.

[65714] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 13 Praeterea, si virtus causatur ex actibus nostris : aut ex actibus virtuosis, aut ex actibus vitiosis. Non ex vitiosis quia illi magis destruunt virtutem; similiter nec ex virtuosis, quia illi praesupponunt virtutem. Ergo nullo modo causatur ex actibus nostris virtus in nobis.

13. Si la vertu est causйe par nos actes, ou bien c’est par les actes vertueux, ou bien par les actes vicieux. [Ce n’est pas par les actes] vicieux, car ceux-ci dйtruisent plutфt la vertu; de mкme, [ce n’est pas par les actes] vertueux, car ceux-ci prйsupposent la vertu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre causйe en nous par nos actes.

[65715] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 14 Sed dicendum, quod virtus causatur ex actibus virtuosis imperfectis.- Sed contra nihil agit ultra suam speciem. Si ergo actus praecedentes virtutem sunt imperfecti, videtur quod non possunt causare virtutem perfectam.

14. Mais on dira que la vertu est causйe par des actes vertueux imparfaits. – En sens contraire, rien n’agit au-delа de son espиce. Si donc les actes prйcйdant la vertu sont imparfaits, il semble qu’ils ne peuvent pas cause une vertu parfaite.

[65716] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 15 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in I caeli et mundi. Sed potentia est naturalis. Ergo virtus est naturalis, et non ex operibus acquisita.

15. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Du ciel et du monde, I. Or, la puissance est naturelle. La vertu est donc naturelle, et elle n’est pas acquise par des actes.

[65717] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 16 Praeterea, ut dicitur in II Ethic., virtus est quae bonum reddit habentem. Sed homo est bonus secundum suam naturam. Ergo virtus hominis est ei a natura, et non ex actibus acquisita.

16. Comme il est dit dans Йthique, II, la vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde. Or, l’homme est bon par sa nature. La vertu de l’homme lui vient donc de sa nature, et elle n’est pas acquise par ses actes.

[65718] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 17 Praeterea, ex frequentia actus naturalis non acquiritur novus habitus.

17. Par la rйpйtition d’un acte naturel un nouvel habitus n’est pas acquis.

[65719] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 18 Praeterea, omnia habent esse a sua forma. Sed gratia est forma virtutum : nam sine gratia virtutes dicuntur esse informes. Ergo virtutes sunt a gratia, et non ab actibus.

18. Toutes choses reзoivent leur кtre de leur forme. Or, la grвce est la forme des vertus, car, sans la grвce, les vertus sont appelйes informes. Les vertus viennent donc de la grвce, et non des actes.

[65720] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 19 Praeterea, secundum apostolum, 2 Cor. XII, 9, virtus in infirmitate perficitur. Sed infirmitas magis est passio quam actio. Ergo virtus magis causatur ex passione quam ex actibus.

19. Selon l’Apфtre, 2 Co 12, 9, la vertu se rйalise dans la faiblesse. Or, la faiblesse est plutфt une passion qu’une action. La vertu est donc plutфt causйe par une passion que par des actes.

[65721] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 20 Praeterea, cum virtus sit qualitas, mutatio quae est secundum virtutem, videtur esse alteratio : nam alteratio est motus in qualitate. Sed alteratio passio tantum est in parte animae sensitivae, ut patet per philosophum in VII Physic. Si ergo virtus acquiritur ex actibus nostris per quamdam passionem et alterationem; sequetur quod virtus sit in parte sensitiva : quod est contra Augustinum, qui dicit, quod est bona qualitas mentis.

20. Puisque la vertu est une qualitй, le changement qui se rйalise selon la vertu semble кtre une altйration, car l’altйration est un mouvement dans la qualitй. Or, l’altйration est une passion seulement dans la partie sensible de l’вme, comme cela ressort clairement du Philosophe, Physique, VII. Si donc la vertu est acquise par nos actes en vertu d’une certaine passion et altйration, il en dйcoulera que la vertu se situe dans la partie sensible, ce qui est contraire а Augustin, qui dit qu’elle est une bonne qualitй de l’esprit.

[65722] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 21 Praeterea, per virtutem habet aliquis rectam electionem de fine, ut dicitur X Ethicorum. Sed habere rectam electionem de fine, non videtur esse in potestate nostra : quia qualis unusquisque est, talis finis ei videtur, ut dicitur III Ethic. Hoc autem contingit nobis ex naturali complexione, vel ex impressione corporis caelestis. Ergo non est in potestate nostra acquirere virtutes : non ergo causantur ex actibus nostris.

21. Par la vertu, quelqu’un fait un choix droit а propos de la fin, comme il est dit dans Йthique, X. Or, faire un choix droit а propos de la fin ne semble pas кtre en notre pouvoir, car tel est chacun, telle la fin lui apparaоt, comme il est dit dans Йthique, III. Or, cela nous arrive en raison d’une complexion naturelle, ou par l’influence d’un corps cйleste. Il n’est donc pas en notre pouvoir d’acquйrir les vertus. Elles ne sont donc pas causйes par nos actes.

[65723] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 22 Praeterea, ea quae sunt naturalia, neque assuescimus neque dissuescimus. Sed quibusdam hominibus insunt naturales inclinationes ad aliqua vitia, sicut et ad virtutes. Ergo huiusmodi inclinationes non possunt tolli per assuetudinem actuum. Eis autem manentibus non possunt in nobis esse virtutes. Ergo virtutes non possunt in nobis acquiri per actus.

22. Nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel, ni ne nous en dйshabituons. Or, certains hommes possиdent des inclinations naturelles innйes envers certains vices, de mкme qu’а des vertus. Les inclinations de ce genre ne peuvent donc pas кtre enlevйes par l’accoutumance aux actes. Aussi longtemps que [ces inclinations] demeurent, il ne peut donc y avoir de vertus en nous. Les vertus ne peuvent donc pas кtre causйes en nous par des actes.

Cependant :

[65724] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Dionysius dicit, quod bonum est virtuosius quam malum. Sed ex malis actibus causantur in nobis habitus vitiorum. Ergo ex bonis actibus causantur in nobis habitus virtutum.

1. Denys dit que le bien est plus vertueux que le mal. Or, les habitus des vices sont causйs en nous par des mauvaises actions. Les habitus des vertus sont donc causйs en nous par des actes bons.

[65725] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in II Ethic., operationes sunt causae eius quod est nos studiosos esse. Hoc autem est per virtutem. Ergo virtus causatur in nobis ex actibus.

2. Selon le Philosophe, Йthique, II, des actions sont les causes du fait que nous sommes studieux. Or, cela est le fait de la vertu. La vertu est donc causйe en nous par des actes.

[65726] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 3 Praeterea, ex contrariis sunt generationes et corruptiones. Sed virtus corrumpitur ex malis actibus. Ergo ex bonis actibus generatur.

3. Les gйnйrations et les corruptions viennent des contraires. Or, la vertu est corrompue par les actes mauvais. Elle est donc engendrйe par les actes bons.

Rйponse :

[65727] De virtutibus, q. 1 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod cum virtus sit ultimum potentiae, ad quod quaelibet potentia se extendit ut faciat operationem, quod est operationem esse bonam; manifestum est quod virtus uniuscuiusque rei est per quam operationem bonam producit. Quia vero omnis res est propter suam operationem; unumquodque autem bonum est secundum quod bene se habet ad suum finem; oportet quod per virtutem propriam unaquaeque res sit bona, et bene operetur. Bonum autem proprium uniuscuiusque rei est aliud ab eo quod est proprium alterius : diversorum enim perfectibilium sunt diversae perfectiones; unde et bonum hominis est aliud a bono equi et a bono lapidis. Ipsius etiam hominis secundum diversas sui considerationes accipitur diversimode bonum. Non enim idem est bonum hominis in quantum est homo, et in quantum est civis. Nam bonum hominis in quantum est homo, est ut ratio sit perfecta in cognitione veritatis, et inferiores appetitus regulentur secundum regulam rationis : nam homo habet quod sit homo per hoc quod sit rationalis. Bonum autem hominis in quantum est civis, est ut ordinetur secundum civitatem quantum ad omnes : et propter hoc philosophus dicit, III Politic., quod non est eadem virtus hominis in quantum est bonus et hominis in quantum est bonus civis. Homo autem non solum est civis terrenae civitatis, sed est particeps civitatis caelestis Ierusalem, cuius rector est dominus, et cives Angeli et sancti omnes, sive regnent in gloria et quiescant in patria, sive adhuc peregrinentur in terris, secundum illud apostoli, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum, et domestici Dei, et cetera. Ad hoc autem quod homo huius civitatis sit particeps, non sufficit sua natura, sed ad hoc elevatur per gratiam Dei. Nam manifestum est quod virtutes illae quae sunt hominis in quantum est huius civitatis particeps, non possunt ab eo acquiri per sua naturalia; unde non causantur ab actibus nostris, sed ex divino munere nobis infunduntur. Virtutes autem quae sunt hominis in eo quod est homo, vel in eo quod est terrenae civitatis particeps, non excedunt facultatem humanae naturae; unde eas per sua naturalia homo potest acquirere, ex actibus propriis : quod sic patet. Dum enim aliquis habet naturalem aptitudinem ad perfectionem aliquam; si haec aptitudo sit secundum principium passivum tantum, potest eam acquirere; sed non ex actu proprio, sed ex actione alicuius exterioris naturalis agentis; sicut aer recipit lumen a sole. Si vero habeat aptitudinem naturalem ad perfectionem aliquam secundum activum principium et passivum simul; tunc per actum proprium potest ad illam pervenire; sicut corpus hominis infirmi habet naturalem aptitudinem ad sanitatem. Et quia subiectum est naturaliter receptivum sanitatis, propter virtutem naturalem activam quae inest ad sanandum, ideo absque actione exterioris agentis infirmus interdum sanatur. Ostensum est autem in praecedenti quaestione, quod aptitudo naturalis ad virtutem quam habet homo, est secundum principia activa et passiva; quod quidem ex ipso ordine potentiarum apparet. Nam in parte intellectiva est principium quasi passivum intellectus possibilis, qui reducitur in suam perfectionem per intellectum agentem. Intellectus autem in actu movet voluntatem : nam bonum intellectus est finis qui movet appetitum; voluntas autem mota a ratione, nata est movere appetitum sensitivum, scilicet irascibilem et concupiscibilem, quae natae sunt obedire rationi. Unde etiam manifestum est, quod quaelibet virtus faciens operationem hominis bonam, habet proprium actum in homine, qui sui actione potest ipsam reducere in actum; sive sit in intellectu, sive in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Diversimode tamen reducitur in actum virtus quae est in parte intellectiva, et quae est in parte appetitiva. Nam actio intellectus, et cuiuslibet cognoscitivae virtutis, est secundum quod aliqualiter assimilatur cognoscibili; unde virtus intellectualis fit in parte intellectiva, secundum quod per intellectum agentem fiunt species intellectae in ipsa vel actu vel habitu. Actio autem virtutis appetitivae consistit in quadam inclinatione ad appetibile; unde ad hoc quod fiat virtus in parte appetitiva, oportet quod detur ei inclinatio ad aliquid determinatum. Sciendum est autem, quod inclinatio rerum naturalium consequitur formam; et ideo est ad unum, secundum exigentiam formae : qua remanente, talis inclinatio tolli non potest, nec contraria induci. Et propter hoc, res naturales neque assuescunt aliquid neque dissuescunt; quantumcumque enim lapis sursum feratur nunquam hoc assuescet, sed semper inclinatur ad motum deorsum. Sed ea quae sunt ad utrumlibet, non habent aliquam formam ex qua declinent ad unum determinate; sed a proprio movente determinantur ad aliquid unum; et hoc ipso quod determinantur ad ipsum, quodammodo disponuntur in idem; et cum multoties inclinantur, determinantur ad idem a proprio movente, et firmatur in eis inclinatio determinata in illud, ita quod ista dispositio superinducta, est quasi quaedam forma per modum naturae tendens in unum. Et propter hoc dicitur, quod consuetudo est altera natura. Quia igitur vis appetitiva se habet ad utrumlibet; non tendit in unum nisi secundum quod a ratione determinatur in illud. Cum igitur ratio multoties inclinet virtutem appetitivam in aliquid unum, fit quaedam dispositio firmata in vi appetitiva, per quam inclinatur in unum quod consuevit; et ista dispositio sic firmata est habitus virtutis. Unde, si recte consideretur, virtus appetitivae partis nihil est aliud quam quaedam dispositio, sive forma, sigillata et impressa in vi appetitiva a ratione. Et propter hoc, quantumcumque sit fortis dispositio in vi appetitiva ad aliquid, non potest habere rationem virtutis, nisi sit ibi id quod est rationis. Unde et in definitione virtutis ponitur ratio : dicit enim philosophus, II Ethicorum, quod virtus est habitus electivus in mente consistens determinata specie, prout sapiens determinabit.

Puisque la vertu est le point ultime d’une puissance, vers lequel tend toute puissance pour accomplir son opйration, ce qui rend une action bonne, il est clair que la vertu de toute chose est celle par laquelle elle produit une bonne opйration. Comme toute chose chose existe en vue de son opйration, et que toute chose est bonne selon qu’elle a un bon rapport а sa fin, il est donc nйcessaire que toute chose soit bonne et agisse bien par sa propre vertu. Or, le bien propre de toute chose est diffйrent de celui qui est propre а une autre chose : en effet, les perfections des diverses choses perfectibles sont diverses. Le bien de l’homme est donc diffйrent de celui du cheval et du bien de la pierre. Et le bien de l’homme est aussi conзu diversement selon les maniиres diffйrentes de l’envisager. En effet, le bien de l’homme en tant qu’homme n’est pas le mкme que [celui de l’homme] en tant que citoyen. Car le bien de l’homme en tant qu’homme est que sa raison soit parfaite dans la connaissance de la vйritй et que ses appйtits infйrieurs soient dirigйs selon la rиgle de la raison, car l’homme est homme par le fait qu’il est raisonnable. Or, le bien de l’homme en tant que citoyen consiste en ce qu’il soit ordonnй par rapport а ce qui concerne tous selon la citй. C’est la raison pour laquelle le Philosophe dit, Politique, III, que la vertu de l’homme en tant qu’il est bon n’est pas la mкme que celle de l’homme en tant qu’il est un bon citoyen. Or, l’homme n’est pas seulement citoyen de la citй terrestre, mais il est membre de la citй cйleste de Jйrusalem, dont le dirigeant est le Seigneur, et les citoyens, les anges et tous les saints, soit qu’ils rиgnent dans la gloire et se reposent dans la patrie, soit qu’ils cheminent encore sur terre, selon ce que dit l’Apфtre, Ep 2, 19 : Vous кtes les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu, etc. Or, pour que l’homme soit membre de cette citй, sa nature ne suffit pas, mais il y est йlevй par la grвce de Dieu. Car il est clair que les vertus qui appartiennent а l’homme en tant qu’il est membre de cette citй ne peuvent pas кtre acquises par lui par ce qui relиve de sa nature. Elles ne sont donc pas causйes par nos actes, mais elles sont infusйes en nous par un don divin. Mais les vertus qui sont le fait de l’homme en tant qu’il est homme ou en tant qu’il est membre de la citй terrestre, ne dйpassent pas la capacitй de la nature humaine. L’homme peut donc les acquйrir par ce qui relиve de sa nature, par ses propres actes. Voici comment on le montre. En effet, lorsque quelqu’un possиde une aptitude naturelle а une certaine perfection, si cette aptitude n’existe que selon un principe passif seulement, il peut l’acquйrir, non par son acte, mais par l’action d’un agent extйrieur, comme l’air reзoit du soleil la lumiиre. Mais s’il a une aptitude naturelle а une perfection selon un principe а la fois actif et passif, il peut alors l’atteindre, comme le corps d’un homme malade possиde une aptitude naturelle а la santй. Et parce que le sujet est naturellement rйceptif par rapport а la santй, en raison de la puissance active qu’il possиde pour la guйrison, c’est pourquoi le malade est parfois guйri sans action d’un agent extйrieur. Or, on a montrй, dans la question prйcйdente, que l’aptitude naturelle а la vertu que possиde l’homme existe selon des principes actifs et passifs, ce qui se rйvиle par l’ordre mкme des puissances. Car, dans la partie intellective, existe le principe pour ainsi dire passif de l’intellect possible, qui est amenй а sa perfection par l’intellect agent. Or, l’intellect en acte meut la volontй, car le bien de l’intellect est la fin qui meut l’appйtit, et la volontй mue par la raison est naturellement disposйe а mouvoir l’appйtit sensible, а savoir, l’irascible et le concupiscible, qui sont naturellement disposйs а obйir а la raison. Il est donc aussi clair que toute vertu qui rend bonne l’opйration de l’homme a son acte propre а l’intйrieur de l’homme, qui peut l’amener а l’acte par sa propre action, qu’elle soit dans l’intellect, dans la volontй ou dans l’irascible et le concupiscible. Toutefois, la vertu qui se trouve dans la partie intellective est amenйe diffйremment а l’acte que celle qui se trouve dans la partie appйtitive. Car l’action de l’intellect et de toute puissance cognitive se rйalise par une certaine assimilation а ce qui est connaissable; aussi la vertu intellectuelle se rйalise-t-elle dans la partie intellective selon que, par l’intellect agent, les espиces deviennent intelligйes en elle, soit en acte, soit par habitus. Mais l’action de la puissance appйtitive consiste dans une certaine inclination а ce qui est appйtible; aussi, pour que se produise une vertu dans la partie appйtitive, est-il nйcessaire que lui soit donnйe une inclination а quelque chose de dйterminй. Or, il faut savoir que l’inclination des choses naturelles suit sa forme : c’est pourquoi elle n’est orientйe qu’а une seule chose, selon ce qu’exige la forme; aussi longtemps que celle-ci demeure, une telle inclination ne peut кtre йcartйe, ni une forme contraire кtre amenйe. C’est pourquoi les choses naturelles ne s’accoutument pas а une chose ni ne s’en dйsaccoutument : en effet, aussi souvent qu’une pierre sera lancйe en l’air, elle ne s’y accoutumera pas, mais elle sera toujours inclinйe а se mouvoir vers le bas. Mais les choses qui peuvent aller dans un sens ou l’autre ne possиdent pas de forme qui les inclinent а une seule chose de maniиre dйterminйe, mais elles sont mues par leur propre agent vers une seule chose, et par le fait qu’elles sont dйterminйes par rapport а celle-ci, elles y sont en quelque sorte disposйes. Et lorsqu’elles y sont inclinйes а plusieurs reprises, elles sont dйterminйes а la mкme chose par leur propre agent et l’inclination vers cette chose est affermie en elles, de telle sorte que cette disposition ajoutйe est comme une forme qui ressemble а une nature, qui tend а une seule chose. Pour cette raison, on dit que l’habitude est une seconde nature. Puisque la puissance appйtitive peut aller dans un sens ou l’autre, elle ne tend donc а une seule chose que selon qu’elle y est dйterminйe par la raison. Lorsque la raison incline а plusieurs reprises la puissance appйtitive а une seule chose, il se produit donc une certaine disposition affermie dans la puissance appйtitive, par laquelle elle est inclinйe а la seule chose а laquelle elle s’est habituйe, et cette disposition affermie est l’habitus de la vertu. Aussi, si on examine [la chose] correctement, la vertu de la partie appйtitive n’est rien d’autre qu’une certaine disposition ou forme, scellйe et imprimйe par la raison dans la puissance appйtitive. C’est pourquoi, aussi forte que soit une dispostion а quelque chose dans la puissance appйtitive, cela ne peut avoir raison de vertu, а moins que ne s’y trouve ce qui relиve de la raison. Aussi la raison est-elle mise dans la dйfinition de la vertu. En effet, le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu est un habitus йlectif rйsidant dans l’esprit selon une espиce dйterminйe, selon que le sage en aura dйterminй.

Solutions :

[65728] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de virtutibus secundum quod ordinantur ad aeternam beatitudinem.

1. Augustin parle des vertus selon qu’elles sont ordonnйes а la bйatitude йternelle.

[65729] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 2 Et sic dicendum ad secundum, tertium et quartum.

2-4. Il faut dire la mкme chose pour la deuxiиme, la troisiиme et la quatriиme objection.

[65730] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus acquisita facit declinare a peccato non semper, sed ut in pluribus : quia et ea quae naturaliter accidunt, ut in pluribus eveniunt. Nec propter hoc sequitur, quod simul aliquis sit virtuosus et vitiosus; quia unus actus potentiae neque habitum vitii neque habitum virtutis acquisitae tollit; et non potest per virtutem acquisitam declinare ab omni peccato. Non enim per eas vitatur peccatum infidelitatis; et alia peccata quae virtutibus infusis opponuntur.

5. La vertu acquise fait s’йcarter du pйchй non pas toujours, mais dans la plupart des cas, car mкme ce qui se produit naturellement arrive dans la plupart des cas. Il n’en dйcoule pas que quelqu’un soit en mкme temps vertueux et vicieux, car un seul acte d’une puissance n’enlиve ni l’habitus du vice ni l’habitus de la vertu acquise, et l’on ne peut s’йcarter de tout pйchй par la vertu acquise. En effet, le pйchй d’infidйlitй n’est pas йvitй par elles, ainsi que les autres pйchйs qui s’opposent aux vertus infuses.

[65731] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod per virtutes acquisitas non pervenitur ad felicitatem caelestem, sed ad quamdam felicitatem quam homo natus est acquirere per propria naturalia in hac vita secundum actum perfectae virtutis, de qua Aristoteles tractat in X Metaph.

6. On ne parvient pas а la fйlicitй йternelle par les vertus acquises, mais а une certaine fйlicitй que l’homme est destinй а acquйrir dans cette vie par ce qui lui naturellement propre, selon l’acte de la vertu parfaite, dont Aristote traite dans Mйtaphysique, X.

[65732] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus acquisita non est maximum bonum simpliciter, sed maximum in genere humanorum bonorum; virtus autem infusa est maximum bonum simpliciter, in quantum per eam homo ad summum bonum ordinatur, quod est Deus.

7. La vertu acquise n’est pas le plus grand bien tout simplement, mais le plus grand dans le genre des biens humains. Mais la vertu infuse est le plus grand bien tout simplement, dans la mesure oщ, par elle, l’homme est ordonnйe au bien suprкme qu’est Dieu.

[65733] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod idem secundum idem non potest seipsum formare. Sed quando in aliquo uno est aliquod principium activum et aliud passivum, seipsum formare potest secundum partes : ita scilicet quod una pars eius sit formans, et alia formata; sicut aliquid movet seipsum, ita quod una pars eius est movens, et alia mota, ut dicitur VIII Phys. Sic autem est in generatione virtutis ut ostensum est.

8. Une mкme chose ne peut se donner forme а elle-mкme selon une mкme chose. Mais lorsqu’il y a un principe actif et un autre passif, elle peut se donner forme selon ses parties, de telle sorte qu’une de ses parties donne la forme, et l’autre reзoive la forme, comme quelque chose se meut soi-mкme, de telle sorte qu’une de ses parties meut et une autre est mue, comme il est dit dans Physique, VIII. Il en est de mкme dans la gйnйration de la vertu, comme on l’a montrй.

 [65734] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut in intellectu scientia acquiritur non solum per inventionem, sed etiam per doctrinam, quae est ab alio; ita etiam in acquisitione virtutis homo iuvatur per correctionem et disciplinam, quae est ab alio; qua aliquis tanto minus indiget, quanto de se est magis dispositus ad virtutem; sicut et aliquis quanto perspicacioris est ingenii, tanto minus indiget exteriori doctrina.

9. De mкme que, dans l’intellect, la science est acquise non seulement par l’invention, mais aussi par l’enseignement, qui vient d’un autre, de mкme, pour l’acquisition de la vertu, l’homme est aidй par la correction et l’йducation, qui vient d’un autre. Quelqu’un en a d’autant moins besoin qu’il est davantage disposй а la vertu, de mкme que plus quelqu’un a un esprit perspicace, moins il a besoin d’enseignement extйrieur.

[65735] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad actionem hominis concurrunt virtutes activae et passivae; et licet a virtutibus, in quantum activae, fiat emissio, et in eis nihil recipiatur; tamen passivis in quantum passivae, competit acquirere aliquid per receptionem. Unde in potentia quae est tantum activa, ut in intellectu agente, non acquiritur aliquis habitus per actionem.

10. Les puissances actives et passives concourent а l’action de l’homme. Et bien que, par les puissances actives, en tant qu’elles sont passives, se produise une йmission et que rien ne soit reзue en elles, il convient cependant aux puissances passives, en tant qu’elles sont passives, d’acquйrir quelque chose par rйception. Aussi, dans la puissance qui est seulement active, comme c’est le cas pour l’intellect agent, un habitus n’est-il pas acquis par l’action.

[65736] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quanto actio agentis est efficacior, tanto velocius inducit formam. Et ideo videmus in intellectualibus, quod per unam demonstrationem, quae est efficax, causatur in nobis scientia; opinio autem, licet sit minor scientia, non causatur in nobis per unum syllogismum dialecticum; sed requiruntur plures propter eorum debilitatem. Unde et in agibilibus, quia operationes animae non sunt efficaces sicut in demonstrationibus, propter hoc quod agibilia sunt contingentia et probabilia, ideo unus actus non sufficit ad causandum virtutem, sed requiruntur plures. Et licet illi plures non sint simul, tamen habitum virtutis causare possunt : quia primus actus facit aliquam dispositionem, et secundus actus inveniens materiam dispositam adhuc eam magis disponit, et tertius adhuc amplius; et sic ultimus actus agens in virtute omnium praecedentium complet generationem virtutis, sicut accidit de multis guttis cavantibus lapidem.

11. Plus l’action d’un agent est efficace, plus rapidement elle mиne а la forme. C’est pourquoi nous voyons, en matiиre intellectuelle, que, par une seule dйmonstration qui est efficace, la science est causйe en nous ; mais l’opinion, bien qu’elle soit une science infйrieure, n’est pas causйe en nous par un seul syllogisme dialectique : en effet, plusieurs sont nйcessaires en raison de leur faiblesse. Aussi, en matiиre d’actions а poser, comme les opйrations de l’вme ne sont pas aussi efficaces que pour les dйmonstrations parce que les actes а poser sont contingents et probables, un seul acte ne suffit-il pas pour causer la vertu, mais plusieurs sont nйcessaires. Et bien que ces nombreux actes ne soient pas simultanйs, ils peuvent cependant causer un habitus de vertu, car le premier acte produit une certaine disposition, et le deuxiиme acte, trouvant une matiиre dйjа disposйe, la dispose encore davantage, et le troisiиme encore davantage. Et ainsi, le dernier acte, posй en vertu de tous les prйcйdents, achиve la gйnйration de la vertu, comme il arrive que de nombreuses gouttes creusent la pierre.

[65737] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Avicenna intendit definire virtutem naturalem, quae sequitur formam quae est principium essentiale; unde illa definitio non est ad propositum.

12. Avicenne entend dйfinir la vertu naturelle, qui dйcoule de la forme qui est un principe essentiel. Aussi cette dйfinition est-elle hors de propos.

[65738] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtus generatur ex actibus quodammodo virtuosis et quodammodo non virtuosis. Actus enim praecedentes virtutem, sunt quidem virtuosi quantum ad id quod agitur, in quantum scilicet homo agit fortia et iusta; non autem quantum ad modum agendi : quia ante habitum virtutis acquisitum non agit homo opera virtutis eo modo quo virtuosus agit, scilicet prompte absque dubitatione et delectabiliter absque difficultate.

13. La vertu est engendrйe par des actes qui sont vertueux d’une certaine maniиre et non vertueux d’une autre. En effet, les actes qui prйcиdent la vertu sont vertueux quant а l’action posйe, а savoir, pour autant que l’homme accomplit des actes forts et justes ; mais non quant au mode d’agir, car, avant que l’habitus de vertu ne soit acquis, l’homme n’accomplit pas les actes de vertu de la maniиre dont le vertueux les accomplit, а savoir, promptement, sans hйsitation, avec plaisir et sans difficultй.

[65739] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio est nobilior virtute generata in parte appetitiva, cum talis virtutis non sit nisi quaedam participatio rationis. Actus igitur qui virtutem praecedit, potest causare virtutem, in quantum est a ratione, a qua habet id quod perfectionis in ea est. Imperfectio enim eius est in potentia appetitiva, in qua nondum est causatus habitus, per quem homo delectabiliter et expedite id quod est ex imperio rationis consequatur.

14. La raison est plus noble que la vertu engendrйe dans la partie appйtitive, puisqu’une telle vertu n’est qu’une participation а la raison. L’acte qui prйcиde la vertu peut donc causer la vertu pour autant qu’il vient de la raison, de laquelle il tient ce qu’il y a de perfection en elle. En effet, son imperfection se trouve dans la puissance appйtitive oщ il n’y a pas encore d’habitus causй, par lequel l’homme suit avec plaisir et rapidement ce qui vient du commandemenet de la raison.

[65740] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus dicitur esse ultimum potentiae, non quia semper sit aliquid de essentia potentiae; sed quia inclinat ad id quod ultimo potentia potest.

15. On dit que la vertu est le point ultime de la puissance, non pas parce qu’elle est quelque chose de l’essence de la puissance, mais parce qu’elle incline а ce qui est ultimement possible а la puissance.

[65741] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod homo secundum naturam suam est bonus secundum quid, non autem simpliciter. Ad hoc autem quod aliquid sit bonum simpliciter, requiritur quod sit totaliter perfectum; sicut ad hoc quod aliquid sit pulchrum simpliciter requiritur quod in nulla parte sit aliqua deformitas vel turpitudo. Simpliciter autem et totaliter bonus dicitur aliquis ex hoc quod habet voluntatem bonam, quia per voluntatem homo utitur omnibus aliis potentiis. Et ideo bona voluntas facit hominem bonum simpliciter; et propter hoc virtus appetitivae partis secundum quam voluntas fit bona, est quae simpliciter bonum facit habentem.

16. L’homme est bon selon sa nature d’une maniиre relative, et non pas absolue. Pour que quelque chose soit bon de maniиre absolue, il est nйcessaire que cela soit entiиrement parfait, comme pour que quelque chose soit beau de maniиre absolue, il est nйcessaire qu’il n’y ait de difformitй ou de laideur dans aucune partie. On dit que quelqu’un est bon de maniиre absolue et totale du fait qu’il a une volontй bonne, car l’homme utilise toutes ses autres puissances par la volontй. C’est pourquoi la volontй bonne rend l’homme bon de maniиre absolue. Et, pour cette raison, la vertu de la partie appйtitive par laquelle la volontй est rendue bonne est celle qui rend l’homme bon de maniиre absolue.

[65742] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod actus qui sunt ante virtutem, possunt quidem dici naturales, secundum quod a naturali ratione procedunt, prout naturale dividitur contra acquisitum; non autem possunt naturales dici, prout naturale dividitur contra id quod est ex ratione. Sic autem dicitur quod naturalia non dissuescimus neque assuescimus, secundum quod natura contra rationem dividitur.

17. On peuet dire que les actes qui existent avant la vertu sont naturels selon qu’ils procиdent de la raison naturelle, selon que «naturel» est opposй а «acquis» ; mais on ne peut les appeler naturels selon que «naturel» s’oppose а ce qui vient de la raison. On dit ainsi que nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel ni ne nous en dйsaccoutumons, selon que «naturel» est opposй а la raison.

[65743] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod gratia dicitur esse forma virtutis infusae; non tamen ita quod ei det esse specificum; sed in quantum per eam informatur aliqualiter actus eius. Unde non oportet quod virtus politica sit per infusionem gratiae.

18. On dit que la grвce est la forme de la vertu infuse, non pas cependant parce qu’elle lui donne son кtre spйcifique, mais pour autant que son acte reзoit d’elle sa forme. Aussi n’est-il pas nйcessaire que la vertu politique exige l’infusion de la grвce.

[65744] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod virtus perficitur in infirmitate, non quia infirmitas causat virtutem, sed quia dat occasionem alicui virtuti, scilicet humilitati. Est etiam materia alicuius virtutis, scilicet patientiae, et etiam caritatis, in quantum aliquis infirmitati proximi subvenit. Et naturaliter est signum virtutis, quia tanto anima virtuosior demonstratur, quanto infirmius corpus ad actum virtutis movet.

19. La vertu se rйalise dans la faiblesse, non pas parce que la faiblesse cause la vertu, mais parce qu’elle fournit l’occasion а une vertu, а savoir, l’humilitй. Elle est aussi la matiиre d’une vertu, а savoir, la patience et aussi la charitй, dans la mesure oщ quelqu’un vient au secours de la faiblesse du prochain. Et elle est naturellement un signe de vertu parce que plus une вme se montre vertueuse, plus elle meut а l’acte de vertu un corps plus faible.

[65745] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod proprie loquendo non dicitur aliquid alterari secundum quod adipiscitur propriam perfectionem. Unde, cum virtus sit propria perfectio hominis, non dicitur homo alterari secundum quod acquirit virtutem; nisi forte per accidens secundum quod immutatio sensibilis partis animae in qua sunt animae passiones, pertinet ad virtutem.

20. А proprement parler, on ne dit pas qu’une chose est altйrйe du fait qu’elle obtient sa perfection propre. Puisque la vertu est la perfection propre de l’homme, on ne dit donc pas que l’homme est altйrй du fait qu’il acquiert une vertu, si ce n’est peut-кtre par accident, selon que le changement de la partie sensible de l’вme, dans laquelle se trouvent les passions de l’вme, relиve de la vertu.

[65746] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod homo potest dici qualis vel secundum qualitatem quae est in parte intellectiva : et sic non dicitur qualis ex naturali complexione corporis, neque ex impressione corporis caelestis, cum pars intellectiva sit absoluta ab omni corpore; vel potest dici homo qualis secundum dispositionem quae est in parte sensitiva : quae quidem potest esse ex naturali complexione corporis, vel ex impressione corporis caelestis. Tamen quia haec pars naturaliter obedit rationi, ideo potest per assuetudinem diminui, vel totaliter tolli.

21. On peut dire d’un homme qu’il est tel ou tel selon la qualitй qui se trouve dans la partie intellective : ainsi, on ne dit pas qu’il est tel en raison de la complexion de son corps, ni de l’influence d’un corps cйleste, puisque la partie intellective est indйpendante de tout corps. Ou bien l’on peut dire que l’homme est tel selon une disposition qui se trouve dans la partie sensible, ce qui peut arriver en raison de la complexion de son corps ou de l’influence d’un corps cйleste. Toutefois, puisque cette partie obйit naturellement а la raison, c’est pourquoi elle peut кtre diminuйe ou totalement enlevйe par l’habitude.

[65747] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 22 Et per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum; nam secundum hanc dispositionem quae est in parte sensitiva, dicuntur aliqui habere naturalem inclinationem ad vitium vel virtutem et cetera.

22. Par cela, la rйponse а la vingt-deuxiиme objection ressort clairement, car selon la disposition qui se trouve dans la partie sensible, on dit de certains qu’ils ont une inclination naturelle au vice ou а la vertu, etc.

 

Articulus 10 : [65748] De virtutibus, q. 1 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum sint aliquae virtutes homini ex infusione

Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ?

Objections :

[65749] De virtutibus, q. 1 a. 10 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65750] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 1 Quia in VII Physic. dicitur : unumquodque perfectum est quando attingit propriam virtutem. Propria autem virtus uniuscuiusque est eius naturalis perfectio. Ergo ad perfectionem hominis sufficit sibi virtus connaturalis. Haec autem est quae per principia naturalia causari potest. Non igitur requiritur ad perfectionem hominis quod habeat aliquam virtutem ex infusione.

1. Car il est dit, dans Physique, VII : «Chaque chose est parfaite lorsqu’elle atteint sa propre vertu.» Or, la vertu propre de chaque chose est sa perfection naturelle. Une vertu qui lui est connaturelle suffit donc а l’homme. Or, celle-ci est celle qui est causйe par ses principes naturels. Il n’est donc pas nйcessaire pour la perfection de l’homme qu’il reзoive quelque vertu par infusion.

[65751] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 2 Sed dicebatur, quod oportet hominem perfici per virtutem non solum in ordine ad connaturalem finem, sed etiam in ordine ad supernaturalem, qui est beatitudo vitae aeternae, ad quam ordinatur homo per virtutes infusas.- Sed contra, natura non deficit in necessariis. Sed illud quo indiget homo ad consecutionem ultimi finis, est sibi necessarium. Ergo hoc potest habere per principia naturalia; non ergo indiget ad hoc infusione virtutis.

2. Mais on disait qu’il est nйcessaire que l’homme soit perfectionnй par la vertu, non seulement par rapport а sa fin connaturelle, mais aussi par rapport а [sa fin] surnaturelle, qui est la bйatitude de la vie йternelle, а laquelle l’homme est ordonnйe par les vertus infuses. ­– En sens contraire : : la nature ne laisse pas dйpourvu pour les choses nйcessaires. Or, ce dont l’homme a besoin pour obtenir sa fin ultime lui est nйcessaire. Il peut donc l’avoir par ses principes naturels. L’homme n’a donc pas besoin pour cela de l’infusion d’une vertu.

[65752] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 3 Praeterea, semen agit in virtute eius a quo emittitur. Aliter enim semen animalis cum sit imperfectum, non posset sua actione perducere ad speciem perfectam. Sed semina virtutum sunt nobis immissa a Deo; ut enim dicitur in Glossa, Deus inseminavit omni animae initia intellectus et sapientiae. Ergo huiusmodi semina agunt in virtute Dei. Cum igitur ex huiusmodi seminibus causetur virtus acquisita, videtur quod virtus acquisita possit ducere ad fruitionem Dei, in qua consistit beatitudo vitae aeternae.

3. La semence agit par la puissance de celui dont elle provient. Autrement, la semence d’un animal, puisqu’elle est imparfaite, ne pourrait conduire par son action а une espиce parfaite. Or, les semences des vertus sont mises en nous par Dieu, comme il est dit dans la Glose : «Dieu a semй en toute вme les commencements de l’intelligence et de la sagesse.» Puisque la vertu acquise est causйe par les semences de ce genre, il semble que la vertu acquise puisse mener а la jouissance de Dieu, dans laquelle consiste la bйatitude de la vie йternelle.

[65753] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 4 Praeterea, virtus ordinat hominem ad beatitudinem vitae aeternae, in quantum est actus meritorius. Sed actus virtutis acquisitae potest esse meritorius vitae aeternae, si sit gratia informatus. Ergo ad beatitudinem vitae aeternae non est necessarium habere virtutes infusas.

4. La vertu ordonne l’homme а la bйatitude de la vie йternelle, pour autant qu’il s’agit d’un acte mйritoire. Or, l’acte de la vertu acquise peut кtre mйritoire de la vie йternelle, s’il reзoit forme de la grвce. Pour la bйatitude de la vie йternelle, il n’est donc pas nйcessaire qu’il y ait des vertus infuses.

[65754] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 5 Praeterea, radix merendi caritas est. Si igitur necessarium esset habere virtutes infusas ad merendum vitam aeternam, videtur quod sola caritas sufficeret; et ita non oportet habere aliquas alias virtutes infusas.

5. La racine du mйrite est la grвce. Si donc il est nйcessaire de possйder des vertus infuses pour mйriter la vie йternelle, il semble que seule la charitй suffirait. Et ainsi, il n’est pas nйcessaire d’avoir d’autres vertus infuses.

[65755] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 6 Praeterea, virtutes morales necessariae sunt ad hoc quod inferiores vires rationi subdantur. Sed per virtutes acquisitas sufficienter rationi subduntur. Non ergo necessarium est quod sint aliquae virtutes infusae morales ad hoc quod ratio ordinetur ad aliquem specialem finem; sed sufficit quod ratio hominis in illum supernaturalem finem dirigatur. Hoc autem sufficienter fit per fidem. Ergo non oportet habere aliquas alias virtutes infusas.

6. Les vertus morales sont nйcessaires pour que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. Or, elles sont suffisamment soumises а la raison par les vertus acquises. Il n’est donc pas nйcessaire qu’il y ait des vertus morales infuses pour que la raison soit ordonnйe а une fin particuliиre, mais la raison de l’homme suffit pour qu’il soit orientй vers cette fin surnaturelle. Or, cela se rйalise suffisamment par la foi. Il n’est donc pas nйcessaire de possйder d’autres vertus infuses.

[65756] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 7 Praeterea, id quod fit virtute divina, non differt specie ab eo quod fit operatione naturae. Eadem enim specie est sanitas quam aliquis miraculose recuperat, et quam natura operatur. Si igitur sit aliqua virtus infusa, quae a Deo esset in nobis, et aliqua acquisita per actus nostros, non propter hoc specie differrent; puta, si sit temperantia acquisita, et temperantia infusa. Duae autem formae quae sunt unius speciei, non possunt simul esse in eodem subiecto. Ergo non potest esse quod ille qui habet temperantiam acquisitam, habeat temperantiam infusam.

7. Ce qui est rйalisй par la puissance divine ne diffиre pas par l’espиce de ce qui est rйalisй par l’opйration de la nature. En effet, la santй que quelqu’un retrouve miraculeusement est de mкme espиce que celle que la nature rйalise. Si donc il existe une vertu infuse, qui serait en nous par l’intervention de Dieu, et une [vertu] acquise par nos actes, elles ne diffйreraient pas pour autant par l’espиce, par exemple, s’il existe une tempйrance acquise et une tempйrance infuse. Or, deux formes d’une seule espиce ne peuvent exister en mкme temps dans le mкme sujet. Il ne peut donc pas se faire que celui qui possиde la tempйrance acquise possиde la tempйrance infuse.

[65757] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 8 Praeterea, species virtutis ex actibus cognoscitur. Sed sunt idem specie actus temperantiae infusae et acquisitae. Ergo et virtutes specie eaedem. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in materia et forma, sunt unius speciei. Sed actus temperantiae infusae et acquisitae conveniunt in materia : uterque enim est circa delectabilia tactus; conveniunt etiam in forma, quia uterque in medietate consistit. Ergo actus temperantiae infusae et actus temperantiae acquisitae sunt eiusdem speciei.

8. L’espиce d’une vertu se reconnaоt а ses actes. Or, les actes de la tempйrance infuse et de [la tempйrance] acquise sont identiques par leur espиce. Les vertus sont donc les mкmes selon leur espиce. Dйmonstration de la mineure : tout ce qui a les mкmes matiиre et forme est d’une mкme espиce. Or, les actes de la tempйrance infuse et de [la tempйrance] acquise ont la mкme matiиre : en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Ils ont aussi la mкme forme, car les deux consistent dans un milieu. Les actes de la tempйrance infuse et les actes de la tempйrance acquise sont donc de la mкme espиce.

[65758] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 9 Sed dicendum, quod differunt specie, eo quod ordinantur ad alium et ad alium finem : ex fine enim sumuntur species in moralibus. Sed contra, secundum id aliqua possunt specie differre a quo sumitur species rei. Sed species in moralibus non sumitur a fine ultimo, sed a fine proximo : aliter enim omnes virtutes essent unius speciei, cum omnes ad beatitudinem ordinentur sicut ad ultimum finem. Ergo ex ordine ad ultimum finem non possunt dici in moralibus aliqua esse eiusdem speciei, vel specie differre; et ita temperantia infusa non differt specie a temperantia acquisita, ex hoc quod ordinat hominem in beatitudinem altiorem.

9. Mais elles diffиrent par l’espиce du fait qu’elles sont ordonnйes а une fin diffйrente : en effet, l’espиce se prend de la fin en matiиre morale. En sens contraire : : certaines choses peuvent diffйrer par l’espиce en raison de ce dont est tirйe l’espиce de la chose. Or, l’espиce en matiиre morale n’est pas tirйe de la fin ultime, mais de la fin prochaine, autrement, toutes les vertus auraient la mкme espиce, puisque toutes sont ordonnйes а la bйatitude comme а la fin ultime. On ne peut donc pas dire qu’en matiиre morale, certaines choses sont de la mкme espиce ou diffиrent par l’espиce selon leur rapport а la fin ultime. Et ainsi, la tempйrance infuse ne diffиre pas spйcifiquement de la tempйrance acquise par le fait qu’elle ordonne l’homme а une bйatitude plus йlevйe.

[65759] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 10 Praeterea, nullus habitus moralis consequitur speciem ex hoc quod ab aliquo habitu movetur. Contingit enim unum habitum moralem moveri vel imperari a diversis secundum speciem; sicut habitus intemperantiae movetur ab habitu avaritiae, cum quis moechatur ut furetur; ab habitu autem crudelitatis, cum quis moechatur ut occidat. Et e converso diversi habitus secundum speciem ab eodem habitu imperantur; puta cum unus moechatur ut furetur, alter vero occidit ut furetur. Sed temperantia vel fortitudo, aut aliqua aliarum virtutum moralium non habet actum ordinatum ad beatitudinem vitae aeternae, nisi in quantum imperatur a virtute quae ultimum finem habet pro obiecto. Ergo ex hoc non consequitur speciem; et ita per hoc virtus infusa moralis non differt specie a virtute acquisita per hoc quod ordinatur ad finem vitae aeternae.

10. Aucun habitus moral n’obtient son espиce par le fait qu’il est mы par un autre habitus. En effet, il arrive qu’un habitus moral soit mы ou commandй par des [habitus] diffйrents selon leur espиce, comme l’habitus d’intempйrance est mы par l’habitus d’avarice, lorsque quelqu’un commet l’adultиre en vue de voler; et par l’habitus de la cruautй, lorsque quelqu’un commet l’adultиre en vue de tuer. En sens inverse, des habitus diffйrents selon l’espиce sont commandйs par le mкme habitus, par exemple, lorsqu’un homme commet l’adultиre pour voler, et qu’un autre tue pour voler. Or, l’acte de la tempйrance ou de la force, ou d’aucune autre vertu morale, n’est ordonnй а la bйatitude de la vie йternelle que dans la mesure oщ il est commandй par la vertu qui a pour objet la vie йternelle. Il ne reзoit donc pas par lа son espиce. Et ainsi, la vertu morale infuse ne diffиre pas spйcifiquement de la vertu acquise par le fait qu’elle est ordonnйe а la fin de la vie йternelle.

[65760] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 11 Praeterea, virtus infusa est in mente sicut in subiecto : dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis, quam Deus in nobis sine nobis operatur. Sed virtutes morales non sunt in mente sicut in subiecto : nam temperantia et fortitudo sunt irrationabilium partium, ut philosophus dicit III Ethic. Ergo virtutes morales non sunt infusae.

11. La vertu infuse se trouve dans l’esprit comme dans son sujet. En effet, Augustin dit que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, que Dieu rйalise en nous sans nous. Or, les vertus morales ne se trouvent pas dans l’esprit comme dans leur sujet, car la tempйrance et la force appartiennent aux parties non raisonnables, comme le dit le Philosophe dans Йthique, III. Les vertus morales ne sont donc pas infuses.

[65761] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 12 Praeterea, contraria sunt unius rationis. Sed vitium quod est contrarium virtuti, nunquam infunditur, sed solum ex actibus nostris causatur. Ergo nec virtutes infunduntur, sed solum ex actibus nostris causantur.

12. Les contraires relиvent d’une seule raison. Or, le vice, qui est le contraire de la vertu, n’est jamais infus, mais est causй par nos actes seulement. Les vertus ne sont donc pas non plus infuses, mais sont causйes par nos seuls actes.

[65762] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 13 Praeterea, homo ante acquisitionem virtutis est in potentia ad virtutes. Sed potentia et actus sunt unius generis : omne enim genus dividitur per potentiam et actum, ut patet in III Physic. Cum ergo potentia ad virtutem non sit ex infusione, videtur quod nec virtus ex infusione sit.

13. Avant l’acquisition de la vertu, l’homme est en puissance par rapport а la vertu. Or, la puissance et l’acte appartiennent au mкme genre : en effet, tout genre se divise en puissance et en acte, comme cela ressort clairement de Physique, III. Puisque la puissance а la vertu ne vient pas d’une infusion, il semble donc que la vertu non plus ne vienne pas d’une infusion.

[65763] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 14 Praeterea, si virtutes infunduntur, oportet quod simul infunduntur. Cum gratia autem infunditur homini qui in peccato fuit, in actu; tunc non infunduntur sibi habitus virtutum moralium : adhuc enim post contritionem patitur passionum molestias; quod non est virtuosi, sed forte continentis : differt enim continens a temperato per hoc quod continens patitur quidem, sed non deducitur; temperatus autem non patitur, ut dicitur in VII Ethic. Ergo videtur quod virtutes non sint nobis ex infusione gratiae.

14. Si les vertus sont infusйes, il est nйcessaire qu’elles soient infusйes en mкme temps. Or, lorsque la grвce est infusйe dans l’homme qui йtait pйcheur en acte, les habitus des vertus morales ne sont pas infusйes en lui : en effet, aprиs la contrition, il souffre encore des tiraillements des passions, ce qui n’est pas le fait de l’homme vertueux, mais peut-кtre de celui qui est continent. En effet, l’homme continent diffиre de celui qui est tempйrant par le fait que l’homme continent souffre, mais ne cиde pas, alors que celui qui est tempйrant ne souffre pas, comme il est dit dans Йthique, VII. Il semble donc que les vertus ne se trouvent pas en nous par infusion de la grвce.

[65764] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 15 Praeterea, dicit philosophus II Ethic., quod signum generati habitus oportet accipere fientem in operatione delectationem. Sed post contritionem non statim delectabiliter aliquis operatur ea quae sunt virtutum moralium. Ergo nondum habet habitum virtutum; non ergo virtutes morales causantur in nobis ex infusione gratiae.

15. Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que le signe de l’habitus engendrй est que celui qui agit trouve plaisir dans l’action. Or, aprиs la contrition, quelqu’un n’accomplit pas aussitфt avec plaisir ce qui relиve des vertus morales. Il ne possиde donc pas encore l’habitus des vertus. Les vertus morales ne sont donc pas causйes en nous par l’infusion de la grвce.

[65765] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 16 Praeterea, ponamus quod in aliquo ex multis actibus malis causatus sit aliquis habitus vitiosus : manifestum est quod in uno actu contritionis dimittuntur sibi peccata et infunditur gratia. Per unum autem actum non destruitur habitus acquisitus, sicut nec per unum generatur. Cum igitur cum gratia simul infundantur virtutes morales, sequitur quod habitus virtutis moralis simul sit cum habitu vitii oppositi; quod est impossibile.

16. Supposons que, chez quelqu’un, ait йtй causй par de nombreux actes mauvais un habitus vicieux. Il est clair que, par un acte de contrition, ses pйchйs lui sont remis et que la grвce est infusйe. Or, l’habitus acquis n’est pas dйtruit par un seul acte, de mкme qu’il n’est pas engendrй par un seul. Puisque les vertus morales sont infusйes en mкme temps que la grвce, il en dйcoule que l’habitus d’une vertu morale existe en mкme temps que l’habitus du vice opposй, ce qui est impossible.

[65766] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 17 Praeterea, ex eodem generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur III Ethic. Si igitur virtus non causetur in nobis ex actibus nostris, videtur sequi quod neque ex actibus nostris corrumpatur; et ita sequitur quod aliquis peccando mortaliter non amittat virtutem : quod est inconveniens.

17. La vertu est engendrйe et corrompue par la mкme chose, comme il est dit dans Йthique, III. Si donc la vertu n’est pas causйe en nous par nos actes, il semble en dйcouler qu’elle n’est pas non plus corrompue par nos actes. Il en dйcoule ainsi que quelqu’un ne perd pas la vertu en pйchant mortellement, ce qui est incorrect.

[65767] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 18 Praeterea, idem videtur esse mos et consuetudo. Ergo et eadem est virtus moralis et consuetudinalis. Sed virtus consuetudinalis dicitur ex consuetudine; causatur enim ex frequenti bene agere. Ergo omnis virtus moralis causatur ex actibus, et non ex infusione gratiae.

18. La coutume [mos, moris] et l’habitude semblent кtre la mкme chose. Et donc aussi, la vertu morale et l’habitude. Or, la vertu est dite habituelle а partir de l’habitude : en effet, elle est causйe par le fait de bien agir frйquemment. Toute vertu morale est donc causйe par nos actes, et non par l’infusion de la grвce.

[65768] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 19 Praeterea, si aliquae virtutes sunt infusae, oportet quod earum actus sint efficaciores quam actus hominis non habentis virtutes. Sed ex huiusmodi actibus causatur aliquis habitus virtutis in nobis. Ergo et ex actibus virtutum infusarum, si aliquae sunt tales. Sed sicut dicitur II Ethic., quales sunt habitus, tales actus reddunt; et quales sunt actus, tales habitus causant. Habitus igitur causati ex actibus virtutum infusarum, sunt eiusdem speciei cum virtutibus infusis. Sequitur igitur quod duae formae eiusdem speciei sunt simul in eodem subiecto. Hoc est autem impossibile. Ergo impossibile videtur quod sint in nobis aliquae virtutes infusae.

19. Si certaines vertus sont infuses, il est nйcessaire que leurs actes soient plus efficaces que les actes d’un homme qui n’a pas [ces] vertus. Or, un habitus de vertu est causй en nous par les actes de ce genre, et donc aussi par les actes des vertus infuses, s’il en existe. Or, il est dit dans Йthique, II, que tels sont les habitus, tels ils rendent les actes; et que tels sont les actes, tels habitus ils causent. Les habitus causйs par les actes des vertus infuses sont donc de la mкme espиce que les vertus infuses. Il en dйcoule donc que deux formes de mкme espиce existent en mкme temps dans le mкme sujet. Or, cela est impossible. Il semble donc impossible qu’il existe en nous des vertus infuses.

Cependant :

[65769] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Lucae, XXIV, 49, dicitur : sedete hic in civitate donec induamini virtute ex alto.

1. Il est dit en Lc 24, 49 : Demeurez ici dans la ville, jusqu’а ce que vous soyez revкtus d’une vertu venue d’en haut.

[65770] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Sap., VIII, 7, de divina sapientia dicitur, quod sobrietatem et iustitiam docet, et cetera. Docet autem spiritus sapientiae virtutem, eam causando. Ergo videtur quod virtutes morales sint nobis infusae a Deo.

2. Il est dit de la sagesse divine, dans Sg 8, 7, qu’elle enseigne la sobriйtй et la justice, etc. Or, l’Esprit de sagesse enseigne la vertu en la causant. Il semble donc que les vertus morales soient infusйes en nous par Dieu.

[65771] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 3 Praeterea, actus virtutum quarumlibet debent esse meritorii, ad hoc quod per eas in beatitudinem ducamur. Sed meritum non potest esse nisi ex gratia. Ergo videtur quod virtutes causantur in nobis ex infusione gratiae.

3. Les actes de toutes les vertus doivent кtre mйritoires pour que nous soyons conduits par elles а la bйatitude. Or, le mйrite ne peut venir que de la grвce. Il semble donc que les vertus soient causйes en nous par l’infusion de la grвce.

Rйponse :

[65772] De virtutibus, q. 1 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod praeter virtutes acquisitas ex actibus nostris, sicut iam dictum est, oportet ponere alias virtutes in homine a Deo infusas. Cuius ratio hinc accipi potest, quod virtus, ut dicit philosophus, est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Secundum igitur quod bonum diversificatur in homine, oportet etiam quod et virtus diversificetur; sicut patet quod aliud est bonum hominis in quantum et homo, et aliud in quantum civis. Et manifestum est quod aliquae operationes possent esse convenientes homini in quantum est homo, quae non essent convenientes ei secundum quod est civis. Et propter hoc philosophus dicit in III Politic., quod alia est virtus quae facit hominem bonum, et alia quae facit civem bonum. Considerandum est autem, quod est duplex hominis bonum; unum quidem quod est proportionatum suae naturae; aliud autem quod suae naturae facultatem excedit. Cuius ratio est, quia oportet quod passivum consequatur perfectiones ab agente diversimode secundum diversitatem virtutis agentis; unde videmus quod perfectiones et formae quae causantur ex actione naturalis agentis, non excedunt naturalem facultatem recipientis : potentiae enim passivae naturali proportionatur virtus activa naturalis. Sed perfectiones et formae quae proveniunt ab agente supernaturali infinitae virtutis, quod Deus est, excedunt facultatem naturae recipientis. Unde anima rationalis, quae immediate a Deo causatur, excedit capacitatem suae materiae, ita quod materia corporalis non totaliter potest comprehendere et includere ipsam; sed remanet aliqua virtus eius et operatio in qua non communicat materia corporalis; quod non contingit de aliqua aliarum formarum quae causantur ab agentibus naturalibus. Sicut autem homo suam primam perfectionem, scilicet animam, acquirit ex actione Dei; ita et ultimam suam perfectionem, quae est perfecta hominis felicitas, immediate habet a Deo, et in ipso quiescit : quod quidem ex hoc patet quod naturale hominis desiderium in ullo alio quietari potest, nisi in solo Deo. Innatum est enim homini ut ex causatis desiderio quodam moveatur ad inquirendum causas; nec quiescit istud desiderium quousque perventum fuerit ad primam causam, quae Deus est. Oportet igitur quod, sicut prima perfectio hominis, quae est anima rationalis, excedit facultatem materiae corporalis; ita ultima perfectio ad quam homo potest pervenire, quae est beatitudo vitae aeternae, excedat facultatem totius humanae naturae. Et quia unumquodque ordinatur ad finem per operationem aliquam; et ea quae sunt ad finem, oportet esse aliqualiter fini proportionata; necessarium est esse aliquas hominis perfectiones quibus ordinetur ad finem supernaturalem, quae excedant facultatem principiorum naturalium hominis. Hoc autem esse non posset, nisi supra principia naturalia aliqua supernaturalia operationum principia homini infundantur a Deo. Naturalia autem operationum principia sunt essentia animae, et potentiae eius, scilicet intellectus et voluntas, quae sunt principia operationum hominis, in quantum huiusmodi; nec hoc esse posset, nisi intellectus haberet cognitionem principiorum per quae in aliis dirigeretur, et nisi voluntas haberet naturalem inclinationem ad bonum naturae sibi proportionatum; sicut in praecedenti quaestione dictum est. Infunditur igitur divinitus homini ad peragendas actiones ordinatas in finem vitae aeternae primo quidem gratia, per quam habet anima quoddam spirituale esse, et deinde fides, spes et caritas; ut per fidem intellectus illuminetur de aliquibus supernaturalibus cognoscendis, quae se habent in isto ordine sicut principia naturaliter cognita in ordine connaturalium operationum; per spem autem et caritatem acquirit voluntas quamdam inclinationem in illud bonum supernaturale ad quod voluntas humana per naturalem inclinationem non sufficienter ordinatur. Et sicut praeter ista principia naturalia requiruntur habitus virtutum ad perfectionem hominis secundum modum sibi connaturalem, ut supra dictum est; ita ex divina influentia consequitur homo, praeter praemissa supernaturalia principia, aliquas virtutes infusas, quibus perficitur ad operationes ordinandas in finem vitae aeternae.

En plus des vertus acquises par nos actes, comme on l’a dйjа dit, il est nйcessaire d’admettre d’autres vertus infusйes dans l’homme par Dieu. La raison peut en кtre saisie а partir du fait que, comme le dit le Philosophe, c’est la vertu qui rend bon celui qui la possиde et qui rend bon son acte. Selon que le bien se diffйrencie dans l’homme, il est donc nйcessaire que la vertu aussi se diffйrencie, comme il est clair qu’il existe un bien de l’homme en tant qu’homme, et un autre en tant qu’il est citoyen. Et il est clair que certaines opйrations peuvent convenir а l’homme en tant qu’il est homme, qui ne lui conviendraient pas en tant qu’il est citoyen. Pour cette raison, le Philosophe dit, dans Politique, III, qu’autre est la vertu qui rend l’homme bon, et autre celle qui fait le bon citoyen. Or, il faut observer qu’il existe un double bien de l’homme : l’un qui est proportionnй а sa nature; l’autre qui dйpasse la capacitй de sa nature. La raison en est qu’il est nйcessaire que ce qui reзoit reзoive les perfections de l’agent de maniиre diffйrente selon la diversitй de la puissance de l’agent. Ainsi voyons-nous que les perfections et les formes qui sont causйes par l’action d’un agent naturel ne dйpassent pas la capacitй naturelle de ce qui reзoit : en effet, la puissance active naturelle est proportionnйe а la puissance passive naturelle. Or, les perfections et les formes qui viennent d’un agent surnaturel d’une puissance infinie, qui est Dieu, dйpassent la capacitй de la nature de celui qui reзoit. Aussi l’вme raisonnable, qui est immйdiatement causйe par Dieu, dйpasse-t-elle la capacitй de sa matiиre, de telle sorte que la matiиre corporelle ne peut l’embrasser et l’enclore totalement, mais qu’il demeure en elle une certaine puissance et opйration que ne partage pas la matiиre corporelle; ce qui ne se produit pas pour l’une des autres formes qui sont causйes par les agents naturels. De mкme donc que l’homme reзoit sa premiиre perfection, а savoir, son вme, par l’action de Dieu, de mкme, tient-il immйdiatement de Dieu et se repose-t-il en lui pour sa perfection ultime, qui est la parfaite fйlicitй de l’homme. Pour sыr, cela ressort clairement dans le fait que le dйsir naturel de l’homme ne peut se reposer en personne d’autre qu’en Dieu seul. En effet, il est innй а l’homme d’кtre mы par un certain dйsir а rechercher la cause а partir des choses causйes, et ce dйsir ne se repose pas avant d’кtre parvenu а la cause premiиre, qui est Dieu. Il est donc nйcessaire que, de mкme que la premiиre perfection de l’homme, qui est l’вme raisonnable, dйpasse la capacitй de la matiиre corporelle, de mкme, la perfection ultime а la quelle l’homme peut parvenir, et qui est la bйatitude de la vie йternelle, dйpasse la capacitй de toute la nature humaine. Et parce que toute chose est ordonnйe а sa fin par une opйration, et que ce qui est ordonnй а une fin doit d’une certaine maniиre кtre proportionnй а la fin, il est nйcessaire qu’il existe certaines perfections de l’homme par lesquelles il est sera ordonnй а sa fin surnaturelle, [perfections] qui dйpassent la capacitй des principes naturels de l’homme. Or, cela ne peut se faire que si, en plus des principes naturels, certains principes surnaturels de ses opйrations sont infusйs dans l’homme par Dieu. Or, les principes naturels des opйrations sont l’essence de l’вme et ses puissances, а savoir, l’intellect et la volontй, qui sont les principes des opйrations de l’homme en tant que tel; et cela ne pourrait pas non plus exister si l’intellect n’avait une connaissance des principes par lesquels elle sera dirigйe vers d’autres choses, et si la volontй n’avait une inclination naturelle au bien naturel qui lui est proportionnй, comme on l’a dit dans la question prйcйdente. Premiиrement, Dieu infuse donc dans l’homme, pour qu’il accomplise les actions ordonnйes а la fin de la vie йternelle, la grвce, par laquelle l’вme obtient, en quelque sorte, d’exister spirituellement; puis la foi, l’espйrance et la charitй, afin que, par la foi, l’intellect soit йclairй sur certaines rйalitйs surnaturelles qu’il doit connaоtre, qui jouent dans cet ordre le rфle des principes connus naturellement dans l’ordre des opйrations connaturelles; par l’espйrance et par la charitй, la volontй acquiert une certaine inclination vers ce bien surnaturel auquel la volontй humaine n’est pas suffisamment ordonnйe par inclination naturelle. Et de mкme qu’en plus de ces principes naturels, sont requis les habitus des vertus pour la perfection de l’homme selon un mode qui lui est connaturel, comme on l’a dit plus haut, de mкme, par une imprйgnation [influentia] divine, l’homme obtient-il, en plus des principes surnaturels dйjа mentionnйs, des vertus infuses, par lesquelles il est perfectionnй en vue d’ordonner ses opйrations vers la fin de la vie йternelle.

Solutions :

[65773] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut secundum primam perfectionem homo est perfectus dupliciter; uno modo secundum nutritivam et sensitivam, quae quidem perfectio non excedit capacitatem materiae corporalis; alio modo secundum partem intellectivam, quae naturalem et corporalem excedit : et secundum hanc simpliciter est homo perfectus, primo autem modo secundum quid; ita et quantum ad perfectionem finis, dupliciter homo potest esse perfectus : uno modo secundum capacitatem suae naturae, alio modo secundum quamdam supernaturalem perfectionem : et sic dicitur homo perfectus esse simpliciter; primo autem modo secundum quid. Unde duplex competit virtus homini; una quae respondet primae perfectioni, quae non est completa virtus; alia quae respondet suae perfectioni ultimae : et haec est vera et perfecta hominis virtus.

1. Selon la premiиre perfection de l’homme, l’homme est parfait de deux maniиres : l’une, selon [les parties] nutritive et sensible, perfection qui ne dйpasse pas la capacitй de la matiиre corporelle; l’autre, selon la partie intellective, qui dйpasse [la partie] naturelle et corporelle, l’homme йtant, selon celle-ci, tout simplement parfait, alors que, selon le premier mode, [il ne l’est que] de maniиre relative. De mкme, quant а la perfection de la fin, l’homme peut кtre parfait de deux maniиres : l’une, selon la capacitй de sa nature; l’autre, selon une certaine perfection surnaturelle. De cette [seconde] maniиre, l’homme est appelй tout simplement parfait, mais de la premiиre maniиre, de maniиre relative. Aussi une double vertu se rencontre-t-elle chez l’homme : l’une, qui rйpond а la premiиre perfection, qui n’est pas un vertu complиte; l’autre, qui rйpond а sa perfection ultime, et celle-ci est la vйritable et parfaite vertu de l’homme.

[65774] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura providit homini in necessariis secundum suam virtutem; unde respectu eorum quae facultatem naturae non excedunt, habet homo a natura non solum principia receptiva, sed etiam principia activa. Respectu autem eorum quae facultatem naturae excedunt, habet homo a natura aptitudinem ad recipiendum.

2. La nature pourvoit l’homme du nйcessaire selon sa nature. Aussi, par rapport а ce qui ne dйpasse pas la capacitй de la nature, l’homme possиde-t-il par nature, non seulement des principes rйceptifs, mais aussi des principes actifs. Mais par rapport а ce qui dйpasse la capacitй de la nature, l’homme reзoit de la nature une aptitude а recevoir.

[65775] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod semen hominis agit secundum totam virtutem hominis. Semina autem virtutum animae humanae naturaliter indita non agunt secundum totam virtutem Dei; unde non sequitur quod ex eis possit causari quidquid potest causare Deus.

3. La semence de l’homme agit selon toute la puissance de l’homme. Mais les semences naturellement innйes des vertus de l’вme humaine n’agissent pas selon toute la puissance de Dieu. Aussi n’en dйcoule-t-il pas que puisse кtre causй par elles tout ce que Dieu peut causer.

[65776] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum nullum meritum sit sine caritate, actus virtutis acquisitae, non potest esse meritorius sine caritate. Cum caritate autem simul infunduntur aliae virtutes; unde actus virtutis acquisitae non potest esse meritorius nisi mediante virtute infusa. Nam virtus ordinata in finem inferiorem non facit actus ordinatum ad finem superiorem, nisi mediante virtute superiori; sicut fortitudo, quae est virtus hominis qua homo, non ordinat actum suum ad bonum politicum, nisi mediante fortitudine quae est virtus hominis in quantum est civis.

4. Comme il n’existe aucun mйrite sans la charitй, l’acte de la vertu acquise ne peut кtre mйritoire sans la charitй. Mais, avec la charitй, sont infusйes les autres vertus; aussi l’acte de la vertu acquise ne peut-il кtre mйritoire que par l’intermйdiaire de la vertu infuse. Car la vertu ordonnйe а une fin infйrieure ne produit pas un acte ordonnй а une fin supйrieure, si ce n’est par l’intermйdiaire d’une vertu supйrieure, comme la force, qui est une vertu de l’homme en tant qu’homme, n’ordonne son acte au bien politique que par l’intermйdiaire de la force qui une vertu de l’homme en tant que citoyen.

[65777] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando aliqua actio procedit ex pluribus agentibus ad invicem ordinatis, eius perfectio et bonitas impediri potest per impedimentum unius agentium, etiam si aliud fuerit perfectum : quantumcumque enim artifex sit perfectus, non faciet operationem perfectam, si instrumentum fuerit defectivum. In operationibus autem hominis quas oportet bonas fieri per virtutem, hoc considerandum est : quod actio superioris potentiae non dependet ab inferiori potentia; sed actio inferioris dependet a superiori. Et ideo ad hoc quod actus inferiorum virium sint perfecti, scilicet irascibilis et concupiscibilis, requiritur quod non solum intellectus sit ordinatus in finem ultimum per fidem, et voluntas per caritatem; sed etiam quod inferiores vires, scilicet irascibilis et concupiscibilis, habeant proprias operationes, ad hoc quod earum actus sint boni, et ordinabiles in finem ultimum.

5. Lorsqu’une action est issue de plusieurs agents ordonnйs les uns aux autres, sa perfection et sa bontй peuvent кtre empкchйes par l’empкchement d’un seul des agents, mкme si un autre est parfait : en effet, aussi parfait que soit l’artisan, il ne fera pas une opйration parfaite si l’instrument est dйficient. Or, dans les opйrations de l’homme qui peuvent кtre rendues bonnes par la vertu, il faut observer que l’action de la puissance supйrieure ne dйpend pas d’une puissance infйrieure, mais que l’action d’une [puissance] infйrieure dйpend d’une [puissance] supйrieure. C’est pourquoi, pour que les actes des puissances infйrieures, а savoir, l’irascible et le concupiscible, soient parfaits, il est nйcessaire, non seulement que la foi soit ordonnйe а la fin ultime par la foi et la volontй par la charitй, mais aussi que les puissances infйrieures, а savoir l’irascible et le concupiscible, aient leurs opйrations propres, pour que leurs actes soient bons et puissent кtre ordonnйs а la fin ultime.

[65778] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 6 Unde etiam patet solutio ad sextum.

6. La solution а la sixiиme objection est ainsi claire.

 [65779] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omnem formam quam operatur natura, potest etiam eamdem specie Deus operari per seipsum sine operatione naturae : et secundum hoc, sanitas quae a Deo miraculose perficitur, est eiusdem speciei cum sanitate quam facit natura. Unde non sequitur quod omnem formam quam Deus potest facere, possit etiam natura perficere; unde non oportet quod virtus infusa, quae est immediate a Deo, sit eiusdem speciei cum virtute acquisita.

7. Dieu peut rйaliser par lui-mкme, sans opйration de la nature, toute forme que la nature rйalise. Et ainsi, la santй qui est miraculeusement rйalisйe par Dieu est de la mкme espиce que la santй que rйalise la nature. Aussi n’en dйcoule-t-il pas que la nature puisse rйaliser toute forme que Dieu peut faire. Il n’est pas nйcessaire que la vertu infuse, qui vient immйdiatement de Dieu, soit de la mкme espиce que la vertu acquise.

[65780] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod temperantia infusa et acquisita conveniunt in materia, utraque enim est circa delectabilia tactus; sed non conveniunt in forma effectus vel actus : licet enim utraque quaerat medium, tamen alia ratione requirit medium temperantia infusa quam temperantia acquisita. Nam temperantia infusa exquirit medium secundum rationes legis divinae, quae accipiuntur ex ordine ad ultimum finem; temperantia autem acquisita accipit medium secundum inferiores rationes, in ordine ad bonum praesentis vitae.

8. La temperance infuse et [la tempйrance] acquise ont en commun une matiиre : en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Mais elles n’ont pas en commun la forme de l’effet ou de l’acte. En effet, bien que les deux recherchent un milieu, la tempйrance infuse recherche un milieu pour une autre raison que la tempйrance acquise. Car la tempйrance infuse recherche un milieu selon les raisons de la loi divine, qui sont prises de l’ordre а la fin ultime; mais la tempйrance acquise reзoit un milieu selon des raison infйrieures, par rapport au bien de la vie prйsente.

[65781] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ultimus finis non dat speciem in moralibus nisi quatenus in fine proximo est debita proportio ad ultimum finem; oportet enim ea quae sunt ad finem, esse proportionata fini. Et hoc etiam bonitas consilii requirit, ut quis convenienti medio finem sortiatur, ut patet per philosophum VI Metaph.

9. La fin ultime ne donne pas l’espиce en matiиre morale si ce n’est dans la mesure oщ, dans la fin prochaine, existe une proportion adйquate а la fin ultime : en effet, il est nйcessaire que ce qui est ordonnй а la fin soit proportionnй а la fin. Et la bontй du conseil exige aussi cela, afin que quelqu’un atteigne la fin par un moyen convenable, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Mйtaphysique, VI.

[65782] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod actus alicuius habitus, prout imperatur ab illo habitu, accipit quidem speciem moralem, formaliter loquendo, de ipso actu; unde cum quis fornicatur ut furetur, actus iste licet materialiter sit intemperantiae, tamen formaliter est avaritiae. Sed licet actus intemperantiae accipiat aliqualiter speciem, prout imperatur ab avaritia; non tamen ex hoc intemperantia speciem accipit secundum quod actus est ab avaritia imperatus. Ex hoc ergo quod actus temperantiae vel fortitudinis imperantur a caritate ordinante eos in ultimum finem; ipsi quidem actus formaliter speciem sortiuntur : nam formaliter loquendo fiunt actus caritatis; non tamen ex hoc sequeretur quod temperantia vel fortitudo speciem sortiantur. Non igitur temperantia et fortitudo infusae differunt specie ab acquisitis ex hoc quod imperantur a caritate earum actus; sed ex hoc quod earum actus secundum eam rationem sunt in medio constituti, prout ordinabiles ad ultimum finem qui est caritatis obiectum.

10. L’acte d’un habitus, pour autant qu’il est commandй par cet habitus, reзoit son espиce morale, а parler formellement, de l’acte lui-mкme. Aussi, lorsque quelqu’un fornique en vue de voler, cet acte, bien qu’il soit matйriellement un acte d’intempйrance, est cependant formellement un acte d’avarice. Mais bien que l’acte d’intempйrance reзoive d’une certaine faзon son espиce pour autant qu’il est commandй par l’avarice, l’intempйrance ne reзoit cependant pas son espиce par le fait que l’acte est commandй par l’avarice. Du fait qu’un acte de tempйrance ou de force est commandй par la charitй qui les ordonne а la fin ultime, ces actes mкmes reзoivent formellement leur espаce, car, а parler formellement, ils deviennent des actes de charitй; toutefois il n’en dйcoulerait pas que la tempйrance ou la force en reзoivent leur espиce. La tempйrance et la force infuses ne diffиrent donc pas spйcifiquement de [la tempйrance et de la force] acquises par le fait que leurs actes sont commandйs par la charitй, mais par le fait que leurs actes sont йtablis selon la raison dans un milieu, consitant en ce qu’ils peuvent кtre ordonnйs а la fin ultime qui est l’objet de la charitй.

[65783] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod temperantia infusa est in irascibili, irascibilis autem et concupiscibilis sic accipiunt nomen rationis vel rationalis, in quantum participant aliqualiter ratione, in quantum obediunt ei. Illa ergo secundum eumdem modum accipiunt nomen mentis, prout obediunt menti; ut verum sit quod Augustinus dicit, quod virtus infusa est bona qualitas mentis.

11. La tempйrance infuse se trouve dans l’irascible, mais l’irascible et le concupiscible prennent le nom de raison ou de raisonnable pour autant qu’ils participant d’une certaine maniиre а la raison, dans la mesure oщ ils lui obйissent. De la mкme maniиre, les choses qui obйissent а l’esprit prennent le nom d’esprit, de sorte que ce que dit Augustin est vrai, que la vertu infuse est une bonne qualitй de l’esprit.

[65784] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod vitium hominis est per hoc quod ad inferiora reducitur; sed virtus eius est per hoc quod in superiora elevatur; et ideo vitium non potest esse ex infusione, sed solum virtus.

12. Le vice de l’homme consiste en ce qu’il soit ramenй aux choses infйrieures. Mais sa vertu consiste en ce par quoi il est йlevй aux choses supйrieures. C’est pourquoi il ne peut y avoir de vice par infusion, mais seulement une vertu.

[65785] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quando aliquod passivum natum est consequi diversas perfectiones a diversis agentibus ordinatis, secundum differentiam et ordinem potentiarum activarum in agentibus, est differentia et ordo potentiarum passivarum in passivo; quia potentiae passivae respondet potentia activa : sicut patet quod aqua vel terra habet aliquam potentiam secundum quam nata est moveri ab igne; et aliam secundum quam nata est moveri a corpore caelesti; et ulterius aliam secundum quam nata est moveri a Deo. Sicut enim ex aqua vel terra potest aliquid fieri virtute corporis caelestis, quod non potest fieri virtute ignis; ita ex eis potest aliquid fieri virtute supernaturalis agentis quod non potest fieri virtute alicuius naturalis agentis; et secundum hoc dicimus, quod in tota creatura est quaedam obedientialis potentia, prout tota creatura obedit Deo ad suscipiendum in se quidquid Deus voluerit. Sic igitur et in anima est aliquid in potentia, quod natum est reduci in actum ab agente connaturali; et hoc modo sunt in potentia in ipsa virtutes acquisitae. Alio modo aliquid est in potentia in anima quod non est natum educi in actum nisi per virtutem divinam; et sic sunt in potentia in anima virtutes infusae.

13. Lorsque ce qui est passif est destinй а recevoir diverses perfections de divers agents ordonnйs, il existe dans ce qui est passif une diffйrence et un ordre entre les puissances passives, conforme а la diffйrence et а l’ordre des puissances actives, car la puissance active correspond а la puissance passive. Ainsi, il est clair que l’eau ou la terre possиdent une certaine puissance qui les destine а кtre mues par le feu, une autre selon laquelle elles sont destinйes а кtre mues par un corps cйleste, et une autre encore selon laquelle elles sont destinйes а кtre mues par Dieu. En effet, de mкme que quelque chose peut кtre fait а partir de l’eau ou de la terre par la puissance d’un corps cйleste, qui ne peut кtre rйalisй par la puissance du feu, de mкme quelque chose peut кtre rйalisй par la puissance d’un agent surnaturel, qui ne peut кtre accompli par la puissance d’un agent naturel. Pour cette raison, nous disons qu’en toute crйature, existe une certaine puissance obйdientielle, au sens oщ toute crйature obйit а Dieu pour recevoir en elle tout ce que Dieu voudra. Ainsi donc, il existe aussi dans l’вme quelque chose en puissance, qui est destinй а кtre amenй а l’acte par un agent connaturel, et, de cette maniиre, les vertus acquises existent en puissance en elle. D’une autre maniиre, il existe dans l’вme quelque chose qui n’est destinй а кtre amenй а l’acte que par la puissance divine, et ainsi existent dans l’вme les vertus infuses.

[65786] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod passiones ad malum inclinantes non totaliter tolluntur neque per virtutem acquisitam neque per virtutem infusam, nisi forte miraculose; quia semper remanet colluctatio carnis contra spiritum, etiam post moralem virtutem; de qua dicit apostolus, Gal., V, 17, quod caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem. Sed tam per virtutem acquisitam quam infusam huiusmodi passiones modificantur, ut ab his homo non effrenate moveatur. Sed quantum ad aliquid praevalet in hoc virtus acquisita, et quantum ad aliquid virtus infusa. Virtus enim acquisita praevalet quantum ad hoc quod talis impugnatio minus sentitur. Et hoc habet ex causa sua : quia per frequentes actus quibus homo est assuefactus ad virtutem, homo iam dissuevit talibus passionibus obedire, cum consuevit eis resistere; ex quo sequitur quod minus earum molestias sentiat. Sed praevalet virtus infusa quantum ad hoc quod facit quod huiusmodi passiones etsi sentiantur, nullo tamen modo dominentur. Virtus enim infusa facit quod nullo modo obediatur concupiscentiis peccati; et facit hoc infallibiliter ipsa manente. Sed virtus acquisita deficit in hoc, licet in paucioribus, sicut et aliae inclinationes naturales deficiunt in minori parte; unde apostolus, Rom., VII, 5 : cum essemus in carne, passiones peccatorum quae per legem erant, operabantur in membris nostris, ut fructificarent morti; nunc autem soluti sumus a lege mortis in qua detinebamur, ita ut serviamus in novitate spiritus, et non in vetustate litterae.

14. Les passions qui inclinent au mal ne sont totalement enlevйes ni par la vertu acquise, ni par la vertu infuse, si ce n’est par miracle; car la lutte de la chair contre l’esprit demeure toujours, mкme aprиs la vertu morale. L’Apфtre Paul en parle dans Ga 5, 17 : La chair convoite а l’encontre de l’esprit, mais l’esprit contre la chair. Mais ces passions sont rйglйes tant par la vertu acquise que par [la vertu] infuse, de sorte que l’homme ne soit pas mы par elles de maniиre effrйnйe. Mais, sur un point, la vertu acquise l’emporte, et sur un autre, la vertu infuse. En effet, la vertu acquise l’emporte parce qu’elle fait en sorte que ce combat est moins ressenti. Et elle tient cela de sa cause, car par les actes frйquents par lesquels l’homme s’est accoutumй а la vertu, l’homme a ainsi perdu l’habitude d’obйir а ces passions, puisqu’il a pris l’habitude de leur rйsister, d’oщ il dйcoule qu’il ressent moins leurs tourments. Mais la vertu infuse l’emporte parce qu’elle fait en sorte que mкme si ces passions sont ressenties, toutefois elles ne l’emportent aucunement. En effet, la vertu infuse fait qu’on n’obйit aucunement aux convoitises du pйchй, et elle fait cela d’une maniиre infaillible aussi longtemps qu’elle demeure. Mais la vertu acquise est dйficiente sur ce point, bien que chez un plus petit nombre, comme sont dйficientes les autres inclinations naturelles chez une minoritй. Aussi l’Apфtre dit-il en Rm 7, 5 : Lorsque nous йtions dans la chair, les passions des pйchйs, qui existaient en raison de la loi, agissaient dans nos membres pour porter un fruit de mort. Mais maintenant, nous sommes libйrйs de la loi de mort par laquelle nous йtions dйtenus, afin de servir dans la nouveautй de l’esprit, et non dans la vйtustй de la lettre.

[65787] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod quia a principio virtus infusa non semper ita tollit sensum passionum sicut virtus acquisita, propter hoc a principio non ita delectabiliter operatur. Non tamen hoc est contra rationem virtutis, quia quandoque ad virtutem sufficit sine tristitia operari; nec requiritur quod delectabiliter operetur propter molestias quae sentiuntur; sicut philosophus dicit III Ethic., quod forti sufficit sine tristitia operari.

15. Parce qu’au dйbut, la vertu infuse n’enlиve pas autant la perception des passions que la vertu acquise, pour cette raison, elle n’est pas accomplie aussi agrйablement au dйbut. Toutefois, cela ne va pas а l’encontre de la raison de vertu, car il suffit parfois pour la vertu d’agir sans tristesse, et il n’est pas nйcessaire d’agir avec plaisir, en raison des dйsagrйments qui sont йprouvйs. Ainsi, le Philosophe dit, dans Йthique, III, qu’il suffit pour le fort d’agir sans tristesse.

[65788] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet per actum unum simplicem non corrumpatur habitus acquisitus, tamen actus contritionis habet quod corrumpat habitum vitii generatum ex virtute gratiae; unde in eo qui habuit habitum intemperantiae, cum conteritur, non remanet cum virtute temperantiae infusa habitus intemperantiae in ratione habitus, sed in via corruptionis, quasi dispositio quaedam. Dispositio autem non contrariatur habitui perfecto.

16. Bien que l’habitus acquis ne soit pas corrompu par un seul acte propre, l’acte de contrition fait cependant en sorte de corrompre, par la puissance de la grвce, l’habitus du vice engendrй. Aussi, chez celui qui avait l’habitus d’intempйrance, lorsqu’il est contrit, l’habitus d’intempйrance ne reste-t-elle pas selon la raison d’habitus avec la vertu infuse de tempйrance, mais comme tendance а la corruption, comme une certaine disposition. Or, une disposition n’est pas contraire а un habitus parfait.

[65789] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet virtus infusa non causetur ex actibus, tamen actus possunt ad eam disponere; unde non est inconveniens quod per actus corrumpatur; quia per indispositionem materiae tollitur forma, sicut propter indispositionem corporis anima separatur.

17. Bien que la vertu infuse ne soit pas causйe par des actes, toutefois des actes peuvent y disposer. Aussi n’est-il pas inconvenant qu’elle soit corrompue par des actes, car la forme est enlevйe par l’indisposition de la matiиre, de mкme qu’en raison de l’indisposition du corps, l’вme est sйparйe.

[65790] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod virtus moralis non dicitur a more secundum quod mos non significat consuetudinem appetitivae virtutis; secundum hoc enim virtutes infusae possent dici morales, licet non causentur ex consuetudine.

18. Une vertu n’est pas appelйe morale а partir de mos [habitude], au sens oщ mos ne signifie pas une habitude de la puissance appйtitive. En effet, si tel йtait le cas, les vertus infuses pourraient кtre dites morales, bien qu’elles ne soient pas causйes par une habitude.

[65791] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod actus virtutis infusae non causant aliquem habitum, sed per eos augetur habitus praeexistens : quia nec ex actibus virtutis acquisitae aliquis habitus generatur; alias multiplicarentur habitus in infinitum.

19. Les actes de la vertu infuse ne causent pas d’habitus, mais l’habitus prйexistant est augmentй par eux, car un habitus n’est pas non plus engendrй par les actes de la vertu acquise. Autrement, les habitus seraient multipliйs а l’infini.

 

Articulus 11 : [65792] De virtutibus, q. 1 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum virtus infusa augeatur

Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentйe ?

Objections :

[65793] De virtutibus, q. 1 a. 11 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65794] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 1 Nihil enim augetur nisi quantum. Virtus autem non est quantitas, sed qualitas. Ergo non augetur.

1. Rien n’est augmentй qui ne soit une quantitй. Or, la vertu n’est pas une quantitй, mais une qualitй. Elle n’est donc pas augmentйe.

 [65795] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 2 Praeterea, virtus est forma accidentalis. Sed forma est simplicissima et invariabili essentia consistens. Ergo virtus non variatur secundum suam essentiam; ergo nec secundum essentiam augetur.

2. La vertu est une forme accidentelle. Or, la forme a une essence trиs simple et invariable. La vertu ne varie donc pas selon son essence. Elle n’est donc pas augmentйe pas non plus selon son essence.

[65796] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 3 Praeterea, quod augetur movetur. Quod igitur secundum essentiam augetur, secundum essentiam movetur. Sed quod mutatur secundum suam essentiam, corrumpitur vel generatur. Sed generatio et corruptio sunt mutationes in substantia. Ergo caritas non augetur per essentiam, nisi cum corrumpitur vel generatur.

3. Ce qui est augmentй est mы. Ce qui est augmentй selon son essence est donc mы selon son essence. Or, ce qui est changй selon son essence est corrompu ou engendrй. Or, la gйnйration et la corruption sont des changements de substance. La charitй n’est donc pas augmentйe selon son essence, si ce n’est lorsqu’elle est corrompue ou engendrйe.

 [65797] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 4 Praeterea, essentialia non augentur nec minuuntur. Manifestum est autem quod essentia virtutis est essentialis. Ergo virtus secundum essentiam non augetur.

4. Les йlйments essentiels ne sont ni augmentйs ni diminuйs. Or, il est clair que l’essence de la vertu est essentielle. La vertu n’est donc pas augmentйe selon son essence.

[65798] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 5 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Augmentum autem et diminutio sunt contraria. Ergo nata sunt fieri circa idem. Virtus autem infusa non diminuitur : quia neque diminuitur per actum virtutis, quia per eum magis roboratur; neque per actum peccati venialis, quia sic multa peccata venialia tollerent totaliter caritatem et alias virtutes infusas, quod est impossibile; sic enim multa venialia aequipollerent uni peccato mortali; neque etiam minuitur per peccatum mortale : quia mortale peccatum tollit caritatem et alias virtutes infusas. Ergo virtus infusa non augetur.

5. Les contraires sont destinйs а se produire а propos de la mкme chose. Or, l’augmentation et la diminution sont des contraires. Ils sont donc destinйs а se produire а propos de la mкme chose. Or, la vertu infuse n’est pas diminuйe, car elle n’est pas diminuйe par un acte de vertu, puisque, par celui-ci, elle est plutфt renforcйe; ni par un acte de pйchй vйniel, car ainsi de multiples pйchйs vйniels enlиveraient totalement la charitй et les autres vertus infuses, ce qui est impossible, car de multiples pйchйs vйniels йquivaudraient а un seul pйchй mortel, puisque le pйchй mortel enlиve la charitй et les autres vertus infuses. La vertu infuse n’augmente donc pas.

[65799] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 6 Praeterea, simile simili augetur, ut dicitur in II de anima. Si ergo virtus infusa augetur, oportet quod augeatur per additionem virtutis. Sed hoc non potest esse, quia virtus simplex est. Simplex autem simplici additum non facit maius; sicut punctum additum puncto non facit lineam maiorem. Ergo virtus infusa augeri non potest.

6. Le semblable est augmentй par le semblable, comme il est dit dans Sur l’вme, II. Si la vertu infuse est augmentйe, il faut donc qu’elle soit augmentйe par l’addition d’une vertu. Mais cela ne peut pas кtre, car la vertu est simple. Or, le simple ajoutй au simple ne rend pas plus grand, comme le point ajoutй au point ne rend pas une ligne plus grande. La vertu infuse ne peut donc pas кtre augmentйe.

[65800] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 7 Praeterea, I de generatione dicitur, quod augmentum est praeexistentis magnitudinis additamentum. Si ergo virtus augetur, oportet quod aliquid sibi addatur; et sic erit magis composita, et magis recedens a divina similitudine, et per consequens minus bona; quod est inconveniens. Relinquitur ergo quod virtus non augetur.

7. Il est dit, dans Sur la gйnйration, I, que l’augmentation est une addition а une grandeur prйexistante. Si la vertu est augmentйe, il est donc nйcessaire que quelque chose lui soit ajoutй; elle sera ainsi composйe, s’йloignera davantage de la ressemblance divine et, par consйquent, sera moins bonne, ce qui est inacceptable. Il reste donc que la vertu n’est pas augmentйe.

[65801] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 8 Praeterea, omne quod augetur, movetur; omne quod movetur, est corpus; virtus non est corpus. Ergo non augetur.

8. Tout ce qui est augmentй est mы. Or, tout ce qui est mы est un corps, et la vertu n’est pas un corps. Elle n’est donc pas augmentйe.

[65802] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 9 Praeterea, cuius causa est invariabilis, et ipsum est invariabile. Sed causa virtutis infusae, quae est Deus, invariabilis est. Ergo virtus infusa est invariabilis; ergo non recipit magis et minus; et ita non augetur.

9. Ce dont la cause est invariable est lui aussi invariable. Or, la cause de la vertu infuse, qui est Dieu, est invariable. La vertu infuse est donc invariable. Elle ne reзoit donc pas du plus et du moins, et ainsi elle n’est pas augmentйe.

[65803] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 10 Praeterea, virtus est in genere habitus, sicut et scientia. Si ergo virtus augetur, oportet quod augeatur sicut et scientia augetur. Scientia autem augetur per multiplicationem obiectorum, prout scilicet ad plura se extendit. Sic autem non augetur virtus, ut patet in caritate : quia minima caritas se extendit ad omnia diligenda secundum caritatem. Ergo virtus nullo modo augetur.

10. La vertu se situe dans le genre habitus, comme la science. Si la vertu est augmentйe, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe comme la science. Or, la science est augmentйe par la multiplication des objets, dans la mesure oщ elle s’йtend а un plus grand nombre de choses. Or, la vertu n’est pas augmentйe de cette maniиre, comme cela ressort clairement pour la charitй, car la moindre charitй s’йtend а tout ce qui doit кtre aimй selon la charitй. La vertu n’est donc augmentйe d’aucune faзon.

[65804] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 11 Praeterea, si virtus augetur, oportet quod ad aliquam speciem motus, eius augmentum reducatur. Sed non potest reduci nisi ad alterationem, quae est motus in qualitate. Alteratio autem, secundum philosophum, VII Physic., non est in anima nisi secundum partem sensitivam : in qua non est caritas, neque plures aliarum virtutum infusarum. Ergo non omnis virtus infusa augetur.

11. Si la vertu est augmentйe, il est nйcessaire que son augmentation soit ramenйe а une espиce. Or, elle ne peut кtre ramenйe qu’а l’altйration, qui est un mouvement а l’intйrieur de la qualitй. Or, l’altйration, selon le Philosophe, dans Physique, VII, n’existe dans l’вme que selon la partie sensible, dans laquelle ne se trouvent pas la charitй, ni plusieurs des autres vertus infuses. Toute vertu infuse n’est donc pas augmentйe.

[65805] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 12 Praeterea, si virtus infusa augetur, oportet quod augeatur a Deo, qui eam causat. Si autem Deus eam auget, oportet quod hoc fiat per alium eius influxum. Sed novus influxus non potest esse, nisi sit nova virtus infusa. Ergo virtus infusa non potest augeri nisi per additionem novae virtutis. Sic autem non potest augeri, ut supra ostensum est. Ergo virtus infusa nullo modo augetur.

12. Si la vertu infuse est augmentйe, il est nйcessaire qu’elle soit augmentйe par Dieu, qui en est la cause. Or, si Dieu l’augmente, il est nйcessaire que cela se rйalise par une autre intervention de sa part. Or, il ne peut y avoir d’autre intervention sans qu’il n’y ait une autre vertu infuse. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe que par l’addition d’une autre vertu. Or, elle ne peut кtre augmentйe de cette maniиre, comme on l’a montrй plus haut. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe d’aucune faзon.

[65806] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 13 Praeterea, habitus maxime augentur ex actibus. Cum igitur virtus sit habitus; si augetur, maxime augetur per suum actum. Sed hoc non potest esse, ut videtur; cum actus egrediatur ab habitu. Nihil autem augetur per hoc quod aliquid ab eo egreditur, sed per hoc quod aliquid in eo recipitur. Ergo virtus nullo modo augetur.

13. Les habitus sont augmentйs principalement par les actes. Puisque la vertu est un habitus, si elle est augmentйe, elle sera augmentйe par son acte. Or, cela n’est pas possible, semble-t-il, puisque l’acte est issu de l’habitus. Or, rien n’est augmentй par le fait que quelque chose en est issu, mais par le fait que quelque chose y est reзu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre augmentйe.

[65807] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 14 Praeterea, omnes actus virtutis unius sunt rationis. Si igitur aliqua virtus per suum actum augetur, oportet quod per quemlibet actum augeatur; quod videtur esse falsum ex experimento : non enim experimur quod virtus in quolibet actu crescat.

14. Tous les actes de vertu ont une seule raison. Si une vertu est augmentйe par son acte, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe par n’importe quel acte, ce qui semble кtre faux d’aprиs l’expйrience : en effet, nous ne faisons pas l’expйrience qu’une vertu soit augmentйe par n’importe quel acte.

[65808] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 15 Praeterea, illud cuius ratio in superlativo consistit, non potest augeri : optimo enim non est aliquid melius, nec albissimo est aliquid albius. Sed ratio virtutis in superlatione consistit : est enim virtus ultimum potentiae. Ergo virtus non potest augeri.

15. Ce dont la raison consiste dans le superlatif ne peut кtre augmentй : en effet, rien n’est meilleur que ce qui est le meilleur, et rien n’est plus blanc que ce qui est le plus blanc. Or, la raison de vertu consiste dans le superlatif : en effet, la vertu est le point ultime d’une puissance. La vertu ne peut donc кtre augmentйe.

[65809] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 16 Praeterea, omne illud cuius ratio consistit in aliquo indivisibili, caret intensione et remissione; sicut forma substantialis, et numerus, et figura. Sed ratio virtutis consistit in quodam indivisibili : est enim in medietate consistens. Ergo virtus non intenditur neque remittitur.

16. L’intensitй et la diminution font dйfaut а tout ce dont la raison consiste dans quelque chose d’indivisible, tels une forme substantielle, un nombre et une figure. Or, la raison de vertu consiste dans quelque chose d’indivisible : en effet, elle consiste dans un milieu. La vertu n’a donc ni intensitй ni diminution.

[65810] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 17 Praeterea, nullum infinitum potest augeri; quia infinito non est aliquid magis. Sed virtus infusa est infinita, quia per eam meretur homo infinitum bonum, scilicet Deum. Ergo virtus infusa augeri non potest.

17. Aucun infini ne peut кtre augmentй, car il n’y a rien de plus que l’infini. Or, la vertu infuse est infinie, car l’homme mйrite par elle un bien infini, а savoir, Dieu. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe.

[65811] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 18 Praeterea, nulla res procedit ultra suam perfectionem, quia perfectio est terminus rei. Sed virtus est perfectio habentis eam; dicitur enim VII Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Ergo virtus non augetur.

18. Aucune chose ne va au-delа de sa perfection, car la perfection est le terme d’une chose. Or, la vertu est la perfection de celui qui la possиde. En effet, il est dit dans Physique, VII, que la vertu est une disposition du parfait а ce qu’il y a de meilleur. La vertu n’est donc pas augmentйe.

 Cependant :

[65812] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I Petr., II, v. 2 : sicut modo geniti infantes, rationabiles et sine dolo, lac concupiscite, ut in eo crescatis in salutem. Non autem crescit aliquis in salutem nisi per augmentum virtutis, per quam homo in salutem ordinatur. Ergo virtus augetur.

1. Il est dit en 1 P 2, 2 : Comme des enfants nouveau-nйs, sans hypocrisie et sans ruse, dйsirez le lait afin de grandir par lui en vue du salut. Or, personne ne grandit en vue du salut que par l’augmentation de la vertu, par laquelle l’homme est ordonnй au salut. La vertu est donc augmentйe.

 [65813] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod caritas augetur, ut aucta mereatur et perfici.

2. Augustin dit que la charitй est augmentйe, afin que, par son accroissement, nous mйritions de devenir parfaits.

 Rйponse :

[65814] De virtutibus, q. 1 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod multis error accidit circa formas ex hoc quod de eis iudicant sicut de substantiis iudicatur. Quod quidem ex hoc contingere videtur, quod formae per modum substantiarum signantur in abstracto, ut albedo, vel virtus, aut aliquid huiusmodi; unde aliqui modum loquendi sequentes, sic de eis iudicant ac si essent substantiae. Et ex hinc processit error tam eorum qui posuerunt latitationem formarum, quam eorum qui posuerunt formas esse a creatione. Aestimaverunt enim quod formis competeret fieri sicut competit substantiis; et ideo non invenientes ex quo formae generentur, posuerunt eas vel creari, vel praeexistere in materia; non attendentes, quod sicut esse non est formae, sed subiecti per formam, ita nec fieri, quod terminatur ad esse, est formae, sed subiecti. Sicut enim forma ens dicitur, non quia ipsa sit, si proprie loquamur, sed quia aliquid ea est; ita et forma fieri dicitur, non quia ipsa fiat, sed quia ea aliquid fit : dum scilicet subiectum reducitur de potentia in actum. Sic autem et circa augmentum qualitatum accidit; de quo aliqui locuti sunt ac si qualitates et formae substantiae essent. Substantia autem augeri dicitur, in quantum ipsa est subiectum motus quo pervenitur de minori quantitate in maiorem, qui motus augmenti dicitur. Et quia augmentum substantiae fit per additionem substantiae ad substantiam; quidam aestimaverunt, quod hoc modo caritas, sive quaelibet virtus infusa, augeatur per additionem caritatis ad caritatem, vel virtutis ad virtutem, aut albedinis ad albedinem : quod omnino stare non potest. Nam non potest intelligi additio unius ad alterum nisi praeintellecta dualitate. Dualitas autem in formis unius speciei non potest intelligi nisi per alietatem subiecti. Formae enim unius speciei non diversificantur numero nisi per subiectum. Si igitur qualitas additur qualitati, oportet alterum duorum esse : vel quod subiectum addatur subiecto, ut puta quod unum album addatur alteri albo; aut quod aliquid in subiecto fiat album, quod prius non fuit album, ut quidam posuerunt circa qualitates corporeas; quod etiam improbat philosophus in IV physicorum. Cum enim aliquid fit magis curvum, non curvatur aliquid quod prius curvum non fuit, sed totum fit magis curvum. Circa qualitates autem spirituales, quarum subiectum est anima, vel pars animae impossibile est etiam hoc fingere. Unde quidam alii dixerunt caritatem, et alias virtutes infusas, non augeri essentialiter; sed quod dicuntur augeri, vel in quantum radicantur fortius in subiecto, vel in quantum ferventius vel intensius operantur. Sed hoc quidem dictum aliquam rationem haberet, si caritas esset quaedam substantia habens per se esse absque substantia; unde et Magister sententiarum, aestimans caritatem esse aliquam substantiam, scilicet ipsum spiritum sanctum, non irrationabiliter hunc modum augmenti posuisse videtur. Sed alii, aestimantes caritatem esse qualitatem quamdam, penitus irrationabiliter sunt locuti. Nihil enim est aliud qualitatem aliquam augeri, quam subiectum magis participare qualitatem; non enim est aliquod esse qualitatis nisi quod habet in subiecto. Ex hoc autem ipso quod subiectum magis participat qualitatem, vehementius operatur; quia unumquodque agit in quantum est actu; unde quod magis est reductum in actum, perfectius agit. Ponere igitur quod aliqua qualitas non augeatur secundum essentiam, sed augeatur secundum radicationem in subiecto, vel secundum intensionem actus, est ponere contradictoria esse simul. Et ideo considerandum restat quomodo aliquae qualitates et formae augeri dicuntur; et quae sunt quae augeri possunt. Sciendum est ergo, quod cum nomina sint signa intellectuum, ut dicitur I Periher.; sicut ex magis notis cognoscimus minus nota, ita etiam ex magis notis minus nota nominamus. Et inde est quod, quia motus localis est notior inter omnes motus, ex contrarietate secundum locum derivatur nomen distantiae ad omnia contraria inter quae potest esse aliquis motus; ut dicit philosophus X Metaph. Et similiter, quia motus substantiae secundum quantitatem est sensibilior quam motus secundum alterationem; inde est quod nomina convenientia motui secundum quantitatem derivantur ad alterationem. Et inde est quod, sicut corpus quod movetur ad quantitatem perfectam dicitur augeri, et ipsa quantitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae; ita illud quod movetur de qualitate imperfecta ad perfectam, dicitur augeri secundum qualitatem; et ipsa qualitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae. Et quia perfectio uniuscuiusque rei est eius bonitas; ideo Augustinus dicit, quod in his quae non magna mole sunt, idem est esse maius quod melius. Moveri autem de forma imperfecta ad perfectam, nihil est aliud quam subiectum magis reduci in actum : nam forma actus est; unde subiectum magis percipere formam, nihil aliud est quam ipsum reduci magis in actum illius formae. Et sicut ab agente reducitur aliquid de pura potentia in actum formae; ita etiam per actionem agentis reducitur de actu imperfecto in actum perfectum. Sed hoc non contingit in omnibus formis, propter duo. Primo quidem ex ipsa ratione formae; eo scilicet quod id quod perficit rationem formae, est aliquid indivisibile, puta numerus. Nam unitas addita constituit speciem : unde binarius aut trinarius non dicitur secundum magis et minus; et per consequens non invenitur magis et minus neque in quantitatibus quae denominantur a numeris, puta bicubitum vel tricubitum, neque in figuris, puta triangulare et quadratum; et in proportionibus, puta duplum et triplum. Alio modo ex comparatione formae ad subiectum; quia inhaeret ei modo indivisibili. Et propter hoc forma substantialis non recipit intensionem vel remissionem, quia dat esse substantiale, quod est uno modo : ubi enim est aliud esse substantiale, est alia res; et propter hoc philosophus, VIII Metaphys., assimilat definitiones numeris. Et inde est etiam quod nihil quod substantialiter de altero praedicatur, etiam si sit in genere accidentis, praedicatur secundum magis et minus; non enim dicitur albedo magis et minus color. Et propter hoc etiam qualitates in abstracto signatae, quia signantur per modum substantiae, nec intenduntur nec remittuntur; non enim dicitur albedo magis et minus, sed album. Neutra autem istarum causarum est in caritate et in aliis virtutibus infusis, quare non intendantur et remittantur; quia neque earum ratio in indivisibili consistit, sicut ratio numeri; neque dant esse substantiale subiecto, sicut formae substantiales; et ideo intenduntur et remittuntur, in quantum subiectum reducitur magis in actum ipsarum per actionem agentis causantis eas. Unde sicut virtutes acquisitae augentur ex actibus per quos causantur, ita virtutes infusae augentur per actionem Dei, a quo causantur. Actus autem nostri comparantur ad augmentum caritatis et virtutum infusarum, ut disponentes, sicut ad caritatem a principio obtinendam; homo enim faciens quod in se est, praeparat se, ut a Deo recipiat caritatem. Ulterius autem actus nostri possunt esse meritorii respectu augmenti caritatis; quia praesupponunt caritatem, quae est principium merendi. Sed nullus potest mereri, quin a principio obtineat caritatem; quia meritum sine caritate esse non potest. Sic igitur caritatem augeri per intensionem dicimus.

Beaucoup commettent une erreur а propos des formes parce qu’ils en jugent comme on juge des substances. Cela semble provenir du fait que les formes sont exprimйes dans l’abstrait par mode de substances, comme la blancheur ou la vertu, ou quelque chose de ce genre. Aussi certains, en suivant cette maniиre de parler, en jugent-ils comme si elles йtaient des substances. Et de cela vient l’erreur aussi bien de ceux qui ont affirmй le caractиre cachй des formes, que de ceux qui ont affirmй que les formes existent par crйation. En effet, ils ont estimй qu’il convenait aux formes de devenir а la maniиre des substances ; c’est pourquoi, ne trouvant pas comment les formes йtaient engendrйes, ils ont affirmй qu’elles йtaient crййes ou qu’elles prйexistaient dans la matiиre, en ne remarquant pas que, de mкme de l’acte d’кtre n’appartient pas а la forme mais au sujet par la forme, de mкme le devenir, qui se termine а l’acte d’кtre, n’appartient-il pas а la forme mais au sujet. En effet, de mкme qu’on dit que la forme est un кtre, non pas parce qu’elle-mкme existe, а parler proprement, mais parce que quelque chose existe par elle, de mкme dit-on qu’une forme devient, non pas parce qu’elle-mкme devient, mais parce que quelque chose devient par elle, а savoir, lorsque le sujet est amenй de la puissance а l’acte. Il en est de mкme pour l’augmentation des qualitйs, dont certains ont parlй comme si les qualitйs et les formes йtaient des substances. Or, on dit qu’une substance augmente pour autant qu’elle est le sujet d’un mouvement par lequel on passe d’une quantitй moindre а une quantitй plus grande, ce qu’on appelle le mouvement d’augmentation. Et parce que l’augmentation de la substance se fait par l’ajout d’une substance а une substance, certains ont estimй que la charitй, ou n’importe quelle vertu infuse, йtait augmentйe par l’addition de la charitй а la charitй, ou de la vertu а la vertu, ou de la blancheur а la blancheur, ce qui ne peut кtre soutenu. Car on ne peut comprendre l’addition d’une chose а une autre que si on a d’abord compris la dualitй. Or, la dualitй pour les formes d’une mкme espиce ne peut se comprendre que par l’altйritй du sujet. En effet, les formes d’une espиce ne se diffйrencient en nombre que par le sujet. Si donc la qualitй est ajoutйe а la qualitй, il est nйcessaire qu’une de deux choses se produise : ou bien qu’un sujet soit ajoutй а un sujet, par exemple, que quelque chose de blanc soit ajoutй а une autre chose blanche ; ou bien que quelque chose devienne blanc dans le sujet, alors que ce n’йtait pas blanc auparavant, comme certains l’ont affirmй а propos des formes corporelles, ce que rejette aussi le Philosophe, dans Physique, IV. En effet, lorsqu’une chose devient davantage courbйe, quelque chose n’est pas courbй qui n’йtait pas courbй auparavant, mais l’ensemble devient plus courbй. Or, а propos des qualitйs spirituelles, dont le sujet est l’вme ou une partie de l’вme, il est impossible mкme de se reprйsenter cela. Aussi d’autres ont-ils dit que la charitй et les autres vertus infuses n’йtaient pas augmentйes essentiellement, mais qu’on disait qu’elles йtaient augmentйes soit parce qu’elles йtaient plus fortement enracinйes dans le sujet, soit parce qu’elles agissaient avec plus de ferveur ou d’intensitй. Mais cela aurait quelque fondement si la charitй йtait une substance pouvant exister par elle-mкme sans une substance. Ainsi, le Maоtre des Sentences, estimant que la charitй est une certaine substance, а savoir, l’Esprit Saint, semble avoir affirmй ce mode d’augmentation d’une maniиre qui n’est pas dйraisonnable. Mais d’autres, estimant que la charitй est une certaine qualitй, ont parlй d’une maniиre tout а fait dйraisonnable. En effet, кtre augmentйe, pour une qualitй, n’est rien d’autre que le fait pour le sujet d’y participer davantage : en effet, la qualitй n’a pas d’autre кtre que celui qu’elle a dans le sujet. Or, par le fait que le sujet participe davantage а une qualitй, il agit avec plus de vigueur, car chacun agit dans la mesure oщ il est en acte. Aussi ce qui a йtй davantage amenй а l’acte agit-il plus parfaitement. Affirmer qu’une qualitй n’est pas augmentйe selon son essence, mais qu’elle est augmentйe selon son enracinement dans le sujet ou selon l’intensitй de son acte, c’est affirmer en mкme temps des contraires. C’est pourquoi il reste а examiner comment on dit que certaines qualitйs et formes sont augmentйes, et quelles sont celles qui peuvent кtre augmentйes. Il faut donc savoir que, puisque les mots sont des signes des choses comprises, comme il est dit dans Sur l’interprйtation, I, de mкme que nous connaissons les choses moins connues а partir des plus connues, de mкme aussi nommons-nous les moins connues а partir des plus connues. De lа vient que, parce que le mouvement local est plus connu que tous les autres mouvements, le mot «distance» est dйrivй de ce qui est contraire selon le lieu а tous les contraires entre lesquels peut exister un mouvement, comme le dit le Philosophe dans Mйtaphysique, X. De la mкme faзon, parce que le mouvement de la substance selon la quantitй est plus perceptible que le mouvement selon l’altйration, de lа vient que les mots convenant au mouvement selon la quantitй sont appliquйs а l’altйration. Et de lа vient que, de mкme qu’on dit qu’un corps qui est mы vers une quantitй parfaite est augmentй, et que la quantitй parfaite est appelйe grande par rapport а l’imparfaite, de mкme dit-on que ce qui est mы d’une qualitй imparfaite а une [qualitй] parfaite est augmentй selon la qualitй, et que la qualitй parfaite elle-mкme est dite grande par rapport а l’imparfaite. Et parce que la perfection de toute chose est sa bontй, c’est la raison pour laquelle Augustin dit que, dans les choses qui n’ont pas beaucoup d’importance, c’est la mкme chose d’кtre plus grand que meilleur. Or, кtre mы d’une forme imparfaite а [une forme] parfaite n’est rien d’autre que le fait pour un sujet d’кtre amenй davantage а l’acte, car la forme est un acte. Ainsi, qu’un sujet reзoive davantage une forme, cela n’est rien d’autre que le fait pour lui d’кtre davantage amenй а l’acte de cette forme. Et de mкme qu’une chose est amenйe de la puissance pure а l’acte de la forme, de mкme aussi est-elle amenйe d’un acte imparfait а un acte parfait par l’action de l’agent. Mais cela ne se produit pas dans toutes les formes pour deux raisons. Premiиrement, en raison mкme de la forme, а savoir que ce qui rйalise la raison de la forme est quelque chose d’indivisible, par exemple, un nombre. Car l’unitй ajoutйe constitue une espиce : aussi ne parle-t-on pas de ce qui est double ou triple en termes de plus ou de moins ; par consйquent, on ne trouve pas non plus de plus ou de moins dans les quantitйs qui sont dйsignйes а partir des nombres, par exemple, ce qui a deux coudйes ou trois coudйes, ni dans les figures, par exemple, ce qui est triangulaire ou carrй, ni dans les proportions, par exemple, ce qui est double ou triple. D’une autre maniиre, par comparaison de la forme au sujet, car elle existe en lui de maniиre indivisible. Pour cette raison, la forme substantielle ne reзoit-elle pas d’intensitй ou de diminution, car elle donne l’кtre substantiel, qui existe d’une seule maniиre : en effet, lа oщ il y a un autre кtre substantiel, il y a une autre chose. Pour cette raison, le Philosophe, dans Mйtaphysique, VIII, assimile les dйfinitions aux nombres. Et de lа vient aussi que rien de ce qui est attribuй а quelque chose d’autre а titre de substance, mкme si cela fait partie du genre de l’accident, ne lui est attribuй en plus ou en moins : en effet, on ne dit pas que la blancheur est plus ou moins une couleur. Et pour cette raison, les qualitйs dйsignйes dans l’abstrait, parce qu’elles sont dйsignйes par mode de substance, ne sont-elles pas intensifiйes ni diminuйes : en effet, on n’attribue pas de plus ou de moins а la blancheur, mais а ce qui est blanc. Or, aucune de ces causes n’existe dans la charitй et dans les autres vertus infuses, pour lesquelles elles ne seraient pas intensifiйes et diminuйes, car leur raison ne consiste pas en quelque chose d’indivisible, comme la raison de nombre ; elles ne donnent pas non plus l’кtre substantiel а leur sujet, comme les formes substantielles. Et c’est la raison pour laquelle elles sont intensifiйes et diminuйes dans la mesure oщ leur sujet est davantage amenй а leur acte par l’action de l’agent qui les cause. Aussi, de mкme que les vertus acquises sont augmentйes par les actes par lesquels elles sont causйes, de mкme les vertus infuses sont-elles augmentйes par l’action de Dieu, par qui elles sont causйes. Mais nos actes se comparent а l’augmentation de la charitй et des vertus infuses en tant qu’ils y disposent, comme c’est le cas au dйpart pour l’obtention de la charitй. En effet, l’homme, en faisant ce qui relиve de lui, se prйpare а recevoir de Dieu la charitй. Davantage encore, nos actes peuvent кtre mйritoires par rapport а l’augmentation de la charitй, car ils prйsupposent la charitй, qui est le principe du mйrite. Mais personne ne peut mйriter au dйpart d’obtenir la charitй, car le mйrite ne peut exister sans la charitй. Ainsi disons-nous donc que la charitй est augmentйe en intensitй.

 Solutions :

[65815] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in caritate et aliis qualitatibus dicitur augmentum per similitudinem, ita et quantitas, ut ex dictis, in corp. art., patet.

1. Comme pour la charitй et les autres qualitйs, on parle d’augmentation par similitude. Il en va de mкme pour la quantitй, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit dans le corps de l’article.

[65816] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma est invariabilis, quia non est variationis subiectum; potest tamen dici variabilis, prout subiectum secundum eam variatum, plus et minus eam participat.

2. La forme est invariable parce qu’elle n’est pas le sujet de la variation. Toutefois, elle peut кtre dite variable pour autant que le sujet, qui varie selon elle, y participe plus ou moins.

[65817] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus alicuius rei potest intelligi secundum essentiam dupliciter. Uno modo quantum ad id quod est proprium, esse scilicet essentialis, vel non esse; et sic motus secundum essentiam non est nisi motus secundum esse et non esse, qui est generatio et corruptio. Alio modo, potest intelligi motus secundum essentiam, si sit motus secundum quodcumque adhaerens essentiae; sicut dicimus corpus essentialiter moveri quando movetur secundum locum, quia de loco ad locum eius subiectum transfertur; sicut etiam et aliqua qualitas dicitur suo modo moveri essentialiter, prout variatur secundum perfectum et imperfectum, vel magis subiectum secundum eam ut ex dictis, in corp. art., patet.

3. On peut entendre le mouvement d’une chose selon son essence de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre, а savoir, l’кtre de ce qui est essentiel ou le non-кtre. Et ainsi, le mouvement selon l’essence n’est que le mouvement selon l’кtre et le non-кtre, qui est la gйnйration et la corruption. D’une autre maniиre, on peut l’entendre selon le mouvement de l’essence, s’il s’agit du mouvement de quoi que ce soit qui est associй а l’essence, comme nous disons qu’un corps est mы essentiellement lorsqu’il est mы selon le lieu, parce que son sujet passe d’un lieu а un autre. Comme on dit aussi qu’une qualitй est mue а sa faзon selon son essence, pour autant qu’elle varie selon le parfait et l’imparfait, ou qu’une chose lui est davantage soumise, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit dans le corps de l’artice.

[65818] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod praedicatur essentialiter de caritate, non praedicatur de ea secundum magis et minus : non enim dicitur magis vel minus virtus; sed maior caritas dicitur magis virtus propter modum significandi, quia significatur ut substantia. Sed quia ipsa non praedicatur essentialiter de suo subiecto, subiectum secundum eam recipit magis et minus : ut dicatur subiectum habens magis caritatis vel minus; et quod est habens magis caritatem est magis virtuosum.

4. Ce qui est attribuй de maniиre essentielle а la charitй ne lui est pas attribuй en plus ou en moins : en effet, on ne dit pas qu’elle est plus ou moins une vertu. Mais on dit d’une charitй plus grande qu’elle est davantage vertu selon la maniиre de la signifier, car elle est signifiйe comme une substance. Mais parce qu’elle n’est pas elle-mкme attribuйe de maniиre essentielle а son sujet, son sujet reзoit d’elle plus ou moins, de sorte qu’on parle d’un sujet qui a plus ou moins de charitй, et que celui qui a plus de charitй est plus vertueux.

[65819] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non diminuitur, quia non habet causam diminutionis, ut Ambrosius probat; habet autem causam augmenti, scilicet Deum.

5. La charitй n’est pas diminuйe parce qu’elle n’a pas de cause de diminution, comme le montre Ambroise. Mais elle a une cause d’augmentation, а savoir, Dieu.

[65820] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod augmentum quod fit per additionem, est augmentum substantiae quantae. Sic autem caritas non augetur, ut dictum est in corp. art.

6. L’augmentation qui se fait par addition est une augmentation d’une substance quantifiйe. Mais la charitй n’est pas augmentйe de cette maniиre, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

[65821] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum.

7. La solution de la septiиme objection ressort ainsi clairement.

[65822] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas dicitur augeri vel moveri, non quia ipsa sit subiectum motus, sed quia eius subiectum secundum ipsam movetur et augetur.

8. On dit que la charitй est augmentйe ou est mue, non parce que la charitй est elle-mкme le sujet du mouvement, mais parce que le sujet est mы et augmentй selon elle.

[65823] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus sit invariabilis, tamen absque sua variatione variat res; non enim est necessarium ut omne movens moveatur, ut probatur in Lib. Physic. Et hoc praecipue Deo competit, quia non agit per necessitatem naturae, sed per voluntatem.

9. Bien que Dieu ne change pas, cependant une chose change sans qu’il change. En effet, il n’est pas nйcessaire que tout ce qui meut soit mы, comme il est dйmontrй dans Physique. Et cela convient principalement а Dieu, parce qu’il n’agit pas par nйcessitй de nature, mais par volontй.

[65824] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod omnibus qualitatibus et formis est communis ratio magnitudinis quae dicta est, scilicet perfectio earum in subiecto. Aliquae tamen qualitates, praeter istam magnitudinem seu quantitatem quae competit eis per se, habent aliam magnitudinem vel quantitatem quae competit eis per accidens; et hoc dupliciter. Uno modo ratione subiecti; sicut albedo dicitur quanta per accidens, quia subiectum eius est quantum; unde augmentato subiecto, augmentatur albedo per accidens. Sed secundum hoc augmentum, non dicitur aliquid magis album, sed maior albedo, sicut et dicitur aliquid maius album : non enim aliter praedicantur ea quae pertinent ad hoc augmentum, de albedine, et de subiecto ratione cuius albedo per accidens augeri dicitur. Sed hic modus quantitatis et augmenti non competit qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Alio modo quantitas et augmentum attribuitur alicui qualitati per accidens, ex parte obiecti in quod agit : et haec dicitur quantitas virtutis; quae magis dicitur propter quantitatem obiecti vel continentiam; sicut dicitur magnae virtutis qui magnum pondus potest ferre, vel qualitercumque potest magnam rem facere, sive magnitudine dimensiva, sive magnitudine perfectionis, vel secundum quantitatem discretam; sicut dicitur aliquis magnae virtutis qui potest multa facere. Et hoc modo quantitas per accidens potest attribui qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Sed tamen hoc interest inter scientiam et virtutem : quia de ratione scientiae non est quod se extendat in actum respectu omnium obiectorum : non enim est necesse quod sciens omnia scibilia cognoscat. Sed de ratione virtutis est quod in omnibus virtuose se agat. Unde scientia potest augeri vel secundum numerum obiectorum, vel secundum intensionem eius in subiecto; virtus autem uno modo tantum. Sed considerandum est, quod eiusdem rationis est quod aliqua qualitas in aliquid magnum possit, et quod ipsa sit magna, sicut ex supradictis patet; unde etiam magnitudo perfectionis potest dici magnitudo virtutis.

10. Toutes les qualitйs et formes ont la commune raison de grandeur qui a йtй dite, а savoir, leur perfection dans le sujet. Cependant, certaines qualitйs, en plus de cette grandeur ou quantitй qui leur convient en elles-mкmes, ont une autre grandeur ou quantitй qui leur convient par accident, et cela, de deux maniиres. D’une maniиre, en raison du sujet, comme on dit que la blancheur est grande par accident, parce que son sujet est ce qui quantifiй ; aussi, si le sujet est augmentй, la blancheur est-elle augmentйe par accident. Mais, selon cette augmentation, on ne dit pas qu’une chose est davantage blanche, mais qu’il y a une blancheur plus grande, comme on dit que quelque chose est plus blanc. En effet, on attribue de maniиre diffйrente ce qui se rapporte а l’augmentation а la blancheur et au sujet, en raison duquel on dit que la blancheur est augmentйe par accident. Mais ce mode de quantitй et d’augmentation ne convient pas aux qualitйs de l’вme, а savoir, les sciences et les vertus. D’une autre maniиre, la quantitй et l’augmentation sont attribuйes а une qualitй par accident du point de vue de l’objet oщ elle agit : et c’est celle-lа qu’on appelle quantitй de la vertu, qui est attribuйe davantage en raison de la quantitй de l’objet ou de ce qu’il peut contenir, comme on dit que celui qui peut porter un plus grand poids a une plus grande force, ou pour n’importe qu’elle grande chose qu’il peut faire, soit pour la grandeur selon la dimension, soit pour la grandeur selon la perfection, soit pour la quantitй discrиte, comme on dit de quelqu’un qui peut faire beaucoup de choses qu’il a une grande vertu. De cette maniиre, la quantitй peut кtre attribuйe par accident aux qualitйs de l’вme, а savoir, aux sciences et aux vertus. Toutefois, il y a une diffйrence entre la science et la vertu, car il ne fait pas partie de la raison de la science que quelqu’un se porte en acte vers tous les objets : en effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui connaоt connaisse tout ce qui peut кtre connu. Mais il est de la raison de la vertu qu’il se comporte vertueusement en tout. Aussi la science peut-elle кtre augmentйe soit par le nombre des objets, soit par son intensitй dans le sujet ; mais la vertu [ne peut кtre augmentйe] que d’une seule faзon. Mais il faut observer qu’il relиve de la mкme raison qu’une qualitй puisse faire quelque chose de grand, et qu’elle soit elle-mкme grande, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit. En consйquence, mкme la grandeur de la perfection peut кtre dite grandeur de la vertu.

[65825] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod motus augmenti caritatis reducitur ad alterationem, non secundum quod alteratio est inter contraria, prout est tantum in sensibilibus, et in sensibili parte animae; sed prout alteratio et passio dicitur secundum receptionem et perfectionem; sicut sentire et intelligere est quoddam pati et alterari. Et sic distinguit philosophus alterationem et passionem in II de anima.

11. Le mouvement d’augmentation de la charitй se ramиne а l’altйration, non pas selon que l’altйration se rйalise entre des contraires, pour autant qu’elle existe dans les choses sensibles et dans la partie sensible de l’вme, mais selon qu’on parle d’altйration et de passion selon la rйception et la perfection, comme sentir et comprendre sont d’une certaine maniиre une passion et une altйration. C’est ainsi que le Philosophe fait une distinction entre l’altйration et la passion, dans Sur l’вme, II.

[65826] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus auget caritatem, non novam caritatem infundendo, sed eam quae praeexistebat, perficiendo.

12. Dieu augmente la charitй, non pas en infusant une nouvelle charitй, mais en perfectionnant celle qui prйexistait.

[65827] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sicut actus egrediens ab agente potest causare virtutem acquisitam propter impressionem virtutum activarum in passivis, ut supra dictum est; ita et potest eam augere.

13. De mкme que l’acte issu d’un agent peut causer la vertu acquise en raison de l’impression des puissances actives sur les [puissances] passives, comme on l’a dit plus haut, de mкme peut-il l’augmenter.

[65828] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas et aliae virtutes infusae non augentur active ex actibus, sed tantum dispositive et meritorie, ut dictum est. Nec tamen oportet quod quilibet actus perfectus correspondeat quantitati virtutis : non enim oportet quod habens caritatem, semper operetur secundum totum posse caritatis; usus enim habituum subiacet voluntati.

14. La charitй et les autres vertus infuses ne sont pas augmentйes de maniиre active par les actes, mais seulement par mode de disposition et de mйrite, comme on l’a dit. Toutefois, il n’est pas nйcessaire que tout acte parfait corresponde а la quantitй de la vertu : en effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui a la charitй agisse toujours selon tout ce que peut la charitй, car l’usage des habitus est soumis а la volontй.

[65829] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in superlatione quantum ad se, sed quantum ad suum obiectum : quia per virtutem ordinatur homo ad ultimum potentiae, quod est bene operari; unde philosophus dicit, VII Phys., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Tamen ad hoc optimum aliquis potest esse magis, vel minus dispositus; et secundum hoc, virtus recipit magis vel minus. Vel dicendum, quod ultimum non dicitur simpliciter, sed ultimum specie; sicut ignis est specie subtilissimum corporum, et homo dignissima creaturarum; et tamen unus homo est dignior altero.

15. La raison de vertu ne consiste pas par elle-mкme dans le superlatif, mais elle se prend de son objet, car, par la vertu, l’homme est ordonnй au point le plus йlevй de sa puissance, ce qui est bien agir. Aussi le Philosophe dit-il, dans Physique, VII, que la vertu est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur. Toutefois, quelqu’un peut кtre plus ou moins bien disposй а ce qui est le meilleur : de ce point de vue, la vertu reзoit plus ou moins. Ou bien il faut dire qu’on ne parle pas de point le plus йlevй tout simplement, mais du point le plus йlevй selon l’espиce, comme le feu est, selon son espиce, le plus subtil des corps, et l’homme la plus digne des crйatures. Et cependant, un homme est plus digne qu’un autre.

[65830] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in indivisibili secundum se, sed ratione sui subiecti, in quantum quaerit medium : ad quod quaerendum potest aliquis diversimode se habere, vel peius vel melius. Et tamen ipsum medium non est omnino indivisibile; habet enim aliquam latitudinem : sufficit enim ad virtutem quod appropinquet ad medium, ut dicitur II Ethic.; et propter hoc unus actus altero virtuosior dicitur.

16. La raison de vertu ne consiste pas en quelque chose d’indivisible en soi, mais en raison de son sujet, pour autant qu’elle cherche un milieu, envers la recherche duquel quelqu’un peut se comporter de diverses maniиres, pire ou meilleure. Cependant, le milieu lui-mкme n’est pas du tout indivisible. En effet, il comporte une certaine йtendue, puisqu’il suffit que la vertu s’approche du milieu, comme il est dit dans Йthique, II. Pour cette raison, on dit qu’un acte est plus vertueux qu’un autre.

[65831] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod virtus caritatis est infinita ex parte Dei, vel finis; sed ad illum infinitum caritas finite disponit; unde potest magis vel minus esse.

17. La vertu de charitй est infinie de la part de Dieu ou de sa fin ; mais la charitй dispose а cet infini de maniиre finie. Aussi peut-elle exister en plus ou en moins.

[65832] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non omne perfectum est perfectissimum, sed solum illud quod est in ultimo actualitatis; et ideo nihil prohibet, quod est perfectum secundum virtutem, adhuc magis perfici.

18. Tout ce qui est parfait n’est pas le plus parfait, mais seulement ce qui atteint le plus haut point de mise en acte. C’est pourquoi rien n’empкche que ce qui est parfait selon la vertu soit rendu encore plus parfait.

 

Articulus 12 : [65833] De virtutibus, q. 1 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum virtutes inter se distinguantur. Quaeritur de distinctione virtutum

Article 12 – Est-ce que les vertus se distinguent entre elles? La question porte sur la distinction des vertus.

 Objections :

[65834] De virtutibus, q. 1 a. 12 tit. 2 Et videtur quod non recte virtutes distinguantur

Il semble que les vertus ne sont pas correctement distinguйes.

[65835] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 1 Moralia enim recipiunt speciem ex fine. Si igitur virtutes distinguantur secundum speciem, oportet quod hoc sit ex parte finis. Sed non ex parte finis proximi : quia sic essent infinitae virtutes secundum speciem. Ergo ex parte finis ultimi. Sed finis ultimus virtutum est unus tantum, scilicet Deus, sive felicitas. Ergo est una tantum virtus.

1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce de la fin. Si donc les vertus sont distinguйes selon leur espиce, il est nйcessaire que cela vienne de la fin. Or, cela ne vient pas de la fin prochaine, car alors les vertus seraient infinies selon l’espиce. Cela vient donc de la fin ultime. Or, la fin ultime des vertus est unique, а savoir, Dieu, ou la fйlicitй. Il n’y a donc qu’une seule vertu.

[65836] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 2 Praeterea, ad unum finem pervenitur una operatione. Una autem operatio est ex una forma. Ergo ad unum finem ordinatur homo per unam formam. Finis autem hominis est unus : scilicet felicitas. Ergo et virtus, quae est forma per quam homo ordinatur ad felicitatem, est una tantum.

2. On parvient а une seule fin par une seule opйration. Or, l’opйration unique vient d’une seule forme. L’homme est donc ordonnй а une seule fin par une seule forme. Or, la fin de l’homme est unique, а savoir, la fйlicitй. La vertu aussi est donc unique, elle qui est la forme par laquelle l’homme est ordonnй а la fйlicitй.

[65837] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 3 Praeterea, formae et accidentia recipiunt numerum secundum materiam vel subiectum. Subiectum autem virtutis est anima, vel potentia animae. Ergo videtur quod virtus sit una tantum, quia anima est una; vel saltem quod virtutes non excedant numerum potentiarum animae.

3. Les formes et les accidents reзoivent leur nombre de la matiиre ou du sujet. Or, le sujet de la vertu est l’вme ou une puissance de l’вme. Il semble donc que la vertu soit unique, car l’вme est unique ; ou tout au moins, que les vertus ne sont pas plus nombreuses que les puissances de l’вme.

[65838] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 4 Praeterea, habitus distinguuntur per obiecta, sicut et potentiae. Cum ergo virtutes sint quidam habitus : videtur quod eadem sit ratio distinctionis virtutum et potentiarum animae; et sic, virtutes non excedunt numerum potentiarum animae.

4. Les habitus se distinguent par leurs objets, de mкme que les puissances. Puisque les vertus sont des habitus, il semble donc que la raison de distinguer les vertus soit la mкme que celle de distinguer les puissances de l’вme. Et ainsi, les vertus ne sont pas plus nombreuses que les puissances de l’вme.

[65839] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 5 Sed dicendum, quod habitus distinguuntur per actus, et non per potentias.- Sed contra, principiata distinguuntur secundum principia, et non e converso; quia ab eodem res habent esse et unitatem. Sed habitus sunt principia actuum. Ergo magis distinguuntur actus penes habitus quam e converso.

5. Mais les habitus se distinguent par leurs actes, et non par les puissances. – En sens contraire, les rйalitйs qui jouent le rфle de principes se distinguent selon les principes, et non l’inverse, car les choses reзoivent leur кtre et leur unitй de la mкme rйalitй. Or, les habitus sont les principes des actes. Les actes se distinguent donc plutфt selon les habitus que l’inverse.

[65840] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 6 Praeterea, virtus necessaria est ad hoc quod homo inclinetur ad id quod est virtutis per modum naturae : est enim virtus, ut Tullius dicit, habitus in modum naturae rationi consentaneus. Ad id igitur ad quod ipsa potentia naturaliter inclinatur, non indiget homo virtute. Sed voluntas hominis naturaliter inclinatur ad ultimum finem. Ergo circa ultimum finem non est necessarius homini aliquis habitus virtutis; propter quod nec philosophi posuerunt aliquas virtutes quarum obiectum esset felicitas. Nec ergo nos debemus ponere aliquas virtutes theologicas, cuius obiectum sit Deus, qui est ultimus finis.

6. La vertu est nйcessaire pour que l’homme soit inclinй par mode de nature а ce qui relиve de la vertu. En effet, comme le dit Tullius [Cicйron], la vertu est un habitus qui se plie а la raison par mode de nature. Pour qu’une puissance elle-mкme soit inclinйe naturellement, l’homme n’a donc pas besoin de vertu. Or, la volontй de l’homme est naturellement inclinйe vers la fin ultime. Un habitus vertueux n’est donc pas nйcessaire а l’homme pour la fin ultime; c’est la raison pour laquelle mкme les philosophes n’ont pas proposй de vertus dont l’objet serait la fйlicitй. Nous ne devons donc pas nous aussi proposer des vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, qui est la fin ultime.

[65841] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 7 Praeterea, virtus est dispositio perfecti ad optimum. Sed fides et spes imperfectionem quamdam important; quia fides est de non visis, spes de non habitis, propter quod, cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, ut dicitur 1 Cor. XIII, v. 10. Ergo fides et spes non debent poni virtutes.

7. La vertu est une disposition de celui qui est parfait а ce qui est le meilleur. Or, la foi et l’espйrance comportent une certaine imperfection, car la foi porte sur des rйalitйs non vues, et l’espйrance, sur des rйalitйs non possйdйes. C’est la raison pour laquelle, lorsque ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaоtra, 1 Co 13, 10. Il ne faut donc pas proposer la foi et l’espйrance comme des vertus.

[65842] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 8 Praeterea, ad Deum non potest aliquis ordinari nisi per intellectum et affectum. Sed fides sufficienter ordinat intellectum hominis in Deum, caritas autem affectum. Ergo praeter fidem et caritatem non debet poni spes virtus theologica.

8. On ne peut кtre ordonnй а Dieu que par l’intellect et la volontй. Or, la foi ordonne suffisamment l’intellect de l’homme vers Dieu, et la charitй, la volontй. On ne doit donc pas proposer l’espйrance comme certu thйologale en plus de la foi et de la charitй.

[65843] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 9 Praeterea, id quod est generale omni virtuti, non debet poni specialis virtus. Sed caritas videtur esse communis omnibus virtutibus; quia ut dicit Augustinus in Lib. de moribus Ecclesiae, nihil aliud est virtus quam ordo amoris : ipsa etiam caritas dicitur esse forma omnium virtutum. Ergo non debet poni una specialis virtus inter theologicas.

9. Ce qui est commun а toute vertu ne doit pas кtre proposй comme une vertu spйciale. Or, la charitй semble кtre commune а toutes les vertus, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur le comportement de l’Йglise, la vertu n’est rien d’autre que l’ordre de l’amour. La charitй elle-mкme est aussi appelйe la forme de toutes les vertus. Elle ne doit pas кtre mise comme une vertu spйciale parmi les vertus thйologales.

[65844] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 10 Praeterea, in Deo non solum consideratur veritas quam respicit fides, vel sublimitas quam respicit spes, vel bonitas quam respicit caritas; sed sunt plura alia quae Deo attribuuntur : ut sapientia, potentia et huiusmodi. Ergo videtur quod sit vel una tantum virtus theologica, quia omnia illa unum sunt in Deo; vel quod sint tot virtutes theologicae, quot sunt quae attribuuntur Deo.

10. En Dieu, on ne relиve pas seulement la vйritй, qui est l’objet de la foi considиre, ni l’йlйvation, qui est l’objet de l’espйrance, ni la bontй, qui est l’objet de la charitй, mais il existe plusieurs autres choses qui sont attribuйes а Dieu, comme la sagesse, la puissance et les choses de ce genre. Il semble donc qu’il y ait ou bien une seule vertu thйologale, car toutes ces choses n’en sont qu’une en Dieu, ou bien qu’il y ait autant de vertus thйologales qu’il y a de choses attribuйes а Dieu.

[65845] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 11 Praeterea, virtus theologica est cuius actus immediate ordinatur in Deum. Sed plura alia sunt talia : sicut sapientia quae contemplatur Deum, timor qui reveretur ipsum, religio quae colit eum. Ergo non sunt tantum tres virtutes theologicae.

11. La vertu thйologale est celle dont l’acte est immйdiatement ordonnй а Dieu. Or, il existe plusieurs autres choses de ce genre, comme la sagesse, qui contemple Dieu, la crainte, qui le rйvиre, la religion, qui lui rend un culte. Il n’y a donc pas seulement trois vertus thйologales.

[65846] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 12 Praeterea, finis est ratio eorum quae sunt ad finem. Habitis igitur virtutibus theologicis, quibus homo recte ordinatur ad Deum, videtur superfluum ponere alias virtutes.

12. La fin est la raison de ce qui est ordonnй а la fin. Une fois possйdйes les vertus thйologales, par lesquelles l’homme est correctement ordonnй а Dieu, il semble superflu de proposer d’autres vertus.

[65847] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 13 Praeterea, virtus ordinatur ad bonum : est enim virtus quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est tantum in voluntate et in appetitiva parte; et sic videtur quod non sint aliquae virtutes intellectuales.

13. La vertu est ordonnйe au bien : en effet, la vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde et rend bonne son action. Or, le bien ne se trouve que dans la volontй et dans la partie appйtitive. Et ainsi, il semble qu’il n’y a pas de vertus intellectuelles.

[65848] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 14 Praeterea, prudentia est quaedam virtus intellectualis. Ipsa autem ponitur inter morales. Ergo videtur quod morales virtutes non distinguantur ab intellectualibus.

14. La prudence est une vertu intellectuelle. Or, elle est placйe parmi les vertus morales. Il semble donc que les vertus morales ne se distinguent pas des vertus intellectuelles.

[65849] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 15 Praeterea, scientia moralis non tractat nisi moralia. Tractat autem scientia moralis de virtutibus intellectualibus. Ergo virtutes intellectuales sunt morales.

15. La science morale ne traite que des rйalitйs morales. Or, la science morale traite des vertus intellectuelles. Les vertus intellectuelles sont donc [des vertus] morales.

[65850] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 16 Praeterea, id quod ponitur in definitione alicuius, non distinguitur ab eo. Sed prudentia ponitur in definitione virtutis moralis : est enim virtus moralis, habitus electivus in medietate consistens determinata secundum rectam rationem, ut dicitur II Ethic. : ratio enim agibilium est prudentia, ut dicitur VI Ethic. Ergo morales virtutes non distinguuntur a prudentia.

16. Ce qui est mis dans la dйfinition d’une chose ne s’en distingue pas. Or, la prudence est mise dans la dйfinition de la vertu morale : en effet, la vertu morale est un habitus qui choisit ce en quoi consiste le milieu dйterminй selon la raison droite, comme il est dit dans Йthique, II. En effet, la raison des actes а poser est la prudence, comme il est dit dans Йthique, VI. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence.

[65851] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut prudentia pertinet ad cognitionem practicam, ita et ars. Sed praeter artem non sunt aliqui habitus in appetitiva parte ordinati ad operandum artificialia. Ergo pari ratione nec praeter prudentiam sunt aliqui habitus virtuosi in appetitu ad operandum agibilia; et ita videtur quod non sint aliquae virtutes morales distinctae a prudentia.

17. De mкme que la prudence se rapporte а la connaissance pratique, de mкme en est-il de l’art. Or, il n’existe pas dans la partie appйtitive, en plus de l’art, d’habitus ordonnйs а rйaliser des њuvres d’art. Pour la mкme raison, il n’existe pas dans l’appйtit, pour poser les actes qui doivent l’кtre, d’habitus vertueux, en plus de la prudence. Et ainsi, il semble qu’il n’existe pas de vertus morales distinctes de la prudence.

[65852] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 18 Sed dicendum, quod ideo arti non respondet aliqua virtus in appetitu, quia appetitus est singularium, ars autem universalium.- Sed contra, Aristoteles dicit II Ethic., quod ira semper est circa singularia : sed odium est etiam universalium; habemus enim odio omne latronum genus. Odium autem ad appetitum pertinet. Ergo appetitus est respectu universalium.

18. Mais la raison pour laquelle il n’y a pas de vertu dans l’appйtit est que l’appйtit porte sur des rйalitйs singuliиres, et l’art sur des rйalitйs universelles. – En sens contraire, Aristote dit, dans Йthique, II, que la colиre porte toujours sur des rйalitйs singuliиres, mais que la haine porte aussi sur des rйalitйs universelles : en effet, nous haпssons tous les genres de brigands. Or, la haine relиve de l’appйtit. L’appйtit porte donc sur des rйalitйs universelles.

[65853] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 19 Praeterea, unaquaeque potentia naturaliter tendit in suum obiectum. Obiectum autem appetitus est bonum apprehensum. Ergo appetitus naturaliter tendit in bonum ex quo est apprehensum. Sed ad apprehendendum bonum sufficienter nos perficit prudentia. Ergo praeter prudentiam non est necessarium nos habere aliquam virtutem aliam moralem in appetitu, cum ad hoc sufficiat inclinatio naturalis.

19. Toute puissance tend naturellement vers son objet. Or, l’objet de l’appйtit est le bien apprйhendй. L’appйtit tend donc naturellement vers le bien du fait qu’il est apprйhendй. Or, pour apprйhender le bien, la prudence nous perfectionne suffisamment. En plus de la prudence, il n’est donc pas nйcessaire que nous ayons une autre vertu morale dans l’appйtit, puisque l’inclination naturelle suffit а cela.

[65854] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 20 Praeterea, ad virtutem sufficit cognitio et operatio. Sed utrumque horum habetur per prudentiam. Ergo praeter prudentiam non oportet ponere alias virtutes morales.

20. La connaissance et l’action suffisent pour la vertu. Or, on a ces deux deux choses par la prudence. Il n’est donc pas nйcessaire de proposer d’autres vertus morales en plus de la prudence.

[65855] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 21 Praeterea, sicut appetitivi habitus distinguuntur penes obiecta, ita et habitus cognoscitivi. Sed de omnibus moralibus est unus habitus cognoscitivus, vel scientia moralis circa omnia moralia, vel etiam prudentia. Ergo et una tantum est in appetitu virtus moralis.

21. De mкme que les habitus appйtitifs se distinguent selon leurs objets, de mкme en est-il aussi des habitus cognitifs. Or, il n’existe qu’un seul habitus cognitif pour toutes les rйalitйs morales : soit la science morale pour toutes les rйalitйs morales, soit aussi la prudence. Il n’existe donc qu’une seule vertu morale dans l’appйtit.

[65856] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 22 Praeterea, ea quae conveniunt in forma, et differunt solum in materia, sunt unum specie. Sed omnes virtutes morales conveniunt secundum id quod est formale in eis, quia in omnibus est medium acceptum secundum rationem rectam; non autem differunt nisi penes materias. Ergo non differunt specie, sed numero tantum.

22. Les choses qui ont en commun une forme et qui ne diffиrent que par la matiиre, font partie d’une seule espиce. Or, toutes les vertus morales ont en commun ce qui a valeur de forme en elles, car, chez toutes, il existe un milieu saisi selon la raison droite, et elles ne diffиrent que selon les matiиres. Elles ne diffиrent donc pas selon l’espиce, mais selon le nombre seulement.

[65857] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 23 Praeterea, ea quae differunt specie, non denominantur ad invicem. Sed virtutes morales denominant se ad invicem : quia, ut Augustinus dicit, oportet quod iustitia sit fortis et temperata, et temperantia iusta et fortis, et sic de aliis. Ergo virtutes non distinguuntur ad invicem.

23. Les choses qui diffиrent par l’espиce ne reзoivent pas leur nom les unes des autres. Or, les vertus morales reзoivent leur nom les unes des autres, car, comme le dit Augustin, il est nйcessaire que la justice soit forte et tempйrйe, et que la tempйrance soit juste et forte, et ainsi de suite pour les autres. Les vertus ne se distinguent donc pas les unes des autres.

[65858] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 24 Praeterea, virtutes theologicae et cardinales, sunt principaliores quam morales. Sed virtutes intellectuales non dicuntur cardinales, neque theologicae. Ergo nec morales debent dici cardinales, quasi principales.

24. Les vertus thйologales et les [vertus] cardinales sont supйrieures aux vertus morales. Or, les vertus intellectuelles ne sont appelйes ni cardinales ni thйologales. Des vertus morales ne doivent donc pas, elles non plus, кtre appelйes cardinales, comme si elles йtaient supйrieures.

[65859] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 25 Praeterea, tres ponuntur animae partes; scilicet rationalis, irascibilis et concupiscibilis. Ergo si sunt aliquae virtutes principales, videtur quod sint tres tantum.

25. On admet qu’il existe trois parties de l’вme : la partie raisonnable, la [partie] irascible et la [partie] concupiscible. S’il existe des vertus principales, il semble donc qu’il y en ait trois.

[65860] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 26 Praeterea, aliae virtutes videntur istis principaliores; sicut est magnanimitas, quae operatur magnum in omnibus virtutibus, ut dicitur IV Ethic.; et humilitas, quae est custos virtutum; mansuetudo etiam videtur esse principalior quam fortitudo, cum sit circa iram, a qua denominatur irascibilis; liberalitas et magnificentia, quae dant de suo, videntur esse principaliores quam iustitia quae reddit alteri debitum. Ergo istae non sunt virtutes cardinales, sed magis aliae.

26. D’autres vertus semblent supйrieures а celles-ci, comme la maganimitй, qui accomplit ce qui est grand dans toutes les vertus, comme il est dit dans Йthique, IV, et l’humilitй, qui est la gardienne des vertus; la douceur aussi semble кtre supйrieure а la force, puisqu’elle porte sur la colиre, dont l’irascible tire son nom; la libйralitй et la magnificence, qui donnent de leur bien propre, semblent кtre supйrieures а la justice, qui rend а autrui ce qui lui est dы. Ces vertus ne sont donc pas des vertus cardinales, mais d’autres le sont plutфt.

[65861] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 27 Praeterea, pars non distinguitur a suo toto. Sed aliae virtutes ponuntur a Tullio, partes istarum quatuor : scilicet prudentiae, iustitiae, fortitudinis, et temperantiae. Ergo saltem aliae virtutes morales non distinguuntur ab istis; et sic videntur virtutes non recte distingui.

27. La partie ne se distingue du tout dont elle fait partie. Or, d’autres vertus sont donnйes par Tullius [Cicйron] comme parties de ces quatre : la prudence, la justice, la force et la tempйrance. D’autres vertus morales ne sont donc pas distinctes de celles-ci. Et ainsi, il semble que les vertus ne soient pas correctement distinguйes.

 Cependant :

[65862] De virtutibus, q. 1 a. 12 s. c. Sed contra, est quod 1 Cor. XIII, 13, dicitur : nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec; et Sap. VIII, 7 : sobrietatem et prudentiam docet, et iustitiam, et virtutem.

Il est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant donc demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois choses; et en Sg 8, 7 : [La Sagesse] enseigne tempйrance et prudence, justice et force.

 Rйponse :

[65863] De virtutibus, q. 1 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod unumquodque diversificatur secundum speciem secundum id quod est formale in ipso. Formale autem in unoquoque est id quod est completivum definitionis eius. Ultima enim differentia constituit speciem : unde per eam differt definitum secundum speciem ab aliis; et si ipsa sit multiplicabilis formaliter secundum diversas rationes, definitum in species diversas dividitur secundum ipsius diversitatem. Illud autem quod est completivum et ultimum formale in definitione virtutis, est bonum : nam virtus universaliter accepta sic definitur : virtus est, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit : ut patet in Lib. Ethic. Unde et virtus hominis, de qua loquimur, oportet quod diversificetur secundum speciem, secundum quod bonum ratione diversificatur. Cum autem homo sit homo in quantum rationalis est; oportet hominis bonum esse eius quod est aliqualiter rationale. Rationalis autem pars, sive intellectiva, comprehendit et cognitivam et appetitivam. Pertinet autem ad rationalem partem non solum appetitus, qui est in ipsa parte rationali, consequens apprehensionem intellectus, qui dicitur voluntas : sed etiam appetitus qui est in parte sensitiva hominis, et dividitur per irascibilem et concupiscibilem. Nam etiam hic appetitus in homine sequitur apprehensionem rationis, in quantum imperio rationis obedit; unde et participare dicitur aliqualiter rationem. Bonum igitur hominis est et bonum cognitivae et bonum appetitivae partis. Non autem secundum eamdem rationem utrique parti bonum attribuitur. Nam bonum appetitivae parti attribuitur formaliter, ipsum enim bonum est appetitivae partis obiectum : sed intellectivae parti attribuitur bonum non formaliter, sed materialiter tantum. Nam cognoscere verum, est quoddam bonum cognitivae partis; licet sub ratione boni non comparetur ad cognitivam, sed magis ad appetitivam : nam ipsa cognitio veri est quoddam appetibile. Oportet igitur alterius rationis esse virtutem quae perficit partem cognoscitivam ad cognoscendum verum, et quae perficit rationem appetitivam ad apprehendendum bonum; et propter hoc philosophus in Lib. Ethic., distinguit virtutes intellectuales a moralibus : et intellectuales dicuntur quae perficiunt partem intellectualem ad cognoscendum verum, morales autem quae perficiunt partem appetitivam ad appetendum bonum. Et quia bonum magis congrue competit parti appetitivae quam intellectivae, propter hoc, nomen virtutis convenientius et magis proprie competit virtutibus appetitivae partis quam virtutibus intellectivae; licet virtutes intellectivae sint nobiliores perfectiones quam virtutes morales, ut probatur VI Ethic. Cognitio autem veri non est respectu omnium unius rationis. Alia enim ratione cognoscitur verum necessarium, et verum contingens : et iterum verum necessarium alia ratione cognoscitur si sit per se notum, sicut intellectu cognoscuntur prima principia; alia ratione si fiat notum ex alio, sicut fiunt notae conclusiones per scientiam vel sapientiam circa altissima : in quibus etiam est alia ratio cognoscendi, eo quod ex hac homo dirigitur in aliis cognoscendis. Et similiter circa contingentia operabilia non est eadem ratio cognoscendi ea quae sunt in nobis, quae dicuntur agibilia, ut sunt operationes nostrae, circa quas frequenter contingit errare, propter aliquam passionem; quarum est prudentia : et ea quae sunt extra nos a nobis factibilia, in quibus dirigit ars aliqua; quorum rectam aestimationem passiones animae non corrumpunt. Et ideo philosophus ponit VI Ethic., virtutes intellectuales, scilicet sapientiam, et scientiam et intellectum, prudentiam et artem. Similiter etiam bonum appetitivae partis non secundum eamdem rationem se habet in omnibus rebus humanis. Huiusmodi autem bonum in tripartita materia quaeritur; scilicet in passionibus irascibilis et in passionibus concupiscibilis, et in operationibus nostris quae sunt circa res exteriores quae veniunt in usum nostrum, sicut est emptio et venditio, locatio et conductio, et huiusmodi alia. Bonum enim hominis in passionibus est, ut sic homo in eis se habeat, quod per earum impetum a rationis iudicio non declinet; unde si aliquae passiones sunt quae bonum rationis natae sint impedire per modum incitationis ad agendum vel prosequendum, bonum virtutis praecipue consistit in quadam refrenatione et retractione; sicut patet de temperantia, quae refrenat et compescit concupiscentias. Si autem passio nata sit praecipue bonum rationis impedire in retrahendo, sicut timor, bonum virtutis circa huiusmodi passionem erit in sustinendo; quod facit fortitudo. Circa res vero exteriores bonum rationis consistit in hoc quod debitam proportionem suscipiant, secundum quod pertinent ad communicationem humanae vitae; et ex hoc imponitur nomen iustitiae, cuius est dirigere, et aequalitatem in huiusmodi invenire. Sed considerandum est, quod tam bonum intellectivae partis quam appetitivae est duplex : scilicet bonum quod est ultimus finis, et bonum quod est propter finem; nec est eadem ratio utriusque. Et ideo praeter omnes virtutes praedictas, secundum quas homo bonum consequitur in his quae sunt ad finem, oportet esse alias virtutes secundum quas homo bene se habet circa ultimum finem, qui Deus est; unde et theologicae dicuntur, quia Deum habent non solum pro fine, sed etiam pro obiecto. Ad hoc autem quod moveamur recte in finem, oportet finem esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem finis duo exigit : scilicet fiduciam de fine obtinendo, quia nullus sapiens movetur ad id quod consequi non potest; et amorem finis, quia non desideratur nisi amatum. Et ideo virtutes theologicae sunt tres : scilicet fides, qua Deum cognoscimus; spes, qua ipsum nos obtenturos esse speramus; et caritas, qua eum diligimus. Sic ergo patet quod sunt tria genera virtutum : theologicae, intellectuales et morales et quodlibet genus sub se plures species habet.

Toute chose se diversifie selon l’espиce d’aprиs ce qui joue le rфle de forme en elle. Or, joue le rфle de forme en toute chose ce qui complиte sa dйfinition. En effet, la diffйrence ultime constitue l’espиce : c’est donc par elle que ce qui est dйfini diffиre des autres choses selon l’espиce, et si elle est multipliable selon la forme en diverses raisons, ce qui est dйfini en espиces diverses se divise selon sa diversitй. Or, ce qui est le complйment et joue ultimement le rфle de forme dans la dйfinition de la vertu, c’est le bien, car la vertu, entendue d’une maniиre universelle, se dйfinit ainsi : «La vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde et rend bone son action», comme cela ressort clairement de l’Йthique. Aussi est-il nйcessaire que la vertu de l’homme, dont nous parlons, se diversifie selon l’espиce selon que le bien se diversifie d’aprиs la raison. Or, puisque l’homme est homme pour autant qu’il est raisonnable, il est nйcessaire que le bien de l’homme soit le bien de ce qui est raisonnable d’une certaine maniиre. Or, la partie raisonnable, ou intellective, comprend la [partie] cognitive et la [partie] appйtitive. Relиvent donc de la partie raisonnable, non seulement l’appйtit qui existe dans la partie raisonnable elle-mкme, qui suit l’apprйhension de l’intellect et qu’on appelle volontй, mais aussi l’appйtit qui est dans la partie sensible de l’homme, et qui se divise en irascible et en concupiscible. Car mкme cet appйtit chez l’homme suit l’apprйhension de la raison, pour autant qu’il obйit au commandement de la raison. C’est pourquoi on dit qu’il participe d’une certaine maniиre а la raison. Le bien de l’homme est donc tant le bien de la partie cognitive que le bien de la partie appйtitive. Mais le bien n’est pas attribuй aux deux parties pour la mкme raison. Car le bien de la partie appйtitive est attribuй а titre de forme : en effet, le bien est l’objet de la partie appйtitive; mais le bien est attribuй а la partie intellective non pas а titre de forme, mais а titre de matiиre seulement. Car connaоtre le vrai est un certain bien de la partie cognitive, bien que, sous la raison de bien, il ne se rapporte pas а la partie cognitive, mais plutфt а la partie appйtitive, car la connaissance du vrai elle-mкme est un objet de l’appйtit. Il est donc nйcessaire que la vertu qui parfait la partie cognitive pour connaоtre le vrai et celle qui parfait la partie appйtitive pour apprйhender le bien aient une autre raison. C’est pourquoi, dans le livre de l’Йthique, le Philosophe distingue les vertus intellectuelles des vertus morales : sont appelйes intellectuelles celles qui perfectionnent la partie intellectuelle pour connaоtre le vrai, mais [sont appelйes] morales celles qui perfectionnent la partie appйtitive pour dйsirer le bien. Et parce que le bien relиve plutфt de la partie appйtitive que de la partie intellective, le nom de vertu appartient avec plus de convenance et en un sens plus propre aux vertus de la partie appйtitive plutфt qu’aux vertus de la partie intellective, bien que les vertus intellectives soient des perfections plus nobles que les vertus morales, comme on le dйmontre dans Йthique, VI. Or, la connaissance du vrai ne s’йtend pas а toutes choses selon une seule raison. En effet, le vrai nйcessaire est connu selon selon une raison, et le vrai contingent selon une autre; de plus, le vrai nйcessaire est connu selon une autre raison s’il est connu par lui-mкme, comme les premiers principes sont connus par l’intellect, et selon une autre raison s’il devient connu par autre chose, comme les conclusions deviennent connues par la science ou la sagesse portant sur les rйalitйs les plus йlevйes, pour lesquelles il y a encore une autre raison de les connaоtre, du fait que l’homme est orientй vers la connaissance des autres choses а partir d’elle. De la mкme maniиre, а propos des actes а poser qui sont contingents, autre est la raison de connaоtre ce qui est en nous, qu’on appelle les actes а poser, comme sont nos opйrations, а propos desquelles il [nous] arrive souvent d’errer en raison de quelque passion, et sur lesquelles porte la prudence; et [autre est la raison de connaоtre] les choses extйrieures а nous, mais rйalisables par nous, pour lesquelles un certain art assure la direction, et dont les passions de l’вme ne pas corrompent le jugement droit. C’est pourquoi, dans Йthique, VI, le Philosophe met de l’avant des vertus intellectuelles, а savoir, la sagesse, la science et l’intellect, la prudence et l’art. De la mкme maniиre aussi, le bien de la partie appйtitive ne se trouve pas selon la mкme raison dans toutes les choses humaines. Le bien de ce genre est cherchй dans une matiиre qui se divise en trois : dans les passions de l’irascible et dans les passions du concupiscible, et dans nos opйrations qui portent sur les choses extйrieures qui viennent en notre usage, comme l’achat et la vente, la location et le contrat, et les autres choses de ce genre. En effet, le bien de l’homme, pour ce qui est des passions, consiste en ce que l’homme se comporte а leur йgard de telle sorte qu’il ne s’йcarte pas du jugement de la raison sous leur impulsion. Ainsi, s’il existe certaines passions qui ont tendance а faire obstacle au bien de la raison par mode d’incitation а agir ou а obtenir, le bien de la vertu consiste principalement а se retenir et а se retirer, comme cela est clair pour la tempйrance, qui rйfrиne et rйprime les convoitises. Mais si une passion a tendance а faire obstacle au bien de la vertu principament en se retirant, comme c’est le cas de la crainte, le bien de la vertu а propos de cette passion consistera а supporter, ce que fait la force. Mais, en ce qui concerne les choses extйrieures, le bien de la raison consiste en ce qu’ils reзoivent la proportion appropriйe pour les rapports de la vie humaine; de lа vient de nom de justice, а qui il appartient de redresser et de trouver l’йgalitй dans les choses de ce genre. Mais il faut observer que le bien de la partie intellective, comme celui de la partie appйtitive, est double : le bien qui est la fin ultime, et le bien qui existe en vue de la fin, et la raison des deux n’est pas la mкme. Et c’est pourquoi, en plus de toutes les vertus dйjа mentionnйes, par lesquelles l’homme obtient le bien pour ce qui est ordonnй а la fin, il est nйcessaire qu’existent d’autres vertus, par lesquelles l’homme se situe bien par rapport а la fin ultime, qui est Dieu. De lа vient qu’elles sont appelйes thйologales, parce qu’elles ont Dieu non seulement comme fin, mais aussi comme objet. Or, pour que nous soyons correctement mus vers la fin, il est nйcessaire que la fin soit а la fois connue et dйsirйe. Or, le dйsir de la fin exige deux choses : la confiance d’obtenir la fin, car aucun sage n’est mы vers ce qu’il ne peut pas obtenir; et l’amour de la fin, car elle n’est pas dйsirйe а moins d’кtre aimйe. C’est pourquoi il y a trois vertus thйologales : la foi, par laquelle nous connaissons Dieu; l’espйrance, par laquelle nous espйrons l’obtenir; la charitй, par laquelle nous l’aimons. Il ressort ainsi clairement qu’il y a trois genres de vertus : les vertus thйologales, intellectuelles et morales, et chaque genre comporte plusieurs espиces.

 Solutions :

[65864] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod moralia recipiunt speciem a finibus proximis; qui tamen non sunt infiniti, si in eis sola differentia formalis consideretur : nam finis proximus uniuscuiusque virtutis est bonum quod ipsa operatur, quod differt ratione, ut ostensum est in corp. art.

1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce des fins prochaines, qui ne sont cependant pas infinies, si l’on considиre en elles la seule diffйrence formelle, car la fin prochaine de toutes les vertus est le bien qu’elle accomplit, qui diffиre par sa raison, comme on l’a montrй dans le corps de l’article.

[65865] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit in his quae agunt per necessitatem naturae, quia ea consequuntur finem una actione et una forma : homo autem ideo habet rationem, quia per plura et diversa oportet quod ad finem suum perveniat; unde sunt ei necessariae plures virtutes.

2. Cet argument s’applique aux choses qui agissent par nйcessitй de nature, car celles-ci obtiennent leur fin par une seule action et une seule forme. Mais l’homme a la raison parce qu’il doit parvenir а sa fin par plusieurs choses diverses. Aussi plusieurs vertus lui sont-elles nйcessaires.

[65866] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidentia non multiplicantur in uno secundum numerum, sed tantum secundum speciem; unde non oportet unitatem vel multitudinem in virtutibus considerari secundum subiectum, quod est anima, vel potentiae eius, nisi quatenus diversitatem potentiarum consequitur diversa ratio boni, secundum quam distinguuntur virtutes, ut dictum est.

3. Les accidents ne sont pas multipliйs dans une chose selon le nombre, mais seulement selon l’espиce. Il n’est donc pas nйcessaire que l’unitй et la multitude soient envisagйes pour les vertus selon leur sujet, qui est l’вme ou ses puissances, si ce n’est pour autant qu’une raison de bien diffйrente entraоne la diversitй des puissances, [raison] selon laquelle les vertus sont distinguйes, comme on l’a dit.

[65867] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem est aliquid obiectum potentiae et habitus. Nam potentia est secundum quam simpliciter possumus aliquid, puta irasci vel confidere; habitus autem est secundum quem aliquid possumus bene vel male, ut dicitur in Ethic. Et ideo ubi est alia ratio boni, est alia ratio obiecti quantum ad habitum, sed non quantum ad potentiam; propter quod contingit in una potentia multos habitus esse.

4. Une chose n’est pas l’objet d’une puissance et d’un habitus selon la mкme raison. Car la puissance est ce par quoi nous pouvons tout simplement quelque chose, par exemple, кtre en colиre ou avoir confiance; mais l’habitus est ce selon quoi nous le pouvons bien ou mal, comme il est dit dans Йthique. C’est pourquoi lа oщ il y a une autre raison de bien, il y a une autre raison d’objet quant а l’habitus, mais non quant а la puissance. C’est la raison pour laquelle plusieurs habitus peuvent se trouvent dans une seule puissance.

[65868] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nihil prohibet aliquid esse causam effectivam alterius, quod tamen est causa finalis illius; sicut medicina est causa effectiva sanitatis, quae est finis medicinae, ut philosophus dicit I Ethic. Habitus igitur sunt causae effectivae actuum; sed actus sunt fines habituum; et ideo habitus formaliter secundum actus distinguuntur.

5. Rien n’empкche que quelque chose soit la cause efficiente d’une autre chose, tout en йtant sa cause finale, comme le mйdicament est la cause efficiente de la santй, qui est la fin du mйdicament, comme le Philosophe le dit dans Йthique, I. Les habitus sont donc causes efficientes des actes, mais les actes sont fins des habitus; c’est pourquoi les habitus se distinguent formellement selon les actes.

[65869] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod respectu finis qui est naturae humanae proportionatus, sufficit homini ad bene se habendum naturalis inclinatio; et ideo philosophi posuerunt aliquas virtutes, quarum obiectum esset felicitas, de qua ipsi tractabant. Sed finis in quo beatitudinem speramus, Deus, est naturae nostrae excedens proportionem; et ideo supra naturalem inclinationem necessariae sunt nobis virtutes, quibus in finem ultimum elevemur.

6. Par rapport а la fin qui est proportionnйe а la nature humaine, l’inclination naturelle suffit а l’homme pour se bien comporter. C’est pourquoi les philosophes ont mis de l’avant certaines vertus, dont l’objet serait la fйlicitй, dont eux-mкmes traitaient. Mais la fin que nous espйrons, Dieu, dйpasse la proportion de notre nature. C’est pourquoi, en plus de l’inclination naturelle, nous sont nйcessaires des vertus par lesquelles nous sommes йlevйs vers la fin ultime.

[65870] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod attingere ad Deum qualitercumque et imperfecte, maioris perfectionis est quam perfecte alia attingere; unde philosophus dicit de proprietatibus animalium, et in II de Cael. et Mund. : quod de sublimioribus rebus percipimus, est dignius, quam quod de aliis rebus multum cognoscimus. Et ideo nihil prohibet et fidem et spem esse virtutes, quamvis per eas imperfecte attingamus ad Deum.

7. Atteindre Dieu d’une maniиre quelconque et imparfaitement est plus parfait que d’atteindre parfaitement les autres rйalitйs. C’est ainsi que le Philosophe dit, а propos des propriйtйs des animaux, dans Sur le ciel et le monde, II : «Ce que nous percevons des rйalitйs plus йlevйes est plus digne que la connaissance approfondie que nous avons des autres choses.» C’est pourquoi rien n’empкche que la foi et l’espйrance soient des vertus, bien que nous approchions Dieu imparfaitement par elles.

[65871] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod affectus in Deum ordinatur et per spem in quantum confidit de Deo, et per caritatem in quantum diligit ipsum.

8. L’orientation de la volontй vers Dieu se rйalise par l’espйrance, pour autant qu’elle a confiance а propos de Dieu, et par la charitй, pour autant qu’elle l’aime.

[65872] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor est principium et radix omnium affectuum : non enim gaudemus de praesentia boni nisi in quantum est amatum; et similiter patet in omnibus aliis affectionibus. Sic igitur omnis virtus quae est ordinativa alicuius passionis, est etiam ordinativa amoris. Nec etiam sequitur quod caritas, quae est amor, non sit virtus specialis; sed oportet quod sit principium quodammodo omnium virtutum, in quantum omnes movet ad suum finem.

9. L’amour est le principe et la racine de tous les autres sentiments. En effet, nous ne nous rйjouissons de la prйsence du bien que pour autant qu’il est aimй; de mкme en est-il clairement pour tous les autres sentiments. Ainsi donc, toute vertu qui ordonne une passion ordonne aussi l’amour. Il n’en dйcoule cependant pas que la charitй, qui est un amour, ne soit pas une vertu spйciale, mais il est nйcessaire qu’il soit d’une certaine maniиre le principe de toutes les vertus, pour autant qu’il les meut toutes vers sa fin.

[65873] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet secundum omnia attributa divina accipi virtutes theologicas, sed solum secundum illa secundum quae appetitum nostrum movet ut finis; et secundum hoc sunt tres virtutes theologicae, ut dictum est art. 10 huius quaestionis.

10. Il n’est pas nйcessaire de concevoir des vertus thйologales pour tous les attributs divins, mais seulement pour ceux selon lesquels il meut notre appйtit en tant que fin. Et ainsi, il y a trois vertus thйologales, comme on l’a dit dans l’article 10 de la prйsente question.

[65874] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod religio habet Deum pro fine, non autem pro obiecto, sed ea quae offert colendo ipsum; et ideo non est virtus theologica. Similiter etiam sapientia, qua nunc contemplamur Deum, non immediate respicit ipsum Deum, sed effectus ex quibus ipsum in praesenti contemplamur. Timor etiam respicit pro obiecto aliquid aliud quam Deum; vel poenas vel propriam parvitatem, ex cuius consideratione homo Deo reverenter se subiicit.

11. La religion a Dieu comme fin, non pas en tant qu’objet, mais pour lui rendre un culte par ce qu’elle offre. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu thйologale. De mкme, la sagesse, par laquelle nous contemplons Dieu maintenant, ne porte pas sur Dieu lui-mкme, mais sur les effets а partir desquels nous le contemplons dans la vie prйsente. La crainte aussi porte sur quelque chose d’autre que Dieu : soit les peines, soit sa propre petitesse, dont la considйration pousse l’homme а se soumettre а Dieu avec respect.

[65875] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod sicut in speculativis sunt principia et conclusiones : ita et in operativis sunt fines et ea quae sunt ad finem. Sicut igitur ad perfectam cognitionem et expeditam non sufficit quod homo bene se habeat circa principia per intellectum, sed ulterius requiritur scientia ad conclusiones; ita in operativis praeter virtutes theologicas, quibus bene nos habemus ad ultimum finem, sunt necessariae virtutes aliae, quibus bene ordinemur ad ea quae sunt ad finem.

12. De mкme que, dans le domaine spйculatif, il existe des principes et des conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, il existe des fins et ce qui est ordonnй а la fin. De mкme que, pour la connaissance parfaite et rapide, il ne suffit pas que l’homme se comporte bien par rapport aux principes par l’intellect, mais qu’est aussi nйcessaire la science pour les conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, en plus des vertus thйologales par lesquelles nous nous comportons bien vis-а-vis de la fin, d’autres vertus sont-elles nйcessaires, par lesquelles nous sommes bien ordonnйs par rapport а ce qui se rapporte а la fin.

[65876] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet bonum, in quantum huiusmodi, sit obiectum appetitivae virtutis et non intellectivae; tamen id quod est bonum, potest inveniri etiam in intellectiva. Nam cognoscere verum, quoddam bonum est; et sic habitus perficiens intellectum ad verum cognoscendum, habet virtutis rationem.

13. Quoique le bien, en tant que tel, soit l’objet de la puissance appйtitive, et non de la puissance intellective, ce qui est bien peut cependant se trouver mкme dans la partie intellective. Car connaоtre le vrai est un certain bien. Et ainsi, l’habitus perfectionnant l’intellect pour connaоtre le vrai a raison de vertu.

[65877] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod prudentia secundum essentiam suam intellectualis est, sed habet materiam moralem; et ideo quandoque cum moralibus numeratur, quodammodo media existens inter intellectuales et morales.

14. La prudence est intellectuelle selon son essence, mais elle a une matiиre morale. C’est pourquoi elle est parfois comptйe parmi les vertus morales, en occupant d’une certaine faзon une position mйdiane entre les vertus intellectuelles et les vertus morales.

[65878] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtutes intellectuales licet distinguantur a moralibus, pertinent tamen ad scientiam moralem in quantum actus earum voluntati subduntur : utimur enim scientia cum volumus, et aliis virtutibus intellectualibus. Ex hoc autem aliquid morale dicitur, quod se habet aliquo modo ad voluntatem.

15. Bien que les intellectuelles soient distinctes des vertus morales, elles se rapportent cependant а la science morale pour autant que leurs actes sont soumis а la volontй. En effet, nous faisons usage de la science lorsque nous le voulons, ainsi que des autres vertus intellectuelles. Car on dit de quelque chose que cela est moral lorsque cela a un certain rapport avec la volontй.

 [65879] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio recta prudentiae non ponitur in definitione virtutis moralis, quasi aliquid de essentia eius existens; sed sicut causa quodammodo effectiva ipsius, vel per participationem. Nam virtus moralis nihil aliud est quam participatio quaedam rationis rectae in parte appetitiva, ut in superioribus dictum est.

16. La raison droite de la prudence n’est pas placйe dans la dйfinition de la vertu morale comme si elle faisait partie de son essence, mais comme une cause qui la rйalise d’une certaine maniиre ou en raison d’une participation. Car la vertu morale n’est rien d’autre qu’une certaine participation а la raison droite dans la partie appйtitive, comme on l’a dit plus haut.

[65880] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod materia artis sunt exteriora factibilia; materia autem prudentiae sunt agibilia in nobis existentia. Sicut igitur ars requirit rectitudinem quamdam in rebus exterioribus, quae ars disponit secundum aliquam formam; ita prudentia requirit rectam dispositionem in passionibus et affectionibus nostris; et propter hoc prudentia requirit aliquos habitus morales in parte appetitiva, non autem ars.

17. Les rйalisations extйrieures sont la matiиre de l’art, mais les actions а poser qui existent en nous sont la matiиre de la prudence. De mкme donc que l’art requiert une certaine rectitude dans les choses extйrieures, que l’art dispose selon une certaine forme, de mкme la prudence requiert-elle une disposition droite dans nos affections et nos passions. Pour cette raison, la prudence requiert certains habitus dans la partie appйtitive, mais non l’art.

[65881] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum concedimus. Appetitus enim intellectivae partis, qui est voluntas, potest esse universalis boni, quod per intellectum apprehenditur; non autem appetitus qui est in parte sensitiva, quia nec sensus universale apprehendit.

18. En effet, l’appйtit de la partie intellective, qui est la volontй, peut porter sur le bien universel, qui est apprйhendй par l’intellect, mais non l’appйtit qui se trouve dans la partie sensible, parce que le sens n’apprйhende pas non plus l’universel.

[65882] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet appetitus naturaliter moveatur in bonum apprehensum; ad hoc tamen quod faciliter inclinetur in hoc bonum, quod ratio consequitur per prudentiam perfectam, requiritur in parte appetitiva aliquis habitus virtutis; et praecipue vera ratio deliberans et demonstrans aliquod bonum, in cuius contrarium appetitus natus est ferri absolute; sicut concupiscibilis nata est moveri in delectabile sensus, et irascibilis in vindictam, quae tamen interdum ratio prohibet per suam deliberationem. Similiter etiam voluntas, ea quae in usum hominis veniunt, nata est appetere sibi ad necessitatem vitae, sed ratio deliberans aliquando praecipit alteri communicanda. Et ideo in parte appetitiva necessarium est ponere habitus virtutum ad hoc quod faciliter obediat rationi.

19. Bien que l’appйtit soit naturellement mы vers le bien apprйhendй, pour qu’il soit facilement inclinй vers ce bien, que la raison poursuit par la prudence parfaite, un habitus de vertu est nйcessaire dans la partie appйtitive, et surtout, une raison vraie dйlibйrant et montrant un certain bien, alors que l’appйtit, laissй а lui-mкme, est naturellement poussй vers son contraire : ainsi, le concupiscible est naturellement poussй а кtre mы vers un plaisir du sens, et l’irascible, vers la vengeance, que la raison interdit cependant par sa dйlibйration. De la mкme faзon, la volontй est naturellement poussйe а dйsirer pour elle-mкme, pour ce qui est nйcessaire а la vie, les choses qui viennent а l’usage de l’homme, mais la raison qui dйlibиre ordonne parfois de les partager avec un autre. C’est pourquoi il est nйcessaire de mettre dans la partie appйtitive les habitus des vertus afin qu’elle obйisse facilement а la raison.

[65883] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum est, quod cognitio ad prudentiam immediate pertinet; sed operatio pertinet ad eam mediante appetitiva virtute; et ideo debent in appetitiva etiam virtute esse aliqui habitus, qui dicuntur virtutes morales.

20. La connaissance relиve immйdiatement de la prudence, mais l’opйration en relиve par l’intermйdiaire de la puissance appйtitive. C’est pourquoi il doit y avoir des habitus dans la partie appйtitive, qu’on appelle les vertus morales.

[65884] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod in omnibus moralibus est una ratio veri : in omnibus enim moralibus est verum contingens agibile; non tamen in eis est una ratio boni, quod est obiectum virtutis. Et ideo respectu omnium moralium est unus habitus cognoscitivus, sed non una virtus moralis.

21. Dans toutes les rйalitйs morales, n’existe qu’une seule raison de vrai : en effet, dans toutes les rйalitйs morales, existe le vrai contingent qui peut кtre accompli. Cependant, il n’y a pas en elles une seule raison de bien, qui est l’objet de la vertu. C’est pourquoi, pour toutes les rйalitйs morales, il n’y a qu’un seul habitus cognitif, mais non pas une seule vertu morale.

[65885] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod medium in diversis materiis diversimode invenitur; et ideo diversitas materiae in virtutibus moralibus causat diversitatem formalem secundum quam virtutes morales specie differunt.

22. Le milieu se trouve diffйremment selon les diverses matiиres. C’est pourquoi la diversitй de matiиre dans les vertus morales cause une diversitй formelle, selon laquelle les vertus morales diffиrent selon l’espиce.

[65886] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod quaedam virtutes morales speciales, et circa materiam specialem existentes, appropriant sibi illud quod est commune omni virtuti, et ab eo denominantur : propterea quod illud quod est omnibus commune in aliqua speciali materia, praecipue difficultatem et laudem habet. Manifestum est enim quod ad quamlibet virtutem requiritur quod actus eius sit modificatus secundum debitas circumstantias, quibus in medio constituitur, et quod sit directus in ordine ad finem, vel ad quodcumque aliud exterius; et iterum quod habeat firmitatem. Immobiliter enim operari est una de conditionibus virtutis, ut patet III Ethic.; persistere autem firmiter praecipue habet difficultatem et laudem in periculis mortis, et ideo virtus quae est circa hanc materiam, nomen sibi fortitudinis vindicat. Continere autem, specialiter habet difficultatem et laudem in delectabilibus tactus; unde virtus quae est circa hanc materiam, temperantia nominatur. In usu autem rerum exteriorum praecipue requiritur et laudatur rectitudo, quia in huiusmodi bonis homines sibi communicant; et ideo hoc est bonum virtutis in eis, quia quantum ad ea homo directe secundum aequalitatem quamdam se habet ad alios; et ab hoc denominatur iustitia. Quandoque ergo homines de virtutibus loquentes, utuntur nomine fortitudinis et temperantiae et iustitiae, non secundum quod sunt virtutes speciales in determinata materia, sed secundum conditiones generales a quibus denominantur. Et per hoc dicitur quod temperantia debet esse fortis, id est firmitatem habere; et fortitudo debet esse temperata, id est modum servare, et eadem ratio est in aliis. De prudentia vero manifestum est quod quodammodo est generalis, in quantum habet pro materia omnia moralia, et in quantum omnes virtutes morales quodammodo eam participant, ut ostensum est in isto art. ad 16 arg., et hac ratione dicitur quod omnis virtus moralis debet esse prudens.

23. Certaines vertus morales particuliиres, portant sur une matiиre particuliиre, s’approprient ce qui est commun а toute vertu et en portent le nom, parce que ce qui est commun comporte, dans une matiиre particuliиre, une difficultй et une louange particuliиres. En effet, il est clair qu’il est nйcessaire pour toute vertu que ses actes soient rйglйs selon les circonstances appropriйes, en fonction desquelles elle dйtermine un milieu, et qu’elle soit orientйe selon l’ordre а la fin ou vers quelque chose d’extйrieur, et aussi, qu’elle possиde une fermetй. En effet, agir immuablement est une condition de la vertu, comme cela ressort clairement de l’Йthique, III; et persister fermement comporte une difficultй et une louange, surtout dans les dangers de mort. C’est pourquoi la vertu qui porte sur cette matiиre revendique le nom de force. Mais se contenir comporte une difficultй et une louange spйciales dans les plaisirs du toucher. Aussi la vertu qui porte sur cette matiиre est-elle appelйe tempйrance. Pour ce qui est de l’usage des choses extйrieures, la droiture surtout est exigйe et louйe, car les hommes йchangent ce genre de biens entre eux. C’est pourquoi lа se trouve le bien de la vertu en cette matiиre, car, pour ce qui concerne ces choses, l’homme se comporte correctement envers les autres par une certaine йgalitй. Pour cette raison, elle est appelйe justice. Parfois donc, lorsqu’ils parlent des vertus, les hommes utilisent le nom de force, de tempйrance et de justice, non pas selon qu’elles sont des vertus spйciales portant sur une matiиre dйterminйe, mais selon les conditions gйnйrales d’aprиs lesquelles elles sont nommйes. C’est ainsi qu’on dit que la tempйrance doit кtre forte, c’est-а-dire possйder une fermetй; et que la force doit кtre tempйrйe, c’est-а-dire respecter une mesure. Et la mкme raison vaut pour les autres. Mais il est clair que prudence est, d’une certaine maniиre, gйnйrale, pour autant qu’elle a comme matiиre toutes les rйalitйs morales, et pour autant que toutes les vertus morales y participent, comme on l’a montrй dans le prйsent article, а l’argument 16. Pour cette raison, on dit que toute vertu doit кtre prudente.

[65887] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod virtus aliqua dicitur cardinalis, quasi principalis, quia super eam aliae virtutes firmantur sicut ostium in cardine. Et quia ostium est per quod introitur in domum, ratio cardinalis virtutis non competit virtutibus theologicis, quae sunt circa ultimum finem, ex quo non est introitus vel motus ad aliquid interius. Convenit enim virtutibus theologicis quod super eas aliae virtutes firmentur, sicut supra aliquid immobile; et ideo fides dicitur fundamentum, 1 Corinth., III, 11 : fundamentum enim aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est; spes ancora, Heb. VI, 19 : sicut anima ancoram etc.; caritas radix, Ephes. III, 17 : in caritate radicati et fundati. Similiter etiam intellectuales non dicuntur cardinales, quia perficiunt in vita contemplativa quaedam earum, scilicet sapientia, scientia, et intellectus : vita autem contemplativa est finis, unde non habet rationem ostii. Sed vita activa, in qua perficiuntur morales, est ut ostium ad contemplativam. Ars autem non habet virtutes sibi cohaerentes, ut cardinalis dici possit. Sed prudentia, quae dirigit in vita activa, inter cardinales virtutes computatur.

24. Une vertu est appelйe cardinale, ou principale, parce que d’autres vertus s’appuient sur elle comme une porte sur un gond (in cardine). Et parce que la porte est ce par oщ l’on entre dans la maison, la raison de vertu cardinale ne convient pas aux vertus thйologales, qui portent sur la fin ultime, а partir de laquelle il n’y a pas d’entrйe ou de mouvement vers quelque chose а l’intйrieur. En effet, il convient aux vertus thйologales que d’autres vertus s’appuient sur elles comme sur quelque chose d’immuable. C’est pourquoi on dit que la foi est le fondement, 1 Co 3, 11 : Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a йtй opposй ; que l’espйrance est une ancre, He 6, 19 : [Nous avons] comme ancre de notre вme, etc.; que la charitй est la racine, Ep 3, 17 : Enracinйs et appuyйs sur la charitй. De la mкme faзon aussi, les vertus intellectuelles ne sont pas appelйes cardinales, parce qu’elles rйalisent dans la contemplation certaines choses qui leur appartiennent, а savoir, la sagesse, la science et l’intelligence. Mais la vie contemplative est la fin; elle n’a donc pas raison de porte. Toutefois, la vie active, dans laquelle sont accomplies les vertus morales, est comme la porte de la vie contemplative. L’art n’a pas de vertus qui lui soient associйes au point qu’il soit appelй cardinal. Mais la prudence, qui assure la direction dans la vie active, est comptйe au nombre des vertus cardinales.

[65888] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod in parte rationali sunt duae virtutes, scilicet appetitiva, quae vocatur voluntas; et apprehensiva, quae vocatur ratio. Unde in parte rationali sunt duae virtutes cardinales : prudentia quantum ad rationem, iustitia quantum ad voluntatem. In concupiscibili autem temperantia; sed in irascibili fortitudo.

25. Dans la partie raisonnable, il existe deux puissances : la puissance appйtitive, qui est appelйe volontй; et la puissance apprйhensive, qui est appelйe raison. Aussi y a –t-il dans la partie raisonnable deux vertus cardinales : la prudence, pour ce qui est de la raison, et la justice, pour ce qui est de la volontй. Dans le concupiscible, il y a la tempйrane, mais, dans l’irascible, la force.

[65889] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod in unaquaque materia oportet esse cardinalem virtutem circa id quod est principalius in materia illa. Virtutes autem quae sunt circa alia quae pertinent ad illam materiam, dicuntur secundariae vel adiectae. Sicut in passionibus concupiscibilis, principaliores sunt concupiscentiae et delectationes quae sunt secundum tactum, circa quas est temperantia; et ideo in materia ista temperantia ponitur cardinalis; eutrapelia vero, quae est circa delectationes quae sunt in ludis, potest poni secundaria vel adiuncta. Similiter inter passiones irascibilis, praecipuum est quod pertinet ad timores et audacias circa pericula mortis, circa quae est fortitudo : unde fortitudo ponitur virtus cardinalis in irascibili; non mansuetudo, quae est circa iras, licet ab ira denominetur, irascibilis propter hoc quod est ultima inter passiones irascibilis; nec etiam magnanimitas et humilitas, quae quodammodo se habent ad spem vel fiduciam alicuius magni : non enim ita movent hominem ira et spes, sicut timor mortis. In actionibus autem quae sunt respectu exteriorum quae veniunt in usum vitae, primum et praecipuum est quod unicuique quod suum est, reddatur : quod facit iustitia. Hoc enim subtracto, neque liberalitas neque magnificentia locum habet, et ideo iustitia est cardinalis virtus, et aliae sunt adiunctae. In actibus etiam rationis praecipuum est praecipere, sive eligere, quod facit prudentia : ad hoc enim ordinatur et consultiva, in quo dirigit eubulia, et iudicium de consiliatis, in quo dirigit synesis. Unde prudentia est cardinalis, aliae vero virtutes sunt adiunctae.

26. En chaque matiиre, il est nйcessaire qu’existe une vertu cardinale portant sur ce qui esst plus important dans cette matiиre. Les vertus qui portent sur d’autres choses appartenant а cette matiиre sont appelйes secondaires ou associйes. Ainsi, dans les passions du concupiscible, les principales [passions] sont les dйsirs et les plaisirs qui concernent le toucher, sur lesquels porte la tempйrance. C’est pourquoi, dans cette matiиre, la tempйrance est cardinale. Mais l’eutrapйlie, qui porte sur les plaisirs des jeux, peut кtre mise comme secondaire ou associйe. De mкme, dans les passions de l’irascible, est principal ce qui concerne les craintes et les audaces en rapport avec les dangers de morts, sur lesquelles porte la force. C’est pourquoi la force est mise comme vertu cardinale de l’irascible, et non pas la douceur, qui porte sur les colиres, bien que l’irascible tire son nom de la colиre, parce que c’est la colиre qui occupe le point le plus йlevй des passions de l’irascible. Ni la magnanimitй ni l’humilitй, qui se rapportent d’une certaine maniиre а l’espoir ou а la confiance en quelque chose de grand : en effet, la colиre et l’espoir ne meuvent pas autant l’homme que la crainte de la mort. Parmi les actions qui portent sur les rйalitйs extйrieures qui sont utilisйes pour vivre, la premiиre et la principale consiste en ce que soit rendu а chacun ce qui lui appartient, ce que fait la justice. Si cela est enlevй, ni la libйralitй ni la magnificence n’ont de place. C’est pourquoi la justice est une vertu cardinale et les autres, des [vertus] associйes. Parmi les actions de la raison, la principale consiste а commander ou а choisir, ce que fait la prudence : en effet, c’est а cela que sont ordonnйs la consultation, que dirige l’eubolia, et le jugement sur ce qui est conseillй, que dirige la synesis. Ainsi, la prudence est une [vertu] cardinale, mais les autres vertus sont associйes.

[65890] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum, quod aliae virtutes adiunctae vel secundariae ponuntur partes cardinalium, non integrales vel subiectivae, cum habeant materiam determinatam et actum proprium; sed quasi partes potentiales, in quantum particulariter participant, et deficienter medium quod principaliter et perfectius convenit virtuti cardinali.

27. Les autres vertus associйs ou secondaires sont donnйes comme des parties des vertus cardinales, non pas intйgrales ou subjectives, puisqu’elles ont une matiиre dйterminйe et un acte propre, mais comme des parties potentielles, pour autant qu’elles y participent d’une maniиre particuliиre et dйfinissent le milieu, qui convient principalement et plus parfaitement а une vertu cardinale.

 

Articulus 13 : [65891] De virtutibus, q. 1 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum virtus sit in medio

Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu?

 Objections :

[65892] De virtutibus, q. 1 a. 13 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65893] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 1 Quia, ut dicitur in I de caelo, virtus est ultimum potentiae. Sed ultimum non est medium, sed magis extremum. Ergo virtus non est in medio, sed in extremo.

1. Comme il est dit dans Sur le ciel, I, la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, ce qui est le point ultime n’est pas un milieu, mais plutфt un extrкme. La vertu ne se situe donc pas au milieu, mais а l’extrкme.

[65894] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 2 Praeterea, virtus habet rationem boni; est enim bona qualitas, ut Augustinus dicit. Bonum autem habet rationem finis, quod est ultimum, et ita extremum. Ergo magis virtus est in extremo quam in medio.

2. La vertu a raison de bien : en effet, elle est une bonne qualitй, comme le dit Augustin. Or, le bien a raison de fin, ce qui est le point ultime, et ainsi extrкme. La vertu se situe donc davantage dans un extrкme que dans un milieu.

[65895] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 3 Praeterea, bonum est contrarium malo, inter quae nullum est medium, quod neque bonum neque malum est, ut dicitur in postpraedicamentis. Ergo bonum habet rationem extremi; et sic virtus, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit, ut dicitur in II Ethic., non est in medio sed in extremo.

3. Le bien est contraire au mal : entre les deux, il n’y a aucun milieu, qui ne soit ni bien ni mal, comme il est dit dans les Postprйdicaments. Le bien a donc raison d’extrкme, et ainsi la vertu, qui «rend bon celui qui la possиde et rend son acte bon», comme il est dit dans Йthique, II, ne se situe pas dans un milieu mais dans un extrкme.

[65896] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 4 Praeterea virtus est bonum rationis; hoc enim est virtuosum quod secundum rationem est. Ratio autem in homine non se habet ut medium, sed ut supremum. Ergo ratio medii non competit virtuti.

4. La vertu est le bien de la raison : en effet, est vertueux ce qui est conforme а la raison. Or, la raison chez l’homme ne se prйsente pas chez l’homme comme un milieu, mais comme quelque chose de suprкme. La raison de milieu ne convient donc pas а la vertu.

[65897] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 5 Praeterea, omnis virtus, aut est theologica, aut intellectualis, aut moralis, ut ex superioribus patet. Sed virtus theologica non est in medio; quia Bernardus dicit quod modus caritatis est non habere modum. Caritas autem praecipua est inter alias virtutes theologicas, et radix earum. Similiter etiam nec intellectualibus virtutibus videtur competere ratio medii : quia medium est inter contraria; res autem, prout sunt in intellectu non sunt contrariae, nec intellectus corrumpitur ex excellenti intelligibili, ut dicitur in III de anima. Similiter etiam nec virtutes morales videntur esse in medio : quia quaedam virtutes consistunt in maximo : sicut fortitudo est circa maxima pericula, quae sunt pericula mortis; et magnanimitas circa magnum in honoribus; et magnificentia circa magnum in sumptibus; et pietas circa maximam reverentiam quae debetur parentibus, quibus nihil aequivalens reddere possumus; et simile est de religione, quae circa magnum est in cultu divino, cui non possumus sufficienter servire. Ergo virtus non est in medio.

5. Toute vertu est soit thйologale, soit intellectuelle, soit morale, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut. Or, la vertu thйologale ne se situe pas dans un milieu, car Bernard dit que la mesure de la charitй consiste en ce qu’elle n’ait pas de mesure. Or, la charitй est la principale des vertus thйologales et leur racine. De mкme aussi, la raison de milieu ne semble pas convenir aux vertus intellectuelles, car le milieu se situe entre des contraires. Or, les choses, en tant qu’elles sont dans l’intellect, ne sont pas contraires, et l’intellect n’est pas corrompu par un objet intelligible excellent, comme il est dit dans Sur l’вme, III. De mкme encore, les vertus morales ne semblent pas se situer dans un milieu, car certaines vertus portent sur ce qui est le plus grand, comme la force porte sur les dangers les plus grands, qui sont les dangers de mort, la magnanimitй sur les plus grands honneurs, la magnificence sur les plus grandes dйpenses, la piйtй sur le plus grand respect qui est dы aux parents, auxquels nous ne pouvons rendre rien d’йquivalent. Et il en est de mкme pour la religion, qui porte sur ce qui est grand dans le culte de Dieu, que nous ne pouvons suffisamment servir. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

[65898] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 6 Praeterea, si perfectio virtutis consistit in medio, oportet quod perfectiores virtutes magis in medio consistant. Sed virginitas et paupertas sunt perfectiores virtutes, quia cadunt sub consilio, quod non est nisi de meliori bono. Ergo virginitas et paupertas essent in medio : quod videtur esse falsum; quia virginitas in materia venereorum abstinet ab omni venereo, et ita tenet extremum; et similiter in possessionibus paupertas, quia renuntiat omnibus. Non ergo videtur quod ratio virtutis sit consistere in medio.

6. Si la perfection de la vertu se situe dans un milieu, il est nйcessaire que les vertus plus parfaites se situent plutфt dans un milieu. Or, la virginitй et la pauvretй sont des vertus plus parfaites parce qu’elles sont l’objet d’un conseil, qui ne porte que sur un bien meilleur. La virginitй et la pauvretй se situeraient donc dans un milieu, ce qui semble кtre faux, car la virginitй s’abstient de tout plaisir sexuel en matiиre de plaisirs sexuels, et se situe ainsi а un extrкme. De mкme en est-il de la pauvretй pour les possessions, car elle renonce а toutes. Il ne semble donc pas que la raison de vertu se situe dans un milieu.

[65899] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 7 Praeterea, Boetius in arithmetica assignat triplex medium : scilicet arithmeticum, ut 6 inter 4 et 8, quia secundum aequalem quantitatem distat ab utroque; et medium geometricum, sicut 6 inter 9 et 4, quia secundum eamdem proportionem, scilicet sesquialteram, ab utroque extremo distat, licet non secundum eamdem quantitatem; et medium harmonicum, sive musicum, sicut 3 est medium inter 6 et 2, quia quae proportio est unius extremi ad alterum, scilicet 6 ad 2, eadem est proportio 3 (quod est differentia inter 6 et 3) ad 1, quod est differentia inter 2 et 3. Nullum autem istorum mediorum salvatur in virtute; quia non oportet quod medium virtutis aequaliter se habeat ad extremum neque secundum quantitatem, neque secundum proportionem et terminorum et differentiarum. Ergo virtus non est in medio.

7. Boиce, dans Arithmйtique, signale trois milieux : le [milieu] arithmйtique, comme 6 entre 4 et 8, car il est а йgale distance des deux par une quantitй йgale; le milieu gйomйtrique, comme 6 entre 9 et 4, car il est йgale distance des deux selon une mкme proportion, а savoir, sesquialtиre [une fois et demie], bien qu’il ne le soit pas selon une quantitй йgale; le milieu harmonique ou musical, comme 3 est le milieu entre 6 et 2, parce que la proportion d’un extrкme а l’autre, а savoir, de 6 а 2, est la mкme proportion de 3 (qui est la diffйrence entre 6 et 3) а 1, qui est la diffйrence entre 2 et 3. Or, aucun de ces milieux n’est respectй dans la vertu, car il n’est pas nйcessaire que le milieu de la vertu se situe йgalement par rapport aux extrкmes selon la quantitй, ni selon une proportion des termes et des diffйrences. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

[65900] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 8 Sed dicendum, quod virtus consistit in medio rationis, et non in medio rei, de quo dicit Boetius.- Sed contra, virtus, secundum Augustinum, computatur inter maxima bona, quibus nullus male utitur. Si ergo bonum virtutis est in medio, oportet quod medium virtutis maxime habeat rationem medii. Sed medium rei perfectius habet rationem medii quam medium rationis. Ergo medium virtutis magis est medium rei quam medium rationis.

8. La vertu consiste dans un milieu selon la raison, et non dans le milieu d’une chose, dont parle Boиce. – En sens contraire, la vertu, selon Augustin, compte parmi les plus grands biens, que personne n’utilise mal. Si donc le bien de la vertu se trouve dans un milieu, il est nйcessaire que le milieu de la vertu possиde au plus haut point la raison de milieu. Or, le milieu d’une chose possиde plus parfaitement la raison de milieu que le milieu selon la raison. Le milieu de la vertu est donc davantage le milieu d’une chose qu’un milieu selon la raison.

[65901] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 9 Praeterea, virtus moralis est circa passiones et operationes animae, quae sunt indivisibiles. In indivisibili autem non est accipere medium et extrema. Ergo virtus non consistit in medio.

9. La vertu morale porte sur les passions et les opйrations de l’вme, qui sont indivisibles. Or, dans l’indivisible, on ne peut dйterminer de milieu ni d’extrкmes. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

[65902] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 10 Praeterea, philosophus dicit in Lib. topicorum, quod in voluptatibus melius est facere quam fecisse, vel fieri quam factum esse. Sed virtus aliqua est circa voluptates, scilicet temperantia. Ergo, cum virtus semper quaerat quod melius est; semper temperantia quaeret voluptates fieri, quod est tenere extremum, et non medium. Non ergo virtus moralis consistit in medio.

10. Le Philosophe dit, dans le livre des Topiques, que, pour les plaisirs, mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, ou les rechercher que de les avoir eus. Or, une vertu porte sur les plaisirs, а savoir, la tempйrance. Puisque la vertu cherche toujours ce qui est meilleur, la tempйrance vise donc toujours а rechercher les plaisirs, ce qui est se situer а un extrкme, et non dans un milieu. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.

[65903] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 11 Praeterea, ubi est invenire magis et minus, ibi est invenire medium. Sed in vitiis est invenire magis et minus; est enim aliquis magis vel minus luxuriosus vel gulosus. Ergo in gula et luxuria, et in aliis vitiis, est invenire medium. Si ergo ratio virtutis est esse in medio, videtur quod in vitiis sit invenire virtutem.

11. Lа oщ l’on trouve du plus et du moins, lа on trouve un milieu. Or, on trouve du plus et eu moins dans les vices : en effet, quelqu’un est plus ou moins luxurieux ou gourmand. On trouve donc un milieu dans la gourmandise et la luxure, et dans les autres vices. Si donc la raison de vertu consiste а se situer dans un milieu, il semble qu’on trouve de la vertu dans les vices.

[65904] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 12 Praeterea, si virtus consistit in medio, non nisi in medio duorum vitiorum. Hoc autem non convenit omni virtuti morali; iustitia enim non est inter duo vitia, sed habet unum tantum vitium oppositum : accipere enim plus quam suum est, hoc vitiosum est; sed quod auferatur alicui de eo quod suum est, absque suo vitio est. Ergo ratio virtutis moralis non est ut in medio consistat.

12. Si la vertu se situe dans un milieu, ce n’est que dans un milieu entre deux vices. Or, cela ne convient pas а toutes les vertus morales. En effet, la justice ne se situe pas entre deux vices, mais n’a qu’un vice opposй, car prendre plus que ce qui vous appartient, cela est vicieux, mais enlever а quelqu’un ce qui vous appartient est accompli sans vice. La raison de vertu morale ne consiste donc pas а se situer dans un milieu.

[65905] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 13 Praeterea, medium aequaliter distat ab extremis. Sed virtus non aequaliter distat ab extremis. Fortis enim propinquior est audaci quam timido, et liberalis prodigo quam tenaci; et similiter patet in aliis. Ergo virtus moralis non consistit in medio.

13. Le milieu est а йgale distance des extrкmes. Or, la vertu n’est pas а йgale distance des extrкmes. En effet, le fort est plus proche de l’audacieux que du timide, et celui qui est libйral [est plus proche] du prodigue que de l’avare. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.

[65906] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 14 Praeterea, de extremo in extremum non transitur nisi per medium. Si ergo virtus sit in medio, non erit de uno vitio opposito in aliud transitus nisi per virtutem; quod patet esse falsum.

14. On ne va d’un extrкme а l’autre qu’en passant par le milieu. Si donc la vertu se situe dans un milieu, il n’y aura passage d’un vice opposй а un autre qu’en passant par la vertu. Ce qui est manifestement faux.

[65907] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem genere. Sed fortitudo et timiditas et audacia non sunt in eodem genere : nam fortitudo est in genere virtutis; timiditas et audacia in genere vitii. Ergo fortitudo non est medium inter ea. Et similiter potest obiici de aliis virtutibus.

15. Le milieu et les extrкmes appartiennent au mкme genre. Or, la force, la timiditй et l’audace ne font pas partie du mкme genre, car la force est dans le genre de la vertu, et la timiditй et l’audace dans le genre du vice. La force n’est donc pas un milieu entre celles-ci. Et on peut faire la mкme objection а propos des autres vertus.

[65908] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 16 Praeterea, in quantitatibus sicut extrema sunt indivisibilia, ita et medium; nam punctum est et medium et terminus lineae. Si ergo virtus consistit in medio, consistit in indivisibili. Et hoc etiam videtur per hoc quod philosophus dicit in II Ethic., quod difficile est esse virtuosum; sicut difficile est attingere signum, vel invenire centrum in circulo. Si ergo virtus in indivisibili consistit, videtur quod virtus non augeatur et minuatur; quod est manifeste falsum.

16. Dans les quantitйs, de mкme que les extrкmes sont indivisibles, de mкme en est-il du milieu, car le point est а la fois le milieu et le terme de la ligne. Si donc la vertu se situe dans un milieu, elle consiste dans un indivisible. C’est aussi ce que semble dire le Philosophe dans Йthique, II, qu’кtre vertueux est difficile, comme il est difficile d’atteindre un repиre ou de trouver le centre dans un cercle. Si donc la vertu se situe dans un milieu, il semble que la vertu n’augmente pas ni ne diminue. Ce qui est manifestement faux.

[65909] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 17 Praeterea, in indivisibili non est aliqua diversitas. Si ergo virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur quod in virtute non sit aliqua diversitas, ita quod id quod est virtuosum uni, sit virtuosum alteri; quod est manifeste falsum : nam aliquis laudatur in uno, qui vituperatur in altero.

17. Il n’y a pas de diversitй dans ce qui est indivisible. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il semble qu’il n’y aura aucune diversitй dans la vertu, de sorte que ce qui est vertueux pour l’un sera vertueux pour l’autre, ce qui est manifestement faux, car quelqu’un est louangй pour une chose qui est blвmйe chez un autre.

[65910] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 18 Praeterea, quidquid vel ad modicum elongatur ab indivisibili, puta a centro, est extra indivisibile, et extra centrum. Si igitur virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur quod quodcumque vel ad modicum declinet ab eo quod est rectum fieri, sit extra virtutem; et sic rarissime homo operatur secundum virtutem. Non ergo virtus est in medio.

18. Tout ce qui s’йloigne ne serait-ce qu’un peu de ce qui est indivisible, par exemple, du centre, se trouve en dehors de l’indivisible et en dehors du centre. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il semble que tout ce s’йcarte un peu de ce qui est bien agir soit en dehors de la vertu. Et ainsi, ce n’est que trиs rarement que l’homme agit selon la vertu. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

Cependant :

[65911] De virtutibus, q. 1 a. 13 s. c. Sed contra, est quod omnis virtus vel est moralis, vel intellectualis, vel theologica. Virtus autem moralis est in medio; nam virtus moralis, secundum philosophum in VII Ethic., est habitus electivus in medietate consistens. Virtus etiam intellectualis videtur esse in medio, propter id quod apostolus dicit, Rom., XII, 3 : non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem. Similiter etiam virtus theologica videtur esse in medio; nam fides incedit media inter duas haereses, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis; spes etiam est media inter praesumptionem et desperationem. Ergo omnis virtus est in medio.

Toute vertu est soit morale, soit intellectuelle, soit thйologale. Or, la vertu morale se situe dans un milieu, car la vertu morale, selon le Philosophe dans Йthique, VI, est un habitus йlectif qui se situe dans un milieu. La vertu intellectuelle aussi semble se situer dans un milieu en raison de ce que l’Apфtre dit, Rm 12, 3 : Ne pas savoir plus qu’il faut en savoir, mais savoir avec modйration. De mкme, la vertu thйologale semble se situer dans un milieu, car la foi chemine entre deux hйrйsies, comme le dit Boиce dans le Livre sur les deux natures; l’espйrance aussi se situe entre la prйsomption et le dйsespoir. Toute vertu se situe donc dans un milieu.

Rйponse :

[65912] De virtutibus, q. 1 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod virtutes morales et intellectuales sunt in medio, licet aliter et aliter; virtutes autem theologicae non sunt in medio, nisi forte per accidens. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cuiuslibet habentis regulam et mensuram bonum consistit in hoc quod est adaequari suae regulae vel mensurae; unde dicimus illud bonum esse quod neque plus neque minus habet quam debet habere. Considerandum autem est quod materia virtutum moralium sunt passiones et operationes humanae, sicut factibilia sunt materia artis. Sicut igitur bonum in his quae fiunt per artem, consistit in hoc quod artificiata accipiant mensuram secundum quod exigit ars, quae est regula artificiatorum; ita bonum in passionibus et operationibus humanis est quod attingatur modus rationis, qui est mensura et regula omnium passionum et operationum humanarum. Nam cum homo sit homo per hoc quod rationem habet, oportet quod bonum hominis sit secundum rationem esse. Quod autem in passionibus et operationibus humanis aliquis excedat modum rationis vel deficiat ab eo, hoc est malum. Cum igitur bonum hominis sit virtus humana, consequens est quod virtus moralis consistat in medio inter superabundantiam et defectum; ut superabundantia et defectus et medium accipiantur secundum respectum ad regulam rationis. Virtutum autem intellectualium, quae sunt in ipsa ratione, quaedam sunt practicae, ut prudentia et ars; quaedam speculativae, ut sapientia, scientia et intellectus. Et practicarum quidem virtutum materia sunt passiones et operationes humanae, vel ipsa artificialia; materia autem virtutum speculativarum sunt res ipsae necessariae. Aliter autem se habet ratio ad utraque. Nam ad ea circa quae ratio operatur, se habet ratio ut regula et mensura, sicut iam dictum est; ad ea vero quae speculatur, se habet ratio sicut mensuratum et regulatum ad regulam et mensuram : bonum enim intellectus nostri est verum, quod quidem sequitur intellectus noster quando adaequatur rei. Sicut igitur virtutes morales consistunt in medio determinato per rationem; ita ad prudentiam, quae est virtus intellectualis practica circa moralia, pertinet idem medium in quantum ponit ipsum circa actiones et passiones. Et hoc patet per definitionem virtutis moralis, quae, ut in II Ethic. dicitur, est habitus electivus, in medietate consistens, ut sapiens determinabit. Idem ergo est medium prudentiae et virtutis moralis; sed prudentiae est sicut imprimentis, virtutis moralis sicut impressi; sicut eadem est rectitudo artis ut rectificantis, et artificiati ut rectificati. In virtutibus autem intellectualibus speculativis medium erit ipsum verum, quod consideratur in eo secundum quod attingit suam mensuram. Quod quidem non est medium inter aliquam contrarietatem quae sit ex parte rei : contraria enim inter quae accipitur medium virtutis, non sunt ex parte mensurae, sed ex parte mensurati, secundum quod excedit vel deficit a mensura; sicut patet ex hoc quod dictum est de virtutibus moralibus. Oportet igitur contraria inter quae est hoc medium virtutum intellectualium, accipere ex parte ipsius intellectus. Contraria autem intellectus sunt opposita secundum affirmationem et negationem, ut patet in II Periher. Inter affirmationes ergo et negationes oppositas accipitur medium virtutum intellectualium speculativarum, quod est verum : ut puta, quia verum est cum dicitur esse quod est, et non esse quod non est; falsum autem secundum excessum erit, ut dicitur esse quod non est; secundum defectum vero, cum dicitur non esse quod est. Si igitur in intellectu non esset aliqua propria contrarietas praeter contrarietatem rerum, non esset accipere in virtutibus intellectualibus medium et extrema. Manifestum est autem, quod in voluntate non est accipere aliquam contrarietatem propriam, sed solum secundum ordinem ad res volitas contrarias : quia intellectus cognoscit aliquid secundum quod est in ipso; voluntas autem movetur ad rem secundum quod in se est. Unde si aliqua virtus sit in voluntate secundum comparationem ad eius mensuram et regulam, talis virtus non consistet in medio : non enim est accipere extrema ex parte mensurae, sed ex parte mensurati tantum, prout excedit vel diminuitur a mensura. Virtutes autem theologicae ordinantur ad suam materiam vel obiectum, quod est Deus, mediante voluntate. Et quod de caritate et spe manifestum est, hoc circa fidem similiter dicitur. Nam licet fides sit in intellectu, est tamen in eo secundum quod imperatur a voluntate : nullus enim credit nisi volens. Unde, cum Deus sit regula et mensura voluntatis humanae, manifestum est quod virtutes theologicae non sunt in medio, per se loquendo; etsi contingat quandoque aliquam earum esse in medio per accidens, ut postea exponetur.

Les vertus morales et intellectuelles se situent dans un milieu, bien que de maniиre diffйrente; mais les vertus thйologales ne situent pas dans un milieu, si ce n’est par accident. Pour clarifier cela, il faut savoir que le bien de tous ceux qui ont une rиgle ou une mesure consiste а йgaler leur rиgle ou mesure. Ainsi disons-nous qu’est bon ce qui n’a ni plus ni moins que cela doit avoir. Or, il faut observer que les passions et les opйrations humaines sont la matiиre des vertus morales, comme les choses а rйaliser sont la matiиre de l’art. De mкme donc que le bien, dans ce qui est fait par l’art, consiste en ce que les choses rйalisйes reзoivent la mesure qu’exige l’art, qui est la rиgle des choses rйalisйes, de mкme le bien, pour les passions et les opйrations humaines, consiste-t-il en ce que la mesure de la raison soit atteinte, qui est la mesure et la rиgle de toutes les passions et opйrations humaines. En effet, puisque l’homme est homme par le fait de possйder la raison, il est nйcessaire que le bien de l’homme consiste а exister selon la raison. Mais ce qui, pour les passions et les opйrations humaines, dйpasse la mesure de la raison ou n’y atteint pas, cela est mal. Puisque le bien de l’homme est la vertu humaine, il en dйcoule donc que la vertu morale se situe dans un milieu entre l’excиs et le manque, de telle sorte que l’excиs et le manque soient entendus par rapport а la rиgle de la raison. Or, parmi les vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la raison elle-mкme, certaines sont pratiques, comme la prudence et l’art, et certains spйculatives, comme la sagesse, la science et l’intelligence. Les passions et les opйrations humaines sont la matiиre des vertus pratiques, alors que les choses elles-mкmes qui ont un caractиre nйcessaire sont la matiиre des vertus spйculatives. Or, la raison a un rapport diffйrent avec les deux. Car le rapport de la raison avec ce qu’elle accomplit en est un de rиgle et de mesure, comme on l’a dйjа dit; mais le rapport de la raison avec ce sur quoi elle spйcule est celui de ce qui est mesurй et rйglй par rapport а la rиgle et а la mesure : en effet, le bien de notre intelligence est le vrai, qu’atteint notre intellect lorsqu’il est йgal а une rйalitй. Comme les vertus morales se situent dans un milieu dйterminй par la raison, ainsi le mкme milieu relиve-t-il de la prudence, qui est une vertu intellectuelle pratique portant sur les rйalitйs morales, pour autant qu’elle l’йtablit pour les actions et les passions. Et cela ressort clairement de la dйfinition de la vertu morale qui, comme le dit Йthique, II, est un habitus йlectif se situant dans un milieu que la sagesse dйterminera. Le milieu de la prudence est donc le mкme que celui de la vertu morale, mais celui de la prudence l’est en tant qu’elle imprиgne, et celui de la vertu morale en tant qu’elle est imprйgnйe, comme la rectitude de l’art, en tant qu’йtablissant une rectitude, est la mкme que ce qui est le rйsultat de l’art, en tant qu’une rectitude y est йtablie. Mais, dans les vertus intellectuelles spйculatives, le milieu serait le vrai lui-mкme, qui est observй par le fait qu’il atteint sa mesure, ce qui n’est pas un milieu entre des contraires qui viendraient de la chose : en effet, les contraires entre lesquels le milieu de la vertu est conзu ne viennent pas de la mesure, mais de ce qui est mesurй, selon que cela dйpasse ou fait dйfaut а la mesure, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit des vertus morales. Il faut donc concevoir les contraires entre lesquels se situe ce milieu des vertus intellectuelles du cфtй de l’intelligence elle-mкme. Or, les contraires dans l’intelligence s’opposent selon l’affirmation et la nйgation, comme cela ressort clairement du Perihermeneias, II. Le milieu des vertus intellectuelles spйculatives se situe donc entre les affirmations et les nйgations opposйes, ce qui est le vrai : par exemple, il est vrai de dire que ce qui est est, et que ce qui n’est pas n’est pas; mais il sera faux par excиs de dire que ce qui n’est pas est, mais par dйfaut, que ce qui est n’est pas. S’il n’existait donc pas dans l’intelligence quelque contrariйtй propre au-delа de la contrariйtй dans les choses, il n’y aurait pas lieu de reconnaоtre un milieu et des extrкmes dans les vertus intellectuelles. Or, il est clair que, dans la volontй, il n’y a pas lieu de reconnaоtre une contrariйtй propre, mais seulement selon l’ordre par rapport а des choses voulues contraires, car l’intellect connaоt une chose selon qu’elle existe en lui, mais la volontй est mue vers une chose selon qu’elle est en elle-mкme. De sorte que s’il y a une vertu dans la volontй selon la comparaison а sa mesure et rиgle, une telle vertu ne se situera pas dans un milieu : en effet, on ne peut concevoir d’extrкmes par rapport а la mesure, mais seulement par rapport а ce qui est mesurй, pour autant que cela dйpasse ou manque а la mesure. Or, les vertus thйologales sont ordonnйes а leurs matiиre ou objet, qui est Dieu, par l’intermйdiaire de la volontй. Et ce qui est clair pour la charitй et l’espйrance, se dit de la mкme maniиre de la foi. Car, bien que la foi soit dans l’intelligence, elle est cependant en elle selon qu’elle est commandйe par la volontй : en effet, personne ne croit que s’il le veut. Aussi, puisque Dieu est la rиgle et la mesure de la volontй humaine, il est clair que les vertus thйologales ne se situent pas dans un milieu, а proprement parler, mкme s’il arrive parfois que l’une d’elles se situe dans un milieu par accident, comme on l’exposera plus loin.

Solutions :

[65913] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ultimum potentiae dicitur in quod ultimo potentia extenditur, et hoc est difficillimum : quia difficillimum est invenire medium, facile autem est divertere ab eo. Et ex hoc ipso virtus est ultimum potentiae, quod est in medio.

1. Le point ultime de la puissance se dit du point ultime auquel la puissance s’йtend, et cela est trиs difficile, car il est trиs difficile de trouver le milieu, mais il est facile de s’en йloigner. La vertu est donc le point ultime d’une puissance par le fait mкme qu’elle se situe dans un milieu.

[65914] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum habet rationem ultimi per comparationem ad motum appetitus, non autem per comparationem ad materiam in qua aliquod bonum constituitur; quod oportet esse in medio materiae, ut neque excedat, neque excedatur a debita regula et mensura.

2. Le bien a raison de point ultime si on le compare au mouvement de l’appйtit, mais non pas si on le compare а la matiиre dans laquelle se situe un certain bien ; il est nйcessaire que celui-ci se situe au milieu de la matiиre, de sorte qu’il ne dйpasse pas ni ne soit dйpassй par la rиgle et la mesure requises.

[65915] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus quantum ad formam quam a sua mensura sortitur, habet rationem extremi; et sic opponitur malo ut formatum informi, et commensuratum incommensurato. Sed secundum materiam in qua talis mensura imprimitur, sic virtus est in medio.

3. La vertu, pour ce qui est de la forme qu’elle reзoit de sa mesure, a raison d’extrкme ; et ainsi, elle s’oppose au mal comme ce qui a une forme а ce qui n’en a pas, et comme ce qui est mesurй а ce qui ne l’est pas. Mais, selon la matiиre dans laquelle une telle mesure est imprimйe, la vertu se trouve ainsi dans un milieu.

[65916] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa accipit supremum et medium, secundum ordinem potentiarum animae, non secundum materiam in qua ponitur modus virtutis quasi medium quoddam.

4. Cet argument conзoit ce qui est suprкme et ce qui est au milieu selon l’ordre des puissances de l’вme, et non selon la matiиre dans laquelle est placйe la mesure de la vertu comme un certain milieu.

[65917] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in virtutibus theologicis non est medium ut dictum est : sed in virtutibus intellectualibus est medium non inter contrarietatem rerum, prout sunt in intellectu, sed inter contrarietatem affirmationis et negationis, ut dictum est. In virtutibus autem moralibus omnibus commune invenitur quod sunt in medio. Et hoc ipsum quod quaedam attingunt ad maximum, pertinet in eis ad rationem medii, in quantum maximum attingunt secundum regulam rationis; sicut fortis attingit maxima pericula secundum rationem, scilicet quando debet, ut debet, et propter quod debet. Superfluum autem et diminutum accipitur non secundum quantitatem rei, sed per comparationem ad regulam rationis; ut puta superfluum esset, si quando non debet, vel propter quod non debet, periculis se ingereret; diminutum autem si se non ingereret quando et qualiter deberet.

5. Dans les vertus thйologales, il n’y a pas de milieu, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus intellectuelles, le milieu se trouve, non pas entre des choses contraires, telle qu’elles existent dans l’intelligence, mais entre des affirmations et des nйgations contraires, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus morales, il se trouve qu’elles ont en commun de se situer dans un milieu. Et le fait mкme que certaines parviennent au plus haut point relиve en elles de la raison de milieu, pour autant qu’elles parviennent au plus haut point selon la rиgle de la raison, comme le fort aborde selon la raison les plus grands dangers, а savoir, lorsqu’il le doit, comme il le doit et pour la raison qu’il le doit. Ce qui dйpasse et ce qui manque sont conзus, non pas selon la quantitй de la chose, mais par comparaison avec la rиgle de la raison. Par exemple, cela serait superflu s’il s’exposait aux dangers lorsqu’il ne le doit pas, ou pour une raison qui n’est pas nйcessaire ; mais ce serait un manque s’il ne s’y exposait pas quand il le faut et de la maniиre dont il le faut.

[65918] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virginitas et paupertas licet sint in extremo rei, sunt tamen in medio rationis : quia virgo abstinet a venereis omnibus propter quod debet et secundum quod debet; quia propter Deum, et delectabiliter. Si autem abstineret propter quod non deberet, utpote quia esset ei odiosum secundum se vel filios generare, vel mulierem habere, esset vitium insensibilitatis. Sed abstinere omnino a venereis propter debitum finem, est virtuosum : quia etiam qui abstinent ab huiusmodi, ut se exercitiis bellicis dent ad utilitatem reipublicae, secundum politicam virtutem laudantur.

6. La virginitй et la pauvretй, bien qu’elles portent sur des rйalitйs extrкmes, se situent cependant dans un milieu [dйterminй] par la raison, car celui qui est vierge s’abstient de tous les plaisirs sexuels pour une raison juste et selon qu’il le doit, car il le fait pour Dieu et avec joie. Mais s’il s’abstenait pour une raison qui n’est pas juste, par exemple, parce qu’il dйtesterait en soi-mкme engendrer des fils ou avoir une femme, il s’agirait du vice d’insensibilitй. Mais s’abstenir complиtement des plaisirs sexuels pour une fin juste est vertueux, car mкme ceux qui s’en abstiennent pour s’adonner а l’entraоnement militaire pour le bien de la communautй sont louangйs pour leur vertu politique.

[65919] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 7 Ad septimum dicendum, quod media illa quae Boetius ponit, sunt media rei; et ideo non conveniunt medio virtutis, quod est secundum rationem; nisi forte in iustitia, in qua est simul medium rei et medium rationis, cui competit medium rationis arithmeticum in commutationibus, et medium geometricum in distributionibus, ut patet in V Ethicorum.

7. Les milieux que Boиce propose sont des milieux dans les choses. C’est pourquoi ils ne conviennent pas au milieu de la vertu, qui se prend selon la raison, sauf peut-кtre pour la justice, dans laquelle existent en mкme temps un milieu dans les choses et un milieu de la raison : lui conviennent un milieu arithmйtique pour les йchanges, et un milieu gйomйtrique pour les distributions, comme cela ressort clairement d’Йthique, V.

[65920] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 8 Ad octavum dicendum, quod medium competit virtuti non in quantum medium, sed in quantum medium rationis : quia virtus est bonum hominis, quod est secundum rationem esse. Unde non oportet quod id quod plus habet de ratione medii, magis pertineat ad virtutem, sed quod est medium rationis.

8. Un milieu convient а la vertu non pas en tant que milieu, mais en tant que milieu de la raison, car la vertu est le bien de l’homme, qui consiste а vivre selon la raison. Il n’est donc pas nйcessaire que ce qui dйpasse la raison de milieu relиve davantage de la vertu, mais ce qui est le milieu de la raison.

[65921] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 9 Ad nonum dicendum, quod passiones et operationes animae sunt indivisibiles per se sed divisibiles per accidens, in quantum est in eis invenire magis et minus secundum diversas circumstantias; et sic virtus in eis medium tenet.

9. Les passions et les opйrations de l’вme sont indivisibles en elles-mкmes, mais divisibles par accident, pour autant qu’on peut trouver en elles du plus ou du moins selon les diverses circonstances. Et ainsi, la vertu occupe un milieu en elles.

[65922] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in voluptatibus est melius fieri quam factum esse, ut per melius non intelligatur operatio boni honesti, quod pertinet ad virtutem, sed boni delectabilis, quod pertinet ad voluptatem : voluptas enim est in fieri. Quorum autem esse est in fieri, quando facta sunt, non sunt; unde bonum voluptatis magis consistit in fieri quam in factum esse.

10. Pour les plaisirs, mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, de telle maniиre que, par mieux, on n’entende pas l’action portant sur un bien honnкte, ce qui relиve de la vertu, mais sur un bien dйlectable, ce qui relиve de la voluptй : en effet, la voluptй consiste dans l’accomplissement actuel. Or, ce dont l’кtre se trouve dans l’accomplissement actuel n’existe plus, lorsqu’on l’a fait. Aussi le bien de la voluptй consiste-t-il davantage dans l’accomplissement que dans le fait que l’avoir accompli.

[65923] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non quodcumque medium competit virtuti, sed medium rationis : quod quidem medium non contingit invenire in vitiis, quia secundum propriam rationem non oportet quod in vitiis sit virtus.

11. Ce n’est pas tout milieu qui convient а la vertu, mais le milieu de la raison, milieu qu’on ne trouve pas dans les vices, car, selon leur raison propre, il n’est pas nйcessaire que la vertu existe dans les vices.

[65924] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod iustitia non attingit medium in rebus exterioribus, in quibus homo plus sibi accipit ex inordinatione voluntatis; unde vitiosum est. Sed quod de suis rebus aliquid ab eo auferatur, hoc praeter bonitatem eius est; unde inordinationem vitiosam in ipso non importat. Sed passiones animae, circa quas sunt aliae virtutes, in nobis sunt; unde et earum superfluitas et diminutio in vitium homini cedit. Et ideo aliae virtutes morales sunt inter duo vitia; non autem iustitia, quae tamen medium in propria materia tenet, quod per se pertinet ad virtutem.

12. La justice ne parvient pas au milieu dans les choses extйrieures que l’homme accapare pour lui-mкme en raison d’un dйsordre de sa volontй. Aussi cela est-il vicieux. Mais que quelqu’un se voit enlever ce qui lui appartient, cela dйpasse sa bontй ; aussi cela ne comporte-t-il pas de dйsordre vicieux. Or, les passions de l’вme, sur lesquelles portent les autres vertus, existent en nous ; aussi leurs excиs ou leurs manques aboutissent-ils а un vice chez l’homme. C’est pourquoi les autres vertus morales se situent entre deux vices, mais non la justice, qui maintient cependant le milieu dans sa propre matiиre, ce qui relиve en soi de la vertu.

[65925] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod medium virtutis est medium rationis, et non medium rei; et ideo non oportet quod aequaliter distet ab utroque extremo, sed secundum quod ratio habet. Unde in quibus bonum rationis praecipue consistit in refrenando passionem, virtus propinquior est diminuto quam superfluo; sicut patet in temperantia et mansuetudine. In quibus autem bonum est inducere ad id quod passio impellit, virtus similior est superfluo, ut patet in fortitudine..

13. Le milieu de la vertu est un milieu de la raison, et non un milieu des choses. C’est pourquoi il n’est pas nйcessaire qu’il soit а йgale distance des deux extrкmes, mais selon que la raison le dйtermine. Aussi, dans les choses oщ le bien de la raison consiste principalement а rйfrйner une passion, la vertu est plus proche du manque que de l’excиs, comme cela ressort clairement pour la tempйrance et la douceur. Mais dans les choses oщ le bien consiste а aller dans le sens de la passion, la vertu ressemble davantage а l’excиs, comme cela ressort clairement dans la force.

[65926] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod sicut dicit philosophus in V Physic., medium est in quod continue mutans primum mutat, in quod mutat ultimo; unde solum in motu continuo requiritur quod de extremo ad extremum non transeatur nisi per medium. Motus autem qui est de vitio in vitium, non est motus continuus, sicut nec motus voluntatis aut intellectus, secundum quod fertur in diversa; unde non oportet quod de vitio in vitium transeatur per virtutem.

14. Comme le dit le Philosophe dans Physique, V, le milieu se trouve dans ce qui, changeant de maniиre continue, meut ce qui est premier vers ce qu’il meut en dernier lieu. Aussi n’est-il nйcessaire que dans le mouvement continu que l’on ne puisse passer d’un extrкme а l’autre qu’en passant par un milieu. Or, le mouvement qui consiste а passer de vice en vice n’est pas un mouvement continu, comme ne l’est pas le mouvement de la volontй ou de l’intelligence, lorsqu’elles sont portйes vers diverses choses. Il n’est donc pas nйcessaire que l’on passe de vice en vice en passant par la vertu.

[65927] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus etsi sit medium quantum ad materiam in qua invenit medium; tamen secundum formam suam, prout collocatur in genere boni, est extremum, ut philosophus dicit in II Ethicor.

15. La vertu, mкme si elle est un milieu pour la matiиre dans laquelle elle trouve un milieu, est cependant un extrкme selon sa forme, selon qu’elle est situйe dans le genre du bien, comme le dit le Philosophe dans Йthique, II.

[65928] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet medium in quo consistit virtus, sit quodammodo indivisibile, tamen virtus intendi et remitti potest, secundum quod homo magis vel minus disponitur ad attingendum indivisibile; sicut et arcus minus vel magis extenditur ad percutiendum signum indivisibile.

16. Bien que le milieu dans lequel se situe la vertu soit indivisible d’une certaine maniиre, toutefois la vertu peut кtre plus intense ou plus relвchйe, selon que l’homme est plus ou moins disposй а parvenir а ce qui est indivisible, comme l’arc est plus ou moins tendu afin d’atteindre une cible indivisible.

[65929] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod medium virtutis non est medium rei, sed rationis, ut dictum est. Et hoc quidem medium consistit in proportione sive mensuratione rerum et passionum ad hominem. Quae quidem commensuratio diversificatur secundum diversos homines : quia aliquid est multum uni quod est parum alteri. Et ideo non eodem modo sumitur virtuosum in omnibus hominibus.

17. Le milieu de la vertu n’est pas un milieu dans les choses, mais [un milieu] de la raison, comme on l’a dit. Et ce milieu consiste dans la proportion ou la mesure des choses et des passions par rapport а l’homme. Or, cette application d’une mesure se diversifie selon les diffйrents hommes, car quelque chose est beaucoup pour l’un, qui est peu pour un autre. C’est pourquoi ce qui est vertueux n’est pas dйterminй de la mкme maniиre pour tous les hommes.

[65930] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum medium virtutis sit medium rationis, accipienda est indivisibilitas huius medii secundum rationem. Accipitur autem indivisibile secundum rationem quod imperceptibilem distantiam habet, et quod errorem facere non potest; sicut totum corpus terrae accipitur loco puncti indivisibilis per comparationem ad totum caelum. Et ideo medium virtutis aliquam latitudinem habet.

18. Puisque le milieu de la vertu est un milieu de la raison, l’indivisiblitй de ce milieu doit кtre conзu selon la raison. Or, ce qui est indivisible selon la raison est pris selon qu’il a une distance imperceptible et qu’il ne peut causer d’erreur, comme l’ensemble du corps de la terre est pris comme point indivisible par rapport а l’ensemble du ciel. C’est pourquoi le milieu de la vertu comporte une certaine latitude.

Rйponse а l’argument en sens contraire :

[65931] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad s. c. Quod vero in contrarium obiicitur, concedendum et quantum ad virtutem moralem et intellectualem, sed non quantum ad theologicam. Accidit enim fidei quod sit in medio duarum haeresum, at non est per se in quantum est virtus. Et sic dicendum est de spe, quod est inter duo extrema, non secundum quod comparatur ad suum obiectum, sed secundum dispositionem subiecti ad sperandum superna.

Il faut le concйder pour la vertu morale et la vertu intellectuelle, mais non pour la vertu thйologale. En effet, il arrive que la foi ne se trouve pas entre deux hйrйsies, et qu’elle ne l’est pas en tant que vertu. Et il faut dire la mкme chose de l’espйrance, qu’elle se trouve entre deux extrкmes, non pas selon qu’on la compare а son objet, mais selon la disposition du sujet а espйrer les choses d’en haut.

 

 

Question 2 : [La charitй]

© Traduction Raymond Berton, dйcembre 2006[18]

Quaestiones disputatae de virtutibus, quaestio II

Prooemium

Prologue

[65932] De virtutibus, q. 2 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum caritas sit aliquid creatum in anima, vel sit ipse spiritus sanctus.

1. La charitй est-elle quelque chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?

[65933] De virtutibus, q. 2 pr. 2 Secundo utrum caritas sit virtus.

2. La charitй est-elle une vertu ?

[65934] De virtutibus, q. 2 pr. 3 Tertio utrum caritas sit forma virtutum.

3. La charitй est-elle la forme des vertus ?

[65935] De virtutibus, q. 2 pr. 4 Quarto utrum caritas sit una virtus.

4. La charitй est-elle une seule vertu ?

[65936] De virtutibus, q. 2 pr. 5 Quinto utrum caritas sit virtus specialis.

5. La charitй est-elle une vertu spйciale ?

[65937] De virtutibus, q. 2 pr. 6 Sexto utrum caritas possit esse cum peccato mortali.

6. La charitй peut-elle exister avec le pйchй mortel ?

[65938] De virtutibus, q. 2 pr. 7 Septimo utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura.

7. Est-ce que l’objet qui peut кtre aimй par charitй est la nature raisonnable ?

[65939] De virtutibus, q. 2 pr. 8 Octavo utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii.

8. Aimer ses ennemis est-ce la perfection du conseil ?

[65940] De virtutibus, q. 2 pr. 9 Nono utrum ordo aliquis sit in caritate.

9. Y a-t-il un certain ordre dans la charitй ?

[65941] De virtutibus, q. 2 pr. 10 Decimo utrum sit possibile caritatem esse perfectam in hac vita.

10. Est-il possible que la charitй soit parfaite en cette vie ?

[65942] De virtutibus, q. 2 pr. 11 Undecimo utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem.

11. Tous les hommes sont-ils tenus а la charitй parfaite ?

[65943] De virtutibus, q. 2 pr. 12 Duodecimo utrum caritas semel habita possit amitti.

12. La charitй une fois acquise peut-elle кtre perdue ?

[65944] De virtutibus, q. 2 pr. 13 Tertiodecimo utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur.

13. La charitй se perd-elle par un seul acte de pйchй mortel ?

 

Articulus 1 : [65945] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum caritas sit aliquid creatum in anima vel sit ipse spiritus sanctus

Article 1 – La charitй est-elle quelque chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?

[Le sujet de l’article 1 est traitй principalement trois fois. Dans le livre 1 des Sentences, d. 17, a. 1 en 1252-1254. Quand il йcrit la Somme thйologique IIaIIж, q. 109 sur la charitй а Paris vers 1271-1272 et а la mкme йpoque dans les questions disputйes sur les Vertus, question 2 (De caritate) a. 1. P. Lombard (I Sent, d. 17) dit que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme qui habite notre вme. Thomas apporte cependant des nuances (IIaIIж, q. 23, a. 1 ; c.) : « Il ne veut pas dire que le mouvement d’amour de l’Esprit saint par lequel nous aimons Dieu est l’Esprit saint lui-mкme, mais qu’il procиde de l’Esprit saint sans intermйdiaire d’aucun habitus ».]

[65946] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 2 Et videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima.

Et il semble que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme.

Objections :[19]

[65947] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 1 Sicut enim dicit Augustinus, sicut anima est vita corporis, ita Deus est vita animae. Sed anima est vita corporis sine medio. Ergo et Deus est vita animae sine medio. Cum igitur vita animae sit ex hoc quod est in caritate : quia qui non diligit, manet in morte, ut dicitur I Ioan. III, 14, homo non est in caritate per aliquid quod sit medium inter Deum et hominem, sed per ipsum Deum. Caritas ergo non est aliquid creatum in anima, sed ipse Deus.

1. Car Augustin[20] dit que de mкme que l’вme est la vie du corps, Dieu est la vie de l’вme. Mais l’вme est la vie du corps sans intermйdiaire. Donc Dieu est la vie de l’вme sans intermйdiaire. Donc du fait que la vie de l’вme est dans la charitй, parce que : « Qui n’aime pas demeure dans la mort », comme il est dit en I Jn 3, 14, l’homme n’est pas dans la charitй par un intermйdiaire entre Dieu et lui, mais par Dieu lui-mкme. Donc la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme, mais Dieu lui-mкme.

[65948] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 2 Sed dicebatur, quod similitudo illa attenditur quantum ad hoc quod anima est vita corporis hominis ut motor, non quantum ad hoc quod est vita corporis ut forma.- Sed contra, quanto aliquod agens est virtuosius, tanto minorem dispositionem requirit in patiente : ignis enim magnus sufficiens est etiam ligna minus desiccata comburere. Sed Deus est agens infinitae virtutis. Ergo si est vita animae, sicut movens ipsam ad diligendum; videtur quod non requiratur aliqua dispositio creata ex parte ipsius animae.

2. Mais on pourrait dire que cette ressemblance est atteinte du fait que l’вme est la vie du corps de l’homme comme moteur, non du fait qu’elle est vie du corps comme forme. En sens contraire, plus un agent est puissant, plus la disposition qu’il requiert dans le patient est petite ; en effet un grand feu suffit а consumer mкme un bois moins sec. Mais Dieu est un agent d’un pouvoir infini. Donc s’il est la vie de l’вme en la poussant pour ainsi dire а aimer, il semble qu’une disposition crййe n’est pas requise du cфtй de l’вme.

[65949] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit medium. Sed anima diligens Deum est idem cum Deo : quia, ut dicitur I ad Corinth. cap. VI, 17, qui adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo non cadit aliqua caritas creata media inter animam diligentem et Deum dilectum.

3. En outre, entre deux choses identiques, il n’y a pas d’intermйdiaire. Mais l’вme qui aime Dieu est identique а Dieu car, comme il est dit (1 Co 6, 17, « Qui s’attache а Dieu est un seul esprit [avec lui]. » Donc il n’y a pas de charitй crййe, intermйdiaire entre l’вme qui aime et Dieu qui est aimй.

[65950] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, dilectio qua diligimus proximum caritas est. Sed dilectio qua diligimus proximum, ipse Deus est; dicit enim Augustinus in VIII de Trinit.[cap. VIII] : Qui proximum diligit, consequens est ut ipsam dilectionem diligat. Deus autem dilectio est. Consequens ergo est ut praecipue Deum diligat. Ergo caritas non est aliquid creatum, sed ipse Deus.

4. L’amour par lequel nous aimons notre prochain est la charitй. Or l’amour par lequel nous l’aimons est Dieu lui-mкme ; en effet Augustin dйclare (La Trinitй, VIII, VIII, 12) : « Qui aime son prochain, aime en consйquence l’amour lui-mкme[21]. » Mais Dieu est amour. La consйquence en est donc qu’il aime surtout Dieu. Donc la charitй n’est pas quelque chose de crйй mais elle est Dieu lui-mкme.

[65951] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 5 Sed dicebatur, quod Deus est dilectio qua diligimus proximum causaliter.— Sed contra, Augustinus in eodem dicit, quod cum testimonio verborum Ioannis aperte declarat, ipsam supernam dilectionem, qua nos diligimus invicem, non solum ex Deo esse, sed etiam Deum esse. Non solum ergo causaliter, sed essentialiter dilectio Deus est.

5. Mais on pourrait dire que Dieu est l’amour par lequel nous aimons notre prochain а la maniиre d’une cause. En sens contraire, Augustin dit au mкme endroit[22] qu’avec le tйmoignage des paroles de Jean, il dйclare ouvertement que l’amour suprкme mкme, par lequel nous nous aimons les uns les autres, non seulement vient de Dieu, mais est aussi Dieu. Donc Dieu est amour, non seulement en tant que cause mais en tant qu’essence.

[65952] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit in V de Trinitate [cap. XVII] : Non dicturi sumus caritatem non propterea esse dictam Deum, quod ipsa caritas sit ipsa substantia quae Dei digna sit nomine; sed quod donum sit Dei, sicut dictum est de eo : tu es patientia mea; quia ab ipso nobis est. Non autem sic dictum est : domine, tu caritas mea; sed ita dictum est : Deus caritas est; sicut dictum est : Deus spiritus est. Videtur ergo quod Deus dicatur caritas non solum causaliter, sed essentialiter.

6. Augustin dit (La Trinitй, XV, XVII, 27)[23] : « Nous ne voulons pas dire que la charitй est appelйe Dieu non pas parce qu’elle est la substance mкme digne du nom de Dieu mais parce qu’elle est un don de Dieu, comme on a dit de lui : « Tu es ma patience » parce que nous la possйdons de lui. On n’a pas dit : Seigneur, tu es ma charitй, mais on a dit : Dieu est charitй, de mкme qu’on a dit : « Dieu est esprit. » Il semble donc bien que Dieu soit appelй charitй non seulement en tant que cause mais aussi en tant qu’essence.

[65953] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, cognito effectu Dei, non propter hoc ipse Deus cognoscitur. Sed per cognitionem dilectionis supernae ipse Deus cognoscitur. Dicit enim Augustinus, VIII de Trinit. [cap. VIII] : Magis quis novit dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Ecce iam potest notiorem Deum habere quam fratrem. Amplectere dilectionem, et dilectione amplectere Deum. Non igitur Deus dicitur dilectio fraterna solum per causam.

7. De plus, mкme si l’on connaоt l’effet produit par Dieu, ce n’est pas pour cela qu’il est lui-mкme connu. Mais Dieu est lui-mкme connu par la connaissance de l’amour suprкme. Augustin, en effet, dit La Trinitй, VIII, VIII, 12[24]) : « Quelqu’un connaоt davantage l’amour par lequel il aime que le frиre qu’il aime. Et voilа que Dieu lui est mieux connu que son frиre. Embrasse l’amour et embrasse Dieu ton amour. » Donc Dieu n’est pas appelй amour fraternel uniquement en tant que cause.

[65954] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 8 Sed dicebatur, quod fraterna dilectione cognita, cognoscitur Deus sicut in sua similitudine. Sed contra, homo secundum ipsam substantiam animae factus est ad imaginem et similitudinem Dei. Sed similitudo ista obscuratur per peccatum. Ad hoc igitur quod Deus possit in anima sicut in sua similitudine cognosci, requiritur solum quod peccatum tollatur; et non quod aliquid creatum animae superaddatur.

8. Mais on pourrait dire que, si on connaоt l’amour fraternel, on connaоt Dieu comme dans sa ressemblance. Mais en sens contraire, selon la substance mкme de l’вme, l’homme a йtй crйй а l’image et а la ressemblance de Dieu. Cependant cette ressemblance est obscurcie par le pйchй. Donc, du fait que Dieu pourrait кtre connu dans l’вme comme dans sa ressemblance, il est seulement requis que le pйchй soit enlevй et que rien de crйй ne soit surajoutй а l’вme.

[65955] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 9 Praeterea, omne quod est in anima, vel est potentia, vel passio, vel habitus, ut dicitur in III Ethic. [cap. V]. Sed caritas non est potentia animae, quia esset naturalis; nec est passio, quia non est in potentia sensitiva, in qua sunt omnes passiones; nec est habitus, quia habitus est difficile mobilis; caritas autem de facili amittitur, quia per unum actum peccati mortalis. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.

9. De plus, tout ce qui est dans l’вme est soit puissance, soit passion, soit habitus, comme dit in Ethique, III, 5. Or la charitй n’est pas puissance de l’вme, parce qu’elle serait naturelle ; elle n’est pas passion, car elle n’est pas dans la puissance sensitive, oщ se situent toutes les passions ; elle n’est pas non plus un habitus parce que un habitus ne change pas facilement[25]; mais la charitй se perd facilement, par le pйchй mortel. Donc la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme.

[65956] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, nullum creatum habet virtutem infinitam. Sed caritas habet virtutem infinitam, quia coniungit infinite distantia, scilicet animam Deo, et meretur bonum infinitum. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.

10. De plus, aucune crйature n’a de pouvoir infini. Mais la charitй possиde un pouvoir infini.car elle unit ce qui est infiniment distant, а savoir l’вme а Dieu et elle mйrite un bien infini. La charitй n’est donc pas quelque chose de crйй dans l’вme.

[65957] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis creatura vanitas est, ut patet Eccle. I, [2]. Vanitas autem non coniungit veritati. Cum ergo caritas coniungat nos primae veritati, videtur quod caritas non sit creatura.

11. En outre, toute crйature est vanitй comme l’atteste l’Eccle., (Qo.) 1, 2. Or la vanitй n’unit pas а la vйritй. Donc, comme la charitй ne nous unit а la vйritй premiиre, il semble qu’elle nest pas une crйature.

[65958] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne creatum est natura quaedam, cum sit in aliquo decem generum. Si igitur caritas est aliquid creatum in anima, videtur quod sit natura quaedam. Cum igitur caritate mereamur : si caritas est aliquid creatum, sequetur quod natura sit principium merendi; quod est erroneum secundum sententiam Pelagii.

12. De plus, toute crйature est une certaine nature[26] puisqu’elle se classe dans un des dix genres[27]. Si donc la charitй est quelque chose de crйй dans l’вme, il semble qu’elle est une nature. Donc, puisque nous mйritons par la charitй, si elle est quelque chose de crйй, il s’ensuivra que une nature sera principe de mйrite, ce qui est faux selon l’opinion de Pйlage[28].

[65959] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 13 Praeterea, homo secundum esse gratiae est propinquior Deo quam secundum esse naturae. Sed Deus creavit hominem secundum esse naturae sine medio. Ergo nec in esse gratiae utitur medio, scilicet caritate creata.

13. En outre, l’homme, selon l’кtre de grвce, est plus proche de Dieu que selon l’кtre de nature. Or Dieu a crйй l’homme, selon l’кtre de nature, sans intermйdiaire. Donc, il ne se sert pas dans l’кtre de grвce, d’intermйdiaire, а savoir une charitй crййe.

[65960] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 14 Praeterea, agens quod agit sine medio, est perfectius quam agens quod agit cum medio. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo agit sine medio : non ergo iustificat animam mediante aliquo creato.

14. De plus, l’agent qui opиre sans intermйdiaire est plus parfait que celui qui agit avec un intermйdiaire. Or Dieu est l’agent le plus parfait. Donc, il agit sans intermйdiaire : donc il ne justifie pas l’вme par l’intermйdiaire de quelque chose de crййe.

[65961] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, creatura rationalis est nobilior aliis creaturis. Sed aliae creaturae consequuntur suum finem absque aliquo alio superaddito. Multo magis igitur creatura rationalis movetur a Deo ad suum finem absque aliquo creato ei superaddito.

15. En outre, la crйature raisonnable est plus noble que les autres crйatures. Mais ces autres crйatures poursuivent leur fin sans rien de surajoutй. Donc la crйature raisonnable est beaucoup plus mise en mouvement par Dieu vers sa fin, sans rien de crйй qui lui serait surajoutйe.

[65962] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 16 Sed dicebatur, quod creatura rationalis non est proportionata ad suum finem per sua naturalia; et ideo indiget aliquo superaddito. Sed contra, finis hominis est bonum infinitum. Sed nullum creatum est proportionatum bono infinito. Ergo id per quod homo ordinatur in suum finem, non est bonum creatum in anima.

16. Mais on pourrait dire que la crйature raisonnable n’est pas proportionnйe а sa fin par ce qui lui est naturel et c’est pourquoi elle a besoin de quelque chose de surajoutй. En sens contraire, la fin de l’homme est le bien infini. Mais rien de ce qui est crйй n’est proportionnй а un bien infini. Donc, ce par quoi l’homme est ordonnй а sa fin n’est pas un bien crйй dans l’вme.

[65963] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 17 Praeterea, sicut Deus est lumen primum, ita est et bonum summum. Sed lumen quod Deus est, praesens est animae; quia de eo dicitur, Psal. XXXV, 10 : In lumine tuo videbimus lumen. Ergo et summum bonum, quod Deus est, praesens est animae. Sed bonum est quo aliquid diligimus. Ergo id quo diligimus, est Deus.

17. De mкme que Dieu est la lumiиre premiиre, il est aussi le bien suprкme. Mais la lumiиre qu’est Dieu est prйsente а l’вme, parce que, а son sujet, il est dit (Ps 35, 10) : En ta lumiиre, nous verrons la lumiиre. Donc le bien suprкme, qu’est Dieu, est lui aussi prйsent а l’вme. Mais le bien est ce par quoi nous aimons quelque chose. Donc, ce par quoi nous aimons, c’est Dieu.

[65964] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 18 Sed dicebatur, quod bonum quod Deus est, est praesens animae non formaliter, sed effective.- Sed contra, Deus est pura forma. Ergo formaliter adest his quibus adest.

18. Mais on pourrait dire que le bien qui est Dieu est prйsent а l’вme non pas formellement mais effectivement. En sens contraire, Dieu est forme pure. C’est donc selon la forme qu’il est prйsent lа oщ il est prйsent.

[65965] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 19 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus, X de Trinitate. Ergo secundum hoc aliquid est diligibile secundum quod est cognoscibile. Sed Deus est per seipsum cognoscibilis, sicut primum principium cognoscendi. Ergo est per seipsum diligibilis : non ergo per aliquam caritatem creatam.

19. On aime rien sans le connaоtre, comme le dit Augustin, La Trinitй, X, I, 3. Donc, selon cela, une chose ne peut кtre aimйe que dans la mesure oщ elle peut кtre connue. Mais Dieu est connaissable par lui-mкme en tant que premier principe de connaissance. Il est donc aimable par lui-mкme ; donc non, par une charitй crййe.

[65966] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 20 Praeterea unumquodque, secundum hoc est diligibile, secundum quod est bonum. Sed Deus est infinitum bonum. Ergo est in infinitum diligibilis. Sed nullus amor creatus est infinitus. Ergo cum aliqui qui sunt in caritate, diligant eum secundum quod diligibilis est; videtur quod dilectio qua diligimus Deum, non sit aliquid creatum.

20. Chaque chose peut кtre aimйe dans la mesure oщ elle est un bien. Or Dieu est le bien infini. Il est donc aimable а l’infini. Mais aucun amour crйй n’est infini. Donc, puisque certains, qui sont dans la charitй, l’aiment du fait qu’il est aimable, il semble que l’amour par lequel nous aimons Dieu ne soit pas quelque chose de crйй.

[65967] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 21 Praeterea, Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient. XI, 25. Sed non diligit creaturas irrationales per aliquid eis superadditum. Ergo nec creaturas rationales. Et ita videtur quod caritas et gratia propter quas homines diliguntur a Deo, non sint aliquid creatum superadditum animae nostrae.

21. En outre, Dieu aime tout ce qui existe, comme il est dit en Sg 11, 25. Mais il n’aime pas les crйatures sans raison par quelque chose qui leur serait ajoutй. Donc il n’aime pas non plus les crйatures raisonnables. Et ainsi, il semble que la charitй et la grвce, par lesquelles Dieu aime les hommes, ne sont pas quelque chose de crйй surajoutй а notre вme.

[65968] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 22 Praeterea, si caritas sit aliquid creatum, oportet quod sit accidens. Sed caritas non est accidens : quia nullum accidens est dignius suo subiecto; caritas autem est dignior quam natura. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.

22. En outre, si la charitй йtait quelque chose de crйй, il faudrait qu’elle soit un accident[29]. Mais elle n’est pas un accident car aucun accident n’est plus noble que son sujet ; or la charitй est plus noble qu’une nature[30]. Donc la charitй n’est pas quelque chose crйй dans l’вme.

[65969] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 23 Praeterea, sicut Bernardus dicit [Sermo IX de coena Domini], eadem lege diligimus Deum et proximum qua Pater et Filius se diligunt. Sed Pater et Filius se diligunt dilectione increata. Ergo nos diligimus Deum dilectione increata.

23. De plus, comme le dit saint Bernard (Sermon 9, sur la Cиne du Seigneur), nous aimons Dieu et notre prochain par la mкme loi par laquelle le Pиre et le Fils s’aiment. Or le Pиre et le Fils s’aiment d’un amour incrйй. Donc, nous, nous aimons Dieu d’un amour incrйй.

[65970] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 24 Praeterea, illud quod suscitat a morte, est infinitae virtutis. Sed caritas suscitat a morte; dicitur enim I Ioan. III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Ergo caritas est virtutis infinitae; ergo non est aliquid creatum.

24. En outre, ce qui ressuscite de la mort est d’un pouvoir infini. Or la charitй ressuscite de la mort. Car il est dit I Jn 3, 14 : « Nous savons que nous sommes passйs de la mort а la vie, parce que nous aimons nos frиres ». Donc la charitй est d’une valeur infinie ; donc elle n’est rien de crйй.

En sens contraire :

[65971] De virtutibus, q. 2 a. 1 s. c. Sed contra, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Si ergo caritas recipitur in nobis a Deo, oportet quod recipiatur a nobis finite secundum modum nostrum. Omne autem finitum est creatum. Ergo caritas est aliquid creatum in nobis.

Tout ce qui est reзu en quelqu’un, y est reзu par le mode de celui qui reзoit. Si donc la charitй est reзue de Dieu en nous, il faut qu’elle le soit notre mode limitй. Or tout ce qui est limitй est crйй. Donc, la charitй est quelque chose crйй en nous.

Rйponse :

[65972] De virtutibus, q. 2 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quidam posuerunt, quod caritas in nobis, qua diligimus Deum et proximum, non sit aliud quam spiritus sanctus, ut patet per Magistrum in 17 dist. I Sent.

Il faut dire que certains ont pensй que la charitй, en nous, par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain, ne serait autre que l’Esprit Saint, comme on le voit par le Maоtre I sent. dist. 17[31].

 

Et ut huius opinionis intellectus plenius habeatur, sciendum est, quod actum dilectionis quo Deum et proximum diligimus, Magister posuit quoddam creatum in nobis, sicut et actus ceterarum virtutum; sed ponebat differentiam inter actus caritatis et actus aliarum virtutum : quod spiritus sanctus ad actus aliarum virtutum movet animam mediantibus quibusdam habitibus, qui virtutes dicuntur; sed ad actum dilectionis movet voluntatem immediate per seipsum absque aliquo habitu, ut patet in 17 dist. I Lib. Et ad hoc ponendum movet ipsum excellentia caritatis, et verba Augustini in obiiciendo inducta, et quaedam similia. Ridiculum autem fuisset dicere, quod ipse actus dilectionis, quem experimur dum diligimus Deum et proximum, sit ipse Spiritus sanctus.

Et pour mieux comprendre cette opinion, il faut savoir que le Maоtre a considйrй que l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu et notre prochain йtait quelque chose de crйй en nous, tout comme les actes des autres vertus ; mais il plaзait une diffйrence entre les actes de charitй et ceux des autres vertus : а savoir que l’Esprit Saint met en mouvement l’вme pour les autres vertus par l’intermйdiaire de certains habitus appelйs vertus[32], mais qu’il met en mouvement la volontй pour l’acte d’amour, immйdiatement, lui-mкme, sans aucun habitus, comme on le voit en I sent. d. 17. Et pour le poser, l’excellence de la charitй le met en mouvement. Et les paroles d’Augustin donnйes comme objection et d’autres arguments semblables. Mais il aurait йtй ridicule de dire que l’acte mкme d’aimer, que nous expйrimentons quand nous aimons Dieu et notre prochain, soit l’Esprit Saint lui-mкme.

Sed haec opinio omnino stare non potest. Sicut enim naturales actiones et motus a quodam principio intrinseco procedunt, quod est natura; ita et actiones voluntariae oportet quod a principio intrinseco procedant. Nam sicut inclinatio naturalis in rebus naturalibus appetitus naturalis nominatur, ita in rationalibus inclinatio apprehensionem intellectus sequens, actus voluntatis est.

Cette opinion ne peut absolument pas tenir. De mкme, en effet, que les actions naturelles et les mouvements procиdent d’un principe intrinsиque[33] qui est la nature, de mкme les actions volontaires doivent-elles procйder d’un principe intrinsиque. Car, de mкme que le penchant naturel, dans ce qui naturel s’appelle l’appйtit naturel, de mкme dans ce qui est rationnel, le penchant qui suit la saisie de l’intellectuel est l’acte de la volontй.

Possibile autem est quod res naturalis ab aliquo exteriori agente ad aliquid moveatur non a principio intrinseco, puta cum lapis proiicitur sursum. Sed quod talis motus vel actio non a principio intrinseco procedens, naturalis sit, hoc omnino est impossibile, quia in se contradictionem implicat. Unde, cum contradictoria esse simul non subsit divinae potentiae; nec hoc a Deo fieri potest, ut motus lapidis sursum, qui non est a principio intrinseco, sit ei naturalis. Potest quidem lapidi dare virtutem, ex qua sicut ex principio extrinseco sursum naturaliter moveatur; non autem ut motus iste sit ei naturalis, nisi ei alia natura detur.

Or, il est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par un agent extйrieur, non par un principe intrinsиque : par exemple la pierre projetйe vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou une telle action qui ne procйde pas d’un principe intrinsиque soit naturel est tout а fait impossible, parce qu’en soi il implique une contradiction. C'est pourquoi, puisque ce qui est contradictoire ne se trouve pas en mкme temps dans la puissance divine, Dieu ne peut pas faire que le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient pas d’un principe intrinsиque, lui soit naturel. Il peut donner а la pierre un pouvoir par lequel elle est est mue vers le haut naturellement par un pouvoir extrinsиque, mais [il ne peut pas faire] que ce mouvement lui soit naturel, а moins de lui donner une autre nature..

Et similiter non potest hoc divinitus fieri ut aliquis motus hominis vel interior vel exterior qui sit a principio extrinseco, sit voluntarius; unde omnes actus voluntatis reducuntur, sicut in primam radicem, in id quod homo naturaliter vult, quod est ultimus finis. Quae enim sunt ad finem, propter finem volumus.

Et de la mкme maniиre, Dieu ne peut faire qu’un mouvement humain intйrieur ou extйrieur, qui serait d’un principe extrinsиque, soit volontaire ; c'est pourquoi, tous les actes de la volontй se ramиnent comme а une premiиre racine, en ce que l’homme veut naturellement et qui est sa fin derniиre. Car ce qui concerne la fin, nous le voulons а cause de la fin.

Actus igitur qui excedit totam facultatem naturae humanae, non potest esse homini voluntarius, nisi superaddatur naturae humanae aliquid intrinsecum voluntatem perficiens, ut talis actus a principio intrinseco proveniat.

Donc l’acte qui dйpasse toute la facultй de la nature humaine ne peut кtre volontaire pour l’homme que s’il est ajoutй а la nature humaine quelque chose d’intrinsиque qui perfectionne la volontй, pour qu’un tel acte provienne d’un principe intrinsиque.

Si igitur actus caritatis in homine non ex aliquo habitu interiori procedat naturali potentiae superaddito, sed ex motione Spiritus sancti, sequetur alterum duorum :

vel quod actus caritatis non sit voluntarius; quod est impossibile, quia hoc ipsum diligere est quoddam velle;

aut quod non excedat facultatem naturae, et hoc est haereticum.

Si donc l’acte de charitй dans l’homme ne procиde pas d’un habitus interne surajoutйe а sa puissance naturelle, mais par la motion de l’Esprit Saint, il s’ensuivra une de ces deux consйquences :

a. Ou l’acte de charitй n’est pas volontaire, ce qui est impossible car le fait mкme d’aimer est un certain vouloir.

b. ou l’acte de charitй ne dйpasse pas la facultй de la nature et cela est hйrйtique.

Hoc igitur remoto, sequetur primo quidem, quod actus caritatis sit actus voluntatis; secundo, dato quod actus voluntatis possit esse totaliter ab extrinseco, sicut actus manus vel pedis, sequetur etiam, si actus caritatis est solum a principio exteriori movente, quod non sit meritorius. Omne enim agens quod non agit secundum formam propriam, sed solum secundum quod est motum ab altero, est agens instrumentaliter tantum; sicut securis agit prout est mota ab artifice.

Ceci йtant donc йcartй, il s’ensuivra en premier que l’acte de charitй est un acte volontaire ; deuxiиmement, une fois donnй que l’acte volontaire pourrait кtre totalement issu d’un principe extrinsиque, comme l’acte de la main ou du pied, il s’ensuivrait aussi que, si l’acte de charitй vient seulement d’un principe extйrieur qui le meut, il ne serait pas mйritoire. Car tout agent qui n’agit pas selon sa forme propre, mais seulement mы par un autre n’est qu’un instrument en tant qu’agent, tout comme une hache n’agit que dans la mesure oщ elle est mue par l’artisan.

Sic igitur si anima non agit actum caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab exteriori agente, scilicet spiritu sancto; sequetur quod ad hunc actum se habeat sicut instrumentum tantum. Non ergo in homine est hunc actum agere vel non agere; et ita non poterit esse meritorius. Haec enim solum meritoria sunt quae in nobis aliquo modo sunt; et sic totaliter tollitur meritum humanum, cum dilectio sit radix merendi.

Ainsi donc, si l’вme ne fait pas un acte de charitй par une forme propre mais uniquement selon qu’elle y est poussйe par un agent extйrieur, а savoir l’Esprit Saint, il en dйcoulera que, pour cet acte, elle se comporte seulement comme un instrument. Donc il n’est pas dans l’homme de faire cet acte ou pas; et ainsi il ne pourra pas кtre mйritoire. Car est mйritoire seulement ce qui est de quelque maniиre en nous ; et ainsi est enlevй totalement le mйrite humain, puisque l’amour est la racine du mйrite.

Tertium inconveniens est, quia sequeretur quod homo qui est in caritate, ad actum caritatis non sit promptus, neque ipsum delectabiliter agat. Ex hoc enim actus virtutum sunt nobis delectabiles, quod secundum habitus conformamur ad illos, et inclinamur in illos per modum inclinationis naturalis. Et tamen actus caritatis est maxime delectabilis et maxime promptus existenti in caritate; et per eumdem omnia quae agimus vel patimur, delectabilia redduntur. Relinquitur igitur quod oporteat esse quemdam habitum caritatis in nobis creatum, qui sit formale principium actus dilectionis.

Nec tamen per hoc excluditur quin spiritus sanctus, qui est caritas increata, sit in homine caritatem creatam habente, movens animam ad actum dilectionis, sicut Deus movet omnia ad suas actiones, ad quas tamen inclinantur ex propriis formis. Et inde est quod omnia disponit suaviter, quia omnibus dat formas et virtutes inclinantes in id ad quod ipse movet, ut in illud tendant non coacte, sed quasi sponte.

Il existe un troisiиme inconvйnient : parce qu’il s’ensuivrait que l’homme qui est dans la charitй ne serait pas prкt pour un acte de charitй et ne le ferait pas avec plaisir. Car du fait que les actes des vertus nous sont agrйables parce qu’en raison de nos habitus, elles nous y rendent conformes et nous y inclinent et а nous tourner vers eux par un penchant naturel. Et cependant l’acte de charitй est trиs agrйable et trиs prкt pour qui est dans la charitй, et par ce mкme [acte] rend plus agrйable tout ce que nous faisons ou supportons. Et il reste donc qu’il faut qu’il y ait un certain habitus de charitй, crйй en nous, qui soit le principe formel de l’acte d’aimer.

Et cependant, il n’est pas exclu par lа que l’Esprit Saint, qui est charitй incrййe, soit dans l’homme qui possиde une charitй crййe, mettant ne mouvement l’вme pour l’acte d’amour, comme Dieu meut tout choses pour ses actions, pour lesquelles nous sommes inclinйs par leurs formes propres. De lа vient qu’il dispose tout de maniиre agrйable, parce qu’il donne а tout, les formes et les pouvoirs qui les inclinent а ce vers quoi lui-mкme les meut, pour que tout y tende non sous la contrainte mais quasi spontanйment.

Solutions :

[65973] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus est vita animae per modum moventis, et non per modum formalis principii.

1. Dieu est la vie de l’вme а la maniиre d’un moteur et non а la maniиre d’un principe formel.

[65974] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet ad efficaciam moventis pertineat ut dispositionem non praeexigat in subiecto; tamen efficaciam eius demonstrat, si dispositionem fortem imprimat in passo vel moto. Fortis enim ignis non solum formam substantialem, sed et fortem dispositionem inducit. Unde fortius est agens quod sic ad agendum movet, quod etiam formam imprimit per quam agat, quam id movens quod sic movet ad agendum, ut tamen nullam imprimat formam. Unde cum spiritus sanctus sit virtuosissimum movens; sic movet ad diligendum, quod etiam habitum caritatis inducit.

2. Bien qu’il convienne а l’efficacitй du moteur de ne pas prйexiger de disposition dans le sujet, cependant, il montre son efficacitй, s’il imprime une forte disposition dans ce qui est subi ou mы. En effet, un grand feu induit non seulement la forme substantielle mais aussi une disposition forte. C'est pourquoi, plus fort est l’agent qui pousse ainsi а agir, qui imprime aussi la forme par laquelle il agit que ce moteur qui met en mouvement pour agir sans lui induire aucune forme. C'est pourquoi, comme l’Esprit Saint est un moteur tout puissant, il pousse а aimer et cela induit aussi un habitus de la charitй.

[65975] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, Qui adhaeret Deo, unus spiritus est; non designatur unitas substantiae; sed unitas affectus, quae est inter amantem et amatum. In qua quidem unione habitus caritatis magis se habet ut principium amationis quam ut medium inter amantem et amatum; nam actus dilectionis immediate transit in Deum ut in amatum, non autem immediate in habitum caritatis.

3. Lorsqu’on dit « Qui s’attache а Dieu forme [avec lui] un seul esprit », on ne dйsigne pas une unitй de substance mais l’unitй de volontй qui existe entre celui qui aime et celui qui est aimй. Certes, dans cette union, l’habitus de la charitй se comporte plus comme principe de la mnaifestation de l’amour qu’en intermйdiaire entre celui qui aime et celui qui est aimй ; en effet, l’acte d’amour passe immйdiatement en Dieu comme dans l’кtre aimй mais pas immйdiatement dans l’habitus de charitй.

[65976] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet dilectio qua diligimus proximum, sit Deus; non tamen excluditur quin praeter hanc dilectionem increatam, sit etiam in nobis dilectio creata, qua formaliter amamus, ut dictum est.

4. Bien que l’amour, par lequel nous aimons notre prochain, soit Dieu, il n’est cependant pas exclu qu’au-delа de cet amour incrйй, il y ait aussi en nous un amour crйй, par lequel nous aimons formellement, comme cela a йtй dit.

[65977] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus non solum causaliter dicitur dilectio vel caritas, sicut causaliter tantum dicitur spes vel patientia; sed etiam essentialiter. Non tamen excluditur quin praeter illam dilectionem quae essentialiter Deus est, sit etiam in nobis dilectio creata.

5. Dieu est appelй amour ou charitй non seulement en tant que cause comme on parle seulement en tant que cause de l’espйrance ou de la patience ; mais aussi en tant qu’essence. Cependant, il n’est pas exclu qu’au delа de cet amour qui est Dieu par essence, il y ait aussi en nous un amour crйй.

[65978] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 6 Et per hoc etiam patet solutio ad sextum.

6. Et par ce raisonnement apparaоt aussi la solution а donner au sixiиme argument.

[65979] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod auctoritas illa eamdem difficultatem habet, sive ponatur creatus habitus caritatis in nobis, sive non. Cum enim dicit Augustinus, quod qui diligit proximum, magis cognoscit dilectionem qua diligit, quam proximum quem diligit, intelligere videtur de ipso actu dilectionis. Quem quidem actum nullus ponit esse aliquid increatum; unde ex hoc concludi non potest quod ipsa dilectio sic nota, sit Deus; sed quod in hoc quod percipimus actum dilectionis in nobis, sentimus in nobis ipsis quamdam Dei participationem, quia ipse Deus dilectio est; non quod sit ipse actus dilectionis quem percipimus.

7. Cette autoritй prйsente la mкme difficultй, soit qu’on place en nous un habitus de charitй crййe ou pas. En effet, quand Augustin dit que celui qui aime son prochain connaоt mieux l’amour par lequel il aime que le prochain qu’il aime, il semble [le] comprendre а partir de l’acte d’aimer mкme. Certes, personne ne pense que cet acte soit incrйй ; c'est pourquoi, on ne peut pas en conclure que l’amour mкme, ainsi connu, est Dieu ; mais parce que du fait que nous percevons l’action de l’amour en nous, nous sentons en nous-mкmes une certaine participation de Dieu parce qu’il est lui-mкme l’amour, sans en кtre l’acte que nous percevons.

[65980] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura secundum quod magis perficitur, magis ad similitudinem Dei accedit. Unde, licet quaelibet creatura habeat quamdam Dei similitudinem in eo quod est et bona est; creatura tamen rationalis superaddit aliquam rationem similitudinis in eo quod intellectualis est; et adhuc aliam in hoc quod facta est : et sic in actu caritatis expressius percipitur Deus sicut in propinquiori similitudine.

8. La crйature selon qu’elle est plus accomplie s’approche davantage de la ressemblance а Dieu. C'est pourquoi, bien que n’importe quelle crйature ait une certaine ressemblance а Dieu dans le fait qu’elle est et qu’elle est bonne, cependant la crйature douйe de raison surajoute une autre raison de ressemblance dans le fait qu’elle est intellectuelle; elle y surajoute encore une autre raison dans le fait qu’elle a йtй crййe ; ainsi, dans l’acte de charitй, Dieu est perзu plus expressйment comme dans une ressemblance plus proche.

[65981] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas habitus est; et difficile mobilis; quia non de facili, qui habet caritatem, inclinatur ad peccandum; licet ex peccato caritas amittatur.

9. La charitй est un habitus, qui change difficilement, car ce n’est pas facilement que celui qui possиde la charitй se laisse aller а pйcher, bien que celle-ci soit perdue par le pйchй.

[65982] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod caritas coniungit bono infinito, non effective, sed formaliter; unde virtus infinita non competit caritati, sed caritatis auctori. Competeret autem caritati virtus infinita, si homo ad infinitum bonum per caritatem infinite ordinaretur : quod patet esse falsum. Modus enim sequitur formam rei.

10. La charitй unit au bien infini non effectivement mais formellement ; c'est pourquoi, la puissance infinie ne convient pas а la charitй mais а son auteur. Mais le pouvoir infini conviendrait а la charitй si l’homme йtait ordonnй de maniиre infinie par la charitй au bien infini, ce qui se rйvиle faux. En effet, le mode suit la forme d’une chose.

[65983] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod creatura est vanitas in quantum est ex nihilo, non autem in quantum est similitudo Dei; et ex hac parte est quod caritas creata veritati primae coniungit.

11. La crйature est vanitй en tant qu’elle vient du nйant, mais non en tant qu’elle est ressemblance а Dieu ; et c’est de ce cфtй que la charitй crййe unit а la vйritй premiиre.

[65984] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad haeresim Pelagianam pertinet quod principia naturalia hominis sufficiant ad merendum vitam aeternam. Non est autem hoc haereticum, quod aliquo creato, quod est natura quaedam in aliquo praedicamento, mereamur. Manifestum est enim quod actibus meremur; et tamen actus, cum sint quaedam creata, in genere aliquo sunt, et natura quaedam sunt.

12. Il appartient а l’hйrйsie pйlagienne que les principes naturels de l’homme suffisent а mйriter la vie йternelle. Cependant, ce n’est pas hйrйtique de mйriter par quelque chose de crйй qui est une certaine nature, dans une certaine catйgorie. En effet, il est clair que nous mйritons par nos actes ; et cependant, comme certains sont crййs, ils sont dans un genre et ils sont une nature[34].

[65985] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus esse naturale creavit sine medio efficiente, non tamen sine medio formali. Nam unicuique dedit formam per quam esset. Et similiter dat esse gratiae per aliquam formam superadditam. Et tamen non est omnino simile; quia, ut dicit Augustinus super Ioan., [Sermo XV de verbis Apostoli] qui creavit te sine te, non iustificabit te sine te. In iustificatione ergo requiritur aliqua operatio iustificantis; et ideo requiritur quod sit ibi principium activum formale : quod non habet locum in creatione.

13. Dieu a crйй l’кtre naturel sans intermйdiaire [d’une cause] efficiente, mais pas sans intermйdiaire formel. En effet, il a donnй а chaque chose une forme par laquelle elle serait. Et de la mкme faзon, il donne l’кtre de grвce par une forme surajoutйe. Et cependant, ce n’est pas tout а fait pareil car, comme le dit Augustin (Homйlies sur l’йvangile de Jean sermon XV sur les paroles de l’Apфtre) : « Celui qui t’a crйй sans toi, ne te justifiera pas sans toi ». Donc, dans la justification, est requise une opйration de celui qui justifie ; c’est pourquoi il est requis qu’il y ait un principe actif formel qui n’a pas place dans la crйation.

[65986] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod agens per medium est minus efficax in agendo, si utatur medio propter suam necessitatem. Sic autem non utitur Deus medio in agendo, quia nullius creaturae auxilio indiget; sed utitur mediis agentibus, ut servetur ordo in rebus. Sed si loquamur de medio formali, manifestum est quod quanto agens est perfectius, tanto magis formam inducit. Nam agens imperfectum non inducit formam, sed dispositionem tantum; et tanto debiliorem quanto est debilius.

14. L’agent par intermйdiaire est moins efficace pour agir s’il se sert d’un intermйdiaire а cause de sa nйcessitй. C’est ainsi que Dieu ne se sert pas d’intermйdiaire pour agir car il n’a besoin de l’aide d’aucune crйature ; mais il se sert d’agents intermйdiaires pour prйserver l’ordre des choses. Mais si nous parlons d’intermйdiaire formel, il est йvident que plus l’agent est parfait, plus il induit de forme. En effet, un agent imparfait n’induit pas de forme mais une disposition seulement, d’autant plus faible qu’il est plus faible.

[65987] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo et aliae rationales creaturae consequi possunt altiorem finem quam aliae creaturae; unde, licet ad hunc finem consequendum pluribus indigeant, nihilominus perfectiores sunt : sicut homo est melius dispositus qui potest consequi perfectam sanitatem per plures medicinas, quam ille qui non potest sanari perfecte, et ideo non indiget nisi paucis medicinis.

15. L’homme et les autres crйatures raisonnables peuvent poursuivre une fin plus haute que les autres crйatures ; c'est pourquoi, bien qu’elles aient plus de besoin pour atteindre leur fin, elles sont nйanmoins plus parfaites : de mкme que l’homme qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux remиdes, est mieux disposй que celui qui ne peut кtre soignй parfaitement et c'est pourquoi il n’a besoin que de peu de remиdes.

[65988] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod per caritatem creatam elevatur anima supra posse naturae, ut perfectius ordinetur ad finem, quam habeat facultas naturae; sed tamen non sic ordinatur ad consequendum Deum perfecte, sicut ipse perfecte se fruitur. Et hoc contingit ex hoc quod nihil creatum sit Deo proportionatum.

16. L’вme s’йlиve au-dessus des pouvoirs de la nature par la charitй crййe pour кtre de maniиre plus parfaite ordonnйe а la fin que sa facultй naturelle n’en a ; mais cependant, elle n’est pas ordonnйe pour atteindre Dieu parfaitement, comme il jouit de lui-mкme. Cela provient du fait que rien de crйй n’est proportionnй а Dieu.

[65989] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet bonum quod est Deus, sit praesens animae per seipsum; tamen requiritur medium formale ad hoc, quod anima perfecte ordinetur in ipsum ex parte animae, non autem ex parte ipsius Dei.

17. Quoique le bien, qui est Dieu, soit prйsent а l’вme par lui-mкme, cependant il requiert un intermйdiaire formel pour que l’вme est parfaitement ordonnйe а lui, de son cфtй et non du cфtй de Dieu lui-mкme.

[65990] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Deus est forma per se subsistens; non autem ita quod formaliter alicui coniungatur.

18. Dieu est une forme qui subsiste par soi, mais pas de sorte а lui кtre uni formellement.

[65991] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod dato quod Deus per seipsum cognoscatur ab anima quia hoc aliam quaestionem habet; eodem modo per seipsum diligitur, sicut per seipsum cognoscitur; ut hoc quod dico per se accipiatur ex parte diligibilis, non autem ex parte diligentis. Non enim Deus propter aliquid aliud diligitur ab anima, sed propter seipsum; et tamen anima indiget aliquo formali principio ad perfecte diligendum Deum.

19. Une fois donnй que Dieu serait connu par lui-mкme, par l’вme, parce que ceci comporte une autre question, c’est, par lui-mкme, qu’il s’aime de la mкme maniиre par lui-mкme de mкme c’est par lui-mкme qu’il se connaоt, de mкme que ce que je dis serait reзu par soi du cфtй de celui qui est aimable mais pas de celui qui aime. Car, Dieu n’est pas aimй par l’вme pour une autre raison mais pour lui-mкme ; cependant, l’вme a besoin d’un principe formel pour l’aimer parfaitement.

[65992] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Deus non potest tantum diligi a nobis quantum diligibilis est; unde non sequitur quod amor caritatis qua diligimus Deum infinitus sit. Hoc enim non minus sequeretur de actu quam de habitu; et tamen nullus dicere potest actum dilectionis, quo diligimus Deum, esse aliquid increatum.

20. Nous ne pouvons aimer Dieu qu’autant qu’il est aimable ; c'est pourquoi il n’en dйcoule pas que l’amour de charitй, par lequel nous aimons Dieu, soit infini. Car ceci rйsulterait moins de l’acte que de l’habitus ; et cependant, personne ne peut dire que l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu est quelque chose d’incrйй.

[65993] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod habitus caritatis requiritur in nobis in quantum diligimus Deum; quod aliis creaturis non convenit, licet omnes creaturae diligantur a Deo.

21. L’habitus de la charitй est requis en nous dans la mesure oщ nous aimons Dieu, ce qui ne convient pas aux autres crйatures, bien qu’elles soient toutes aimйes par Dieu.

[65994] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod nullum accidens est dignius subiecto quantum ad modum essendi; quia substantia est ens per se, accidens vero ens in alio. Sed in quantum accidens est actus et forma substantiae, nihil prohibet accidens esse dignius substantia; sic enim comparatur ad ipsam ut actus ad potentiam, et perfectio ad perfectibile; et sic est caritas dignior anima.

22. Aucun accident n’est plus noble que le sujet quant а son mode d’existence ; parce que la substance est йtant par soi, mais l’accident est йtant par un autre. Mais dans la mesure oщ l’accident est acte et forme de la substance, rien n’empкche l’accident d’кtre plus noble que la substance ; car ainsi il se compare а elle comme l’acte а la puissance et comme la perfection au perfectible ; car ainsi la charitй est-elle plus noble que l’вme.

[65995] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod licet lex qua diligimus Deum et proximum, sit increata; tamen id quo formaliter Deum et proximum diligimus, est aliquid creatum. Lex enim increata est prima mensura et regula nostrae dilectionis.

23. Bien que la loi par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain soit incrййe, cependant ce par quoi nous aimons formellement Dieu et notre prochain est quelque chose de crйй. En effet, une loi incrййe est la premiиre mesure et la premiиre rиgle de notre amour.

[65996] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod caritas resuscitat spiritualiter mortuos, formaliter, sed non effective; unde non oportet quod sit virtutis infinitae; sicut nec anima Lazari, quae formaliter Lazarum resuscitavit, in quantum, per unionem eius ad corpus, Lazarus est resuscitatus.

24. La charitй ressuscite les morts spirituellement, formellement, mais pas effectivement ; il ne faut donc pas qu’elle soit d’un pouvoir infini ; ainsi ce n’йtait pas l’вme de Lazare qui l’a ressuscitй formellement, c’est dans la mesure de son union а son corps, que Lazare est ressuscitй.

 

 

[65997] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum caritas sit virtus

Article 2La charitй est-elle une vertu ?

Objections :[35]

[65998] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65999] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 1 Virtus enim est circa difficile, secundum philosophum in VI Ethic. Sed caritas non est circa difficile, quinimmo, ut Augustinus dicit in Lib. de verbis domini [Sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope nulla facit amor. Ergo caritas non est virtus.

1. Car la vertu concerne ce qui est difficile, selon le philosophe (Йthique, VI) mais la charitй ne concerne pas ce qui est difficile, bien plus, comme Augustin le dit dans Les paroles du Seigneur : « L’amour rend tout ce qui est lourd et monstrueux facile [et le rйduit] а presque rien. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66000] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 2 Sed dicebatur, quod illud quod est virtutis, est difficile in principio, sed facile est in fine.- Sed contra, in principio nondum est virtus. Si igitur solum in principio sit difficile, virtus non erit circa difficile.

2. Mais on pourrait dire que ce qui concerne la vertu est difficile en son commencement mais facile en sa fin. En sens contraire, au commencement, il n’y pas encore de vertu. Donc si c’йtait difficile seulement au commencement, la vertu ne sera pas pour ce qui est difficile.

[66001] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, difficultas in virtutibus accidit ex contrarietate; inde enim fit difficile temperantiam servare propter contrarias concupiscentias. Sed caritas est circa summum bonum, cui non est aliquid contrarium. Ergo id quod est caritatis, non est difficile neque in fine neque in principio.

3. La difficultй dans les vertus vient de la contrariйtй ; de lа il devient en effet difficile de conserver la tempйrance а cause des consupiscences contraires. Mais la charitй concerne le bien suprкme, pour laequelle il n’y a rien de contraire. Donc ce qui concerne la charitй, n’est pas difficile, ni dans la fin, ni au commencement.

[66002] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, diligere vel amare quoddam velle est. Sed apostolus dicit, Rom. VII, 18 : Velle adiacet mihi. Ergo diligere adiacet nobis; non ergo ad hoc aliqua virtus caritatis requiritur.

4. Aimer[36] est un certain vouloir. Mais l’apфtre dit (Rm 7, 18) : « Vouloir est а ma portйe ». Donc aimer est а notre portйe; donc ce n’est pas pour cela qu’une vertu de charitй est requise.

[66003] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, in mente nostra non est nisi intellectus et appetitus. Sed intellectus elevatur in Deum per fidem, affectus per spem. Non ergo oportet ponere tertiam virtutem caritatis ad elevandum mentem in Deum.

5. Dans notre esprit il n’y a que l’intellect et l’appйtit. Mais l’intellect est йlevй en Dieu par la foi, l’affection par l’espйrance. Donc il ne faut pas placer en troisiиme la vertu de charitй pour йlever l’esprit en Dieu.

 [66004] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 6 Sed dicendum, quod spes elevat, sed non coniungit; unde necessaria est caritas, quae coniungat.- Sed contra, spes, quia non coniungit, semper distantis est; unde illis qui per beatitudinis fruitionem coniunguntur Deo, non congruit spes. Si ergo caritas coniungit, pari ratione non competit illis qui nondum sunt coniuncti, scilicet existentibus in via. Sed virtus perficit nos in via; est enim dispositio perfecti ad optimum. Ergo caritas non est virtus.

6. Mais il faut dire que l’espйrance йlиve, mais n’unit pas pas, c'est pourquoi la charitй source d’union est nйcessaire. Mais en sens contraire, l’espйrance, parce qu’elle n’unit pas, est toujours йloignйe, c'est pourquoi chez ceux qui sont unis а Dieu par la fruition de la bйatitude, l’espйrance ne se rencontre pas. Donc si la charitй unit, а raison йgale, elle ne convient pas а ceux qui ne sont pas encore unis, а savoir а ceux qui existent dans la voie. Mais la vertu nous rend parfait dans la voie, car c’est la disposition du parfait pour le meilleur. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66005] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, gratia sufficienter coniungit nos Deo. Non igitur requiritur virtus caritatis ad hoc quod per ipsam Deo coniungamur.

7. La grвce nous unit suffisamment а Dieu. Donc la vertu de charitй n’est pas requise pour que nous soyons unis а Dieu par elle.

[66006] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, caritas est quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed amicitia hominis ad hominem non numeratur a philosophis inter virtutes politicas. Ergo nec caritas Dei debet numerari inter virtutes theologicas.

8. La charitй est une amitй de l’homme pour Dieu[37]. Mais l’amitiй de l’homme pour l’homme n’est pas comptйe par les philosophes parmi les vertus politiques[38]. Donc la charitй non plus ne doit pas кtre comptйe parmi les vertus thйologiques.

[66007] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla passio est virtus. Amor est passio. Ergo non est virtus.

9. Aucune passion n’est une vertu. Mais l’amour est une passion. Donc ce n’est pas une vertu.

[66008] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus est in medio secundum philosophum. Sed caritas non est in medio; quia in amore Dei non potest esse aliquid superfluum. Ergo caritas non est virtus.

10. La vertu est dans l’intermйdiaire selon le philosophe[39]. Mais la charitй n’est pas dans l’intermйdiaire; parce que dans l’amour de Dieu il ne peut pas y avoir rien de superflu. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66009] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 11 Praeterea, affectus est magis corruptus per peccatum quam intellectus; quia peccatum in voluntate est, ut Augustinus dicit De duabus animabus, cap. X et XI,. Sed intellectus noster non potest Deum videre immediate per seipsum in statu viae. Ergo nec affectus noster potest diligere Deum immediate per seipsum in statu viae. Sed diligere Deum per seipsum attribuitur caritati. Ergo caritas non debet inter virtutes quae perficiunt nos in via numerari.

11. L’affection est plus corrompue par le pйchй que l’intellect ; parce que la pйchй est dans la volontй, comme le dit Augustin (Les deux вmes, X et XI). Mais notre intellect ne peut pas voir Dieu sans intermйdiaire par lui-mкme dans le statut de la voie. Donc notre affection ne peut pas aimer Dieu sans intermйdiaire par lui-mкme dans le statut de la voie. Mais aimer Dieu par lui-mкme est attribuй а la charitй. Donc la charitй ne doit pas d’кtre comptйe parmi les vertus qui nous perfectionnent dans la voie.

[66010] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 12 Praeterea, virtus est ultimum de potentia rei, ut dicitur in I de Caelo [III,c. 2]. Sed delectatio est ultimum quod pertinet ad affectum. Ergo magis delectatio debet esse virtus quam amor.

12. La vertu est le dernier degrй de la puissance, comme il est dit (Le ciel, 1, 3, 281 a 25). Mais le plaisir est le dernier degrй qui convient а l’affection. Donc la vertu doit кtre plus le plaisir que l’amour[40].

[66011] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 13 Praeterea, omnis virtus habet debitum modum; unde dicit Augustinus [in lib. de natura Boni, cependant. III et IV], quod peccatum, quod opponitur virtuti, est privatio modi, speciei et ordinis. Sed caritas non habet modum; quia, sicut dicit Bernardus [in lib. de diligendo Deo], modus caritatis est sine modo diligere. Ergo caritas non est virtus.

13. Toute vertu a une mesure obligйe; c'est pourquoi Augustin (La nature du Bien, 3 et 4) dit que le pйchй qui est opposй а la vertu, est la privation de mesure, d’espиce et d’ordre. Mais la charitй n’a pas de mesure ; parce que, comme le dit saint Bernard (L’amour de Dieu), le mesure de la charitй c’est aimer sans mesure. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66012] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 14 Praeterea, una virtus non denominatur ab alia; quia omnes species eiusdem generis ex opposito dividuntur. Sed caritas denominatur ab aliis virtutibus; dicitur enim I ad Corinth. XIII, 4 : Patiens est, benigna caritas est. Ergo caritas non est virtus.

14. Une vertu ne tire pas son nom d’une autre ; parce que toutes les espиces d’un mкme genre sont sйparйes par opposition. Mais la charitй est dйnommйe par les autres vertus ; car il est dit 1 Co 13, 4 : « La charitй est patiente, bienveillante ». Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66013] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 15 Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic. [cap. VIII], amicitia in quadam aequalitate consistit. Sed Dei ad nos est maxima inaequalitas, sicut infinite distantium. Ergo non potest esse amicitia Dei ad nos, vel nostri ad Deum; et ita caritas, quae huiusmodi amicitiam designat, non videtur esse virtus.

15. Selon le philosophe (Йthique, VIII, 1055 a 32) l’amitiй consiste en une certaine йgalitй. Mais de Dieu а nous l’inйgalitй est trиs grande, pour ainsi dire de distance infinie. Donc il ne peut pas y avoir d’amitй de Dieu pour nous[41], ou de nous pour Dieu ; et ainsi la charitй qui dйsigne une amitiй de ce genre ne semble pas кtre une vertu.

[66015] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 17 Praeterea, amor est excellentius timore. Sed timor, propter sui excellentiam, non est virtus, sed donum, quod est excellentius virtute. Ergo neque caritas est virtus, sed donum.

17. L’amour est bien meilleur que la crainte. Mais celle-ci а cause de son excellence n’est pas une vertu, mais un don meilleur que la vertu. Donc la charitй n’est pas une vertu mais un don.

En sens contraire :

[66016] De virtutibus, q. 2 a. 2 s. c. Sed contra, praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed actus caritatis praecipitur in lege; dicitur enim Matth. XXII, 37, quod primum et maximum mandatum est : Dilige Dominum Deum tuum. Ergo caritas est virtus.

 Les prйceptes de la loi concernent les actes de vertu. Mais l’acte de charitй est ordonnй dans la loi; car en Mt 22, 37, il est dit qu’il est le premier et le plus grand des commandements : « Aime le Seigneur ton Dieu ». Donc la charitй est une vertu.

Rйponse :

[66017] De virtutibus, q. 2 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas absque dubio virtus est. Cum enim virtus sit quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; manifestum est quod secundum propriam virtutem homo ordinatur ad proprium bonum. Proprium autem bonum hominis oportet diversimode accipi,

secundum quod homo diversimode accipitur. Nam proprium bonum hominis in quantum homo, est bonum rationis, eo quod homini esse est rationale esse. Bonum autem hominis secundum quod est artifex, est bonum artis; et sic etiam secundum quod est politicus, est bonum eius bonum commune civitatis.

A cela il n’y a aucun doute. En effet comme la vertu rend bon celui qui la possиde et rend son oeuvre bonne, il est йvident que c’est par sa propre vertu que l’homme est ordonnй а son bien propre. Or le bien propre de l’homme doit кtre entendu de diffйrentes maniиres selon que l’homme est compris de diffйrentes maniиres.

Car le bien propre de l’homme, en tant que tel, est le bien de la raison, du fait que l’кtre de l’homme est un кtre raisonnable.

Le bien de l’homme selon qu’il est artisan est le bien de son art ;

et aussi selon qu’il est homme politique c’est le bien commun de la citй[42].

Cum ergo virtus operetur ad bonum; ad virtutem cuiuslibet requiritur quod sic se habeat quod ad bonum bene operetur, id est voluntarie et prompte et delectabiliter, et etiam firmiter : hae enim sunt conditiones operationis virtuosae, quae non possunt convenire alicui operationi, nisi operans amet bonum propter quod operatur, eo quod amor est principium omnium voluntariarum affectionum. Quod enim amatur, desideratur dum non habetur, et delectationem infert quando habetur et tristitiam ingerunt ea quae ad habendo amatum impediunt. Ea etiam quae ex amore fiunt, et firmiter et prompte et delectabiliter fiunt. Ad virtutem igitur requiritur amor boni ad quod virtus operatur. Bonum autem ad quod operatur virtus quae est hominis in quantum homo, est homini connaturale; unde voluntati eius naturaliter inest huius boni amor, quod est bonum rationis. Sed si accipiamus virtutem hominis secundum aliquam aliam considerationem non naturalem homini, oportebit ad huiusmodi virtutem amorem illius boni, ad quod talis virtus ordinatur, esse aliquid superadditum circa naturalem voluntatem. Non enim artifex bene operatur nisi superveniat ei amor boni quod per operationem artis intenditur; unde philosophus dicit in VIII Polit.[cap. 1], quod ad hoc quod aliquis sit bonus politicus, requiritur quod amet bonum civitatis.

Donc puisque la vertu opиre pour le bien, il est requis pour la vertu de n’importe qui de se comporter de maniиre а parfaitement opйrer pour le bien, c’est-а-dire volontairement, promptement et avec plaisir, et aussi avec fermetй. Ce sont en effet lа les conditions de l’opйration vertueuse qui ne peuvent convenir а quelque opйration que si celui qui opиre aime le bien pour lequel il agit, parce que l’amour est le principe de toutes les affections volontaires. En effet ce qu’on aime, on le dйsire quand on ne l’a pas et il apporte le plaisir quand on l’a et ce qui en empкche la possession engendre la tristesse. Aussi ce qui est fait par amour se fait avec fermetй, promptitude et plaisir. Donc est requis pour la vertu l’amour du bien pour lequel la vertu agit. Or le bien pour lequel opиre la vertu qui est de l’homme en tant que tel lui est connaturel; c'est pourquoi l’amour de ce bien qui est le bien de la raison est naturellement en sa volontй. Mais si nous concevons la vertu de l’homme selon une autre considйration non naturelle а l’homme il faudra pour une vertu de ce genre que l’amour de ce bien auquel cette vertu est ordonnйe soit quelque chose de surajoutй а la volontй naturelle. En effet l’artisan n’opиre bien que si lui arrive l’amour du bien qu’il poursuit par l’opйration de son art. C'est pourquoi le philosophe (Politique VIII, 1) dit que pour кtre un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la citй.

Si autem homo, in quantum admittitur ad participandum bonum alicuius civitatis, et efficitur civis illius civitatis; competunt ei virtutes quaedam ad operandum ea quae sunt civium, et ad amandum bonum civitatis; ita cum homo per divinam gratiam admittatur in participationem caelestis beatitudinis, quae in visione et fruitione Dei consistit, fit quasi civis et socius illius beatae societatis, quae vocatur caelestis Ierusalem secundum illud, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum et domestici Dei.

 Si donc l’homme, en tant qu’il est admis а prendre part au bien d’une citй, est йtabli citoyen de cette citй, des vertus lui incombent pour accomplir des actes de citoyens et pour aimer le bien de la citй. Ainsi lorsque l’homme par la grвce divine est admis а participer а la bйatitude cйleste qui consiste en la vision et en la jouissance de Dieu, il devient comme le concitoyen et le compagnon de cette bienheureuse sociйtй qui est appelйe la Jйrusalem cйleste, selon ce qui est йcrit (Eph 2, 19) : « Vous кtes les concitoyens des saints et de ceux qui font partie de la maison de Dieu ».

Unde homini sic ad caelestia adscripto competunt quaedam virtutes gratuitae, quae sunt virtutes infusae; ad quarum debitam operationem praeexigitur amor boni communis toti societati, quod est bonum divinum, prout est beatitudinis obiectum. Amare autem bonum alicuius civitatis contingit dupliciter : uno modo ut habeatur; alio modo ut conservetur.

 C'est pourquoi certaines vertus gratuites qui sont des vertus infuses sont ainsi propres а l’homme inscrit sur la liste pour les cieux; pour bien s’en acquitter l’amour du bien commun est prйexigй pour toute la sociйtй, qui est le bien divin, dans la mesure oщ il est l’objet de la bйatitude. Mais aimer le bien d’une citй arrive de deux maniиres : a. Pour le possйder, b. d’une autre maniиre pout le conserver.

Amare autem bonum alicuius civitatis ut habeatur et possideatur, non facit bonum politicum; quia sic etiam aliquis tyrannus amat bonum alicuius civitatis ut ei dominetur : quod est amare seipsum magis quam civitatem; sibi enim ipsi hoc bonum concupiscit, non civitati. Sed amare bonum civitatis ut conservetur et defendatur, hoc est vere amare civitatem; quod bonum politicum facit : in tantum quod aliqui propter bonum civitatis conservandum vel ampliandum, se periculis mortis exponant et negligant privatum bonum.

 Mais aimer le bien d’une citй pour avoir ou possйder ne fait pas le bien politique : parce qu’ainsi un tyran aussi aime le bien de la citй pour la dominer; ce qui est s’aimer soi-mкme plus que la citй ; car il convoite ce bien pour lui et non pour la Citй. Mais aimer le bien de la citй pour le conserver et le dйfendre c’est lа vraiment aimer la citй ; ce que fait le bon politique ; en tant que certains s’exposent aux pйrils de la mort pour conserver le bien de la citй et le dйvelopper et ils nйgligent leur bien privй.

Sic igitur amare bonum quod a beatis participatur ut habeatur vel possideatur, non facit hominem bene se habentem ad beatitudinem, quia etiam mali illud bonum concupiscunt; sed amare illud bonum secundum se, ut permaneat et diffundatur, et ut nihil contra illud bonum agatur, hoc facit hominem bene se habentem ad illam societatem beatorum. Et haec est caritas, quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt capaces beatitudinis, sicut seipsos; et quae repugnat omnibus impedimentis et in se et in aliis; unde nunquam potest esse cum peccato mortali, quod est beatitudinis impedimentum. Sic igitur patet quod caritas non solum est virtus, sed potissima virtutum.

Ainsi donc aimer le bien auquel les bienheureux participent pour l’avoir et le possйder ne rend pas l’homme bien disposй pour la bйatitude, parce que les mйchants aussi convoitent ce bien; mais l’aimer selon ce qu’il est, pour qu’il demeure et soit rйpandu, et pour que rien ne soit fait contre lui, c’est ce qui rend l’homme bien disposй pour cette sociйtй de bienheureux. Et telle est la charitй qui aime Dieu par soi et le prochain, qui est capable [d’obtenir] de bйatitude, pour eux-mкmes; et elle s’oppose а tous les obstacles et en soi-mкme et dans les autres. C'est pourquoi elle ne peut jamais exister avec le pйchй mortel qui est une empкchement pour la bйatitude. Ainsi donc la charitй est non seulement une vertu mais la plus grande des vertus.

Solutions :

[66018] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus est circa illud quod in se difficile est, sed tamen habenti virtutem fit facile.

1. La vertu est pour ce qui est en soi difficile, mais seulement pour celui qui la possиde elle devient facile.

[66019] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. Non enim probat : manet enim, quantum in se est, difficile illud circa quod est virtus, adveniente virtute, sed quod facile fiat virtuoso, hoc est ex perfectione virtutis.

2. Par lа paraоt la solution а la seconde objection. Car elle ne prouve pas ; en effet pour ce qui concerne la vertu demeure difficile en tant qu’elle est en soi, quand arrive la vertu, mais qui devient facile au vertueux, vient de la perfection de la vertu.

[66020] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod difficultas non solum est ex contrarietate, sed etiam est ex excellentia obiecti; sic enim aliquid dicitur esse difficile ad intelligendum quoad nos propter excellentiam intelligibilis, non propter aliquam contrarietatem.

3. La difficultй ne vient pas seulement de la contrariйtй, mais aussi de l’excellence de l’objet ; car on dit aussi que quelque chose est difficile а comprendre, selon nous а cause de supйrioritй de l’intelligibilitй, non а cause d’un empкchement.

[66021] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud velle quod adiacet nobis a natura, est imperfectum et infirmum quantum ad spiritualia et gratuita; unde et apostolus ibidem subdit : Non enim quod volo bonum, hoc ago; et ideo requiritur auxilium gratuiti doni.

4. Ce vouloir qui se situe prиs de nous par nature est imparfait et faible, pour ce qui est spirituel et gratuit ; c'est pourquoi l’apфtre lа-mкme ajoute : « En effet ce que je veux de bien, je ne le fait pas » et c'est pourquoi l’aide d’un don gratuit est requis.

[66022] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spes elevat affectum hominis in summum bonum ut adipiscendum; sed super hoc requiritur quod illud bonum ametur ad bonum esse hominis, ut supra, in corp. art., dictum est.

5. L’espйrance elиve l’affection de l’homme au souverain bien pour l’obtenir, mais au-dessus de cela il est requis que ce bien soit aimй pour le bien de l’кtre de l’homme, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

[66023] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de ratione caritatis seu amoris est, quod coniungat secundum affectum; quae scilicet coniunctio intelligitur quantum ad hoc quod homo amicum reputat quasi alterum se, et vult ei bonum sicut et sibi. Sed coniungere secundum rem, non est de ratione caritatis, et ideo potest esse et habiti et non habiti. Sed non habitum facit desiderare; in habito vero, facit delectari.

6. Il est de la nature de la charitй ou de l’amour d’unir selon l’affection ; la quelle union est comprise quant а ce que l’homme considиre l’ami comme un autre lui-mкme et il lui veut du bien comme а lui-mкme. Mais unir en rйalitй n’est pas de la nature de la charitй, et c'est pourquoi ce peut кtre pour celui qui la possиde ou non. Mais ce qu’on ne possиde pas provoque le dйsir, mais dans ce qu’on possиde, on trouve la plaisir.

[66024] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod gratia coniungit nos Deo per modum assimilationis; sed requiritur quod uniamur ei per operationem intellectus et affectus, quod fit per caritatem.

7. La grвce nous unit а Dieu par mode de ressemblance, mais il est requis que nous soyons unis а lui par une opйration de l’esprit et de l’affection, ce qui se fait par charitй.

[66025] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod amicitia non ponitur virtus, sed consequens virtutem; quia ex hoc ipso quod aliquis habet virtutem et amat bonum rationis, consequitur ex ipsa inclinatione virtutis quod diligat sibi similes, scilicet virtuosos, in quibus bonum rationis viget. Sed amicitia quae est ad Deum, in quantum est beatus et beatitudinis auctor, oportet praestitui ad virtutes quae in illam beatitudinem ordinant; et ideo, cum non sit consequens ad alias virtutes, sed praeambulum, ut ostensum est, oportet quod ipsa sit per se virtus.

8. L’amitiй n’est pas considйrйe comme vertu mais comme ce qui l’accompagne ; parce que du fait que quelqu’un a la vertu et aime le bien de raison il en dйcoule par l’inclination de la vertu qu’il aime ses semblables, c'est-а-dire les vertueux, en qui le bien de raison a de la force. Mais l’amitiй qui est pour Dieu en tant qu’il est bienheureux et auteur de la bйatitude, doit кtre fixйe d’avance pour les vertus qui mette en rapport а cette bйatitude ; et c'est pourquoi comme elle n’accompagne pas les autres vertu, mais elle est le prйambule, comme on l’a montrй, il faut qu’elle soit vertu par soi.

[66026] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor, secundum quod est in sensitiva parte, est passio : qui quidem amor est boni secundum sensum. Talis autem amor non est amor caritatis; unde ratio non sequitur.

9. L’amour, selon qu’il est dans la partie sensitive, est une passion ; c’est amour du bien selon la sensation. Mais tel amour n’est pas l’amour de charitй ; c'est pourquoi la raison n’est pas valable.

[66027] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod hoc quod dicit philosophus, virtutem esse in medio; intelligitur de virtutibus moralibus; non autem est verum de virtutibus theologicis, inter quas est caritas, ut alibi, quaest. praeced., art. 10, ostensum est.

10. Ce que dit le philosophe, que la vertu est en intermйdiaire, est compris des vertus morales, mais ce n’est pas vrai des vertus thйologiques parmi lesquelles il y a la charitй, comme ailleurs, (question prйcйdente, a. 10), on l’a montrй.

[66028] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod bonum intellectum movet voluntatem; et ideo licet intellectus per aliqua media Deum intelligat ut summum bonum, ex hoc ipso movet voluntatem, ut sic possit immediate amari, licet per media cognoscatur : quia hoc ipsum quo determinatur cognitio intellectus, movet affectum.

11. La bien intellectuel meut la volontй, et ainsi, bien que l’intellect comprenne Dieu comme le souverain bien, par des intermйdiaires, de ce fait qu’il meut la volontй pour ainsi pouvoir кtre aimй sans intermйdiaire, bien qu’il soit connu par des intermйdiaires, parce que ce par quoi est limitй la connaissance intellectuelle, met en mouvement l’affection.

[66029] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod delectatio non importat operationem, sed aliquid consequens ad operationem; unde, cum virtus sit operationis principium, delectatio non ponitur inter virtutes, sed inter fructus, ut patet Galat. V, 22 : Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax, patientia.

12. Le plaisir n’apporte pas d’opйration, mais quelque chose qui accompagne l’opйration ; c'est pourquoi comme la vertu est le principe de l’opйration, le plaisir n’est pas placй parmi les vertus, mais parmi les fruits ; comme on le voit dans Gal 5, 22 : « Le fruit de l’esprit c’est la charitй, la joie, la paix, la patience ».

[66030] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod obiectum caritatis transcendit omnem facultatem humanam, scilicet Deus; unde quantumcumque voluntas humana conetur ad amandum Deum, non potest attingere ut amet eum quantum est amandus. Et ideo dicitur non habere modum caritas, quia non est aliquis terminus fixus divinae dilectionis ultra quem, si diligatur, sit contra rationem virtutis, sicut accidit in virtutibus moralibus, quae consistunt in medio; hoc enim ipsum quod est non habere sic modum, est caritatis modus. Ex hoc igitur non potest concludi quod caritas non sit virtus; sed quod non consistat in medio, sicut virtutes morales.

13. L’objet de la charitй, а savoir Dieu, transcende toute facultй humaine; c'est pourquoi chaque fois que la volontй humaine s’efforce d’aimer Dieu, elle ne peut pas parvenir а l’aimer autant qu’il doit l’кtre. Et c'est pourquoi on dit que la charitй n’a pas de mesure, parce qu’il n’y a pas un terme fixe de l’amour divin au delа duquel, s’il est aimй, c’est contre la nature de la vertu, comme il arrive dans les vertus morales, qui s’йtablissent dans l’intermйdiaire ; car cela mкme qui consiste а ne pas avoir de mesure, est le mesure de la charitй. Par cela donc, on ne peut pas conclure que la charitй n’est pas une vertu ; mais qu’elle ne consiste pas en un intermйdiaire comme les vertu morales.

[66031] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas dicitur patiens et benigna, quasi denominata ab aliis virtutibus, in quantum producit actus omnium virtutum.

14. On dit que la charitй est patiente et bienveillante, comme dйnommйe а partir des autres vertus en tant qu’elle produit les actes de toutes les vertus.

[66032] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non est virtus hominis in quantum est homo, sed in quantum per participationem gratiae fit Deus et filius Dei, secundum illud I Ioan. III, 1 : Videte qualem caritatem dedit nobis pater, ut filii Dei nominemur et simus.

15. La charitй n’est pas la vertu de l’homme en tant qu’homme, mais en tant que par la participation de la grвce, il devient Dieu et fils de Dieu, selon cette parole de 1 Jn 3, 1 : « Voyez quelle charitй le Pиre nous a donnй, pour que nous soyons appelйs et fils de Dieu et nous le sommes ».

[66033] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod amor summi boni, prout est principium esse naturalis, inest nobis a natura; sed prout est obiectum illius beatitudinis quae totam capacitatem naturae creatae excedit, non inest nobis a natura, sed est supra naturam.

16 L’amour du souverain bien est le principe de l’кtre naturel, dans la mesure oщ il est en nous par nature, mais dans la mesure oщ il est l’objet de cette bйatitude qui dйpasse toute la capacitй de la nature, il n’est pas en nous par nature mais il est au-dessus de la nature.

[66034] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod dona perficiunt virtutes elevando eas supra modum humanum, sicut donum intellectus virtutem fidei, et donum timoris virtutem temperantiae in recedendo a delectabilibus ultra humanum modum. Sed circa amorem Dei non inest aliqua imperfectio, quam oporteat per aliquod donum perfici; unde caritas non ponitur donum virtutis, quae tamen excellentior est omnibus donis.

17. Les dons rendent parfaites les vertus en les йlevant au-dessus du mode humain, comme le don d’intelligence, la vertu de foi, et le don de crainte, la vertu de tempйrance, en йloignant de ce qui est dйlectable au-delа de la mesure humaine. Mais pour l’amour de Dieu, il n’y a aucune imperfection, qu’il faudrait achever par un don ; c'est pourquoi la charitй n’est pas placйe comme don de vertu, elle qui cependant est plus excellente que tous les dons.

 

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[66035] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum caritas sit forma virtutum

Article 3La charitй est-elle la forme des vertus ?

[66036] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[43]

[66037] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 1 Forma enim dat esse et speciem ei cuius est forma. Sed caritas non dat esse et speciem cuilibet virtuti. Ergo caritas non est forma aliarum virtutum.

1. Car la forme donne l’кtre et l’espиce а ce dont elle est la forme. Mais la charitй ne donne а n’importe quelle vertu ni l’кtre ni l’espиce. Donc la charitй n’est pas la forme des autres vertus.

[66038] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, formae non est forma. Sed omnes virtutes sunt formae; sunt enim perfectiones quaedam. Ergo caritas non est forma virtutum.

2. La forme ne vient pas d’une forme. Mais toutes les vertus sont des formes, car elles sont des perfections. Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.

[66039] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, forma cadit in definitione eius cuius est forma. Sed caritas non cadit in definitione virtutum. Ergo caritas non est forma virtutum.

3. La forme tombe dans la dйfinition de ce dont elle est la forme. Mais La charitй ne tombe pas dans la dйfinition des vertus. Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.

[66040] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ea quae dividuntur ex opposito, non ita se habent, quod unum sit forma alterius. Sed caritas ex opposito dividitur aliis virtutibus, ut patet I ad Cor. XIII, 13 : Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo caritas non est forma virtutum.

4. Ce qui est sйparй par un contraire ne se comporte pas de sorte que l’un soit la forme de l’autre. Mais la charitй est sйparйe des autres vertus par opposй, comme on le voit en 1 Co 13, 13 : « Mais maintenant demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois lа ». Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.

[66041] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 5 Sed dicendum, quod caritas non est forma intrinseca virtutum, sed exemplaris.- Sed contra, exemplatum trahit speciem ab exemplari. Si igitur caritas est forma exemplaris omnium virtutum, omnes virtutes trahunt speciem ab ipsa. Ergo omnes virtutes essent unius speciei; quod est falsum.

5. Il faut dire que la charitй n’est pas la forme intrinsиque des vertus, mais leur forme exemplaire. – En sens contraire, l’image tire son espиce de l’exemplaire. Si donc la charitй est la forme exemplaire de toutes les vertus, elles tirent leur espиce d’elle. Donc toutes les vertus sont d’une seule espиce, ce qui est faux.

[66042] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, forma exemplaris est ad quam aliquid fit. Non ergo est necessaria nisi ad hoc quod res fiat. Si ergo caritas est forma exemplaris virtutum, non erit necessaria caritas nisi ad generationem virtutum. Et ideo virtutibus habitis, non erit necessarium habere caritatem; quod patet esse falsum.

6. La forme exemplaire est pour celle а laquelle quelque chose est fait. Donc elle n’est nйcessaire que pour que la chose soit faite. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, la charitй ne sera nйcessaire que pour la gйnйration des vertus. Et ainsi une fois les vertus possйdйes, il ne sera pas nйcessaire d’avoir la charitй, ce qui apparaоt comme faux.

[66043] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, exemplar est necessarium facienti, non autem utenti iam facto; sicut exemplar est necessarium ad transcribendum librum, non autem ad utendum libro iam scripto. Si igitur caritas est forma exemplaris virtutum, non competit nobis, qui virtutibus utimur, sed Deo, qui in nobis virtutes operatur.

7. L’exemplaire est nйcessaire а celui qui fait, mais pas а celui qui se sert de ce qui est fait. De mкme l’exemplaire est nйcessaire pour transcrire un livre, mais non pour se servir du livre dйjа йcrit. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, elles ne nous convient pas, а nous qui utilisons les vertus mais а Dieu qui les opиre en nous.

[66044] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 8 Praeterea, exemplar potest esse sine exemplato. Si igitur caritas sit forma exemplaris virtutum, sequitur quod possit esse sine aliis virtutibus; quod est falsum.

8. L’exemplaire peut exister sans image. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, il en dйcoule qu’elle pourrait кtre sans les autres vertus ; ce qui est faux.

[66045] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 9 Praeterea, quaelibet virtus habet formam a suo fine et obiecto. Quod autem est per se formatum, non indiget formari ab alio; et ita caritas non est forma virtutum.

9. N’importe quelle vertu tient sa forme de sa fin et son objet. Mais ce qui est mis en forme par soi, n’a pas besoin d’кtre mis en forme par un autre, et ainsi la charitй n’est la forme des vertus.

[66046] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 10 Praeterea, natura semper facit quod melius est. Multo igitur magis Deus. Sed melius est aliquid esse formatum quam informe. Cum igitur virtutes in nobis operetur Deus, videtur quod faciat eas formatas; et ita non indigent formari a caritate.

10. La nature fait toujours ce qui est meilleur. Donc beaucoup plus Dieu. Mais est meilleur un кtre en forme qu’un кtre sans forme. Donc comme Dieu opиre en nous les vertus, il semble qu’il les met en forme, et ainsi ils n’ont pas besoin d’кtre mis en forme par la charitй.

[66047] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 11 Praeterea, fides est quoddam spirituale lumen. Sed lumen est forma eorum quae videntur in lumine. Ergo, sicut lux corporalis est forma colorum, sic fides est forma caritatis et aliarum virtutum; non autem caritas.

11. La foi est une certaine lumiиre spirituelle. Mais la lumiиre est la forme de ce qui est vu dans la lumiиre. Donc de mкme que la lumiиre corporelle est la forme des couleurs, la foi est la forme de la charitй et des autres vertus, mais pas la charitй.

[66048] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo perfectionum est secundum ordinem perfectibilium. Sed virtutes sunt perfectiones potentiarum animae. Ergo secundum ordinem potentiarum est ordo virtutum. Sed inter alias potentias animae altior est intellectus ipsa voluntate. Ergo et fides est altior caritate; et ita fides magis est forma caritatis quam e converso.

12. L’ordre des perfections dйpend de la l’ordre des perfectibles. Mais les vertus sont les perfections des puissances de l’вme. Donc l’ordre des vertus dйpend de l’ordre des puissances. Mais parmi les autres puissances de l’вme, l’intellect est plus haut que la volontй. Donc la foi aussi est plus haute que la charitй, et ainsi la foi est plus la forme de la charitй que le contraire.

[66049] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 13 Praeterea, sicut se habent virtutes morales ad invicem, ita et theologicae. Sed prudentia, quae est in vi cognitiva, informat alias virtutes quae sunt in vi appetitiva, scilicet iustitiam, fortitudinem, temperantiam et huiusmodi. Ergo et fides, quae in cognitiva est, informat caritatem, quae est in appetitiva, et non e converso.

13. De la mкme maniиre que les vertus morales se comportent entre elles; se comportent les vertus thйologiques. Mais la prudence, qui est dans la force cognitive, met en forme les autres vertus qui sont dans la force appйtitive, а savoir la justice, la force, la tempйrance etc. Donc la foi aussi qui est dans la partie cognitive, met en forme la charitй, qui est dans la partie appйtitive, et non а l’inverse.

[66050] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 14 Praeterea, forma virtutis est modus eius. Sed rationis est imponere modum appetitui, et non e converso. Ergo fides, quae est in ratione, magis est forma caritatis, quae est in parte appetitiva, quam e converso.

14. La forme de la vertu est son mode. Mais c’est le propre de la raison d’imposer un mode а l’appйtit, et non le contraire. Donc la foi, qui est dans la raison, est plus une forme de la charitй, qui est dans la partie appйtitive, que le contraire.

[66051] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 15 Praeterea, Matth. I, 2, super illud, Abraham genuit Isaac, Isaac genuit Iacob, dicit Glossa, quod fides genuit spem et spes caritatem. Sed omne genitum recipit formam a generante. Ergo caritas recipit formam a fide et spe, et non e converso.

15. Mt 1, 2, sur ce verset : « Abraham a enfantй Isaac, Isaac a enfantй Jacob », la glose dit que la foi a engendrй l’espйrance et l’espйrance la charitй. Mais tout ce qui est engendrй reзoit sa forme de celui qui l’engendre. Donc la charitй reзoit la forme de la foi et de l’espйrance, et non le contraire.

[66052] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 16 Praeterea, in uno et eodem, potentia praecedit actum tempore. Si igitur caritas comparetur ad alias virtutes ut actus et forma, sequetur quod aliae virtutes prius tempore sint in homine quam caritas; quod est falsum.

16. Dans un seul et mкme objet la puissance prйcиde temporellement l’acte. Si donc la charitй est comparйe aux autres vertus comme l’acte et la forme il en dйcoule que les autres vertus sont temporellement dans l’homme avant la charitй ; ce qui est faux.

[66053] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 17 Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes ordinantur, sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut Augustinus dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam recipiunt ex fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis quam e converso.

17. La mise en forme dans le domaine moral provient de sa fin. Mais toutes les vertus sont ordonnйes comme а leur fin ultime а la vision de Dieu, qui est la rйcompense totale, comme Augustin le dit, et qui succиde а la foi. Donc toutes les autres vertus reзoivent une forme de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi est la forme de la charitй plus que le contraire.

[66054] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 18 Praeterea, finis efficiens et forma non incidunt in idem numero, secundum philosophum in II Phys., text. 70. Sed caritas est finis virtutum et motor earum. Ergo non est forma ipsarum.

18. La fin efficiente et la forme ne tombent pas dans le mкme en nombre, selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 24). Mais la charitй est la fin des vertus et leur moteur. Donc elle n’est pas leur forme.

[66055] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 19 Praeterea, illud a quo est principium essendi, est forma. Sed principium esse spiritualis est gratia, secundum illud 1 Corinth. c. XV, 10 : Gratia Dei sum id quod sum. Ergo gratia Dei est forma virtutum, et non caritas.

19. Ce d’oщ vient le principe d’кtre est un forme. Mais le principe d’кtre spirituel est la grвce, selon cette parole de 1 Co 15, 10 : « Je suis ce que je suis par la grвce de Dieu ». Donc la grвce de Dieu est la forme des vertus, et non la charitй.

En sens contraire :

[66056] De virtutibus, q. 2 a. 3 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius, lib. II In Lucam, dicit, quod caritas est forma et mater virtutum.

Il y a ce qu’Ambroise (Luc. II) dit : la charitй est la forme et la mиre des vertus.

Rйponse :

[66057] De virtutibus, q. 2 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est forma virtutum, motor et radix.

La charitй est la forme des vertus, leur moteur et leur racine.

Ad cuius evidentiam sciendum est, quod de habitibus oportet nos secundum actus iudicare; unde quando id quod est unius habitus, est ut formale in actu alterius habitus, oportet quod unus habitus se habeat ad alium ut forma. In omnibus autem actibus voluntariis id quod est ex parte finis, est formale : quod ideo est, quia unusquisque actus formam et speciem recipit secundum formam agentis, ut calefactio secundum calorem.

 Pour йclaircir cette question il faut savoir qu’il est nйcessaire que nous jugions des habitus selon leurs actes ; c'est pourquoi lorsque ce qui est d’un seul habitus est comme formel dans l’acte d’un autre habitus, il est nйcessaire que l’un se comporte vis-а-vis de l’autre comme une forme. Or dans tous les actes volontaires ce qui est du cфtй de la fin est formel ; la raison en est que chaque acte reзoit sa forme et son espиce selon la forme de l’agent, comme l’йchauffement vient de la chaleur.

Forma autem voluntatis est obiectum ipsius, quod est bonum et finis, sicut intelligibile est forma intellectus; unde oportet quod id quod est ex parte finis, sit formale in actu voluntatis. Unde idem specie actus, secundum quod ordinatur ad unum finem, cadit sub forma virtutis; et secundum quod ordinatur ad alium finem, cadit sub forma vitii; ut patet de eo qui dat eleemosynam vel propter Deum, vel propter inanem gloriam. Actus enim unius vitii, secundum quod ordinatur ad finem alterius vitii, recipit formam eius; utpote qui furatur ut fornicetur, materialiter quidem fur est, formaliter vero intemperatus.

 Mais la forme de la volontй est son objet parce qu’il est le bien et la fin, comme l’intelligible est la forme de l’intellect. C'est pourquoi il est nйcessaire que ce qui est du cфtй de la fin soit formel dans l’acte de la volontй. C'est pourquoi l’acte identique en espиce selon qu’il est ordonnй а une seule fin tombe sous la forme de la vertu; et selon qu’il est ordonnй а une autre fin, il tombe sous la forme du vice, comme on le voit de celui qui fait l’aumфne ou pour Dieu ou par vaine gloire. Car l’acte d’un seul vice selon qu’il est ordonnй а la fin d’un autre vice endosse sa forme ; par exemple celui qui vole pour forniquer est matйriellement voleur et formellement intempйrant.

Manifestum est autem quod actus omnium aliarum virtutum ordinatur ad finem proprium caritatis, quod est eius obiectum, scilicet summum bonum. Et de virtutibus quidem moralibus manifestum est : nam huiusmodi virtutes sunt circa quaedam bona creata quae ordinantur ad bonum increatum sicut ad ultimum finem. Sed de virtutibus aliis theologicis idem manifestum est : nam ens increatum est quidem obiectum fidei, ut verum; et in quantum est appetibile, habet rationem boni. Et sic tendit fides in ipsum, in quantum est appetibile, cum nullus credat nisi volens. Spei autem obiectum licet sit ens increatum, in quantum est bonum, tamen dependet ab obiecto caritatis : est enim bonum, obiectum spei, in quantum est desiderabile et consequibile : nullus enim desiderat consequi aliquod bonum nisi per hoc quod amat ipsum.

 Or il est йvident que l’acte de toutes les autres vertus est ordonnй а la fin propre de la charitй qui est son objet, а savoir le bien suprкme. Et c’est йvident pour les vertus morales; car les vertus de ce genre sont pour des biens crййs qui sont ordonnйs au bien incrйй comme а leur fin derniиre. Mais pour les autres vertus thйologales la mкme chose est йvidente ; car l’йtant incrйй est l’objet de la foi, comme vrai et en tant qu’il est dйsirable il a nature de bien. Et ainsi la foi tend en lui en tant que dйsirable puisque personne ne croit que s’il veut. Bien que l’objet de l’espйrance soit l’йtant incrйй en tant qu’il est bon, cependant il dйpend de l’objet de la charitй ; en effet il est le bien, objet d’espйrance en tant que dйsirable et qu’il peut кtre atteint ; personne en effet ne dйsire obtenir un bien, sinon parce qu’il l’aime.

Unde manifestum est quod in actibus omnium virtutum est formale id quod est ex parte caritatis; et pro tanto dicitur forma omnium virtutum, in quantum scilicet omnes actus omnium virtutum ordinantur in summum bonum amatum, ut ostensum est. Et quia praecepta legis sunt de actibus virtutum; inde est quod apostolus dicit, I Timoth. cap. I, 5, quod finis praecepti est caritas.

C'est pourquoi il est йvident que dans les actes de toutes les vertus est formel ce qui vient du cфtй de la charitй et pour autant elle est dite la forme de toutes les vertus en tant que tous les actes de toutes les vertus sont ordonnйs vers le bien suprкme aimй, comme on l’a montrй. Et parce que les prйceptes de la loi concernent les actes des vertus, il y ace que dit l’Apфtre (1 Tm 1, 5) : « La fin du prйcepte est la charitй ».

Et hinc etiam apparet, quomodo caritas sit motor omnium virtutum; in quantum scilicet importat actus omnium aliarum virtutum. Omnis enim virtus vel potentia superior dicitur movere per imperium inferiorem, ex eo quod actus inferioris ordinatur ad finem superioris; sicut aedificativa imperat caementariae, eo quod actus caementariae artis ordinatur ad formam domus, quae est finis aedificativae. Unde cum omnes aliae virtutes ordinentur ad finem caritatis, ipsa imperat actus omnium virtutum, et ex hoc dicitur motor earum.

Et de lа aussi apparaоt comment la charitй est le moteur de toutes les vertus, en tant qu’elle en suscite les actes. En effet on dit que toute vertu ou puissance supйrieure meut par un pouvoir infйrieur, du fait que l’acte de l’infйrieur est ordonnй а la fin du supйrieur; comme le pouvoir de bвtir commande au maзon, parce que l’art de celui-ci est ordonnй а la forme de la maison qui est le but du pouvoir de bвtir. C'est pourquoi comme toutes les autres vertus sont ordonnйes а la fin de la charitй celle-ci commande les actes de toutes les vertus et par lа on dit qu’elle est leur moteur.

Et quia mater dicitur quae in se accipit et concipit; ideo dicitur caritas mater omnium virtutum, in quantum ex conceptione sui finis producitur actus omnium virtutum; et eadem etiam ratione dicitur radix virtutum.

Et parce qu’on dit qu’une mиre reзoit en soi et conзoit, on dit aussi que la charitй est la mиre de toutes les vertus, en tant que par la conception de sa fin, elle produit les actes de toutes les vertus ; et pour la mкme raison on dit qu’elle est la racine des vertus.

Solutions :

[66058] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet caritas non det unicuique virtuti propriam speciem, dat tamen unicuique virtuti communem speciem virtutis, secundum quod loquimur de virtute prout est principium merendi.

1. Bien que la charitй ne donne pas а chaque vertu une espиce propre, elle donne cependant а chacune une espиce commune, selon qu’on parle de la vertu en tant qu’elle est le principe du mйrite.

[66059] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae non est forma, ita quod una forma praestet subiectum alteri. Nihil tamen prohibet plures formas in eodem subiecto esse secundum quemdam ordinem; scilicet ut una sit formalis respectu alterius, sicut color est formalis respectu superficiei. Et hoc modo caritas potest esse forma aliarum virtutum.

2. La forme ne vient pas de la forme, de sorte qu’une forme procure le sujet а un autre. Cependant rien n’empкche plusieurs formes d’кtre dans le mкme sujet selon un certain ordre ; а savoir que l’une soit formelle en rapport avec l’autre, comme la couleur est formelle en rapport а la surface. Et de cette maniиre, la charitй peut кtre la forme des autres vertus.

[66060] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas cadit in definitione virtutis meritoriae, ut patet per definitionem Augustini, dicentis [lib. V1 Contra Iulianum, cap. VI], quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur : non enim recte vivitur nisi per hoc quod vita nostra ordinatur in Deum; quod caritas facit.

3. La charitй tombe dans la dйfinition de la vertu mйritante, comme on le voit par la dйfinition d’Augustin (Contre Julien VI, 6), qui dit que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit avec rectitude ; car on ne vit ainsi que par le fait que notre vie est ordonnйe а Dieu, ce que fait la charitй.

[66061] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de forma quae intrat constitutionem rei. Sic autem caritas non dicitur forma virtutum, sed alio modo; ut supra dictum est.

4. Cette raison procиde de la forme qui pйnиtre la constitution de la chose. Mais ainsi on ne dit pas que la charitй est la forme des vertus, mais [on parle] d’une autre maniиre, comme il a йtй dit ci-dessus.

[66062] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas, cum sit communis forma virtutum, trahit quidem virtutes in unam speciem communem, non autem in unam speciem propriam, quae dicitur species specialissima.

5. Comme la charitй est la forme commune des vertus, elle tire les vertus dans une espиce commune, mais non dans une espиce propre, qui est dite une espиce trиs particuliиre.

[66063] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas potest dici forma exemplaris virtutum, non ad cuius similitudinem virtutes generentur, sed in quantum ad eius similitudinem quodammodo operantur; et ideo, quamdiu necesse est operari secundum virtutem, necessaria est caritas.

6. On peut dire que la charitй est la forme exemplaire des vertus, non que les vertus soient engendrйes а sa ressemblance, mais en tant qu’elles opиrent d’une certaine maniиre а sa ressemblance et c'est pourquoi aussi longtemps qu’il est nйcessaire d’opйrer selon la vertu, la charitй est nйcessaire.

[66064] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet creare virtutes sit Dei tantum, tamen operari secundum virtutem, est etiam hominis habentis virtutem; et ideo indiget caritate.

7. Bien que crйer les vertus vienne de Dieu seulement, cependant opйrer selon la vertu est aussi la vertu de l’homme qui la possиde, et c'est pourquoi il a besoin de la charitй.

[66065] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas quantum ad actum non solum habet exemplaritatem, sed etiam virtutem motivam et effectivam. Exemplar autem effectivum non est sine exemplato, quia producit illud in esse; et sic caritas non est sine aliis virtutibus.

8. La charitй, quant а l’acte non seulement a l’exemplaritй, mais un pouvoir qui concerne le mouvement et l’exйcution et effective. Mais l’exemplaire qui concerne l’exйcution n’est pas sans son image ; parce qu’il le produit dans l’кtre ; et ainsi la charitй n’est pas sans les autres vertus.

[66066] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod a proprio fine et a proprio obiecto quaelibet virtus habet formam specialem, per quam est haec virtus; sed a caritate habet quamdam formam communem, secundum quam est meritoria vitae aeternae.

9. Par sa propre fin et par son objet propre n’importe quelle vertu a une forme spйciale, par laquelle elle est cette vertu ; mais par la charitй elle a une forme commune, selon qu’elle permet de mйriter la vie йternelle.

[66067] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Deus facit in nobis virtutes formatas speciali forma et generali : speciali quidem ex obiecto et fine, generali autem ex caritate.

10. Dieu forme en nous les vertus d’une forme spйciale et gйnйrale ; spйciale par l’objet et la fin, mais gйnйrale par la charitй.

[66068] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod lumen est forma colorum, in quantum sunt visibiles actu per lucem, et similiter fides est forma virtutum, in quantum sunt a nobis cognoscibiles : quod enim est virtuosum vel contra virtutem per fidem cognoscimus. Sed in quantum virtutes sunt operativae, per caritatem informantur.

11. La lumiиre est la forme des couleurs, en tant que par elle, elles sont visibles en acte, et de la mкme maniиre la foi est la forme des vertus en tant qu’elles nous sont connaissables, car nous connaissons par la foi ce qui concerne les vertus ou est contre elles. Mais en tant que les vertus sont opйratives, elles sont mises en forme par la charitй.

[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior voluntate, quia bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in operando et movendo prior est voluntas. Non enim intellectus intelligit et movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum intellectum movet voluntas, in quantum est operativus : utimur enim intellectu quando volumus. Unde, cum credere sit intellectus a voluntate moti (credimus enim aliquid quia volumus); sequitur quod magis caritas det formam fidei quam e converso.

12. L’intellect est absolument avant la volontй, parce que le bien intellectuel est l’objet de la volontй. Mais cependant pour opйrer et mettre en mouvement, la volontй est avant. Car l’intellect ne pense et ne meut que par une volontй qui s’y ajoute; c'est pourquoi aussi la volontй meut l’intellect lui-mкme en tant qu’il est opйratif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons. C'est pourquoi, comme croire est pensй par la volontй qui est mue (car nous croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en dйcoule que la charitй donne plus la forme а la foi qu’а l’inverse.

[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem volentis ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum quod res intellectae sunt in intelligente : unde quando res sunt infra intelligentem, intellectus illarum est dignior voluntate : quia tunc altiori modo sunt in intellectu res quam in seipsis, cum omne quod est in altero, sit in eo per modum eius in quo est; sed quando res sunt altiores intelligente, tunc voluntas altius ascendit quam possit pertingere intellectus. Et inde est quod in moralibus quae sunt infra hominem, virtus cognoscitiva informat virtutes appetitivas, sicut prudentia alias virtutes morales; in virtutibus autem theologicis, quae sunt circa Deum, virtus voluntatis, scilicet caritas, informat virtutem intellectus scilicet fidem.

13. L’acte de la volontй dйpend de l’ordre de celui qui veut aux choses mкme dans la mesure oщ elles sont en elles. Mais l’acte de l’intellect dйpend du fait que ce qui est pensй est en celui qui pense ; c'est pourquoi quand les choses sont sous celui qui pense, leur conception est plus digne que la volontй ; parce qu’alors les choses sont dans l’intellect d’une maniиre plus haute qu’en elles-mкmes, puisque tout ce qui est dans un autre est en lui par le mode de celui en qui il est ; mais quand les choses sont plus hautes que celui qui pense, alors la volontй monte plus haut que ce que l’intellect pourrait atteindre. Et de lа vient que dans les [actes] moraux qui sont sous l’homme, la vertu cognitive informe les vertus appйtitives comme la prudence les autres vertus morales ; mais dans les vertus thйologales qui concernent Dieu, la vertu de la volontй, а savoir la charitй met en forme la vertu de l’intellect, c'est-а-dire la foi.

[66071] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod rationalis vis dat modum appetitivae in his quae sunt infra nos, non autem in his quae sunt supra nos, ut dictum est art. 1 huius quaest., et quaest. praeced. art. 10 et 11.

14. La force rationnelle donne le mode de la vertu appйtitive en ce qui est sous nous, mais non en ce qui est au-dessus de nous, comme il a йtй dit dans l’art. 1 de cette question et dans la q. prйcйdente, art. 10 et 11.

[66072] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod fides praecedit spem, et spes caritatem, ordine generationis, sicut imperfectum praecedit perfectum; sed caritas in ordine perfectionis praecedit et fidem et spem; et propter hoc dicitur esse forma earum, sicut perfectum imperfecti.

15. La foi prйcиde l’espйrance et l’espйrance la charitй dans l’ordre de leur gйnйration, comme l’imparfait prйcиde la parfait, mais la charitй dans l’ordre de la perfection prйcиde et la foi et l’espйrance, et а cause de cela on dit qu’elle est leur forme, comme le parfait [est la forme] de l’imparfait.

[66073] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod caritas non est forma virtutum quae sit pars essentiae virtutum, ut oporteat eam sequi tempore virtutes, vel aliquam materiam virtutum, sicut in formis rerum generatarum : sed est forma quasi informans; unde oportet esse naturaliter priorem aliis virtutibus.

16. La charitй n’est pas la forme des vertu qui serait une partie de leur essence, pour qu’il soit nйcessaire qu’elle suive temporellement les vertus, ou une matiиre des vertus, comme dans les formes des choses engendrйe, mais elle est la forme qui met pour ainsi dire en forme ; c'est pourquoi il est nйcessaire qu’elle soit naturellement avant les autres vertus.

[66074] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut bonum quoddam, est obiectum caritatis.

17. La vision mкme en tant qu’elle est la fin comme un bien est l’objet de la charitй.

[66075] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod forma intrinseca non potest esse finis rei, licet sit finis generationis rei. Caritas autem non est forma intrinseca, ut dictum est, sed ex hoc ipso quod trahit alias virtutes ad suum finem, format virtutes, ut ex dictis patet.

18. La forme intrinsиque ne peut pas кtre la fin d’une chose, bien qu’elle soit la fin de sa gйnйration. Mais la charitй n’est pas une forme intrinsиque, comme il a йtй dit, mais du fait mкme qu’elle attire les autres vertus а leurs fins, elle met en forme les vertus, comme on le voit dans ce qui a йtй dit.

[66076] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod gratia Dei dicitur esse forma virtutum, in quantum dat esse spirituale animae, ut sit susceptiva virtutum; sed caritas est forma virtutum in quantum format operationes earum ut dictum est in corpore articuli.

19. On dit que la grвce de Dieu est la forme des vertus, en tant qu’elle donne l’кtre spirituel а l’вme, pour qu’elle soit susceptible des vertus ; mais charitй est la forme des vertus en tant qu’elle donne forme а leurs opйrations, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 4 : [66077] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum caritas sit una virtus

Article 4La charitй est-elle une vertu unique ? [44]

[66078] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :

[66079] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 1 Habitus enim distinguuntur per actus, et actus per obiecta. Sed caritas habet duo obiecta : Deum et proximum. Ergo non est una virtus, sed duae.

1. En effet, les habitus se distinguent d'aprиs les actes, et les actes d'aprиs les objets. Mais la charitй a deux objets : Dieu et le prochain. Par consйquent, il n'y a pas qu'une seule vertu, mais deux.

[66080] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 2 Sed dicebatur, quod unum illorum obiectorum est principalius, scilicet Deus; non enim diligit caritas proximum nisi propter Deum.- Sed contra, philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. VIII], quod amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum. Sed id quod est principium et causa, est potissimum in unoquoque genere. Ergo homo ex caritate diligit seipsum tamquam principale obiectum, et non Deum.

2. Mais on pourrait dire que l’un de ces objets est plus important, а savoir Dieu ; en effet, la charitй n'aime le prochain qu'а cause de Dieu. Au contraire, Aristote affirme (Ethique IX, 8) que les motifs d'aimer le prochain proviennent des motifs de s'aimer soi-mкme. Or ce qui est principe et cause est premier en chaque genre. Donc l'homme s'aime lui-mкme de charitй comme objet principal, et non pas Dieu.

[66081] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, I Ioan., IV, 20, dicitur : Qui fratrem suum, quem videt, non diligit; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Magis ergo videtur quod debeat diligere proximum quam Deum. Proximus ergo est magis diligibilis quam Deus; et ita videtur esse principalius obiectum caritatis.

3. En outre, saint Jean (1 Jn 4, 20) affirme : "Celui qui n'aime pas son frиre qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?[45]" Il semble donc qu'on doive plus aimer son prochain que Dieu. Le prochain est donc plus aimable que Dieu ; et ainsi il est considйrй comme l’objet principal de la charitй.

[66082] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, nihil amatur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in Lib. de Trin. [lib. X]. Sed proximus magis cognoscitur quam Deus. Ergo etiam magis diligitur; et sic videtur quod caritas non sit una virtus.

4. En outre, on n'aime que ce qui est connu, selon saint Augustin (Trinitй, X). Or, le prochain est mieux connu que Dieu. Il est donc plus aimй ; et ainsi il semble que la charitй n'est pas une vertu unique.

[66083] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnis virtus habet proprium modum quem in suis actibus ponit : iustus enim est qui non solum iusta, sed iuste operatur. Sed caritas ponit duos modos in suis actibus; nam caritate diligit Deum aliquis ex toto corde, proximum autem sicut seipsum. Ergo caritas non est una virtus.

5. En outre, toute vertu a un mode propre qu'elle fait passer dans ses actes : en effet, le juste ne fait pas seulement des choses justes, mais il les fait de faзon juste. Or, la charitй semble faire passer deux modes dans ses actes ; en effet, on aime Dieu de charitй de tout son cњur, et le prochain comme soi-mкme. La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66084] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, praecepta legis ordinantur ad virtutes, quia intentio legislatoris est facere homines virtuosos, ut dicitur in II Ethicor. [cap. XIII]. Sed de caritate dantur duo praecepta, scilicet : diliges dominum Deum tuum, et diliges proximum tuum. Ergo caritas non est una virtus.

6. En outre, les prйceptes de la Loi sont ordonnйs aux vertus, car l'intention du lйgislateur est de rendre les hommes vertueux, comme le dit Aristote (Ethique, II, 13[46]). Or, au sujet de la charitй on a deux prйceptes : "Tu aimeras ton Dieu, et tu aimeras ton prochain". La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66085] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 7 Praeterea, sicut diligimus Deum et proximum, ita et honorare debemus. Sed alio honore honoramus Deum et proximum, nam Deum honoramus latria, proximum dulia sola. Ergo alia est caritas qua diligimus Deum, et alia qua diligimus proximum.

7. En outre, de la maniиre dont nous aimons Dieu et le prochain, de cette maniиre aussi nous devons les honorer. Or, nous les honorons de maniиre diffйrente : Dieu par un culte de lвtrie, le prochain seulement par un culte de dulie. La charitй par laquelle nous aimons Dieu diffиre donc de celle par laquelle nous aimons le prochain.

[66086] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 8 Praeterea, virtus est qua recte vivitur. Sed ad aliam vitam pertinet diligere Deum, et ad aliam diligere proximum; nam diligere Deum videtur ad contemplativam vitam pertinere, diligere proximum ad activam. Ergo caritas Dei et proximi non est una virtus.

8. En outre, la vertu est ce qui fait vivre de faзon droite. Or, aimer Dieu appartient а un genre de vie, et а un autre aimer le prochain ; en effet, aimer Dieu appartient а la vie contemplative, aimer le prochain а la vie active. La charitй envers Dieu et la charitй envers le prochain ne sont donc pas une vertu unique.

[66087] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 9 Praeterea, secundum philosophum in I Physic., [com. 16] unum dicitur tripliciter : continuitate, indivisibilitate et ratione. Sed caritas non est una continuitate, quia neque est corpus, neque forma corporis; neque est una indivisibilitate quia sic neque finita neque infinita esset; nec ratione, quia sic synonyma sunt unum, ut vestis et indumentum. Ergo caritas non est una.

9. En outre, selon Aristote (Physique I, 2, 185 b 5), ce qui est un l'est de trois faзons : par la continuitй, par l'indivisibilitй, par la notion. Mais la charitй n'est pas une par la continuitй, car elle n'est ni un corps, ni la forme d’un corps ; elle n'est pas une non plus par l'indivisibilitй, car alors elle ne serait ni finie, ni infinie ; elle n'est pas non plus une par la notion, car ce sont les synonymes qui sont un de cette maniиre, comme le vкtement et l'habit. La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66088] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 10 Praeterea, minime habent de ratione unius quae sunt unum proportione tantum : unde quae non sunt proportione unum, neque sunt unum specie neque genere neque numero, ut dicitur in V Metaph. [com. 15]. Sed caritas est circa aeternum, scilicet Deum et proximum; quae sunt improportionalia. Ergo caritas nullo modo est una virtus.

10. En outre, les choses qui sont unies seulement par proportion, ne le sont pas en raison de l'unitй ; ainsi les choses qui ne sont pas unies par proportion, ne le sont ni par l'espиce, ni par le genre, ni par le nombre, comme le dit Aristote (Mйtaphysique, V, 6, 1015 b 15 sq.). Or, la charitй concerne ce qui est йternel : Dieu et le prochain, qui n'ont aucune proportion entre eux. La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66089] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic., amicitia perfecta non habetur ad multos. Sed caritas qua diligitur Deus et proximus, est perfectissima amicitia. Ergo non habetur ad multos; et ita non eadem caritate diligitur Deus et proximus.

11. En outre, selon Aristote (Йthique, VII, 5, 1156 b 10), l’amitiй parfaite ne s'adresse pas а plusieurs. Mais la charitй qui aime Dieu et le prochain est l’amitiй la plus parfaite. Donc, elle ne s'adresse pas а beaucoup ; et ainsi, on n'aime pas Dieu et le prochain de la mкme charitй.

[66090] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 12 Praeterea, virtus in cuius actu sufficit non tristari, est alia a virtute quae delectabiliter operatur, sicut fortitudo a iustitia. Sed in actu caritatis quantum ad aliqua obiecta sufficit non tristari, sicut cum diligimus inimicos : in aliquibus etiam oportet delectari, sicut cum diligimus Deum et amicos. Ergo caritas non est una virtus, sed alia et alia.

12. En outre, la vertu dans l’acte de laquelle il suffit de ne pas кtre triste diffиre de la vertu qui produit son acte de faзon dйlectable, comme la force diffиre de la justice. Mais dans l'acte de la charitй, par rapport а certains objets, il suffit de ne pas кtre triste : ainsi lorsque nous aimons des ennemis ; dans d’autres, il faut encore йprouver de la joie, comme lorsque nous aimons Dieu et des amis. La charitй n’est donc pas une vertu unique, mais elle diffиre suivant les objets.

En sens contraire :

[66091] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Quaecumque ita se habent quod unum intelligitur in alio, illa sunt unum. Sed in dilectione proximi intelligitur dilectio Dei, et e converso, ut dicit Augustinus, VII de Trinit.[cap. VII et VIII]. Ergo est eadem caritas qua diligimus Deum et proximum.

1. Au contraire, bien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet, la charitй est une ; car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve en l’autre, elles sont une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement, comme le dit saint Augustin (Trinitй, VII). C’est donc la mкme charitй par laquelle nous aimons Dieu et le prochain.

[66092] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in quolibet genere est unum primum movens. Sed caritas est motor omnium virtutum. Ergo est una.

2. De plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais la charitй est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une.

Rйponse :

[66093] De virtutibus, q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est una virtus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod unitas cuiuslibet potentiae vel habitus ex obiecto consideranda est; et hoc ideo, quia potentia hoc ipsum quod est, dicitur in ordine ad possibile, quod est obiectum. Et sic ratio et species potentiae ex obiecto accipitur; et similiter est de habitu, qui nihil est aliud quam dispositio potentiae perfectae ad suum obiectum.

La charitй est une seule vertu. Pour en йtablir l'йvidence, il faut savoir que l’unitй de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du cфtй de son objet ; et cela parce que ce qui fait une puissance, c’est sa relation avec ce qui est possible, ce qui est l’objet. Et ainsi la raison et l’espиce de la puissance se prennent du cфtй de son objet et il en va de mкme pour l’habitus qui n’est rien autre que la disposition qui perfectionne la puissance vis-а-vis de son objet.

Sed in objecto consideratur aliquid ut formale et aliquid ut materiale. Formale autem in obiecto est id secundum quod obiectum refertur ad potentiam vel habitum; materiale autem id in quo hoc fundatur : ut si loquamur de obiecto potentiae visivae, obiectum eius formale est color, vel aliquid huiusmodi, in quantum enim aliquid coloratum est, in tantum visibile est; sed materiale in obiecto est corpus cui accidit color.

Or dans un objet on considиre quelque chose de formel et quelque chose de matйriel. Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte а la puissance ou habitus ; le matйriel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme exemple l’objet de la puissance visuelle : l’objet formel est la couleur ou quelque chose de semblable - en tant en effet que quelque chose est colorй il est visible ; mais ce qui est matйriel c’est le corps qui a la couleur.

Ex quo patet quod potentia vel habitus refertur ad formalem rationem obiecti per se; ad id autem quod est materiale in obiecto, per accidens. Et ea quae sunt per accidens non variant rem, sed solum ea quae sunt per se : ideo materialis diversitas obiecti non diversificat potentiam vel habitum, sed solum formalis. Una est enim potentia visiva, qua videmus et lapides et homines et caelum, quia ista diversitas obiectorum est materialis, et non secundum formalem rationem visibilis. Sed gustus differt ab olfactu secundum differentiam saporis et odoris, quae sunt per se sensibilia. `

D’oщ il ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte а la raison formelle de l’objet, en soi, et а ce qui est matйriel dans l’objet, par accident. Et ce n’est pas ce qui est par accident qui fait varier pas la chose mais seulement ce qui y est en soi. Donc la diversitй matйrielle de l’objet ne diversifie pas la puissance ou l’habitus, mais la diversitй formelle. Une est en effet la puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes et le ciel, parce que cette diversitй est matйrielle et non selon la raison formelle du visible. Mais le goыt diffиre de l’odorat selon la diffйrence qu’il y a dans la saveur et dans l’odeur, qui sont des sensibles en soi.

Et hoc etiam oportet in caritate considerare. Manifestum est enim quod aliquem possumus diligere dupliciter : uno modo ratione sui ipsius, alio modo ratione alterius. Ratione autem sui ipsius aliquem diligimus, quando cum ratione boni proprii diligimus, utpote quia est in se honestus, vel nobis delectabilis, aut utilis. Ratione autem alterius diligimus aliquem quando diligimus ipsum quia attinet alii quem diligimus. Ex hoc enim ipso quod diligimus aliquem secundum se, diligimus omnes et familiares et consanguineos et amicos ipsius, in quantum ei attinent; sed tamen in omnibus illis est una ratio formalis dilectionis, scilicet bonum illius, quem ratione sui diligimus, et ipsum quodammodo in omnibus aliis diligimus.

4. Et cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charitй. Il est йvident en effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux maniиres : ou en raison de lui-mкme ou en raison d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-mкme quand nous l’aimons en raison de son propre bien, d’aprиs qu’il est en soi honnкte, ou pour nous dйsirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison d’un autre quand nous l’aimons parce qu’il tient а un autre que nous aimons. De ce qu’en effet nous aimons quelqu’un en lui-mкme nous aimons tous ses familiers, ses parents et ses amis en tant qu’ils tiennent а lui. Cependant en tous ceux-lа il n'y a qu’une seule raison de dilection, а savoir son propre bien que nous aimons en raison de lui-mкme et c’est lui que nous aimons en quelque sorte dans les autres.

Sic igitur dicendum, quod caritas diligit Deum ratione sui ipsius; et ratione eius diligit omnes alios in quantum ordinantur ad Deum : unde quodammodo Deum diligit in omnibus proximis; sic enim proximus caritate diligitur, quia in eo est Deus, vel ut in eo sit Deus. Unde manifestum est quod est idem habitus caritatis quo Deum et proximum diligimus

5. Il faut donc dire que la charitй aime Dieu en raison de lui-mкme et les autres en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnйs а Dieu ; d’oщ en quelque sorte elle aime Dieu dans tous ses proches ; ainsi en effet nous aimons le prochain par charitй parce que Dieu est en lui ou pour que Dieu soit en lui. D’oщ il est йvident que c’est par le mкme habitus de charitй que nous aimons Dieu et le prochain.

Sed si diligeremus proximum ratione sui ipsius, et non ratione Dei, hoc ad aliam dilectionem pertineret : puta ad dilectionem naturalem, vel politicam, vel ad aliquam aliarum quas philosophus tangit in VIII Ethic.

6. Mais si nous aimions le prochain en raison de lui-mкme et non en raison de Dieu, cela ressortirait а une autre dilection par exemple une dilection naturelle ou politique ou а quelqu’une des autres que le philosophe touche au ch. 8 (Йthique, VIII, 3).

Solutions :

[66094] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non diligitur nisi ratione Dei; unde ambo sunt unum obiectum dilectionis, formaliter loquendo, licet materialiter sint duo.

1. Le prochain n'est aimй qu'en raison de Dieu ; de lа il dйcoule que les deux forment un seul objet, en parlant selon la forme, alors que matйriellement ils sont deux.

[66095] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum amor respiciat bonum, secundum diversitatem boni est diversitas amoris.

2. Puisque l'amour regarde le bien, il y a diversitй d'amour d'aprиs la diversitй des biens.

Est autem quoddam bonum proprium alicuius hominis in quantum est singularis persona; et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, unusquisque est sibi principale obiectum dilectionis. Est autem quoddam bonum commune quod pertinet ad hunc vel ad illum in quantum est pars alicuius totius, sicut ad militem, in quantum est pars exercitus, et ad civem, in quantum est civitatis; et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, principale obiectum dilectionis est illud in quo principaliter illum bonum consistit, sicut bonum exercitus in duce, et bonum civitatis in rege; unde ad officium boni militis pertinet ut etiam salutem suam negligat ad conservandum bonum ducis; sicut etiam homo naturaliter ad conservandum caput, brachium exponit.

Mais il existe un bien propre d'un homme en tant qu'il est une personne singuliиre ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, chacun est а soi-mкme principal objet de l'amour. Mais il y a un bien commun qui appartient а tel ou tel en tant qu'il est partie d'un tout, comme au soldat en tant qu'il est partie de l'armйe, ou au citoyen en tant qu'il est partie de la citй ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, l'objet principal de l'amour est ce en quoi consiste principalement ce bien comme le bien de l'armйe est dans le chef, celui de la citй dans le roi ; de lа il dйcoule qu'а l'office du bien du soldat appartient de sacrifier sa vie pour conserver le bien du chef ; tout comme l'homme expose naturellement son bras pour prйserver sa tкte.

 Et hoc modo caritas respicit sicut principale obiectum, bonum divinum, quod pertinet ad unumquemque, secundum quod esse potest particeps beatitudinis; unde ea sola ex caritate diligimus quae nobiscum beatitudinem participare possunt, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana.

De cette maniиre, la charitй regarde comme son objet principal le bien divin qui appartient а chacun selon qu'il peut participer а la bйatitude. De lа, nous aimons d'une seule charitй tout ce qui peut participer avec nous а cette bйatitude, comme le dit saint Augustin dans le livre de la Doctrine chrйtienne.

[66096] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Ioannes argumentatur a maiori, negando, non quod proximus magis debeat diligi; sed quia magis est in promptu ut diligatur, quia homines proniores sunt ad diligendum visibilia quam invisibilia.

3. Jean argumente а partir du plus grand, ne disant pas que le prochain doive кtre plus aimй, mais parce qu'il est plus facile de l'aimer, car les hommes sont plus enclins а aimer le visible que l'invisible.

[66097] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet cognitum diligatur, tamen non sequitur quod magis cognitum magis diligatur. Non enim ea ratione aliquid diligitur quia cognoscitur, sed quia est bonum; unde quod est magis bonum, magis est diligibile, licet non sit magis cognitum; sicut homo minus diligit aliquem servum, vel etiam equum, quem in continuo usu habet, quam aliquem bonum hominem quem tantum fama cognoscit.

4. Bien qu'on aime ce qui est connu, cependant il ne s'ensuit pas qu'est plus aimй ce qui est plus connu. En effet, on aime un objet non parce qu’il est connu, mais parce qu'il est bon ; de lа, il dйcoule que l'on aime davantage ce qui est meilleur, mкme s'il n'est pas mieux connu ; comme un homme aime moins un esclave ou un cheval dont il a l'usage continuel qu'un homme de bien qu'il ne connaоt que de rйputation.

[66098] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas respicit ut formale obiectum, bonum divinum, sicut dictum est, art. praec. et in corp. huius art., quod quidem bonum diversimode se habet ad ipsum Deum et ad proximum, et ideo oportet quod habeat diversum modum circa principale obiectum et secundarium; unde circa principale obiectum habet unum modum tantum.

5. la charitй regarde le bien divin comme son objet formel, comme on l'a dit а l'article prйcйdent et dans le corps de cet article. Mais ce bien se rapporte diffйremment а Dieu lui-mкme et au prochain ; et c’est pourquoi il faut qu’il y ait diversitй de mode suivant l’objet principal et l'objet secondaire ; de lа, il dйcoule que selon l'objet principal il n'y a qu'un seul mode.

[66099] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod praecepta legis sunt de actibus virtutum, et non de habitibus; unde ex diversitate praeceptorum non potest concludi diversitas habituum, sed diversitas actuum; qui tamen pertinent ad unum habitum, propter rationem formalem.

6. Les prйceptes de la Loi sont d'aprиs les actes des vertus et non d'aprиs les habitus ; de lа, il dйcoule qu'on ne peut conclure, а partir de la diversitй des prйceptes а la diversitй des habitus, mais а celle des actes ; ces derniers cependant appartiennent а un seul habitus, а cause de la raison formelle.

[66100] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 7Ad septimum dicendum, quod in proximo honoratur etiam bonum proprium ipsius; et ideo alius honor debetur proximo, et alius Deo.

7. On honore dans le prochain mкme son bien propre ; ainsi on doit au prochain un honneur et а Dieu un autre.

[66101] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod tam dilectio proximi quam dilectio Dei continetur sub contemplativa vita, ut Gregorius dicit super Ezechiel [homil. XIV]. Nam oratio, quae maxime ad contemplativam vitam pertinere videtur, ad Deum pro proximis fit. Sed tamen principium vitae activae praecipue est amor Dei in seipso. Nec tamen sequitur, si caritas est principium diversorum, quod caritas non sit una.

8. Tant l’amour du prochain que l’amour de Dieu appartiennent а la vie contemplative, comme le dit saint Grйgoire en commentant le prophиte Йzйchiel (Homйlie XIV). En effet, la priиre qui semble appartenir davantage а la vie contemplative est faite а Dieu pour le prochain. Mais cependant le principe premier de la vie active est l’amour de Dieu en lui-mкme. Il ne s’ensuit pas pour autant que, si la charitй est principe de choses diverses, elle ne soit pas unique.

[66102] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas non est una continuitate; sed potest dici una indivisibilitate, in quantum est una forma simplex. Non enim dicitur finita vel infinita secundum quantitatem dimensivam, sed secundum quantitatem virtutis. Sed sic non agimus hic de virtute caritatis, sed secundum quod est una ratione : non quidem una numero, ut tunica et vestis; sed ratione speciei, sicut Socrates et Plato sunt unum in ratione hominis.

9. La charitй n’est pas une par la continuitй ; mais on peut le dire une par l’indivisibilitй, en tant qu’elle est une unique forme simple. En effet, on ne la dit pas finie ou infinie selon une quantitй mesurable, mais selon la mesure de sa vertu. Mais ce n’est pas de cette maniиre que nous traitons ici de la vertu de charitй, mais selon qu’elle est une par la raison ; elle n’est pas une par le nombre, comme la tunique et le vкtement, mais en raison de l’espиce, comme Socrate et Platon sont un par la notion d’homme.

[66103] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio illa procederet, si temporale ratione sui esset obiectum caritatis, et non ratione aeterni, ut dictum est.

10. Cet argument porterait si l’objet de la charitй йtait temporel en raison de lui-mкme et non en raison de l’йternitй, comme il a йtй dit.

[66104] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod amicitia perfecta non habetur ad multos, ita quod ad unumquemque sit ratione sui ipsius; sed quanto amicitia est perfectior ad unum ratione eius, tanto ad plures se posset extendere ratione ipsius. Et sic caritas, quia perfectissima amicitia est, ad Deum se extendit, et ad omnes qui possunt percipere Deum; et non solum ad notos, sed etiam ad inimicos.

11. L’amitiй parfaite ne s’adresse pas а de nombreuses personnes, tant elle s’adresse а chacun en raison de chacun ; mais plus la charitй s’adresse parfaite а un seul en raison de celui-lа, plus elle peut s’йtendre а plusieurs en raison de cette mкme personne. Ainsi, la charitй, qui est l’amitiй la plus parfaite, s’йtend а Dieu et а tous ceux qui peuvent percevoir Dieu, non seulement aux amis, mais aussi aux ennemis.

[66105] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtus quae delectabiliter operatur circa principale obiectum, potest eadem circa aliquod accessorium non delectabiliter, sed sine tristitia, operari; et hoc modo caritas delectabiliter operatur in principali obiecto, licet difficultatem patiatur in aliquo secundario obiecto, ita ut sufficiat sine tristitia operari.

12. La vertu qui agit de faзon dйlectable vis-а-vis de son objet principal, peut agir de faзon non dйlectable mais sans tristesse vis-а-vis de quelque chose d’accessoire. De cette maniиre, la charitй agit de faзon dйlectable vis-а-vis de son objet principal, bien qu’elle subisse des difficultйs face а un objet secondaire, de sorte qu’il lui suffise d’agir sans tristesse.

 

 

Articulus 5 : [66106] De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum caritas sit virtus specialis distincta ab aliis virtutibus vel non

Article 5La charitй est-elle une vertu spйciale, diffйrente de autres vertus ou pas ?

[66107] De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[47]

[66108] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 1 Illud enim quod ponitur in definitione cuiuslibet virtutis, non est virtus specialis : quia virtus generalis ponitur in definitione cuiuslibet specialis virtutis. Sed caritas ponitur in definitione cuiuslibet virtutis : dicit enim Hieronymus : Ut breviter communem definitionem virtutis complectar; virtus est caritas, qua diligimus Deum et proximum. Ergo caritas non est virtus specialis, ab aliis distincta.

1. Car ce qui est placй dans la dйfinition de n’importe quelle vertu, n’est pas une vertu spйciale ; parce que la vertu gйnйrale n’est pas placйe dans la dйfinition de n’importe quelle vertu spйciale. Mais la charitй est placйe dans la dйfinition de n’importe quelle vertu : car Jйrфme dit : « Pour embrasser briиvement une dйfinition commune de la vertu : la charitй est la vertu par laquelle nous aimons Dieu et le prochain ». Donc la charitй n’est pas une vertu spйciale, distincte des autres

[66109] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, caritas qua diligimus proximum, non est virtus distincta a caritate qua diligimus Deum, quia caritas diligit proximum propter Deum. Sed omnis virtus diligit proximum propter Deum. Ergo nulla virtus distinguitur a caritate.

2. La charitй par laquelle nous aimons le prochain n’est pas une vertu diffйrente de la charitй par laquelle nous aimons Dieu, parce que la charitй aime le prochain а cause de Dieu. Mais tout vertu aime le prochain а cause de Dieu. Donc aucune vertu ne se distingue de la charitй.

[66110] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, distinctiones habituum attenduntur secundum actus virtutum. Sed caritas operatur actus omnium aliarum virtutum : caritas est patiens, est benigna, ut dicitur I ad Corinth., XIII, 4. Ergo caritas non est virtus ab aliis distincta.

3. Les distinctions des habitus dйpendent des actes des vertus. Mais la charitй accomplit les actes de toutes les autres vertus : « La charitй est patiente, elle est bienveillante » comme il est dit en 1 Co 13, 4. Donc la charitй n’est pas une vertu distincte des autres.

 [66111] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, bonum est obiectum generale omnium virtutum : nam virtus est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est obiectum caritatis. Ergo caritas habet obiectum generale; et ita est generalis virtus.

4. Le bien est l’objet gйnйral de toutes les vertus ; car la vertu est ce qui fait qu’on possиde le bien, et son њuvre amйliore. Mais le bien est l’objet de la charitй. Donc la charitй a un objet gйnйral, et ainsi elle est une vertu gйnйrale.

[66112] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, una perfectio est unius perfectibilis. Sed caritas est perfectio multorum perfectibilium, id est omnium virtutum. Ergo non est una.

5. Une seule perfection est d’un seul perfectible. Mais la charitй est la perfection de nombreux perfectibles, c'est-а-dire de toutes les vertus. Donc elle n’est pas une.

[66113] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, idem habitus non potest esse in diversis subiectis. Sed caritas est in diversis subiectis : iubemur enim Deum diligere ex tota mente, ex tota anima, ex toto corde, ex tota fortitudine. Ergo caritas non est virtus una.

6. Un mкme habitus ne peut pas кtre dans des sujets diffйrents. Mais la charitй est en des sujets diffйrents : car on nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre esprit, de toute notre вme et de tout notre cњur, de toute notre force. Donc la charitй est une vertu unique.

[66114] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea, virtus ad tollenda peccata ordinatur. Sed caritas sufficit ad tollenda omnia peccata; quia minima caritas resistere potest cuilibet tentationi. Ergo caritas facit id quod est omnium virtutum; et ita non videtur esse virtus specialis.

7. La vertu est destinйe а enlever les pйchйs. Mais la charitй suffit pour les enlever tous ; parce que la plus petite charitй peut rйsister а n’importe quelle tentation. Donc la charitй fait ce qui concerne toutes les vertus et ainsi il ne semble pas qu’elle soit une vertu spйciale.

[66115] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, unicuique virtuti speciali opponitur aliquod peccatum speciale. Sed caritati contrariantur omnia peccata : quia per quodlibet peccatum mortale perditur caritas. Ergo caritas non est virtus specialis.

8. A chaque vertu particuliиre est opposй un pйchй particulier. Mais tous les pйchйs sont contraires а la charitй : parce que par n’importe quel pйchй mortel la charitй est perdue. Donc la charitй n’est pas une vertu particuliиre.

[66116] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 9 Praeterea, nulla virtus est necessaria nisi ad recte operandum. Sed sola caritas sufficienter nos dirigit ad recte operandum; dicit enim Augustinus : Habe caritatem, et fac quidquid vis. Ergo praeter caritatem non est aliqua alia virtus; et ita non est virtus specialis distincta ab aliis.

9. Aucune vertu n’est nйcessaire sinon pour agir avec rectitude. Mais la charitй seule nous dirige suffisamment pour opйrer avec rectitude ; car Augustin dit : « Aie la charitй et fais ce que tu veux ». Donc au delа de la charitй il n’y a pas d’autre vertu ; et ainsi ce n’est pas une vertu spйciale diffйrente des autres.

[66117] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 10 Praeterea, habitus virtutum necessarii sunt ad hoc quod homo prompte et delectabiliter operetur : nullus enim est iustus qui non gaudet iusta operatione, ut dicitur in I Ethic. [cap. VII] Sed ad omnia prompte et delectabiliter operanda sufficit caritas : quia dicit Augustinus in Lib. de verbis Domini [sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope nulla facit amor. Ergo praeter caritatem non est necessaria aliqua alia virtus.

10. Les habitus des vertus sont nйcessaires pour que l’homme opиre promptement et avec plaisir : car aucun n’est juste qui ne se rйjouit pas d’une juste opйration, comme il est dit en Йthique, I, 7. Mais la charitй suffit pour opйrer tout promptement et avec plaisir ; parce qu’Augustin dit dans le livre des Parole du Seigneur : «Elle [la charitй] rend tout ce qui est lourd et cruel, facile et elle le rйduit а presque rien ». Donc au delа de la charitй il n’y a pas d’autre vertu nйcessaire.

[66118] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 11 Praeterea, ea quae sunt distincta ad invicem, habent distinctam generationem et corruptionem. Sed caritas et aliae virtutes non habent distinctam generationem et corruptionem; quia simul cum caritate et infunduntur et perduntur aliae virtutes. Ergo caritas non est specialis virtus.

11. Les choses diffйrentes entre elles, ont une gйnйration et une corruption distinctes. Mais la charitй et les autres vertu n’ont pas de gйnйration ni de corruption distinctes ; parce que les autres vertus sont infusйes et sont perdues en mкme temps que la charitй. Donc la charitй n’est pas une vertu spйciale.

En sens contraire :

[66119] De virtutibus, q. 2 a. 5 s. c. Sed contra, est quod apostolus, 1 Cor., cap. XIII, 13, condividit eam aliis virtutibus, dicens : Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec.

1. Il y a ce que l’Apфtre dit, 1 Co 13, 13 ; il l’a sйparйe des autres vertus en disant : « Maintenant demeurent le foi, l’espйrance et charitй, ces trois vertus ».

Rйponse :

[66120] De virtutibus, q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est quaedam virtus specialis, distincta ab aliis virtutibus. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod quandocumque aliquis actus dependet a pluribus principiis, secundum ordinem se habentibus, ad perfectionem illius actus requiritur quod quodlibet illorum principiorum sit perfectum. Si enim sit imperfectio in primo, sive in medio, vel in ultimo, sequitur actus imperfectus; sicut, si desit peritia artis artifici, sive recta dispositio in instrumento, opus sequitur imperfectum.

La charitй est une vertu spйciale, distincte des autres vertus. Pour le mettre en йvidence il faut considйrer que toutes les fois qu’un acte dйpend de plusieurs principes ordonnйs entre eux, il est requis pour la perfection de cet acte que chacun de ces principes soit parfait. Si en effet l’imperfection se trouve dans le premier ou dans celui qui est intermйdiaire ou dans le dernier, il en dйcoule un acte imparfait, ainsi si la connaissance de l’art manque а l’artisan ou le bon йtat а l’instrument, l’њuvre est imparfaite.

Et hoc etiam in ipsis potentiis animae considerari potest. Si enim sit recta ratio, quae est motiva inferiorum potentiarum, et concupiscibilis sit indisposita, operabitur quidem aliquis secundum rationem, sed operatio erit imperfecta, quia habebit impedimentum ex concupiscibili indisposita ad contrarium trahente; sicut circa continentem apparet : et ideo praeter prudentiam, quae perficit rationem, necesse est, ad hoc quod homo recte se habeat circa concupiscibilia, quod habeat temperantiam, ad hoc quod prompte operetur et sine impedimento.

 

Et sicut est in diversis potentiis, quarum una movet aliam; idem est etiam considerare secundum diversa obiecta quorum unum ordinatur ad alterum sicut ad finem : una enim et eadem potentia, secundum quod est finis, non solum aliam potentiam, sed etiam seipsam, movet in ea quae sunt ad finem.

 

Et ideo ad rectam operationem, aliquem non solum oportet bene dispositum esse ad finem, sed etiam bene dispositum ad ea quae sunt ad finem : alias sequitur operatio impedita; ut patet in eo qui bene est dispositus ad bene appetendam sanitatem, sed male est dispositus ad sumendum ea quae sunt sanativa.

Et on peut aussi considйrer cela dans les puissances mкmes de l’вme. Car si la raison qui est moteur des puissances infйrieures est droite et si le concupiscible est mal disposй, quelqu’un opйrera selon la raison mais son opйration sera imparfaite, parce qu’il aura un empкchement par la concupiscence mal disposйe qui le tire en sens contraire ; de mкme on voit cela а propos de l’homme continent et c'est pourquoi, outre la prudence qui parfait la raison, il est nйcessaire pour que l’homme se comporte avec rectitude vis-а-vis du concupiscible, qu’il possиde la tempйrance pour opйrer avec promptitude et sans empкchement.

Et c’est comme dans les diffйrentes puissances, dont l’une met l’autre en mouvement ; c’est le mкme de considйrer selon les diffйrentes objets dont l’un est ordonnй а l’autre comme а sa fin ; car une seule et mкme puissance, en tant que fin, met en mouvement non seulement une autre puissance mais se met aussi elle-mкme en mouvement vers ce qui concerne sa fin.

Et donc pour une action droite il est nйcessaire, non seulement d’кtre bien disposй en vue la fin, mais aussi pour ce qui ne concerne ; autrement il en dйcoule que l’opйration est empкchйe, comme on le voit dans celui qui est bien disposй pour cherche la santй et est mal disposй pour prendre ce qui peut le guйrir.

Et sic manifestum est quod, cum per caritatem homo disponatur ut bene se habeat ad ultimum finem, necesse est ut habeat alias virtutes, quibus bene disponatur ad ea quae sunt ad finem. Est ergo caritas alia ab his quae ordinantur ad ea quae sunt ad finem, licet illa quae ordinatur ad finem, sit principalior, et architectonica, respectu earum quae ordinantur in ea quae sunt ad finem; sicut medicinalis respectu pigmentariae, et militaris respectu equestris. Unde manifestum fit quod necesse est caritatem esse quamdam virtutem specialem distinctam ab aliis virtutibus, sed principalem et motivam respectu earum.

Et ainsi il est йvident que, puisque par la charitй l’homme est disposй а se bien comporter vis-а-vis de la fin derniиre, il est nйcessaire qu’il y ait les autres vertus qui le dispose а ce qui concerne la fin. Donc il y a une charitй autre que celles qui sont ordonnйes а ce qui concerne la fin, bien qu’elle soit plus importante et comme maоtresse par rapport а ce qui est ordonnй а ce qui concerne la fin; comme l’art mйdical par rapport а la pharmacie et l’art militaire par rapport а l’art йquestre. C'est pourquoi il devient йvident qu’il est nйcessaire que la charitй soit une vertu particuliиre distincte des autres, mais elle est importante et elle met en mouvement par rapport а elles.

Solutions :

[66121] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa definitio datur per causam, in quantum caritas est causa omnium aliarum virtutum.

1. Cette dйfinition est donnйe par la cause, en tant que la charitй est la cause de toutes les autres vertus.

[66122] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum est, quod caritas in diligendo proximum habet Deum ut rationem formalem obiecti, et non solum ut finem ultimum, ut ex supradictis, art. praec., patet : sed aliae virtutes habent Deum non ut rationem formalem obiecti, sed ut ultimum finem. Et ideo, cum dicitur quod caritas diligit proximum propter Deum, illud propter denotat non solum causam materialem, sed quodammodo formalem. Cum autem dicitur de aliis virtutibus quod operantur propter Deum, illud propter denotat causam finalem tantum.

2. La charitй en aimant le prochain possиde Dieu comme raison formelle d’objet, et non seulement comme fin ultime, comme on le voit par ce qui a йtй dit ci-dessus, art. prйcйdant ; mais les autres vertus ont Dieu non pas comme raison formelle d’objet, mais comme fin ultime. Et c'est pourquoi quand on dit que la charitй aime le prochain а cause de Dieu, ce ‘а cause’ signale non seulement une cause matйrielle, mais une cause formelle d’une certain maniиre. Mais quand on dit а propos des autres vertus, qu'elles opиrent а cause de Dieu, ce ‘а cause’ ajoute une cause finale seulement.

[66123] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas non producit actus aliarum virtutum elicitive, sed imperative tantum. Elicit enim virtus illos actus tantum qui sunt secundum rationem propriae formae, sicut iustitia recte facere, et temperantia temperanter; sed imperare dicitur omnes actus quos ad finem suum advocat.

3. La charitй ne produit pas les actes des autres vertus de maniиre efficace, mais seulement de maniиre impйrative. Car la vertu produit seulement ces actes qui dйpendent de la nature de la forme propre, comme agir avec rectitude par justice et avec tempйrance par tempйrance, mais on dit qu’elle commande tous les actes qu’elle fait parvenir а leur fin.

[66124] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum commune non est obiectum caritatis, sed summum bonum; et ideo non sequitur quod caritas sit generalis virtus sed quod sit summa virtutum.

4. Le bien commun n’est pas objet de charitй mais c’est le bien suprкme, et c'est pourquoi il n’en dйcoule pas que la charitй est une vertu gйnйrale mais qu’elle est la plus haute des vertus.

[66125] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non est perfectio intrinseca aliarum virtutum, sed extrinseca, ut supra, art. 3 huius quaest., dictum est; unde ratio non sequitur.

5. La charitй n’est pas la perfection intrinsиque des autres vertus, mais la perfection extrinsиque, comme, cela a йtй dit ci-dessus a. 3 de cette question, c'est pourquoi cette raison ne suit pas.

[66126] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas est, sicut in subiecto, in una tantum potentia, scilicet in voluntate, quae per imperium movet alias potentias; et secundum hoc Deum iubemur ex tota mente et anima diligere, ut omnes vires animae nostrae advocentur in obsequium divini amoris.

6. La charitй est, comme dans un sujet, en une puissance seulement, а savoir dans la volontй, qui par son pouvoir met en mouvement les autres puissances, et selon cela nous sommes obligйs d’aimer Dieu de tout notre esprit et de toute notre вme, pour que toutes les forces de notre вme soient appelйes en dйfйrence а l’amour divin.

[66127] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut caritas imperat aliarum virtutum actus, ita per modum imperii excludit peccata eis contraria; et secundum hunc modum caritas resistit tentationibus; sed tamen necesse est esse alias virtutes, quae directe et elicitive peccata excludant.

7. La charitй commande les actes des autres vertus, de mкme par mode de pouvoir elle exclut les pйchйs qui lui sont contraires ; et de cette maniиre la charitй rйsiste aux tentations, mais cependant il est nйcessaire qu’il y ait d’autres vertus qui excluent les pйchйs directement et de maniиre efficace.

[66128] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod sicut actus aliarum virtutum ordinantur ad finem quod est obiectum caritatis; ita et peccata quae sunt contra alias virtutes, habent oppositionem ad finem, qui est obiectum caritatis : et ex hoc contingit quod contraria aliarum virtutum, scilicet peccata, caritatem expellant.

8. De mкme que les actes des autres vertus sont ordonnйs а la fin qui est l’objet de la charitй, de mкme les pйchйs aussi qui sont contre les autres vertus, s’opposent а la fin, qui est l’objet de la charitй, et par lа il arrive que les contraires des autres vertus, а savoir les pйchйs, chassent la charitй.

[66129] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet caritas sufficienter per modum imperii in omnibus nos dirigat quae ad rectam vitam pertinent; tamen requiruntur aliae virtutes quae eliciendo actus exequantur imperium caritatis, ad hoc quod homo prompte et sine impedimento operetur.

9. Bien que la charitй nous dirige suffisamment par mode de pouvoir dans tout ce qui convient а une vie droite, cependant d’autres vertus sont requises qui en choisissant les actes suivent le pouvoir de la charitй, pour que l’homme opиre promptement et sans empкchement.

[66130] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod contingit aliquid esse propter finem quod tamen secundum se est difficile et triste; sicut cum aliquis accipit medicinam amaram libenter propter sanitatem, licet in ipsa sumptione multum affligatur. Caritas igitur facit omnia esse delectabilia ex fine; sed requiruntur aliae virtutes, quae faciant ea quae sunt virtuosa secundum se delectabilia, ad hoc quod facilius operemur.

10. Il arrive que quelque chose est en vue de la fin qui cependant en soi est difficile et triste, comme quant quelqu'un reзoit une mйdecine amиre, librement pour sa santй, bien qu’en cette prise, il йprouve beaucoup de gкne. Donc la charitй fait que tout soit dйlectable par sa fin ; mais d’autres vertus sont requises qui font que ce qui est vertueux soit dйlectable en soi, pour que nous opйrions plus facilement.

[66131] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas simul habet generationem cum aliis virtutibus, non quia sit indistincta ab aliis, sed quia Dei perfecta sunt opera; unde infundens caritatem simul infundit omnia illa quae sunt necessaria ad salutem. Corrumpitur autem simul cum omnibus virtutibus : quia quaecumque contrariantur aliis virtutibus, contrariantur caritati, ut dictum est.

11. La charitй possиde la gйnйration en mкme temps que les autres vertus, non parce qu’elle indistincte des autres, mais parce que les њuvres de Dieu sont parfaites ; c'est pourquoi en infusant la charitй, en mкme temps, il infuse tout ce qui est nйcessaire au salut. Mais elle est corrompue en mкme temps que toutes les vertus ; parce que tout ce qui est contraire aux autres vertus est contraire а la charitй, comme on l’a dit.

 

 

 

Articulus 6 : [66132] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum caritas possit esse cum peccato mortali

Article 6La charitй peut-elle exister avec le pйchй originel ?

[66133] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections :[48]

[66134] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 1 Dicit enim Origenes in I Periarchon [cap. III] : non arbitror quod aliquis ex his qui in summo perfectoque perstiterunt gradu, ad subitum evacuetur ac decidat; sed per partes et paulatim eum diffluere necesse est. Subito autem aliquis committit peccatum mortale per solum consensum. Ergo qui est in perfecto statu per caritatem, non decidit a caritate per unum actum peccati mortalis; et sic caritas potest esse cum peccato mortali.

1. Car Origиne dit (Peri archфn 1, 3) : « Je ne pense pas que quelqu'un de ceux qui sont demeurйs dans un degrй trиs йlevй de perfection, soit anйanti subitement et dйchoit ; mais il est nйcessaire qu’il s’en йcarte par parties et peu а peu ». Mais quelqu'un commet а l’improviste un pйchй mortel, par le seul consentement. Donc celui qui est dans un йtat parfait par charitй, ne dйchoit pas d’elle par un seul pйchй mortel, et ainsi la charitй peut exister avec le pйchй mortel.

[66135] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit [in lib. De dignitate div. Amoris, cap. VI] quod caritas in Petro, quando Christum negavit, non fuit extincta, sed sopita. Sed Petrus negando Christum peccavit mortaliter. Ergo caritas potest remanere cum peccato mortali.

2. Bernard (La dignitй de l’Amour divin, VI) dit que la charitй en Pierre, quand il a reniй le Christ, ne s’est pas йteinte, mais endormie. Mais Pierre, en reniant le Christ a pйchй mortellement. Donc la charitй peut demeurer avec le pйchй mortel.

[66136] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas est fortior quam habitus virtutis moralis. Sed habitus virtutis non tollitur per unum actum vitiosum, cum non per unum actum generetur : ex eisdem enim contrario modo factis generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur in II Ethic. Ergo multo minus habitus caritatis tollitur per unum peccatum mortale.

3. La charitй est plus forte que l’habitus d’une vertu morale. Mais celui-ci n’est pas enlevй par un seul acte vicieux, puisqu’il n’est pas gйnйrй par un seul acte ; car par les mкmes faits, la vertu est gйnйrйe et corrompue d’une maniиre contraire, comme il est dit en Йthique, II, 1, 1103 b 6. Donc l’habitus de la charitй est beaucoup moins enlevй par un seul pйchй mortel.

[66137] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, unum uni opponitur. Sed caritas est una virtus specialis, ut ostensum est. Ergo sibi opponitur unum vitium speciale. Non ergo per alia peccata mortalia tollitur; et sic videtur quod possit peccatum mortale simul esse cum caritate.

4. L’un s’oppose а l’un. Mais la charitй est une vertu particuliиre, comme on l’a montrй. Donc un vice particulier s’oppose а elle. Donc elle n’est pas enlevйe par d’autres pйchйs mortels, et ainsi il semble que le pйchй mortel puisse coexister avec la charitй.

[66138] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 5 Praeterea, opposita non se expellunt nisi circa idem subiectum. Sed quaedam peccata non sunt in eodem subiecto cum caritate : nam caritas est in superiori parte rationis, quae convertitur ad Deum; potest autem peccatum mortale esse etiam in inferiori parte rationis, ut dicit Augustinus in Lib. de Trinit. Ergo non omne peccatum mortale excludit caritatem.

5. Les opposйs ne s’excluent que pour un mкme substrat. Mais certains pйchйs ne sont pas dans le mкme substrat que la charitй ; car elle est dans la partie supйrieure de la raison, qui est tournйe vers Dieu : mais le pйchй mortel peut кtre aussi dans la partie infйrieure de la raison, comme le dit Augustin dans La Trinitй. Donc tout pйchй mortel n’exclut pas la charitй.

[66139] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est fortissimum, non potest expelli a debilissimo. Sed caritas est fortissima : Fortis enim est ut mors dilectio, ut dicitur Cantic., VII, 6 : peccatum autem est debilissimum, quia malum est infirmum et impotens, ut Dionysius dicit [V cap. de divin. Nomin.] Ergo peccatum mortale non expellit caritatem; et sic potest esse simul cum ea.

6. Le plus fort ne peut pas кtre chassй par le plus faible. Mais la charitй est la plus forte ; car « L’amour est fort comme le mort », comme il est dit (Ct 7, 6) : mais le pйchй est trиs faible ; parce que le mal est sans force et sans puissance, comme Denys le dit (Les noms divins, 5). Donc le pйchй mortel ne chasse pas la charitй, et ainsi il peut cohabiter avec elle.

[66140] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 7 Praeterea, habitus secundum actus cognoscuntur. Sed actus caritatis potest esse cum peccato mortali : homo enim peccans diligit Deum et proximum. Ergo caritas potest esse cum peccato mortali.

7. Les habitus sont reconnus а leurs actes. Mais celui de la charitй peut exister avec le pйchй mortel : car l’homme qui pиche aime Dieu et son prochain. Donc la charitй peut exister avec le pйchй mortel.

[66141] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 8 Praeterea, caritas praecipue facit delectari in contemplatione Dei. Sed delectationi quae est in considerando, nihil est contrarium, ut dicit philosophus in I Topic. Ergo caritati nihil est contrarium : et ita non potest expelli per peccatum mortale.

8. La charitй fait surtout qu’on йprouve du plaisir dans la contemplation de Dieu. Mais au plaisir qu’on trouve en le considйrant, rien n’est contraire, comme le dit le philosophe (Topique, 1, 15, 106 b 4). Donc rien n’est contraire а la charitй ; et ainsi elle ne peut pas кtre chassйe par le pйchй mortel.

[66142] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 9 Praeterea, universale movens potest impediri in uno mobili, et non impediri in alio. Sed caritas est universalis motor omnium virtutum, ut supra, art. 3, dictum est. Ergo non oportet quod sic impediatur in una virtute in quantum alias movet : potest igitur cum peccato opposito temperantiae caritas remanere, prout est motiva aliarum virtutum.

9. Le moteur universel peut кtre empкchй dans un mobile, et pas dans un autre. Mais la charitй est le moteur universel de toutes les vertus, comme il a йtй dit ci-dessus, a. 3. Donc il n’est pas nйcessaire qu’elle soit ainsi empкchйe dans une seule vertu en tant qu’elle meut les autres ; donc la charitй peut demeurer avec un pйchй opposй а la tempйrance, , dans la mesure oщ elle meut les autres vertus.

[66143] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 10 Praeterea, sicut caritas habet Deum pro obiecto, ita fides et spes. Sed fides et spes possunt esse informes. Ergo eadem ratione et caritas; et sic potest esse cum peccato mortali.

10. La charitй a Dieu pour objet, la foi et l’espйrance aussi. Mais la foi et l’espйrance peuvent кtre imparfait. Donc pour la mкme raison, la charitй aussi. Et ainsi elle peut exister avec un pйchй mortel.

[66144] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 11 Praeterea, omne illud quod non habet perfectionem quam natum est habere, est informe. Sed caritas non habet perfectionem hic in via quam nata est habere in patria. Ergo est informis; et sic videtur quod possit esse cum peccato mortali.

11. Tout ce qui n’a pas la perfection qu’il est destinй а avoir, est imparfait. Mais la charitй n’a pas de perfection dans la voie qu’elle est destinйe а avoir dans la patrie. Donc elle est imparfaite, et ainsi il semble qu’elle pourrait exister avec le pйchй mortel.

[66145] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 12 Praeterea, habitus cognoscuntur per actus. Sed aliqui actus habentium caritatem possunt esse imperfecti : nam multoties aliqui caritatem habentes moventur aliquo motu impatientiae, vel inanis gloriae. Ergo et habitum caritatis contingit esse imperfectum et informem; et sic videtur quod cum caritate possit esse peccatum mortale.

12. Les habitus sont connus par les actes. Mais certains actes de ceux qui possиdent la charitй peuvent кtre imparfaits, car frйquemment ils sont poussйs par un mouvement d’impatience, ou de vaine gloire. Donc il arrive que l’habitus de la charitй soit imparfait, et ainsi il semble qu’il pourrait y avoir un pйchй mortel avec la charitй.

[66146] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 13 Praeterea, sicut virtuti opponitur peccatum, ita ignorantia opponitur scientiae. Sed non quaelibet ignorantia tollit totam scientiam. Ergo nec quodlibet peccatum mortale tollit totam virtutem; unde, cum caritas sit radix virtutum, non videtur quod quodlibet peccatum mortale tollat caritatem.

13. De mкme que le pйchй est opposй а la vertu, de mкme l’ignorance est opposйe а la science. Mais ce n’est pas n’importe quelle ignorance qui enlиve toute la science. Donc ni n’importe quel pйchй mortel qui enlиve toute la vertu ; c'est pourquoi, comme la charitй est la racine des vertus, il ne semble pas que n’importe que pйchй mortel enlиve la charitй.

[66147] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 14 Praeterea, caritas est amor Dei. Sed manente amore ad rem aliquam, aliquis propter incontinentiam operatur contra illam; sicut aliquis amans seipsum, contra bonum agit per incontinentiam; et similiter aliquis amans aliquam communitatem, contra eam agit propter incontinentiam, ut philosophus dicit in V Politic. Ergo aliquis potest peccando contra Deum agere, manente caritate.

14. La charitй est l’amour de Dieu. Mais si l’amour pour quelque chose demeure, quelqu’un а cause de son incontinene opиre contre elle, de mкme quelqu'un qui s’aime lui-mкme agit contre le bien par son incontinence, et de la mкme maniиre quelqu’un qui aime une communautй agit contre elle а cause de son incontinence, comme le philosophe le dit (Politique, V). Donc quelqu’un peut en pйchant agir contre Dieu, et sa charitй demeure.

[66148] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 15 Praeterea, aliquis habet se bene in universali, qui tamen deficit in particulari, sicut incontinens rectam rationem habet circa universalia, utpote quod fornicari est malum, et tamen in singulari eligit nunc fornicari, ut bonum, ut dicit philosophus in VI Ethic. Sed caritas facit hominem bene se habere circa universalem finem. Ergo manente caritate, potest aliquis peccare circa aliquod particulare; et sic caritas potest esse cum peccato mortali.

15. Quelqu’un se comporte bien dans l’universel qui cependant est dйfaillant dans le particulier, comme l’incontinent a la droite raison pour ce qui est universel, de sorte que forniquer est un mal et cependant dans le particulier il choisit maintenant de forniquer comme un bien, comme le dit le philosophe (Ethique, VII, 2, 1145 b 12). Mais la charitй fait que l’homme se comporte bien pour la fin universelle. Donc encore que la charitй demeure, quelqu'un peut pйcher sur quelque chose de particulier, et ainsi la charitй peut exister avec le pйchй mortel.

[66149] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 16 Praeterea, contraria sunt in eodem genere. Sed peccatum est in genere actus : quia peccatum est dictum vel factum vel concupitum contra legem Dei : caritas autem est in genere habitus. Ergo peccatum non contrariatur caritati; et sic non expellit ipsam : potest ergo simul esse cum ea.

16. Les contraires sont dans un mкme genre. Mais le pйchй est dans le genre de l’acte, parce qu’il est dit ou fait ou dйsirй contre la loi de Dieu ; mais la charitй est dans le genre de l’habitus. Donc le pйchй n’est pas contraire а la charitй, et ainsi il ne la chasse pas : donc il peut кtre en mкme temps avec elle.

En sens contraire :

[66150] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sap., I, 5 : Spiritus sanctus disciplinae effugiet fictum, et avertet se a cogitationibus quae sunt sine intellectu, et corripietur, id est expelletur, a superveniente iniquitate. Sed Spiritus sanctus est in homine quamdiu habet caritatem; quia per caritatem habitat in nobis Spiritus Dei. Ergo a superveniente iniquitate expellitur caritas; et sic non potest esse simul cum peccato mortali.

1. Au Livre de la Sagesse (1, 5) il est dit : « L’Esprit Saint notre йducateur fuit la fourberie et il se dйtourne des pensйes sans intelligence et il s’offusque quand survient l’iniquitй. » Mais l’Esprit Saint est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charitй; car l’Esprit de Dieu habite en nous par la charitй. Donc elle est repoussйe par l’iniquitй qui survient et ainsi elle ne peut coexister avec le pйchй mortel.

[66151] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque habet caritatem, dignus est vita aeterna, secundum illud apostoli, II Tim., IV, 8 : In reliquo reposita est mihi corona iustitiae, quam reddet mihi dominus in illa die, iustus iudex; non solum autem mihi, sed et his qui diligunt adventum eius. Quicumque autem peccat mortaliter, dignus est poena aeterna, secundum illud Rom., cap. VI, 23. Stipendia peccati mors. Sed aliquis non potest esse simul dignus vita aeterna et poena aeterna. Ergo non potest simul caritas cum peccato mortali haberi.

2. De plus, quiconque a la charitй est digne de la vie йternelle, selon ce que dit l’Apфtre а Timothйe (II Tm 4, 8) : « Il ne me reste plus qu’а recevoir la couronne de justice que le Seigneur me donnera en retour en ces jours, lui le juste juge ; non seulement а moi mais а ceux qui aiment sa venue. » Or quiconque pиche mortellement est digne de la peine йternelle : selon Rm 6, 23 : « Le salaire du pйchй est la mort ». Mais on ne peut pas кtre en mкme temps digne de la vie йternelle et de la peine йternelle. Donc on ne peut pas avoir la charitй en mкme temps que le pйchй mortel.

Rйponse :

[66152] De virtutibus, q. 2 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas nullo modo potest simul esse cum peccato mortali.

Ad cuius evidentiam primo considerandum est, quod omne peccatum mortale directe opponitur caritati. Quicumque enim praeeligit aliquid alteri, illud quod praeeligit, magis amat; unde quia homo magis amat propriam vitam et sui consistentiam quam voluptatem, quantumcumque sit magna voluptas, homo retraheretur ab ea, si eam existimaret esse suae vitae infallibiliter peremptivam; propter quod dicit Augustinus in Lib. LXXXIII quaestionum [quaest. 36], quod Nemo est qui non magis dolorem metuat quam appetat voluptatem; quandoquidem videmus etiam immanissimas bestias a maximis voluptatibus abstinere dolorum metu.

La charitй ne peut en aucune maniиre coexister avec le pйchй mortel.

 

Pour le mettre en йvidence, il faut considйrer que tout pйchй mortel est directement opposй а la charitй. Car quiconque prйfиre une chose а une autre aime davantage ce qu’il a choisi d’abord ; c'est pourquoi, parce qu’un homme aime plus sa propre vie et sa prйservation que la voluptй ; quelle grande que soit celle-ci, l’homme s’en йchapperait s’il pensait qu’elle est de maniиre infaillible dommageable а sa vie ; а cause de cela saint Augustin dit. (Les 83 Questions, q. 36) : « Il n’y a personne qui ne craigne pas plus la douleur qui ne dйsire la voluptй : puisque nous voyons aussi les animaux les plus sauvages s’йcarter des plus grandes voluptйs par crainte de la douleur».

Ex hoc autem aliquis mortaliter peccat quod aliquid magis eligit quam vivere secundum Deum, et ei inhaerere. Unde manifestum est quod quicumque mortaliter peccat, ex hoc ipso magis amat aliud bonum quam Deum. Si enim amaret magis Deum, praeeligeret vivere secundum Deum quam quocumque temporali bono potiri. Hoc autem est de ratione caritatis quod Deus super omnia diligatur, ut ex superioribus patet; unde omne peccatum mortale caritati contrariatur.

Pиche mortellement celui qui choisit plutфt une chose que de vivre selon Dieu et s’attacher а lui. C'est pourquoi il est йvident que n’importe qui pиche mortellement du fait mкme qu’il aime un autre bien que Dieu. Si en effet il aimait Dieu davantage il choisirait avant de vivre selon Dieu plutфt que de s’emparer de quelque bien temporel. Or il est de la nature de la charitй d’aimer Dieu par-dessus tout, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut; c'est pourquoi tout pйchй mortel est contraire а la charitй.

Caritas enim hominibus a Deo infunditur. Quae autem ex infusione divina causantur, non solum indigent actione divina in sui principio, ut esse incipiant, sed in tota sui duratione, ut conserventur in esse; sicut illuminatio aeris indiget praesentia solis, non solum cum primo aer illuminatur, sed quamdiu illuminatus manet : et propter hoc, si aliquod obstaculum interponatur intercipiens directum aspectum ad solem, desinit esse lumen in aere; et similiter quando peccatum mortale advenit, quod impedit directum aspectum animae ad Deum, per hoc quod aliquid aliud praefert Deo, intercipitur influxus caritatis, et desinit esse caritas in homine, secundum illud Is., LIX, 2 : Peccata nostra diviserunt inter nos et Deum nostrum.

 

 

 

Sed cum rursus mens hominis redit ut recte in Deum aspiciat, eum super omnia diligendo (quod tamen sine divina gratia esse non potest), iterato ad statum caritatis redit.

En effet la charitй est rйpandue par Dieu dans les hommes. Or ce qui est causй par infusion divine, non seulement n’a pas besoin de l’action divine en son principe pour commencer а кtre, mais pendant toute sa durйe pour y кtre conservй, comme la lumiиre de l’air a besoin de la prйsence du soleil non seulement lorsque l’air est йclairй mais aussi longtemps qu’il demeure йclairй. Et а cause de cela, si un obstacle s’interpose, interceptant la vision directe du soleil, la lumiиre cesse d’кtre dans l’air ; et de la mкme maniиre quand le pйchй mortel advient qui empкche le regard direct de l’вme vers Dieu, par cela qu’elle lui prйfиre autre chose, l’influx de la charitй est interrompu et elle cesse d’exister en l’homme, selon ce que dit Is 69, 2 : « Nos pйchйs nous ont sйparйs de notre Dieu ».

Mais lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter avec rectitude ses regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne peut pas se faire sans la grвce), il revient de nouveau а l’йtat de charitй.

Solutions :

[66153] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Origenis non sic est intelligendum, quod homo peccans mortaliter, quantumcumque perfectus, non subito caritatem amittat sed quia non contingit de facile quod homo perfectus statim a principio mortaliter peccet, sed per negligentiam et diversa peccata venialia, disponitur ut tandem labatur in peccatum mortale.

1. La parole d’Origиne n’est pas а penser ainsi : l’homme qui pиche mortellement, quelque parfait qu’il soit, ne perd pas la charitй subitement, mais parce qu’il n’arrive pas facilement que l’homme parfait pиche mortellement aussitфt au commencement, mais par nйgligence et par diffйrents pйchйs vйniels, il se dispose а la fin а glisser dans le pйchй mortel.

[66154] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Bernardi non videtur sustinendum, nisi intelligatur caritas in Petro non fuisse extincta, quia cito resurrexit; ea enim quae parum distant, quasi nihil distare videntur, ut dicitur in II Physic. [com. 56].

2. La parole de saint Bernard ne semble pas devoir кtre soutenue, sauf si on pense que la charitй en Pierre n’a pas йtй йteinte, parce qu’aussitфt elle a ressuscitй ; car ce qui est un peu йloignй, semble pour ainsi dire en rien йloignй, comme il est dit en Physique II, 5, 197 a 28).

[66155] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus moralis, quae acquiritur ex actibus, consistit in inclinatione potentiae ad actum; quae quidem inclinatio non tollitur totaliter per unum actum. Sed influentia caritatis a Deo intercipitur per unum actum; et ideo unus actus peccati tollit caritatem.

3. La vertu morale, qui est acquise par les actes consiste dans l’inclination de la puissance а l’acte ; cette inclination n’est pas enlevйe totalement par un seul acte. Mais l’influence de la charitй est coupйe de Dieu par un seul acte, et c'est pourquoi un seul acte de pйchй enlиve la charitй.

[66156] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritatis oppositum generale est odium; sed indirecte omnia peccata caritati opponuntur, in quantum pertinent ad Dei contemptum, qui est super omnia diligendus.

4. L’opposй universel de la charitй c’est la haine, mais indirectement tous les pйchйs sont opposйs а la charitй, en tant qu’ils aboutissent au mйpris pour Dieu, qui doit кtre aimй par-dessus tout.

[66157] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superior ratio, in qua est caritas, movet inferiorem; unde peccatum, in quantum in inferiori parte opponitur motui caritatis, caritatem excludit. Vel dicendum, quod peccatum mortale non est sine consensu, qui attribuitur superiori parti rationis, in qua est caritas.

5. La raison supйrieure, en laquelle se trouve la charitй, meut la raison infйrieure ; c’est pourquoi le pйchй, en tant qu’il est opposй dans la partie infйrieure au mouvement de la charitй, l’exclut. Ou bien il faut dire que le pйchй mortel n’est pas sans consentement ; il est attribuй а la partie supйrieure de la raison en qui se trouve la charitй.

[66158] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod peccatum non expellit caritatem ex sua virtute; sed ex eo quod homo voluntarie se peccato subiicit.

6. Le pйchй ne chasse pas la charitй par son pouvoir, mais parce que l’homme se soumet volontairement au pйchй.

[66159] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod homo qui peccat mortaliter, non diligit Deum super omnia, sicut diligendus est ex caritate; sed est aliquid aliud quod praefert amori Dei, propter quod Dei mandatum contemnit.

7. L’homme qui pиche mortellement n’aime pas Dieu par-dessus tout, comme il doit кtre aimй par charitй, mais il y a quelque chose d’autre qu’il prйfиre а l’amour de Dieu, а cause de quoi il mйprise son commandement.

[66160] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod delectatio quae est in considerando, non habet contrarium in eodem genere, ut scilicet aliqua alia consideratio sit ei contraria; et hoc ideo quia species contrariorum in intellectu non sunt contrariae; unde delectationi quae est in considerando album, non contrariatur delectatio quae est in considerando nigrum. Sed quia actus voluntatis consistit in motu animae ad rem, sicut res in seipsis sunt contrariae, ita motus voluntatis in contraria sunt contrarii : desiderium enim dulcis contrariatur desiderio amari. Et secundum hoc amor Dei contrariatur amori peccati, quod excludit a Deo. Consideratio autem in qua non est contrarietas, non est proprius actus caritatis, qui ab ipsa elicitur, sed solum ab ipsa imperatur quasi eius effectus.

8. Le plaisir qu’on йprouve dans la considйration [de Dieu] n’a pas de contraire dans un mкme genre, а savoir qu’une autre considйration lui est contraire, et cela parce que les espиces des contraires dans l’intellect ne sont pas contraires, et c'est pourquoi celui йprouvй dans la considйration du blanc, n’est pas contraire au plaisir йprouvй dans la considйration du noir. Mais parce que l’acte de la volontй consiste dans le mouvement de l’вme vers la rйalitй, de mкme que les choses en elles-mкmes sont contraires ; de mкme les mouvements de la volontй dans les contraires sont contraires : car le dйsir du doux est contraire а celui de l’amer. Et selon cela l’amour de Dieu est contraire а l’amour du pйchй, qui йloigne de Dieu. Mais la considйration en laquelle il n’y a pas de contrariйtй, n’est pas l’acte propre de la charitй, qui est choisi par elle, mais seulement elle est commandйe comme son effet.

[66161] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas quae est universalis motor virtutum, cum impeditur in his quae pertinent ad unam virtutem, per peccatum mortale, impeditur in suo universali obiecto; et ob hoc universaliter in omnibus impeditur. Non est autem sic cum universale mobile sic impeditur in particulari effectu, quod non impeditur in his quae pertinent ad universalem virtutem.

9. Quand la charitй qui est le moteur universel des vertus, est empкchйe en ce qui convient а une seule vertu, par le pйchй mortel, elle est empкchйe en son objet universel et а cause de cela elle est universellement empкchйe en tout. Mais ce n’est pas ainsi quand le mobile universel est ainsi empкchй dans l’effet particulier, qui n’est pas empкchй en ce qui convient а la vertu universelle.

[66162] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet spes et fides habeant Deum pro obiecto, non tamen eis competit quod sint forma aliarum virtutum, sicut competit caritati ratione supradicta, art. 3; et ideo, licet caritas non sit informis, spes tamen et fides esse possunt informes.

10. Bien que l’espйrance et la foi aient Dieu pour objet, il ne leur convient pas d’кtre la forme des autres vertus, comme il convient а la charitй par la raison susdite, art. 3 ; et ainsi, bien que la charitй ne soit pas imparfaite, l’espйrance cependant et la foi peuvent l’кtre.

[66163] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non facit virtutem informem defectus cuiuscumque perfectionis, sed ille tantum defectus qui tollit ordinem ultimi finis; qui quidem ordo existit in caritate viae, licet caritas viae non habeat perfectionem patriae, quae est secundum fruitionem propriam et perfectam.

11. La dйfaillance de n’importe quelle perfection ne rend pas la vertu imparfaite, mais cette dйfaillance seulement qui enlиve le rapport а la fin ultime, lequel rapport existe dans la charitй de la voie, bien que celle-ci n’ait pas la perfection de la patrie, qui concerne la fruition propre et parfaite.

[66164] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod actus imperfecti possunt esse habentis caritatem, sed non sunt caritatis; non enim quilibet actus agentis est actus cuiuslibet formae in agente existentis, et praecipue in rationali natura, quae habet libertatem ad hoc quod utatur habitu in ea existente.

12. Les actes imparfaits peuvent кtre de celui qui possиde la charitй, mais ne sont pas de la charitй ; car n’importe quel acte de l’agent n’est pas l’acte de n’importe quelle forme qui existe dans l’agent, et surtout dans la nature raisonnable qui a la libertй pour utiliser l’habitus qui existe en elle.

[66165] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet non quaelibet ignorantia propriorum principiorum excludat scientiam, tamen ignorantia principiorum communium tollit scientiam; eis enim ignoratis, necesse est ignorare artem, ut dicitur in I Elench. Ultimus autem finis se habet sicut principium communissimum; et ideo huius deordinatio ab ultimo fine per peccatum mortale, tollit totaliter caritatem; non autem quaelibet deordinatio particularis, ut patet in peccatis venialibus.

13 Bien que n’importe quelle ignorance des principes particuliers exclut la science, cependant l’ignorance des principes communs prive de la science, car pour ceux qui les ignorent, il est nйcessaire d’ignorer l’art, comme il est dit en Elenchus I. Mais la fin ultime se comporte comme le principe le plus commun, et c'est pourquoi son manque de rapport а la fin ultime par le pйchй mortel, enlиve totalement la charitй, mais non n’importe quel manque d’ordre particulier, comme on le voit dans les pйchйs vйniels.

[66166] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quicumque per incontinentiam agit contra bonum quod amat, existimat bonum non totaliter perdi per hoc quod incontinenter agit. Si enim aliquis amans civitatem aliquam, vel proprii corporis salutem, existimaret se alterum horum perdere per hoc quod agit : vel totaliter abstineret, vel illud quod ageret, plus diligeret quam propriam salutem vel civitatis. Unde cum aliquis sciens se amittere Deum per peccatum mortale (quod est scire se peccare mortaliter), nihilominus hoc incontinenter agit : convincitur plus amare quod agit quam Deum.

14. Quiconque agit par incontinence contre le bien qu’il aime, pense que le bien n’est pas perdu complиtement par le fait qu’il agit avec incontinence. Car si quelqu'un qui aime une citй, ou le salut de son propre corps, pensait qu’il en perd un autre par le fait qu’il agit, ou il s’en abstiendrait totalement, ou il aimerait ce qu’il ferait plus que son propre salut ou celui de la citй. C'est pourquoi comme quelqu'un qui sait qu’il perd Dieu par le pйchй mortel (ce qui est savoir qu’il pиche mortellement), et cependant qui agit avec incontinence; il est convaincu plus aimer ce qu’il fait que Dieu.

[66167] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non solum requirit hoc haberi in universali acceptione, quod Deus sit super omnia diligendus; sed quod etiam in hoc actus electionis et voluntatis tendat sicut in quoddam aliud particulare eligibile. Et haec particularis electio excluditur per electionem contrarii, scilicet peccati excludentis a Deo.

15. La charitй ne requiert pas seulement qu’on la possиde dans son acception universelle, c'est-а-dire que Dieu doit кtre aimй au-dessus de tout, mais parce qu’aussi dans cet acte d’йlection et de volontй elle tend comme dans une autre chose particuliиre а choisir. Cette йlection particuliиre est exclue par l’йlection du contraire, а savoir du pйchй qui exclut de Dieu.

[66168] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet actus directe contrarientur actibus, sicut et habitus habitibus; tamen indirecte etiam actus contrariantur habitibus secundum conformitatem quam habent contrariis habitibus; nam actus similes ex similibus habitibus generantur, et similes etiam actus causant, licet non omnes habitus causentur ex actibus.

16. Bien que les actes soient directement contrariйs par des actes, comme les habitus par les habitus, cependant indirectement aussi les actes sont contraires aux habitus, selon la conformitй qu’ils ont avec des habitus contraires ; car les actes senblables sont engendrйs par des habitus semblables ; et aussi les actes semblables sont leur cause, bien que tous les habitus ne soient pas causйs par les actes.

 

 

 

[66169] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura

Article 7 – La nature raisonnable est-elle un objet digne d’кtre aimй par charitй ?

[66170] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 2 Et videtur quod non.

Et il semble que non.

Objections :[49]

[66171] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 1 Quia propter quod unumquodque, et illud magis. Sed homo ex caritate diligitur propter virtutem et propter beatitudinem. Ergo virtus et beatitudo, quae non sunt creaturae rationales, sunt magis ex caritate diligendae et sic creatura rationalis non est proprium obiectum caritatis.

1. Parce qu’а cause de cela, il y a chaque chose et ceci plus. Mais l’homme est aimй par charitй а cause de sa vertu et de sa bйatitude. Donc la vertu et la bйatitude qui ne sont pas des crйatures raisonnables doivent кtre plus aimйes par charitй et ainsi les crйatures raisonnables n’est pas l’objet propre de la charitй.

[66172] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 2 Praeterea, per caritatem maxime conformamur Deo in diligendo. Sed Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient., XI, 25, ex caritate diligendo seipsum, qui est caritas. Ergo omnia sunt diligenda ex caritate, et non solum rationalis natura.

2. Nous sommes tout а fait adaptйs а Dieu par la charitй en l’aimant. Mais Dieu aime tout ce qui existe, comme il est dit en Sg 11, 25, en s’aimant par charitй lui-mкme qui est la charitй. Donc tout doit кtre aimй par charitй, et pas seulement la nature raisonnable.

[66173] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 3 Praeterea, Origenes dicit Super Cantica, quod unum est diligere Deum et quaecumque bona. Sed Deus diligitur ex caritate. Ergo, cum omnes creaturae sint bonae, omnes sunt diligendae ex caritate, et non solum rationalis natura.

3. Origиne dit (Sur le Cantique), que c’est une (mкme) chose d’aimer Dieu et tout ce qui est bon. Mais Dieu est aimй par charitй. Donc, comme toutes les crйatures sont bonnes, toutes doivent кtre aimйes par charitй, et pas seulement la nature raisonnable.

[66174] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 4 Praeterea, sola dilectio caritatis est meritoria. Sed in dilectione cuiuslibet rei possumus mereri. Ergo quamlibet rem possumus diligere ex caritate.

4. Le seul amour de charitй est mйritoire. Mais en aimant n’importe quoi nous pouvons mйriter. Donc nous pouvons aimer n’importe quoi par charitй.

[66175] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 5 Praeterea, Deus ex caritate diligitur. Ergo oportet magis ex caritate diligi quod ab eo maxime diligitur. Sed inter omnia creata maxime diligitur a Deo bonum universi, in quo omnia comprehenduntur. Ergo omnia sunt ex caritate diligenda.

5. Dieu est aimй par charitй. Donc il est nйcessaire de aimer par charitй davantage ce qu’il aime le plus. Mais parmi toutes les crйatures le bien de l’univers est le plus aimй de Dieu, en quoi tout est saisi. Donc tout doit кtre aimй par charitй.

[66176] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 6 Praeterea, diligere magis pertinet ad caritatem quam credere. Sed caritas omnia credit, ut dicitur I ad Cor., XIII, 8. Ergo multo magis omnia diligit.

6. Aimer convient plus а la charitй que croire. Mais la charitй croit tout, comme il est dit en 1 Co 13, 8. Donc elle aime tout beaucoup plus.

[66177] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 7 Praeterea, natura rationalis perfectissime invenitur in Deo. Si igitur natura rationalis sit obiectum caritatis, oporteret quod Deum ex caritate diligeremus. Sed hoc videtur esse impossibile, quia amor caritatis est amor perfectus; deinde, quia Deum perfecte in hac vita diligere non possumus, quia in hac vita ipsum perfecte non cognoscimus : non enim cognoscimus de Deo quid est, sed solum quid non est. Dilectio autem praesupponit cognitionem, cum nihil diligatur nisi cognitum. Ergo rationalis vel intellectualis natura non est proprium obiectum caritatis.

7. La nature raisonnable se trouve de maniиre tout а fait parfaite en Dieu. Si donc elle йtait l’objet de la charitй il serait nйcessaire que nous aimions Dieu par charitй. Mais cela semble impossible, parce que l’amour de charitй est un amour parfait ; ensuite, parce que nous pouvons pas l’aimer parfaitement en cette vie, puisque nous ne le connaissons pas parfaitement : car nous ne savons pas de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas. Mais l’amour prйsuppose la connaissance, puisque rien n’est aimй que ce qui est connu. Donc la nature raisonnable ou intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй.

[66178] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 8 Praeterea, plus distat ab homine Deus quam quaelibet alia creatura. Si ergo aliquas creaturas non diligimus ex caritate, multo minus Deum ex caritate diligere possumus.

8. Dieu est plus distant de l’homme que n’importe quelle autre crйature. Si donc nous n’aimons pas des crйatures par charitй, nous pouvons beaucoup moins aimer Dieu par charitй.

[66179] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 9 Praeterea, in Angelis etiam est intellectualis natura. Sed Angeli non sunt ex caritate diligendi, ut videtur. Ergo intellectualis natura non est proprium obiectum caritatis. Probatio mediae. Amicitia in aliqua communicatione vitae consistit; nam convivere est proprium amicorum, secundum philosophum in Lib. Ethicor. [lib. IX, cap. XIX] Sed non videtur esse aliqua communicatio vitae nobis et Angelis; non enim communicamus in vita naturae cum Angelis, cum sint multo praestantioris naturae quam homo; neque iterum in vita gloriae, quia dona gratiae et gloriae dantur a Deo secundum virtutem recipientis, secundum illud Matth., XXV, 15 : Dedit unicuique secundum propriam virtutem; virtus autem Angeli est multo maior quam hominis. Ergo Angeli non communicant in aliqua vita cum hominibus.

9. Dans les anges aussi il y a une nature intellectuelle. Mais ils ne doivent pas кtre aimйs par charitй, а ce qu’il semble. Donc la nature intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй. Preuve intermйdiaire : L’amitiй consiste dans une communication de vie ; car vivre ensemble est le propre des amis, selon le philosophe (Ethique, VIII, 15, 1162 b 14). Mais il ne semble pas qu’il y ait un rapport de vie pour nous et les anges ; car nous n’avons pas de rapport dans la vie de nature avec eux, puisqu’ils sont d’une nature supйrieure а l’homme, et en plus dans la vie de gloire, non plus parce que les dons de grвce et de gloire sont donnйs par Dieu selon la capacitй de celui qui les reзoit, selon cette parole de Matthieu 25, 15 : « Il a donnй а chacun selon sa propre capacitй[50] » ; mais celle de l’ange est beaucoup plus grande que celle de l’homme. Donc les anges ne communiquent pas dans la vie avec les hommes.

[66180] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 10 Praeterea, natura rationalis invenitur etiam in ipso homine ex caritate diligente. Sed homo seipsum non debet ex caritate diligere ut videtur. Ergo caritatis obiectum non est rationalis natura. Probatio mediae. De actibus virtutum dantur praecepta legis. Sed non datur aliquod praeceptum legis de hoc quod aliquis diligat seipsum. Ergo diligere non est actus caritatis.

10. La nature raisonnable se trouve aussi dans l’homme qui aime par charitй. Mais l’homme ne doit pas s’aimer lui-mкme par charitй а ce qu’il semble. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charitй. Preuve intermйdiaire : les prйceptes de la loi sont donnйs au sujet des actes des vertus. Mais le prйcepte de la loi n’est pas donnй pour que quelqu’un s’aime lui-mкme. Donc aimer n’est pas un acte de charitй.

[66181] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 11 Praeterea, Gregorius dicit in quadam Homil., quod caritas minus quam inter duos haberi non potest. Non potest ergo quis seipsum ex caritate diligere.

11. Grйgoire dit dans une Homйlie que la charitй ne peut pas кtre possйdйe qu’entre deux. Donc quelqu’un ne peut pas s’aimer lui-mкme par charitй.

[66182] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 12 Praeterea, sicut iustitia consistit in communicatione, ita et amicitia, secundum philosophum in IV Ethic. Sed iustitia, proprie loquendo, non est hominis ad seipsum ut dicitur in V Ethic. Ergo neque amicitia, et ita neque caritas.

12. De mкme que le justice consiste dans la communication, l’amitiй aussi selon le philosophe, (Йthique, VIII, 1, 1155 a 23). Mais la justice а proprement parler ne vient pas de l’homme pour lui-mкme, comme il est dit (Йthique, V). Donc l’amitiй non plus et ainsi la charitй non plus.

[66183] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 13 Praeterea, nihil quod computatur in vitium, est actus caritatis. Sed amare seipsum computatur homini in vitium secundum illud II Timoth., III, 1 : Instabunt tempora periculosa, et erunt homines seipsos amantes. Ergo diligere seipsum non est actus caritatis; et ita natura rationalis non est proprium obiectum caritatis.

13. Rien de ce qui comptй dans le vice, n’est un acte de charitй. Mais s’aimer soi-mкme est comptй а l’homme comme un vice selon cette parole de 2 Tm 3, 1 : « Les [derniers] temps seront pйrilleux …… et les hommes s’aimeront eux-mкmes[51] ». Donc s’aimer soi-mкme n’est pas un acte de charitй ; et ainsi la nature raisonnable n’est pas un objet propre de la charitй.

[66184] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 14 Praeterea, corpus humanum est pars rationalis naturae, scilicet humanae. Sed corpus humanum non videtur esse diligendum ex caritate; quia secundum philosophum in IX Ethic., vituperantur qui amant seipsos secundum exteriorem naturam. Ergo natura rationalis non est obiectum caritatis.

14. Le corps humain est une partie de la nature raisonnable, c'est-а-dire de la nature humaine. Mais le corps humain ne semble pas devoir кtre aimй par charitй ; parce que selon le philosophe (Йthique, IX, 8, 1169 a 15) sont critiquйs ceux qui s’aiment eux-mкmes quant а leur nature extйrieure. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charitй.

[66185] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 15 Praeterea, nullus habens caritatem refugit illud quod ex caritate diligit. Sed sancti habentes caritatem refugiunt corpus, secundum illud Roman., VII, 24 : Quis me liberabit de corpore mortis huius? Et sic corpus non est diligendum ex caritate; et sic idem quod prius.

15. Aucun de ceux qui ont la charitй n’йcarte ce qu’il aime par charitй. Mais les saints qui ont la charitй йcarte le corps, selon cette parole de Rm 7, 24 : « Qui me libйrera de ce corps de mort ». Et ainsi le corps ne doit pas кtre aimй par charitй ; et ainsi de mкme que ci-dessus.

[66186] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 16 Praeterea, nullus tenetur ad implendum quod non potest. Sed nullus potest scire se habere caritatem. Ergo nullus tenetur ad diligendum creaturam rationalem ex caritate.

16. Personne n’est tenu d’accomplir ce qu’il ne peut pas accomplir. Mais personne ne peut savoir qu’il a la charitй. Donc personnes n’est tenu d’aimer la crйature raisonnable par charitй.

[66187] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 17 Praeterea, cum dicitur : creatura rationalis diligitur ex caritate; haec praepositio ex designat habitudinem alicuius causae. Sed non potest designare habitudinem causae materialis, quia caritas non est aliquid materiale, sed spirituale; neque iterum habitudinem causae finalis, quia finis diligendi ex caritate est Deus, non autem caritas; similiter etiam neque habitudinem causae efficientis, quia Spiritus sanctus est qui nos ad diligendum movet, secundum illud Rom., V, 5 : Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis; neque iterum habitudinem causae formalis, quia caritas nec est forma intrinseca, cum non sit de essentia rei; neque est forma extrinseca exemplaris, quia sic omnia quae diliguntur ex caritate, traherentur in speciem caritatis, sicut exemplata trahuntur ad speciem exemplaris. Ergo creaturae rationales non sunt diligendae ex caritate.

17. Quand on dit : la crйature raisonnable est aimй par charitй ; cette prйposition par (ex) dйsigne le relation d’une cause. Mais elle ne peut pas dйsigner la relation а une cause matйrielle, parce que la charitй n’est pas quelque chose de matйriel, mais de spirituel, ni non plus la relation а la cause finale parce que Dieu est le but а aimer par charitй ; mais pas la charitй ; de la mкme maniиre aussi une relation а la cause efficiente non plus, parce que l’Esprit saint est celui qui nous pousse а aimer, selon cette parole de Rm 5, 5 : « La charitй de Dieu est diffusйe en nos cњur par l’Esprit saint qui nous a йtй donnй » ; elle n’est pas non plus la relation а la cause formelle, parce que la charitй n’est pas une forme intrinsиque, puisqu’elle n’est pas de l’essence de la chose, et elle n’est pas une forme extrinsиque exemplaire, parce qu’ainsi tout ce qui est aimй par charitй serait attirй dans l’espиce de charitй, comme les images sont tirйes а la forme de l’exemplaire. Donc les crйatures raisonnables ne doivent pas кtre aimйes par charitй.

[66188] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 18 Praeterea, Augustinus dicit in I de Doctr. Christ., [cap.XXX], quod proximus est ille a quo nobis beneficium impenditur. Sed a Deo nobis beneficia impenduntur. Ergo Deus est proximus nobis; et ita inconvenienter ponitur ab Augustino Deus aliud diligibile ex caritate, et aliud proximus.

18. En plus Augustin dit dans la Doctrine chrйtienne I, 30, que le prochain est celui qui nous accorde un bienfait. Mais Dieu nous accorde ses bienfaits. Donc Dieu est le prochain pour nous, et ainsi de maniиre inconvenante, Augustin pense que Dieu est quelque chose digne d’кtre aimй diffйrent du prochain.

[66189] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 19 Praeterea, cum Christus sit mediator inter Deum et hominem, videtur quod debeat poni aliud diligibile quam Deus et quam proximus; et sic sunt quinque in caritate diligibilia, et non tantum quatuor, ut Augustinus dicit.

19. Comme le Christ est le mйdiateur entre Dieu et l’homme, il semble qu’on devrait placer une autre chose aimable que Dieu et le prochain et ainsi il y a cinq choses aimables en charitй et non seulement quatre comme le dit Augustin.

En sens contraire :

[66190] De virtutibus, q. 2 a. 7 s. c. Sed contra, est quod dicitur Levit., XIX, 18 : Diliges proximum tuum sicut teipsum. Glossa : Proximum non tantum propinquitate sanguinis, sed societate rationis. Ergo secundum quod aliquid habet societatem nobiscum in natura rationali, sic est diligibile ex caritate. Natura ergo rationalis est obiectum caritatis.

7. Il y a ce qui est dit en Lv 19, 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme. La glose dit : « Non seulement le prochain par proximitй de sang, mais par communautй de nature ». Donc selon que quelque chose a une communautй avec nous dans la nature raisonnable, il peut ainsi кtre aimй par charitй. Donc la nature raisonnable est objet de charitй.

Rйponse :

[66191] De virtutibus, q. 2 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod cum quaeritur de his quae subiiciuntur actui alicuius potentiae vel habitus, oportet considerare formalem rationem obiecti illius potentiae vel habitus. Secundum enim quod aliqua se habent ad illam rationem, sic se habent ad hoc quod subiiciantur illi potentiae vel habitui : sicut visibilia secundum quod se habent ad rationem visibilis, secundum eamdem rationem habent visibilia quod sint visibilia per se vel per accidens.

Quand on fait une recherche sur ce qui est soumis а l’acte d’une puissance ou d’un habitus, il est nйcessaire de considйrer la raison formelle de l’objet de cette puissance ou de cet habitus. Car selon comment se comportent certaines choses vis-а-vis de cette nature, elles se comportent pour les soumettre а cette puissance ou а cet habitus : de mкme que ce qui est visible selon qu’il se comporte vis-а-vis de la raison du visible, selon une mкme raison ce qui est visible a qu’il est visible par soi ou par accident.

Cum autem amoris universaliter sumpti obiectum sit bonum communiter sumptum, necesse est quod cuiuslibet specialis amoris sit aliquod speciale bonum obiectum : sicut amicitiae naturalis, quae est ad consanguineos, proprium obiectum est bonum naturale, secundum quod trahitur a parentibus; in amicitia autem politica obiectum est bonum civitatis. Unde et caritas habet quoddam speciale bonum ut proprium obiectum, scilicet bonum beatitudinis divinae, ut supra, art. 4 huius quaest., dictum est. Secundum igitur quod aliqua se habent ad hoc bonum, sic se habent ad hoc quod sint diligibilia ex caritate.

Mais comme l’objet de l’amour pris universellement est un bien pris communйment, il est nйcessaire que de n’importe quelle amour particulier, il y ait un bien particulier comme objet; de mкme que de l’amitiй naturelle, qui concerne les consanguins, l’objet propre est le bien naturel, selon qu’il vient des parents, mais dans l’amitiй politique, l’objet est le bien de la citй. C’est pourquoi la charitй aussi a un bien particulier comme objet propre, а savoir le bien de la bйatitude divine, comme il a йtй dit ci-dessus, article 4 de cette question. Donc selon que certains se comportent vis-а-vis de ce bien, ainsi il se comportent vis-а-vis de ce qui peut кtre aimй par charitй

Sed considerandum est, quod cum amare sit velle bonum alicui, dupliciter dicitur aliquid amari : aut sicut id cui volumus bonum, aut sicut bonum quod volumus alicui.

 

 

Primo ergo modo illa tantum possunt ex caritate amari quibus possumus velle bonum beatitudinis aeternae; haec autem sunt quae nata sunt huiusmodi bonum habere. Unde, cum sola intellectualis natura sit nata habere bonum beatitudinis aeternae; sola intellectualis natura est ex caritate diligibilis, secundum quod diligi dicuntur ea quibus volumus bonum.

Mais il faut considйrer que comme aimer c’est vouloir du bien а quelqu'un, on dit de deux maniиres qu’on aime quelque chose : ou bien comme ce а quoi nous voulons du bien, ou bien comme le bien que nous voulons а quelqu'un.

a. De la premiиre maniиre donc peuvent кtre aimйs par charitй seulement ceux а qui nous pouvons vouloir le bien de la bйatitude йternelle. ; ce sont ceux qui sont destinйs а avoir un bien de ce genre. C'est pourquoi comme seule la nature intellectuelle est destinйe а avoir le bien de la bйatitude йternelle, seule elle peut кtre aimйe par charitй, selon qu’on dit que sont aimйs ceux а quoi nous voulons du bien.

Et propter hoc, secundum quod diversimode aliqua possunt habere beatitudinem aeternam, secundum hoc distinguuntur ab Augustino [lib. 1 de Doct. Christ., c. XXIII quatuor diligenda ex caritate.

Est enim aliquid habens beatitudinem aeternam per suam essentiam, et hoc est Deus; et aliquid habens per participationem, et hoc est creatura rationalis; tam illa quae diligit, quam aliae creaturae, quae ei associari possunt in participatione beatitudinis. Aliquid autem est ad quod pertinet habere beatitudinem aeternam per solam redundantiam quamdam, sicut corpus nostrum, quod glorificatur per redundantiam gloriae ab anima in ipsum.

Et а cause de cela selon que diverses maniиres certaines peuvent avoir la bйatitude йternelle, sous ce rapport Augustin (La doctrine chrйtienne, I, 23) en distingue quatre qui doivent кtre aimйs par charitй.

Car il y a quelque chose qui a la bйatitude eternelle par son essence et qui est Dieu ; et quelque chose qui l’a par participation c’est la crйature raisonnable ; tant cell qui aime que les autres crйatures, qui peuvent lui кtre associйes dans la participation de la bйatitude. Mais il y a quelque chose а quoi il convient d’avoir la bйatitude йternelle par un seul excиs, de mкme que notre corps, qui est glorifiй par l’excиs de la gloire de l’вme en lui-mкme.

Unde diligendus est ex caritate Deus ut radix beatitudinis; quilibet autem homo debet seipsum ex caritate diligere, ut participet beatitudinem; proximum autem ut socium in participatione beatitudinis; corpus autem proprium secundum quod ad ipsum redundat beatitudo.

 

Secundo vero modo, prout scilicet dicuntur diligi illa bona quae volumus aliis, diligi possunt ex caritate omnia bona, in quantum sunt quaedam bona eorum qui possunt habere beatitudinem.

C'est pourquoi il faut aimer Dieu par charitй comme la racine de la bйatitude ; mais n’importe quel homme doit aimer lui-mкme par charitй, pour participer а la bйatitude, mais le prochain comme associй а la participation de la bйatitude, mais le propre corps selon que la bйatitude dйborde en lui.

b. Deuxiиme maniиre, dans la mesure oщ on dit que ces biens que nous voulons pour les autres sont aimйs, tous ces biens peuvent кtre aimйs par charitй dans la mesure oщ ils sont les biens de ceux qui peuvent possйder la bйatitude.

Omnes enim creaturae sunt homini via ad tendendum in beatitudinem; et iterum omnes creaturae ordinantur ad gloriam Dei, in quantum in eis divina bonitas manifestatur. Nunc igitur omnia ex caritate diligere possumus, ordinando tamen ea in illa quae beatitudinem habent, vel habere possunt.

 

Considerandum etiam est, quod sic se habent dilectiones ad invicem, sicut et bona quae sunt earum obiecta. Unde, cum omnia bona humana ordinentur in beatitudinem aeternam sicut in ultimum finem, dilectio caritatis sub se comprehendit omnes dilectiones humanas, nisi tantum illas quae fundantur super peccatum, quod non est ordinabile in beatitudinem. Unde quod aliqui consanguinei diligant se invicem, vel aliqui concives, vel simul peregrinantes, vel quicumque tales, potest esse meritorium et ex caritate; sed quod aliqui ament se invicem propter communicationem in rapina vel adulterio, hoc non potest esse meritorium neque ex caritate.

Car toutes les crйatures sont chemin pour l’homme pour tendre а la bйatitude et en plus toutes les crйatures sont ordonnйes а la gloire de Dieu dans la mesure oщ la bontй divine se manifeste en eux. Donc maintenant nous pouvons tout aimer par charitй, en ordonnant cependant en elle ce qui a la bйatitude ou qui peut l’avoir.

Mais il faut considйrer qu’ainsi se comportent les amours entre eux, comme les biens qui sont leurs objets. C'est pourquoi comme tous les biens humains sont ordonnйs а la bйatitude йternelle, comme а leur fin ultime, l’amour de charitй comprend sous lui tous les amours humains, sauf seulement ceux qui sont fondйs sur le pйchй, qui ne peut pas кtre ordonnй а la bйatitude. C'est pourquoi le fait que certains parents s’aiment entre eux, ou certains concitoyens, ou ceux qui marchent ensemble, ou quiconque de tel, peut кtre mйritoire et par charitй, mais que certains s’aiment entre eux pour s’associerer dans le vol ou l’adultиre, cela ne peut pas кtre mйritoire mкme par charitй non plus.

Solutions :

[66192] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutem et beatitudinem diligimus ex caritate, in quantum hoc volumus his quibus competit habere beatitudinem.

1. Nous aimons la vertu et la bйatitude par charitй, en tant que nous le voulons pour ceux а qui il convient de la possйder.

[66193] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus diligit omnia ex caritate, non ita quod velit eis beatitudinem, sed ordinans ea ad seipsum, et ad alia quae beatitudinem habere possunt.

2. Dieu aime tout par charitй, non de sorte qu’il veuille pour toutes choses la bйatitude, mais en les ordonnant а lui-mкme et а d’autres qui peuvent possйder la bйatitude.

[66194] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnia bona sunt in Deo sicut in primo principio; et sic Origenes intellexit, quod unum est diligere Deum et quaecumque bona.

3. Tous les biens sont en Dieu comme dans le premier principe, et Origиne a pensй ainsi que c’est une seule (et mкme) chose d’aimer Dieu et n’importe quels biens.

[66195] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia diligere possumus meritorie, ordinando ea in illa quae sunt capacia beatitudinis, non autem volendo eis beatitudinem.

4. Nous pouvons aimer toutes choses de maniиre mйritoire, en les ordonnant en ce qui est capable de bйatitude, mais pas en voulant la bйatitude pour eux.

[66196] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in bono universi sicut principium continetur rationalis natura, quae est capax beatitudinis, ad quam omnes aliae creaturae ordinantur; et secundum hoc competit et Deo et nobis bonum universi maxime ex caritate diligere.

5. Dans le bien universel la nature raisonnable est contenue comme principe, elle qui est capable de bйatitude, а laquelle toutes les autres crйatures sont ordonnйes, et selon cela il convient а Dieu et а nous d’aimer surtout par charitй le bien de l’univers.

[66197] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut caritas credit omnia credibilia, ita diligit omnia secundum quod sunt ex caritate diligibilia.

6. De mкme que la charitй croit tous de qui est crйdible, de mкme elle aime toutes choses selon qu’elles sont dignes d’кtre aimйes par charitй.

[66198] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deum non possumus hic illa perfectione diligere qua diligemus eum in patria, per essentiam videntes.

7. Nous ne pouvons aimer Dieu avec cette perfection par laquelle nous l’aimerons dans la patrie, en le voyant par son essence.

[66199] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod distantia creaturarum aliquarum non est causa cur non diligantur ex caritate, sed quia non sunt capaces beatitudinis.

8. L’йloignement de certaines crйatures n’est pas la cause pour laquelle elles ne sont pas aimйes par charitй, mais parce qu’elles ne sont pas capables de bйatitude.

[66200] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Angeli non communicant nobiscum in vita naturae quantum ad speciem, sed solum quantum ad genus rationalis naturae; sed possumus cum eis communicare in vita gloriae. Quod autem dicitur : Dedit unicuique secundum propriam virtutem, non est referendum tantum ad virtutem naturae : erroneum est enim dicere, quod dona gratiae et gloriae dentur secundum mensuram naturalium; sed intelligenda est virtus quae est etiam per gratiam, per quam datur hominibus ut possint mereri aequalem gloriam Angelis.

9. Les anges n’ont pas de rapport avec nous dans la vie de la nature, pour ce qui concerne l’espиce, mais seulement pour ce qui concerne le genre de nature douйe de raison ; mais nous pouvons avoir des rapports avec eux dans la vie de gloire. Ce qui est dit (Mt 25, 15) : « Il a donnй а chacun selon sa propre capacitй », ne doit pas кtre rapportй seulement au pouvoir de la nature, car il est faux de dire que les dons de la grвce et de la gloire sont donnйs selon la mesure de ce qui est naturel, mais il faut penser la vertu qui est aussi par grвce, par laquelle il est donnй aux hommes de pouvoir mйriter une gloire йgale а celle des anges.

[66201] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod lex scripta data est in auxilium legis naturae quae erat obtenebrata per peccatum. Non autem erat sic obtenebrata quin moveret ad diligendum, ad hoc quod homo diligeret seipsum et corpus suum; sed erat obtenebrata quantum ad hoc quod non movebat in dilectionem Dei et proximi. Et ideo in lege scripta danda fuerunt praecepta de dilectione Dei et proximi, in quibus tamen comprehenditur etiam quod aliquis diligat seipsum : quia cum inducimur ad diligendum Deum, inducimur ad desiderandum Deum, per quod maxime nos ipsos amamus, volentes nobis summum bonum. In praecepto autem de dilectione proximi dicitur : Diliges proximum tuum sicut teipsum; in quo includitur dilectio sui ipsius.

10. La loi йcrite a йtй donnйe en aide а la loi de nature qui йtait obscurcie par le pйchй. Mais elle n’йtait pas obscurcie au point de pousser а aimer, а ce que l’homme s’aime lui-mкme et aime son corps ; mais elle est obscurcie quant au fait qu’elle ne poussait pas а l’amour de Dieu et du prochain. Et c'est pourquoi dans la loi йcrite il a fallu donner des prйceptes d’amour de Dieu et du prochain, en qui cependant il est inclus aussi que chacun s’aime lui-mкme ; parce que, comme nous sommes amenйs а aimer Dieu, nous sommes amenйs а le dйsirer, du fait que nous nous aimons le plus nous-mкmes, en voulant pour nous le bien suprкme. Mais dans le prйcepte sur l’amour du prochain il est dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme » ; en quoi est inclus l’amour de soi.

[66202] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet amicitia non possit haberi ad seipsum, proprie loquendo; tamen amor ad seipsum habetur : ut enim dicitur in IX Ethic., amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum. Secundum vero quod caritas significat amorem, sic aliquis seipsum ex caritate diligere potest. Sed Gregorius loquitur de caritate secundum quod includit rationem amicitiae.

11. Bien que l’amitiй ne puisse pas кtre possйdйe pour elle-mкme, а proprement parler, cependant l’amour est possйdй pour lui-mкme ; en effet, comme il est dit en Йthique, IX, 4, 1166 a ) ; ce qui est amical pour un autre, vient de ce qui est amical pour soi. Mais selon que la charitй signifie l’amour, quelqu’un peut s’aimer lui-mкme par charitй. Mais Grйgoire parle de charitй selon qu’elle inclut la nature de l’amitiй.

[66203] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet amicitia sit in communicatione ad alterum, sicut et iustitia, tamen amor non de necessitate est ad alterum, qui sufficit ad rationem caritatis.

12. Bien que l’amitiй soit en rapport avec un autre, comme la justice aussi, cependant l’amour n’est pas nйcessairement pour un autre, pour suffire а la nature de la charitй.

[66204] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod amantes seipsos vituperantur, in quantum plus debito seipsos diligunt : quod quidem non contingit quantum ad bona spiritualia, quia nullus potest nimis amare virtutes; sed quantum ad bona exteriora et corporalia potest aliquis nimis amare seipsum.

13. Ceux qui s’aiment eux-mкmes sont blвmйs en tant qu'ils s'aiment plus que ce qui est dы ; ce qui n’arrive pas pour les biens spirituels, parce que personne ne peut trop aimer les vertus, mais pour ce qui concerne les biens extйrieurs et les biens corporels quelqu’un peut s’aimer trop lui-mкme.

[66205] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quicumque amat seipsum secundum exteriorem naturam, culpatur, sed qui exteriora bona quaerit ultra modum virtutis; et sic ex caritate corpus nostrum diligere possumus.

14. Ce n’est pas n’importe qui qui s’aime lui-mкme selon sa nature extйrieure qui est blвmй, mais celui qui cherche les biens extйrieurs, au-delа de la mesure de sa capacitй, et ainsi nous pouvons aimer notre corps par charitй.

[66206] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non refugit corpus, sed corporis corruptionem, in quantum corpus, quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapientiae IX, 15; et propter hoc apostolus significanter dixit, De corpore mortis huius.

15. La charitй ne s’йcarte pas du corps mais de sa corruption, en tant que le corps qui est corrompu, alourdit l’вme », comme il est dit en Sg. 9, 15 ; et а cause de cela l’apфtre dit de maniиre significative, « Ce corps de mort ».

[66207] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ex hoc quod homo nescit pro certo se habere caritatem, non sequitur quod non possit ex caritate diligere, sed quod non possit iudicare an ex caritate diligat. Unde a nobis requiri potest quod ex caritate diligamus, non autem quod iudicemus nos ex caritate diligere. Unde apostolus dicit, I ad Cor. cap. IV, 3 : Neque meipsum iudico; sed qui iudicat me, dominus est.

16. Du fait que l’homme ignore en certitude qu’il possиde la charitй, il n’en dйcoule pas qu’il ne puisse pas aimer par charitй, mais qu’il ne peut pas juger s’il aime par charitй. C'est pourquoi il peut кtre requis de nous d’aimer par charitй, mais non de juger que nous aimons par charitй. C'est pourquoi l’apфtre dit (1 Co 4, 3) : « Et je ne me juge pas moi-mкme, mais celui qui me juge, c’est le Seigneur ».

[66208] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod cum dicitur aliquis diligere proximum ex caritate, haec praepositio ex potest designare habitudinem causae finalis, efficientis et formalis. Finalis quidem, in quantum dilectio proximi ordinatur ad dilectionem Dei sicut ad finem; unde dicitur I ad Timoth. I, 5 : Finis praecepti est caritas, quia scilicet dilectio Dei est finis observationis praeceptorum. In habitudine autem causae efficientis, in quantum caritas est habitus inclinans ad diligendum, sic se habens ad actum dilectionis, sicut calor ad calefactionem. In habitudine autem causae formalis, in quantum actus recipit speciem ab habitu, sicut et calefactio a calore.

17. Quand on dit que quelqu'un aime son prochain par charitй, cette prйposition par (ex) peut dйsigner une relation de la cause finale, efficiente et formelle. La cause finale, en tant que l’amour du prochain est ordonnй а l’amour de Dieu comme а une fin ; c'est pourquoi il est dit (1 Tm 1, 5) : « La fin du prйcepte est la charitй », parce que l’amour de Dieu est le but de l’observation des prйceptes. Mais dans une relation de la cause efficiente, en tant que la charitй est un habitus qui incline а aimer, il se comporte ainsi pour un acte d’amour, comme la chaleur pour le rйchauffement. Dans la relation de la cause formelle, en tant que l’acte reзoit la forme de l’habitus, comme le rйchauffement de la chaleur.

[66209] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio proximi salvatur et in eo qui dat beneficia, et in eo qui recipit, non tamen quod quicumque dat beneficia, sit proximus; sed requiritur quod inter proximos sint communicantia in aliquo ordine; unde Deus licet det beneficia, non tamen potest dici nobis proximus; sed Christus, in quantum est homo, dicitur nobis proximus, prout nobis dat beneficia.

18. La nature de prochain est conservйe en celui qui donne les bienfaits et en celui qui les reзoit, non cependant que chacun de ceux qui donne des bienfaits soit le prochain ; mais il est requis que parmi les proches il y ait ce qui communique en un certain ordre ; c'est pourquoi, bien que Dieu donne des bienfaits, on ne peut pas dire qu’il est notre prochain, mais on dit que le Christ, en tant qu’homme, est notre prochain, dans la mesure oщ il nous donne des bienfaits.

[66210] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 19 Unde patet responsio ad ultimum.

19. C'est pourquoi on voit la rйponse а la derniиre objection.

 

 

Articulus 8 : [66211] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii

Article 8Aimer ses ennemis concerne-t-il la perfection du conseil ?

[66212] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 2 Et videtur quod non.

Et il semble que non.

Objections :[52]

 [66213] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 1 Quod enim cadit sub praecepto, non est de perfectione consilii. Sed diligere inimicum cadit sub praecepto illo, videlicet : Diliges proximum tuum sicut teipsum : nam nomine proximi intelligitur omnis homo, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana, cap. XXX. Ergo diligere inimicum non est de perfectione consilii.

1. En effet ce qui tombe sous le prйcepte ne concerne pas la perfection du conseil. Mais aimer son ennemi tombe sous ce prйcepte « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme ». Car sous le nom de prochain, on comprend tout homme, comme dit Augustin dans La Doctrine chrйtienne, 30. Donc aimer son ennemi n'est pas de la perfection du conseil.

[66214] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 2 Sed dicendum, quod est de perfectione consilii dilectio inimicorum quantum ad exhibitionem familiaritatis, et aliorum effectuum caritatis.- Sed contra, omnem proximum tenemur ex caritate diligere. Sed dilectio caritatis non est tantum in corde, sed etiam in opere : dicitur enim I Ioan. III, 18 : Non diligamus verbo, neque lingua, sed opere et veritate. Ergo etiam quantum ad effectus caritatis dilectio inimicorum cadit sub praecepto.

2. Mais il faut dire que l'amour des ennemis concerne la perfection du conseil pour reprйsenter l’amitiй et les autres effets de la charitй. Mais en sens contraire nous sommes tenus d'aimer tout le prochain par charitй. Mais l'amour de charitй n'est pas seulement dans le cњur mais aussi en acte, car il est dit en 1 Jn 3, 18 : « N'aimons pas en parole ni en langue, mais en acte et en vйritй». Donc c'est aussi quant aux effets de la charitй que l'amour des ennemis tombe sous le prйcepte.

[66215] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 3 Praeterea, Matth. V, 44, similiter dicitur : Diligite inimicos vestros, et benefacite his qui oderunt vos. Si igitur diligere inimicos cadit sub praecepto, et benefacere eis cadit sub praecepto; quod pertinet ad effectus caritatis.

3. En outre, en Mt 5, 44, il est dit pareillement : "Aimez vos ennemis, et faites du bien а ceux qui vous haпssent". Si donc aimer les ennemis tombe sous le prйcepte, leur faire du bien aussi tombe sous le prйcepte ; ce qui va avec les effets de la charitй.

[66216] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 4 Praeterea, ea quae pertinent ad perfectionem consiliorum, non fuerunt in veteri lege tradita : quia, ut dicitur Hebr. VII, 19, Nihil perfectum adduxit lex. Sed in veteri lege fuit traditum quod ad inimicos non solum affectus dilectionis haberetur, sed etiam effectus dilectionis eis impenderetur; dicitur enim Exod. XXIII, 4 : Si occurreris bovi inimici tui aut asino erranti, reduc ad eum;- Levit. XIX, 17 : Ne oderis fratrem tuum in corde tuo; sed publice argue eum, ne habeas super illo peccatum;- et Iob XXXI, vv. 29-30 : Si gavisus sum ad ruinam eius qui me oderat, et exultavi, quod invenisset eum malum : non enim dedi ad peccandum guttur meum;- et Prov. XXV, 21 : Si esurierit inimicus tuus, ciba illum; si sitiverit, da ei aquam bibere. Ergo diligere inimicum etiam quantum ad exibitionem effectuum caritatis, non est de perfectione consilii.

4. En outre, ce qui convient а la perfection des conseils ne fut pas transmis dans l'Ancienne Loi, car, comme il est dit Hb 7, 19, « La loi n'a rien amenй а la perfection ». Mais dans l'Ancienne Loi, il est rapportй qu’il y avait un sentiment d’amour pour les ennemis, mais aussi qu’il йtait mis en pratique, car il est dit en Ex 23, 4 : « Si tu rencontres le bњuf de ton ennemi ou son вne errant, ramиne-le lui » ; en Lv 19, 17 : « Ne hais pas ton frиre dans ton cњur, mais publiquement convainc-le d'erreur, afin de ne pas avoir de pйchй а son sujet » ; en Jb 41, 29-30 : « Me suis-je rйjoui de la ruine de celui qui me haпssait, ai-je exultй parce que le malheur l'avait atteint : je n'ai pas permis en effet а mon gosier de pйcher » ; et en Pv 25, 21 : « Si ton ennemi a faim, nourris-le. S'il a soif, donne-lui de l'eau а boire ». Donc aimer l'ennemi aussi en montrant les effets de la charitй, ce n'est pas de la perfection du conseil.

[66217] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 5 Praeterea, consilium non contrariatur legis praecepto; unde dominus, perfectionem novae legis traditurus, praemisit Matth. V, v. 17 : Non veni solvere legem, sed adimplere. Diligere autem inimicos videtur contrariari praecepto legis : quia dicitur Matth. cap. V, 43 : Diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. Ergo dilectio inimicorum non cadit sub perfectione consilii.

5. En outre, le conseil ne contredit pas le prйcepte de la Loi ; c'est pourquoi le Seigneur, s'apprкtant а transmettre la perfection de la Loi nouvelle, commenзa par annoncer (Mt 5, 17) : "Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir". Or aimer les ennemis paraоt s’opposer au prйcepte de la Loi, car il est dit en Mt 5, 43 : "Tu aimeras ton ami et tu haпras ton ennemi[53] ». Donc l'amour des ennemis ne tombe pas sous la perfection du conseil.

[66218] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 6 Praeterea, dilectio habet proprium obiectum in quod inclinat, quia, sicut dicit Augustinus, De Doctrina christ., [cap. XXX] : Pondus meum est amor meus. Sed proprium obiectum dilectionis non videtur esse inimicus, sed magis dilectioni repugnans. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat inimicum.

6. En outre, l'amour a un objet propre vers lequel il incline, car comme le dit Augustin, (La Doctrine chrйtienne, I, 30[54]) : "Ma lourde charge c'est l’amour". Mais l'ennemi ne semble pas кtre l’objet propre de l'amour, mais plutфt il s’y oppose. Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un ennemi.

[66219] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 7 Praeterea, perfectio virtutis non contrariatur inclinationi naturae; sed magis per virtutem inclinatio naturae perficitur. Natura autem movet ad hoc quod inimicus odio habeatur : quaelibet enim res naturalis repudiat suum contrarium. Ergo non est de perfectione caritatis quod inimicus diligatur.

7. En outre, la perfection de la vertu n’est pas opposйe а l'inclination naturelle, mais plutфt l'inclination naturelle est accomplie grвce а la vertu. Or la nature incite а haпr son ennemi, car tout ce qui est naturel repousse son contraire. Donc ce n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un ennemi.

 [66220] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 8 Praeterea, perfectio caritatis et cuiuslibet virtutis consistit in assimilatione ad Deum. Sed Deus amicos diligit, et inimicos odit, secundum illud Malach. I, 2 : Iacob dilexi, Esau odio habui. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat inimicos, sed magis quod eos odio habeat.

8. En outre, la perfection de la charitй - et de n'importe quelle vertu - consiste а devenir semblable а Dieu. Mais Dieu aime ses amis et hait ses ennemis, selon cette [parole] de Malachie 1, 2 : « J'ai aimй Jacob, j'ai haп Esaь ». Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer ses ennemis, mais plutфt de les haпr.

[66221] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 9 Praeterea, dilectio caritatis directe respicit bonum vitae aeternae. Sed aliquibus inimicis nostris non debemus velle bonum vitae aeternae; quia vel sunt damnati in inferno, vel adhuc viventes sunt reprobati a Deo. Ergo diligere inimicos non pertinet ad perfectionem caritatis.

9. En outre, l'amour de charitй regarde directement le bien de la vie йternelle. Mais nous ne devons pas le vouloir pour nos ennemis, car soit ils ont йtй damnйs en enfer, soit encore vivants ils sont rйprouvйs par Dieu. Donc aimer ses ennemis ne convient pas а la perfection de la charitй.

[66222] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 10 Praeterea, eum quem tenemur ex caritate diligere, non possumus licite occidere, nec velle eius mortem, aut quodcumque malum : quia de ratione amicitiae est quod amicos velimus esse et vivere. Sed nos licite possumus aliquos occidere; quia, secundum apostolum, Rom. XIII, 4 : Potestas saecularis Dei minister est, vindex in iram ei qui male agit. Non ergo tenemur inimicos diligere.

10. En outre, celui que nous sommes tenus d'aimer par charitй, nous ne pouvons lйgalement le tuer, ni vouloir sa mort ou un mal quelconque, car il est de la nature de l'amitiй de vouloir que nos amis existent et vivent. Mais nous pouvons lйgalement en tuer certains, car selon l'apфtre, Rm 13, 4, "L’autoritй du siиcle[55] est l’instrument de Dieu, celui qui punit dans la colиre celui qui agit mal". Donc nous ne sommes pas tenus d'aimer nos ennemis.

[66223] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 11 Praeterea, philosophus in Lib. Topicorum [ lib. II, cap. III] docet sic argumentari in contrariis. Si diligere amicos est bonum et eis benefacere; diligere inimicos et eis benefacere malum est. Sed nullum malum perfectionem habet caritatis, nec cadit sub consilio. Ergo diligere inimicum non pertinet ad perfectionem consilii.

11. En outre, le Philosophe (Les Topiques II, 3, cf. 110 a 33) enseigne а argumenter ainsi dans les contradictions : Si aimer ses amis et leur rendre service est un bien, aimer ses ennemis et leur rendre service est un mal. Mais aucun mal n'a la perfection de la charitй ni ne tombe sous le conseil. Donc aimer un ennemi ne convient pas а la perfection du conseil.

[66224] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 12 Praeterea, amicus et inimicus sunt contraria. Ergo et diligere amicum et diligere inimicum sunt contraria. Contraria autem non possunt esse simul. Cum igitur teneamur ex caritate diligere amicos, non potest cadere sub consilio quod inimicos diligamus.

12. En outre, l'ami et l'ennemi sont des contraires. Donc aimer un ami et aimer un ennemi sont des contraires. Or les contraires ne peuvent exister en mкme temps. Donc puisque nous sommes tenus d'aimer nos amis par charitй, il ne peut tomber sous le conseil que nous aimions nos ennemis.

[66225] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 13 Praeterea, consilium non potest esse sub impossibili. Sed diligere inimicum videtur impossibile, cum sit contra inclinationem naturae. Ergo diligere inimicum non cadit sub consilio.

13. En outre, le conseil ne peut concerner l'impossible. Or aimer un ennemi paraоt impossible, puisque c'est contre l'inclination naturelle. Donc aimer l'ennemi ne tombe pas sous le conseil.

[66226] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 14 Praeterea, implere consilia perfectorum est. Perfecti autem maxime fuerunt apostoli, qui tamen non dilexerunt inimicos quantum ad affectum et effectum : legitur enim de beato Thoma apostolo, quod imprecatus fuit illi qui manu alapam ei dederat, ut manus eius in convivio a canibus deportaretur. Ergo diligere inimicos quantum ad affectum et effectum non cadit sub perfectione consilii.

14. En outre, accomplir les conseils appartient aux parfaits. Or les parfaits furent surtout les apфtres, qui pourtant n'ont pas aimй leurs ennemis affectivement ni effectivement. En effet on lit du bienheureux Thomas apфtre, qu'il souhaita а celui qui lui avait donnй une gifle de sa main, que dans un banquet scelle-ci soit emportйe par les chiens. Donc aimer ses ennemis affectivement et effectivement ne tombe pas sous la perfection du conseil.

[66227] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 15 Praeterea, imprecari mala, praecipue damnationis aeternae opponitur dilectioni et quantum ad affectum, et quantum ad effectum. Sed prophetae imprecati sunt mala suis adversariis : dicitur enim in Psalm. LXVIII, 29 : Deleantur de libro vitae, cum iustis non scribantur; et iterum Psalm. LIV, 16 : Veniat mors super illos, et descendant in infernum viventes. Ergo diligere inimicos non est de perfectione caritatis.

15. En outre, souhaiter du mal, principalement celui de la damnation йternelle, s'oppose а l'amour affectivement et effectivement. Mais les prophиtes ont souhaitй des maux а leurs adversaires ; en effet il est dit dans le Ps 68, 29 : "Qu'ils soient effacйs du livre de vie, qu'ils ne soient pas inscrits avec les justes", et encore dans le Ps 54, 16 : "Que la mort vienne sur eux, et qu'ils descendent vivants en enfer". Donc aimer les ennemis n'est pas de la perfection de la charitй.

[66228] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 16 Praeterea, de ratione amicitiae verae est ut aliquis propter seipsum diligatur : caritas autem includit amicitiam sicut perfectum minus perfectum. Diligere autem inimicum propter seipsum, contrariatur caritati; quia solus Deus propter seipsum diligitur. Non ergo cadit sub consilii perfectione ut inimicus diligatur.

16. En outre, il est dans la nature de la vraie amitiй d’кtre aimй pour soi-mкme. Mais la charitй inclut l'amitiй, comme le parfait inclut le moins parfait. Or aimer un ennemi pour lui-mкme est contraire а la charitй, car seul Dieu est aimй pour lui-mкme. Donc il ne tombe pas sous la perfection du conseil d’aimer un ennemi.

 

[66229] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 17 Praeterea, id quod cadit sub perfectione consilii, melius est et magis meritorium quam id quod sub necessitate praecepti. Sed diligere inimicum non est melius neque melioris meriti quam diligere amicum, quod manifeste cadit sub necessitate praecepti : quia si bonum est diligere aliquod bonum, melius est et magis meritorium diligere quod melius est. Melior autem est amicus inimico. Non ergo diligere inimicum est de perfectione consilii.

17. En outre, ce qui tombe sous la perfection du conseil est meilleur et plus mйritoire que ce qui [tombe] sous la nйcessitй du prйcepte. Mais aimer un ennemi n'est pas meilleur ni de de plus gran mйrite que d'aimer un ami, ce qui manifestement tombe sous la nйcessitй du prйcepte ; parce que, s'il est bon d'aimer un bien, il est meilleur et plus mйritoire d'aimer ce qui est meilleur. Or l'ami est meilleur que l'ennemi. Donc aimer l'ennemi n'est pas de la perfection du conseil.

[66230] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 18 Sed dicebatur, quod diligere inimicum maioris meriti est, quia est difficilius.- Sed contra, diligere inimicum est difficilius quam diligere Deum. Ergo eadem ratione, maioris meriti esset diligere inimicum quam Deum.

18. Mais on pourrait dire qu'aimer un ennemi est plus mйritoire, parce que c'est plus difficile. Mais en sens contraire : aimer un ennemi est plus difficile qu'aimer Dieu. Donc pour cette mкme raison il serait plus mйritoire d'aimer un ennemi que [d'aimer] Dieu.

[66231] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 19 Praeterea, signum generati habitus est delectatio operis, ut dicit philosophum in II Ethic. [cap. III]. Sed diligere amicum est delectabilius quam diligere inimicum. Ergo etiam magis virtuosum, et, per consequens, magis meritorium; et sic diligere inimicum non cadit sub perfectione consilii.

19. En outre, le signe de l'habitus engendrй est la dйlectation de l'њuvre, comme dit le Philosophe en Ethique II, 3. Mais aimer un ami est plus agrйable qu'aimer un ennemi. C’est donc aussi plus vertueux, et par consйquent plus mйritoire ; et ainsi aimer l'ennemi ne tombe pas sous la perfection du conseil.

En sens contraire :

[66232] De virtutibus, q. 2 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit in Enchir. [LXXXIII] : Perfectorum filiorum Dei est diligere inimicos : in quo quidem se quilibet debet fidelem ostendere.

Il y a ce qu'Augustin dit dans l’Enchiridion, 83 : « Il appartient aux fils parfaits de Dieu d'aimer leurs ennemis, en quoi n'importe qui doit se montrer fidиle ».

 

Rйponse :

[66233] De virtutibus, q. 2 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod diligere inimicos aliquo modo cadit sub necessitate praecepti, et aliquo modo sub consilii perfectione. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut supra, art. 4 huius quaest., dictum est, proprium et per se obiectum caritatis est Deus; et quidquid ex caritate diligitur, ea ratione diligitur qua ad Deum pertinet, sicut si diligimus aliquem hominem, diligimus per consequens omnes ei attinentes, etiam si sint nobis inimici. Constat autem quod omnes homines ad Deum pertinent, in quantum sunt ab ipso creati, et capaces beatitudinis, quae in fruitione ipsius consistit. Manifestum est ergo, quod ista ratio dilectionis quam respicit caritas in omnibus hominibus invenitur

Sic ergo, in eo qui contra nos inimicitiam exercet, est duo invenire : unum quod est ratio dilectionis, scilicet quod ad Deum pertinet; et aliud quod est ratio odii, scilicet quod nobis adversatur. In quocumque autem invenitur ratio dilectionis et ratio odii si praetermissa dilectione in odium convertamur, manifestum est quod id quod est ratio odii praeponderat in corde nostro ei quod est ratio dilectionis. ritas, in omnibus hominibus invenitur.

Il faut dire qu'aimer ses ennemis tombe en quelque faзon sous la nйcessitй du prйcepte, et en quelque faзon sous la perfection du conseil. Pour en montrer l'йvidence, il faut savoir que comme il est dit ci-dessus (article 4 de cette question) l'objet propre et par soi de la charitй, c'est Dieu ; et tout ce qui est aimй par charitй est aimй pour cette raison que cela concerne Dieu, de mкme que si nous aimons un homme, nous aimons par consйquent tous ceux qui lui sont proches, mкme si pour nous ce sont des ennemis. Or il est certain que tous les hommes concernent Dieu, en tant que crййs par Lui et en tant qu’aptes а la bйatitude, qui consiste dans sa fruition. Donc il est йvident que ce motif d'aimer, que la charitй considиre, se trouve dans tous les hommes.

 

Ainsi donc, en celui qui marque de l'inimitiй contre nous, il y a deux raisons а trouver : une qui est une raison d'aimer, selon qu’il dйpend de Dieu, et l’autre qui est une raison de haine, c'est-а-dire ce qu’il s'oppose а nous. En quiconque se trouvent une raison d'amour et une raison de haine ; si, nйgligeant l'amour, nous nous tournons vers la haine, il est йvident que ce qui est la raison de la haine l'emporte dans notre cњur sur ce qui est la raison de l’amour.

Sic ergo, si aliquis inimicum suum odio habeat, inimicitia illius praeponderat in corde suo amori divino. Magis ergo odit amicitiam illius quam diligat Deum. Tantum autem odimus aliquid, quantum diligimus bonum quod nobis per inimicum subtrahitur. Relinquitur ergo quod quicumque inimicum odit, aliquod bonum creatum diligit plus quam Deum; quod est contra praeceptum caritatis.

Ainsi donc, si quelqu'un hait son ennemi, son inimitiй l'emporte dans son cњur sur l'amour divin. Donc il hait plus son amitiй qu'il n'aime Dieu. Nous haпssons quelque chose en tant que nous aimons le bien qui nous est soustrait par un ennemi. Donc il reste que quiconque hait son ennemi aime un bien crйй plus que Dieu, ce qui est contre le prйcepte de charitй.

Habere igitur odio inimicum est contrarium caritati; unde necesse est quod si ex praecepto caritatis tenemur quod dilectio Dei praeponderet in nobis dilectioni cuiuslibet alterius rei, et per consequens odio contrarii. Sequitur ergo quod ex necessitate praecepti teneamur diligere inimicos.

Donc haпr un ennemi est contraire а la charitй ; c'est pourquoi il est nйcessaire que si nous sommes tenus, par le prйcepte de charitй, а ce que l'amour de Dieu l'emporte en nous sur l'amour de n'importe quelle autre chose, par consйquent aussi sur la haine de ce qui nous est contraire. Donc il s'ensuit que nous sommes tenus, а cause de la nйcessitй du prйcepte, d'aimer nos ennemis.

Sed tunc considerandum, quod cum ex praecepto caritatis teneamur proximos diligere, non se extendit ad hoc praeceptum quod quemlibet proximum actu diligamus in speciali, aut unicuique specialiter bene faciamus : quia nullus sufficeret ad cogitandum de omnibus hominibus, ut specialiter unumquemque actu diligeret; nec etiam aliquis sufficeret ad benefaciendum vel serviendum singulariter unicuique.

Mais alors il faut considйrer que puisque nous sommes tenus par le prйcepte de charitй d'aimer le prochain, le prйcepte ne s'йtend pas jusqu’а aimer n'importe quel homme proche en acte et en particulier, ou faire du bien а chacun en particulier, car personne ne suffirait pour penser а tous les hommes, de faзon а aimer chacun en particulier et en acte, et personne non plus ne suffirait pour faire du bien ou rendre service а chacun en particulier.

Tenemur tamen etiam in speciali aliquos diligere, et eis prodesse, qui nobis aliqua alia amicitiae ratione coniuncti sunt : nam omnes aliae licitae dilectiones sub caritate comprehenduntur, ut supra dictum est; unde dicit Augustinus [lib. I de Doctr. christ., cap. XXVIII] : Cum omnibus prodesse non possis; his potissimum consulendum est, qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur; pro sorte enim habendum est prout quisque tibi temporaliter colligatius adhaeret, ex quo eligis potius illi dandum esse.

Cependant nous sommes tenus aussi d'aimer certains en particulier, et d'кtre utiles а ceux qui nous sont unis par quelque autre raison d'amitiй ; car toutes les autres amours licites sont comprises dans la charitй, comme il a йtй dit plus haut, ainsi Augustin (La Doctrine chrйtienne, I, 28), dit : " Comme tu ne peux кtre utile а tous, il te faut dйcider [de l'кtre] plutфt а ceux qui, en raison du lieu, du temps ou de n'importe quelles circonstances, te sont unis par un certain hasard; en effet il faut considйrer que c'est par hasard dans la mesure oщ chacun s’attache а toi plus йtroitement selon le temps, а partir de quoi tu choisis que c'est plutфt а lui qu'il faut donner".

Ex quo patet quod non tenemur ex caritatis praecepto ut dilectionis affectu vel operis effectu moveamur in speciali ad eum qui nulla alia constrictione nobis coniungitur, nisi forte pro loco et tempore; utpote si videremus eum in aliqua necessitate per quam sine nobis ei succurri non posset. Tenemur tamen affectu et effectu caritatis, quo omnes proximos diligimus, et pro omnibus oramus, non excludere etiam illos qui nulla nobis speciali constrictione coniunguntur, ut puta illos qui sunt in India vel in Aethiopia.

D'oщ il est clair que nous ne sommes pas tenus, par le prйcepte de charitй, d'кtre poussйs par l'affection d'amour ou l'effet de l'њuvre, en particulier, vers celui qui ne nous est uni par aucun autre lien sinon par le hasard du lieu et du temps, au cas oщ nous le voyons dans quelque nйcessitй dans laquelle sans nous il ne pourrait pas lui кtre portй secours. Cependant nous sommes tenus, par la charitй affective et effective dont nous aimons tous nos proches et nous prions pour tous, de ne pas mкme exclure ceux qui ne nous sont unis par aucun lien spйcial, par exemple ceux qui sont en Inde ou en Ethiopie.

Cum etiam ad inimicum nulla alia unio nobis remaneat nisi sola unio caritatis; ex necessitate praecepti teneremur diligere eos in communi, et affectu et effectu, et in speciali, quando necessitatis articulus immineret; sed quod homo specialem affectum et effectum dilectionis, quem ad alios sibi coniunctos impendit, inimicis exhibeat propter Deum, hoc perfectae caritatis est, et sub consilio cadit. Ex perfectione enim caritatis procedit quod sola caritas sic moveat ad inimicum, sicut ad amicum movet et caritas et specialis dilectio.

Puisqu’aussi avec un ennemi aucun autre lien ne nous reste sinon le seul lien de la charitй, nous serions tenus, par la nйcessitй du prйcepte, de les aimer en gйnйral, affectivement et effectivement, et en particulier, quand un besoin impйrieux les menacerait ; mais montrer а des ennemis, а cause de Dieu, le mкme sentiment particulier et effet de l'amour qu'aux autres qui sont unis а soi, cela est d'une parfaite charitй, et tombe sous le conseil. En effet il procиde de la perfection de la charitй qu’elle seule pousse ainsi vers l'ennemi, de mкme que la charitй et l'amour particulier pousse vers l'ami.

Manifestum est autem quod ex perfectione activae virtutis procedit quod actio agentis ad remota procedat. Perfectior enim est ignis virtus per quam non solum propinqua sed remota calefiunt. Ita et perfectior est caritas, per quam non solum ad propinquos, sed etiam ad extraneos, et ulterius ad inimicos, non solum generaliter, sed etiam specialiter, et diligendo et benefaciendo movetur.

Or il est йvident qu'il procиde de la perfection de la vertu active que l'action de l'agent s'avance vers ce qui est йloignй. En effet, plus parfait est le pouvoir du feu par lequel est rйchauffй non seulement ce qui est proche, mais aussi ce qui est йloignй. De mкme aussi, plus parfaite est la charitй par laquelle on est poussй non seulement vers les proches mais aussi vers les йtrangers, et encore plus loin vers les ennemis, non seulement en gйnйral mais aussi en particulier, en aimant et en leur rendant service.

Solutions :

[66234] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dilectio inimicorum sub praecepto continetur, sicut dictum est.

1. L'amour des ennemis est contenu sous le prйcepte, comme il a йtй dit.

[66235] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut per affectum, ita et per effectum inimicos diligere debemus, ut dictum est.

2. De mкme qu'affectivement, de mкme aussi effectivement nous devons aimer les ennemis, comme il a йtй dit.

 [66236] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 3 Unde etiam patet responsio ad tertium.

3. Par lа apparaоt la rйponse а l’argument trois.

[66237] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illae auctoritates veteris testamenti loquuntur in casu necessitatis, quando ex praecepto tenemur benefacere inimicis, ut dictum est in corp. art.

4. Ces autoritйs de l'Ancien Testament parlent en cas de nйcessitй, quand nous sommes tenus par le prйcepte de rendre service aux ennemis, comme il a йtй dit dans le corps de l'article.

[66238] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod dicitur, Odio habebis inimicum tuum, in toto veteri testamento non invenitur; sed hoc erat ex traditione Scribarum quibus visum fuit hoc esse addendum, quia dominus praecepit filiis Israel persequi inimicos suos. Vel dicendum est, quod haec vox, Odio habebis inimicum tuum, non est accipienda ut iubentis iusto, sed ut permittentis infirmo, ut Augustinus dicit in Lib. de sermone Domini in monte [lib. I, cap. XLI]. Vel, sicut etiam Augustinus dicit contra Faustum, non debent homines inimicos odire, sed vitium.

5. Ce qui est dit, "Tu haпras ton ennemi", ne se trouve nulle part dans l'Ancien Testament, mais que cela venait d'une Tradition des scribes qui ont jugй bon d'ajouter cela, parce que le Seigneur a prescrit aux fils d'Israлl de persйcuter leurs ennemis. Ou il faut dire que cette parole "Tu haпras ton ennemi" ne doit pas кtre prise comme un ordre donnй au juste mais comme une permission donnйe au faible, comme dit Augustin dans le Sermon du Seigneur sur la montagne, I, 41. Ou bien, comme dit encore Augustin dans le Contre Fauste, "les hommes ne doivent pas haпr les ennemis mais le vice".

[66239] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inimicus, ut inimicus, non est obiectum dilectionis, sed in quantum pertinet ad Deum; unde hoc debemus in inimico odire quod ipse nos odit, et desiderare quod nos diligat.

6. L'ennemi n'est pas objet d'amour en tant qu'ennemi, mais en tant qu'il concerne Dieu ; c'est pourquoi nous devons haпr dans l'ennemi le fait que lui-mкme nous hait, et dйsirer qu'il nous aime.

[66240] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod, ex natura, homo omnem hominem diligit, ut etiam philosophus dicit in VIII Ethic. Sed quod aliquis sit inimicus, est ex aliquo quod naturae superadditur, ex quo non debet tolli naturae inclinatio. Caritas ergo, dum ad dilectionem inimicorum movet, perficit naturalem inclinationem; secus autem est de illis quae habent contrarietatem ex sua natura, sicut ignis et aqua, lupus et ovis.

7. L’homme aime naturellement tout homme, comme le dit le Philosophe aussi (Йthique VIII). Mais que quelqu'un soit un ennemi, vient de quelque chose qui s'ajoute а la nature, qui ne doit pas enlever l'inclination de la nature. Donc la charitй, tant qu'elle incite а l'amour des ennemis, parachиve l'inclination naturelle ; il en est autrement de ce qui a une contradiction par nature, comme le feu et l'eau, le loup et le mouton.

[66241] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Deus non odit in aliquo quod suum est, scilicet bonum naturale vel quodcumque aliud, sed solum illud quod suum non est, scilicet peccatum; et sic etiam nos in hominibus debemus diligere quod Dei est, et odire quod est alienum a Deo; et secundum hoc dicitur in Psalm. CXXXVIII, 22 : Perfecto odio oderam illos.

8. Dieu ne hait pas dans quelqu'un ce qui est а lui, а savoir le bien naturel ou n'importe quoi d’autre, mais seulement ce qui n'est pas а lui, а savoir le pйchй ; et ainsi, nous aussi devons aimer dans les hommes ce qui vient de Dieu, et haпr ce qui est йtranger а Dieu ; et selon cela il est dit dans le Ps 138, 22 : "D'une haine parfaite je les haпssais".

 

[66242] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod praescitos et damnatos non debemus diligere ad habendum vitam aeternam, quia iam sunt totaliter per divinam sententiam ab ea exclusi; possumus tamen eos diligere ut opera Dei, in quibus divina iustitia manifestatur; sic enim eos Deus diligit. Praescitos autem nondum damnatos debemus diligere ad vitam aeternam habendam; quia hoc nobis non constat, et praescientia divina ab eis non excludit possibilitatem perveniendi ad vitam aeternam.

9. Nous ne devons pas aimer les prйdestinйs, ni les damnйs, pour qu’ils aient la vie йternelle, car ils en sont dйjа totalement exclus, par une sentence divine ; nous pouvons cependant les aimer comme des њuvres de Dieu en lesquelles se manifeste la justice divine, car c'est ainsi que Dieu les aime. Nous devons aimer les prйdestinйs non encore damnйs pour qu’ils aient la vie йternelle, car cela ne nous est pas connu, et la prescience divine n'exclut pas d'eux la possibilitй de parvenir а la vie йternelle.

[66243] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licite potest ille ad quem ex officio pertinet, malefactores punire, vel etiam occidere, eos ex caritate diligendo. Dicit enim Gregorius in quadam homilia, quod iusti persecutionem commovent, sed amantes : quia si foris increpationes per disciplinam exaggerant, intus tamen dulcedinem per caritatem servant.

10. Celui qui est concernй par sa profession peut licitement punir les malfaiteurs, ou mкme les tuer, tout en les aimant de charitй. En effet Grйgoire dit dans une homйlie que les justes suscitent les poursuites, mais en aimant ; car si extйrieurement ils accumulent les reproches, intйrieurement cependant ils conservent la douceur par charitй.

Possumus enim illis quod ex caritate diligimus, velle aut inferre aliquod malum temporale, propter tria.

Primo quidem, propter eorum correctionem. Secundo, in quantum aliquorum temporalis prosperitas est in detrimentum alicuius multitudinis, vel etiam totius Ecclesiae; unde dicit Gregorius, XXII Moral. [cap. II] : Evenire plerumque solet, ut, non amissa caritate, inimici nos ruina laetificet; et rursus eius gloria, sine invidiae culpa, contristet; dum, corruente eo, quosdam bene erigi credimus; et, proficiente illo, plerosque iniuste opprimi formidamus.-

 

 

 

Tertio, ad servandum ordinem divinae iustitiae, secundum illud Ps. LVII, 11 : Laetabitur iustus, cum viderit vindictam.

En effet nous pouvons pour eux vouloir et infliger quelque mal temporel parce que nous aimons par charitй

Premiиrement pour leur correction. Deuxiиmement en tant que la prospйritй temporelle de certains est au dйtriment de la multitude, ou encore de toute l'Eglise, c'est pourquoi Grйgoire dit, (Morales sur Job XXII, 2) : « La plupart du temps il arrive par habitude que sans perdre la charitй, la ruine de l'ennemi nous rйjouisse ; et inversement sa gloire, sans faute d'envie, [nous] attriste ; ainsi, quand il йchoue, nous croyons que certains sont heureusement redressйs ; et, quand il progresse, nous redoutons que la plupart soient injustement accablйs ».

Troisiиmement, pour garder l'ordre de la justice divine, selon cette parole (Ps 57, 11) : « Le juste se rйjouira, quand il aura vu la vengeance ».

[66244] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod huiusmodi propositiones, ex quibus argumentatur philosophus, sunt accipiendae per se. Sicut enim diligere amicum, in quantum amicus est, bonum est; ita malum est diligere inimicum, quia inimicus est; sed bonum est diligere inimicum, in quantum ad Deum pertinet.

11. Les propositions de cette sorte, par lesquelles le Philosophe argumente, doivent кtre prises en elles-mкmes. Car de mкme qu'aimer un ami, en tant que tel, est un bien ; de mкme c’est un mal d'aimer un ennemi parce qu'il est ennemi ; mais c’est un bien d'aimer un ennemi en tant qu'il concerne Dieu.

[66245] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod diligere amicum, in quantum amicus, et inimicum, in quantum inimicus, esset contrarium; sed diligere amicum et inimicum, in quantum uterque est Dei, non est contrarium, sicut nec videre album et videre nigrum, in quantum est coloratum.

12. Aimer un ami en tant que tel, et un ennemi que tel, serait contradictoire ; mais aimer un ami et un ennemi, en tant que l'un et l'autre appartiennent а Dieu, n'est pas contradictoire, comme ne pas voir le blanc et voir le noir, en tant qu'il est colorй.

 [66246] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod diligere inimicum, in quantum inimicus est, est difficile, vel etiam impossibile; sed diligere inimicum propter aliquid magis amatum, est facile; et sic id quod in se videtur impossibile, caritas Dei facit facile.

13. Aimer un ennemi, en tant que tel, est difficile ou mкme impossible ; mais aimer un ennemi а cause de quelque chose de plus aimй, c'est facile ; et ainsi ce qui en soi paraоt impossible, l'amour de Dieu le rend facile.

 

[66247] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod beatus Thomas non expetiit poenam sui percussoris zelo vindictae, sed propter manifestationem divinae iustitiae et virtutis.

14. Le Bienheureux Thomas n'a pas rйclamй le chвtiment de son agresseur par zиle de vengeance, mais pour la manifestation de la justice et de la puissance divines.

[66248] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod imprecationes quae inveniuntur in prophetis, sunt intelligendae per praenuntiationes, ut exponatur deleantur, id est delebuntur. Utuntur autem tali modo loquendi, quia conformant voluntatem suam divinae iustitiae eis revelatae.

15. Les imprйcations qui se trouvent dans les prophиtes sont а comprendre comme des prйdictions, pour rйvйler la destruction de ce qui sera dйtruit. Ils utilisent une telle faзon de parler parce qu'ils conforment leur volontй а la justice divine qui leur a йtй rйvйlйe.

[66249] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod diligere aliquem propter se potest intelligi dupliciter. Uno modo, ita quod aliquid diligatur sicut ultimus finis; et sic solus Deus est propter se diligendus.

Alio modo, ut diligamus ipsum cui volumus bonum, ut contingit in amicitia honesta; non autem sicut bonum quod volumus nobis, ut contingit in amicitia delectabili vel utili, in qua amicum diligimus ut bonum nostrum : non quia utilitatem vel delectationem appetamus amico, sed quia ex amico appetimus utilitatem et delectationem nobis; sicut et diligimus alia delectabilia nobis et utilia, ut cibum aut vestimentum. Sed cum diligimus aliquem propter virtutem, volumus ei bonum, non ipsum nobis; et hoc maxime contingit in amicitia caritatis.

16. Aimer quelqu'un pour lui-mкme peut кtre compris de deux faзons.

 

D'une premiиre maniиre : aimer quelque chose comme une fin ultime ; et Dieu seul doit кtre ainsi aimй pour lui-mкme.

D’une autre maniиre : aimer celui а qui nous voulons du bien, comme il arrive dans une amitiй honnкte ; mais pas comme un bien que nous voulons pour nous, comme il arrive dans une amitiй qui cherche le plaisir ou l'intйrкt, et dans laquelle nous aimons l'ami comme notre bien, non parce que nous recherchons le plaisir ou l'intйrкt de l'ami, mais parce que nous recherchons dans l'ami notre intйrкt et notre plaisir ; de mкme que nous aimons aussi les autres choses qui nous sont agrйables et utiles, comme la nourriture ou le vкtement. Mais quand nous aimons quelqu'un а cause de sa vertu, nous lui voulons du bien, nous ne le [voulons] pas lui-mкme pour nous ; et cela arrive surtout dans l'amitiй de charitй.

[66250] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod diligere inimicum melius est quam diligere amicum tantum, quia perfectiorem caritatem demonstrat, ut supra, in corp. art., dictum est. Sed si consideremus istos duos absolute, melius est diligere amicum quam inimicum; et melius diligere Deum quam amicum. Non enim difficultas quae est in dilectione inimici, facit ad rationem meriti, nisi in quantum per hoc demonstratur perfectio caritatis, quae hanc difficultatem vincit; unde si esset tam perfecta caritas quae totam difficultatem tolleret, adhuc esset magis meritorium. Loquimur autem in eo qui diligit amicum ex tam perfecta caritate, quae etiam se extendat ad dilectionem inimici, sed intensius operatur in dilectione amici; nisi forte per accidens, in quantum contra repugnans aliquid cum maiori conatu operatur; sicut et in rebus naturalibus aqua calefacta intensius congelatur.

17. Aimer un ennemi est meilleur qu'aimer seulement un ami, parce que cela rйvиle une charitй plus parfaite, comme il a йtй dit ci-dessus dans le corps de l'article. Mais si nous considйrons ces deux aspects dans l'absolu, il est meilleur d'aimer un ami qu’un ennemi, et il est meilleur d'aimer Dieu qu’un ami. Car ce n’est pas la difficultй qui est dans l’amour de l’ennemi qui fait le mйrite, sauf en tant que cela dйmontre la perfection de charitй qui vainc cette difficultй ; c'est pourquoi s'il y avait une charitй si parfaite pour фter toute la difficultй, elle serait encore plus mйritoire. Nous parlons de celui qui aime un ami d’une charitй si parfaite qu'elle s'йtend mкme jusqu'а l'amour de l'ennemi, mais elle agit plus intensйment dans l'amour de l'ami ; sauf par hasard par accident, en tant qu’elle agit avec un plus grand effort contre ce qui s’oppose а elle ; de mкme aussi dans ce qui est naturel, l'eau chauffйe se congиle plus intensйment.

[66251] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 18 Et per hoc patet responsio ad duo sequentia.

18. Et par cela la rйponse est claire pour les deux arguments qui suivent.

 

 

3me vers. Imprimйe corrigйe D/05/YY prкt а imprimer pour vers. ultйrieure

[66252] De virtutibus, q. 2 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum ordo aliquis sit in caritate

Article 9Y a-t-il un ordre dans la charitй ?

[66253] De virtutibus, q. 2 a. 9 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[56]

[66254] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 1 Quia sicut fides se habet ad credita, ita caritas ad diligenda. Sed fides aequaliter credit omnia credenda. Ergo caritas aequaliter diligit omnia diligenda.

1. Parce que de la mкme maniиre que la foi se comporte vis-а-vis de ce qu’il faut croire, la charitй se comporte vis-а-vis de ce qu’il faut aimer. Mais la foi croit de maniиre йgale tout ce qui doit кtre cru. Donc la charitй aime de maniиre йgale tout ce qui doit кtre aimй.

[66255] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 2 Praeterea, ordo ad rationem pertinet. Caritas autem non est in ratione, sed in voluntate. Ergo ordo non pertinet ad caritatem.

2. L’ordre appartient а la raison. Mais la charitй n’est pas dans la raison, mais dans la volontй. Donc l’ordre n’appartient pas а la charitй.

[66256] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 3 Praeterea, ubicumque est ordo, ibi est aliquis gradus. Sed secundum Bernardum [serm. LXXIX in Cantica], Caritas gradum nescit, dignitatem non considerat. Ergo ordo non est in caritate.

3. Partout oщ il y a de l’ordre, il y a un degrй. Mais selon Bernard (Cant. Sermon 79) : « La charitй ignore le degrй, elle ne considиre pas la dignitй ». Donc il n’y a pas d’ordre dans la charitй.

[66257] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 4 Praeterea, obiectum caritatis est Deus, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctr. Christ. [capit. XXVIII] : in proximo enim nihil diligit caritas nisi Deum. Deus autem non est maior in seipso quam in proximo, nec maior in uno proximo quam in alio. Ergo caritas non magis diligit Deum quam proximum, vel unum proximum quam alium.

4. Dieu est l’objet de la charitй, comme Augustin le dit dans La Doctrine chrйtienne, (1, 28), car la charitй dans le prochain n’aime rien que Dieu. Mais Dieu n’est pas plus grand en lui-mкme que dans le prochain, ni plus grand dans un proche que dans un autre. Donc la charitй n’aime pas plus Dieu que le prochain, ni un proche plus qu’un autre.

[66258] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 5 Praeterea, similitudo est ratio dilectionis, secundum illud Eccl. XIII, 19 : Omne animal diligit simile sibi. Sed maior est similitudo hominis ad proximum suum quam ad Deum. Ergo non est iste ordo in caritate, ut primo diligatur Deus, sicut Ambrosius dicit.

5. La ressemblance est la raison de l’amour, selon cette parole de l’Eccl 13, 19 : « Tout animal aime son semblable ». Mais plus grande est la ressemblance de l’homme avec son prochain qu’avec Dieu. Donc il n’y a pas dans la charitй cet ordre pour aimer en premier Dieu, comme Ambroise le dit.

[66259] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 6 Praeterea, I Ioan. IV, 20, dicitur : Qui non diligit fratrem suum, quem videt; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Arguit autem a dilectione proximi ad dilectionem Dei negando. Argumentum autem negativum non sumitur a minori, sed a maiori. Ergo magis diligendus est proximus quam Deus.

6. En 1 Jn 4, 20, il est dit : « Celui qui n’aime pas son frиre qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » Mais il a raisonnй de l’amour du prochain а celui de Dieu en se servant d’une nйgation. Mais on ne prend pas un argument nйgatif d’un plus petit, mais d’un plus grand. Donc il faut plus aimer le prochain que Dieu.

[66260] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 7 Praeterea, amor est vis unitiva, ut Dionysius dicit [IV cap. de divin. Nomin.]. Sed nihil est magis unum alicui quam ipsemet. Ergo homo ex caritate non debet magis diligere Deum quam seipsum.

7. L’amour est une force d’union, comme Denys (Les Noms divins, 4) le dit. Mais rien n’est plus uni а quelqu’un que lui-mкme. Donc l’homme ne doit pas plus aimer par charitй Dieu que lui-mкme.

[66261] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in I De Doctrina Christ.[cap. XXVIII], quod omnes homines aeque diligendi sunt. Ergo unus proximus non debet magis diligi quam alius.

8. Augustin dit (La doctrine chrйtienne, 1, 28) que tous les hommes doivent кtre aimйs de maniиre йgale. Donc un proche ne doit pas кtre plus aimй qu’un autre.

[66262] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 9 Praeterea, proximum praecipitur alicui diligere sicut seipsum. Ergo omnes proximi sunt aequaliter diligendi.

9. Il est prescrit d’aimer le prochain comme soi-mкme. Donc tous les proches doivent кtre aimйs de maniиre йgale.

[66263] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 10 Praeterea, illum magis diligimus cui maius bonum volumus. Sed omnibus proximis volumus ex caritate unum bonum, quod est vita aeterna. Ergo unum proximum non debemus plus diligere quam alium.

10. Nous aimons plus celui а qui nous voulons un bien plus grand. Mais nous voulons par charitй pour tous nos proches un seul bien qui est la vie йternelle. Donc nous ne devons pas aimer un proche plus qu’un autre.

[66264] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 11 Praeterea, si ordo est conditio caritatis, oportet quod cadat sub praecepto. Sed non videtur sub praecepto cadere; quia dummodo aliquem diligamus quem debemus, non videmur peccare, si alium quemcumque diligamus plus. Ergo ordo non est conditio caritatis.

11. Si l’ordre est la condition de la charitй, il est nйcessaire qu’il tombe sous le prйcepte. Mais il ne semble pas y tomber ; parce que pendant que nous aimons quelqu'un que nous devons aimer, nous ne semblons pas pйcher, si nous en aimons plus un autre quelconque. Donc l’ordre n’est pas la condition de la charitй.

[66265] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 12 Praeterea, caritas viae imitatur caritatem patriae. Sed in patria magis amantur meliores, non autem propinquiores. Ergo videtur, si est aliquis ordo caritatis, quod etiam in via magis amandi sint meliores, et non propinquiores; quod est contra Ambrosium, qui dicit, quod primo diligendus est Deus, secundo parentes, deinde filii, post domestici.

12. La charitй de la voie imite celle de la patrie. Mais dans la patrie les meilleurs sont plus aimйs mais pas les plus proches. Donc il semble, s’il y a un ordre de charitй qu’aussi dans la voie les meilleurs doivent кtre plus aimйs, et non les plus proches ; ce qui est contre Ambroise, qui dit, que Dieu doit кtre aimй en premier, les parents en second, ensuite les enfants et aprиs les serviteurs.

[66266] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 13 Praeterea, ratio diligendi aliquem ex caritate, est Deus. Sed aliquando extranei magis sunt coniuncti Deo quam propinqui, vel etiam parentes. Ergo sunt magis ex caritate diligendi.

13. La raison d’aimer quelqu'un par charitй, c’est Dieu. Mais quelquefois les йtrangers sont plus unis а Dieu que nos proches, ou mкme que nos parents. Donc ils doivent plus кtre aimйs par charitй.

[66267] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 14 Praeterea, sicut dicit Gregorius in quadam homilia, Probatio dilectionis est exhibitio operis. Sed aliquando effectus dilectionis, qui est beneficentia, magis exhibetur extraneo, quam proximo, ut patet in collatione ecclesiasticorum beneficiorum. Ergo non videtur quod propinqui sint magis diligendi ex caritate.

14. Comme le dit Grйgoire en une Homйlie : « La preuve de l’amour est de montrer l’њuvre ». Mais quelquefois l’effet de l’amour qui est bienfaisance, se montre plus а un йtranger qu’au prochain, comme on le voit dans l’attribution des privilиges ecclйsiastiques. Donc il ne semble pas que les proches doivent кtre plus aimйs par charitй.

[66268] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 15 Praeterea, I Ioan., III, 18, dicitur : Non diligamus ore neque lingua, sed opere et veritate. Sed aliquando plus de opere dilectionis exhibemus aliis quam parentibus; puta, miles plus obedit duci exercitus quam patri; et plus debet reddere benefactori quam patri, si in aequali necessitate existat. Ergo non sunt parentes plus diligendi.

15. En I Jn., 3, 18, il est dit : « Nous n’aimons ni de mots ni de langue, mais en acte et en vйritй ». Mais quelquefois nous montrons plus une њuvre d’amour, aux autres qu’а nos parents ; par exemple, le soldat obйit plus au gйnйral de l’armйe qu’а son pиre ; et il doit rendre plus а son bienfaiteur qu’а son pиre, s’il cela arrive dans une йgale nйcessitй. Donc ce ne sont pas les parents qui doivent le plus кtre aimйs.

[66269] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, quod illi quos ex sacro fonte suscepimus, magis sunt a nobis diligendi quam illi quos ex carne nostra genuimus. Ergo extranei magis sunt diligendi quam propinqui.

16. Grйgoire dit que nous devons plus aimer ceux que nous recevons par la source sacrйe, que ceux que nous engendrons de notre chair. Donc les йtrangers doivent кtre plus aimйs que les proches.

[66270] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 17 Praeterea, ille est magis diligendus, cuius amicitia vituperabilius rescinditur. Sed vituperabilius videtur rescindi amicitia aliorum amicorum quos sponte eligimus, quam propinquorum, qui nobis non ex nostra electione, sed sorte naturae provenerunt. Ergo magis sunt diligendi alii amici quam propinqui.

17. Doit кtre le plus aimй, celui dont l’amitiй est rompue de maniиre plus blвmable. Mais il semble plus blвmable de rompre l’amitiй des autres amis que nous choisissons spontanйment, que celle de nos proches, qui ne nous proviennent pas de notre choix, mais par le hasard de la nature. Donc doivent кtre plus aimйs les autres amis que les proches.

[66271] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 18 Praeterea, si ratione propinquitatis maioris est aliquis magis diligendus; cum uxor sit magis propinqua, quae est unum corpus, et filii, qui sunt aliquid generantis, sint magis propinqui quam parentes, videtur quod sint magis diligendi filii et uxor quam parentes. Non ergo parentes sunt maxime diligendi. Sic igitur non videtur esse ordo in caritate qui a sanctis assignatur.

18. Ainsi quelqu’un doit кtre plus aimй en raison d’une plus grande proximitй ; comme l’йpouse est plus proche qui est un seul corps, et les enfants, qui sont une part de celui qui les engendre ils sont plus proches que les parents, et il semble que les enfants et l’йpouse doivent кtre plus aimйs que les parents. Donc les parents ne sont pas а aimer au plus haut point. Donc ainsi il ne semble pas qu’il y ait un ordre dans la charitй que les saints nous rйvиlent.

En sens contraire :

[66272] De virtutibus, q. 2 a. 9 s. c. Sed contra, est quod dicitur Cantic. II, v. 4 : Introduxit me rex in cellam vinariam, ordinavit in me caritatem.

Il y a ce qui est dit dans Ct 2, 4 : « Le roi m’a introduit dans le cellier а vin, il a mis l’amour en ordre en moi[57]».

Rйponse :

[66273] De virtutibus, q. 2 a. 9 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum omnem sententiam et auctoritatem Scripturae, indubitanter iste ordo in caritate significandus est, ut Deus affectu et effectu super omnia diligatur.

Selon toute locution et autoritй de l’Йcriture, il faut signaler de maniиre indubitable cet ordre dans la charitй, de sorte que Dieu soit aimй par-dessus tout affectivement et effectivement.

Sed quantum ad dilectionem proximorum, fuit quorumdam opinio, ut ordo caritatis attendatur secundum effectum, et non secundum affectum; et fuerunt moti ex dicto Augustini, qui dicit [lib. I de Doct. Christ. Cap. XXVIII], quod omnes homines aeque diligendi sunt; Sed cum omnibus prodesse non possis, his potissime consulendum est qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte coniunguntur.

Mais au sujet de l’amour des proches, il y a eu l’opinion de certains qu’on atteint l’ordre de la charitй effectivement, et non affectivement et ils y ont йtй poussйs par les paroles d’Augustin (La doctrine chrйtienne, I, 28) qui dit que tous les hommes doivent кtre йgalement aimйs : « Mais comme tu ne pourrais pas кtre utile pour tous, il faut rйflйchir de prйfйrence, а ce qui t’est plus liй selon les lieux, les temps ou par certaines opportunitйs, comme s’ils йtaient unis par quelque hasard ».

Sed ista positio irrationabilis videtur. Sic enim Deus providet unicuique secundum quod conditio eius requirit; unde tendentibus in finem naturae imprimitur a Deo amor et appetitus finis, secundum quod exigit sua conditio ut tendat in finem; unde quorum est vehementior motus secundum naturam in aliquem finem, eorum etiam est maior inclinatio in illum, quae est appetitus naturalis, ut patet in gravibus et levibus. Sicut autem appetitus vel amor naturalis est inclinatio quaedam, indita rebus naturalibus ad fines connaturales, ita dilectio caritatis est inclinatio quaedam infusa rationali naturae ad tendendum in Deum. Secundum igitur quod necesse est alicui tendere in Deum, secundum hoc ex caritate inclinatur.

Mais cette position semble hors de raison. Car ainsi Dieu pourvoit а chacun selon que sa condition le demande ; c'est pourquoi а ceux qui tendent а la fin de la nature l’amour et l’appйtit de la fin est induit par Dieu, selon ce qu’exige leur condition pour tendre а la fin ; c'est pourquoi de ceux dont le mouvement est plus fort selon la nature pour une certaine fin, de ceux-lа aussi il y a une plus grande inclination vers lui, qui est l’appйtit naturel, comme on le voit dans ce qui est lourd et lйger. De mкme aussi que l’appйtit ou l’amour naturels sont une inclination, induite dans les choses naturelles, pour des fins naturelles, de mкme l’amour de charitй est une inclination infusйe dans la nature raisonnable pour tendre а Dieu. Donc selon qu’il est nйcessaire а quelqu'un de tendre а Dieu, il y est ainsi inclinй par la charitй.

Tendituris autem in Deum sicut in finem, id quod maxime necessarium est, divinum auxilium est; secundo autem auxilium quod est a seipso; tertio autem cooperatio, quae est a proximo : et in hoc est gradus. Nam quidam cooperantur tantum in generali; alii vero, qui sunt magis coniuncti, in speciali; non enim omnes omnibus in specialibus cooperari possent. Qui autem impediunt, in quantum huiusmodi, sunt odiendi, quicumque sunt; unde Dominus dicit, Luc., XIV, 26 : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem (...) non potest esse meus discipulus. Ultimo autem diligendum est corpus nostrum. Sic etiam secundum actum quem caritas elicit, attendendus est ordo secundum affectum in dilectione proximorum.

Mais а ceux qui veulent tendre а Dieu comme а leur fin, ce qui est tout а fait nйcessaire, il y a une aide divine ; deuxiиmement une aide qui vient de soi-mкme ; troisiиmement une coopйration qui vient du prochain, et c’est en cela qu’il y a un degrй. Car certains coopиrent seulement en ce qui est gйnйral, mais d’autres, qui sont plus unis, en ce qui est particulier ; car ce ne sont pas tous qui pourraient coopйrer dans le particulier. Mais ceux qui apportent des empкchements, en tant que tels, sont а haпr, quels qu’ils soient ; c'est pourquoi le Seigneur dit (Lc 14, 26) : « Si quelqu'un vient а moi et ne hait pas son pиre et sa mиre (…) il ne peut pas кtre mon disciple ». Mais en dernier il faut aimer notre corps. Mais ainsi selon l’acte que la charitй choisit, il faut atteindre un ordre selon l’affection dans l’amour des proches.

Sed etiam considerandum est, quod sicut supra, art. 7 et 8, diximus, etiam aliae dilectiones licitae et honestae, quae sunt ex aliquibus aliis causis, ordinari possunt ad caritatem; et sic caritas illarum dilectionum actus imperare potest; et sic quod magis secundum aliquam illarum dilectionum diligitur, magis diligitur ex caritate imperante.

Mais il faut considйrer aussi, que comme ci-dessus art. 7, et 8, nous l’avons dit qu’aussi les autres amours licites et honnкtes, qui dйpendent de certaines autres causes, peuvent кtre ordonnйs а la charitй, et ainsi la charitй peut commander les actes d’amour, et ainsi ce qui est plus aimй selon l’un de ces amours, est plus aimй quand la charitй le commande.

Manifestum est autem quod secundum dilectionem naturalem propinqui plus diliguntur etiam secundum affectum, et secundum dilectionem socialem plus coniuncti, et sic de aliis dilectionibus.

Unde manifestum fit, quod etiam secundum affectum unus proximorum magis est diligendus quam alius, et ex caritate imperante actus aliarum amicitiarum licitarum.

Mais il est йvident que selon l’amour naturel les proches sont plus aimйs aussi selon l’affection et plus unis selon l’amour social, et ainsi des autres amours.

 

C'est pourquoi il devient йvident qu’aussi selon l’affection l’un des proches doit кtre plus aimй qu’un autre, et avec la charitй qui commande les actes des autres amitiйs permises.

Solutions :

[66274] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectum fidei est verum; unde secundum quod contingit esse aliquid magis verum, sic etiam contingit aliquid magis credere. Cum autem veritas constet in adaequatione intellectus et rei, si consideretur veritas secundum rationem aequalitatis, quae non recipit magis et minus, sic non contingit esse aliquid magis et minus verum; sed si consideretur ipsum esse rei, quod est ratio veritatis, sicut dicitur in II Metaphys., [comm. 4] eadem est dispositio rerum in esse et veritate : unde quae sunt magis entia, sunt magis vera; et propter hoc etiam in scientiis demonstrativis magis creduntur principia quam conclusiones. Et sic etiam contingit in his quae sunt fidei. Unde apostolus, I ad Corinth., XV, probat resurrectionem mortuorum futuram per resurrectionem Christi.

1. L’objet de la foi est la vйritй ; c'est pourquoi selon qu’il arrive qu’il y ait quelque chose de plus vrai, il arrive aussi de le croire plus. Mais comme la vйritй existe dans l’adйquation de l’intellect et de la chose, si on considиre la vйritй selon la nature d’йgalitй, qui ne reзoit ni plus ni moins, il n’arrive pas qu’il y ait quelque chose de plus ou moins vrai, mais si on considйrait que l’кtre mкme de la chose, qui est la raison de la vйritй, comme il est dit en Mйtaphysique, II, (comm. 4), la disposition des choses est la mкme dans l’кtre et la vйritй ; c'est pourquoi ce qui est plus йtant est plus vrai, et а cause de cela aussi dans les sciences dйmonstratives on croit plus aux principes qu’aux conclusions. Et cela arrive aussi en ce qui concerne la foi. C'est pourquoi l’apфtre, (1 Co 15) ; prouve la rйsurrection future des morts, par la rйsurrection du Christ.

[66275] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo rationis est ut ordinantis; sed voluntatis ut ordinatae; et sic convenit ordo caritati.

2. L’ordre de la raison est comme de celui qui met en ordre, mais celui de la volontй comme de ce qui est ordonnй, et ainsi l’ordre convient а la charitй.

[66276] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas gradum nescit amantis ad amatum, quia unit utrumque; sed duorum diligibilium, non ignorat.

3. La charitй ne connaоt pas de degrй de l’amant а l’aimй, parce qu’elle unit l’un et l’autre ; mais elle n’ignore pas [le degrй] entre de deux choses а aimer.

[66277] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet Deus non sit maior in uno quam in alio, tamen magis et perfectius est in seipso quam in creatura; et in una creatura quam in alia.

4. Bien que Dieu ne soit pas plus grand en l’un qu’en un autre, cependant il est plus et plus parfait en lui-mкme que dans la crйature et ainsi [plus] dans une crйature que dans une autre.

[66278] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in dilectione, cuius principale obiectum est ipse diligens, necesse est quod magis diligatur id quod est diligenti similius, sicut accidit in dilectione naturali. Sed in dilectione caritatis principale obiectum est ipse Deus; unde magis diligendum est ex caritate quod magis est unum cum Deo, ceteris paribus.

5. Dans l’amour dont l’objet principal est celui qui aime, il est nйcessaire que soit plus aimй ce qui est plus semblable а celui qui aime, comme il arrive dans l’amour naturel. Mais dans l’amour de charitй l’objet principal est Dieu lui-mкme. C'est pourquoi doit кtre plus aimй par charitй ce qui est plus un avec Dieu, les autres conditions йtant йgales.

[66279] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod apostolus argumentatur secundum eos qui visibilibus praecipue inhaerent, a quibus visibilia invisibilibus magis diliguntur.

6. L’apфtre argumente selon ceux qui adhиrent principalement а ce qui est visible, ils aiment plus ce qui est visible que ce qui est invisible.

[66280] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod unitate naturae nihil est magis unum quam nos; sed unitate affectus, cuius obiectum est bonum, summe bonum debet esse magis unum quam nos.

7. Par l’unitй de la nature rien n’est plus un que nous, mais par l’unitй de l’affection dont l’objet est le bien, le bien suprкme doit кtre plus un que nous.

[66281] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnes homines sunt aeque diligendi, in quantum omnibus aequale bonum velle debemus, scilicet vitam aeternam.

8. Tous les hommes doivent кtre aimйs а йgalitй, en tant que pour tous nous devons vouloir un bien йgal, а savoir la vie йternelle.

 

[66282] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod proximum tenetur aliquis diligere sicut seipsum, non tamen quantum seipsum; propter quod non sequitur quod omnes proximi sint aequaliter diligendi.

9. On est tenu d’aimer son prochain comme soi-mкme, non cependant pas autant que soi-mкme ; c’est pourquoi il n’en dйcoule pas que tous les proches doivent кtre aimйs йgalement.

[66283] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquem dicimus magis diligere, non solum quia maius bonum ei volumus, sed etiam quia intensiori affectu idem bonum ei optamus; et sic, licet omnibus optemus unum bonum, quod est vita aeterna, non tamen omnes aequaliter diligimus.

10. Nous disons que nous aimons plus quelqu'un, non seulement parce que nous lui voulons un plus grand bien, mais aussi parce que nous souhaitons pour lui un mкme bien, mais avec une affection plus intense ; et ainsi, bien que nous souhaitons un seul bien pour tous, qui est la vie йternelle, cependant nous ne les aimons pas tous de maniиre йgale.

[66284] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non potest esse quod alicui impendamus de dilectione quod debemus, si alium quem minus diligere debemus, amplius diligamus; potest enim contingere quod in necessitatis articulo amplius subveniatur alteri, in derogationem eius quem plus amare debemus.

11. Il n’est pas possible que nous consacrions а quelqu'un de l’amour que nous lui devons, si nous aimons plus un autre que nous devons moins aimer ; car il peut arriver quand c’est nйcessaire, qu’on vienne en aide plus а un autre, en dйrogation de celui que nous devons aimer davantage.

[66285] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod illi qui sunt in patria, sunt coniuncti ultimo fini : et ideo solum illorum dilectio regulatur ex ipso fine; unde ordo caritatis in eis non attenditur nisi secundum propinquitatem ad Deum : et propter hoc Deo propinquiores magis amantur. Sed in via nobis est necessarium tendere in finem; et ideo ordo dilectionis attenditur etiam secundum mensuram auxilii, quod ex aliis consequitur ad tendendum in finem; et sic non semper meliores magis amantur, sed attenditur etiam ratio propinquitatis, ut ex utroque coniunctim sumatur ratio maioris dilectionis.

12. Ceux qui sont dans la patrie, sont unis а leur fin ultime ; et ainsi seulement leur amour est rйgulй par la fin elle-mкme ; c'est pourquoi l’ordre de la charitй en eux n’est atteinte que selon la proximitй а Dieu : et а cause de cela les plus proches de Dieu sont plus aimйs. Mais en cette voie, il nous est nйcessaire de tendre а la fin, et c'est pourquoi l’ordre de l’amour est atteint aussi selon la mesure de l’aide, qui dйcoule des autres pour tendre а la fin ; et ainsi ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont les plus aimйs, mais aussi on atteint la raison de la proximitй, pour que de l’un et l’autre en commun on choisisse la raison d’un plus grand amour.

[66286] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 13 Et per hoc etiam patet responsio ad decimumtertium.

13 Et ainsi paraоt la rйponse а la treiziиme objection.

[66287] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod praelatus aliquis non potest conferre beneficia in quantum est Petrus vel Martinus, sed in quantum est magister Ecclesiae; et ideo in collatione ecclesiasticorum beneficiorum non debet attendere propinquitatem ad se, sed propinquitatem ad Deum, et utilitatem Ecclesiae : sicut dispensator alicuius familiae attendere debet, in dispensando res domini sui, servitium quod exhibetur domino suo, et non servitium quod exhibetur sibi. In rebus autem propriis, sicut patrimonialibus bonis, vel quae ex industria suae personae acquirit ut propria, debet attendi in benefaciendo ordo propinquitatis ad ipsum beneficium.

14 Un prйlat ne peut pas confйrer des bйnйfices en tant que c’est Pierre ou Martin, mais en tant que maоtre de l’Йglise ; et c'est pourquoi dans l’attribution des privilиges ecclesiastiques, il ne doit pas tendre а ce qui est proche pour lui-mкme, mais proche pour Dieu, et l’utilitй de l’Йglise : de mкme que le rйgisseur d’une famille doit tendre, en dispensant les choses de son maоtre, au service qu’il effectue pour son maоtre et non pour lui-mкme. Mais dans les biens propres, comme dans les biens patrimoniaux, ou ce qu’il acquiert par l’activitй de sa personne comme biens particuliиrs, l’ordre de proximitй au bienfait doit кtre atteint en l’accordant.

[66288] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum ea quae pertinent proprie ad propriam personam alicuius, plus debet exhibere dilectionis effectum parentibus quam extraneis; nisi forte in quantum in bono alicuius extranei penderet bonum commune, quod etiam sibi ipsi imponere quisque debet : ut cum aliquis seipsum periculo mortis exponit, ad salvandum in bello ducem exercitus, vel in civitate principem civitatis, in quantum ex eis dependet salus totius communitatis. Sed secundum ea quae pertinent ad aliquid ratione alicuius adiuncti, utpote in quantum est civis vel miles, plus debet obedire rectori civitatis, vel duci, quam patri.

15. Selon ce qui concerne au sens propre la personne particuliиre, elle doit montrer un effet d’amour pour ses parents plus que pour les йtrangers ; а moins que par hasard, le bien commun se trouve dans le bien d’un йtranger, ce que aussi chacun doit appliquer pour lui-mкme ; comme quand quelqu'un s’expose au pйril de la mort, pour sauver а la guerre le gйnйral de l’armйe ou dans la citй son prince, en tant que dйpend d’eux le salut de toute la communautй. Mais selon ce qui convient а quelque chose en raison de ce qui lui est joint, en tant qu’il est citoyen ou soldat, il doit obйir davantage au gouverneur de la citй, ou au gйnйral qu’а son pиre.

[66289] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod auctoritas Gregorii est intelligenda quantum ad illa qua ad regenerationem spiritualem pertinent, in quibus tenemur his quos ex sacro fonte suscepimus.

16. L’autoritй de Grйgoire est а penser pour ce qui convient а la rйgйnйration spirituelle, en ceux en qui nous sommes tenus par ceux que nous recevons de la source sacrйe.

[66290] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad illa quae pertinent ad socialem vitam, in qua fundatur amicitia extraneorum.

17. Cette raison est valable pour ce qui concerne la vie sociale, en laquelle est fondйe l’amitiй des йtrangers.

[66291] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod secundum illam dilectionem qua aliquis diligit seipsum, plus diligit uxorem et filios, quam parentes, quia uxor est aliquid viri, et filius patris; unde dilectio quae habetur ad uxorem et filium magis includitur in dilectione qua aliquis diligit seipsum, quam dilectio quae habetur ad patrem. Sed hoc non est diligere filium ratione eius, sed ratione sui ipsius. Sed secundum modum dilectionis qua diligimus aliquem ratione eius, plus diligendus est pater quam filius, in quantum ex patre maius beneficium suscepimus, et in quantum honor filii magis dependet ex honore patris quam e converso; et ideo in exhibitione reverentiae, et in obediendo, et in satisfaciendo voluntati eius, et in similibus, tenetur homo magis patri quam filio; sed in subventione necessariorum plus tenetur homo filio quam parenti, quia parentes debent thesaurizare filiis, et non e converso, ut dicitur 1 Corinth., IV.

18. Selon cet amour par lequel quelqu'un s’aime lui-mкme, il aime plus son йpouse et ses enfants que ses parents, parce que l’йpouse appartient а son mari, et le fils а son pиre ; c'est pourquoi l’amour qu’on a pour l’йpouse et le fils est plus inclus dans l’amour par lequel quelqu'un s’aime lui-mкme, que l’amour qu’il a pour son pиre. Mais cela ce n’est pas aimer le fils en sa raison, mais en raison de soi-mкme. Mais selon le mode d’amour par laquel nous aimons quelqu'un selon son interкt, le pиre doit кtre plus aimй que le fils, en tant que nous recevons de lui plus de bienfait, et en tant que l’honneur du fils dйpend davantage de l’honneur du pиre que l’inverse ; et c'est pourquoi quand on montre du respect, et en obйissant, et en satisfaisant а sa volontй ; et en autres choses semblables, l’homme est tenu plus а son pиre qu’а son fils, mais dans l’aide pour ce qui est nйcessaire, l’homme est plus tenu а son fils qu’а son pиre parce que les parents doivent amasser pour leur fils et non le contraire, comme il est dit en 1 Co 4.

 

Articulus 10 : [66292] De virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum possibile sit caritatem esse perfectam in hac vita

Article 10Est-il possible que la charitй soit parfaite en cette vie ?

[66293] De virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections :[58]

[66294] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 1 Quia Deus nihil impossibile homini praecipit, ut Hieronymus dicit. Sed perfectio caritatis ponitur in praecepto, ut patet Deuter., VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo; totum enim et perfectum idem sunt. Ergo possibile est caritatem esse perfectam in hac vita.

1. Dieu ne commande rien d’impossible а l’homme, comme le dit Jйrфme. Mais la perfection de la charitй est placйe dans le prйcepte, comme on le voit en Deut., 6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cњur » ; car le tout et le parfait sont indentiques. Donc il est possible que la charitй soit parfaite en cette vie

[66295] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [in lib. De vera Relig., cap. XLVII], quod perfecta caritas est ut meliora magis diligantur. Sed hoc est possibile in hac vita. Ergo caritas potest esse in hac vita perfecta.

2. Augustin (La vraie Religion, 47) dit que la charitй est parfaite pour aimer plus ce qui est meilleur. Mais cela est possible en cette vie. Donc la charitй peut кtre parfaite en cette vie.

[66296] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 3 Praeterea, ratio amoris in quadam unione consistit. Sed caritas in hac vita maxime potest esse unum; quia qui adhaeret Deo, unus spiritus est, ut dicitur 1 Corinth., VI, 17. Ergo caritas in hac vita potest esse perfecta.

3. La nature de l’amour consiste dans une certaine union. Mais la charitй en cette vie peut кtre au plus haut point quelque chose d’unique : parce que « qui adhиre а Dieu est un seul esprit [avec lui] », comme il est dit (1 Co 6, 17). Donc la charitй en cette vie peut кtre parfaite.

[66297] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 4 Praeterea, perfectum est aliquid quod maxime recedit a contrario. Sed caritas in hac vita potest resistere omni peccato et tentationi. Ergo caritas in hac vita potest esse perfecta.

Le parfait est ce qui s’йloigne le plus du contraire. Mais la charitй en cette vie peut rйsister а tout pйchй et а toute tentation. Donc la charitй en cette vie peut кtre parfaite.

[66298] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 5 Praeterea, affectus noster in hac vita immediate fertur in Deum per dilectionem. Sed quando intellectus immediate ferretur in Deum, perfecte et totaliter ipsum cognosceremus. Ergo nunc perfecte et totaliter Deum diligimus : est ergo in hac vita caritas perfecta.

5. Notre affection en cette vie est immйdiatement portйe en Dieu, par l’amour. Mais quand l’intellect sera immйdiatement portй en Dieu, nous le connaоtrons parfaitement et totalement. Donc maintenant nous aimons Dieu parfaitement et totalement : donc la charitй est parfaite en cette vie.

[66299] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 6 Praeterea, voluntas est domina sui actus. Sed diligere Deum, est actus voluntatis. Ergo voluntas humana potest totaliter et perfecte ferri in Deum.

6. La volontй est maоtresse de son acte. Mais aimer Dieu est un acte de volontй. Donc la volontй humaine peut кtre portйe totalement et parfaitement en Dieu.

[66300] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 7 Praeterea, obiectum caritatis est divina bonitas, quae est delectabilissima. Sed in eo quod est delectabile, non est difficile continue perseverare, et sine intermissione. Ergo videtur quod in hac vita de facili possit perfectio caritatis haberi.

7. L’objet de la charitй est la bontй divine, qui est tout а fait dйlectable. Mais en ce qui est dйlectable, il n’est pas difficile de persйvйrer continuellement, et sans interruption. Donc il semble qu’en cette vie on pourrait avoir facilement la perfection de la charitй.

[66301] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 8 Praeterea, quod simplex est et indivisibile, si aliquo modo habetur, totum habetur. Sed amor caritatis est simplex et indivisibilis, et ex parte animae diligentis, et ex parte obiecti diligibilis, quod est Deus. Ergo, si quis habet in hac vita caritatem, totaliter et perfecte habet.

8. Ce qui est simple et indivisible, si on le possиde de quelque maniиre, on le possиde tout entier. Mais l’amour de charitй est simple et indivisible et du cфtй de l’вme de celui qui aime et du cфtй de l’objet а aimer qui est Dieu. Donc si quelqu'un a la charitй en cette vie, il l’a totalement et parfaitement.

[66302] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 9 Praeterea, caritas est nobilissima virtutum, secundum illud 1 Cor., XII, 31 : Adhuc excellentiorem viam vobis demonstro, scilicet caritatis. Sed aliae virtutes possunt esse perfectae in hac vita. Ergo et caritas.

9. La charitй est la plus noble des vertus selon cette parole de 1 Co 12, 31 : « Je vous rйvиle une voie bien meilleure», а savoir celle de la charitй. Mais les autres vertus peuvent кtre parfaites en cette vie. Donc la charitй aussi.

 

En sens contraire :

[66303] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Cum caritati repugnet omne peccatum, ut dictum est, perfectio caritatis requirit quod homo sit omnino absque peccato. Sed hoc non potest esse in hac vita, secundum illud I Ioan., I, 8 : Si dixerimus quia peccatum non habemus, nos ipsos seducimus. Ergo perfecta caritas in hac vita haberi non potest.

1. Comme tout pйchй s’oppose а la charitй, comme il a йtй dit, la perfection de la charitй requiert que l’homme soit tout а fait sans pйchй. Mais cela n’est pas possible en cette vie, selon cette parole de I Jn 1, 8 : « Si nous avons dit que nous n’avons pas de pйchй, nous nous trompons nous-mкmes ». Donc on ne peut pas avoir la charitй parfaite en cette vie.

[66304] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 2 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in Lib. de Trinit. [lib. X]. Sed in hac vita Deus perfecte non potest cognosci, secundum illud 1 Cor., XIII, 9 : Nunc ex parte cognoscimus. Ergo nec etiam potest perfecte diligi.

2. Rien n’est aimй que s’il est connu, comme le dit Augustin dans La Trinitй, X. Mais en cette vie Dieu ne peut pas кtre connu parfaitement, selon cette parole de 1 Co 13, 9 : « Maintenant, nous connaissons partiellement». Donc il ne peut pas non plus кtre aimй parfaitement.

[66305] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 3 Praeterea, illud quod semper potest proficere, non est perfectum. Sed caritas in hac vita semper potest proficere, ut dicitur in sermone. Ergo caritas in hac vita semper perfecta esse non potest.

3. Ce qui peut toujours progresser n’est pas parfait. Mais la charitй en cette vie peut toujours progresser, comme il est dit dans un sermon. Donc la charitй en cette vie ne peut pas toujours кtre parfaite.

[66306] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 4 Praeterea, Perfecta caritas foras mittit timorem, ut dicitur I Ioan., IV, 18. Sed in hac vita non potest homo esse sine timore. Ergo non potest aliquis habere caritatem perfectam.

4. « La charitй parfaite chasse au loin la crainte », comme il est dit en 1 Jn 4, 18. Mais en cette vie, l’homme ne peut pas кtre sans crainte. Donc personne ne peut avoir la charitй parfaite.

Rйponse :

[66307] De virtutibus, q. 2 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod perfectum tripliciter dicitur.

Uno modo perfectum simpliciter :

alio modo perfectum secundum naturam;

tertio modo secundum tempus.

On parle du parfait de trois maniиres :

 

 

D’une premiиre maniиre, le parfait absolu.

D’une autre maniиre, le parfait selon la nature.

D’une troisiиme maniиre, selon le temps.

Perfectum quidem dicitur simpliciter quod omnibus modis perfectum est, et cui nulla perfectio deest.

Perfectum autem secundum naturam dicitur, cui non deest aliquid eorum quae nata sunt haberi a natura illa : sicut intellectum hominis dicimus perfectum, non quod nihil ei intelligibilium desit, sed quia nihil ei deest eorum per quae homo natus est intelligere.

On appelle parfait dans l’absolu ce qui est parfait de toutes les maniиres, et а quoi aucune perfection ne manque.

On appelle parfait selon la nature, ce а quoi rien de ce qui est destinй а кtre possйdй par cette nature ne manque ; comme nous disons que l’intellect de l’homme est parfait, non parce que rien de ce qui est intelligible pour lui ne lui manque mais parce que rien ne lui manque de ce que par quoi l’homme est destinй а penser.

Perfectum secundum tempus dicimus quando nihil deest alicui eorum quae natum est habere secundum tempus illud : sicut dicimus puerum perfectum, quia habet ea quae requiruntur ad hominem secundum aetatem illam.

Nous disons que le parfait est selon le temps quand rien ne manque а chacun de ce qu’il est destinй а avoir selon ce temps ; comme nous disons que l’enfant est parfait parce qu’il possиde ce qui est requis pour un homme а cet вge.

Sic igitur dicendum, quod caritas perfecta simpliciter a solo Deo habetur. Caritas autem perfecta secundum naturam haberi quidem potest ab homine, sed non in hac vita. Caritas autem perfecta secundum tempus, etiam in hac vita haberi potest.

Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum actus et habitus speciem habeant ex obiecto, oportet quod ex eodem ratio perfectionis ipsius sumatur. Obiectum autem caritatis est summum bonum. Caritas ergo est perfecta simpliciter quae in summum bonum fertur in tantum quantum diligibile est. Summum autem bonum diligibile est in infinitum, cum sit bonum infinitum. Unde nulla caritas creaturae, cum sit finita, potest esse simpliciter perfecta, sed sic perfecta dici potest sola caritas Dei, qua diligit seipsum.

Ainsi donc il faut dire que la charitй parfaite est possйdйe absolument par Dieu seul. Mais la charitй parfaite selon la nature est possйdйe par l’homme, mais pas en cette vie. Mais la charitй parfaite selon le temps aussi peut aussi кtre possйdйe en cette vie.

Pour le montrer, il faut savoir que comme l’acte et l’habitus tirent leur espиce de l’objet, il est nйcessaire que la nature de sa perfection soit prise par un mкme objet. Mais celui de la charitй est le bien suprкme. Donc la charitй est absolument parfaite, qui est portйe au bien suprкme en tant qu’il est aimable. Mais le bien suprкme peut кtre aimй а l’infini, puisqu’il est le bien infini. C'est pourquoi puisqu’aucune charitй de la crйature, comme elle est finie, ne peut кtre absolument parfaite, mais on peut dire parfaite la seule charitй de Dieu par laquelle il s’aime lui-mкme.

Sed tunc secundum naturam rationalis creaturae, caritas dicitur esse perfecta, quando rationalis creatura secundum suum posse ad Deum diligendum convertitur.

Mais alors selon la nature de la crйature raisonnable on dit que la charitй est parfaite, quant la crйature raisonnable selon son pouvoir se tourne pour aimer Dieu.

Impeditur autem homo in hac vita, ne totaliter mens eius in Deum feratur, ex tribus.

 

Primo quidem ex contraria inclinatione mentis; quando scilicet mens per peccatum conversa ad commutabile bonum sicut ad finem, avertitur ab incommutabili bono. Secundo per occupationem saecularium rerum; quia, ut dicit apostolus, I ad Cor., VII, 33 : Qui cum uxore est, sollicitus est quae sunt mundi quomodo placeat uxori, et divisus est; id est, cor eius non movetur tantum in Deum.

Mais l’homme est empкchй en cette vie, de tourner totalement son esprit vers Dieu pour trois raisons : icic

1. Premiиrement, par une inclination contraire de l’esprit ; quand l’esprit, attirй par le pйchй vers un bien changeant, comme а se fin, se dйtourne du bien immuable.

2. Deuxiиmement, par l’occupation des affaires du siиcle ; parce que comme le dit l’Apфtre (1 Co 7, 33) : « Celui qui est avec une йpouse est sollicitй par ce qui est du monde, comment lui plaire et il est divisй ». c'est-а-dire, son cњur n’est pas seulement poussй en Dieu.

Tertio vero ex infirmitate praesentis vitae, cuius necessitatibus oportet aliquatenus hominem occupari, et retrahi, ne actualiter mens feratur in Deum; dormiendo, comedendo, et alia huiusmodi faciendo, sine quibus praesens vita duci non potest : et ulterius ex ipsa corporis gravitate anima deprimitur, ne divinam lucem in sui essentia videre possit, ut ex tali visione caritas perficiatur; secundum illud apostoli, II ad Cor., V, 6 : Quamdiu sumus in corpore, peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus, et non per speciem.

3. Troisiиmement, par la faiblesse de la vie prйsente par les nйcessitйs desquelles il est nйcessaire jusqu’а un certain point que l’homme s’occupe, et se soustrait а ce que l’esprit soit portй de faзon actuelle en Dieu ; en dormant, en mangeant, et en faisant d’autres choses de ce genre ; sans lesquels la vie prйsente ne peut кtre кtre menйe ; et en plus l’вme est abattue par la lourdeur du corps, de sorte а ne pas pouvoir voir la lumiиre divine en son essence, pour parachever la charitй en une telle vision, selon cette parole de l’Apфtre (2 Co 5, 6[59]) : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur, car nous avanзons par la foi et non ‘dans une claire vision’ ».

Homo autem in hac vita potest esse sine peccato mortali avertente ipsum a Deo; et iterum potest esse sine occupatione temporalium rerum, sicut apostolus dicit, I ad Cor., c. VII, 33 : Qui sine uxore est, sollicitus est de his quae sunt domini, quomodo placeat Deo. Sed ab onere corruptibilis carnis in hac vita liber esse non potest. Unde quantum ad remotionem primorum duorum impedimentorum, caritas potest esse perfecta in hac vita; non autem quantum ad remotionem tertii impedimenti; et ideo illam perfectionem caritatis quae erit post hanc vitam, nullus in hac vita habere potest, nisi sit viator et comprehensor simul; quod est proprium Christi.

Mais l’homme en cette vie peut exister sans pйchй mortel qui le dйtourne de Dieu, et а nouveau il peut exister sans s’occuper de ce qui est temporel, comme l’Apфtre le dit, (1 Co 7, 33) : « Celui qui est sans йpouse, est sollicitй par ce qui concerne le Seigneur : comment plaire а Dieu ». Mais par le poids de la chair corruptible en cette vie il n’est pas possible d’кtre libre. C'est pourquoi si on s’йcarte des deux premiers empкchements, la charitй peut кtre parfaite en cette vie ; mais pas si on s’йcarte du troisiиme, et c'est pourquoi cette perfection de la charitй qui existera aprиs cette vie, personne ne peut la possйder en cette vie, а moins qu’il ne soit cheminant et comprйhenseur[60] en mкme temps, ce qui est le propre du Christ.

 

Solutions :

[66308] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dicitur, Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, intelligitur esse praeceptum, secundum quod totalitas excludit omne illud quod impedit perfectam Dei inhaesionem; et hoc non est praeceptum, sed finis praecepti : indicatur enim nobis per hoc non quid faciendum sit, sed potius quo tendendum sit, ut dicit Augustinus.

1. Ce qui est dit que : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cњur », est compris comme un prйcepte selon que la totalitй exclut tout ce qui empкche une adhйsion parfaite а Dieu ; et ce n’est pas un prйcepte, mais son but; car il nous est indiquй par cela non ce qui doit кtre fait, mais plutфt ce а quoi il faut tendre, comme le dit Augustin.

[66309] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diligere meliora tanto plus quanto eorum bonitas exigit, sic non potest homo, sicut non potest perfectam caritatem habere, ut dictum est.

2. Aimer les choses les meilleures d’autant plus que leur bontй l’exige, l’homme ne le peut pas, de mкme qu’il ne peut pas avoir une charitй parfaite comme il a йtй dit.

[66310] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hoc ipso quod est facere unum amantem cum amato, multiplex gradus inveniri potest. Tunc vero perfecte mens nostra erit unum cum Deo, quando semper actualiter feretur in ipsum; quod non est possibile in hac vita.

3. Dans le fait d’unir l’amant а l’aimй, on peut trouver de nombreux degrйs. Mais alors notre esprit sera parfaitement un avec Dieu, quand toujours de maniиre actuelle il sera portй en lui, ce qui n’est pas possible en cette vie.

[66311] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perfectio quae convenit alicui rei secundum suam speciem, secundum quodcumque tempus ei convenit; sicut homo quolibet tempore et qualibet aetate est perfectus anima rationali. Unde perfectio caritatis quae est secundum quodcumque tempus, est perfectio quae competit caritati secundum eius speciem. Est autem de ratione caritatis ut Deus super omnia diligatur, et ut nullum creatum ei praeferatur in amore. Unde, cum omnis tentatio ex amore alicuius boni creati proveniat, vel ex timore mali contrarii, quod etiam ex amore derivatur; ex sua specie hoc habet caritas in quolibet statu, quod cuilibet tentationi resistere possit, ita etiam, scilicet, quod in peccatum mortale per eam homo non inducatur, non autem quod nullo modo tentatione afficiatur : hoc enim pertinet ad perfectionem patriae.

4. La perfection, qui convient а une chose selon son espиce, lui convient selon n’importe quel temps ; de mкme que l’homme en n’importe quel temps et en n’importe quel вge est parfait par son вme douйe de raison. C'est pourquoi la perfection de la charitй qui concerne n’importe quel temps, est une perfection qui convient а la charitй selon son espиce. C’est aussi de la nature de la charitй que Dieu soit aimй par dessus tout, et qu’aucune crйature ne lui soit prйfйrйe en amour. C'est pourquoi comme tout tentation provient de l’amour d’un bien crйй, ou de la crainte d’un mal contraire, ce qui est aussi se dйtourner de l’amour, par sa nature la charitй possиde en n’importe quel йtat, de pouvoir rйsister а n’importe quelle tentation, de sorte aussi que l’homme ne soit pas amenй par elle au pйchй mortel mais pas qu’il ne soit affectй par la tentation en aucune maniиre, car cela convient а la perfection de la patrie.

[66312] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eodem modo Deus in patria et totaliter videbitur et totaliter diligetur; secundum, scilicet, quod ly totaliter se tenet ex parte diligentis et videntis; quia, scilicet, totum posse creaturae applicabitur ad videndum et diligendum Deum. Similiter etiam potest intelligi, quod Deus totaliter videbitur et diligetur, quia non est aliqua pars eius quae non videatur et diligatur, cum ipse non sit compositus, sed simplex. Sed tamen secundum alium intellectum non totaliter diligetur, nec totaliter videbitur; quia, scilicet, non tantum videbitur, nec tantum ab aliqua creatura diligetur, sicut visibilis est et diligibilis. Sed in vita ista nec etiam secundum primum aut secundum modum Deus totaliter videri aut diligi potest : quia nec ipse per essentiam suam videtur, nec est possibile homini, in hac vita viventi, ut absque intermissione eius affectus actualiter feratur in Deum. Sed tamen quodammodo totaliter diligitur Deus ab homine in hac vita, in quantum nihil est in affectu eius contrarium dilectioni divinae.

5. De la mкme maniиre Dieu sera vu totalement et totalement aimй dans la patrie ; selon que le totalement se tient du cфtй de celui qui aime et qui voit ; parce que tout le pouvoir de la crйature sera appliquй а voir et а aimer Dieu. De la mкme maniиre aussi on peut penser que Dieu sera vu et aimй totalement, parce qu’il n’y a aucune partie de lui qui ne soit vue et aimйe, puisque lui-mкme n’est pas composй, mais simple. Mais cependant selon un autre concept, il ne sera pas totalement aimй ni totalement vu, parce qu’il ne sera pas aussi vu ni aussi aimй par une crйature, qu’il est visible et digne d’amour. Mais en cette vie, ni selon le premier mode, ni selon le second, Dieu ne peut кtre vu ni aimй : parce qu’il n’est vu lui-mкme par son essence, et il n’est pas possible а l’homme, vivant en cette vie, que son affection se porte en Dieu sans arrкt de maniиre active. Mais cependant d’une certaine maniиre Dieu est aimй totalement par l’homme en cette vie en tant qu’il n’y a rien dans son affection de contraire а l’amour divin.

[66313] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntas est domina sui actus quantum ad hoc quod agat, non quantum ad hoc quod continue in uno actu perseveret; cum conditio huius vitae requirat ut actus et voluntas ferantur ad multa. Vel potest dici, quod voluntas est domina sui actus in his quae sunt homini connaturalia; sed perfectio caritatis, maxime quae erit in patria, est super hominem, et praecipue si consideretur homo secundum statum praesentis vitae.

6. La volontй est maоtresse de son acte pour ce qu’elle fait, non quant au fait qu’elle persiste continuellement dans un acte ; puisque la condition de cette vie requiert que l’acte et la volontй se portent а de nombreux objets. Ou bien on peut dire que la volontй est maоtresse de son acte en qui est naturel а l’homme, mais la perfection de la charitй, surtout celle qui sera dans la patrie est au-dessus de l’homme et principalement si on considиre l’homme selon l’йtat de la vie prйsente.

[66314] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliqua actio desinit esse delectabilis non solum ex parte obiecti, sed etiam ex parte agentis quod deficit in virtute agendi. Sic igitur dicendum est, quod actualiter semper ferri in Deum, delectabile est ex parte obiecti; sed ex parte in hac vita constituti non potest esse talis delectatio continua, quia contemplatio mentis humanae non est sine actione virtutis imaginativae, et aliarum virium corporalium, quas necesse est laxari diuturnitate actionis, propter corporis infirmitatem, unde impeditur delectatio; et propter hoc dicitur Eccle., XII, 12 : Frequentis meditatio, carnis est afflictio.

7. Une action cesse d’кtre agrйable non seulement du cфtй de son objet, mais aussi du cфtй de l’agent, parce qu’il dйfaille dans son pouvoir d’agir. Ainsi donc il faut dire qu’кtre actuellement portй en Dieu est agrйable, du cфtй de l’objet, mais du cфtй en cette vie ne peut кtre constituй un tel plaisir continu, parce que la contemplation de l’esprit humain n’est pas sans l’action du pouvoir de l’image, et des autres forces corporelles, qu’il est nйcessaire de relвcher dans la durйe de l’action, а cause de la faiblesse du corps, c'est pourquoi le plaisir est empкchй et а cause de cela il est dit (Eccl. 12, 12 ?) : « La mйditation de ce qui est frйquent est une affliction de la chair ».

[66315] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod perfectio caritatis non attenditur secundum augmentum quantitatis, sed secundum intensionem qualitatis; quae quidem intensio simplicitati caritatis non repugnat.

8. La perfection de la charitй n’est pas atteinte selon une augmentation de la quantitй, mais selon l’intensitй de la qualitй, qui ne s’oppose а la simplicitй de la charitй.

[66316] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod aliarum virtutum moralium obiecta sunt bona humana, quae non excedunt vires hominis; et ideo ad omnimodam earum perfectionem potest homo in hac vita pervenire. Sed obiectum caritatis est bonum increatum quod vires hominis excedit; et ideo non est ratio similis.

9. Les objets des autres vertus morales sont les biens humains, qui ne dйpassent pas les forces des hommes, et c'est pourquoi l’homme peut parvenir а leur perfection de toutes sortes de maniиres. Mais l’objet de la charitй est le bien incrйй qui dйpasse les forces de l’homme, et c'est pourquoi ce n’est pas la mкme raison.

Solutions aux objections en sens contraire :

[66317] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum est, quod sine peccato mortali aliquis esse potest in hac vita, non autem sine peccato veniali : quod quidem non repugnat perfectioni viae, sed perfectioni patriae, quae est ut semper actu feratur in Deum; peccatum autem veniale non tollit habitum caritatis, sed impedit actum eius.

1. Pour ce qui est objectй en sens contraire, il faut dire que quelqu'un peut кtre sans pйchй mortel en cette vie, mais pas sans pйchй vйniel ; ce qui ne s’oppose pas а la perfection de la voie, mais а la perfection de la patrie, qui consiste а кtre portйe toujours en acte en Dieu ; mais le pйchй vйniel n’enlиve pas l’habitus de la charitй, mais empкche son action.

[66318] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod Deum in hac vita non possumus perfecte cognoscere, ut sciamus de eo quid sit; possumus tamen cognoscere de eo quid non sit, ut Augustinus dicit [VIII de Trinit., cap. II] ; et in hoc consistit perfectio cognitionis viae. Et similiter in hac vita non possumus perfecte diligere Deum, ut semper actu in ipsum feramur; sed ita quod nunquam in contrarium eius feratur mens.

2. Nous ne pouvons pas connaоtre parfaitement Dieu en cette vie, pour savoir ce qu’il est ; cependant nous pouvons connaоtre ce qu’il n’est pas, comme Augustin le dit (la Trinitй, VIII, 2) ; et en cela consiste la perfection de la connaissance de la voie. Et de la mкme maniиre en cette vie, nous ne pouvons pas parfaitement aimer Dieu pour кtre toujours portй en acte en lui, mais de sorte que jamais l’esprit soit portй dans son contraire.

[66319] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod in hac vita non est caritas perfecta nec simpliciter, nec secundum humanam naturam : sed solum secundum tempus. Ea vero quae sic perfecta sunt, habent quo crescant, ut de pueris patet; et ideo caritas in hac vita semper habet quo crescat.

3. En cette vie la charitй n’est parfaite ni dans l’absolu, ni selon la nature humaine, mais selon le temps seulement. Ce qui est ainsi parfait a ce par quoi il s’accroоt, comme on le voit pour l’enfant, et c'est pourquoi la charitй en cette vie a toujours ce par quoi elle s’accroоt.

[66320] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod perfecta caritas foras mittit timorem servilem et initialem; non tamen timorem castum vel filialem, nec etiam timorem naturalem.

4. La charitй parfaite йloigne au-dehors la crainte servile et premiиre ; non cependant la crainte chaste ou filiale, ni aussi la crainte naturelle.

 

 

Articulus 11 : [66321] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem habendam

Article 11Tous les hommes sont-ils tenus de possйder une charitй parfaite ?

Objections :[61]

[66322] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

[66323] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 1 Ad id enim quod est in praecepto, omnes tenentur. Sed perfectio caritatis est in praecepto; dicitur enim Deuter., VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex toto corde. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.

1. Car tous les hommes sont tenus а ce qui est dans le prйcepte. Mais la perfection de la charitй est dans le prйcepte ; car il est dit (Dt 6, 5) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cњur ». Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.

[66324] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 2 Praeterea, hoc videtur esse de perfectione caritatis, quod homo omnes actus suos referat in Deum. Sed ad hoc omnes homines tenentur; dicitur enim I ad Cor., X, 31 : Sive manducatis, sive bibitis, vel aliud quid facitis; omnia in gloriam Dei facite. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.

2. Que l’homme rapporte tous ses actes а Dieu semble concerner la perfection de la charitй. Mais tous les hommes y sont tenus ; car il est dit en 1 Co 10, 31 : « Que vous mangiez, ou que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ». Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.

[66325] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 3 Sed dicendum, quod praeceptum illud Apostoli ad hoc se extendit ut omnia habitu referantur in Deum, sed non actu.- Sed contra, praecepta legis sunt de actibus virtutum; habitus autem non cadit sub praecepto. Non ergo praeceptum Apostoli intelligitur de habituali resolutione nostrorum actuum in Deo, sed de actuali.

3. Mais il faut dire que ce prйcepte de l’Apфtre s’йtend а tout rapporter а Dieu par un habitus, mais non par un acte. — En sens contraire, les prйceptes de la loi concernent les actes des vertus, mais l’habitus ne tombe pas sous le prйcepte. Donc le prйcepte de l’Apфtre ne tient pas compte du relвchement habituel de nos actes en Dieu, mais du relвchement actuel.

[66326] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 4 Praeterea, dominus, Matth., V, 17, praecepta veteris legis adimplevit, secundum illud : Non veni solvere (legem), sed adimplere. Haec autem adimpletio est de necessitate salutis, ut patet per illud quod subditur Matth., cap. V 20 : Nisi abundaverit iustitia vestra plusquam Scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum. Ad ea autem quae sunt de necessitate salutis, omnes tenentur. Ergo et ad praedictam adimpletionem servandam. Sed praedicta adimpletio ad perfectionem pertinet; unde Dominus in fine concludit Matth., V, 48 : Estote perfecti, sicut Pater vester caelestis perfectus est. Ergo ad perfectionem caritatis omnes tenentur.

4. Le Seigneur, (Mt 5, 17) a accompli les prйceptes de la loi ancienne, selon cette parole : « Je ne suis pas venu pour abolir la loi mais pour l’accomplir ». Mais cet accomplissement concerne la nйcessitй du salut, comme on le voit par ce qui est ajoutй (Mt 5, 20) : « Si notre justice ne dйpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Tous sont tenus а ce qui concerne la nйcessitй du salut. Donc pour conserver l’accomplissement annoncй aussi. Mais celui-ci convient а la perfection, c’est pourquoi le Seigneur conclut а la fin (Mt 5, 48) : « Soyez parfaits comme votre Pиre du ciel est parfait. ». Donc nous sommes tenus а la perfection de la charitй.

[66327] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 5 Praeterea, ad consilia solum non omnes tenentur. Perfectio autem vitae aeternae, aut caritatis, non attenditur secundum consilia : datur enim consilium de paupertate, nec tamen sequitur quod qui magis est pauper, sit perfectior; datur etiam consilium de virginitate, et tamen multi virgines sunt aliis imperfectiores in caritate; et sic videtur quod perfectio caritatis non consistat in consiliis. Nullus ergo excusatur a perfectione caritatis.

5. Tous ne sont pas tenus aux conseils seulement. Mais on n’atteint pas la perfection de la vie йternelle ou de la charitй selon les conseils ; car un conseil est donnй concernant la pauvretй, et cependant il n’en dйcoule pas que celui qui est plus pauvre, soit plus parfait ; il est donnй aussi un conseil concernant la virginitй, et cependant beaucoup de vierges sont plus imparfaites que d’autres dans la charitй, et ainsi il semble que la perfection de la charitй ne consiste pas dans les conseils. Donc personne n’est dispensй de la perfection de la charitй.

[66328] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 6 Praeterea, status episcoporum est perfectior quam status religiosorum; alioquin non posset aliquis licite de statu religionis ad statum praelationis se transferre : unde et Dionysius dicit in Eccles. Hierarchia [cap. V], quod episcopi sunt perfectiores; monachi autem sunt perfectius eorum virtutibus traditi, et quod debent se sursum agere ad perfectiones quas in episcopis vident. Nec tamen episcopi tenentur ad observandum huiusmodi consilium paupertatis, et alia huiusmodi. Ergo in his non consistit perfectio caritatis.

6. L’йtat des йvкques est plus parfait que celui des religieux ; autrement quelqu’un ne pourrait pas lйgalement passer de l’йtat de religion а celui de prйlat ; c'est pourquoi Denys dit dans La Hiйrarchie ecclйsiastique, 5, que les йvкques sont plus parfaits ; mais les ermites s’adonnent plus parfaitement а leurs vertus, et ils doivent s’йlever aux perfections qu’ils voient chez les йvкques. Et cependant les йvкques ne sont pas tenus d’observer un conseil du genre de celui de la pauvretй ou autres. Donc ce n’est pas en cela que la perfection de la charitй consiste

[66329] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 7 Praeterea, Dominus apostolis multa imposuit quae sunt de perfectione vitae : ut quod non portarent duas tunicas, neque calceamenta, neque virgam, neque aliquod huiusmodi. Sed quod iniunxit apostolis, omnibus iniunxit, secundum illud Marc., XIII, 37 : Quod vobis dico, omnibus dico. Ergo omnes tenentur ad perfectionem vitae.

7. Le Seigneur a imposй aux apфtres beaucoup de prйceptes qui concernent la perfection de la vie, comme de ne pas porter deux tuniques, porter ni sandales, ni bвton, ni rien de ce genre. Mais ce qu’il a enjoint aux apфtres, il l’a enjoint а tous, selon cette parole de Marc (12, 37) : « Ce que je vous dis, je le dis а tous. » Donc tous sont tenus а la perfection de la vie.

[66330] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 8 Praeterea, quicumque habet caritatem, plus amat vitam aeternam quam vitam temporalem. Sed quilibet homo tenetur ad actum caritatis. Ergo quilibet homo tenetur ad hoc quod vitam aeternam praeeligat vitae corporali. Sed, sicut Augustinus dicit, caritas cum ad perfectionem venerit, dicit : Cupio dissolvi, et esse cum Christo. Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem.

8. Quiconque a la charitй, prйfиre la vie йternelle а la vie temporelle. Mais n’importe quel homme est tenu а l’acte de charitй. Donc n’importe quel homme est tenu prйfйrer la vie йternelle а la vie corporelle. Mais, comme Augustin le dit, quand la charitй est parvenue а sa perfection, il dit : « Je dйsire кtre dissout et кtre avec le Christ ». Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charitй parfaite.

[66331] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit, quod perfecta caritas est ut quis paratus sit pro fratribus etiam mori. Sed ad hoc omnes tenentur, dicitur enim I Ioan., III, 16 : In hoc cognoscimus caritatem Dei, quoniam ille pro nobis animam suam posuit; et nos debemus pro fratribus animas ponere. Ergo quilibet tenetur ad perfectionem caritatis.

9. Augustin dit que la charitй parfaite est que quelqu’un soit prкt а mourir aussi pour ses frиres. Mais tous y sont tenus, car il est dit en 1 Jn 3, 16 : « Nous connaissons la charitй de Dieu, parce qu’il a donnй son вme pour nous ; et nous devons donner nos вmes pour nos frиres ». Donc n’importe qui est tenu а la perfection de la charitй.

[66332] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 10 Praeterea, quilibet tenetur vitare peccatum. Sed qui est sine peccato, habet fiduciam in die iudicii : quia in hoc perfecta est caritas Dei nobiscum, ut fiduciam habeamus in die iudicii, ut dicitur I Ioan., IV, 17. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.

10. N’importe qui est tenu d’йviter le pйchй. Mais celui qui est sans pйchй, a confiance au jour du jugement : « Parce que la charitй de Dieu est parfaite en nous, pour que nous ayons confiance au jour du jugement. » comme il est dit en 1 Jn 4, 17. Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.

[66333] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 11 Praeterea, philosophus dicit in VIII Ethic. : Deo et parentibus non possumus reddere aequivalens; sed sufficit ut quilibet eis reddat quod potest. Sed perfectio caritatis in hoc consistit ut aliquis faciat pro Deo quod potest, quia nullus facit ultra posse. Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem.

11. Le philosophe dit (Йthique, VIII, 16, 1163 b 15) : « Nous ne pouvons rendre l’йquivalent а Dieu ni а nos parents ; mais il suffit que n’importe qui leur rende ce qu’il peut ». Mais la perfection de la charitй consiste en ce que quelqu'un fasse pour Dieu ce qu’il peut, parce que personne ne fait qu’il puisse aller au-delа. Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charitй parfaite.

[66334] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 12 Praeterea, religiosi profitentur perfectionem vitae. Ergo ipsi videntur teneri ad habendam perfectionem caritatis, et ad omnia quae ad perfectionem vitae pertinent.

12. Les religieux s’engagent а la perfection de la vie. Donc ils semblent кtre tenus d’avoir la perfection de la charitй, et tout ce qui convient а cette perfection.

En sens contraire :

[66335] De virtutibus, q. 2 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nullus tenetur ad id quod non est in ipso. Sed habere perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo. Non ergo potest esse in praecepto.

Nul n’est tenu а ce qui n’est pas en lui-mкme. Mais avoir le charitй parfaite ne vient pas de nous, mais de Dieu. Donc cela ne peut pas кtre dans le prйcepte.

Rйponse :

[66336] De virtutibus, q. 2 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod huius quaestionis solutio ex praemissis accipi potest.

On peut tirer la solution de cette question de ce qui a йtй dit auparavant.

Ostensum est enim supra, quod aliqua perfectio est quae ipsam speciem caritatis consequitur, utpote quae consistit in remotione cuiuslibet inclinationis in contrarium caritatis. Quaedam autem perfectio est, sine qua caritas esse potest, quae pertinet ad bene esse caritatis; quae scilicet consistit in remotione occupationum saecularium, quibus affectus humanus retardatur ne libere progrediatur in Deum. Est autem et quaedam alia perfectio caritatis, quae non est possibilis homini in hac vita, et quaedam ad quam nulla natura creata pertingere potest; ut ex supradictis apparet.

On a en effet montrй ci-dessus qu’il existe une perfection qui dйcoule de la nature de la charitй, celle qui consiste а йcarter tout penchant а ce qui est contraire а la charitй. Or il y a une perfection, sans laquelle la charitй ne peut pas exister, qui aboutit а son bien-кtre; c’est-а-dire qui consiste а s’йcarter des occupations du siиcle, qui empкchent la disposition de l’homme de progresser librement vers Dieu. Et il y a une autre perfection de la charitй qui n’est pas possible pour l’homme en cette vie, et une а laquelle aucune nature crййe ne peut parvenir, comme on le voit par ce qui a йtй dit plus haut.

Manifestum est autem, quod ad illud omnes teneri dicuntur, sine quo salutem consequi non possunt. Sine caritate autem nullus potest salutem aeternam consequi, et ea habita ad salutem aeternam pervenitur.

Il est йvident qu’on dit que tous sont tenus а ce sans quoi le salut ne peut кtre obtenu. Or sans la charitй personne ne peut obtenir le salut йternel et un fois qu’on l’a, on y parvient.

Unde ad primam perfectionem caritatis omnes tenentur sicut ad ipsam caritatem. Ad secundam vero perfectionem, sine qua caritas esse potest, homines non tenentur, cum quaelibet caritas sufficiat ad salutem. Multo etiam minus tenentur ad tertiam vel quartam perfectionem, cum nullus ad impossibile teneatur.

C'est pourquoi tous sont tenus а la premiиre perfection de la charitй comme а la charitй elle-mкme. A la seconde perfection sans laquelle la charitй ne peut exister, les hommes n’y sont pas tenus, puisque n’importe quelle charitй suffit au salut. Encore beaucoup moins sont-ils tenus а la troisiиme ou а la quatriиme perfection puisque personne n’est tenu а l’impossible.

Solutions :

[66337] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod totalitas illa, secundum quod cadit sub praecepto caritatis, pertinet ad perfectionem sine qua caritas esse non potest.

1. Cette totalitй selon qu’elle tombe sous le prйcepte de la charitй, tend а la perfection sans laquelle la charitй ne peut pas exister

[66338] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnia actu referre in Deum, non est possibile in hac vita, sicut non est possibile quod semper de Deo cogitetur; hoc enim pertinet ad perfectionem patriae. Sed quod omnia virtute referantur in Deum, hoc pertinet ad perfectionem caritatis ad quam omnes tenentur. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod, sicut in causis efficientibus virtus primae causae manet in omnibus causis sequentibus, ita etiam intentio principalis finis virtute manet in omnibus finibus secundariis; unde quicumque actu intendit aliquem finem secundarium, virtute intendit finem principalem; sicut medicus, dum colligit herbas actu, intendit conficere potionem, nihil fortassis de sanitate cogitans, virtualiter tamen intendit sanitatem, propter quam potionem dat. Sic igitur, aliquis seipsum ordinat in Deum, sicut in finem, in omnibus quae propter seipsum facit manet virtute intentio ultimi finis, qui Deus est : unde in omnibus mereri potest, si caritatem habeat. Hoc igitur modo Apostolus praecipit quod omnia in Dei gloriam referantur.

2. Rapporter tout en acte а Dieu n’est pas possible en cette vie, de mкme qu’il n’est pas possible de penser toujours а Dieu, car cela convient а la perfection de la patrie. Mais que tout soit rapportй en puissance а Dieu, cela convient а la perfection de la charitй а laquelle tous sont tenus. Pour le montrer il faut considйrer que, de mкme que dans les causes efficientes le pouvoir de la cause premiиre demeure dans toutes les causes suivantes, de mкme aussi tendre а la fin principale demeure en pouvoir dans toutes les fins secondaires ; c'est pourquoi quiconque atteint en acte une fin secondaire, atteint la fin principale ; ainsi pendant que le mйdecin est en train de ramasser des herbes, il cherche а achever la potion, peut-кtre sans penser en rien а la santй, cependant potentiellement il cherche la santй, pour laquelle il donne cette potion. Ainsi donc, quelqu'un s’ordonne lui-mкme а Dieu, comme а sa fin, dans tout ce qu’il fait pour lui, sa recherche de la fin ultime qui est Dieu, demeure en puissance : c'est pourquoi il peut mйriter en tout, s’il a la charitй. Donc de cette maniиre l’Apфtre recommande que tout soit rapportй а la gloire de Dieu.

[66339] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliud est habitualiter referre in Deum, et aliud virtualiter. Habitualiter enim refert in Deum et qui nihil agit, nec aliquid actualiter intendit, ut dormiens; sed virtualiter aliquid referre in Deum, est agentis propter finem ordinantis in Deum. Unde habitualiter referre in Deum, non cadit sub praecepto; sed virtualiter referre omnia in Deum, cadit sub praecepto caritatis : cum hoc nihil aliud sit quam habere Deum ultimum finem.

 

3. Rapporter [tout] habituellement а Dieu est diffйrent que de rapporter [tout] virtuellement. Car celui qui ne fait rien, rapporte [tout] а Dieu habituellement et il n’atteint rien en acte, comme quand il dort : mais rapporter quelque chose а Dieu virtuellement c’est le propre de l’agent qui le dispose а Dieu en vue de la fin. C’est pourquoi habituellement rapporter [tout] а Dieu ne tombe pas sous le prйcepte ; mais lui rapporter tout virtuellement tombe sous le prйcepte de la charitй : puisque ce n’est rien d’autre qu’avoir Dieu comme fin ultime.

[66340] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod dicitur, Estote perfecti etc., videtur esse referendum ad dilectionem inimicorum, quae quodammodo est de perfectione consilii, et quodammodo est de necessitate praecepti, ut supra, art. 8, expositum est.

4. Ce qui est dit : « Soyez parfaits, etc. » semble devoir кtre reportй а l’amour des ennemis, qui d’une certain maniиre concerne la perfection du conseil, et d’une autre la nйcessitй du prйcepte, comme, on l’a exposй ci-dessus, art. 8.

[66341] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod perfectio vitae aeternae in quibusdam quidem consistit principaliter et per se; in quibusdam autem secundario, et quasi per accidens. Principaliter quidem et per se consistit perfectio in his quae pertinent ad interiorem mentis dispositionem, et praecipue in actu caritatis, quae est radix omnium virtutum; secundario vero et per accidens consistit etiam in quibusdam exterioribus, ut puta in virginitate, paupertate, et huiusmodi.

5. La perfection de la vie йternelle en certains s’йtablit principalement et par soi, mais en certains secondairement, et comme par accident. La perfection s’йtablit principalement et par soi en ce qui vise а la disposition intйrieure de l’esprit, et surtout dans l’acte de charitй, qui est la racine de toutes les vertus ; mais elle s’йtablit secondairement et par accident aussi en certaines [vertus] extйrieures, comme la virginitй, la pauvretй etc.

Haec enim ad perfectionem pertinere dicuntur tripliciter.

Primo quidem, in quantum per ea subtrahuntur homini impedimenta occupationum, quibus remotis mens liberius fertur in Deum; unde et dominus cum dixisset, Matth. XIX, 21 : Si vis perfectus esse, vade, et vende omnia quae habes, et da pauperibus, consequenter adiecit : Et veni, et sequere me; ut ostenderet, quod paupertas ad perfectionem non pertineret, nisi in quantum disponit ad sequendum Christum. Quem quidem sequimur non passibus corporis, sed affectibus mentis. Similiter Apostolus, I ad Cor., VII, 34, consilium dat de non nubendo; quia quae virgo est, cogitat quae Dei sunt, quomodo placeat Deo; et eadem ratio est de aliis similibus.

Car on dit que ces vertus conviennent de trois maniиres :

a. Premiиrement en tant qu’elles enlиvent de l’homme les embarras causйs par les occupations, lesquels une fois enlevйs l’esprit est portй plus librement en Dieu : c'est pourquoi comme le Seigneur l’avait dit (Mt 19, 21) : « Si tu veux кtre parfait, va et vend tout ce que tu as et donne-le aux pauvres » en consйquence il ajoute : « Et viens et suis-moi » ; pour montrer que la pauvretй ne conviendrait а la perfection qu’en tant qu’elle dispose а suivre le Christ. Nous le suivons non pas а pas avec le corps, mais par les dispositions de l’esprit. De la mкme maniиre, l’Apфtre (1 Co 7, 34) donne le conseil de ne pas se marier ; parce que « Celle qui est vierge, pense а ce qui concerne Dieu, comment lui plaire » ; et c’est la mкme raison pour d’autres vertus semblables.

Secundo pertinent ad perfectionem, in quantum sunt quidam perfectae caritatis effectus qui enim perfecte diligit Deum, ab his se retrahit quae eum retrahere possunt ne Deo vacet.

b. Deuxiиmement, elles visent а la perfection en tant qu’elles sont des dipositions de la charitй parfaite, qui en effet aime Dieu parfaitement, et s’йloigne de ce qui peut l’empкcher de s’occuper de Dieu.

Tertio pertinent ad perfectionem poenitentiae; quia nulla satisfactio pro peccatis adaequari potest votis religionis, quibus homo se Deo consecrat, et animam per votum obedientiae, et corpus per votum continentiae, et res omnes per votum paupertatis.

 

Sic igitur in his quae principaliter et per se ad perfectionem pertinent, sequitur quod sit maior perfectio ubi haec inveniuntur magis, sicut quod perfectior est qui maioris est caritatis. In his autem quae ex consequenti et quasi per accidens, ad perfectionem pertinent, non sequitur magis simpliciter ubi magis inveniuntur. Unde non sequitur quod magis pauper sit magis perfectus; sed mensuranda est in talibus perfectio per comparationem ad illa in quibus consistit perfectio simpliciter; ut scilicet ille dicatur perfectior, cuius paupertas magis sequestrat hominem a terrenis occupationibus, et facit liberius Deo vacare.

c. Troisiиmement, elles disposent а la perfection de la pйnitence, parce qu’aucune satisfaction pour les pйchйs ne peut кtre йquivalent а des vњux de religion, par lesquels l’homme se consacre а Dieu, et [consacre] son вme par un vњu d’obйissance, son corps par un vњu de continence et toutes choses par un vњu de pauvretй.

Ainsi donc en ces vertus qui conviennent principalement et par soi а la perfection, il rйsulte que la perfection est plus grande lа oщ on les trouve davantage, de la mкme maniиre qu’est parfait celle qui est d’une plus grande charitй. Mais en ceux qui visent а la perfection, par consйquence et comme par accident, il n’y rйsulte absolument pas plus de consйquences quand lа on les trouve davantage. C'est pourquoi il ne rйsulte pas qu’un plus pauvre est plus parfait ; mais en de tels cas, la perfection doit кtre mesurйe par comparaison а ce en quoi consiste absolument la perfection ; pour dire par exemple celui-ci est plus parfait dont la pauvretй sйpare plus l’homme des occupations terrestres et le rend plus libre pour s’occuper de Dieu.

[66342] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod haec est differentia inter amicitiam honesti et delectabilis : quia in amicitia delectabilis, amicus diligitur propter delectationem; in amicitia autem honesti amicus diligitur propter seipsum, sed delectatio provenit ex consequenti. Ad perfectionem igitur amicitiae honesti pertinet ut aliquis propter amicum interdum abstineat etiam a delectatione quam in eius praesentia habet, in eius servitiis occupatus. Secundum igitur hanc amicitiam plus amat aliquem qui ab eo se absentat propter amicum, quam qui a praesentia amici discedere non vult etiam propter amicum. Sed si quis libenter vel faciliter a praesentia amici divellitur et in aliis magis delectatur, vel nihil vel parum comprobatur amicum diligere.

6. C’est la diffйrence entre l’amitiй de l’honnкte et celle de l’agrйable; parce que dans l’amitiй agrйable, l’ami est aimй pour le plaisir, mais dans l’amitiй de l’honnкte l’ami est aimй pour lui-mкme, mais le plaisir en dйcoule par consйquence. Donc pour la perfection de l’amitiй de l’honnкte il vise а ce que quelqu'un а cause de son ami parfois s’abstienne aussi du plaisir qu’il trouve en sa prйsence, dans ses occupations domestiques. Donc selon cette amitiй il aime plus quelqu'un qui s’йloigne de lui а cause de son ami que celui qui ne veut pas se sйparer de la prйsence de l’ami aussi а cause de lui. Mais si quelqu'un se dйtache volontiers ou facilement de la prйsence de son ami et se dйlecte plus en d’autres, aimer un ami n’est prouvй en rien ou en bien peu.

 Hos igitur tres gradus considerare possumus in caritate. Deus autem maxime propter seipsum est diligendus. Sunt enim quidam qui libenter, vel sine magna molestia, separantur a vacatione divinae contemplationis, ut terrenis negotiis implicentur, et in his vel nihil vel modicum caritatis apparet. Quidam verum in tantum delectantur in vacatione divinae contemplationis, quod eam deserere nolunt, etiam ut divinis obsequiis mancipentur ad salutem proximorum. Quidam vero ad tantum culmen caritatis ascendunt, quod etiam divinam contemplationem, licet in ea maxime delectentur, praetermittunt, ut Deo serviant in salutem proximorum; et haec perfectio in Paulo apparet, qui dicebat Rom., IX, 3 : Optabam ego ipse anathema, id est separatus, esse a Christo pro fratribus meis;- et ad Philipp., I, 23-24 : Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo; permanere autem in carne necessarium propter vos. Et haec perfectio est proprie praelatorum, et praedicatorum, et quorumcumque aliorum, qui procurandae saluti aliorum insistunt; unde significantur per Angelos in scala Iacob ascendentes quidem per contemplationem, descendentes vero per sollicitudinem quam de salute proximorum gerunt. Nec derogare potest perfectioni status praelatorum, quod aliqui statu praelatorum abutuntur quaerentes praelationem propter temporalia bona, quasi dulcedine contemplationis non allecti; sicut nec incredulitas multorum, fidem Dei evacuat, ut dicitur Rom., III.

Donc nous pouvons considйrer ces trois degrйs dans la charitй. Mais Dieu surtout doit кtre aimй а cause de lui-mкme. Car il y en a certains, qui librement ou sans grand embarras s’abstiennent de laisser libre court а la contemplation divine, pour s’impliquer dans des affaires terrestres, et en eux ou rien ou peu de charitй n’apparaоt. Mais certains dans la mesure oщ ils sont charmйs dans ce libre cours de la contemplation divine, qu’ils ne veulent pas abandonner, s’abandonnent aux complaisances divines pour le salut de leurs proches. Mais certains montent а un tel sommet de charitй, que bien qu’ils en soient tout а fait charmйs, ils l’abandonnent pour se consacrer au salut de leurs proches ; et cette perfection apparaоt chez Paul, qui disait (Rm 9, 3) : « Je souhaiterais кtre moi-mкme anathиme », c'est-а-dire sйparй, « sйparй du Christ pour mes frиres » et aux Ph 1, 23-24 : « Ayant le dйsir d’кtre dissout, et d’кtre avec le Christ, mais demeurer dans ma chair est nйcessaire а cause de vous ». Et cette perfection est particuliиrement celle des prйlats, et des prйdicateurs et de certains autres, qui s’attachent а procurer le salut aux autres ; c'est pourquoi ils sont reprйsentйs par les anges qui montent sur l’йchelle de Jacob par la contemplation, mais descendent par la sollicitude qu’ils portent au salut de leurs proches. Et l’йtat des prйlats ne peut pas dйroger а la perfection parce que certains abusent de l’йtat de prйlat prйfйrant les biens temporels, comme non attirйs par le douceur de la contemplation ; de mкme que non plus l’incrйdulitй de beaucoup n’anйantit pas la foi en Dieu, comme il est dit en Rm 3.

[66343] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in doctrina evangelica quaedam dicta sunt apostolis in persona omnium fidelium, ea scilicet quae pertinent ad necessitatem salutis; unde et Marc., XIII, 37, dicit : Quod vobis dico, omnibus dico : Vigilate; nam in vigilantia ibi intelligitur sollicitudo quam homo debet habere, ne imparatus inveniatur a Christo. Quaedam vero dicuntur apostolis quae pertinent ad perfectionem vitae, et ad praelati officium; et ad hoc extendi non potest, Quod vobis dico, omnibus dico.

Sciendum tamen, quod illa quae dixit Dominus discipulis Luc., IX, 3 : Nihil in via tuleritis etc., secundum quod Augustinus exponit in Lib. de consen. Evangelist., non pertinent ad perfectionem vitae, sed ad potestatem dignitatis apostolicae, per quam poterant, nihil secum ferentes, vivere de his quae ministrabantur ab his quibus Evangelium praedicabant : unde ibidem dicitur, quod dignus est operarius mercede sua, vel cibo suo, unde nec praeceptum fuit, nec consilium, sed concessio. Et propter hoc Paulus, qui secum necessaria deferebat, non utens hac concessione, supererogabat, quasi propriis stipendiis militans, ut patet I ad Cor., IX 7.

7. Dans la doctrine йvangйlique, certaines (paroles) ont йtй dites aux apфtres dans la personne de tous les fidиles, ce qui convient а la nйcessitй du salut : c'est pourquoi Marc dit (13, 37) : « Ce que je vous dis, je le dis а tous : Veillez » ; car dans la vigilance ici on pense la sollicitude que l’homme doit avoir, pour ne pas кtre trouvй par le Christ sans кtre prйparй. Mais certaines (paroles) sont dites aux apфtres qui appartiennent а la perfection de la vie et au devoir du prйlat ; et on ne peut pas l’йtendre а cela : « Ce que je vous dis, je le dis а tous ».

Cependant il faut savoir que ces paroles que le Seigneur a dites aux disciples, Luc (9, 3) : « N’emportez rien pour le chemin », etc. selon ce qu’Augustin expose dans (L’accord des Йvangйlistes), ne vise pas а la perfection de la vie, mais а la puissance de la dignitй apostolique, par laquelle, ils ne pourrons, en emportant rien avec eux, vivre de ce que leur servait ceux auxquels ils annonзaient l’Йvangile ; c'est pourquoi il est dit lа mкme que « Celui qui travaille est digne de sa rйcompense, ou de sa nourriture », c'est pourquoi cela n’a pas йtй un prйcepte, ni un conseil, mais une concession. Et а cause de cela Paul qui portait avec lui son nйcessaire, sans utiliser cette concession donnait en sus se servant pour ainsi dire de son propre salaire, comme on le voit en 1 Co 9, 7[62].

[66344] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in homine sunt duo affectus; unus caritatis, quo anima desiderat esse cum Christo; alius autem naturalis, quo anima refugit separationem a corpore, qui adeo est homini naturalis, quod nec etiam Petro senectus abstulit, ut Augustinus dicit super Ioan. Ex coniunctione ergo horum duorum affectuum vellet anima sic coniungi Deo, quod non separaretur a corpore; secundum illud Apostoli, II ad Corinth., V, 4 : Nolumus expoliari, sed supervestiri; ut absorbeatur quod mortale est a vita. Sed quia hoc est impossibile (quamdiu enim sumus in corpore, peregrinamur a Domino [ut ibidem 6, subditur]; insurgit quaedam contrarietas inter praedictos affectus, et quanto caritas est perfectior, tanto sensibilius affectus caritatis vincit affectum naturae; et hoc ad perfectionem caritatis pertinet. Unde et Apostolus ibidem subdit : Audemus autem, et bonam voluntatem habemus, magis peregrinari a corpore; et praesentes esse ad dominum.

8. Dans l’homme il y a deux dispositions de l’вme : l’une de la charitй, par laquelle elle dйsire кtre avec le Christ, l’autre, naturelle par laquelle elle fuit la sйparation du corps, qui est si naturelle а l’homme, que la vieillesse ne l’a pas enlevйe а Pierre, comme Augustin le dit (Sur Jn). Donc par l’union de ces deux dispositions, l’вme voudrait кtre unie а Dieu, sans se sйparer du corps, selon cette parole de l’Apфtre (2 Co 5, 4) : « Nous ne voulons pas nous dйvкtir mais nous revкtir par dessus ; afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie ». Mais parce que cela est impossible : (« En effet tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur », comme c’est ajoutй au verset 6) ; il se lиve une contrariйtй entre les dispositions dont on a parlй, et plus la charitй est parfaite, plus la disposition sensible de la charitй vainc celle de la nature. C'est pourquoi l’Apфtre а ce mкme endroit ajoute : « Mais nous avons de l’audace, et nous avons de la bonne volontй, plus de quitter ce corps, et demeurer auprиs du Seigneur » (verset 8).

Sed in his in quibus est caritas imperfecta, si tantum affectus caritatis vincat, ex repugnantia tamen naturalis affectus redditur insensibilis victoria caritatis. Quod ergo aperte et indubitanter, sive audacter, Apostolus dicit : cupio dissolvi, et esse cum Christo, hoc perfectae caritatis est; sed quod qualitercumque, licet insensibiliter, praeferat anima fruitionem Dei unioni corporis, est de necessitate caritatis.

Mais en ce en quoi la charitй est imparfaite, si seulement la disposition de la charitй est vainqueur, cependant par la rйpugnance de la disposition naturelle, la victoire de la charitй est rendue insensible. Donc ce que l’Apфtre dit ouvertement et sans aucun doute, ou mкme avec audace : « Je dйsire кtre dissout, et кtre avec le Christ », cela est d’une parfaite charitй ; mais que de quelque maniиre, bien qu’insensiblement, l’вme prйfиre la fruition de Dieu а l’union du corps, concerne la nйcessitй de la charitй.

[66345] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ponere animam, id est, vitam praesentem, pro fratribus quodammodo est de necessitate caritatis, et quodammodo est de perfectione ipsius. Plus enim homo debet diligere proximum quam corpus proprium; unde in eo casu quo aliquis tenetur procurare proximi salutem, tenetur etiam pro ipsius salute periculis corporalem vitam exponere. Sed hoc perfectae caritatis est ut etiam pro his in quibus proximo non tenetur, pro eo corporalem suam vitam periculis quis exponat.

9. Poser son вme, c'est-а-dire [donner] sa vie prйsente, pour ses frиres, concerne d’une certaine maniиre la nйcessitй de la charitй, et d’une certaine maniиre sa perfection.Car un homme doit aimer son prochain plus que son propre corps. C'est pourquoi en ce cas oщ quelqu'un est tenu de procurer la salut а son prochain, il est tenu aussi pour son propre salut d’exposer sa vie corporelle aux dangers. Mais c’est le propre d’une charitй parfaite que quelqu'un expose sa vie aux dangers pour ceux en qui on n’est pas tenu comme au prochain.

[66346] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet quilibet teneatur esse sine peccato mortali, non tamen omnium est huiusmodi rei securitatem habere; sed perfectorum, qui peccata totaliter subiugaverunt.

10. Bien que n’importe qui soit tenu d’кtre sans pйchй mortel, cependant tous ne sont pas assurйs d’une telle rйalitй; mais c’est le propre des parfaits qui ont soumis totalement les pйchйs.

[66347] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod et parentibus, et multo magis Deo, tenetur homo rependere totum quod potest; tamen secundum communem modum humanae vitae, supra quem potest aliquis aliquid erogare, ad quod tamen ex necessitate praecepti non tenetur.

11. Pour les parents et beaucoup plus pour Dieu, l’homme est tenu de payer en йchange tout ce qu’il peut, cependant selon le mode commun de la vie humaine, au-dessus duquel quelqu'un peut payer quelque chose, a quoi cependant il n’est pas tenu par la nйcessitй de prйcepte.

[66348] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod perfectionem caritatis nullus profitetur; sed profitentur aliqui statum perfectionis, qui consistit in his quae organice ordinantur ad perfectionem caritatis, ut paupertas et ieiunia; qui tamen nec ad omnia huiusmodi tenentur, sed ad illa solum quae profitentur. Unde perfectio caritatis non cadit eis sub voto, sed est eis ut finis, ad quem pervenire conantur per ea quae vovent.

12. Personne n’offre la perfection de la charitй ; mais certains offrent un йtat de perfection qui consiste en ce qui est organiquement ordonnй а la perfection de la charitй, comme la pauvretй et le jeыne ; qui cependant ne sont pas tenus а tout ce qui est de ce genre, mais seulement а ce qu’ils offrent. C'est pourquoi la perfection de la charitй ne tombe pour eux sous un vњu, mais c’est pour eux comme une fin а laquelle ils essayent de parvenir par ce qu’ils promettent par un vњu.

 

D/05/YY 

Articulus 12 : [66349] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum caritas semel habita possit amitti

Article 12La charitй, une fois acquise, peut-elle se perdre ?

Objections :[63]

[66350] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66351] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 1 Dicitur enim I Ioan., III, 9 : omnis qui natus est ex Deo, peccatum non facit, quoniam semen ipsius in eo manet; et non potest peccare, quoniam ex Deo natus est. Sed caritatem non habent nisi filii Dei; ipsa enim est quae distinguit inter filios regni et filios perditionis, ut Augustinus dicit in XV de Trinit. [cap. XVIII]. Ergo ille qui habet caritatem, non potest eam amittere peccando.

1. Car il est dit en Jn 3, 9 : « Tout homme qui est nй de Dieu ne pйche pas, puisque sa semence demeure en lui ; et il ne peut pas pйcher, puisqu’il est nй de Dieu ». Mais n’ont la charitй que les fils de Dieu, car elle est ce qui a distinguй entre les fils du royaume et les fils de la perdition, comme Augustin le dit (Trinitй, XV, 18). Donc celui qui a la charitй ne peut pas la perdre en pйchant.

[66352] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 2 Praeterea, omnis virtus quae peccando amittitur, per peccatum arescit, ut Augustinus dicit : Unctio invisibilis caritas est, quae in quocumque fuerit, radix illi erit, quae arescere non potest, et nutritur calore solis, ut non arescat. Ergo caritas per peccatum amitti non potest.

2. Toute vertu qui se perd en pйchant se dйssиche par le pйchй, comme le dit Augustin : « L’onction invisible est la charitй qui aura йtй en n’importe qui, sera une racine pour lui qui ne peut pas se dйssйcher et se nourrit de la chaleur du soleil, pour ne pas se dessйcher ». Donc la charitй ne peut pas кtre perdue.

[66353] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, in VIII de Trin., quod dilectio si non est vera, dilectio dicenda non est. Sed, sicut Augustinus dicit in epistola ad Iulianum comitem, caritas quae deleri potest, nunquam vera fuit. Ergo neque caritas fuit. Qui igitur habet caritatem, non potest eam peccando deserere.

3. Augustin dit (la Trinitй, VIII) que si l’amour n’est pas vrai, il ne faut pas l’appeler amour. Mais Augustin le dit dans sa lettre au Comte Julien, la charitй qui peut кtre dйtruite, n’a jamais йtй vraie. Donc la charitй non plus n’a pas existй. Celui donc qui a la charitй ne peut pas la perdre en pйchant.

[66354] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 4 Praeterea, Prosper dicit in Lib. de contemplatione : caritas est recta voluntas Deo inseparabiliter iuncta, inquinationis extranea, corruptionis nescia, nulli vitio mutabilitatis obnoxia; cum qua nec potuit aliquis peccare, nec poterit. Ergo caritas semel habita, per peccatum amitti non potest.

4. Prosper (d’Aquitaine) dit dans le Livre de la contemplation : « La charitй est une volontй droite, unie insйparablement а Dieu, йtrangиre а la souillure, ignorant la corruption, liйe а aucun dйfaut d’inconstance ; avec laquelle personne n’a pas pu pйcher ni ne le pourra ». Donc la charitй, une fois possйdйe ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66355] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 5 Praeterea, Gregorius dicit in quadam hom., quod amor Dei magna operatur, si est. Sed nullus magna operando amittit caritatem. Ergo si caritas inest, amitti non potest.

5. Grйgoire dit dans une homйlie[64] que l’amour de Dieu opиre de grandes choses s’il existe. Mais personne ne perd la charitй en opйrant de grandes choses. Donc si la charitй est en lui, elle ne peut pas кtre perdue.

[66356] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 6 Praeterea, plus homo per caritatem amat Deum quam per naturalem amorem amet seipsum. Sed amor sui ipsius nunquam amittitur per peccatum. Ergo nec etiam caritas.

6. L’homme aime Dieu par charitй plus que par l’amour naturel dont il s’aime lui-mкme. Mais l’amour de soi ne se perd jamais par pйchй. Donc la charitй non plus.

[66357] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 7 Praeterea, liberum arbitrium non inclinatur in peccatum nisi per aliquod motivum ad peccandum. Motivum autem ad omnia peccata est amor sui, qui, ut Augustinus dicit, in XIV de civit. Dei, [cap. ult.] facit civitatem Babylonis. Sed hunc caritas excludit; quia, sicut Dionysius dicit [IV cap. de divin Nomin.] : Est extasim faciens divinus amor, non sinens sui ipsorum amantes esse. Similiter etiam radix omnium malorum ponitur cupiditas, ut apostolus dicit I ad Timoth., cap. VI. Sed hunc etiam caritas excludit, ut Augustinus dicit in l. LXXXIII quaestionum[quaest. 36). Ergo ille qui habet caritatem, non potest peccando eam amittere.

7. Le libre arbitre n’incline au pйchй que par un motif qui y pousse. Et le motif de tous les pйchйs est l’amour de soi, qui, comme Augustin le dit, (La citй de Dieu, XIV, 28) constitue la citй de Babylone. Mais la charitй l’exclut ; parce que, comme Denys le dit (Les Noms divins, IV, § 13 712A) : «L’amour divin est extatique, sans permettre ceux qui s’aiment eux-mкmes. » De la mкme maniиre aussi, la cupiditй est placйe comme la racine de tous les maux, comme l’Apфtre le dit (1 Tm 6). Mais la charitй l’exclut aussi, comme Augustin le dit dans les 83 questions (q. 36). Donc celui qui a la charitй ne peut pas la perdre en pйchant.

[66358] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 8 Praeterea, quicumque habet caritatem, spiritu Dei ducitur, secundum illud Galat. V, v. 18 : Si spiritu ducimini, non estis sub lege. Sed Spiritus sanctus, cum sit infinitae virtutis, non potest in sua actione deficere. Ergo videtur quod homo habens caritatem peccare non possit.

8. Quiconque a la charitй, est conduit par l’esprit de Dieu, selon ce verset de Gal. 5, 18 : « Si vous кtes conduits par l’esprit, vous n’кtes pas sous la loi ». Mais comme l’Esprit saint est d’une puissance infinie, il ne peut pas dйfaillir dans son action. Donc il semble que celui qui a la charitй ne pourrait pas pйcher.

[66359] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 9 Praeterea, contra nullum habitum cuius esse est in operari, contingit peccare; dicit enim philosophus in VII Ethic., quod non peccatur contra scientiam in actu, sed contra scientiam in habitu. Sed caritas semper consistit in operari : dicit enim Gregorius in quadam homil., quod amor Dei nunquam est otiosus. Ergo contra caritatem aliquis peccare non potest, ut sic per peccatum possit amitti.

9. Il arrive qu’on ne pиche contre aucun habitus dont l’кtre concerne une opйration ; car le philosophe dit (Йthique, VII, 3, 1145 b 22), on ne pиche pas contre la science en acte, mais contre la science en habitus. Mais la charitй consiste toujours а opйrer : car Grйgoire dit en une homйlie, que l’amour de Dieu n’est jamais oisif. Donc personne ne peut pйcher contre la charitй de sorte qu’elle puisse кtre perdue par ce pйchй.

[66360] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 10 Praeterea, si aliquis caritatem amittit, aut amittit eam dum habet, aut dum non habet. Sed dum habet, non amittit eam per peccatum, quia simul esset peccatum cum caritate. Neque etiam amittit eam cum non habet, quia quod non habet, amitti non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti.

10. Si quelqu'un perd la charitй, ou bien il la perd pendant qu’il l’a, ou pendant qu’il ne l’a pas. Mais pendant qu’il l’a, il ne la perd pas par le pйcher parce que le pйchй coexisterait avec la charitй. Il ne la perd quand il ne l’a pas, parce qu’il peut pas perdre ce qu’il n’a pas. Donc la charitй ne peut кtre perdue en aucune maniиre.

[66361] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 11 Praeterea, caritas accidens est quoddam in anima. Accidens autem quatuor modis potest deficere. Uno quidem modo per corruptionem subiecti; sed per hunc modum caritas deficere non potest; cum anima humana, quae est subiectum eius, sit incorruptibilis. Secundo deficit aliquod accidens per defectum causae, sicut lumen deficit ab aere per absentiam solis; sed hoc modo caritas deficere non potest, quia causa eius est indeficiens, scilicet Deus. Tertio modo deficit accidens aliquod deficiente obiecto; sicut paternitas deficit per mortem filii : sed nec hoc modo deficit caritas, quia eius obiectum est bonum aeternum, quod est Deus. Quarto modo deficit aliquod accidens per actionem contrarii agentis, sicut frigiditas aquae deficit per actionem caloris : sed nec hoc modo caritas deficere potest, cum sit fortior peccato, quod videtur in contrarium agere : secundum illud Cantic., VIII, 6 : Fortis est ut mors dilectio; et iterum : aquae quae multae non possunt extinguere caritatem. Ergo caritas nullo modo potest deficere in habente eam.

11. La charitй est un accident dans l’вme. Mais l’accident peut faire dйfaut de quatre maniиres. d’une premiиre maniиre par la corruption du sujet ; mais de cette maniиre la charitй ne peut pas faire dйfaut; puisque l’вme humaine qui est son substrat est incorruptible. D’une deuxiиme maniиre un accident fait dйfaut par dйfaillance de la cause, de mкme que la lumiиre disparaоt de l’air par absence de soleil ; mais de cette maniиre la charitй ne peut pas se perdre, parce que la cause, c'est-а-dire Dieu, est sans dйfaillance. D’une troisiиme maniиre un accident faire dйfaut par dйfaillance de l’objet, comme la paternitй faire dйfaut par la mort de l’enfant, mais la charitй ne fait pas dйfaut de cette maniиre, parce que son objet est le bien йternel, qui est Dieu. D’une quatriиme maniиre, un accident fait dйfaut par l’action d’un agent contraire, comme le froid de l’eau faire dйfaut par l’action de la chaleur ; mais de cette maniиre la charitй ne peut pas faire dйfaut, puisqu’elle est plus forte que le pйchй, qui semble agir dans le contraire ; selon cette parole du Ct 8, 6 : « L’amour est fort comme la mort » ; et en plus : « Les eaux nombreuses ne peuvent йteindre la charitй ». Donc la charitй ne peut se perdre d’aucune maniиre en celui qui la possиde.

[66362] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 12 Praeterea, peccatum est malum quoddam rationalis naturae. Sed malum non agit nisi virtute boni, ut dicit Dionysius, IV cap. de divin. Nomin — Bonum autem non contrariatur bono, ut dicitur in Praedicamentis; et ita non potest ipsum corrumpere, cum unumquodque corrumpatur a suo contrario. Caritas ergo per peccatum non potest corrumpi.

12. Le pйchй est un mal de la nature raisonnable. Mais le mal n’agit que dans le pouvoir du bien, comme le dit Denys, (Les noms divins, 4). Et le bien ne s’oppose pas au bien, comme il est dit dans les Catйgories ; et ainsi il ne peut pas le corrompre, puisque chaque chose est corrompue par son contraire. Donc la charitй ne peut pas кtre corrompue par le pйchй.

[66363] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 13 Praeterea, si caritas a peccato corrumpitur; aut a peccato existente, aut a non existente. Sed non a peccato existente; quia sic peccatum mortale simul esset cum caritate. Neque iterum a peccato non existente; quia non ens agere non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti per peccatum.

13. Si la charitй est corrompue par le pйchй, ou c’est par un pйchй qui existe ou par un pйchй qui n’existe pas ; parce qu’ainsi le pйchй mortel coexisterait avec la charitй. Ni non plus par un pйchй qui n’existe pas ; parce que le non йtant ne peut pas agir. Donc la charitй en aucune maniиre ne peut кtre perdue par le pйchй.

[66364] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 14 Praeterea, si caritas per peccatum amittitur; aut caritas et peccatum sunt in eodem instanti in anima, aut in alio. Sed non in eodem, quia tunc simul essent : neque iterum in alio et alio, quia oporteret quod esset tempus medium in quo homo neque peccatum neque caritatem haberet, quod est inconveniens. Non ergo potest caritas per peccatum amitti.

14. La charitй est perdue par le pйchй, ou bien la charitй et le pйchй sont dans un mкme instant dans l’вme ou dans un autre instant. Mais ce n’est pas dans le mкme, parce qu’alors ils seraient ensemble ; et de plus par dans l’un et l’autre, parce qu’il serait nйcessaire que ce soit un temps intermйdiaire en lequel l’homme n’aurait ni pйchй, ni charitй, ce qui ne convient pas. Donc la charitй ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66365] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 15 Praeterea, Magister dicit, 31 dist. III Lib. Sentent., quod perfecta caritas per peccatum amitti non potest.

15. le Maоtre dit, (III sent. d. 31,) que la charitй parfaite ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66366] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 16 Praeterea, sicut se habet intellectus ad cognitionem veri, ita et voluntas ad amorem boni. Sed intellectus cognoscendo quodcumque verum, cognoscit primam veritatem. Ergo amando quodcumque bonum, amat summam bonitatem. Sed nunquam peccat qui amat, nisi convertendo se per amorem ad bonum commutabile. Ergo in omni peccato homo amat summam bonitatem, cuius amor est caritas. Numquam igitur caritas per peccatum amitti potest.

16. Comme l’intellect se comporte vis-а-vis de la connaissance de la vйritй, de la mкme maniиre la volontй se comporte vis-а-vis de l’amour du bien. Mais l’intellect en connaissant quelque chose de vrai, connaоt la vйritй premiиre. Donc en aimant quelque bien, il aime la bontй suprкme. Mais celui qui aime ne pиche jamais sinon en se dйtournant par amour vers un bien changeant. Donc dans tout pйchй, l’homme aime la bontй suprкme, dont l’amour est la charitй. Jamais donc la charitй ne peut кtre perdue par le pйchй.

[66367] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut in genere causae efficientis est agens universale et proprium, ita et in genere causae finalis. Sed agens proprium semper agit in virtute universalis agentis. Ergo finis proprius semper movet voluntatem in virtute finis ultimi. Sed finis ultimus est Deus; et sic idem quod prius.

17. Dans le genre de la cause efficiente il y a l’agent universel et l’agent particulier, il en est de mкme dans le genre de la cause finale. Mais l’agent particulier agit toujours dans le pouvoir de l’agent universel. Donc la fin particuliиre meut toujours la volontй dans le pouvoir de la fin ultime. Mais la fin ultime est Dieu, et ainsi de mкme que plus haut.

[66368] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 18 Praeterea, caritas est signum quod aliquis sit verus Christi discipulus, secundum illud Ioan., XIII, 35 : In hoc cognoscent omnes quia mei estis discipuli, si dilectionem habueritis ad invicem. Sed non est Christi verus discipulus qui non semper est eius discipulus unde Augustinus [tract. XXVII in Ioan. VI, 67] exponens illud Ioan., VI : Multi ex discipulis eius abierunt retrorsum, dicit, quod illi non fuerunt Christi veri discipuli; et dominus dicit, Ioan. VIII, 31 : Si manseritis in sermone meo, veri discipuli mei eritis. Ergo ille qui non permanet in caritate nunquam habuit caritatem.

18. La charitй est le signe que quelqu'un est vrai disciple du Christ, selon cette parole de Jn 13, 35 : « En cela tous reconnaitront que vous кtes mes disciples, si vous avez de l’amour entre vous ». Mais n’est pas vйritable disciple du Christ celui qui n’est pas toujours son disciple c'est pourquoi Augustin, exposant cette parole de Jn 6 : « Beaucoup de ses disciples d’en allиrent » , dit que ceux-lа ne furent pas de vrais disciples et le Seigneur dit (Jn 8, 31) : « Si vous demeurez en ma parole, nous serez mes vrais disciples ». Donc celui qui ne demeure pas dans la charitй ne l’a jamais eue.

[66369] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 19 Praeterea, omnis motus est secundum exigentiam praedominantis. Sed caritas praedominatur in corde caritatem habentis, quia totum cor sibi occupat, secundum illud quod mandatur Deuter. VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Ergo motus omnis habentis caritatem est secundum caritatem; non ergo per peccatum amitti potest.

19. Tout mouvement dйpend de l’exigence de celui qui domine. Mais la charitй domine dans le cњur de celui qui la possиde, parce que tout le cњur s’occupe de lui selon ce commandement de Dt 6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cњur ». Donc tout mouvement de celui qui possиde la charitй dйpend d’elle, donc elle ne peut pas кtre perdue pas le pйchй.

 

[66370] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 20 Praeterea, differentiae diversificantes genus vel speciem non possunt convenire eidem secundum numerum. Sed corruptibile et incorruptibile diversificant genus, ut dicitur in X Metaph.[comm. 26]. Cum igitur caritas viae et patriae sit eadem numero, videtur quod sicut caritas patriae corrumpi non potest, ita nec caritas viae.

20. Les diffйrences qui diversifient le genre ou l’espиce ne peuvent pas convenir а un mкme chose en nombre. Mais le corruptible et l’incorruptible diversifient le genre, comme il est dit en Mйtaphysique X, 10, 1059 a. Donc comme la charitй de la voie et la patrie est la mкme en nombre, la charitй de la patrie ne peut pas кtre corrompue, de mкme celle de la voie non plus.

[66371] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 21 Praeterea, si caritas corrumpitur : aut corrumpitur in aliquid, aut in nihil. Sed non in aliquid; quia hoc est solum formarum quae educuntur de potentia materiae. In nihil autem corrumpi non potest : quia Deus nunquam caritatem corrumpit, qui solus potest ex aliquo facere nihil, sicut ipse solus potest facere ex nihilo aliquid : aequalis enim est utraque distantia. Ergo videtur quod caritas corrumpi non possit.

21. Si la charitй est corrompue, ou bien elle l’est en quelque chose ou en rien. Mais pas en quelque chose, parce que cela vient seulement des formes qui sont йduites de la puissance de la matiиre. Mais en rien elle ne peut кtre dйtruite : parce que Dieu ne dйtruit jamais la charitй, lui qui peut seul faire rien de quelque chose, comme il peut seul faire quelque chose de rien ; car l’une et l’autre distance sont йgales. Donc il semble que la charitй ne pourrait pas кtre corrompue.

[66372] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 22 Praeterea, illud per quod peccatum tollitur, a peccato corrumpi non potest. Sed peccatum tollitur per caritatem, secundum illud I Pet., IV, 8 : Caritas operit multitudinem peccatorum. Ergo caritas per peccatum amitti non potest.

22. Ce par quoi le pйchй est enlevй, ne peut pas кtre corrompu par lui. Mais le pйchй est enlevй par la charitй, selon cette parole de 1 P 4, 8 : « La charitй couvre de nombreux pйcheurs ». Donc la charitй ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66373] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 23 Praeterea, super illud Ps. XXVI, 2 : Deum appropiant super me nocentes, ut edant carnes meas dicit Glossa Augustini : Si aufertur donum, dator vincitur. Sed Deus, qui est dator caritatis, vinci non potest. Ergo caritas non potest auferri per peccatum.

23. Sur ce Ps 26, 2 : « Les mйchants s’approchent de moi pour manger mes chairs », la glose d’Augustin dit : « Si le don est enlevй, le donneur est vaincu ». Mais Dieu qui est le donneur de la charitй, ne peut pas кtre vaincu. Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe par le pйche.

[66374] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 24 Praeterea, per caritatem anima unitur Deo ut sponsa, secundum quoddam spirituale matrimonium. Sed matrimonium carnale non potest separari per dissensum supervenientem matrimonio. Ergo caritas non potest tolli per peccatum quo mens dissentit ab iis quae sunt Dei.

24. Par la charitй l’вme s’unit а Dieu comme une йpouse, selon un certain mariage spirituel. Mais le mariage charnel ne peut pas кtre enlevйй par un dissentiment qui survient dans le mariage. Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe par le pйchй par lequel l’esprit n’est pas d’accord а ce qui est de Dieu.

En sens contraire :

[66375] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. II, v. 4 : Habeo adversus te pauca, quod caritatem tuam primam reliquisti.

1. On lit dans Ap 2, 4 : « Ce peut que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonnй ton premier amour. ».

 

[66376] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in homilia [XXX in Eang.] : in quorumdam corda venit Deus, et mansionem non facit; quia per compunctionem respectum Dei percipiunt, sed tentationis tempore sic ad perpetranda peccata redeunt, ac si haec minime planxissent. Sed Deus non venit in corda fidelium nisi per caritatem. Ergo aliquis post habitam caritatem potest eam amittere per sequens peccatum.

2 Saint Grйgoire le Grand dit dans une homйlie (Sur l’Йvangile, homйlie 30) : « Dans les coeurs de certains, Dieu vient mais n’y йtablit pas sa demeure, parce que par componction ils conзoivent du respect pour Dieu, mais au temps de la tentation ils retournent exйcuter leur pйchйs comme si ceux-ci les avaient fort peu frappйs ». Mais Dieu ne vient dans le cњur des fidиles que par charitй. Donc quelqu’un aprиs avoir possйde la charitй peut la perdre par un pйchй qui suit.

[66377] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 3 Praeterea, I Reg., XVI, dicitur de David, quod dominus erat cum eo. Sed postmodum peccavit, faciendo adulterium et homicidium. Deus autem est in homine per caritatem. Ergo post habitam caritatem aliquis potest eam amittere peccando mortaliter.

3. Au premier livre des Rois 16, 13 il est dit de David que le Seigneur йtait avec lui. Mais par la suite il pйcha en commettant un adultиre et un homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charitй. Donc aprиs avoir eu la charitй on peut la perdre en pйchant mortellement.

[66378] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 4 Praeterea, caritas est vita animae, secundum illud I Ioan. III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Sed vita naturalis potest amitti per mortem naturalem. Ergo et vita caritatis per mortem peccati mortalis.

4. La charitй est la vie de l’вme selon ce que dit 1 Jn 3, 14 : « Nous savons que nous sommes passйs de la mort а la vie parce que nous aimons nos frиres ». Mais la vie naturelle peut se perdre par la mort naturelle. Donc aussi la vie de charitй par la mort du pйchй mortel.

Rйponse :

[66379] De virtutibus, q. 2 a. 12 co. Respondeo. Dicendum, quod Magister in 17 dist., I Lib., posuit, quod caritas in nobis sit Spiritus sanctus. Non autem fuit sua intentio dicere, quod ipse actus dilectionis nostrae sit Spiritus sanctus; sed quod Spiritus sanctus movet animam nostram ad diligendum Deum et proximum, sicut etiam ad actus aliarum virtutum : sed ad actus aliarum virtutum movet animam per quosdam habitus virtutum infusarum; ad actum autem dilectionis Dei et proximi movet absque alio habitu mediante. Unde eius opinio vera fuit quidem quantum ad hoc quod posuit animam moveri a spiritu sancto ad diligendum Deum et proximum; sed imperfecta fuit quantum ad hoc, quia non posuit in nobis habitum, quid creatum, quo perficeretur voluntas humana ad huiusmodi dilectionis actum. Oportet enim huiusmodi habitum in anima poni, ut supra, art. 1 huius quaest., habitum est.

Le Maоtre (Pierre Lombard I Sent. d. 17[65]) a pensй que la charitй en nous est l’Esprit Saint. Or зa n’a pas йtй son intention de dire que notre acte d’amour soit l’Esprit Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre вme а aimer Dieu et le prochain, comme aussi pour les actes des autres vertus; mais pour les actes des autres vertus il meut l’вme par les habitus de vertus infuses ; pour les actes d’amour de Dieu et du prochain il meut sans aucun autre habitus intermйdiaire. C'est pourquoi ce qu’il a pensй a йtй vrai du fait que l’Esprit Saint incite l’вme а aimer Dieu et le prochain ; mais elle a йtй imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus, quelque chose de crйй, par lequel la volontй humaine serait accomplie en vue d’un tel acte d’amour. Il faut en effet mettre dans l’вme un tel habitus, comme on l’a vu au premier article.

 

Potest igitur quadruplex consideratio de caritate haberi.

Prima quidem ex parte Spiritus sancti moventis animam ad dilectionem Dei et proximi; et quantum ad hoc, necesse est dicere, quod motio Spiritus sancti semper est efficax secundum suam intentionem. Operatur enim in anima Spiritus sanctus dividens singulis prout vult, ut dicitur 1 Cor., XII; et ideo quibus spiritus sanctus pro suo arbitrio vult dare perseverantem divinae dilectionis motum, in his peccatum caritatem excludens esse non potest. Dico non posse ex parte virtutis motivae, quamvis possit ex parte vertibilitatis liberi arbitrii. Ista enim sunt beneficia Dei, quibus certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit in Lib. de Praedest. Sanctor. Quibusdam autem Spiritus sanctus, pro suo arbitrio, dat quidem ut ad tempus moveantur motu dilectionis in Deum, non autem dat eis ut in hoc perseverent usque in finem, ut patet per Augustinum in Lib. de Corrept. et gratia.

 On peut avoir quatre considйrations sur la charitй.

Premiиre considйration : du cфtй de l’Esprit Saint qui incite l’вme а l’amour de Dieu et а ce sujet il est nйcessaire de dire que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace selon son intention. En effet il opиre dans l’вme « distribuant а chacun comme il le veut », comme il est dit 1 Co 12, 11; et donc chez ceux auxquels selon son bon plaisir il veut donner le mouvement de persйvйrance dans la divine charitй il ne peut y avoir chez eux de pйchй excluant la charitй. Je dis que ce n’est pas possible du cфtй de la vertu qui y incite, bien que cela le soit du cфtй de la versatilitй du libre arbitre. Ce sont lа en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement libйrйs tous ceux qui sont libйrйs, comme saint Augustin le dit au Livre de la Prйdestination des saints. Or а certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir donne d’кtre mыs, pour un temps, du mouvement d’amour de Dieu mais il ne leur donne pas d’y persйvйrer jusqu’а la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de la Correction et de la Grвce.

Secunda consideratio est de caritate secundum potestatem ipsius caritatis; et quantum ad hoc, nullus habens caritatem potest peccare, quantum est ex vi ipsius caritatis, sicut neque aliquis habens aliquam formam, ex vi illius formae potest operari contra formam illam; sicut calidum ex vi calidi non potest infrigidare, vel frigidum esse; potest tamen amittere calorem et infrigidari. Et secundum hoc loquitur Augustinus in Lib. de sermone Domini in monte [lib. II, cap. XXXVII], exponens illud quod habetur Matth., VII, 18 : Non potest arbor bona fructus malos facere. Dicit enim, quod sicut potest fieri ut quod fuit nix, non sit, non autem ut nix sit calida; sic potest fieri ut qui malus fuit non sit malus, non tamen fieri potest ut malus bene faciat : et eadem ratio est de bono secundum quamcumque virtutem, quia nulla virtute aliquis male utitur.

La seconde considйration concerne la charitй du cфtй de son pouvoir et quant а cela personne n’ayant la charitй ne peut pйcher en vertu mкme de la force de la charitй, comme celui qui a une certaine forme ne peut opйrer contre elle en vertu de cette mкme forme, comme ce qui est chaud ne peut pas refroidir ou кtre froid par la force du chaud, mais il peut cependant perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’aprиs cela saint Augustin (Le sermon du Seigneur sur la montagne, II, 37) expose ce qui est dit en Mt 7, 18 : « Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits ». Il dit en effet que de mкme qu’il peut se faire que ce qui a йtй neige ne le soit plus, mais pas que la neige soit chaude, ainsi il peut se faire que celui qui fut mйchant ne le soit plus, non cependant qu’il soit fait que le mйchant fasse bien ; et c’est la mкme raison pour le bien en ce qui concerne n’importe quelle vertu, parce qu’on ne se sert mal d’aucune vertu.

Tertia consideratio est de caritate ex parte voluntatis, in quantum ei subiicitur ut materia formae. Ubi attendendum est, quod quando forma implet totam potentialitatem materiae, non potest remanere in materia potentia ad aliam formam; unde illam formam inamissibiliter habet, sicut patet de materia caelesti. Quaedam vero forma est quae non replet totam potentialitatem materiae, sed remanet potentia ad aliam formam; et tunc illa forma amissibiliter habetur ex parte materiae vel subiecti, sicut patet in formis elementarium corporum. Caritas autem implet potentialitatem sui subiecti, secundum quod suum subiectum reducit in actum dilectionis : et ideo in patria, ubi actu creatura rationalis diligit Deum ex toto corde suo, et nihil aliud diligit nisi actualiter referendo in Deum, caritas inamissibiliter habetur; in statu autem viae caritas non implet totam potentialitatem animae, quae non semper actualiter movetur in Deum, omnia in ipsum actuali intentione referens; et ideo caritas viae amissibiliter habetur, quantum est ex parte subiecti.

 La troisiиme considйration sur la charitй du cфtй de la volontй en tant que celle-ci lui est soumise comme la matiиre а la forme. Oщ il faut remarquer que quand la forme remplit toute la potentialitй de la matiиre, la puissance ne peut plus demeurer dans la matiиre pour une autre forme ; c'est pourquoi elle a cette forme sans pouvoir la perdre, comme on le voit dans la matiиre cйleste. Il y a une forme qui ne remplit pas toute la potentialitй de la matiиre, mais la puissance demeure pour une autre forme et donc cette forme est peut кtre perdue du cфtй de la matiиre ou du sujet comme on le voit dans les formes des corps йlйmentaires. Mais la charitй comble la potentialitй de son sujet qu’elle ramиne а l’acte d’amour et ainsi c’est dans la patrie oщ la crйature raisonnable aime Dieu de tout son coeur et actuellement et n’aime rien d’autre sinon qu’en le rapportant actuellement а Dieu c’est lа que la charitй est possйdйe sans pouvoir кtre perdue. Dans l’йtat de voie la charitй ne comble pas toute la potentialitй de l’вme qui n’est pas constamment poussйe en Dieu en acte, rapportant tout а lui par une intention actuelle, et ainsi la charitй de la voie est peut кtre perdue du cфtй du sujet.

Quarta consideratio est de caritate ex parte subiecti, prout comparatur specialiter ad ipsam caritatem sicut potentia ad habitum. Ubi considerandum est, quod habitus virtutis inclinat hominem ad recte agendum, secundum quod per ipsam homo habet rectam aestimationem de fine; quia, ut dicitur in III Ethic. [cap. V], qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei. Sicut enim gustus iudicat de sapore, secundum quod est affectus aliqua bona vel mala dispositione, ita id quod est conveniens homini secundum habitualem dispositionem sibi inhaerentem, bonam vel malam, aestimatur ab eo ut bonum; quod autem ab hoc discordat, aestimatur ut malum et repugnans; unde et apostolus dicit, I ad Cor., cap. II, 14, quod animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei.

 La quatriиme considйration concerne la charitй du cфtй du sujet dans la mesure oщ il est comparй spйcialement а la charitй elle-mкme, comme la puissance а l’habitus. Il faut ici considйrer que l’habitus de la vertu incline l’homme а agir avec droiture selon que par elle il a une juste estimation de la fin ; car comme il est dit (Йthiques III, 5) : « Tel est chacun et telle aussi lui semble la fin ». De mкme en effet que le goыt juge la saveur selon qu’il est affectй d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient а l’homme selon la disposition habituelle adhйrente, qui est bonne ou mauvaise, est estimй par lui comme un bien; ce qui n’est pas en accord avec cela est estimй mauvais et rйpugnant; d’oщ ce que dit l’Apфtre 1 Co 2, 14 « L’homme charnel ne perзoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ».

Contingit tamen quandoque, quod id quod videtur alicui secundum inclinationem habitus, non videatur ei secundum aliquid aliud; sicut luxurioso secundum inclinationem proprii habitus videtur bonum delectatio carnis, sed secundum rationis deliberationem, vel auctoritatem Scripturae, videtur ei contrarium; et ideo habens habitum luxuriae, ex hac aestimatione contra habitum quandoque agit, et similiter habens habitum virtutis quandoque agit contra inclinationem proprii habitus; quia aliquid ei aliter videtur secundum aliquem alium modum, puta per passionem, vel aliquam seductionem.

Il arrive parfois cependant que ce qui paraоt а quelqu’un en accord avec la tendance de l’habitus ne lui paraоt en accord а autre chose; comme au luxurieux selon la tendance de son propre habitus la tendance de la chair lui paraоt un bien, mais selon la dйlibйration de la raison ou l’autoritй de l’Ecriture elle lui paraоt contraire. Et ainsi celui qui a l’habitus de la luxure agit quelquefois selon cette estimation contre l’habitus, et de la mкme maniиre celui qui l’habitus de la vertu agit quelquefois contre la tendance de son propre habitus, parce que quelque chose d’autre lui semble d’une autre maniиre, par exemple par passion ou par une sйduction.

Tunc ergo contra habitum caritatis nullus agere poterit, quia nullus potest habere aliam aestimationem de fine et obiecto caritatis quam secundum inclinationem caritatis; hoc autem erit in patria, ubi ipsa Dei essentia videbitur, quae est ipsa essentia bonitatis. Unde sicut nunc nullus potest aliquid velle nisi sub communi ratione boni, nec bonum sub ratione boni potest non amari, ita et tunc hoc bonum, quod est Deus, nullus poterit non amare. Et propter hoc, nullus videns Deum per essentiam, potest contra caritatem agere. Et inde est quod caritas patriae est inamissibilis.

 Alors donc personne ne pourra agir contre l’habitus de la charitй parce que personne ne peut avoir une autre estimation de la fin et de l’objet de la charitй que selon la tendance de la charitй cela existera dans la patrie oщ l’essence mкme de Dieu et qui est l’essence mкme de la bontй sera vue. C'est pourquoi que de mкme que personne ne peut vouloir une chose que sous la commune raison de bien, et que le bien ne peut ne pas кtre aimй sous sa raison de bien, de mкme aussi alors ce bien qui est Dieu personne ne pourra pas ne pas l’aimer. Et а cause de cela personne voyant Dieu par son essence ne peut agir contre а la charitй. Et de lа vient que la charitй de la patrie est inamissible.

Sed nunc mens nostra non videt ipsam essentiam bonitatis divinae, sed aliquem effectum eius, qui potest videri bonus et non bonus, secundum diversas considerationes; sicut bonum spirituale aliquibus videtur non bonum, in quantum contrariatur delectationi carnali, in cuius concupiscentia sunt. Ideo caritas viae potest amitti per peccatum mortale.

Mais maintenant notre esprit ne voit pas l’essence mкme de la bontй de Dieu, mais un effet qui peut paraоtre bon ou non selon diffйrentes considйrations ; de mкme que le bien spirituel ne paraоt pas bon а certains en tant qu’il s’oppose а la dйlectation charnelle en la concupiscence duquel ils sont. Ainsi la charitй de la voie peut se perdre par le pйchй mortel.

Solutions :

[66380] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illum Ioannis est intelligendum secundum potestatem Spiritus sancti moventis animam, qui indeficienter operatur quod vult.

1. Cette parole de Jean est а penser selon le pouvoir de l’Esprit saint qui meut l’вme, qui opиre ce qu’il veut sans dйfaillance.

[66381] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de caritate secundum potestatem ipsius caritatis : de se enim habet sufficienter unde nunquam arescat; sed quod amittatur, est propter vertibilitatem subiecti, ut dictum est.

2. Augustin parle lа de charitй selon sa puissance mкme : car de soi elle a suffisamment de quoi ne jamais se dйssиcher ; mais qu’elle soit perdue est а cause de la mutabilitй du sujet, comme il a йtй dit.

[66382] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vera dilectio de sua ratione habet quod nunquam amittatur; qui enim vere diligit hominem, hoc in animo suo proponit, ut nunquam dilectionem dimittat. Sed quandoque illud propositum mutatur, et sic dilectio quae vera fuit, amittitur. Si autem hoc aliquis habuisset in proposito, ut a diligendo quandoque desisteret, vera dilectio non fuisset. Unde patet, quod caritas inamissibilis est secundum potestatem propriam; amitti tamen potest secundum potestatem subiecti vertibilis.

3. L’amour vrai de sa nature a qu’il n’est jamais perdu ; car qui aime vraiment un homme, place cela en son вme de ne jamais perdre son amour. Mais quelquefois ce dessin change, et ainsi l’amour qui a йtй vrai est changй. Et ainsi l’amour qui a йtй vrai est abandonnй. Mais si quelqu’un l’avait eu dans son dessin, pour cesser quelquefois d’aimer, l’amour vrai n’aurait pas existй. C'est pourquoi il est clair que la charitй est inamissible, selon une puissance propre, cependant elle peut кtre abandonnйe selon la puissance d’un sujet changeant (?)

[66383] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa etiam auctoritas prosperi loquitur de caritate secundum potestatem ipsius, et non secundum potestatem subiecti.

4. Cette autoritй de Prosper (d’Aquitaine) parle de la charitй selon sa puissance et non selon la puissance du sujet.

[66384] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas, dum est, habet inclinationem ad magna operandum; et hoc vult et proponit, secundum rationem suae virtutis; sed quandoque ab hoc deficit propter vertibilitatem subiecti.

5. Tant que la charitй existe, elle a une tendance а opйrer de grandes њuvres ; et elle le veut et le propose selon la nature de sa pouvoir, mais quelquefois elle fait dйfaut а cause du changement du sujet.

[66385] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum in homine sit duplex natura, scilicet intellectiva, quae principalior est, et sensitiva, quae minor est, ille vere seipsum diligit qui se amat ad bonum rationis : qui autem se amat ad bonum sensualitatis contra bonum rationis, magis se odit quam amat, proprie loquendo, secundum illud Psalm. X, 5 : Qui diligit iniquitatem, odit animam suam; et hoc etiam philosophus dicit in IX Ethic. [cap. IV]. Et secundum hoc amor verus sui ipsius amittitur per peccatum contrarium, sicut et amor Dei.

6. Comme dans l’homme il y a une double nature, а savoir intellectuelle qui plus importante et une nature sensitive, qui l’est moins, s’aime vraiment celui qui s’aime pour le bien de la raison, mais celui qu’il s’aime pour le bien de la sensualitй, contre le bien de la raison, se hait plus qu’il ne s’aime, а proprement parler, selon cette parole du Ps (10, 5) : «Qui aime l’iniquitй hait son вme ». Et cela aussi le philosophe le dit (Йthique, IX, 4, 1166 b 19). Et selon cela l’amour vrai de soi-mкme est perdu par le pйchй contraire, comme l’amour de Dieu.

[66386] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod caritas excludit omne motivum peccati secundum suum propositum : pertinet enim hoc ad rationem caritatis, ut velit non concupiscere, nec inordinate se amare. Sed quandoque accidit contrarium, propter vertibilitatem et corruptionem naturae; secundum illud Apostoli ad Roman. cap. VII, 19 : Non enim quod volo bonum, hoc ago; sed quod odi malum, id facio.

7. La charitй exclut tout motif de pйchй enson dessein ; car il appartient а la nature de la charitй, de vouloir ne pas dйsirer, ni s’aimer contre l’ordre. Mais quelquefois il arrive le contraire, а cause du changement et de la corruption de la nature ; selon cette parole de l’Apфtre (Rm 7, 19) : « Car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais ».

[66387] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamdiu aliquis sequitur motionem Spiritus sancti, non peccat; sed quando resistit, tunc peccat.

8. Aussi lontemps que quelqu’un suit la motion du Esprit saint, il ne pиche pas, mais quand il rйsiste, alors il pиche.

[66388] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod esse caritatis non semper est in operari; alioquin dormientes non haberent caritatem. Dicitur autem quod amor Dei nunquam est otiosus secundum caritatis propositum, quod ad hoc est ut totum se homo det Deo.

9. L’кtre de la charitй n’est pas toujours pour opйrer, autrement ceux qui dorment n’auraient pas la charitй. Mais on dit que l’amour de Dieu n’est jamais oisif, selon le dessein de la charitй, pour que l’homme se donne tout entier а Dieu.

[66389] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod amissio ita se habet ad rem habitam sicut corruptio ad rem existentem. Unde sicut corruptio incipit a re existente, et terminatur in eius non esse, quia eius mutatio est de esse in non esse; ita etiam amissio, cum sit etiam mutatio de habere in non habere, incipit in habere, et terminatur in non habere, et ideo principium amissionis caritatis est quando caritas habetur; finis autem quando non habetur.

10. La perte se comporte vis-а-vis de ce qu’on possиde comme la corruption vis-а-vis de ce qui existe. C'est pourquoi, de mкme que la corruption commence а ce qui existe et se termine а son non кtre, parce que son changement passe de l’кtre au non кtre, de mкme aussi comme la perte est aussi un changement de la possession а la non possession, elle commence dans le possession et se termine dans la non possession, et c'est pourquoi le commencement de la perte de la charitй est quand on a la charitй, mais la fin quand on ne l’a pas.

[66390] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas aliquo modo desinit esse in anima secundum illa quatuor. Subiectum enim caritatis quamvis sit incorruptibile secundum substantiam, fit tamen indispositum ad hanc formam per contrariam dispositionem peccati. Similiter, quamvis causa caritatis sit incorruptibilis, tamen influxio huiusmodi causae impeditur per peccatum, quod dividit inter nos et Deum. Et ex hac etiam ratione ex parte obiecti deficit caritas, in quantum voluntas se avertit a bono incommutabili. Desinit etiam per contrarium motivum ad peccandum : quod licet, simpliciter loquendo, sit debilius quam caritas, tamen in casu potest esse fortius; quando scilicet caritas in actu non operatur, et motivum peccati movet in aliquo particulari opere, sicut etiam philosophus ostendit in VII Ethic. [cap. XI], quod a passione potest vinci scientia, quamvis sit fortissima; in quantum non est in actu agens, sed in habitu ligato per passionem : et sicut scientia est fortissima in universali, passio autem in particulari operabili, ita caritas est fortissima circa finem ultimum; et motivum peccati habet fortitudinem in aliquo particulari opere.

11. La charitй d’une certaine maniиre cesse d’кtre dans l’вme selon quatre points de vue. Car bien que le sujet de la charitй soit incorruptible en substance, elle devient cependant indisponible pour cette forme par une disposition contraire du pйchй. De la mкme maniиre, bien que la cause de la charitй soit incorruptible, cependant l’йcoulement de cette cause est empкchй par le pйchй, qui nous sйpare de Dieu. Et aussi par cette raison du cфtй de l’objet la charitй fait dйfaut, en tant que la volontй se dйtourne du bien immuable. Elle cesse aussi par un motif contraire pour pйcher ; ce qui а simplement parler, bien qu’il soit plus fragile que la charitй, cependant en cette occasion, il peut кtre plus fort ; quand la charitй en acte n’opиre pas, que le mouvement du pйchй pousse а une њuvre particuliиre, comme aussi le philosophe le montre en Ethique, VII, 11, que par la passion la science peut кtre vaincue, bien qu’elle soit trиs forte ; en tant que ce n’est pas un agent en acte, mais dans un habitus liй par la passion, et de mкme que la science est trиs forte dans l’universel, la passion aussi dans ce qui peut кtre opйrй en particulier, de mкme la charitй est trиs forte pour la fin ultime, et le motif du pйchй a une force dans une њuvre particuliиre.

[66391] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod philosophus dicit, quod bonum unius virtutis non contrariatur bono alterius virtutis; et hoc intendit philosophus dicere in Praedicamentis [in postpraedic., cap. de oppositis] et in II Ethic. Sed in naturis bonum contrariatur bono; utrumque enim contrariorum est quoddam bonum naturae. Bonum ergo quod movet appetitum ad peccandum, contrariatur bono divino quod est obiectum caritatis, in quantum in eo constituitur finis. Sic enim non est possibile esse nisi unum finem ultimum : sicut et in regno, in quo non potest esse nisi unus rex, contrariatur regi qui se regem facit secundum illud Ioan., XIX, 12 : Omnis qui se regem facit, contradicit Caesari.

12. Le philosophe dit, que le bien d’une seule vertu ne s’oppose pas au bien d’une autre vertu, et le philosophe tend а le dire dans les Catйgories, les opposйs et en Ethique II. Mais dans les natures, le bien s’oppose au bien ; car l’un et l’autre des contraires est une bien de la nature. Donc le bien qui pousse l’appйtit а pйcher, est contraire au bien divin qui est l’objet de la charitй, en tant que la fin est constituйe en lui. Car ainsi il n’est possible qu’il n’y ait qu’une fin ultime : de mкme que dans un royaume, en lequel il ne peut y avoir qu’un roi, s’oppose а lui celui qui se proclame roi selon cette parole de Jn 19, 12 : « Tout homme qui se fait roi s’oppose а Cйsar »/

[66392] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod caritas non expellitur a peccato sicut ab agente, sed sicut a contrario; unde ipsa superventio peccati est expulsio caritatis, sicut adventio lucis expulsio est tenebrarum : lux enim expellit tenebras in ipso suo fieri; sed motivum ad peccatum expellit secundum quod praeexistit in apprehensione animae.

13. La charitй n’est pas chassйe par le pйchй comme par un agent, mais comme par un contraire ; c'est pourquoi la survenue du pйchй est l’expulsion de la charitй, comme l’arrivйe de la lumiиre est l’expulsion des tйnиbres : car la lumiиre chasse les tйnиbres en leur devenir, mais ce qui pousse au pйchй chasse selon ce qui prйexiste dans l’apprйhension de l’вme.

[66393] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quando homo in peccato mortali consistit, hoc quadam deliberatione rationis agitur, quia sine deliberato consensu non est peccatum mortale. Deliberatio autem quidam motus est tempore mensuratus, in cuius temporis ultimo instanti inest peccatum animae; sed ante illud ultimum instans, non est dare proximum in quo caritas insit; quia instantia non se habent consequenter, sed tempus est continuum; et ideo in toto tempore praecedenti quod terminatur ad ultimum instans, caritas inest animae, in cuius ultimo instanti post inest peccatum. Non ergo est dare ultimum instans in quo caritas insit, sed ultimum temporis, ut per philosophum patet in VIII Physic.

14. Quand un homme se trouve dans un pйchй mortel, il est poussй par cette dйlibйration de la raison, parce que sans consentement dйlibйrй, il n’y a pas de pйchй mortel. Mais le consentement est un mouvement mesurй par le temps, au dernier instant duquel il y a le pйchй de l’вme ; mais avant cette ultime instant, il ne faut pas exposer le prochain en quoi se trouve la charitй; parce que ces instants ne se comportent pas logiquement, mais le temps est continu, et ainsi dans tout le temps prйcйdant, qui se termine а l’ultime instant, la charitй est dans l’вme, en ce dernier instant aprиs il y a le pйchй. Donc il ne faut pas donner un ultime instant en lequel la charitй se trouve, mais l’ultime instant du temps, comme on le voit par le philosophe en Physique VIII.

[66394] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod si Magister intelligat de perfecta caritate, quae est caritas patriae, verum est quod inamissibilis est, rationibus supradictis. Si vero intelligatur de caritate viae quantumcumque perfecta, non est verum quod sit inamissibilis ex modo inhaerentiae ipsius ad subiectum, sed ex sola virtute motionis Spiritus sancti; et sic dicuntur confirmati quicumque fuerunt confirmati in statu viae.

15. Si le Maоtre pense а la charitй parfaite, qui est la charitй de la patrie, il est vrai qu’elle est inamissible, pour les raisons donnйes ci-dessus. Mais s’il pense а la charitй de la voie, pour autant qu’elle soit parfaite, il n’est pas vrai qu’elle soit inamissible, par le mode de son inhйrence au sujet, mais par le seul pouvoir de la motion de l’Esprit saint, et ainsi on dit que sont affermis tous ceux qui ont йtй affermis dans la statut de la voie.

[66395] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod sicut in cognitione cuiuslibet veri cognoscitur prima veritas, sicut primum exemplar in imagine, vel vestigio; ita etiam in amore cuiuslibet boni amatur summa bonitas. Sed talis amor summae bonitatis non sufficit ad rationem caritatis, sed oportet quod diligatur summum bonum prout est beatitudinis obiectum.

16. Comme dans la connaissance de quelque chose de vrai on connaоt la vйritй premiиre ; de mкme dans l’amour de quelque chose de bon on aime la bontй suprкme. Mais un tel amour de la suprкme bontй ne suffit pas а la nature de charitй, mais il est nйcessaire que soit aimй le bien suprкme dans la mesure oщ il est l’objet de la bйatitude.

[66396] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 17 Et per hoc etiam patet responsio ad decimumseptimum.

17. Et par cela apparaоt la rйponse а la dix-septiиme objection.

[66397] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut Augustinus dicit [tract. XLV In Ioan.] exponens illud Ioan., X, 27 : Oves meae vocem meam audiunt, et vocem alienorum non audiunt, est quaedam vox Christi quam nullus audit nisi sit ovis eius per praedestinationem; haec scilicet vox : Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Et per hunc modum intelligit, quod qui non permanet in sermone Christi, non est vere discipulus, quia perseverare ab eo efficaciter non didicit; potest tamen esse discipulus ad tempus quantum ad temporalem dilectionem Dei et proximi.

18. Comme Augustin le dit en exposant cette parole de Jn 10, 27 : « Mes brebis entendent ma voix, et elles n’entendent pas la voix des йtrangers », c’est une parole du Christ que quelqu'un n’entend que s’il est sa brebis par prйdestination ; telle cette parole : « Qui persйvиrera jusqu’а la fin, celui-lа sera sauvй ». Et de cette maniиre il pense que qui ne demeure pas dans la parole du Christ n’est pas vraiment un disciple, parce qu’il n’a pas appris de lui а persйvйrer efficacement ; cependant il peut кtre disciple pour un temps pour un amour temporel de Dieu et du prochain.

[66398] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod quamdiu caritas actu dominatur in homine, non movetur motu contrario, sed sequitur homo motum caritatis; et ideo summum remedium contra peccatum est ut homo redeat ad cor suum, convertens illud in Dei dilectionem. Sed quando actu homo secundum caritatem non movetur, ingeritur quandoque motus contrarius peccati.

19. Tant que la charitй domine en acte dans l’homme, elle n’est pas mue par un mouvement contraire, mais l’homme suit le mouvement de la charitй : et ainsi le remиde le meilleur contre le pйchй est que l’homme revienne а son cњur, le convertissant а l’amour de Dieu. Mais quand l’homme n’est pas mы par un acte selon la charitй, quelquefois s’introduit un mouvement contraire au pйchй.

[66399] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod corrumpi et generari vel fieri est proprium eius quod habet esse : et hoc est solum res subsistens in suo esse. Accidentia autem et formae non subsistentes, non dicuntur entia quia ipsae habeant esse, sed quia eis aliquid est. Et ideo fieri et corrumpi non proprie est accidentium et formarum, sed subiectorum; puta, cum corpus aliquod fit album hoc est albedinem fieri, sicut aliquod corpus esse album, hoc est albedinem esse. Et eadem ratio est de corruptione; et ideo corruptibile et incorruptibile non attribuuntur per se accidenti, sed substantiae. Unde nihil prohibet caritatem viae et patriae esse eamdem numero, quamvis caritas viae sit amissibilis, caritas autem patriae sit inamissibilis.

20. Кtre corrompu, engendrй ou devenir est le propre de ce qui a l’кtre, et cela est seulement la chose subsistance en son кtre. Mais on ne dit pas que les accidents et les formes non subsistantes sont des кtres, parce qu’ils ont l’кtre, mais parce qu’il y a quelque chose en eux. Et ainsi devenir et кtre corrompu ne vient pas au sens propre des accidents ou des formes, mais des sujets ; par exemple, quand un corps devient blanc, c’est devenir blancheur, de mкme que quelque corps est blanc c’est кtre blancheur. Et la mкme raison concerne la corruption ; et ainsi le corruptible et l’incorruptible ne sont pas attribuйs par soi а l’accident, mais а la substance. C'est pourquoi rien n’empкche la charitй de la voie et celle de la patrie d’кtre identique en nombre, bien que la charitй de la voie soit pйrissable, mais celle de la patrie non.

[66400] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod sicut iam dictum est, caritas, proprie loquendo, non corrumpitur, sed subiectum desinit participare caritatem; unde non proprie dicitur quod caritas corrumpatur, vel in aliquid, vel in nihil.

21. Comme on l’a dйjа dit, la charitй, а proprement parler, n’est pas corrompue, mais son sujet cesse de participer а la charitй ; c’est pour quoi on ne dit pas а proprement parler que la charitй est corrompue, ou en quelque chose ou en rien.

[66401] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod propter vertibilitatem subiecti, sicut caritas superveniens peccato destruit ipsum, ita peccatum superveniens caritati expellit ipsam; contraria enim mutuo se expellunt.

22. A cause de la versabilitй du sujet, comme la charitй qui arrive aprиs le pйchй le dйtruit, de mкme le pйchй qui arrive aprиs le pйchй, la chasse, car les contraires se chassent mutuellement.

[66402] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod si donum posset per violentiam auferri, videretur vinci donator, ad quem pertinet conservare donum ei cui dedit; sed si ille cui dedit, voluntarie abiiciat, non propter hoc videtur donator vinci, ad quem non pertinet cogere hominem ad virtutem.

23. Si un don pouvait кtre enlevй par vciolence, le donateur semblerait vaincu ; pour lequel il appartient de conserver le don а celui а qui il l’a donnй, mais si celui а qui il l’a donnй, le rejette volontairement, le donateur ne semble par vaincu pour cela, pour lequel il ne appartient pas de forcer l’homme а la vertu.

[66403] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod mulier per matrimonium amittit potestatem sui corporis; sed anima per caritatem non amittit potestatem liberi arbitrii; unde ratio non sequitur.

24. La femme par mariage perd le pouvoir de son corps, mais l’вme par charitй ne perd pas le pouvoir du libre arbitre ; c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

 

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[66404] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur

Article 13La charitй est-elle perdue par un seul pйchй mortel ?

Objections :[66]

[66405] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66406] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 1 Dicit enim Origenes I Periarch. [cap. III] : Si aliquando satietas cepit aliquem ex his qui in summo perfectoque gradu perstiterunt; non arbitror quod ad subitum quis evacuetur ac decidat; sed paulatim ac per partes eum decidere, necesse est; ita ut fieri possit interdum, ut, si brevis aliquis lapsus acciderit, et cito resipiscat, non penitus ruere videatur. Sed ille qui caritatem amittit, penitus ruit, secundum illud Apostoli, 1 Cor., XIII, 2 : Si caritatem non habeam, nihil sum. Ergo caritas non amittitur per unum peccatum mortale, quod quandoque subito fit.

1. En effet, Origиne dit (Peri archфn I, 3) : « Si quelquefois la dйgoыt prend l’un de ceux qui ont persistй dans le plus haut et le plus parfait degrй ; je ne pense pas qu’il s’affaiblisse subitement et succombe; mais il est nйcessaire qu’il succombe peu а peu et en partie; de sorte qu’il pourrait intervenir parfois, pour que, si une brиve chute йtait arrivйe, et qu’aussitфt il se reprenne, il ne semble pas se prйcipter entiиrement». Mais celui qui a perdu la charitй, s’йcroule entiиrement, selon cette parole de l’Apфtre (1 Co 13, 2) : « Si je n’ai pas la charitй, je ne suis rien. » Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel, qui quelquefois arrive subitement.

[66407] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de diligendo Deo, quod in Petro, qui negavit Christum, non fuit caritas extincta, sed sopita, et tamen, quando Christum negavit, peccavit mortaliter. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati mortalis.

2. Bernard dit dans le livre L’amour de Dieu, que, en Pierre, qui renia le Christ, la charitй n’a pas йtй йteinte, mais assoupie, et cependant quand il renia le Christ, il a pйchй mortellement. Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel.

[66408] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 3 Praeterea, Leo Papa dicit in sermone IX de passione, alloquens Petrum : Vidit in te dominus non fidem victam, non dilectionem aversam, sed constantiam fuisse turbatam : abundavit fletus, ubi non defecit affectus, et fons caritatis lavit verba formidinis. Ergo dilectio caritatis non desiit in Petro propter actum peccati mortalis.

3. Le pape Lйon [le Grand] dit dans le sermon 9 sur la Passion, en parlant de Pierre : « Le Seigneur voit en toi non une foi vaincue, non un amour dйtournй, mais que ta constance a йtй troublйe : les pleurs abondиrent, lа oщ sa disposition a faibli, et la fontaine de charitй a lavй les paroles de la peur ». Donc l’amour de charitй n’a pas manquй а Pierre а cause du pйchй mortel.

[66409] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 4 Praeterea, caritas est fortior quam virtus acquisita. Sed virtus acquisita, non corrumpitur per unum actum peccati, sicut nec generatur; dicit enim philosophus, II Ethic., [cap. I, II et IV] quod ex eisdem generatur virtus et corrumpitur. Ergo multo minus caritas amittitur per actum unius peccati mortalis.

4. La charitй est plus forte que la vertu acquise. Mais celle-ci n’est pas corrompue par une seul pйchй, de mкme qu’elle n’est pas engendrйe ; car le philosophe dit (Ethique, II, 1, 1103 b 6, 2, 1104 a 26, 4) que la vertu est engendrйe et corrompue par les mкmes causes. Donc la charitй est beaucoup moins perdue par l’acte d’un seul pйchй mortel.

[66410] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 5 Praeterea, contrarium non expellitur nisi per suum contrarium. Habitus autem caritatis non opponitur actui peccati. Sed habitus non generatur per unum actum. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati.

5. Le contraire n’est chassй que par son contraire. L’habitus de charitй n’est pas opposй au pйchй. Mais l’habitus n’est pas engendrй par un seul acte. Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй.

[66411] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 6 Praeterea, sicut fides se habet ad multa credenda, ita caritas ad multa diligenda ex caritate. Sed qui credit contra unum articulum non propter hoc amittit fidem de aliis articulis. Ergo qui peccat contra unum diligibile ex caritate, non propter hoc amittit caritatem circa alia diligibilia; et sic caritas non amittitur per unum peccatum mortale.

6. La foi se comporte vis-а-vis de nombreux articles а croire, la charitй se comporte de la mкme maniиre vis-а-vis de nombreux objets а aimer par charitй. Mais celui qui s’oppose а un seul article (de foi) ne perd pas pour cela la foi au sujet des autres articles. Donc celui qui pиche contre un seul objet digne d’кtre aimй, par charitй, ce n’est pas pour cela qu’il perd la charitй vis-а-vis des autres objets а aimer, et ainsi la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel.

En sens contraire :

[66412] De virtutibus, q. 2 a. 13 s. c. Sed contra, est quod dicitur I Ioan. III, v. 17 : qui habuerit substantiam huius mundi, et viderit fratrem suum necessitatem habentem, et clauserit viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in eo? Et sic videtur quod per peccatum omissionis aliquis caritatem amittat. Sed peccatum transgressionis non est minus quam peccatum omissionis. Ergo per quodcumque peccatum caritas tollitur.

 Saint Jean dit (I Jn 3, 17) : « Celui qui possиde les biens de ce monde et a vu son frиre dans la nйcessitй, et qui lui ferme ses entrailles, comment la charitй de Dieu demeure- t-elle en lui ? » Et il semble bien que par le pйchй d’omission on perde la charitй. Mais le pйchй de transgression n’est pas moindre que le pйchй d’omission. Donc la charitй est enlevйe par n’importe quel pйchй.

 

Rйponse :

[66413] De virtutibus, q. 2 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod absque omni dubio per quemlibet actum peccati mortalis habitus caritatis subtrahitur; non enim dicitur peccatum mortale, nisi quia per ipsum homo spiritualiter moritur, quod esse non potest praesente caritate, quae est animae vita. Similiter etiam per peccatum mortale fit homo dignus morte aeterna, secundum illud Rom. cap. VI, 23 : Stipendia peccati mors.

Sans aucun doute l’habitus de la charitй est retirй par tout pйchй mortel; en effet on ne l’appelle pйchй mortel que parce que par lui l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut pas exister si la charitй qui est la vie de l’вme est prйsente. De la mкme maniиre, aussi par le pйchй mortel, l’homme devient digne de la mort йternelle, selon cette parole de Rm 6, 23 : "Le salaire du pйchй c’est la mort."

Quicumque autem habet caritatem, habet meritum vitae aeternae : dominus enim dilectori suo promittit manifestationem sui ipsius, in quo vita aeterna consistit. Unde necesse est dicere, quod per quemlibet actum peccati mortalis homo caritatem amittit. Manifestum est enim quod in quolibet actu peccati mortalis fit aversio ab incommutabili bono, cui caritas unit; cui actus peccati mortalis opponitur.

Or quiconque a la charitй mйrite la vie йternelle ; en effet le Seigneur promet а celui qui l’aime de se manifester а lui ; ce en quoi consiste la vie йternelle. C'est pourquoi il est nйcessaire de dire que l’homme perd la charitй par n’importe quel pйchй mortel. Il est en effet йvident qu’en tout pйchй mortel se fait un dйtournement du bien incommunicable а qui unit la charitй, а qui s’oppose le pйchй mortel.

Sed quia actus non directe contrariatur habitui, sed actui, posset alicui videri quod per actum peccati mortalis impediretur quidam oppositus caritatis actus, ita tamen quod non tolleretur habitus, sicut contingit in habitibus acquisitis; non enim aliquis amittit habitum virtutis gratuitae, si contra virtutem gratuitam agat.

Sed de habitibus caritatis est aliter. Habitus enim caritatis non habet causam in subiecto, sed totaliter dependet a causa extrinseca : caritas enim infunditur in cordibus nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis, ut dicitur ad Rom. V, 5.

Mais parce que l’acte ne s’oppose pas directement а l’habitus mais а l’acte, quelqu’un pourrait y voir que par un pйchй mortel un acte opposй а la charitй est empкchй de sorte que cependant l’habitus ne soit pas enlevй comme cela arrive dans les habitus acquis ; car on ne perd pas l’habitus d’une vertu gratuite si on agit contre elle.

Mais il en va autrement des habitus de charitй. Car cet habitus n’a pas sa cause dans le sujet mais dйpend totalement d’une cause extrinsиque ; la charitй en effet est rйpandue en nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a йtй donnй (Rm 5, 5).

Non autem sic Deus causat caritatem in anima, ut sit causa eius solum quantum ad fieri, et non quantum ad conservationem ipsius, sicut aedificator est causa domus solum quantum ad fieri, unde eo subtracto adhuc remanet domus; sed Deus est causa caritatis et gratiae in anima, et quantum ad fieri, et quantum ad conservationem, sicut sol est causa luminis in aere. Et ideo, sicut statim cessaret lumen in aere, si interponeretur aliquod obstaculum; ita statim cessat habitus caritatis in anima, quando anima se avertit a Deo per peccatum. Et hoc est quod Augustinus dicit, VIII super Gen. ad litteram [cap. XII] : Non ita Deus operatur hominem iustum, id est iustificando eum, ut si abscesserit, maneat in absente quod fecit; sed potius, sicut aer praesente lumine non factus est lucidus, sed fit; sic homo Deo sibi praesente illuminatur, absente autem continuo obtenebratur.

Or Dieu ne cause pas la charitй dans l’вme de sorte а en кtre sa cause seulement pour son devenir ni pour sa conservation, de mкme que le bвtisseur est cause de la maison seulement pour son devenir, c'est pourquoi s’il disparaоt la maison demeure encore. Mais Dieu est cause de la charitй et de la grвce dans l’вme et quant au devenir et quant а sa conservation ; de mкme que le soleil est cause de la lumiиre dans l’atmosphиre. C'est pourquoi de mкme que la lumiиre cesserait aussitфt dans l’air si intervenait un obstacle, de mкme l’habitus de charitй cesse aussitфt quand l’вme se dйtourne de Dieu par le pйchй. Et c’est ce que saint Augustin dit (La Genиse au sens litteral, VIII, XII, 26) : « Ce n’est pas ainsi que Dieu opиre dans l’homme juste, (c'est-а-dire en le justifiant) de sorte que s’il s’йloigne, ce qu’il a fait demeurera en celui qui s’est йloignй; mais plutфt de mкme que l’air en prйsence de la lumiиre n’a pas йtй dotй de lumiиre mais devient lumineux, ainsi l’homme, Dieu lui йtant prйsent, est illuminй, s’il est absent aussitфt il s’obscurcit. »

Solutions :

[66414] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Origenis sic posset intelligi, quod homo qui est in statu perfecto, non subito procedit in actum peccati mortalis, sed per aliquam negligentiam praecedentem. Sed quia ipse subdit : Si aliquis brevis lapsus acciderit etc., videtur melius dicendum, quod ipse intelligit, eum penitus evacuare et decidere, qui sic decidit, ut ex malitia peccet, quod non statim a principio contingit; quia etiam, ut philosophus dicit in I Ethic. [cap. VI et IX], non est facile iusto ut opus iniustum operetur statim, sicut iniustus facit, scilicet ex electione. Amittit ergo caritatem per unum actum peccati mortalis, sed adhuc aliquae reliquiae de praecedenti perfectione remanent, dum non habet ex malitia quod caritatem amittat.

Cette parole d’Origиne peut кtre comprise ainsi : l’homme qui est dans un йtat parfait, ne procиde pas subitement а un acte de pйchй mortel, mais il le fait а la suite d’une nйgligence. Mais parce qu’il ajoute : « Si une chute brиve arrivait, etc., il semble meilleur de dire, ce qu’il pense lui-mкme, que s’affaiblit et succombe tout а fait celui qui succombe ainsi pour pйcher par malice, ce qui n’arrive pas aussitфt dиs le commencement, parce que aussi, comme le dit le philosophe (Йthique, 1, 6 et 9) il n’est pas facile а un juste d’opйrer aussitфt une њuvre injuste, comme l’homme injuste le fait, а savoir par choix. Il perd donc la charitй par un seul pйchй mortel, mais encore des restes de la perfection prйcйdante demeurent, tandis que ce n’est pas par malice qu’il perd la charitй.

[66415] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas amittitur dupliciter; uno modo directe, alio modo indirecte. Directe quidem per actualem Dei contemptum, sicut accidit in illis qui dicunt Deo, Iob XXI, 14 : Recede a nobis; scientiam viarum tuarum nolumus sicut dicitur Iob XII, 14. Alio modo indirecte; sicut non cogitans de Deo, propter aliquam passionem timoris vel concupiscentiae consentit in aliquid quod est contra Dei praeceptum, et sic per consequens caritatem amittit. Intendit ergo Bernardus dicere, quod caritas non fuit extincta in Petro per modum primum, sed amisit eam per modum secundum, et hoc nominat soporem. Et similiter sunt intelligenda verba Leonis Papae : quod patet ex hoc quod subiungit : Non tardatum est remedium ablutionis, ubi non fuit iudicium voluntatis; magis enim negatio Petri fuit extorta ex terrore, quam ipse negaverit ex iudicio deliberatae voluntatis.

2. La charitй est perdue de deux maniиres : d’une maniиre directement, d’une autre indirectement. Directement par le mйpris actuel envers Dieu, comme cela arrive а ceux qui disent а Dieu (Jb 21, 14) : « Йloigne-toi de nous, nous ne voulons pas connaоtre tes voies », comme il est en Job[67]). D’une autre maniиre, indirectement, comme celui qui ne pense pas а Dieu, parce qu’il souffre de crainte ou de concupiscence, il consent а quelque chose qui est contre le prйcepte de Dieu et ainsi par consйquence, il perd la charitй. Donc Bernard vise а dire que la charitй n’a pas йtй йteinte en Pierre de la premiиre maniиre, mais il l’a perdue de la seconde, et cela il l’appelle la torpeur. Et de la mкme maniиre les paroles du Pape Lйon sont а penser ainsi : ce qui paraоt du fait qu’il ajoute : « Le remиde de la purification n’a pas йtй retardй, lа oщ il n’y a pas eu jugement de la volontй » : car le reniement de Pierre a йtй obtenu plus par l’йpouvante, [reniement] que lui-mкme aurait niй par un jugement d’une volontй dйlibйrйe.

[66416] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.

3. Ainsi apparaоt la solution а la troisiиme objection.

[66417] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus acquisita habet causam in subiecto, et non totaliter ab extrinseco, sicut caritas; et ideo non est similis ratio.

4. La vertu acquise a une cause dans le sujet, et non totalement par l’extйrieur, comme la charitй, et c'est pourquoi ce n’est pas la mкme raison.

[66418] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in contrariis potest expelli unum contrarium, sine hoc quod alterum adveniat. Habitus autem virtutis et vitii sunt contraria mediata; unde philosophus dicit in Praedicamentis, [in postpraedic., cap. de oppositis] quod inter bonum et malum est medium; unde non oportet quod solum tunc amittat homo habitum unius virtutis, quando generatur in eo habitus contrarii vitii.

5. Dans les contraires un seul peut кtre chassй ; sans qu’il en arrive un autre. Mais l’habitus de la vertu et celui du vice sont directement contraires ; c'est pourquoi le philosophe dit dans Les catйgories, (les opposйs, 10, 12 a 10) qu’entre le bien et le mal il y a un intermйdiaire ; c'est pourquoi il n’est pas nйcessaire que l’homme perde seulement l’habitus d’une vertu, quand est engendrй en lui un habitus du vice contraire.

[66419] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod habitus respicit, per se, formalem rationem obiecti magis quam ipsum obiectum materialiter; et ideo, si formalis ratio obiecti tollatur, species habitus non manet. Formalis autem ratio obiecti in fide est veritas prima, per doctrinam Ecclesiae manifestata, sicut formalis ratio scientiae est medium demonstrationis : et ideo, sicut aliquis memorialiter tenens conclusiones geometricas, non habet geometriae scientiam, si non propter media geometriae eis assentiatur, sed habebit conclusiones illas tamquam opinatas : ita, qui tenet ea quae sunt fidei, et non assentit eis propter auctoritatem Catholicae doctrinae, non habet habitum fidei. Qui autem propter doctrinam Catholicam alicui assentit, omnibus assentit quae doctrina Catholica habet : alioquin magis credit sibi quam Ecclesiae doctrinae. Ex quo patet, quod qui deficit in uno articulo pertinaciter, non habet fidem de aliis articulis : illam dico fidem quae est habitus infusus; sed oportet quod teneat ea quae sunt fidei, quasi opinata.

6. L’habitus concerne par soi la raison formelle de l’objet plus que, matйriellement l’objet mкme ; et c’est pourquoi si on enlиve la raison formelle de l’objet, la forme de l’habitus ne demeure pas. Mais la raison formelle de l’objet dans la foi est la vйritй premiиre, manifestйe par la doctrine de l’Йglise, comme la raison formelle de la science est l’intermйdiaire de la dйmonstration : et c'est pourquoi quelqu’un qui tient en mйmoire les conclusions gйomйtriques, n’a pas la science de la gйomйtrie, si ce n’est pas а cause des intermйdiaires [de dйmonstration] de la gйomйtrie а qui il donne son assentiment, mais il aura ces conclusions comme conjecturйes : de la mкme maniиre, celui qui tient ce qui concerne la foi et n’y donne pas son assentiment а cause de l’autoritй de la doctrine catholique, n’a pas l’habitus de la foi. Mais celui qui а cause de la doctrine catholique donne son assentiment а un article la donne а tous les articles que la doctrine catholique possиde, autrement il croit plus en lui qu’а la doctrine catholique. D’oщ on voit que celui qui se dйtache avec pertinacitй d’un seul article, n’a pas la foi pour les autres : je dis que cette foi qui est un habitus infusй ; mais il est nйcessaire qu’il tienne ce qui concerne la foi comme objet de croyance.

 

 

 

Question 3 : la correction fraternelle

Traduit par Marie-Louise Evrard, sous la direction de Monsieur Raymond Berton

Prologue

[66420] De virtutibus, q. 3 pr. 1 Et primo quaeritur, utrum correctio sit in praecepto.

[66421] De virtutibus, q. 3 pr. 2 Secundo utrum ordo correctionis fraternae sit in praecepto.???,

1. La correction fraternelle est-elle dans le prйcepte ?

2. La rиgle de la correction fraternelle est-t-elle dans le prйcepte ?

 

Articulus 1 : [66422] De virtutibus, q. 3 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum fraterna correctio sit in praecepto

Article 1La correction fraternelle est-elle dans le prйcepte[68] ?

 [66423] De virtutibus, q. 3 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[69]

[66424] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 1 Praecepta enim divina non sunt sibi contraria. Sed invenitur praeceptum divinum de non arguendo peccatorem; dicitur enim Proverb. IX, 8 : Noli arguere derisorem, ne oderit te. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.

1. Les prйceptes divins, en effet, ne s’opposent pas entre eux. Mais on trouve un prйcepte divin qui dit de ne pas faire de reproches au pйcheur ; car il est dit en Pr 9, 8 : « Ne fais pas de reproche au railleur, de peur qu’il ne te haпsse[70] ! » Donc, la correction fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.

[66425] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod ibi prohibetur redargui derisor qui correctionem contemnit, et sic ex ea deterior efficitur.- Sed contra, peccatum est infirmitas animae, secundum illud Psal. VI, 3 : Miserere mei, domine, quoniam infirmus sum. Sed ille cui imponitur cura infirmi, etiam propter eius contradictionem vel contemptum non debet praetermittere : quia tunc est maius periculum quando medicinam contemnit; unde medicus furiosum satagit curare. Ergo multo magis, si homo tenetur curare fratrem delinquentem corripiendo, quantumcumque contemneret, non esset correctio praetermittenda.

2. Mais il faut dire qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur, qui mйprise la correction et par lа il devient pire. Mais en sens contraire, le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose le soin d’un faible ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son mйpris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le remиde ; c’est pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment. Donc, d’autant plus, si l’homme est tenu d’avoir soin de son frиre fautif en le rйprimendant, quelque grand que soit son mйpris, il ne faudrait pas renoncer а la correction.

[66426] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, praeceptum divinum non est praetermittendum propter alterius contemptum : veritas enim vitae non est dimittenda propter scandalum, ut per Hieronymum patet. Si igitur correctio fraterna caderet sub praecepto, non esset praetermittenda propter contemptum alterius.

3. En outre, il ne faut pas renoncer au prйcepte divin а cause du mйpris de l’autre : car la rйalitй de la vie ne doit pas кtre abandonnйe, а cause du scandale, comme on le voit chez Jйrфme. Si donc la correction fraternelle tombait sous le prйcepte, il ne faudrait pas y renoncer а cause du mйpris de l’autre.

[66427] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, non sunt facienda mala ut veniant bona, ut patet per apostolum, Rm c. III. Ergo, pari ratione, non sunt praetermittenda bona ne veniant mala. Si ergo correctio fraterna esset bonum sub praecepto cadens, non esset praetermittenda propter malum scandali, vel contemptum eius qui corrigitur.

4. En outre il ne faut pas faire le mal pour qu’il en vienne du bien, comme on le voit chez l’Apфtre (Rm 3, 8[71]). Donc, а raison йgale, il ne faut pas renoncer aux biens, afin qu’ils ne deviennent pas des maux. Si donc la correction fraternelle йtait un bien tombant sous le prйcepte, il ne faudrait pas renoncer, а cause du mal du scandale ou du mйpris de celui qui est rйprimendй.

[66428] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, in nostris operibus, quantum possumus debemus Deum imitari; secundum illud Ephes., 5, 1 : Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed Deus non praetermittit bonum, scilicet infusionem animae rationalis, quamvis sequatur inde infectio damnabilis originalis peccati. Ergo similiter homo non debet praetermittere bonum correctionis, quamvis sequatur inde contemptus vel deterioratio eius, si caderet sub praecepto.

5. En outre, dans nos њuvres, nous devons autant que nous le pouvons imiter Dieu ; selon cette parole d’Eph 5, 1 : « Soyez des imitateurs de Dieu comme des enfants trиs aimйs ». Mais Dieu ne renonce pas au bien, c’est-а-dire а infuser une вme raisonnable, bien qu’il en dйcoule la souillure funeste du pйchй originel. Donc, de la mкme maniиre, il ne faut pas que l’homme renonce au bien de la correction, encore qu’il en dйcoule du mйpris ou qu’il la supprime si elle tombait sous le prйcepte.

[66429] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dominus dicit Ezech. III, v. 19 : Si annuntiaveris impio, et ille non fuerit conversus ab impietate sua, ipse quidem in iniquitate morietur; tu autem animam tuam liberasti. Ergo non est praetermittenda correctio, etiam si ille qui corripiendus est, per correctionem non emendetur.

6. En outre, le Seigneur dit (Ez 3, 19) : « Si tu as averti l’impie et qu’il ne se soit pas converti de son impiйtй, lui-mкme mourra dans son iniquitй ; mais toi, tu auras libйrй ton вme ». Donc, il ne faut pas renoncer а la correction, mкme si celui qui doit кtre rйprimendй n’est pas corrigй.

[66430] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, utilior est correctio delinquentis quam eius punitio. Sed iudex non dimittit punire delinquentem propter hoc quod ex poena non emendatur. Ergo, etiam si correctio fraterna caderet sub praecepto, non deberet aliquis praetermittere correctionem propter contemptum vel scandalum eius qui corrigitur. Non ergo videtur quod correctio fraterna cadat sub praecepto.

7. La correction du coupable est plus utile que sa punition. Mais le juge ne renonce pas а punir le coupable, parce qu’il n’est pas purifiй par sa peine. Donc, mкme si la correction fraternelle tombait sous le prйcepte, personne ne devrait renoncer а la correction en raison du mйpris ou du scandale de celui qui est corrigй. Donc, il ne semble pas que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

[66431] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, praeceptum divinum non obligat ad impossibile. Sed corrigere omnes delinquentes est impossibile : quia stultorum infinitus est numerus, ut dicitur Eccle. I, 15. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.

8. Le prйcepte divin n’oblige pas а l’impossible. Mais corriger tous les coupables est impossible : « Parce que le nombre des sots est infini », comme il est dit (Si 22, 15). Donc la correction fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.

[66432] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 9 Sed dicendum, quod non tenetur homo corrigere nisi illos qui sibi occurrunt corrigendi. Sed contra, si correctio fraterna est in praecepto, sequitur quod ex tali praecepto homo constituatur debitor fratris, ut eum corripiat. Sed homo qui debet alicui aliquod debitum corporale, non debet expectare quod sibi occurrat, sed debet eum quaerere, ut ei reddat quod debet. Ergo multo magis, si correctio fraterna esset in praecepto, deberet homo quaerere eum quem corrigeret, et non expectare ut ei occurreret.

9. Mais il faut dire que l’homme n’est tenu de corriger que ceux qui viennent а lui pour кtre corrigй. En sens contraire, si la correction fraternelle est dans le prйcepte, il s’ensuit que, par un tel prйcepte, l’homme devient le dйbiteur de son frиre, pour le corriger. Mais l’homme qui doit а quelqu’un du bien matйriel, ne doit pas attendre qu’il vienne а sa rencontre, mais il doit aller le trouver pour lui rendre ce qu’il lui doit. Donc, d’autant plus, si la correction fraternelle йtait dans le prйcepte, l’homme devrait rechercher celui qui le corrigerait et non attendre qu’il vienne а lui.

[66433] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 10 Praeterea, si correctio fraterna esset in praecepto, ergo omissio correctionis indebita esset peccatum mortale. Hoc autem est falsum, cum talis negligentia etiam in sanctis viris interdum inveniatur : dicit enim Augustinus in I de Civit. Dei, (cap. IX) quod (2) Non solum inferiores, verum etiam qui superiorem vitae gradum tenent, ab aliorum reprehensione se abstinent propter quaedam potestatis vel cupiditatis vincula, non propter officia caritatis : (3) non itaque mihi videtur parva esse haec causa, quare cum malis flagellantur et boni. Non ergo correctio fraterna est in praecepto.

10. Si la correction fraternelle йtait dans le prйcepte, son omission indue serait un pйchй mortel. Mais c’est faux, puisque une telle nйgligence se trouve parfois mкme chez les saints : en effet, Augustin dit (La Citй de Dieu I, 9, 2-3) : « Non seulement les classes infйrieures, mais mкme ceux qui sont fidиles а un degrй de vie chrйtienne plus йlevй, s’abstiennent de reprendre les autres en raison de certains liens de pouvoir ou de dйsir, non а cause du devoir de charitй ; c’est pourquoi, il ne me semble pas que ce n’est pas une petite cause pourquoi les bons sont flagellйs avec les mйchants ». Donc la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66434] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 11 Praeterea, aliquis praeceptum transgrediens mortaliter peccat, licet non immediate contra caritatem faciat; sicut Bernardus [de dignitate Divini amoris, cap. V] dicit, quod in Petro negante Christum non fuit caritas extincta. Si ergo correctio fraterna esset in praecepto, praetermittens correctionem mortaliter peccaret, etiam si non ex contemptu hoc faceret; quasi immediate contra praeceptum agens

11. Qui transgresse un prйcepte pиche mortellement, bien qu’il n’agisse pas directement contre la charitй ; ainsi Bernard (La dignitй de l’amour divin 5) dit que, dans le cas de Pierre reniant le Christ, sa charitй ne s’est pas йteinte. Si donc la correction fraternelle йtait dans le prйcepte, celui qui renonзant а la correction pиcherait mortellement, mкme s’il ne le faisait pas par mйpris, comme agissant sans intermйdiaire contre le prйcepte.

[66435] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 12 Praeterea, omnia praecepta legis divinae ad praecepta Decalogi reducuntur. Sed correctio fraterna non cadit sub aliquo praecepto Decalogi, ut patet discurrenti per singula. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.

12. Tous les prйceptes de la Loi divine sont ramenйs а ceux du Dйcalogue. Mais la correction fraternelle ne tombe pas sous un prйcepte du Dйcalogue, comme cela apparaоt а celui qui en examine [les articles] un а un. Donc la correction fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.

[66436] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 13 Praeterea, ea quae cadunt sub praeceptis divinis, sunt efficacia ad finem consequendum. Sed admonitio fraterna non est alicui sufficiens ad emendationem eius; neque sermo admonitorius est efficax ad hoc, ut philosophus dicit in X Ethic. [cap. Ult.], et Eccle. VII, 14, dicitur : considera opera Dei, quod nemo possit corrigere quem ille despexerit. Ergo fraterna correctio non est in praecepto.

13. Ce qui tombe sous les prйceptes divins est efficace pour parvenir а la fin. Mais l’avertissement fraternel n’est pas suffisant а quelqu'un pour sa correction ; et la parole d’avertissement n’en est pas efficace pour cela comme le dit le philosophe (Ethique X, 10) et Qo 7, 13 : « Regarde les њuvres de Dieu, personne ne pourrait redresser ce qu’il a courbй ? » Donc, la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66437] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 14 Praeterea, nemo debet se intromittere de illis quae non sunt sui arbitrii. Sed si peccaverit homo in Deum, non est nostri arbitrii, ut Hieronymus dicit Super Matth. Ergo in talibus non debet homo se intromittere; et ita corripere fratrem non cadit generaliter sub praecepto.

14. Personne ne doit s’introduire dans ce qui ne concerne pas sa libre dйcision. Mais si l’homme a pйchй contre Dieu cela ne dйpend pas de notre libre dйcision, comme le dit Jйrфme dans son Commentaire sur Matthieu. Donc, l’homme ne doit pas se mкler de telles affaires ; et ainsi, reprimander son frиre, ne tombe pas en gйnйral sous le prйcepte.

[66438] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 15 Praeterea, nullus excusatur ab observantia praecepti propter peccatum. Sed homo peccator non debet alium corrigere; dicit enim Isidorus in Lib. de summo Bono, Lib. III, (cap. XXXII) quod non debet vitia aliorum corrigere qui est vitiis subiectus. Ergo admonitio fraterna non cadit sub praecepto.

15. Personne n’est dispensй de l’observance du prйcepte а cause du pйchй. Mais un homme pйcheur ne doit pas en corriger un autre ; en effet, Isidore dans le livre Du bien suprкme, III, dit que celui qui est soumis а des vices ne doit pas corriger les vices des autres. Donc, l’avertissement fraternel ne tombe pas sous le prйcepte.

[66439] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, nullus acquirit sibi damnationem ex observantia divini praecepti. Sed quidam acquirunt sibi damnationem, alios corripiendo; secundum illud Rm II, 1 : In quo alios iudicas, teipsum condemnas. Ergo correctio fraterna non est in praecepto.

16. Nul n’acquiert sa propre damnation en observant le prйcepte divin. Mais certains se damnent en rйprimandant les autres ; d’aprиs ce passage (Rm 2, 1) : « En jugeant les autres, tu te condamnes toi-mкme ». Donc, la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66440] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 17 Praeterea, nullus debet sibi usurpare quod non est sui officii, secundum illud 2 Co X, 13 : Nos autem non in immensum gloriamur, sed secundum regulam mensurae qua mensus est nobis Deus. Sed corripere delinquentes videtur esse superioris officium : quia etiam in corpore humano superiora membra movent inferiora; et in universo superiora corpora, inferiora. Ergo alii, qui non sunt praelati, non tenentur ad correctionem fraternam.

 

17. Nul ne doit se charger de ce qui n’est pas de son devoir, selon cette parole 2 Co 10, 13 : « Pour nous, nous n’irons pas nous glorifier hors mesure, mais nous prendrons comme mesure, la rиgle que Dieu a mesurй pour nous ». Mais rйprimander les pйcheurs paraоt кtre le devoir du Supйrieur ; parce que mкme dans le corps humain, les membres supйrieurs mettent en mouvement les membres infйrieurs ; et dans l’univers, les corps supйrieurs [mettent en mouvement] les corps infйrieurs. Donc, les autres, ceux qui ne sont pas des prйlats, ne sont pas tenus а la correction fraternelle.

[66441] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 18 Praeterea, illud quod debemus impendere proximis ex debito caritatis, omnibus est impendendum. Sed correctio non est omnibus impendenda : dicitur enim I ad Tm 5, v. 1 : seniorem ne increpaveris, ubi dicit Glossa : ne, indigne ferens se a minori corripi, exasperetur, unde et Dionysius Demophilum monachum reprehendit, quod sacerdotem correxerit. Non ergo correctio fraterna cadit sub debito caritatis.

18. En outre, ce que nous devons consacrer а nos proches, selon le devoir de la charitй, doit aussi кtre consacrй а tous. Mais la correction ne doit pas кtre imposйe а tous, car il est dit en 1 Tm 5, 1 : « Ne rudoie pas un vieillard » lа oщ la glose prйcise : « De peur que, supportant mal d’кtre corrigй de maniиre indigne par un plus jeune il ne soit exaspйrй », c’est ainsi que Denys reprend le moine Dйmophile qui avait corrigй un prкtre. Donc la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66442] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 19 Praeterea, praecepta divina ordinantur ad caritatem et pacem, secundum illud I ad Timoth., I, 5 : Finis praecepti caritas est. Sed per correctionem fraternam frequenter perturbatur caritas et pax, secundum illud Terentii : veritas odium parit. Ergo correctio fraterna non est in praecepto.

19. En outre, les prйceptes divins sont ordonnйs а la charitй et а la paix, selon cette parole de 1 Tm 1, 5 : « La fin du prйcepte est la charitй ». Mais, la charitй et la paix sont frйquemment troublйes par la correction fraternelle, comme le dit cette parole de Tйrence : « La vйritй engendre la haine ». Donc, la correction fraternelle ne tombe pas dans le prйcepte.

En sens contraire :

[66443] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit in Lib. de Verb. Domini : Si neglexeris corrigere, peior eo factus es qui peccavit. Sed ille qui peccavit, facit contra praeceptum. Ergo ille qui negligit corrigere facit contra praeceptum; et ita correctio fraterna cadit sub praecepto.

1. Il y a ce que dit Augustin dans son livre Les paroles du Seigneur : « Si tu as nйgligй de corriger, tu deviens pire que celui qui a commis le pйchй ». Mais, celui qui a pйchй agit contre le prйcepte. Donc celui qui nйglige de corriger agit contre le prйcepte ; et ainsi la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

[66444] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII, 15, super illud : Corripe illum inter te et ipsum dicit Glossa : Ita peccat qui videns fratrem suum peccasse, tacet, sicut si peccanti non indulget. Sed ille qui peccanti non indulget, facit contra praeceptum. Ergo ille qui non corrigit, facit contra praeceptum.

2. En outre, sur cette parole de Mt 18, 15 : « Reprends-le seul а seul », la Glose dit : « De mкme que pиche celui qui voyant son frиre pйcher, se tait, de mкme s’il n’est pas indulgent envers le pйcheur ». Mais celui qui n’a pas d’indulgence pour le pйcheur agit contre le prйcepte. Donc, celui qui ne corrige pas agit contre le prйcepte.

[66445] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in impletione praecepti caritatis debemus Deo conformari, secundum illud Ephes. 5, 1 : Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed, sicut dicitur Pr. c. III, 12. Quos diligit dominus, corripit. Ergo, cum nos teneamur ex praecepto domini diligere, videtur quod ex praecepto debemus fratres corrigere.

3. Dans l’accomplissement du prйcepte de charitй, nous devons nous conformer а Dieu, selon cette parole d’Eph 5, 1 : « Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien aimйs ». Mais comme il est dit en Pr 3, 12 : « Ceux que le Seigneur aime, il les corrige ». Donc, bien que nous soyons tenus d’aimer selon le prйcepte du Seigneur, il semble que d’aprиs ce prйcepte, nous devons corriger nos frиres.

[66446] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 4 Praeterea, Eccli. XVII, 12, dicitur, quod unicuique mandavit Deus de proximo suo, curam habere. Ergo sub praecepto cadit ut homo curam apponat ad salutem proximi, corrigendo ipsum.

4. Par ailleurs (Si 17, 14), il est dit que Dieu a chargй chacun d’avoir soin de son prochain. Donc, il tombe sous le prйcepte que l’homme prenne soin du salut de son prochain en le rйprimandant.

Rйponse :

[66447] De virtutibus, q. 3 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod correctio fraterna cadit sub praecepto. Cuius ratio est, quia ex praecepto tenemur ad dilectionem proximi. Dilectio autem in se includit ut homo velit ei bonum quem diligit; hoc est enim amare aliquem, velle ei bonum, ut dicit philosophus in II Metaph. [in lib. II Rhet., cap. IX]. Et quia carere malo habet rationem boni, ut dicitur in V Ethic., inde est, quod ad rationem pertinet dilectionis, ut etiam velimus mala dilectis nostris non inesse. Voluntas autem efficax non est, nec vera, si opere non comprobetur; unde etiam ad rationem dilectionis pertinet, ut ad amicos bona operemur, et mala eorum impediamus, ut dicitur in IX Ethic. [cap. 1] Et I Ioan. III, 18, dicitur : Non diligamus verbo neque lingua, sed opere et veritate.

 

 

 

 

Triplex autem est hominis bonum, et triplex malum ei oppositum.

Est enim quoddam bonum hominis in exterioribus rebus consistens, quod est minimum bonum; et in hoc bono tenetur homo subvenire proximo per eleemosynae corporalis largitionem. Dicitur enim I Ioan. III, 17 : Qui substantiam huius mundi habuerit, et viderit fratrem suum necessitatem habere et clauserit viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in illo? Et pari ratione tenetur homo proximo auxilium ferre contra damna temporalium rerum. Unde praecipitur Deuter. XXII, 1 : Non videbis bovem et ovem fratris tui errantem, et praeteribis, sed reduces fratri tuo.

 

 

 

 

Aliud bonum hominis est bonum corporis, in quo debet etiam homo homini auxiliari, et contra contrarium malum auxilium ferre. Dicitur enim Pr. XXIV, 11 : Erue eos qui ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum, liberare ne cesses.

 

 

Tertium autem bonum est bonum virtutis, quod est bonum animae, cui contrariatur malum peccati.

Ad hoc autem bonum consequendum, vel malum vitandum, tanto magis tenetur homo ex caritate proximo auxilium ferre, quanto magis pertinet ad rationem quare aliquis ex caritate diligitur. Unde et philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. III], quod tanto magis debet homo ferre auxilium amico ad vitandum peccata quam ad vitandum damnum pecuniae, quanto virtus affinior est amicitiae. Et ideo tenetur homo ex praecepto dilectionis ut proximo auxilium ferat ad virtutem consequendam dando ei consilium et auxilium ad bene agendum, secundum illud Is., XXXV, vv. 3-4 : Confortate manus dissolutas, et genua debilia roborate, dicite : pusillanimes confortamini, et nolite timere. Et propter hoc ex praecepto dilectionis tenetur homo fratrem in peccato existentem a peccato retrahere corrigendo, secundum illud I Thess. 5, v. 14 : Corripite inquietos confortamini pusillanimes. Et hinc est quod dominus, Matth. cap. XVIII, 15, mandavit : si peccaverit in te frater tuus, corripe eum.

 

 

Sic ergo correctio fraterna cadit sub praecepto.

Sed notandum est quod per praecepta affirmativa praecipiuntur actus virtutum; per praecepta autem negativa prohibentur actus vitiorum. Illud autem quod est secundum se vitiosum et peccatum, qualitercumque fiat, est malum, quia contingit ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit in IV cap. de divinis Nomin. Et ideo, illud quod prohibetur praecepto negativo, a nullo, nec aliquo modo faciendum est. Praecepto autem affirmativo praecipitur actus virtutis, ad cuius rectitudinem multae circumstantiae concurrunt, quia bonum consurgit ex una et tota causa, sicut Dionysius dicit, IV cap. de divinis Nomin.

 

 

 

 

Unde illud quod cadit sub praecepto affirmativo, non est pro omni tempore et quolibet modo observandum, sed servatis debitis conditionibus et personarum, et locorum, et causarum, et temporum; sicut honor parentibus non est exhibendus quolibet tempore aut loco, aut quolibet modo, sed servatis debitis circumstantiis; ita etiam correctio fraterna sub praecepto cadit secundum debitas circumstantias, secundum quod est actus virtutis.

 

 

 

 

Has autem circumstantias determinare sermone, non est possibile, eo quod eorum iudicium in singularibus consistit; et pertinet ad prudentiam, vel experimento et tempore acquisitam, vel magis infusam; secundum illud I Ioan. XXI, 27 : unctio docebit vos de omnibus.

Il faut dire que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte. La raison en est que nous sommes tenus par le prйcepte а l’amour du prochain. Mais cet l’amour inclut en soi que l’homme veuille du bien а celui qu’il aime ; en effet, c’est cela aimer quelqu’un : lui vouloir du bien, comme le dit le philosophe en Mйtaphysique II (Rhйtorique 9). Et puisque le manque de mal a nature de bien, comme on le lit en Ethique V, 7, de lа, il convient а la nature de l’amour, que nous voulions qu’il n’y ait pas de mal chez ceux que nous aimons. Mais la volontй n’est ni efficace, ni vйritable, si elle n’est pas confirmйe par l’action ; c’est pourquoi, il convient а la nature de l’amour, que nous fassions du bien pour nos amis et que nous empкchions leurs maux, comme il est dit (Ethique IX, 1). Et en 1 Jn 3, 17 : « N’aimons pas seulement en paroles ni des lиvres. Mais en acte et en vйritй ».

Mais le bien de l’homme est triple et triple le mal qui lui est opposй.

1. Il y a, en effet, un certain bien de l’homme qui consiste dans ce qui lui est extйrieur, ce qui est le plus petit bien; et en ce bien, l’homme est tenu de subvenir а son prochain par les largesses d’une aumфne concrиte. En effet, on lit dans 1 Jn 2, 18 : « Celui qui aura les biens de ce monde et qui aura vu son frиre dans la nйcessitй et qui lui aura fermй ses entrailles : comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? » Et а raison йgale, l’homme est tenu de porter secours а son prochain en cas de perte des biens temporels. Ainsi est-il ordonnй en Dt 22, 1 : « Tu ne verras pas le bњuf ni la brebis de ton frиre en train de vagabonder et tu ne te dйroberas pas, mais tu les ramйneras а ton frиre ».

Un autre bien de l’homme est celui de son corps ; en quoi aussi, l’homme doit prкter assistance а un homme et lui prкter secours contre un mal contraire. On lit en effet dans Pr 24, 11 : « Dйlivre ceux qui sont conduits а la mort, ceux qui sont traоnйs au trйpas, n’aie de cesse de les libйrer.

Le troisiиme bien est celui de la vertu, qui est le bien de l’вme, а qui s’oppose le mal du pйchй.

Donc, pour atteindre ce bien ou йviter le mal, l’homme est d’autant plus tenu par la charitй de porter secours а son prochain, qu’il correspond plus а la nature par quoi on aime quelqu'un par charitй. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique IX, 3), que l’homme doit porter secours а un ami autant pour йviter le pйchй que pour йviter la perte d’argent, qu’autant que la vertu est plus proche de l’amitiй. Et c’est pourquoi, l’homme est tenu, par le prйcepte de l’amour, de porter secours а son prochain pour atteindre la vertu, en lui donnant conseil et aide pour bien agir, selon cette parole en Is 35, 3-4 : « Fortifiez les mains fatiguйes et affermissez les genoux chancelants, dites : consolez les pusillanimes et n’ayez pas peur ». Et en raison de ce prйcepte d’amour, l’homme est tenu de retirer du pйchй, en le corrigeant, son frиre qui est dans le pйchй, selon 1 Th 5, 14 : « Rйprimandez les dйsordonnйs, soutenez les faibles ». Et le Seigneur recommande en Mt 18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi, corrige-le ».

Ainsi la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

Mais il faut noter que les actes de vertu sont enseignйs par des prйceptes affirmatifs, mais les actes des vices sont йcartйs par des prйceptes nйgatifs. Donc, ce qui, en soi, est vice et pйchй, de quelque maniиre qu’il soit fait, est un mal, parce que cela arrive а partir de manquements particuliиrs, comme le dit Denys, (Les noms divins, IV). Et c’est pourquoi ce qui est interdit par un prйcepte nйgatif ne doit кtre fait par personne en aucune maniиre. Mais, l’acte de vertu est prescrit par un prйcepte positif, а la droiture duquel concourrent de nombreuses circonstances, parce que le bien surgit d’une cause unique et entiиre, comme le dit Denys, Les noms divins, IV.

C'est pourquoi, ce qui tombe sous le prйcepte affirmatif n’est pas pour tout le temps а observer de queque maniиre mais une fois prйservйes les conditions nйcessaires des personnes, des lieux, des temps et des causes ; de mкme que l’honneur dы aux parents ne doit pas кtre montrй en n’importe quel temps, en n’importe quel lieu ou de n’importe quelle maniиre, mais une fois prйservйes les circonstances qui conviennent ; ainsi, la correction fraternelle tombe sous le prйcepte, selon les circonstances qui conviennent, selon qu’il s’agit d’acte de vertu.

Mais il n’est pas possible de dйterminer ces circonstances en parole, du fait que leur jugement dйpend de cas particuliers ; et cela convient а la prudence acquise par l’expйrience et le temps, ou plutфt infuse ; 1 Jn 2, 20 : « L’onction[72] vous instruira а propos de tout. »

Solutions :

[66448] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inter alias circumstantias quae requiruntur ad actum virtutis, ista videtur esse praecipua, ut actus sit proportionatus fini quem virtus intendit. Caritas autem intendit in corrigendo delinquentem, emendationem; unde actus non esset virtuosus, si homo sic corrigeretur, ut inde efficeretur deterior : et ideo Sapiens dicit : Noli arguere derisorem. Non enim est timendum, ut Glossa [ordin. Ibid.] dicit, ne tibi derisor, cum arguitur, contumelias inferat; sed hoc potius providendum, ne tractus ad odium, inde fiat peior.

 

1. Parmi les autres circonstances, qui sont requises pour un acte de vertu, celle-ci semble la principale pour que l’acte soit proportionnй а la fin que poursuit la vertu. La charitй vise а la correction, en corrigeant le pйcheur ; c'est pourquoi l’acte ne serait pas vertueux, si l’homme йtait ainsi corrigй, de sorte qu’il en devienne pire ; et c’est pourquoi le sage dit (Pr 9, 8) : « Ne fais pas de reproches au railleur ». En effet, il ne faut pas craindre, comme le dit la Glose (glose ordinaire), que le railleur ne te porte des injures, quand on lui fait des reproches ; mais il faut plutфt veiller а ce qu’en йtant entraоnй а la haine, il ne devienne pire.

[66449] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est correctio delinquentis :

una quidem per simplicem admonitionem; et haec est fraterna quibus praesumitur quod propria voluntate admonitioni consentiant;

 

alia vero est correctio habens vim coactivam per inflictionem poenarum, ut philosophus dicit in X Ethic.[cap. ult.] ; et talis correctio pertinet ad praelatos, qui etiam contemnentes a periculo peccati studere debent ut liberent, sicut medicus furiosum studet sanare, ligando et verberando eum.

 

2. La correction du pйcheur est double :

L’une par un simple avertissement ; et cette correction est fraternelle pour ceux envers qui on prйsume qu’ils consentent а l’avertissement par leur propre volontй ; mais l’autre est la correction qui a une force coercitive par le fait d’infliger une peine, comme le dit le philosophe en Ethique X, 10 ; et une telle correction concerne les prйlats qui, doivent s’appliquer а libйrer du danger du pйchй, mкme ceux qui le mйprisent, comme le mйdecin s’attache а soigner le fou furieux, en le liant et le frappant.

[66450] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeceptum divinum non est praetermittendum propter scandalum alterius; sed ipsa correctio fraterna non cadit sub praecepto divino nisi secundum quod est emendativa fratris; ad quod requiritur ut sit sine scandalo eius, ratione iam dicta in corp. art.

3. Il ne faut pas renoncer au prйcepte divin, а cause du scandale d’un autre ; mais la correction fraternelle elle-mкme ne tombe sous le prйcepte divin, que selon qu’elle corrige un frиre ; pour cela, il est requis qu’elle soit sans scandale, pour la raison dйjа exprimйe dans le corps de l’article.

[66451] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut iam dictum est, mala sunt omnibus modis vitanda; et ideo nullo modo sunt mala facienda ad hoc quod aliqua bona proveniant. Sed bona non sunt omnibus modis facienda; et ideo interdum sunt aliqua bona intermittenda, ut aliqua magna mala vitentur. Et tamen correctio proximi non est simpliciter bonum, nisi adhibitis debitis circumstantiis, ut dictum est, in corp. art.

4. Comme il a dйjа йtй dit, il faut йviter les maux de toutes les maniиres ; et ainsi, on ne doit faire le mal en aucune maniиre pour qu’il en ressorte quelque bien. Mais les biens ne doivent pas кtre faits de toutes les maniиres ; et ainsi il faut parfois abandonner certains biens pour йviter de plus grands maux. Et cependant, la correction du prochain n’est simplement un bien, qu’employйe dans les circonstances qui conviennent, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

[66452] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalia praesupponuntur moralibus; et ideo infusio animae, quae est quoddam bonum naturae, non debuit praetermitti a Deo ad vitandum defectionem culpae; sicut nec homo debet se privare sustentamento vitae, ut vitet peccatum. Sed aliquod bonum morale debet interdum omitti ad vitandum aliud gravius malum morale.

5. Ce qui est naturel est prйsuppposй en ce qui est moral ; et ainsi l’infusion de l’вme, qui est un bien de nature, ne doit pas кtre abandonnйe par Dieu pour йviter la dйfaillance de la faute ; de mкme que l’homme ne doit pas se priver de nourriture essentielle а la vie, pour йviter le pйchй. Mais on doit parfois omettre un bien moral pour йviter un autre mal moral plus grave.

[66453] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini : Longe graviorem habent poenam Ecclesiarum praepositi, qui in Ecclesiis constituti sunt, ut non parcant obiurgando peccata; quia ad eos pertinet non solum caritativa correctio, sed etiam continua. Et ad tales dominus ibi loquitur per prophetam; unde parum ante praemittit : fili hominis, speculatorem dedi te domui Israel.

6. Il y a ce que dit Augustin dans le livre Les Paroles du Seigneur : « Ils ont un chвtiment bien trop lourd, les prйlats des Йglises, qui ont йtй placйs dans les йglises pour ne pas йpargner les pйchйs en les chвtiant ; parce que non seulement la correction caritative leur convient, mais encore la correction continue ». Et de telles personnes, le Seigneur en parle ainsi par le prophиte (Ez 3, 4) : « Fils de l’homme, je t’ai donnй comme guide а la maison d’Israлl ».

[66454] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iudex in puniendo intendit principaliter bonum commune, quod provenit multitudini ex punitione illius, etiam si ille non emendetur, secundum illud Pr. XIX, 25 : pestilente flagellato, stultus sapientior erit. Sed fraternae correctionis finis est emendatio eius qui corripitur; unde non est simile.

7. Le juge en punissant tend essentiellement au bien commun, qui parvient а la multitude par sa punition, mкme s’il ne se corrige pas, selon Pr 19, 25 : « Si on frappe le pernicieux, le sot sera plus sage. Mais le but de la correction fraternelle est l’amendement de celui qui est corrigй ; donc, ce n’est pas la mкme chose.

[66455] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., correctio fraterna cadit sub praecepto, servatis debitis circumstantiis personarum, locorum et temporum; sicut etiam et corporalis eleemosyna. Beneficia autem, spiritualia seu corporalia, sunt proximis impendenda ordine quodam : ut scilicet primo impendantur his qui magis nobis coniuncti sunt, ac si in sortem nobis eveniret eis providere; ut Augustinus dicit in Enchir. [lib. I. de Doctrina christ.,cap. XXVIII deinde providendum est aliis secundum quod opportunitas occurrit. Et sic patet quod praeceptum de correctione fraterna non obligat ad impossibile, sicut nec praeceptum de eleemosynis corporalibus dandis.

8. Comme il a йtй dit dans le corps de l’article, la charitй fraternelle tombe sous le prйcepte, une fois prйservйes les circontances dues des personnes, des lieux et des temps, comme aussi l’aumфne corporelle. Les bienfaits, spirituels et temporels, doivent кtre accordйs au prochain en un certain ordre ; et d’abord, comme en premier ils sont accordйs а ceux qui nous sont plus unis, comme s’il nous arrivait de veiller sur eux par sort, comme Augustin le dit dans l’Enchiridion (La Doctrine chrйtienne 1, 28) : ensuite, il faut veiller sur les autres selon que l’occasion se prйsente. Et ainsi, il est clair que le prйcepte de la correction fraternelle ne contraint pas а l’impossible, comme s’il nous revenait par sort de veiller sur eux le prйcepte de faire l’aumфne destinйe au corps.

 

[66456] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod, sicut Augustinus dicit in lib. de verbis Domini, admonet nos dominus noster, non negligere invicem peccata nostra; non quaerendo quid reprehendas, sed videndo quid corrigas. Unde ex praecepto correctionis fraternae non tenemur inquirere peccata aliorum, ut possimus ea corrigere, alioquin efficeremur exploratores vitae aliorum, contra illud quod dicitur Proverb. XXIV, 15 : Ne quaeras impietatem in domo iusti, et non vastes requiem eius. Nec est similis ratio de debito corporali, quia hoc est quiddam determinatum, quod debetur certae personae, et certo tempore; quod non accidit circa correctionem fraternam, ut dictum est, in corp. art.

9. Comme Augustin le dit dans son livre Des paroles du Seigneur (Sermon 16) : « Notre Seigneur nous avertit de ne pas nйgliger mutuellement nos pйchйs, non pas en recherchant ce que tu reproches, mais en voyant ce que tu corriges ». C'est pourquoi par le prйcepte de la correction fraternelle, nous ne sommes pas tenus de rechercher les pйchйs des autres pour pouvoir les corriger, autrement nous deviendrions espions de la vie des autres, contre ce qui est dit en Pr 24, 15 : « Ne recherche pas l’impiйtй dans la demeure du juste et ne ruine pas son repos ». Et ce n’est pas une raison semblable pour ce qui est dы au corps, parce que c’est quelque chose de limitй, qui est dы а une personne prйcise et а un moment prйcis, ce qui ne se produit pas dans le cas de la correction fraternelle, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

[66457] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquis potest omittere, correctionem fraternam tripliciter. Uno quidem modo absque omni peccato : quia, ut Augustinus dicit in I de Civit. Dei, [cap. IX] : si propterea quisque obiurgandis et corripiendis male agentibus parcit, quia opportunum tempus inquirit, vel eisdem ipsis metuit ne deteriores ex hoc efficiantur, vel ad bonam vitam et patientiam erudientes impediant alios infirmos, et premant atque avertant a fide; non videtur esse cupiditatis occasio, sed consilium caritatis.

 

 

 

 

Alio modo, sicut cum delectat lingua blandiens, et humanus dies, et formidatur vulgi iudicium et carnis excruciatio vel peremptio : quae quidem si sic teneantur in animo, ut praeponantur caritati fratris, est peccatum mortale.

 

Tertio modo potest esse cum peccato veniali; puta, cum ista moverent animum, non quidem ut praeponantur proximi caritati, sed ut negligentes reddantur ad considerandas circumstantias et opportunitates in quibus corrigere tenentur.

10. Il faut dire que quelqu’un peut abandonner la correction fraternelle de trois maniиres :

D’une premiиre maniиre, sans aucun pйchй : parce que, comme Augustin le dit dans la Citй de Dieu, I, 9 : « Si quelqu'un йpargne ceux qui agissent mal qu’il faut rйprimender et blвmer, qu’il cherche le moment opportun, ou bien parce qu’il a craint pour ces mкmes personnes qu’elles ne deviennent pires, ou bien instruit pour une bonne vie et pour la patience empиchent ceux qui sont faibles et ils les pressent et les dйtournent de la foi ; il ne semble pas que ce soit une occasion de cupiditй, mais un conseil de charitй. »

D’une autre maniиre : de mкme, quand la langue flatteuse et le jour humain charment, on redoute le jugement de la foule, le tourment de la chair et sa destruction : si on garde cela dans son вme pour les placer avant la charitй pourun frиre c’est un pйchй mortel.

D’une troisiиme maniиre : il existe avec un pйchй vйniel ; par exemple, comme ces choses incitant l’вme, non pour les placer avant la charitй du prochain, mais pour que les nйgligents soient ramenйs а considйrer les ciconstances et les conditions en lesquelles ils ont tenus de corriger.

[66458] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quicumque mortaliter peccat, immediate contra caritatem peccat, quia facit illud quod est contrarium caritati. Tamen, proprie loquendo, non semper directe contra caritatem peccat; sed solum tunc quando intendit contra caritatem agere, ut contingit in his qui ex malitia peccant.

11. Quiconque pиche mortellement, pиche directement contre la charitй, parce qu’il fait ce qui lui est contraire. Cependant, а proprement parler il ne pиche pas toujours directement contre la charitй, mais seulement quand il tend а agir contre elle, comme cela arrive а ceux qui pиchent par malice.

[66459] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad praeceptum de honore parentum reducuntur praecepta de beneficiis impendendis quibuscumque proximis : ponitur autem expresse de honore parentum, quia hoc cadit statim in ratione cuiuslibet; non autem sic de aliis beneficiis.

12. En ce qui concerne le prйcepte du respect dы aux parents, les prйceptes sont ramenйs а ce qui concerne les bienfaits а accomplir а chacun des proches. On pense expressйment au respect dы aux parents parce que cela tombe aussitфt dans la nature de chacun, il n’en est pas de mкme pour les autres bienfaits.

[66460] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sermo admonitorius non est sufficiens secundum philosophum [X Ethic., cap. IV] quantum ad eos qui sunt duri et servilis animi; et hi sunt qui ex admonitione fiunt deteriores; qui sunt compescendi per correctionem coactivam praelatorum, quae etiam correctio non sufficit sine divino auxilio.

13. Une parole d’avertissement n’est pas suffisante, selon le philosophe (Ethique 10, 4) pour ceux dont l’вme est dure et servile ; et ce sont ceux qui deviennent pires а la suite d’un avertissement ; et ceux qui doivent кtre repris par une correction forcйe de leurs prйlats, mкme cette correction ne suffit pas sans l’aide divine.

[66461] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod peccata in Deum non sunt nostri arbitrii ad dimittendum; sunt autem nostri arbitrii ad arguendum.

14. Les pйchйs contre Dieu ne doivent pas кtre laissйs а notre libre dйcision. Mais c’est de notre libre dйcision de les dйnoncer.

[66462] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo propter peccatum suum non absolvitur a debito correctionis; sed redditur indignus ad alium corrigendum qui seipsum non corrigit. Nec tamen est perplexus; quia debet peccata dimittere, et sic corrigere, secundum illud Matth. VII, 5 : Eiice primum trabem de oculo tuo, et tunc videbis eiicere festucam de oculo fratris tui.

15. L’homme, en raison de son pйchй, n’est pas dйliй de l’obligation d’une correction ; mais celui qui ne se corrige pas lui-mкme, est rendu indigne d’en corriger un autre. Et cependant, il n’est pas embarrassй ; parce qu’il doit renoncer а ses pйchйs et les corriger, selon cette parole de Mt 7, 5 : « Enlиve d’abord la poutre de ton њil et alors, tu verras clair pour enlever la paille dans l’њil de ton frиre ».

[66463] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod semper ille qui corripit alium in peccato existens, quodammodo condemnat seipsum, id est damnationem suam pronuntiat; non tamen semper sibi damnationem accumulat, puta, cum est in minori peccato, et arguit de maiori, vel cum est in occulto, et arguit de publico, et se simul et illum arguit, non contemnendo, sed se simul reprehendendo : dicit enim Gregorius in V Moral., [in cap. XXXIII] quod cum homo debeat diligere proximum sicut seipsum, ita tenetur aliena peccata corrigere, et contra ea irasci, sicut sua. Si vero cum superbia arguat, quasi sua peccata non recognoscens, tunc sibi damnationem acquirit; unde dicitur Matth., VII, 3 : Quia vides festucam in oculo fratris tui, et trabem in oculo tuo non vides? Sed etiam quando ex correctione sequitur scandalum propter manifestationem sui peccati, sic etiam correctio non erit actus virtuosus.

 

16. Toujours celui qui corrige un autre tout en vivant dans le pйchй, se condamne de quelque maniиre lui-mкme, c'est-а-dire qu’il prononce sa condamnation ; et cependant, il ne l’augmente pas pour lui, а savoir, quand il est dans un moindre pйchй et qu’il accuse d’un pйchй plus grave ou quand il est cachй et qu’il accuse publiquement, et qu’il s’accuse lui-mкme en mкme temps, non pas en condamnant, mais en se faisant en mкme temps des reproches : Grйgoire le Grand dit dans ses Morales V, 33, que, comme l’homme doit aimer son prochain comme lui-mкme, il est tenu de corriger les pйchйs d’autrui et de s’emporter contre eux, comme contre les siens. Mais s’il dйnonce avec orgueil, comme s’il ne reconnaissait pas ses propres pйchйs, alors, il acquiert sa propre damnation ; c'est pourquoi il est dit en Mt 7, 3 : Parce que tu vois la paille dans l’њil de ton voisin, ne vois-tu pas la poutre dans le tien ? Mais aussi quand le scandale dйcoule de la correction en raison de la manifestation de son pйchй, ainsi, la correction ne sera pas non plus un acte de vertu.

[66464] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod correctio coactiva est officium superiorum, sed correctio caritativa est officium omnium.

17. La correction forcйe est le devoir des supйrieurs, mais la correction de charitй est le devoir de tous.

 

[66465] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum superiores sint proximi, eos corrigere debemus, sed humiliter et reverenter, non proterve, ne exasperentur; et ideo ibidem dicit Apostolus : Seniorem obsecra ut patrem. Et propter hoc reprehenditur Demophilus monachus, qui sacerdotem peccantem iniuriosis verbis et factis correxit, eum verberans, et de Ecclesia eiiciens.

18. Quand les supйrieurs sont des proches, nous devons les reprendre, mais avec humilitй et respect et non sans retenue, pour ne pas les fвcher ; et c’est pourquoi l’Apфtre dit ici mкme (1 Tm 5, 1) : « Vйnиre le vieillard comme un pиre ». Pour ce motif, le moine Dйmophile a fait l’objet d’une rйprimande, lui qui avait corrigй un prкtre en йtat de pйchй, par des paroles et des gestes injurieux en le frappant et en le rejetant de l’Йglise.

[66466] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod si correctio secundum debitas circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis discordiarum causis.

19. Si la correction se passe selon les circonstances convenables, il ne doit pas en dйcouler de trouble, mais plutфt un rйtablissement de la paix, une fois que les causes de discorde ont йtй йloignйes.

 

 

 

Articulus 2 : [66467] De virtutibus, q. 3 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum ordo correctionis fraternae sit in praecepto qui ponitur Matth. XVIII

Article 2La rиgle de la correction fraternelle est-t-elle dans le prйcepte qui se trouve en Mt 18 ?

[66468] De virtutibus, q. 3 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[73]

 [66469] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 1 Dicitur enim I ad Timoth. VI, 20 : peccantem coram omnibus argue. Sed, Matth. c. XVIII, 15, dicitur : argue eum inter te et ipsum solum, quod est secrete admonere. Cum ergo dictum apostoli non contrarietur praecepto Christi, videtur quod non cadat sub praecepto ut frater sit prius secreto admonendus, et postea publice denuntiandus Ecclesiae.

1. Il est dit en 1 Tm 5, 20 : « Reprends le pйcheur en prйsence de tous ». Par contre, en Mt 18, 15, il est dit : « Reprends-le seul а seul », ce qui est avertir en secret. Donc comme la parole de l’Apфtre n’est pas contredite par le prйcepte du Christ, il semble qu’il ne tombe pas sous le prйcepte que le frиre doit d’abord кtre averti en privй et ensuite dйnoncй publiquement а l’Йglise.

[66470] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod verbum apostoli intelligitur de peccatis manifestis, quae publice arguenda sunt; verbum autem domini de peccatis occultis.- Sed contra, peccata occulta nullus debet publicare : sic enim esset magis proditor criminis quam corrector fratris. Sed Dominus mandat, Matth. XVIII, [v. 16-17] quod si frater monentem in secreto non audiat, adducat unum vel duos testes, et tandem dicat Ecclesiae; quod est peccatum publicare. Ergo videtur quod praeceptum Domini non sit intelligendum in peccatis occultis.

2. Mais il faut dire que la parole de l’Apфtre se comprend des pйchйs йvidents qui doivent кtre rйprimandйs en public, mais la parole du Seigneur se comprend des pйchйs cachйs. En sens contraire, nul ne doit rendre publics les pйchйs cachйs ; en effet, il dйnoncerait la faute plutфt qu’il ne corrigerait son frиre. Mais le Seigneur recommande en Mt 18, 16-17, que, si un frиre n’йcoute pas celui qui l’avertit en secret, qu’il amиne un ou deux tйmoins et enfin qu’il le dise а l’Йglise ; ce qui est rendre le pйchй public. Donc, il semble qu’il ne faut pas comprendre le prйcepte du Seigneur pour les pйchйs cachйs.

[66471] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut Augustinus dicit, VIII de Trinitate [ cap. I et III], omnes regulae veritatis derivantur a lege veritatis aeternae. Sed lex veritatis aeternae hoc habet, quod Deus non solum punit hominem de peccato occulto, sed etiam punit interdum nulla secreta admonitione praecedente. Ergo videtur quod etiam homo, qui divinae veritatis debet imitator existere, possit publice aliquem denuntiare, secreta etiam monitione non praecedente.

3. Comme le dit Augustin, (La Trinitй, VIII, 1 et 3) : Toutes les rиgles de la vйritй dйrivent de la loi de la vйritй йternelle. Mais celle-ci a que Dieu non seulement punit l’homme du pйchй cachй, mais encore il le punit parfois, sans aucun avertissement prйalable. Donc, il semble que l’homme aussi qui doit кtre l’imitateur de la vйritй divine, puisse dйnoncer publiquement quelqu’un, sans un avertissement secret qui prйcиde.

[66472] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. Contra mendacium, ex gestis sanctorum intelligi potest qualiter sunt praecepta sacrae Scripturae intelligenda. Sed in gestis sanctorum invenitur, quod facta est aliquando publica denuntiatio peccati occulti, nulla secreta admonitione praecedente; ut legitur Act. 5, quod Petrus Ananiam et Saphiram occulte defraudantes de pretio agri publice denuntiavit, nulla secreta admonitione praemissa. Ergo non obligamur ex praecepto Christi ut secreta admonitio praecedat publicam denuntiationem.

4. Comme le dit Augustin dans son livre Contre le mensonge, (ch. 15), on peut comprendre « A partir des actions des saints comment il faut penser les prйceptes de l’Ecriture sainte ». Mais on dйcouvre dans les actions des saints que parfois, il a йtй fait une dйnonciation publique des pйchйs cachйs, sans admonition secrиte prйlable ; comme on lit dans les Ac 5, 8 que Pierre a dйnoncй publiquement Ananie et Saphire qui fraudaient en secret sur le prix d’un terrain, sans admonition secrиte prйalable. Donc, nous ne sommes pas obligйs, par le prйcepte du Christ, а ce qu’un avertissement secret prйcиde une dйnonciation publique.

[66473] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnis Christi actio, nostra est instructio : ipse enim dicit, Ioan. XIII, 15 : Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. Sed Christus non legitur admonuisse Iudam secreto antequam eum denuntiaret. Ergo videtur quod etiam nos possumus publice denuntiare peccatum fratris, antequam eum occulte admoneamus.

5. Tout acte du Christ est un enseignement pour nous : car il a dit lui-mкme, Jn 13, 15 : « Je vous ai donnй l’exemple pour que vous fassiez vous aussi comme moi je l’ai fait ». Or, on ne lit pas que le Christ a averti Judas en secret, avant qu’il ne le dйnonce. Donc, il semble que, nous aussi, nous pouvons dйnoncer publiquement le pйchй d’un frиre, avant de le dйnoncer en secret.

[66474] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut denuntiatio fit in publico, ita etiam et accusatio. Sed aliquis potest ad accusationem procedere, nulla admonitione prius facta : quia ad accusationem praeexigitur sola inscriptio, ut Decretalis [2 quaest., can. Quisque] dicit. Ergo videtur, quod etiam denuntiare publice possit aliquis, nulla monitione secreta praecedente.

6. La dйnonciation se fait en public, l’accusation aussi. Mais quelqu'un peut procйder а l’accusation, sans aucune admonition prйalable, parce que seule l’inscription est exigйe au prйalable pour l’accusation, comme il est dans la Dйcrйtale (qu. 2, can. Quisque[74] (Chacun). Donc, il semble que l’on puisse dйnoncer publiquement, sans avertissement secret prйalable.

[66475] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea, illud quod in omni casu praeterire licet, nullo modo cadit sub praecepto. Sed in quolibet casu videtur quod liceat praeterire admonitionem secretam; quia in quolibet peccato potest aliquis intendere commune bonum iustitiae, et sic ad accusationem procedere, admonitione secreta non praemissa. Ergo videtur quod secreta admonitio non debeat praemitti ex necessitate praecepti.

7. Ce qu’il est permis en tout cas de passer sous silence, ne tombe en aucune maniиre sous le prйcepte. Mais en n’importe quel cas, il semble qu’il serait permis d’omettre une admonition secrиte ; parce que, en n’importe quel pйchй, quelqu'un peut tendre au bien commun de la justice et ainsi, procйder а une accusation, sans admonition prйalable. Donc il semble que l’admonition secrиte ne doit кtre employйe au prйalable par nйcessitй du prйcepte.

[66476] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, non videtur esse probabile, quod ea quae sunt in communi consuetudine religiosorum, sint contra praecepta Christi. Sed in religionibus hoc est consuetum, quod in capitulis aliqui proclamantur de aliquibus peccatis, nulla secreta monitione praemissa. Ergo videtur quod non sit de necessitate praecepti secretam admonitionem praemittere publicae denuntiationi.

8. Il ne semble pas probable que ce qui est de l’usage commun des religieux, soit contre les prйceptes du Christ. Mais dans les pratiques religieuses, c’est l’habitude que, lors des chapitres, certains dйnoncent des pйchйs, sans avertissement prйalable. Donc, il semble qu’il ne relиve pas de la nйcessitй du prйcepte de faire passer l’avertissement secret avant une dйnonciation publique.

[66477] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in IV de doctrina Christ., quod sicut eadem rotunditas est in magno disco et parvo, ita eadem ratio iustitiae est in magnis rebus et parvis. Si igitur in parvis peccatis non exigitur secreta admonitio publicae denuntiationis, ut dicebatur, videtur quod nec in magnis.

 9. Augustin dit (De la doctrine chrйtienne, IV, XVIII, 35) que, de mкme qu’un grand disque et un petit disque prйsentent la mкme rondeur, ainsi, la mкme nature de justice est dans les grandes choses comme dans les petites. Si donc, dans les petits pйchйs, on n’exige pas un avertissement secret de la dйnonciation publique, comme on le disait, il semble qu’on ne doit pas l’exiger pour les pйchйs graves.

[66478] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 10 Praeterea, si secreta admonitio debet praecedere publicam denuntiationem, necesse est aliquam moram intervenire inter reprehensionem peccati, et publicam eiusdem denuntiationem. Sed quandoque talis mora est in tantum periculosa, quod postmodum non potest sufficiens remedium adhiberi; puta, si aliquis tractaverit de proditione civitatis cum hostibus, vel si sit haereticus in grege seducens homines a fide. Non videtur ergo quod debeat praecedere secreta admonitio.

10. Si une admonition secrиte doit prйcйder la dйnonciation publique, il est nйcessaire qu’intervienne un dйlai entre le blвme du pйchй et sa dйnonciation publique. Mais parfois un pareil dйlai est tellement dangereux que, par la suite, on ne peut avoir recours а un remиde suffisant ; par exemple, si quelqu’un a traitй de la trahison de la citй avec les ennemis, ou bien si quelque hйrйtique sйpare dans la comunautй les hommes de foi. Donc, il ne semble pas qu’une admonition secrиte doit prйcйder.

[66479] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 11 Praeterea, triplex est agens; scilicet naturale, artificiale, et agens per gratiam sive per caritatem, scilicet caritative corripiens fratrem. Sed agens naturale unumquodque facit quanto melius potest; et similiter agens artificiale. Ergo etiam corripiens fratrem ex caritate debet hoc facere quanto melius potest. Sed melius est quod hoc faciat publice : sic enim magis prodest multitudini; bonum autem multorum est melius quam bonum unius. Ergo videtur quod melius sit quod statim publice frater arguatur, nulla secreta admonitione praecedente.

11. L’agent est triple : а savoir selon la nature, selon l’art et selon la grвce ou la charitй, c'est-а-dire en rйprimandant charitablement son frиre. Mais l’agent naturel fait chaque chose du mieux qu’il peut ; et de la mкme maniиre l’agent selon l’art. Donc, en rйprimandant son frиre par charitй, il doit le faire du mieux qu’il peut. Mais il est meilleur de le faire publiquement ; ainsi en effet, cela est profitable au grand nombre, et le bien de beaucoup est meilleur que le bien d’un seul. Donc, il semble qu’il est meilleur de dйnoncer son frиre en public sans un avertissement secret prйalable.

[66480] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 12 Praeterea, ita se habet peccator in Ecclesia, sicut membrum putridum in corpore naturali. Sed non refert qualiter medicus membrum putridum abscindat, ut vitetur totius corporis corruptio. Ergo videtur quod non referat qualiter frater peccans corripiatur, sive publice, sive secreto.

12. Le pйcheur se comporte dans l’Йglise comme un membre gangrйnй dans un corps naturel. Mais il n’est pas important de savoir comment un mйdecin coupe le membre gangrйnй, pour йviter la corruption а tout le corps. Donc il semble que de la mкme maniиre, il n’est pas important de savoir comment un frиre pйcheur est rйprimandй soit en public, soit en privй.

[66481] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 13 Praeterea, subditi tenentur obedire suis praelatis. Sed quandoque praelati praecipiunt ut eis dicatur a subditis quidquid de alienis peccatis sciunt. Ergo etiam si peccata sunt occulta, tenentur subditi revelare, nulla monitione secreta praemissa.

13. Les sujets sont tenus d’obйir а leurs prйlats. Mais parfois, ceux-ci leur ordonnent de dire ce qu’ils savent des pйchйs d’autrui. Donc, mкme si les pйchйs sont cachйs, les sujets sont tenus de les rйvйler, sans aucun avertissement secret.

[66482] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 14 Praeterea, Matth. XVIII, 15, super illud : Si peccaverit in te frater tuus, dicit Glossa, quod frater arguendus est ex zelo iustitiae; ex quo videtur quod correctio fraterna sit actus iustitiae. Sed iustitia debet in publico fieri; dicit enim philosophus in V Ethic. [cap. I], quod iustitia est virtus praeclara magis quam Lucifer aut Hesperus. Ergo correctio fraterna debet fieri in publico, non in secreto.

14. A propos de Mt 18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi », la Glose dit que le frиre doit кtre rйprimandй par zиle de justice, d’oщ il semble que la correction fraternelle est un acte de justice. Mais la justice doit кtre rendue en public ; en effet, on lit chez le philosophe (Ethique, V, 3, 1129 b 27) que la justice est une vertu plus йclatante que Lucifer ou l’Etoile du soir. Donc la correction fraternelle doit кtre faite en public et non en secret.

[66483] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 15 Praeterea, ad iustitiam pertinet retribuere pro meritis. Sed ille qui peccavit, ex ipso factus est inglorius apud Deum. Ergo videtur quod sicut meruit, sit auferenda ei fama coram hominibus per publicam correctionem.

15. Rйtribuer les mйrites convient а la justice. Mais celui qui a pйchй, par ce fait mкme, est devenu sans gloire devant Dieu. Donc, il semble que de mкme il a mйritй, que sa rйputation doit lui кtre enlevйe devant les hommes par une correction publique.

[66484] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 16 Praeterea, nullum praeceptum Dei contrariatur consilio vel praecepto. Sed Dominus dicit Luc. VI, 30 : Qui aufert quae tua sunt, ne repetas; quod necesse est ut sit vel per consilium vel praeceptum. Ergo videtur, cum admonitio fieri non possit sine repetitione suorum, praecipue in casu in quo aliquis asportavit alicui sua, quod non sit in praecepto, secreto admonere.

 16. Aucun prйcepte divin n’est contraire au conseil ni au prйcepte. Mais le Seigneur dit en Lc 6, 30 : « A qui te prend ton bien, ne le rйclame pas », ce qui est nйcessaire pour qu’il soit, par conseil, ou par ordre. Donc, il semble, puisque l’admonition ne peut pas кtre faite sans revendication de ses biens, surtout au cas oщ quelqu’un a emmenй ses biens chez un autre, ce qui n’est pas dans le prйcepte d’admonester en secret.

[66485] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 17 Praeterea, licet omni tempore et omni modo reddere bonum pro malo. Sed Augustinus dicit in Lib. III de libero Arbitr., quod cum corripiuntur inquieti, redditur eis bonum pro malo. Ergo videtur quod omni tempore liceat eos corripere publice ante secretam admonitionem.

17. Il est permis en tout temps et en toute maniиre de rendre le bien pour le mal. Mais Augustin, (Le libre arbitre III), dit que quand ceux qui sont troublйs sont rйprimandйs, on leur rend le bien pour le mal. Donc, il semble qu’en tout temps, il est permis de rйprimander publiquement avant un avertissement secret.

[66486] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 18 Praeterea, leges feruntur ad ea quae saepe fiunt, non ad ea quae raro accidunt. Sed raro contingit quod aliquis propter hoc quod fama sibi auferatur, peior efficiatur; plures autem propter detectionem a peccato homines corripiuntur. Ergo videtur quod non sit praeceptum legis divinae de hoc quod aliquis prius secreto admoneatur quam publice denuntietur.

18. Les lois sont йtablies pour ce qui se produit souvent, non pour ce qui arrive rarement. Mais il arrive rarement que quelqu’un devienne pire, parce que sa bonne rйputation lui aurait йtй enlevйe ; plusieurs hommes sont corrumpus par leur pйchй, а cause de sa manifestion. Donc, il semble que cela ne relиve pas du prйcepte de la loi divine que quelqu’un soit d’abord admonestй secrиtement avant d’кtre dйnoncй publiquement.

[66487] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 19 Praeterea, in ordine fraternae correctionis continetur quod peccatum non denuntietur Ecclesiae sive praelato, nisi quando frater arguentem audire noluerit. Sed si unus peccatum aliquod committat alio sciente, et correctionem promittat, videtur ex hoc ipso fratrem arguentem audisse; et tamen videtur nihilominus peccatum eius esse denuntiandum praelato, ne pereat iustitiae disciplina. Ergo videtur quod ordo correctionis fraternae quem dominus ponit, non cadat sub praecepto.

19. Dans l’ordre de la correction fraternelle, il est ajoutй que le pйchй ne doit кtre dйnoncй ni а l’Йglise ni au prйlat, sauf quand le frиre n’a pas voulu йcouter celui qui le dйnonce. Mais si quelqu’un a commis un pйchй alors qu’un autre le sait et qu’il promet de s’amender, il semble, par ce fait mкme avoir йcoutй le frиre qui le dйnonce ; et cependant, il semble nйanmoins que son pйchй doive кtre dйnoncй au prйlat, pour que ne disparaisse pas la discipline de la justice. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle que le Seigneur йtablit, ne tombe pas sous ce prйcepte.

[66488] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 20 Praeterea, super illud Matth. XVIII, 15 : Si peccaverit in te frater tuus, dicit Hieronymus : Si autem in Deum peccaverit, non est nostri arbitrii. Ergo videtur quod iste modus non se extendat ad omnia peccata.

20. A propos de Mt 18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi », Jйrфme explique : « Si donc, il a pйchй contre Dieu, ce n’est pas de notre jugement ». Donc, il semble que cette faзon de voir ne s’йtende pas а tous les pйchйs.

[66489] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 21 Praeterea, dominus dicit, Matth. XVIII, v. 15 : Si te audierit, lucratus es fratrem tuum. Sed non propterea aliquis fratrem suum est lucratus, si solum audiat arguentem a peccato desistens post gravia peccata commissa; sed multa alia requiruntur ad hoc quod ad salutem perveniat, quod est fratrem esse lucratum. Ergo videtur quod iste ordo correctionis fraternae non se extendat ad peccata gravia.

21. Le Seigneur dit en Mt 18, 15 : « Si ton frиre t’йcoute, tu l’auras gagnй ». Mais ce n’est pas а cause de cela que quelqu'un a gagnй son frиre, s’il йcoute celui qui le dйnonce, renonзant au pйchй aprиs avoir commis des pйchйs graves ; mais on recherche beaucoup d’autres choses pour qu’il parvienne au salut, en quoi consiste gagner son frиre. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle ne s’йtende pas aux pйchйs graves.

[66490] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 22 Praeterea, Eccli. XIX, 10, dicitur : Audisti verbum adversus proximum tuum? Commoriatur in te, fidens quoniam non te disrumpet. Non ergo oportet ut eum ad alios deferamus si eius peccatum deprehendimus.

22. On lit en Si 19, 10 : « As-tu entendu une parole contre ton prochain ? Qu’elle demeure en toi, confiance elle ne te brisera pas ». Donc, il n’est pas nйcessaire que nous l’annoncions aux autres si nous surprenons son pйchй.

[66491] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 23 Praeterea, minus est agendum circa fratrem in aliis peccatis quam in peccato haereticae pravitatis. Sed in haeretica pravitate debet aliquis admoneri bis vel ter, secundum illud ad Titum III, 10 : Haereticum hominem post primam et secundam correctionem devita. Ergo videtur quod non sufficiat semel corripere, sicut in verbis Domini videtur innui, ante denuntiationem.

23. Il faut moins agir pour un frиre dans tous les autres pйchйs que dans celui de la perversion hйrйtique. Mais dans cette derniиre, on doit кtre averti deux ou trois fois, selon cette parole de Tt 3, 10 : « Dйtourne-toi de l’homme hйrйtique aprиs une premiиre et deuxiиme correction ». Donc, il semble qu’il ne suffirait pas de corriger une fois, comme cela paraоt indiquй dans les paroles du Seigneur, avant la dйnonciation.

[66492] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 24 Praeterea, iste ordo correctionis, secundum Augustinum in Lib. de verbis Domini X [serm. XVI], attenditur in peccatis occultis. Sed in talibus non videtur aliquid posse probari per testes. Ergo inconvenienter continetur in hoc correctionis ordine quod testes adhibeantur.

24. En outre, cet ordre de la correction, selon Augustin, Les Paroles du Seigneur, (10, sermon 16) est atteint dans les pйchйs cachйs. Mais en de tels pйchйs, il ne semble pas qu’un acte puisse кtre prouvй par des tйmoins. Donc, il est contenu de maniиre inconvenante dans cet ordre de correction qu’on y joigne des tйmoins.

[66493] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 25 Praeterea, homo debet diligere proximum suum sicut seipsum. Sed nullus ad publicationem sui criminis tenetur testes inducere. Ergo neque etiam ad manifestationem criminis fratris.

25. En outre, l’homme doit aimer son prochain comme lui-mкme. Mais nul n’est tenu de produire des tйmoins pour la publication de sa faute. Pas plus pour la divulgation de la faute d’un frиre.

[66494] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 26 Praeterea, Augustinus dicit in Regula, quod prius praeposito debet ostendi, quam testibus. Sed ostendere praeposito, sive praelato, est ostendere Ecclesiae. Ergo non prius debent testes adduci quam dicatur; et sic videtur quod ordo quem dominus ponit, non sit in praecepto.

26. Par ailleurs, Augustin dit, dans La Rиgle[75], qu’il faut d’abord le montrer au chef de l’йglise avant de le montrer aux tйmoins. Mais le montrer au chef ou au prйlat, c’est le montrer а l’йglise. Donc, il ne faut pas amener les tйmoins avant que cela soit dit, et ainsi, il semble que l’ordre que le Seigneur a йtabli n’est pas dans le prйcepte.

En sens contraire :

[66495] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini [sermo XVIexponens illud : corripe inter te et ipsum solum.] : Studens correctionem, parcens pudori. Forte enim prae verecundia incipiet defendere peccatum suum; et quem vis facere meliorem, facis peiorem. Haec est igitur ratio huiusmodi ordinis servandi in correctione fraterna, ut parcatur pudori fratris, ne deterior efficiatur. Sed ad hoc tenemur per praeceptum caritatis. Ergo ordo correctionis fraternae cadit sub praecepto.

1. Il y a ce que dit Augustin dans le livre des Paroles du Seigneur (Sermon 16, quand il expose ceci : « Reprends-le seul а seul). Applique-toi а la correction, йpargne son honneur. Car peut-кtre, en raison de sa rйserve, commencera-t-il par dйfendre son pйchй ; et celui que tu veux rendre meilleur, tu le rends pire ». C’est donc la raison de l’ordre de ce genre а conserver dans la correction fraternelle, pour йpargner la honte du frиre, pour qu’il ne devienne pas pire. Mais nous y sommes tenus en raison du prйcepte de la charitй. Donc l’ordre de la correction fraternelle tombe sous ce prйcepte.

[66496] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII, 15, super illud : Si peccaverit in te etc., dicit Glossa ordin.] : Hoc ordine scandala vitare debemus. Sed vitare scandala cadit sub praecepto, ut patet Rom. XIV. Ergo ordo correctionis fraternae cadit sub praecepto.

2. En outre, Mt 18, 15, [sur ce passage : Si l’on a pйchй contre toi, etc., la Glose dit] : « Par cet ordre, nous devons йviter le scandale ». Mais йviter le scandale tombe sous le prйcepte, comme il ressort de Rm 14, 13. Donc, la rиgle de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

Rйponse :

[66497] De virtutibus, q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, art. 1, dictum est, correctio fraterna cadit sub praecepto, secundum quod est actus virtutis. Est autem actus virtutis, secundum quod debitis circumstantiis vestitur; inter quas praecipue videtur esse ordo ad finem, quem oportet communem regulam habere in omnibus operabilibus. Finis autem correctionis fraternae est emendatio fratris, sicut dictum est; et ideo hoc ordine Dominus voluit fieri correctionem fraternam, secundum quod congruit ad fratris emendationem, quem volumus a peccato liberare.

Comme il a йtй dit (art. 1), la correction fraternelle tombe sous le prйcepte, selon que c’est un acte de vertu. C’en est un selon qu’il se revкt des circonstances nйcessaires ; parmi celles-ci il semble surtout qu’il y a un rapport а la fin qu’il est nйcessaire d’avoir comme rиgle commune dans tout ce qui est peut кtre opйrй. Et le but de la correction fraternelle est la rйforme du frиre, comme il a йtй dit ; et ainsi, par cet ordre, le Seigneur a voulu que la correction fraternelle se fasse selon qu’elle convient а la rйforme du frиre que nous voulons libйrer du pйchй.

Duplex autem periculum imminet homini ex peccato; scilicet periculum conscientiae et famae.

Haec autem duo, scilicet conscientia et fama, hoc modo se habent ad invicem, quod conscientia est praeferenda famae; quia testimonium conscientiae est in conspectu Dei, sed testimonium famae pertinet ad officium humanum. Differunt etiam quantum ad hoc quod conscientia est necessaria homini propter seipsum; fama autem propter se, et propter proximum.

 

 

 

Hoc igitur ordine dominus voluit correctionem fraternam fieri, ut primo quidem, si possibile sit, ita provideatur conscientiae, quod in nullo fama laedatur; et hoc per secretam admonitionem. Deinde, quia conscientia est famae praeferenda; si aliter frater emendari non potest quam cum dispendio famae, finaliter ordinavit Dominus ut publice denuntietur, ut obiurgatio quae fit a pluribus, ei sit remedium salutare.

Un double danger par le pйchй menace l’homme ; а savoir celui de sa conscience et celui de sa rйputation.

Or, ces deux йlйments а savoir la conscience et la rйputation, se comportent entre elles de cette maniиre que la conscience doit se porter au devant de la renommйs, parce que le tйmoignage de la conscience est sous le regard de Dieu, mais le tйmoignage de la rйputation concerne le devoir humain. Ils diffиrent aussi du fait que la conscience est nйcessaire а l’homme а cause de lui-mкme, et la rйputation а cause de lui et а cause du prochain.

Donc, par cette rиgle, le Seigneur a voulu йtablir la correction fraternelle, pour que, d’abord, si c’йtait possible, elle prenne soin de la conscience, quand la rйputation ne serait lйsйe en rien, et cela, par un avertissement secret. Ensuite, parce qu’il faut prйfйrer la conscience а la rйputation, si le frиre ne peut кtre corrigй autrement qu’avec la perte de la rйputation ; finalement le Seigneur a ordonnй qu’il soit dйnoncй publiquement, pour que le reproche qui est fait par plusieurs soit pour lui un remиde salutaire.

Si autem statim ad publicam pronuntiationem procederetur, pateretur frater dispendium famae suae; quod quidem vitandum est et propter ipsum, et propter alios, propter quos est sibi necessaria fama.

Propter ipsum quidem, duplici ratione.

Si donc on procиde tout de suite а une annonce publique, le frиre perdrait sa rйputation, ce qu’il faut йviter et pour lui-mкme et pour les autres, vis-а-vis desquels la rйputation lui est nйcessaire.

En raison de lui-mкme et pour un double motif.

Primo quidem, quia bona fama est praecipuum inter exteriora bona, secundum illud Prov. XXII, 1 : Melius est nomen bonum quam divitiae multae. Et hoc ideo, quia bonitas famae reddit hominem idoneum ad humana officia exequenda in conversatione humana; et ideo dicitur Eccli., XLI, 15 : Curam habe de bono nomine; hoc enim magis permanebit tibi quam multi thesauri magni et pretiosi. Sicut igitur peccaret qui absque necessitate ingereret alicui divitiarum dispendium; ita, et multo amplius, peccat si aliquis absque necessitate proximo ingereret dispendium famae, absque necessitate eius peccatum publicando.

a/ Premiиrement, parce qu’une bonne renommйe est chose importante parmi les biens extйrieurs, selon Pr 22, 1 : « Mieux vaut un nom honorable que de grandes richesses ». Et ainsi, parce que la bontй de la renommйe rend l’homme apte а remplir ses devoirs humains, dans une maniиre de vivre humaine ; et ainsi lit-on en Si 41, 15 : « Aie soin de ton bon renom, cela demeurera plus pour toi qu’une foule de grands trйsors prйcieux ». Donc, de mкme qu’il pйcherait celui qui imposerait sans nйcessitй а quelqu’un la perte de ses richesses, et il pиche beaucoup plus, si, sans nйcessitй, il poussait son prochain а la perte de sa rйputation et sans nйcessitй, en rendant public son pйchй.

Secundo, quia propter conservationem famae homo multoties abstinet a peccatis. Et ideo, quando aliquis videt se iam famam amisisse, pro nihilo ducit peccare secundum illud Ieremiae III, 3 : Facies meretricis facta est tibi, erubescere nescisti; unde et Hieronymus dicit super Matth. : Corripiendus est seorsum frater, ne si semel pudorem aut verecundiam amiserit, permaneat in peccato.

b/ Deuxiиmement, parce que, pour sauvegarder sa rйputation, l’homme s’abstient souvent des pйchйs. Et ainsi, quand quelqu’un voit que dйsormais il a perdu sa rйputation, cela le conduit pour rien au pйchй, selon ce qu’on lit en Jr 3, 3 : « Tu montrais l’apparence de la prostituйe, mais tu n’as pas su rougir[76] », d’oщ aussi Jйrфme (Sur Matthieu) : « Il faut reprendre son frиre а l’йcart, de peur que, s’il a perdu sa rйserve et sa discrйtion, il ne demeure dans le pйchй ».

Similiter etiam ex parte aliorum est periculosum dupliciter.

Primo quidem, quia homines peccatum alicuius audientes scandalizantur, et contemnunt quandoque non solum peccantem, sed et multos alios innocentes. Unde Augustinus dicit in Epistola ad plebem Hipponensem : Cum de aliquibus qui sanctum nomen profitentur, aliquid criminis vel falsi sonuerit, vel veri patuerit, instanter satagunt, ambiunt, ut de omnibus hoc credatur.

De la mкme maniиre, du cфtй des autres, le danger est double.

a/ Premiиrement, parce que les hommes sont scandalisйs en entendant parler du pйchй d’autrui et qu’ils mйprisent parfois non seulement le pйcheur, mais aussi beaucoup d’autres innocents. C’est pourquoi Augustin dit dans une Lettre au peuple d’Hippone : « Comme pour certains qui ont profйrй le saint nom, quelque chose du crime ou du mensonge aurait retenti ou que quelque chose de vrai aura йtй dйcouvert, ils se donnent du mal tout de suite et font en sorte que cela soit cru de tous ».

Secundo, quia ex peccato nimis publico multi provocantur ad peccandum; secundum illud I ad Cor. 5, 6 : Nescitis quia modicum fermentum totam massam corrumpit? Et ideo sub praecepto cadit ut non prius aliquis ad denuntiationem publicam procedat quam secreto correxerit. Sed quia de extremo ad extremum pervenitur per medium, interposuit dominus quemdam medium gradum; ut post secretam admonitionem nunquam publice omnibus denuntietur nisi unus vel duo testes adhibeantur, ut possit secretius correctus non innotescere ceteris, ut Augustinus dicit in Regula. Sic igitur ordo fraternae correctionis sub praecepto cadit, sicut et ipsa fraterna correctio; hac tamen discretione servata in utroque, ut debito loco, tempore, et aliis debitis circumstantiis observatis, omnia fiant secundum quod quis utile esse prospexerit ad emendationem fratris, quae est finis et regula correctionis fraternae.

b/ Deuxiиmement, parce qu’en raison d’un pйchй trop public, beaucoup sont tentйs de pйcher, selon 1 Co 5, 6 : « Ne voyez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute une pвte ? » C’est pourquoi, cela tombe sous le prйcepte qu’on ne procиde pas а la dйnonciation publique avant d’avoir corrigй en secret. Mais parce qu’on passe d’un extrкme а un autre par un intermйdiaire, le Seigneur a йtabli un degrй intermйdiaire, de telle sorte qu’aprиs l’avertissement en privй, il n’y ait jamais de dйnonciation publique pour tous, si ce n’est en employant un ou deux tйmoins, de maniиre а ce que celui qui a йtй corrigй d’une maniиre assez secrиte, ne puisse se faire connaоtre а tous les autres, comme le dit Augustin dans la Rиgle 7[77]. Ainsi donc, l’ordre de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte, comme la correction elle-mкme ; cependant, une fois la discrйtion observйe dans l’un et l’autre cas, comme l’exigent le lieu, le temps et l’observation des circonstances normales, qu’ils fassent tout selon ce que quelqu'un aura discernй d’utile pour l’amendement du frиre qui est la fin et la rиgle de la correction fraternelle.

Solutions :

[66498] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus solvit in Lib. de verbis Domini, verbum apostoli est intelligendum in publicis peccatis; sed verbum Domini est intelligendum in peccatis occultis, ut ex ipso modo loquendi apparet. Dicit enim Dominus : Si peccaverit in te frater tuus. Si enim publice peccat, non solum in te peccat, cui contumeliam vel iniuriam infert, sed etiam in omnes videntes, ut significatur in parabola quam dominus ponit, Matth. XVIII, 31, de servo nequam, qui cum alium conservum affligeret, videntes conservi eius quae fiebant contristati sunt valde. Et II Petri II, 8, dicitur, quod animam iusti iniquis operibus cruciabant.

 

1. Il faut donc d’abord dire, de mкme qu’Augustin le rйsoud dans Les Paroles du Seigneur, qu’il faut penser que la parole de l’Apфtre concerne les pйchйs publics, mais la parole du Seigneur est а comprendre des pйchйs secrets, comme cela apparaоt dans la maniиre mкme de s’exprimer. En effet, le Seigneur dit (Mt 18, 15) : « Si ton frиre a pйchй contre toi… ». Si, en effet, il pиche publiquement, non seulement, il pиche contre toi, а qui il fait un affront ou une injure, mais aussi, contre tous ceux qui le voient, comme le montre la parabole du Seigneur en Mt 18, 31, а propos du mauvais serviteur, comme il avait agressй un autre compagnon : « Ses compagnons, voyant ce qui se passait йtaient bien navrйs ». Et dans 2 P 2, 8 : « Ils torturaient l’вme du juste par leurs њuvres injustes[78] ».

[66499] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam sic intellexerunt ordinem correctionis fraternae esse servandum, ut primo frater sit in secreto corripiendus; et si audierit, bene quidem; si autem non audierit, dicebant esse distinguendum : quia aut est omnino occultum, et tunc non est procedendum ulterius; aut incipit iam ad plerorumque notitiam pervenire, et tunc debet ulterius procedi, secundum quod Dominus mandat. Sed hoc non videtur bene dictum; dicit enim Augustinus in Regula : Si frater tuus vulnus habet in corpore quod vult occultari, dum timet secari, nonne a te crudeliter sileretur, et misericorditer indicaretur? Quanto ergo magis non debet occultari, ne deterius putrescat in corde?

 

 

 

Et ideo alia distinctione opus est. Si enim probabiliter possumus existimare quod ulterius procedendo ad eius emendationem proficiamus, debemus ulterius procedere adhibendo testes, et denuntiando. Si vero probabiliter existimemus quod ex tali publicatione fiat deterior, non est ulterius procedendum; sed propter hanc causam a tota correctione fraterna est desistendum, ut supra dictum est.

2. Certains ont ainsi pensй qu’il fallait conserver l’ordre de la correction fraternelle, pour que le frиre soit d’abord rйprimandй en secret ; et s’il a йcoutй, c’est bien ainsi ; mais s’il n’a pas йcoutй, ils disaient qu’il fallait opйrer une distinction : parce que, ou bien c’est tout а fait secret et alors, il ne faut pas aller plus loin oщ bien il commence dйjа а parvenir а la connaissance de la plupart, et alors, il faut aller plus loin, selon que le Seigneur l’ordonne. Mais ceci ne semble pas avoir йtй bien dit : en effet, Augustin dit dans La Rиgle (7) : « Si ton frиre a une blessure en son corps qu’il veut cacher, dans la crainte qu’on y porte le fer, ne serait-ce pas cruautй de vous taire et misйricorde de l’annoncer publiquement ? Combien plus on ne doit pas le cacher pour empкcher dans son cњur des ravages plus redoutable

Et ainsi il y a besoin d’une autre distinction. Si, en effet, nous pouvons estimer probablement, qu’en procйdant plus avant, nous parvenion а le corriger, nous devons aller plus loin en ayant recours а des tйmoins et en le dйnonзant. Mais si nous pensons que probablement il deviendrait pire а la suite d’une pareille annonce, il ne faut pas aller plus avant, mais а cause de cela il faut renoncer а toute correction fraternelle comme on l’a dit ci-dessus.

[66500] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnis veritas humanae iustitiae regulatur a veritate divina. Sed hominum facta non eodem modo comparantur ad iudicium divinum et ad iudicium humanum, quia secundum iudicium humanum quaedam peccata sunt occulta, in quibus non est statim procedendum ad publicum. Et hoc modo non comparantur omnia peccata ad iudicium divinum, quia omnia nuda et aperta sunt oculis eius, ut dicitur ad Hebr. IV, v. 13. Et ideo quantum ad iudicium divinum non requiritur quod secreta admonitio praecedat et tamen plerumque peccatores quasi secreta admonitione a Deo arguuntur per interiorem remorsum conscientiae et interiorem inspirationem, vel in vigilando, vel in dormiendo. Dicitur enim Iob XXXIII, 15-17 : Per somnum in visione nocturna, quando irruit sopor super homines, tunc operit aures virorum, et erudiens eos instruit disciplina, ut avertat hominem ab his quae fecit.

3. Toute la vйritй de la justice humaine est rйglйe par la vйritй divine. Mais les actes des hommes ne sont pas comparйs de la mкme maniиre pour le jugement divin et pour le jugement humain, parce que, selon le jugement humain, certains pйchйs sont cachйs et il ne faut pas aller tout de suite devant le public. Et de cette maniиre, tous les pйchйs ne sont pas comparйs au jugement divin, parce que tout est nu et dйcouvert а ses yeux, comme il est dit en He 4, 13. Et ainsi, quant au jugement divin il n’est pas requis qu’une admonition secrиte prйcиde et cependant, la plupart du temps, les pйcheurs sont accusйs comme par un avertissement secret de Dieu, par un remord intйrieur de la conscience et une inspiration intйrieure, soit en veillant, soit en dormant. En effet, il est dit en Jb (33, 15-17) : « Par un songe, par une vision nocturne, quand une torpeur s’abat sur les hommes, alors, il ouvre leurs oreilles et en les instruisant, il les enrichit par son enseignement pour dйtourner l’homme de ce qu’il a fait ».

[66501] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum Ananiae et Saphirae non devenerat ad notitiam Petri modo humano, sed per revelationem divinam; et ideo in peccato illo processit non secundum formam humani iudicii, sed secundum formam divini iudicii, tamquam in hoc executor Dei existens.

4. Le pйchй d’Ananie et de Saphire n’йtait pas venu а la connaissance de Pierre de maniиre humaine, mais par une rйvйlation divine et donc, ainsi il s’est avancй dans ce pйchй, non sous forme d’un jugement humain, mais sous forme d’un jugement divin en cela, comme l’exйcutant de Dieu en cela.

 

[66502] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam Dominus peccatum Iudae scivit virtute divina, in quantum erat cognitor absconditorum; et ideo, in quantum Deus, procedere poterat statim ad publicandum peccatum. Et tamen ipse non publicavit, sed obscuris verbis eum de peccato admonuit.

5. Le Seigneur aussi a connu le pйchй de Judas de science divine, en tant qu’il connaissait ce qui йtait cachй, et ainsi, Dieu pouvait passer aussitфt а la divulgation du pйchй. Et pourtant, lui-mкme ne l’a pas rendu public, mais il l’a averti du pйchй par des paroles obscures.

[66503] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod alia ratio est in accusatione et in denuntiatione; quia in denuntiatione intenditur correctio fratris : et ideo tali ordine debet denuntiatio fieri qui sit conveniens ad emendationem fratris; sed in accusatione intenditur bonum Ecclesiae, ut scilicet conservetur communitas pura ab infectione peccati, et ideo in accusatione non oportet quod praecedat denuntiatio.

6. Il y a une autre raison dans l’accusation et la dйnonciation, parce que la correction fraternelle est atteinte dans la dйnonciation et doit кtre faite dans un tel ordre qui conviendrait а la purification du frиre, mais le bien de l’Йglise est atteint dans l’accusation, pour prйserver la communautй exempte de la contagion du pйchй et ainsi dans l’accusation, il n’est pas nйcessaire que la dйnonciation prйcиde.

[66504] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non in omni peccato debet homo procedere ad accusationem; sed solum in illis peccatis ex quibus in promptu est ut proveniat periculum multitudini, vel spirituale, vel corporale. Tunc enim potest homo ad accusationem procedere, monitione non praecedente, si hoc exigat utilitas communis; quia bonum commune praeferendum est bono privato.

7. L’homme ne doit pas avoir recours а l’accusation pour tous les pйchйs, mais seulement ces pйchйs desquels visiblement, provient pour la multitude un danger, soit spirituel, soit corporel. Alors, en effet, l’homme peut procйder а l’accusation sans avertissement prйalable, si l’intйrкt commun le requiert, parce qu’il faut prйfйrer le bien commun au bien privй.

[66505] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod proclamationes quae fiunt in capitulis religiosorum, magis sunt quaedam commonitiones quam accusationes vel denuntiationes. Reducitur enim fratri ad memoriam culpa de qua purgare se debet, quod famae eius detrimentum non facit; fiunt enim huiusmodi proclamationes de levibus culpis. Si autem proclamaretur aliquis in publico de aliqua gravi culpa, ex qua infamari posset, monitione non praecedente, hoc esset illicitum et contra praeceptum Christi.

8. Les proclamations qui se font dans les chapitres des religieux, sont plus des exhortations que des accusations ou des dйnonciations. Car est ramenйe а la mйmoire du frиre la faute dont il doit se purifier, ce qui n’enlиve pas sa renommйe ; car des proclamations de ce genre se font pour les fautes lйgиres. Mais si quelqu'un signale en public pour une faute grave, il pourrait par cela avoir une mauvaise rйputation ; sans avertissement prйcйdant, cela serait illйgal et contre le prйcepte du Christ.

[66506] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ex levibus peccatis non consurgit infamia, sicut consurgit ex gravibus; ideo non est eadem ratio de utriusque.

9. L’infamie ne surgit pas des petits pйchйs, comme elle surgit des pйchйs graves : ainsi ce n’est pas la mкme raison pour les uns et les autres.

[66507] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in talibus in quibus mora denuntiationis est periculosa, non oportet expectare admonitionem, sed statim procedere ad denuntiationem; nec hoc est contra praeceptum Christi, propter duo. Primo quidem, quia peccatum istud, quod vergit in periculum multorum, non est solum in te, sed est in multos; dominus autem dicit : si peccaverit in te frater tuus.

 

Secundo, quia dominus non loquitur de culpa futura cavenda, sed de culpa praeterita iam praecommissa.

10. En de tels [pйcheurs] en qui le retard de la dйnonciation est pйrilleux, il n’est pas nйcessaire d’attendre l’avertissement, mais de procйder aussitфt а la dйnonciation ; et cela n’est pas contre le prйcepte du Christ, pour deux raisons :

a/ Premiиrement parce que ce pйchй, qui tend au pйril de beaucoup, n’est pas seulement en toi, mais en beaucoup ; le Seigneur dit « Si ton frиre a pйchй contre toi… »

b/ Deuxiиmement, parce que le Seigneur ne parle pas de faute future а йviter, mais d’une faute passйe dйjа commise.

[66508] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod multo melius est et quantum ad fratrem, cuius emendationi intenditur, et quantum ad multitudinem, si fieri potest, ut secretius emendetur, ut patet ex dictis. Et ideo ille qui corrigit secundum caritatem, isto modo debet procedere.

11. Il est beaucoup mieux quant au frиre, dont la purification est atteinte, et quant а la multitude, s’il est possible qu’il soit amendй plus en secret, comme on le voit par ce qui a йtй dit. Et ainsi celui qui corrige selon la charitй doit procйder de cette maniиre.

[66509] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod si medicus procederet statim ad praecisionem membri corrupti, incaute ageret, et multoties praecideret membra quae sanari possunt; sed si sit sapiens, a levioribus remediis incipiet. Tunc demum praecidit membrum, quando experitur illud esse insanabile; et ita quidem est faciendum in correctione fraterna.

12. Si le mйdecin coupait aussitфt le membre gangrйnй, il agirait imprudemment et de nombreuses fois il couperait des membres qui peuvent кtre soignйs ; mais s’il est sage, il commencera par des remиdes plus lйgers. Alors finalement il coupe le membre, quand il sait expйrimentalement qu’il ne peut pas кtre soignй. Et il faut agir ainsi dans la correction fraternelle.

[66510] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praelato non est obediendum contra praeceptum Christi, secundum illud Act. 5, 29 : obedire oportet Deo magis quam hominibus. Sed et ille praelatus qui praecipit contra mandatum Christi a peccato non excusatur. Et ideo, si praelatus praecipiat quod aliquis dicat quod sciverit corrigendum, vel quod sciverit de peccatis alterius, intelligendum est praeceptum eius sane, in casu in quo ipse hoc potest praecipere, secundum ordinem institutum a Christo. Quod si expresse contra hunc ordinem praeceperit, non est ei obediendum. In quibusdam tamen casibus saecularis vel ecclesiasticus iudex potest iuramentum exigere, sive in via denuntiationis, sive in via inquisitionis, sive in via accusationis; in istis etiam casibus potest praelatus in religionibus per praeceptum obedientiae suos subditos obligare.

13. Il ne faut pas obйir au prйlat contre le prйcepte du Christ ; selon cette parole de Ac 5, 29 : « Il est nйcessaire d’obйir plus а Dieu qu’aux hommes ». Mais ce prйlat aussi qui ordonne un prйcepte contre le commandement du Christ n’est pas excusй de son pйchй. Et ainsi, si le prйlat avait ordonnй que quelqu'un dise ce qu’il a su devoir кtre corrigй ou ce qu’il a connu des pйchйs d’un autre, il faut penser que son prйcepte est dans le cas oщ lui-mкme peut l’ordonner selon l’ordre donnй par le Christ. Que s’il l’a ordonnй expressemment contre cet ordre, il ne faut pas lui obйir. En certains cas cependant, le juge du siиcle ou le juge ecclйsiatique peut exiger un serment, soit au cours de son enquкte ou au cours de l’accusation : en ces cas-lа, le prйlat peut obliger dans les rйunions religieuses ses sujets soumis а l’obйissance.

[66511] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod iustitia dicitur esse praeclarissima virtutum, propter decorem sui ordinis; ad quam etiam pertinet ut occultanda occultet.

14. On dit que la justice est la plus illustre des vertus en raison de la beautй de son ordre ; et il lui convient de cacher ce qui doit кtre cachй.

[66512] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ille qui occulte peccat meretur amittere famam suam; sed pro isto merito non potest ei poena recompensari, nisi ab illo qui est iudex occultorum, scilicet Deus, de quo dicitur I ad Cor., IV, 5 : qui illuminabit abscondita tenebrarum, et manifestabit consilia cordium.

15. Celui qui pиche en secret, mйrite de perdre sa rйputation, mais le chвtiment ne peut pas contrebalancer le mйrite, а moins que ce soit par celui qui est le juge des choses cachйes, c’est-а-dire Dieu duquel il est dit (1 Co 4, 5) : « Celui qui illuminera les secrets dans les tйnиbres et rendra claires les dйcisions des cњurs ».

[66513] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod non repetere sua est praeceptum, secundum quod intelligitur in praeparatione animi ut Augustinus exponit. Tenetur enim homo esse paratus sua non repetere in casu in quo hoc exigeret necessitas fidei vel caritatis; in quo etiam casu dare de novo teneretur. Sed quod ultra hunc casum homo sua non repetat, potest esse consilium debitis circumstantiis servatis, sicut et consilium est quod homo det sua quibus debet. Admonitio autem fraterna non contrariatur nec consilio nec praecepto praedicto. Potest enim aliquis fratrem admonere qui alienum accepit, ut de peccato poeniteat, et sit satisfacere paratus, etiam si ipse velit ei remittere quod debet, cum hoc viderit expedire.

 

16. Ne pas rйclamer ses biens est un prйcepte selon qu’il est connu dans une bonne disposition de l’вme, comme l’expose Augustin. En effet, l’homme est tenu de se montrer prкt а ne pas aller chercher ses biens dans le cas oщ l’exigerait la nйcessitй de la foi ou de la charitй ; dans ce cas aussi il serait mкme tenu de les donner de nouveau. Mais outre ce cas oщ l’homme n’a pas а aller chercher ses biens, il peut y avoir une dйcision, une fois observй le conseil que l’homme donne ses biens а qui il les doit. L’avertissement fraternel n’est contrariй ni par un ordre ni par un prйcepte dйjа dit. En effet, quelqu’un peut donner un avertissement а un frиre qui a reзu un bien йtranger, afin de le punir de son pйchй et qu’il soit prкt а donner satisfaction, mкme si lui-mкme voulait lui remettre ce qu’il doit quand il a vu que c’йtait utile.

[66514] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ille qui corripit delinquentem modo et ordine debito, reddit bonum pro malo; sed ille qui debitum modum et ordinem praetermittit corripiendo in publico quae sunt occulta, non reddit bonum, sed malum.

17. Celui qui corrige un dйlinquant d’une maniиre et d’un ordre obligatoire, rend le bien pour le mal, mais celui qui nйglige le mode et la rиgle obligatoires, en corrigeant en public ce qui est cachй, ne rend pas le bien mais le mal.

 

[66515] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod raro contingit quod peccata occulta publicentur; et ideo ex hoc, periculum rarius accidit. Si vero frequenter publicarentur peccata occulta, experimento perpenderetur quod pericula ex hoc sequerentur.

18. Il arrive rarement que les pйchйs cachйs soient dйvoilйs et ainsi par lа ce danger se manifeste assez rarement. Mais si les pйchйs cachйs sont frйquemment divulguйs, l’expйrience dйmontre tout au long que des dangers en dйcouleraient.

[66516] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod ex quo peccatum est occultum, et non apparet quare in promptu debeat publicari, et ille qui peccavit emendationem promittit, contra praeceptum Dei ageret qui socium peccantem vel ad praelatum vel ad alium deferret.

19. Du fait que le pйchй est cachй et qu’il n’apparaоt pas pourquoi il devrait кtre rendu public visiblement et que celui qui a pйchй promet de s’amender, il agirait contre le prйcepte de Dieu, celui qui rйvиlerait un frиre pйcheur soit au prйlat soit а un autre.

[66517] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod peccata quae in Deum committuntur, non est nostri arbitrii ea dimittere in poenitentia; est tamen nostri arbitrii in eis corrigendis ordinem servare quem Christus instituit.

20. Pour ce qui concerne les pйchйs qui sont commis contre Dieu, il ne dйpend pas de nous de les envoyer en pйnitence, mais il dйpend de nous, pour ceux qui doivent кtre corrigйs, de conserver l’ordre que le Christ a instituй.

[66518] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod intelligitur ille qui peccat corripientem audire, quando et cessat ab opere et facit alia quae sunt facienda pro salute, confitendo et satisfaciendo. Et tunc, quantumcumque sit grave peccatum, aliquis lucratur fratrem sic audientem.

21. On pense que celui qui pиche а йcouter celui qui le corrompt quand il cesse son acte et fait d’autres choses qui sont а faire pour son salut, par la confession et la satisfaction. Et alors, si grave que soit le pйchй, quelqu'un gagne son frиre qui l’йcoute ainsi.

[66519] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod verbum quod adversus fratrem audimus, sic debet in nobis commorari, ut a nobis non procedat ad fratris infamiam; non tamen prohibetur quin procedat ulterius ad fratris emendationem.

22. La parole que nous entendons contre un frиre, ne doit pas demeurer en nous ; pour que par nous-mкmes elle en vienne а l’infamie du frиre, cependant, il n’est pas interdit d’aller plus loin pour la correction.

[66520] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod cum dominus dicit, Corripe inter te et ipsum solum, non intelligendum est quod semel corripiatur sed bis et ter, aut etiam pluries, quamdiu probabiliter spes maneat quod secretius corripi possit. Cum vero probabiliter praesumitur quod sic corrigi non possit, tunc intelligitur non audire.

23. Quand le Seigneur dit : « Rйprimende le seul а seul », on ne doit pas le comprendre dans le sens qu’il est reprimendй une seule fois, mais deux et trois fois ou mкme plus, aussi longtemps que demeure avec vraisemblance l’espoir qu’il puisse кtre corrigй plus secrиtement. Quand on prйsume avec vraisemblance qu’il ne pourrait se corriger ainsi, on pense qu’il n’йcoute pas.

[66521] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod testes inducuntur vel ad ostendendum quod hoc sit peccatum de quo aliquis arguitur, ut Hieronymus dicit; vel ad convincendum de actu, si actus iteretur, ut Augustinus dicit; vel ad testificandum quod frater admonens fecit quod in se fuit, ut Chrysostomus dicit.

24. On amиne des tйmoins ou bien pour dйvoiler le pйchй de celui qui est accusй, comme le dit Jйrфme ; ou bien pour le convaincre de son acte s’il rйcidive, comme le dit Augustin, ou bien pour tйmoigner de ce que le frиre qui l’avertit a fait ce qui a йtй en lui, comme le dit Jean Chrysostome.

[66522] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod homo non indiget testibus ad emendationem sui peccati; potest tamen indigere testibus ad emendationem alterius secundum tres modos praedictos. Et ideo non est similis ratio de peccato proprio, et de peccato fratris.

25. L’homme n’a pas besoin de tйmoins pour se corriger de son pйchй ; il peut cependant avoir besoin de tйmoins pour la correction d’un autre selon les trois modes prйcitйs. Et c’est pourquoi, ce n’est pas la mкme raison dans le cas du pйchй personnel ou de celui du frиre.

[66523] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod Augustinus intelligit quod prius dicatur praelato quam testibus, secundum quod prelatus est quaedam singularis persona, quae potest prodesse etiam magis quam alii. Sic autem dicere praelato, non est dicere Ecclesiae; sed quando dicitur in publico, quasi in loco iudicii residenti.

26. Augustin pense qu’on le dit au prйlat avant de le dire aux tйmoins, dans la mesure oщ ce dernier est une personne particuliиre qui peut кtre plus utile que les autres. Ainsi, le dire au prйlat, ce n’est pas le dire а l’Йglise, mais quand c’est dit en public, c’est comme dans le lieu oщ rйside le juge.

 

 

Question 4 : [L’espйrance]

© Traduction Professeur Jacques Mйnard, avril 2007

Prologue

Prooemium

[66524] De virtutibus, q. 4 pr. 1 Et primo quaeritur utrum spes sit virtus.

[66525] De virtutibus, q. 4 pr. 2 Secundo utrum spes sit in voluntate sicut in subiecto.

[66526] De virtutibus, q. 4 pr. 3 Tertio utrum spes sit prior caritate.

[66527] De virtutibus, q. 4 pr. 4 Quarto utrum spes sit solum in viatoribus.

Article 1 – Est-ce que l’espйrance est une vertu ?

Article 2 – Est-ce que l’espйrance se trouve dans la volontй comme dans son sujet ?

Article 3 ­­– Est-ce que l’espйrance prйcиde la charitй ?

Article 4 ­­– Est-ce que l’espйrance n’existe que chez ceux qui sont en route [in viatoribus] ?

 

Articulus 1 : [66528] De virtutibus, q. 4 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum spes sit virtus

Article 1 ­– Est-ce que l’espйrance est une vertu ?

Objections :

[66529] De virtutibus, q. 4 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66530] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 1 Virtus enim non se habet ad bonum et malum, sed ad bonum tantum; unde Augustinus dicit in libro de libero Arbit., quod virtute nullus male utitur. Sed spes se habet ad bonum et malum : quidam enim habent bonam, quidam malam spem. Ergo spes non est virtus.

1. En effet, la vertu ne porte pas sur le bien et sur le mal, mais seulement sur le bien. Aussi Augustin dit-il dans le livre Sur le libre arbitre, que personne n’utilise mal la vertu. Or, l’espйrance porte sur le bien et sur le mal : en effet, certains ont une bonne espйrance, et d’autres une mauvaise. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66531] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, virtutem Deus operatur in nobis sine nobis, ut supra dictum est; et sic patet quod nulla virtus est ex meritis, sed praecedit merita. Sed spes est ex meritis : est enim spes certa expectatio futurae beatitudinis ex gratia et meritis proveniens, ut Magister dicit 26 dist., Lib. III Sent. Ergo spes non est virtus.

2. Dieu rйalise en nous sans nous la vertu, comme on l’a dit plus haut ; il est ainsi clair qu’aucune vertu ne provient du mйrite, mais prйcиde les mйrites. Or, «l’espйrance se fonde sur les mйrites : en effet, l’espйrance est une attente certaine de la bйatitude future provenant de la grвce et des mйrites», comme le dit le Maоtre, Sentences, III, d. 26. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66532] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 3 Sed dicendum, quod spes praesupponit merita non in actu, sed in habitu.- Sed contra, habitus qui est principium merendi, est caritas. Sed spes non praesupponit caritatem, sed praecedit eam : dicitur enim Matth., I, in Glossa, quod spes generat caritatem. Ergo spes non praesupponit merita in habitu.

3. L’espйrance prйsuppose des mйrites, non pas en acte, mais en habitus. – En sens contraire, l’habitus qui est le principe du mйrite est la charitй. Or, l’espйrance ne prйsuppose pas la charitй, mais la prйcиde. En effet, il est dit dans la Glose sur Mt 1, que «l’espйrance engendre la charitй». L’espйrance ne prйsuppose donc pas de mйrites en habitus.

[66533] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, virtus est dispositio perfecti, secundum philosophum in VI Physic.; unde et in IV Ethicor. probat, quod verecundia non est virtus, quia est imperfecti. Sed spes est dispositio imperfecti, quia est distantis a bono. Ergo spes non est virtus.

4. La vertu est une disposition de celui qui est parfait, selon le Philosophe, Physique, VI. Aussi dйmontre-t-il, dans Йthique, IV, que la pudeur n’est pas une vertu, parce qu’elle est le fait de celui qui est imparfait. Or, l’espйrance est une disposition de celui qui est imparfait, car elle est le fait de celui qui est йloignй du bien. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66534] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, nulla passio est virtus : quia passionibus nec laudamur nec vituperamur, ut dicitur in II Ethicor. Sed spes est una de quatuor principalibus passionibus. Ergo spes non est virtus.

5. Aucune passion n’est une vertu, car nous ne sommes ni louangйs ni rйprimandйs pour nos passions, comme il est dit dans Йthique, II. Or, l’espoir est une des quatre principales passions. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66535] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 6 Sed dicendum, quod spes quae est passio, non est virtus, sed aliquid ad mentem pertinens.- Sed contra, omnes passiones appetitus sensitivi habent aliquid simile in mente : sicut enim est spes et amor appetitus sensitivi et intellectivi, ita etiam et desiderium, et delectatio, et alia huiusmodi. Sed in aliis passionibus praeter amorem non sumuntur nomina virtutum. Ergo neque aliqua virtus debet dici spes.

6. L’espoir, qui est une passion, n’est pas une vertu, mais quelque chose qui relиve de l’esprit. ­– En sens contraire, toutes les passions de l’appйtit sensible ont quelque chose de semblable dans l’esprit : en effet, de mкme qu’il y a espoir et amour dans l’appйtit sensible et intellectif, de mкme y a-t-il dйsir, plaisir, et d’autres choses de ce genre. Mais, pour les autres passions que l’amour on n’utilise pas les noms des vertus. On ne doit donc pas donner le nom de vertu а l’espoir.

[66536] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 7 Praeterea, tria sunt genera virtutum : sunt enim quaedam virtutes morales, quaedam intellectuales, quaedam theologicae. Sed spes non est virtus moralis, quia non reducitur ad aliquam cardinalium virtutum; nec etiam virtus intellectualis, quia non pertinet ad vim cognitivam, sed appetitivam; nec etiam est virtus theologica, quia theologicae virtutis non est esse in medio, sed in extremo, secundum illud Deut., VI, 5 : diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Spes autem medium tenet inter praesumptionem et desperationem.

7. Il existe trois genres de vertus : les vertus morales, les vertus intellectuelles et les vertus thйologales. Or, l’espйrance n’est pas une vertu morale, parce qu’elle ne se ramиne а aucune des vertus cardinales. Elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne relиve pas de la puissance cognitive, mais de la puissance appйtitive. Elle n’est pas non plus une vertu thйologale, car les vertus thйologales ne se situent pas dans un milieu, mais dans un extrкme, selon ce que dit Dt 6, 5 : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cњur. Or, l’espйrance occupe le milieu entre la prйsomption et le dйsespoir.

[66537] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, virtus, maxime theologica, est quoddam donum supernaturale divinitus nobis infusum. Sed ad sperandum beatitudinem aeternam non indigemus aliquo dono supernaturali : quia, cum bonum naturaliter moveat appetitum, summum bonum, quod est beatitudo, maxime naturaliter appetitum movebit. Ergo spes non est virtus.

8. La vertu, surtout la vertu thйologale, est un don surnaturel infusй en nous par Dieu. Or, pour espйrer la bйatitude йternelle, nous n’avons pas besoin d’un don surnaturel, car, puisque le bien meut naturellement l'appйtit, le bien suprкme qu’est la bйatitude mouvra naturellement l’appйtit au plus haut point. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66538] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 9 Praeterea, actus caritatis est perfectior quam actus spei. Sed ad actum caritatis potest natura creata absque dono gratiae, secundum illorum opinionem qui dicunt, quod homo et Angelus in naturalibus creati Deum supra se et supra omnia dilexerunt; quod videtur esse actus caritatis. Ergo multo magis potest aliquis in actum spei sine dono gratiae. Ergo spes non est virtus.

9. L’acte de charitй est plus parfait que l’acte d’espйrance. Or, la nature crййe est capable d’un acte de charitй sans le don de la grвce, selon l’opinion de ceux qui disent que l’homme et l’ange, crййs avec leurs attributs naturels, ont aimй Dieu plus qu’eux-mкmes et que toutes choses, ce qui semble кtre un acte de charitй. А bien plus forte raison, donc, quelqu’un est-il capable d’un acte d’espйrance sans le don de la grвce. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66539] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 10 Praeterea, virtus, secundum philosophum in I Ethic., est omni arte certior. Sed hoc non competit spei : causatur enim ex gratia et meritis, quae sunt incerta, secundum illud Eccle., IX, 1 : nemo scit utrum sit dignus odio, vel amore. Ergo spes non est virtus.

10. Selon le Philosophe, dans Йthique, I, la vertu est plus certaine que tout art. Or, cela ne convient pas а l’espйrance : en effet, elle est causйe par la grвce et les mйrites, selon Si 9, 1 : Personne ne sait s’il est digne de haine ou d’amour. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66540] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis virtus potest esse in caritate. Spes autem importat distantiam, caritas autem unionem, secundum illud quod Dionysius dicit in IV cap. de divinis nominibus, quod amor est vis unitiva. Ergo spes non est virtus.

11. Toute vertu peut exister dans la charitй. Or, l’espйrance comporte une distance, mais la charitй, l’union, selon ce que dit Denys, Les noms divins, IV, que l’amour est une force unitive. L’espйrance est donc une vertu.

[66541] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 12 Praeterea, omnis plenitudo gratiarum et virtutum fuit in Christo, secundum illud Ioan., cap. I, 14 : vidimus eum (...) plenum gratiae et veritatis. Sed spes non fuit in Christo : qui enim videt, non sperat, ut habetur Rom., cap. VIII, 24. Ergo spes non est virtus.

12. Toute la plйnitude des grвces et des vertus se trouvait dans le Christ, selon Jn 1, 14 : Nous l’avons vu…, plein de grвce et de vйritй. Or, l’espйrance n’existait pas chez le Christ : en effet, celui qui voit n’espиre pas, comme on le lit dans Rm 8, 24. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66542] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 13 Praeterea, virtus causat delectationem in actu. Sed spes e contrario causat afflictionem, secundum illud Proverb., XIII, 12 : spes quae differtur, affligit animam. Ergo spes non est virtus.

13. La vertu produit un plaisir dans son acte. Or, l’espйrance cause au contraire une affliction, selon ce que dit Pr 13, 12 : L’espйrance qui est reportйe afflige l’вme. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66543] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus per se habet delectationem, ut dicitur in I Ethicorum. Spes autem et memoria non sunt delectabilia secundum se, ut dicitur in II Metaph. Ergo spes non est virtus.

14. La vertu comporte par elle-mкme une dйlectation, comme il est dit dans Йthique, I. Or, l’espйrance et la mйmoire ne sont pas dйlectables par elles-mкmes, comme il est dit dans Mйtaphysique, II. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66544] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 15 Praeterea, nulla virtus facit actum malum. Sed spes facit actum malum, quia facit actum difficilem. Ergo spes non est virtus.

15. Aucune vertu ne rend un acte mauvais. Or, l’espйrance rend un acte mauvais, parce qu’elle fait un acte difficile. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66545] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 16 Praeterea, spes est expectatio quaedam, ut dictum est. Expectatio autem importat distantiam. Ergo maxima spes importat maximam distantiam a bono sperato, quod est beatitudo. Sed maxima virtus non habet maximam distantiam a beatitudine, immo facit maximam propinquitatem ad ipsam. Ergo spes non est virtus.

16. L’espйrance est une certaine attente, comme on l’a dit. Or, l’attente comporte une distance. Une trиs grande espйrance comporte donc une trиs grande distance par rapport au bien espйrй, qui est la bйatitude. Or, une trиs grande vertu n’a pas une trиs grande distance par rapport а la bйatitude, bien plus, elle rйalise un trиs grand rapprochement par rapport а elle. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66546] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 17 Praeterea, sicut est spes futurorum, ita est memoria praeteritorum. Sed memoria praeteritorum non est virtus. Ergo nec spes futurorum.

17. De mкme que l’espйrance porte sur des choses а venir, de mкme la mйmoire porte sur des choses passйes. Or, la mйmoire des choses passйes n’est pas une vertu. Donc, ni l’espйrance de choses а venir.

Cependant :

[66547] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Per virtutes in beatitudinem introducimur : nam felicitas virtutis est praemium, ut dicitur in I Ethic. Sed spes introducit in beatitudinem : dicitur enim ad Hebr., VI, 18-19, quod habemus spem incedentem, et incedere facientem ad interiora velaminis, id est ad beatitudinem caelestem, ut Glossa ibidem exponit. Ergo spes est virtus.

1. Nous sommes introduits dans la bйatitude par les vertus, car la fйlicitй est la rйcompense des vertus, comme il est dit dans Йthique, I. Or, l’espйrance introduit dans la bйatitude. En effet, il est dit dans He 6, 18‑19 : Nous avons une espйrance qui progresse, et qui nous fait entrer а l’intйrieur du voile, c’est-а-dire, «dans la bйatitude йternelle», comme l’explique la Glose а cet endroit. L’espйrance est donc une vertu.

[66548] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, I ad Cor., XIII, 13 : nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Sed fides et caritas sunt virtutes. Ergo et spes.

2. De plus, 1 Co 13, 13 dit : Maintenant, demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois choses. Or, la foi et la charitй sont des vertus. Donc, l’espйrance aussi.

[66549] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius in I Mor. dicit, quod per tres filias Iob significantur hae tres virtutes : fides, spes et caritas. Ergo est virtus.

3. Grйgoire dit, dans Morales, I, que ces trois vertus sont signifiйes par les trois filles de Job : la foi, l’espйrance et la charitй. [L’espйrance] est donc une vertu.

[66550] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, praecepta legis dantur de actibus virtutum. Sed multa praecepta dantur de actu spei; dicitur enim in Psal. XXXVI, 3 : spera in Deo, et fac bonitatem. Ergo spes est virtus.

4. Les commandements de la loi portent sur des actes des vertus. Or, plusieurs commandements portent sur l’acte de l’espйrance. En effet, il est dit dans Ps 36, 3 : Espиre en Dieu et fais le bien. L’espйrance est donc une vertu.

Rйponse :

[66551] De virtutibus, q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quia habitus cognoscuntur per actus, et actus per obiecta, ad cognoscendum an spes sit virtus, oportet considerare de ratione actus eius. Manifestum autem est quod sperare importat motum quemdam appetitivae virtutis tendentem in bonum, non quidem ut iam habitum, sicut gaudium et delectatio, sed tamquam assequendum, sicut etiam desiderium et cupiditas. Differt tamen spes a desiderio in duobus. Primo quidem, quia desiderium est communiter cuiuscumque boni, et ideo attribuitur concupiscibili : spes autem est boni ardui, quod difficile est assequi, et ideo attribuitur irascibili. Secundo, quia desiderium est alicuius boni absolute, absque consideratione possibilitatis et impossibilitatis illius; sed spes tendit in aliquod bonum, sicut in id quod est possibile adipisci : importat enim in sui ratione quamdam securitatem adipiscendi. Ergo sic in obiecto spei quatuor considerantur. Primo quidem, quod sit bonum; per quod differt a timore. Secundo, quod sit boni futuri; per quod differt a gaudio vel delectatione. Tertio, quod sit boni ardui; per quod differt a desiderio. Quarto, quod sit boni possibilis; per quod differt a desperatione. Est autem possibile aliquod haberi ab aliquo dupliciter : uno modo per propriam potestatem; alio modo per auxilium alterius : nam quae per amicos sunt possibilia, aliqualiter possibilia dicimus, ut patet per philosophum in III Ethic. Sic igitur quandoque sperat homo aliquid adipisci per propriam potestatem, quandoque vero per auxilium alienum; et talis spes expectationem habet, in quantum homo respicit in auxilium alterius. Et tunc necesse est quod motus spei feratur in duo obiecta : scilicet in bonum adipiscendum, et in eum cuius auxilio innititur. Summum autem bonum, quod est beatitudo aeterna, homo adipisci non potest nisi per auxilium divinum, secundum illud Rom., VI, v. 23 : gratia Dei vita aeterna. Et ideo spes adipiscendi vitam aeternam habet duo obiecta, scilicet ipsam vitam aeternam, quam quis sperat, et auxilium divinum, a quo sperat; sicut etiam fides habet duo obiecta : scilicet rem quam credit, et veritatem primam, cui correspondet. Fides autem non habet rationem virtutis, nisi in quantum inhaeret testimonio veritatis primae, ut ei credat quod ab ea manifestatur, secundum illud Genes., XV, 6 : credidit Abraham Deo, et reputatum est ei ad iustitiam; unde et spes habet rationem virtutis ex hoc ipso quod homo inhaeret auxilio divinae potestatis ad consequendum vitam aeternam. Si enim aliquis inniteretur humano auxilio, vel suo vel alterius, ad consequendum perfectum bonum absque auxilio divino, esset hoc vitiosum, secundum illud Ierem., cap. XVII, 5 : maledictus homo qui confidit in homine, et ponit carnem brachium suum. Sic igitur, sicut formale obiectum fidei est veritas prima, per quam sicut per quoddam medium assentit his quae creduntur, quae sunt materiale obiectum fidei; ita etiam formale obiectum spei est auxilium divinae potestatis et pietatis, propter quod tendit motus spei in bona sperata, quae sunt materiale obiectum spei. Sicut ergo ea quae creduntur materialiter, omnia referuntur ad Deum, quamvis aliqua eorum sint creata : sicut quod credimus omnes creaturas esse a Deo, et corpus Christi esse a filio Dei assumptum in unitate personae; ita etiam omnia quae materialiter sperantur, ordinantur in unum finale speratum, quod est fruitio Dei. In ordine enim ad hanc fruitionem speramus adiuvari a Deo non solum spiritualibus, sed etiam corporalibus beneficiis.

Parce que les habitus sont connus par leurs actes, et leurs actes par les objets de ceux-ci, pour savoir si l’espйrance est une vertu, il est nйcessaire d’examiner la raison mкme de son acte. Or, il est clair qu’espйrer comporte un certain mouvement de la puissance appйtitive tendant vers un bien, non pas dйjа possйdй, comme c’est le cas pour la joie et la dйlectation, mais recherchй, comme c’est aussi le cas du dйsir et de la cupiditй. Toutefois, l’espoir diffиre du dйsir sur deux points. Premiиrement, le dйsir porte d’une maniиre gйnйrale sur tous les biens : c’est pourquoi il est attribuй au concupiscible. Mais l’espoir porte sur un bien difficile, qu’il est difficile d’atteindre : c’est pourquoi il est attribuй а l’irascible. Deuxiиmement, le dйsir porte sur un bien de maniиre absolue, sans considйration de sa possibilitй ou de son impossibilitй. Mais l’espoir tend vers un bien comme vers quelque chose qu’il est possible d’obtenir : en effet, il comporte dans sa raison mкme une certaine assurance de l’obtenir. Dans l’objet de l’espoir, quatre choses doivent donc кtre relevйes. Premiиrement, il s’agit d’un bien : il diffиre en cela de la crainte. Deuxiиmement, il porte sur un bien futur : il diffиre en cela de la joie ou de la dйlectation. Troisiиmement, il porte sur un bien difficile : il diffиre en cela du dйsir. Quatriиmement, il porte sur un bien possible : il diffиre en cela du dйsespoir. Or, quelque chose peut кtre obtenu par quelqu’un de deux maniиres : d’une maniиre, par sa propre puissance; d’une autre maniиre, par l’aide d’un autre, car nous disons qu’est possible d’une certaine maniиre ce qui est possible par l’intermйdiaire d’amis, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Йthique, III. Ainsi donc, parfois l’homme espиre atteindre quelque chose par sa propre puissance, mais parfois par l’aide d’un autre, et un tel espoir comporte une attente dans la mesure oщ l’homme compte sur l’aide d’autrui. Il est alors nйcessaire que le mouvement de l’espoir se porte sur deux objets : sur le bien а atteindre, et sur celui sur l’aide de qui il s’appuie. Or, l’homme ne peut atteindre le bien suprкme, qui est la bйatitude йternelle, qu’avec l’aide de Dieu, selon Rm 6, 23 : La vie йternelle par la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance d’atteindre la vie йternelle a deux objets : la vie йternelle elle-mкme, que quelqu’un espиre, et l’aide divine, par laquelle il espиre, de mкme que la foi a deux objets : la chose qui est crue, et la Vйritй premiиre, а laquelle elle correspond. Or, la foi n’a raison de vertu que si elle adhиre au tйmoignage de la Vйritй premiиre, de sorte que soit cru ce qui est manifestй par elle, selon Gn 15, 6 : Abraham crut en Dieu, et cela lui fut comptй comme justice. Aussi l’espйrance a-t-elle raison de vertu du fait mкme que l’homme adhиre а l’aide de la puissance divine en vue d’obtenir la vie йternelle. En effet, si quelqu’un adhйrait а une aide humaine, la sienne ou celle d’un autre, afin d’obtenir le bien parfait sans l’aide divine, cela serait vicieux, selon Jr 17, 5 : Maudit soit l’homme qui a mis sa confiance dans l’homme et fait de la chair sa puissance. Ainsi donc, de mкme que l’objet formel de la foi est la Vйritй premiиre, par laquelle il donne son assentiment comme par un moyen aux rйalitйs qui sont crues, qui sont l’objet matйriel de la foi, de mкme l’objet formel de l’espйrance est-il l’aide de la puissance et de la bienveillance divines, en raison de laquelle le mouvement de l’espйrance tend vers les biens espйrйs, qui sont l’objet matйriel de l’espйrance. De mкme donc que ce qui est cru matйriellement se rapporte entiиrement а Dieu, bien que certains de ses йlйments soient crййs (ainsi, nous croyons que toutes les crйatures tirent leur кtre de Dieu, et que le corps du Christ a йtй assumй par le Fils de Dieu dans l’unitй de sa personne), de mкme tout ce qui est espйrй est-il entiиrement ordonnй а une seule rйalitй espйrйe а titre de fin, qui est la jouissance de Dieu. En effet, en regard de cette jouissance, nous espйrons кtre aidйs par Dieu, non seulement par des bienfaits spirituels, mais aussi par des bienfaits corporels.

Solutions :

[66552] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes secundum quod inhaeret divino auxilio, non potest se ad malum habere; nullus enim potest nimis de Deo sperare. Sed quod aliquis male speret, hoc contingit quia non inhaeret Deo, sed suae virtuti, vel falsae opinioni; puta cum praesumit se salvandum etiam in peccatis perseverans.

1. L’espйrance, dans la mesure oщ elle adhиre а l’aide divine, ne peut pas se comporter mal : en effet, personne ne peut trop espйrer de Dieu. Mais que quelqu’un espиre mal, cela arrive parce qu’il n’adhиre pas а Dieu, mais а sa propre puissance ou а une fausse opinion, par exemple, parce qu’il prйsume qu’il sera sauvй mкme s’il persйvиre dans les pйchйs.

[66553] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur spes esse expectatio futurae beatitudinis, ex gratia et meritis proveniens, dupliciter potest intelligi. Uno modo ut expectatio intelligatur ex meritis provenire ex parte expectantis; ut scilicet, expectatio talis causetur in homine ex praecedentibus meritis. Et in hoc sensu procedit obiectio, qui falsus est. Alio modo potest intelligi expectatio esse ex meritis ex parte rei expectatae; et hic est sensus verus : expectamus enim quod per gratiam Dei et bona merita beatitudinem consequamur.

2. Lorsqu’on dit que l’espйrance est une attente de la bйatitude а venir provenant de la grвce et des mйrites, cela peut s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, en comprenant que l’attente provient des mйrites du point de vue de celui qui attend, а savoir, qu’une telle attente soit causйe dans l’homme par des mйrites qui prйcиdent. C’est le sens de l’objection, qui est faux. D’une autre maniиres, on peut comprendre que l’attente vient des mйrites du point de vue de la chose espйrйe, et ce sens est vrai : en effet, nous espйrons que, par la grвce de Dieu et des mйrites bons, nous obtenions la bйatitude.

[66554] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum hunc sensum, merita non praecedunt ex necessitate spem nec actu nec habitu; sed praecedunt rem speratam scilicet beatitudinem : unde potest esse quod sperans non habeat merita nec actu nec habitu, sed solum in proposito.

3. En ce sens, les mйrites ne prйcиdent pas nйcessairement l’espйrance, ni en acte, ni par l’habitus. Mais ils prйcиdent la chose espйrйe, а savoir, la bйatitude. Aussi peut-il arriver que celui qui espиre n’ait pas de mйrites, ni en acte, ni par en habitus, mais seulement par l’intention.

[66555] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spes secundum quod refertur ad materiale obiectum, est dispositio imperfecti, quia quod speratur, nondum habetur; sed secundum quod respicit obiectum formale, scilicet auxilium divinum sic est dispositio perfecti; in hoc enim consistit perfectio hominis ut Deo inhaereat. Et simile etiam est de fide, quae habet imperfectionem, eo quod nondum videt ea quae credit; habet autem perfectionem ex eo quod inhaeret testimonio primae veritatis, et ex hoc est virtus.

4. L’espйrance, selon qu’elle se rapporte а son objet matйriel, est une disposition de quelqu’un d’imparfait, car ce qui est espйrй n’est pas encore possйdй. Mais, selon qu’elle porte sur son objet formel, а savoir, l’aide divine, elle est alors une disposition de quelqu’un de parfait : en effet, la perfection de l’homme consiste en ce qu’il adhиre а Dieu. Et il en est aussi de mкme de la foi, qui comporte une imperfection du fait qu’elle ne voit pas encore ce qu’elle croit; mais elle possиde une perfection du fait qu’elle adhиre au tйmoignage de la Vйritй premiиre, et, pour autant, elle est une vertu.

[66556] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spes est passio, secundum quod est motus appetitus sensitivi, cuius obiectum Deus esse non potest; et ideo talis spes virtus non dicitur, sed illa quae est motus mentis, quae est capax Dei.

5. L’espoir est une passion selon qu’elle est un mouvement de l’appйtit sensible, dont l’objet ne peut pas кtre Dieu. C’est pourquoi un tel espoir n’est pas appelй une vertu, mais celui qui est un mouvement de l’esprit, qui est capable de Dieu.

[66557] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nulla virtus potest denominari proprie ab aliqua passione, nisi theologica. Nam virtutes intellectuales pertinent ad vim cognitivam; passiones autem animae sunt in vi appetitiva. Virtutes autem morales consistunt medium in passionibus; unde virtus moralis non nominatur ab aliqua passione absolute, sed a moderatione passionum, sicut temperantia, fortitudo, et similia. Sed motus humanae mentis qualitercumque Deum attingeret, ad virtutem pertinet; et ideo nomina simplicium motuum, sive passionum, adaptantur virtutibus theologicis. Et quia virtutum theologicarum obiectum est Deus, quod est summum bonum, manifestum est quod passiones quarum obiectum est malum, non possunt nominare virtutes theologicas. Similiter etiam, cum virtus theologica pertineat ad statum viae ante iudicium tantum, passiones quarum obiectum est bonum praesens, ut delectatio et gaudium, non sunt nomina aliquarum virtutum, sed magis pertinent ad beatitudinem; unde delectatio ponitur una de dotibus beatitudinis. Desiderium autem importat quidem motum in futurum, sed sine aliqua praesenti inhaesione vel spirituali contactu ipsius Dei; unde nec desiderium nominat virtutem aliquam. Unde relinquitur quod solum spes et amor nominant theologicas virtutes.

6. Aucune vertu ne peut кtre nommйe au sens propre а partir d’une passion, si ce n’est une vertu thйologale. Car les vertus intellectuelles se rapportent а la puissance cognitive, et les passions de l’вme sont dans la puissance appйtitive. Mais les vertus morales se situent dans un milieu entre des passions ; aussi la vertu morale n’est-elle pas nommйe а partir d’une passion prise isolйment, mais а partir de la modйration des passions, comme la tempйrance, la force et les choses semblables. Mais le mouvement de l’esprit humain, quelle que soit la maniиre dont il atteint Dieu, se rapporte а la vertu. C’est pourquoi les noms des mouvements simples ou des passions sont adaptйs aux vertus thйologales. Et parce que l’objet des vertus thйologales est Dieu, qui est le Bien suprкme, il est clair que les passions dont l’objet est un mal ne peuvent donner leur nom aux vertus thйologales. De mкme aussi, puisque la vertu thйologale ne concerne que l’йtat de la vie antйrieur au jugement, les passions dont l’objet est un bien prйsent, comme la dйlectation et la joie, ne sont pas des noms de vertus, mais se rapportent plutфt а la bйatitude ; aussi la dйlectation est-elle donnйe comme un des ornements de la bйatitude. Or, le dйsir comporte un certain mouvement vers le futur, mais sans une adhйsion actuelle ou un contact spirituel avec Dieu lui-mкme ; aussi le dйsir ne donne-t-il pas non plus son nom а une vertu. Il reste donc que seuls l’espoir et l’amour donnent leur nom а des vertus thйologales.

[66558] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ideo virtutes morales consistunt in medio, quia ad virtutem moralem pertinet attingere regulam rationis circa proprium et per se obiectum, scilicet circa passiones et operationes humanas. Omne autem regulatum, in quantum est huiusmodi, habet rationem medii; quod autem a regula discedit, aut superfluum aut diminutum est. Dicitur etiam, quod virtus intellectualis consistit in hoc quod attingat verum, quod est bonum intellectus. Veritas autem intellectus humani regulatur et mensuratur ab essentia rei; ex eo enim quod res est vel non est, opinio vera est vel falsa. Et ideo etiam virtus intellectualis circa proprium obiectum, in medio consistit, ut scilicet hoc apprehendat homo de re quod est, non plus nec minus. Sed virtus theologica habet pro obiecto ipsam primam regulam non regulatam. Et ideo sufficit qualitercumque attingere regulam ad rationem virtutis; propter quod secundum operationem ad proprium et formale obiectum virtus theologica in medio non consistit. Sed ex parte materialis obiecti potest consistere in medio, et hoc accidit ei, sicut fides Catholica in divinis procedit inter haeresim Sabellii confundentis personas, et haeresim Arii substantiam separantis. Et eodem modo ex parte eius quod est materiale, obiectum spei consistit in medio, in quantum scilicet aliquis sperat se adipisci beatitudinem sic vel aliter : sed ex parte formalis obiecti, quod est auxilium divinum, non consistit in medio; nullus enim potest nimis divino auxilio inniti.

7. Les vertus morales se situent а ce point dans un milieu parce qu’il appartient а la vertu morale d’atteindre la rиgle de la raison а propos de ce qui est par soi son objet propre, а savoir, а propos des passions et des opйrations humaines. Or, tout ce qui soumis а une rиgle, en tant que tel, a raison de milieu ; mais ce qui s’йloigne de la rиgle est un excиs ou un manque. On dit aussi que la vertu intellectuelle consiste en ce qu’elle atteingne le vrai, qui est le bien de l’intelligence. Or, la vйritй de l’intellect humain est rйglйe et mesurйe par l’essence d’une chose : en effet, une opinion est vraie ou fausse du fait qu’une chose est ou n’est pas. C’est pourquoi la vertu intellectuelle aussi se situe dans un milieu par rapport а son objet propre, а savoir, que l’homme apprйhende d’une chose ce qu’elle est, ni plus ni moins. Mais la vertu thйologale a comme objet la rиgle elle-mкme, non soumise а une rиgle. C’est pourquoi il suffit pour la raison de la vertu [thйologale] qu’elle atteigne la rиgle de n’importe quelle maniиre. C’est la raison pour laquelle la vertu thйologale ne se situe pas dans un milieu selon son opйration par rapport а son objet propre et formel. Mais, du point de vue de l’objet matйriel, elle peut se situer dans un milieu, et cela lui arrive, comme la foi catholique, а propos des rйalitйs divines, avance entre l’hйrйsie de Sabellius qui confond les personnes, et l’hйrйsie d’Arius, qui sйpare la substance. Et, de la mкme maniиre, du point de vue de ce qui est matйriel, l’objet de l’espйrance se situe dans un milieu, dans la mesure oщ quelqu’un espиre possйder la bйatitude de telle ou telle maniиre. Mais, du point de vue de l’objet formel, qui est l’aide divine, elle ne se situe pas dans un milieu. En effet, personne ne peut trop s’appuyer sur l’aide divine.

[66559] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod bonum proportionatum movet appetitum; non enim naturaliter appetuntur ea quae non sunt proportionata. Quod autem beatitudo aeterna sit bonum proportionatum nobis, hoc est ex gratia Dei; et ideo spes, quae tendit in hoc bonum sicut proportionatum homini ad habendum, est donum divinitus infusum.

8. Le bien proportionnй meut l’appйtit : en effet, ce qui n’est pas proportionnй n’est pas dйsirй naturellement. Mais que la bйatitude йternelle soit pour nous un bien proportionnй, cela vient de la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance, qui tend vers ce bien en tant que sa possession est proportionnйe а l’homme, est un don infus de Dieu.

[66560] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diligere Deum super omnia, potest intelligi dupliciter. Uno modo secundum quod bonum divinum est principium et finis totius esse naturalis; et sic amant Deum super omnia non solum rationalia, sed et bruta animalia et inanimata in quantum amare possunt, quia unicuique parti amabilius est bonum totius quam proprium bonum; unde naturaliter manus se exponit ictui pro salute totius corporis. Sed iste naturalis amor Dei pervertitur ab hominibus per peccatum; unde in statu naturae integrae poterat homo Deum diligere super omnia secundum modum praedictum. Alio modo potest aliquis diligere Deum super omnia, secundum quod Deus est obiectum beatitudinis, et secundum quod fit quaedam societas rationalis mentis ad Deum quadam spirituali unitate; et talis dilectio est actus caritatis, in quem nulla creatura potest sine gratia.

9. Aimer Dieu par-dessus tout peut s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, pour autant que le bien divin est le principe et la fin de tout l’кtre naturel ; et ainsi, ce ne sont pas seulement les кtres raisonnables qui aiment Dieu par-dessus tout, mais aussi les animaux sans raison et les choses inanimйes, pour autant qu’elles peuvent aimer, car le bien du tout est plus aimable а une partie que son propre bien. C’est pourquoi la main s’expose naturellement а un coup pour sauver tout le corps. Mais cet amour naturel de Dieu est perverti chez les hommes par le pйchй. Aussi, dans l’йtat de nature intиgre, l’homme pouvait-il aimer Dieu par-dessus tout de la maniиre indiquйe. D’une autre maniиre, quelqu’un peut aimer Dieu par-dessus tout selon que Dieu est l’objet de la bйatitude ; et, de cette maniиre, s’йtablit une certaine communion de l’esprit avec Dieu par une certaine unitй spirituelle. L’acte de charitй est un tel amour, auquel aucune crйature ne peut parvenir sans la grвce.

[66561] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtus inclinat in proprium actum per moderationem, sicut Tullius dicit; et ideo certitudo spei et aliarum virtutum non est referenda ad cognitionem obiecti vel principiorum propriorum, sed ad infallibilem inclinationem in actu.

10. La vertu incline а son acte propre par la modйration, comme le dit Tullius [Cicйron]. C’est pourquoi la certitude de l’espйrance et des autres vertus ne doit pas кtre mise en rapport avec la connaissance de l’objet ou de ses principes propres, mais avec l’inclination infaillible de son acte.

[66562] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas facit unionem in affectu, ut scilicet amans reputet amicum quasi se alterum, et Deum plus quam se; potest tamen esse cum distantia reali rei amatae. Et ita caritas potest esse cum spe.

11. La charitй rйalise une union affective, de sorte que celui qui aime considиre son ami comme un autre lui-mкme, et Dieu plus que lui-mкme. Cependant, cela peut exister avec une distance rйelle par rapport а la chose aimйe. Et ainsi, la charitй peut exister avec l’espйrance.

[66563] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod spes habet perfectionem quamdam cum imperfectione. Et ex illa parte qua habet perfectionem, habet perfectam rationem virtutis : et ex hac parte plenissime fuit in Christo; ipse enim plenissime inhaesit divino auxilio. Et ex parte eius quod est imperfectionis, defuit ei spes, sicut et fides.

12. L’espйrance possиde une certaine perfection comportant une certaine imperfection. Pour autant qu’elle possиde une perfection, elle possиde la raison parfaite de vertu ; de ce point de vue, elle a existй en toute plйnitudde chez le Christ, car il a adhйrй а l’aide divine en toute plйnitude. Mais du point de ce qui est imperfection [dans l’espйrance], l’espйrance lui a fait dйfaut, de mкme que la foi.

[66564] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod spes non affligit animam, sed magis est causa delectationis, in quantum facit rem separatam quodammodo esse praesentem secundum fiduciam adipiscendi; unde et apostolus dicit Roman., XII, 12 : spe gaudentes. Sed dilatio rei speratae est quae quandoque affligit.

13. L’espйrance n’afflige pas l’вme, mais elle est plutфt cause de dйlectation pour autant qu’elle rend la chose sйparйe prйsente d’une certaine maniиre par la confiance de la possйder. Aussi l’Apфtre dit-il, Rm 12, 12 : Nous rйjouissant dans l’espйrance. Mais c’est l’йloignement de la chose espйrйe qui provoque parfois l’affliction.

[66565] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod duplex est delectatio : una quidem de obiecto actus; alia vero de ipso actu. Prima autem delectatio non est propria virtutis, quia est aliqua virtus ad quam pertinet dolere de suo obiecto, scilicet poenitentia. Sed secunda delectatio, quae est de actu, est propria virtutis, quia unicuique habenti virtutem est delectabilis operatio quae est secundum proprium habitum; unde etiam poenitens de dolore gaudet. Sic igitur spes, in quantum causat delectationem de re sperata, non causat delectationem per se, sed per aliud, id est in quantum facit eam existimare ut praesentem. Sed secundum quod causat delectationem de proprio actu, sic per se delectationem causat.

14. Il existe une double dйlectation : l’une dans l’objet de l’acte ; l’autre dans l’acte lui-mкme. La premiиre dйlectation n’est pas propre а la vertu, car il existe une vertu а laquelle il appartient d’кtre affligйe de son objet, а savoir, la pйnitence. Mais la seconde dйlectation, qui porte sur l’acte, est propre а la vertu, car la mise en њuvre d’une vertu selon son objet propre est dйlectable pour quiconque la possиde. C’est ainsi que mкme le pйnitent se rйjouit de sa douleur. Ainsi donc, l’espйrance, pour autant qu’elle cause une dйlectation а propos de la chose espйrйe, ne cause pas de dйlectation par soi, mais par quelque chose d’autre, c’est-а-dire pour autant qu’elle la lui fait estimer pour ainsi dire prйsente. Mais pour autant qu’elle cause une dйlectation portant sur son propre acte, elle cause par elle-mкme une dйlectation.

[66566] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod facere actum difficilem potest intelligi dupliciter. Uno modo quod faciat difficultatem in actu; et hoc sensu procedebat obiectio. Sic autem spes non facit actum difficilem, quia non adhibet difficultatem actui, sed magis minuit. Alio modo potest intelligi facere actum difficilem, quia propter spem homines aggrediuntur difficilia.

15. Faire un acte difficile peut s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, selon qu’un acte est rendu difficile, et l’objection venait de ce sens. Mais l’espйrance ne rend pas ainsi l’acte difficile, car elle n’apporte pas de difficultй а l’acte, mais plutфt lui en enlиve. D’une autre maniиre, on peut entendre rendre un acte difficile du fait que les hommes entreprennent des choses difficiles а cause de l’espйrance.

[66567] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod distantia a termino ad quem vel a termino a quo, invenitur in quolibet motu; non tamen ex ea motus specificatur, sed potius ex termino. Et ideo non sequitur, quod si motus est distantis, maior motus magis sit distans : haec enim scientia arguendi tenet solum in his quae sunt per se. Videmus autem quod motus naturalis quanto magis appropinquat ad terminum, tanto magis intenditur. Et similiter etiam est de spe.

16. La distance par rapport au point de dйpart ou au point d’arrivйe se rencontre en tout mouvement ; cependant, le mouvement n’en reзoit pas son espиce, mais il la reзoit plutфt du terme. C’est pourquoi il n’en dйcoule pas que si le mouvement porte sur quelque chose de distant, le mouvement sera d’autant plus grand qu’il porte sur quelque de plus йloignй, car cette maniиre de raisonner ne vaut que pour les choses qui existent en elles-mкmes. Or, nous voyons que plus le mouvement naturel approche de son terme, plus il y tend. Et il en est de mкme pour l’espйrance.

[66568] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod memoria non importat aliquam inhaesionem, unde possit habere rationem virtutis, sicut habet spes; et ideo non est simile.

17. La mйmoire ne comporte pas d’adhйsion qui pourrait lui donner raison de vertu, comme c’est le cas de l’espйrance. Ce n’est donc pas la mкme chose.

 

Articulus 2 : [66569] De virtutibus, q. 4 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum spes sit in voluntate sicut in subiecto

Article 2 – Est-ce que l’espйrance se trouve dans la volontй comme dans son sujet?

Objections :

[66570] De virtutibus, q. 4 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66571] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 1 Obiectum enim spei est bonum arduum. Sed arduum est obiectum irascibilis. Ergo spes est in irascibili, et non in voluntate.

1. L’objet de l’espйrance est une bien difficile. Or, ce qui est difficile est l’objet de l’irascible. L’espйrance se trouve donc dans l’irascible, et non dans la volontй.

[66572] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, caritas est perfectissima virtutum. Ergo sufficit ad perficiendam unam potentiam. Sed caritas est in voluntate. Non ergo in voluntate est spes.

2. La charitй est la plus parfaite des vertus. Elle suffit donc а perfectionner une seule puissance. Or, la charitй est dans la volontй. L’espйrance ne se trouve donc pas dans la volontй.

[66573] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, ideo non possumus plura intelligere simul, quia intellectus non potest simul informari diversis speciebus intelligibilibus, sicut nec corpus diversis figuris, ut Algazel dicit. Ergo, pari ratione, una potentia non potest simul informari in actu secundum diversos habitus, ut scilicet secundum utrumque actu operetur. Sed simul potest esse actus spei cum actu caritatis. Ergo caritas et spes non possunt esse simul in una potentia. Sed caritas est in voluntate. Spes ergo non est in voluntate.

3. Nous ne pouvons pas intelliger plusieurs choses en mкme temps parce que l’intellect ne peut pas recevoir en mкme temps les formes d’espиces intelligibles diffйrentes, de mкme que le corps ne le peut pour des figures diverses, comme le dit Algazel. Pour la mкme raison, donc, une puissance ne peut pas recevoir en acte la forme de divers habitus, de sorte que les deux puissent кtre exercйs en acte. Or, un acte d’espйrance peut exister en mкme temps qu’un acte de charitй. La charitй et l’espйrance ne peuvent donc pas se trouver en mкme temps dans une seule puissance. L’espйrance ne se trouve donc pas dans la volontй.

[66574] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, spes est certa expectatio. Sed certitudo pertinet ad vim cognitivam. Ergo spes est in vi cognitiva, et non in voluntate.

4. L’espйrance est une attente certaine. Or, la certitude relиve de la puissance cognitive. L’espйrance se trouve donc dans la puissance cognitive, et non dans la volontй.

Cependant :

[66575] De virtutibus, q. 4 a. 2 s. c. Sed contra, spes est ex meritis proveniens. Sed merita pertinent ad voluntatem. Ergo spes est in voluntate.

L’espйrance provient des mйrites. Or, les mйrites se rapportent а la volontй. L’espйrance se trouve donc dans la volontй.

Rйponse :

[66576] De virtutibus, q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut dictum est, spes est virtus theologica, unde eius obiectum est Deus. Nulla autem vis sensitiva potest se extendere ad hoc obiectum quod est Deus, quia sensus corporalia non transcendit; et ideo spes non potest esse in aliqua vi sensitiva. Manifestum autem est quod spes ad vim appetitivam pertinet, eo quod obiectum eius est bonum, ut supra, art. praeced., dictum est; unde oportet quod sit in vi appetitiva rationis, quae est voluntas, secundum philosophum in III de anima. Unde spes est in voluntate sicut in subiecto. Huiusmodi autem appetitus rationalis non dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut quidam posuerunt : quia obiectum voluntatis est bonum, secundum communem boni rationem, quam potest intellectus apprehendere, non autem sensus. Et ideo appetitus sensitivus, cuius obiectum est bonum secundum rationem particularem, dividitur in irascibilem et concupiscibilem, secundum diversas rationes boni sensibilis, quod vel est delectabile secundum sensum ad quod ordinatur concupiscibilis; vel est altitudinem propriam habens supra impedimenta delectationis, et hoc est obiectum irascibilis. Unde in appetitu superiori irascibilis et concupiscibilis non ponuntur. Sic ergo subiectum spei non est irascibilis, sed voluntas.

Comme on l’a dit, l’espйrance est une vertu thйologale ; son objet est donc Dieu. Or, aucune puissance sensible ne peut aller jusqu’а avoir Dieu pour objet, car les sens de dйpassent pas les rйalitйs corporelles. C’est pourquoi l’espйrance ne peut se trouver dans une puissance sensible. Or, il est clair que l’espйrance appartient а une puissance appйtitive, du fait que son objet est le bien, comme on l’a dit plus haut, dans l’article prйcйdent. Il faut donc qu’elle se trouve dans la puissance appйtitive de la raison, qui est la volontй, selon le Philosophe, dans Sur l’вme, III. L’espйrance se trouve donc dans la volontй comme dans son sujet. Or, cet appйtit raisonnable ne se divise pas en irascible et en concupiscible, comme certains l’ont affirmй, car l’objet de la volontй est le bien, selon la raison commune de bien, que l’intellect peut apprйhender mais non le sens. C’est pourquoi l’appйtit sensible, dont l’objet est le bien selon une raison particuliиre, se divise en irascible et concupiscible, selon les diverses raisons du bien sensible, qui est dйlectable selon le sens, а quoi est ordonnй le concupiscible, ou qui possиde une certaine йlйvation par rapport aux obstacles а la dйlectation, et cela est l’objet de l’irascible. C’est la raison pour laquelle on ne distingue pas l’irascible et le concupiscible dans l’appйtit supйrieur. Ainsi donc, le sujet de l’espйrance n’est pas l’irascible, mais la volontй.

Solutions :

[66577] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes de qua loquimur, est ardui intelligibilis, quod non est obiectum alicuius specialis potentiae; sed voluntas in ipsum tendit secundum rationem universalem boni.

1. L’espйrance dont nous parlons porte sur un intelligible difficile, qui n’est l’objet d’aucune puissance spйciale. Mais la volontй y tend selon la raison universelle de bien.

[66578] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas perficit voluntatem perfecte quantum ad unum motum eius, qui est amare; sed indiget alia perfectione quantum ad alium motum eius qui est sperare.

2. La charitй perfectionne la volontй selon un seul de ses mouvements, aimer. Mais elle a besoin d’une autre perfection par rapport а un autre de ses mouvements qui est d’espйrer.

[66579] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando sunt multa ordinata ad unum, possunt simul intelligi : similiter etiam motus spei simul potest esse cum motu caritatis, quia ad se invicem ordinantur.

3. Lorsque plusieurs choses sont ordonnйes а une seule, elles peuvent кtre intelligйes en mкme temps. De la mкme maniиre aussi, un mouvement de l’espйrance peut exister avec un mouvement de charitй, car ils sont ordonnйs l’un а l’autre rйciproquement.

[66580] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod certitudo spei derivatur a certitudine fidei : in quantum enim motus appetitivae virtutis dirigitur a virtute cognoscitiva, participat aliquid de eius certitudine.

4. La certitude de l’espйrance dйcoule de la certitude de la foi : en effet, le mouvememnt de la puissance appйtitive participe а la certitude dans la mesure oщ il est dirigй par la puissance cognitive.

 

Articulus 3 : [66581] De virtutibus, q. 4 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum spes sit prior caritate

Article 3 – Est-ce que l’espйrance prйcиde la charitй ?

Objections :

[66582] De virtutibus, q. 4 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66583] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 1 Ambrosius enim super illud Luc., XVII, 6 : si habueritis fidem sicut granum sinapis etc., dicit : ex fide est caritas, ex caritate spes. Sed fides est prior caritate. Ergo caritas est prior spe.

1. Ambroise dit, а propos de Lc 17, 6 : Si vous aviez une foi grosse comme un grain de senevй, etc. : «La charitй vient de la foi, et l’espйrance de la charitй.» Or, la foi prйcиde la charitй. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66584] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Enchirid., quod fides sine caritate non prodest; spes autem sine caritate esse non potest. Sed si spes esset prior caritate, posset esse sine ea, sicut et fides, licet non prodesset. Ergo spes non est prior caritate.

2. Augustin dit, dans l’Enchiridion, que la foi sans la charitй n’est pas utile, mais que l’espйrance ne peut exister sans la charitй. Or, si l’espйrance prйcйdait la charitй, elle pourrait exister sans elle, comme la foi, bien qu’elle ne serait pas utile. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66585] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, XII de civitate Dei, quod boni motus atque affectus, ex amore et ex sancta caritate veniunt. Sed sperare, secundum quod est actus spei, est quidam motus et affectus laudabilis. Ergo derivatur a sancta caritate. Sic ergo caritas est prior spe.

3. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XII, que les mouvements et les sentiments bons viennent de l’amour et d’une sainte charitй. Or, espйrer, en tant qu’acte de l’espйrance, est un certain mouvement et un certain sentiment louable. Il dйcoule donc d’une sainte charitй. Ainsi donc, la charitй prйcиde l’espйrance.

[66586] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, spes est cum desiderio, ut supra dictum est. Sed desiderium non est nisi boni amati. Ergo spes praesupponit amorem : ergo est posterior caritate.

4. L’espйrance est accompagnйe de dйsir. Or, il ne peut y avoir de dйsir que d’un bien aimй. L’espйrance prйsuppose donc l’amour. Elle suit donc la charitй.

[66587] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 5 Praeterea, inter affectiones animae, prima est amor; ex eo enim omnes actiones et affectiones animae derivantur, ut patet per Dionysium. Sed spes importat quamdam animae affectionem. Ergo caritas, quae est amor, est prior spe.

5. Parmi les sentiments de l’вme, l’amour est premier : en effet, tous les actions et sentiments de l’вme en dйcoulent, comme cela ressort clairement de Denys. Or, l’espйrance comporte un certain sentiment de l’вme. La charitй, qui est amour, prйcиde donc l’espйrance.

[66588] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 6 Praeterea, spes, vel desiderium, non est nisi proprii boni. Sed bonum aliquod fit proprium appetenti per amorem; sic enim redditur conveniens. Ergo spes et desiderium praesupponit amorem.

6. Il n’y a d’espйrance ou de dйsir que de son bien propre. Or, а qui dйsire, un bien devient propre par l’amour : en effet, c’est ainsi qu’il s’en rapproche. L’espйrance et le dйsir prйsupposent donc l’amour.

[66589] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 7 Praeterea, Augustinus dicit, XIV de Civit. Dei, quod recta voluntas est caritatis. Sed recta voluntas praecedit spem. Ergo caritas praecedit spem.

7. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XIV, que la volontй droite relиve de la charitй. Or, la volontй droite prйcиde l’espйrance. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66590] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 8 Praeterea, eorum quae sunt simul, unum non est prius altero. Sed fides, spes et caritas sunt simul : quia, sicut Gregorius dicit super Ezech., aequaliter ab homine habentur. Ergo spes non est prior caritate.

8. Dans les choses simultanйes, l’une ne prйcиde pas l’autre. Or, la foi, l’espйrance et la charitй sont simultanйes, car, comme le dit Grйgoire dans son commentaire sur Йzйchiel, elles sont possйdйes йgalement par l’homme. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66591] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 9 Praeterea, idem non est prius seipso. Sed idem videtur esse spes caritati; cum utriusque sit unum obiectum, scilicet summum bonum. Ergo spes non est prior caritate.

9. Une mкme chose n’est pas antйrieure а elle-mкme. Or, l’espйrance semble кtre la mкme chose que la charitй, puisque les deux n’ont qu’un seul objet, le Bien suprкme. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66592] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 10 Praeterea, Magister dicit, 26 dist. Lib. III sententiarum, quod spes ex meritis provenit, quae praecedunt non solum rem speratam, sed spem quam praeit caritas. Ergo spes non est prior caritate.

10. Le Maоtre dit, dans Sentences, III, d. 26, que l’espйrance vient des mйrites, qui prйcиdent non seulement la chose espйrйe, mais l’espйrance que la charitй prйcиde. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66593] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 11 Praeterea, spei opponitur desperatio; caritati autem opponitur quodlibet peccatum mortale. Sed prius est quod homo incidat in peccatum mortale quam quod incidat in desperationem. Ergo caritas est prior spe.

11. Le dйsespoir s’oppose а l’espйrance ; mais tout pйchй mortel s’oppose а la charitй. Or, le fait pour un homme de tomber dans le pйchй mortel prйcиde le fait qu’il tombe dans le dйsespoir. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66594] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo habituum et actuum est secundum ordinem obiectorum. Sed bonum, quod est obiectum caritatis, est prius quam arduum, quod est obiectum spei, quia arduum se habet ex additione ad bonum. Ergo caritas est prior spe.

12. L’ordre entre les habitus et les actes suit l’ordre entre les objets. Or, le bien, qui est l’objet de la charitй, prйcиde ce qui est difficile, qui est l’objet de l’espйrance, car le fait d’кtre difficile s’ajoute au bien. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66595] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 13 Praeterea, quidquid nobilitatis convenit alicui incompleto in aliquo genere, convenit etiam completo in genere illo. Sed manifestum est quod aliquis amor incompletus praecedit spem. Ergo multo magis amor completus, qui est caritas, spem praecedit.

13. Toute la noblesse qui convient а quelque chose d’incomplet dans un genre, convient aussi а ce qui est complet dans ce genre. Or, il est clair qu’un amour incomplet prйcиde l’espйrance. А bien plus forte raison donc, l’amour complet, qui est la charitй, prйcиde-t-il l’espйrance.

Cependant :

[66596] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Matth. I, v. 2 : Abraham genuit Isaac; Isaac autem genuit Iacob; Glossa : id est, fides genuit spem, spes caritatem. Sed generans est prius genito. Ergo spes est prior caritate.

1. La Glose dit а propos de Mt 1, 2 : Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob : «C’est-а-dire, la foi engendra l’espйrance, et l’espйrance la charitй. Or, ce qui engendre est antйrieur а ce qui est engendrй. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.

[66597] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea, super illud Psal. XXXVI, spera in Deo, et fac bonitatem, dicit Glossa : spes est introitus ad fidem, et initium humanae salutis. Et sic videtur quod spes sit prior fide. Sed prior est fides caritate. Ergo et spes.

2. La Glose dit, а propos de Ps 36 : Espиre en Dieu et fais le bien : «L’espйrance est l’entrйe vers la foi et le commencement du salut de l’homme.» Il semble ainsi que l’espйrance prйcиde la foi. Or, la foi prйcиde la charitй. Donc, l’espйrance aussi.

[66598] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 3 Praeterea, apostolus dicit, I ad Timoth., cap. I, 5 : finis praecepti caritas est de corde puro et conscientia bona; Glossa : id est spes. Et sic videtur quod caritas procedat ex spe. Spes ergo est prior caritate.

3. L’apфtre dit en 1 Tm 1, 5 : La fin du commandement est la charitй qui vient d’un cњur pur et d’une conscience bonne. La Glose dit : «C’est-а-dire, l’espйrance.» Il semble ainsi que la charitй vienne de l’espйrance. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.

[66599] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Augustinus dicit X de Trinit., quod nullus amat nisi id ad quod se sperat posse pervenire; et id quod quis non sperat, aut non amat, aut tepide amat. Ergo amor praesupponit spem.

4. Augustin dit, dans La Trinitй, X, que «personne n’aime que ce а quoi il espиre parvenir, et ce que quelqu’un n’espиre pas, il ne l’aime pas, ou bien il l’aime avec tiйdeur». L’amour prйsuppose donc l’espйrance.

[66600] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 5 Praeterea, prius est a quo non convertitur consequentia subsistendi. Sed spes est huiusmodi; in statu enim viae quicumque habet caritatem, habet spem; sed non convertitur. Ergo spes est prior caritate.

5. Est antйrieur ce а quoi une consйquence ne peut pas кtre convertie. Or, l’espйrance est de cet ordre : en effet, dans l’йtat de cheminement, quiconque possиde la charitй possиde l’espйrance, mais non pas l’inverse. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.

Rйponse :

[66601] De virtutibus, q. 4 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod prius dicitur aliquid, vel secundum rationem alicuius principii, vel quia principio propinquius est. Sunt autem duo principia intrinseca rei : materia, et forma; et secundum horum differentiam aliquid dicitur dupliciter prius. Uno quidem modo est aliquid prius altero perfectione, sicut actus potentia, et perfectum imperfecto : quae quidem prioritas respondet principio formali. Alio vero modo est aliquid prius in via generationis et temporis; et sic potentia est prior actu in eodem, et imperfectum perfecto. Simpliciter autem et universaliter etiam tempore perfectum est prius, quia imperfectum non movetur nisi ab aliquo praeexistenti perfecto; hoc autem respondet materiali principio. Secundum igitur primum prioritatis modum caritas est prior naturaliter spe; secundum autem modum secundum spes in uno homine praecedit caritatem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omnes affectiones animae, quae sunt quidam appetitivi motus, proportionantur motibus naturalibus, eo quod motus naturalis ex inclinatione naturali procedit, quae dicitur appetitus naturalis; et similiter motus affectionum animalium procedunt ex inclinatione animalis, quae est appetitus animalis. In motibus autem naturalibus invenimus, primo quidem, principium ipsius motus, quod est informatio mobilis per suam formam non animalem, sicut cum generatur grave aut leve. Secundo est motus naturalis, proveniens ex tali forma; sicut cum corpus ascendit et descendit. Tertio vero est quies in proprio loco. Et similiter in appetitu animali, primo quidem est informatio quaedam ipsius appetitus per bonum; et hoc est amor, qui unit amatum amanti. Ex hoc autem secundo sequitur, si bonum amatum sit distans, quod appetitus tendat in illud motu desiderii vel spei. Tertio autem sequitur gaudium vel delectatio, quando aliquis pertingit ad rem amatam. Sicut igitur motus et quies naturalis provenit ex forma, ita omnis affectio animae provenit ex amore. Oportet igitur quod secundum differentiam amoris attendatur differentia in caeteris affectionibus animae. Est autem duplex amor : unus quidem imperfectus, alius autem perfectus. Imperfectus quidem amor alicuius rei est, quando aliquis rem aliquam amat non ut ei bonum in seipsa velit, sed ut bonum illius sibi velit; et hic nominatur a quibusdam concupiscentia, sicut cum amamus vinum, volentes eius dulcedine uti; vel cum amamus aliquem hominem propter nostram utilitatem vel delectationem. Alius autem est amor perfectus, quo bonum alicuius in seipso diligitur, sicut cum amando aliquem, volo quod ipse bonum habeat, etiam si nihil inde mihi accedat; et hic dicitur esse amor amicitiae, quo aliquis secundum seipsum diligitur; unde ista est perfecta amicitia, ut dicitur in VIII Ethic. Caritas autem est non quicumque amor Dei, sed amor perfectus, quo Deus in seipso diligitur. Ad hoc autem quod aliquis bonum divinum secundum se diligat, inducitur ex bonis a Deo provenientibus, quae sibi quis vult, et ex malis quae, Deo inhaerendo, vitat. Quantum ad vitationem malorum, pertinet ad hunc amorem timor; quantum vero ad consecutionem bonorum, pertinet ad sui amorem spes, quae est motus tendens in aliquid adipiscendum, sicut dictum est. Unde utrumque horum secundum propriam rationem derivatur ex imperfecto Dei amore. Et propter hoc in via generationis et temporis sicut timor praecedit caritatem, et introducit ad ipsam, ut Augustinus dicit super canonicam Ioan. : ita etiam et spes introducit ad caritatem : dum aliquis per hoc quod sperat se aliquod bonum a Deo consequi, ad hoc deducitur ut Deum propter se amet.

On dit qu’une chose est antйrieure soit selon la raison d’un principe, soit en raison de sa proximitй par rapport au principe. Or, il existe deux principes intrinsиques d’une chose : la matiиre et la forme. Et, selon la diffйrence de ces deux [principes], on peut dire qu’une chose est antйrieure de deux maniиres. D’une maniиre, on peut dire qu’une chose est antйrieure а une autre par la perfection : cette perfection rйpond au principe formel. D’une autre maniиre, une chose est antйrieure sur la voie de la gйnйration et du temps : et ainsi, la puissance est antйrieure а l’acte dans une mкme chose, et l’imparfait au parfait. Or, ce qui est parfait est tout simplement et universellement antйrieur, mкme dans le temps, car ce qui est imparfait n’est mы que par quelque chose d’antйrieur qui est parfait : cela rйpond au principe matйriel. Selon le premier mode de prioritй, la charitй est donc naturellement antйrieure а l’espйrance ; selon le second mode, l’espйrance prйcиde la charitй chez un homme. Pour le montrer, il faut savoir que tous les sentiments de l’вme, qui sont des mouvements appйtitifs, sont proportionnйs aux mouvements naturels, du fait que le mouvement naturel vient d’une inclination naturelle, qui est appelйe appйtit naturel. De mкme, les mouvements affectifs des animaux procиdent-ils d’une inclination de l’animal, qui est l’appйtit animal. Or, dans les mouvements naturels, nous trouvons, en premier lieu, le principe du mouvement mкme, qui est la forme donnйe а ce qui est mы par sa forme non animale, comme lorsque quelque chose de lourd ou de lйger est engendrй. Deuxiиmement, il y a le mouvement naturel provenant d’une telle forme, comme lorsque qu’un corps monte et descend. Troisiиmement, il y a le repos dans son lieu propre. De la mкme faзon, dans l’appйtit animal, il y a, premiиrement, la forme donnйe а l’appйtit par un bien : et cela est l’amour, qui unit ce qui est aimй а ce qui aime. De cela dйcoule, si le bien aimй est distant, que l’appйtit tend vers lui par un mouvement de dйsir et d’espoir. Troisiиmement, il en dйcoule une joie ou une dйlectation, lorsque quelqu’un parvient а la chose aimйe. Ainsi donc, de mкme que le mouvement et le repos naturels viennent de la forme, de mкme toute affection de l’вme provient de l’amour. Il est donc nйcessaire que, selon la diffйrence de l’amour, on relиve une diffйrence dans les autres affections de l’вme. Or, il existe un double amour : l’un imparfait, l’autre parfait. L’amour imparfait d’une chose se produit lorsque quelqu’un aime une chose, non pas parce qu’il lui veut du bien, mais parce qu’il veut son bien pour lui-mкme. Certains l’appellent «concupiscence», comme lorsque nous aimons le vin, en voulant utiliser sa douceur, ou lorsque nous aimons un homme pour notre utilitй ou notre plaisir. Il existe un autre amour parfait, par lequel le bien de quelqu’un est aimй en lui-mкme, comme lorsque j’aime quelqu’un, je veux qu’il ait un bien, mкme si rien ne m’en est ajoutй. Cet amour s’appelle amour d’amitiй, par lequel quelqu’un est aimй pour lui-mкme. C’est lа l’amitiй parfaite, comme il est dit dans Йthique, VIII. Or, la charitй n’est pas un amour quelconque de Dieu, mais un amour parfait, par lequel Dieu est aimй en lui-mкme. Mais pour que quelqu’un aime le bien divin en lui-mкme, il est conduit par des biens qui viennent de Dieu, que l’on aime pour soi-mкme, et par des maux que l’on йvite en adhйrant а Dieu. Pour ce qui est de l’йvitement de maux, la crainte est en rapport avec cet amour ; pour ce qui est de l’obtention de biens, l’espйrance se rapporte а l’amour de soi, elle qui est un mouvement tendant vers l’obtention de quelque chose, comme on l’a dit. Aussi ces deux choses, selon leur raison propre, dйcoulent-elles d’un amour imparfait de Dieu. Pour cette raison, en cours de gйnйration ou selon le temps, la crainte prйcиde-t-elle la charitй et y fait-elle entrer, comme Augustin le dit en commentant la lettre canonique de Jean ; de mкme, l’espйrance fait-elle entrer dans la charitй, lorsque quelqu’un, du fait qu’il espиre obtenir de Dieu un bien, est conduit а aimer Dieu pour lui-mкme.

Solutions :

[66602] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Ambrosius ibidem subdit, rursus in se quodam sancto circuitu refunduntur, quia scilicet, cum aliquis ex spe iam ad caritatem introductus fuerit, tunc etiam perfectius sperat, et castius timet, sicut etiam et firmius credit. Et ideo quod dicit quod ex caritate est spes, non loquitur quantum ad primam caritatis generationem, sed quantum ad secundam caritatis refusionem; secundum quod iam nobis indita, facit nos et perfectius sperare et credere.

1. Comme Ambroise l’ajoute plus loin au mкme endroit, elles rejaillissent l’une sur l’autre comme en saint retour, car lorsque quelqu’un est dйjа entrй dans la charitй а partir de l’espйrance, il espиre alors encore plus parfaitement, et il craint avec plus de pudeur, comme il croit aussi plus fermement. C’est pourquoi lorsqu’il dit que l’espйrance vient de la charitй, il ne parle pas du premier engendrement de la charitй, mais du second influx de charitй, selon que, dйjа infuse en nous, elle nous fait espйrer et croire plus parfaitement.

[66603] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes quae est ex meritis praecedentibus, non potest esse sine caritate, quae est merendi principium. Sed spes informis, quae est sine meritis in actu, sed ex meritis in proposito, est quidem sine caritate in actu, sed non sine caritate in proposito.

2. L’espйrance qui se fonde sur des mйrites antйrieurs ne peut exister sans la charitй, qui est le principe du mйrite. Mais l’espйrance informe, qui ne produit pas de mйrites en acte, mais s’appuie sur des mйrites en intention, existe sans la charitй en acte, mais non sans la charitй en intention.

[66604] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de bonis motibus et affectibus meritoriis; huiusmodi enim ex caritate causantur.

3. Augustin parle en cet endroit des bons mouvements et sentiments mйritoires. En effet, ceux-lа sont causйs par la charitй.

[66605] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa probat quod spes praesupponat aliquem amorem. Non tamen oportet quod praesupponat amorem caritatis, sed amorem sui ipsius, quo quis optat bonum divinum.

4. Cet argument prouve que l’espйrance prйsuppose un certain amour. Toutefois, il n’est pas nйcessaire qu’elle prйsuppose l’amour de charitй, mais l’amour de soi, par lequel quelqu’un se souhaite а lui-mкme un bien divin.

[66606] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 5 Et per hoc patet solutio ad quintum et ad sextum.

5. Par lа ressort clairement la solution aux cinquiиme et sixiиme arguments.

[66607] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod recta voluntas dicitur caritas causaliter; quia scilicet perfecta rectitudo voluntatis non potest esse nisi ex caritate. Sed talis perfectio voluntatis non praecedit spem informem.

7. La volontй droite s’appelle charitй par maniиre de cause, car la parfaite rectitude de la volontй ne peut exister que par la charitй. Mais une telle perfection de la volontй ne prйcиde pas l’espйrance informe.

[66608] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod auctoritas Gregorii intelligitur de fide, spe et caritate secundum quod sunt virtutes, quod non convenit fidei et spei nisi secundum quod formantur caritate. Sed secundum quod sunt informes, quandoque praecedunt caritatem tempore.

8. L’autoritй de Grйgoire s’entend de la foi, de l’espйrance et de la charitй selon qu’elles sont des vertus, ce qui ne convient а la foi et а l’espйrance que si elles reзoivent leur forme de la charitй. Mais, selon qu’elles sont informes, elles prйcиdent parfois la charitй dans le temps.

[66609] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod bonum divinum, ut secundum se dilectum, est obiectum caritatis; sed sicut adipiscendum, est obiectum spei : et propter hoc caritas a spe differt.

9. Le bien divin, selon qu’il est aimй en lui-mкme, est l’objet de la charitй ; mais [aimй] pour кtre obtenu, il est l’objet de l’espйrance. Pour cette raison, la charitй diffиre de l’espйrance.

[66610] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si spes sit informis, merita non praecedunt spem, sed rem speratam. Si autem spes sit formata, sic merita praecedunt etiam spem; et hoc modo naturaliter praecedit ipsam caritas.

10. Si l’espйrance est informe, les mйrites ne prйcиdent pas l’espйrance, mais la chose espйrйe. Mais si l’espйrance est formйe, alors les mйrites prйcиdent aussi l’espйrance. De cette maniиre, la charitй la prйcиde-t-elle par nature.

[66611] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ea quae sunt posteriora in compositione, sunt priora in resolutione; et ideo, quia in via generationis spes praecedit caritatem, in via resolutionis, e converso, culpa per quam amittitur caritas, praecedit desperationem, per quam amittitur spes.

11. Ce qui est postйrieur par la composition est antйrieur selon la rйsolution. C’est pourquoi, parce que l’espйrance prйcиde la charitй en cours de gйnйration, en cours de rйsolution, la faute par laquelle la charitй est enlevйe prйcиde le dйsespoir, par lequel l’espйrance est enlevйe.

[66612] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ratio illa concludit, quod amor universaliter sit prius quam spes, quia bonum communiter sumptum, est obiectum amoris; non autem oportet quod caritas sit prior spe.

12. Cet argument conclut que l’amour, considйrй universellement, est antйrieur а l’espйrance, parce que le bien, considйrй d’une maniиre gйnйrale, est l’objet de l’amour. Mais il n’est pas nйcessaire que la charitй prйcиde l’espйrance.

[66613] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praecedere in via generationis, non pertinet ad perfectionem; quia secundum hanc viam imperfecta sunt perfectis priora.

13. Prйcйder en cours de gйnйration n’appartient pas а la perfection, car, dans ce processus, ce qui est imparfait prйcиde ce qui est parfait.

 

Articulus 4 : [66614] De virtutibus, q. 4 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum spes sit solum in viatoribus

Article 4 – Est-ce que l’espйrance n’existe que chez ceux qui sont en route [in viatoribus] ?

Objections :

[66615] De virtutibus, q. 4 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66616] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 1 Sicut enim spes est rei non habitae, quod videtur repugnare statui beatorum; ita etiam desiderium est rei non habitae. Sed desiderium est in beatis, secundum illud I Petri I, 12 : in quem desiderant Angeli prospicere. Ergo etiam spes potest esse in beatis.

1. En effet, de mкme que l’espйrance porte sur une chose non possйdйe, ce qui semble s’opposer а l’йtat des bienheureux, de mкme le dйsir porte-t-il sur une chose non possйdйe. Or, il existe un dйsir chez les bienheureux, selon ce que dit 1 P 1, 12 : Lui que les anges dйsirent voir. L’espйrance peut donc exister chez les bienheureux.

[66617] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, spes, cuius obiectum est bonum, est aliquid perfectius timore, cuius obiectum est malum. Sed aliquis timor est in beatis, secundum illud Ps. XVIII, 10 : timor domini sanctus permanet in saeculum. Ergo aliqua spes est etiam in beatis.

2. L’espйrance, dont l’objet est un bien, est quelque chose de plus parfait que la crainte, dont l’objet est un mal. Or, il existe une crainte chez les bienheureux, selon ce passage de Ps 18, 10 : La crainte du Seigneur demeure pour l’йternitй. Il existe donc une espйrance chez les bienheureux.

[66618] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut adeptio beatitudinis est quoddam bonum arduum, ita etiam et eius continuatio. Sed antequam beatitudinem aliqui adipiscantur, sperant beatitudinis adeptionem. Ergo etiam postquam sunt beatitudinem adepti, possunt sperare beatitudinis continuationem.

3. De mкme que l’obtention de la bйatitude est quelque chose de difficile, de mкme aussi sa continuation. Or, avant que certains n’obtiennent la bйatitude, ils espиrent l’obtention de la bйatitude. Mкme aprиs avoir obtenu la bйatitude, ils peuvent donc espйrer la continuation de la bйatitude.

[66619] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 4 Praeterea, spes et desperatio sunt in eodem. Sed desperatio potest esse de alio; unde mandatur nobis de nemine esse desperandum in via. Ergo etiam spes potest esse de aliquo alio; et ita, sancti qui sunt in patria, possunt sperare de aliis qui sunt in via, quod ad beatitudinem perveniant.

4. L’espйrance et le dйsespoir portent sur la mкme chose. Or, le dйsespoir peut porter sur quelqu’un d’autre : c’est pourquoi il nous est ordonnй de ne dйsespйrer de personne aussi longtemps qu’il est en route. Mкme l’espйrance peut donc porter sur quelqu’un d’autre. Et ainsi, les saints qui sont dans la patrie peuvent espйrer que les autres qui sont en route [in via] parviennent а la bйatitude.

[66620] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod sperare beatitudinem alterius, non pertinet ad virtutem spei. – Sed contra, sicut spes est virtus theologica, ita et caritas. Sed eadem virtute caritatis, homo diligit se et proximum. Ergo eadem virtute spei sperat homo vitam aeternam sibi et aliis; et sic, cum boni sperent vitam aeternam aliis, videtur quod in eis sit virtus spei.

5. Espйrer la bйatitude d’un autre ne relиve pas de la vertu d’espйrance. – Mais, en sens contraire, de mкme que l’espйrance est une vertu thйologale, de mкme en est-il de la charitй. Or, l’homme s’aime lui-mкme et son prochain par la mкme vertu de charitй. L’homme espиre donc par la mкme vertu d’espйrance la vie йternelle pour lui et pour les autres. Et ainsi, lorsque les bons espиrent la vie йternelle pour les autres, il semble qu’existe chez eux la vertu d’espйrance.

[66621] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 6 Praeterea, oratio ex virtute spei procedit, secundum illud Ps. XXXVI, 5 : revela domino viam tuam, et spera in eo; et ipse faciet. Sed sanctis qui sunt in patria convenit orare; et de hoc rogamus eos dicentes orate pro nobis, omnes sancti Dei. Ergo in eis potest esse etiam spes.

6. La priиre vient de la vertu d’espйrance, selon ce que dit Ps 36, 5 : Montre au Seigneur ta voie et espиre en lui : lui-mкme agira. Or, il convient aux saints qui sont dans la patrie de prier, et nous le leur demandons en disant : «Priez pour nous, tous les saints de Dieu.» L’espйrance peut donc aussi exister en eux.

[66622] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 7 Praeterea, idem est principium movendi ad terminum, et quiescendi in termino. Sed spes est principium motus in beatitudinem, secundum illud Hebr. VI, 19 : qui spem habemus incedentem, id est incedere facientem, usque ad interiora velaminis. Ergo etiam spes est principium quiescendi in beatitudine; et ita oportet quod beatis insit spes.

7. C’est le mкme principe qui meut vers un terme et qui se repose dans le terme. Or, l’espйrance est le principe du mouvement vers la bйatitude, selon ce passage de He 6, 19 : Qui nous donne l’espйrance d’avancer, c’est-а-dire qui nous fait avancer, jusqu’а l’intйrieur du voile. L’espйrance est donc aussi le principe du repos dans la bйatitude. Et ainsi, il est nйcessaire que l’espйrance existe chez les bienheureux.

[66623] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 8 Praeterea, Isidorus dicit, quod spe et fide nitet iustitia; et Augustinus dicit in Enchiridion, quod qui recte vivit, recte credit et recte sperat. Sed iustitia est in patria, et vitae rectitudo; secundum illud Is., LX, v. 21 : populus tuus omnes iusti. Ergo etiam in patria est fides et spes.

8. Isidore dit que la justice repose sur l’espйrance et la foi ; et Augustin dit, dans l’Enchiridion, que «celui qui vit correctement, croit correctement et espиre correctement». Or, la justice se trouve dans la patrie, ainsi que la rectitude de la vie, selon ce que dit Is 60, 21 : Ton peuple, tous les justes. La foi et l’espйrance existent donc aussi dans la patrie.

[66624] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 9 Praeterea, certitudo perpetuae permansionis in beatitudine requiritur ad beatitudinem. Et quia haec defuit Angelis ante confirmationem vel lapsum, non fuerunt perfecte beati, ut Augustinus dicit. Sed certitudo expectationis beatitudinis pertinet ad virtutem spei. Ergo in beatis est spes.

9. La certitude de toujours demeurer dans la bйatitude est une exigence de la bйatitude. Et parce que cela manquait aux anges avant leur confirmation ou leur chute, ils n’йtaient pas parfaitement bienheureux, comme le dit Augustin. Or, la certitude de la bйatitude relиve de la vertu d’espйrance. L’espйrance existe donc chez les bienheureux.

[66625] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 10 Praeterea, quae corrupta sunt bona, ipsa sunt mala, secundum philosophum. Si igitur spes quae est in viatoribus, corrumpatur per beatitudinem, quae est summum bonum hominis, videtur quod spes sit malum; quod est inconveniens, cum spes sit virtus, ut dictum est art. 1 huius quaest.

10. Les biens qui ont йtй corrompus sont des maux, selon le Philosophe. Si donc l’espйrance qui existe chez ceux qui sont en route est corrompue par la bйatitude, qui est le bien suprкme de l’homme, il semble que l’espйrance soit un mal, ce qui ne convient pas puisque l’espйrance est une vertu, comme on l’a dit dans l’article 1 de la prйsente question.

[66626] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 11 Praeterea, actus virtutis videtur esse non solum facere vel velle facere, quod ad virtutem pertinet, quando facultas adest; sed etiam velle facere, si facultas adesset. Actus enim iustitiae est velle reddere pecuniam debitam, etiam si eam quis non possit habere. Sed sancti qui sunt in patria, sic sunt dispositi, quod vellent beatitudinem expectare, etiam si eam non haberent. Ergo in eis est actus spei. Sed actus procedit ab habitu. Ergo in eis est virtus spei.

11. L’acte de la vertu ne consiste pas seulement а faire ou а vouloir faire ce qui relиve de la vertu, lorsque cela est possible, mais aussi а vouloir le faire si cela йtait possible. En effet, l’acte de justice consiste а vouloir rendre l’argent dы, mкme si quelqu’un ne peut l’avoir. Or, les saints dans la patrie sont ainsi disposйs qu’ils voudraient attendre la bйatitude, mкme s’ils ne la possйdaient pas. Il existe donc aussi en eux un acte d’espйrance. Or, l’acte procиde de l’habitus. La vertu d’espйrance existe donc chez eux.

[66627] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 12 Praeterea, Anselmus dicit in libro de similitudinibus, quod in sanctis post resurrectionem erit tanta fortitudo, quod poterunt terram movere; non quod eam sint moturi, vel aliquid huiusmodi, omnibus optime collocatis, sed propter eorum perfectionem. Ergo, a simili, habitus spei, quae est quaedam perfectio animae, poterit esse in beatis, quamvis actus spei ibi locum non habeat.

12. Anselme dit, dans le livre Sur les similitudes, qu’il y aura chez les saints aprиs la rйsurrection une telle force qu’ils pourront dйplacer la terre : non pas qu’ils la dйplaceront ou quelque chose de ce genre, toutes choses йtant bien placйes, mais en raison de leur perfection. Par un raisonnement semblable, l’habitus d’espйrance, qui est une perfection de l’вme, pourra donc exister chez les bienheureux, bien que l’acte d’espйrance n’y ait pas sa place.

[66628] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 13 Praeterea, divina bonitas non est maior quam divina maiestas. Sed caritas, cuius obiectum est divina bonitas, manet in patria. Ergo et spes, cuius obiectum est divina maiestas.

13. La bontй divine n’est pas plus grande que la majestй divine. Or, la charitй, dont l’objet est la bontй divine, demeure dans la patrie. C’est donc aussi le cas de l’espйrance, dont l’objet est la majestй divine.

[66629] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 14 Praeterea, destructo fundamento et pariete, destruitur tectum. Sed in aedificio spirituali fides se habet ut fundamentum; spes autem quae erigit, se habet per modum parietis. Si ergo a beatis abstrahatur fides et spes, non poterit remanere caritas, quae operit per modum tecti; quod est inconveniens, quia caritas nunquam excidit, ut apostolus dicit, 1 Cor., XIII, 8.

14. Si l’on dйtruit le fondement et le mur, le toit est dйtruit. Or, dans l’йdifice spirituel, la foi est comme le fondement ; mais l’espйrance qui йlиve est comme le mur. Si donc la foi et l’espйrance sont soustraites aux bienheureux, la charitй, qui couvre а la maniиre d’un toit, ne pourra pas demeurer, ce qui est inaccpetable, car la charitй ne disparaоt jamais, comme le dit l’Apфtre en 1 Co 13, 8.

[66630] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 15 Praeterea, quicumque expectat aliquid per quod, cum habitum fuerit, eius appetitus quietatur, videtur sperare illud. Sed animae beatorum expectant gloriam corporis, qua habita, eorum appetitus quietatur, ut Augustinus dicit XII super Genes. ad Litt. Ergo in eis est virtus spei.

15. Quiconque attend quelque chose qui apaisera son appйtit lorsqu’il le possйdera, semble l’espйrer. Or, les вmes des bienheureux attendent la gloire du corps ; lorsqu’elle sera possйdйe, leur appйtit sera apaisй, comme Augustin le dit dans le Commentaire littйral de la Genиse, XII. La vertu d’espйrance existe donc chez eux.

[66631] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 16 Praeterea, Christus a primo instanti suae conceptionis fuit perfectus comprehensor. Sed Christus habuit spem : ex eius enim persona dicitur in Psalm. LXX, 1 : in te, domine, speravi ut Glossa exponit. Ergo in beatis potest esse spes.

16. Le Christ, dиs le premier instant de sa conception, a йtй un parfait comprehensor [voir IIIa, q. 15, a. 10, c, et Trois opuscules sur la vie religieuse mendiante, notes 43-44]. Or, le Christ avait l’espйrance : en effet, il est dit de lui dans Ps 70, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espйrй, comme la Glose l’explique. L’espйrance peut donc exister chez les bienheureux.

Cependant :

[66632] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Roman., cap. VIII, 24 : quod videt quis, quid sperat? Sed sancti fruuntur plena Dei visione, ergo in eis non est spes.

1. Il est dit en Rm 8, 24 : Ce qu’on voit, est-ce qu’on l’espиre ? Or, les saints jouissent de la pleine vision de Dieu. Il n’y a donc pas d’espйrance en eux.

[66633] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus, I ad Cor., XIII, 13, probat caritatem esse maiorem fide et spe : quia caritas non excidit; fides autem et spes evacuabuntur, cum venerit quod perfectum est. Sed illud perfectum est status beatitudinis. Ergo fides et spes non remanent in statu beatitudinis.

2. En 1 Co 13, 13, l’Apфtre montre que la charitй est plus grande que la foi et l’espйrance, car la charitй ne meurt pas, mais la foi et l’espйrance disparaissent, lorsque ce qui est parfait arrive. Or, ce qui est parfait est l’йtat de la bйatitude. La foi et l’espйrance ne demeurent donc pas dans l’йtat de bйatitude.

[66634] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali : habitus est quo aliquid agitur cum opus est; et si non agitur, potest agi. Ex quo accipitur, quod ubi non potest esse actus, ibi non est habitus. Sed in patria non potest esse actus spei, qui respicit beatitudinem non habitam. Ergo ibi non potest esse habitus spei.

3. Augustin dit, dans le livre Sur le bien conjugal : «L’habitus est ce par quoi on fait quelque chose, lorsque cela est nйcessaire ; et si on ne le fait pas, on peut le faire.» On comprend par cela que lа oщ ne peut exister l’acte, lа n’existe pas l’habitus. Or, dans la patrie, il ne peut exister d’acte d’espйrance, qui a pour objet la bйatitude non acquise. Il ne peut donc y exister d’habitus de l’espйrance.

Rйponse :

[66635] De virtutibus, q. 4 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod remoto eo a quo res aliqua habet speciem, consequens est ut species rei solvatur; sicut remota forma substantiali a corporibus naturalibus, non remanent specie eadem. Sicut autem forma in rebus naturalibus dat speciem, ita et in moralibus obiectum dat speciem actui, et per consequens habitui; et ideo sublato principali obiecto alicuius habitus, non potest remanere habitus. Spei autem obiectum, si spes absolute consideratur, est bonum arduum futurum possibile, ut supra, art. 1 huius quaest., dictum est. Unde si cesset aliquid esse bonum, vel esse futurum, vel esse arduum, vel esse possibile, cessabit spes secundum communem rationem spei. Spei autem, secundum quod est virtus theologica, obiectum formale est auxilium divinum, cui inhaeret : et quamvis sub hoc formali obiecto multa materialia sperata comprehendantur, unum tamen est principale, et alia sunt secundaria vel adiuncta. Quod quidem potest accipi dupliciter. Uno modo ex parte rei speratae : alio modo ex parte hominis sperantis. Ex parte quidem rei speratae principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica, est plena Dei fruitio, quae beatum facit : alia vero sub spe cadunt in ordine ad hunc finem, sive sint spiritualia, sive temporalia bona. Ex parte vero sperantis, principale obiectum est quod aliquis beatitudinem speret sibi; secundarium vero est quod speret eam aliis in quantum sunt quodam modo unum cum ipso, et bonum eorum desiderat et sperat sicut et suum. Manente igitur obiecto principali, scilicet quod bonum arduum, quod est beatitudo, sit futurum, et possibile haberi respectu eius qui sperat, manet virtus spei; et per hanc virtutem spei sperat aliquis non solum futuram beatitudinem, sed etiam alia ad hoc ordinata; et per eamdem spei virtutem sperat aliquis beatitudinem aliis, et quaecumque in beatitudinem ordinantur. Sed si subtrahatur principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica; ita, scilicet, quod beatitudo aeterna iam non sit futura, sed habita, cessat species huius virtutis; unde non est in beatis spes quae est virtus theologica. Possunt autem sancti aliqua sperare inhaerendo divino auxilio, vel ad se vel ad alios pertinentia, secundum communem rationem spei; non autem secundum propriam rationem spei quae est theologica virtus. Et huius exemplum e contrario in malis accipi potest. Caritatis enim principale obiectum est Deus : unde, quamdiu aliquis diligit Deum, per eamdem virtutem caritatis diligit etiam proximum in Deo. Sed si desinat diligere Deum, poterit quidem diligere proximum secundum naturam, non tamen per virtutem caritatis, cuius species solvitur remoto principali obiecto.

Si l’on enlиve ce par quoi une chose a son espиce, il en dйcoule que l’espиce de la chose disparaоt : ainsi, si la forme substantielle est enlevйe des corps naturels, ils ne demeurent pas de la mкme spиce. Or, de mкme que la forme, dans les choses naturelles, donne l’espиce, de mкme, dans les choses morales, l’objet donne son espиce а l’acte et, par consйquent, а l’habitus. C’est pourquoi un habitus ne peut pas demeurer si l’objet principal de l’habitus est enlevй. Or, l’objet de l’espйrance, si l’on envisage l’espйrance d’une maniиre absolue, est un bien difficile futur possible, comme on l’a dit plus haut, dans l’article 1 de la prйsente question. Si quelque chose cesse d’кtre bon, difficile ou possible, l’espйrance cesse donc, selon la raison commune d’espйrance. Or, selon qu’elle est une vertu thйologale, l’objet formel de l’espйrance est l’aide divine а laquelle elle adhиre : et bien que, sous cet objet formel, beaucoup de choses espйrйes а titre de matiиre soient comprises, une seule est cependant principale, et les autres sont secondaires ou associйes. Mais cela peut s’entendre de deux maniиres : d’une maniиre, du point de vue de la chose espйrйe; d’une autre maniиre, du point de l’homme qui espиre. Du point de vue de la chose espйrйe, l’objet principal de l’espйrance, selon qu’elle est une vertu thйologale, est la pleine jouissance de Dieu, qui fait le bienheureux; les autres choses relиvent de l’espйrance selon leur ordre а cette fin, qu’il s’agisse de biens spirituels ou qu’il s’agisse de biens temporels. Du point de vue de celui qui espиre, l’objet principal est que quelqu’un espиre pour lui-mкme la bйatitude; mais l’objet secondaire est qu’il l’espиre pour les autres dans la mesure oщ ils ne forment de quelque faзon qu’un avec lui-mкme, et il dйsire et espиre leur bien comme le sien. Si l’objet principal demeure, а savoir que l’objet difficile qu’est la bйatitude soit а venir et soit possible du point de vue de celui qui espиre, la vertu d’espйrance demeure et, par cette vertu d’espйrance, quelqu’un espиre non seulement la bйatitude а venir, mais aussi les autres choses qui lui sont ordonnйes. Et, par la mкme vertu d’espйrance, quelqu’un espиre la bйatitude pour les autres et tout ce qui est ordonnй а la bйatitude. Mais si on enlиve l’objet principal de l’espйrance, selon qu’elle est une vertu thйologale, de telle sorte que la bйatitude йternelle ne soit plus а venir, mais possйdйe, l’espиce de cette vertu cesse. En consйquence, l’espйrance qui est une vertu thйologale n’existe pas chez les bienheureux. Mais les saints peuvent espйrer certaines choses en adhйrant а l’aide divine, qu’elles les concernent ou en concernent d’autres, selon la raison commune d’espйrance, mais non selon la raison propre de l’espйrance qui est une vertu thйologale. L’exemple peut en кtre saisi en sens contraire chez les mйchants. En effet, l’objet principal de la charitй est Dieu; aussi longtemps que quelqu’un aime Dieu, il aime donc aussi son prochain en Dieu par la mкme vertu de charitй. Mais s’il cesse d’aimer Dieu, il pourra aimer son prochain selon la nature, non pas cependant par la vertu de charitй, dont l’espиce est dissoute par la disparition de son objet principal.

Solutions :

[66636] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod desiderium ibi ponitur non quidem proprie, secundum quod est rei futurae, sed secundum quod excludit fastidium; per modum quo Eccli. XXIV, v. 29, dicitur : qui edunt me, adhuc esurient.

1. Il est ici question de dйsir non pas au sens propre, selon qu’il porte sur une chose а venir, mais selon qu’il йcarte le dйgoыt, а la maniиre dont parle Si 24, 29 : Ceux me mangent auront encore faim.

[66637] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor est respectu mali. Sub malo autem comprehendi potest omnis defectus. Est autem triplex hominis defectus. Unus quidem poenae; et hunc quidem principaliter respicit timor servilis. Alius autem est defectus culpae; et hunc defectum respicit timor filialis vel castus, secundum quod est in statu viae, in quo peccare possumus. Neutro autem modo erit timor in patria, sublata potestate culpae et poenae; secundum illud Prov., I, 33 : abundantia perfruetur, malorum timore sublato. Est autem tertius defectus naturalis, secundum quod quaelibet creatura in infinitum distat a Deo; qui defectus nunquam tolletur; et hunc defectum respicit timor reverentialis qui erit in patria : qui reverentiam exhibebit suo creatori ex consideratione maiestatis eius, in propriam desiliens parvitatem. Sed obiectum spei, quod est beatitudinem esse futuram, tolletur, ea superveniente, et ideo spes non remanebit.

2. La crainte porte sur le mal, Or, sous le mal, on peut inclure toute carence. Or, il y a un triple carence chez l’homme. L’une, celle de la peine : c’est sur celle-ci que porte principalement la crainte servile. La deuxiиme est la carence de la faute : c’est sur cette carence que porte la crainte filiale ou pure, selon qu’elle existe dans l’йtat de cheminement, oщ nous pouvons pйcher. La crainte n’existera d’aucune de ces deux faзons dans la patrie, puisque la capacitй de pйcher ou celle de subir une peine seront йcartйes, selon ce que dit Pr 1, 33 : On jouira de l’abondance, alors que la crainte du mal sera йcartйe. Mais il existe une troisiиme carence naturelle, selon laquelle toute crйature diffиre infiniment de Dieu, carence qui ne sera jamais enlevйe. C’est sur cette carence que porte la crainte rйvйrentielle qui existera dans la patrie : elle manifestera de la rйvйrence а son crйateur en raison de sa majestй, en reconnaissant sa propre petitesse. Mais l’objet de l’espйrance, qui consiste en ce que la bйatitude soit а venir, sera йcartй lorsque celle-ci surviendra. C’est pourquoi l’espйrance ne demeurera pas.

[66638] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuatio beatitudinis non habet rationem futuri : quia in quantum aliquis homo fit beatus, aeternitatem participat, in qua non est praeteritum et futurum; unde in beatitudine illa dicitur vita aeterna. Dato etiam quod haberet rationem futuri, non habet rationem ardui respectu eius qui iam beatitudinem obtinet. Ex hoc enim ipso accepit non solum facultatem, sed etiam necessitatem quamdam nunquam peccandi, sed semper permanendi. Et ideo totaliter tollitur ratio spei.

3. La continuation de la bйatitude n’a pas raison d’а venir, car, pour autant qu’un homme devient bienheureux, il participe а l’йternitй, dans laquelle il n’y a ni passй ni futur. Aussi dit-on que cette bйatitude sera la vie йternelle. Mais en supposant qu’elle aurait raison d’а venir, elle n’a pas raison de difficile du point de vue de celui qui possиde dйjа la bйatitude. En effet, par le fait mкme, il n’a pas reзu seulement la capacitй, mais aussi une certaine nйcessitй de ne jamais pйcher, mais de toujours persйvйrer. C’est pourquoi la raison d’espйrance est totalement йcartйe.

[66639] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de eo quod cadit sub spe, non principaliter, sed secundario.

4. Cet argument vient de ce qui relиve de l’espйrance non pas principalement, mais de maniиre secondaire.

[66640] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamdiu remanet principale obiectum spei, eadem virtute spei sperat aliquis bona sibi et aliis; sed remoto principali obiecto, potest quidem aliis sperare aliquo modo, sed non secundum virtutem spei.

5. Aussi longtemps que demeure l’objet principal de l’espйrance, c’est par la mкme vertu d’espйrance que quelqu’un espиre des biens pour lui-mкme et pour d’autres. Mais, une fois йcйartй l’objet principal, il peut espйrer pour les autres d’une certaine maniиre, mais non selon la vertu d’espйrance.

[66641] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod eo modo convenit sanctis orare sicut et sperare; non quidem per virtutem spei, quae ponitur theologica virtus.

6. Il convient aux sasints de prier comme il leur convient d’espйrer, mais non en raison de la vertu d’espйrance, dont on affirme qu’elle est une vertu thйologale.

[66642] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si accipiatur primum principium movens ad terminum, verum est idem esse principium motus ad terminum, et quietis in termino. Sed si accipiatur aliquid secundarium et instrumentale; quaedam sunt principia motus, quae cessant, cum perventum fuerit ad terminum, sicut navis cessat, et impulsio venti, cum perventum fuerit ad portum. Et hoc modo caritas, quae est primum movens, manet in termino beatitudinis, non autem spes, quae est secundarium principium appropriatum motui.

7. Si l’on prend le premier principe qui meut vers le terme, il est vrai que le principe du mouvement vers le terme et du repos dans le terme est le mкme. Mais si l’on prend un principe secondaire et instrumental, certains sont principes du mouvement, qui cessent lorsque qu’on sera parvenu au terme, comme le navire s’arrкte et la poussйe du vent, lorsqu’on est parvenu au port. De cette maniиre, la charitй, qui est un moteur premier, demeure dans la bйatitude, mais non pas l’espйrance, qui est un principe secondaire rattachй au mouvement.

[66643] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod auctoritates illae loquuntur de iustitia et rectitudine vitae, secundum statum praesentis vitae, quo moventur ad rectitudinem.

8. Ces autoritйs parlent de la justice et de la rectitude de la vie selon l’йtat de la vie prйsente, par quoi ils sont mus а la rectitude.

[66644] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod certitudo quae est in beatis de perpetua stabilitate, non est per aliquid quod expectetur futurum, sed per id quod iam acceperunt; unde non pertinet ad rationem spei.

9. La certitude qui existe chez les bienheureux а propos de leur stabilitй perpйtuelle ne vient pas de quelque chose qui est attendu dans l’avenir, mais du fait qu’ils l’ont dйjа reзu. Elle ne relиve donc pas de la raison de l’espйrance.

[66645] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod, sicut philosophus dicit in III Physic., in motibus accipiuntur magis et minus loco contrariorum, ut magis et minus album loco albi et nigri; et similiter magis et minus bonum loco boni et mali. Sic igitur beatitudo superveniens evacuat spem, non sicut bonum malum, sed minus bonum; sicut iuventus pueritiam.

10. Comme le Philosophe le dit dans Physique, III, dans les mouvements, on prend le plus et le moins а la place des contraires, comme le plus ou moins blanc а la place du blanc et du noir. De mкme en est-il pour le plus ou moins bon а la place de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. De mкme, lorsqu’elle survient, la bйatitude йvacue l’espйrance, non pas comme un bien mauvais, mais comme quelque chose de moins bon, comme la jeunesse йvacue l’enfance.

[66646] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod obiectum alicuius virtutis potest deesse dupliciter. Uno modo, cum possibilitate habendi; et sic etiam obiecto non habito potest esse actus virtutis et virtus, sub hac conditione, si facultas adesset. Alio modo, cum impossibilitate habendi : et sic nec habitus nec actus manet : frustra enim remaneret. Et hoc modo tollitur obiectum spei in patria; quia nunquam de cetero erit possibile beatitudinem esse futuram.

11. L’objet d’une vertu peut faire dйfaut de deux maniиres. D’une maniиre, lorsque demeure la possibilitй de le possйder : et ainsi, alors que l’objet n’est pas possйdй, il peut y avoir un acte de vertu et une vertu, а la condition que la possibilitй existe. D’une autre maniиre, lorsqu’il y a impossibilitй de le possйder : et ainsi, ni l’habitus ni l’acte ne demeurent, car ils demeureraient en vain. Et de cette maniиre, l’objet de l’espйrance est йcartй dans la patrie, car il ne sera plus jamais possible que la bйatitude soit а venir.

[66647] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod fortitudo illa quae erit in sanctis, non erit consequens ex principio praeexistenti, id est ex perfecta inhaesione ad omnipotentem Deum; non autem erit ordinata ut ad finem, sed magis finem consequens, ut dictum est. Et ideo non est similis ratio de spe, quae non datur nisi propter motum in finem.

12. Cette force qui existera chez les saints ne dйcoulera pas d’un principe prйexistant, а savoir, de la parfaite adhйsion au Dieu tout-puissant : elle ne sera pas ordonnйe а la fin, mais plutфt а ce qui dйcoule de la fin, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’en va pas de mкme pour l’espйrance, qui n’est donnйe qu’en vue du mouvement vers la fin.

[66648] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod maiestas Dei non est minor quam eius bonitas. Sed caritas alio modo, se habet ad bonitatem quam spes ad maiestatem; quia caritas de sui ratione importat unionem, et ideo perficitur in patria. Spes autem importat distantiam, quae repugnat statui patriae.

13. La majestй de Dieu n’est pas moindre que sa bontй. Mais le rapport de la charitй а sa bontй est diffйrent de celui de l’espйrance а sa majestй, car la charitй comporte par elle-mкme l’union; aussi s’accomplit-elle dans la patrie. Mais l’espйrance comporte une distance, qui s’oppose а l’йtat de la patrie.

[66649] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod fides et spes habent rationem fundamenti vel parietis ex parte eius quod est perfectionis in eis : scilicet ex eo quod fides inhaeret primae veritati, spes autem summae maiestati; non autem ex hoc quod est imperfectionis in utraque : in quantum, scilicet, fides est non apparentium, et spes non habitorum. Et ideo in statu perfectae beatitudinis, quando caritas, quae nihil de sui ratione imperfectionis importat, perficietur, fidei succedet perfectius fundamentum, scilicet visio aperta; et spei perfectior paries, scilicet comprehensio plena, secundum illud 1 Cor. IX, 24 : sic currite ut comprehendatis.

14. La foi et l’espйrance ont raison de fondement ou de mur du point de vue de ce qui relиve en elles de la perfection, а savoir, du fait que la foi adhиre а la vйritй premiиre, et l’espйrance а la majestй suprкme; mais non en raison de ce qu’il y d’imperfection dans les deux, pour autant que la foi porte sur des choses qui ne sont pas йvidentes et l’espйrance sur des choses qui ne sont pas possйdйes. C’est pourquoi, dans l’йtat de bйatitude parfaite, alors que la charitй, qui ne comporte rien d’imparfait selon sa raison propre, sera perfectionnйe, succйdera а la foi un fondement plus parfait, а savoir, la claire vision, et а l’espйrance un mur plus parfait, а savoir, la pleine saisie, selon ce que dit 1 Co 9, 24 : Courez afin de saisir!

[66650] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod gloria corporis derivatur in sanctis a gloria animae; et ideo habentibus gloriam animae, quae est potior, gloria corporis non habet rationem ardui.

15. La gloire du corps dйcoule chez les saints de la gloire de l’вme. C’est pourquoi, pour ceux qui possиdent la gloire de l’вme, qui est plus puissante, la gloire du corps n’est pas difficile.

[66651] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Christus speravit secundum communem rationem spei, non autem habuit spem quae est virtus theologica, quia beatitudo non erat ei futura, sed praesens.

16. Le Christ a espйrй selon la raison commune d’espйrance, mais il n’a pas possdй l’espйrance qui est une vertu thйologale, car la bйatitude n’йtait pas pour lui а venir, mais prйsente.

 

Question 5 : [Les vertus cardinales]

© Traduction Anne Michel, Nancy, mйmoire de maоtrise, 2003[79]

Sous la direction du professeur Mйnard

Prologue

Quaestio 5

Prooemium

[66652] De virtutibus, q. 5 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum prudentia, iustitia, fortitudo et temperantia sint virtutes cardinales.

[66653] De virtutibus, q. 5 pr. 2 Secundo utrum virtutes sint connexae, ut qui habet unam habeat omnes.

[66654] De virtutibus, q. 5 pr. 3 Tertio utrum omnes virtutes in homine sint aequales.

[66655] De virtutibus, q. 5 pr. 4 Quarto utrum virtutes cardinales maneant in patria.

Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?

Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les possйderait toutes ?

Article 3 – Toutes les vertus sont-elles йgales dans l’homme ?

Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ?

 

Articulus 1 – [66656] De virtutibus, q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum istae sint quatuor virtutes cardinales, scilicet iustitia, prudentia, fortitudo et temperantia

Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?

Objections :

Et videtur quod non.

[66658] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 1 Ea enim quae non distinguuntur ad invicem, non debent ad invicem connumerari; quia distinctio est causa numeri, ut dicit Damascenus. Sed praedictae virtutes non distinguuntur ad invicem; dicit enim Gregorius in XXII Moral. : prudentia vera non est, quae iusta et temperans et fortis non est; nec perfecta temperantia, quae fortis, iusta et prudens non est; neque fortitudo integra, quae prudens, temperans et iusta non est; nec vera iustitia, quae prudens, fortis et temperans non est. Ergo non debent dici hae quatuor virtutes cardinales.

Il semble que non.

1. Les choses qui ne sont pas mutuellement distinctes ne doivent pas кtre comptйes sйparйment l’une de l’autre, parce que la distinction est cause du nombre, comme le dit [saint Jean] Damascиne. Or, les vertus mentionnйes ne se distinguent pas l’une de l’autre. En effet, Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job : « La prudence n’est pas vraie si elle n’est pas juste, tempйrante et forte ; ni la tempйrance parfaite si elle n’est pas forte, juste et prudente ; ni la force complиte si elle n’est pas prudente, tempйrante et juste ; ni la justice vraie si elle n’est pas prudente, forte et tempйrante. » Ces quatre vertus ne doivent donc pas кtre appelйes cardinales.

[66659] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes videntur dici cardinales, ex eo quod sunt aliis principaliores; unde quas quidam cardinales, aliquando principales vocant, ut patet per Gregorium, XXII Moralium. Sed cum finis principalior sit his quae sunt ad finem; principaliores esse videntur virtutes theologicae, quae habent ultimum finem pro obiecto, quam praedictae virtutes, quae sunt circa ea quae sunt ad finem. Ergo non debent dici praedictae quatuor virtutes cardinales.

2. Les vertus semblent кtre appelйes cardinales parce qu’elles l’emportent sur les autres. C’est pourquoi certains les appellent cardinales, parfois principales, comme l’йcrit Grйgoire au livre XXII des Morales sur Job. Mais comme la fin l’emporte sur ce qui tend vers la fin, les vertus thйologales, qui ont pour objet la fin ultime, semblent l’emporter sur les vertus mentionnйes, qui concernent ce qui tend vers la fin. Les quatre vertus mentionnйes ne doivent donc pas кtre appelйes cardinales.

[66660] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt diversorum generum, non debent poni in una coordinatione. Sed prudentia est in genere virtutum intellectualium, ut patet in VI Ethic. : aliae vero tres sunt virtutes morales. Ergo inconvenienter ponuntur praedictae quatuor virtutes cardinales.

3. Les choses qui appartiennent а des genres divers ne doivent pas кtre mises en coordination. Mais la prudence appartient au genre des vertus intellectuelles, comme il est dit au livre VI de l’Йthique; quant aux trois autres, ce sont des vertus morales. Il ne convient donc pas de faire des quatre vertus mentionnйes des [vertus] cardinales.

[66661] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, inter intellectuales virtutes sapientia est principalior quam prudentia, ut philosophus probat in VI Ethic.; quia sapientia est de divinis, prudentia autem est de humanis. Si igitur debuit aliqua virtus intellectualis poni inter virtutes cardinales, potius debuit poni sapientia quasi principalior.

4. Parmi les vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte sur la prudence, comme le dйmontre le Philosophe au livre VI de l’Йthique, parce que la sagesse porte sur les choses divines, alors que la prudence porte sur les choses humaines. Si donc l’on avait dы placer une vertu intellectuelle parmi les vertus cardinales, c’est la sagesse que l’on aurait dы plutфt placer, vu qu’elle est supйrieure.

[66662] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad virtutes cardinales aliae debent reduci. Sed philosophus in II Ethic. condividit quasdam alias virtutes fortitudini et temperantiae; scilicet liberalitatem et magnanimitatem et huiusmodi, quae sic non reducuntur. Non ergo praedictae virtutes sunt cardinales.

5. Les autres [vertus] doivent кtre ramenйes aux vertus cardinales. Or, le Philosophe, au livre II de l’Йthique, a distinguй d’autres vertus que celles de force et de tempйrance : la libйralitй et la magnanimitй, et celles de ce genre, qui ne sont pas ainsi ramenйes [aux vertus cardinales]. Les vertus mentionnйes ne sont donc pas cardinales.

[66663] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod non est virtus, non debet poni inter virtutes cardinales. Sed temperantia non videtur esse virtus. Non enim habetur aliis virtutibus habitis; ut patet in Paulo, qui habebat omnes alias virtutes, et tamen temperantiam non habebat : inerat enim adhuc in membris eius concupiscentia, secundum illud Rom., VII, 23 : video aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae. Temperatus autem differt in hoc a continente, quod temperatus non habet concupiscentias pravas; continens autem habet, sed non sequitur eas; ut patet per philosophum in VII Ethic. Ergo inconvenienter enumerantur praedictae quatuor cardinales virtutes.

6. On ne doit pas mettre au nombre des vertus cardinales ce qui n’est pas vertu. Or, la tempйrance ne semble pas кtre une vertu. En effet, on ne la possиde pas alors que les autres vertus sont possйdйes, comme l’йcrit Paul, qui possйdait toutes les autres vertus, sans possйder cependant la tempйrance. Car la concupiscence continuait d’exister dans ses membres, d’aprиs cette phrase : Je vois une autre loi dans mon corps, luttant contre la loi de mon esprit, Rm 7, 23. Or, l’homme tempйrй diffиre de l’homme continent, en ceci que l’homme tempйrй n’a pas de concupiscences mauvaises, alors que l’homme continent en a mais ne les suit pas, comme l’йcrit le Philosophe, au livre VII de l’Йthique. C’est donc incorrectement que l’on йnumиre les vertus mentionnйes comme quatre vertus cardinales.

[66664] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut per virtutem homo ordinatur ad seipsum, ita et ad proximum. Sed duae virtutes ponuntur, quibus homo ordinatur ad seipsum; scilicet fortitudo et temperantia. Ergo etiam duae virtutes debent poni quibus aliquis ordinatur ad proximum; et non solum iustitia.

7. De mкme que l’homme est ordonnй а lui-mкme par la vertu, de mкme il l’est aussi au prochain. Mais l’on йtablit deux vertus par lesquelles l’homme est ordonnй а lui-mкme : la force et la tempйrance. On doit donc aussi йtablir deux vertus par lesquelles il est ordonnй au prochain, et pas seulement la justice.

[66665] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus Eccles., quod virtus est ordo amoris. Sed amor gratiae comprehenditur sub duobus praeceptis; scilicet dilectionis Dei et proximi. Ergo non debent esse nisi duae virtutes cardinales.

8. Augustin dit, dans Le livre sur le comportement de l’Йglise, que la vertu est l’ordre de l’amour. Mais l’amour est embrassй par la grвce sous deux prйceptes : l’amour de Dieu et du prochain. Il ne doit donc y avoir que deux vertus cardinales.

[66666] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 9 Praeterea, diversitas materiae quae est secundum extensionem, facit solum diversitatem secundum numerum; diversitas autem materiae quae est secundum diversas acceptiones formae, facit differentiam secundum genus : propter quod corruptibile et incorruptibile differunt genere, ut dicitur X Metaph. Sed praedictae virtutes differunt secundum diversitatem materiae habentis rationem diversam recipiendi formam. Nam modus rationis circa materiam temperantiae ponitur secundum refrenationem passionum; circa materiam autem fortitudinis secundum quemdam conatum ad id a quo passio retrahit. Ergo praedictae virtutes differunt genere; non ergo debent coniungi in una ordinatione virtutum cardinalium.

9. La diversitй de matiиre qui se prend de l’extension donne seulement la diversitй par le nombre. Or, la diversitй de matiиre, qui est se trouve dans les diverses rйceptions de forme, donne la diffйrence par le genre, du fait que le corruptible et l’incorruptible diffиrent par le genre, comme il est dit au livre X de la Mйtaphysique. Or, les vertus mentionnйes diffиrent par la diversitй de matiиre, qui possиde une maniиre diffйrente de recevoir la forme. En effet, le mode de la raison concernant la matiиre de la tempйrance est йtabli par la rйpression des passions, mais celui qui concerne la matiиre de la force, par un certain effort vers ce dont la passion йloigne. Les vertus mentionnйes diffиrent donc par le genre ; on ne doit donc pas les rйunir dans un seul ordre de vertus cardinales.

[66667] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 10 Praeterea, ratio virtutis moralis sumitur secundum quod attingit rationem, ut patet per philosophum in II Ethicor., qui definit virtutem per hoc, quod est secundum rationem rectam. Sed ratio recta est regula regulata a prima regula quae est Deus; a qua etiam virtutem regulandi habet. Ergo virtutes morales praecipue habent rationem virtutis ex eo quod attingunt primam regulam, scilicet Deum. Sed virtutes theologicae, quae sunt circa Deum, non dicuntur cardinales. Ergo neque virtutes morales debent dici cardinales.

10. La dйfinition de la vertu morale est fondйe sur le fait qu’elle concerne la raison, comme l’йcrit le Philosophe au livre II de l’Йthique, qui dйfinit la vertu par « ce qui est selon la droite raison ». Or, la droite raison est une rиgle rйglйe par une rиgle premiиre : Dieu, par laquelle elle possиde aussi la vertu de rйgler. Les vertus morales possиdent donc surtout ce qui fait la vertu parce qu’elles atteignent la rиgle premiиre : Dieu. Or, les vertus thйologales, qui portent sur Dieu, ne sont pas appelйes cardinales. Les vertus morales ne doivent donc pas non plus кtre appelйes cardinales.

[66668] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 11 Praeterea, principalis pars animae est ratio. Sed temperantia et fortitudo non sunt in ratione, sed sunt irrationabilium partium, ut philosophus dicit in III Ethic. Ergo non debent poni virtutes cardinales.

11. La partie principale de l’вme est la raison. Or, la tempйrance et la force ne sont pas dans la raison mais appartiennent aux parties irrationnelles, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique. On ne doit donc pas les йtablir comme vertus cardinales.

 

[66669] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 12 Praeterea, laudabilius est dare de suo quam reddere vel non auferre alienum. Sed primum pertinet ad liberalitatem, secundum ad iustitiam. Ergo liberalitas magis debet poni virtus cardinalis quam iustitia.

12. Il est plus louable de donner de son propre bien que de rendre ou de ne pas prendre celui d’autrui. Or, le premier cas relиve de la libйralitй, le second, de la justice. On doit donc йtablir comme vertu cardinale la libйralitй plutфt que la justice.

 

[66670] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 13 Praeterea, illud maxime videtur esse virtus cardinalis quod est firmamentum aliorum. Sed huiusmodi est humilitas; dicit enim Gregorius, quod qui ceteras virtutes sine humilitate congregat, quasi pulveres in ventum portat. Ergo humilitas debuit poni inter virtutes cardinales.

13. Il semble surtout qu’une vertu cardinale est le point d’appui des autres. Or, l’humilitй est de ce genre. Grйgoire dit en effet que « celui qui regroupe toutes les autres vertus sans l’humilitй, c’est comme s’il transportait de la poussiиre dans le vent». On aurait donc dы йtablir l’humilitй parmi les vertus cardinales.

[66671] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus est perfectio quaedam, ut patet per philosophum in VI Phys. Sed, sicut dicitur Iac., I, 4, patientia perfectum opus habet. Ergo patientia tamquam perfectio, poni debuit inter virtutes cardinales.

14. La vertu est une certaine perfection, comme l’йcrit le Philosophe au livre VI de la Physique. Mais, comme il est dit dans Jc 1, 4 : « La patience s’accompagne d’une њuvre parfaite. » On aurait donc dы йtablir la patience, plus parfaite, parmi les vertus cardinales.

[66672] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod magnanimitas operatur magnum in virtutibus, et est velut ornamentum aliis virtutibus. Sed hoc maxime videtur pertinere ad principalitatem virtutis. Ergo magnanimitas videtur esse virtus cardinalis. Inconvenienter igitur annumerantur praedictae quatuor virtutes cardinales.

15. Le Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que la magnanimitй rйalise ce qui est grand dans les vertus et est comme une parure pour les autres vertus. Or, ceci semble surtout relever de la primautй d’une vertu. Il semble donc que la magnanimitй soit une vertu cardinale. Les quatre vertus mentioncardinales mentionnйes ne sont donc pas convenablement йnumйrйes.

Cependant :

[66673] De virtutibus, q. 5 a. 1 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius dicit super illud Lucae, cap. VI : beati pauperes spiritu : scimus virtutes esse quatuor cardinales : temperantiam, iustitiam, prudentiam, fortitudinem.

Ambroise dit, а propos de Lc 6 : Heureux les pauvres en esprit : « Nous savons bien qu’il y a quatre vertus cardinales : la tempйrance, la justice, la prudence, la force. »

Rйponse :

[66674] De virtutibus, q. 5 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod cardinalis a cardine dicitur, in quo ostium vertitur, secundum illud Proverb., XXVI, 14 : sicut ostium vertitur in cardine suo, ita piger in lectulo suo. Unde virtutes cardinales dicuntur in quibus fundatur vita humana, per quam in ostium introitur; vita autem humana est quae est homini proportionata. In hoc homine autem invenitur primo quidem natura sensitiva, in qua convenit cum brutis; ratio practica, quae est homini propria secundum suum gradum; et intellectus speculativus, qui non perfecte in homine invenitur sicut invenitur in Angelis, sed secundum quamdam participationem animae. Ideo vita contemplativa non est proprie humana, sed superhumana; vita autem voluptuosa, quae inhaeret sensibilibus bonis, non est humana, sed bestialis. Vita ergo proprie humana est vita activa, quae consistit in exercitio virtutum moralium : et ideo proprie virtutes cardinales dicuntur in quibus quodammodo vertitur et fundatur vita moralis, sicut in quibusdam principiis talis vitae; propter quod et huiusmodi virtutes principales dicuntur. Considerandum est autem, quod de ratione actus virtuosi quatuor existunt. Quorum unum est, ut substantia ipsius actus sit in se modificata; et ex hoc actus dicitur bonus, quasi circa debitam materiam existens, vel debitis circumstantiis vestitus. Secundum autem est, ut actus sit debito modo se habens ad subiectum, ex quo firmiter subiecto inhaereat. Tertium autem est, ut actus sit debito modo proportionatus ad aliquid extrinsecum sicut ad finem. Et haec quidem tria sunt ex parte eius quod per rationem dirigitur. Quartum autem ex parte ipsius rationis dirigentis, scilicet cognitio. Et haec quatuor philosophus tangit in II Ethic., ubi dicit, quod non sufficit ad virtutem quod aliqua sint iuste vel temperate comparata, quod pertinet ad modificationem actus. Sed alia tria requiruntur ex parte operantis. Primum quidem, ut sit sciens; quod pertinet ad cognitionem dirigentem. Deinde, quod sit eligens et reeligens propter hoc, id est propter debitum finem; quod pertinet ad rectitudinem actus in ordine ad aliquid extrinsecum. Tertium est, si firme et immobiliter adhaereat et operetur. Haec igitur quatuor scilicet cognitio dirigens, rectitudo, firmitas et moderatio, etsi in omnibus virtuosis actibus requirantur; singula tamen horum principalitatem quamdam habent in specialibus quibusdam materiis et actibus. Ex parte cognitionis practicae tria requiruntur. Quorum primum est consilium : secundum est iudicium de consiliatis; sicut etiam in ratione speculativa invenitur inventio vel inquisitio, et iudicium. Sed quia intellectus practicus praecipit fugere vel prosequi, quod non facit speculativus intellectus, ut dicitur in III de anima; ideo tertio ad rationem practicam pertinet praemeditari de agendis; et hoc est praecipuum ad quod alia duo ordinantur. Circa primum autem perficitur homo per virtutem eubuliae, quae est bene consiliativa. Circa secundum autem perficitur homo per synesim et gnomen, quibus homo fit bene iudicativus, ut dicitur in VI Ethic. Sed per prudentiam fit ratio bene praeceptiva, ut ibidem dicitur. Unde manifestum est quod ad prudentiam pertinet id quod est praecipuum in cognitione dirigente; et ideo ex hac parte ponitur prudentia virtus cardinalis. Similiter rectitudo actus per comparationem ad aliquid extrinsecum, habet quidem rationem boni et laudabilis etiam in his quae pertinent ad unum secundum seipsum, sed maxime laudatur in his quae sunt ad alterum; quando scilicet homo actum suum rectificat non solum in his quae ad ipsum pertinent, sed etiam in his in quibus cum aliis communicat. Dicit enim philosophus in V Ethic., quod multi in propriis quidem virtute uti possunt, in his autem quae sunt ad alterum, non possunt. Et ideo iustitia ex hac parte ponitur virtus principalis, per quam homo debito modo coaptatur et adaequatur aliis, cum quibus communicare habet; unde et vulgariter dicuntur iusta illa quae sunt debito modo coaptata. Moderatio autem, sive refrenatio, ibi praecipue laudem habet et rationem boni, ubi praecipue passio impellit, quam ratio refrenare debet, ut ad medium virtutis perveniatur. Impellit autem passio maxima ad prosequendas delectationes maximas, quae sunt delectationes tactus; et ideo ex hac parte ponitur cardinalis virtus temperantia, quae reprimit concupiscentias delectabilium secundum tactum. Firmitas autem praecipue laudem habet et rationem boni in illis in quibus passio maxime movet ad fugam : et hoc praecipue est in maximis periculis, quae sunt pericula mortis; et ideo ex hac parte fortitudo ponitur virtus cardinalis, per quam homo circa mortis pericula intrepide se habet. Harum autem quatuor virtutum prudentia quidem est in ratione, iustitia autem est in voluntate, fortitudo autem in irascibili, temperantia autem in concupiscibili; quae solae potentiae possunt esse principia actus humani, id est voluntarii. Unde patet ratio virtutum cardinalium, tum ex parte modorum virtutis, quae sunt quasi rationes formales, tum etiam ex parte materiae, tum etiam ex parte subiecti.

« Cardinal » tire son origine du gond sur lequel une porte tourne, selon cette phrase de Pr 26, 14 : La porte tourne sur ses gonds, tout comme le paresseux sur son lit. Ainsi, on appelle cardinales les vertus sur lesquelles est fondйe la vie humaine, qui fait entrer par la porte. Or, la vie humaine est celle qui est proportionnйe а l’homme. Dans cet homme, on trouve d’abord une nature sensitive, qu’il a en commun avec les animaux sans raison, la raison pratique, qui est propre а l’homme selon son degrй, et une intelligence spйculative, que l’on ne trouve pas parfaitement en l’homme comme on la trouve chez les anges, mais selon une certaine participation de l’вme. C’est pourquoi la vie contemplative n’est pas proprement humaine, mais surhumaine; et une vie de voluptй, qui est attachйe aux biens sensibles, n’est pas humaine mais bestiale. La vie proprement humaine est donc une vie active qui repose sur l’exercice des vertus morales. C’est pourquoi l’on appelle proprement cardinales les vertus sur lesquelles tourne en quelque sorte et est fondйe la vie morale, en tant que principes d’une telle vie, raison pour laquelle l’on appelle aussi principales des vertus de ce genre. Or, il faut considйrer nйanmoins que quatre йlйments font partie de ce qui rend un acte vertueux. Le premier d’entre eux est que la substance de l’acte lui-mкme soit rйglйe en elle-mкme; c’est la raison pour laquelle l’acte est dit bon, en tant qu’il porte sur la matiиre appropriйe ou est revкtu des circonstances appropriйes. Le deuxiиme : que l’acte soit en rapport avec le sujet de faзon appropriйe ; il est ainsi fermement enracinй dans le sujet. Le troisiиme : que l’acte soit proportionnй de faзon appropriйe а quelque chose d’extйrieur comme а sa fin. Ces trois йlйments relиvent de ce qui est dirigй par la raison. Et le quatriиme relиve de la raison qui dirige elle-mкme : la connaissance. Le Philosophe aborde ces quatre йlйments au livre II de l’Йthique, oщ il dit qu’il ne suffit pas pour la vertu que certains actes soient rйglйs avec justice ou tempйrance, ce qui relиve de la disposition rйglйe de l’acte. Mais trois autres йlйments sont requis du cфtй de l’agent. D’abord, qu’il connaisse, ce qui se rapporte а la connaissance qui dirige. Ensuite, qu’il choisisse et choisisse de nouveau, а savoir, en raison de la fin qui convient; ce qui relиve de la rectitude de l’acte ordonnй vers quelque chose d’extйrieur. Troisiиmement, que l’agent soit fixй et agisse avec fermetй et de maniиre immuable. Mкme s’ils sont exigйs de tous les actes vertueux, chacun de ces quatre йlйments : la connaissance qui dirige, la rectitude, la fermetй et la modйration, a la primautй dans certains actes et matiиres particuliers. Pour ce qui est de la connaissance pratique, trois choses sont requises. La premiиre est le conseil ; la deuxiиme est le jugement sur les choses conseillйes, de mкme que, dans la raison spйculative, on trouve la dйcouverte ou la recherche, et le jugement. Mais parce que l’intelligence pratique prescrit de fuir ou de poursuivre, ce que ne fait pas l’intelligence spйculative, comme il est dit au livre III du traitй De l’Вme, un troisiиme йlйment relиve de la raison pratique : rйflйchir а l’avance sur les actes а poser; et ceci est le principal, а quoi sont ordonnйs les deux autres. Pour le premier, l’homme est perfectionnй par l’eubulia, qui est bonne conseillиre; pour le deuxiиme, il est perfectionnй par la synesis et la gnфmи, qui permettent а l’homme de bien juger, comme il est dit au livre VI de l’Йthique. Mais, par la prudence, la raison commande bien, comme il est dit au mкme endroit. Dиs lors, il est clair que c’est de la prudence que relиve ce qui est le principal dans la connaissance qui dirige. C’est pourquoi la prudence est йtablie comme vertu cardinale. De mкme, la rectitude de l’acte par comparaison avec quelque chose d’extйrieur possиde assurйment le caractиre de bien et de louable, mкme dans ce qui relиve de la personne elle-mкme, mais elle est surtout louйe pour ce qui se rapporte а autrui, а savoir, quand l’homme rend droit son acte, non seulement а son йgard, mais aussi dans ce qu’il partage avec d’autres. Le Philosophe dit en effet, au livre V de l’Йthique, que beaucoup peuvent faire usage de la vertu dans ce qui leur est propre, mais ne le peuvent pas dans celles qui concernent autrui. C’est pourquoi la justice est йtablie comme vertu principale, par laquelle l’homme est ajustй et rendu йgal aux autres, avec lesquels il doit partager. Ainsi, l’on appelle communйment juste ce qui est agencй de maniиre appropriйe. Or, la modйration ou la retenue appellent la louange et ont le caractиre de bien, surtout lа oщ la passion entraоne, que la raison doit rйfrйner pour qu’on parvienne au milieu de la vertu. Or, la plus grande passion pousse а poursuivre les plus grands plaisirs : les plaisirs du toucher. C’est pourquoi la tempйrance est йtablie comme vertu cardinale, qui rйprime les concupiscences dйlectables au toucher. Mais la fermetй appelle la louange et a le caractиre de bien, lа oщ la passion pousse surtout а fuir; et cela arrive principalement dans les plus grands dangers : les dangers de mort. C’est pourquoi la force est йtablie comme vertu cardinale, par laquelle l’homme est intrйpide face aux dangers de mort. Parmi ces quatre vertus, la prudence se trouve assurйment dans la raison, la justice dans la volontй, la force dans l’irascible, la tempйrance dans le concupiscible, les seules puissances qui peuvent кtre principes d’un acte humain, c’est-а-dire volontaire. Ainsi ressort clairement le caractиre des vertus cardinales, tant du cфtй des modes de la vertu, qui sont pour ainsi dire des raisons formelles, que du cфtй de la matiиre, et aussi du cфtй du sujet.

Solutions :

[66675] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de praedictis quatuor virtutibus cardinalibus aliqui dupliciter loquuntur. Quidam enim utuntur praedictis quatuor nominibus ad significandum generales modos virtutum : puta omnem cognitionem dirigentem vocantes prudentiam; omnem rectitudinem adaequantem actus humanos vocantes iustitiam; omnem moderationem refrenantem appetitum hominis a temporalibus bonis vocantes temperantiam; omnem firmitatem animi stabilientem hominem in bono contra insultum quorumcumque malorum, fortitudinem appellantes. Et ita videtur uti his nominibus Augustinus in Lib. de moribus Eccles.; et secundum hoc potest intelligi praedictum verbum Gregorii : quia una harum conditionum ad veram virtutis rationem non sufficit nisi omnes praedictae conditiones concurrant. Secundum hoc ergo praedicta quatuor dicuntur quatuor virtutes non propter diversas species habituum quae attenduntur secundum diversa obiecta, sed secundum diversas rationes formales. Alii vero, sicut Aristoteles in Lib. Ethic., loquuntur de praedictis quatuor virtutibus secundum quod sunt speciales virtutes determinatae ad proprias materias; et secundum hoc etiam potest verificari dictum Gregorii : per modum enim cuiusdam redundantiae, praedictae virtutes sunt circa illas materias in quibus potissime commendantur praedictae generales quatuor virtutis conditiones. Unde secundum hoc fortitudo temperans est, et temperantia fortis, quia qui potest refrenare appetitum suum ne consequatur concupiscentias delectationum, quod pertinet ad temperantiam, multo magis poterit refrenare motum audaciae in periculis; et similiter qui potest stare firmus contra pericula mortis, multo magis potest stare firmus contra illecebras voluptatum. Et secundum hoc, id quod est principaliter temperantiae, transit ad fortitudinem, et e converso; et eadem ratio est in aliis.

1. Certains parlent de deux faзons des quatre vertus cardinales mentionnйes. Certains, en effet, utilisent ces quatre noms pour signifier des modes gйnйraux des vertus, par exemple, en appelant prudence toute connaissance qui dirige, en appelant justice toute rectitude qui ajuste les actes humains, en appelant tempйrance toute modйration qui rйfrиne l’appйtit de l’homme pour les biens temporels, en appelant force toute fermetй de l’вme qui maintient solidement l’homme dans le bien contre l’assaut de n’importe quel mal. Augustin semble utiliser ces noms de cette maniиre dans le Livre sur le comportement de l’Йglise. L’on peut comprendre ainsi la parole citйe de Grйgoire, qu’une de ces conditions ne suffit pas au vйritable caractиre de vertu, si toutes les conditions mentionnйes ne sont pas satisfaites. Dиs lors, les quatre dispositions citйes sont quatre vertus, non par les diverses espиces d’habitus en rapport avec des objets divers, mais selon diverses raisons formelles. Mais d’autres, comme Aristote dans l’Йthique, parlent des quatre vertus mentionnйes comme de vertus spйciales, dйterminйes selon leurs matiиres propres. Ainsi se vйrifie aussi ce qu’a dit Grйgoire : en effet, par mode d’une certaine redondance, les vertus mentionnйes portent sur les matiиres dans lesquelles sont louйes au plus haut point les quatre conditions gйnйrales de la vertu indiquйes. Dиs lors, la force est tempйrante et la tempйrance, forte, parce que celui qui peut rйfrйner son appйtit, afin de ne pas rechercher la concupiscence des plaisirs, tвche qui relиve de la tempйrance, pourra bien davantage rйfrйner le mouvement d’audace dans les dangers; et de mкme, celui qui peut demeurer ferme contre les dangers de mort peut bien davantage rester ferme contre les sйductions des plaisirs. Ainsi, ce qui relиve principalement de la tempйrance passe du cфtй de la force, et inversement. Et c’est la mкme chose pour les autres.

[66676] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in fine appetitus hominis quiescit; et ideo virtutum theologicarum, quae sunt circa finem ultimum, principalitas non comparatur cardini, qui movetur, sed magis fundamento et radici, quae sunt stantia et quiescentia, secundum illud ad Ephes., III, 17 : in caritate radicati et fundati.

2. L’appйtit humain trouve son repos dans la fin. Ainsi la supйrioritй des vertus thйologales, qui concernent la fin ultime, n’est pas comparйe au gond qui est mis en mouvement, mais plutфt а la fondation et а la racine, qui sont stables et en repos, selon ce que dit Ep 3, 17 : Enracinйs et fondйs dans l’amour.

 

[66677] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in VI Ethic., prudentia est recta ratio agibilium. Agibilia autem dicuntur moralia opera, ut ex his quae ibi dicuntur, apparet. Et ideo prudentia convenit cum moralibus virtutibus quantum ad sui materiam; et propter hoc connumeratur eis, licet quantum ad suam essentiam vel subiectum sit intellectualis.

3. Selon le Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison dans les actions а poser. Or, les actes moraux sont des actions а poser, comme le montrent celles dont on parle lа. Ainsi la prudence a quelque chose en commun avec les vertus morales du fait de sa propre matiиre; c’est pourquoi elle est comptйe parmi elles, bien qu’elle soit [une vertu] intellectuelle pour ce qui est de son essence ou son sujet.

[66678] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, ex hoc ipso quod non est circa humana, sed circa divina, non communicat cum virtutibus moralibus in materia : unde non connumeratur virtutibus moralibus, ut simul cum eis dicatur cardinalis virtus, quia ipsa ratio cardinis repugnat contemplationi, quia non est sicut ostium, quo intratur ad aliquid aliud; sed magis actio moralis est ostium, per quod ad contemplationem sapientiae intratur.

4. La sagesse, parce qu’elle ne concerne pas l’humain mais le divin, n’a rien en commun avec les vertus morales pour ce qui est de la matiиre. Ainsi, elle n’est pas comptйe parmi les vertus morales, de sorte qu’on ne l’appelle pas vertu cardinale, comme elles, parce que la notion mкme de cardinal est incompatible avec la contemplation, qui n’est pas comme une porte par laquelle on pйnиtre dans quelque chose d’autre; mais l’action morale est plutфt une entrйe par laquelle on pйnиtre dans la contemplation de la sagesse.

[66679] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si praedictae quatuor virtutes accipiantur secundum quod significant generales conditiones virtutum, secundum hoc omnes virtutes speciales, de quibus philosophus tractat in Lib. Ethic., reducuntur ad has quatuor virtutes sicut species ad genus. Si vero accipiantur secundum quod sunt speciales virtutes circa quasdam materias principales, sic aliae reducuntur ad eas sicut secundarium ad principale ut eutrapelia quae moderatur delectationem ludi, potest reduci ad temperantiam, quae moderatur delectationes tactus; unde et Tullius in II rhetoricae, ponit alias virtutes esse partes harum quatuor. Quod potest intelligi dupliciter : uno modo quod sint partes subiectivae secundum primum modum sumendi has virtutes; alio modo quod sint partes potentiales, si sumantur secundo modo virtutes praedictae; sic sensus est pars potentialis, quia non nominat totam virtutem animae, sed aliquid eius.

5. Si l’on considиre les quatre vertus mentionnйes selon qu’elles indiquent les conditions gйnйrales des vertus, toutes les vertus spйciales dont traite le Philosophe dans l’Йthique se ramиnent alors а ces quatre vertus, comme les espиces au genre. Mais si on les considиre selon qu’elles sont des vertus spйciales qui concernent certaines matiиres principales, alors les autres se ramиnent а celles-ci comme le secondaire au principal, comme l’eutrapelia, qui rиgle le plaisir du jeu, peut кtre ramenйe а la tempйrance, qui rиgle les plaisirs du toucher. Ainsi Cicйron, au livre II de La Rhйtorique, йtablit que les autres vertus sont des parties de ces quatre vertus. Ce que l’on peut comprendre de deux faзons : d’une permiиre faзon, elles sont des parties subjectives, selon la premiиre maniиre de considйrer ces vertus; d’une seconde faзon, elles sont des parties potentielles, si l’on considиre les vertus mentionnйes de la seconde maniиre. Ainsi le sens est une partie potentielle, parce qu’il ne dйsigne pas toute la puissance de l’вme, mais une partie de celle-ci.

[66680] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est de ratione temperantiae quod omnes pravas concupiscentias excludat, sed quod temperatus non patiatur aliquas tales concupiscentias vehementes et fortes, sicut patiuntur illi qui non studuerunt concupiscentias refrenare. Paulus igitur patiebatur concupiscentias inordinatas propter fomitis corruptionem : non tamen fortes neque vehementes, quia studebat eas reprimere castigando corpus suum, et in servitutem redigendo; unde vere temperatus erat.

6. Le fait d’exclure toutes les mauvaises concupiscences ne fait pas partie de la notion de tempйrance, mais le fait que l’homme tempйrй ne subissent pas de telles concupiscences fortes et violentes, comme en subissent ceux qui n’ont pas appris а rйfrйner leurs concupiscences. Paul subissait donc des concupiscences dйsordonnйes en raison de la corruption qui l’enflammait; elles n’йtaient cependant ni fortes ni violentes, parce qu’il s’efforзait de les rйprimer en chвtiant son corps et en l’asservissant. C’est pourquoi il йtait vraiment tempйrй.

[66681] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iustitia, per quam ordinamur ad alterum, non est circa passiones proprias, sed circa operationes quibus communicamus cum aliis, sicut sunt emptio et venditio, et alia huiusmodi : temperantia autem et fortitudo sunt circa proprias passiones. Et ideo, sicut in homine est una vis appetitiva sine passione id est voluntas, duae autem cum passione, id est concupiscibilis et irascibilis : ita est una virtus cardinalis ordinans ad proximum, duae autem ordinantes hominem ad seipsum.

7. La justice, qui nous ordonne а autrui, ne concerne pas les passions qui nous sont propres mais les opйrations par lesquelles nous partageons avec les autres, comme l’achat et la vente, et d’autres de ce genre. Or, la tempйrance et la force concernent les passions propres. Ainsi, de mкme qu’il y a en l’homme une seule force appйtitive sans passion, la volontй, mais deux avec passion, le concupiscible et l’irascible, de mкme il y a une vertu cardinale qui ordonne l’homme au prochain, mais deux qui l’ordonnent а lui-mкme.

[66682] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas dicitur esse omnis virtus non essentialiter, sed causaliter, quia scilicet caritas est mater omnium virtutum. Semper autem effectus magis multiplicatur quam causa; et ideo oportet aliarum virtutum esse maiorem multiplicitatem quam caritatis.

8. On dit que la charitй est toute vertu, non essentiellement mais en tant que cause, parce que la charitй est mиre de toutes les vertus. Or, l’effet est toujours plus multipliй que la cause. Il faut donc que la multiplicitй des autres vertus soit plus grande que celle de la charitй.

[66683] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diversa ratio receptionis potest esse vel ex parte materiae, quae receptiva est formae; et talis diversitas facit diversitatem generis; vel ex parte formae, quae diversimode receptibilis est in materia : et talis diversitas facit diversitatem speciei. Et ita est in proposito.

 

9. La rйception peut se faire de maniиre diverse : soit dans la matiиre, qui reзoit la forme – et une telle diversitй fait la diversitй du genre –, soit dans la forme, qui peut кtre reзue de diverses maniиres dans la matiиre – et une telle diversitй fait la diversitй de l’espиce. Il en va de mкme dans le sujet traitй.

[66684] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes morales attingunt rationem sicut regulam proximam, Deum autem sicut regulam primam. Res autem specificantur secundum propria et proxima principia, non secundum principia prima.

10. Les vertus morales ont un rapport avec la raison comme la rиgle seconde, mais avec Dieu comme la rиgle premiиre. Or, les choses sont spйcifiйes par leurs principes propres et prochains, non par les principes premiers.

[66685] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod principalis pars hominis est pars rationalis. Sed rationale est duplex : scilicet per essentiam et per participationem; et sicut ipsa ratio est principalior quam vires participantes ratione, ita etiam prudentia est principalior quam aliae virtutes.

11. La partie principale de l’homme est la partie rationnelle. Mais le rationnel est double : par essence et par participation. De mкme que la raison elle-mкme l’emporte sur les forces qui participent а la raison, de mкme la prudence l’emporte aussi sur les autres vertus.

[66686] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtutes cardinales dicuntur principaliores omnibus aliis, non quia sunt omnibus aliis perfectiores, sed quia in eis principalius versatur humana vita, et super eas aliae virtutes fundantur. Manifestum est autem quod humana vita magis versatur circa iustitiam, quam circa liberalitatem : utimur enim iustitia ad omnes, liberalitate autem ad paucos. Ipsa autem liberalitas supra iustitiam fundatur : non enim esset liberalis donatio, nisi aliquis daret de suo; per iustitiam autem distinguuntur propria ab alienis.

12. On dit que les vertus cardinales l’emportent sur toutes les autres, non parce qu’elles sont plus parfaites que toutes les autres, mais parce que la vie humaine repose surtout sur elles et que les autres vertus sont fondйes sur elles. Or, il est clair que la vie humaine repose plus sur la justice que sur la libйralitй, car nous faisons usage de la justice pour tous, mais de la libйralitй pour un petit nombre. Or, la libйralitй elle-mкme est fondйe sur la justice, car il n’y aurait pas de don libйral si on ne donnait pas de ce qui est а soi. Et c’est par la justice qu’on distingue ses biens propres de ceux d’autrui.

[66687] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humilitas firmat omnes virtutes indirecte, removendo quae bonis virtutum operibus insidiantur, ut pereant; sed in virtutibus cardinalibus firmantur aliae virtutes directe.

13. L’humilitй affermit indirectement toutes les vertus, en йloignant ce qui tend des embыches aux actions bonnes des vertus en vue de les dйtruire. Mais dans les vertus cardinales, les autres vertus sont affermies directement.

[66688] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod patientia includitur in fortitudine : nam fortis habet id quod est patientis, ut scilicet non conturbetur ex imminentibus malis; et etiam addit amplius, ut scilicet in mala imminentia exiliat secundum quod oportet.

14. La patience est contenue dans la force. L’homme fort, en effet, a les caractйristiques de l’homme patient : il ne se laisse pas troubler par des maux imminents. Et il en ajouteajoute encore plus : il s’йlance mкme vers les maux imminents, comme il convient.

[66689] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ex hoc ipso quod magnanimitas est ornatus aliarum virtutum, manifestatur quod alias virtutes praesupponit, in quibus fundatur; et ex hoc apparet quod aliae sunt magis principales quam ipsa.

15. Parce que la magnanimitй est la parure des autres vertus, il est clair qu’elle prйsuppose les autres vertus sur lesquelles elle est fondйe. Dиs lors, il apparaоt que celles-ci l’emportent sur elle.

 

 

Articulus 2 : [66690] De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum virtutes sint connexae; ut qui habet unam, habeat omnes

Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les possиde toutes ?

Objections :

[66691] De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non. [66692] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 1 Dicit enim Beda super Lucam, quod sancti magis humiliantur de virtutibus quas non habent, quam extollantur de virtutibus quas habent. Ergo quasdam habent, et quasdam non habent; non ergo virtutes sunt connexae.

Il semble que non.

1. Bиde dit en effet, en commentant Luc, que les saints sont plus humiliйs des vertus qu’ils ne possиdent pas qu’ils ne s’enorgueillissent des vertus qu’ils possиdent. Ils en possиdent donc certaines mais n’en possиdent pas d’autres. Les vertus ne sont donc pas connexes.

[66693] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, homo post poenitentiam est in statu caritatis : de his autem patitur difficultatem operandi propter consuetudinem praecedentem, ut dicit Augustinus contra Iulianum; et sic huiusmodi difficultas videtur provenire ex habitu contrario virtuti, per malam consuetudinem acquisitam, cum quo non potest simul esse virtus ei contraria. Ergo aliquis potest habere unam virtutem, scilicet caritatem, et carebit aliis.

2. Aprиs le repentir, l’homme est en йtat de charitй. Or, il a de la difficultй а agir en raison d’une habitude prйcйdente, comme le dit Augustin contre Julien. Ainsi, une difficultй de ce genre semble provenir d’un habitus contraire а la vertu, acquis par une mauvaise habitude, qui ne peut pas exister en mкme temps que la vertu qui lui est contraire. On peut donc possйder une vertu, la charitй, et кtre privй des autres.

 [66694] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea in omnibus baptizatis caritas invenitur. Sed quidam baptizati non habent prudentiam, ut patet maxime in morionibus et phreneticis, qui non possunt esse prudentes, secundum philosophum; et etiam in quibusdam adultis simplicibus, qui non bene videntur esse prudentes, cum non sint bene consiliativi, quod est opus prudentiae. Non ergo qui habet unam virtutem, scilicet caritatem habet omnes alias.

3. Chez tous les baptisйs se trouve la charitй. Mais certains baptisйs ne possиdent pas la prudence, comme on le voit surtout chez les idiots et les frйnйtiques, qui ne peuvent pas кtre prudents, selon le Philosophe; et aussi chez certains adultes ingйnus, qui ne semblent pas кtre bien prudents, vu qu’ils ne sont pas bons conseillers, ce qui est l’њuvre de la prudence. Donc, celui qui possиde une seule vertu, la charitй, ne possиde pas toutes les autres.

[66695] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum in VI Ethic., prudentia est recta ratio agibilium, sicut ars est recta ratio factibilium. Sed homo potest habere rectam rationem circa unum genus factibilium puta circa fabrilia, et non habebit rectam rationem circa alia artificialia. Ergo etiam potest habere prudentiam circa unum genus agibilium, puta circa iusta, et non habebit circa aliud genus, puta circa fortia; et ita poterit habere unam virtutem absque alia.

4. Selon le Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison dans la conduite а tenir, comme l’art est la droite raison dans les choses а faire. Mais l’homme peut possйder la droite raison qui concerne un seul genre de choses а faire, par exemple, les objets а forger, mais il ne possйdera pas la droite raison qui concerne d’autres choses qui relиve de l’art. Il peut donc aussi possйder la prudence qui concerne un seul genre d’actions, par exemple, ce qui est juste, mais il ne la possйdera pas dans un autre genre, par exemple, ce qui est fort. Ainsi il pourra possйder une seule vertu sans les autres.

[66696] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod non omnis liberalis est magnificus, et tamen utrumque est virtus, scilicet liberalitas et magnificentia; et similiter dicit, quod aliqui sunt moderati, non tamen magnanimi. Non ergo quicumque habet unam virtutem, habet omnes.

5. Le Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que tout homme libйral ne fait pas de grandes choses, alors que les deux sont des vertus : la libйralitй et la magnificence. Il dit de mкme que certains hommes sont modйrйs mais non magnanimes. Celui qui possиde une vertu ne les possиde donc pas toutes.

[66697] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 6 Praeterea, apostolus dicit I ad Corinth., cap. XII, 4 : divisiones gratiarum sunt; et postea subdit : alii datur per spiritum sermo sapientiae, alii sermo scientiae, quae sunt intellectuales virtutes, alii fides, quae est virtus theologica. Ergo aliquis habet unam virtutem, et non habet aliam.

6. L’Apфtre dit, dans 1 Co 12, 4 : Il y a diversitй des grвces, puis il ajoute : А l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnйe par l’Esprit, а l’autre, une parole de science – qui sont des vertus intellectuelles –, а un autre, la foi – qui est une vertu thйologale. On possиde donc une vertu sans en possйder une autre.

[66698] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 7 Praeterea, virginitas est quaedam virtus, ut Cyprianus dicit. Sed multi habent alias virtutes qui non habent virginitatem. Ergo non quicumque habet unam virtutem, habet omnes.

7. La virginitй est une vertu, comme le dit Cyprien. Or, beaucoup de ceux qui ne possиdent pas la virginitй possиdent d’autres vertus. Celui qui possиde une vertu ne les possиde donc pas toutes.

[66699] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VI Ethic., quod Anaxagoram et Thaletem sapientes quidem dicimus, non autem prudentes. Sed sapientia et prudentia sunt quaedam virtutes intellectuales. Ergo aliquis potest habere unam virtutem sine aliis.

8. Le Philosophe dit, au livre VI de l’Йthique, que nous disons d’Anaxagore et de Thalиs qu’ils sont sages, mais non pas prudents. Or, la sagesse et la prudence sont des vertus intellectuelles. On peut donc possйder une vertu sans les autres.

[66700] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 9 Praeterea, philosophus in eodem Lib. dicit, quod quidam habent inclinationem ad unam virtutem, et non ad aliam. Potest ergo contingere quod aliquis exercitetur in actibus unius virtutis, et non in actibus alterius. Sed ex exercitio actuum acquiruntur quaedam virtutes, ut patet per philosophum in II Ethic. Ergo, saltem, virtutes acquisitae non sunt connexae.

9. Le Philosophe dit, au mкme livre, que certains ont une inclination pour une vertu, et non pour une autre. Il peut donc arriver que l’on s’exerce dans les actes d’une vertu, et non dans les actes d’une autre. Or, l’on acquiert certaines vertus par l’exercice de leurs actes, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe au livre II de l’Йthique. Les vertus acquises, du moins, ne sont donc pas connexes.

[66701] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus etsi secundum aptitudinem sit a natura, tamen secundum esse perfectum non est a natura, ut dicitur in II Ethic. Manifestum est etiam quod non est a fortuna, quia quae sunt a fortuna, sunt praeter electionem. Relinquitur ergo quod virtus acquiratur in nobis vel a proposito vel a Deo. Sed a proposito (ut videtur) potest acquiri una virtus sine alia : quia unus potest habere intentionem ad acquirendum unam virtutem, et non aliam. Similiter etiam et a Deo : quia aliquis potest petere a Deo unam virtutem, et non aliam. Ergo omnibus modis una virtus potest esse sine alia.

10. La vertu, bien qu’elle vienne de la nature pour ce qui est de l’aptitude, ne reзoit cependant pas son кtre parfait de la nature, comme il est dit au livre II de l’Йthique. Il est aussi clair qu’elle ne vient pas de la fortune, parce que ce qui vient de la fortune est au-delа du choix. Il reste donc que la vertu est acquise en nous soit par dessein, soit par Dieu. Mais par dessein (а ce qu’il semble), on peut acquйrir une vertu sans les autres, parce qu’un homme peut vouloir acquйrir une vertu et non une autre. Il en va de mкme pour Dieu, parce que l’on peut demander а Dieu une vertu, et non une autre. De toutes les faзons, une vertu peut donc exister sans une autre.

[66702] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 11 Praeterea, finis in moralibus comparatur ad actus virtutum in moralibus, sicut in demonstrativis principia ad conclusiones. Sed homo potest habere unam conclusionem sine alia. Ergo potest habere unam virtutem sine alia.

11. La fin dans les rйalitйs morales se compare aux actes des vertus dans les rйalitйs morales, comme les principes le font aux conclusions dans les dйmonstrations. Or, l’homme peut possйder une conclusion sans une autre. Il peut donc possйder une vertu sans une autre.

[66703] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit in quadam Epist. de sententia Iacobi, quod non est divina sententia, qua dicitur : qui habet unam virtutem, habet omnes; et quod homo potest habere unam virtutem sine alia, puta misericordiam, et non continentiam; sicut et in membris corporis unum potest esse illuminatum, sive decorum aut sanum, sine alio. Ergo virtutes non sunt connexae.

12. Augustin dit, dans une lettre а propos d’une position de Jacques, que ce n’est pas une position divine par laquelle on dit : « Celui qui possиde une vertu les possиde toutes », et que l’homme peut possйder une vertu sans une autre, par exemple, la misйricorde et non la continence. De mкme aussi, dans les membres du corps, l’un peut кtre mis en valeur, ou parй ou en santй, sans un autre. Les vertus ne sont donc pas connexes.

[66704] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 13 Praeterea, ea quae sunt connexa, aut hoc est ratione principii, aut ratione subiecti, aut ratione obiecti. Sed non ratione principii, quod est Deus, quia, secundum hoc, omnia bona quae sunt a Deo, essent connexa; nec etiam ratione subiecti, quod est anima, quia secundum hoc omnes non essent connexae; nec iterum ratione obiecti, quia per obiecta distinguuntur : non est autem idem principium distinctionis et connexionis. Ergo et cetera.

13. Ce qui est connexe l’est soit en raison du principe, soit en raison du sujet, soit en raison de l’objet. Or, ce n’est pas en raison du principe, qui est Dieu, parce que, de cette maniиre, tous les biens qui viennent de Dieu seraient connexes; ni en raison du sujet, qui est l’вme, parce que, de cette maniиre, toutes les vertus ne sont pas connexes; ni en raison de l’objet, parce que ce sont les objets qui distinguent les vertus. Or, les principes de distinction et de connexion ne sont pas les mкmes. Donc, etc.

[66705] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 14 Praeterea, intellectuales virtutes non habent connexionem cum moralibus; sicut patet maxime de intellectu principiorum, qui potest haberi sine moralibus virtutibus. Sed prudentia est virtus intellectualis, quae ponitur una cardinalium. Ergo non habet connexionem cum aliis cardinalibus, quae sunt virtutes morales.

14. Les vertus intellectuelles n’ont pas de connexion avec les vertus morales, comme le montre surtout la comprйhension des principes, qui peut кtre possйdйe sans les vertus morales. Or, la prudence est une vertu intellectuelle qui est donnйe comme une des vertus cardinales. Elle n’a donc pas de connexion avec les autres vertus cardinales, qui sont des vertus morales.

 

[66706] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 15 Praeterea, in patria non erit fides et spes, sed tantum erit ibi caritas. Ergo etiam in statu perfectissimo virtutes non erunt connexae.

15. Dans la patrie, il n’y aura pas de foi ni d’espйrance, mais il y aura seulement la charitй. Mкme dans l’йtat le plus parfait, les vertus ne seront donc pas connexes.

[66707] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 16 Praeterea, Angeli, in quibus non sunt virtutes sensitivae, et similiter animae separatae, habent caritatem et iustitiam, quae est perpetua et immortalis; non autem habent temperantiam et fortitudinem, quia hae virtutes sunt irrationabilium partium, ut dicitur in III Ethic. Ergo virtutes non sunt connexae.

16. Les anges, qui ne possиdent pas de puissances sensitives, ainsi que les вmes sйparйes [du corps], possиdent la charitй et la justice, qui est йternelle et immortelle, mais ils ne possиdent pas la tempйrance ni la force, parce que ces vertus appartiennent aux parties irrationnelles, comme il est dit au livre III de l’Йthique. Les vertus ne sont donc pas connexes.

[66708] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 17 Praeterea, sicut sunt virtutes quaedam animae, sunt etiam quaedam virtutes corporales. Sed in virtutibus corporalibus non est connexio, quia aliquis habet visum qui non habet auditum. Ergo neque etiam in virtutibus animae.

17. De mкme qu’il y a des puissances spirituelles, de mкme il y a des puissances corporelles. Mais dans les puissances corporelles, il n’y a pas de connexion, parce que l’on peut possйder la vue et ne pas possйder l’ouпe. Il n’y en a donc pas non plus dans les puissances spirituelles.

[66709] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 18 Praeterea, dicit Gregorius super Ezechielem, quod nemo repente fit summus; et in Psalm. LXXXIII, 8, dicitur, quod ibunt de virtute in virtutem. Non ergo simul acquirit homo virtutes, sed successive; et ita virtutes non sunt connexae.

18. Grйgoire dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel, que personne n’atteint soudainement le degrй le plus йlevй; et dans le Psaume 83, 8, il est dit qu’ils iront de vertu en vertu. L’homme n’acquiert donc pas les vertus en mкme temps, mais successivement. Ainsi les vertus ne sont pas connexes.

Cependant :

[66710] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Ambrosius dicit super Luc. : connexae sunt et concatenatae : ut qui unam habuerit, omnes habere videatur.

1. Ambroise dit, dans le Traitй sur l’Йvangile de Luc : « Elles sont connexes et enchaоnйes, de sorte que celui qui en possйderait une semblerait les possйder toutes. »

[66711] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit XXII Moral., quod si una virtus sine alia habeatur, aut virtus non est, aut perfecta non est. Sed perfectio est de ratione virtutis : virtus enim est perfectio quaedam, ut dicitur in VII Physic. Ergo virtutes sunt connexae.

2. Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job, que, si l’on possиde une vertu sans une autre, c’est soit qu’elle n’est pas une vertu, soit qu’elle n’est pas parfaite. Or, la perfection fait partie de la notion de vertu, car la vertu est une certaine perfection, comme il est dit au livre VII de la Physique. Les vertus sont donc connexes.

 [66712] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 3 Praeterea, super illud Ezech., I, 11 : duae pennae singulorum iungebantur, Glossa dicit, quod virtutes sunt coniunctae; ut qui una caruerit, alia careat.

3. Au sujet de cette phrase d’Ez 1, 11 : Leurs ailes йtaient jointes l’une а l’autre, la Glose dit que les vertus sont unies, de sorte que celui qui serait privй de l’une serait privй de l’autre.

Rйponse :

[66713] De virtutibus, q. 5 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod de virtutibus dupliciter possumus loqui : uno modo de virtutibus perfectis; alio modo de virtutibus imperfectis. Perfectae quidem virtutes connexae sibi sunt; imperfectae autem virtutes non sunt ex necessitate connexae. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum virtus sit quae hominem bonum facit, et opus eius bonum reddit, illa est virtus perfecta quae perfecte opus hominis bonum reddit, et ipsum bonum facit; illa autem est imperfecta, quae hominem et opus eius reddit bonum non simpliciter, sed quantum ad aliquid. Bonum autem simpliciter in actibus humanis invenitur per hoc quod pertingitur ad regulam humanorum actuum; quae quidem est una quasi homogenea et propria homini, scilicet ratio recta, alia autem est sicut prima mensura transcendens, quod est Deus. Ad rationem autem rectam attingit homo per prudentiam, quae est recta ratio agibilium, ut philosophus dicit in VI Ethic. Ad Deum autem attingit homo per caritatem, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo. Sic igitur est triplex gradus virtutum. Sunt enim quaedam virtutes omnino imperfectae, quae sine prudentia existunt, non attingentes rationem rectam, sicut sunt inclinationes quas aliqui habent ad aliqua virtutum opera etiam ab ipsa nativitate, secundum illud Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero egressa est mecum. Huiusmodi autem inclinationes non simul insunt omnibus, sed quidam habent inclinationem ad unum, quidam ad aliud. Hae autem inclinationes non habent rationem virtutis, quia virtute nullus male utitur, secundum Augustinum; huiusmodi autem inclinationibus potest aliquis male uti et nocive, si sine discretione utatur; sicut equus, si visu careret, tanto fortius impingeret, quanto fortius curreret. Unde Gregorius dicit in XXII Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt; unde ibi inclinationes quae sunt sine prudentia, non habent perfecte rationem virtutis. Secundus autem gradus virtutum est illarum quae attingunt rationem rectam, non tamen attingunt ad ipsum Deum per caritatem. Hae quidem aliqualiter sunt perfectae per comparationem ad bonum humanum, non tamen sunt simpliciter perfectae, quia non attingunt ad primam regulam, quae est ultimus finis, ut Augustinus dicit contra Iulianum. Unde et deficiunt a vera ratione virtutis; sicut et morales inclinationes absque prudentia deficiunt a vera ratione virtutis. Tertius gradus est virtutum simpliciter perfectarum, quae sunt simul cum caritate; hae enim virtutes faciunt actum hominis simpliciter bonum, quasi attingentem usque ad ultimum finem. Est autem considerandum ulterius, quod, sicut virtutes morales esse non possunt absque prudentia, ratione iam dicta, ita nec prudentia potest esse sine virtutibus moralibus; est enim prudentia recta ratio agibilium. Ad ipsam autem rectam rationem in quolibet genere requiritur quod aliquis habeat aestimationem et iudicium de principiis, ex quibus ratio illa procedit; sicut in geometricalibus non potest aliquis habere aestimationem rectam, nisi habeat rectam rationem circa principia geometricalia. Principia autem agibilium sunt fines; ex his enim sumitur ratio agendorum. De fine autem habet aliquis rectam existimationem per habitum virtutis moralis; quia, ut philosophus dicit in III Ethic., qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei; sicut virtuoso videtur appetibile, ut finis, bonum quod est secundum virtutem; et vitioso illud quod pertinet ad illud vitium; et est simile de gustu infecto et sano. Unde necesse est quod quicumque habet prudentiam, habeat etiam virtutes morales. Similiter etiam quicumque habet caritatem, oportet quod habeat omnes alias virtutes. Caritas enim est in homine ex infusione divina, secundum illud Rom. V, 5 : caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per spiritum sanctum, qui datus est nobis. Deus autem ad quaecumque dat inclinationem, dat etiam formas aliquas, quae sunt principia operationum et motuum, ad quos res inclinatur a Deo; sicut igni dat levitatem, per quam prompte et faciliter sursum tendit; unde, ut dicitur Sap. VIII, 1, disponit omnia suaviter. Oportet igitur quod similiter cum caritate infundantur habituales formae expedite producentes actus ad quos caritas inclinat. Inclinat autem caritas ad omnes actus virtutum, quia cum sit circa finem ultimum, importat omnes actus virtutum. Quaelibet enim ars vel virtus ad quam pertinet finis, imperat his quae sunt circa finem, sicut militaris equestri, et equestris frenorum factrici, ut dicitur in I Ethicor. Unde secundum decentiam divinae sapientiae et bonitatis, ad caritatem simul habitus omnium virtutum infunduntur; et ideo dicitur I ad Corinth. XII, v. 4 : caritas patiens est, benigna est, et cetera. Sic ergo, si accipiamus virtutes simpliciter perfectas, connectuntur propter caritatem; quia nulla virtus talis sine caritate haberi potest, et caritate habita omnes habentur. Si autem accipiamus virtutes perfectas in secundo gradu, respectu boni humani, sic connectuntur per prudentiam; quia sine prudentia nulla virtus moralis esse potest, nec prudentia haberi potest, si cui deficiat moralis virtus. Si tamen accipiamus quatuor cardinales virtutes, secundum quod important quasdam generales conditiones virtutum, secundum hoc habent connexionem, ex hoc quod non sufficit ad aliquem actum virtutis quod adsit una harum conditionum, nisi omnes adsint; et secundum hoc videtur assignare causas connexionis Gregorius, in Lib. XXI Moralium

Nous pouvons parler des vertus de deux maniиres : d’une maniиre, de vertus parfaites; d’une autre maniиre, de vertus imparfaites. Or, les vertus parfaites sont connexes, alors que les vertus imparfaites ne sont pas nйcessairement connexes. Pour le montrer, il faut savoir ceci : comme c’est la vertu qui rend l’homme bon et rend son њuvre bonne, c’est une vertu parfaite qui rend parfaitement bonne l’њuvre de l’homme et le rend lui-mкme bon; mais elle est imparfaite celle qui rend bons l’homme et son њuvre, non pas simplement, mais de maniиre relative. Or, on trouve ce qui est simplement bon dans les actes humains dans ce qui atteint la rиgle des actes humains. Or, une [rиgle] est pour ainsi dire homogиne et propre а l’homme, а savoir, la droite raison, alors qu’une autre est comme la premiиre mesure transcendante : Dieu. Or, l’homme atteint la droite raison par la prudence, qui est la droite raison dans les actes а poser, comme le dit le Philosophe au livre VI de l’Йthique. Et l’homme atteint Dieu par la charitй, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui qui demeure dans la charitй demeure en Dieu et Dieu en lui. Ainsi donc, il y a un triple degrй des vertus. En effet, il y a des vertus tout а fait imparfaites, qui existent sans la prudence, et n’atteignent pas la droite raison, comme le sont les inclinations de certains pour certains actes des vertus, mкme depuis leur naissance, selon ce que dit Jb 31, 18 : Dиs l’enfance, la misйricorde a grandi avec moi, et elle est sortie du sein maternel en mкme temps que moi. Or, les inclinations de ce genre n’existent pas en mкme temps chez tous, mais les uns ont une inclination pour une chose, les autres pour autre chose. Mais ces inclinations n’ont pas le caractиre de vertu, parce que personne ne fait usage de la vertu de faзon mauvaise, selon Augustin [livre I des Rйtractations]. Mais l’on peut faire usage d’inclinations de ce genre de faзon mauvaise et nuisible si on en fait usage sans discernement, comme un cheval, s’il йtait privй de la vue, se cognerait d’autant plus fort qu’il courrait avec plus d’йnergie. Ainsi Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job, que toutes les autres vertus, а moins qu’elles n’accomplissent avec prudence ce qu’elles dйsirent, ne peuvent en aucun cas кtre des vertus. Dиs lors, les inclinations qui sont dйpourvues de prudence ne possиdent pas parfaitement le caractиre de vertu. Le deuxiиme degrй des vertus est constituй de celles qui atteignent la droite raison, mais n’atteignent pas Dieu lui-mкme par la charitй. Elles sont en quelque sorte parfaites, comparйes au bien humain, mais ne sont pas simplement parfaites, parce qu’elles n’atteignent pas la rиgle premiиre, qui est la fin ultime, comme le dit Augustin contre Julien. Dиs lors, le vйritable caractиre de vertu leur fait dйfaut, comme le vйritable caractиre de vertu fait dйfaut aux inclinations morales dйpourvues de prudence. Le troisiиme degrй des vertus est constituй des vertus simplement parfaites, qui existent en mкme temps que la charitй. Ces vertus, en effet, rendent tout simplement bon l’acte humain, comme s’il atteignait mкme la fin ultime. Nйanmoins, il faut aussi observer que, de mкme que les vertus morales ne peuvent pas exister sans la prudence, pour la raison dйjа mentionnйe, de mкme la prudence ne peut pas exister sans les vertus morales, car la prudence est la droite raison dans la conduite а tenir. Or, pour la droite raison mкme, dans n’importe quel genre, il est exigй que l’on possиde l’йvaluation et le jugement des principes d’oщ provient cette raison, comme en gйomйtrie, on ne peut pas avoir une juste йvaluation si on ne possиde pas la droite raison qui porte sur les principes de gйomйtrie. Or, les principes dans la conduite а tenir sont les fins, car c’est d’elles que provient la raison de ce qui doit кtre fait. Or, l’on possиde une juste йvaluation de la fin par l’habitus de la vertu morale, parce que, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique, tel est chacun, telle lui semble aussi la fin. Ainsi, а l’homme vertueux, c’est le bien conforme а la vertu qui semble dйsirable comme fin, alors qu’а l’homme vicieux, c’est ce qui relиve du vice. Cela ressemble au goыt malade ou en santй. Dиs lors, il est nйcessaire que celui qui possиde la prudence possиde aussi les vertus morales; et de mкme, il faut que celui qui possиde la charitй possиde aussi toutes les autres vertus. Car la charitй qui existe en l’homme provient d’une infusion divine, selon ce que dit Rm 5, 5 : L’amour de Dieu a йtй rйpandu dans nos cњurs par le Saint Esprit qui nous a йtй donnй. Or, Dieu donne l’inclination pour tout; il donne aussi des formes, qui sont les principes des actions et des mouvements vers lesquels une chose est inclinйe par Dieu, comme il donne au feu la lйgиretй par laquelle il s’йlиve avec promptitude et facilitй. Dиs lors, comme il est dit dans Sg 8, 1, il dispose de tout avec douceur. Il faut donc qu’en mкme temps que la charitй, soient rйpandues les formes habituelles qui produisent aisйment les actes auxquels incline la charitй. Or, la charitй incline а tous les actes des vertus, parce que, comme elle porte sur la fin ultime, elle entraоne tous les actes des vertus. En effet, n’importe quel art ou vertu dont relиve la fin, commande dans les choses qui portent sur la fin, comme la science militaire [commande] а l’йquitation et l’йquitation а la fabrication des mors, ainsi qu’il est dit au livre I de l’Йthique. Dиs lors, comme il convient а la sagesse et а la bontй divines, les habitus de toutes les vertus sont rйpandus en mкme temps que la charitй. Ainsi il est dit dans 1 Co 12, 4 : La charitй est patiente, elle est pleine de bontй, etc. Ainsi donc, si nous considйrons les vertus tout simplement parfaites, elles sont connexes grвce а la charitй, parce que l’on ne peut possйder aucune vertu de ce genre sans la charitй, et qu’en possйdant la charitй, on les possиde toutes. Mais si nous considйrons des vertus parfaites du deuxiиme degrй, en rapport avec le bien humain, alors elles sont connexes par la prudence, parce qu’aucune vertu morale ne peut exister sans la prudence, et que quelqu’un ne peut pas possйder la prudence s’il lui manque une vertu morale. Si nous considйrons cependant les quatre vertus cardinales selon qu’elles comportent certaines conditions gйnйrales des vertus, alors elles ont une connexion du fait qu’il ne suffit pas pour un acte de vertu qu’il y ait une seule de ces conditions, si elles n’y sont pas toutes. C’est ainsi que Grйgoire semble expliquer les causes de la connexion dans le livre XXI des Morales sur Job.

Solutions :

[66714] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propter inclinationem quae est ex natura, vel ex aliquo dono gratiae, quam habet aliquis magis ad opus unius virtutis quam alterius contingit quod aliquis promptior est ad actum unius virtutis quam alterius; et secundum hoc dicuntur sancti aliquas virtutes habere, ad quarum actus magis sunt prompti, et aliquas non habere, ad quas sunt minus prompti.

1. Par l’inclination, issue de la nature ou d’un don de la grвce, que quelqu’un possиde а l’acte d’une vertu plutфt qu’а l’acte d’une autre, il arrive qu’il soit plus portй а l’acte d’une vertu qu’а celui d’une autre. C’est pourquoi l’on dit que les saints possиdent certaines vertus а l’acte desquelles ils sont plus portйs, et n’en possиdent pas certaines autres, auxquelles ils sont moins portйs.

[66715] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum habitus secundum se facit prompte et delectabiliter operari, potest tamen hoc impediri per aliquid superveniens; sicut habens habitum scientiae interdum impeditur ad eius usum per somnolentiam vel ebrietatem, vel aliquid huiusmodi. Sic ergo iste qui poenitet, consequitur cum gratia gratum faciente, caritatem, et omnes alios habitus virtutum, sed propter dispositiones ex actibus priorum peccatorum relictas patitur difficultatem in executione virtutum quas habitualiter recipit; quod quidem non contingit in virtutibus acquisitis per exercitium actuum, per quos simul et contrariae dispositiones tolluntur, et habitus virtutum generantur.

2. Alors que l’habitus fait de soi њuvrer de maniиre prompte et agrйable, il se peut que cela soit empкchй par quelque chose qui survient, comme celui qui a l’habitus de la science est parfois empкchй d’en faire usage par la somnolence, l’ivresse ou quelque chose de ce genre. Ainsi donc, celui qui se repent obtient, avec la grвce qui sanctifie, la charitй et tous les autres habitus des vertus. Mais, а cause des dispositions laissйes par les actes des pйchйs prйcйdents, il йprouve de la difficultй а mettre en њuvre les vertus qu’il reзoit de maniиre habituelle, ce qui toutefois ne se produit pas pour les vertus acquises par l’exercice des actes par lesquels les dispositions contraires sont aussi enlevйes et par lesquels sont engendrйs les habitus des vertus.

[66716] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui baptizatur, simul cum caritate recipit et prudentiam, et omnes alias virtutes; sed de necessitate prudentiae non est ut homo sit bene consiliativus in omnibus, puta in mercationibus et rebus bellicis et huiusmodi, sed in his quae sunt necessaria ad salutem : quod non deest omnibus in gratia existentibus, quantumcumque sint simplices, secundum illud I Ioan. II, 27 : unctio docebit vos de omnibus; nisi forte in aliquibus baptizatis impediatur actus prudentiae propter corporalem defectum aetatis, sicut in pueris, vel pravae dispositionis, sicut in morionibus et phreneticis.

3. Celui qui est baptisй reзoit, en mкme temps que la charitй, la prudence et toutes les autres vertus. Mais il ne relиve pas nйcessairement de la prudence qu’un homme soit bon conseiller en tout, par exemple, dans le commerce, les affaires militaires et les choses de ce genre, mais dans ce qui est nйcessaire а son salut, ce qui ne manque pas а tous ceux qui vivent dans la grвce, aussi ingйnus soient-ils, selon ce que dit Jn 3, 27 : L’onction vous enseignera tout, а moins que, chez certains baptisйs, l’acte de prudence ne soit entravй par une dйfaillance corporelle due а l’вge, comme chez les enfants, ou par une mauvaise disposition, comme chez les idiots et les frйnйtiques.

[66717] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod artificialia diversorum generum habent principia omnino disparata : et ideo nihil prohibet habere artem circa unum genus eorum, et non circa aliud. Sed principia moralium sunt ordinata ad invicem, ita quod per defectum unius sequeretur etiam defectus in aliis; puta, si quis deficeret ab hoc principio quod est concupiscentias non esse sequendas, quod pertinet ad concupiscentiam, sequeretur interdum quod sequendo concupiscentiam faceret iniuriam, et sic violaretur iustitia; sicut etiam in una et eadem arte vel scientia, puta in geometria, error unius principii inducit errorem in totam scientiam. Et inde est quod non potest esse aliquis sufficienter prudens circa materiam unius virtutis, nisi sit prudens circa omnes.

4. Les principes de l’art de divers genres ont des principes totalement disparates. Ainsi, rien n’empкche de possйder l’art qui concerne l’un de ces genres et non un autre. Mais les principes des rйalitйs morales sont ordonnйs les uns par rapport aux autres, si bien que la dйfaillance de l’un entraоne aussi la dйfaillance des autres. Par exemple, si l’on s’йloigne du principe qu’il ne faut pas suivre les concupiscences, qui porte sur la concupiscence, il en dйcoulerait parfois qu’on commettrait un dommage en suivant la concupiscence, et ainsi on violerait la justice. De mкme aussi, dans un seul et mкme art ou science, par exemple en gйomйtrie, l’erreur d’un seul principe introduit l’erreur dans la science tout entiиre. Dиs lors, il s’ensuit que l’on ne peut pas кtre suffisamment prudent dans la matiиre d’une seule vertu, si l’on n’est pas prudent dans toutes.

[66718] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potest dici quod contingit esse aliquem liberalem, sed non magnificum quantum ad actus : quia aliquis parum habens, potest in usu eius quod habet, exercere actum liberalitatis, non autem magnificentiae; quamvis aliquis habeat habitum, per quem etiam magnificentiae actum exerceret, si materia adesset. Et similiter dicendum est de moderantia et magnanimitate. Ista responsio tenenda est omnino in virtutibus infusis. In virtutibus etiam acquisitis per actum, potest dici, quod ille qui acquisivit habitum liberalitatis in usu parvae substantiae, nondum acquisito habitu magnificentiae, sed habito liberalitatis actu, est in proxima dispositione ut acquirat habitum magnificentiae per modicum actum. Quia igitur in propinquo est ut habeatur, idem videtur ac si haberetur, quia quod parum deest, quasi nihil deesse videtur, ut dicitur in II Physic.

5. On peut dire qu’il arrive qu’un homme soit libйral mais ne fasse pas de grandes choses au niveau de l’acte, parce que quelqu’un qui possиde peu de choses peut, dans l’usage de ce qu’il possиde, exercer un acte de libйralitй mais non de magnificence, bien qu’il possиde l’habitus par lequel il exercerait aussi un acte de magnificence s’il en avait la matiиre. Et il faut parler de mкme de la modйration et de la magnanimitй. Et cette rйponse doit кtre absolument maintenue pour les vertus infuses. Aussi pour les vertus acquises par l’acte, l’on peut dire que celui qui a acquis l’habitus de la libйralitй dans l’usage d’une petite fortune, alors qu’il n’a pas encore acquis l’habitus de la magnificence mais possиde l’acte de la libйralitй, est tout prиs d’acquйrir l’habitus de la magnificence par un acte modeste. Parce qu’il est prиs d’кtre possйdй, ce semble donc кtre la mкme chose que s’il йtait possйdй, parce que lorsqu’il manque peu de chose, il semble qu’il ne manque pour ainsi dire rien, comme il est dit au livre II de la Physique.

[66719] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sapientia et scientia non accipiuntur in illis verbis apostoli neque secundum quod sunt virtutes intellectuales, quae tamen connexionem non habent, ut infra dicetur, neque secundum quod sunt dona spiritus sancti, quae connexionem habent secundum caritatem; sed secundum quod sunt gratiae gratis datae : prout scilicet aliquis abundat scientia et sapientia, ut possit aedificare alios ad finem et Dei cognitionem, et contradicentes arguere; unde et apostolus non dicit : alii datur sapientia, alii scientia; sed : alii datur sermo sapientiae, alii sermo scientiae. Unde Augustinus dicit in XIV de Trinitate, quod huiusmodi scientia, non pollent fideles plurimi, quamvis ipsa fide polleant. Fides etiam non accipitur ibi pro fide informi, ut quidam dicunt, quia donum fidei commune est omnibus; sed accipitur pro quadam fidei constantia, seu certitudine, quae interdum abundat etiam in peccatoribus.

6. La sagesse et la science ne sont pas entendues dans ces mots de l’Apфtre ni selon qu’elles sont des vertus intellectuelles, qui ne sont cependant pas connexes, comme on le dira plus loin, ni selon qu’elles sont des dons de l’Esprit Saint, qui sont connexes par la charitй, mais selon qu’elles sont des charismes (gratiae gratis datae), dans la mesure oщ l’on possиde en abondance la science et la sagesse afin de pouvoir йdifier autrui en vue de la fin et de la connaissance de Dieu, et de convaincre les adversaires. C’est pourquoi l’Apфtre ne dit pas : «А l’un est donnйe la sagesse, а l’autre la science», mais а l’un est donnйe une parole de sagesse, а l’autre une parole de science. Ainsi Augustin dit-il, au livre XIV de La Trinitй, qu’«un grand nombre de fidиles ne possиdent pas cette science, bien qu’ils possиdent la foi elle-mкme ». En cet endroit, on n’entend pas non plus la foi comme la foi informe, comme certains le disent, parce que le don de la foi est commun а tous, mais on l’entend d’une certaine constance ou certitude de la foi, qui abonde aussi parfois chez les pйcheurs.

 [66720] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virginitas secundum quosdam non nominat virtutem, sed quemdam perfectiorem statum virtutis. Non autem oportet quod quicumque habet virtutem, habeat eam secundum gradum perfectum. Et ideo sine virginitate, castitas et aliae virtutes haberi possunt. Vel, si detur quod virginitas sit virtus, hoc erit secundum quod importat habitum mentis, ex quo aliquis eligit virginitatem conservare propter Christum. Et hic quidem habitus esse potest etiam in his qui carnis integritate carent; sicut et habitus magnificentiae potest esse sine magnitudine divitiarum.

7. La virginitй, selon certains, ne dйsigne pas une vertu mais un йtat plus parfait de vertu. Or, il n’est pas nйcessaire que celui qui possиde une vertu la possиde а un degrй parfait. Ainsi l’on peut possйder la chastetй et d’autres vertus sans la virginitй. Ou bien, si l’on concиde que la virginitй est une vertu, ce sera selon qu’elle comporte un habitus de l’esprit par lequel on choisit de garder la virginitй а cause du Christ. Or, cet habitus peut aussi se trouver chez ceux qui n’ont plus une chair intиgre, comme l’habitus de la magnificence peut exister sans que l’on possиde de grandes richesses.

[66721] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtutes intellectuales non sunt connexae ad invicem; et hoc propter tria. Primo quidem, quia quae sunt circa rerum diversa genera, non sunt coordinata ad invicem, sicut et de artibus dictum est. Secundo, quia in scientiis non convertibiliter se habent principia et conclusiones; ita scilicet quod quicumque habet principia, habeat conclusiones, sicut in moralibus dictum est. Tertio, quia virtus intellectualis non habet respectum ad caritatem, per quam ordinatur homo ad ultimum finem. Et ideo huiusmodi virtutes ordinantur ad aliqua particularia bona : puta geometria ad dimetiendum circa abstracta quaedam, physica circa mobilia, et sic de aliis. Unde eadem ratione non sunt connexae qua nec virtutes imperfectae, ut supra, in corp. art., dictum est.

8. Les vertus intellectuelles ne sont pas connexes les unes par rapport aux autres pour trois raisons. Premiиrement, parce qu’elles concernent divers genres de choses, elles ne sont pas coordonnйes les unes par rapport aux autres, comme on vient de le dire а propos des arts. Deuxiиmement, parce que, dans les sciences, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles, de telle sorte que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme on l’a dit pour les rйalitйs morales. Troisiиmement, parce que la vertu intellectuelle n’a pas de rapport avec la charitй, qui ordonne l’homme а la fin ultime. Ainsi les vertus de ce genre sont ordonnйes а certains biens particuliers : par exemple, la gйomйtrie, а la mesure des йlйments abstraits, la physique, а celle des йlйments mobiles, et ainsi des autres. Dиs lors, pour la mкme raison, elles ne sont pas connexes pour la raison que les vertus imparfaites [ne le sont pas], comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de cet article.

[66722] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quaedam virtutes sunt quae ordinant hominem in his quae occurrunt in vita humana : sicut temperantia, iustitia, mansuetudo et huiusmodi; et in talibus necesse est quod homo, dum exercitatur in actu huius virtutis, vel simul etiam exerceatur in actibus aliarum virtutum, et tunc acquiret omnes habitus, virtutum simul; vel oportet quod bene se habeat in uno et male in aliis, et tunc acquiret habitum contrarium alteri virtuti, et per consequens corruptionem prudentiae, sine qua nec dispositio, quam acquisivit per actus alicuius virtutis, habet proprie rationem virtutis, ut supra, in corp. art., dictum est. Huiusmodi autem habitibus acquisitis circa ea quae communiter in vita occurrunt, virtualiter iam habentur quasi in propinqua dispositione si qui alii habitus virtutum sunt, quorum actus occurrant frequenter in conversatione humana; sicut de magnificentia et magnanimitate dictum est, in solutione ad 5 argumentum.

9. Il y a des vertus qui ordonnent l’homme а ce qui survient dans la vie humaine, comme la tempйrance, la justice, la mansuйtude et d’autres du mкme genre. Et pour de telles vertus, il est nйcessaire que l’homme, quand il s’exerce dans l’acte de cette vertu, s’exerce aussi en mкme temps aux actes des autres vertus, et alors il acquiert tous les habitus des vertus en mкme temps ; ou bien qu’il se comporte bien dans l’une et mal dans les autres, et alors il acquiert un habitus contraire а une autre vertu, et par consйquent la corruption de la prudence, sans laquelle la disposition qu’il a acquise par l’acte d’une vertu n’a plus а proprement parler le caractиre de vertu, comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de l’article. Or, aprиs avoir acquis des habitus de ce genre, qui concernent ce qui arrive communйment dans la vie, on les possиde dйjа virtuellement, comme par une disposition proche, s’il y d’autres habitus de vertus, dont les actes se prйsentent frйquemment dans le com­por­tement humain, comme on l’a dit а propos de la magnificence et de la magnanimitй dans la solution au cinquiиme argument.

 [66723] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes acquisitae causantur a proposito; et necesse est quod simul causentur in homine qui sibi proponit acquirere unam virtutem; et non acquiret, nisi simul acquirat prudentiam, cum qua omnes habentur, ut dictum est in corp. art. Virtutes autem infusae causantur immediate a Deo, quae etiam causantur ex caritate, sicut ex communi radice, ut dictum est in corp. art.

10. Les vertus acquises sont causйes par dessein. Il est ainsi nйcessaire qu’elles soient causйes en mкme temps dans l’homme qui se propose d’acquйrir une vertu, et il ne l’acquiert pas s’il n’acquiert pas en mкme temps la prudence, avec laquelle toutes sont possйdйes, comme il a йtй dit dans le corps de l’article. Mais les vertus infuses sont causйes immйdiatement par Dieu ; elles sont aussi causйes par la charitй en tant que racine commune, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

[66724] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in scientiis speculativis non se habent principia convertibiliter ad conclusiones, sicut accidit in moralibus, ut dictum est in corp. art., et ideo qui habet unam conclusionem, non necesse est quod habeat aliam. Esset autem necesse, si oporteret, quod quicumque habet principia, haberet conclusiones, sicut est in proposito.

11. Dans les sciences spйculatives, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles, comme il arrive dans les rйalitйs morales, comme on l’a dit dans le corps de l’article. C’est pourquoi celui qui possиde une conclusion n’en possиde pas nйcessairement une autre. Or, cela serait nйcessaire s’il fallait que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme c’est le cas dans le sujet en cause.

[66725] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Augustinus loquitur ibi de virtutibus imperfectis, quae sunt dispositiones quaedam ad actus virtutum; unde et ipsemet probat in VI de Trinitate, connexionem.

12. Augustin parle lа des vertus imparfaites, qui sont des dispositions en vue des actes des vertus. Aussi prouve-t-il lui-mкme la connexion dans le livre VI de La Trinitй.

 

[66726] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtutes habent connexionem ratione principii proximi, id est sui generis, quod est prudentia vel caritas; non autem ratione principii remoti et communis, quod est Deus.

13. Les vertus sont connexes en raison du principe rapprochй de leur genre, qui est la prudence ou la charitй, mais non en raison du principe йloignй et commun, qui est Dieu.

[66727] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod prudentia specialiter inter virtutes intellectuales habet connexionem cum virtutibus ratione materiae circa quam est; est enim circa mobilia.

14. Parmi les vertus intellectuelles, la prudence a une connexion particuliиre avec les vertus, en raison de la matiиre sur laquelle elle porte : des йlйments changeants.

[66728] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in patria, deficiente spe et fide, succedent quaedam perfectiora, scilicet visio et comprehensio, quae connectentur caritati.

15. Dans la patrie, alors que seront absentes l’espйrance et la foi, succйderont des rйalitйs plus parfaites : la vision et la comprйhension, connexes а la charitй.

[66729] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in Angelis et animabus separatis non est temperantia et fortitudo ad hos actus ad quos sunt in hac vita, scilicet ad moderandum passiones sensibilis partis; sed ad quosdam alios actus, ut patet per Augustinum in XIV de Trinitate.

16. Chez les anges et les вmes sйparйes du corps, il n’y a ni tempйrance ni force pour les actes pour lesquels elles existent dans cette vie : modйrer les passions de la partie sensible ; mais pour d’autres actes, comme cela ressort clairement de ce qu’йcrit Augustin au livre XIV de La Trinitй.

[66730] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod potentiae animae non se habent convertibiliter cum essentia; quamvis enim nulla potentia animae possit esse sine essentia, tamen essentia animae potest esse sine quibusdam potentiis; puta sine visu et auditu, propter corruptionem organorum quorum huiusmodi potentiae proprie sunt actus.

17. Les puissances de l’вme et son essence ne sont pas convertibles. En effet, quoique aucune puissance de l’вme ne puisse exister sans l’essence, l’essence de l’вme peut cependant exister sans certaines puissances, par exemple, sans la vue ni l’ouпe, en raison de la corruption des organes qui exercent les actes propres de cette puissance.

[66731] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non propter hoc homo est summus, quod habet omnes virtutes, sed propter hoc quod habet eas in summo.

18. L’homme atteint le degrй le plus йlevй, non parce qu’il possиde toutes les vertus, mais parce qu’il les possиde au plus haut degrй.

 

 

 

Articulus 3 : [66732] De virtutibus, q. 5 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum omnes virtutes in homine sint aequales

Article 3 – Toutes les vertus sont-elles йgales en l’homme ?

Objections :

[66733] De virtutibus, q. 5 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

[66734] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 1 Dicitur enim I ad Cor. XIII, 13 : nunc autem manent fides, spes et caritas, tria haec; maior autem horum est caritas. Sed maioritas excludit aequalitatem. Ergo virtutes in uno homine non sunt aequales.

Il semble que non.

1. En effet, il est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant la foi, l’espйrance et la charitй demeurent toutes les trois; mais la plus grande d’entre elles, c’est la charitй. (XIII, 13). Or, le fait d’кtre plus grand exclut l’йgalitй. Les vertus ne sont donc pas йgales chez un seul homme.

[66735] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 2 Sed dicendum, quod caritas est maior secundum actum, sed non secundum habitum. Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de Trinit., quod in his quae non mole magna sunt, idem est esse maius quod melius. Sed habitus caritatis est melior quam habitus aliarum virtutum, quia magis attingit ad Deum, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet. Ergo caritas secundum habitum, maior est quam aliae virtutes.

2. Mais il faut dire que la charitй est plus grande par l’acte, et non par l’habitus. – En sens contraire, Augustin dit cependant, au livre VI de La Trinitй, que « pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la mкme chose d’кtre plus grand et d’кtre meilleur ». Or, l’habitus de la charitй est meilleur que les habitus des autres vertus parce qu’il atteint davantage Dieu, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui qui demeure dans la charitй demeure en Dieu. La charitй, par l’habitus, est donc plus grande que les autres vertus.

[66736] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, perfectio praecedit suum perfectibile. Sed caritas est perfectio aliarum virtutum, secundum illud Coloss. III, 14 : super omnia autem haec caritatem habete, quod est vinculum perfectionis; et I ad Tim. I, 5, dicitur : finis autem praecepti caritas. Ergo est maior aliis virtutibus.

 

3. La perfection l’emporte sur ce qu’elle perfectionne. Or, la charitй est la perfection des autres vertus, selon ce que dit Col 3, 14 : Et puis, par-dessus tout, ayez la charitй, qui est le lien de la perfection. Et il est dit en 1 Tm 1, 5 : Mais la fin du commandement est la charitй. Elle est donc plus grande que les autres vertus.

[66737] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod nihil imperfectionis habet annexum, est perfectius et maius; quia albius est quod est nigro impermixtius. Sed habitus caritatis nihil habet imperfectionis admixtum; quia fides est de non apparentibus, et spes de non habitis. Ergo caritas, etiam secundum habitum, est perfectior et maior quam fides et spes.

4. Ce qui n’est mкlй а aucune imperfection est plus parfait et plus grand, car ce qui est plus blanc est ce qui est le moins mкlй au noir. Or, l’habitus de la charitй n’est mкlй а aucune imperfection, car la foi concerne ce qui n’est pas visible, et l’espйrance, ce qui n’est pas possйdй. La charitй, mкme en habitus, est donc plus parfaite et plus grande que la foi et l’espйrance.

[66738] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit in XIX de civitate Dei : virtutes nisi ad Deum referantur, vitia sunt. Ex quo potest accipi, quod ratio virtutis perficitur ex ordine ad Deum. Sed caritas propinquius ordinat hominem ad Deum quam aliae virtutes; quia unit hominem Deo, secundum illud I ad Cor. cap. VI, 17 : qui adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo caritas est maior virtus quam aliae.

5. Augustin dit, au livre XIX de La Citй de Dieu : « Les vertus, si on ne les rapporte pas а Dieu, sont des vices. » Dиs lors, on peut comprendre que la perfection de ce qui fait la vertu vient de l’ordre а Dieu. Or, la charitй ordonne l’homme а Dieu d’une maniиre plus rapprochйe que les autres vertus, parce qu’elle unit l’homme а Dieu, selon ce que dit 1 Co 6, 17 : Celui qui est uni а Dieu ne forme avec lui qu’un seul esprit. La charitй est donc une vertu plus grande que les autres.

[66739] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, virtutes infusae originem habent ex gratia, quae est earum perfectio. Sed caritas perfectius participat gratiam quam aliae virtutes : gratia enim et caritas inseparabiliter se concomitantur; fides autem et spes possunt esse sine gratia. Ergo caritas est maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

6. Les vertus infuses tirent leur origine de la grвce, qui est leur perfection. Or, la charitй participe а la grвce de faзon plus parfaite que les autres vertus, car la grвce et la charitй s’accompagnent de maniиre insйparable, alors que la foi et l’espйrance peuvent exister sans la grвce. La charitй est donc plus grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66740] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 7 Praeterea, Bernardus dicit in I de consideratione, quod prudentia est materia fortitudinis, quia sine prudentia fortitudo praecipitat. Sed id quod est principium et causa alicuius, est maius et potius eo. Ergo prudentia est maior fortitudine; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

7. Bernard dit, au livre I de La Considйration, que la prudence est la matiиre de la force, parce que, sans la prudence, la force va а sa ruine. Or, ce qui est le principe et la cause de quelque chose est plus grand et plus puissant que lui. La prudence est donc plus grande que la force. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66741] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in V Ethic., quod iustitia est tota virtus; aliae autem virtutes sunt secundum partem. Sed totum est maius parte. Ergo iustitia est maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

8. Le Philosophe dit, au livre V de l’Йthique, que la justice est une vertu complиte, et que les autres vertus sont partielles. Or, le tout est plus grand que la partie. La justice est donc plus grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66742] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea, Augustinus probat in XI super Genes. ad Litt. quod si omnia in universo essent aequalia, non essent omnia. Sed virtutes omnes habentur simul, quia sunt connexae, ut supra, art. praec., ostensum est. Non ergo omnes virtutes sunt aequales.

9. Augustin montre, au livre XI de La Genиse au sens littйral, que, si toutes les rйalitйs йtaient йgales dans l’univers, elles n’existeraient pas toutes. Or, l’on possиde toutes les vertus en mкme temps parce qu’elles sont connexes, comme on l’a montrй ci-dessus, dans l’article prйcйdent. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66743] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 10 Praeterea, virtutibus opponuntur vitia. Sed non omnia vitia sunt aequalia. Ergo neque omnes virtutes sunt aequales.

10. Les vices sont opposйs aux vertus. Or, tous les vices ne sont pas йgaux. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66744] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 11 Praeterea, laus debetur actibus virtutum. Sed quidam magis laudantur de una virtute quam de alia; unde Cassianus dicit in V de institutione Coenob. : alius scientiae floribus exornatur; alius discretionis ratione robustius communitur; alter patientiae gravitate fundatur; alius humilitatis, alius continentiae virtute praefertur. Non ergo omnes virtutes in uno homine sunt aequales.

11. On doit louer les actes des vertus. Or, certains louent plus ceux d’une vertu que ceux d’une autre. C’est pourquoi Cassien dit, au livre V des Institutions cйnobitiques : « L’un est ornй des fleurs de la science, l’autre possиde un discernement plus solide ; un autre s’appuie sur la pondйration de la patience ; un autre l’emporte par la vertu d’humilitй, un autre par celle de continence. » Toutes les vertus ne sont donc pas йgales chez un seul homme.

[66745] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 12 Sed dicendum, quod ista inaequalitas est secundum actus, non secundum habitus. Sed contra, secundum philosophum in I Poster., ea quae ad aliquid sunt, simul intenduntur. Sed habitus secundum propriam rationem dicitur ad actum. Est enim habitus quo quis agit cum tempus fuerit, ut Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali. Si ergo actus unius virtutis in aliquo homine est maior quam actus alterius, sequitur quod etiam habitus sint inaequales.

12. Mais il faut dire que cette inйgalitй relиve des actes, non des habitus. – Cependant, en sens contraire, selon le Philosophe au livre I des Seconds Analytiques, les rйalitйs qui sont tournйes vers quelque chose sont visйes en mкme temps. Or, selon sa raison, l’habitus est tournй vers l’acte, car l’habitus est ce qui fait agir au moment opportun, comme le dit Augustin dans le Livre sur le bien conjugal. Si l’acte d’une vertu est plus grand chez un homme que l’acte d’une autre, il en dйcoule donc que les habitus aussi sont inйgaux.

[66746] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 13 Praeterea, Hugo de s. Victore dicit, quod actus augent habitus. Si ergo actus virtutum sunt inaequales; et habitus virtutum inaequales erunt.

13. Hugues de Saint-Victor dit que les actes dйveloppent les habitus. Si les actes des vertus sont inйgaux, les habitus des vertus aussi seront inйgaux.

[66747] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 14 Praeterea, ita se habet in moralibus habitus virtutis ad actum proprium, sicut in naturalibus forma ad proprium motum vel actionem. Sed in naturalibus, quanto aliquis magis habet de forma, tanto magis habet de operatione vel motu, quia quod est gravius, velocius tendit deorsum, et quod est calidius, magis calefacit. Ergo etiam in moralibus actus virtutum inaequales esse non possunt, nisi habitus virtutum fuerint inaequales.

14. De mкme que, dans le domaine moral, l’habitus d’une vertu est tournй vers son acte propre, de mкme, dans la nature, la forme est tournйe vers son mouvement ou son action propres. Or, dans la nature, plus l’on possиde la forme, plus l’on possиde l’opйration ou le mouvement, car ce qui est plus lourd tend plus rapidement vers le bas, et ce qui est plus chaud chauffe davantage. Dans le domaine moral aussi les actes des vertus ne peuvent donc pas кtre inйgaux, а moins que les habitus des vertus ne soient pas inйgaux.

[66748] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 15 Praeterea, perfectiones sunt proportionabiles perfectibilibus. Virtutes autem sunt perfectiones potentiarum animae, quae sunt inaequales, quia ratio excedit inferiores vires, quibus imperat. Ergo etiam virtutes sunt inaequales.

15. Les perfections sont proportionnйes а ce qui est perfectible. Or, les vertus sont des perfections des puissances de l’вme, qui sont inйgales, parce que la raison dйpasse les puissances infйrieures qu’elle commande. Les vertus sont donc aussi inйgales.

[66749] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, XXII Moral. et Homil. XV in Ezech., beatus Iob incrementa virtutum, quia distincte hominibus superno munere tribui conspexit, gradus vocavit; quoniam per ipsos ascenditur, et ad caelestia obtinenda venitur. Sed ubi est incrementum et gradus, non est aequalitas. Ergo virtutes non sunt aequales.

16. Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job : « Le bienheureux Job a appelй degrйs les dйveloppements des vertus, parce qu’il a observй qu’elles sont donnйes aux hommes de maniиre diffйrente par la faveur divine ; car c’est par eux qu’on monte et qu’on parvient а obtenir les rйalitйs cйlestes.» Mais lа oщ il y a dйveloppement et degrй, il n’y a pas йgalitй. Les vertus ne sont donc pas йgales.

[66750] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 17 Praeterea, quaecumque ita se habent quod uno crescente aliud decrescit, oportet quod sint inaequalia. Sed videtur quod caritate crescente aliud decrescat : quia status patriae, in quo perficietur caritas, opponitur statui viae, in quo habet locum fides; uno autem oppositorum crescente, alterum decrescit. Ergo caritas et fides non possunt esse aequales; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

17. Il est inйvitable que soit inйgal tout ce qui est tel que l’un dйcroоt alors que l’autre croоt. Or, il semble que, alors que la charitй croоt, autre chose dйcroоt, car l’йtat de la patrie [status patriae], dans lequel la charitй atteindra sa perfection, est opposй а l’йtat de la route [status viae], dans lequel la foi prend place. L’un des opposйs croissant, l’autre dйcroоt. La charitй et la foi ne peuvent donc pas кtre йgales. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

Cependant :

[66751] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Apocal. XXI, 16 dicitur : quod latera civitatis sunt aequalia; per quae latera signantur virtutes, secundum Glossam. Ergo virtutes sunt aequales.

1. Il est dit, au chapitre XXI de l’Apocalypse, que les cфtйs de la citй sont йgaux, cфtйs qui dйsignent les vertus, selon la Glose. Les vertus sont donc йgales.

 

[66752] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus in VI de Trinit. : quicumque sunt aequales in fortitudine, aequales sunt in prudentia et temperantia. Si enim dixeris aequales esse istos fortitudine, sed illum praestare prudentia; sequitur quod huius fortitudo minus prudens sit. Ac per hoc nec fortitudine aequales erunt; quando est illius fortitudo prudentior. Atque ita de ceteris virtutibus invenies, si omnes eadem consideratione percurras. Non autem oporteret eos qui sunt aequales in una virtute, esse aequales in aliis, nisi omnes virtutes in uno homine sint aequales.

2. Augustin dit, au livre VI de La Trinitй : « Tous ceux qui sont йgaux en force, sont йgaux en prudence et en tempйrance. En effet, si tu prйtends que ces hommes sont йgaux en force mais que celui-lа l’emporte en prudence, il s’ensuit que la force de celui-ci est moins prudente. Et par consйquent, ils ne seront pas йgaux en force, alors que la force de celui-lа est plus prudente. Et tu feras la mкme observation pour les autres vertus si tu les passes toutes en revue de la mкme faзon. ». Or, il ne serait pas nйcessaire que ceux qui sont йgaux pour une vertu soient йgaux dans les autres, si toutes les vertus n’йtaient pas йgales chez un seul homme.

[66753] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit super Ezech. quod fides, spes, caritas et operatio sunt aequales. Ergo pari ratione omnes aliae virtutes sunt aequales.

3. Grйgoire dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel, que la foi, l’espйrance, la charitй et l’action sont йgales. Pour la mкme raison, toutes les autres vertus sont donc йgales.

[66754] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Ezech. XLVI, 22, dicitur : mensurae unius quatuor erant; Glossa : quibus proficimus ad virtutem. Sed quae unius mensurae, sunt aequalia. Ergo omnes sunt aequales.

4. Il est dit dans Ez 46, 22 : Les quatre avaient les mкmes dimensions, et dans la Glose : « Par lesquelles nous avanзons vers la vertu ». Or, ce qui a les mкmes dimensions est йgal. Elles sont donc toutes йgales.

[66755] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 5 Praeterea, Damascenus dicit : naturales sunt virtutes, et aequaliter insunt omnibus secundum esse accidentis. Ergo virtutes secundum suum esse accidentis sunt aequales.

5. [Jean] Damascиne dit : « Les vertus sont naturelles et existent йgalement en tous selon leur caractиre accidentel ». Les vertus sont donc йgales selon leur caractиre accidentel.

 

[66756] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 6 Praeterea, maioris virtutis actui debetur maius praemium. Si ergo in homine esset una virtus maior quam alia, sequeretur quod eidem homini deberetur maius et minus praemium; quod est inconveniens.

6. On doit а l’acte d’une vertu plus grande une rйcompense plus grande. Si donc une vertu йtait plus grande qu’une autre chez un homme, il s’ensuivrait que l’on devrait au mкme homme une rйcompense plus grande et une moins grande, ce qui est incorrect.

[66757] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 7 Praeterea, si simpliciter sequitur ad simpliciter, et magis sequitur ad magis. Sed ad hoc quod una virtus habeatur, sequitur quod omnes habeantur, quia virtutes sunt connexae, ut supra, art. praeced., dictum est. Ergo ad hoc quod una magis habeatur, sequitur quod omnes magis habeantur; oportet ergo omnes virtutes esse aequales.

7. Si le simple suit le simple, le plus suit le plus. Or, pour possйder une vertu il faut les possйder toutes, parce que les vertus sont connexes, comme il a йtй dit ci-dessus, dans l’article prйcйdent. Pour en possйder une davantage, il dйcoule donc que toutes doivent кtre davantage possйdйes. Il faut donc que toutes les vertus soient йgales.

Rйponse :

[66758] De virtutibus, q. 5 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod aequale et inaequale dicuntur secundum quantitatem; unum enim in quantitate aequale dicitur, sicut in qualitate simile, et in substantia idem, ut patet in V Metaph. Quantitas autem importat rationem mensurae, quae primo quidem invenitur in numeris; secundario autem in magnitudinibus; et quodam alio modo in omnibus aliis generibus, ut patet in IX Metaph. In quolibet enim genere id quod est simplicissimum et perfectissimum, est mensura omnium aliorum, ut in coloribus albedo, et in motibus motus diurnus; eo quod unaquaeque res tanto perfectior est, quanto magis accedit ad primum sui generis principium. Ex quo patet quod perfectio uniuscuiusque rei secundum quam attenditur mensuratio eius, est a primo principio; similiter quantitas eius; et hoc est quod Augustinus dicit in VIII de Trinit., quod in his quae non mole magna sunt, idem est melius quod maius. Cum autem cuiuslibet formae non subsistentis esse consistat in eo quod subiecto vel materiae inest, dupliciter potest eius quantitas seu perfectio considerari : uno modo, secundum rationem propriae speciei; alio modo, secundum esse quod habet in materia seu subiecto. Secundum quidem rationem propriae speciei, formae diversarum specierum sunt inaequales; sed formae unius speciei quaedam quidem possunt esse aequales, quaedam autem non. Oportet enim principium specificum accipi in aliquo indivisibili. Differentia enim huiusmodi principii speciem variat, et ideo, si hoc principio esset additio vel subtractio, ex necessitate species variaretur. Unde et philosophus dicit in VIII Metaph., quod species rerum sunt sicut numeri, in quibus unitas addita vel subtracta variat speciem. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem per aliquid suae essentiae, sicut omnes formae absolutae, sive sint substantiales sive accidentales; et in talibus impossibile est quod in eadem specie secundum hunc modum una forma maior alia inveniatur, non enim est una albedo secundum se considerata, magis albedo quam alia. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem ex aliquo extrinseco ad quod ordinantur, sicut motus sortitur speciem ex termino. Unde unus motus est maior alio, secundum propinquitatem vel distantiam a termino. Et similiter inveniuntur quaedam qualitates quae sunt dispositiones in ordine ad aliquid; sicut sanitas est quaedam commensuratio humorum in ordine ad naturam animalis, quod dicitur sanum : et ideo aliquis gradus commensurationis humorum in leone est sanitas, qui in homine esset infirmitas. Quia ergo secundum gradum commensurationis sanitas non recipit speciem, sed secundum naturam animalis ad quam ordinatur, contingit etiam quod in eodem animali una sanitas est maior quam alia, ut dicitur X Ethicorum : in quantum, scilicet, diversi gradus commensurationis humorum possunt esse, in quibus salvatur convenientia humanae naturae. Et eodem modo se habet in scientia, quae recipit unitatem ex unitate subiecti; unde in uno potest esse geometria maior quam in alio, in quantum novit plures conclusiones ordinatas ad cognitionem subiecti geometriae, quod est magnitudo. Similiter etiam secundum quantitatem perfectionis quam habent huiusmodi formae secundum quod insunt materiae vel subiecto, quaedam formae unius speciei inaequales esse possunt, in quantum insunt secundum magis et minus; quaedam vero magis et minus inesse non possunt. Non enim quaecumque forma dat speciem subiecto cui inest, potest inesse magis et minus : quia, sicut dictum est, principium specificum oportet in indivisibili consistere; quod inde est, quia nulla forma substantialis recipit magis et minus. Similiter etiam si qua forma speciem sortiatur secundum aliquid quod secundum suam rationem est indivisibile, non dicitur secundum magis et minus. Et inde est quod binarius, et quaelibet alia species numeri quae specificatur secundum unitatem additam, non recipit magis et minus; et eadem ratio est in figuris quae secundum numerum specificantur, ut triangulus et quadratum; et in quantitatibus determinatis, ut bicubitum et tricubitum; et in relationibus numeralibus, sicut duplum et triplum. Formae vero quae neque dant speciem subiecto, neque sortiuntur speciem ex aliquo quod secundum rationem suam sit indivisibile, possunt inesse secundum magis et minus, ut albedo et nigredo, et alia huiusmodi. Ex his igitur patet, quod dupliciter potest aliquid se ad diversas formas habere circa aequalitatem et inaequalitatem. Quaedam enim formae sunt quae in eadem specie inaequalitatem non recipiunt neque secundum se, ut una earum sit maior quam alia eiusdem speciei, neque secundum esse, ut scilicet magis insit subiecto; et huiusmodi sunt omnes formae substantiales. Quaedam vero inaequalitatem non recipiunt secundum se, sed solum secundum quod insunt subiecto, sicut albedo et nigredo. Quaedam vero inaequalitatem recipiunt secundum se, non tamen secundum quod insunt subiecto, sicut triangulus dicitur maior triangulo, eo quod lineae unius trianguli sunt maiores quam alterius, quamvis ordinentur ad aliquid unum specificans; non tamen una superficies est magis triangula quam alia. Quaedam vero sunt quae recipiunt inaequalitatem et secundum se, et secundum quod insunt subiecto; sicut sanitas, et scientia, et motus. Est enim motus inaequalis, vel quia maius spatium pertransit, vel quia mobile velocius movetur. Similiter etiam scientia est maior unius quam alterius, vel quia conclusiones plures novit, vel quia easdem res melius scit. Similiter potest esse sanitas inaequaliter, vel quia gradus commensurationis in uno est propinquior debitae et perfectae aequalitati quam in alio, vel quia circa eumdem gradum commensurationis unus firmius se habet quam alius, et melius. His igitur visis, circa aequalitatem et inaequalitatem virtutum dicendum est, quod si loquamur de inaequalitate virtutum quae attenditur secundum seipsas, sic virtutes diversarum specierum possunt esse inaequales. Cum enim virtus sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Ethic., illa virtus perfectior et maior est quae ad maius bonum ordinatur. Et secundum hoc virtutes theologicae, quarum obiectum est Deus, sunt aliis potiores; inter quas tamen caritas est maior, quia propinquius Deo coniungit; et spes maior quam fides, quia scilicet spes aliqualiter movet affectum in Deum, fides autem facit Deum in homine esse per modum cognitionis. Inter alias autem virtutes prudentia est maxima, quia est moderatrix aliarum; et post hanc iustitia, per quam homo bene se habet non solum in seipso, sed ad alium; et post hanc fortitudo, per quam homo propter bonum contemnit pericula mortis; et post hanc temperantia, per quam homo propter bonum contemnit maximas delectationes corporalium. Sed in eadem specie virtutis non potest huiusmodi inaequalitas inveniri sicut invenitur in eadem specie scientiae, quia non est de ratione scientiae, quod habens aliquam scientiam sciat omnes conclusiones illius scientiae; est autem de ratione virtutis, ut habens aliquam, bene se habeat in omnibus quae ad virtutem illam pertinent. Secundum vero perfectionem vel quantitatem virtutis ex parte illa qua inest subiecto, potest esse inaequalitas etiam in eadem specie virtutis : in quantum unus habentium virtutem melius se habet ad ea quae sunt illius virtutis quam alius; vel propter meliorem dispositionem naturalem, vel propter maius exercitium, vel propter melius iudicium rationis, vel propter gratiae donum; quia virtus neque dat speciem subiecto, neque habet aliquid indivisibile in sui ratione, nisi secundum Stoicos, qui dicebant nullum habere virtutem nisi eam haberet in summo; et secundum hoc omnes sunt habentes eamdem virtutem aequaliter. Sed hoc non videtur esse de ratione alicuius virtutis, quia talis diversitas in modo participandi virtutem attenditur secundum praedicta, quae non pertinent ad rationem alicuius particularis virtutis, puta castitatis, vel similium. Sic igitur in diversis, virtutes inaequales esse possunt, et quantum ad diversas species virtutum, et etiam secundum quod insunt subiecto, quantum etiam ad unam speciem virtutis. Sed in uno et in eodem homine sunt quidem virtutes inaequales secundum quantitatem vel perfectionem, quam virtus secundum se habet; secundum vero illam quantitatem et perfectionem quam habet virtus secundum quod inest subiecto, simpliciter quidem oportet omnes virtutes esse aequales, eadem ratione qua et sunt connexae, quia aequalitas est quaedam connexio in quantitate. Unde et aequalitatis rationem aliqui assignant secundum quod per quatuor virtutes cardinales intelliguntur quidam generales modi virtutum; et huiusmodi est ratio Augustini in VI de Trinit. Aliter vero assignari potest secundum dependentiam virtutum moralium a prudentia, et omnium virtutum a caritate; unde ubi est aequaliter caritas, oportet omnes virtutes esse aequales secundum formalem perfectionem virtutis; et eadem ratione de prudentia per comparationem ad virtutes morales. Secundum quid vero possunt virtutes esse inaequales in uno et eodem, sicut et non connexae, secundum inclinationem potentiae ad actum, quae est ex natura, vel ex quacumque alia causa. Et propter hoc quidam dicunt, quod sunt inaequales secundum actum; sed hoc non est intelligendum nisi secundum inaequalitatem inclinationis ad actum.

On parle d’йgal et d’inйgal selon la quantitй, car on parle d’une chose йgale selon la quantitй. En effet, on dit qu’une chose est йgale en quantitй, comme [on dit] qu’une chose est semblable par la qualitй et la mкme par la substance, comme cela ressort clairement du livre V de la Mйtaphysique. Or, la quantitй comporte la notion de mesure, que l’on trouve d’abord dans les nombres, puis dans les grandeurs, et, d’une autre maniиre, dans tous les autres genres, comme cela ressort clairement du livre IX de la Mйtaphysique. Dans n’importe quel genre, en effet, ce qui est le plus simple et le plus parfait est la mesure de tout le reste, comme le blanc dans les couleurs et le mouvement quotidien dans les mouvements, parce que chaque rйalitй est d’autant plus parfaite qu’elle s’approche du principe premier de son genre. Dиs lors, il est clair que la perfection d’une rйalitй selon laquelle on envisage de la mesurer se prend de son premier principe. De mкme en est-il pour sa quantitй. C’est ce que dit Augustin au livre VIII de La Trinitй : « Pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la mкme chose d’кtre meilleures et d’кtre plus grandes. ». Or, comme l’кtre de n’importe quelle forme non subsistante consiste en ce qu’elle existe dans un sujet ou dans une matiиre, on peut considйrer de deux faзons sa quantitй ou sa perfection : d’une faзon, selon le caractиre de sa propre espиce; d’une autre faзon, selon l’кtre qu’elle a dans la matiиre ou dans le sujet. Selon le caractиre de leur propre espиce, les formes des diverses espиces sont inйgales, mais certaines formes d’une seule espиce peuvent кtre йgales, et certaines non. En effet, il faut qu’un principe spйcifique soit reзu dans quelque chose d’indivisible. Car la diffйrence d’un principe de ce genre diversifie l’espиce, et ainsi, s’il y avait addition ou soustraction а ce principe, l’espиce serait nйcessairement diffйrente. Aussi le Philosophe dit-il, au livre VIII de la Mйtaphysique, que les espиces des choses sont comme les nombres, dans lesquels une unitй ajoutйe ou soustraite diversifie l’espиce. Mais il y a des formes qui reзoivent leur espиce par quelque chose de leur essence, comme toutes les formes absolues, qu’elles soient substantielles ou accidentelles. Et dans de telles formes, il est impossible que l’on trouve de cette maniиre dans la mкme espиce une forme plus grande qu’une autre : en effet, considйrйe en elle-mкme, une blancheur n’est pas davantage blancheur qu’une autre. Mais il y a des formes qui reзoivent leur espиce de quelque chose d’extйrieur а quoi elles sont ordonnйes, comme le mouvement tire son espиce du terme. Dиs lors, un mouvement est plus grand qu’un autre, selon la proximitй ou la distance par rapport au terme. Et l’on trouve de mкme des qualitйs qui sont des dispositions ordonnйes а quelque chose, comme la santй est une mesure proportionnйe des humeurs du corps, ordonnйe а la nature d’un animal ; c’est pourquoi un certain degrй de mesure des humeurs chez le lion est la santй, qui, chez l’homme, serait une maladie. Donc, parce que la santй ne reзoit pas son espиce du degrй de la mesure, mais de la nature de l’animal а laquelle elle est ordonnйe, il arrive aussi que, chez le mкme animal, une santй soit plus grande qu’une autre, comme il est dit au livre X de l’Йthique, dans la mesure oщ il peut exister des degrйs dans la mesure des humeurs, qui maintiennent l’harmonie de la nature humaine. Et il en va de mкme pour la science, qui reзoit l’unitй de l’unitй du sujet. Dиs lors, la gйomйtrie peut кtre plus grande chez l’un que chez l’autre, dans la mesure oщ il connaоt plus de conclusions ordonnйes а la connaissance du sujet de la gйomйtrie, qui est la grandeur. De mкme aussi selon la quantitй de perfection que possиdent les formes de ce genre, selon qu’elles sont dans la matiиre ou dans le sujet, certaines formes d’une seule espиce peuvent кtre inйgales, dans la mesure oщ elles s’y trouvent plus ou moins. Mais certaines ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins. En effet, toutes les formes qui donnent l’espиce au sujet dans lequel elles existent ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins, parce que, comme on vient de le dire, un principe spйcifique doit consister en quelque d’indivisible ; de lа dйcoule qu’aucune forme substantielle ne reзoit du plus ou du moins. De mкme aussi, si une forme partage une espиce selon quelque chose qui est spйcifiquement indivisible, on n’en parle pas comme de quelque chose de plus ou de moins. C’est pourquoi le double, et n’importe quelle autre espиce de nombre, qui reзoit son espиce d’une unitй ajoutйe, ne reзoit pas plus ou moins. Et la mкme raison vaut pour les figures qui reзoivent leur espиce du nombre, comme le triangle et le carrй ; et pour les quantitйs dйterminйes, comme deux coudйes et trois coudйes, et pour les relations entre les nombres, comme double et triple. Mais les formes qui ne donnent pas son espиce au sujet et ne reзoivent pas leur espиce de quelque chose qui est spйcifiquement indivisible, peuvent y exister en plus ou en moins, comme la blancheur ou le noir, et les autres choses du mкme genre. Il ressort donc clairement de cela que quelque chose peut avoir un rapport а diverses formes selon l’йgalitй et l’inйgalitй. En effet, il y a des formes qui, а l’intйrieur d’une mкme espиce, ne reзoivent pas l’inйgalitй ni par elles-mкmes, de sorte que l’une d’elles soit plus grande qu’une autre de cette espиce, ni selon l’кtre, de sorte qu’elle existe davantage dans un sujet : et toutes les formes substantielles sont de ce genre. Mais certaines ne reзoivent pas l’inйgalitй par elles-mкmes, mais seulement selon qu’elles existent dans un sujet, comme la blancheur et le noir. Mais certaines reзoivent l’inйgalitй par elles-mкmes, mais non selon qu’elles existent dans un sujet, comme un triangle est dit plus grand qu’un autre triangle, parce que les lignes d’un triangle sont plus grandes que celles d’un autre, bien qu’elles soient ordonnйes а une seule chose qui leur donne leur espиce; cependant, une surface n’est pas plus triangulaire qu’une autre. Mais il y en a qui reзoivent l’inйgalitй et par elles-mкmes, et selon qu’elles existent dans un sujet, comme la santй, la science et le mouvement. En effet, le mouvement est inйgal, soit parce qu’il traverse un espace plus grand, soit parce que le mobile est mы plus rapidement. De mкme aussi la science de l’un est plus grande que celle d’un autre, soit parce qu’il connaоt un plus grand nombe de conclusions, soit parce qu’il sait mieux les mкmes choses. De mкme la santй peut кtre inйgale, soit parce que le degrй de la mesure [des humeurs] est plus proche de l’йgalitй convenable et parfaite chez l’un que chez l’autre, soit parce que l’un se trouve а un degrй de mesure de faзon plus ferme et meilleure que l’autre. Aprиs avoir vu cela, il faut dire, а propos de l’йgalitй et de l’inйgalitй des vertus, que, si nous parlons de l’inйgalitй des vertus tirйe d’elles-mкmes, ainsi les vertus d’espиces diverses peuvent кtre inйgales. En effet, comme la vertu est la disposition de ce qui est parfait а ce qui est meilleur, comme il est dit au livre VII de l’Йthique, la vertu plus parfaite et plus grande est celle qui est ordonnйe au bien plus grand. Ainsi les vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, sont plus puissantes que les autres ; toutefois, parmi elles, la charitй est plus grande, parce qu’elle unit de maniиre plus proche а Dieu ; et l’espйrance est plus grande que la foi, parce que l’espйrance meut d’une certaine faзon l’affectivitй vers Dieu, alors que la foi fait que Dieu se trouve dans l’homme par mode de connaissance. Mais, parmi les autres vertus, la prudence est la plus grande, parce qu’elle rиgle les autres; et aprиs elle, la justice, qui permet а l’homme de bien se comporter, non seulement en lui-mкme, mais envers autrui; et aprиs elle, la force, qui fait que l’homme mйprise les dangers mortels pour le bien ; et aprиs elle, la tempйrance, qui fait que l’homme mйprise les plus grands plaisirs du corps pour le bien. Mais dans une mкme espиce de vertu, on ne peut pas trouver une inйgalitй de ce genre, comme on en trouve dans une mкme espиce de science, parce qu’il n’est pas de la raison de la science que celui qui possиde une science connaisse toutes les conclusions qui relиvent de cette science. Mais, selon la perfection ou la quantiй de la vertu, pour autant qu’elle existe dans un sujet, il peut exister une inйgalitй mкme а l’intйrieur de la mкme espиce de vertu, dans la mesure oщ l’un entretient un meilleur rapport qu’un autre avec ce qui relиve de cette vertu, soit par une meilleure disposition naturelle, soit par un plus grand exercice, soit par un meilleur jugement de la raison, soit par un don de la grвce, parce que la vertu ne donne pas l’espиce au sujet et ne possиde pas non plus quelque chose d’indivisible dans ce qu’elle a de spйcifique, sauf selon les Stoпciens, qui disaient que personne ne possйdait la vertu s’il ne la possйdait pas au plus haut point, et qu’ainsi tous possиdaient la mкme vertu de maniиre йgale. Mais il ne semble pas que cela fasse partie de la raison de vertu, parce qu’une telle diversitй dans le mode de participation а la vertu est tirйe de ce qui a йtй dit, qui n’appartient pas а la raison d’une vertu particuliиre, par exemple, la chastetй, ou de vertus semblables. Ainsi donc, les vertus peuvent кtre inйgales chez divers individus, tant par rapport aux diverses espиces de vertus, que par leur maniиre d’exister dans un sujet, mкme par rapport а une seule espиce de vertu. Mais chez un seul et mкme homme, les vertus sont effectivement inйgales selon la quantitй ou la perfection que la vertu possиde par elle-mкme. Mais selon cette quantitй et perfection que la vertu possиde pour autant qu’elle existe dans un sujet, il faut, а parler simplement, que toutes les vertus soient йgales, pour la mкme raison qu’elles sont aussi connexes, parce que l’йgalitй est une certaine connexion dans la quantitй. Dиs lors, certains attribuent aussi la notion d’йgalitй au fait que, par les quatre vertus cardinales, l’on entend certains modes gйnйraux des vertus. C’est la raison que donne Augustin, au livre VI de La Trinitй. Mais on peut l’attribuer autrement а la dйpendance des vertus morales par rapport а la prudence, et de toutes les vertus par rapport а la charitй. Dиs lors, lа oщ la charitй se trouve de maniиre йgale, il faut que toutes les vertus soient йgales selon la perfection formelle de la vertu; et de mкme pour la prudence, comparйe aux vertus morales. Mais, а parler relativement, les vertus peuvent кtre inйgales chez un seul et mкme homme, si elles ne sont pas connexes, selon l’inclination de la puissance а l’acte qui provient de la nature, ou pour n’importe quelle autre cause. C’est pourquoi certains disent qu’elles sont inйgales selon l’acte, mais cela ne doit кtre entendu que selon l’inйgalitй de l’inclination а l’acte.

Solutions :

[66759] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de inaequalitate quae est et attenditur secundum ipsas virtutes, non de inaequalitate quae est secundum inesse ipsarum, de qua nunc loquimur. Caritas enim, ut dictum est, secundum se est maior omnibus aliis virtutibus; sed tamen, ea crescente, etiam proportionaliter crescunt omnes aliae virtutes in uno et eodem homine, sicut digiti manus secundum se sunt inaequales, tamen proportionaliter crescunt.

1. Cet argument procиde de l’inйgalitй tirйe des vertus elles-mкmes, non de l’inйgalitй qui existe et qui est envisagйe selon les vertus elles-mкmes, et non de l’inйgalitй qui vient de leur existence dans quelque chose, dont nous parlons maintenant. En effet, la charitй, comme on l’a dit, est en elle-mкme plus grande que toutes les autres vertus. Mais cependant, alors qu’elle croоt, toutes les autres vertus croissent aussi proportion­nellement dans un seul et mкme homme, de mкme que les doigts de la main sont inйgaux en eux-mкmes, mais croissent propor­tionnellement.

[66760] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, tertium, quartum, quintum et sextum; et etiam ad septimum, quod secundum eumdem modum probabat, aliis virtutibus esse fortitudinem maiorem.

2. 3. 4. 5. 6. Il faut dire la mкme chose. Et aussi pour 7, qui dйmontrait de la mкme maniиre que la force йtait plus grande que les autres vertus.

[66761] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 8 Similiter etiam ad octavum, quod eodem modo procedit de iustitia, licet iustitia, quae est tota virtus, non sit illa iustitia quae ponitur virtus cardinalis.

8. Cer argument s’adresse de la mкme faзon а la justice, bien que la justice, qui est une vertu complиte, ne soit pas la justice йtablie comme vertu cardinale.

[66762] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 9 Et similiter etiam dicendum ad nonum; quia in hoc omnes virtutes homini insunt, quod distinguuntur secundum maiorem et minorem perfectionem speciei.

9. Il en va de mкme, parce que toutes les vertus existent en l’homme selon qu’elles se distinguent par une plus ou moins grande perfection de leur espиce.

[66763] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 10 Et similiter etiam dicendum ad decimum, quia etiam hoc modo vitia sunt inaequalia.

10. Il en va de mкme, parce que, mкme de cette faзon, les vices sont inйgaux.

[66764] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod unus magis laudatur de una virtute quam de alia propter maiorem promptitudinem ad actum.

11. L’un est plus louй pour une vertu que pour une autre, en raison d’une plus grande promptitude а l’acte.

[66765] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ubi est maior habitus, oportet quod sit maior actus secundum inclinationem habitus. Potest tamen esse in homine aliquid vel impediens vel disponens ad actum, quod per accidens se habet ad habitum; sicut habitus scientiae impeditur ne ad actum prodeat, propter ebrietatem. Et ideo secundum huiusmodi impedimenta vel auxilia ad agendum, potest quandoque esse augmentum in actu, non existente augmento circa habitum.

12. Lа oщ l’habitus est plus grand, il faut que l’acte soit plus grand selon l’inclination de l’habitus. Il peut cependant y avoir quelque chose en l’homme qui empкche l’action ou y dispose, qui a un rapport accidentel avec l’habitus, comme l’habitus de science est empкchй d’кtre mis en acte par l’ivresse. Ainsi, par des empкchements ou des aides а l’action de ce genre, il peut y avoir parfois une augmentation dans l’acte, alors que l’augmentation n’existe pas pour l’habitus.

[66766] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in habitibus acquisitis maius exercitium causat maiorem habitum; tamen per accidens potest impediri habitus iam ex pluribus actibus acquisitus, ut non magis possit in actum procedere; sicut dictum est in corp. art.

13. Dans les habitus acquis, un exercice plus grand engendre un habitus plus grand. Cependant un habitus dйjа acquis par plusieurs actes peut кtre empкchй par accident, de sorte qu’il ne peut plus кtre mis en acte, comme on l’a dit dans le corps de cet article.

[66767] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod in rebus naturalibus, ubi est aequalis forma, potest esse inaequalitas actus propter aliquod impedimentum accidentale.

14. Dans les choses naturelles, oщ la forme est йgale, il peut exister une inйgalitй de l’acte en raison d’un empкchement accidentel.

[66768] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod potentiae sunt inaequales secundum seipsas : in quantum, scilicet, una potentia secundum propriam rationem est perfectior alia. Et hoc etiam modo dictum est, quod virtutes sint inaequales.

15. Les puissances sont inйgales en elles-mкmes, dans la mesure oщ une puissance est plus parfaite qu’une autre selon sa propre raison. Et, de cette maniиre aussi, on a dit que les vertus sont inйgales.

[66769] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod virtutes insunt proportionaliter, ut dictum est; unde ex hoc non sequitur quod inaequaliter habeantur.

16. Les vertus existent [dans un sujet] de maniиre proportionnelle, comme on vient de le dire. Dиs lors, il ne s’ensuit pas qu’elles sont possйdйes de maniиre inйgale.

[66770] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod status patriae opponitur fidei, ratione apertae visionis, quam non consequitur aliquis per augmentum caritatis; unde non oportet quod crescente caritate fides minuatur.

17. L’йtat de la patrie est opposй а la foi, en raison de la pleine vision, que l’on obtient pas par l’augmentation de la charitй. Dиs lors, il n’est pas nйcessaire que la foi diminue alors que la charitй croоt.

Solutions : des arguments en sens contraire :

[66771] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiecta sunt et secundum, tertium et quartum patet responsio ex his quae dicta sunt.

1. 2. 3. 4. La rйponse est claire avec ce qui a йtй dit.

[66772] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod Damascenus intelligit virtutes aequaliter in omnibus esse.

5. [Jean] Damascиne comprend que les vertus existent de maniиre йgale en tous.

[66773] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod praemium essentiale respondet radici caritatis; et ideo, si etiam detur quod virtutes non sint aequales, tamen idem praemium debebitur uni homini propter identitatem caritatis.

6. La rйcompense essentielle correspond а la racine de la charitй. Ainsi, mкme si l’on admet que les vertus ne sont pas йgales, la mкme rйcompense sera cependant donnйe а un seul homme, en raison de l’identitй de la charitй.

[66774] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 7 Septimum concedimus.

7. Nous concйdons le septiиme argument.

 

 

Articulus 4 : [66775] De virtutibus, q. 5 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum virtutes cardinales maneant in patria

Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ?

Objections :

[66776] De virtutibus, q. 5 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

[66777] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 1 Dicit enim Gregorius, XVI Moral., quod accidentia vitae comparata cum corpore transeunt. Non ergo manent in patria.

Il semble que non.

1. Grйgoire dit en effet, au livre XVI des Morales sur Job, que les accidents de la vie, comparйs au corps, passent. Ils ne demeurent donc pas dans la patrie.

[66778] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 2 Praeterea, habito fine non sunt necessaria ea quae sunt ad finem; sicut postquam pervenitur ad portum, non necessaria est navis. Sed virtutes cardinales in hoc distinguuntur a theologicis, quod theologicae habent ultimum finem pro obiecto, cardinales autem sunt circa ea quae sunt ad finem. Ergo quando perventum fuerit ad ultimum finem in patria, non erit necessaria virtus cardinalis.

2. Une fois que l’on possиde la fin, ce qui est ordonnй а la fin n’est plus nйcessaire, de mкme que, aprиs кtre arrivй au port, le navire n’est plus nйcessaire. Or, les vertus cardinales se distinguent des vertus thйologales en ceci que les thйologales ont la fin ultime pour objet, alors que les cardinales portent sur ce qui est ordonnй a la fin. Quand on sera parvenu а la fin ultime dans la patrie, les vertus cardinales ne seront donc plus nйcessaires.

[66779] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 3 Praeterea, sublato fine cessat id quod est ad finem. Sed virtutes cardinales ordinantur ad bonum civile, quod non erit in patria. Ergo neque virtutes cardinales erunt in patria.

3. La fin enlevйe, ce qui est ordonnй а la fin s’arrкte. Or, les vertus cardinales sont ordonnйes au bien civil, qui n’existera plus dans la patrie. Les vertus cardinales n’existeront donc plus dans la patrie.

[66780] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 4 Praeterea, id non dicitur manere in patria, sed magis evacuari, quod non manet secundum propriam speciem, sed solum secundum communem generis rationem; sicut fides dicitur evacuari, quamvis maneat cognitio, quae est genus eius. Sed virtutes cardinales non remanent in patria secundum proprias species, secundum quas distinguuntur : dicit enim Augustinus, XII super Genes. ad Litt., quod una ibi et tota virtus est amare quod videris. Ergo virtutes cardinales non manent in patria, sed evacuantur.

4. On ne dit pas que demeure dans la patrie, mais plutфt en est йcartй, ce qui ne demeure pas selon sa propre espиce, mais seulement selon la raison commune du genre ; comme l’on dit que la foi est йcartйe, bien que demeure la connaissance, qui en est le genre. Or, les vertus cardinales ne demeurent pas dans la patrie selon leurs espиces propres, qui les distinguent : en effet, Augustin dit, au livre XII de La Genиse au sens littйral, que lа-bas, la vertu complиte consiste а aimer ce que l’on verra. Les vertus cardinales ne demeurent donc pas dans la patrie, mais sont йcartйes.

[66781] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 5 Praeterea, virtutes habent speciem ex obiectis. Sed obiecta virtutum cardinalium non manent in patria : nam prudentia est circa dubia, de quibus est consilium; iustitia autem est circa contractus et iudicia; fortitudo autem est circa pericula mortis; temperantia autem circa concupiscentias ciborum et venereorum, quae omnia non erunt in patria.

5. L’espиce des vertus provient des objets. Or, les objets des vertus cardinales ne demeurent pas dans la patrie : la prudence, en effet, concerne les doutes, sur lesquels porte le conseil ; la justice concerne les contrats et les jugements ; la force concerne les dangers mortels, et la tempйrance concerne les concupiscences dans la nourriture et les plaisirs sexuels, tout ce qui n’existera pas dans la patrie.

[66782] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 6 Sed dicendum, quod in patria habebunt alios actus.- Sed contra, diversitas eius quod cadit in definitione alicuius rei, diversificat speciem eius. Sed actus cadit in definitione habitus : dicit enim Augustinus in libro de bono Coniug., quod habitus est quo quis agit cum tempus affuerit. Ergo si sunt diversi actus, erunt et habitus specie differentes.

6. Mais il faut dire que, dans la patrie, elles auront d’autres actes. – Cependant, la diversitй de ce qui dйfinit une chose diversifie son espиce. Or, l’acte dйfinit l’habitus. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur le bien conjugal, que l’habitus est ce qui nous fait agir au moment opportun. Si les actes sont divers, les habitus seront donc aussi diffйrents en espиce.

[66783] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 7 Praeterea, secundum Plotinum, ut Macrobius refert, aliae sunt virtutes purgati animi, et aliae virtutes politicae. Sed virtutes purgati animi maxime videntur esse virtutes quae sunt in patria; virtutes autem quae sunt hic, sunt virtutes politicae. Ergo virtutes quae sunt hic, non manent, sed evacuantur.

7. Selon Plotin, comme le rapporte Macrobe, autres sont les vertus de l’вme purifiйe, et autres sont les vertus politiques. Or, les vertus de l’вme purifiйe semblent кtre surtout les vertus qui existent dans la patrie, alors que les vertus qui existent ici-bas sont les vertus politiques. Les vertus qui existent ici-bas ne demeurent donc pas, mais sont йcartйes.

[66784] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 8 Praeterea, plus distant status beatorum et viatorum, quam status domini et servi, aut viri et mulieris in vita praesenti. Sed secundum philosophum in I Politic., alia est virtus domini et alia est virtus servi, et similiter alia viri et alia mulieris. Ergo multo magis aliae sunt virtutes viatorum et beatorum.

8. Les йtats des bienheureux et de ceux qui sont en route sont plus йloignйs que les йtats du maоtre et de l’esclave, ou de l’homme et de la femme dans la vie prйsente. Or, selon le Philosophe, au livre I de La Politique, autre est la vertu du maоtre, et autre la vertu de l’esclave, et de mкme autre celle de l’homme, et autre celle de la femme. Les vertus de ceux qui sont en route et des bienheureux sont donc bien plus diffйrentes.

[66785] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 9 Praeterea, habitus virtutum sunt necessarii ad habilitandum possibilitatem ad actum. Sed huiusmodi habilitatio sufficienter fiet ibi per gloriam. Non ergo erunt necessarii habitus virtutum.

9. Les habitus des vertus sont nйcessaires pour rendre apte la possibilitй de l’acte. Or, une habilitation de ce genre se rйalisera suffisamment lа-bas par la gloire. Les habitus des vertus ne seront donc pas nйcessaires.

[66786] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 10 Praeterea, apostolus probat, I ad Corinth. XIII, 8, quod caritas est excellentior aliis, quia non evacuatur. Sed fides et spes, quae evacuantur, sunt nobiliores virtutibus cardinalibus, quia habent nobilius obiectum, scilicet Deum. Ergo virtutes cardinales evacuantur.

 10. L’Apфtre montre, dans 1 Co 13, 8, que la charitй est bien supйrieure aux autres, parce qu’elle ne sera pas йcartйe. Or, la foi et l’espйrance, qui sont йcartйes, sont plus nobles que les vertus cardinales, parce qu’elles ont un objet plus noble : Dieu. Les vertus cardinales sont donc йcartйes.

[66787] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 11 Praeterea, virtutes intellectuales sunt nobiliores moralibus, ut patet in VI Ethic. Sed virtutes intellectuales non manent, quia scientia destruetur, ut dicitur I ad Corinth. cap. XIII, 8. Ergo nec virtutes cardinales manebunt in patria.

11. Les vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, comme cela est clair d’aprиs le livre VI de l’Йthique. Or, les vertus intellectuelles ne demeurent pas, parce que « la science sera dйtruite », comme il est dit dans 1 Co 13, 8. Les vertus cardinales ne demeureront donc pas dans la patrie.

[66788] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut Iac. I, 4, dicitur, patientia opus perfectum habet. Sed patientia non manet in patria nisi secundum praemium, ut dicit Augustinus XIV de Civit. Dei. Ergo multo minus aliae virtutes morales.

 

12. Comme il est dit dans Jc 1, 4 : La patience s’accompagne d’une њuvre parfaite. Or, la patience ne demeure pas dans la patrie, si ce n’est par la rйcompense, comme le dit Augustin au livre XIV de La Citй de Dieu. Donc, les autres vertus morales encore bien moins.

[66789] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 13 Praeterea, quaedam virtutes cardinales, scilicet temperantia et fortitudo, sunt in potentiis animae sensitivis : sunt enim irrationabilium partium animae, ut patet per philosophum in III Ethic. Sed partes animae sensitivae neque sunt in Angelis, neque possunt esse in anima separata. Ergo huiusmodi virtutes non sunt in patria neque in Angelis, neque in animabus separatis.

13. Certaines vertus cardinales, la tempйrance et la force, sont dans les puissances sensitives de l’вme, car elles appartiennent aux parties irrationnelles de l’вme, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique. Or, les parties sensitives de l’вme n’existent pas chez les anges et ne peuvent pas se trouver dans l’вme sйparйe [du corps]. Les vertus de ce genre n’existent donc pas dans la patrie, ni chez les anges, ni dans les вmes sйparйes [du corps].

[66790] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, XIII de Civit. Dei, quod in patria vacabimus, videbimus, amabimus, laudabimus. Sed vacare est actus sapientiae : videre actus intellectus : amare actus caritatis : laudare actus latriae. Ergo ista sola erunt in patria, non autem virtutes cardinales.

14. Augustin dit, au livre XIII de La Citй de Dieu, que dans la patrie nous serons libres d’occupations, nous verrons, nous aimerons, nous louerons. Or, кtre libre d’occupations est un acte de la sagesse, voir, un acte de l’intelligence, aimer, un acte de la charitй, et louer, un acte de latrie. Ceux-lа seuls existeront donc dans la patrie, mais non les vertus cardinales.

[66791] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 15 Praeterea, in patria erunt homines similes Angelis, ut dicitur Matth. XXII, 30. Sed secundum sobrietatem homines non assimilantur Angelis, ad quos non pertinet cibis et potibus uti. Ergo sobrietas non erit in patria, et pari ratione nec aliae huiusmodi virtutes.

15. Dans la patrie, les hommes seront semblables aux anges, comme le dit Mt 22, 30. Or, par la sobriйtй, les hommes ne sont pas assimilйs aux anges, а qui il ne revient pas de consommer nourritures et boissons. La sobriйtй n’existera donc pas dans la patrie, et les autres vertus du mкme genre non plus, pour la mкme raison.

Cependant :

[66792] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sap. I, v. 15 : iustitia perpetua est et immortalis.

1. Il est dit dans Sg 1, 15 : La justice est йternelle et immortelle.

[66793] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Sap. VIII, 7, dicitur de divina sapientia quod sobrietatem et prudentiam docet, iustitiam et virtutem, quibus in vita nihil utilius est hominibus. Sed in patria erit plenissima participatio sapientiae. Ergo huiusmodi virtutes plenius erunt in patria.

2. En Sg 8, 7, il est dit de la sagesse divine qu’elle enseigne la tempйrance et la prudence, la justice et la force : il n’y a rien de plus utile pour les hommes dans la vie. Or, dans la patrie, la participation а la sagesse se rйalisera plus pleinement. Les vertus de ce genre existeront donc plus pleinement dans la patrie.           

[66794] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt divitiae spirituales. Sed spiritualium divitiarum maior copia est in patria quam in via. Ergo huiusmodi virtutes plenius in patria abundabunt.

3. Les vertus sont des richesses spirituelles. Or, l’abondance des richesses spirituelles est plus grande dans la patrie que pendant le voyage. Les vertus de ce genre abonderont donc plus pleinement dans la patrie.

Rйponse :

[66795] De virtutibus, q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in patria manent virtutes cardinales, et habebunt ibi alios actus quam hic, ut Augustinus dicit, XIII de Trinit. : quod nunc agit iustitia in subveniendo miseris, quod prudentia in praecavendis insidiis, quod fortitudo in perferendis molestiis, quod temperantia in coercendis delectationibus pravis, non ibi erit, ubi nihil omnino mali erit; sed iustitiae erit regenti Deo subditum esse; prudentiae, nullum bonum Deum praeponere vel aequare; fortitudinis, ei firmissime cohaerere; temperantiae, nullo affectu noxio delectari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut philosophus dicit in I de caelo, virtus importat ultimum potentiae. Manifestum est autem, quod in diversis naturis diversum est potentiae ultimum, quia altioris naturae est maior potentia, ad plura et maiora se extendens. Et ideo illud quod est virtus uni, non est virtus alteri; puta, hominis virtus determinatur ad ea quae sunt praecipua in humana vita; sicut temperantia humana est, quod a ratione homo non discedat propter maximas delectationes, sed eas magis secundum rationem moderetur; fortitudo autem humana est, ut propter bonum rationis firmiter stet contra maxima pericula, quae sunt pericula mortis. Sed quia divinae potentiae ultimum non attenditur secundum ista, sed secundum aliquid altius pertinens ad infinitatem potentiae eius; ideo fortitudo divina est eius immobilitas; temperantia erit conversio mentis divinae ad seipsam; prudentia autem est ipsa mens divina; iustitia autem Dei ipsa lex eius perennis. Est autem considerandum, quod diversa ultima dupliciter accipi possunt : uno modo secundum quod accipiuntur in eadem serie motus; alio modo secundum quod accipiuntur ut omnino disparata, et ad invicem non ordinata. Si igitur accipiantur diversa ultima quae sub una serie motus ordinantur, esse diversa ultima, faciunt diversas species motus; non autem diversificant speciem principii motivi, eo quod idem est principium motus quod movet a principio usque ad finem. Et huius exemplum accipere possumus in aedificatione, in qua ultimus terminus est forma domus completa; possunt tamen alia ultima accipi secundum complexionem singularum partium domus; unde, ut philosophus dicit in X Ethic., alius specie motus est fundatio domus, quae terminatur ad fundamentum, et alia columnarum erectio, et alia completa aedificatio; sed tamen ars aedificatoria est una et eadem, quae est horum trium motuum principium; et idem est in aliis motibus. Si vero accipiantur diversa ultima disparata, quae non sunt in una serie motus, sed sunt omnino disparata : tunc et motus specie differunt, et principia motiva; sicut alia ars est quae est principium aedificationis, et constructionis navis. Sic ergo ubi est idem ultimum specie, est et eadem virtus secundum speciem, idem actus, sive motus virtutis; sicut patet quod idem ultimum specie est quod attingit temperantia in me et in te, scilicet moderantia circa delectationes tactus; unde nec temperantia nec actus eius specie differt in me et in te. Ubi vero ultimum quod attingit virtus, nec est in eadem specie, nec sub eadem serie motus continetur, oportet quod sit differentia secundum speciem non solum in actu virtutis, sed etiam in ipsa virtute; sicut patet de istis virtutibus secundum quod dicuntur de Deo et de homine. Ubi vero ultimum virtutis differt specie (si tamen sub eadem serie motus continetur, ut scilicet ab uno perveniatur in aliud), est quidem actus differens specie, sed virtus est eadem; sicut fortitudinis actus ad aliud ultimum derivatur ante praelium, et ad aliud in ipso praelio, et ad aliud in triumpho : unde alius specie actus est accedere ad bellum, et alius in praelio fortiter stare, et alius iterum de adepta victoria gaudere; et eadem fortitudo est; sicut etiam eiusdem potentiae actus est amare, desiderare et gaudere. Manifestum est igitur ex praedictis, in istomet artic., quod cum status patriae sit altior quam status viae, pertingat ad perfectius ultimum. Si igitur ultimum illud ad quod pertingit virtus viae, ordinetur ad ultimum illud ad quod pertingit virtus patriae, necesse est quod sit eadem virtus secundum speciem; sed actus erunt differentes. Si autem non accipiatur unum in ordine ad aliud, tunc non erunt eaedem virtutes nec secundum actum nec secundum habitum. Manifestum est autem quod virtutes acquisitae, de quibus locuti sunt philosophi, ordinantur tantum ad perficiendum homines in vita civili, non secundum quod ordinantur ad caelestem gloriam consequendam. Et ideo posuerunt, quod huiusmodi virtutes non manent post hanc vitam, sicut de Tullio Augustinus narrat. Sed virtutes cardinales, secundum quod sunt gratuitae et infusae, prout de eis nunc loquimur, perficiunt hominem in vita praesenti in ordine ad caelestem gloriam. Et ideo necesse est dicere, quod sit idem habitus harum virtutum hic et ibi; sed quod actus sunt differentes : nam hic habent actus qui competunt tendentibus in finem ultimum; illic autem habent actus qui competunt iam in fine ultimo quiescentibus.

Les vertus cardinales demeurent dans la patrie, et elles y auront d’autres actes qu’ici-bas, comme le dit Augustin au livre XIII de La Trinitй : « Le rфle que joue maintenant la justice en venant en aide aux malheureux, la prudence en prenant des prйcautions contre les embыches, la force en persйvйrant dans les difficultйs, la tempйrance en rйfrйnant les plaisirs mauvais, n’aura plus de raison d’кtre lа-bas, oщ il n’y aura absolument aucun mal. Mais le propre de la justice sera d’кtre soumis au pouvoir de Dieu; de la prudence, de ne prйfйrer ou йgaler aucun bien а Dieu; de la force, d’кtre attachй а lui de la maniиre la plus ferme; de la tempйrance, de ne se plaire en aucun sentiment nuisible. » Pour montrer cela, il faut savoir que, comme le dit le Philosophe au livre I Du Ciel, la vertu conduit au point ultime d’une puissance. Or, il est clair que, dans les diverses natures, le point ultime de la puissance est diffйrent, parce que la puissance d’une nature plus йlevйe est plus grande, s’йtend а plus de choses et а des choses plus grandes. Ainsi, ce qui est vertu pour l’un n’est pas vertu pour l’autre. Par exemple, la vertu de l’homme est tournйe vers ce qui est le principal dans la vie humaine : ainsi, la tempйrance humaine consiste en ce que l’homme ne s’йloigne pas de la raison а cause des plus grands plaisirs, mais les modиre plutфt par la raison ; la force humaine consiste en ce que, en vue du bien de la raison, il demeure ferme contre les plus grands dangers, qui sont les dangers mortels. Mais parce que le point ultime de la puissance divine ne se prend pas de ces choses, mais de quelque chose de plus йlevй qui relиve de l’infinitй de sa puissance, la force divine est ainsi son immobilitй, la tempйrance sera la conversion de l’esprit divin vers lui-mкme, la prudence est l’esprit divin lui-mкme, et la justice de Dieu, sa propre loi йternelle. Mais il faut observer que l’on peut concevoir de deux faзons les divers points ultimes : d’une premiиre faзon, selon qu’ils sont reзus dans une mкme sйrie de mouvements; d’une seconde faзon, selon qu’ils sont reзus comme tout а fait sйparйs et non ordonnйs les uns aux autres. Si donc l’on conзoit les divers points ultimes selon qu’ils sont ordonnйs en une seule sйrie de mouvements, le fait qu’ils sont des points ultimes rend diverses les espиces de mouvement, mais ils ne rendent pas diverse l’espиce du principe qui meut, parce que c’est le mкme principe de mouvement qui meut du dйbut а la fin. Et nous pouvons en voir l’exemple dans la construction, oщ la forme achevйe de la maison est le terme ultime ; toutefois, l’on peut voir d’autres points ultimes dans l’assemblage de chacune des parties de la maison. Ainsi, comme le dit le Philosophe au livre X de l’Йthique, la mise en place du fondement de la maison est une espиce de mouvement, une autre est l’йrection de colonnes, et une autre, la construction achevйe. Mais pourtant, il y a un seul et mкme art de la construction, qui est le principe de ces trois mouvements ; et il en est de mкme des autres mouvements. Mais si l’on conзoit les divers points ultimes comme sйparйs, qui ne sont pas en une sйrie de mouvements mais sont tout а fait sйparйs, alors les mouvements diffиrent en espиce, ainsi que les principes qui meuvent, de mкme que sont diffйrents les arts qui sont les principes de la construction et ceux de la rйalisation d’un navire. Ainsi donc, lа oщ le point ultime est le mкme selon l’espиce, lа existe une mкme vertu selon l’espиce, un mкme acte ou mouvement de la vertu, comme il est clair que c’est la mкme fin selon espиce qu’atteint la tempйrance en moi et en toi : la modйration qui concerne les plaisirs du toucher. Dиs lors, ni la tempйrance ni son acte ne diffиrent en espиce en moi et en toi. Mais lа oщ le point ultime qu’atteint la vertu n’est pas dans la mкme espиce et n’est pas contenu dans la mкme sйrie de mouvements, il faut qu’il y ait une diffйrence selon l’espиce, non seulement dans l’acte de la vertu, mais encore dans la vertu elle-mкme, comme on le voit bien dans les vertus dont on dit qu’elles viennent de Dieu et de l’homme. Mais lа oщ le point ultime de la vertu diffиre en espиce (s’il est cependant contenu en une mкme sйrie de mouvements, pour parvenir naturellement de l’un а l’autre), l’acte est diffйrent en espиce, mais la vertu est la mкme. Ainsi l’acte de la force se tourne vers un autre point ultime avant le combat, vers un autre pendant le combat, et encore vers un autre lors du triomphe. Dиs lors, autre est l’espиce de l’acte de se prйparer а combattre, autre celle de rйsister vaillamment dans le combat, et autre encore celle de se rйjouir de la victoire acquise. Et c’est la mкme force. De mкme aussi qu’aimer, dйsirer et se rйjouir sont l’acte de la mкme puissance. Il est donc clair par ce qu’on vient de dire dans cet article mкme que, puisque l’йtat de la patrie est plus йlevй que l’йtat du voyage, il atteint un point ultime plus parfait. Si donc le point ultime qu’atteint la vertu du voyage est ordonnй а celui qu’atteint la vertu de la patrie, il est nйcessaire qu’il s’agisse de la mкme vertu par l’espиce, mais les actes seront diffйrents. Mais si l’on ne conзoit pas un point ultime comme ordonnй а un autre, alors ce ne seront pas les mкmes vertus, ni selon l’acte ni selon l’habitus. Or, il est clair que les vertus acquises, dont ont parlй les philosophes, sont ordonnйes seulement а la perfection des hommes dans la vie civile, et non а obtenir la gloire cйleste. Ainsi ils ont йtabli que les vertus de ce genre ne demeurent pas aprиs cette vie, comme le raconte Augustin а propos de Cicйron. Mais les vertus cardinales, parce qu’elles sont gratuites et infuses, pour autant que nous parlons maintenant d’elles, perfectionnent l’homme dans la vie prйsente en vue de la gloire cйleste. Ainsi, il est nйcessaire de dire que l’habitus de ces vertus est le mкme ici-bas que lа-bas, mais que les actes sont diffйrents. Ici-bas, en effet, elles ont des actes qui s’accordent avec ce qui tend а la fin ultime, alors que lа-bas, elles ont des actes qui conviennent а ceux qui se reposent dйjа dans la fin ultime.

Solutions :

[66796] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi virtutes perficiunt hominem in vita activa, sicut in quadam via qua pervenitur ad terminum contemplationis patriae; et ideo in patria manent secundum actus consummatos in fine.

1. Les vertus de ce genre perfectionnent l’homme dans la vie active, comme dans un voyage qui le fait parvenir au but de la contemplation dans la patrie. Ainsi, elles demeurent dans la patrie selon leurs actes finalement achevйs.

[66797] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes cardinales sunt circa ea quae sunt ad finem, non quasi in his sit ultimus eorum terminus, sicut ultimus terminus navis est navigatio; sed in quantum, per ea quae sunt ad finem, habent ordinem ad finem ultimum; sicut temperantia gratuita non habet pro finali ultimo moderari concupiscentias tactus, sed hoc facit propter similitudinem caelestem.

2. Les vertus cardinales concernent ce qui est tournй vers la fin, non pas comme si leur terme se trouvait dans cela, comme la navigation est la fin ultime du navire, mais dans la mesure oщ, par ce qui est tournй vers la fin, elles sont ordonnйes а la fin ultime. Ainsi la tempйrance gratuite n’a pas pour fin ultime de modйrer les concupiscences du toucher, mais elle le fait en raison de la similitude cйleste.

[66798] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum civile non est finis ultimus virtutum cardinalium infusarum, de quibus loquimur, sed virtutum acquisitarum de quibus philosophi sunt locuti, sicut dictum est in corp. art.

3. Le bien civil n’est pas la fin ultime des vertus cardinales infuses, dont nous parlons, mais des vertus acquises dont ont parlй les philosophes, comme on l’a dit dans le corps de cet article.

[66799] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet unam et eamdem rem esse finem diversarum virtutum vel artium; sicut conservatio boni civilis est finis et terminus militaris et legis positivae : unde utraque ars vel virtus habet actum suum circa hoc sicut circa finale bonum; sed militaris, in quantum providet de conservatione boni civilis, secundum quod per fortia certamina ad hoc pervenitur; sed lex positiva gaudet de eodem, secundum quod per ordinationem legum bonum civile conservatur. Sic igitur fruitio Dei in patria est finis omnium cardinalium virtutum; et unaquaeque gaudet ibi de ea, secundum quod est finis suorum actuum. Et ideo dicitur quod in patria erit una virtus, in quantum erit in subiecto, de qua omnes virtutes gaudebunt; tamen erunt differentes actus et differentes virtutes secundum diversam rationem gaudendi.

4. Rien n’empкche qu’une seule et mкme chose soit la fin de divers arts ou vertus, comme la conservation du bien civil est la fin et le terme du soldat et de la loi positive. Dиs lors, l’acte des deux art ou vertu porte sur cela comme sur son bien final : mais, pour le soldat, dans la mesure oщ il s’occupe de la conservation du bien civil en y parvenant par de durs combats, alors que la loi positive s’en rйjouit en conservant le bien civil par l’ordonnance des lois. Ainsi donc, la jouissance de Dieu dans la patrie est la fin de toutes les vertus cardinales, et chacune s’en rйjouit lа-bas, selon qu’elle est la fin de ses actes. C’est pourquoi l’on dit que, dans la patrie, il y aura une seule vertu, selon qu’elle existera dans un sujet, dont se rйjouiront toutes les vertus ; cependant les actes seront diffйrents des vertus selon des raisons diverses de se rйjouir.

[66800] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse obiectum virtutum dupliciter. Uno modo sicut illud ad quod virtus ordinatur sicut ad finem; sicut summum bonum est obiectum caritatis, et beatitudo aeterna obiectum spei. Alio modo sicut materia circa quam operatur, ut ab ea in aliud tendens; et hoc modo delectationes coitus sunt obiectum temperantiae, non enim temperantia intendit huiusmodi delectationibus inhaerere, sed istas delectationes compescendo, tendere in bonum rationis. Similiter fortitudo non intendit inhaerere periculis superando pericula, sed consequi bonum rationis; et idem est de prudentia respectu dubitationum, et de iustitia respectu necessitatum huius vitae. Et ideo quanto longius ab his fuerit recessum, secundum profectum spiritualis vitae, tanto erunt perfectiores actus harum virtutum, quia praedicta verba magis se habent ad has virtutes per modum termini a quo quam per modum termini ad quem, qui dat speciem.

5. Quelque chose est dit objet des vertus de deux faзons : d’une faзon, comme ce а quoi est ordonnйe la vertu comme а sa fin : ainsi le plus grand bien est l’objet de la charitй, et la bйatitude йternelle, l’objet de l’espйrance; d’une seconde faзon, comme la matiиre sur laquelle elle agit, de sorte qu’elle passe de celle-ci а autre chose. De cette maniиre, les plaisirs de l’accouplement sont l’objet de la tempйrance, car la tempйrance ne vise pas а s’attacher а des plaisirs de ce genre, mais, en rйprimant ces plaisirs, а tendre vers le bien de la raison. De mкme, la force ne vise pas а s’attacher aux dangers en surmontant les dangers, mais а poursuivre le bien de la raison. Et il en va de mкme pour la prudence par rapport aux doutes, et pour la justice, par rapport а ce qui est nйcessaire а cette vie. Ainsi, plus l’on s’en sera йloignй, selon l’avancement de la vie spirituelle, plus les actes de ces vertus seront parfaits, parce que ce que l’on vient de dire concerne plus ces vertus par mode de point de dйpart (terminus a quo) que par mode de point d’arrivйe (terminus ad quem), qui donne l’espиce.

[66801] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non omnis differentia actuum demonstrat diversitatem habituum, sicut iam dictum est in corp. Art.

6. Toute diffйrence des actes ne dйmontre pas la diversitй des habitus, comme il a dйjа йtй dit dans le corps de cet article.

[66802] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtutes purgati animi, quas Plotinus definiebat, possunt convenire beatis : nam prudentiae ibi est sola divina intueri; temperantiae, cupiditates oblivisci; fortitudinis, passiones ignorare; iustitiae, perpetuum foedus cum Deo habere. Sed virtutes politicae de quibus ipse loquitur, ordinantur tantum ad bonum civile praesentis vitae ut dictum est in corp. art.

7. Les vertus de l’вme purifiйe, dйfinies par Plotin, peuvent convenir aux bienheureux : lа-bas, en effet, le propre de la prudence est de fixer ses regards sur les seules choses divines ; le propre de la tempйrance, d’oublier les dйsirs ; le propre de la force, d’ignorer les passions ; le propre de la justice, d’avoir une alliance йternelle avec Dieu. Mais les vertus politiques dont il parle lui-mкme sont ordonnйes seulement au bien civil de la vie prйsente, comme on vient de le dire dans le corps de cet article.

[66803] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ultima virtutum servi et domini, mulieris et viri non ordinantur in invicem, ut sic ex uno transeatur in aliud; et ideo non est similis ratio.

8. Les points ultimes des vertus de l’esclave et du maоtre, de la femme et de l’homme, ne sont pas ordonnйs les uns aux autres, de sorte qu’on passe de l’un а l’autre. Ainsi, ce n’est pas le mкme raisonnement.

[66804] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipsa habilitatio gloriae ad opera virtutum, quae fiet vel perficietur per gloriam, pertinet ad ipsos habitus virtutum.

9. L’habilitation mкme de la gloire aux њuvres des vertus, qui se fera ou sera rйalisйe par la gloire, relиve des habitus mкmes des vertus.

[66805] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod fides ordinatur ad veritatem non apparentem, et spes ad arduum non habitum sicut a quo speciem habent. Et ideo, quamvis excellentiores sint virtutibus cardinalibus propter altius obiectum, tamen evacuantur, propter hoc quod habent speciem ab eo quod non manet.

10. La foi est ordonnйe а une vйritй non йvidente et l’espйrance, а quelque chose de difficile non possйdй, dont elles reзoivent leur espиce. Ainsi, bien qu’elles soient meilleures que les vertus cardinales en raison de leur objet plus йlevй, elles sont cependant йcartйes parce que leur espиce provient de ce qui ne demeure pas.

[66806] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod etiam scientia non destruetur secundum habitum, sed habebit alium actum.

11. La science non plus ne sera pas dйtruite selon l’habitus, mais elle aura un autre acte.

[66807] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod patientia non manebit in patria secundum actum quem habet in via, tolerando scilicet tribulationes; manebit tamen secundum actum convenientem fini, sicut et de aliis virtutibus dictum est in corp. art.

12. La constance ne demeurera pas dans la patrie selon l’acte qu’elle a pendant le voyage : supporter les tourments ; mais elle demeurera dans l’acte qui convient а la fin, comme on l’a dit aussi pour les autres vertus dans le corps de cet article.

[66808] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quidam dicunt quod irascibilis et concupiscibilis, in quibus sunt temperantia et fortitudo, sunt in parte superiori, non autem in parte sensitiva. Sed hoc est contra philosophum in III Ethic., ubi dicit, quod virtutes sunt irrationabilium partium. Quidam autem dicunt, quod vires sensitivae partis manent in anima separata vel secundum potentiam tantum, vel secundum actum. Sed hoc non potest esse, quia actus potentiae sensitivae non est sine corpore; alioquin anima sensitiva brutorum esset etiam incorruptibilis, quod est erroneum. Cuius autem est actio, eius est etiam potentia; unde oportet quod potentiae huiusmodi sint coniunctae; et ita post mortem non remanent in anima separata actu, sed virtute, sicut in radice in quantum scilicet potentiae animae fluunt ab essentia eius. Virtutes autem istae sunt quidem in irascibili quantum ad eorum derivationem; sed secundum originem et inchoationem sunt in ratione et in voluntate, quia principalis actus virtutis moralis est electio, quae est actus appetitus rationalis. Sed ista electio per quamdam applicationem terminatur ad passiones irascibilis et concupiscibilis secundum temperantiam et fortitudinem.

13. Certains disent que l’irascible et le concupiscible, oщ existent la tempйrance et la force, se trouvent dans la partie supйrieure, mais non dans la partie sensitive. Mais cela va contre le Philosophe qui dit, au livre III de l’Йthique, que les vertus appartiennent aux parties irrationnelles. Or, certains disent que les forces de la partie sensitive demeurent dans l’вme sйparйe du corps, soit selon la seule puissance, soit selon l’acte. Mais cela ne peut pas кtre le cas, parce que l’acte d’une puissance sensitive n’existe pas sans le corps, sans quoi l’вme sensitive des animaux sans raison serait aussi incorruptible, ce qui est une erreur. Or, acte et puissance relиvent de la mкme chose. Dиs lors, il faut que des puissances de ce genre soient unies [au corps]. Ainsi, aprиs la mort, elles ne demeurent pas dans l’вme sйparйe du corps selon l’acte, mais selon selon la puissance, comme dans leur racine, dans la mesure oщ les puissances de l’вme dйcoulent naturellement de son essence. Mais ces vertus se trouvent assurйment dans l’irascible quant а ce dont elles dйcoulent, mais, selon leur origine et leur amorce, elles existent dans la raison et dans la volontй, parce que l’acte principal de la vertu morale est le choix, qui est l’acte de l’appйtit rationnel. Mais ce choix, par une certaine application, a son terme dans les passions de l’irascible et du concupiscible, suivant la tempйrance et la force.

[66809] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnia illa quatuor pertinent ad unumquemque actum virtutum cardinalium per modum finis, in quantum in eis consistit beatitudo caelestis.

14. Ces quatre actes relиvent tous de chaque acte des vertus cardinales par mode de fin, dans la mesure oщ la bйatitude йternelle consiste en eux.

[66810] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sobrietas non assimilat nos Angelis secundum actum viae quem habet circa materiam ciborum et potuum; sed secundum actum patriae, quem habet circa ultimum finem, sicut et aliae virtutes.

15. La sobriйtй ne nous assimile pas aux anges selon l’acte du voyage qu’elle possиde en matiиre de nourritures et de boissons, mais selon l’acte de la patrie, qu’elle possиde pour ce qui est de la fin ultime, comme les autres vertus.

 

 



[1]              Le pиre Maxime Allard est dominicain et professeur de philosophie et de thйologie au Collиge Universitaire Dominicain а Ottawa (Canada). Il est Docteur en thйologie de l'Universitй de Laval. Il est titulaire d'une maоtrise en philosophie а l'Universitй d'Ottawa (1997). Il a йgalement obtenu une maоtrise et une licence en thйologie au Collиge dominicain (1991). Ses champs d'intйrкt et de recherche sont concentrйs sur les sujets suivants : Thomas d'Aquin; le rationalisme au XVIIe siиcle (Descartes et Spinoza); l'hermйneutique et les philosophies « post-modernes »; la philosophie de la religion; la philosophie politique.

[2]              Philippa Foot, Virtue and Vices and other Essays in Moral Philosophy, Oxford University Press, 2003, 232p.; Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory, University of Notre Dame Press, 3e йdition, 2007, 321p.; S.L. Danwall (ed.), Virtue Ethics, Basil Blackwell Pubs., coll. “Blackwell Readings in Philosophy”, 2002, 272p.; J. Oakley, “Varieties of Virtue Ethics”, in Ratio, 9\2 (1996), p. 128-152; M. Alvarez Mauri, “Perspectivas actuales sobre la virdud. Estudio bibliografico”, in Pensamiento, 198\48 (1992), p. 459-485; S.M. Gardiner (ed.), Virtue Ethics Old and New, Ithaca, Cornell University Press, 2005; G.E. Pence, « Recent Works on virtue », in American Philosophical Quarterly 21 (1984), p. 281-298; K.M. Staley, “Thomas Aquinas and Contemporary Ethics of Virtue”, in The Modern Schoolman, 66 (1989), p. 285-300; L Sentis, De l'utilitй des vertus. Ethique et alliance, Paris, Beauchesne, 2004, 404p;

[3]              L.E. Corso de Estrada, « Antropologia en la Q.d. de virtutibus in commun de Santo Tomбs », Sapientia, 46 (1991), p. 99-110; M.F. Johnson, « St. Thomas, Obediential Potency, and the Infused Virtues : De Virtutibus in Communi, a. 10 ad 13”, in Recherches de thйologie ancienne et mйdiйvale, supplementa I, 1995; J. Leirens, La thйorie des vertus dans la Question Disputйe De virtutibus in communi de saint Thomas d’Aquin, Rome, Pontificia Universitas Santa Crucis, Facultas Filosofia, 2002, 322p.; J Inglis « Aquinas’s Replication of the Acquired moral virtues: Rethinking the Standard Philosophical Interpretation of Moral Virtue in Aquinas”, in Journal of Religious Ethics 27\1 (1999), 3-27. Un mйmoire de maоtrise au Centre Pierre Abйlard, par Marie-Alix Vandevoorde a proposй une « Traduction et commentaire des articles 10, 11 et 13 du De virtutibus in communi de Thomas d’Aquin » en 2005 sous la direction de R. Imbach. La traduction d’un monumental « On the virtues » de J. Capreolus en 2001, prйfacй par Pinckaers et traduit par K. White et R. Cessario (Catholic University of America Press, xxxv + 395p.) serait aussi а mettre au compte de cet intйrкt pour la vertu parmi les thomistes.

[4]              Il faudra attendre l’йdition critique de la Commission lйonine pour savoir ce qu'il en est de cet «  ajout » de ce dominicain.

[5]8E. Wйber, La controverse de 1270 а l’Universitй de Paris et son retentissement sur la pensйe de S. Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque thomiste » 40, 1970 et id., La Personne humaine au XIIIe siиcle, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque thomiste » 46, 1991; Thomas d’Aquin, Contre Averroиs, traduit, prйsentй et annotй par Alain de Libera, Paris, Garnier-Flammarion, coll. « Philosophie », 1999, 713p.; A. de Libera, L’Unitй de l’intellect : commentaire du De Unitate Intellectu contra averroistas de Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.  « Йtudes et commentaires », 2004, 558p.

[6]              J.-P. Torrell, Saint Thomas d’Aquin : sa personne et son oeuvre, Paris & Fribourg, Йditions du Cerf et Йditions universitaires de Fribourg, coll. « Vestigia. Pensйe antique et mйdiйvale. Initiation. 13 » 2e йditions, 2002, 654p. oщ il affine les donnйes des PP. Synave, Mandonnet et Weisheipl et les travaux de P. Glorieux; J.A. Weisheipl, Frиre Thomas d’Aquin. Sa viem sa pensйe, son oeuvre, traduit de l’anglais par C. Lotte et J. Hoffmann, Paris, Cerf, coll. « Cerf Histoire », 1993, p. 143-148, 283.

[7]              Cela mйrite attention car ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la question 1 du De veritate sera certes scindйe en deux dans la Summa theologiae Ia, q. 16-17 mais l’ordre des articles sera globalement respectй bien que le contenu soit trиs modifiй а l’intйrieur de chaque respondeo, surtout а propos de la dйfinition de la vйritй (cf. L. Dewan, « St Thomas’s Successive Discussions on the Nature of Truth », in D. Ols (ed.), Sanctus Thomas de Aquino : Doctor Hodiernae Humanitatis, Vatican City, Libreria Editrice Vaticana, 1995, p. 153-168. D’autres cas pourraient кtre recensйs.

[8]              « Mais il faut dire qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur, qui mйprise la correction et par lа il devient pire. Mais en sens contraire, le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose le soin d’un faible ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son mйpris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le remиde ; c’est pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment…. » (nos italiques). La mкme chose se produit aussi, par exemple, en q. 1, a. 4, obj. 5 et 8; q. 1, a. 8, obj, 10; q. 1. a. 9, obj. 14; q. 2, a. 12, obj. 9, etc. On trouve mкme un cas oщ aucun sed contra n’apparaоt ce qui, dans la Summa theologiae est presque exclusivement rйservй а des questions oщ il va de valider une liste (v.g., Summa theologiae, IIaIIae, q. 80).

[9]              Sur toute cette question, cf. B. Bazan , G. Fransen, JF Wippel, D Jacquart, Les questions disputйes et les questions quodlibйtiques dans les facultйs de thйologie, de droit et de mйdecine, Turnhout, coll. « Typologie des sources du moyen вge occidental 44-45 » , 1985, p. 13-149. On pourra relire aussi avec profit le neuviиme chapitre de M.-D. Chenu, Introduction а l’йtude de saint Thomas d’Aquin, Publication de l’Institut d’йtudes mйdiйvales 11, Montrйal-Paris, 1954 ainsi que le long article de P. Glorieux, « L’enseignement au Moyen вge. Techniques et mйthodes en usage а la Facultй de Thйologie de Paris au XIIIe siиcle », in Archives d’histoire doctrinale et littйraire du Moyen Age, 35 (1968), p. 65-186.

[10]            S. Thomas d’Aquin, Questiones disputatae, tome 2, Marietti, 1949, p. 703. Que penser par ailleurs de l’attente soutenue par le dйsir d’une prйsentation oщ il en irait de la cohйrence parfaite et complиte de la nature de la « vertu »? C’est lа une question pour un autre travail car je ne crois guиre possible de trouver un lieu thomasien oщ ce dйsir et cette attente trouveraient satisfaction!

[11]            D’ailleurs, la correctio avait fait deux brиves apparitions dans le traitement des questions antйrieures du  De virtutibus in communi en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10.

[12]            Il est intйressant de voir le P. Bernard, dans les notes doctrinales thomistes expliciter le texte de la Somme thйologique comme si l’importation avouйe et rйpйtйe de cet йlйment de la question disputйe allait de soi (Somme thйologique, La vertu, tome premier, Paris, Йditions de la Revue des jeunes, 1933, p. 382-384) et qu’il ne se pose pas la question de l’absence de ces traits dans la nйgociation thйologique propre а la Somme thйologique.

[13]            Q. 1, a. 1, ad 13; q. 1, a. 4, ad 2; q. 2, a. 6, ad 15; q. 2, a. 13, ad 1; q. 5, a. 4, ad 13.

[14]            Q. 1, a. 12, ad 24.

[15]            Q. 3, a. 1, ad  19 : « si correctio secundum debitas circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis discordiarum causis.” 

[16]            F. Nietzsche, Aurore, Prйface de 1886 § 5.

[17]            Nй en en 1935, Jacques Mйnard a йtй professeur d'histoire du Moyen Вge а l'Universitй de Montrйal (Canada) pendant une trentaine d'annйes. Il a enseignй en particulier l'histoire des rapports entre religion et politique au Moyen Вge; Il a йtй aussi chargй pendant plusieurs annйes des cours sur l'histoire du latin mйdiйval. Il est actuellement le plus efficace collaborateur du projet http://docteurangelique.free.fr pour la traduction et l’йdition des њuvres complиtes de saint Thomas d’Aquin.

[18]            Actuellement en retraite, Raymond Berton est titulaire d'un Doctorat d’Йtat franзais, consacrй а Abraham dans la littйrature patristique latine. Il a rйalisй deux traductions du De potentia de saint thomas d’Aquin. Il travaille en ce moment sur le Commentaire des Sentences. Le 1er septembre 2005, il nous annonce son projet de prendre en main tout le livre 1 pour le projet http://docteurangelique.free.fr .

[19]            I Sent. d. 17,q. 1, a. 1. IIa//IIж q. 23, a. 2 ;

[20]            les paroles de l’Apфtre, Sermon 18 et 28 (161 et 180).

[21]            Le texte d’Augustin La Trinitй, VIII, VIII, 12 : Diligat fratrem, et diliget eamdem dilectionem. Trad. BA p. 63 : « Qu’il aime son frиre, il aimera ce mкme amour. Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime, que son frиre qu’il aime».

[22]            Augustin, mкme rйfйrence : «Apertissime enim in eadem Epistula …dicit …… Ista contextio satis aperteque declarat, eamdem ipsam fraternem dilectionem…(nam fraterna dilectio est, qua diligimus invicem) non solum ex Deo, sed etiam Deum esse tanta auctoritate praedicari ». Trad. BA (p65) : « Ce contexte est assez clair. Il montre que cette charitй fraternelle… non seulement vient de Dieu, mais qu’elle est Dieu…

[23]            La Trinitй, XV, XVII, 27. : « Nous n’irons pas dire en effet que, si Dieu est appelй charitй, c’est non pas que la charitй elle-mкme soit une substance qui mйrite le nom de Dieu, mais c’est qu’elle est un don de Dieu, au sens par exemple oщ le psalmiste dit а Dieu : « Tu es ma patience. »… Mais il n’est pas dit : « Seigneur, ma charitй », ou « Dieu ma charitй ». Il est dit : « Dieu est charitй », comme il est dit : « Dieu est Esprit ». (Jn 4, 24). (Trad. BA 16, p. 27-28).

[24]            Augustin la Trinitй, VIII, VIII, 12 :« Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime que son frиre qu’il aime. Et voilа dиs lors que Dieu lui est mieux connu que son frиre ; beacoup mieux connu, par que prйsent…Embrasse le Dieu amour et tu embrasseras Dieu par amour » Trad. BA 16 p. 63.

[25]            L’expression se trouve en Ia//IIж 49, a. 1 sc. C’est Aristote qui le dit Catйgories 8, 9 a 5.

[26]            Les quatre dйfinitions de la nature donnйe par Boиce (Contre Eutychиs et Nestorius, ou la Personne du Christ, 1) ;

                1. Les choses corporelles ou incorporelles, ce qui peut кtre saisi par l’intellect. ». Le terme nature s’applique а des choses qui, puisqu’elles sont, peuvent кtre saisies de quelque maniиre. Accident et substance sont donc compris dans cette dйfinition, car tous peuvent кtre saisis.

                2. « Est une nature ce qui peut ou agir ou pвtir.

                3. « La nature est le principe du mouvement par soi et non par accident » (Cf. Physique, 192 b)

                4. « La nature est la diffйrence spйcifique qui donne sa forme а chaque chose ». (Trad. H. Merle)

                J. Maritain nous invite a considйrer en plus de ce que nous appelons nature « la nature de tout кtre ». C’est dans ce sens qu’il faut comprend l’emploi du mot dans ce qui suit.

[27]            Il s’agit des dix catйgories (Catйgories, 4, 1 b 25).

[28]            La pйlagianisme est une hйrйsie en matiиre de thйologie de la grвce, promue par le moine Pйlage (dйbut du Ve siиcle). Sa doctrine se rйsume ainsi : « L’homme peut accomplir les commandements de Dieu par ses propres forces sans qu’il ait besoin pour cela d’un concours divin intйrieur а la volontй ». (Ch Baumgartner, La grвce du Christ, p. 14. Cette opinion a йtй ombattue par Augustin.

                On trouve en I Sent. d. 17, q. 1, a. 1, arg. 8 le mкme raisonnement mais plus clair. Le syllogisme consiste а dire : 1. Le crйй est une nature – 2. Si la charitй est crййe elle est une nature, qui apporte des mйrites – 3. Donc en conclusion une nature apporte du mйrite, ce qui est la doctrine de Pйlage.

[29]            Cf. I Sent. D. 17,q. 1,a.2 : « La charitй est-elle un accident ? »

[30]            Comprendre un кtre naturel, sans apport de la grвce.

[31]            « Le Maоtre… affirme que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme habitant notre вme » (IIa IIж, q. 23, a. 1, c.

[32]            « D’autres actes vertueux procиdent de l’Esprit saint par la mйdiation des habitus d’autres vertus. » Il cite l’espйrance et la foi (IIa IIж, q. 23, a. 2 c.).

[33]            Thomas distingue intrinsиque et interne. Ce qui est intrinsиque appartient а la nature et en dйpend, opposй а un mouvement intйrieur.

[34]            « …parce que le pйchй ne corrompt pas entiиrement la nature humaine…il reste que l’homme dans cet йtat peut, par son pouvoir naturel, rйaliser les biens particulier, comme bвtir une maison et planter des vignes » Ia, IIж q. 109, a. 2, c.

[35]            ParallIIaIIж, q. 23, a. 3. II Sent. d. 27, q. 2, a. 2.

[36]            Le texte dit diligere vel amare. Les deux mots se traduisent pour nous par « aimer », (Ia IIж, q. 26, a. 3) : « L’amour est-il la mкme chose que la dilection ». « L'amour est le plus commun; car toute dilection ou charitй est amour; mais l'inverse n'est pas vrai. Car la dilection, comme le mot l'indique, ajoute а l'amour l'idйe d'un choix, d'une "йlection" antйcйdente. Ce qui fait que la dilection ne se trouve pas dans le concupiscible mais seulement dans la volontй, et dans la seule nature rationnelle. Enfin la charitй ajoute а l'amour une certaine perfection, car ce qu'on aime de charitй est estimй d'un grand prix, comme l'indique le nom mкme de charitй ».

[37]            Cf. Ia IIж, q. 23, a. 1, c.

[38]            L‘amitiй ne concerne que les individus entre eux et non la vie de la citй.

[39]            La mйdiйtй de la vertu selon Aristote : « J’entends par moyen dans la chose ce qui s’йcarte а йgale distance de chacun des deux extrкmes ». (Ethique ; II, 5 1106 a 27). Sur « nos њuvres bien rйussies… il est impossible de rien retrancher ni de rien ajouter. Voulant signifier par lа que l’excиs et le dйfaut dйtruisent la perfection tant que la mйdiйtй la prйserve… ». (Ibid. 1106 b 10).(Trad. J. Tricot).

[40]            Cf. IIaIIж q. 23, a. 2, arg. 2 : « Mais la charitй n’est pas le dernier degrй (ultimum) mais c’est plus la joie et la paix. Donc il semble que la charitй n’est pas une vertu, mais c’est la joie et la paix qui en sont une ».

[41]            En IIaIIж, q. 23, a. 1, sc., il cite Jn 15, 15 : « Je ne vous appeler plus serviteur, mais mes amis ».

[42]            Thomas йtudie trois cas oщ s’exerce la vertu d’amour : l’acte de raison, l’opйration de l’artisan et celle de l’homme en tant que citoyen, appliquйe en parallиle а la citoyennetй de la Jйrusalem cйleste.

[43]            Parall. : IIaIIж, q. 23, a. 8 – II Sent., d. 26, a. 4, ad 5. – III Sent., d. 23, q. 3, a. 1, q. 1 – d. 27, q. 2, a. 4 ; qa. 3 – Q. de verit., q. 11, a. 5, - De malo, q. 7, a. 2.

[44]            « Vertu unique » Cf. arg. 6, 8, 9, 10, 12

[45]            Citations en italique

[46]            La rйfйrence donnйe par l’йdition Marietti est fausse ; le II, 13 n’existe pas.

[47]            Parall. : IIa IIж, q. 23, a. 4 – III Sent., d. 27, q. 2, a. 4, qa. 2 — De Malo, q. 7, a. 2, q. 9, a. 2.

[48]            Ia, IIж, q. 52, a. 1 – q. 66, a. 1. I Sent., d. 17, q. 2, a. 1 – De Malo, q. 7, a. 2 – Quodl., 9, q. 6.

[49]            Parall. : IIa IIж q. 25, a. 3.- III Sent. d. 28, a. 2.

[50]            Il s’agit des talents.

[51]            La liste des dйfauts et vices citйs par saint Paul est bien plus longue.

[52]            Parall. : IIa IIж, q. 25, a. 8, q. 83, a. 8 – III Sent. , d. 30, a ; 1 – De duobus Praecept, cap. De dilect, prox. de Perf. Vitae spir., cap. XIV, Ad Rm 12, lectio 3.

[53]            Mais saint Jean ajoute aussitфt : « Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos ennemis… (5, 44).

[54]            La rйfйrence semble fausse.

[55]            L’autoritй judiciaire lйgale.

[56]            Parall. : IIa IIж, q. 26, a. 1 – III Sent. d. 29, a. 1.

[57]            « Il m’a menйe au cellier et la banniиre qu’il dresse sur moi est l’amour » (BJ.).

[58]            Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 8, - q. 184, a. 2 – II Sent. d. 27, q. 3, a ; 4 – De perf. vit spir., cap. III, sq. Ad Philipp., c. 3, lect. 2 -

[59]            « Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que demeurer dans ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision... » (BJ).

[60]            Qui jouit de la vision bйatifique.

[61]            Parall. : III Sent. d. 20, a. 8, q.a. 2.

[62]            « Qui fait jamais campagne а ses propres frais ? » (BJ).

[63]            Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 11 — CG. IV, 70 — Ad Rom., c. 8, lect. 7 — Ad cor., c. 13, lect. 3. Cet article est souvent la reprise, parfois mot а mot, de l’art. 11 de IIa IIж, q. 24.

[64]            Homйlie sur la Pentecфtes (cf. IIa IIж, q. 24, a ; 11, arg. 3).

[65]            Cf. a. 1.

[66]            Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 12 – III sent., d. 31, q. 1, a. 1.

[67]            Rйfйrence apparemment fausse.

[68]            Le prйcepte est un terme technique, opposй au conseil. Le prйcepte s’impose а tous (exemple : la charitй), le conseil а certains (pauvretй, chastetй, etc.).

[69]            Parall. : IIaIIж, qu. 33, a. 2 – IV Sent., d. 19, qu. 2, a. 2, q.a 1.

[70]            Proverbes 9, 8 « Ne reprends pas le railleur, il te haпrait, reprends le sage, il t'aimera ». B.J.

[71]            « … comme certains nous accusent outrageusement de le dire, devrions-nous faire le mal pour qu'en sorte le bien? Ceux-lа mйritent leur condamnation » (Rm 3, 8).

[72]            L’onction de l’Esprit saint.

[73]            Parall. : IIa, IIж, q. 33, a. 3 — IV Sent., dist. 11, q. 2, a. 3 q. a 1 — Quodl., I, q. 7, a. 2 — XI, q. 10, a. 1, 2, In Matth., c. 40.

[74]            « CORRECTION FRATERNELLE, 7. Et si dans quelqu'un de vos frиres vous remarquez ce regard immodeste dont je parle, avertissez-le de suite, afin que sa faute ne se prolonge point, mais qu'il s'en corrige au plus tфt. Si, aprиs votre avis, et en quelque jour que ce soit, vous le voyez retomber, celui qui aura pu l'observer doit le dйcouvrir comme un blessй qu'il faut guйrir. Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а un troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou trois tйmoins (2) et retenu par une crainte salutaire. Mais ne croyez pas кtre malveillants en le faisant connaоtre; vous кtes coupables au contraire quand vous laissez pйrir par votre silence des frиres que vous pouvez corriger en parlant ».

[75]            « …devant ceux qui doivent le convaincre s'il nie , le signaler au supйrieur, dans la crainte qu'une correction trop secrиte ne lui permette de dissimuler devant les autres ».

[76]            « Tu conservais un front de prostituйe, refusant de rougir ». (BJ).

[77]            « Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а un troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou trois tйmoins et retenu par une crainte salutaire ».

[78]            Il s’agit de Job.

[79]            Nйe en 1980, Anne Michel a suivi des йtudes classiques, jusqu'а l'obtention d'une maоtrise de lettres classiques (Le livre IV de la Johannide de Corippe: introduction, traduction et notes), d'une maоtrise de philosophie (Les vertus cardinales chez saint Thomas d'Aquin: une question disputйe, introduction et traduction) et d'un DEA de papyrologie (Edfou а l'йpoque byzantine : des ostraca grecs inйdits de l'IFAO).


Question 3 : la correction fraternelle

Saint Thomas d’Aquin

 

Les cinq questions disputйes sur les vertus

 

De virtutibus

 

Traduction professeur Jacques Mйnard, pиre Dominique Dupont osb, Anne Michel Marie-Louis Evrard

sous la direction de Raymond Berton

 

Prйface du professeur Maxime Allard op

 

Edition numйrique http ://docteurangelique.free.fr 2003-2007

Les њuvres complиtes de saint Thomas d'Aquin

 


Prйface par Maxime Allard op_ 3

Avertissement des traducteurs 11

Question 1 : [Les vertus en gйnйral] 11

Prologue_ 12

Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ? 12

Article 2 – La dйfinition de la vertu donnйe par Augustin est-elle appropriйe ? 22

Article 3 – Une puissance de l’вme peut-elle кtre le sujet d’une vertu ? 28

Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils кtre sujets de la vertu ? 32

Article 5 ‑ La volontй est-elle le sujet d’une vertu ? 44

Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ? 51

Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spйculatif ? 57

Article 8 – Les habitus existent-ils en nous par nature ? 64

Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ? 76

Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ? 89

Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentйe ? 105

Article 12 – Est-ce que les vertus se distinguent entre elles? La question porte sur la distinction des vertus. 119

Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu? 137

Question 2 : [La charitй] 150

Prologue_ 151

Article 1 – La charitй est-elle quelque chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?  151

Article 2La charitй est-elle une vertu ? 167

Article 3La charitй est-elle la forme des vertus ? 176

Article 4La charitй est-elle une vertu unique ? 185

Article 5La charitй est-elle une vertu spйciale, diffйrente de autres vertus ou pas ? 193

Article 6La charitй peut-elle exister avec le pйchй originel ? 199

Article 7 – La nature raisonnable est-elle un objet digne d’кtre aimй par charitй ? 208

Article 8Aimer ses ennemis concerne-t-il la perfection du conseil ? 219

Article 9Y a-t-il un ordre dans la charitй ? 231

Article 10Est-il possible que la charitй soit parfaite en cette vie ? 240

Article 11Tous les hommes sont-ils tenus de possйder une charitй parfaite ? 248

Article 12La charitй, une fois acquise, peut-elle se perdre ? 258

Article 13La charitй est-elle perdue par un seul pйchй mortel ? 274

Question 3 : la correction fraternelle 280

Prologue_ 280

Article 1La correction fraternelle est-elle dans le prйcepte ? 280

Article 2La rиgle de la correction fraternelle est-t-elle dans le prйcepte qui se trouve en Mt 18 ?  295

Question 4 : [L’espйrance] 312

Prologue_ 312

Article 1 – Est-ce que l’espйrance est une vertu ? 312

Article 2 – Est-ce que l’espйrance se trouve dans la volontй comme dans son sujet? 325

Article 3 – Est-ce que l’espйrance prйcиde la charitй ? 327

Article 4 – Est-ce que l’espйrance n’existe que chez ceux qui sont en route [in viatoribus] ?  334

Question 5 : [Les vertus cardinales] 344

Prologue_ 344

Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?  344

Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les possиde toutes ?  356

Article 3 – Toutes les vertus sont-elles йgales en l’homme ? 370

Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ? 384



 

Prйface par Maxime Allard op[1]

            Une prйface possиde une fonction d’exposition. Encadrant un texte, du coup, elle l’expose. Elle offre une perspective pour le regarder, assigne un point de vue au lecteur. А tout le moins, elle en dйsigne un parmi d’autres possibles. Pour ce faire, elle doit jouer de contrastes et de lumiиres. Pour un texte ancien, il importe qu’elle fasse surgir quelque chose du contexte de rйdaction et de rйflexion. Mais cela ne suffit pas. Elle signale aussi l’actualitй de ce qui se joue dans le texte.

Vertus а la mode

Les « vertus » reviennent а la mode. Dans le monde philosophique anglophone, certainement, depuis les travaux de Philippa Foot il y a prиs de quarante ans et ceux plus rйcent de Alasdair MacIntyre, les « йthiques de la vertu » (virtue ethics) se sont multipliйes[2]. Et, grвce а des traductions, ces discussions rйcentes nourrissent dйsormais des discussions dans le monde francophone. Pour diffйrentes raisons, dans divers milieux catholiques, le mot « vertu » et ce а quoi il ferait rйfйrence reviennent aussi en force sur le devant de la scиne. Dans plusieurs de ces cas, le nom de Thomas d’Aquin est utilisй comme garant, comme autoritй. Il aurait structurй une de ces йthiques de la vertu  ou des vertus. J’йcris ceci au conditionnel car l’йcart me semble parfois tel entre la nйgociation thйologique thomasienne et les entreprises actuelles que son patronage risque fort de porter а faux ou d’entraоner dans des quiproquos malheureux.

Retour donc а une doctrine thomiste, а l’autoritй du docteur commun. Mais attention, les pensйes du « retour » sont souvent dangereuses et les retours plus imaginaires et fantasmйs qu’autre chose. Il serait peut-кtre mieux et а long terme plus fructueux encore, de parler d’un tour par les textes signйs « Thomas d’Aquin » pour les dйcouvrir : d’un tour de leur diversitй, de leurs parallиles, d’une dйcouverte de leurs йcarts, voire de leurs tensions, selon la diversitй possible des hermйneutiques inventйes pour ces lectures.

La prйsente traduction des questions disputйes De virtutibus in communi participe de ce mouvement car elle offre la premiиre traduction complиte de ces questions peu frйquentйes. Elle facilitera la tвche de qui voudra plonger dans les dynamiques des nйgociations et traitements, philosophiques et thйologiques, du thиme thomasien de la vertu et de sa place importante dans l’йconomie de l’agir humain tendu par Dieu vers Dieu pour que l’кtre humain, contemplant Dieu, jouisse de Dieu.

Il faut l’avouer, ces questions disputйes avaient йtй peu prйsentes explicitement dans la discussion, mкme entre thomistes, jusqu’а prйsent dans les lieux classiques francophones, pourtant elles les hantaient. Ainsi, par exemple, le P. Bernard leur faisait une belle place dans ces notes explicatives et dans ses notes « doctrinales » а la fin des deux volumes sur la vertu dans l’Йdition dite de la « Revue des jeunes » de 1933-1934. Mais alors, s’agissant d’йclaircir ou de prolonger des aperзus de la Summa theologiae, ces questions disputйes n’йtaient pas travaillйes en et pour elles-mкmes; leurs йconomies propres n’йtaient pas nйcessairement respectйes et la mise en discours particuliиre de leurs dйterminations aisйment escamotйes. On les pillait pour construire une « doctrine », pour produire un systиme, jamais йnoncй et impensable а l’йpoque de la rйdaction des questions disputйes et de la Summa theologiae. Heureusement, on remarque un lent changement dans cette pratique grвce а quelques publications rйcentes sur un point ou l’autre de ces questions elles-mкmes[3].

 

Une collection de questions

De virtutibus in communi est un assemblage relativement bref de questions thйologiques parmi les « questions disputйes » signйes Thomas d’Aquin. Seulement cinq questions pour un total de trente-six articles. Par contraste, le De malo, par exemple, en compte 15 avec un total de 96 articles ou le De veritatae avec ses vingt-sept questions et deux cents cinquante-trois articles, dans un contexte historique particulier, ou le De potentia, avec dix questions. Mais plus long que le De Anima avec son unique question de vingt-et-un articles ou du De unione verbi incarnati avec seulement cinq article en une question. Pour expliquer ces diffйrences, il faut recourir, entre autre, а la distinction entre les disputes « privйes » et les « publiques » et а la distinction entre la dispute ayant eu lieu effectivement et la « rйdaction » а laquelle elle donna lieu par la suite. De plus, а propos de certaines piиces du texte de la premiиre question disputйe portant sur les vertus en gйnйral, les йditions existantes signalent un « ajout » signй de « Vincent de Castel novo », dominicain, qui s’йtend de l’ad 9 jusqu’а la fin du deuxiиme article[4].

Tous les catalogues anciens les situent explicitement а l’йpoque du second enseignement parisien de Thomas d’Aquin, dont on pourra lire les enjeux philosophiques et thйologiques ainsi que leur complexitй dans les ouvrages du P. Wйber sur l’« homme » et la « personne » et dans les mises en contexte par Alain de Libera de la querelle anti-averroпste sur l’unitй de l’intellect а cette pйriode[5]. Les recherches les plus rйcentes, en attendant la publication de l’йdition critique par la Commission lйonine, les datent de la fin de ce second sйjour, soit entre 1271 et 1272[6]. Ces recherches tablent sur des critиres externes car rien dans le texte comme tel des questions disputйes en cause n’offre de prise pour une datation prйcise. Ces questions auraient donc eu lieu et auraient йtй rйdigйes de maniиre parallиle а la nйgociation de la Prima Secundae de la Summa theologiae.

 

Une organisation diffйrente

Et, pourtant, les questions sont regroupйes et posйes autrement. De plus, l’йquilibre des autoritйs patristiques, philosophiques, bibliques et ecclйsiastiques n’est pas le mкme.[7] Une prйface n’est pas lа pour analyser tous les enjeux de ces dйplacements et diffйrences. Un bref tableau, pour la premiиre question sur la vertu en gйnйral, indique clairement l’ampleur des transformations et transmutations:

De virtutibus in communi

Summa Theologiae, Prima Secundae

Article 1

q. 55, a. 1

Article 2

q. 55, a. 4

Article 3

q. 56, a. 1

Article 4

q. 56, a. 3

Article 5

q. 56. a. 6

Article 6

q. 57, a. 5 (plus ou moins parallиle)

Article 7

q. 56, a. 3 et q. 57, a. 1

Article 8

q. 63, a. 1

Article 9

q. 63, a. 2

Article 10

q. 63, a. 3

Article 11

q. 63, a. 3 et 4 (plus ou moins parallиle) mais aussi q. 52, a. 1 et 66, a. 1

Article 12

q. 57, a. 2, 4 et 6 et q. 58, a. 2 (plus ou moins parallиle)

Article 13

q. 64, a. 1 quant а la question йnoncйe; incluant des parties des articles 2, 3 et 4 quant au contenu

 

Un rйamйnagement de l’ordre aussi radical a lieu а propos des vertus cardinales :

De virtutibus in communi q. 5

Summa Theologiae, Prima Secundae

Article 1

q. 61, a. 4

Article 2

q. 65

Article 3

q. 66, a. 2

Article 4

q. 67, a. 1

 

De plus, comme presque toujours, lа oщ la Summa theologiae se contente de trois ou quatre « objections », les questions disputйes en regorgent : jusqu’а vingt-sept pour l’article 12 de la question sur les vertus en gйnйral avec un sed contra de quatre objections pour l’article septiиme! De plus, les objections elles-mкmes peuvent кtre complexifiйes par des sed contra internes aux objections elles-mкmes comme on le voit pour la question 3, a. 1, obj. 2, а propos de la correction fraternelle[8]. La multiplication et la complication de ces perspectives irrйductibles construisent un espace plus en tension pour le respondeo et la determinatio magistrale qui s’y nйgocie et s’y configure. Du point de vue de la reconstitution historique du contexte des « disputes », cela requerrait une enquкte fine sur les manuscrits de l’йpoque et des maоtres parisiens et autres pour identifier les tenants possibles de ces positions, mais aussi pour la reconstruction des enjeux philosophiques et thйologiques soulevйs. Cette multiplication a trait а la nature mкme de la question disputйe et а son mode de rйalisation concrиte dans le cadre universitaire de l’йpoque[9].

 

Logique de la suite des questions

            Difficile de dйterminer, enfin, une logique faisant tenir ensemble un traitement des vertus en gйnйral, de la charitй de la correction fraternelle, de l’espйrance et des vertus cardinales. Les rйdacteurs des introductions aux diverses йditions Marietti dйclarent : « Manifesto, hoc non est commentarium de virtutibus ad modum integrum, perfectum et natura sua cohaerens.[10] » Aucune logique n’est йnoncйe dans le texte. L’ordre d’ailleurs ne reproduit pas celui de la Prima Secundae ou de la Secunda Secundae. Si on voulait y voir la sйquence suivante : vertus en gйnйral, vertus thйologales, vertus cardinales, d’une part, l’absence de la « foi » dans le groupe surprendrait; d’autre part, la prйsence de la brиve question sur la « correction fraternelle » pourrait йtonner. Mais, sur ce point, il est possible d’offrir une explication. D’une part, la vertu thйologale de « foi » avait fait l’objet dйjа d’une question (la douziиme) dans les questions disputйes De veritate lors du premier enseignement parisien; d’autre part, une nйgociation sur la charitй appelle le traitement de la « correctio fraterna » comme il s’agit, selon la structure de la Secunda secundae et ce qui est indiquй dans le corps de cette question, d’un acte de la charitй (S.T., IIaIIae, q. 33)[11]. Pour sa part la prioritй de la charitй sur l’espйrance йtant l’objet d’un traitement propre а propos de l’espйrance (DVC, q. 4, a. 3 : « Utrum spes sit prior caritate »), l’ordre suivi est cohйrent avec le contenu de la discussion bien que cela entraоne un renversement de l’ordre habituel.

Mais alors rebondit la question : pourquoi privilйgier la « correction fraternelle » sur l’ensemble des autres actes de la charitй? Quelque chose dans la question antйcйdente sur la charitй ou dans les deux articles qui en traitent offrent-ils quelques йlйments de rйponse? Pas vraiment car les brиves apparitions de la correctio  dans le traitement des questions antйrieures, soit en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10 ne constituent guиre des appels ou des impйratifs а un traitement ultйrieur. Cependant, ici, le parallиle avec la Summa theologiae peut encore s’avйrer prйcieux. Sur les sept aumфnes spirituelles йnumйrйes en IIaIIae, q. 32, a. 2 а la suite des sept aumфnes corporelles, seule la correction fraternelle reзoit comme telle un traitement explicite et dйveloppй dans le cadre du traitй de la charitй. Ce traitement est dйployй sur huit articles divisйs en deux groupes (qui corrige qui [articles 1 а 5] et comment corriger [article 6 а 8]); la question disputйe ne retient que la premiиre question et en nйgocie une autre qui n’a pas d’йquivalent en tant que question dans la Summa theologiae, ce qui n’empкche pas les respondeo et les rйponses aux diverses objections de couvrir une part du matйriel mis en discours dans les articles de la question de la Summa theologiae. 

 

Des traitements originaux

Mais plus encore, sans parler de transformation profonde de la pensйe dans le cas des questions qui nous occupent – comme, а la mкme йpoque cela arrive avec la question 6 du De Malo – il faut cependant reconnaоtre que le traitement varie ici. Je n’en veux donner que deux exemples mais la comparaison vaudrait pour bien d’autres questions ou articles du recueil De virtutibus in communi. Comparons l’article premier du De virtutibus in communi а l’article premier de son йquivalent dans la Summa theologiae, soit la question 55 de la Prima Secundae. Au lieu des 15 objections du De virtutibus in communi nous n’en retrouvons que cinq dans la Prima Secundae; et de ces cinq, seulement trois se retrouvent dans la question disputйe correspondante et, encore, pas tout а fait. De plus, le respondeo de la question 55 ne reprйsente que 14.2% du total du respondeo correspondant. Une partie du respondeo de la question disputйe prend du matйriel dйjа nйgociй dans les questions 49, article 2 et surtout 51 article 2 de la Prima Secundae. Pourtant, ce n’est que dans le respondeo de la question disputйe que l’on trouve explicitйs et argumentйs les trois йlйments sur lesquels une certaine dйfinition traditionnelle de la vertu thomasienne s’enracinera :

Premiиrement, afin qu’il y ait uniformitй dans son opйration : en effet, ce qui dйpend de la seule opйration est facilement changй, а moins d’кtre affermi par une inclination habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une opйration parfaite soit toujours prкte. En effet, а moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine faзon inclinйe а une seule chose, il faudra toujours que prйcиde une recherche sur une opйration, alors qu’il est nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la vertu. (…) Troisiиmement, afin que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En effet, ce qui est accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon une certaine nature, rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et par consйquent dйlectable.[12]

 

Le second exemple est tirй de la derniиre question, celle portant sur les vertus cardinales. L’йconomie de la nйgociation est  trиs diffйrente entre les deux questions : les questions ne sont pas les mкmes (ce qui est uni dans la question disputйe est dissйminй sur plusieurs questions dans la Summa theologiae); le dйsйquilibre dans la longueur de le respondeo de la question disputйe et celle de la Summa theologiae est encore plus accentuй que dans l’exemple prйcйdent; le vocabulaire ne se recoupe guиre; la problйmatique de la vertu « gйnйrale » ainsi que la tension entre la perspective des vertus « principales » et celle des vertus « cardinales » qui sous-tend la dйfinition de la vertu cardinale dans la Summa theologiae n’apparaоt pas structurante dans la question disputйe; enfin, la mйtaphore а laquelle on recourt trиs souvent, celle du gond, n’est pas mise en scиne dans les questions gйnйrales sur les vertus cardinales dans la Summa theologiae alors qu’elle ouvre la discussion de la question disputйe et avait йtй utilisйe dиs la question sur la vertu en gйnйral (q. 1, a. 12, ad 24).

 

Un enjeu

            Au point nйvralgique de l’йthique se love l’acte de choisir, d’йlire[13], de choisir d’кtre heureux, avec Dieu. Les nйgociations de questions disputйes sur les vertus en gйnйral, sur la charitй, la correction fraternelle, l’espйrance et les vertus cardinales, selon diverses perspectives, constituent l’йclaircissement des conditions pour rendre possible l’acte de choisir de maniиre rapide, ferme et plaisante. Elles signalent, le travail d’habituation nйcessaire de l’acteur humain dans toutes ses dimensions. Elles tйmoignent de ce que travail passe par l’engagement tant par soi-mкme que par l’intervention de Dieu qui vient se rendre prйsent et dйsirable, dйjа aimant cet acteur pour qu’il choisisse de l’aimer et espйrer en lui, puisse parvenir а choisir de vivre et de jouir d’кtre а l’image de Dieu et d’кtre en route vers une contemplation dйjа amorcйe mais encore en attente de complйtion qui dйpasse les limite des capacitйs humaines. Mieux que le registre thйologal est comme une « porte » pour la moralitй[14]. Sur ce chemin, la communautй des « prochains » joue un rфle et l’acteur a une responsabilitй envers autrui : celle de l’aider а s’habituer а choisir Dieu comme fin et ce qui mиne а Dieu et, du coup, а la paix[15].

            Mais cet enjeu et l’йlaboration des rйponses se heurtent а plusieurs objections liйes soit а des comprйhensions diffйrentes de la nature humaine et des aspects constitutifs de l’agir et de la psychologie humains, soit de lectures et d’interprйtations divergentes de l’Йcriture ou de la Tradition, soit encore d’options thйologiques autorisйes а l’йcart des options nйgociйes par Thomas d’Aquin. Parfois, aussi, des йlйments d’un respondeo servent d’objections lors d’une mise а la question subsйquente. En ce sens, plus encore que pour la Summa theologiae les objections et les rйponses aux objections s’avиrent ici structurantes de la « doctrine » mise en discours patiemment par Thomas d’Aquin.      Ainsi, il est possible de montrer que les objections sont massivement en provenance de l’orbite augustinienne : sur 168 occurrences du nom de saint Augustin et de ses oeuvres, 118 se retrouvent dans les objections; dans les respondeo, on trouve seulement 23 recours а l’autoritй d’Augustin et 27 dans les rйponses aux objections mкmes. Divers arguments sont aussi objectйs en provenance du corpus aristotйlicien; mais lа le rapport est plus йquilibrй : pour 97 occurrences en positions d’objections, on trouve un total de 75 rйfйrences а ce corpus dans les respondeo et les solutions aux objections. Un patient travail pourrait кtre fait pour voir d’une part comment se nouent dans ces questions disputйes ces deux grand fils conducteurs de la pensйe et comment, d’autre part les rйfйrences bibliques trиs nombreuses (67 pour l’Ancien Testament et 147 pour le Nouveau) sont tressйes avec ceux-ci.

Cette situation invite а кtre attentif а la polysйmie des termes utilisйs au Moyen Вge et aussi la plasticitй des concepts. Cela signale aussi qu’il n’existe pas une йconomie discursive unique, unifiйe ou unifiante qui pourrait accorder toutes les options ouvertes, surtout lorsque sont injectйs dans la discussion des йlйments en provenance de la Parole de Dieu. Certaines des positions avec et contre lesquelles la nйgociation thomasienne compose sont encore en circulation de nos jours.         

Conclusion

Dйsormais, le lecteur est prкt а plonger dans le texte, а ce laisser surprendre par l’univers de sens dont il est porteur, а s’y laisser questionner, а le soumettre charitablement а la question. Surtout а lire lentement, а prendre son temps et de fonctionner comme un patient orfиvre des mots et des arguments, pour faire йcho au Nietzsche d’Aurore[16]. Reste а y dйcouvrir la finesse philosophique et thйologique des analyses, certes, mais aussi ce qu’elles offrent pour penser et mettre en discours, non loin de la phйnomйnologie ou d’une psychologie, une anthropologie fondamentale. Reste а repйrer les complйments, les йcarts par rapport aux textes plus connus de Thomas d’Aquin et aux attentes qu’ils ont dйjа suscitйes et de construire pour lui-mкme et en lui-mкme la cohйrence du discours thomasien oщ il y va pour le lecteur de s’ajuster lа oщ il n’attendait peut-кtre pas de se retrouver. Reste enfin et surtout peut-кtre а trouver les guйs et а inventer des protocoles pour faire entrer ces riches analyses dans la discussion contemporaine.

Avertissement des traducteurs

 

            1. En l’absence d’une йdition critique des questions disputйes sur les vertus par saint Thomas d’Aquin, la prйsente traduction franзaise se fonde sur l’йdition йlectronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, rйalisйe par Enrique Alarcуn, dans le cadre du Corpus thomisticum (Universitй de Navarre, 2006) : http://www.corpusthomisticum.org/.

            2. Dans le texte latin du commentaire, seules les rйfйrences aux chapitres de la Bible sont indiquйes, puisque que tel йtait l’usage au XIIIe siиcle. Toutefois, pour la commoditй du lecteur, les rйfйrences aux versets ont йtй ajoutйes dans la prйsente traduction, chaque fois que ceux-ci ont pu кtre identifiйs. De mкme, les rйfйrences exactes ont йtй rйtablies en cas d’erreur. Les abrйviations des livres bibliques sont celles de La Bible de Jйrusalem, Paris, 1998. En cas de diffйrence de numйrotation des versets entre la version latine de la Bible et La Bible de Jйrusalem, la numйrotation de La Bible de Jйrusalem a йtй retenue. La traduction franзaise des textes bibliques suit d’aussi prиs que possible la version latine de la Bible utilisйe par Thomas d’Aquin. On ne s’йtonnera donc pas de certains йcarts par rapport а la version latine de la Bible reзue depuis le XVIe siиcle ou par rapport а une traduction moderne de la Bible.

            3. Les passages bibliques commentйs par Thomas d’Aquin sont citйs en majuscules dans le corps du texte. Nous indiquons aussi en majuscules et entre crochets le contexte des mots commentйs par Thomas d’Aquin, lorsque cela semble nйcessaire pour la comprйhension du commentaire. Les autres citations bibliques sont donnйes en italiques. Afin de faciliter le repйrage des passages commentйs, la rйfйrence au chapitre et au verset est donnйe en caractиres gras entre crochets а l’endroit oщ dйbute le commentaire de Thomas d’Aquin sur chaque verset. Les citations autres que les citations bibliques sont placйes entre guillemets.

            4. La traduction a йtй rйalisйe en 2003 et en 2007 par Jacques Mйnard (question 1 et 4), Anne Michel (question 5), Raymond Berton (Question 2 et 3), avec la collaboration du R.P. Dominique Dupont, abbй de Solesmes et de Marie-Louise Evrard. Raymond Berton a unifiй la traduction. Madame Dominique Pillet a assurй la relecture de l’ensemble. Le professeur Maxime Allard op a rйdigй la prйsentation de l’oeuvre. La coordination des travaux et la mise en forme de l’йdition йlectronique ont йtй assurйs par Arnaud Dumouch, pour le projet http://docteurangelique.free.fr

 

 

 

Question 1 : [Les vertus en gйnйral]

© Traduction Professeur Jacques Mйnard, avril 2007[17]

 

Quaestio 1 : De virtutibus in communi Prooemium

Prologue

[65463] De virtutibus, q. 1 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum virtutes sint habitus.

[65464] De virtutibus, q. 1 pr. 2 Secundo utrum definitio virtutis quam Augustinus ponit, sit conveniens.

[65465] De virtutibus, q. 1 pr. 3 Tertio utrum potentia animae possit esse virtutis subiectum.

[65466] De virtutibus, q. 1 pr. 4 Quarto utrum irascibilis et concupiscibilis possint esse subiectum virtutis.

[65467] De virtutibus, q. 1 pr. 5 Quinto utrum voluntas sit subiectum virtutis.

[65468] De virtutibus, q. 1 pr. 6 Sexto utrum in intellectu practico sit virtus sicut in subiecto.

[65469] De virtutibus, q. 1 pr. 7 Septimo utrum in intellectu speculativo sit virtus.

[65470] De virtutibus, q. 1 pr. 8 Octavo utrum virtutes insint nobis a natura.

[65471] De virtutibus, q. 1 pr. 9 Nono utrum virtutes acquirantur ex actibus.

[65472] De virtutibus, q. 1 pr. 10 Decimo utrum sint aliquae virtutes homini ex infusione.

[65473] De virtutibus, q. 1 pr. 11 Undecimo utrum virtus infusa augeatur.

[65474] De virtutibus, q. 1 pr. 12 Duodecimo de distinctione virtutum.

[65475] De virtutibus, q. 1 pr. 13 Decimotertio utrum virtus sit in medio.

Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ?

Article 2 – La dйfinition de la vertu donnйe par Augustin est-elle appropriйe ?

Article 3 – Une puissance de l’вme peut-elle кtre le sujet d’une vertu ?

Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils кtre sujets de la vertu ?

Article 5 – La volontй est-elle le sujet d’une vertu ?

Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ?

Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spйculatif ?

Article 8 – Les vertus existent-elles en nous par nature ?

Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ?

Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ?

Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentйe ?

Article 12 – La distinction entre les vertus.

Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu ?

 

Articulus 1 : [65476] De virtutibus, q. 1 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum virtutes sint habitus

Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ?

[65477] De virtutibus, q. 1 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non, sed magis actus.

Il semble que non, mais qu’elles sont plutфt des actes.

[65478] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 1 Augustinus enim dicit in Lib. Retract., quod bonus usus liberi arbitrii est virtus. Sed usus liberi arbitrii est actus. Ergo virtus est actus.

1. En effet, Augustin dit, dans le livre des Rйtractations, que le bon usage du libre arbitre est la vertu. Or, l’usage du libre arbitre est un acte. La vertu est donc un acte.

 [65479] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, praemium non debetur alicui nisi ratione actus. Debetur autem omni habenti virtutem; quia quicumque in caritate decedit, ad beatitudinem perveniet. Ergo virtus est meritum. Meritum autem est actus. Ergo virtus est actus.

2. Une rйcompense n’est due а quelqu’un qu’en raison d’un acte. Or, elle est due а tous ceux qui possиdent la vertu, car tous ceux qui meurent avec la charitй parviennent а la bйatitude. La vertu est donc un mйrite. Or, le mйrite est un acte. La vertu est donc un acte.

 [65480] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid est in nobis Deo similius, tanto est melius. Sed maxime Deo similamur secundum quod sumus in actu, quia est actus purus. Ergo actus est optimum eorum quae sunt in nobis. Sed virtutes sunt maxima bona quae sunt in nobis, ut Augustinus dicit in libro de libero arbitrio. Ergo virtutes sunt actus.

3. Plus ce qui est en nous est semblable а Dieu, meilleur cela est. Or, nous sommes semblables а Dieu selon que nous sommes en acte, car il est acte pur. L’acte est donc ce qu’il ce qu’il y a de meilleur en nous. Or, les vertus sont les plus grands biens qui sont en nous, comme le dit Augustin dans le livre Sur le libre arbitre. Les vertus sont donc des actes.

[65481] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, perfectio viae respondet perfectioni patriae. Sed perfectio patriae est actus, scilicet felicitas, quae in actu consistit, secundum philosophum. Ergo et perfectio viae, scilicet virtus, actus est.

4. La perfection de la route [perfectio viae] correspond la perfecton de la patrie [perfectio patriae]. Or, la perfection de la patrie est un acte, а savoir, la fйlicitй, qui consiste dans un acte, selon le Philosophe. La perfection de la route, а savoir, la vertu, est donc aussi un acte.

[65482] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, contraria sunt quae in eodem genere ponuntur, et mutuo se expellunt. Sed actus peccati expellit virtutem ratione oppositionis quam habet ad ipsam. Ergo virtus est in genere actus.

5. Les contraires se situent dans un mкme genre et se repoussent mutuellement. Or, l’acte du pйchй repousse la vertu en raison de son opposition qu’il a par rapport а elle. La vertu se situe donc dans le genre de l’acte.

 [65483] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum de potentia : ultimum potentiae est actus. Ergo virtus est actus.

6. Le Philosophe dit, dans Sur le ciel et le monde, I, que la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, le point ultime d’une puissance est l’acte. La vertu est donc un acte.

[65484] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, pars rationalis est nobilior et perfectior quam pars sensitiva. Sed vis sensitiva habet suam operationem nullo habitu vel qualitate mediante. Ergo nec in parte intellectiva oportet ponere habitus, quibus mediantibus pars intellectiva perfectam operationem habeat.

7. La partie raisonnable est plus noble et plus parfaite que la partie sensible. Or, la puissance sensible exerce son opйration sans l’intermйdiaire d’un habitus ou d’une qualitй. Il n’est donc pas nйcessaire de situer dans la partie intellective les habitus, par l’intermйdiaire desquels celle-ci exerce une opйration parfaite.

 [65485] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VII Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Optimum autem est actus; dispositio autem est eiusdem generis cum eo ad quod disponit. Ergo virtus est actus.

8. Le Philosophe dit, dans Physique, VII, que la vertu est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur. Or, ce qui est le meilleur est un acte ; mais la disposition fait partie du mкme genre que ce а quoi elle dispose. La vertu est donc un acte.

[65486] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus Ecclesiae, quod virtus est ordo amoris : ordo autem, ut ipse dicit in XIX de Civit. Dei, est parium dispariumque sua cuique tribuens loca dispositio. Virtus ergo est dispositio : non ergo habitus.

9. Augustin dit, dans le livre Sur le comportement de l’Йglise, que la vertu est l’ordre de l’amour. Or, l’ordre, comme il le dit lui-mкme dans La citй de Dieu, XIX, est une disposition qui donne leur place а des choses йgales et inйgales. La vertu est donc une disposition. Elle n’est donc pas un habitus.

 [65487] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 10 Praeterea, habitus est qualitas de difficili mobilis. Sed virtus est facile mobilis, quia per unum actum peccati mortalis amittitur. Ergo virtus non est habitus.

10. L’habitus est une qualitй difficilement changeable. Or, la vertu peut changer facilement, car elle est enlevйe par un seul acte de pйchй mortel. La vertu n’est donc pas un habitus.

 [65488] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, si habitibus aliquibus indigemus, qui sint virtutes, aut indigemus ad operationes naturales, aut meritorias, quae sunt quasi supernaturales. Non autem ad naturales : quia si quaelibet natura, etiam sensibilis et insensibilis, potest suam operationem perficere absque habitu, multo fortius hoc poterit rationalis natura. Similiter nec ad operationes meritorias, quia has Deus in nobis operatur : Philipp. II, 13. Qui operatur in nobis velle et perficere, pro bona voluntate. Ergo nullo modo virtutes sunt habitus.

11. Si nous avons besoin d’habitus, qui seraient les vertus, ou bien nous en avons besoin pour des opйrations naturelles, ou bien pour [des opйrations] mйritoires, qui sont pour ainsi dire surnaturelles. Or, [nous n’en avons pas besoin] pour des [opйrations] naturelles, car, si toute nature, mкme la sensible et l’insensible, peut accomplir son opйration sans habitus, а bien plus forte raison la nature raisonnable le pourra-t-elle. De mкme, [nous n’en avons pas besoin] pour les opйrations mйritoires, car Dieu les accomplit en nous, Ph 2, 13 : Lui qui accomplit en nous le vouloir et l’opйration, pour une bonne volontй. Les vertus ne sont donc d’aucune maniиre des habitus.

[65489] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne agens secundum formam, semper agit secundum exigentiam illius formae, sicut calidum agit semper calefaciendo. Si ergo in mente sit aliqua habitualis forma quae virtus dicatur, oportebit quod habens virtutem, secundum virtutem operetur; quod est falsum : quia sic quilibet habens virtutem esset confirmatus. Ergo virtutes non sunt habitus.

12. Tout ce qui agit selon une forme agit toujours selon que l’exige cette forme, comme le chaud agit toujours en rйchauffant. Si donc il existe dans l’esprit une forme habituelle appelйe vertu, il sera nйcessaire que celui qui possиde la vertu agisse selon la vertu, ce qui est faux, car ainsi quiconque possиde la vertu serait confirmй [dans la vertu]. Les vertus ne sont donc pas des habitus.

[65490] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 13 Praeterea, habitus ad hoc insunt potentiis, ut tribuant eis facilitatem operandi. Sed ad actus virtutum non indigemus aliquo facilitatem faciente, ut videtur. Consistunt enim principaliter in electione et voluntate : nihil autem est facilius eo quod est in voluntate constitutum. Ergo virtutes non sunt habitus.

13. Les habitus sont inhйrents aux puissances afin de leur donner une facilitй d’agir. Or, pour les actes des vertus, nous n’avons pas besoin de quelque chose qui assure la facilitй, semble-t-il. En effet, ils consistent principalement dans le choix et la volontй. Or, rien n’est plus facile que ce qui est dйterminй par la volontй. Les vertus ne sont donc pas des habitus.

 [65491] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 14 Praeterea, effectus non potest esse nobilior quam sua causa. Sed si virtus est habitus, erit causa actus, qui est habitu nobilior. Ergo non videtur conveniens quod virtus sit habitus.

14. L’effet ne peut pas кtre plus noble que la cause. Or, si la vertu est un habitus, la cause de l’acte, qui est plus noble que l’habitus, en sera aussi un. Il ne semble donc pas appropriй que la vertu soit un habitus.

[65492] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt unius generis. Sed virtus moralis est medium inter passiones; passiones autem sunt de genere actuum. Ergo, et cetera.

15. Le milieu et les extrкmes appartiennent au mкme genre. Or, la vertu morale est un milieu entre des passions. Or, les passions font partie du genre des actes. Donc, etc.

Cependant :

[65493] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Virtus, secundum Augustinum, est bona qualitas mentis. Non autem potest esse in aliqua specie nisi in prima, quae est habitus. Ergo virtus est habitus.

1. La vertu, selon Augutin, est une bonne qualitй de l’esprit. Or, elle ne peut кtre dans une autre espиce que la premiиre, qui est l’habitus. La vertu est donc un habitus.

[65494] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in II Ethic., quod virtus est habitus electivus in mente consistens.

2. Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu un habitus йlectif йtabli dans l’esprit.

[65495] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt in dormientibus; quia non amittuntur nisi per peccatum mortale. Non sunt autem in eis actus virtutum, quia non habent usum liberi arbitrii. Ergo virtutes non sunt actus.

3. Les vertus existent chez ceux qui dorment, car elles ne sont enlevйes que par le pйchй mortel. Or, il n’existe pas chez eux d’actes des vertus, car ils n’ont pas l’usage du libre arbitre. Les vertus ne sont donc pas des actes.

Rйponse :

[65496] De virtutibus, q. 1 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod virtus, secundum sui nominis rationem, potentiae complementum designat; unde et vis dicitur, secundum quod res aliqua per potestatem completam quam habet, potest sequi suum impetum vel motum. Virtus enim, secundum suum nomen, potestatis perfectionem demonstrat; unde philosophus dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum in re de potentia. Quia vero potentia ad actum dicitur, complementum potentiae attenditur penes hoc quod completam operationem suscipit. Quia vero operatio est finis operantis, cum omnis res, secundum philosophum in I caeli et mundi, sit propter suam operationem, sicut propter finem proximum; unumquodque est bonum, secundum quod habet completum ordinem ad suum finem. Inde est quod virtus bonum facit habentem, et opus eius reddit bonum, ut dicitur in II Ethic.; et per hunc etiam modum patet quod est dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Metaph. Et haec omnia conveniunt virtuti cuiuscumque rei. Nam virtus equi est quae facit ipsum bonum, et opus ipsius; similiter virtus lapidis, vel hominis, vel cuiuscumque alterius. Secundum autem diversam conditionem potentiarum, diversus est modus complexionis ipsius. Est enim aliqua potentia tantum agens; aliqua tantum acta vel mota; alia vero agens et acta. Potentia igitur quae est tantum agens, non indiget, ad hoc quod sit principium actus, aliquo inducto; unde virtus talis potentiae nihil est aliud quam ipsa potentia. Talis autem potentia est divina, intellectus agens, et potentiae naturales; unde harum potentiarum virtutes non sunt aliqui habitus, sed ipsae potentiae in seipsis completae. Illae vero potentiae sunt tantum actae quae non agunt nisi ab aliis motae; nec est in eis agere vel non agere, sed secundum impetum virtutis moventis agunt; et tales sunt vires sensitivae secundum se consideratae; unde in III Ethic. dicitur, quod sensus nullius actus est principium : et hae potentiae perficiuntur ad suos actus per aliquid superinductum; quod tamen non inest eis sicut aliqua forma manens in subiecto, sed solum per modum passionis, sicut species in pupilla. Unde nec harum potentiarum virtutes sunt habitus, sed magis ipsae potentiae, secundum quod sunt actu passae a suis activis. Potentiae vero illae sunt agentes et actae quae ita moventur a suis activis, quod tamen per eas non determinantur ad unum; sed in eis est agere, sicut vires aliquo modo rationales; et hae potentiae complentur ad agendum per aliquid superinductum, quod non est in eis per modum passionis tantum, sed per modum formae quiescentis, et manentis in subiecto; ita tamen quod per eas non de necessitate potentia ad unum cogatur; quia sic potentia non esset domina sui actus. Harum potentiarum virtutes non sunt ipsae potentiae; neque passiones, sicut est in sensitivis potentiis; neque qualitates de necessitate agentes, sicut sunt qualitates rerum naturalium; sed sunt habitus, secundum quos potest quis agere cum voluerit ut dicit Commentator in III de anima. Et Augustinus in Lib. de bono coniugali dicit, quod habitus est quo quis agit, cum tempus affuerit. Sic ergo patet quod virtutes sunt habitus. Et qualiter habitus distent a secunda et tertia specie qualitatis, qualiter autem a quarta differant, in promptu est : nam figura non dicit ordinem ad actum quantum in se est. Ex his etiam potest patere quod habitus virtutum ad tria indigemus. Primo ut sit uniformitas in sua operatione; ea enim quae ex sola operatione dependent, facile immutantur, nisi secundum aliquam inclinationem habitualem fuerint stabilita. Secundo ut operatio perfecta in promptu habeatur. Nisi enim potentia rationalis per habitum aliquo modo inclinetur ad unum, oportebit semper, cum necesse fuerit operari, praecedere inquisitionem de operatione; sicut patet de eo qui vult considerare nondum habens scientiae habitum, et qui vult secundum virtutem agere habitu virtutis carens. Unde philosophus dicit in V Ethic., quod repentina sunt ab habitu. Tertio ut delectabiliter perfecta operatio compleatur. Quod quidem fit per habitum; qui cum sit per modum cuiusdam naturae, operationem sibi propriam quasi naturalem reddit, et per consequens delectabilem. Nam convenientia est delectationis causa; unde philosophus, in II Ethic., ponit signum habitus, delectationem in opere existentem.

Il faut dire que la vertu, selon le sens du mot, dйsigne l’achиvement d’une puissance. Aussi est-elle appelйe une force, selon laquelle une chose, en vertu de la puissance achevйe qu’elle possиde, peut suivre son йlan ou son mouvement. En effet, la vertu, selon le sens du mot, exprime la perfection d’une puissance. Aussi le Philosophe dit-il, dans Le ciel et le monde, I, que la vertu est le point ultime de la puissance dans une chose. Or, comme la puissance se dit par rapport а l’acte, l’achиvement d’une puissance se prend du fait qu’elle reзoit une opйration achevйe. Mais comme l’opйration est la fin de celui qui agit, et comme toute chose, selon le Philosophe, dans Le ciel et le monde, I, existe pour son opйration comme pour sa fin prochaine, toute chose est bonne selon qu’elle possиde un ordre achevй а sa fin. De lа vient que la vertu rend bon celui qui la possиde et rend bonne son action, comme il est dit dans Йthique, II. De cette maniиre aussi, il ressort clairement qu’elle est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur, comme il est dit dans Mйtaphysique, VII. Et tout cela convient а la vertu de n’importe quelle chose. Car la vertu du cheval est ce qui le rend bon, ainsi que son opйration ; de la mкme maniиre, la vertu de la pierre, de l’homme ou de n’importe quelle autre chose. Or, selon la condition diverse des puissances, divers est le mode de sa complexion. En effet, il existe une puissance qui est seulement active ; une autre est seulement passive ou mue ; mais une autre est active et passive. La puissance qui est seulement active n’a donc pas besoin, pour кtre le principe d’un acte, de quelque chose d’ajoutй ; aussi la vertu d’une telle puissance n’est-elle rien d’autre que la puissance elle-mкme. Or, une telle puissance est [la puissance] divine, l’intellect agent et les puissances naturelles. Aussi, les vertus de ces puissances ne sont-elles pas des habitus, mais les puissances elles-mкmes en tant qu’elles sont achevйes en elles-mкmes. Mais les puissances seulement passives sont celles qui n’agissent que si elles sont mues par quelque chose d’autre ; elles n’ont pas non plus en elles-mкmes le pouvoir d’agir ou de ne pas agir, mais elles agissent sous l’impulsion de la puissance qui meut. Telles sont les puissances sensibles considйrйes en elles-mкmes. Aussi est-il dit dans Йthique, III, que le sens n’est le principe d’aucun acte. Et ces puissances sont perfectionnйes en vue de leurs actes par quelque chose d’ajoutй, qui n’existe cependant pas en elles comme une forme demeure dans un sujet, mais seulement par mode de passion, comme l’espиce dans la pupille. Il dйcoule de cela que les vertus de ces puissances ne sont pas non plus des habitus, mais plutфt les puissances elles-mкmes, selon qu’elles subissent l’action de ce qui les active. Mais les puissances qui sont а la fois actives et passives sont mues par ce qui les active de telle maniиre qu’elles ne sont cependant pas dйterminйes а une seule chose, mais qu’il leur est possible d’agir, comme des puissances en quelque sorte raisonnables. Et ces puissances sont achevйes en vue d’agir par quelque chose d’ajoutй, qui n’existe pas en elles seulement par mode de passion, mais par mode d’une forme qui repose et demeure dans un sujet, de telle maniиre, cependant, que, par elles, une puissance n’est pas nйcessairement forcйe а une seule chose, car ainsi cette puissance ne serait pas maоtresse de son acte. Les vertus de ces puissances ne sont pas les puissances elles-mкmes ; elles ne sont pas non plus des passions, comme c’est le cas pour les puissances sensibles ; elles ne sont pas non plus des qualitйs qui agissent par nйcessitй, comme les qualitйs des choses naturelles. Mais elles sont des habitus par lesquels quelqu’un peut agir lorsqu’il le veut, comme le dit le Commentateur, dans Sur l’вme, III. Et Augustin dit, dans le livre Le bien conjugal, que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit, lorsque le moment est venu. Il est donc clair que les vertus sont des habitus. Comment les habitus s’йloignent de la deuxiиme et de la troisiиme espиce de qualitй et comment ils diffиrent de la quatriиme, cela est йvident, car la figure ne comporte pas en elle-mкme d’ordre а l’acte. А partir de cela, on peut voir clairement que nous avons besoin des habitus des vertus pour trois choses. Premiиrement, afin qu’il y ait uniformitй dans son opйration : en effet, ce qui dйpend de la seule opйration est facilement changй, а moins d’кtre affermi par une inclinaton habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une opйration parfaite soit toujours prкte. En effet, а moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine faзon inclinйe а une seule chose, il faudra toujours que prйcиde une recherche sur une opйration, alors qu’il est nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la vertu. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Йthique, V, que ce qui vient de la vertu est subit. Troisiиmement, afin que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En effet, ce qui est accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon une certaine nature, rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et par consйquent dйlectable. Car l’adйquation est la cause du plaisir. Aussi, dans Йthique, II, le Philosophe donne-t-il comme signe d’un habitus le fait qu’il y a plaisir dans l’opйration.

Solutions :

[65497] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut potestas, ita et virtus accipitur dupliciter. Uno modo materialiter, prout dicimus, id quod possumus, esse nostram potentiam; et sic Augustinus bonum usum liberi arbitrii dicit esse virtutem. Alio modo essentialiter; et sic neque potentia neque virtus est actus.

1. Comme la puissance, la vertu s’entend de deux maniиres. D’une maniиre, matйrielle­ment, comme lorsque nous disons que ce que nous pouvons est notre puissance; et ainsi, Augustin dit que l’usage du libre arbitre est la vertu. D’une autre maniиre, essentiellement; et ainsi, ni la puissance ni la vertu ne sont des actes.

[65498] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mereri dupliciter accipitur. Uno modo proprie; et sic nihil aliud est quam facere aliquam actionem unde aliquis sibi iuste acquirat mercedem. Alio modo improprie; et sic quaelibet conditio quae facit hominem aliquo modo dignum, meritum dicitur; ut si dicamus, quod species Priami meruit imperium, quia digna imperio fuit. Praemium ergo cum merito debeatur, debetur quodammodo et qualitati habituali, per quam aliquis redditur idoneus ad praemium : et sic debetur parvulis baptizatis. Et iterum debetur merito actuali; et sic non debetur virtuti, sed actui virtutis. Et tamen etiam parvulis quodammodo redditur ratione meriti actualis, in quantum ex merito Christi sacramentum efficaciam habet, quo regenerantur ad vitam.

2. Mйriter s’entend de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre; et ainsi, ce n’est rien d’autre que de faire une action par laquelle on acquiert une rйcompense pour soi-mкme. D’une autre maniиre, en un sens impropre; et ainsi, toute condition qui rend l’homme digne d’une certaine faзon est appelйe mйrite, comme si nous disions que l’espиce de Priam mйritait le pouvoir parce qu’elle йtait digne du pouvoir. Puisque la rйcompense est due au mйrite, elle est donc aussi due d’une certaine faзon а la qualitй habituelle par laquelle quelqu’un est rendu apte а la rйcompense. Et ainsi est-elle due aux petits enfants baptisйs. Elle est aussi due au mйrite actuel; et ainsi, elle n’est pas due а la vertu, mais а l’acte de la vertu. Cependant, la rйcompense est d’une certaine faзon donnйe aux petits enfants en raison d’un mйrite actuel, pour autant que le sacrement par lequel ils sont rйgйnйrйs pour la vie tire son efficacitй du mйrite du Christ.

[65499] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus dicit, virtutes esse maxima bona, non simpliciter, sed in genere; sicut et ignis dicitur subtilissimum corporum. Unde non sequitur quod nihil sit in nobis ipsis virtutibus melius; sed quod sint de numero eorum quae sunt maxima bona secundum genus suum.

3. Augustin dit que les vertus sont les plus grands biens, non pas tout simplement, mais d’une maniиre gйnйrale, comme le feu est le plus subtil parmi les corps. Il n’en dйcoule donc pas que rien ne soit meilleur en nous que les vertus, mais qu’elles font partie des biens qui sont les plus grands selon leur genre.

[65500] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in vita est perfectio habitualis quae est virtus, et perfectio actualis quae est virtutis actus; ita etiam in ipsa patria felicitas est perfectio actualis, procedens ex aliquo habitu consummato. Unde etiam philosophus in I Ethic. dicit, quod felicitas est operatio secundum virtutem perfectam.

4. De mкme que, durant la vie, il existe une perfection habituelle qui est la vertu, et une perfection actuelle, qui est l’acte de la vertu, de mкme aussi, dans la patrie, existe-t-il une perfection actuelle, provenant d’un habitus consommй. Aussi, mкme le Philosophe dit-il, dans Йthique, I, que la fйlicitй est une opйration conforme а la vertu parfaite.

[65501] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus vitiosus directe tollit actum virtutis per modum contrarietatis; ipsum vero virtutis habitum tollit per accidens, in quantum separatur a causa virtutis infusae, scilicet a Deo. Unde Is., LIX, 2 : peccata vestra diviserunt inter vos et Deum vestrum. Et propter hoc virtutes acquisitae, per unum actum vitiosum non tolluntur.

5. L’acte vicieux enlиve directement l’acte de la vertu parce qu’il lui est contraire, mais il enlиve l’habitus lui-mкme par accident, pour autant qu’il est sйparй de la cause de la vertu infuse, а savoir, de Dieu. Aussi Isaпe dit-il, 49, 2 : Vos pйchйs ont mis une sйparation entre vous et votre Dieu. Pour cette raison, les vertus acquises ne sont pas enlevйes par un seul acte vicieux.

[65502] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa definitio philosophi potest dupliciter intelligi. Uno modo materialiter, ut per virtutem intelligamus id in quod virtus potest, quod est ultimum inter ea in quae potentia potest; sicut virtus eius qui potest ferre centum libras, est in eo in quantum potest ferre centum libras non in quantum ferre potest sexaginta. Alio modo potest intelligi essentialiter; et sic virtus dicitur ultimum potentiae, quia designat potentiae complementum; sive id per quod potentia completur, sit aliud a potentia, sive non.

6. Cette dйfinition du Philosophe peut s’entendre de deux faзons. D’une faзon, matйriellement, de sorte que nous entendions par vertu ce sur quoi porte la vertu, qui est le point ultime de ce dont une puissance est capable, comme la vertu de celui qui peut porter cent livres est en lui pour autant qu’il peut porter cent livres, et non pour autant qu’il peut en porter soixante. D’une autre faзon, on peut l’entendre essentiellement; et ainsi, on appelle vertu le point ultime d’une puissance, parce qu’elle dйsigne l’achиvement de la puissance, que cela soit diffйrent de la puissance ou non.

[65503] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 7 Ad sep­timum dicendum, quod non est similis ratio de potentiis sensitivis et rationabilibus, ut dictum est.

7. Il n’en va pas de mкme des puissances sensibles et raisonnables, comme on l’a dit.

[65504] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 8 Ad octa­vum dicendum, quod dispositio ad aliquid dicitur id per quod aliquid movetur in illud consequendum. Motus autem habet quandoque terminum in eodem genere, sicut motus alterationis est qualitas; unde dispositio ad hunc terminum semper est eiusdem generis cum termino. Quandoque vero habet terminum alterius generis, sicut alterationis terminus est forma substantialis; et sic dispositio non est semper eiusdem generis cum eo ad quod disponit; sicut calor est dispositio ad formam substantialem ignis.

8. On dit que la disposition а quelque chose est ce par quoi quelque chose est mы pour l’atteindre. Or, le mouvement a parfois un terme du mкme genre, comme lorsque [le terme] d’une altйration est une qualitй; aussi la disposition а ce terme est-elle toujours du mкme genre que le terme. Mais parfois, [le mouvement] a un terme d’un autre genre, comme lorsque le terme de l’altйration est une forme substantielle. Ainsi, la disposition n’est pas toujours du mкme genre que ce а quoi elle dispose, comme lorsque la chaleur est une disposition а la forme substantielle du feu.

[65505] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod dispositio dicitur tribus modis. Uno modo per quam materia disponitur ad formae receptionem, sicut calor est dispositio ad formam ignis. Alio modo per quam aliquod agens disponitur ad agendum, sicut velocitas est dispositio ad cursum. Tertio modo dispositio dicitur ipsa ordinatio aliquorum ad invicem; et hoc modo dispositio ab Augustino sumitur. Dispositio vero contra habitum dividitur primo modo; ipsa vero virtus, dispositio est secundo modo.

9. On parle de disposition de trois maniиres. D’une maniиre, selon laquelle la matiиre est disposйe а la rйception de la forme, comme la chaleur est une disposition а la forme du feu. D’une autre maniиre, selon laquelle un agent est disposй а agir, comme la rapiditй est une disposition а la course. D’une troisiиme maniиre, on appelle disposition l’ordre mкme de certanes choses les unes par rapport aux autres. Et Augustin entend la disposition de cette maniиre. Mais, la disposition s’oppose а l’habitus de la premiиre maniиre; mais la vertu elle-mкme est une disposition selon la deuxiиme maniиre.

[65506] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod nulla res est adeo stabilis, quae non statim ex se deficiat, sua causa deficiente. Unde non est mirum, si deficiente coniunctione ad Deum per peccatum mortale, deficiat virtus infusa. Nec hoc repugnat suae immobilitati, quae intelligi non potest nisi sua causa manente.

10. Aucune chose n’est а ce point stable qu’elle ne disparaisse d’elle-mкme, si sa cause disparaоt. Aussi n’est-il pas йtonnant que, l’union а Dieu faisant dйfaut par le pйchй mortel, la vertu infuse disparaisse. Cela ne s’oppose pas non plus а son immobilitй, qu’on ne peut entendre que si sa cause demeure.

[65507] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ad utrasque operationes habitu indigemus; ad naturales quidem tribus rationibus superius positis; ad meritorias autem insuper, ut naturalis potentia elevetur ad id quod est supra naturam ex habitu infuso. Nec hoc removetur ex hoc quod Deus in nobis operatur; quia ita agit in nobis, quod et nos agimus; unde habitu indigemus, quo sufficienter agere possimus.

11. Nous avons besoin d’un habitus pour les deux opйrations. Pour les [opйrations] naturelles, pour les trois raisons indiquйes plus haut; et en plus, pour les [opйrations] mйritoires, afin que la puissance naturelle soit йlevйe а ce qui est supйrieure а la nature par un habitus infus. Et cela n’est pas enlevй par le fait que Dieu agit en nous, car il agit en nous de la maniиre dont nous agissons. Aussi avons-nous besoin d’un habitus par lequel nous puissions agir d’une maniиre suffisante.

[65508] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod omnis forma recipitur in suo supposito secundum modum recipientis. Proprietas autem rationalis potentiae est ut in opposita possit, et ut sit domina sui actus. Unde nunquam per formam habitualem receptam cogitur potentia rationalis ad similiter agendum; sed potest agere vel non agere.

12. Toute forme est reзue dans son suppфt selon le mode de celui qui reзoit. Or, le propre d’une puissance raisonnable est qu’elle peut se porter vers des choses opposйes, et qu’elle soit maоtresse de son acte. Aussi la puissance raisonnable n’est-elle jamais contrainte par une forme habituelle а agir de maniиre semblable, mais elle peut agir ou ne pas agir.

[65509] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa quae in sola electione consistunt facile est quod qualitercumque fiant; sed quod debito modo fiant, scilicet expedite, firmiter, et delectabiliter, hoc non est facile; unde ad hoc habitibus virtutum indigemus.

13. Il est facile de faire n’importe comment ce qui relиve du simple choix; mais le faire de la maniиre appropriйe, а savoir, rapidement, fermement et avec plaisir, cela n’est pas facile. Aussi avons-nous besoin des habitus des vertus pour cela.

[65510] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnes motus animalium vel hominum, qui de novo incipiunt, sunt ab aliquo movente moto, et dependent ab aliquo priori actu existente; et sic habitus de se actum non elicit, nisi ab aliquo agente excitatus.

14. Tous les mouvements des animaux ou des hommes, а leur dйbut, viennent d’un agent qui est mы, et ils dйpendent de quelque chose d’antйrieur qui existe en acte. Et ainsi, l’habitus n’amиne pas de lui-mкme а l’acte, а moins qu’il ne soit rйveillй par un agent.

[65511] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus est medium inter passiones, non quasi aliqua passio media; sed actio, quae in passionibus medium constituit.

15. La vertu est un milieu entre les passions, non comme une passion moyenne, mais comme une action qui instaure un milieu entre les passions.

 

Articulus 2 : [65512] De virtutibus, q. 1 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum definitio virtutis quam Augustinus ponit sit conveniens

Article 2 – La dйfinition de la vertu donnйe par Augustin est-elle appropriйe ?

[La dйfinition communйment reзue, attribuйe а Augustin, йtait la suivante : Virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur : «La vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en nous sans nous.» Voir plus loin, article 9, arg. 1; aussi II-II, q. 55, a. 4, arg. 1.]

Objections :

[65514] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 1 Virtus enim est bonitas quaedam. Si ergo ipsa est bona : aut ergo sua bonitate, aut alia. Si alia, procedetur in infinitum : si seipsa, ergo virtus est bonitas prima quia sola bonitas prima est bona per seipsam.

 

1. En effet, la vertu est une certaine bontй. Si donc elle est bonne, elle l’est soit par sa propre bontй, soit par une autre. Si elle l’est par une autre, il faudrait remonter а l’infini; si elle l’est par elle-mкme, la vertu est donc la bontй premiиre, car seule la bontй premiиre est bonne par elle-mкme.

[65515] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est commune omni enti, non debet poni in definitione alicuius. Sed bonum, quod convertitur cum ente, est commune omni enti. Ergo non debet poni in definitione virtutis.

2. Ce qui est commun а tout кtre ne doit pas кtre placй dans la dйfinition de l’un d’entre eux. Or, le bien, qui est convertible avec l’кtre, est commun а tout кtre. Il ne doit donc pas кtre placй dans la dйfinition de la vertu.

[65516] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut bonum est in moralibus, ita et in naturalibus. Sed bonum et malum in naturalibus non diversificant speciem. Ergo nec in definitione virtutis debet poni bona, quasi differentia specifica ipsius virtutis.

3. De mкme que le bien existe dans le domaine moral, de mкme existe-t-il dans le domaine naturel. Or, le bien et le mal dans le domaine naturel ne donnent pas des espиces diffйrentes. Il ne faut donc pas indiquer dans la dйfinition de la vertu le fait qu’elle est bonne, comme s’il s’agissait d’une diffйrence spйcifique de la vertu.

[65517] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, differentia non includitur in ratione generis. Sed bonum includitur in ratione qualitatis, sicut et ens. Ergo non debet addi in definitione virtutis, ut dicatur : virtus est bona qualitas mentis et cetera.

4. La diffйrence ne fait pas partie de la raison du genre. Or, le bien fait partie de la raison de la qualitй, de mкme que l’кtre. Il ne doit donc pas кtre ajoutй dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «La vertu est une bonne qualitй de l’esprit, etc.»

[65518] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, malum et bonum sunt opposita. Sed malum non constituit aliquam speciem, cum sit privatio. Ergo nec bonum; ergo non debet poni in definitione virtutis tamquam differentia constitutiva.

5. Le mal et le bien sont des contraires. Or, le mal ne constitue pas une espиce, puisqu’il est une privation. Il en est donc de mкme pour le bien. Il ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu comme diffйrence constitutive.

[65519] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, bonum est in plus quam qualitas. Ergo per bonum non differt una qualitas ab alia; ergo non debet poni in definitione virtutis bonum, sicut differentia qualitatis vel virtutis.

6. Le bien s’ajoute а la qualitй. Une qualitй ne diffиre donc pas d’une autre par le bien. Le bien ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu en tant que diffйrence de la qualitй ou de la vertu.

[65520] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, ex duobus actibus nihil fit. Sed bonum importat actum quemdam, et qualitas similiter. Ergo male dicitur, quod virtus sit bona qualitas.

7. Rien n’est fait а partir de deux actes. Or, le bien comporte un certain acte; de mкme en est-il de la qualitй. C’est donc а tort qu’on dit de la vertu qu’elle est une bonne qualitй.

[65521] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, quod praedicatur in abstracto, non praedicatur in concreto; sicut albedo est color, non tamen colorata. Sed bonitas praedicatur de virtute in abstracto. Ergo non praedicatur in concreto; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.

8. Ce qui est prйdiquй dans l’abstrait n’est pas prйdiquй dans le concret : ainsi la blancheur est une couleur, mais non ce qui est colorй. Or, la bontй est prйdiquйe de la vertu dans l’abstrait. Elle n’en est donc pas prйdiquйe dans le concret. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne qualitй.»

[65522] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla differentia praedicatur in abstracto de specie unde dicit Avicenna, quod homo non est rationalitas, sed rationale. Sed virtus est bonitas. Ergo bonitas non est differentia virtutis; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.

9. Aucune diffйrence n’est prйdiquйe de l’espиce dans l’abstrait; aussi Avicenne dit-il que l’homme n’est pas la rationalitй, mais raisonnable. Or, la vertu est bontй. La bontй n’est donc pas une diffйrence de la vertu. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne qualitй.»

[65523] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, malum moris idem est quod vitium. Ergo bonum moris idem est quod virtus; ergo bonum non debet poni in definitione virtutis, quia sic idem definiret seipsum.

10. Le mal du comportement est la mкme chose que le vice. Le bien du comportement est donc la mкme chose que la vertu. Le bien ne doit pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu, car ainsi le mкme dйfinirait le mкme.

[65524] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea, mens ad intellectum pertinet. Sed virtus magis respicit affectum. Ergo male dicitur, quod virtus sit bona qualitas mentis.

11. L’esprit se rapporte а l’intellect. Or, la vertu concerne plutфt l’affectivitй. On dit donc incorrectement que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit.

[65525] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 12 Praeterea, secundum Augustinum, mens nominat superiorem partem animae. Sed aliquae virtutes sunt in inferioribus potentiis. Ergo male ponitur in definitione virtutis bona qualitas mentis.

12. Selon Augustin, l’esprit dйsigne la partie supйrieure de l’вme. Or, certaines vertus se situent dans les puissances infйrieures. On met donc incorrectement dans la dйfinition de la vertu : «Une bonne qualitй de l’esprit.»

[65526] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 13 Praeterea, subiectum virtutis nominat potentiam, non essentiam. Sed mens videtur nominare essentiam animae; quia dicit Augustinus, quod in mente est intelligentia, memoria et voluntas. Ergo non debet poni mens in definitione virtutis.

13. Le sujet de la vertu dйsigne une puissance, non une essence. Or, l’esprit semble dйsigner l’essence de l’вme, car Augustin dit que, dans l’esprit, se trouvent l’intelligence, la mйmoire et la volontй. L’esprit ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu.

[65527] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 14 Praeterea, illud quod est proprium speciei, non debet poni in definitione generis. Sed rectitudo est proprium iustitiae. Ergo non debet poni rectitudo in definitione virtutis, ut dicatur bona qualitas mentis, qua recte vivitur.

14. Ce qui est le propre d’une espиce ne doit pas кtre mis dans la dйfinition du genre. Or, la rectitude est le propre de la justice. La rectitude ne doit donc pas кtre mise dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «Une bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit correctement.»

[65528] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 15 Praeterea, vivere viventibus est esse. Sed virtus non perficit ad esse, sed ad opera. Ergo male dicitur, qua recte vivitur.

15. Vivre, c’est кtre pour les vivants. Or, la vertu ne rend pas parfait pour l’кtre, mais pour les actions. On dit donc incorrectement : «Par laquelle on vit correctememnt.»

[65529] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 16 Praeterea, quicumque superbit de aliqua re, male utitur ea. Sed de virtutibus aliquis superbit. Ergo virtutibus aliquis male utitur.

16. Quiconque s’enorgueillit d’une chose en fait un mauvais usage. Or, on s’enorgueillit des vertus. On fait donc un mauvais usage des vertus.

[65530] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 17 Praeterea, Augustinus in libro de Lib. Arbit. dicit, quod solum maximis bonis nullus male utitur. Sed virtus non est de maximis bonis; quia maxima bona sunt quae propter se appetuntur; quod non convenit virtutibus, cum propter aliud appetantur, quia propter felicitatem. Ergo male ponitur qua nullus male utitur.

17. Augustin, dans le livre sur Le libre arbitre, dit que personne n’utilise mal que les plus grands biens. Or, la vertu ne porte pas sur les plus grands biens, car les plus grands biens sont ceux qui sont dйsirйs pour eux-mкmes, ce qui ne convient pas aux vertus, puisqu’elles sont dйsirйes pour autre chose, а savoir, pour la fйlicitй. On ne dit donc pas correctement que «personne n’en fait un mauvais usage».

[65531] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 18 Praeterea, ab eodem aliquid generatur et nutritur et augetur. Sed virtus per actus nostros nutritur et augetur; quia diminutio cupiditatis est augmentum caritatis. Ergo per actus nostros virtus generatur; ergo male ponitur in definitione, quam Deus in nobis sine nobis operatur.

18. Quelque chose est engendrй, entretenu et accru par la mкme chose. Or, la vertu est entretenue et accrue par nos actes, car la diminution de la convoitise est l’accroissement de la charitй. La vertu est donc engendrйe par nos actes. On met donc incorrectement dans sa dйfinition : «Que Dieu rйalise en nous sans nous.»

[65532] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 19 Praeterea, removens prohibens ponitur movens et causa. Sed liberum arbitrium est quodammodo removens prohibens virtutis. Ergo est quodammodo causa; ergo non bene ponitur, quod sine nobis Deus virtutem operetur.

19. Celui qui йcarte un obstacle est un agent et une cause. Or, le libre arbitre enlиve d’une certaine maniиre l’obstacle а la vertu. Il en est donc cause d’une certaine maniиre. On ne dit donc pas correctement que «Dieu rйalise en nous la vertu sans nous».

[65533] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 20 Praeterea, Augustinus dicit : qui creavit te sine te, non iustificabit te sine te. Ergo et cetera.

20. Augustin dit : «Celui t’a crйй sans toi ne te justifiera pas sans toi.» Donc, etc.

[65534] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 21 Praeterea, ista definitio convenit gratiae, ut videtur. Sed virtus et gratia non sunt unum et idem. Ergo non bene definitur per hanc definitionem virtus.

21. Cette dйfinition convient а la grвce, semble-t-il. Or, la vertu et la grвce ne sont pas une seule et mкme chose. La vertu n’est donc pas bien dйfinie par cette dйfinition.

Rйponse :

[65535] De virtutibus, q. 1 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod ista definitio complectitur definitionem virtutis, etiam si ultima particula omittatur; et convenit omni virtuti humanae. Sicut enim dictum est, virtus perficit potentiam in comparatione ad actum perfectum; actus autem perfectus est finis potentiae vel operantis; unde virtus facit et potentiam bonam et operantem, ut prius dictum est. Et ideo in definitione virtutis aliquid ponitur quod pertinet ad perfectionem actus, et aliquid quod pertinet ad perfectionem potentiae vel operantis. Ad perfectionem autem actus duo requiruntur. Requiritur autem quod actus sit rectus, et quod habitus non possit esse principium contrarii actus. Illud enim quod est principium boni et mali actus, non potest esse, quantum est de se, principium perfectum boni actus; quia habitus est perfectio potentiae. Oportet ergo quod ita sit principium actus boni, quod nullo modo mali; propter quod philosophus dicit in VI Ethic., quod opinio, quae potest esse vera et falsa, non est virtus; sed scientia, quae non est nisi de vero. Primum designatur in hoc quod dicitur, qua recte vivitur : secundum, in hoc quod dicitur, qua nemo male utitur. Ad hoc vero quod virtus facit subiectum bonum, tria sunt ibi consideranda. Subiectum ipsum : et hoc determinatur cum dicitur mentis; quia virtus humana non potest esse nisi in eo quod est hominis in quantum est homo. Perfectio vero intellectus designatur in hoc quod dicitur bona; quia bonum dicitur secundum ordinem ad finem. Modus autem inhaerendi designatur in hoc quod dicitur qualitas; quia virtus non inest per modum passionis, sed per modum habitus; ut supra dictum est. Haec autem omnia conveniunt tam virtuti morali quam intellectuali, quam theologicae, quam acquisitae, quam infusae. Hoc vero quod Augustinus addit quam in nobis sine nobis Deus operatur, convenit solum virtuti infusae.

Cette dйfinition exprime la dйfinition de la vertu, mкme si l’on omet la derniиre partie, et elle convient а toute vertu humaine. En effet, comme on l’a dit, la vertu perfectionne une puissance par rapport а son acte parfait. Or, l’acte parfait est la fin d’une puissance ou d’un agent. Aussi la vertu rend-elle bons а la fois la puissance et l’agent, comme on l’a dйjа dit. C’est pourquoi, dans la dйfinition de la vertu, quelque chose est mis qui se rapporte а la perfection de l’acte, et quelque chose qui se rapporte а la perfection de la puissance ou de l’agent. Or, deux choses sont nйcessaires pour la perfection de l’acte : il est nйcessaire que l’acte soit droit, et que l’habitus ne puisse кtre le principe d’un acte contraire. En effet, ce qui est le principe d’un acte bon et mauvais ne peut кtre de soi le principe parfait d’un acte bon, car l’habitus est la perfection de la puissance. Il faut donc que ce soit le principe d’un acte bon, qui ne soit d’aucune maniиre [principe d’un acte] mauvais. C’est la raison pour laquelle le Philosophe dit, dans Йthique, VI, que l’opinion, qui peut кtre vraie ou fausse, n’est pas une vertu, mais la science, qui ne porte que sur ce qui est vrai. Le premier point est indiquй lorsqu’on dit : «par laquelle on vit correctement»; le second, lorsqu’on dit : «dont personne ne fait un mauvais usage». Or, pour que la vertu rende un sujet bon, il faut y relever trois choses. Le sujet lui-mкme : et cela est prйcisй lorsqu’on dit : «de l’esprit», car la vertu humaine ne peut rйsider que dans ce appartient а l’homme en tant qu’il est homme. Mais la perfection de l’intelligence est dйsignйe par le fait qu’on dit : «bonne», car on parle de bien selon l’ordre а la fin. La maniиre d’adhйrer est dйsignйe lorsqu’on dit : «une qualitй», car la vertu n’est pas prйsente par mode de passion, mais par mode d’habitus, comme on l’a dit plus haut. Or, tout cela convient autant а la vertu morale, а la vertu thйologale, а la vertu acquise ou а la vertu infuse. Mais ce que Augustin ajoute : «Que Dieu rйalise en nous sans nous», convient seulement а la vertu infuse.

Solutions :

[65536] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidentia sicut non dicuntur entia quia subsistant, sed quia aliquid eis est; ita virtus non dicitur bona quod ipsa sit bona, sed qua aliquid est bonum. Unde non oportet quod virtus sit bona alia bonitate, quasi informetur alia bonitate.

1. De mкme que les accidents ne sont pas appelйs des кtres parce qu’ils subsisteraient, mais parce que quelque chose existe en eux, de mкme la vertu n’est pas appelйe bonne parce qu’elle est elle-mкme bonne, mais parce que quelque chose est bon. Il n’est donc pas nйcessaire que la vertu soit bonne par une autre bontй, comme si elle recevait la forme d’une autre bontй.

[65537] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum quod convertitur cum ente, non ponitur hic in definitione virtutis; sed bonum quod determinatur ad actum moralem.

2. Le bien qui est convertible avec l’кtre n’est pas mis ici dans la dйfinition de la vertu, mais le bien qui est concerne un acte moral.

[65538] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actiones diversificantur secundum formam agentis, ut calefacere et infrigidare. Bonum autem et malum sunt quasi forma et obiectum voluntatis; quia semper agens imprimit formam suam in patientem, et movens in motum. Et ideo actus morales, quorum principium est voluntas, diversificantur specie secundum bonum et malum. Principium autem naturalium operationum non est finis, sed forma; et ideo non diversificantur in naturalibus species secundum bonum et malum; sed in moralibus sic.

3. Les actions se diversifient selon la forme de l’agent, comme chauffer et refroidir. Or, le bien et le mal sont comme la forme et l’objet de la volontй, car l’agent imprime toujours sa forme dans le patient, et ce qui meut dans ce qui est mы. C’est pourquoi les actes moraux, dont le principe est la volontй, se diversifient selon l’espиce par le bien et le mal. Or, le principe des opйrations naturelles n’est pas la fin, mais la forme. C’est pourquoi, dans les choses naturelles, les espиces ne se diversifient pas selon le bien et le mal, mais il en est ainsi dans les choses morales.

[65539] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonitas moralis non includitur in intellectu qualitatis; et ideo ratio non est ad propositum.

4. La bontй morale ne fait pas partie de la notion de qualitй. C’est pourquoi l’argument est hors de propos.

 [65540] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod malum non constituit speciem ratione privationis, sed ratione eius quod privationi substernitur, quia non compatitur secum rationem boni; et ex hoc habet quod constituit speciem.

5. Le mal ne constitue pas une espиce en raison de la privation, mais en raison de ce qui est sous-jacent а la privation, parce que cela ne supporte pas la raison de bien. Et c’est ainsi qu’il a ce par quoi il constitue une espиce.

[65541] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod obiectio illa procedit de bono naturae, non de bono moris, quod ponitur in definitione virtutis.

6. Cette objection vient du bien naturel, et non du bien moral, qui est mis dans la dйfinition de la vertu.

 [65542] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod bonitas non importat aliam bonitatem quam ipsam virtutem, ut ex dictis patet. Ipsa enim virtus per essentiam suam est qualitas; unde manifestum est quod bona et qualitas non dicunt diversos actus, sed unum.

7. La bontй ne comporte pas d’autre bontй que la vertu elle-mкme, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit. En effet, la vertu elle-mкme est par son essence une qualitй. Il est donc clair que «bonne» et «qualitй» n’expriment pas des actes diffйrents, mais un seul acte.

[65543] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod istud fallit in transcendentibus, quae circumeunt omne ens. Nam essentia est ens, et bonitas bona, et unitas una, non autem sic potest dici albedo alba. Cuius ratio est, quia quidquid cadit in intellectu, oportet quod cadat sub ratione entis, et per consequens sub ratione boni et unius; unde essentia et bonitas et unitas non possunt intelligi, nisi intelligantur sub ratione boni et unius et entis. Propter hoc potest dici bonitas bona, et unitas una.

8. Ceci est le cas pour les transcendentaux, qui englobent tout кtre. Car l’essence est кtre, la bontй est bonne et l’unitй est une; mais on ne peut dire de cette faзon que la blancheur est blanche. La raison en est qu’il est nйcessaire que tout ce qui tombe sous l’intelligence tombe sous la raison d’кtre, et par consйquent, sous la raison de bon et d’un. Aussi l’essence, la bontй et l’unitй ne peuvent-elles кtre comprises que si elles sont comprises sous la raison de bien, d’un et d’кtre. Pour cette raison, la bontй peut кtre dite bonne, et l’unitй une.

 

Articulus 3 : [65544] De virtutibus, q. 1 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum potentia animae possit esse virtutis subiectum

Article 3 – Une puissance de l’вme peut-elle кtre le sujet d’une vertu ?

Objections :

[65545] De virtutibus, q. 1 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

1. Selon Augustin, la vertu est ce par quoi l’on vit bien. Or, on ne vit pas pas une puissance, mais par son essence. Une puissance de l’вme n’est donc pas le sujet de la vertu.

[65547] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nobilius est esse gratiae quam naturae. Esse autem naturae est per essentiam animae, quae est nobilior suis potentiis, utpote earum principium. Ergo esse gratiae, quod est per virtutes, non est per potentias : et sic potentia non est virtutis subiectum.

2. L’кtre de la grвce est plus noble que l’кtre de la nature. Or, l’кtre de la nature vient de l’essence de l’вme, qui est plus noble que ses puissances en tant qu’elle est leur principe. L’кtre de la grвce, qui vient des vertus, ne vient donc pas des puissances. Et ainsi, une puissance n’est pas le sujet de la vertu.

[65548] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, accidens subiectum esse non potest. Sed potentia animae est de genere accidentium; potentia enim et impotentia naturalis pertinent ad secundam speciem qualitatis. Ergo potentia animae non potest esse virtutis subiectum.

3. Un accident ne peut кtre un sujet. Or, la puissance de l’вme fait partie du genre des accidents : en effet, la puissance et l’impuissance naturelles relиvent de la deuxiиme espиce de la qualitй. La puissance de l’вme ne peut donc кtre le sujet de la vertu.

[65549] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si aliqua potentia animae est virtutis subiectum, et quaelibet; cum quaelibet potentia animae vitiis impugnetur, contra quae virtutes ordinantur, sed non quaelibet potentia animae potest esse virtutis subiectum, ut post patebit. Ergo virtutis subiectum potentia esse non potest.

4. Si une puissance de l’вme est le sujet d’une vertu, toutes [le seront], puisque toutes les puissances de l’вme sont combattues par les vices, contre lesquels les vertus sont ordonnйs, mais que toutes les puissances de l’вme ne peuvent кtre le sujet de la vertu, comme ce sera clair par la suite. La puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.

[65550] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, principia activa in naturis aliorum agentium subiecta non sunt, ut calor et frigus. Sed potentiae animae sunt quaedam activa principia; sunt enim principia operationum animae. Ergo aliorum accidentium subiecta esse non possunt.

5. Les principes actifs dans les natures des autres agents ne sont pas des sujets, tels la chaleur et le froid. Or, les puissances de l’вme sont des principes actifs : en effet, elles sont les principes des opйrations de l’вme. Elles ne peuvent donc pas кtre les sujets d’autres accidents.

[65551] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, anima subiectum est potentiae. Si ergo potentia subiectum est alterius accidentis, pari ratione illud accidens erit subiectum alterius accidentis; et ita ibitur in infinitum; quod est inconveniens. Non ergo potentia animae est subiectum virtutis.

6. L’вme est le sujet de la puissance. Si donc la puissance est le sujet d’un autre accident, pour la mкme raison cet accident sera le sujet d’un autre accident; et ainsi, on remontera а l’infini, ce qui ne convient pas. La puissance de l’вme n’est donc pas le sujet de la vertu.

[65552] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, in Lib. I Poster. dicitur quod qualitatis non est qualitas. Sed potentia animae quaedam qualitas est in secunda specie qualitatis; virtus autem in prima specie qualitatis est. Ergo potentia animae non potest esse subiectum virtutis.

7. Dans les Seconds analytiques, I, il est dit qu’il n’y a pas de qualitй de la qualitй. Or, la puissance de l’вme est une certaine qualitй de la deuxiиme espиce de qualitй; mais la vertu fait partie de la premiиre espиce de qualitй. La puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.

Cependant :

[65553] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Cuius est actio, eius est principium actionis. Sed actiones virtutum sunt potentiarum animae. Ergo et ipsae virtutes.

1. Le principe de l’action appartient а ce dont elle est l’action. Or, les actions des vertus appartiennent aux puissances de l’вme. Il en va donc de mкme pour les vertus.

[65554] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in I Ethic., quod virtutes intelligibiles sunt rationales per essentiam, virtutes autem morales sunt rationales per participationem. Sed rationale per essentiam et per participationem nominat quasdam animae potentias. Ergo potentiae animae sunt subiecta virtutum.

2. Le Philosophe dit, dans Йthiques, I, que les vertus intellectuelles sont raisonnables par essence, mais que les vertus morales sont raisonnables par participation. Or, кtre raisonnable par essence et [кtre raisonnable] par participation dйsignent des puissances de l’вme. Les puissances de l’вme sont donc les sujets des vertus.

Rйponse :

[65555] De virtutibus, q. 1 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod subiectum tripliciter comparatur ad accidens. Uno modo sicut praebens ei sustentamentum; nam accidens per se non subsistit, fulcitur vero per subiectum. Alio modo sicut potentia ad actum; nam subiectum accidenti subiicitur, sicut quaedam potentia activi; unde et accidens forma dicitur. Tertio modo sicut causa ad effectum; nam principia subiecta sunt principia per se accidentis. Quantum igitur ad primum, unum accidens alterius subiectum esse non potest. Nam, cum nullum accidens per se subsistat, non potest alteri sustentamentum praebere : nisi fortasse dicatur, quod in quantum est a subiecto sustentatum, aliud accidens sustentat. Sed quantum ad alia duo, unum accidens se habet ad aliud per modum subiecti : nam unum accidens est in potentia ad alterum, sicut diaphanum ad lucem, et superficies ad colorem. Unum etiam accidens potest esse causa alterius, ut humor saporis; et per hunc modum dicitur unum accidens alterius accidentis esse subiectum. Non quod unum accidens possit alteri accidenti sustentamentum praebere; sed quia subiectum est receptivum unius accidentis altero mediante. Et per hunc modum dicitur potentia animae esse habitus subiectum. Nam habitus ad potentiam animae comparatur ut actus ad potentiam; cum potentia sit indeterminata quantum est de se, et per habitum determinetur ad hoc vel illud. Ex principiis etiam potentiarum habitus acquisiti causantur. Sic ergo dicendum est, potentias esse virtutum subiecta; quia virtus animae inest, potentia mediante.

Le sujet se compare а l’accident d’une triple maniиre. D’une premiиre maniиre, comme ce qui lui prкte un support, car l’accident ne subsiste pas par lui-mкme, mais il est soutenu par le sujet. D’une autre maniиre, comme la puissance а l’acte, car le sujet est sujet de l’accident comme une puissance а un principe actif; aussi l’accident est-il appelй une forme. D’une troisiиme maniиre, comme la cause а l’effet, car les principes sous-jacents sont par eux-mкmes [les principes] de l’accident. Pour ce qui est du premier point, un accident ne peut pas кtre le sujet d’un autre [accident], car, puisqu’aucun accident ne subsiste par lui-mкme, il ne peut fournir d’appui а un autre, а moins qu’on ne dise que, pour autant qu’il est soutenu par un sujet, il soutient un autre accident. Mais, pour ce qui est des autres points, un accident joue le rфle de sujet pour quelque chose d’autre, car un accident est en puissance а un autre, comme ce qui est diaphane par rapport а la lumiиre, et la surface par rapport а la couleur. Un accident peut aussi кtre la cause d’un autre, comme l’humiditй l’est pour le goыt. Et, de cette maniиre, on dit qu’un accident est le sujet d’un autre accident. Non pas qu’un accident puisse fournir appui а un autre accident, mais parce que le sujet reзoit un accident par l’intermйdiaire d’un autre [accident]. C’est ainsi qu’on dit que la puissance de l’вme est le sujet d’un habitus. Car l’habitus entretient avec l’вme le rapport de l’acte avec la puissance, puisque la puissance est indйterminйe pour ce qui relиve d’elle-mкme, et qu’elle est dйterminйe а ceci ou а cela par l’habitus. C’est aussi а partir des principes des puissances que les habitus acquis sont causйs. Il faut donc dire que des puissances sont sujets de vertus, parce que la vertu est prйsente dans l’вme par l’intermйdiaire de la puissance.

Solutions :

[65556] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vivere in definitione virtutis positum ad actionem pertinet, ut supra dictum est.

1. Le mot «vivre», mis dans la dйfinition de la vertu, se rapporte а l’action, comme on l’a dit plus haut.

[65557] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse spirituale non per virtutes est, sed per gratiam. Nam gratia est principium spiritualiter essendi, virtus vero spiritualiter operandi.

2. L’кtre spirituel n’existe pas par les vertus, mais par la grвce, car la grвce est le principe de l’existence spirituelle, mais la vertu [est le principe] de l’opйration spirituelle.

[65558] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia non est per se subiectum, sed in quantum est per animam sustentata.

3. La puissance n’est pas sujet par elle-mкme, mais pour autant qu’elle est soutenue par l’вme.

[65559] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nunc loquimur de virtutibus humanis; et ideo illae potentiae quae nullo modo possunt esse humanae, ad quas nullo modo se extendit imperium rationis, sicut sunt vires animae vegetabilis, non possunt esse subiecta virtutum. Omnis autem impugnatio quae ex his viribus provenit, fit mediante appetitu sensitivo, ad quem pertingit imperium rationis, ut possit dici humanus, et virtutis humanae subiectum.

4. Nous parlons maintenant des vertus humaines. C’est pourquoi les puissances qui ne peuvent кtre humaines d’aucune maniиre, sur lesquelles le commandement de la raison ne s’йtend aucunement, comme c’est le cas des puissances de l’вme vйgйtative, ne peuvent pas кtre les sujets de vertus. Mais tout combat qui vient de ces puissances se fait par l’intermйdiaire de l’appйtit sensible, sur lequel la raison exerce son commandement, de sorte qu’il puisse кtre appelй humain et sujet de la vertu humaine.

[65560] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inter potentias animae non sunt activae nisi intellectus agens, et vires animae vegetabilis, quae non sunt aliquorum habituum subiecta. Aliae autem potentiae animae sunt passivae : principia tamen actionum animae existentes secundum quod sunt motae a suis activis.

5. Parmi les puissances de l’вme, ne sont actives que l’intellect agent et les puissances de l’вme vйgйtative, qui ne sont pas les sujets d’habitus. Les autres puissances de l’вme sont passives, mais elles sont cependant les principes des actions de l’вme qui sont mues par ce qui les active.

[65561] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non oportet in infinitum abire, quia pervenietur ad aliquod accidens quod non est in potentia respectu alterius accidentis.

6. Il n’est pas nйcessaire de remonter а l’infini, car on parviendra а un accident qui n’est pas en puissance par rapport а un autre accident.

[65562] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qualitatis non dicitur esse qualitas, ita quod per se sit qualitas qualitatis subiectum; quod in proposito non accidit, ut supra dictum est.

7. On ne dit pas de la qualitй qu’elle est une qualitй, de telle maniиre que la qualitй soit le sujet d’une qualitй, ce qui n’est pas en cause, comme on l’a dit plus haut.

 

Articulus 4 : [65563] De virtutibus, q. 1 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum irascibilis et concupiscibilis possint esse subiectum virtutis

Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils кtre sujets de la vertu ?

Objections :

[65564] De virtutibus, q. 1 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65565] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 1 Quia contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem contrarium est peccatum mortale, quod non potest esse in sensualitate, cuius partes sunt irascibilis et concupiscibilis. Ergo irascibilis et concupiscibilis subiectum virtutis esse non possunt.

1. Les contraires portent de soi sur la mкme chose. Or, le contraire de la vertu est le pйchй mortel, qui ne peut exister dans l’appйtit sensibe, dont les parties sont l’irascible et le concupiscible. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas кtre sujets de la vertu.

[65566] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, eiusdem potentiae sunt habitus et actus. Sed principalis actus virtutis est electio, secundum philosophum in Lib. Ethic., quae non potest esse actus irascibilis et concupiscibilis. Ergo nec habitus virtutum possunt esse in irascibili et concupiscibili.

2. Les habitus et les actes relиvent de la mкme puissance. Or, l’acte principal de la vertu est le choix, selon le Philosophe, dans l’Йthique, lequel ne peut кtre un acte de l’irascible et du concupiscible. Les habitus des vertus ne peuvent donc pas se trouver dans l’irascible et le concupiscible.

[65567] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullum corruptibile est subiectum perpetui; unde Augustinus probat animam esse perpetuam, quia est subiectum veritatis, quae est perpetua. Sed irascibilis et concupiscibilis, sicut et ceterae potentiae sensitivae, non remanent post corpus, ut quibusdam videtur; virtutes autem manent. Nam iustitia est perpetua et immortalis, ut dicitur Sapient. I, v. 15; quod pari ratione de omnibus dici potest. Ergo irascibilis et concupiscibilis virtutum subiectum esse non possunt.

3. Aucun chose corruptible ne peut кtre le sujet de ce qui est perpйtuel. Ainsi Augustin prouve-t-il que l’вme est perpйtuelle, parce qu’elle est le sujet de la vйritй, qui est perpйtuelle. Or, l’irascible et le concupiscible, comme les autres puissances sensibles, ne demeurent pas aprиs que le corps [a disparu], comme il semble а certains, mais les vertus demeurent, car la justice est perpйtuelle et immortelle, comme il est dit dans Sg 1, 15, ce qui peut кtre dit de toutes les [vertus] pour la mкme raison. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas кtre le sujet des vertus.

 [65568] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, irascibilis et concupiscibilis habent organum corporale. Si ergo virtutes sunt in irascibili et concupiscibili, sunt in organo corporali. Ergo possunt apprehendi per imaginationem vel phantasiam; et sic non sunt sola mente perceptibiles; ut Augustinus dicit de iustitia, quod est rectitudo sola mente perceptibilis.

4. L’irascible et le concupiscible ont un organe corporel. Si donc les vertus sont dans l’irascible et le concupiscible, elles existent dans un organe corporel. Elles peuvent donc кtre saisies par l’imagination ou la «fantaisie». Et ainsi, elles ne sont pas perceptibles par la seule raison, comme Augustin dit de la justice qu’«elle est une rectitude perceptible par l’esprit seul».

[65569] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis possunt esse subiectum virtutis, in quantum participant aliqualiter, ratione.- Sed contra, irascibilis et concupiscibilis dicuntur ratione participare, in quantum a ratione ordinantur. Sed ordo rationis non potest virtuti sustentamentum praebere, cum non sit quid subsistens. Ergo nec in quantum ratione participant, possunt irascibilis et concupiscibilis esse virtutis subiectum.

5. L’irascible et le concupiscible peuvent кtre sujets de la vertu pour autant qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison. – Mais, en sens contraire, on dit que l’irascible et le concupiscible participent а la raison pour autant qu’ils sont commandйs par la raison. Or, l’ordre de la raison ne peut fournir de support а la vertu, puisqu’il n’est pas quelque chose de subsistant. Ni l’irascible ni le concupiscible ne peuvent donc pas non plus кtre sujets de la vertu pour autant qu’ils participent а la raison.

[65570] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, sicuti irascibilis et concupiscibilis, quae pertinent ad sensibilem appetitum, subserviunt rationi; ita et potentiae apprehensivae et sensitivae. Sed in nulla apprehensiva potentiarum sensitivarum potest esse virtus. Ergo nec in irascibili et concupiscibili.

6. De mкme que l’irascible et le concupiscible, qui relиvent de l’appйtit sensible, obйissent а la raison, de mкme les puissances cognitives et sensibles. Or, il n’y a de vertu dans aucune puissance cognitive parmi les puissances sensibles. Il n’y en a donc pas non plus dans l’irascible et le concupiscible.

 [65571] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, si ordo rationis participari potest in irascibili et concupiscibili, poterit minui rebellio sensualitatis, quae has duas vires continet ad rationem. Sed rebellio praedicta non est infinita, cum sensualitas sit virtus finita, et virtutis finitae non possit esse actio infinita. Ergo poterit totaliter tolli praedicta rebellio; omne enim finitum consumitur multoties ablato quodam, ut patet per philosophum in I Physic.; et sic sensualitas in hac vita possit totaliter curari. Quod est impossibile.

7. Si l’irascible et le concupiscible peuvent participer а l’ordre de la raison, la rйbellion de la sensualitй sera diminuйe, qui comprend ces deux puissances en rapport avec la raison. Or, la rйbellion dont il a йtй question n’est pas infinie, puisque la sensualitй est une puissance finie, et qu’il ne peut exister d’action infinie d’une puissance finie. Ladite rйbellion pourra donc кtre entiиrement abolie : en effet, tout ce qui est fini disparaоt, si on en enlиve souvent quelque chose, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Physique, I. Et ainsi, en cette vie, la sensualitй pourra кtre totalement guйrie. Ce qui est impossible.

[65572] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 8 Sed dicendum, quod Deus, qui virtutem infundit, posset totaliter praedictam rebellionem auferre; sed ex parte nostra est quod non totaliter auferatur.- Sed contra, homo est id quod est in quantum est rationalis; cum ex hoc speciem sortiatur. Quanto igitur id quod est in homine, magis rationi subiicitur; tanto magis competit humanae naturae. Maxime autem subiicerentur inferiores vires animae rationi si praedicta rebellio totaliter tolleretur. Ergo hoc esset competens maxime humanae naturae; et ita ex parte nostra non est impedimentum quin praedicta rebellio totaliter tollatur.

8. Mais Dieu, qui infuse la vertu, pourrait йcarter complиtement cette rйbellion; cependant, cela vient de nous qu’elle ne soit pas totalement йcartйe. – Mais, en sens contraire, l’homme est ce qu’il est pour autant qu’il est raisonnable, puisqu’il tire de cela son espиce. Plus ce qui est dans l’homme est soumis а la raison, plus cela relиve donc de la nature humaine. Or, les puissances infйrieures seraient soumises а la raison au plus haut point si ladite rйbellion йtait totalement йcartйe. Cela conviendrait donc au plus haut point а la nature humaine. Et ainsi, il n’y a pas d’empкchement de notre part а ce que ladite rйbellion soit totalement йcartйe.

 [65573] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, ad rationem virtutis non sufficit quod peccatum vitetur. Perfectio enim iustitiae in hoc consistit quod in Psal. XXXIII, v. 15, dicitur : declina a malo, et fac bonum. Sed ad irascibilem pertinet detestari malum, ut dicitur in Lib. de spiritu et anima. Ergo in irascibili ad minus non potest esse virtus.

9. Il ne suffit pas а la raison de vertu que le pйchй soit йvitй. En effet, la perfection de la justice consiste en ce que dit le Ps 38, 15 : Dйtourne-toi du mal et fais le bien. Or, il appartient а l’irascible de dйtester le mal, comme il est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’вme. Dans l’irascible au moins, il ne peut donc y avoir de vertu.

[65574] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, in eodem libro dicitur, quod in ratione est desiderium virtutum, in irascibili odium vitiorum. Sed in eodem est desiderium virtutis et virtus, cum quaelibet res suam perfectionem desideret. Ergo omnis virtus est in ratione, et non in irascibili et concupiscibili.

10. Dans le mкme livre, on dit qu’il existe un dйsir des vertus dans la raison, et une haine des vices dans l’irascible. Or, le dйsir de la vertu et la vertu se trouvent dans le mкme [sujet], puisque toute chose dйsire sa perfection. Toute vertu se trouve donc dans la raison, et non dans l’irascible et le concupiscible.

 [65575] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 11 Praeterea, in nulla potentia potest esse habitus quae agitur tantum et non agit; eo quod habitus est id quo quis agit cum voluerit, ut dicit Commentator in III de anima. Sed irascibilis et concupiscibilis non agunt, sed aguntur : quia ut dicitur in III Ethic., sensus nullius actus dominus est. Ergo non potest esse habitus virtutis in irascibili et concupiscibili.

11. Dans aucune puissance ne peut exister un habitus qui est seulement mы et qui n’agit pas, йtant donnй que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut, comme le dit le Commantateur dans Sur l’вme, III. Or, l’irascible et le concupiscible n’agissent pas mais sont mus, car, comme on le dit dans Йthique, III, le sens n’est maоtre d’aucun acte. Il ne peut donc y avoir de vertu dans l’irascible et le concupiscible.

[65576] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 12 Praeterea, proprium subiectum parificatur propriae passioni. Virtus autem parificatur rationi, non autem irascibili et concupiscibili, quae sunt nobis et brutis communes. Virtus ergo est in hominibus tantum, sicut et ratio; ergo omnis virtus est in ratione, non autem in irascibili et concupiscibili.

12. Le sujet propre est assimilй а la passion propre. Or, la vertu est assimilйe а la raison, et non а l’irascible et au concupiscible, qui sont communs а nous et aux animaux sans raison. La vertu se trouve donc dans l’homme seulement, comme la raison. Toute vertu est donc dans la raison, et non dans l’irascible et le concupiscible.

 [65577] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 13 Praeterea, Rom. VII, dicit Glossa : bona est lex, quae dum concupiscentiam prohibet, omne malum prohibet. Omnia ergo vitia ad concupiscibilem pertinent, cuius est concupiscentia. Sed in eodem, sunt virtutes et vitia. Ergo virtutes non sunt in irascibili, sed in concupiscibili ad minus.

13. А propos de Rm 7, la Glose dit : «La loi est bonne, puisqu’elle interdit la convoitise et empкche tout mal.» Tous les vices se rapportent donc au concupiscible, dont relиve la convoitise. Or, les vertus et les vices se trouvent dans le mкme [sujet]. Les vertus ne sont donc pas dans l’irascible, mais au moins dans le concupiscible.

Cependant :

[65578] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus, dicit de temperantia et fortitudine, quod sunt irrationabilium partium. Partes autem irrationabiles, id est sensibilis appetitus, sunt irascibilis et concupiscibilis, ut habetur in III de anima. Ergo in irascibili et concupiscibili possunt esse virtutes.

1. Il y a ce que le Philosophe dit de la tempйrance et de la force, qui appartiennent aux parties non raisonnables. Or, les parties non raisonnables, а savoir, l’appйtit sensible, sont l’irascible et le concupiscible, comme on le trouve dans Sur l’вme, III. Les vertus peuvent donc exister dans l’irascible et le concupiscible.

[65579] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, peccatum veniale est dispositio ad mortale. Perfectio autem et dispositio sunt in eodem. Cum igitur veniale peccatum sit in irascibili et concupiscibili (prius enim motus est actus sensualitatis, ut ponitur in Glossa ad Rom. VIII); ergo et mortale peccatum ibi esse poterit; et sic etiam virtus, quae est peccato mortali contraria.

2. Le pйchй vйniel est une disposition au pйchй mortel. Or, la perfection et la disposition existent dans le mкme [sujet]. Comme le pйchй vйniel existe dans l’irascible et le concupiscible (en effet, il y a d’abord un mouvement de la sensualitй, comme on le trouve dans la Glose а propos de Rm 8), le pйchй mortel peut donc aussi y exister, et donc aussi la vertu, qui est contraire au pйchй mortel.

[65580] De virtuoses, q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem. Sed virtus aliqua est medium inter contrarias passiones; sicut fortitudo inter timorem et audaciam, et temperantia inter superfluum et diminutum in concupiscentiis. Cum igitur huiusmodi passiones sint in irascibili et concupiscibili, videtur etiam quod in eisdem sit virtus.

3. Le milieu et les extrкmes existent dans le mкme [sujet]. Or, une vertu est le milieu entre des passions contraires, comme la force entre la crainte et l’audace, et la tempйrance entre l’excиs et la carence dans les dйsirs. Puisque ces passions sont dans l’irascible et le concupiscible, il semble donc aussi que la vertu existe en eux.

Rйponse :

[65581] De virtutibus, q. 1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod circa quaestionem istam partim ab omnibus convenitur, et partim opiniones sibi invicem repugnant. Ab omnibus enim conceditur aliquas virtutes in irascibili et concupiscibili esse, sicut temperantiam in concupiscibili et fortitudinem in irascibili; sed in hoc est differentia. Quidam enim distinguunt duplicem irascibilem et concupiscibilem esse; in superiori parte animae, et iterum in inferiori. Dicunt enim, quod irascibilis et concupiscibilis quae sunt in superiori parte animae, cum ad naturam rationalem pertineant, possunt esse subiectum virtutis; non tamen illae quae sunt in inferiori parte ad naturam sensualem et brutalem pertinentes. Sed hoc quidem in alia quaestione discussum est; utrum scilicet in superiori parte animae possint distingui duae vires, quarum una sit irascibilis et alia concupiscibilis, proprie loquendo. Sed, quidquid de hoc dicatur, nihilominus in irascibili et concupiscibili quae sunt in inferiori appetitu, secundum philosophum in III Ethic., oportet ponere esse aliquas virtutes, ut etiam alii dicunt : quod quidem sic patet. Cum enim virtus, ut supra dictum est, nominet quoddam potentiae complementum, potentia autem ad actum respiciat; oportet humanam virtutem in illa potentia ponere quae est principium actus humani. Actus autem humanus dicitur qui non quocumque modo in homine vel per hominem exercetur; cum in quibusdam etiam plantae, bruta et homines conveniant; sed qui hominis proprius est. Inter cetera vero hoc habet homo proprium in suo actu, quod sui actus est dominus. Quilibet igitur actus cuius homo dominus est, est proprie actus humanus; non autem illi quorum homo non est dominus, licet in homine fiant, ut digerere, et augeri, et alia huiusmodi. In eo igitur quod est principium talis actus cuius homo dominus est, potest poni virtus humana. Sciendum tamen est, quod huiusmodi actus contingit esse triplex principium. Unum sicut primum movens et imperans, per hoc quod homo sui actus sit dominus; et hoc est ratio vel voluntas. Aliud est movens motum, sicut appetitus sensibilis, qui etiam movetur ab appetitu superiori in quantum ei obedit, et tunc iterum movet membra exteriora per sui imperium. Tertium autem est quod est motum tantum, scilicet membrum exterius. Cum autem utrumque, scilicet membrum exterius et appetitus inferior a superiori parte animae moveantur; tamen aliter, et aliter. Nam membrum exterius ad nutum obedit superiori imperanti absque ulla repugnantia secundum naturae ordinem, nisi sit impedimentum aliquod; ut patet in manu et pede. Appetitus autem inferior habet propriam inclinationem ex natura sua, unde non obedit superiori appetitui ad nutum, sed interdum repugnat; unde Aristoteles dicit in politica sua, quod anima dominatur corpori dispotico principatu, sicut dominus servo, qui non habet facultatem resistendi in aliquo imperio domini; ratio vero dominatur inferioribus animae partibus regali et politico principatu, id est sicut reges et principes civitatum dominantur liberis, qui habent ius et facultatem repugnandi quantum ad aliqua praecepta regis vel principis. In membro igitur exteriori non est necessarium aliquid perfectivum actus humani, nisi naturalis eius dispositio, per quam natum est moveri a ratione; sed in appetitu inferiori, qui rationi repugnare potest, est necessarium aliquid quo operationem quam ratio imperat, absque repugnantia prosequatur. Si enim immediatum operationis principium sit imperfectum, oportet operationem esse imperfectam, quantacumque perfectio adsit superiori principio. Et ideo, si appetitus inferior non esset in perfecta dispositione ad sequendum imperium rationis, operatio, quae est appetitus inferioris, sicut proximi principii, non esset in bonitate perfecta; esset enim cum quadam repugnantia sensibilis appetitus; ex quo quaedam tristitia consequeretur appetitui inferiori per quamdam violentiam a superiori moto; sicut accidit in eo qui habet fortes concupiscentias, quas tamen non sequitur, ratione prohibente. Quando igitur oportet operationem hominis esse circa ea quae sunt obiecta sensibilis appetitus, requiritur ad bonitatem operationis quod sit in appetitu sensibili aliqua dispositio, vel perfectio, per quam appetitus praedictus de facili obediat rationi; et hanc virtutem vocamus. Quando igitur aliqua virtus est circa illa quae proprie ad vim irascibilem pertinent, sicut fortitudo circa timores et audacias, magnanimitas circa ardua sperata, mansuetudo circa iras : talis virtus dicitur esse etiam in irascibili sicut in subiecto. Quando autem est circa ea quae sunt proprie concupiscibilis, dicitur esse in concupiscibili sicut in subiecto; sicut castitas, quae est circa delectationes venereas, et sobrietas et abstinentia, quae sunt circa delectationes in cibis et potibus.

А propos de cette question, tous sont d’accord en partie, et les opinions s’opposent les unes aux autres en partie. Tous concиdent en effet qu’il existe certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible, comme la tempйrance dans le concupiscible et la force dans l’irascible. Mais il y a sur ce point une divergence. En effet, certains font une distinction selon laquelle il existe une double irascible et concupiscible : dans la partie supйrieure de l’вme, et aussi dans [la partie] infйrieure. En effet, ils disent que l’irascible et le concupiscible qui existent dans la partie supйreure de l’вme, puisqu’ils relиvent de la nature raisonnable, peuvent кtre le sujet de la vertu, mais que ce n’est cependant pas le cas de ceux qui existent dans la partie infйrieure, qui se rapporte а la nature sensible et sans raison. Mais cela a йtй discutй dans une autre question, а savoir, si l’on peut distinguer deux puissances dans la partie supйrieure de l’вme, dont l’une est l’irascible et l’autre le concupiscible au sens propre. Mais quoi qu’on dise а ce sujet, il est nйanmoins nйcessaire de situer certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible qui se trouvent dans l’appйtit infйrieur, selon le Philosophe, dans Йthique, II, et comme d’autres aussi le disent. Et cela peut s’expliquer ainsi. En effet, puisque la vertu, comme on l’a dit, dйsigne un achиvement de la puissance et que la puissance concerne l’acte, il est nйcessaire de situer la vertu humaine dans la puissance qui est le principe de l’acte humain. Or, on appelle acte humain non pas celui qui existe dans l’homme ou est exercй par l’homme de n’importe quelle maniиre, puisque les plantes, les animaux sans raison et les hommes ont certaines choses en commun, mais [l’acte] qui est propre а l’homme. Or, parmi les autres choses, l’homme a en propre dans son acte d’кtre maоtre de son acte. Tout acte dont l’homme est maоtre est donc humain au sens propre, mais non ceux dont l’homme n’est pas maоtre, bien qu’ils s’accomplissent chez l’homme, comme digйrer, grandir et les autres choses de ce genre. C’est donc dans ce qui est le principe de l’acte dont l’homme est maоtre qu’on peut situer la vertu humaine. Il faut cependant savoir qu’il se fait que le principe d’un tel acte est triple. L’un, comme premier agent et commandant, par lequel l’homme est maоtre de son acte : et cela est la raison ou la volontй. Un autre est l’agent qui est mы, comme l’appйtit sensible, qui est aussi mы par un appйtit supйrieur dans la mesure oщ il lui obйit, et par le commandement duquel aussi [l’homme] meut ses membres extйrieurs. Le troisiиme est celui qui est mы seulement, а savoir, le membre extйrieur, bien que les deux, а savoir, le membre infйrieur et l’appйtit infйrieur, soient mus par la partie supйrieure de l’вme, mais cependant d’une maniиre diffйrente. Car le membre extйrieur obйit au moindre commandement de la [partie] supйrieure qui le commande, sans aucune rйsistance, selon l’ordre de la nature, а moins qu’il y ait un empкchement, comme cela est manifeste pour la main et le pied. Mais l’appйtit infйrieur a sa propre inclination par sa nature; aussi n’obйit-il pas au moindre commendemenet de l’appйtit supйrieur, mais parfois lui rйsiste. C’est ainsi qu’Aristote dit, dans sa Politique, que l’вme commande au corps par un pouvoir despotique, comme le maоtre а l’esclave, qui n’a la capacitй de rйsister а aucun commandement du maоtre; mais la raison s’impose aux parties infйrieures de l’вme par un pouvoir royal et politique, c’est-а-dire comme les rois et les dirigeants des villes s’imposent aux hommes libres, qui ont le droit et la capacitй de rйsister а certains ordres du roi ou du dirigeant. Il n’est donc pas nйcessaire qu’existe dans le membre extйrieur quelque chose qui perfectionne l’acte humain, sinon sa disposition naturelle, par laquelle il est disposй а кtre mы par la raison. Mais, dans l’appйtit infйrieur, qui peut rйsister а la raison, quelque chose est nйcessaire pour que suive sans rйsistance l’opйration que commande la raison. En effet, si le principe immйdiat de l’opйration est imparfait, l’opйration sera nйcessairement imparfaite, quelle que soit la perfection du principe supйrieur. C’est pourquoi, si l’appйtit infйrieur n’est pas parfaitement disposй а suivre le commandement de la raison, l’opйration, qui relиve de l’appйtit infйrieur comme de son principe rapprochй, ne sera pas d’une bontй parfaite. En effet, elle se ferait avec une certaine rйsistance de l’appйtit sensible, d’oщ viendrait une tristesse de l’appйtit infйrieur mы selon une certaine violence par l’appйtit supйrieur, comme il arrive chez celui qui a de fortes convoitises, qu’il ne suit cependant pas parce que la raison l’en empкche. Ainsi donc, lorsque l’opйration de l’homme doit porter sur les choses qui sont les objets de l’appйtit sensible, il est nйcessaire pour la bontй de l’opйration qu’il y ait dans l’appйtit sensible une certaine disposition ou perfection, par laquelle ledit appйtit puisse obйir facilement а la raison. Et c’est cette disposition que nous appelons vertu. Lors donc qu’une vertu porte sur ce qui relиve en propre de la puissance irascible, comme la force pour les craintes et les audaces, la magnanimitй pour les choses difficiles qu’on espиre, la douceur pour les colиres, on dit qu’une telle vertu rйside dans l’irascible comme dans son sujet. Mais lorsqu’elle porte sur ce qui relиve en propre du concupiscible, on dit qu’elle rйside dans le concupiscible comme dans son sujet, comme la chastetй, qui porte sur les plaisirs sexuels, la sobriйtй et l’abstinence, qui portent sur les plaisirs associйs а la nourriture et aux boissons.

Solutions :

[65582] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus et peccatum mortale dupliciter considerari possunt; scilicet secundum actum et secundum habitum. Sicut autem actio concupiscibilis et irascibilis si secundum se consideratur, non est peccatum mortale, concurrit tamen in actu peccati mortalis, quando ratione movente vel consentiente tendit in contrarium legis divinae; ita actus eorumdem, si per se accipiantur, non possunt esse actus virtutis, sed solum quando concurrunt ad consequendum imperium rationis. Et sic actus peccati mortalis et virtutis pertinet aliquo modo ad irascibilem et concupiscibilem; unde et habitus utriusque in irascibili et concupiscibili esse possunt. Hoc tamen in re est, quod sicut actus virtutis consistit in hoc quod irascibilis et concupiscibilis sequuntur rationem, ita actus peccati consistit in hoc quod ratio trahitur ad sequendum inclinationem irascibilis et concupiscibilis. Unde et peccatum consuevit frequentius rationi attribui tamquam proximae causae; et eadem ratione virtus irascibilis et concupiscibilis.

1. La vertu et le pйchй mortel peuvent кtre abordйs de deux faзons : selon l’acte et selon l’habitus. De mкme que l’action du concupiscible et de l’irascible, considйrйe en elle-mкme, n’est pas un pйchй mortel, mais concourt cependant а l’acte du pйchй mortel lorsque, malgrй le mouvement ou le consentement de la raison, elle tend а ce qui est contraire а la loi divine, de mкme leurs actes, considйrйs en eux-mкmes, ne peuvent-ils кtre considйrйs comme des actes de vertu, mais seulement lorsqu’ils parviennent а se conformer au commandement de la raison. Et ainsi, l’acte du pйchй mortel et de la vertu se rapportent-ils d’une certaine maniиre а l’irascible et au concupiscible; l’habitus de chacun peut donc rйsider dans l’irascible et le concupiscible. En rйalitй, de mкme que l’acte de la vertu consiste en ce que l’irascible et le concupiscible suivent la raison, de mкme l’acte du pйchй consiste-t-il en ce que la raison soit entraоnйe а suivre l’inclination de l’irascible et du concupiscible. Aussi a-t-on l’habitude d’attribuer plus frйquemment le pйchй а la raison comme а sa cause prochaine et, pour la mкme raison, la vertu de l’irascible et du concupuscible.

 [65583] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut iam dictum est, actus virtutis non potest esse irascibilis vel concupiscibilis tantum, sine ratione. Id tamen quod est in actu virtutis, principalius est rationis, scilicet electio; sicut et in qualibet operatione principalior est agentis actio quam passio patientis. Ratio enim imperat irascibili et concupiscibili. Non ergo pro tanto dicitur esse virtus in irascibili vel concupiscibili, quasi per eas totus actus virtutis vel principalior pars expleatur; sed in quantum, per virtutis habitum, ultimum complementum bonitatis actui virtutis confertur : in hoc scilicet quod irascibilis et concupiscibilis absque difficultate sequantur ordinem rationis.

2. Comme on l’a dйjа dit, l’acte de la vertu ne peut relever de l’irascible et du concupiscible seulement, sans la raison. Cependant, ce qui constitue l’acte de la vertu relиve principalement de la raison, а savoir, le choix, comme dans toute action, l’action de l’agent est plus importante que la passion de ce qui reзoit l’action. En effet, la raison commande а l’irascible et au concupiscible. Pour autant, on ne dit donc pas qu’existe une vertu dans l’irascible ou dans le concupiscible, comme si s’accomplissait par eux tout l’acte ou la partie principale de la vertu, mais pour autant que, par l’habitus de la vertu, l’ultime achиvement de la bontй est apportй а l’acte de la vertu, а savoir, par le fait que l’irascible et le concupiscible suivent l’ordre de la raison.

[65584] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposito quod irascibilis et concupiscibilis non remaneant actu in anima separata, manent tamen in ea sicut in radice : nam essentia animae est radix potentiarum. Et similiter virtutes quae ascribuntur irascibili et concupiscibili, manent in ratione sicut in radice. Nam ratio est radix omnium virtutum, ut postea ostendetur.

3. А supposer que l’irascible et le concupiscible ne demeurent pas en acte dans l’вme sйparйe, ils demeurent cependant en elle comme en leur racine, car l’essence de l’вme est la racine des puissances. De mкme, les vertus qui sont attribuйes а l’irascible et au concupiscible demeurent dans la raison comme en leur racine. Car la raison est la racine de toutes les vertus, comme on le montrera plus loin.

[65585] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in formis invenitur quidam gradus. Sunt enim quaedam formae et virtutes totaliter ad materiam depressae, quarum omnis actio materialis est; ut patet in formis elementaribus. Intellectus vero est totaliter a materia liber; unde et eius operatio est absque corporis communione. Irascibilis autem et concupiscibilis medio modo se habent. Quod enim organo corporali utantur, ostendit corporalis transmutatio, quae earum actibus adiungitur; quod iterum sint aliquo modo a materia elevatae, ostenditur per hoc quod per imperium moventur et quod obediunt rationi. Et sic in eis est virtus, id est in quantum elevatae sunt a materia, et rationi obediunt.

4. Il existe une certaine gradation dans les formes. En effet, certaines formes et puissances sont entiиrement immergйes dans la matiиre : toute leur action est matйrielle, comme cela ressort clairement dans les formes йlйmentaires. Mais l’intellect est entiиrement libre par rapport а la matiиre; aussi son opйration se rйalise-t-elle sans communion avec le corps. Cependant, l’irascible et le concupiscible occupent une position intermйdiaire. En effet, qu’ils utilisent un organe corporel, la transformation corporelle qui est associйe а leurs actes le montre; mais qu’ils soient d’une certaine maniиre йlevйs au-dessus de la matiиre, cela est montrй par le fait qu’ils sont mus par un commandement et qu’ils obйissent а la raison. Et ainsi rйside en eux la vertu, а savoir, pour autant qu’elles sont йlevйes au-dessus de la matiиre et obйissent а la raison.

 [65586] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet ordo rationis quo irascibilis et concupiscibilis participant, non sit aliquid subsistens, nec per se possit esse subiectum; potest tamen esse ratio quare aliquid sit subiectum.

5. Bien que l’ordre de la raison auquel l’irascible et le concupiscible participent ne soit pas quelque chose de subsistant et ne puisse par lui-mкme кtre un sujet, il peut cependant кtre la raison pour laquelle quelque chose est un sujet.

[65587] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtutes sensitivae cognitivae sunt naturaliter praeviae rationi, cum ab eis ratio accipiat; appetitivae autem sequuntur naturaliter ordinem rationis cum naturaliter appetitus inferior superiori obediat; et ideo non est simile.

6. Les puissances sensibles cognitives prйcиdent naturellement la raison, puisque la raison reзoit d’elles ; mais les puissances appйtitives suivent naturellement l’ordre de la raison, puisque l’appйtit infйrieur obйit naturellement а [l’appйtit] supйrieur. Ce n’est donc pas la mкme chose.

[65588] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod tota rebellio irascibilis et concupiscibilis ad rationem tolli non potest per virtutem; cum ex ipsa sui natura irascibilis et concupiscibilis in id quod est bonum secundum sensum, quandoque rationi repugnet; licet hoc possit fieri divina virtute, quae potens est etiam naturas immutare. Nihilominus tamen per virtutem minuitur illa rebellio, in quantum praedictae vires assuefiunt ut rationi subdantur; ut sic ex extrinseco habeant id quod ad virtutem pertinet, scilicet ex dominio rationis super eas; ex seipsis autem retineant aliquid de motibus propriis, qui quandoque sunt contrarii rationi.

7. Toute la rйbellion de l’irascible et du concupiscible contre la raison ne peut pas кtre enlevйe par la vertu, puisque, par sa nature mкme, [le mouvement de] l’irascible et du concupiscible vers ce qui est bon selon le sens est parfois contraire а la raison ; cela peut cependant кtre accompli par la puissance divine, qui a le pouvoir de changer mкme les natures. Toutefois, cette rйbellion est diminuйe par la vertu, pour autant que lesdites puissances sont habituйes а se soumettre а la raison, de sorte qu’elles reзoivent de l’extйrieur ce qui relиve de la vertu, а savoir, du pouvoir de la raison sur elles, et qu’elles gardent par elles-mкmes quelque chose de leurs propres mouvements, qui sont parfois contraires а la raison.

 [65589] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet quandoque in homine principium sit quod est rationis; tamen ad integritatem humanae naturae requiritur non solum ratio, sed inferiores animae vires, et ipsum corpus. Et ideo ex conditione humanae naturae sibi relictae provenit ut in inferioribus animae viribus aliquid sit rationi rebellans, dum inferiores vires animae proprios motus habent. Secus autem est in statu innocentiae et gloriae, cum ex coniunctione ad Deum ratio sortitur vim totaliter sub se inferiores vires continendi.

8. Bien que parfois, chez l’homme, ce qui relиve de la raison soit principe, toutefois, non seulement la raison est-elle nйcessaire pour l’intйgritй de la nature humaine, mais aussi les puissances infйrieures de l’вme, et le corps lui-mкme. C’est pourquoi vient de la condition de la nature humaine laissйe а elle-mкme que quelque chose se rebelle contre la raison, lorsque les puissances infйrieures de l’вme exercent leurs propres mouvements. Il en est autrement dans l’йtat d’innocence et de gloire, puisque, par suite de l’union а Dieu, la raison possиde la force de maintenir sous sous son contrфle les puissances infйrieures.

[65590] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod detestari malum, secundum quod ad irascibilem pertinere dicitur, non solum importat declinationem a malo, sed quemdam motum irascibilis ad mali destructionem; sicut accidit illi qui non solum malum refugit, sed ad mala extirpanda per vindictam movetur. Hoc autem est aliquod bonum facere. Licet autem sic malum detestari, ad irascibilem et concupiscibilem pertineat, non tamen solum habet actum hunc; nam et insurgere ad arduum bonum consequendum ad irascibilem pertinet; in qua non solum est passio irae et audaciae, sed etiam spei.

9. Dйtester le mal, pour autant qu’on le dit relever de l’irascible, ne comporte pas seulement un йloignement du mal, mais un certain mouvement de l’irascible pour dйtruire le mal, comme cela arrive chez celui qui, non seulement fuit le mal, mais est mы par la vengeance а extirper le mal. Or, c’est lа accomplir un certain bien. Bien que dйtester ainsi le mal relиve de l’irascible et du concupiscible, cela ne comporte donc pas seulement cet acte, car entreprendre d’atteindre un bien difficile relиve aussi de l’irascible, dans lequel n’existent pas seulement les passions de colиre et d’audace, mais aussi d’espoir.

[65591] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa verba sunt accipienda per quamdam adaptationem, et non per proprietatem. Nam in qualibet potentia animae est desiderium boni proprii; unde et irascibilis appetit victoriam, sicut et concupiscibilis delectationem. Sed quia concupiscibilis fertur in id quod est bonum toti animali simpliciter sive absolute; ideo omne desiderium boni appropriatur sibi.

10. Ces paroles doivent кtre interprйtйes selon une certaine adaptation, et non au sens propre. Car, en toute puissance de l’вme, existe le dйsir de son bien propre. Ainsi, l’irascible dйsire la victoire, comme le concupiscible dйsire le plaisir. Mais parce que le concupiscible se porte vers ce qui est bon pour tout animal purement et absolument, c’est la raison pour laquelle tout dйsir du bien lui est appropriй.

[65592] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet irascibilis et concupiscibilis secundum se consideratae agantur, et non agant : tamen in homine secundum quod participant aliqualiter rationem, etiam quodam modo agunt; non tamen totaliter aguntur. Unde etiam in politicis dicit philosophus, quod dominium rationis super has vires est politicum; quia huiusmodi vires aliquid habent de proprio motu, ubi non totaliter obediunt rationi. Dominium autem animae ad corpus non est regale, sed dispoticum; quia membra corporis ad nutum obediunt animae quantum ad motum.

11. Bien que l’irascible et le concupiscible, considйrйs en eux-mкmes, soient mus et ne meuvent pas, cependant, chez l’homme, pour autant qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison, ils meuvent aussi d’une certaine faзon, et ne sont pas totalement mus. Aussi le Philosophe dit-il, dans la Politique, que le pouvoir de la raison sur ces autres puissances est politique, car ces puissances ont quelque chose de leur propre mouvement, en quoi elles n’obйissent pas totalement а la raison. Mais le pouvoir de l’вme sur le corps n’est pas royal, mais despotique, car les membres du corps obйissent au moindre commandement de l’вme pour ce qui est de se mouvoir.

[65593] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet istae vires sint in brutis, non tamen in eis participant aliquid rationis; et ideo virtutes morales habere non possunt.

12. Bien que ces puissances existent chez les animaux sans raison, elles ne participent cependant pas chez eux а quelque chose de la raison. C’est pourquoi ils ne peuvent avoir de vertus morales.

[65594] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod omnia mala ad concupiscentiam pertinent, sicut ad primam radicem, et non sicut ad proximum principium. Nam omnes passiones ex irascibili et concupiscibili oriuntur, ut ostensum est, cum de passionibus animae ageretur. Perversitas vero rationis et voluntatis ut plurimum ex passionibus accidit. Vel potest dici quod per concupiscentiam intelligit non solum id quod est proprium vis concupiscibilis, sed quod est commune toti appetitivae potentiae; in cuius unaquaque particula invenitur alicuius concupiscentia, circa quam contingit esse peccatum. Nec aliter peccari potest nisi aliquid concupiscendo vel appetendo.

13. Tous les maux relиvent de la concupiscence comme de leur racine premiиre, et non selon leur principe propre. Car toutes les passions sont issues de l’irascible et du concupiscible, comme on l’a montrй, lorsqu’il a йtй question des passions de l’вme. Mais la perversitй de la raison et de la volontй vient la plupart du temps des passions. Ou l’on peut dire que, par concupiscence, on entend non seulement ce qui est propre а la puissance concupiscible, mais ce qui est commun а toute puissance appйtitive : en chaque petite parcelle de celle-ci, se rencontre la concupiscence de quelque chose, dans laquelle il arrive que se trouve le pйchй. Et l’on ne peut pйcher autrement qu’en convoitant ou en dйsirant quelque chose.

 

Articulus 5 : [65595] De virtutibus, q. 1 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum voluntas sit subiectum virtutis

Article 5 ‑ La volontй est-elle le sujet d’une vertu ?

Objections :

[65596] De virtutibus, q. 1 a. 5 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

[65597] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 1 Maior enim perfectio requiritur in imperante ad hoc quod recte imperet, quam in exequente ad hoc quod recte exequatur; quia ex imperante procedit ordinatio exequentis. Sed ad actum virtutis se habet voluntas sicut imperans, irascibilis autem et concupiscibilis sicut obedientes et exequentes. Cum igitur in irascibili et concupiscibili sit virtus sicut in subiecto, videtur quod multo fortius debeat esse in voluntate.

1. En effet, une plus grande perfection est requise chez celui qui commande pour qu’il commande correctement, que chez celui qui exйcute pour qu’il exйcute correctememnt, car la mise en ordre de celui qui exйcute vient de celui qui commande. Or, la volontй joue le rфle de commandant par rapport а l’acte de la vertu, mais l’irascible et le concupiscible obйissent et exйcutent. Puisque la vertu rйside dans l’irascible et le concupuscible comme dans un sujet, il semble qu’elle doive а bien plus forte raison rйsider dans la volontй.

 [65598] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 2 Sed diceretur, quod naturalis inclinatio voluntatis ad bonum sufficit ad eius rectitudinem. Nam finem naturaliter desideramus; unde non requiritur quod rectificetur per habitum virtutis superadditum.- Sed contra, voluntas non solum est finis ultimi, sed etiam finium aliorum. Sed circa appetitum aliorum finium contingit voluntatem et recte et non recte se habere. Nam boni praestituunt sibi bonos fines, mali vero malos, ut dicitur in III Ethic. : qualis unusquisque est, talis finis videtur ei. Ergo requiritur ad rectitudinem voluntatis, quod sit in ea aliquis habitus virtutis ipsam perficiens.

2. Mais on pourrait dire que l’inclination naturelle de la volontй au bien suffit а sa rectitude. Car nous dйsirons naturellement la fin. Aussi n’a-t-elle pas besoin d’кtre rectifiйe par un habitus de vertu surajoutй. – Par contre, la volontй n’a pas seulement pour objet la fin ultime, mais aussi les autres fins. Or, il arrive qu’а propos des autres fins, la volontй soit et ne soit pas droite, car les bons se donnent des fins bonnes, et les mйchants, [des fins] mauvaises, comme il est dit dans Йthique, III : «Tel est chacun, telle lui paraоt la fin.» Il est donc nйcessaire pour la rectitude la volontй qu’il existe en elle un habitus de vertu qui la perfectionne.

 [65599] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, etiam inest animae cognoscitivae aliqua cognitio naturalis, quae est primorum principiorum; et tamen respectu huius cognitionis est aliqua virtus intellectualis in nobis, scilicet intellectus, qui est habitus principiorum. Ergo et in voluntate debet esse aliqua virtus respectu eius ad quod naturaliter inclinatur.

3. Il existe aussi dans l’вme cognitive une connaissance naturelle, qui porte sur les premiers principes. Et cependant, par rapport а cette connaissance, il existe en nous une vertu intellectuelle, а savoir, l’intellect, qui est l’habitus des principes. Il doit donc aussi exister dans la volontй une vertu pour ce а quoi elle est naturellement inclinйe.

[65600] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, sicut circa passiones est aliqua virtus moralis, ut temperantia et fortitudo; ita etiam est aliqua virtus circa operationes, ut iustitia. Operari autem sine passione est voluntatis, sicut operari ex passione est irascibilis et concupiscibilis. Ergo sicut aliqua virtus moralis est in irascibili et concupiscibili, ita aliqua est in voluntate.

4. De mкme qu’il existe une vertu morale par rapport aux passions, comme la tempйrance et la force, de mкme aussi existe-t-il une vertu par rapport aux actions, comme la justice. Or, agir sans passion relиve de la volontй, comme agir par passion relиve de l’irascible et du concupiscible. De mкme qu’il existe une vertu morale dans l’irascible et dans le concupiscible, de mкme en existe-t-il donc une dans la volontй.

 [65601] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, philosophus in IV Ethic. dicit, quod amor sive amicitia est ex passione. Amicitia autem est ex electione. Dilectio autem quae est sine passione, est actus voluntatis. Cum igitur amicitia sit vel virtus, vel non sine virtute, ut dicitur in VIII Ethic.; videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.

5. L’amour ou l’amitiй vient d’une passion. Or, l’amitiй vient d’un choix. Mais l’amour qui existe sans passion est un acte de la volontй. Puisque l’amitiй est une vertu ou n’existe pas sans vertu, comme il est dit dans Йthique, VIII, il semble donc que la vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.

 [65602] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, caritas est potissima inter virtutes, ut probat apostolus, I ad Cor. XIII. Sed caritatis subiectum esse non potest nisi voluntas; non enim est eius subiectum concupiscibilis inferior, quae solum ad bona sensibilia se extendit. Ergo voluntas est subiectum virtutis.

6. La charitй est la plus importante des vertus, comme le montre l’Apфtre en 1 Co 13. Or, le sujet de la charitй ne peut кtre que la volontй : en effet, le concupiscible infйrieur, qui ne porte que sur les biens sensibles, n’est pas son sujet. La volontй est donc le sujet de la vertu.

[65603] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, secundum Augustinum, per voluntatem immediatius Deo coniungimur. Sed id quod coniungit nos Deo, est virtus. Ergo videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.

7. Selon Augustin, c’est par la volontй que nous sommes unis а Dieu de maniиre plus immйdiate. Or, ce qui nous unit а Dieu, c’est la vertu. Il semble donc que la vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.

 [65604] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea, felicitas, secundum Hugonem de s. Victore, in voluntate est. Virtutes autem sunt dispositiones quaedam ad felicitatem. Cum igitur dispositio et perfectio sint in eodem, videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.

8. La fйlicitй, selon Hugues de Saint-Victor, se trouve dans la volontй. Or, les vertus sont des dispositions а la fйlicitй. Puisque la disposition et l’accomplissement se trouvent dans la mкme chose, il semble que la vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.

 [65605] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum Augustinum, voluntas est qua peccatur et recte vivitur. Rectitudo autem vitae pertinet ad virtutem; unde Augustinus dicit, quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur. Ergo virtus est in voluntate.

9. Selon Augustin, c’est par la volontй que l’on pиche ou que l’on vit correctement. Or, la rectitude de la vie relиve de la vertu. Aussi Augustin dit-il que «la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement». La vertu est donc dans la volontй.

[65606] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem peccatum contrariatur. Cum igitur omne peccatum sit in voluntate, ut Augustinus dicit, videtur quod virtus sit in eadem.

10. Par nature, les contraires portent sur la mкme chose. Or, le pйchй est le contraire de la vertu. Puisque tout pйchй est dans la volontй, comme le dit Augustin, il semble donc que la vertu y soit aussi.

[65607] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 11 Praeterea, virtus humana in illa parte animae debet esse quae est propria hominis. Sed voluntas est propria hominis, sicut et ratio; utpote magis propinqua rationi quam irascibilis et concupiscibilis. Cum igitur irascibilis et concupiscibilis sint subiecta virtutum, videtur quod multo fortius voluntas.

11. La vertu humaine doit exister dans cette partie de l’вme qui est propre а l’homme. Or, la volontй est propre а l’homme, comme la raison, car elle est plus rapprochйe de la raison que l’irascible et le concupiscible. Puisque l’irascible et le concupiscible sont des sujets de vertus, il semble donc qu’а bien plus forte raison la volontй le soit.

Cependant :

 [65608] De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Omnis virtus aut est intellectualis, aut moralis, ut patet per philosophum in fine I Ethic. Virtus autem moralis est sicut in subiecto in eo quod est rationale non per essentiam, sed per participationem; virtus vero intellectualis habet pro subiecto id quod est rationale per essentiam. Cum igitur voluntas in neutra parte possit computari; quia nec est cognoscitiva potentia, quod pertinet ad rationalem per essentiam; neque pertinet ad irrationalem animae partem quae pertinet ad rationalem per participationem; videtur quod voluntas nullo modo subiectum virtutis esse possit.

1. Toute vertu est ou bien intellectuelle, ou morale, comme le dit clairement le Philosophe а la fin du premier livre de l’Йthique. Or, la vertu morale a comme sujet ce qui est raisonnable, non pas par essence, mais par participation; mais la vertu intellectuelle a comme sujet ce qui est raisonnable par essence. Puisque la volontй ne peut кtre situйe dans aucune des deux parties, car elle n’est pas une puissance cognitive, ce qui relиve de la raison par essence, et elle ne relиve pas de la partie non raisonnable de l’вme, laquelle relиve de la partie raisonnable par participation, il semble donc que la volontй ne puisse кtre d’aucune maniиre le sujet d’une vertu.

[65609] De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, ad eumdem actum non debent ordinari plures virtutes. Hoc autem sequeretur, si voluntas virtutis esset subiectum; quia ostensum est, quod in irascibili et concupiscibili sunt aliquae virtutes; et cum ad actus illarum virtutum se habeat quodammodo voluntas, oporteret quod ad eosdem actus essent aliquae virtutes in voluntate. Ergo non est dicendum, quod voluntas sit subiectum virtutis.

2. Plusieurs vertus ne doivent pas кtre ordonnйes а un mкme acte. Or, telle serait la consйquence, si la volontй йtait le sujet d’une vertu, car on a montrй qu’il existe des vertus dans l’irascible et dans le concupiscible et, comme la volontй a un rapport avec les actes de ces vertus, il serait nйcessaire qu’il existe des vertus de la volontй pour les mкmes actes. Il ne faut donc pas dire que la volontй est le sujet de la vertu.

Rйponse :

[65610] De virtutibus, q. 1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod per habitum virtutis potentia quae ei subiicitur, respectu sui actus complementum acquirit. Unde ad id ad quod potentia aliqua se extendit ex ipsa ratione potentiae, non est necessarius habitus virtutis. Virtus autem ordinat potentias ad bonum; ipsa enim est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Voluntas autem hoc quod virtus facit circa alias potentias, habet ex ipsa ratione suae potentiae : nam eius obiectum est bonum. Unde tendere in bonum hoc modo se habet ad voluntatem sicut tendere in delectabile ad concupiscibilem, et sicut ordinari ad sonum se habet ad auditum. Unde voluntas non indiget aliquo habitu virtutis inclinante ipsam ad bonum quod est sibi proportionatum, quia in hoc ex ipsa ratione potentiae tendit; sed ad bonum quod transcendit proportionem potentiae, indiget habitu virtutis. Cum autem uniuscuiusque appetitus tendat in proprium bonum appetentis; dupliciter aliquod bonum potest excedere voluntatis proportionem. Uno modo ratione speciei; alio modo ratione individui. Ratione quidem speciei, ut voluntas elevetur ad aliquod bonum quod excedit limites humani boni : et dico humanum id quod ex viribus naturae homo potest. Sed supra humanum bonum est bonum divinum, id quod voluntatem hominis caritas elevat, et similiter spes. Ratione autem individui, hoc modo quod aliquis quaerat id quod est alterius bonum, licet voluntas extra limites boni humani non feratur; et sic voluntatem perficit iustitia, et omnes virtutes in aliud tendentes, ut liberalitas, et alia huiusmodi. Nam iustitia est alterius bonum, ut philosophus dicit in V Ethic. Sic ergo duae virtutes sunt in voluntate sicut in subiecto; scilicet caritas et iustitia. Cuius signum est, quod istae virtutes quamvis ad appetitivam pertineant, tamen non circa passiones consistunt, sicut temperantia et fortitudo : unde patet quod non sunt in sensibili appetitu, in quo sunt passiones, sed in appetitu rationali, qui est voluntas, in quo passiones non sunt. Nam omnis passio est in parte animae sensitiva, ut probatur in VII Physic. Illae autem virtutes quae circa passiones consistunt, sicut fortitudo circa timores et audacias, et temperantia circa concupiscentias, oportet eadem ratione esse in appetitu sensitivo. Nec oportet quod ratione istarum passionum sit aliqua virtus in voluntate quia bonum in istis passionibus est quod est secundum rationem. Et ad hoc naturaliter se habet voluntas ex ratione ipsius potentiae, cum sit proprium obiectum voluntatis.

Par l’habitus de la vertu, la puissance qui en est le sujet acquiert un complement par rapport а son acte. Aussi un habitus de vertu n’est-il pas nйcessaire pour ce sur quoi porte une puissance en raison mкme de sa puissance. Cependant, la vertu ordonne les puissances au bien. En effet, c’est elle qui rend bon celui qui la possиde et rend son acte bon. Or, la volontй possиde par sa propre puissance ce qui fait une vertu dans les autres puissances, car son objet est le bien. Aussi tendre vers le bien de cette maniиre est-il а la volontй ce que tendre vers ce qui est dйlectable est au concupiscible, et comme кtre ordonnй au son l’est pour l’ouпe. De sorte que la volontй n’a pas besoin d’un habitus de vertu qui l’incline vers le bien qui lui est proportionnй, car elle tend vers lui en raison mкme de sa puissance; mais, pour le bien qui dйpasse la proportion de sa puissance, elle a besoin d’un habitus de vertu. Or, puisque l’appйtit de toute chose tend vers le bien propre de ce qui dйsire, un bien peut dйpasser la proportion de la volontй de deux maniиres : d’une maniиre, en raison de l’espиce; d’une autre maniиre, en raison de l’individu. En raison de l’espиce, afin que la volontй soit йlevйe а un bien qui dйpasse les limites du bien humain, et j’entends par humain ce que l’homme peut par les puissances de sa nature. Or, au-dessus du bien humain, existe le bien divin, auquel la charitй йlиve la volontй de l’homme, de mкme que l’espйrance. En raison de l’individu, de telle sorte que quelqu’un recherche ce qui est le bien d’un autre, bien que la volontй ne soit pas portйe hors des limites du bien humain; et ainsi, la justice perfectionne la volontй, et toutes les vertus quit tendent vers quelque chose d’autre, comme la libйralitй et les choses de ce genre. Car la justice porte sur le bien d’un autre, comme le dit le Philosophe dans Йthique, V. Il y a ainsi deux vertus qui existent dans la volontй comme dans leur sujet : la charitй et la justice. Le signe en est que ces vertus, bien qu’elles se rapportent а l’appйtit, ne portent cependant pas sur les passions, comme la tempйrance et la force. Il est donc clair qu’elles ne rйsident pas dans l’appйtit sensible, dans lequel sont les passions, mais dans l’appйtit raisonnable, qui est la volontй, dans lequel il n’y a pas de passions. Car toute passion se trouve dans la partie sensible de l’вme, comme cela est dйmontrй dans Physique, VII. Il faut donc que les vertus qui portent sur les passions, comme la force par rapport aux craintes et aux audaces, et la tempйrance par rapport aux concupiscences, se trouvent pour la mкme raison dans l’appйtit sensible. Et il n’est pas nйcessaire qu’en raison de ces passions, existe dans la volontй une vertu, car le bien de ces vertus est ce qui est conforme а la raison. Et la volontй a un rapport naturel avec cela en raison mкme de sa puissance, puisque c’est l’objet propre de la volontй.

Solutions :

[65611] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad imperandum sufficit voluntati iudicium rationis; nam voluntas appetit naturaliter quod est bonum secundum rationem, sicut concupiscibilis quod est delectabile secundum sensum.

1. Le jugement de la raison suffit а la volontй pour commander, car la volontй dйsire naturellement ce qui est bien selon la raison, comme le concupiscible ce qui est dйlectable selon le sens.

[65612] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inclinatio naturalis voluntatis non solum est in ultimum finem, sed in id bonum quod sibi a ratione demonstratur. Nam bonum intellectum est obiectum voluntatis, ad quod naturaliter ordinatur voluntas, sicut et quaelibet potentia in suum obiectum, dummodo hoc sit proprium bonum, ut supra dictum est. Tamen circa hoc aliquis peccat, in quantum iudicium rationis intercipitur passione.

2. L’inclination naturelle de la volontй ne porte pas seulement sur la fin ultime, mais sur ce qui lui est montrй comme bien par la raison. Car le bien intelligй est l’objet de la volontй, auquel est naturellement ordonnйe la volontй, comme toute puissance а son objet, pourvu que ce soit son bien propre, comme on l’a dit plus haut. Toutefois, quelqu’un pиche а ce sujet pour autant que le jugement de la raison est surpris par la passion.

 [65613] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fit per aliquam speciem; nec ad cognoscendum potentia intellectus sufficit per seipsam, nisi species a sensibilibus accipiat. Et ideo oportet in his etiam quae naturaliter cognoscimus, esse quemdam habitum, qui etiam quodammodo principium a sensibus sumit, ut dicitur in fine Poster. Sed voluntas ad volendum non indiget aliqua specie; unde non est simile.

3. La connaissance se rйalise par une certaines espиce, et la puissance de l’intelligence ne suffit pas par elle-mкme, а moins qu’elle ne reзoive une espиce а partir des choses sensibles. C’est pourquoi il est nйcessaire pour cela mкme que nous connaissons naturellement qu’il existe un habitus, qui, lui aussi, tire son principe des sens, comme il est dit а la fin des Postйrieurs [analytiques]. Mais la volontй n’a pas besoin d’une espиce pour vouloir. Ce n’est donc pas la mкme chose.

[65614] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa passiones virtutes sunt in appetitu inferiori; nec ad huiusmodi requiritur alia virtus in appetitu superiori, ratione iam dicta.

4. Pour ce qui est des passions, les vertus se trouvent dans l’appйtit infйrieur, et une autre vertu n’est pas nйcessaire pour ces choses dans l’appйtit supйrieur, pour la raison dйjа donnйe.

[65615] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amicitia proprie non est virtus, sed consequens virtutem. Nam ex hoc ipso quod aliquis est virtuosus, sequitur quod diligat sibi similes. Secus autem est de caritate, quae est quaedam amicitia ad Deum, elevans hominem in id quod metam naturae excedit; unde caritas in voluntate est, ut diximus.

5. А proprement parler, l’amitiй n’est pas une vertu, mais la consйquence de la vertu, car du fait mкme que quelqu’un est vertueux, dйcoule qu’il aime ses semblables. Mais il en est autrement de la charitй, qui est une certaine amitiй envers Dieu, qui йlиve l’homme а ce qui dйpasse la mesure de la nature. C’est pourquoi la charitй existe dans la volontй, comme nous l’avons dit.

[65616] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 6 Et per hoc patet responsio ad sextum et septimum; nam virtus coniungens voluntatem Deo est caritas.

6. La rйponse а la sixiиme et а la septiиme objection est ainsi claire, car la vertu qui unit la volontй а Dieu est la charitй.

Ad 7 : absent.

7. [Absente]

[65617] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad felicitatem quaedam praeexiguntur sicut dispositiones, sicuti actus virtutum moralium, per quos removentur impedimenta felicitatis; scilicet inquietudo mentis a passionibus, et ab exterioribus perturbationibus. Aliquis autem actus est virtutis qui est essentialiter ipsa felicitas quando est completus; scilicet actus rationis vel intellectus. Nam felicitas contemplativa nihil aliud est quam perfecta contemplatio summae veritatis; felicitas autem activa est actus prudentiae, quo homo et se et alios gubernat. Aliquid autem est in felicitate sicut perfectivum felicitatis; scilicet delectatio, quae perficit felicitatem, sicut decor iuventutem, ut dicitur in X Ethic. : et hoc pertinet ad voluntatem; et in ordine ad hoc perficit voluntatem caritas, si loquamur de felicitate caelesti, quae sanctis repromittitur. Si autem loquamur de felicitate contemplativa, de qua philosophi tractaverunt, ad huiusmodi delectationem voluntas naturali desiderio ordinatur. Et sic patet quod non oportet omnes virtutes esse in voluntate.

8. Certaines choses sont prйrequises а la fйlicitй comme des dispositions, tels les actes des vertus morales, par lesquels sont enlevйs les empкchements а la fйlicitй, а savoir, l’agitation de l’esprit par les passions et par les troubles extйrieurs. Mais il existe un acte de vertu qui est par essence la fйlicitй elle-mкme, lorsqu’il se rйalise : l’acte de la raison ou de l’intellect. Car la fйlicitй contemplative n’est rien d’autre que la contemplation parfaite de la vйritй suprкme; mais la fйlicitй active est l’acte de la prudence, par lequel l’homme se gouverne ainsi que les autres. Or, il existe quelque chose dans la fйlicitй qui parfait la fйlicitй : la dйlectation, qui parfait la fйlicitй, comme la beautй le fait pour la jeunesse, comme il est dit dans Йthique, X. Et cela relиve de la volontй, et, par rapport а cela, la charitй perfectionne la volontй, si nous parlons de la fйlicitй cйleste, qui est promise aux saints. Mais si nous parlons de la fйlicitй contemplative, dont ont traitй les philosophes, la volontй est ordonnйe а une telle dйlectation par un dйsir naturel. Il ressort ainsi clairement qu’il n’est pas nйcessaire que toutes les vertus se trouvent dans la volontй.

[65618] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod voluntate recte vivitur et peccatur sicut imperante omnes actus virtutum et vitiorum; non autem sicut eliciente; unde non oportet quod voluntas sit proximum subiectum cuiuslibet virtutis.

9. On vit correctemement ou l’on pиche par la volontй pour autant qu’elle commande tous les actes des vertus et des vices, et non parce qu’elle les accomplit. Aussi n’est-il pas nйcessaire que la volontй soit le sujet prochain de toutes les vertus.

[65619] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod peccatum omne est in voluntate sicut in causa, in quantum omne peccatum fit ex consensu voluntatis; non tamen oportet quod omne peccatum sit in voluntate sicut in subiecto; sed sicut gula et luxuria sunt in concupiscibili, ita et superbia in irascibili.

10. Tout pйchй se trouve dans la volontй comme dans sa cause, pour autant que tout pйchй est fait par consentement de la volontй. Il n’est cependant pas nйcessaire que tout pйchй soit dans la volontй comme dans son sujet ; mais de mкme que la gourmandise et la luxure se trouvent dans le concupiscible, de mкme l’orgueil se trouve-t-il dans l’irascible.

[65620] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ex propinquitate voluntatis ad rationem contingit quod voluntas secundum ipsam rationem potentiae consonet rationi; et ideo non indiget ad hoc habitu virtutis super inducto, sicut inferiores potentiae, scilicet irascibilis et concupiscibilis.

11. А cause de la proximitй de la volontй par rapport а la raison, il se fait que la volontй soit d’accord avec la raison selon la raison mкme de sa puissance. C’est pourquoi elle n’a pas besoin que lui soit ajoutй un habitus de vertu, comme c’est le cas des puissances infйrieures, l’irascible et le concupiscible.

[65621] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum, quod caritas et spes, quae sunt in voluntate, non continentur sub ista philosophi divisione; sunt enim aliud genus virtutum, et dicuntur virtutes theologicae. Iustitia vero inter morales continetur; voluntas enim sicut et alii appetitus, ratione participat, in quantum dirigitur a ratione. Licet enim voluntas ad eamdem naturam intellectivae partis pertineat, non tamen ad ipsam potentiam rationis.

Rйponse au premier argument en sens contraire. La charitй et l’espйrance, qui existent dans la volontй, ne sont pas contenues dans cette division du Philosophe : en effet, elles sont un autre genre de vertus, qu’on appelle vertus thйologales. Mais la justice est comprise parmi les vertus morales : en effet, la volontй, comme les autres appйtits, participe а la raison, pour autant qu’elle est dirigйe par la raison. Bien que la volontй relиve de la mкme nature que la partie intellectuelle, elle ne relиve cependant pas de la puissance mкme de la raison.

[65622] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod respectu illorum ad quae habetur virtus in irascibili et concupiscibili, non oportet esse virtutem in voluntate, ratione prius dicta.

Rйponse au deuxiиme argument en sens contraire. Par rapport а ce qui est l’objet de la vertu dans l’irascible et dans le concupiscible, il n’est pas nйcessaire qu’il y ait une vertu dans la volontй, pour la raison donnйe auparavant.

 

Articulus 6 : [65623] De virtutibus, q. 1 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum in intellectu practico sit virtus sicut in subiecto

Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ?

Objections :

[65624] De virtutibus, q. 1 a. 6 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

 [65625] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 1 Quia secundum philosophum in II Ethic., scire, parum vel nihil prodest ad virtutem. Loquitur autem ibi de scientia practica; quod patet ex hoc quod subiungit, quod multi non operantur ea quorum habent scientiam; scientia enim ordinata ad opus est practici intellectus. Ergo practicus intellectus non poterit esse subiectum virtutis.

1. Selon le Philosophe, dans Йthique, II, connaоtre est peu utile ou pas du tout а la vertu. Or, il est question lа de science pratique, ce qui ressort clairement de ce qu’il ajoute, que beaucoup ne pratiquent pas ce dont ils ont la science. Or, la science ordonnйe а l’action relиve de l’intellect pratique. L’intellect pratique ne pourra donc pas кtre le sujet d’une vertu.

[65626] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, sine virtute non potest aliquis recte agere. Sed sine perfectione practici intellectus potest aliquis recte agere, eo quod potest instrui ab alio de agendis. Ergo perfectio practici intellectus non est virtus.

2. Quelqu’un ne peut agir correctement sans la vertu. Or, quelqu’un peut agir correctement sans une perfection de l’intellect pratique, du fait qu’il peut кtre instruit par un autre de ce qu’il faut faire. Une perfection de l’intellect pratique n’est donc pas une vertu.

[65627] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, tanto aliquid magis peccat, quanto magis recedit a virtute. Sed recessus a perfectione practici intellectus diminuit peccatum; ignorantia enim excusat vel a tanto, vel a toto. Ergo perfectio practici intellectus non potest esse virtus.

3. Plus quelqu’un pиche, plus il s’йloigne de la vertu. Or, l’йloignement de la perfection de l’intellect pratique diminue le pйchй : en effet, l’ignorance excuse en partie ou en totalitй. La perfection de l’intellect pratique ne peut donc pas кtre une vertu.

 [65628] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, virtus secundum Tullium, agit in modum naturae. Sed modus agendi naturae opponitur contra modum agendi rationis, sive practici intellectus; quod patet in II Physic., ubi dividitur agens a natura contra agens a proposito. Ergo videtur quod in practico intellectu non sit virtus.

4. Selon Tullius [Cicйron], la vertu agit а la maniиre de la nature. Or, le mode d’agir de la nature s’oppose au mode d’agir de la raison ou de l’intellect pratique, comme cela ressort clairement de Physique, II, oщ l’agent naturel est opposй а l’agent qui dйcide. Il semble donc qu’il n’y ait pas de vertu dans l’intellect pratique.

[65629] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, bonum et verum formaliter differunt secundum proprias rationes. Sed differentia formalis obiectorum diversificat habitus. Cum igitur virtutis obiectum sit bonum, practici autem intellectus perfectio sit verum, tamen ordinatum ad opus; videtur quod perfectio practici intellectus non sit virtus.

5. Le bien et le vrai diffиrent formellement selon leurs raisons propres. Or, la diffйrence formelle des objets diffйrencie les habitus. Puisque que l’objet de la vertu est le bien et que la perfection de l’intellect pratique est le vrai, mais ordonnй а l’action, il semble donc que la perfection de l’intellect pratique ne soit pas une vertu.

[65630] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, virtus, secundum philosophum in II Ethic., est habitus voluntarius. Sed habitus intellectus practici differunt ab habitibus voluntatis vel appetitivae partis. Ergo habitus qui sunt in intellectu practico, non sunt virtutes; et sic intellectus practicus non potest esse subiectum virtutis.

6. Selon le Philosophe, dans Йthique, II, la vertu est un habitus volontaire. Or, les habitus de l’intellect pratique diffиrent des habitus de la volontй ou partie appйtitive. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect pratique ne sont donc pas des vertus. Et ainsi, l’intellect pratique ne peut pas кtre le sujet de la vertu.

Cependant :

[65631] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod prudentia ponitur una quatuor virtutum principalium; et tamen eius subiectum est practicus intellectus. Ergo intellectus practicus potest esse subiectum virtutis.

1. La prudence est prйsentйe comme une des quatre vertus principales, et cependant, son sujet est l’intellect pratique. L’intellect pratique peut donc кtre le sujet d’une vertu.

[65632] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, virtus humana est cuius subiectum est potentia humana. Sed potentia humana magis est intellectus practicus quam irascibilis et concupiscibilis; sicut quod est per essentiam tale, magis est eo quod est per participationem. Ergo intellectus practicus potest esse subiectum virtutis humanae.

2. La vertu humaine est celle dont le sujet est une puissance humaine. Or, l’intellect pratique est davantage une puissance humaine que l’irascible et le concupiscible, de la mкme faзon que ce qui est une chose par essence l’est davantage que ce qui l’est par participation. L’intellect pratique peut donc кtre le sujet d’une vertu humaine.

[65633] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, propter quod unumquodque, et illud magis. Sed in parte affectiva est virtus propter rationem; quia ad hoc quod obediat rationi vis affectiva, in ea ponitur virtus. Ergo multo fortius in ratione practica debet esse virtus.

3. Ce pour quoi une chose existe en est davantage la raison d’кtre. Or, la vertu dans la partie affective existe en vue de la raison, car une vertu existe en elle afin qu’elle obйisse а la raison. А bien plus forte raison doit-il donc y avoir une vertu dans la raison pratique.

Rйponse :

[65634] De virtutibus, q. 1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod inter virtutes naturales et rationales haec differentia assignatur; quod naturalis virtus est determinata ad unum, virtus autem rationalis ad multa se habet. Oportet autem ut appetitus animalis vel rationalis inclinetur in suum appetibile ex aliqua apprehensione praeexistente; inclinatio enim in finem absque praeexistente cognitione ad appetitum pertinet naturalem, sicut grave inclinatur ad medium. Sed quia aliquod bonum apprehensum oportet esse obiectum appetitus animalis et rationalis; ubi ergo istud bonum uniformiter se habet, potest esse inclinatio naturalis in appetitu, et iudicium naturale in vi cognitiva, sicut accidit in brutis. Cum enim sint paucarum operationum propter debilitatem principii activi quod ad pauca se extendit; est in omnibus unius speciei bonum uniformiter se habens. Unde per appetitum naturalem inclinationem habent in id, et per vim cognitivam naturale iudicium habent de illo proprio bono uniformiter se habente. Et ex hoc naturali iudicio et naturali appetitu provenit quod omnis hirundo uniformiter facit nidum, et quod omnis aranea uniformiter facit telam; et sic est in omnibus aliis brutis considerare. Homo autem est multarum operationum et diversarum; et hoc propter nobilitatem sui principii activi, scilicet animae, cuius virtus ad infinita quodammodo se extendit. Et ideo non sufficeret homini naturalis appetitus boni, nec naturale iudicium ad recte agendum, nisi amplius determinetur et perficiatur. Per naturalem siquidem appetitum homo inclinatur ad appetendum proprium bonum; sed cum hoc multipliciter varietur, et in multis bonum hominis consistat; non potuit homini inesse naturalis appetitus huius boni determinati, secundum conditiones omnes quae requiruntur ad hoc quod sit ei bonum; cum hoc multipliciter varietur secundum diversas conditiones personarum et temporum et locorum, et huiusmodi. Et eadem ratione naturale iudicium; quod est uniforme, et ad huiusmodi bonum quaerendum non sufficit; unde oportuit in homine per rationem, cuius est inter diversa conferre, invenire et diiudicare proprium bonum, secundum omnes conditiones determinatum, prout est nunc et hic quaerendum. Et ad hoc faciendum ratio absque habitu perficiente hoc modo se habet sicut et in speculativo se habet ratio absque habitu scientiae ad diiudicandum de aliqua conclusione alicuius scientiae; quod quidem non potest nisi imperfecte et cum difficultate agere. Sicut igitur oportet rationem speculativam habitu scientiae perfici ad hoc quod recte diiudicet de scibilibus ad scientiam aliquam pertinentibus; ita oportet quod ratio practica perficiatur aliquo habitu ad hoc quod recte diiudicet de bono humano secundum singula agenda. Et haec virtus dicitur prudentia, cuius subiectum est ratio practica; et est perfectiva omnium virtutum moralium quae sunt in parte appetitiva, quarum unaquaeque facit inclinationem appetitus in aliquod genus humani boni : sicut iustitia facit inclinationem in bonum quod est aequalitas pertinentium ad communicationem vitae; temperantia in bonum quod est refrenari a concupiscentiis; et sic de singulis virtutibus. Unumquodque autem horum contingit multipliciter fieri, et non eodem modo in omnibus; unde ad hoc quod rectus modus statuatur, requiritur iudicii prudentia. Et ita ab ipsa est rectitudo et complementum bonitatis in omnibus aliis virtutibus; unde philosophus dicit quod medium in virtute morali determinatur secundum rationem rectam. Et quia ex hac rectitudine et bonitatis complemento omnes habitus appetitivi virtutis rationem sortiuntur, inde est quod prudentia est causa omnium virtutum appetitivae partis, quae dicuntur morales in quantum sunt virtutes; et propterea dicit Gregorius in XXII Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt.

Entre les puissances naturelles et raisonnables, il existe cette diffйrence que la puissance naturelle est dйterminйe а une seule chose, alors que puissance raisonnable se rapporte а plusieurs choses. Or, il est nйcessaire que l’appйtit animal ou raisonnable soit inclinй vers ce qui est l’objet de son dйsir en vertu d’une saisie antйrieure : en effet, l’inclination vers la fin sans connaissance antйrieure relиve de l’appйtit naturel, comme ce qui est lourd est inclinй vers le milieu. Mais parce qu’il est nйcessaire qu’un bien connu soit l’objet de l’appйtit animal et raisonnable, lа oщ ce bien se trouve de maniиre uniforme, il peut exister une inclination naturelle dans l’appйtit et un jugement naturel dans la puissance cognitive, comme cela se produit chez les animaux sans raison. En effet, comme ils ont peu d’opйrations en raison de la faiblesse du principe actif qui s’йtend а peu de choses, il existe chez tous un bien d’une seule espиce qui se trouve de maniиre uniforme. Aussi, par l’appйtit naturel, tendent-ils vers celui-ci, et, par la connaissance naturelle, jugent-ils de ce bien propre qui existe de maniиre uniforme. Et de ce jugement naturel vient le fait que toutes les hirondelles font leur nid de maniиre uniforme, et que toutes les araignйes tissent leur toile de maniиre uniforme. Et il faut penser la la mкme chose pour tous les animaux sans raison. Mais l’homme possиde des opйrations multiples et diverses, et cela, en raison de son principe actif, а savoir, l’вme, dont la puissance s’йtend pour ainsi dire а l’infini. C’est pourquoi ne suffirait pas а l’homme un appйtit naturel du bien, ni un jugement naturel pour agir correctement, а moins qu’il ne soit davantage dйterminй et perfectionnй. Car, par l’appйtit naturel, l’homme est inclinй а dйsirer son propre bien; mais puisque celui-ci se diversifie de multiples maniиres et que le bien de l’homme consiste dans plusieurs choses, il ne pouvait pas exister chez l’homme un appйtit naturel de tel bien dйterminй, selon toutes les conditions qui sont requises pour que cela soit bon, puisque cela se diversifie de multiples faзons selon les diverses conditions de personnes, de temps, de lieux et de choses de ce genre. Et il en est de mкme pour le jugement naturel, qui est uniforme, et qui ne suffit pas pour rechercher un bien de ce genre. Aussi fallait-il que, par la raison, а qui il appartient de rapprocher les choses diverses, l’homme trouve son propre bien et en juge, tel qu’il est dйterminй selon toutes les conditions, en tant qu’il doit кtre recherchй ici et maintenant. Et pour faire cela, la raison sans un habitus qui la perfectionne se trouve dans la mкme condition que la raison en matiиre spйculative, sans l’habitus de la science, pour juger de la conclusion d’une science, ce qu’elle ne peut faire qu’imparfaitement et avec difficultй. Puisqu’il faut que la raison spйculative soit perfectionnйe par l’habitus de la science pour juger correctement des objets connaissables qui relиvent de cette science, de mкme est-il donc nйcessaire que la raison pratique soit perfectionnйe par un habitus afin de juger correctement du bien humain pour chaque action а poser. Et cette vertu s’appelle la prudence, dont le sujet est la raison pratique, et elle perfectionne toutes les vertus morales qui existent dans la partie appйtitive, dont chacune incline l’appйtit vers un certain genre de bien humain, comme la justice incline vers le bien qui est l’йgalitй dans ce qui se rapporte а la vie sociale, la tempйrance, vers le bien qui consiste se retenir des dйsirs dйsordonnйs, et ainsi pour toutes les vertus. Or, chacune de ces choses peut кtre accomplie de multiples faзons, et non de la mкme faзon chez tous. Aussi, pour que la bonne mesure soit dйterminйe, la prudence du jugement est-elle nйcessaire. Et ainsi, une rectitude et un complйment de bontй viennent-ils de [la prudence] pour toutes les autres vertus. C’est pourquoi le Philosophe dit que le milieu de la vertu morale est dйterminйe selon la raison droite. Et parce que toutes les vertus de la puissance appйtitive tirent leur raison de vertu de cette rectitude et de ce complйment de bontй, de lа vient que la prudence est la cause de toutes les vertus de la partie appйtitive, qui sont appelйes morales pour autant qu’elles sont des vertus. Et c’est pourquoi Grйgoire dit, dans les Morales, XXII, que les autres vertus, si elles ne font pas prudemment ce qu’elles dйsirent, ne peuvent jamais кtre des vertus.

Solutions :

[65635] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus ibi loquitur de scientia practica; sed prudentia plus importat quam scientia practica : nam ad scientiam practicam pertinet universale iudicium de agendis; sicut fornicationem esse malam, furtum non esse faciendum, et huiusmodi. Qua quidem scientia existente, in particulari actu contingit iudicium rationis intercipi, ut non recte diiudicet; et propter hoc dicitur parum valere ad virtutem, quia ea existente contingit hominem contra virtutem peccare. Sed ad prudentiam pertinet recte iudicare de singulis agibilibus, prout sint nunc agenda : quod quidem iudicium corrumpitur per quodlibet peccatum. Et ideo prudentia manente, homo non peccat; unde ipsa non parum sed multum confert ad virtutem; immo ipsam virtutem causat, ut dictum est.

1. Le Philosophe parle lа de la science pratique. Mais la prudence comporte plus que la science pratique, car il relиve de la science pratique de porter un jugement universel sur ce qu’il faut faire, comme le fait que la fornication est mauvaise, qu’il ne faut pas voler, et les choses de ce genre. Alors que cette science existe, il arrive cependant que, dans les actes particuliers, le jugement de la raison soit pris par surprise, de sorte qu’il ne juge par correctement. C’est pour cette raison que l’on dit que [la science pratique] contribue peu а la vertu, parce que, alors qu’elle existe, il arrive que l’homme pиche contre la vertu. Mais il relиve de la prudence de juger correctement de chaque action а poser, pour autant qu’elle doit кtre accomplie maintenant; c’est ce jugement est corrompu par n’importe quel pйchй. C’est pourquoi, lorsque la prudence demeure, l’homme ne pиche pas. Aussi celle-ci n’apporte-t-elle pas peu, mais beaucoup а la vertu, bien plus, elle cause la vertu elle-mкme, comme on l’a dit.

 [65636] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo ab alio potest accipere consilium in universali de agendis; sed quod iudicium recte servet in ipso actu contra omnes passiones, hoc solum ex rectitudine prudentiae provenit; et sine hoc virtus esse non potest.

2. Un homme peut recevoir un conseil dans l’universel sur les actes а poser. Mais qu’il maintienne dans l’acte mкme un jugement droit contre toutes les passions, cela provient seulement de la rectitude de la prudence. Et sans cela, il ne peut y avoir de vertu.

[65637] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignorantia quae opponitur prudentiae, est ignorantia electionis, secundum quam omnis malus est ignorans; quae provenit ex eo quod iudicium rationis intercipitur per appetitus inclinationem : et hoc non excusat peccatum, sed constituit. Sed ignorantia quae opponitur scientiae practicae, excusat vel diminuit peccatum.

3. L’ignorance qui s’oppose а la prudence est l’ignorance dans le choix, selon laquelle tout mйchant est ignorant. Celle-ci vient du fait que le jugement de la raison est surpris par l’inclination de l’appйtit. Et cela n’excuse pas le pйchй, mais le constitue. Mais l’ignorance qui s’oppose а la science pratique excuse ou diminue le pйchй.

 [65638] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum Tullii intelligitur quantum ad inclinationem appetitus tendentis in aliquod bonum commune, sicut in fortiter agere, vel aliquid huiusmodi. Sed nisi rationis iudicio dirigeretur, talis inclinatio frequenter duceretur in praecipitium; et tanto magis, quanto esset vehementior; sicut ponit philosophus exemplum de caeco, in VI Ethic., qui tanto magis laeditur ad parietem impingens, quanto fortius currit.

4. La parole de Tullius [Cicйron] s’entend de l’inclination de l’appйtit qui tend vers un bien gйnйral, comme agir avec force, ou quelque chose du genre. Mais si elle n’йtait pas dirigйe par le jugement de la raison, une telle inclination mиnerait souvent au prйcipice, et d’autant plus qu’elle serait plus impйtueuse, comme le Philosophe le dit en prйsentant, dans Йthique, VI, l’exemple de l’aveugle qui se blesse d’autant plus, en heurtant un mur, qu’il court plus vite.

[65639] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum et verum sunt obiecta duarum partium animae, scilicet intellectivae et appetitivae : quae quidem duo hoc modo se habent, quod utraque ad actum alterius operatur; sicut voluntas vult intellectum intelligere, et intellectus intelligit voluntatem velle. Et ideo haec duo, bonum et verum, se invicem includunt : nam bonum est quoddam verum, in quantum est ab intellectu apprehensum; prout scilicet intellectus intelligit voluntatem velle bonum, vel etiam in quantum intelligit aliquid esse bonum; similiter etiam et ipsum verum est quoddam bonum intellectus, quod etiam sub voluntate cadit, in quantum homo vult intelligere verum. Nihilominus tamen verum intellectus practici est bonum, quod et finis operationis : bonum enim non movet appetitum, nisi in quantum est apprehensum. Ideo nihil prohibet in intellectu practico esse virtutem.

5. Le bien et le vrai sont les objets de deux parties de l’вme, а savoir, de l’intellective et l’appйtitive. Ces deux [parties] se comportent de maniиre telle que chacune opиre en vue de l’acte de l’autre, comme la volontй veut que l’intellect comprenne, et l’intellect comprend que la volontй veut. C’est pourquoi ces deux choses, le bien et le vrai, s’incluent l’une l’autre. Car le bien est quelque chose de vrai en tant qu’il est saisi par l’intellect, pour autant que l’intellect comprend que la volontй veut le bien, ou encore qu’il comprend que quelque chose est bon. Semblablement, le vrai lui-mкme est un certain bien de l’intellect, qui relиve aussi de la volontй, pour autant que l’homme veut comprendre ce qui est vrai. Toutefois, le vrai qui est l’objet de l’intellect pratique est le bien qui est la fin de l’opйration : en effet, le bien ne meut l’appйtit que dans la mesure oщ il est compris. C’est pourquoi rien n’empкche qu’il y ait une vertu dans l’intellect pratique.

 [65640] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus in II Ethic., definit virtutem moralem : de virtute enim intellectuali determinat in VI Ethic. Virtus autem quae est in intellectu practico, non est moralis, sed intellectualis : nam etiam prudentiam inter virtutes intellectuales philosophus ponit, ut patet in II Ethic.

6. Dans Йthique, II, le Philosophe dйfinit la vertu morale : en effet, il prйcise ce qu’est la vertu intellectuelle dans Йthique, VI. Or, la vertu qui est dans l’intellect pratique n’est pas une vertu morale, mais intellectuelle, car le Philosophe range aussi la prudence parmi les vertus intellectuelles, comme cela ressort clairement d’Йthique, II.

 

Articulus 7 : [65641] De virtutibus, q. 1 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum in intellectu speculativo sit virtus

Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spйculatif ?

Objections :

[65642] De virtutibus, q. 1 a. 7 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65643] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 1 Virtus enim omnis ordinatur ad actum : virtus enim est quae opus bonum reddit. Intellectus autem speculativus non ordinatur ad actum : nihil enim dicit de imitando vel fugiendo, ut patet in III de anima. Ergo in intellectu speculativo non potest esse virtus.

1. En effet, toute vertu est ordonnйe а l’acte, car la vertu est ce qui rend un acte bon. Or, l’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а l’acte, car il ne dit rien de l’imitation ou de la fuite, comme cela ressort clairement de Sur l’вme, III. Il ne peut donc pas y avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.

[65644] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, virtus est quae bonum facit habentem, ut dicitur in II Ethic. Sed habitus intellectus speculativi non faciunt bonum habentem; non enim dicitur propter hoc bonus homo, quia habet scientiam. Ergo habitus qui sunt in intellectu speculativo, non sunt virtutes.

2. La vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde, comme il est dit dans Йthique, II. Or, les habitus de l’intellect spйculatif ne rendent pas bon celui qui les possиdent, car on ne dit pas qu’un homme est bon parce qu’il possиde la science. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect spйculatif ne sont donc pas des vertus.

 [65645] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, intellectus speculativus praecipue perficitur habitu scientiae. Scientia autem non est virtus; quod ex hoc patet, quia contra virtutes dividitur : dicitur enim in prima specie qualitatis esse habitus et dispositio; et habitus dicitur scientiae et virtutis. Ergo in intellectu speculativo non est virtus.

3. L’intellect spйculatif est principalement perfectionnй par l’habitus de science. Or, la science n’est pas une vertu, ce qui ressort clairement du fait qu’elle est distinguйe des vertus : en effet, on dit que l’habitus et la disposition se trouvent dans la premiиre espиce de qualitй, et on parle d’habitus de la science et de la vertu. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect spйculatif.

[65646] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, omnis virtus ordinatur ad aliquid, quia ad felicitatem quae est finis virtutis. Sed intellectus speculativus non ordinatur ad aliquid : non enim scientiae speculativae propter utilitatem quaeruntur, sed propter seipsas, ut dicitur in I Metaph. Ergo in intellectu speculativo non potest esse virtus.

4. Toute vertu est ordonnйe а quelque chose, parce qu’elle est ordonnйe а la fйlicitй qui est la fin de la vertu. Or, l’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose : en effet, les sciences spйculatives ne sont pas recherchйes pour leur utilitй, mais pour elles-mкmes, comme il est dit dans Mйtaphysique, I. Il ne peut donc pas y avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.

[65647] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, actus virtutis est meritorius. Sed intelligere non sufficit ad meritum; immo scienti bonum, et non facienti peccatum est illi, ut dicit Iacobus, IV, 17. Ergo in intellectu speculativo non est virtus.

5. L’acte de la vertu est mйritoire. Or, comprendre ne suffit pas pour le mйrite ; bien plus, c’est pйchй de connaоtre le bien, et de ne pas l’accomplir, comme il est dit en Jc 4, 17. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect spйculatif.

Cependant :

[65648] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Fides est in intellectu speculativo, cum sit eius obiectum veritas prima. Sed fides est virtus. Ergo intellectus speculativus potest esse subiectum virtutis.

1. La foi se trouve dans l’intellect spйculatif, puisque son objet est la Vйritй premiиre, Or, la foi est une vertu. L’intellect spйculatif peut donc кtre le sujet d’une vertu.

[65649] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, verum et bonum sunt aeque nobilia. Nam se invicem circumeunt; nam verum est quoddam bonum, et bonum est quoddam verum : et utrumque commune omni enti. Si igitur in voluntate, cuius obiectum est bonum, potest esse virtus; ergo et in intellectu speculativo, cuius obiectum est verum, poterit esse virtus.

2. Le vrai et le bien sont йgalement nobles. En effet, ils s’englobent rйciproquement, car le vrai est un certain bien, et le bien est quelque chose de vrai, et les deux sont communs а tout кtre. Si donc il peut exister une vertu dans la volontй, dont l’objet est le bien, il pourra aussi exister une vertu dans l’intellect spйculatif, dont l’objet est le vrai.

Rйponse :

[65650] De virtutibus, q. 1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod virtus in unaquaque re dicitur per respectum ad bonum; eo quod uniuscuiusque virtus est, ut philosophus dicit, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; sicut virtus equi quae facit equum esse bonum, et bene ire, et bene ferre sessorem, quod est opus equi. Ex hoc quidem igitur aliquis habitus habebit rationem virtutis, quia ordinatur ad bonum. Hoc autem contingit dupliciter : uno modo formaliter, alio modo materialiter. Formaliter quidem, quando aliquis habitus ordinatur ad bonum sub ratione boni; materialiter vero, quando ordinatur ad id quod est bonum, non tamen sub ratione boni. Bonum autem sub ratione boni est obiectum solius appetitivae partis; nam bonum est quod omnia appetunt. Illi igitur habitus qui vel sunt in parte appetitiva, vel a parte appetitiva dependent, ordinantur formaliter ad bonum; unde potissime habent rationem virtutis. Illi vero habitus qui nec sunt in appetitiva parte, nec ab eadem dependent, possunt quidem ordinari materialiter in id quod est bonum, non tamen formaliter sub ratione boni; unde et possunt aliquo modo dici virtutes, non tamen ita proprie sicut primi habitus. Sciendum est autem, quod intellectus tam speculativus quam practicus potest perfici dupliciter aliquo habitu. Uno modo absolute et secundum se, prout praecedit voluntatem, quasi eam movens; alio modo prout sequitur voluntatem, quasi ad imperium actum suum eliciens : quia, ut dictum est, istae duae potentiae, scilicet intellectus et voluntas, se invicem circumeunt. Illi igitur habitus qui sunt in intellectu practico vel speculativo, primo modo, possunt dici aliquo modo virtutes, licet non ita secundum perfectam rationem; et hoc modo intellectus scientia et sapientia, sunt in intellectu speculativo, ars vero in intellectu practico. Dicitur enim aliquis intelligens vel sciens secundum quod eius intellectus perfectus est ad cognoscendum verum; quod quidem est bonum intellectus. Et licet istud verum possit esse volitum, prout homo vult intelligere verum; non tamen quantum ad hoc perficiuntur habitus praedicti. Non enim ex hoc quod homo habet scientiam, efficitur volens considerare verum, sed solummodo potens; unde et ipsa veri consideratio non est scientia in quantum est volita, sed secundum quod directe tendit in obiectum. Et similiter est de arte respectu intellectus practici; unde ars non perficit hominem ex hoc quod bene velit operari secundum artem, sed solummodo ad hoc quod sciat et possit. Habitus vero qui sunt in intellectu speculativo vel practico secundum quod intellectus sequitur voluntatem, habent verius rationem virtutis; in quantum per eos homo efficitur non solum potens vel sciens recte agere, sed volens. Quod quidem ostenditur in fide et prudentia, sed diversimode. Fides enim perficit intellectum speculativum, secundum quod imperatur ei a voluntate; quod ex actu patet : homo enim ad ea quae sunt supra rationem humanam, non assentit per intellectum nisi quia vult; sicut Augustinus dicit, quod credere non potest homo nisi volens. Ita et similiter erit fides in intellectu speculativo, secundum quod subiacet imperio voluntatis; sicut temperantia est in concupiscibili secundum quod subiacet imperio rationis. Unde voluntas imperat intellectui, credendo, non solum quantum ad actum exequendum, sed quantum ad determinationem obiecti : quia ex imperio voluntatis in determinatum creditum intellectus assentit; sicut et in determinatum medium a ratione, concupiscibilis, per temperantiam tendit. Prudentia vero est in intellectu sive ratione practica, ut dictum est : non quidem ita quod ex voluntate determinetur obiectum prudentiae, sed solum finis; obiectum autem ipsa perquirit : praesupposito enim a voluntate fine boni, prudentia perquirit vias per quas hoc bonum et perficiatur et conservetur. Sic igitur patet quod habitus in intellectu existentes diversimode se habent ad voluntatem. Nam quidam in nullo a voluntate dependent, nisi quantum ad eorum usum; et hoc quidem per accidens, cum huiusmodi usus habituum aliter a voluntate dependeat, et aliter ab habitibus praedictis, sicut sunt scientia et sapientia et ars. Non enim per hos habitus homo ad hoc perficitur, ut homo eis bene velit uti; sed solum ut ad hoc sit potens. Aliquis vero habitus intellectus dependet a voluntate sicut a qua accipit principium suum : nam finis in operativis principium est; et sic se habet prudentia. Aliquis vero habitus etiam determinationem obiecti a voluntate accipit, sicut est in fide. Et licet omnes quoquo modo possint dici virtutes; tamen perfectius et magis proprie hi duo ultimi habent rationem virtutis; licet ex hoc non sequatur quod sint nobiliores habitus aut perfectiores.

En toute chose, on parle de vertu par rapport au bien, du fait que la vertu, comme le dit le Philosophe, est, chez chacun, ce qui le rend bon et rend son acte bon, comme la vertu du cheval est ce qui rend le cheval bon, et le fait bien aller et porter celui qui le monte, ce qui est l’action du cheval. Et donc, un habitus aura la raison de vertu parce qu’il est ordonnй au bien. Or, cela se produit de deux maniиres : d’une maniиre, formelle­ment ; d’une autre maniиre, matйriellement. Formellement, lorsqu’un habitus est ordonnй au bien sous la raison de bien ; mais matй­riellement lorsqu’il est ordonnй а ce qui est bon, mais non sous la raison de bien. Or, le bien sous la raison de bien est l’objet de la seule partie appйtitive, car le bien est ce que toutes choses dйsirent. Les habitus qui se trouvent dans la partie appйtitive ou dйpen­dent de la partie appйtitive sont donc formel­lement ordonnйs au bien. C’est pourquoi ils ont principalement raison de vertu. Mais les habitus qui ne se trouvent pas dans la partie appйtitive ni n’en dйpendent peuvent toute­fois кtre ordonnйs matйriellement а ce qui est bon, mais non pas formellement sous la rai­son de bien. C’est pourquoi ils peuvent кtre appelйs d’une certaine faзon des vertus, mais non pas aussi proprement que les premiers habitus. Or, il faut savoir que l’intellect aussi bien spйculatif que pratique peut кtre perfectionnй par un habitus de deux faзons. D’une faзon, tout simplement et par soi, en tant qu’il prйcиde la volontй en la mouvant ; d’une autre faзon, en tant qu’il suit la volontй, comme s’il exйcutait son acte au comman­dement [de la volontй], car, ainsi qu’on l’a dit, ces deux puissances, l’intellect et la vo­lontй, s’englobent l’une l’autre. Les habi­tus qui se trouvent dans l’intellect pratique ou spйculatif de la premiиre faзon peuvent кtre appelйs vertus d’une certaine maniиre, bien que ce ne soit pas selon une parfaite raison. Et de cette maniиre, la science et la sagesse de l’intellect se trouvent dans l’intellect spйculatif, et l’art, dans l’intellect pratique. En effet, on dit de quelqu’un qu’il comprend ou sait selon que son intellect a йtй perfectionnй pour connaоtre le vrai, qui est le bien de l’intellect. Et bien que ce vrai puisse кtre voulu, pour autant que l’homme veut comprendre le bien, toutefois les habitus mentionnйs ne sont pas mis en њuvre pour cette raison. En effet, ce n’est pas parce que l’homme a la science qu’il veut en acte considйrer ce qui est vrai, mais il en est rendu seulement capable. Aussi la considйration du vrai elle-mкme n’est-elle pas la science en tant que celle-ci est voulue, mais selon qu’elle tend directement а son sujet. Et de mкme en est-il pour l’art par rapport а l’intellect pratique. Aussi l’art ne perfec­tionne-t-il pas l’homme du fait qu’il veut bien agir selon l’art, mais seulement afin qu’il le sache et le puisse. Mais les habitus qui se trouvent dans l’intellect spй­culatif ou pratique selon que l’intellect suit la volontй possиdent la raison de vertu avec plus de vйritй, dans la mesure oщ, par eux, l’homme est rendu non seulement capable ou sait agir correctement, mais le veut. Ce qui apparaоt dans la foi et la prudence, mais de maniиre diffйrente. En effet, la foi parfait l’intellect spйculatif en tant qu’il est com­mandй par la volontй, ce qui ressort claire­ment de son acte : en effet, l’homme ne donne son assentiment а ce qui dйpasse la raison humaine par l’intellect que parce qu’il le veut. Ainsi Augustin dit-il que l’homme ne peut croire que s’il le veut. Semblablement, la foi se trouvera dans l’intellect spйculatif selon qu’il est soumis а la volontй, comme la tempйrance se trouve dans le concupiscible selon qu’il est soumis au commandement de la raison. Aussi la volontй commande-t-elle а l’intellect en croyant, non seulement pour l’accomplissement de l’acte, mais pour la dйtermination de l’objet, car l’intellect consent а ce qui est cru de maniиre dйterminйe sous le commandement de la volontй, de la mкme maniиre qu’il tend par la tempйrance vers un milieu dйterminй du concupiscible par la raison. Or, la prudence se trouve dans l’intellect ou la raison pratique, comme on l’a dit : non pas que l’objet de la prudence soit dйterminй par la volontй, mais seulement la fin. Elle recherche elle-mкme l’objet : en effet, йtant prйsupposйe le fin du bien par la volontй, la prudence recherche les moyens par lesquels ce bien est accompli et conservй. Il ressort donc clairement que les habitus qui existent dans l’intellect ont divers rapports avec la volontй. Certains ne dйpendant aucunement de la volontй, si ce n’est pour leur usage, et cela, par accident, puisque cette usage des habitus depend de la volontй d’une autre maniиre que les habitus mentionnйs, tels que la science, la sagesse et l’art. En effet, par ces habitus, l’homme n’est pas perfectionnй de telle maniиre que l’homme veuille les bien utiliser, mais seulement qu’il en soit capable. Mais un certain habitus de l’intellect dйpend de la volontй en tant que celui-ci reзoit d’elle son principe, car la fin est le principe pour les actions : il en va ainsi pour la prudence. Un autre habitus reзoit aussi de la volontй la dйtermination de son objet, comme c’est le cas de la foi. Et bien que tous puissent кtre appelйs des vertus d’une certaine maniиre, ces deux derniиres possиdent cependant plus parfaitement et а parler plus proprement la raison de vertu, bien qu’il n’en dйcoule pas qu’elles soient des habitus plus nobles ou plus parfaits.

Solutions :

[65651] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habitus intellectus speculativi ordinatur ad actum proprium, quem perfectum reddit, qui est veri consideratio : non autem ordinatur sicut in finem in aliquem exteriorem actum, sed finem habet in suo actu proprio. Intellectus autem practicus ordinatur sicut in finem in alium exteriorem actum : non enim consideratio de agendis vel faciendis pertinet ad intellectum practicum nisi propter agere vel facere. Et sic habitus intellectus speculativi reddit actum suum nobiliori modo bonum quam habitus intellectus practici : quia ille ut finem, hic ut ad finem; licet habitus intellectus practici, ex eo quod ordinat ad bonum sub ratione boni, prout praesupponitur voluntati, magis proprie habeat rationem virtutis.

1. L’habitus de l’intellect spйculatif est ordonnй а son acte propre qu’il rend parfait : c’est la considйration de la vйritй. Mais il n’est pas ordonnй comme а sa fin а un acte extйrieur, car il a sa fin dans son acte propre. Mais l’intellect pratique est ordonnй comme а sa fin а un acte extйrieur : en effet, la considйration des actes а poser ou des choses а faire ne relиve de l’intellect pratique qu’en raison de l’action ou de la rйalisation. Et ainsi, l’habitus de l’intellect spйculatif rend son acte bon d’une maniиre plus noble que l’habitus de l’intellect pratique, car celui-lа en tant que fin, celui-ci en tant qu’ordonnй а une fin, bien que l’habitus de l’intellect pratique, du fait qu’il ordonne au bien sous la raison de bien, en tant qu’il est prйsupposй а la volontй, ait davantage la raison de vertu.

[65652] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non dicitur bonus simpliciter ex eo quod est in parte bonus, sed ex eo quod secundum totum est bonus : quod quidem contingit per bonitatem voluntatis. Nam voluntas imperat actibus omnium potentiarum humanarum. Quod provenit ex hoc quod quilibet actus est bonum suae potentiae; unde solus ille dicitur esse bonus homo simpliciter qui habet bonam voluntatem. Ille autem qui habet bonitatem secundum aliquam potentiam, non praesupposita bona voluntate, dicitur bonus secundum quod habet bonum visum et auditum, aut est bene videns et audiens. Et sic patet, quod ex eo quod homo habet scientiam, non dicitur bonus simpliciter, sed bonus secundum intellectum, vel bene intelligens; et similiter est de arte, et de aliis huiusmodi habitibus.

2. On ne dit pas que l’homme est tout simplement bon du fait qu’il est bon en partie, mais parce qu’il est entiиrement bon, ce qui se produit par la bontй de la volontй, car la volontй commande aux actes de toutes les puissances humaines. Cela vient de ce que tout acte est le bien de sa puissance ; aussi dit-on qu’un homme est tout simplement bon lorsqu’il a une volontй bonne. Mais celui qui possиde la bontй selon quelque puissance, sans que prйexiste une volontй bonne, est appelй bon selon qu’il a une bonne vue ou une bonne ouпe, ou qu’il voit et entend bien. Ainsi ressort-il clairement que, du fait qu’un homme possиde la science, il n’est pas appelй bon tout simplement, mais bon selon l’intellect, et comme ayant une bonne intelligence. Et il en va de mкme pour l’art, et pour les autres habitus de ce genre.

[65653] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod scientia dividitur contra moralem virtutem, et tamen ipsa est virtus intellectualis; vel etiam dividitur contra virtutem propriissime dictam : sic enim ipsa non est virtus, ut supra dictum est.

3. La science se distingue de la vertu morale, et cependant elle est elle-mкme une vertu intellectuelle. Ou bien, elle se distingue de la vertu entendue au sens le plus propre : ainsi n’est-elle pas elle-mкme une vertu, comme on l’a dit plus haut.

[65654] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus speculativus non ordinatur ad aliquid extra se; ordinatur autem ad proprium actum sicut ad finem. Felicitas autem ultima, scilicet contemplativa, in eius actu consistit. Unde actus speculativi intellectus sunt propinquiores felicitati ultimae per modum similitudinis, quam habitus practici intellectus; licet habitus intellectus practici fortasse sint propinquiores per modum praeparationis, vel per modum meriti.

4. L’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose qui lui est extйrieur, mais il est ordonnй а son acte propre comme а sa fin. Or, la fйlicitй ultime, а savoir, la [fйlicitй] contemplative, consiste dans son acte. Aussi les actes de l’intellect spйculatif sont-ils plus proches de la fйlicitй ultime par mode de ressemblance, que les habitus de l’intellect pratique, bien que les habitus de l’intellect pratique puissent peut-кtre en кtre plus proches par mode de prйparation ou par mode de mйrite.

[65655] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per actum scientiae, aut alicuius talis habitus, potest homo mereri, secundum quod imperatur a voluntate, sine qua nullum est meritum. Tamen scientia non ad hoc perficit intellectum ut dictum est. Non enim ex eo quod homo habet scientiam, efficitur bene volens considerare, sed solummodo bene potens; et ideo mala voluntas non opponitur scientiae vel arti, sicut prudentiae, vel fidei, aut temperantiae. Et inde est quod philosophus dicit, quod ille qui peccat voluntarius in agibilibus, est minus prudens; licet e contrario sit in scientia et arte. Nam grammaticus qui involuntarie soloecizat, apparet esse minus sciens grammaticam.

5. Par l’acte de la science ou d’un habitus semblable, l’homme peut mйriter selon que [l’acte] est commandй par la volontй, sans laquelle il n’existe aucun mйrite. Toutefois, la science ne perfectionne pas l’intellect pour cela, comme on l’a dit. En effet, du fait que l’homme a la science, il n’est pas rendu bien disposй а examiner, mais seulement capable de le faire. C’est pourquoi la volontй mauvaise ne s’oppose pas а la science ou а l’art, comme а la prudence, а la foi ou а la tempйrance. De lа vient que le Philosophe dit que celui qui pиche volontairement pour les actes а poser est moins prudent, bien que ce soit le contraire dans le cas de la science et de l’art. Car le grammairien qui commet involontairement un solйcisme montre qu’il connaоt moins la grammaire.

 

Articulus 8 : [65656] De virtutibus, q. 1 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum virtutes insint nobis a natura

Article 8 – Les habitus existent-ils en nous par nature ?

Objections :

[65657] De virtutibus, q. 1 a. 8 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

[65658] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 1 Dicit enim Damascenus, III Lib. : naturales sunt virtutes, et naturaliter et aequaliter insunt nobis.

1. En effet, [Jean] Damascиne dit, au livre III : «Les vertus sont naturelles, et existent en nous naturellement et йgalement.»

[65659] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea, Matth., IV, 23, dicit Glossa : docet naturales iustitias : scilicet castitatem, iustitiam, humilitatem, quales naturaliter habet homo.

2. De plus, а propos de Mt 4, 23, la Glose dit : «Il enseigne les justice naturelles, а savoir, la chastetй, la justice, l’humilitй, que l’homme possиde naturellement.»

[65660] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea, Rom. II, 14, dicitur quod homines non habentes legem, naturaliter ea quae legis sunt, faciunt. Sed lex praecipit actum virtutis. Ergo actum virtutis naturaliter homo facit; et ita videtur quod virtus sit a natura.

3. De plus, en Rm 2, 14, il est dit que les hommes qui n’ont pas de loi font naturellement ce qui se trouve dans la loi. Or, la loi prescrit l’acte de la vertu. L’homme accomplit donc naturellement l’acte de la vertu, et ainsi il semble que la vertu vienne de la nature.

[65661] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea, Antonius dicit in sermone ad monachos : si naturam voluntas mutaverit, perversitas est. Conditio servetur, et virtus est. Et in eodem sermone dicitur, quod sufficit homini naturalis ornatus. Hoc autem non esset, si virtutes non essent naturales. Ergo virtutes sunt naturales.

4. Antoine dit, dans un sermon adressй aux moines : «Si la volontй a changй la nature, cela est mauvais. Si la condition [naturelle] est maintenue, cela est vertu.» Et il est dit dans le mкme sermon que la beautй naturelle suffit а l’homme. Or, cela ne serait pas le cas si les vertus n’йtaient pas naturelles. Les vertus sont donc naturelles.

[65662] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea, Tullius dicit, quod celsitudo animi est nobis a natura. Sed hoc videtur ad magnanimitatem pertinere. Ergo magnanimitas inest nobis a natura; et eadem ratione aliae virtutes.

5. Tullius [Cicйron] dit que la grandeur d’вme existe en nous par nature. Or, cela semble relever de la magnanimitй. La magnanimitй existe donc en nous par nature et, pour la mкme raison, les autres vertus.

[65663] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 6 Praeterea, ad faciendum opus virtutis non requiritur nisi posse bonum, et velle, et nosse. Sed notio boni inest nobis a natura, ut dicit Augustinus in II de libero arbitrio. Velle etiam bonum inest homini a natura, ut idem dicit super Genes. ad litteram. Posse etiam bonum inest homini naturaliter, cum voluntas sit domina sui actus. Ergo ad opus virtutis sufficit natura. Virtus igitur est homini naturalis, quantum ad sui inchoationem.

6. Pour accomplir un acte de vertu, il n’est nйcessaire que de pouvoir faire le bien, de le vouloir et de le connaоtre. Or, la connaissance du bien existe en nous par nature, comme le dit Augustin dans le livre II de Sur le libre arbitre. Vouloir le bien existe aussi en l’homme par nature, comme le dit le mкme dans le Commentaire littйral de la Genиse. Pouvoir le bien existe aussi dans l’homme par nature, puisque la volontй est maоtresse de son acte. La nature suffit donc а l’acte de vertu. La vertu est donc naturelle а l’homme, quant а son amorce.

[65664] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 7 Sed diceretur, quod virtus est homini naturalis quantum ad sui inchoationem, sed perfectio virtutis non est a natura.- Sed contra est quod Damascenus dicit in III Lib. : manentes in eo quod secundum naturam, in virtute sumus; declinantes autem ab eo quod est secundum naturam, ex virtute, ad id quod est praeter naturam devenimus et in malitia sumus. Ex quo patet, quod secundum naturam inest a malitia declinare. Sed hoc est perfectae virtutis. Ergo et perfectio virtutis est a natura.

7. Mais on pourrait dire que la vertu est naturelle а l’homme pour ce qui est de son amorce, mais que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature. – Toutefois, ce que dit Damascиne, dans le livre III, va en sens contraire : «En demeurant dans ce qui est conforme а la nature, nous sommes dans la vertu; mais en nous йcartant de ce qui est conforme а la nature, nous sortons de la vertu, nous parvenons а ce qui est au-delа de la nature et nous sommes dans le mal.» Il ressort clairement de cela qu’il est conforme а la nature de s’йcarter du mal. Or, ceci est le fait d’une vertu parfaite. La perfection de la vertu vient donc de la nature.

 [65665] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 8 Praeterea, virtus, cum sit forma, est quoddam simplex, et partibus carens. Si igitur secundum aliquid sui est a natura videtur quod totaliter sit a natura.

8. La vertu, puisqu’elle est une forme, est quelque chose de simple, qui n’a pas de parties. Si donc quelque chose d’elle vient de la nature, il semble qu’elle vienne entiиrement de la nature.

[65666] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 9 Praeterea, homo dignior est et perfectior aliis creaturis irrationalibus. Sed aliae creaturae sufficienter habent a natura ea quae pertinent ad suam perfectionem. Cum igitur virtutes sint quaedam perfectiones hominis, videtur quod insint homini a natura.

9. L’homme est plus digne et plus parfait que les crйatures non raisonnables. Or, les autres crйatures possиdent suffisamment par nature ce qui se rapporte а leur perfection. Puis que les vertus sont des perfections de l’homme, il semble donc qu’elles sont dans l’homme par nature.

[65667] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 10 Sed diceretur, quod hoc non potest esse, quia perfectio hominis consistit in multis et diversis; natura autem ordinatur ad unum. Sed contra est, quod virtutis inclinatio est etiam ad unum, sicut et naturae : dicit enim Tullius, quod virtus est habitus in modum naturae, rationi consentaneus. Ergo nihil prohibet virtutes inesse homini a natura.

10. Mais on pourrait dire que cela est impossible, car la perfection de l’homme consiste dans des choses nombreuses et diverses. Or, la nature est ordonnйe а une seule chose. En sens contraire, l’inclination de la vertu va aussi vers une seule chose, comme celle de la nature. En effet, Tullius [Cicйron] dit que la vertu est un habitus par mode de nature, conforme а la raison. Rien n’empкche donc que les vertus soient dans l’homme par nature.

[65668] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 11 Praeterea, virtus in medio consistit. Medium autem est unum determinatum. Ergo nihil prohibet inclinationem naturae esse ad id quod est virtutis.

11. La vertu se situe dans un milieu. Or, le milieu est quelque chose de dйterminй. Rien n’empкche donc que l’inclination de la nature aille dans le sens de la vertu.

[65669] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 12 Praeterea, peccatum est privatio modi, speciei et ordinis. Sed peccatum est privatio virtutis. Ergo virtus consistit in modo, specie et ordine. Sed modus, species et ordo sunt homini naturalia. Ergo virtus est homini naturalis.

12. Le pйchй est une privation de mesure, de beautй et d’ordre. Or, le pйchй est la privation de la vertu. La vertu consiste donc dans la mesure, la beautй et l’ordre. Mais la mesure, la beautй et l’ordre sont naturels а l’homme. La vertu est donc naturelle а l’homme.

[65670] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 13 Praeterea, pars appetitiva in anima sequitur partem cognitivam. Sed in parte cognitiva est aliquis habitus naturalis, scilicet intellectus principiorum. Ergo et in parte appetitiva et affectiva, quae est subiectum virtutis, est aliquis habitus naturalis; et ita videtur quod aliqua virtus sit naturalis.

13. La partie appйtitive de l’вme suit la partie cognitive. Or, dans la partie cognitive, il existe un habitus naturel, а savoir, l’intelligence des principes. Dans la partie appйtitive et affective, qui est le sujet de la vertu, il existe donc aussi un habitus naturel. Et ainsi, il semble qu’une vertu soit naturelle.

[65671] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 14 Praeterea, naturale est cuius principium est intra; sicut ferri sursum est naturale igni, quia principium huius motus est in eo quod movetur. Sed principium virtutis est in homine. Ergo virtus est homini naturalis.

14. Est naturel ce dont le principe est interne, comme d’кtre portй vers le haut est naturel au feu, parce que le principe de ce mouvement se trouve а l’intйrieur de ce qui est mы. Or, le principe de la vertu existe а l’intйrieur de l’homme. La vertu est donc naturelle а l’homme.

[65672] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 15 Praeterea, cuius est semen naturale, ipsum quoque est naturale. Sed semen virtutis est naturale; dicit enim quaedam Glossa, Hebr., I, quod voluit Deus inseminare omni animae initia sapientiae et intellectus. Ergo videtur quod virtutes sint naturales.

15. Ce dont la semence est naturelle est naturel. Or, la semence de la vertu est naturelle. En effet, une glose dit, а propos de He 1, que Dieu a voulu semer en toute вme des amorces de sagesse et d’intelligence. Il semble donc que les vertus soient naturelles.

[65673] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 16 Praeterea, contraria sunt eiusdem generis. Sed virtuti contrariatur malitia. Malitia autem est naturalis; dicitur enim Sap., XII, v. 10 : erat enim naturalis malitia eius; et Ephes., II, 3, dicitur : eramus natura filii irae. Ergo videtur quod virtus sit naturalis.

16. Les contraires appartiennent au mкme genre. Or, la malice est contraire а la vertu. En effet, il est dit en Sg 12, 10 : Car, sa malice lui йtait naturelle; et en Ep 2, 3 : Nous йtions par nature fils de la colиre. Il semble donc que la vertu soit naturelle.

[65674] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 17 Praeterea, naturale est quod vires inferiores rationi subdantur; dicit enim philosophus in III de anima, quod appetitus superioris, qui est rationis, movet inferiorem, qui est partis sensitivae; sicut sphaera superior movet inferiorem sphaeram. Virtus autem moralis in hoc consistit quod inferiores vires rationi subdantur. Ergo huiusmodi virtutes sunt naturales.

17. Il est naturel que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. En effet, le Philosophe dit, dans Sur l’вme, III, que l’appйtit supйrieur, qui est celui de la raison, meut l’infйrieur, qui est la partie sensible, comme la sphиre supйrieure meut la sphиre infйrieure. Or, la vertu morale consiste en ce que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. Les vertus de ce genre sont donc naturelles.

[65675] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 18 Praeterea, ad hoc quod aliquis motus sit naturalis, sufficit naturalis aptitudo interioris principii passivi. Sic enim generatio simplicium corporum dicitur naturalis, et etiam motus caelestium corporum; nam principium activum caelestium corporum non est natura, sed intellectus; principium etiam generationis simplicium corporum est extrinsecus. Sed ad virtutem inest homini aptitudo naturalis; dicit enim philosophus in II Ethicor. : innatis quidem nobis a natura suscipere, perfectis autem ab assuetudine. Ergo videtur quod virtus est naturalis.

18. Pour qu’un mouvement soit naturel, une aptitude naturelle du principe passif intйrieur suffit. En effet, la gйnйration des corps simples est ainsi appelйe naturelle, et mкme le mouvement des corps cйlestes, car le principe actif des corps cйlestes n’est pas la nature, mais l’intelligence, et le principe de la gйnйration des corps simples est aussi extйrieur. Or, une aptitude naturelle а la vertu existe dans l’homme. En effet, le Philosophe dit, dans Йthique, II : «Les choses innйes, nous les recevons de la nature; les choses parfaites, de l’habitus.» Il semble donc que la vertu soit naturelle.

[65676] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 19 Praeterea, illud quod inest homini a nativitate, est naturale. Sed secundum philosophum in VI Ethic., quidam confestim a nativitate videntur esse fortes et temperati, et secundum alias virtutes dispositi; et Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero egressa est mecum. Ergo virtutes sunt homini naturales.

19. Ce que l’homme possиde par naissance est naturel. Or, selon le Philosophe, dans Йthique, VI, certains semblent кtre immйdiatement а la naissance forts et modйrйs, et disposйs а d’autres vertus. Et [il est dit] en Jb 31, 18 : La compassion s’est dйveloppйe en moi depuis la naissance, et elle est sortie du sein en mкme temps que moi. Des vertus sont donc naturelles а l’homme.

[65677] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 20 Praeterea, natura non deficit in necessariis. Sed virtutes sunt homini necessariae ad finem ad quem naturaliter ordinatur, scilicet ad felicitatem, quae est actus virtutis perfectae. Ergo virtutes habet homo a natura.

20. La nature ne fait pas dйfaut pour les choses nйcessaires. Or, les vertus sont nйcessaires а l’homme pour la fin а laquelle il est naturellement ordonnй, а savoir, la fйlicitй, qui est un acte de la vertu parfaite. L’homme possиde donc les vertus par nature.

Cependant :

[65678] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Naturalia per peccatum non amittuntur; unde Dionysius dicit, quod data naturalia in Daemonibus permanent. Sed virtutes per peccatum amittuntur. Ergo non sunt naturales.

1. Les choses naturelles ne sont pas enlevйes par le pйchй. Aussi Denys dit-il que les dons naturels demeurent chez les dйmons. Or, les vertus sont enlevйes par le pйchй. Elles ne sont donc pas naturelles.

[65679] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 2 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, et ea quae sunt a natura, neque assuescimus neque dissuescimus. Sed ea quae sunt virtutis, possumus assuescere et dissuescere. Ergo virtutes non sunt naturales.

2. Ce qui existe en nous naturellement et ce qui vient de la nature, nous ne nous y habituons pas et nous n’en perdons pas l’habitude. Or, nous pouvons nous habituer et nous dйshabituer de ce qui relиve de la vertu. Les vertus sont donc naturelles.

[65680] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 3 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, communiter insunt omnibus. Sed virtutes non insunt communiter omnibus, cum quibusdam insint vitia contraria virtutibus.

3. Ce qui existe naturellement existe chez tous d’une maniиre commune. Or, les vertus n’existent pas chez tous d’une maniиre commune, puisqu’il existe chez certains des vices contraires aux vertus.

 [65681] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 4 Praeterea, naturalibus neque meremur neque demeremur, quia sunt in nobis. Sed virtutibus meremur, sicut et vitiis demeremur. Ergo virtutes et vitia non sunt naturalia.

4. Nous ne mйritons pas ni ne perdons le mйrite en raison des choses naturelles, car elles existent en nous. Or, nous mйritons par les vertus, comme nous dйmйritons par les vices. Les vertus et les vices ne sont donc pas naturels.

Rйponse :

[65682] De virtutibus, q. 1 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum quod diversificati sunt aliqui circa productionem formarum naturalium, ita diversificati sunt circa adeptionem scientiarum et virtutum. Fuerunt enim aliqui qui posuerunt formas praeexistere in materia secundum actum, latenter autem; et quod per agens naturale reducuntur de occulto in manifestum. Et haec fuit opinio Anaxagorae qui posuit omnia esse in omnibus, ut ex omnibus omnia generari possent. Alii autem dixerunt, formas esse totaliter ab extrinseco, vel participatione idearum, ut posuit Plato, vel intelligentia agente, ut posuit Avicenna; et quod agentia naturalia disponunt solummodo materiam ad formam. Tertia est via Aristotelis media, quae ponit, quod formae praeexistunt in potentia materiae, sed reducuntur in actum per agens exterius naturale. Similiter etiam et circa scientias et virtutes aliqui dixerunt, quod scientiae et virtutes insunt nobis a natura, et quod per studium solummodo tolluntur impedimenta scientiae et virtutis : et hoc videtur Plato posuisse; qui posuit scientias et virtutes causari in nobis per participationem formarum separatarum; sed anima impediebatur ab earum usu per unionem ad corpus; quod impedimentum tolli oportebat per studium scientiarum, et exercitium virtutum. Alii vero dixerunt, quod scientiae et virtutes sunt in nobis ex influxu intelligentiae agentis, ad cuius influentiam recipiendam homo disponitur per studium et exercitium. Tertia est opinio media, quod scientiae et virtutes secundum aptitudinem insunt nobis a natura; sed earum perfectio non est nobis a natura. Et haec opinio melior est, quia sicut circa formas naturales nihil derogat virtus naturalium agentium; ita circa adeptionem scientiae et virtutis studio et exercitio suam efficaciam conservat. Sciendum tamen est, quod aptitudo perfectionis et formae in aliquo subiecto potest esse dupliciter. Uno modo secundum potentiam passivam tantum; sicut in materia aeris est aptitudo ad formam ignis. Alio modo secundum potentiam passivam et activam simul : sicut in corpore sanabili est aptitudo ad sanitatem, quia corpus est susceptivum sanitatis. Et hoc modo in homine est aptitudo naturalis ad virtutem; partim quidem secundum naturam speciei, prout aptitudo ad virtutem est communis omnibus hominibus, et partim secundum naturam individui, secundum quod quidam prae aliis sunt apti ad virtutem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod in homine triplex potest esse subiectum virtutis, sicut ex superioribus patet; scilicet intellectus, voluntas et appetitus inferior, qui in concupiscibilem et irascibilem dividitur. In unoquoque autem est considerare aliquo modo et susceptibilitatem virtutis et principium activum virtutis. Manifestum est enim quod in parte intellectiva est intellectus possibilis, qui est in potentia ad omnia intelligibilia, in quorum cognitione consistit intellectualis virtus; et intellectus agens, cuius lumine intelligibilia fiunt actu; quorum quaedam statim a principio naturaliter homini innotescunt absque studio et inquisitione : et huiusmodi sunt principia prima, non solum in speculativis, ut : omne totum est maius sua parte, et similia; sed etiam in operativis, ut : malum esse fugiendum, et huiusmodi. Haec autem naturaliter nota, sunt principia totius cognitionis sequentis, quae per studium acquiritur; sive sit practica, sive sit speculativa. Similiter autem circa voluntatem manifestum est quod est aliquod principium activum naturale. Nam voluntas naturaliter inclinatur in ultimum finem. Finis autem in operativis habet rationem principii naturalis. Ergo inclinatio voluntatis est quoddam principium activum respectu omnis dispositionis, quae per exercitium in parte affectiva acquiritur. Manifestum autem est quod ipsa voluntas, in quantum est potentia ad utrumlibet se habens, in his quae sunt ad finem, est susceptiva habitualis inclinationis in haec vel in illa. Irascibilis autem et concupiscibilis naturaliter sunt obaudibiles rationi : unde naturaliter sunt susceptivae virtutis, quae in eis perficitur, secundum quod disponuntur ad bonum rationis sequendum. Et omnes praedictae inchoationes virtutum consequuntur naturam speciei humanae unde et omnibus sunt communes. Est autem aliqua inchoatio virtutis, quae consequitur naturam individui, secundum quod aliquis homo ex naturali complexione vel caelesti impressione inclinatur ad actum alicuius virtutis. Et haec quidem inclinatio est quaedam virtutis inchoatio; non tamen est virtus perfecta; quia ad virtutem perfectam requiritur moderatio rationis : unde et in definitione virtutis ponitur, quod est electiva medii secundum rationem rectam. Si enim aliquis absque rationis discretione inclinationem huiusmodi sequeretur, frequenter peccaret. Et sicut haec virtutis inchoatio absque rationis opere, perfectae virtutis rationem non habet, ita nec aliqua praemissarum. Nam ex universalibus principiis in specialia pervenitur per inquisitionem rationis. Rationis etiam officio ex appetitu ultimi finis homo deducitur in ea quae sunt convenientia illi fini. Ipsa etiam ratio imperando irascibilem et concupiscibilem facit sibi esse subiectas. Unde manifestum est quod ad consummationem virtutis requiritur opus rationis; sive virtus sit in intellectu, sive sit in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Haec tamen est consummatio : quod ad virtutem inferioris partis ordinatur inchoatio virtutis quae est in superiori; sicut ad virtutem quae est in voluntate, aptus redditur homo et per inchoationem virtutis quae est in voluntate, et per eam quae est in intellectu. Ad virtutem vero quae est in irascibili et concupiscibili, per inchoationem virtutis quae est in eis, et per eam quae est in superioribus; sed non e converso. Unde etiam manifestum est, quod ratio, quae est superior, operatur ad completionem omnis virtutis. Dividitur autem principium operativum quod est ratio, contra principium operativum quod est natura, ut patet in II Phys.; eo quod rationalis potestas est ad opposita, natura autem ordinatur ad unum. Unde manifestum est quod perfectio virtutis non est a natura, sed a ratione.

De mкme que certains ont des positions dif­fйrentes а propos de la production des formes naturelles, de mкme diffиrent-ils а propos de l’acquisition des sciences et des vertus. En effet, certains ont soutenu que les formes prйexistent dans la matiиre selon l’acte, mais de maniиre cachйe, et qu’elles sont ramenйes de l’йtat occulte а l’йtat manifeste par un agent naturel. Telle fut l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que tout йtait en tout, de sorte que tout pouvait кtre engendrй а partir de tout. Mais d’autres ont dit que les formes viennent entiиrement de l’extйrieur, soit par la participation aux idйes, comme l’affirmait Platon, soit par l’intellect agent, comme l’affirmait Avicenne, et que les agents naturels ne font que disposer la matiиre en vue de la forme. La troisiиme voie, celle d’Aristote, se situe au milieu : elle affirme que les formes prйexistent dans la puissance de la matiиre, mais qu’elles sont amenйs а l’acte par un agent extйrieur naturel. De mкme, а propos des sciences et des vertus, certains ont-ils dit qu’elles existent en nous par nature et que, par l’effort, sont seulement enlevйs les obstacles а la science et а la vertu. Platon semble avoir affirmй cela, en affirmant que les sciences et les vertus sont causйes en nous par la participation aux for­mes sйparйes, mais que l’вme йtait empкchйe d’en faire usage par l’union au corps, empк­chement qu’il fallait йcarter par l’йtude des sciences et par l’application aux vertus. Mais d’autres ont dit que les sciences et les vertus existent en nous sous l’influence de l’intellect agent, que l’homme se dispose а recevoir par l’йtude et l’application. La troi­siиme opinion se situe au centre : les sciences et les vertus existent en nous par nature par l’aptitude, mais leur perfection ne nous vient pas de la nature. Et cette opinion est meil­leure, car, de mкme que la puissance des agents naturels ne fait en rien dйfaut pour ce qui est des formes naturelles, de mкme, pour l’acquisition de la science et l’application а la vertu et pour sa pratique, elle conserve son efficacitй. Toutefois, il faut savoir que l’aptitude а la perfection et а la forme chez un sujet peut exister de deux maniиres. D’une maniиre, selon une puissance passive seule­ment, comme il existe une aptitude а la forme du feu dans la matiиre de l’air. D’une autre maniиre, selon une puissance passive et ac­tive en mкme temps, comme dans un corps susceptible d’кtre guйri, il existe une aptitude а la santй, parce que le corps est rйceptif par rapport а la santй. Et c’est de cette maniиre qu’il existe dans l’homme une aptitude naturelle а la vertu, en partie selon la nature de l’espиce, pour autant que l’aptitude а la vertu est commune а tous les hommes, et en partie selon la nature de l’individu, pour autant que certains sont plus aptes que d’autres а la vertu. Pour йclairer cela, il faut savoir que, dans l’homme, peut exister un triple sujet de la vertu, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut : l’intellect, la volontй et l’appйtit infйrieur, qui se divise en concu­piscible et en irascible. Or, dans chacun, il faut d’une certaine faзon prendre en compte а la fois la rйceptivitй а la vertu et le principe actif de la vertu. En effet, il est clair que, dans la partie intellective, existe l’intellect possible, qui est en puissance а tous les intel­ligibles, dans la connaissance desquels consiste la vertu intellectuelle; et l’intellect agent, par la lumiиre duquel les intelligibles le deviennent en acte. Certains [de ces intel­ligibles] sont connus naturellement par l’homme immйdiatement et dиs le dйbut, sans йtude ni recherche. Ce sont les principes premiers, non seulement en matiиre spйcula­tive, comme : le tout est plus grand que la partie, et les choses semblables, mais aussi en matiиre d’action, comme : il faut fuir le mal, et les choses de ce genre. Or, ces connaissances naturelles sont les principes de toute la connaissance ultйrieure, qui est ac­quise par l’йtude, qu’elle soit pratique ou spйculative. De mкme, а propos de la vo­lontй, il est clair qu’il existe un principe actif naturel, car la volontй est naturellement in­clinйe а la fin ultime. Or, dans le domaine des actions, la fin a raison de principe natu­rel. L’inclination de la volontй est donc un principe actif par rapport а toute disposition, qui est acquise dans la partie affective par la pratique. Or, il est clair que la volontй elle-mкme, pour autant qu’elle se trouve en puis­sance а n’importe quelle chose parmi celles qui concernent la fin, est rйceptive а une in­clination habituelle а telle ou telle chose. Mais l’irascible et le concupiscible, pour leur part, sont naturellement rйceptifs а la rai­son; aussi sont-ils naturellement rйceptifs а la vertu qui s’accomplit en eux, selon qu’ils sont disposйs а suivre le bien de la raison. Et toutes ces amorces de vertus dйcoulent de la nature de l’espиce humaine : elles sont donc communes а tous. Mais il y a une amorce de vertu qui dйcoule de la nature d’un individu, selon qu’un homme, en raison de sa com­plexion ou d’une influence cйleste, est in­clinй а l’acte d’une vertu. Et cette inclination est une amorce de vertu; elle n’est cependant pas une vertu parfaite, car la modйration de la raison est nйcessaire pour la vertu parfaite. Aussi met-on dans la dйfinition de la vertu qu’elle choisit le milieu selon la raison droite. En effet, si quelqu’un suivait cette inclination sans le jugement de la raison, il pйcherait souvent. Et de mкme que cette amorce de vertu sans intervention de la rai­son ne possиde pas la raison de vertu par­faite, de mкme aucune de celles mentionnйes plus haut. Car l’on parvient aux choses parti­culiиres а partir de principes universels par la recherche de la raison. C’est aussi par la fonction de la raison que l’homme est conduit de l’appйtit de la fin ultime а ce qui convient а cette fin. C’est encore par le com­mandement de la raison que celle-ci se sou­met l’irascible et le concupiscible. Ainsi res­sort-il clairement que, pour l’achиvement de la vertu, l’action de la raison est nйcessaire, que la vertu soit dans l’intellect, qu’elle soit dans la volontй ou qu’elle soit dans l’irascible et le concupiscible. Cependant tel est l’achиvement : que l’amorce de vertu qui est dans la partie supйrieure soit ordonnйe а la vertu de la partie infйrieure, comme l’homme est rendu apte а la vertu qui est dans la volontй а la fois par l’amorce de vertu qui se trouve dans la volontй et par celle qui se trouve dans l’intellect; mais а la vertu qui se trouve dans l’irascible et le concupiscible, par l’amorce de vertu qui est en eux, et par celle qui se trouve dans les [puissances] supйrieures. Mais il n’en va pas de mкme en sens inverse. Aussi est-il clair que la raison, qui est supйrieure, agit en vue de l’achиvement de toute vertu. Or, le principe opйratif qu’est la raison se distingue du principe opйratif qu’est la nature, comme cela ressort clairement de Physique, II, du fait que la puissance rationnelle porte sur des choses opposйes, alors que la nature est ordonnйe а une seule chose. Il est donc clair que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature, mais de la raison.

Solutions :

[65683] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes dicuntur naturales quantum ad naturales inchoationes virtutum quae insunt homini, non quantum ad earum perfectionem.

1. Les vertus sont appelйes naturelles quant aux amorces de vertus qui sont innйes chez l’homme, et non quant а leur perfection.

[65684] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum, tertium, quartum et quintum.

2-5. Il faut dire la mкme chose pour les deuxiиme, troisiиme, qautriиme et cinquiиme arguments.

[65685] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod posse bonum simpliciter inest nobis a natura, eo quod potentiae sunt naturales; velle autem et scire est nobis aliquo modo a natura, scilicet secundum quamdam inchoationem in universali. Sed hoc non sufficit ad virtutem. Requiritur autem ad bonam operationem, quae est effectus virtutis, quod homo prompte et infallibiliter ut in pluribus bonum attingat; quod non potest aliquis facere sine habitu virtutis : sicut etiam manifestum est quod aliquis in universali scit opus artis facere, ut puta argumentari, vel secare, aut aliquid huiusmodi facere; sed ad hoc quod prompte et sine errore faciat, requiritur quod habeat artem; et similiter est in virtute.

6. Pouvoir faire le bien est tout simplement innй chez nous par nature, du fait que les puissances sont naturelles ; mais vouloir et savoir nous viennent d’une certaine maniиre de la nature, а savoir, dans leur amorce d’une maniиre gйnйrale. Mais cela n’est pas suffisant pour la vertu. Il est nйcessaire pour une opйration bonne, qui est l’effet de la vertu, que l’homme atteigne le bien rapidement et sans se tromper dans la plupart des cas, ce que quelqu’un ne peut faire sans l’habitus de la vertu, de mкme qu’il est clair que quelqu’un sait accomplir de maniиre universelle l’acte d’un art, par exemple, argumenter ou couper, ou faire quelque chose de ce genre ; mais pour qu’il fasse cela rapidement et sans erreur, il est nйcessaire qu’il en possиde l’art. Et de mкme en est-il pour la vertu.

[65686] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex natura habet homo aliqualiter quod declinet malitiam; sed ad hoc quod hoc prompte faciat et infallibiliter, requiritur habitus virtutis.

7. L’homme a d’une certaine maniиre par nature ce qu’il faut pour s’йcarter de la mйchancetй; mais pour qu’il le fasse promptement et infailliblement, un habitus de vertu est nйcessaire.

[65687] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus non dicitur partim a natura esse, eo quod aliqua pars eius sit a natura et aliqua non, sed quia secundum aliquem modum essendi imperfectum est a natura; scilicet secundum potentiam et aptitudinem.

8. On ne dit pas que la vertu vient en partie de la nature parce qu’une partie d’elle vient de la nature et une autre n’[en vient] pas, mais parce qu’elle vient de la nature selon un mode d’exister imparfait, а savoir, selon la puissance et l’aptitude.

[65688] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus est per se perfectus in bonitate; unde nullo indiget ad bonitatem consequendam. Substantiae autem superiores et ei propinquae, paucis indigent ad consequendam perfectionem bonitatis ab ipso. Homo autem, qui est magis remotus, pluribus indiget ad assecutionem perfectae bonitatis, quia est capax beatitudinis. Quae autem creaturae non sunt capaces beatitudinis, paucioribus indigent quam homo. Unde homo est dignior eis licet pluribus indigeat; sicut ille qui potest consequi perfectam sanitatem multis exercitiis, est melius dispositus quam ille qui non potest consequi nisi parvam, sed per modica exercitia.

9. Dieu est par lui-mкme parfait en bontй : aussi n’a-t-il besoin de rien pour atteindre la bontй. Les substances supйrieures et qui lui sont proches ont besoin de peu de choses pour obtenir de lui la bontй. Mais l’homme, qui en est plus йloignй, a besoin de plus de choses pour atteindre la bontй parfaite, car il est capable de la bйatitude. Les crйatures qui ne sont pas capables de la bйatitude ont besoin de moins de choses que l’homme. Aussi l’homme est-il plus digne qu’elles, bien qu’il ait besoin de plus de choses, comme celui qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux exercices est mieux disposй que celui qui ne peut en obtenir qu’une petite, mais par peu d’exercices.

[65689] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad ea quae sunt unius virtutis, posset esse inclinatio naturalis. Sed ad ea quae sunt omnium virtutum, non posset esse inclinatio a natura; quia dispositio naturalis quae inclinat ad unam virtutem, inclinat ad contrarium alterius virtutis : puta, qui est dispositus secundum naturam ad fortitudinem, quae est in prosequendo ardua, est minus dispositus ad mansuetudinem, quae consistit in refrenando passiones irascibilis. Unde videmus quod animalia quae naturaliter inclinantur ad actum alicuius virtutis, inclinantur ad vitium contrarium alteri virtuti; sicut leo, qui naturaliter est audax est etiam naturaliter crudelis. Et haec quidem naturalis inclinatio ad hanc vel illam virtutem sufficit aliis animalibus, quae non possunt consequi perfectum bonum secundum virtutem, sed consequuntur qualecumque determinatum bonum. Homines autem nati sunt pervenire ad perfectum bonum secundum virtutem; et ideo oportet quod habeant inclinationem ad omnes actus virtutum : quod cum non possit esse a natura, oportet quod sit secundum rationem, in qua existunt semina omnium virtutum.

10. Il pourrait exister une inclination naturelle а ce qui ne relиve que d’une seule vertu. Mais il ne peut exister d’inclination venant de la nature а ce qui relиve de toutes les vertus, car la disposition naturelle qui incline а une seule vertu incline а ce qui est contraire а une autre vertu, par exemple, celui qui est disposй par nature а la force, qui consiste а poursuivre les choses difficiles, est moins disposй а la douceur, qui consiste а rйfrйner les passions de l’irascible. Ainsi voyons-nous que les animaux qui sont naturellement inclinйs а l’acte d’une vertu sont inclinйs au vice contraire а une autre vertu, comme le lion, qui est naturellement audacieux, est aussi naturellement cruel. Et cette inclination naturelle а telle ou telle vertu suffit aux autres animaux, qui ne peuvent obtenir le bien parfait selon la vertu, mais poursuivent tel bien dйterminй. Mais les hommes sont destinйs а parvenir au bien parfait selon la vertu. C’est pourquoi il est nйcessaire qu’ils aient une inclination а tous les actes des vertus. Comme cela ne peut venir de la nature, il est nйcessaire que cela soit selon la raison, dans laquelle existent les semences de toutes les vertus.

[65690] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod medium virtutis non est determinatum secundum naturam, sicut est determinatum medium mundi in quod tendunt gravia; sed oportet quod medium virtutis determinetur secundum rationem rectam, ut dicitur in II Ethic. Quia quod est mediocre uni, est parum vel multum alteri.

11. Le milieu de la vertu n’est pas dйterminй selon la nature, comme est dйterminй le milieu du monde vers lequel tendent tous les objets lourds, mais il est nйcessaire que le milieu de la vertu soit dйterminй selon la raison droite, comme il est dit dans Йthique, II. Car ce qui est milieu pour l’un est peu ou beaucoup pour un autre.

[65692] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod voluntas non exit in actum suum per aliquas species ipsam informantes, sicut intellectus possibilis; et ideo non requiritur aliquis naturalis habitus in voluntate ad naturale desiderium; et praecipue cum ex habitu naturali intellectus moveatur voluntas, in quantum bonum intellectum est obiectum voluntatis.

13. La volontй ne va pas vers son action par des espиces qui lui donnent forme, comme l’intellect possible. C’est pourquoi un habitus naturel n’est pas nйcessaire dans la volontй pour son dйsir naturel, et surtout lorsque la volontй est mue par un habitus naturel de l’intellect, dans la mesure oщ le bien intelligй est l’objet de la volontй.

[65693] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet principium virtutis sit intra hominem, scilicet ratio; tamen hoc principium non agit per modum naturae; et ideo quod ab ea est, non dicitur naturale.

14. Bien que le principe de la vertu soit intйrieur а l’homme, а savoir, la raison, ce principe n’agit cependant pas par mode de nature. C’est pourquoi ce qui vient d’elle n’est pas appelй naturel.

[65694] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 15 Et similiter dicendum est ad decimumquintum.

15. Il faut dire la mкme chose en rйponse а la quinziиme objection.

[65695] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod malitia eorum erat naturalis, in quantum erat in consuetudinem reducta, prout consuetudo est altera natura. Nos autem eramus natura filii irae propter peccatum originale, quod est peccatum naturae.

16. Leur malice йtait naturelle dans la mesure oщ elle йtait devenue coutumiиre, pour autant que la coutume est une seconde nature. Mais nous йtions fils de la colиre en raison du pйchй originel, qui est un pйchй de nature.

[65696] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod naturale est quod vires inferiores sint subiicibiles rationi, non tamen quod sint secundum habitum subiectae.

17. Il est naturel que les puissances infйrieures soient susceptibles de se soumettre а la raison, mais non qu’elles lui soient soumises selon un habitus.

[65697] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod motus dicitur esse naturalis propter aptitudinem naturalem mobilis, quando movens movet ad unum determinate per modum naturae; sicut generans in elementis, et motor corporum caelestium. Sic autem non est in proposito; unde ratio non sequitur.

18. Un mouvement est appelй naturel en raison de l’aptitude naturelle de ce qui est mы, lorsque l’agent meut prйcisйment а une seule chose par mode de nature, comme c’est le cas pour ce qui engendre dans les йlйments et pour ce qui meut les corps cйlestes. Mais ce n’est pas ce qui est en cause ici. L’argument ne vaut donc pas.

[65698] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa inclinatio naturalis ad virtutem, secundum quam quidam mox a nativitate sunt fortes et temperati, non sufficit ad perfectam virtutem, ut dictum est.

19. L’inclination naturelle а la vertu, selon laquelle certains sont forts et tempйrйs peu aprиs leur naissance, ne suffit pas pour la vertu parfaite, comme on l’a dit.

[65699] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura non deficit homini in necessariis; licet enim non det omnia quae sunt ei necessaria, tamen dat ei unde possit omnia necessaria acquirere secundum rationem, et quae ei deserviunt.

20. La nature ne fait pas dйfaut а l’homme pour les choses nйcessaires : en effet, bien qu’elle ne lui donne pas tout ce qui lui est nйcessaire, elle lui donne cependant les moyens de pouvoir acquйrir tout ce qui est nйcessaire selon la raison, et qui est а son service.

 

Articulus 9 : [65700] De virtutibus, q. 1 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum virtutes acquirantur ex actibus

Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ?

Objections :

[65701] De virtutibus, q. 1 a. 9 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65702] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur. Sed illud quod fit ex actibus nostris, non operatur Deus in nobis. Ergo virtus non causatur ex actibus nostris.

1. En effet, Augustin dit que «la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en nous sans nous.» Or, ce qui est fait par nos actes, Dieu ne le rйalise pas en nous. La vertu n’est donc pas causйe par nos actes.

[65703] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit : omnium infidelium vita peccatum est, et nihil est bonum sine summo bono, ubi deest cognitio veritatis, falsa est virtus etiam in optimis moribus. Ex quo habetur quod virtus non potest esse sine fide. Fides autem non est ex operibus nostris, sed ex gratia, ut patet Ephes. cap. II, 8 : gratia estis salvati per fidem, et non ex vobis : nec quis glorietur; Dei enim donum est. Ergo virtus non potest causari ex actibus nostris.

2. Augustin dit aussi : «La vie de tous les infidиles est pйchй, et rien n’est bon sans le bien suprкme ; lа oщ fait dйfaut la connaissance de la vйritй, la vertu est fausse, mкme lorsque le comportement est le meilleur.» On conclut de cela que la vertu ne peut exister sans la foi. Or, la foi ne compte pas parmi nos њuvres, mais elle vient de la grвce, comme cela ressort clairement de Ep 2, 8 : C’est par grвce que vous avez йtй sauvйs par la foi, et non par vous-mкmes. Que personne donc ne se glorifie, car elle est un don de Dieu. La vertu ne peut donc кtre causйe par nos actes.

[65704] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 3 Praeterea, Bernardus dicit, quod incassum quis ad virtutem laborat, nisi a domino eam sperandam putet. Quod autem speratur obtinendum a Deo, non causatur ex actibus nostris. Virtus ergo non causatur ex actibus nostris.

3. Bernard dit que c’est en vain que quelqu’un travaille pour la vertu, а moins qu’il ne pense pouvoir l’espйrer du Seigneur. Or, ce que nous espйrons obtenir de Dieu n’est pas causй par nos actes. La vertu n’est donc pas causйe par nos actes.

[65705] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 4 Praeterea, continentia est minus virtute, ut patet per philosophum in VII Ethic. Sed continentia non est in nobis nisi ex divino munere; dicitur enim Sapient. cap. VIII, 21 : scio quod non possum esse continens, nisi Deus det. Ergo nec virtutes possumus acquirere ex nostris actibus, sed solum ex dono Dei.

4. La continence est moins que la vertu, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Йthique, VII. Or, la continence n’existe en nous que par un don divin. En effet, il est dit dans Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis кtre continent, а moins que Dieu ne m’en fasse le don. Nous ne pouvons donc pas non plus acquйrir les vertus par nos actes, mais seulement par un don de Dieu.

[65706] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo non potest vitare peccatum sine gratia. Sed per virtutem vitatur peccatum; non enim potest esse homo simul vitiosus et virtuosus. Ergo virtus non potest esse sine gratia; non ergo potest acquiri ex actibus.

5. Augustin dit que l’homme ne peut йviter le pйchй sans la grвce. Or, le pйchй est йvitй par la vertu : en effet, un homme ne peut кtre en mкme temps vicieux et vertueux. La vertu ne peut donc exister sans la grвce. Elle ne peut donc кtre acquise par nos actes.

[65707] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 6 Praeterea, per virtutem pervenitur ad felicitatem. Nam felicitas virtutis est praemium, ut philosophus dicit in I Ethic. Si ergo ex actibus nostris acquiratur virtus, ex actibus nostris possumus pervenire ad vitam aeternam, quae est hominis ultima felicitas, sine gratia; quod est contra apostolum, Rom. VI, 23 : gratia Dei vita aeterna.

6. C’est par la vertu que l’on parvient а la fйlicitй, car la fйlicitй est la rйcompense de la vertu, comme le Philosophe le dit dans Йthique, I. Si donc la vertu est acquise par nos actes, nous pouvons parvenir par nos actes et sans la grвce а la vie йternelle, qui est l’ultime fйlicitй de l’homme. Ce qui est contraire а ce que dit l’Apфtre, Rm 6, 23 : La vie йternelle est une grвce de Dieu.

[65708] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 7 Praeterea, virtus computatur inter maxima bona, secundum Augustinum, Lib. de libero arbitrio, quia virtute nullus male utitur. Sed maxima bona sunt a Deo, secundum illud Iacob. I, 17 : omne datum optimum et omne donum perfectum de sursum est, descendens a patre luminum. Ergo videtur quod virtus non sit in nobis nisi ex dono Dei.

7. La vertu compte parmi les plus grands biens, selon Augustin, Sur le libre arbitre, car personne n’utilise mal la vertu. Or, les plus grands biens viennent de Dieu, selon ce passage de Jc 1, 17 : Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Pиre des lumiиres. Il semble donc que la vertu n’existe en nous que par un don de Dieu.

[65709] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. de libero arbitrio, nihil potest formare seipsum. Sed virtus est quaedam forma animae. Ergo homo non potest in se per suos actus causare virtutem.

8. Comme Augustin le dit, dans Sur le libre arbitre, rien ne peut se former soi-mкme. Or, la vertu est une certaine forme de l’вme. L’homme ne peut donc pas causer en lui-mкme la vertu par ses actes.

[65710] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 9 Praeterea, sicut intellectus a principio est in potentia essentiali ad scientiam, ita vis affectiva ad virtutem. Sed intellectus in potentia essentiali existens, ad hoc ut reducatur in actum scientiae, indiget motore extrinseco, scilicet doctore ad hoc quod scientiam acquirat in actu. Ergo similiter ad hoc quod homo virtutem acquirat, indiget aliquo agente exteriori, et non sufficiunt ad hoc actus proprii.

9. De mкme que l’intellect est au dйpart en puissance essentielle par rapport а la science, de mкme la puissance affective par rapport а la vertu. Or, l’intellect qui est en puissance essentielle, pour кtre amenй а l’acte de la science, a besoin d’un moteur extйrieur, а savoir, un enseignant, pour acquйrir la science en acte. De la mкme maniиre, pour que l’homme acquiиre la vertu, il a donc besoin d’un agent extйrieur, et ses propres actes ne suffisent pas.

[65711] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 10 Praeterea, acquisitio fit per receptionem. Actio autem non fit per receptionem, sed magis per emissionem vel exitum actionis ab agente. Ergo per hoc quod aliquid agimus, non acquiritur virtus in nobis.

10. L’acquisition se fait par rйception. Or, l’action ne se fait pas par rйception, mais plutфt par йmission ou par sortie de l’action de l’agent. Par le fait que nous faisons quelque chose, la vertu n’est donc pas acquise par nous.

[65712] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 11 Praeterea, si per actum nostrum virtus in nobis acquiritur; aut acquiritur per unum, aut per plures. Non per unum; quia ex uno non efficitur aliquis studiosus, ut dicitur II Ethic.; similiter etiam nec ex multis; quia multi actus, cum non sint simul, non possunt simul aliquem effectum inducere. Ergo videtur quod nullo modo virtus in nobis causetur ex actibus nostris.

11. Si la vertu est acquise en nous par notre acte, ou bien elle est acquise par un seul, ou bien [elle est acquise] par plusieurs. [Elle n’est pas acquise] par un seul, car quelqu’un ne devient pas studieux par un seul acte, comme il est dit dans Йthique, II. De mкme, [elle n’est pas acquise] par plusieurs, car plusieurs actes, lorsqu’ils ne sont pas simultanйs, ne peuvent produire un effet simultanйment. Il semble donc que la vertu ne soit d’aucune maniиre causйe en nous par nos actes.

[65713] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 12 Praeterea, Avicenna dicit, quod virtus est potentia essentialiter rebus attributa ad suas peragendas operationes. Sed id quod essentialiter attribuitur rei, non causatur ex actu eius. Ergo virtus non causatur ex actu habentis virtutem.

12. Avicenne dit que la vertu est une puissance attribuйe essentiellement aux choses en vue d’accomplir leurs actions. Or, ce qui est attribuй essentiellement а une chose n’est pas causй par son acte. La vertu n’est donc pas causйe par l’acte de celui qui possиde la vertu.

[65714] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 13 Praeterea, si virtus causatur ex actibus nostris : aut ex actibus virtuosis, aut ex actibus vitiosis. Non ex vitiosis quia illi magis destruunt virtutem; similiter nec ex virtuosis, quia illi praesupponunt virtutem. Ergo nullo modo causatur ex actibus nostris virtus in nobis.

13. Si la vertu est causйe par nos actes, ou bien c’est par les actes vertueux, ou bien par les actes vicieux. [Ce n’est pas par les actes] vicieux, car ceux-ci dйtruisent plutфt la vertu; de mкme, [ce n’est pas par les actes] vertueux, car ceux-ci prйsupposent la vertu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre causйe en nous par nos actes.

[65715] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 14 Sed dicendum, quod virtus causatur ex actibus virtuosis imperfectis.- Sed contra nihil agit ultra suam speciem. Si ergo actus praecedentes virtutem sunt imperfecti, videtur quod non possunt causare virtutem perfectam.

14. Mais on dira que la vertu est causйe par des actes vertueux imparfaits. – En sens contraire, rien n’agit au-delа de son espиce. Si donc les actes prйcйdant la vertu sont imparfaits, il semble qu’ils ne peuvent pas cause une vertu parfaite.

[65716] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 15 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in I caeli et mundi. Sed potentia est naturalis. Ergo virtus est naturalis, et non ex operibus acquisita.

15. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Du ciel et du monde, I. Or, la puissance est naturelle. La vertu est donc naturelle, et elle n’est pas acquise par des actes.

[65717] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 16 Praeterea, ut dicitur in II Ethic., virtus est quae bonum reddit habentem. Sed homo est bonus secundum suam naturam. Ergo virtus hominis est ei a natura, et non ex actibus acquisita.

16. Comme il est dit dans Йthique, II, la vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde. Or, l’homme est bon par sa nature. La vertu de l’homme lui vient donc de sa nature, et elle n’est pas acquise par ses actes.

[65718] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 17 Praeterea, ex frequentia actus naturalis non acquiritur novus habitus.

17. Par la rйpйtition d’un acte naturel un nouvel habitus n’est pas acquis.

[65719] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 18 Praeterea, omnia habent esse a sua forma. Sed gratia est forma virtutum : nam sine gratia virtutes dicuntur esse informes. Ergo virtutes sunt a gratia, et non ab actibus.

18. Toutes choses reзoivent leur кtre de leur forme. Or, la grвce est la forme des vertus, car, sans la grвce, les vertus sont appelйes informes. Les vertus viennent donc de la grвce, et non des actes.

[65720] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 19 Praeterea, secundum apostolum, 2 Cor. XII, 9, virtus in infirmitate perficitur. Sed infirmitas magis est passio quam actio. Ergo virtus magis causatur ex passione quam ex actibus.

19. Selon l’Apфtre, 2 Co 12, 9, la vertu se rйalise dans la faiblesse. Or, la faiblesse est plutфt une passion qu’une action. La vertu est donc plutфt causйe par une passion que par des actes.

[65721] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 20 Praeterea, cum virtus sit qualitas, mutatio quae est secundum virtutem, videtur esse alteratio : nam alteratio est motus in qualitate. Sed alteratio passio tantum est in parte animae sensitivae, ut patet per philosophum in VII Physic. Si ergo virtus acquiritur ex actibus nostris per quamdam passionem et alterationem; sequetur quod virtus sit in parte sensitiva : quod est contra Augustinum, qui dicit, quod est bona qualitas mentis.

20. Puisque la vertu est une qualitй, le changement qui se rйalise selon la vertu semble кtre une altйration, car l’altйration est un mouvement dans la qualitй. Or, l’altйration est une passion seulement dans la partie sensible de l’вme, comme cela ressort clairement du Philosophe, Physique, VII. Si donc la vertu est acquise par nos actes en vertu d’une certaine passion et altйration, il en dйcoulera que la vertu se situe dans la partie sensible, ce qui est contraire а Augustin, qui dit qu’elle est une bonne qualitй de l’esprit.

[65722] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 21 Praeterea, per virtutem habet aliquis rectam electionem de fine, ut dicitur X Ethicorum. Sed habere rectam electionem de fine, non videtur esse in potestate nostra : quia qualis unusquisque est, talis finis ei videtur, ut dicitur III Ethic. Hoc autem contingit nobis ex naturali complexione, vel ex impressione corporis caelestis. Ergo non est in potestate nostra acquirere virtutes : non ergo causantur ex actibus nostris.

21. Par la vertu, quelqu’un fait un choix droit а propos de la fin, comme il est dit dans Йthique, X. Or, faire un choix droit а propos de la fin ne semble pas кtre en notre pouvoir, car tel est chacun, telle la fin lui apparaоt, comme il est dit dans Йthique, III. Or, cela nous arrive en raison d’une complexion naturelle, ou par l’influence d’un corps cйleste. Il n’est donc pas en notre pouvoir d’acquйrir les vertus. Elles ne sont donc pas causйes par nos actes.

[65723] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 22 Praeterea, ea quae sunt naturalia, neque assuescimus neque dissuescimus. Sed quibusdam hominibus insunt naturales inclinationes ad aliqua vitia, sicut et ad virtutes. Ergo huiusmodi inclinationes non possunt tolli per assuetudinem actuum. Eis autem manentibus non possunt in nobis esse virtutes. Ergo virtutes non possunt in nobis acquiri per actus.

22. Nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel, ni ne nous en dйshabituons. Or, certains hommes possиdent des inclinations naturelles innйes envers certains vices, de mкme qu’а des vertus. Les inclinations de ce genre ne peuvent donc pas кtre enlevйes par l’accoutumance aux actes. Aussi longtemps que [ces inclinations] demeurent, il ne peut donc y avoir de vertus en nous. Les vertus ne peuvent donc pas кtre causйes en nous par des actes.

Cependant :

[65724] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Dionysius dicit, quod bonum est virtuosius quam malum. Sed ex malis actibus causantur in nobis habitus vitiorum. Ergo ex bonis actibus causantur in nobis habitus virtutum.

1. Denys dit que le bien est plus vertueux que le mal. Or, les habitus des vices sont causйs en nous par des mauvaises actions. Les habitus des vertus sont donc causйs en nous par des actes bons.

[65725] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in II Ethic., operationes sunt causae eius quod est nos studiosos esse. Hoc autem est per virtutem. Ergo virtus causatur in nobis ex actibus.

2. Selon le Philosophe, Йthique, II, des actions sont les causes du fait que nous sommes studieux. Or, cela est le fait de la vertu. La vertu est donc causйe en nous par des actes.

[65726] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 3 Praeterea, ex contrariis sunt generationes et corruptiones. Sed virtus corrumpitur ex malis actibus. Ergo ex bonis actibus generatur.

3. Les gйnйrations et les corruptions viennent des contraires. Or, la vertu est corrompue par les actes mauvais. Elle est donc engendrйe par les actes bons.

Rйponse :

[65727] De virtutibus, q. 1 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod cum virtus sit ultimum potentiae, ad quod quaelibet potentia se extendit ut faciat operationem, quod est operationem esse bonam; manifestum est quod virtus uniuscuiusque rei est per quam operationem bonam producit. Quia vero omnis res est propter suam operationem; unumquodque autem bonum est secundum quod bene se habet ad suum finem; oportet quod per virtutem propriam unaquaeque res sit bona, et bene operetur. Bonum autem proprium uniuscuiusque rei est aliud ab eo quod est proprium alterius : diversorum enim perfectibilium sunt diversae perfectiones; unde et bonum hominis est aliud a bono equi et a bono lapidis. Ipsius etiam hominis secundum diversas sui considerationes accipitur diversimode bonum. Non enim idem est bonum hominis in quantum est homo, et in quantum est civis. Nam bonum hominis in quantum est homo, est ut ratio sit perfecta in cognitione veritatis, et inferiores appetitus regulentur secundum regulam rationis : nam homo habet quod sit homo per hoc quod sit rationalis. Bonum autem hominis in quantum est civis, est ut ordinetur secundum civitatem quantum ad omnes : et propter hoc philosophus dicit, III Politic., quod non est eadem virtus hominis in quantum est bonus et hominis in quantum est bonus civis. Homo autem non solum est civis terrenae civitatis, sed est particeps civitatis caelestis Ierusalem, cuius rector est dominus, et cives Angeli et sancti omnes, sive regnent in gloria et quiescant in patria, sive adhuc peregrinentur in terris, secundum illud apostoli, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum, et domestici Dei, et cetera. Ad hoc autem quod homo huius civitatis sit particeps, non sufficit sua natura, sed ad hoc elevatur per gratiam Dei. Nam manifestum est quod virtutes illae quae sunt hominis in quantum est huius civitatis particeps, non possunt ab eo acquiri per sua naturalia; unde non causantur ab actibus nostris, sed ex divino munere nobis infunduntur. Virtutes autem quae sunt hominis in eo quod est homo, vel in eo quod est terrenae civitatis particeps, non excedunt facultatem humanae naturae; unde eas per sua naturalia homo potest acquirere, ex actibus propriis : quod sic patet. Dum enim aliquis habet naturalem aptitudinem ad perfectionem aliquam; si haec aptitudo sit secundum principium passivum tantum, potest eam acquirere; sed non ex actu proprio, sed ex actione alicuius exterioris naturalis agentis; sicut aer recipit lumen a sole. Si vero habeat aptitudinem naturalem ad perfectionem aliquam secundum activum principium et passivum simul; tunc per actum proprium potest ad illam pervenire; sicut corpus hominis infirmi habet naturalem aptitudinem ad sanitatem. Et quia subiectum est naturaliter receptivum sanitatis, propter virtutem naturalem activam quae inest ad sanandum, ideo absque actione exterioris agentis infirmus interdum sanatur. Ostensum est autem in praecedenti quaestione, quod aptitudo naturalis ad virtutem quam habet homo, est secundum principia activa et passiva; quod quidem ex ipso ordine potentiarum apparet. Nam in parte intellectiva est principium quasi passivum intellectus possibilis, qui reducitur in suam perfectionem per intellectum agentem. Intellectus autem in actu movet voluntatem : nam bonum intellectus est finis qui movet appetitum; voluntas autem mota a ratione, nata est movere appetitum sensitivum, scilicet irascibilem et concupiscibilem, quae natae sunt obedire rationi. Unde etiam manifestum est, quod quaelibet virtus faciens operationem hominis bonam, habet proprium actum in homine, qui sui actione potest ipsam reducere in actum; sive sit in intellectu, sive in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Diversimode tamen reducitur in actum virtus quae est in parte intellectiva, et quae est in parte appetitiva. Nam actio intellectus, et cuiuslibet cognoscitivae virtutis, est secundum quod aliqualiter assimilatur cognoscibili; unde virtus intellectualis fit in parte intellectiva, secundum quod per intellectum agentem fiunt species intellectae in ipsa vel actu vel habitu. Actio autem virtutis appetitivae consistit in quadam inclinatione ad appetibile; unde ad hoc quod fiat virtus in parte appetitiva, oportet quod detur ei inclinatio ad aliquid determinatum. Sciendum est autem, quod inclinatio rerum naturalium consequitur formam; et ideo est ad unum, secundum exigentiam formae : qua remanente, talis inclinatio tolli non potest, nec contraria induci. Et propter hoc, res naturales neque assuescunt aliquid neque dissuescunt; quantumcumque enim lapis sursum feratur nunquam hoc assuescet, sed semper inclinatur ad motum deorsum. Sed ea quae sunt ad utrumlibet, non habent aliquam formam ex qua declinent ad unum determinate; sed a proprio movente determinantur ad aliquid unum; et hoc ipso quod determinantur ad ipsum, quodammodo disponuntur in idem; et cum multoties inclinantur, determinantur ad idem a proprio movente, et firmatur in eis inclinatio determinata in illud, ita quod ista dispositio superinducta, est quasi quaedam forma per modum naturae tendens in unum. Et propter hoc dicitur, quod consuetudo est altera natura. Quia igitur vis appetitiva se habet ad utrumlibet; non tendit in unum nisi secundum quod a ratione determinatur in illud. Cum igitur ratio multoties inclinet virtutem appetitivam in aliquid unum, fit quaedam dispositio firmata in vi appetitiva, per quam inclinatur in unum quod consuevit; et ista dispositio sic firmata est habitus virtutis. Unde, si recte consideretur, virtus appetitivae partis nihil est aliud quam quaedam dispositio, sive forma, sigillata et impressa in vi appetitiva a ratione. Et propter hoc, quantumcumque sit fortis dispositio in vi appetitiva ad aliquid, non potest habere rationem virtutis, nisi sit ibi id quod est rationis. Unde et in definitione virtutis ponitur ratio : dicit enim philosophus, II Ethicorum, quod virtus est habitus electivus in mente consistens determinata specie, prout sapiens determinabit.

Puisque la vertu est le point ultime d’une puissance, vers lequel tend toute puissance pour accomplir son opйration, ce qui rend une action bonne, il est clair que la vertu de toute chose est celle par laquelle elle produit une bonne opйration. Comme toute chose chose existe en vue de son opйration, et que toute chose est bonne selon qu’elle a un bon rapport а sa fin, il est donc nйcessaire que toute chose soit bonne et agisse bien par sa propre vertu. Or, le bien propre de toute chose est diffйrent de celui qui est propre а une autre chose : en effet, les perfections des diverses choses perfectibles sont diverses. Le bien de l’homme est donc diffйrent de celui du cheval et du bien de la pierre. Et le bien de l’homme est aussi conзu diversement selon les maniиres diffйrentes de l’envisager. En effet, le bien de l’homme en tant qu’homme n’est pas le mкme que [celui de l’homme] en tant que citoyen. Car le bien de l’homme en tant qu’homme est que sa raison soit parfaite dans la connaissance de la vйritй et que ses appйtits infйrieurs soient dirigйs selon la rиgle de la raison, car l’homme est homme par le fait qu’il est raisonnable. Or, le bien de l’homme en tant que citoyen consiste en ce qu’il soit ordonnй par rapport а ce qui concerne tous selon la citй. C’est la raison pour laquelle le Philosophe dit, Politique, III, que la vertu de l’homme en tant qu’il est bon n’est pas la mкme que celle de l’homme en tant qu’il est un bon citoyen. Or, l’homme n’est pas seulement citoyen de la citй terrestre, mais il est membre de la citй cйleste de Jйrusalem, dont le dirigeant est le Seigneur, et les citoyens, les anges et tous les saints, soit qu’ils rиgnent dans la gloire et se reposent dans la patrie, soit qu’ils cheminent encore sur terre, selon ce que dit l’Apфtre, Ep 2, 19 : Vous кtes les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu, etc. Or, pour que l’homme soit membre de cette citй, sa nature ne suffit pas, mais il y est йlevй par la grвce de Dieu. Car il est clair que les vertus qui appartiennent а l’homme en tant qu’il est membre de cette citй ne peuvent pas кtre acquises par lui par ce qui relиve de sa nature. Elles ne sont donc pas causйes par nos actes, mais elles sont infusйes en nous par un don divin. Mais les vertus qui sont le fait de l’homme en tant qu’il est homme ou en tant qu’il est membre de la citй terrestre, ne dйpassent pas la capacitй de la nature humaine. L’homme peut donc les acquйrir par ce qui relиve de sa nature, par ses propres actes. Voici comment on le montre. En effet, lorsque quelqu’un possиde une aptitude naturelle а une certaine perfection, si cette aptitude n’existe que selon un principe passif seulement, il peut l’acquйrir, non par son acte, mais par l’action d’un agent extйrieur, comme l’air reзoit du soleil la lumiиre. Mais s’il a une aptitude naturelle а une perfection selon un principe а la fois actif et passif, il peut alors l’atteindre, comme le corps d’un homme malade possиde une aptitude naturelle а la santй. Et parce que le sujet est naturellement rйceptif par rapport а la santй, en raison de la puissance active qu’il possиde pour la guйrison, c’est pourquoi le malade est parfois guйri sans action d’un agent extйrieur. Or, on a montrй, dans la question prйcйdente, que l’aptitude naturelle а la vertu que possиde l’homme existe selon des principes actifs et passifs, ce qui se rйvиle par l’ordre mкme des puissances. Car, dans la partie intellective, existe le principe pour ainsi dire passif de l’intellect possible, qui est amenй а sa perfection par l’intellect agent. Or, l’intellect en acte meut la volontй, car le bien de l’intellect est la fin qui meut l’appйtit, et la volontй mue par la raison est naturellement disposйe а mouvoir l’appйtit sensible, а savoir, l’irascible et le concupiscible, qui sont naturellement disposйs а obйir а la raison. Il est donc aussi clair que toute vertu qui rend bonne l’opйration de l’homme a son acte propre а l’intйrieur de l’homme, qui peut l’amener а l’acte par sa propre action, qu’elle soit dans l’intellect, dans la volontй ou dans l’irascible et le concupiscible. Toutefois, la vertu qui se trouve dans la partie intellective est amenйe diffйremment а l’acte que celle qui se trouve dans la partie appйtitive. Car l’action de l’intellect et de toute puissance cognitive se rйalise par une certaine assimilation а ce qui est connaissable; aussi la vertu intellectuelle se rйalise-t-elle dans la partie intellective selon que, par l’intellect agent, les espиces deviennent intelligйes en elle, soit en acte, soit par habitus. Mais l’action de la puissance appйtitive consiste dans une certaine inclination а ce qui est appйtible; aussi, pour que se produise une vertu dans la partie appйtitive, est-il nйcessaire que lui soit donnйe une inclination а quelque chose de dйterminй. Or, il faut savoir que l’inclination des choses naturelles suit sa forme : c’est pourquoi elle n’est orientйe qu’а une seule chose, selon ce qu’exige la forme; aussi longtemps que celle-ci demeure, une telle inclination ne peut кtre йcartйe, ni une forme contraire кtre amenйe. C’est pourquoi les choses naturelles ne s’accoutument pas а une chose ni ne s’en dйsaccoutument : en effet, aussi souvent qu’une pierre sera lancйe en l’air, elle ne s’y accoutumera pas, mais elle sera toujours inclinйe а se mouvoir vers le bas. Mais les choses qui peuvent aller dans un sens ou l’autre ne possиdent pas de forme qui les inclinent а une seule chose de maniиre dйterminйe, mais elles sont mues par leur propre agent vers une seule chose, et par le fait qu’elles sont dйterminйes par rapport а celle-ci, elles y sont en quelque sorte disposйes. Et lorsqu’elles y sont inclinйes а plusieurs reprises, elles sont dйterminйes а la mкme chose par leur propre agent et l’inclination vers cette chose est affermie en elles, de telle sorte que cette disposition ajoutйe est comme une forme qui ressemble а une nature, qui tend а une seule chose. Pour cette raison, on dit que l’habitude est une seconde nature. Puisque la puissance appйtitive peut aller dans un sens ou l’autre, elle ne tend donc а une seule chose que selon qu’elle y est dйterminйe par la raison. Lorsque la raison incline а plusieurs reprises la puissance appйtitive а une seule chose, il se produit donc une certaine disposition affermie dans la puissance appйtitive, par laquelle elle est inclinйe а la seule chose а laquelle elle s’est habituйe, et cette disposition affermie est l’habitus de la vertu. Aussi, si on examine [la chose] correctement, la vertu de la partie appйtitive n’est rien d’autre qu’une certaine disposition ou forme, scellйe et imprimйe par la raison dans la puissance appйtitive. C’est pourquoi, aussi forte que soit une dispostion а quelque chose dans la puissance appйtitive, cela ne peut avoir raison de vertu, а moins que ne s’y trouve ce qui relиve de la raison. Aussi la raison est-elle mise dans la dйfinition de la vertu. En effet, le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu est un habitus йlectif rйsidant dans l’esprit selon une espиce dйterminйe, selon que le sage en aura dйterminй.

Solutions :

[65728] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de virtutibus secundum quod ordinantur ad aeternam beatitudinem.

1. Augustin parle des vertus selon qu’elles sont ordonnйes а la bйatitude йternelle.

[65729] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 2 Et sic dicendum ad secundum, tertium et quartum.

2-4. Il faut dire la mкme chose pour la deuxiиme, la troisiиme et la quatriиme objection.

[65730] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus acquisita facit declinare a peccato non semper, sed ut in pluribus : quia et ea quae naturaliter accidunt, ut in pluribus eveniunt. Nec propter hoc sequitur, quod simul aliquis sit virtuosus et vitiosus; quia unus actus potentiae neque habitum vitii neque habitum virtutis acquisitae tollit; et non potest per virtutem acquisitam declinare ab omni peccato. Non enim per eas vitatur peccatum infidelitatis; et alia peccata quae virtutibus infusis opponuntur.

5. La vertu acquise fait s’йcarter du pйchй non pas toujours, mais dans la plupart des cas, car mкme ce qui se produit naturellement arrive dans la plupart des cas. Il n’en dйcoule pas que quelqu’un soit en mкme temps vertueux et vicieux, car un seul acte d’une puissance n’enlиve ni l’habitus du vice ni l’habitus de la vertu acquise, et l’on ne peut s’йcarter de tout pйchй par la vertu acquise. En effet, le pйchй d’infidйlitй n’est pas йvitй par elles, ainsi que les autres pйchйs qui s’opposent aux vertus infuses.

[65731] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod per virtutes acquisitas non pervenitur ad felicitatem caelestem, sed ad quamdam felicitatem quam homo natus est acquirere per propria naturalia in hac vita secundum actum perfectae virtutis, de qua Aristoteles tractat in X Metaph.

6. On ne parvient pas а la fйlicitй йternelle par les vertus acquises, mais а une certaine fйlicitй que l’homme est destinй а acquйrir dans cette vie par ce qui lui naturellement propre, selon l’acte de la vertu parfaite, dont Aristote traite dans Mйtaphysique, X.

[65732] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus acquisita non est maximum bonum simpliciter, sed maximum in genere humanorum bonorum; virtus autem infusa est maximum bonum simpliciter, in quantum per eam homo ad summum bonum ordinatur, quod est Deus.

7. La vertu acquise n’est pas le plus grand bien tout simplement, mais le plus grand dans le genre des biens humains. Mais la vertu infuse est le plus grand bien tout simplement, dans la mesure oщ, par elle, l’homme est ordonnйe au bien suprкme qu’est Dieu.

[65733] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod idem secundum idem non potest seipsum formare. Sed quando in aliquo uno est aliquod principium activum et aliud passivum, seipsum formare potest secundum partes : ita scilicet quod una pars eius sit formans, et alia formata; sicut aliquid movet seipsum, ita quod una pars eius est movens, et alia mota, ut dicitur VIII Phys. Sic autem est in generatione virtutis ut ostensum est.

8. Une mкme chose ne peut se donner forme а elle-mкme selon une mкme chose. Mais lorsqu’il y a un principe actif et un autre passif, elle peut se donner forme selon ses parties, de telle sorte qu’une de ses parties donne la forme, et l’autre reзoive la forme, comme quelque chose se meut soi-mкme, de telle sorte qu’une de ses parties meut et une autre est mue, comme il est dit dans Physique, VIII. Il en est de mкme dans la gйnйration de la vertu, comme on l’a montrй.

 [65734] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut in intellectu scientia acquiritur non solum per inventionem, sed etiam per doctrinam, quae est ab alio; ita etiam in acquisitione virtutis homo iuvatur per correctionem et disciplinam, quae est ab alio; qua aliquis tanto minus indiget, quanto de se est magis dispositus ad virtutem; sicut et aliquis quanto perspicacioris est ingenii, tanto minus indiget exteriori doctrina.

9. De mкme que, dans l’intellect, la science est acquise non seulement par l’invention, mais aussi par l’enseignement, qui vient d’un autre, de mкme, pour l’acquisition de la vertu, l’homme est aidй par la correction et l’йducation, qui vient d’un autre. Quelqu’un en a d’autant moins besoin qu’il est davantage disposй а la vertu, de mкme que plus quelqu’un a un esprit perspicace, moins il a besoin d’enseignement extйrieur.

[65735] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad actionem hominis concurrunt virtutes activae et passivae; et licet a virtutibus, in quantum activae, fiat emissio, et in eis nihil recipiatur; tamen passivis in quantum passivae, competit acquirere aliquid per receptionem. Unde in potentia quae est tantum activa, ut in intellectu agente, non acquiritur aliquis habitus per actionem.

10. Les puissances actives et passives concourent а l’action de l’homme. Et bien que, par les puissances actives, en tant qu’elles sont passives, se produise une йmission et que rien ne soit reзue en elles, il convient cependant aux puissances passives, en tant qu’elles sont passives, d’acquйrir quelque chose par rйception. Aussi, dans la puissance qui est seulement active, comme c’est le cas pour l’intellect agent, un habitus n’est-il pas acquis par l’action.

[65736] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quanto actio agentis est efficacior, tanto velocius inducit formam. Et ideo videmus in intellectualibus, quod per unam demonstrationem, quae est efficax, causatur in nobis scientia; opinio autem, licet sit minor scientia, non causatur in nobis per unum syllogismum dialecticum; sed requiruntur plures propter eorum debilitatem. Unde et in agibilibus, quia operationes animae non sunt efficaces sicut in demonstrationibus, propter hoc quod agibilia sunt contingentia et probabilia, ideo unus actus non sufficit ad causandum virtutem, sed requiruntur plures. Et licet illi plures non sint simul, tamen habitum virtutis causare possunt : quia primus actus facit aliquam dispositionem, et secundus actus inveniens materiam dispositam adhuc eam magis disponit, et tertius adhuc amplius; et sic ultimus actus agens in virtute omnium praecedentium complet generationem virtutis, sicut accidit de multis guttis cavantibus lapidem.

11. Plus l’action d’un agent est efficace, plus rapidement elle mиne а la forme. C’est pourquoi nous voyons, en matiиre intellectuelle, que, par une seule dйmonstration qui est efficace, la science est causйe en nous ; mais l’opinion, bien qu’elle soit une science infйrieure, n’est pas causйe en nous par un seul syllogisme dialectique : en effet, plusieurs sont nйcessaires en raison de leur faiblesse. Aussi, en matiиre d’actions а poser, comme les opйrations de l’вme ne sont pas aussi efficaces que pour les dйmonstrations parce que les actes а poser sont contingents et probables, un seul acte ne suffit-il pas pour causer la vertu, mais plusieurs sont nйcessaires. Et bien que ces nombreux actes ne soient pas simultanйs, ils peuvent cependant causer un habitus de vertu, car le premier acte produit une certaine disposition, et le deuxiиme acte, trouvant une matiиre dйjа disposйe, la dispose encore davantage, et le troisiиme encore davantage. Et ainsi, le dernier acte, posй en vertu de tous les prйcйdents, achиve la gйnйration de la vertu, comme il arrive que de nombreuses gouttes creusent la pierre.

[65737] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Avicenna intendit definire virtutem naturalem, quae sequitur formam quae est principium essentiale; unde illa definitio non est ad propositum.

12. Avicenne entend dйfinir la vertu naturelle, qui dйcoule de la forme qui est un principe essentiel. Aussi cette dйfinition est-elle hors de propos.

[65738] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtus generatur ex actibus quodammodo virtuosis et quodammodo non virtuosis. Actus enim praecedentes virtutem, sunt quidem virtuosi quantum ad id quod agitur, in quantum scilicet homo agit fortia et iusta; non autem quantum ad modum agendi : quia ante habitum virtutis acquisitum non agit homo opera virtutis eo modo quo virtuosus agit, scilicet prompte absque dubitatione et delectabiliter absque difficultate.

13. La vertu est engendrйe par des actes qui sont vertueux d’une certaine maniиre et non vertueux d’une autre. En effet, les actes qui prйcиdent la vertu sont vertueux quant а l’action posйe, а savoir, pour autant que l’homme accomplit des actes forts et justes ; mais non quant au mode d’agir, car, avant que l’habitus de vertu ne soit acquis, l’homme n’accomplit pas les actes de vertu de la maniиre dont le vertueux les accomplit, а savoir, promptement, sans hйsitation, avec plaisir et sans difficultй.

[65739] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio est nobilior virtute generata in parte appetitiva, cum talis virtutis non sit nisi quaedam participatio rationis. Actus igitur qui virtutem praecedit, potest causare virtutem, in quantum est a ratione, a qua habet id quod perfectionis in ea est. Imperfectio enim eius est in potentia appetitiva, in qua nondum est causatus habitus, per quem homo delectabiliter et expedite id quod est ex imperio rationis consequatur.

14. La raison est plus noble que la vertu engendrйe dans la partie appйtitive, puisqu’une telle vertu n’est qu’une participation а la raison. L’acte qui prйcиde la vertu peut donc causer la vertu pour autant qu’il vient de la raison, de laquelle il tient ce qu’il y a de perfection en elle. En effet, son imperfection se trouve dans la puissance appйtitive oщ il n’y a pas encore d’habitus causй, par lequel l’homme suit avec plaisir et rapidement ce qui vient du commandemenet de la raison.

[65740] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus dicitur esse ultimum potentiae, non quia semper sit aliquid de essentia potentiae; sed quia inclinat ad id quod ultimo potentia potest.

15. On dit que la vertu est le point ultime de la puissance, non pas parce qu’elle est quelque chose de l’essence de la puissance, mais parce qu’elle incline а ce qui est ultimement possible а la puissance.

[65741] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod homo secundum naturam suam est bonus secundum quid, non autem simpliciter. Ad hoc autem quod aliquid sit bonum simpliciter, requiritur quod sit totaliter perfectum; sicut ad hoc quod aliquid sit pulchrum simpliciter requiritur quod in nulla parte sit aliqua deformitas vel turpitudo. Simpliciter autem et totaliter bonus dicitur aliquis ex hoc quod habet voluntatem bonam, quia per voluntatem homo utitur omnibus aliis potentiis. Et ideo bona voluntas facit hominem bonum simpliciter; et propter hoc virtus appetitivae partis secundum quam voluntas fit bona, est quae simpliciter bonum facit habentem.

16. L’homme est bon selon sa nature d’une maniиre relative, et non pas absolue. Pour que quelque chose soit bon de maniиre absolue, il est nйcessaire que cela soit entiиrement parfait, comme pour que quelque chose soit beau de maniиre absolue, il est nйcessaire qu’il n’y ait de difformitй ou de laideur dans aucune partie. On dit que quelqu’un est bon de maniиre absolue et totale du fait qu’il a une volontй bonne, car l’homme utilise toutes ses autres puissances par la volontй. C’est pourquoi la volontй bonne rend l’homme bon de maniиre absolue. Et, pour cette raison, la vertu de la partie appйtitive par laquelle la volontй est rendue bonne est celle qui rend l’homme bon de maniиre absolue.

[65742] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod actus qui sunt ante virtutem, possunt quidem dici naturales, secundum quod a naturali ratione procedunt, prout naturale dividitur contra acquisitum; non autem possunt naturales dici, prout naturale dividitur contra id quod est ex ratione. Sic autem dicitur quod naturalia non dissuescimus neque assuescimus, secundum quod natura contra rationem dividitur.

17. On peuet dire que les actes qui existent avant la vertu sont naturels selon qu’ils procиdent de la raison naturelle, selon que «naturel» est opposй а «acquis» ; mais on ne peut les appeler naturels selon que «naturel» s’oppose а ce qui vient de la raison. On dit ainsi que nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel ni ne nous en dйsaccoutumons, selon que «naturel» est opposй а la raison.

[65743] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod gratia dicitur esse forma virtutis infusae; non tamen ita quod ei det esse specificum; sed in quantum per eam informatur aliqualiter actus eius. Unde non oportet quod virtus politica sit per infusionem gratiae.

18. On dit que la grвce est la forme de la vertu infuse, non pas cependant parce qu’elle lui donne son кtre spйcifique, mais pour autant que son acte reзoit d’elle sa forme. Aussi n’est-il pas nйcessaire que la vertu politique exige l’infusion de la grвce.

[65744] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod virtus perficitur in infirmitate, non quia infirmitas causat virtutem, sed quia dat occasionem alicui virtuti, scilicet humilitati. Est etiam materia alicuius virtutis, scilicet patientiae, et etiam caritatis, in quantum aliquis infirmitati proximi subvenit. Et naturaliter est signum virtutis, quia tanto anima virtuosior demonstratur, quanto infirmius corpus ad actum virtutis movet.

19. La vertu se rйalise dans la faiblesse, non pas parce que la faiblesse cause la vertu, mais parce qu’elle fournit l’occasion а une vertu, а savoir, l’humilitй. Elle est aussi la matiиre d’une vertu, а savoir, la patience et aussi la charitй, dans la mesure oщ quelqu’un vient au secours de la faiblesse du prochain. Et elle est naturellement un signe de vertu parce que plus une вme se montre vertueuse, plus elle meut а l’acte de vertu un corps plus faible.

[65745] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod proprie loquendo non dicitur aliquid alterari secundum quod adipiscitur propriam perfectionem. Unde, cum virtus sit propria perfectio hominis, non dicitur homo alterari secundum quod acquirit virtutem; nisi forte per accidens secundum quod immutatio sensibilis partis animae in qua sunt animae passiones, pertinet ad virtutem.

20. А proprement parler, on ne dit pas qu’une chose est altйrйe du fait qu’elle obtient sa perfection propre. Puisque la vertu est la perfection propre de l’homme, on ne dit donc pas que l’homme est altйrй du fait qu’il acquiert une vertu, si ce n’est peut-кtre par accident, selon que le changement de la partie sensible de l’вme, dans laquelle se trouvent les passions de l’вme, relиve de la vertu.

[65746] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod homo potest dici qualis vel secundum qualitatem quae est in parte intellectiva : et sic non dicitur qualis ex naturali complexione corporis, neque ex impressione corporis caelestis, cum pars intellectiva sit absoluta ab omni corpore; vel potest dici homo qualis secundum dispositionem quae est in parte sensitiva : quae quidem potest esse ex naturali complexione corporis, vel ex impressione corporis caelestis. Tamen quia haec pars naturaliter obedit rationi, ideo potest per assuetudinem diminui, vel totaliter tolli.

21. On peut dire d’un homme qu’il est tel ou tel selon la qualitй qui se trouve dans la partie intellective : ainsi, on ne dit pas qu’il est tel en raison de la complexion de son corps, ni de l’influence d’un corps cйleste, puisque la partie intellective est indйpendante de tout corps. Ou bien l’on peut dire que l’homme est tel selon une disposition qui se trouve dans la partie sensible, ce qui peut arriver en raison de la complexion de son corps ou de l’influence d’un corps cйleste. Toutefois, puisque cette partie obйit naturellement а la raison, c’est pourquoi elle peut кtre diminuйe ou totalement enlevйe par l’habitude.

[65747] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 22 Et per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum; nam secundum hanc dispositionem quae est in parte sensitiva, dicuntur aliqui habere naturalem inclinationem ad vitium vel virtutem et cetera.

22. Par cela, la rйponse а la vingt-deuxiиme objection ressort clairement, car selon la disposition qui se trouve dans la partie sensible, on dit de certains qu’ils ont une inclination naturelle au vice ou а la vertu, etc.

 

Articulus 10 : [65748] De virtutibus, q. 1 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum sint aliquae virtutes homini ex infusione

Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ?

Objections :

[65749] De virtutibus, q. 1 a. 10 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65750] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 1 Quia in VII Physic. dicitur : unumquodque perfectum est quando attingit propriam virtutem. Propria autem virtus uniuscuiusque est eius naturalis perfectio. Ergo ad perfectionem hominis sufficit sibi virtus connaturalis. Haec autem est quae per principia naturalia causari potest. Non igitur requiritur ad perfectionem hominis quod habeat aliquam virtutem ex infusione.

1. Car il est dit, dans Physique, VII : «Chaque chose est parfaite lorsqu’elle atteint sa propre vertu.» Or, la vertu propre de chaque chose est sa perfection naturelle. Une vertu qui lui est connaturelle suffit donc а l’homme. Or, celle-ci est celle qui est causйe par ses principes naturels. Il n’est donc pas nйcessaire pour la perfection de l’homme qu’il reзoive quelque vertu par infusion.

[65751] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 2 Sed dicebatur, quod oportet hominem perfici per virtutem non solum in ordine ad connaturalem finem, sed etiam in ordine ad supernaturalem, qui est beatitudo vitae aeternae, ad quam ordinatur homo per virtutes infusas.- Sed contra, natura non deficit in necessariis. Sed illud quo indiget homo ad consecutionem ultimi finis, est sibi necessarium. Ergo hoc potest habere per principia naturalia; non ergo indiget ad hoc infusione virtutis.

2. Mais on disait qu’il est nйcessaire que l’homme soit perfectionnй par la vertu, non seulement par rapport а sa fin connaturelle, mais aussi par rapport а [sa fin] surnaturelle, qui est la bйatitude de la vie йternelle, а laquelle l’homme est ordonnйe par les vertus infuses. ­– En sens contraire : : la nature ne laisse pas dйpourvu pour les choses nйcessaires. Or, ce dont l’homme a besoin pour obtenir sa fin ultime lui est nйcessaire. Il peut donc l’avoir par ses principes naturels. L’homme n’a donc pas besoin pour cela de l’infusion d’une vertu.

[65752] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 3 Praeterea, semen agit in virtute eius a quo emittitur. Aliter enim semen animalis cum sit imperfectum, non posset sua actione perducere ad speciem perfectam. Sed semina virtutum sunt nobis immissa a Deo; ut enim dicitur in Glossa, Deus inseminavit omni animae initia intellectus et sapientiae. Ergo huiusmodi semina agunt in virtute Dei. Cum igitur ex huiusmodi seminibus causetur virtus acquisita, videtur quod virtus acquisita possit ducere ad fruitionem Dei, in qua consistit beatitudo vitae aeternae.

3. La semence agit par la puissance de celui dont elle provient. Autrement, la semence d’un animal, puisqu’elle est imparfaite, ne pourrait conduire par son action а une espиce parfaite. Or, les semences des vertus sont mises en nous par Dieu, comme il est dit dans la Glose : «Dieu a semй en toute вme les commencements de l’intelligence et de la sagesse.» Puisque la vertu acquise est causйe par les semences de ce genre, il semble que la vertu acquise puisse mener а la jouissance de Dieu, dans laquelle consiste la bйatitude de la vie йternelle.

[65753] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 4 Praeterea, virtus ordinat hominem ad beatitudinem vitae aeternae, in quantum est actus meritorius. Sed actus virtutis acquisitae potest esse meritorius vitae aeternae, si sit gratia informatus. Ergo ad beatitudinem vitae aeternae non est necessarium habere virtutes infusas.

4. La vertu ordonne l’homme а la bйatitude de la vie йternelle, pour autant qu’il s’agit d’un acte mйritoire. Or, l’acte de la vertu acquise peut кtre mйritoire de la vie йternelle, s’il reзoit forme de la grвce. Pour la bйatitude de la vie йternelle, il n’est donc pas nйcessaire qu’il y ait des vertus infuses.

[65754] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 5 Praeterea, radix merendi caritas est. Si igitur necessarium esset habere virtutes infusas ad merendum vitam aeternam, videtur quod sola caritas sufficeret; et ita non oportet habere aliquas alias virtutes infusas.

5. La racine du mйrite est la grвce. Si donc il est nйcessaire de possйder des vertus infuses pour mйriter la vie йternelle, il semble que seule la charitй suffirait. Et ainsi, il n’est pas nйcessaire d’avoir d’autres vertus infuses.

[65755] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 6 Praeterea, virtutes morales necessariae sunt ad hoc quod inferiores vires rationi subdantur. Sed per virtutes acquisitas sufficienter rationi subduntur. Non ergo necessarium est quod sint aliquae virtutes infusae morales ad hoc quod ratio ordinetur ad aliquem specialem finem; sed sufficit quod ratio hominis in illum supernaturalem finem dirigatur. Hoc autem sufficienter fit per fidem. Ergo non oportet habere aliquas alias virtutes infusas.

6. Les vertus morales sont nйcessaires pour que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. Or, elles sont suffisamment soumises а la raison par les vertus acquises. Il n’est donc pas nйcessaire qu’il y ait des vertus morales infuses pour que la raison soit ordonnйe а une fin particuliиre, mais la raison de l’homme suffit pour qu’il soit orientй vers cette fin surnaturelle. Or, cela se rйalise suffisamment par la foi. Il n’est donc pas nйcessaire de possйder d’autres vertus infuses.

[65756] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 7 Praeterea, id quod fit virtute divina, non differt specie ab eo quod fit operatione naturae. Eadem enim specie est sanitas quam aliquis miraculose recuperat, et quam natura operatur. Si igitur sit aliqua virtus infusa, quae a Deo esset in nobis, et aliqua acquisita per actus nostros, non propter hoc specie differrent; puta, si sit temperantia acquisita, et temperantia infusa. Duae autem formae quae sunt unius speciei, non possunt simul esse in eodem subiecto. Ergo non potest esse quod ille qui habet temperantiam acquisitam, habeat temperantiam infusam.

7. Ce qui est rйalisй par la puissance divine ne diffиre pas par l’espиce de ce qui est rйalisй par l’opйration de la nature. En effet, la santй que quelqu’un retrouve miraculeusement est de mкme espиce que celle que la nature rйalise. Si donc il existe une vertu infuse, qui serait en nous par l’intervention de Dieu, et une [vertu] acquise par nos actes, elles ne diffйreraient pas pour autant par l’espиce, par exemple, s’il existe une tempйrance acquise et une tempйrance infuse. Or, deux formes d’une seule espиce ne peuvent exister en mкme temps dans le mкme sujet. Il ne peut donc pas se faire que celui qui possиde la tempйrance acquise possиde la tempйrance infuse.

[65757] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 8 Praeterea, species virtutis ex actibus cognoscitur. Sed sunt idem specie actus temperantiae infusae et acquisitae. Ergo et virtutes specie eaedem. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in materia et forma, sunt unius speciei. Sed actus temperantiae infusae et acquisitae conveniunt in materia : uterque enim est circa delectabilia tactus; conveniunt etiam in forma, quia uterque in medietate consistit. Ergo actus temperantiae infusae et actus temperantiae acquisitae sunt eiusdem speciei.

8. L’espиce d’une vertu se reconnaоt а ses actes. Or, les actes de la tempйrance infuse et de [la tempйrance] acquise sont identiques par leur espиce. Les vertus sont donc les mкmes selon leur espиce. Dйmonstration de la mineure : tout ce qui a les mкmes matiиre et forme est d’une mкme espиce. Or, les actes de la tempйrance infuse et de [la tempйrance] acquise ont la mкme matiиre : en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Ils ont aussi la mкme forme, car les deux consistent dans un milieu. Les actes de la tempйrance infuse et les actes de la tempйrance acquise sont donc de la mкme espиce.

[65758] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 9 Sed dicendum, quod differunt specie, eo quod ordinantur ad alium et ad alium finem : ex fine enim sumuntur species in moralibus. Sed contra, secundum id aliqua possunt specie differre a quo sumitur species rei. Sed species in moralibus non sumitur a fine ultimo, sed a fine proximo : aliter enim omnes virtutes essent unius speciei, cum omnes ad beatitudinem ordinentur sicut ad ultimum finem. Ergo ex ordine ad ultimum finem non possunt dici in moralibus aliqua esse eiusdem speciei, vel specie differre; et ita temperantia infusa non differt specie a temperantia acquisita, ex hoc quod ordinat hominem in beatitudinem altiorem.

9. Mais elles diffиrent par l’espиce du fait qu’elles sont ordonnйes а une fin diffйrente : en effet, l’espиce se prend de la fin en matiиre morale. En sens contraire : : certaines choses peuvent diffйrer par l’espиce en raison de ce dont est tirйe l’espиce de la chose. Or, l’espиce en matiиre morale n’est pas tirйe de la fin ultime, mais de la fin prochaine, autrement, toutes les vertus auraient la mкme espиce, puisque toutes sont ordonnйes а la bйatitude comme а la fin ultime. On ne peut donc pas dire qu’en matiиre morale, certaines choses sont de la mкme espиce ou diffиrent par l’espиce selon leur rapport а la fin ultime. Et ainsi, la tempйrance infuse ne diffиre pas spйcifiquement de la tempйrance acquise par le fait qu’elle ordonne l’homme а une bйatitude plus йlevйe.

[65759] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 10 Praeterea, nullus habitus moralis consequitur speciem ex hoc quod ab aliquo habitu movetur. Contingit enim unum habitum moralem moveri vel imperari a diversis secundum speciem; sicut habitus intemperantiae movetur ab habitu avaritiae, cum quis moechatur ut furetur; ab habitu autem crudelitatis, cum quis moechatur ut occidat. Et e converso diversi habitus secundum speciem ab eodem habitu imperantur; puta cum unus moechatur ut furetur, alter vero occidit ut furetur. Sed temperantia vel fortitudo, aut aliqua aliarum virtutum moralium non habet actum ordinatum ad beatitudinem vitae aeternae, nisi in quantum imperatur a virtute quae ultimum finem habet pro obiecto. Ergo ex hoc non consequitur speciem; et ita per hoc virtus infusa moralis non differt specie a virtute acquisita per hoc quod ordinatur ad finem vitae aeternae.

10. Aucun habitus moral n’obtient son espиce par le fait qu’il est mы par un autre habitus. En effet, il arrive qu’un habitus moral soit mы ou commandй par des [habitus] diffйrents selon leur espиce, comme l’habitus d’intempйrance est mы par l’habitus d’avarice, lorsque quelqu’un commet l’adultиre en vue de voler; et par l’habitus de la cruautй, lorsque quelqu’un commet l’adultиre en vue de tuer. En sens inverse, des habitus diffйrents selon l’espиce sont commandйs par le mкme habitus, par exemple, lorsqu’un homme commet l’adultиre pour voler, et qu’un autre tue pour voler. Or, l’acte de la tempйrance ou de la force, ou d’aucune autre vertu morale, n’est ordonnй а la bйatitude de la vie йternelle que dans la mesure oщ il est commandй par la vertu qui a pour objet la vie йternelle. Il ne reзoit donc pas par lа son espиce. Et ainsi, la vertu morale infuse ne diffиre pas spйcifiquement de la vertu acquise par le fait qu’elle est ordonnйe а la fin de la vie йternelle.

[65760] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 11 Praeterea, virtus infusa est in mente sicut in subiecto : dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis, quam Deus in nobis sine nobis operatur. Sed virtutes morales non sunt in mente sicut in subiecto : nam temperantia et fortitudo sunt irrationabilium partium, ut philosophus dicit III Ethic. Ergo virtutes morales non sunt infusae.

11. La vertu infuse se trouve dans l’esprit comme dans son sujet. En effet, Augustin dit que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, que Dieu rйalise en nous sans nous. Or, les vertus morales ne se trouvent pas dans l’esprit comme dans leur sujet, car la tempйrance et la force appartiennent aux parties non raisonnables, comme le dit le Philosophe dans Йthique, III. Les vertus morales ne sont donc pas infuses.

[65761] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 12 Praeterea, contraria sunt unius rationis. Sed vitium quod est contrarium virtuti, nunquam infunditur, sed solum ex actibus nostris causatur. Ergo nec virtutes infunduntur, sed solum ex actibus nostris causantur.

12. Les contraires relиvent d’une seule raison. Or, le vice, qui est le contraire de la vertu, n’est jamais infus, mais est causй par nos actes seulement. Les vertus ne sont donc pas non plus infuses, mais sont causйes par nos seuls actes.

[65762] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 13 Praeterea, homo ante acquisitionem virtutis est in potentia ad virtutes. Sed potentia et actus sunt unius generis : omne enim genus dividitur per potentiam et actum, ut patet in III Physic. Cum ergo potentia ad virtutem non sit ex infusione, videtur quod nec virtus ex infusione sit.

13. Avant l’acquisition de la vertu, l’homme est en puissance par rapport а la vertu. Or, la puissance et l’acte appartiennent au mкme genre : en effet, tout genre se divise en puissance et en acte, comme cela ressort clairement de Physique, III. Puisque la puissance а la vertu ne vient pas d’une infusion, il semble donc que la vertu non plus ne vienne pas d’une infusion.

[65763] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 14 Praeterea, si virtutes infunduntur, oportet quod simul infunduntur. Cum gratia autem infunditur homini qui in peccato fuit, in actu; tunc non infunduntur sibi habitus virtutum moralium : adhuc enim post contritionem patitur passionum molestias; quod non est virtuosi, sed forte continentis : differt enim continens a temperato per hoc quod continens patitur quidem, sed non deducitur; temperatus autem non patitur, ut dicitur in VII Ethic. Ergo videtur quod virtutes non sint nobis ex infusione gratiae.

14. Si les vertus sont infusйes, il est nйcessaire qu’elles soient infusйes en mкme temps. Or, lorsque la grвce est infusйe dans l’homme qui йtait pйcheur en acte, les habitus des vertus morales ne sont pas infusйes en lui : en effet, aprиs la contrition, il souffre encore des tiraillements des passions, ce qui n’est pas le fait de l’homme vertueux, mais peut-кtre de celui qui est continent. En effet, l’homme continent diffиre de celui qui est tempйrant par le fait que l’homme continent souffre, mais ne cиde pas, alors que celui qui est tempйrant ne souffre pas, comme il est dit dans Йthique, VII. Il semble donc que les vertus ne se trouvent pas en nous par infusion de la grвce.

[65764] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 15 Praeterea, dicit philosophus II Ethic., quod signum generati habitus oportet accipere fientem in operatione delectationem. Sed post contritionem non statim delectabiliter aliquis operatur ea quae sunt virtutum moralium. Ergo nondum habet habitum virtutum; non ergo virtutes morales causantur in nobis ex infusione gratiae.

15. Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que le signe de l’habitus engendrй est que celui qui agit trouve plaisir dans l’action. Or, aprиs la contrition, quelqu’un n’accomplit pas aussitфt avec plaisir ce qui relиve des vertus morales. Il ne possиde donc pas encore l’habitus des vertus. Les vertus morales ne sont donc pas causйes en nous par l’infusion de la grвce.

[65765] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 16 Praeterea, ponamus quod in aliquo ex multis actibus malis causatus sit aliquis habitus vitiosus : manifestum est quod in uno actu contritionis dimittuntur sibi peccata et infunditur gratia. Per unum autem actum non destruitur habitus acquisitus, sicut nec per unum generatur. Cum igitur cum gratia simul infundantur virtutes morales, sequitur quod habitus virtutis moralis simul sit cum habitu vitii oppositi; quod est impossibile.

16. Supposons que, chez quelqu’un, ait йtй causй par de nombreux actes mauvais un habitus vicieux. Il est clair que, par un acte de contrition, ses pйchйs lui sont remis et que la grвce est infusйe. Or, l’habitus acquis n’est pas dйtruit par un seul acte, de mкme qu’il n’est pas engendrй par un seul. Puisque les vertus morales sont infusйes en mкme temps que la grвce, il en dйcoule que l’habitus d’une vertu morale existe en mкme temps que l’habitus du vice opposй, ce qui est impossible.

[65766] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 17 Praeterea, ex eodem generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur III Ethic. Si igitur virtus non causetur in nobis ex actibus nostris, videtur sequi quod neque ex actibus nostris corrumpatur; et ita sequitur quod aliquis peccando mortaliter non amittat virtutem : quod est inconveniens.

17. La vertu est engendrйe et corrompue par la mкme chose, comme il est dit dans Йthique, III. Si donc la vertu n’est pas causйe en nous par nos actes, il semble en dйcouler qu’elle n’est pas non plus corrompue par nos actes. Il en dйcoule ainsi que quelqu’un ne perd pas la vertu en pйchant mortellement, ce qui est incorrect.

[65767] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 18 Praeterea, idem videtur esse mos et consuetudo. Ergo et eadem est virtus moralis et consuetudinalis. Sed virtus consuetudinalis dicitur ex consuetudine; causatur enim ex frequenti bene agere. Ergo omnis virtus moralis causatur ex actibus, et non ex infusione gratiae.

18. La coutume [mos, moris] et l’habitude semblent кtre la mкme chose. Et donc aussi, la vertu morale et l’habitude. Or, la vertu est dite habituelle а partir de l’habitude : en effet, elle est causйe par le fait de bien agir frйquemment. Toute vertu morale est donc causйe par nos actes, et non par l’infusion de la grвce.

[65768] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 19 Praeterea, si aliquae virtutes sunt infusae, oportet quod earum actus sint efficaciores quam actus hominis non habentis virtutes. Sed ex huiusmodi actibus causatur aliquis habitus virtutis in nobis. Ergo et ex actibus virtutum infusarum, si aliquae sunt tales. Sed sicut dicitur II Ethic., quales sunt habitus, tales actus reddunt; et quales sunt actus, tales habitus causant. Habitus igitur causati ex actibus virtutum infusarum, sunt eiusdem speciei cum virtutibus infusis. Sequitur igitur quod duae formae eiusdem speciei sunt simul in eodem subiecto. Hoc est autem impossibile. Ergo impossibile videtur quod sint in nobis aliquae virtutes infusae.

19. Si certaines vertus sont infuses, il est nйcessaire que leurs actes soient plus efficaces que les actes d’un homme qui n’a pas [ces] vertus. Or, un habitus de vertu est causй en nous par les actes de ce genre, et donc aussi par les actes des vertus infuses, s’il en existe. Or, il est dit dans Йthique, II, que tels sont les habitus, tels ils rendent les actes; et que tels sont les actes, tels habitus ils causent. Les habitus causйs par les actes des vertus infuses sont donc de la mкme espиce que les vertus infuses. Il en dйcoule donc que deux formes de mкme espиce existent en mкme temps dans le mкme sujet. Or, cela est impossible. Il semble donc impossible qu’il existe en nous des vertus infuses.

Cependant :

[65769] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Lucae, XXIV, 49, dicitur : sedete hic in civitate donec induamini virtute ex alto.

1. Il est dit en Lc 24, 49 : Demeurez ici dans la ville, jusqu’а ce que vous soyez revкtus d’une vertu venue d’en haut.

[65770] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Sap., VIII, 7, de divina sapientia dicitur, quod sobrietatem et iustitiam docet, et cetera. Docet autem spiritus sapientiae virtutem, eam causando. Ergo videtur quod virtutes morales sint nobis infusae a Deo.

2. Il est dit de la sagesse divine, dans Sg 8, 7, qu’elle enseigne la sobriйtй et la justice, etc. Or, l’Esprit de sagesse enseigne la vertu en la causant. Il semble donc que les vertus morales soient infusйes en nous par Dieu.

[65771] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 3 Praeterea, actus virtutum quarumlibet debent esse meritorii, ad hoc quod per eas in beatitudinem ducamur. Sed meritum non potest esse nisi ex gratia. Ergo videtur quod virtutes causantur in nobis ex infusione gratiae.

3. Les actes de toutes les vertus doivent кtre mйritoires pour que nous soyons conduits par elles а la bйatitude. Or, le mйrite ne peut venir que de la grвce. Il semble donc que les vertus soient causйes en nous par l’infusion de la grвce.

Rйponse :

[65772] De virtutibus, q. 1 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod praeter virtutes acquisitas ex actibus nostris, sicut iam dictum est, oportet ponere alias virtutes in homine a Deo infusas. Cuius ratio hinc accipi potest, quod virtus, ut dicit philosophus, est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Secundum igitur quod bonum diversificatur in homine, oportet etiam quod et virtus diversificetur; sicut patet quod aliud est bonum hominis in quantum et homo, et aliud in quantum civis. Et manifestum est quod aliquae operationes possent esse convenientes homini in quantum est homo, quae non essent convenientes ei secundum quod est civis. Et propter hoc philosophus dicit in III Politic., quod alia est virtus quae facit hominem bonum, et alia quae facit civem bonum. Considerandum est autem, quod est duplex hominis bonum; unum quidem quod est proportionatum suae naturae; aliud autem quod suae naturae facultatem excedit. Cuius ratio est, quia oportet quod passivum consequatur perfectiones ab agente diversimode secundum diversitatem virtutis agentis; unde videmus quod perfectiones et formae quae causantur ex actione naturalis agentis, non excedunt naturalem facultatem recipientis : potentiae enim passivae naturali proportionatur virtus activa naturalis. Sed perfectiones et formae quae proveniunt ab agente supernaturali infinitae virtutis, quod Deus est, excedunt facultatem naturae recipientis. Unde anima rationalis, quae immediate a Deo causatur, excedit capacitatem suae materiae, ita quod materia corporalis non totaliter potest comprehendere et includere ipsam; sed remanet aliqua virtus eius et operatio in qua non communicat materia corporalis; quod non contingit de aliqua aliarum formarum quae causantur ab agentibus naturalibus. Sicut autem homo suam primam perfectionem, scilicet animam, acquirit ex actione Dei; ita et ultimam suam perfectionem, quae est perfecta hominis felicitas, immediate habet a Deo, et in ipso quiescit : quod quidem ex hoc patet quod naturale hominis desiderium in ullo alio quietari potest, nisi in solo Deo. Innatum est enim homini ut ex causatis desiderio quodam moveatur ad inquirendum causas; nec quiescit istud desiderium quousque perventum fuerit ad primam causam, quae Deus est. Oportet igitur quod, sicut prima perfectio hominis, quae est anima rationalis, excedit facultatem materiae corporalis; ita ultima perfectio ad quam homo potest pervenire, quae est beatitudo vitae aeternae, excedat facultatem totius humanae naturae. Et quia unumquodque ordinatur ad finem per operationem aliquam; et ea quae sunt ad finem, oportet esse aliqualiter fini proportionata; necessarium est esse aliquas hominis perfectiones quibus ordinetur ad finem supernaturalem, quae excedant facultatem principiorum naturalium hominis. Hoc autem esse non posset, nisi supra principia naturalia aliqua supernaturalia operationum principia homini infundantur a Deo. Naturalia autem operationum principia sunt essentia animae, et potentiae eius, scilicet intellectus et voluntas, quae sunt principia operationum hominis, in quantum huiusmodi; nec hoc esse posset, nisi intellectus haberet cognitionem principiorum per quae in aliis dirigeretur, et nisi voluntas haberet naturalem inclinationem ad bonum naturae sibi proportionatum; sicut in praecedenti quaestione dictum est. Infunditur igitur divinitus homini ad peragendas actiones ordinatas in finem vitae aeternae primo quidem gratia, per quam habet anima quoddam spirituale esse, et deinde fides, spes et caritas; ut per fidem intellectus illuminetur de aliquibus supernaturalibus cognoscendis, quae se habent in isto ordine sicut principia naturaliter cognita in ordine connaturalium operationum; per spem autem et caritatem acquirit voluntas quamdam inclinationem in illud bonum supernaturale ad quod voluntas humana per naturalem inclinationem non sufficienter ordinatur. Et sicut praeter ista principia naturalia requiruntur habitus virtutum ad perfectionem hominis secundum modum sibi connaturalem, ut supra dictum est; ita ex divina influentia consequitur homo, praeter praemissa supernaturalia principia, aliquas virtutes infusas, quibus perficitur ad operationes ordinandas in finem vitae aeternae.

En plus des vertus acquises par nos actes, comme on l’a dйjа dit, il est nйcessaire d’admettre d’autres vertus infusйes dans l’homme par Dieu. La raison peut en кtre saisie а partir du fait que, comme le dit le Philosophe, c’est la vertu qui rend bon celui qui la possиde et qui rend bon son acte. Selon que le bien se diffйrencie dans l’homme, il est donc nйcessaire que la vertu aussi se diffйrencie, comme il est clair qu’il existe un bien de l’homme en tant qu’homme, et un autre en tant qu’il est citoyen. Et il est clair que certaines opйrations peuvent convenir а l’homme en tant qu’il est homme, qui ne lui conviendraient pas en tant qu’il est citoyen. Pour cette raison, le Philosophe dit, dans Politique, III, qu’autre est la vertu qui rend l’homme bon, et autre celle qui fait le bon citoyen. Or, il faut observer qu’il existe un double bien de l’homme : l’un qui est proportionnй а sa nature; l’autre qui dйpasse la capacitй de sa nature. La raison en est qu’il est nйcessaire que ce qui reзoit reзoive les perfections de l’agent de maniиre diffйrente selon la diversitй de la puissance de l’agent. Ainsi voyons-nous que les perfections et les formes qui sont causйes par l’action d’un agent naturel ne dйpassent pas la capacitй naturelle de ce qui reзoit : en effet, la puissance active naturelle est proportionnйe а la puissance passive naturelle. Or, les perfections et les formes qui viennent d’un agent surnaturel d’une puissance infinie, qui est Dieu, dйpassent la capacitй de la nature de celui qui reзoit. Aussi l’вme raisonnable, qui est immйdiatement causйe par Dieu, dйpasse-t-elle la capacitй de sa matiиre, de telle sorte que la matiиre corporelle ne peut l’embrasser et l’enclore totalement, mais qu’il demeure en elle une certaine puissance et opйration que ne partage pas la matiиre corporelle; ce qui ne se produit pas pour l’une des autres formes qui sont causйes par les agents naturels. De mкme donc que l’homme reзoit sa premiиre perfection, а savoir, son вme, par l’action de Dieu, de mкme, tient-il immйdiatement de Dieu et se repose-t-il en lui pour sa perfection ultime, qui est la parfaite fйlicitй de l’homme. Pour sыr, cela ressort clairement dans le fait que le dйsir naturel de l’homme ne peut se reposer en personne d’autre qu’en Dieu seul. En effet, il est innй а l’homme d’кtre mы par un certain dйsir а rechercher la cause а partir des choses causйes, et ce dйsir ne se repose pas avant d’кtre parvenu а la cause premiиre, qui est Dieu. Il est donc nйcessaire que, de mкme que la premiиre perfection de l’homme, qui est l’вme raisonnable, dйpasse la capacitй de la matiиre corporelle, de mкme, la perfection ultime а la quelle l’homme peut parvenir, et qui est la bйatitude de la vie йternelle, dйpasse la capacitй de toute la nature humaine. Et parce que toute chose est ordonnйe а sa fin par une opйration, et que ce qui est ordonnй а une fin doit d’une certaine maniиre кtre proportionnй а la fin, il est nйcessaire qu’il existe certaines perfections de l’homme par lesquelles il est sera ordonnй а sa fin surnaturelle, [perfections] qui dйpassent la capacitй des principes naturels de l’homme. Or, cela ne peut se faire que si, en plus des principes naturels, certains principes surnaturels de ses opйrations sont infusйs dans l’homme par Dieu. Or, les principes naturels des opйrations sont l’essence de l’вme et ses puissances, а savoir, l’intellect et la volontй, qui sont les principes des opйrations de l’homme en tant que tel; et cela ne pourrait pas non plus exister si l’intellect n’avait une connaissance des principes par lesquels elle sera dirigйe vers d’autres choses, et si la volontй n’avait une inclination naturelle au bien naturel qui lui est proportionnй, comme on l’a dit dans la question prйcйdente. Premiиrement, Dieu infuse donc dans l’homme, pour qu’il accomplise les actions ordonnйes а la fin de la vie йternelle, la grвce, par laquelle l’вme obtient, en quelque sorte, d’exister spirituellement; puis la foi, l’espйrance et la charitй, afin que, par la foi, l’intellect soit йclairй sur certaines rйalitйs surnaturelles qu’il doit connaоtre, qui jouent dans cet ordre le rфle des principes connus naturellement dans l’ordre des opйrations connaturelles; par l’espйrance et par la charitй, la volontй acquiert une certaine inclination vers ce bien surnaturel auquel la volontй humaine n’est pas suffisamment ordonnйe par inclination naturelle. Et de mкme qu’en plus de ces principes naturels, sont requis les habitus des vertus pour la perfection de l’homme selon un mode qui lui est connaturel, comme on l’a dit plus haut, de mкme, par une imprйgnation [influentia] divine, l’homme obtient-il, en plus des principes surnaturels dйjа mentionnйs, des vertus infuses, par lesquelles il est perfectionnй en vue d’ordonner ses opйrations vers la fin de la vie йternelle.

Solutions :

[65773] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut secundum primam perfectionem homo est perfectus dupliciter; uno modo secundum nutritivam et sensitivam, quae quidem perfectio non excedit capacitatem materiae corporalis; alio modo secundum partem intellectivam, quae naturalem et corporalem excedit : et secundum hanc simpliciter est homo perfectus, primo autem modo secundum quid; ita et quantum ad perfectionem finis, dupliciter homo potest esse perfectus : uno modo secundum capacitatem suae naturae, alio modo secundum quamdam supernaturalem perfectionem : et sic dicitur homo perfectus esse simpliciter; primo autem modo secundum quid. Unde duplex competit virtus homini; una quae respondet primae perfectioni, quae non est completa virtus; alia quae respondet suae perfectioni ultimae : et haec est vera et perfecta hominis virtus.

1. Selon la premiиre perfection de l’homme, l’homme est parfait de deux maniиres : l’une, selon [les parties] nutritive et sensible, perfection qui ne dйpasse pas la capacitй de la matiиre corporelle; l’autre, selon la partie intellective, qui dйpasse [la partie] naturelle et corporelle, l’homme йtant, selon celle-ci, tout simplement parfait, alors que, selon le premier mode, [il ne l’est que] de maniиre relative. De mкme, quant а la perfection de la fin, l’homme peut кtre parfait de deux maniиres : l’une, selon la capacitй de sa nature; l’autre, selon une certaine perfection surnaturelle. De cette [seconde] maniиre, l’homme est appelй tout simplement parfait, mais de la premiиre maniиre, de maniиre relative. Aussi une double vertu se rencontre-t-elle chez l’homme : l’une, qui rйpond а la premiиre perfection, qui n’est pas un vertu complиte; l’autre, qui rйpond а sa perfection ultime, et celle-ci est la vйritable et parfaite vertu de l’homme.

[65774] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura providit homini in necessariis secundum suam virtutem; unde respectu eorum quae facultatem naturae non excedunt, habet homo a natura non solum principia receptiva, sed etiam principia activa. Respectu autem eorum quae facultatem naturae excedunt, habet homo a natura aptitudinem ad recipiendum.

2. La nature pourvoit l’homme du nйcessaire selon sa nature. Aussi, par rapport а ce qui ne dйpasse pas la capacitй de la nature, l’homme possиde-t-il par nature, non seulement des principes rйceptifs, mais aussi des principes actifs. Mais par rapport а ce qui dйpasse la capacitй de la nature, l’homme reзoit de la nature une aptitude а recevoir.

[65775] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod semen hominis agit secundum totam virtutem hominis. Semina autem virtutum animae humanae naturaliter indita non agunt secundum totam virtutem Dei; unde non sequitur quod ex eis possit causari quidquid potest causare Deus.

3. La semence de l’homme agit selon toute la puissance de l’homme. Mais les semences naturellement innйes des vertus de l’вme humaine n’agissent pas selon toute la puissance de Dieu. Aussi n’en dйcoule-t-il pas que puisse кtre causй par elles tout ce que Dieu peut causer.

[65776] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum nullum meritum sit sine caritate, actus virtutis acquisitae, non potest esse meritorius sine caritate. Cum caritate autem simul infunduntur aliae virtutes; unde actus virtutis acquisitae non potest esse meritorius nisi mediante virtute infusa. Nam virtus ordinata in finem inferiorem non facit actus ordinatum ad finem superiorem, nisi mediante virtute superiori; sicut fortitudo, quae est virtus hominis qua homo, non ordinat actum suum ad bonum politicum, nisi mediante fortitudine quae est virtus hominis in quantum est civis.

4. Comme il n’existe aucun mйrite sans la charitй, l’acte de la vertu acquise ne peut кtre mйritoire sans la charitй. Mais, avec la charitй, sont infusйes les autres vertus; aussi l’acte de la vertu acquise ne peut-il кtre mйritoire que par l’intermйdiaire de la vertu infuse. Car la vertu ordonnйe а une fin infйrieure ne produit pas un acte ordonnй а une fin supйrieure, si ce n’est par l’intermйdiaire d’une vertu supйrieure, comme la force, qui est une vertu de l’homme en tant qu’homme, n’ordonne son acte au bien politique que par l’intermйdiaire de la force qui une vertu de l’homme en tant que citoyen.

[65777] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando aliqua actio procedit ex pluribus agentibus ad invicem ordinatis, eius perfectio et bonitas impediri potest per impedimentum unius agentium, etiam si aliud fuerit perfectum : quantumcumque enim artifex sit perfectus, non faciet operationem perfectam, si instrumentum fuerit defectivum. In operationibus autem hominis quas oportet bonas fieri per virtutem, hoc considerandum est : quod actio superioris potentiae non dependet ab inferiori potentia; sed actio inferioris dependet a superiori. Et ideo ad hoc quod actus inferiorum virium sint perfecti, scilicet irascibilis et concupiscibilis, requiritur quod non solum intellectus sit ordinatus in finem ultimum per fidem, et voluntas per caritatem; sed etiam quod inferiores vires, scilicet irascibilis et concupiscibilis, habeant proprias operationes, ad hoc quod earum actus sint boni, et ordinabiles in finem ultimum.

5. Lorsqu’une action est issue de plusieurs agents ordonnйs les uns aux autres, sa perfection et sa bontй peuvent кtre empкchйes par l’empкchement d’un seul des agents, mкme si un autre est parfait : en effet, aussi parfait que soit l’artisan, il ne fera pas une opйration parfaite si l’instrument est dйficient. Or, dans les opйrations de l’homme qui peuvent кtre rendues bonnes par la vertu, il faut observer que l’action de la puissance supйrieure ne dйpend pas d’une puissance infйrieure, mais que l’action d’une [puissance] infйrieure dйpend d’une [puissance] supйrieure. C’est pourquoi, pour que les actes des puissances infйrieures, а savoir, l’irascible et le concupiscible, soient parfaits, il est nйcessaire, non seulement que la foi soit ordonnйe а la fin ultime par la foi et la volontй par la charitй, mais aussi que les puissances infйrieures, а savoir l’irascible et le concupiscible, aient leurs opйrations propres, pour que leurs actes soient bons et puissent кtre ordonnйs а la fin ultime.

[65778] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 6 Unde etiam patet solutio ad sextum.

6. La solution а la sixiиme objection est ainsi claire.

 [65779] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omnem formam quam operatur natura, potest etiam eamdem specie Deus operari per seipsum sine operatione naturae : et secundum hoc, sanitas quae a Deo miraculose perficitur, est eiusdem speciei cum sanitate quam facit natura. Unde non sequitur quod omnem formam quam Deus potest facere, possit etiam natura perficere; unde non oportet quod virtus infusa, quae est immediate a Deo, sit eiusdem speciei cum virtute acquisita.

7. Dieu peut rйaliser par lui-mкme, sans opйration de la nature, toute forme que la nature rйalise. Et ainsi, la santй qui est miraculeusement rйalisйe par Dieu est de la mкme espиce que la santй que rйalise la nature. Aussi n’en dйcoule-t-il pas que la nature puisse rйaliser toute forme que Dieu peut faire. Il n’est pas nйcessaire que la vertu infuse, qui vient immйdiatement de Dieu, soit de la mкme espиce que la vertu acquise.

[65780] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod temperantia infusa et acquisita conveniunt in materia, utraque enim est circa delectabilia tactus; sed non conveniunt in forma effectus vel actus : licet enim utraque quaerat medium, tamen alia ratione requirit medium temperantia infusa quam temperantia acquisita. Nam temperantia infusa exquirit medium secundum rationes legis divinae, quae accipiuntur ex ordine ad ultimum finem; temperantia autem acquisita accipit medium secundum inferiores rationes, in ordine ad bonum praesentis vitae.

8. La temperance infuse et [la tempйrance] acquise ont en commun une matiиre : en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Mais elles n’ont pas en commun la forme de l’effet ou de l’acte. En effet, bien que les deux recherchent un milieu, la tempйrance infuse recherche un milieu pour une autre raison que la tempйrance acquise. Car la tempйrance infuse recherche un milieu selon les raisons de la loi divine, qui sont prises de l’ordre а la fin ultime; mais la tempйrance acquise reзoit un milieu selon des raison infйrieures, par rapport au bien de la vie prйsente.

[65781] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ultimus finis non dat speciem in moralibus nisi quatenus in fine proximo est debita proportio ad ultimum finem; oportet enim ea quae sunt ad finem, esse proportionata fini. Et hoc etiam bonitas consilii requirit, ut quis convenienti medio finem sortiatur, ut patet per philosophum VI Metaph.

9. La fin ultime ne donne pas l’espиce en matiиre morale si ce n’est dans la mesure oщ, dans la fin prochaine, existe une proportion adйquate а la fin ultime : en effet, il est nйcessaire que ce qui est ordonnй а la fin soit proportionnй а la fin. Et la bontй du conseil exige aussi cela, afin que quelqu’un atteigne la fin par un moyen convenable, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Mйtaphysique, VI.

[65782] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod actus alicuius habitus, prout imperatur ab illo habitu, accipit quidem speciem moralem, formaliter loquendo, de ipso actu; unde cum quis fornicatur ut furetur, actus iste licet materialiter sit intemperantiae, tamen formaliter est avaritiae. Sed licet actus intemperantiae accipiat aliqualiter speciem, prout imperatur ab avaritia; non tamen ex hoc intemperantia speciem accipit secundum quod actus est ab avaritia imperatus. Ex hoc ergo quod actus temperantiae vel fortitudinis imperantur a caritate ordinante eos in ultimum finem; ipsi quidem actus formaliter speciem sortiuntur : nam formaliter loquendo fiunt actus caritatis; non tamen ex hoc sequeretur quod temperantia vel fortitudo speciem sortiantur. Non igitur temperantia et fortitudo infusae differunt specie ab acquisitis ex hoc quod imperantur a caritate earum actus; sed ex hoc quod earum actus secundum eam rationem sunt in medio constituti, prout ordinabiles ad ultimum finem qui est caritatis obiectum.

10. L’acte d’un habitus, pour autant qu’il est commandй par cet habitus, reзoit son espиce morale, а parler formellement, de l’acte lui-mкme. Aussi, lorsque quelqu’un fornique en vue de voler, cet acte, bien qu’il soit matйriellement un acte d’intempйrance, est cependant formellement un acte d’avarice. Mais bien que l’acte d’intempйrance reзoive d’une certaine faзon son espиce pour autant qu’il est commandй par l’avarice, l’intempйrance ne reзoit cependant pas son espиce par le fait que l’acte est commandй par l’avarice. Du fait qu’un acte de tempйrance ou de force est commandй par la charitй qui les ordonne а la fin ultime, ces actes mкmes reзoivent formellement leur espаce, car, а parler formellement, ils deviennent des actes de charitй; toutefois il n’en dйcoulerait pas que la tempйrance ou la force en reзoivent leur espиce. La tempйrance et la force infuses ne diffиrent donc pas spйcifiquement de [la tempйrance et de la force] acquises par le fait que leurs actes sont commandйs par la charitй, mais par le fait que leurs actes sont йtablis selon la raison dans un milieu, consitant en ce qu’ils peuvent кtre ordonnйs а la fin ultime qui est l’objet de la charitй.

[65783] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod temperantia infusa est in irascibili, irascibilis autem et concupiscibilis sic accipiunt nomen rationis vel rationalis, in quantum participant aliqualiter ratione, in quantum obediunt ei. Illa ergo secundum eumdem modum accipiunt nomen mentis, prout obediunt menti; ut verum sit quod Augustinus dicit, quod virtus infusa est bona qualitas mentis.

11. La tempйrance infuse se trouve dans l’irascible, mais l’irascible et le concupiscible prennent le nom de raison ou de raisonnable pour autant qu’ils participant d’une certaine maniиre а la raison, dans la mesure oщ ils lui obйissent. De la mкme maniиre, les choses qui obйissent а l’esprit prennent le nom d’esprit, de sorte que ce que dit Augustin est vrai, que la vertu infuse est une bonne qualitй de l’esprit.

[65784] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod vitium hominis est per hoc quod ad inferiora reducitur; sed virtus eius est per hoc quod in superiora elevatur; et ideo vitium non potest esse ex infusione, sed solum virtus.

12. Le vice de l’homme consiste en ce qu’il soit ramenй aux choses infйrieures. Mais sa vertu consiste en ce par quoi il est йlevй aux choses supйrieures. C’est pourquoi il ne peut y avoir de vice par infusion, mais seulement une vertu.

[65785] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quando aliquod passivum natum est consequi diversas perfectiones a diversis agentibus ordinatis, secundum differentiam et ordinem potentiarum activarum in agentibus, est differentia et ordo potentiarum passivarum in passivo; quia potentiae passivae respondet potentia activa : sicut patet quod aqua vel terra habet aliquam potentiam secundum quam nata est moveri ab igne; et aliam secundum quam nata est moveri a corpore caelesti; et ulterius aliam secundum quam nata est moveri a Deo. Sicut enim ex aqua vel terra potest aliquid fieri virtute corporis caelestis, quod non potest fieri virtute ignis; ita ex eis potest aliquid fieri virtute supernaturalis agentis quod non potest fieri virtute alicuius naturalis agentis; et secundum hoc dicimus, quod in tota creatura est quaedam obedientialis potentia, prout tota creatura obedit Deo ad suscipiendum in se quidquid Deus voluerit. Sic igitur et in anima est aliquid in potentia, quod natum est reduci in actum ab agente connaturali; et hoc modo sunt in potentia in ipsa virtutes acquisitae. Alio modo aliquid est in potentia in anima quod non est natum educi in actum nisi per virtutem divinam; et sic sunt in potentia in anima virtutes infusae.

13. Lorsque ce qui est passif est destinй а recevoir diverses perfections de divers agents ordonnйs, il existe dans ce qui est passif une diffйrence et un ordre entre les puissances passives, conforme а la diffйrence et а l’ordre des puissances actives, car la puissance active correspond а la puissance passive. Ainsi, il est clair que l’eau ou la terre possиdent une certaine puissance qui les destine а кtre mues par le feu, une autre selon laquelle elles sont destinйes а кtre mues par un corps cйleste, et une autre encore selon laquelle elles sont destinйes а кtre mues par Dieu. En effet, de mкme que quelque chose peut кtre fait а partir de l’eau ou de la terre par la puissance d’un corps cйleste, qui ne peut кtre rйalisй par la puissance du feu, de mкme quelque chose peut кtre rйalisй par la puissance d’un agent surnaturel, qui ne peut кtre accompli par la puissance d’un agent naturel. Pour cette raison, nous disons qu’en toute crйature, existe une certaine puissance obйdientielle, au sens oщ toute crйature obйit а Dieu pour recevoir en elle tout ce que Dieu voudra. Ainsi donc, il existe aussi dans l’вme quelque chose en puissance, qui est destinй а кtre amenй а l’acte par un agent connaturel, et, de cette maniиre, les vertus acquises existent en puissance en elle. D’une autre maniиre, il existe dans l’вme quelque chose qui n’est destinй а кtre amenй а l’acte que par la puissance divine, et ainsi existent dans l’вme les vertus infuses.

[65786] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod passiones ad malum inclinantes non totaliter tolluntur neque per virtutem acquisitam neque per virtutem infusam, nisi forte miraculose; quia semper remanet colluctatio carnis contra spiritum, etiam post moralem virtutem; de qua dicit apostolus, Gal., V, 17, quod caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem. Sed tam per virtutem acquisitam quam infusam huiusmodi passiones modificantur, ut ab his homo non effrenate moveatur. Sed quantum ad aliquid praevalet in hoc virtus acquisita, et quantum ad aliquid virtus infusa. Virtus enim acquisita praevalet quantum ad hoc quod talis impugnatio minus sentitur. Et hoc habet ex causa sua : quia per frequentes actus quibus homo est assuefactus ad virtutem, homo iam dissuevit talibus passionibus obedire, cum consuevit eis resistere; ex quo sequitur quod minus earum molestias sentiat. Sed praevalet virtus infusa quantum ad hoc quod facit quod huiusmodi passiones etsi sentiantur, nullo tamen modo dominentur. Virtus enim infusa facit quod nullo modo obediatur concupiscentiis peccati; et facit hoc infallibiliter ipsa manente. Sed virtus acquisita deficit in hoc, licet in paucioribus, sicut et aliae inclinationes naturales deficiunt in minori parte; unde apostolus, Rom., VII, 5 : cum essemus in carne, passiones peccatorum quae per legem erant, operabantur in membris nostris, ut fructificarent morti; nunc autem soluti sumus a lege mortis in qua detinebamur, ita ut serviamus in novitate spiritus, et non in vetustate litterae.

14. Les passions qui inclinent au mal ne sont totalement enlevйes ni par la vertu acquise, ni par la vertu infuse, si ce n’est par miracle; car la lutte de la chair contre l’esprit demeure toujours, mкme aprиs la vertu morale. L’Apфtre Paul en parle dans Ga 5, 17 : La chair convoite а l’encontre de l’esprit, mais l’esprit contre la chair. Mais ces passions sont rйglйes tant par la vertu acquise que par [la vertu] infuse, de sorte que l’homme ne soit pas mы par elles de maniиre effrйnйe. Mais, sur un point, la vertu acquise l’emporte, et sur un autre, la vertu infuse. En effet, la vertu acquise l’emporte parce qu’elle fait en sorte que ce combat est moins ressenti. Et elle tient cela de sa cause, car par les actes frйquents par lesquels l’homme s’est accoutumй а la vertu, l’homme a ainsi perdu l’habitude d’obйir а ces passions, puisqu’il a pris l’habitude de leur rйsister, d’oщ il dйcoule qu’il ressent moins leurs tourments. Mais la vertu infuse l’emporte parce qu’elle fait en sorte que mкme si ces passions sont ressenties, toutefois elles ne l’emportent aucunement. En effet, la vertu infuse fait qu’on n’obйit aucunement aux convoitises du pйchй, et elle fait cela d’une maniиre infaillible aussi longtemps qu’elle demeure. Mais la vertu acquise est dйficiente sur ce point, bien que chez un plus petit nombre, comme sont dйficientes les autres inclinations naturelles chez une minoritй. Aussi l’Apфtre dit-il en Rm 7, 5 : Lorsque nous йtions dans la chair, les passions des pйchйs, qui existaient en raison de la loi, agissaient dans nos membres pour porter un fruit de mort. Mais maintenant, nous sommes libйrйs de la loi de mort par laquelle nous йtions dйtenus, afin de servir dans la nouveautй de l’esprit, et non dans la vйtustй de la lettre.

[65787] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod quia a principio virtus infusa non semper ita tollit sensum passionum sicut virtus acquisita, propter hoc a principio non ita delectabiliter operatur. Non tamen hoc est contra rationem virtutis, quia quandoque ad virtutem sufficit sine tristitia operari; nec requiritur quod delectabiliter operetur propter molestias quae sentiuntur; sicut philosophus dicit III Ethic., quod forti sufficit sine tristitia operari.

15. Parce qu’au dйbut, la vertu infuse n’enlиve pas autant la perception des passions que la vertu acquise, pour cette raison, elle n’est pas accomplie aussi agrйablement au dйbut. Toutefois, cela ne va pas а l’encontre de la raison de vertu, car il suffit parfois pour la vertu d’agir sans tristesse, et il n’est pas nйcessaire d’agir avec plaisir, en raison des dйsagrйments qui sont йprouvйs. Ainsi, le Philosophe dit, dans Йthique, III, qu’il suffit pour le fort d’agir sans tristesse.

[65788] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet per actum unum simplicem non corrumpatur habitus acquisitus, tamen actus contritionis habet quod corrumpat habitum vitii generatum ex virtute gratiae; unde in eo qui habuit habitum intemperantiae, cum conteritur, non remanet cum virtute temperantiae infusa habitus intemperantiae in ratione habitus, sed in via corruptionis, quasi dispositio quaedam. Dispositio autem non contrariatur habitui perfecto.

16. Bien que l’habitus acquis ne soit pas corrompu par un seul acte propre, l’acte de contrition fait cependant en sorte de corrompre, par la puissance de la grвce, l’habitus du vice engendrй. Aussi, chez celui qui avait l’habitus d’intempйrance, lorsqu’il est contrit, l’habitus d’intempйrance ne reste-t-elle pas selon la raison d’habitus avec la vertu infuse de tempйrance, mais comme tendance а la corruption, comme une certaine disposition. Or, une disposition n’est pas contraire а un habitus parfait.

[65789] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet virtus infusa non causetur ex actibus, tamen actus possunt ad eam disponere; unde non est inconveniens quod per actus corrumpatur; quia per indispositionem materiae tollitur forma, sicut propter indispositionem corporis anima separatur.

17. Bien que la vertu infuse ne soit pas causйe par des actes, toutefois des actes peuvent y disposer. Aussi n’est-il pas inconvenant qu’elle soit corrompue par des actes, car la forme est enlevйe par l’indisposition de la matiиre, de mкme qu’en raison de l’indisposition du corps, l’вme est sйparйe.

[65790] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod virtus moralis non dicitur a more secundum quod mos non significat consuetudinem appetitivae virtutis; secundum hoc enim virtutes infusae possent dici morales, licet non causentur ex consuetudine.

18. Une vertu n’est pas appelйe morale а partir de mos [habitude], au sens oщ mos ne signifie pas une habitude de la puissance appйtitive. En effet, si tel йtait le cas, les vertus infuses pourraient кtre dites morales, bien qu’elles ne soient pas causйes par une habitude.

[65791] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod actus virtutis infusae non causant aliquem habitum, sed per eos augetur habitus praeexistens : quia nec ex actibus virtutis acquisitae aliquis habitus generatur; alias multiplicarentur habitus in infinitum.

19. Les actes de la vertu infuse ne causent pas d’habitus, mais l’habitus prйexistant est augmentй par eux, car un habitus n’est pas non plus engendrй par les actes de la vertu acquise. Autrement, les habitus seraient multipliйs а l’infini.

 

Articulus 11 : [65792] De virtutibus, q. 1 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum virtus infusa augeatur

Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentйe ?

Objections :

[65793] De virtutibus, q. 1 a. 11 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65794] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 1 Nihil enim augetur nisi quantum. Virtus autem non est quantitas, sed qualitas. Ergo non augetur.

1. Rien n’est augmentй qui ne soit une quantitй. Or, la vertu n’est pas une quantitй, mais une qualitй. Elle n’est donc pas augmentйe.

 [65795] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 2 Praeterea, virtus est forma accidentalis. Sed forma est simplicissima et invariabili essentia consistens. Ergo virtus non variatur secundum suam essentiam; ergo nec secundum essentiam augetur.

2. La vertu est une forme accidentelle. Or, la forme a une essence trиs simple et invariable. La vertu ne varie donc pas selon son essence. Elle n’est donc pas augmentйe pas non plus selon son essence.

[65796] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 3 Praeterea, quod augetur movetur. Quod igitur secundum essentiam augetur, secundum essentiam movetur. Sed quod mutatur secundum suam essentiam, corrumpitur vel generatur. Sed generatio et corruptio sunt mutationes in substantia. Ergo caritas non augetur per essentiam, nisi cum corrumpitur vel generatur.

3. Ce qui est augmentй est mы. Ce qui est augmentй selon son essence est donc mы selon son essence. Or, ce qui est changй selon son essence est corrompu ou engendrй. Or, la gйnйration et la corruption sont des changements de substance. La charitй n’est donc pas augmentйe selon son essence, si ce n’est lorsqu’elle est corrompue ou engendrйe.

 [65797] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 4 Praeterea, essentialia non augentur nec minuuntur. Manifestum est autem quod essentia virtutis est essentialis. Ergo virtus secundum essentiam non augetur.

4. Les йlйments essentiels ne sont ni augmentйs ni diminuйs. Or, il est clair que l’essence de la vertu est essentielle. La vertu n’est donc pas augmentйe selon son essence.

[65798] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 5 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Augmentum autem et diminutio sunt contraria. Ergo nata sunt fieri circa idem. Virtus autem infusa non diminuitur : quia neque diminuitur per actum virtutis, quia per eum magis roboratur; neque per actum peccati venialis, quia sic multa peccata venialia tollerent totaliter caritatem et alias virtutes infusas, quod est impossibile; sic enim multa venialia aequipollerent uni peccato mortali; neque etiam minuitur per peccatum mortale : quia mortale peccatum tollit caritatem et alias virtutes infusas. Ergo virtus infusa non augetur.

5. Les contraires sont destinйs а se produire а propos de la mкme chose. Or, l’augmentation et la diminution sont des contraires. Ils sont donc destinйs а se produire а propos de la mкme chose. Or, la vertu infuse n’est pas diminuйe, car elle n’est pas diminuйe par un acte de vertu, puisque, par celui-ci, elle est plutфt renforcйe; ni par un acte de pйchй vйniel, car ainsi de multiples pйchйs vйniels enlиveraient totalement la charitй et les autres vertus infuses, ce qui est impossible, car de multiples pйchйs vйniels йquivaudraient а un seul pйchй mortel, puisque le pйchй mortel enlиve la charitй et les autres vertus infuses. La vertu infuse n’augmente donc pas.

[65799] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 6 Praeterea, simile simili augetur, ut dicitur in II de anima. Si ergo virtus infusa augetur, oportet quod augeatur per additionem virtutis. Sed hoc non potest esse, quia virtus simplex est. Simplex autem simplici additum non facit maius; sicut punctum additum puncto non facit lineam maiorem. Ergo virtus infusa augeri non potest.

6. Le semblable est augmentй par le semblable, comme il est dit dans Sur l’вme, II. Si la vertu infuse est augmentйe, il faut donc qu’elle soit augmentйe par l’addition d’une vertu. Mais cela ne peut pas кtre, car la vertu est simple. Or, le simple ajoutй au simple ne rend pas plus grand, comme le point ajoutй au point ne rend pas une ligne plus grande. La vertu infuse ne peut donc pas кtre augmentйe.

[65800] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 7 Praeterea, I de generatione dicitur, quod augmentum est praeexistentis magnitudinis additamentum. Si ergo virtus augetur, oportet quod aliquid sibi addatur; et sic erit magis composita, et magis recedens a divina similitudine, et per consequens minus bona; quod est inconveniens. Relinquitur ergo quod virtus non augetur.

7. Il est dit, dans Sur la gйnйration, I, que l’augmentation est une addition а une grandeur prйexistante. Si la vertu est augmentйe, il est donc nйcessaire que quelque chose lui soit ajoutй; elle sera ainsi composйe, s’йloignera davantage de la ressemblance divine et, par consйquent, sera moins bonne, ce qui est inacceptable. Il reste donc que la vertu n’est pas augmentйe.

[65801] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 8 Praeterea, omne quod augetur, movetur; omne quod movetur, est corpus; virtus non est corpus. Ergo non augetur.

8. Tout ce qui est augmentй est mы. Or, tout ce qui est mы est un corps, et la vertu n’est pas un corps. Elle n’est donc pas augmentйe.

[65802] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 9 Praeterea, cuius causa est invariabilis, et ipsum est invariabile. Sed causa virtutis infusae, quae est Deus, invariabilis est. Ergo virtus infusa est invariabilis; ergo non recipit magis et minus; et ita non augetur.

9. Ce dont la cause est invariable est lui aussi invariable. Or, la cause de la vertu infuse, qui est Dieu, est invariable. La vertu infuse est donc invariable. Elle ne reзoit donc pas du plus et du moins, et ainsi elle n’est pas augmentйe.

[65803] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 10 Praeterea, virtus est in genere habitus, sicut et scientia. Si ergo virtus augetur, oportet quod augeatur sicut et scientia augetur. Scientia autem augetur per multiplicationem obiectorum, prout scilicet ad plura se extendit. Sic autem non augetur virtus, ut patet in caritate : quia minima caritas se extendit ad omnia diligenda secundum caritatem. Ergo virtus nullo modo augetur.

10. La vertu se situe dans le genre habitus, comme la science. Si la vertu est augmentйe, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe comme la science. Or, la science est augmentйe par la multiplication des objets, dans la mesure oщ elle s’йtend а un plus grand nombre de choses. Or, la vertu n’est pas augmentйe de cette maniиre, comme cela ressort clairement pour la charitй, car la moindre charitй s’йtend а tout ce qui doit кtre aimй selon la charitй. La vertu n’est donc augmentйe d’aucune faзon.

[65804] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 11 Praeterea, si virtus augetur, oportet quod ad aliquam speciem motus, eius augmentum reducatur. Sed non potest reduci nisi ad alterationem, quae est motus in qualitate. Alteratio autem, secundum philosophum, VII Physic., non est in anima nisi secundum partem sensitivam : in qua non est caritas, neque plures aliarum virtutum infusarum. Ergo non omnis virtus infusa augetur.

11. Si la vertu est augmentйe, il est nйcessaire que son augmentation soit ramenйe а une espиce. Or, elle ne peut кtre ramenйe qu’а l’altйration, qui est un mouvement а l’intйrieur de la qualitй. Or, l’altйration, selon le Philosophe, dans Physique, VII, n’existe dans l’вme que selon la partie sensible, dans laquelle ne se trouvent pas la charitй, ni plusieurs des autres vertus infuses. Toute vertu infuse n’est donc pas augmentйe.

[65805] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 12 Praeterea, si virtus infusa augetur, oportet quod augeatur a Deo, qui eam causat. Si autem Deus eam auget, oportet quod hoc fiat per alium eius influxum. Sed novus influxus non potest esse, nisi sit nova virtus infusa. Ergo virtus infusa non potest augeri nisi per additionem novae virtutis. Sic autem non potest augeri, ut supra ostensum est. Ergo virtus infusa nullo modo augetur.

12. Si la vertu infuse est augmentйe, il est nйcessaire qu’elle soit augmentйe par Dieu, qui en est la cause. Or, si Dieu l’augmente, il est nйcessaire que cela se rйalise par une autre intervention de sa part. Or, il ne peut y avoir d’autre intervention sans qu’il n’y ait une autre vertu infuse. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe que par l’addition d’une autre vertu. Or, elle ne peut кtre augmentйe de cette maniиre, comme on l’a montrй plus haut. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe d’aucune faзon.

[65806] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 13 Praeterea, habitus maxime augentur ex actibus. Cum igitur virtus sit habitus; si augetur, maxime augetur per suum actum. Sed hoc non potest esse, ut videtur; cum actus egrediatur ab habitu. Nihil autem augetur per hoc quod aliquid ab eo egreditur, sed per hoc quod aliquid in eo recipitur. Ergo virtus nullo modo augetur.

13. Les habitus sont augmentйs principalement par les actes. Puisque la vertu est un habitus, si elle est augmentйe, elle sera augmentйe par son acte. Or, cela n’est pas possible, semble-t-il, puisque l’acte est issu de l’habitus. Or, rien n’est augmentй par le fait que quelque chose en est issu, mais par le fait que quelque chose y est reзu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre augmentйe.

[65807] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 14 Praeterea, omnes actus virtutis unius sunt rationis. Si igitur aliqua virtus per suum actum augetur, oportet quod per quemlibet actum augeatur; quod videtur esse falsum ex experimento : non enim experimur quod virtus in quolibet actu crescat.

14. Tous les actes de vertu ont une seule raison. Si une vertu est augmentйe par son acte, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe par n’importe quel acte, ce qui semble кtre faux d’aprиs l’expйrience : en effet, nous ne faisons pas l’expйrience qu’une vertu soit augmentйe par n’importe quel acte.

[65808] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 15 Praeterea, illud cuius ratio in superlativo consistit, non potest augeri : optimo enim non est aliquid melius, nec albissimo est aliquid albius. Sed ratio virtutis in superlatione consistit : est enim virtus ultimum potentiae. Ergo virtus non potest augeri.

15. Ce dont la raison consiste dans le superlatif ne peut кtre augmentй : en effet, rien n’est meilleur que ce qui est le meilleur, et rien n’est plus blanc que ce qui est le plus blanc. Or, la raison de vertu consiste dans le superlatif : en effet, la vertu est le point ultime d’une puissance. La vertu ne peut donc кtre augmentйe.

[65809] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 16 Praeterea, omne illud cuius ratio consistit in aliquo indivisibili, caret intensione et remissione; sicut forma substantialis, et numerus, et figura. Sed ratio virtutis consistit in quodam indivisibili : est enim in medietate consistens. Ergo virtus non intenditur neque remittitur.

16. L’intensitй et la diminution font dйfaut а tout ce dont la raison consiste dans quelque chose d’indivisible, tels une forme substantielle, un nombre et une figure. Or, la raison de vertu consiste dans quelque chose d’indivisible : en effet, elle consiste dans un milieu. La vertu n’a donc ni intensitй ni diminution.

[65810] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 17 Praeterea, nullum infinitum potest augeri; quia infinito non est aliquid magis. Sed virtus infusa est infinita, quia per eam meretur homo infinitum bonum, scilicet Deum. Ergo virtus infusa augeri non potest.

17. Aucun infini ne peut кtre augmentй, car il n’y a rien de plus que l’infini. Or, la vertu infuse est infinie, car l’homme mйrite par elle un bien infini, а savoir, Dieu. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe.

[65811] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 18 Praeterea, nulla res procedit ultra suam perfectionem, quia perfectio est terminus rei. Sed virtus est perfectio habentis eam; dicitur enim VII Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Ergo virtus non augetur.

18. Aucune chose ne va au-delа de sa perfection, car la perfection est le terme d’une chose. Or, la vertu est la perfection de celui qui la possиde. En effet, il est dit dans Physique, VII, que la vertu est une disposition du parfait а ce qu’il y a de meilleur. La vertu n’est donc pas augmentйe.

 Cependant :

[65812] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I Petr., II, v. 2 : sicut modo geniti infantes, rationabiles et sine dolo, lac concupiscite, ut in eo crescatis in salutem. Non autem crescit aliquis in salutem nisi per augmentum virtutis, per quam homo in salutem ordinatur. Ergo virtus augetur.

1. Il est dit en 1 P 2, 2 : Comme des enfants nouveau-nйs, sans hypocrisie et sans ruse, dйsirez le lait afin de grandir par lui en vue du salut. Or, personne ne grandit en vue du salut que par l’augmentation de la vertu, par laquelle l’homme est ordonnй au salut. La vertu est donc augmentйe.

 [65813] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod caritas augetur, ut aucta mereatur et perfici.

2. Augustin dit que la charitй est augmentйe, afin que, par son accroissement, nous mйritions de devenir parfaits.

 Rйponse :

[65814] De virtutibus, q. 1 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod multis error accidit circa formas ex hoc quod de eis iudicant sicut de substantiis iudicatur. Quod quidem ex hoc contingere videtur, quod formae per modum substantiarum signantur in abstracto, ut albedo, vel virtus, aut aliquid huiusmodi; unde aliqui modum loquendi sequentes, sic de eis iudicant ac si essent substantiae. Et ex hinc processit error tam eorum qui posuerunt latitationem formarum, quam eorum qui posuerunt formas esse a creatione. Aestimaverunt enim quod formis competeret fieri sicut competit substantiis; et ideo non invenientes ex quo formae generentur, posuerunt eas vel creari, vel praeexistere in materia; non attendentes, quod sicut esse non est formae, sed subiecti per formam, ita nec fieri, quod terminatur ad esse, est formae, sed subiecti. Sicut enim forma ens dicitur, non quia ipsa sit, si proprie loquamur, sed quia aliquid ea est; ita et forma fieri dicitur, non quia ipsa fiat, sed quia ea aliquid fit : dum scilicet subiectum reducitur de potentia in actum. Sic autem et circa augmentum qualitatum accidit; de quo aliqui locuti sunt ac si qualitates et formae substantiae essent. Substantia autem augeri dicitur, in quantum ipsa est subiectum motus quo pervenitur de minori quantitate in maiorem, qui motus augmenti dicitur. Et quia augmentum substantiae fit per additionem substantiae ad substantiam; quidam aestimaverunt, quod hoc modo caritas, sive quaelibet virtus infusa, augeatur per additionem caritatis ad caritatem, vel virtutis ad virtutem, aut albedinis ad albedinem : quod omnino stare non potest. Nam non potest intelligi additio unius ad alterum nisi praeintellecta dualitate. Dualitas autem in formis unius speciei non potest intelligi nisi per alietatem subiecti. Formae enim unius speciei non diversificantur numero nisi per subiectum. Si igitur qualitas additur qualitati, oportet alterum duorum esse : vel quod subiectum addatur subiecto, ut puta quod unum album addatur alteri albo; aut quod aliquid in subiecto fiat album, quod prius non fuit album, ut quidam posuerunt circa qualitates corporeas; quod etiam improbat philosophus in IV physicorum. Cum enim aliquid fit magis curvum, non curvatur aliquid quod prius curvum non fuit, sed totum fit magis curvum. Circa qualitates autem spirituales, quarum subiectum est anima, vel pars animae impossibile est etiam hoc fingere. Unde quidam alii dixerunt caritatem, et alias virtutes infusas, non augeri essentialiter; sed quod dicuntur augeri, vel in quantum radicantur fortius in subiecto, vel in quantum ferventius vel intensius operantur. Sed hoc quidem dictum aliquam rationem haberet, si caritas esset quaedam substantia habens per se esse absque substantia; unde et Magister sententiarum, aestimans caritatem esse aliquam substantiam, scilicet ipsum spiritum sanctum, non irrationabiliter hunc modum augmenti posuisse videtur. Sed alii, aestimantes caritatem esse qualitatem quamdam, penitus irrationabiliter sunt locuti. Nihil enim est aliud qualitatem aliquam augeri, quam subiectum magis participare qualitatem; non enim est aliquod esse qualitatis nisi quod habet in subiecto. Ex hoc autem ipso quod subiectum magis participat qualitatem, vehementius operatur; quia unumquodque agit in quantum est actu; unde quod magis est reductum in actum, perfectius agit. Ponere igitur quod aliqua qualitas non augeatur secundum essentiam, sed augeatur secundum radicationem in subiecto, vel secundum intensionem actus, est ponere contradictoria esse simul. Et ideo considerandum restat quomodo aliquae qualitates et formae augeri dicuntur; et quae sunt quae augeri possunt. Sciendum est ergo, quod cum nomina sint signa intellectuum, ut dicitur I Periher.; sicut ex magis notis cognoscimus minus nota, ita etiam ex magis notis minus nota nominamus. Et inde est quod, quia motus localis est notior inter omnes motus, ex contrarietate secundum locum derivatur nomen distantiae ad omnia contraria inter quae potest esse aliquis motus; ut dicit philosophus X Metaph. Et similiter, quia motus substantiae secundum quantitatem est sensibilior quam motus secundum alterationem; inde est quod nomina convenientia motui secundum quantitatem derivantur ad alterationem. Et inde est quod, sicut corpus quod movetur ad quantitatem perfectam dicitur augeri, et ipsa quantitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae; ita illud quod movetur de qualitate imperfecta ad perfectam, dicitur augeri secundum qualitatem; et ipsa qualitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae. Et quia perfectio uniuscuiusque rei est eius bonitas; ideo Augustinus dicit, quod in his quae non magna mole sunt, idem est esse maius quod melius. Moveri autem de forma imperfecta ad perfectam, nihil est aliud quam subiectum magis reduci in actum : nam forma actus est; unde subiectum magis percipere formam, nihil aliud est quam ipsum reduci magis in actum illius formae. Et sicut ab agente reducitur aliquid de pura potentia in actum formae; ita etiam per actionem agentis reducitur de actu imperfecto in actum perfectum. Sed hoc non contingit in omnibus formis, propter duo. Primo quidem ex ipsa ratione formae; eo scilicet quod id quod perficit rationem formae, est aliquid indivisibile, puta numerus. Nam unitas addita constituit speciem : unde binarius aut trinarius non dicitur secundum magis et minus; et per consequens non invenitur magis et minus neque in quantitatibus quae denominantur a numeris, puta bicubitum vel tricubitum, neque in figuris, puta triangulare et quadratum; et in proportionibus, puta duplum et triplum. Alio modo ex comparatione formae ad subiectum; quia inhaeret ei modo indivisibili. Et propter hoc forma substantialis non recipit intensionem vel remissionem, quia dat esse substantiale, quod est uno modo : ubi enim est aliud esse substantiale, est alia res; et propter hoc philosophus, VIII Metaphys., assimilat definitiones numeris. Et inde est etiam quod nihil quod substantialiter de altero praedicatur, etiam si sit in genere accidentis, praedicatur secundum magis et minus; non enim dicitur albedo magis et minus color. Et propter hoc etiam qualitates in abstracto signatae, quia signantur per modum substantiae, nec intenduntur nec remittuntur; non enim dicitur albedo magis et minus, sed album. Neutra autem istarum causarum est in caritate et in aliis virtutibus infusis, quare non intendantur et remittantur; quia neque earum ratio in indivisibili consistit, sicut ratio numeri; neque dant esse substantiale subiecto, sicut formae substantiales; et ideo intenduntur et remittuntur, in quantum subiectum reducitur magis in actum ipsarum per actionem agentis causantis eas. Unde sicut virtutes acquisitae augentur ex actibus per quos causantur, ita virtutes infusae augentur per actionem Dei, a quo causantur. Actus autem nostri comparantur ad augmentum caritatis et virtutum infusarum, ut disponentes, sicut ad caritatem a principio obtinendam; homo enim faciens quod in se est, praeparat se, ut a Deo recipiat caritatem. Ulterius autem actus nostri possunt esse meritorii respectu augmenti caritatis; quia praesupponunt caritatem, quae est principium merendi. Sed nullus potest mereri, quin a principio obtineat caritatem; quia meritum sine caritate esse non potest. Sic igitur caritatem augeri per intensionem dicimus.

Beaucoup commettent une erreur а propos des formes parce qu’ils en jugent comme on juge des substances. Cela semble provenir du fait que les formes sont exprimйes dans l’abstrait par mode de substances, comme la blancheur ou la vertu, ou quelque chose de ce genre. Aussi certains, en suivant cette maniиre de parler, en jugent-ils comme si elles йtaient des substances. Et de cela vient l’erreur aussi bien de ceux qui ont affirmй le caractиre cachй des formes, que de ceux qui ont affirmй que les formes existent par crйation. En effet, ils ont estimй qu’il convenait aux formes de devenir а la maniиre des substances ; c’est pourquoi, ne trouvant pas comment les formes йtaient engendrйes, ils ont affirmй qu’elles йtaient crййes ou qu’elles prйexistaient dans la matiиre, en ne remarquant pas que, de mкme de l’acte d’кtre n’appartient pas а la forme mais au sujet par la forme, de mкme le devenir, qui se termine а l’acte d’кtre, n’appartient-il pas а la forme mais au sujet. En effet, de mкme qu’on dit que la forme est un кtre, non pas parce qu’elle-mкme existe, а parler proprement, mais parce que quelque chose existe par elle, de mкme dit-on qu’une forme devient, non pas parce qu’elle-mкme devient, mais parce que quelque chose devient par elle, а savoir, lorsque le sujet est amenй de la puissance а l’acte. Il en est de mкme pour l’augmentation des qualitйs, dont certains ont parlй comme si les qualitйs et les formes йtaient des substances. Or, on dit qu’une substance augmente pour autant qu’elle est le sujet d’un mouvement par lequel on passe d’une quantitй moindre а une quantitй plus grande, ce qu’on appelle le mouvement d’augmentation. Et parce que l’augmentation de la substance se fait par l’ajout d’une substance а une substance, certains ont estimй que la charitй, ou n’importe quelle vertu infuse, йtait augmentйe par l’addition de la charitй а la charitй, ou de la vertu а la vertu, ou de la blancheur а la blancheur, ce qui ne peut кtre soutenu. Car on ne peut comprendre l’addition d’une chose а une autre que si on a d’abord compris la dualitй. Or, la dualitй pour les formes d’une mкme espиce ne peut se comprendre que par l’altйritй du sujet. En effet, les formes d’une espиce ne se diffйrencient en nombre que par le sujet. Si donc la qualitй est ajoutйe а la qualitй, il est nйcessaire qu’une de deux choses se produise : ou bien qu’un sujet soit ajoutй а un sujet, par exemple, que quelque chose de blanc soit ajoutй а une autre chose blanche ; ou bien que quelque chose devienne blanc dans le sujet, alors que ce n’йtait pas blanc auparavant, comme certains l’ont affirmй а propos des formes corporelles, ce que rejette aussi le Philosophe, dans Physique, IV. En effet, lorsqu’une chose devient davantage courbйe, quelque chose n’est pas courbй qui n’йtait pas courbй auparavant, mais l’ensemble devient plus courbй. Or, а propos des qualitйs spirituelles, dont le sujet est l’вme ou une partie de l’вme, il est impossible mкme de se reprйsenter cela. Aussi d’autres ont-ils dit que la charitй et les autres vertus infuses n’йtaient pas augmentйes essentiellement, mais qu’on disait qu’elles йtaient augmentйes soit parce qu’elles йtaient plus fortement enracinйes dans le sujet, soit parce qu’elles agissaient avec plus de ferveur ou d’intensitй. Mais cela aurait quelque fondement si la charitй йtait une substance pouvant exister par elle-mкme sans une substance. Ainsi, le Maоtre des Sentences, estimant que la charitй est une certaine substance, а savoir, l’Esprit Saint, semble avoir affirmй ce mode d’augmentation d’une maniиre qui n’est pas dйraisonnable. Mais d’autres, estimant que la charitй est une certaine qualitй, ont parlй d’une maniиre tout а fait dйraisonnable. En effet, кtre augmentйe, pour une qualitй, n’est rien d’autre que le fait pour le sujet d’y participer davantage : en effet, la qualitй n’a pas d’autre кtre que celui qu’elle a dans le sujet. Or, par le fait que le sujet participe davantage а une qualitй, il agit avec plus de vigueur, car chacun agit dans la mesure oщ il est en acte. Aussi ce qui a йtй davantage amenй а l’acte agit-il plus parfaitement. Affirmer qu’une qualitй n’est pas augmentйe selon son essence, mais qu’elle est augmentйe selon son enracinement dans le sujet ou selon l’intensitй de son acte, c’est affirmer en mкme temps des contraires. C’est pourquoi il reste а examiner comment on dit que certaines qualitйs et formes sont augmentйes, et quelles sont celles qui peuvent кtre augmentйes. Il faut donc savoir que, puisque les mots sont des signes des choses comprises, comme il est dit dans Sur l’interprйtation, I, de mкme que nous connaissons les choses moins connues а partir des plus connues, de mкme aussi nommons-nous les moins connues а partir des plus connues. De lа vient que, parce que le mouvement local est plus connu que tous les autres mouvements, le mot «distance» est dйrivй de ce qui est contraire selon le lieu а tous les contraires entre lesquels peut exister un mouvement, comme le dit le Philosophe dans Mйtaphysique, X. De la mкme faзon, parce que le mouvement de la substance selon la quantitй est plus perceptible que le mouvement selon l’altйration, de lа vient que les mots convenant au mouvement selon la quantitй sont appliquйs а l’altйration. Et de lа vient que, de mкme qu’on dit qu’un corps qui est mы vers une quantitй parfaite est augmentй, et que la quantitй parfaite est appelйe grande par rapport а l’imparfaite, de mкme dit-on que ce qui est mы d’une qualitй imparfaite а une [qualitй] parfaite est augmentй selon la qualitй, et que la qualitй parfaite elle-mкme est dite grande par rapport а l’imparfaite. Et parce que la perfection de toute chose est sa bontй, c’est la raison pour laquelle Augustin dit que, dans les choses qui n’ont pas beaucoup d’importance, c’est la mкme chose d’кtre plus grand que meilleur. Or, кtre mы d’une forme imparfaite а [une forme] parfaite n’est rien d’autre que le fait pour un sujet d’кtre amenй davantage а l’acte, car la forme est un acte. Ainsi, qu’un sujet reзoive davantage une forme, cela n’est rien d’autre que le fait pour lui d’кtre davantage amenй а l’acte de cette forme. Et de mкme qu’une chose est amenйe de la puissance pure а l’acte de la forme, de mкme aussi est-elle amenйe d’un acte imparfait а un acte parfait par l’action de l’agent. Mais cela ne se produit pas dans toutes les formes pour deux raisons. Premiиrement, en raison mкme de la forme, а savoir que ce qui rйalise la raison de la forme est quelque chose d’indivisible, par exemple, un nombre. Car l’unitй ajoutйe constitue une espиce : aussi ne parle-t-on pas de ce qui est double ou triple en termes de plus ou de moins ; par consйquent, on ne trouve pas non plus de plus ou de moins dans les quantitйs qui sont dйsignйes а partir des nombres, par exemple, ce qui a deux coudйes ou trois coudйes, ni dans les figures, par exemple, ce qui est triangulaire ou carrй, ni dans les proportions, par exemple, ce qui est double ou triple. D’une autre maniиre, par comparaison de la forme au sujet, car elle existe en lui de maniиre indivisible. Pour cette raison, la forme substantielle ne reзoit-elle pas d’intensitй ou de diminution, car elle donne l’кtre substantiel, qui existe d’une seule maniиre : en effet, lа oщ il y a un autre кtre substantiel, il y a une autre chose. Pour cette raison, le Philosophe, dans Mйtaphysique, VIII, assimile les dйfinitions aux nombres. Et de lа vient aussi que rien de ce qui est attribuй а quelque chose d’autre а titre de substance, mкme si cela fait partie du genre de l’accident, ne lui est attribuй en plus ou en moins : en effet, on ne dit pas que la blancheur est plus ou moins une couleur. Et pour cette raison, les qualitйs dйsignйes dans l’abstrait, parce qu’elles sont dйsignйes par mode de substance, ne sont-elles pas intensifiйes ni diminuйes : en effet, on n’attribue pas de plus ou de moins а la blancheur, mais а ce qui est blanc. Or, aucune de ces causes n’existe dans la charitй et dans les autres vertus infuses, pour lesquelles elles ne seraient pas intensifiйes et diminuйes, car leur raison ne consiste pas en quelque chose d’indivisible, comme la raison de nombre ; elles ne donnent pas non plus l’кtre substantiel а leur sujet, comme les formes substantielles. Et c’est la raison pour laquelle elles sont intensifiйes et diminuйes dans la mesure oщ leur sujet est davantage amenй а leur acte par l’action de l’agent qui les cause. Aussi, de mкme que les vertus acquises sont augmentйes par les actes par lesquels elles sont causйes, de mкme les vertus infuses sont-elles augmentйes par l’action de Dieu, par qui elles sont causйes. Mais nos actes se comparent а l’augmentation de la charitй et des vertus infuses en tant qu’ils y disposent, comme c’est le cas au dйpart pour l’obtention de la charitй. En effet, l’homme, en faisant ce qui relиve de lui, se prйpare а recevoir de Dieu la charitй. Davantage encore, nos actes peuvent кtre mйritoires par rapport а l’augmentation de la charitй, car ils prйsupposent la charitй, qui est le principe du mйrite. Mais personne ne peut mйriter au dйpart d’obtenir la charitй, car le mйrite ne peut exister sans la charitй. Ainsi disons-nous donc que la charitй est augmentйe en intensitй.

 Solutions :

[65815] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in caritate et aliis qualitatibus dicitur augmentum per similitudinem, ita et quantitas, ut ex dictis, in corp. art., patet.

1. Comme pour la charitй et les autres qualitйs, on parle d’augmentation par similitude. Il en va de mкme pour la quantitй, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit dans le corps de l’article.

[65816] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma est invariabilis, quia non est variationis subiectum; potest tamen dici variabilis, prout subiectum secundum eam variatum, plus et minus eam participat.

2. La forme est invariable parce qu’elle n’est pas le sujet de la variation. Toutefois, elle peut кtre dite variable pour autant que le sujet, qui varie selon elle, y participe plus ou moins.

[65817] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus alicuius rei potest intelligi secundum essentiam dupliciter. Uno modo quantum ad id quod est proprium, esse scilicet essentialis, vel non esse; et sic motus secundum essentiam non est nisi motus secundum esse et non esse, qui est generatio et corruptio. Alio modo, potest intelligi motus secundum essentiam, si sit motus secundum quodcumque adhaerens essentiae; sicut dicimus corpus essentialiter moveri quando movetur secundum locum, quia de loco ad locum eius subiectum transfertur; sicut etiam et aliqua qualitas dicitur suo modo moveri essentialiter, prout variatur secundum perfectum et imperfectum, vel magis subiectum secundum eam ut ex dictis, in corp. art., patet.

3. On peut entendre le mouvement d’une chose selon son essence de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre, а savoir, l’кtre de ce qui est essentiel ou le non-кtre. Et ainsi, le mouvement selon l’essence n’est que le mouvement selon l’кtre et le non-кtre, qui est la gйnйration et la corruption. D’une autre maniиre, on peut l’entendre selon le mouvement de l’essence, s’il s’agit du mouvement de quoi que ce soit qui est associй а l’essence, comme nous disons qu’un corps est mы essentiellement lorsqu’il est mы selon le lieu, parce que son sujet passe d’un lieu а un autre. Comme on dit aussi qu’une qualitй est mue а sa faзon selon son essence, pour autant qu’elle varie selon le parfait et l’imparfait, ou qu’une chose lui est davantage soumise, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit dans le corps de l’artice.

[65818] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod praedicatur essentialiter de caritate, non praedicatur de ea secundum magis et minus : non enim dicitur magis vel minus virtus; sed maior caritas dicitur magis virtus propter modum significandi, quia significatur ut substantia. Sed quia ipsa non praedicatur essentialiter de suo subiecto, subiectum secundum eam recipit magis et minus : ut dicatur subiectum habens magis caritatis vel minus; et quod est habens magis caritatem est magis virtuosum.

4. Ce qui est attribuй de maniиre essentielle а la charitй ne lui est pas attribuй en plus ou en moins : en effet, on ne dit pas qu’elle est plus ou moins une vertu. Mais on dit d’une charitй plus grande qu’elle est davantage vertu selon la maniиre de la signifier, car elle est signifiйe comme une substance. Mais parce qu’elle n’est pas elle-mкme attribuйe de maniиre essentielle а son sujet, son sujet reзoit d’elle plus ou moins, de sorte qu’on parle d’un sujet qui a plus ou moins de charitй, et que celui qui a plus de charitй est plus vertueux.

[65819] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non diminuitur, quia non habet causam diminutionis, ut Ambrosius probat; habet autem causam augmenti, scilicet Deum.

5. La charitй n’est pas diminuйe parce qu’elle n’a pas de cause de diminution, comme le montre Ambroise. Mais elle a une cause d’augmentation, а savoir, Dieu.

[65820] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod augmentum quod fit per additionem, est augmentum substantiae quantae. Sic autem caritas non augetur, ut dictum est in corp. art.

6. L’augmentation qui se fait par addition est une augmentation d’une substance quantifiйe. Mais la charitй n’est pas augmentйe de cette maniиre, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

[65821] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum.

7. La solution de la septiиme objection ressort ainsi clairement.

[65822] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas dicitur augeri vel moveri, non quia ipsa sit subiectum motus, sed quia eius subiectum secundum ipsam movetur et augetur.

8. On dit que la charitй est augmentйe ou est mue, non parce que la charitй est elle-mкme le sujet du mouvement, mais parce que le sujet est mы et augmentй selon elle.

[65823] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus sit invariabilis, tamen absque sua variatione variat res; non enim est necessarium ut omne movens moveatur, ut probatur in Lib. Physic. Et hoc praecipue Deo competit, quia non agit per necessitatem naturae, sed per voluntatem.

9. Bien que Dieu ne change pas, cependant une chose change sans qu’il change. En effet, il n’est pas nйcessaire que tout ce qui meut soit mы, comme il est dйmontrй dans Physique. Et cela convient principalement а Dieu, parce qu’il n’agit pas par nйcessitй de nature, mais par volontй.

[65824] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod omnibus qualitatibus et formis est communis ratio magnitudinis quae dicta est, scilicet perfectio earum in subiecto. Aliquae tamen qualitates, praeter istam magnitudinem seu quantitatem quae competit eis per se, habent aliam magnitudinem vel quantitatem quae competit eis per accidens; et hoc dupliciter. Uno modo ratione subiecti; sicut albedo dicitur quanta per accidens, quia subiectum eius est quantum; unde augmentato subiecto, augmentatur albedo per accidens. Sed secundum hoc augmentum, non dicitur aliquid magis album, sed maior albedo, sicut et dicitur aliquid maius album : non enim aliter praedicantur ea quae pertinent ad hoc augmentum, de albedine, et de subiecto ratione cuius albedo per accidens augeri dicitur. Sed hic modus quantitatis et augmenti non competit qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Alio modo quantitas et augmentum attribuitur alicui qualitati per accidens, ex parte obiecti in quod agit : et haec dicitur quantitas virtutis; quae magis dicitur propter quantitatem obiecti vel continentiam; sicut dicitur magnae virtutis qui magnum pondus potest ferre, vel qualitercumque potest magnam rem facere, sive magnitudine dimensiva, sive magnitudine perfectionis, vel secundum quantitatem discretam; sicut dicitur aliquis magnae virtutis qui potest multa facere. Et hoc modo quantitas per accidens potest attribui qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Sed tamen hoc interest inter scientiam et virtutem : quia de ratione scientiae non est quod se extendat in actum respectu omnium obiectorum : non enim est necesse quod sciens omnia scibilia cognoscat. Sed de ratione virtutis est quod in omnibus virtuose se agat. Unde scientia potest augeri vel secundum numerum obiectorum, vel secundum intensionem eius in subiecto; virtus autem uno modo tantum. Sed considerandum est, quod eiusdem rationis est quod aliqua qualitas in aliquid magnum possit, et quod ipsa sit magna, sicut ex supradictis patet; unde etiam magnitudo perfectionis potest dici magnitudo virtutis.

10. Toutes les qualitйs et formes ont la commune raison de grandeur qui a йtй dite, а savoir, leur perfection dans le sujet. Cependant, certaines qualitйs, en plus de cette grandeur ou quantitй qui leur convient en elles-mкmes, ont une autre grandeur ou quantitй qui leur convient par accident, et cela, de deux maniиres. D’une maniиre, en raison du sujet, comme on dit que la blancheur est grande par accident, parce que son sujet est ce qui quantifiй ; aussi, si le sujet est augmentй, la blancheur est-elle augmentйe par accident. Mais, selon cette augmentation, on ne dit pas qu’une chose est davantage blanche, mais qu’il y a une blancheur plus grande, comme on dit que quelque chose est plus blanc. En effet, on attribue de maniиre diffйrente ce qui se rapporte а l’augmentation а la blancheur et au sujet, en raison duquel on dit que la blancheur est augmentйe par accident. Mais ce mode de quantitй et d’augmentation ne convient pas aux qualitйs de l’вme, а savoir, les sciences et les vertus. D’une autre maniиre, la quantitй et l’augmentation sont attribuйes а une qualitй par accident du point de vue de l’objet oщ elle agit : et c’est celle-lа qu’on appelle quantitй de la vertu, qui est attribuйe davantage en raison de la quantitй de l’objet ou de ce qu’il peut contenir, comme on dit que celui qui peut porter un plus grand poids a une plus grande force, ou pour n’importe qu’elle grande chose qu’il peut faire, soit pour la grandeur selon la dimension, soit pour la grandeur selon la perfection, soit pour la quantitй discrиte, comme on dit de quelqu’un qui peut faire beaucoup de choses qu’il a une grande vertu. De cette maniиre, la quantitй peut кtre attribuйe par accident aux qualitйs de l’вme, а savoir, aux sciences et aux vertus. Toutefois, il y a une diffйrence entre la science et la vertu, car il ne fait pas partie de la raison de la science que quelqu’un se porte en acte vers tous les objets : en effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui connaоt connaisse tout ce qui peut кtre connu. Mais il est de la raison de la vertu qu’il se comporte vertueusement en tout. Aussi la science peut-elle кtre augmentйe soit par le nombre des objets, soit par son intensitй dans le sujet ; mais la vertu [ne peut кtre augmentйe] que d’une seule faзon. Mais il faut observer qu’il relиve de la mкme raison qu’une qualitй puisse faire quelque chose de grand, et qu’elle soit elle-mкme grande, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit. En consйquence, mкme la grandeur de la perfection peut кtre dite grandeur de la vertu.

[65825] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod motus augmenti caritatis reducitur ad alterationem, non secundum quod alteratio est inter contraria, prout est tantum in sensibilibus, et in sensibili parte animae; sed prout alteratio et passio dicitur secundum receptionem et perfectionem; sicut sentire et intelligere est quoddam pati et alterari. Et sic distinguit philosophus alterationem et passionem in II de anima.

11. Le mouvement d’augmentation de la charitй se ramиne а l’altйration, non pas selon que l’altйration se rйalise entre des contraires, pour autant qu’elle existe dans les choses sensibles et dans la partie sensible de l’вme, mais selon qu’on parle d’altйration et de passion selon la rйception et la perfection, comme sentir et comprendre sont d’une certaine maniиre une passion et une altйration. C’est ainsi que le Philosophe fait une distinction entre l’altйration et la passion, dans Sur l’вme, II.

[65826] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus auget caritatem, non novam caritatem infundendo, sed eam quae praeexistebat, perficiendo.

12. Dieu augmente la charitй, non pas en infusant une nouvelle charitй, mais en perfectionnant celle qui prйexistait.

[65827] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sicut actus egrediens ab agente potest causare virtutem acquisitam propter impressionem virtutum activarum in passivis, ut supra dictum est; ita et potest eam augere.

13. De mкme que l’acte issu d’un agent peut causer la vertu acquise en raison de l’impression des puissances actives sur les [puissances] passives, comme on l’a dit plus haut, de mкme peut-il l’augmenter.

[65828] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas et aliae virtutes infusae non augentur active ex actibus, sed tantum dispositive et meritorie, ut dictum est. Nec tamen oportet quod quilibet actus perfectus correspondeat quantitati virtutis : non enim oportet quod habens caritatem, semper operetur secundum totum posse caritatis; usus enim habituum subiacet voluntati.

14. La charitй et les autres vertus infuses ne sont pas augmentйes de maniиre active par les actes, mais seulement par mode de disposition et de mйrite, comme on l’a dit. Toutefois, il n’est pas nйcessaire que tout acte parfait corresponde а la quantitй de la vertu : en effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui a la charitй agisse toujours selon tout ce que peut la charitй, car l’usage des habitus est soumis а la volontй.

[65829] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in superlatione quantum ad se, sed quantum ad suum obiectum : quia per virtutem ordinatur homo ad ultimum potentiae, quod est bene operari; unde philosophus dicit, VII Phys., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Tamen ad hoc optimum aliquis potest esse magis, vel minus dispositus; et secundum hoc, virtus recipit magis vel minus. Vel dicendum, quod ultimum non dicitur simpliciter, sed ultimum specie; sicut ignis est specie subtilissimum corporum, et homo dignissima creaturarum; et tamen unus homo est dignior altero.

15. La raison de vertu ne consiste pas par elle-mкme dans le superlatif, mais elle se prend de son objet, car, par la vertu, l’homme est ordonnй au point le plus йlevй de sa puissance, ce qui est bien agir. Aussi le Philosophe dit-il, dans Physique, VII, que la vertu est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur. Toutefois, quelqu’un peut кtre plus ou moins bien disposй а ce qui est le meilleur : de ce point de vue, la vertu reзoit plus ou moins. Ou bien il faut dire qu’on ne parle pas de point le plus йlevй tout simplement, mais du point le plus йlevй selon l’espиce, comme le feu est, selon son espиce, le plus subtil des corps, et l’homme la plus digne des crйatures. Et cependant, un homme est plus digne qu’un autre.

[65830] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in indivisibili secundum se, sed ratione sui subiecti, in quantum quaerit medium : ad quod quaerendum potest aliquis diversimode se habere, vel peius vel melius. Et tamen ipsum medium non est omnino indivisibile; habet enim aliquam latitudinem : sufficit enim ad virtutem quod appropinquet ad medium, ut dicitur II Ethic.; et propter hoc unus actus altero virtuosior dicitur.

16. La raison de vertu ne consiste pas en quelque chose d’indivisible en soi, mais en raison de son sujet, pour autant qu’elle cherche un milieu, envers la recherche duquel quelqu’un peut se comporter de diverses maniиres, pire ou meilleure. Cependant, le milieu lui-mкme n’est pas du tout indivisible. En effet, il comporte une certaine йtendue, puisqu’il suffit que la vertu s’approche du milieu, comme il est dit dans Йthique, II. Pour cette raison, on dit qu’un acte est plus vertueux qu’un autre.

[65831] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod virtus caritatis est infinita ex parte Dei, vel finis; sed ad illum infinitum caritas finite disponit; unde potest magis vel minus esse.

17. La vertu de charitй est infinie de la part de Dieu ou de sa fin ; mais la charitй dispose а cet infini de maniиre finie. Aussi peut-elle exister en plus ou en moins.

[65832] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non omne perfectum est perfectissimum, sed solum illud quod est in ultimo actualitatis; et ideo nihil prohibet, quod est perfectum secundum virtutem, adhuc magis perfici.

18. Tout ce qui est parfait n’est pas le plus parfait, mais seulement ce qui atteint le plus haut point de mise en acte. C’est pourquoi rien n’empкche que ce qui est parfait selon la vertu soit rendu encore plus parfait.

 

Articulus 12 : [65833] De virtutibus, q. 1 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum virtutes inter se distinguantur. Quaeritur de distinctione virtutum

Article 12 – Est-ce que les vertus se distinguent entre elles? La question porte sur la distinction des vertus.

 Objections :

[65834] De virtutibus, q. 1 a. 12 tit. 2 Et videtur quod non recte virtutes distinguantur

Il semble que les vertus ne sont pas correctement distinguйes.

[65835] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 1 Moralia enim recipiunt speciem ex fine. Si igitur virtutes distinguantur secundum speciem, oportet quod hoc sit ex parte finis. Sed non ex parte finis proximi : quia sic essent infinitae virtutes secundum speciem. Ergo ex parte finis ultimi. Sed finis ultimus virtutum est unus tantum, scilicet Deus, sive felicitas. Ergo est una tantum virtus.

1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce de la fin. Si donc les vertus sont distinguйes selon leur espиce, il est nйcessaire que cela vienne de la fin. Or, cela ne vient pas de la fin prochaine, car alors les vertus seraient infinies selon l’espиce. Cela vient donc de la fin ultime. Or, la fin ultime des vertus est unique, а savoir, Dieu, ou la fйlicitй. Il n’y a donc qu’une seule vertu.

[65836] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 2 Praeterea, ad unum finem pervenitur una operatione. Una autem operatio est ex una forma. Ergo ad unum finem ordinatur homo per unam formam. Finis autem hominis est unus : scilicet felicitas. Ergo et virtus, quae est forma per quam homo ordinatur ad felicitatem, est una tantum.

2. On parvient а une seule fin par une seule opйration. Or, l’opйration unique vient d’une seule forme. L’homme est donc ordonnй а une seule fin par une seule forme. Or, la fin de l’homme est unique, а savoir, la fйlicitй. La vertu aussi est donc unique, elle qui est la forme par laquelle l’homme est ordonnй а la fйlicitй.

[65837] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 3 Praeterea, formae et accidentia recipiunt numerum secundum materiam vel subiectum. Subiectum autem virtutis est anima, vel potentia animae. Ergo videtur quod virtus sit una tantum, quia anima est una; vel saltem quod virtutes non excedant numerum potentiarum animae.

3. Les formes et les accidents reзoivent leur nombre de la matiиre ou du sujet. Or, le sujet de la vertu est l’вme ou une puissance de l’вme. Il semble donc que la vertu soit unique, car l’вme est unique ; ou tout au moins, que les vertus ne sont pas plus nombreuses que les puissances de l’вme.

[65838] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 4 Praeterea, habitus distinguuntur per obiecta, sicut et potentiae. Cum ergo virtutes sint quidam habitus : videtur quod eadem sit ratio distinctionis virtutum et potentiarum animae; et sic, virtutes non excedunt numerum potentiarum animae.

4. Les habitus se distinguent par leurs objets, de mкme que les puissances. Puisque les vertus sont des habitus, il semble donc que la raison de distinguer les vertus soit la mкme que celle de distinguer les puissances de l’вme. Et ainsi, les vertus ne sont pas plus nombreuses que les puissances de l’вme.

[65839] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 5 Sed dicendum, quod habitus distinguuntur per actus, et non per potentias.- Sed contra, principiata distinguuntur secundum principia, et non e converso; quia ab eodem res habent esse et unitatem. Sed habitus sunt principia actuum. Ergo magis distinguuntur actus penes habitus quam e converso.

5. Mais les habitus se distinguent par leurs actes, et non par les puissances. – En sens contraire, les rйalitйs qui jouent le rфle de principes se distinguent selon les principes, et non l’inverse, car les choses reзoivent leur кtre et leur unitй de la mкme rйalitй. Or, les habitus sont les principes des actes. Les actes se distinguent donc plutфt selon les habitus que l’inverse.

[65840] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 6 Praeterea, virtus necessaria est ad hoc quod homo inclinetur ad id quod est virtutis per modum naturae : est enim virtus, ut Tullius dicit, habitus in modum naturae rationi consentaneus. Ad id igitur ad quod ipsa potentia naturaliter inclinatur, non indiget homo virtute. Sed voluntas hominis naturaliter inclinatur ad ultimum finem. Ergo circa ultimum finem non est necessarius homini aliquis habitus virtutis; propter quod nec philosophi posuerunt aliquas virtutes quarum obiectum esset felicitas. Nec ergo nos debemus ponere aliquas virtutes theologicas, cuius obiectum sit Deus, qui est ultimus finis.

6. La vertu est nйcessaire pour que l’homme soit inclinй par mode de nature а ce qui relиve de la vertu. En effet, comme le dit Tullius [Cicйron], la vertu est un habitus qui se plie а la raison par mode de nature. Pour qu’une puissance elle-mкme soit inclinйe naturellement, l’homme n’a donc pas besoin de vertu. Or, la volontй de l’homme est naturellement inclinйe vers la fin ultime. Un habitus vertueux n’est donc pas nйcessaire а l’homme pour la fin ultime; c’est la raison pour laquelle mкme les philosophes n’ont pas proposй de vertus dont l’objet serait la fйlicitй. Nous ne devons donc pas nous aussi proposer des vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, qui est la fin ultime.

[65841] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 7 Praeterea, virtus est dispositio perfecti ad optimum. Sed fides et spes imperfectionem quamdam important; quia fides est de non visis, spes de non habitis, propter quod, cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, ut dicitur 1 Cor. XIII, v. 10. Ergo fides et spes non debent poni virtutes.

7. La vertu est une disposition de celui qui est parfait а ce qui est le meilleur. Or, la foi et l’espйrance comportent une certaine imperfection, car la foi porte sur des rйalitйs non vues, et l’espйrance, sur des rйalitйs non possйdйes. C’est la raison pour laquelle, lorsque ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaоtra, 1 Co 13, 10. Il ne faut donc pas proposer la foi et l’espйrance comme des vertus.

[65842] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 8 Praeterea, ad Deum non potest aliquis ordinari nisi per intellectum et affectum. Sed fides sufficienter ordinat intellectum hominis in Deum, caritas autem affectum. Ergo praeter fidem et caritatem non debet poni spes virtus theologica.

8. On ne peut кtre ordonnй а Dieu que par l’intellect et la volontй. Or, la foi ordonne suffisamment l’intellect de l’homme vers Dieu, et la charitй, la volontй. On ne doit donc pas proposer l’espйrance comme certu thйologale en plus de la foi et de la charitй.

[65843] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 9 Praeterea, id quod est generale omni virtuti, non debet poni specialis virtus. Sed caritas videtur esse communis omnibus virtutibus; quia ut dicit Augustinus in Lib. de moribus Ecclesiae, nihil aliud est virtus quam ordo amoris : ipsa etiam caritas dicitur esse forma omnium virtutum. Ergo non debet poni una specialis virtus inter theologicas.

9. Ce qui est commun а toute vertu ne doit pas кtre proposй comme une vertu spйciale. Or, la charitй semble кtre commune а toutes les vertus, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur le comportement de l’Йglise, la vertu n’est rien d’autre que l’ordre de l’amour. La charitй elle-mкme est aussi appelйe la forme de toutes les vertus. Elle ne doit pas кtre mise comme une vertu spйciale parmi les vertus thйologales.

[65844] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 10 Praeterea, in Deo non solum consideratur veritas quam respicit fides, vel sublimitas quam respicit spes, vel bonitas quam respicit caritas; sed sunt plura alia quae Deo attribuuntur : ut sapientia, potentia et huiusmodi. Ergo videtur quod sit vel una tantum virtus theologica, quia omnia illa unum sunt in Deo; vel quod sint tot virtutes theologicae, quot sunt quae attribuuntur Deo.

10. En Dieu, on ne relиve pas seulement la vйritй, qui est l’objet de la foi considиre, ni l’йlйvation, qui est l’objet de l’espйrance, ni la bontй, qui est l’objet de la charitй, mais il existe plusieurs autres choses qui sont attribuйes а Dieu, comme la sagesse, la puissance et les choses de ce genre. Il semble donc qu’il y ait ou bien une seule vertu thйologale, car toutes ces choses n’en sont qu’une en Dieu, ou bien qu’il y ait autant de vertus thйologales qu’il y a de choses attribuйes а Dieu.

[65845] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 11 Praeterea, virtus theologica est cuius actus immediate ordinatur in Deum. Sed plura alia sunt talia : sicut sapientia quae contemplatur Deum, timor qui reveretur ipsum, religio quae colit eum. Ergo non sunt tantum tres virtutes theologicae.

11. La vertu thйologale est celle dont l’acte est immйdiatement ordonnй а Dieu. Or, il existe plusieurs autres choses de ce genre, comme la sagesse, qui contemple Dieu, la crainte, qui le rйvиre, la religion, qui lui rend un culte. Il n’y a donc pas seulement trois vertus thйologales.

[65846] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 12 Praeterea, finis est ratio eorum quae sunt ad finem. Habitis igitur virtutibus theologicis, quibus homo recte ordinatur ad Deum, videtur superfluum ponere alias virtutes.

12. La fin est la raison de ce qui est ordonnй а la fin. Une fois possйdйes les vertus thйologales, par lesquelles l’homme est correctement ordonnй а Dieu, il semble superflu de proposer d’autres vertus.

[65847] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 13 Praeterea, virtus ordinatur ad bonum : est enim virtus quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est tantum in voluntate et in appetitiva parte; et sic videtur quod non sint aliquae virtutes intellectuales.

13. La vertu est ordonnйe au bien : en effet, la vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde et rend bonne son action. Or, le bien ne se trouve que dans la volontй et dans la partie appйtitive. Et ainsi, il semble qu’il n’y a pas de vertus intellectuelles.

[65848] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 14 Praeterea, prudentia est quaedam virtus intellectualis. Ipsa autem ponitur inter morales. Ergo videtur quod morales virtutes non distinguantur ab intellectualibus.

14. La prudence est une vertu intellectuelle. Or, elle est placйe parmi les vertus morales. Il semble donc que les vertus morales ne se distinguent pas des vertus intellectuelles.

[65849] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 15 Praeterea, scientia moralis non tractat nisi moralia. Tractat autem scientia moralis de virtutibus intellectualibus. Ergo virtutes intellectuales sunt morales.

15. La science morale ne traite que des rйalitйs morales. Or, la science morale traite des vertus intellectuelles. Les vertus intellectuelles sont donc [des vertus] morales.

[65850] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 16 Praeterea, id quod ponitur in definitione alicuius, non distinguitur ab eo. Sed prudentia ponitur in definitione virtutis moralis : est enim virtus moralis, habitus electivus in medietate consistens determinata secundum rectam rationem, ut dicitur II Ethic. : ratio enim agibilium est prudentia, ut dicitur VI Ethic. Ergo morales virtutes non distinguuntur a prudentia.

16. Ce qui est mis dans la dйfinition d’une chose ne s’en distingue pas. Or, la prudence est mise dans la dйfinition de la vertu morale : en effet, la vertu morale est un habitus qui choisit ce en quoi consiste le milieu dйterminй selon la raison droite, comme il est dit dans Йthique, II. En effet, la raison des actes а poser est la prudence, comme il est dit dans Йthique, VI. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence.

[65851] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut prudentia pertinet ad cognitionem practicam, ita et ars. Sed praeter artem non sunt aliqui habitus in appetitiva parte ordinati ad operandum artificialia. Ergo pari ratione nec praeter prudentiam sunt aliqui habitus virtuosi in appetitu ad operandum agibilia; et ita videtur quod non sint aliquae virtutes morales distinctae a prudentia.

17. De mкme que la prudence se rapporte а la connaissance pratique, de mкme en est-il de l’art. Or, il n’existe pas dans la partie appйtitive, en plus de l’art, d’habitus ordonnйs а rйaliser des њuvres d’art. Pour la mкme raison, il n’existe pas dans l’appйtit, pour poser les actes qui doivent l’кtre, d’habitus vertueux, en plus de la prudence. Et ainsi, il semble qu’il n’existe pas de vertus morales distinctes de la prudence.

[65852] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 18 Sed dicendum, quod ideo arti non respondet aliqua virtus in appetitu, quia appetitus est singularium, ars autem universalium.- Sed contra, Aristoteles dicit II Ethic., quod ira semper est circa singularia : sed odium est etiam universalium; habemus enim odio omne latronum genus. Odium autem ad appetitum pertinet. Ergo appetitus est respectu universalium.

18. Mais la raison pour laquelle il n’y a pas de vertu dans l’appйtit est que l’appйtit porte sur des rйalitйs singuliиres, et l’art sur des rйalitйs universelles. – En sens contraire, Aristote dit, dans Йthique, II, que la colиre porte toujours sur des rйalitйs singuliиres, mais que la haine porte aussi sur des rйalitйs universelles : en effet, nous haпssons tous les genres de brigands. Or, la haine relиve de l’appйtit. L’appйtit porte donc sur des rйalitйs universelles.

[65853] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 19 Praeterea, unaquaeque potentia naturaliter tendit in suum obiectum. Obiectum autem appetitus est bonum apprehensum. Ergo appetitus naturaliter tendit in bonum ex quo est apprehensum. Sed ad apprehendendum bonum sufficienter nos perficit prudentia. Ergo praeter prudentiam non est necessarium nos habere aliquam virtutem aliam moralem in appetitu, cum ad hoc sufficiat inclinatio naturalis.

19. Toute puissance tend naturellement vers son objet. Or, l’objet de l’appйtit est le bien apprйhendй. L’appйtit tend donc naturellement vers le bien du fait qu’il est apprйhendй. Or, pour apprйhender le bien, la prudence nous perfectionne suffisamment. En plus de la prudence, il n’est donc pas nйcessaire que nous ayons une autre vertu morale dans l’appйtit, puisque l’inclination naturelle suffit а cela.

[65854] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 20 Praeterea, ad virtutem sufficit cognitio et operatio. Sed utrumque horum habetur per prudentiam. Ergo praeter prudentiam non oportet ponere alias virtutes morales.

20. La connaissance et l’action suffisent pour la vertu. Or, on a ces deux deux choses par la prudence. Il n’est donc pas nйcessaire de proposer d’autres vertus morales en plus de la prudence.

[65855] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 21 Praeterea, sicut appetitivi habitus distinguuntur penes obiecta, ita et habitus cognoscitivi. Sed de omnibus moralibus est unus habitus cognoscitivus, vel scientia moralis circa omnia moralia, vel etiam prudentia. Ergo et una tantum est in appetitu virtus moralis.

21. De mкme que les habitus appйtitifs se distinguent selon leurs objets, de mкme en est-il aussi des habitus cognitifs. Or, il n’existe qu’un seul habitus cognitif pour toutes les rйalitйs morales : soit la science morale pour toutes les rйalitйs morales, soit aussi la prudence. Il n’existe donc qu’une seule vertu morale dans l’appйtit.

[65856] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 22 Praeterea, ea quae conveniunt in forma, et differunt solum in materia, sunt unum specie. Sed omnes virtutes morales conveniunt secundum id quod est formale in eis, quia in omnibus est medium acceptum secundum rationem rectam; non autem differunt nisi penes materias. Ergo non differunt specie, sed numero tantum.

22. Les choses qui ont en commun une forme et qui ne diffиrent que par la matiиre, font partie d’une seule espиce. Or, toutes les vertus morales ont en commun ce qui a valeur de forme en elles, car, chez toutes, il existe un milieu saisi selon la raison droite, et elles ne diffиrent que selon les matiиres. Elles ne diffиrent donc pas selon l’espиce, mais selon le nombre seulement.

[65857] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 23 Praeterea, ea quae differunt specie, non denominantur ad invicem. Sed virtutes morales denominant se ad invicem : quia, ut Augustinus dicit, oportet quod iustitia sit fortis et temperata, et temperantia iusta et fortis, et sic de aliis. Ergo virtutes non distinguuntur ad invicem.

23. Les choses qui diffиrent par l’espиce ne reзoivent pas leur nom les unes des autres. Or, les vertus morales reзoivent leur nom les unes des autres, car, comme le dit Augustin, il est nйcessaire que la justice soit forte et tempйrйe, et que la tempйrance soit juste et forte, et ainsi de suite pour les autres. Les vertus ne se distinguent donc pas les unes des autres.

[65858] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 24 Praeterea, virtutes theologicae et cardinales, sunt principaliores quam morales. Sed virtutes intellectuales non dicuntur cardinales, neque theologicae. Ergo nec morales debent dici cardinales, quasi principales.

24. Les vertus thйologales et les [vertus] cardinales sont supйrieures aux vertus morales. Or, les vertus intellectuelles ne sont appelйes ni cardinales ni thйologales. Des vertus morales ne doivent donc pas, elles non plus, кtre appelйes cardinales, comme si elles йtaient supйrieures.

[65859] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 25 Praeterea, tres ponuntur animae partes; scilicet rationalis, irascibilis et concupiscibilis. Ergo si sunt aliquae virtutes principales, videtur quod sint tres tantum.

25. On admet qu’il existe trois parties de l’вme : la partie raisonnable, la [partie] irascible et la [partie] concupiscible. S’il existe des vertus principales, il semble donc qu’il y en ait trois.

[65860] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 26 Praeterea, aliae virtutes videntur istis principaliores; sicut est magnanimitas, quae operatur magnum in omnibus virtutibus, ut dicitur IV Ethic.; et humilitas, quae est custos virtutum; mansuetudo etiam videtur esse principalior quam fortitudo, cum sit circa iram, a qua denominatur irascibilis; liberalitas et magnificentia, quae dant de suo, videntur esse principaliores quam iustitia quae reddit alteri debitum. Ergo istae non sunt virtutes cardinales, sed magis aliae.

26. D’autres vertus semblent supйrieures а celles-ci, comme la maganimitй, qui accomplit ce qui est grand dans toutes les vertus, comme il est dit dans Йthique, IV, et l’humilitй, qui est la gardienne des vertus; la douceur aussi semble кtre supйrieure а la force, puisqu’elle porte sur la colиre, dont l’irascible tire son nom; la libйralitй et la magnificence, qui donnent de leur bien propre, semblent кtre supйrieures а la justice, qui rend а autrui ce qui lui est dы. Ces vertus ne sont donc pas des vertus cardinales, mais d’autres le sont plutфt.

[65861] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 27 Praeterea, pars non distinguitur a suo toto. Sed aliae virtutes ponuntur a Tullio, partes istarum quatuor : scilicet prudentiae, iustitiae, fortitudinis, et temperantiae. Ergo saltem aliae virtutes morales non distinguuntur ab istis; et sic videntur virtutes non recte distingui.

27. La partie ne se distingue du tout dont elle fait partie. Or, d’autres vertus sont donnйes par Tullius [Cicйron] comme parties de ces quatre : la prudence, la justice, la force et la tempйrance. D’autres vertus morales ne sont donc pas distinctes de celles-ci. Et ainsi, il semble que les vertus ne soient pas correctement distinguйes.

 Cependant :

[65862] De virtutibus, q. 1 a. 12 s. c. Sed contra, est quod 1 Cor. XIII, 13, dicitur : nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec; et Sap. VIII, 7 : sobrietatem et prudentiam docet, et iustitiam, et virtutem.

Il est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant donc demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois choses; et en Sg 8, 7 : [La Sagesse] enseigne tempйrance et prudence, justice et force.

 Rйponse :

[65863] De virtutibus, q. 1 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod unumquodque diversificatur secundum speciem secundum id quod est formale in ipso. Formale autem in unoquoque est id quod est completivum definitionis eius. Ultima enim differentia constituit speciem : unde per eam differt definitum secundum speciem ab aliis; et si ipsa sit multiplicabilis formaliter secundum diversas rationes, definitum in species diversas dividitur secundum ipsius diversitatem. Illud autem quod est completivum et ultimum formale in definitione virtutis, est bonum : nam virtus universaliter accepta sic definitur : virtus est, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit : ut patet in Lib. Ethic. Unde et virtus hominis, de qua loquimur, oportet quod diversificetur secundum speciem, secundum quod bonum ratione diversificatur. Cum autem homo sit homo in quantum rationalis est; oportet hominis bonum esse eius quod est aliqualiter rationale. Rationalis autem pars, sive intellectiva, comprehendit et cognitivam et appetitivam. Pertinet autem ad rationalem partem non solum appetitus, qui est in ipsa parte rationali, consequens apprehensionem intellectus, qui dicitur voluntas : sed etiam appetitus qui est in parte sensitiva hominis, et dividitur per irascibilem et concupiscibilem. Nam etiam hic appetitus in homine sequitur apprehensionem rationis, in quantum imperio rationis obedit; unde et participare dicitur aliqualiter rationem. Bonum igitur hominis est et bonum cognitivae et bonum appetitivae partis. Non autem secundum eamdem rationem utrique parti bonum attribuitur. Nam bonum appetitivae parti attribuitur formaliter, ipsum enim bonum est appetitivae partis obiectum : sed intellectivae parti attribuitur bonum non formaliter, sed materialiter tantum. Nam cognoscere verum, est quoddam bonum cognitivae partis; licet sub ratione boni non comparetur ad cognitivam, sed magis ad appetitivam : nam ipsa cognitio veri est quoddam appetibile. Oportet igitur alterius rationis esse virtutem quae perficit partem cognoscitivam ad cognoscendum verum, et quae perficit rationem appetitivam ad apprehendendum bonum; et propter hoc philosophus in Lib. Ethic., distinguit virtutes intellectuales a moralibus : et intellectuales dicuntur quae perficiunt partem intellectualem ad cognoscendum verum, morales autem quae perficiunt partem appetitivam ad appetendum bonum. Et quia bonum magis congrue competit parti appetitivae quam intellectivae, propter hoc, nomen virtutis convenientius et magis proprie competit virtutibus appetitivae partis quam virtutibus intellectivae; licet virtutes intellectivae sint nobiliores perfectiones quam virtutes morales, ut probatur VI Ethic. Cognitio autem veri non est respectu omnium unius rationis. Alia enim ratione cognoscitur verum necessarium, et verum contingens : et iterum verum necessarium alia ratione cognoscitur si sit per se notum, sicut intellectu cognoscuntur prima principia; alia ratione si fiat notum ex alio, sicut fiunt notae conclusiones per scientiam vel sapientiam circa altissima : in quibus etiam est alia ratio cognoscendi, eo quod ex hac homo dirigitur in aliis cognoscendis. Et similiter circa contingentia operabilia non est eadem ratio cognoscendi ea quae sunt in nobis, quae dicuntur agibilia, ut sunt operationes nostrae, circa quas frequenter contingit errare, propter aliquam passionem; quarum est prudentia : et ea quae sunt extra nos a nobis factibilia, in quibus dirigit ars aliqua; quorum rectam aestimationem passiones animae non corrumpunt. Et ideo philosophus ponit VI Ethic., virtutes intellectuales, scilicet sapientiam, et scientiam et intellectum, prudentiam et artem. Similiter etiam bonum appetitivae partis non secundum eamdem rationem se habet in omnibus rebus humanis. Huiusmodi autem bonum in tripartita materia quaeritur; scilicet in passionibus irascibilis et in passionibus concupiscibilis, et in operationibus nostris quae sunt circa res exteriores quae veniunt in usum nostrum, sicut est emptio et venditio, locatio et conductio, et huiusmodi alia. Bonum enim hominis in passionibus est, ut sic homo in eis se habeat, quod per earum impetum a rationis iudicio non declinet; unde si aliquae passiones sunt quae bonum rationis natae sint impedire per modum incitationis ad agendum vel prosequendum, bonum virtutis praecipue consistit in quadam refrenatione et retractione; sicut patet de temperantia, quae refrenat et compescit concupiscentias. Si autem passio nata sit praecipue bonum rationis impedire in retrahendo, sicut timor, bonum virtutis circa huiusmodi passionem erit in sustinendo; quod facit fortitudo. Circa res vero exteriores bonum rationis consistit in hoc quod debitam proportionem suscipiant, secundum quod pertinent ad communicationem humanae vitae; et ex hoc imponitur nomen iustitiae, cuius est dirigere, et aequalitatem in huiusmodi invenire. Sed considerandum est, quod tam bonum intellectivae partis quam appetitivae est duplex : scilicet bonum quod est ultimus finis, et bonum quod est propter finem; nec est eadem ratio utriusque. Et ideo praeter omnes virtutes praedictas, secundum quas homo bonum consequitur in his quae sunt ad finem, oportet esse alias virtutes secundum quas homo bene se habet circa ultimum finem, qui Deus est; unde et theologicae dicuntur, quia Deum habent non solum pro fine, sed etiam pro obiecto. Ad hoc autem quod moveamur recte in finem, oportet finem esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem finis duo exigit : scilicet fiduciam de fine obtinendo, quia nullus sapiens movetur ad id quod consequi non potest; et amorem finis, quia non desideratur nisi amatum. Et ideo virtutes theologicae sunt tres : scilicet fides, qua Deum cognoscimus; spes, qua ipsum nos obtenturos esse speramus; et caritas, qua eum diligimus. Sic ergo patet quod sunt tria genera virtutum : theologicae, intellectuales et morales et quodlibet genus sub se plures species habet.

Toute chose se diversifie selon l’espиce d’aprиs ce qui joue le rфle de forme en elle. Or, joue le rфle de forme en toute chose ce qui complиte sa dйfinition. En effet, la diffйrence ultime constitue l’espиce : c’est donc par elle que ce qui est dйfini diffиre des autres choses selon l’espиce, et si elle est multipliable selon la forme en diverses raisons, ce qui est dйfini en espиces diverses se divise selon sa diversitй. Or, ce qui est le complйment et joue ultimement le rфle de forme dans la dйfinition de la vertu, c’est le bien, car la vertu, entendue d’une maniиre universelle, se dйfinit ainsi : «La vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde et rend bone son action», comme cela ressort clairement de l’Йthique. Aussi est-il nйcessaire que la vertu de l’homme, dont nous parlons, se diversifie selon l’espиce selon que le bien se diversifie d’aprиs la raison. Or, puisque l’homme est homme pour autant qu’il est raisonnable, il est nйcessaire que le bien de l’homme soit le bien de ce qui est raisonnable d’une certaine maniиre. Or, la partie raisonnable, ou intellective, comprend la [partie] cognitive et la [partie] appйtitive. Relиvent donc de la partie raisonnable, non seulement l’appйtit qui existe dans la partie raisonnable elle-mкme, qui suit l’apprйhension de l’intellect et qu’on appelle volontй, mais aussi l’appйtit qui est dans la partie sensible de l’homme, et qui se divise en irascible et en concupiscible. Car mкme cet appйtit chez l’homme suit l’apprйhension de la raison, pour autant qu’il obйit au commandement de la raison. C’est pourquoi on dit qu’il participe d’une certaine maniиre а la raison. Le bien de l’homme est donc tant le bien de la partie cognitive que le bien de la partie appйtitive. Mais le bien n’est pas attribuй aux deux parties pour la mкme raison. Car le bien de la partie appйtitive est attribuй а titre de forme : en effet, le bien est l’objet de la partie appйtitive; mais le bien est attribuй а la partie intellective non pas а titre de forme, mais а titre de matiиre seulement. Car connaоtre le vrai est un certain bien de la partie cognitive, bien que, sous la raison de bien, il ne se rapporte pas а la partie cognitive, mais plutфt а la partie appйtitive, car la connaissance du vrai elle-mкme est un objet de l’appйtit. Il est donc nйcessaire que la vertu qui parfait la partie cognitive pour connaоtre le vrai et celle qui parfait la partie appйtitive pour apprйhender le bien aient une autre raison. C’est pourquoi, dans le livre de l’Йthique, le Philosophe distingue les vertus intellectuelles des vertus morales : sont appelйes intellectuelles celles qui perfectionnent la partie intellectuelle pour connaоtre le vrai, mais [sont appelйes] morales celles qui perfectionnent la partie appйtitive pour dйsirer le bien. Et parce que le bien relиve plutфt de la partie appйtitive que de la partie intellective, le nom de vertu appartient avec plus de convenance et en un sens plus propre aux vertus de la partie appйtitive plutфt qu’aux vertus de la partie intellective, bien que les vertus intellectives soient des perfections plus nobles que les vertus morales, comme on le dйmontre dans Йthique, VI. Or, la connaissance du vrai ne s’йtend pas а toutes choses selon une seule raison. En effet, le vrai nйcessaire est connu selon selon une raison, et le vrai contingent selon une autre; de plus, le vrai nйcessaire est connu selon une autre raison s’il est connu par lui-mкme, comme les premiers principes sont connus par l’intellect, et selon une autre raison s’il devient connu par autre chose, comme les conclusions deviennent connues par la science ou la sagesse portant sur les rйalitйs les plus йlevйes, pour lesquelles il y a encore une autre raison de les connaоtre, du fait que l’homme est orientй vers la connaissance des autres choses а partir d’elle. De la mкme maniиre, а propos des actes а poser qui sont contingents, autre est la raison de connaоtre ce qui est en nous, qu’on appelle les actes а poser, comme sont nos opйrations, а propos desquelles il [nous] arrive souvent d’errer en raison de quelque passion, et sur lesquelles porte la prudence; et [autre est la raison de connaоtre] les choses extйrieures а nous, mais rйalisables par nous, pour lesquelles un certain art assure la direction, et dont les passions de l’вme ne pas corrompent le jugement droit. C’est pourquoi, dans Йthique, VI, le Philosophe met de l’avant des vertus intellectuelles, а savoir, la sagesse, la science et l’intellect, la prudence et l’art. De la mкme maniиre aussi, le bien de la partie appйtitive ne se trouve pas selon la mкme raison dans toutes les choses humaines. Le bien de ce genre est cherchй dans une matiиre qui se divise en trois : dans les passions de l’irascible et dans les passions du concupiscible, et dans nos opйrations qui portent sur les choses extйrieures qui viennent en notre usage, comme l’achat et la vente, la location et le contrat, et les autres choses de ce genre. En effet, le bien de l’homme, pour ce qui est des passions, consiste en ce que l’homme se comporte а leur йgard de telle sorte qu’il ne s’йcarte pas du jugement de la raison sous leur impulsion. Ainsi, s’il existe certaines passions qui ont tendance а faire obstacle au bien de la raison par mode d’incitation а agir ou а obtenir, le bien de la vertu consiste principalement а se retenir et а se retirer, comme cela est clair pour la tempйrance, qui rйfrиne et rйprime les convoitises. Mais si une passion a tendance а faire obstacle au bien de la vertu principament en se retirant, comme c’est le cas de la crainte, le bien de la vertu а propos de cette passion consistera а supporter, ce que fait la force. Mais, en ce qui concerne les choses extйrieures, le bien de la raison consiste en ce qu’ils reзoivent la proportion appropriйe pour les rapports de la vie humaine; de lа vient de nom de justice, а qui il appartient de redresser et de trouver l’йgalitй dans les choses de ce genre. Mais il faut observer que le bien de la partie intellective, comme celui de la partie appйtitive, est double : le bien qui est la fin ultime, et le bien qui existe en vue de la fin, et la raison des deux n’est pas la mкme. Et c’est pourquoi, en plus de toutes les vertus dйjа mentionnйes, par lesquelles l’homme obtient le bien pour ce qui est ordonnй а la fin, il est nйcessaire qu’existent d’autres vertus, par lesquelles l’homme se situe bien par rapport а la fin ultime, qui est Dieu. De lа vient qu’elles sont appelйes thйologales, parce qu’elles ont Dieu non seulement comme fin, mais aussi comme objet. Or, pour que nous soyons correctement mus vers la fin, il est nйcessaire que la fin soit а la fois connue et dйsirйe. Or, le dйsir de la fin exige deux choses : la confiance d’obtenir la fin, car aucun sage n’est mы vers ce qu’il ne peut pas obtenir; et l’amour de la fin, car elle n’est pas dйsirйe а moins d’кtre aimйe. C’est pourquoi il y a trois vertus thйologales : la foi, par laquelle nous connaissons Dieu; l’espйrance, par laquelle nous espйrons l’obtenir; la charitй, par laquelle nous l’aimons. Il ressort ainsi clairement qu’il y a trois genres de vertus : les vertus thйologales, intellectuelles et morales, et chaque genre comporte plusieurs espиces.

 Solutions :

[65864] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod moralia recipiunt speciem a finibus proximis; qui tamen non sunt infiniti, si in eis sola differentia formalis consideretur : nam finis proximus uniuscuiusque virtutis est bonum quod ipsa operatur, quod differt ratione, ut ostensum est in corp. art.

1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce des fins prochaines, qui ne sont cependant pas infinies, si l’on considиre en elles la seule diffйrence formelle, car la fin prochaine de toutes les vertus est le bien qu’elle accomplit, qui diffиre par sa raison, comme on l’a montrй dans le corps de l’article.

[65865] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit in his quae agunt per necessitatem naturae, quia ea consequuntur finem una actione et una forma : homo autem ideo habet rationem, quia per plura et diversa oportet quod ad finem suum perveniat; unde sunt ei necessariae plures virtutes.

2. Cet argument s’applique aux choses qui agissent par nйcessitй de nature, car celles-ci obtiennent leur fin par une seule action et une seule forme. Mais l’homme a la raison parce qu’il doit parvenir а sa fin par plusieurs choses diverses. Aussi plusieurs vertus lui sont-elles nйcessaires.

[65866] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidentia non multiplicantur in uno secundum numerum, sed tantum secundum speciem; unde non oportet unitatem vel multitudinem in virtutibus considerari secundum subiectum, quod est anima, vel potentiae eius, nisi quatenus diversitatem potentiarum consequitur diversa ratio boni, secundum quam distinguuntur virtutes, ut dictum est.

3. Les accidents ne sont pas multipliйs dans une chose selon le nombre, mais seulement selon l’espиce. Il n’est donc pas nйcessaire que l’unitй et la multitude soient envisagйes pour les vertus selon leur sujet, qui est l’вme ou ses puissances, si ce n’est pour autant qu’une raison de bien diffйrente entraоne la diversitй des puissances, [raison] selon laquelle les vertus sont distinguйes, comme on l’a dit.

[65867] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem est aliquid obiectum potentiae et habitus. Nam potentia est secundum quam simpliciter possumus aliquid, puta irasci vel confidere; habitus autem est secundum quem aliquid possumus bene vel male, ut dicitur in Ethic. Et ideo ubi est alia ratio boni, est alia ratio obiecti quantum ad habitum, sed non quantum ad potentiam; propter quod contingit in una potentia multos habitus esse.

4. Une chose n’est pas l’objet d’une puissance et d’un habitus selon la mкme raison. Car la puissance est ce par quoi nous pouvons tout simplement quelque chose, par exemple, кtre en colиre ou avoir confiance; mais l’habitus est ce selon quoi nous le pouvons bien ou mal, comme il est dit dans Йthique. C’est pourquoi lа oщ il y a une autre raison de bien, il y a une autre raison d’objet quant а l’habitus, mais non quant а la puissance. C’est la raison pour laquelle plusieurs habitus peuvent se trouvent dans une seule puissance.

[65868] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nihil prohibet aliquid esse causam effectivam alterius, quod tamen est causa finalis illius; sicut medicina est causa effectiva sanitatis, quae est finis medicinae, ut philosophus dicit I Ethic. Habitus igitur sunt causae effectivae actuum; sed actus sunt fines habituum; et ideo habitus formaliter secundum actus distinguuntur.

5. Rien n’empкche que quelque chose soit la cause efficiente d’une autre chose, tout en йtant sa cause finale, comme le mйdicament est la cause efficiente de la santй, qui est la fin du mйdicament, comme le Philosophe le dit dans Йthique, I. Les habitus sont donc causes efficientes des actes, mais les actes sont fins des habitus; c’est pourquoi les habitus se distinguent formellement selon les actes.

[65869] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod respectu finis qui est naturae humanae proportionatus, sufficit homini ad bene se habendum naturalis inclinatio; et ideo philosophi posuerunt aliquas virtutes, quarum obiectum esset felicitas, de qua ipsi tractabant. Sed finis in quo beatitudinem speramus, Deus, est naturae nostrae excedens proportionem; et ideo supra naturalem inclinationem necessariae sunt nobis virtutes, quibus in finem ultimum elevemur.

6. Par rapport а la fin qui est proportionnйe а la nature humaine, l’inclination naturelle suffit а l’homme pour se bien comporter. C’est pourquoi les philosophes ont mis de l’avant certaines vertus, dont l’objet serait la fйlicitй, dont eux-mкmes traitaient. Mais la fin que nous espйrons, Dieu, dйpasse la proportion de notre nature. C’est pourquoi, en plus de l’inclination naturelle, nous sont nйcessaires des vertus par lesquelles nous sommes йlevйs vers la fin ultime.

[65870] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod attingere ad Deum qualitercumque et imperfecte, maioris perfectionis est quam perfecte alia attingere; unde philosophus dicit de proprietatibus animalium, et in II de Cael. et Mund. : quod de sublimioribus rebus percipimus, est dignius, quam quod de aliis rebus multum cognoscimus. Et ideo nihil prohibet et fidem et spem esse virtutes, quamvis per eas imperfecte attingamus ad Deum.

7. Atteindre Dieu d’une maniиre quelconque et imparfaitement est plus parfait que d’atteindre parfaitement les autres rйalitйs. C’est ainsi que le Philosophe dit, а propos des propriйtйs des animaux, dans Sur le ciel et le monde, II : «Ce que nous percevons des rйalitйs plus йlevйes est plus digne que la connaissance approfondie que nous avons des autres choses.» C’est pourquoi rien n’empкche que la foi et l’espйrance soient des vertus, bien que nous approchions Dieu imparfaitement par elles.

[65871] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod affectus in Deum ordinatur et per spem in quantum confidit de Deo, et per caritatem in quantum diligit ipsum.

8. L’orientation de la volontй vers Dieu se rйalise par l’espйrance, pour autant qu’elle a confiance а propos de Dieu, et par la charitй, pour autant qu’elle l’aime.

[65872] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor est principium et radix omnium affectuum : non enim gaudemus de praesentia boni nisi in quantum est amatum; et similiter patet in omnibus aliis affectionibus. Sic igitur omnis virtus quae est ordinativa alicuius passionis, est etiam ordinativa amoris. Nec etiam sequitur quod caritas, quae est amor, non sit virtus specialis; sed oportet quod sit principium quodammodo omnium virtutum, in quantum omnes movet ad suum finem.

9. L’amour est le principe et la racine de tous les autres sentiments. En effet, nous ne nous rйjouissons de la prйsence du bien que pour autant qu’il est aimй; de mкme en est-il clairement pour tous les autres sentiments. Ainsi donc, toute vertu qui ordonne une passion ordonne aussi l’amour. Il n’en dйcoule cependant pas que la charitй, qui est un amour, ne soit pas une vertu spйciale, mais il est nйcessaire qu’il soit d’une certaine maniиre le principe de toutes les vertus, pour autant qu’il les meut toutes vers sa fin.

[65873] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet secundum omnia attributa divina accipi virtutes theologicas, sed solum secundum illa secundum quae appetitum nostrum movet ut finis; et secundum hoc sunt tres virtutes theologicae, ut dictum est art. 10 huius quaestionis.

10. Il n’est pas nйcessaire de concevoir des vertus thйologales pour tous les attributs divins, mais seulement pour ceux selon lesquels il meut notre appйtit en tant que fin. Et ainsi, il y a trois vertus thйologales, comme on l’a dit dans l’article 10 de la prйsente question.

[65874] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod religio habet Deum pro fine, non autem pro obiecto, sed ea quae offert colendo ipsum; et ideo non est virtus theologica. Similiter etiam sapientia, qua nunc contemplamur Deum, non immediate respicit ipsum Deum, sed effectus ex quibus ipsum in praesenti contemplamur. Timor etiam respicit pro obiecto aliquid aliud quam Deum; vel poenas vel propriam parvitatem, ex cuius consideratione homo Deo reverenter se subiicit.

11. La religion a Dieu comme fin, non pas en tant qu’objet, mais pour lui rendre un culte par ce qu’elle offre. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu thйologale. De mкme, la sagesse, par laquelle nous contemplons Dieu maintenant, ne porte pas sur Dieu lui-mкme, mais sur les effets а partir desquels nous le contemplons dans la vie prйsente. La crainte aussi porte sur quelque chose d’autre que Dieu : soit les peines, soit sa propre petitesse, dont la considйration pousse l’homme а se soumettre а Dieu avec respect.

[65875] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod sicut in speculativis sunt principia et conclusiones : ita et in operativis sunt fines et ea quae sunt ad finem. Sicut igitur ad perfectam cognitionem et expeditam non sufficit quod homo bene se habeat circa principia per intellectum, sed ulterius requiritur scientia ad conclusiones; ita in operativis praeter virtutes theologicas, quibus bene nos habemus ad ultimum finem, sunt necessariae virtutes aliae, quibus bene ordinemur ad ea quae sunt ad finem.

12. De mкme que, dans le domaine spйculatif, il existe des principes et des conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, il existe des fins et ce qui est ordonnй а la fin. De mкme que, pour la connaissance parfaite et rapide, il ne suffit pas que l’homme se comporte bien par rapport aux principes par l’intellect, mais qu’est aussi nйcessaire la science pour les conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, en plus des vertus thйologales par lesquelles nous nous comportons bien vis-а-vis de la fin, d’autres vertus sont-elles nйcessaires, par lesquelles nous sommes bien ordonnйs par rapport а ce qui se rapporte а la fin.

[65876] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet bonum, in quantum huiusmodi, sit obiectum appetitivae virtutis et non intellectivae; tamen id quod est bonum, potest inveniri etiam in intellectiva. Nam cognoscere verum, quoddam bonum est; et sic habitus perficiens intellectum ad verum cognoscendum, habet virtutis rationem.

13. Quoique le bien, en tant que tel, soit l’objet de la puissance appйtitive, et non de la puissance intellective, ce qui est bien peut cependant se trouver mкme dans la partie intellective. Car connaоtre le vrai est un certain bien. Et ainsi, l’habitus perfectionnant l’intellect pour connaоtre le vrai a raison de vertu.

[65877] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod prudentia secundum essentiam suam intellectualis est, sed habet materiam moralem; et ideo quandoque cum moralibus numeratur, quodammodo media existens inter intellectuales et morales.

14. La prudence est intellectuelle selon son essence, mais elle a une matiиre morale. C’est pourquoi elle est parfois comptйe parmi les vertus morales, en occupant d’une certaine faзon une position mйdiane entre les vertus intellectuelles et les vertus morales.

[65878] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtutes intellectuales licet distinguantur a moralibus, pertinent tamen ad scientiam moralem in quantum actus earum voluntati subduntur : utimur enim scientia cum volumus, et aliis virtutibus intellectualibus. Ex hoc autem aliquid morale dicitur, quod se habet aliquo modo ad voluntatem.

15. Bien que les intellectuelles soient distinctes des vertus morales, elles se rapportent cependant а la science morale pour autant que leurs actes sont soumis а la volontй. En effet, nous faisons usage de la science lorsque nous le voulons, ainsi que des autres vertus intellectuelles. Car on dit de quelque chose que cela est moral lorsque cela a un certain rapport avec la volontй.

 [65879] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio recta prudentiae non ponitur in definitione virtutis moralis, quasi aliquid de essentia eius existens; sed sicut causa quodammodo effectiva ipsius, vel per participationem. Nam virtus moralis nihil aliud est quam participatio quaedam rationis rectae in parte appetitiva, ut in superioribus dictum est.

16. La raison droite de la prudence n’est pas placйe dans la dйfinition de la vertu morale comme si elle faisait partie de son essence, mais comme une cause qui la rйalise d’une certaine maniиre ou en raison d’une participation. Car la vertu morale n’est rien d’autre qu’une certaine participation а la raison droite dans la partie appйtitive, comme on l’a dit plus haut.

[65880] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod materia artis sunt exteriora factibilia; materia autem prudentiae sunt agibilia in nobis existentia. Sicut igitur ars requirit rectitudinem quamdam in rebus exterioribus, quae ars disponit secundum aliquam formam; ita prudentia requirit rectam dispositionem in passionibus et affectionibus nostris; et propter hoc prudentia requirit aliquos habitus morales in parte appetitiva, non autem ars.

17. Les rйalisations extйrieures sont la matiиre de l’art, mais les actions а poser qui existent en nous sont la matiиre de la prudence. De mкme donc que l’art requiert une certaine rectitude dans les choses extйrieures, que l’art dispose selon une certaine forme, de mкme la prudence requiert-elle une disposition droite dans nos affections et nos passions. Pour cette raison, la prudence requiert certains habitus dans la partie appйtitive, mais non l’art.

[65881] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum concedimus. Appetitus enim intellectivae partis, qui est voluntas, potest esse universalis boni, quod per intellectum apprehenditur; non autem appetitus qui est in parte sensitiva, quia nec sensus universale apprehendit.

18. En effet, l’appйtit de la partie intellective, qui est la volontй, peut porter sur le bien universel, qui est apprйhendй par l’intellect, mais non l’appйtit qui se trouve dans la partie sensible, parce que le sens n’apprйhende pas non plus l’universel.

[65882] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet appetitus naturaliter moveatur in bonum apprehensum; ad hoc tamen quod faciliter inclinetur in hoc bonum, quod ratio consequitur per prudentiam perfectam, requiritur in parte appetitiva aliquis habitus virtutis; et praecipue vera ratio deliberans et demonstrans aliquod bonum, in cuius contrarium appetitus natus est ferri absolute; sicut concupiscibilis nata est moveri in delectabile sensus, et irascibilis in vindictam, quae tamen interdum ratio prohibet per suam deliberationem. Similiter etiam voluntas, ea quae in usum hominis veniunt, nata est appetere sibi ad necessitatem vitae, sed ratio deliberans aliquando praecipit alteri communicanda. Et ideo in parte appetitiva necessarium est ponere habitus virtutum ad hoc quod faciliter obediat rationi.

19. Bien que l’appйtit soit naturellement mы vers le bien apprйhendй, pour qu’il soit facilement inclinй vers ce bien, que la raison poursuit par la prudence parfaite, un habitus de vertu est nйcessaire dans la partie appйtitive, et surtout, une raison vraie dйlibйrant et montrant un certain bien, alors que l’appйtit, laissй а lui-mкme, est naturellement poussй vers son contraire : ainsi, le concupiscible est naturellement poussй а кtre mы vers un plaisir du sens, et l’irascible, vers la vengeance, que la raison interdit cependant par sa dйlibйration. De la mкme faзon, la volontй est naturellement poussйe а dйsirer pour elle-mкme, pour ce qui est nйcessaire а la vie, les choses qui viennent а l’usage de l’homme, mais la raison qui dйlibиre ordonne parfois de les partager avec un autre. C’est pourquoi il est nйcessaire de mettre dans la partie appйtitive les habitus des vertus afin qu’elle obйisse facilement а la raison.

[65883] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum est, quod cognitio ad prudentiam immediate pertinet; sed operatio pertinet ad eam mediante appetitiva virtute; et ideo debent in appetitiva etiam virtute esse aliqui habitus, qui dicuntur virtutes morales.

20. La connaissance relиve immйdiatement de la prudence, mais l’opйration en relиve par l’intermйdiaire de la puissance appйtitive. C’est pourquoi il doit y avoir des habitus dans la partie appйtitive, qu’on appelle les vertus morales.

[65884] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod in omnibus moralibus est una ratio veri : in omnibus enim moralibus est verum contingens agibile; non tamen in eis est una ratio boni, quod est obiectum virtutis. Et ideo respectu omnium moralium est unus habitus cognoscitivus, sed non una virtus moralis.

21. Dans toutes les rйalitйs morales, n’existe qu’une seule raison de vrai : en effet, dans toutes les rйalitйs morales, existe le vrai contingent qui peut кtre accompli. Cependant, il n’y a pas en elles une seule raison de bien, qui est l’objet de la vertu. C’est pourquoi, pour toutes les rйalitйs morales, il n’y a qu’un seul habitus cognitif, mais non pas une seule vertu morale.

[65885] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod medium in diversis materiis diversimode invenitur; et ideo diversitas materiae in virtutibus moralibus causat diversitatem formalem secundum quam virtutes morales specie differunt.

22. Le milieu se trouve diffйremment selon les diverses matiиres. C’est pourquoi la diversitй de matiиre dans les vertus morales cause une diversitй formelle, selon laquelle les vertus morales diffиrent selon l’espиce.

[65886] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod quaedam virtutes morales speciales, et circa materiam specialem existentes, appropriant sibi illud quod est commune omni virtuti, et ab eo denominantur : propterea quod illud quod est omnibus commune in aliqua speciali materia, praecipue difficultatem et laudem habet. Manifestum est enim quod ad quamlibet virtutem requiritur quod actus eius sit modificatus secundum debitas circumstantias, quibus in medio constituitur, et quod sit directus in ordine ad finem, vel ad quodcumque aliud exterius; et iterum quod habeat firmitatem. Immobiliter enim operari est una de conditionibus virtutis, ut patet III Ethic.; persistere autem firmiter praecipue habet difficultatem et laudem in periculis mortis, et ideo virtus quae est circa hanc materiam, nomen sibi fortitudinis vindicat. Continere autem, specialiter habet difficultatem et laudem in delectabilibus tactus; unde virtus quae est circa hanc materiam, temperantia nominatur. In usu autem rerum exteriorum praecipue requiritur et laudatur rectitudo, quia in huiusmodi bonis homines sibi communicant; et ideo hoc est bonum virtutis in eis, quia quantum ad ea homo directe secundum aequalitatem quamdam se habet ad alios; et ab hoc denominatur iustitia. Quandoque ergo homines de virtutibus loquentes, utuntur nomine fortitudinis et temperantiae et iustitiae, non secundum quod sunt virtutes speciales in determinata materia, sed secundum conditiones generales a quibus denominantur. Et per hoc dicitur quod temperantia debet esse fortis, id est firmitatem habere; et fortitudo debet esse temperata, id est modum servare, et eadem ratio est in aliis. De prudentia vero manifestum est quod quodammodo est generalis, in quantum habet pro materia omnia moralia, et in quantum omnes virtutes morales quodammodo eam participant, ut ostensum est in isto art. ad 16 arg., et hac ratione dicitur quod omnis virtus moralis debet esse prudens.

23. Certaines vertus morales particuliиres, portant sur une matiиre particuliиre, s’approprient ce qui est commun а toute vertu et en portent le nom, parce que ce qui est commun comporte, dans une matiиre particuliиre, une difficultй et une louange particuliиres. En effet, il est clair qu’il est nйcessaire pour toute vertu que ses actes soient rйglйs selon les circonstances appropriйes, en fonction desquelles elle dйtermine un milieu, et qu’elle soit orientйe selon l’ordre а la fin ou vers quelque chose d’extйrieur, et aussi, qu’elle possиde une fermetй. En effet, agir immuablement est une condition de la vertu, comme cela ressort clairement de l’Йthique, III; et persister fermement comporte une difficultй et une louange, surtout dans les dangers de mort. C’est pourquoi la vertu qui porte sur cette matiиre revendique le nom de force. Mais se contenir comporte une difficultй et une louange spйciales dans les plaisirs du toucher. Aussi la vertu qui porte sur cette matiиre est-elle appelйe tempйrance. Pour ce qui est de l’usage des choses extйrieures, la droiture surtout est exigйe et louйe, car les hommes йchangent ce genre de biens entre eux. C’est pourquoi lа se trouve le bien de la vertu en cette matiиre, car, pour ce qui concerne ces choses, l’homme se comporte correctement envers les autres par une certaine йgalitй. Pour cette raison, elle est appelйe justice. Parfois donc, lorsqu’ils parlent des vertus, les hommes utilisent le nom de force, de tempйrance et de justice, non pas selon qu’elles sont des vertus spйciales portant sur une matiиre dйterminйe, mais selon les conditions gйnйrales d’aprиs lesquelles elles sont nommйes. C’est ainsi qu’on dit que la tempйrance doit кtre forte, c’est-а-dire possйder une fermetй; et que la force doit кtre tempйrйe, c’est-а-dire respecter une mesure. Et la mкme raison vaut pour les autres. Mais il est clair que prudence est, d’une certaine maniиre, gйnйrale, pour autant qu’elle a comme matiиre toutes les rйalitйs morales, et pour autant que toutes les vertus morales y participent, comme on l’a montrй dans le prйsent article, а l’argument 16. Pour cette raison, on dit que toute vertu doit кtre prudente.

[65887] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod virtus aliqua dicitur cardinalis, quasi principalis, quia super eam aliae virtutes firmantur sicut ostium in cardine. Et quia ostium est per quod introitur in domum, ratio cardinalis virtutis non competit virtutibus theologicis, quae sunt circa ultimum finem, ex quo non est introitus vel motus ad aliquid interius. Convenit enim virtutibus theologicis quod super eas aliae virtutes firmentur, sicut supra aliquid immobile; et ideo fides dicitur fundamentum, 1 Corinth., III, 11 : fundamentum enim aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est; spes ancora, Heb. VI, 19 : sicut anima ancoram etc.; caritas radix, Ephes. III, 17 : in caritate radicati et fundati. Similiter etiam intellectuales non dicuntur cardinales, quia perficiunt in vita contemplativa quaedam earum, scilicet sapientia, scientia, et intellectus : vita autem contemplativa est finis, unde non habet rationem ostii. Sed vita activa, in qua perficiuntur morales, est ut ostium ad contemplativam. Ars autem non habet virtutes sibi cohaerentes, ut cardinalis dici possit. Sed prudentia, quae dirigit in vita activa, inter cardinales virtutes computatur.

24. Une vertu est appelйe cardinale, ou principale, parce que d’autres vertus s’appuient sur elle comme une porte sur un gond (in cardine). Et parce que la porte est ce par oщ l’on entre dans la maison, la raison de vertu cardinale ne convient pas aux vertus thйologales, qui portent sur la fin ultime, а partir de laquelle il n’y a pas d’entrйe ou de mouvement vers quelque chose а l’intйrieur. En effet, il convient aux vertus thйologales que d’autres vertus s’appuient sur elles comme sur quelque chose d’immuable. C’est pourquoi on dit que la foi est le fondement, 1 Co 3, 11 : Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a йtй opposй ; que l’espйrance est une ancre, He 6, 19 : [Nous avons] comme ancre de notre вme, etc.; que la charitй est la racine, Ep 3, 17 : Enracinйs et appuyйs sur la charitй. De la mкme faзon aussi, les vertus intellectuelles ne sont pas appelйes cardinales, parce qu’elles rйalisent dans la contemplation certaines choses qui leur appartiennent, а savoir, la sagesse, la science et l’intelligence. Mais la vie contemplative est la fin; elle n’a donc pas raison de porte. Toutefois, la vie active, dans laquelle sont accomplies les vertus morales, est comme la porte de la vie contemplative. L’art n’a pas de vertus qui lui soient associйes au point qu’il soit appelй cardinal. Mais la prudence, qui assure la direction dans la vie active, est comptйe au nombre des vertus cardinales.

[65888] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod in parte rationali sunt duae virtutes, scilicet appetitiva, quae vocatur voluntas; et apprehensiva, quae vocatur ratio. Unde in parte rationali sunt duae virtutes cardinales : prudentia quantum ad rationem, iustitia quantum ad voluntatem. In concupiscibili autem temperantia; sed in irascibili fortitudo.

25. Dans la partie raisonnable, il existe deux puissances : la puissance appйtitive, qui est appelйe volontй; et la puissance apprйhensive, qui est appelйe raison. Aussi y a –t-il dans la partie raisonnable deux vertus cardinales : la prudence, pour ce qui est de la raison, et la justice, pour ce qui est de la volontй. Dans le concupiscible, il y a la tempйrane, mais, dans l’irascible, la force.

[65889] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod in unaquaque materia oportet esse cardinalem virtutem circa id quod est principalius in materia illa. Virtutes autem quae sunt circa alia quae pertinent ad illam materiam, dicuntur secundariae vel adiectae. Sicut in passionibus concupiscibilis, principaliores sunt concupiscentiae et delectationes quae sunt secundum tactum, circa quas est temperantia; et ideo in materia ista temperantia ponitur cardinalis; eutrapelia vero, quae est circa delectationes quae sunt in ludis, potest poni secundaria vel adiuncta. Similiter inter passiones irascibilis, praecipuum est quod pertinet ad timores et audacias circa pericula mortis, circa quae est fortitudo : unde fortitudo ponitur virtus cardinalis in irascibili; non mansuetudo, quae est circa iras, licet ab ira denominetur, irascibilis propter hoc quod est ultima inter passiones irascibilis; nec etiam magnanimitas et humilitas, quae quodammodo se habent ad spem vel fiduciam alicuius magni : non enim ita movent hominem ira et spes, sicut timor mortis. In actionibus autem quae sunt respectu exteriorum quae veniunt in usum vitae, primum et praecipuum est quod unicuique quod suum est, reddatur : quod facit iustitia. Hoc enim subtracto, neque liberalitas neque magnificentia locum habet, et ideo iustitia est cardinalis virtus, et aliae sunt adiunctae. In actibus etiam rationis praecipuum est praecipere, sive eligere, quod facit prudentia : ad hoc enim ordinatur et consultiva, in quo dirigit eubulia, et iudicium de consiliatis, in quo dirigit synesis. Unde prudentia est cardinalis, aliae vero virtutes sunt adiunctae.

26. En chaque matiиre, il est nйcessaire qu’existe une vertu cardinale portant sur ce qui esst plus important dans cette matiиre. Les vertus qui portent sur d’autres choses appartenant а cette matiиre sont appelйes secondaires ou associйes. Ainsi, dans les passions du concupiscible, les principales [passions] sont les dйsirs et les plaisirs qui concernent le toucher, sur lesquels porte la tempйrance. C’est pourquoi, dans cette matiиre, la tempйrance est cardinale. Mais l’eutrapйlie, qui porte sur les plaisirs des jeux, peut кtre mise comme secondaire ou associйe. De mкme, dans les passions de l’irascible, est principal ce qui concerne les craintes et les audaces en rapport avec les dangers de morts, sur lesquelles porte la force. C’est pourquoi la force est mise comme vertu cardinale de l’irascible, et non pas la douceur, qui porte sur les colиres, bien que l’irascible tire son nom de la colиre, parce que c’est la colиre qui occupe le point le plus йlevй des passions de l’irascible. Ni la magnanimitй ni l’humilitй, qui se rapportent d’une certaine maniиre а l’espoir ou а la confiance en quelque chose de grand : en effet, la colиre et l’espoir ne meuvent pas autant l’homme que la crainte de la mort. Parmi les actions qui portent sur les rйalitйs extйrieures qui sont utilisйes pour vivre, la premiиre et la principale consiste en ce que soit rendu а chacun ce qui lui appartient, ce que fait la justice. Si cela est enlevй, ni la libйralitй ni la magnificence n’ont de place. C’est pourquoi la justice est une vertu cardinale et les autres, des [vertus] associйes. Parmi les actions de la raison, la principale consiste а commander ou а choisir, ce que fait la prudence : en effet, c’est а cela que sont ordonnйs la consultation, que dirige l’eubolia, et le jugement sur ce qui est conseillй, que dirige la synesis. Ainsi, la prudence est une [vertu] cardinale, mais les autres vertus sont associйes.

[65890] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum, quod aliae virtutes adiunctae vel secundariae ponuntur partes cardinalium, non integrales vel subiectivae, cum habeant materiam determinatam et actum proprium; sed quasi partes potentiales, in quantum particulariter participant, et deficienter medium quod principaliter et perfectius convenit virtuti cardinali.

27. Les autres vertus associйs ou secondaires sont donnйes comme des parties des vertus cardinales, non pas intйgrales ou subjectives, puisqu’elles ont une matiиre dйterminйe et un acte propre, mais comme des parties potentielles, pour autant qu’elles y participent d’une maniиre particuliиre et dйfinissent le milieu, qui convient principalement et plus parfaitement а une vertu cardinale.

 

Articulus 13 : [65891] De virtutibus, q. 1 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum virtus sit in medio

Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu?

 Objections :

[65892] De virtutibus, q. 1 a. 13 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65893] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 1 Quia, ut dicitur in I de caelo, virtus est ultimum potentiae. Sed ultimum non est medium, sed magis extremum. Ergo virtus non est in medio, sed in extremo.

1. Comme il est dit dans Sur le ciel, I, la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, ce qui est le point ultime n’est pas un milieu, mais plutфt un extrкme. La vertu ne se situe donc pas au milieu, mais а l’extrкme.

[65894] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 2 Praeterea, virtus habet rationem boni; est enim bona qualitas, ut Augustinus dicit. Bonum autem habet rationem finis, quod est ultimum, et ita extremum. Ergo magis virtus est in extremo quam in medio.

2. La vertu a raison de bien : en effet, elle est une bonne qualitй, comme le dit Augustin. Or, le bien a raison de fin, ce qui est le point ultime, et ainsi extrкme. La vertu se situe donc davantage dans un extrкme que dans un milieu.

[65895] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 3 Praeterea, bonum est contrarium malo, inter quae nullum est medium, quod neque bonum neque malum est, ut dicitur in postpraedicamentis. Ergo bonum habet rationem extremi; et sic virtus, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit, ut dicitur in II Ethic., non est in medio sed in extremo.

3. Le bien est contraire au mal : entre les deux, il n’y a aucun milieu, qui ne soit ni bien ni mal, comme il est dit dans les Postprйdicaments. Le bien a donc raison d’extrкme, et ainsi la vertu, qui «rend bon celui qui la possиde et rend son acte bon», comme il est dit dans Йthique, II, ne se situe pas dans un milieu mais dans un extrкme.

[65896] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 4 Praeterea virtus est bonum rationis; hoc enim est virtuosum quod secundum rationem est. Ratio autem in homine non se habet ut medium, sed ut supremum. Ergo ratio medii non competit virtuti.

4. La vertu est le bien de la raison : en effet, est vertueux ce qui est conforme а la raison. Or, la raison chez l’homme ne se prйsente pas chez l’homme comme un milieu, mais comme quelque chose de suprкme. La raison de milieu ne convient donc pas а la vertu.

[65897] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 5 Praeterea, omnis virtus, aut est theologica, aut intellectualis, aut moralis, ut ex superioribus patet. Sed virtus theologica non est in medio; quia Bernardus dicit quod modus caritatis est non habere modum. Caritas autem praecipua est inter alias virtutes theologicas, et radix earum. Similiter etiam nec intellectualibus virtutibus videtur competere ratio medii : quia medium est inter contraria; res autem, prout sunt in intellectu non sunt contrariae, nec intellectus corrumpitur ex excellenti intelligibili, ut dicitur in III de anima. Similiter etiam nec virtutes morales videntur esse in medio : quia quaedam virtutes consistunt in maximo : sicut fortitudo est circa maxima pericula, quae sunt pericula mortis; et magnanimitas circa magnum in honoribus; et magnificentia circa magnum in sumptibus; et pietas circa maximam reverentiam quae debetur parentibus, quibus nihil aequivalens reddere possumus; et simile est de religione, quae circa magnum est in cultu divino, cui non possumus sufficienter servire. Ergo virtus non est in medio.

5. Toute vertu est soit thйologale, soit intellectuelle, soit morale, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut. Or, la vertu thйologale ne se situe pas dans un milieu, car Bernard dit que la mesure de la charitй consiste en ce qu’elle n’ait pas de mesure. Or, la charitй est la principale des vertus thйologales et leur racine. De mкme aussi, la raison de milieu ne semble pas convenir aux vertus intellectuelles, car le milieu se situe entre des contraires. Or, les choses, en tant qu’elles sont dans l’intellect, ne sont pas contraires, et l’intellect n’est pas corrompu par un objet intelligible excellent, comme il est dit dans Sur l’вme, III. De mкme encore, les vertus morales ne semblent pas se situer dans un milieu, car certaines vertus portent sur ce qui est le plus grand, comme la force porte sur les dangers les plus grands, qui sont les dangers de mort, la magnanimitй sur les plus grands honneurs, la magnificence sur les plus grandes dйpenses, la piйtй sur le plus grand respect qui est dы aux parents, auxquels nous ne pouvons rendre rien d’йquivalent. Et il en est de mкme pour la religion, qui porte sur ce qui est grand dans le culte de Dieu, que nous ne pouvons suffisamment servir. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

[65898] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 6 Praeterea, si perfectio virtutis consistit in medio, oportet quod perfectiores virtutes magis in medio consistant. Sed virginitas et paupertas sunt perfectiores virtutes, quia cadunt sub consilio, quod non est nisi de meliori bono. Ergo virginitas et paupertas essent in medio : quod videtur esse falsum; quia virginitas in materia venereorum abstinet ab omni venereo, et ita tenet extremum; et similiter in possessionibus paupertas, quia renuntiat omnibus. Non ergo videtur quod ratio virtutis sit consistere in medio.

6. Si la perfection de la vertu se situe dans un milieu, il est nйcessaire que les vertus plus parfaites se situent plutфt dans un milieu. Or, la virginitй et la pauvretй sont des vertus plus parfaites parce qu’elles sont l’objet d’un conseil, qui ne porte que sur un bien meilleur. La virginitй et la pauvretй se situeraient donc dans un milieu, ce qui semble кtre faux, car la virginitй s’abstient de tout plaisir sexuel en matiиre de plaisirs sexuels, et se situe ainsi а un extrкme. De mкme en est-il de la pauvretй pour les possessions, car elle renonce а toutes. Il ne semble donc pas que la raison de vertu se situe dans un milieu.

[65899] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 7 Praeterea, Boetius in arithmetica assignat triplex medium : scilicet arithmeticum, ut 6 inter 4 et 8, quia secundum aequalem quantitatem distat ab utroque; et medium geometricum, sicut 6 inter 9 et 4, quia secundum eamdem proportionem, scilicet sesquialteram, ab utroque extremo distat, licet non secundum eamdem quantitatem; et medium harmonicum, sive musicum, sicut 3 est medium inter 6 et 2, quia quae proportio est unius extremi ad alterum, scilicet 6 ad 2, eadem est proportio 3 (quod est differentia inter 6 et 3) ad 1, quod est differentia inter 2 et 3. Nullum autem istorum mediorum salvatur in virtute; quia non oportet quod medium virtutis aequaliter se habeat ad extremum neque secundum quantitatem, neque secundum proportionem et terminorum et differentiarum. Ergo virtus non est in medio.

7. Boиce, dans Arithmйtique, signale trois milieux : le [milieu] arithmйtique, comme 6 entre 4 et 8, car il est а йgale distance des deux par une quantitй йgale; le milieu gйomйtrique, comme 6 entre 9 et 4, car il est йgale distance des deux selon une mкme proportion, а savoir, sesquialtиre [une fois et demie], bien qu’il ne le soit pas selon une quantitй йgale; le milieu harmonique ou musical, comme 3 est le milieu entre 6 et 2, parce que la proportion d’un extrкme а l’autre, а savoir, de 6 а 2, est la mкme proportion de 3 (qui est la diffйrence entre 6 et 3) а 1, qui est la diffйrence entre 2 et 3. Or, aucun de ces milieux n’est respectй dans la vertu, car il n’est pas nйcessaire que le milieu de la vertu se situe йgalement par rapport aux extrкmes selon la quantitй, ni selon une proportion des termes et des diffйrences. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

[65900] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 8 Sed dicendum, quod virtus consistit in medio rationis, et non in medio rei, de quo dicit Boetius.- Sed contra, virtus, secundum Augustinum, computatur inter maxima bona, quibus nullus male utitur. Si ergo bonum virtutis est in medio, oportet quod medium virtutis maxime habeat rationem medii. Sed medium rei perfectius habet rationem medii quam medium rationis. Ergo medium virtutis magis est medium rei quam medium rationis.

8. La vertu consiste dans un milieu selon la raison, et non dans le milieu d’une chose, dont parle Boиce. – En sens contraire, la vertu, selon Augustin, compte parmi les plus grands biens, que personne n’utilise mal. Si donc le bien de la vertu se trouve dans un milieu, il est nйcessaire que le milieu de la vertu possиde au plus haut point la raison de milieu. Or, le milieu d’une chose possиde plus parfaitement la raison de milieu que le milieu selon la raison. Le milieu de la vertu est donc davantage le milieu d’une chose qu’un milieu selon la raison.

[65901] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 9 Praeterea, virtus moralis est circa passiones et operationes animae, quae sunt indivisibiles. In indivisibili autem non est accipere medium et extrema. Ergo virtus non consistit in medio.

9. La vertu morale porte sur les passions et les opйrations de l’вme, qui sont indivisibles. Or, dans l’indivisible, on ne peut dйterminer de milieu ni d’extrкmes. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

[65902] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 10 Praeterea, philosophus dicit in Lib. topicorum, quod in voluptatibus melius est facere quam fecisse, vel fieri quam factum esse. Sed virtus aliqua est circa voluptates, scilicet temperantia. Ergo, cum virtus semper quaerat quod melius est; semper temperantia quaeret voluptates fieri, quod est tenere extremum, et non medium. Non ergo virtus moralis consistit in medio.

10. Le Philosophe dit, dans le livre des Topiques, que, pour les plaisirs, mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, ou les rechercher que de les avoir eus. Or, une vertu porte sur les plaisirs, а savoir, la tempйrance. Puisque la vertu cherche toujours ce qui est meilleur, la tempйrance vise donc toujours а rechercher les plaisirs, ce qui est se situer а un extrкme, et non dans un milieu. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.

[65903] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 11 Praeterea, ubi est invenire magis et minus, ibi est invenire medium. Sed in vitiis est invenire magis et minus; est enim aliquis magis vel minus luxuriosus vel gulosus. Ergo in gula et luxuria, et in aliis vitiis, est invenire medium. Si ergo ratio virtutis est esse in medio, videtur quod in vitiis sit invenire virtutem.

11. Lа oщ l’on trouve du plus et du moins, lа on trouve un milieu. Or, on trouve du plus et eu moins dans les vices : en effet, quelqu’un est plus ou moins luxurieux ou gourmand. On trouve donc un milieu dans la gourmandise et la luxure, et dans les autres vices. Si donc la raison de vertu consiste а se situer dans un milieu, il semble qu’on trouve de la vertu dans les vices.

[65904] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 12 Praeterea, si virtus consistit in medio, non nisi in medio duorum vitiorum. Hoc autem non convenit omni virtuti morali; iustitia enim non est inter duo vitia, sed habet unum tantum vitium oppositum : accipere enim plus quam suum est, hoc vitiosum est; sed quod auferatur alicui de eo quod suum est, absque suo vitio est. Ergo ratio virtutis moralis non est ut in medio consistat.

12. Si la vertu se situe dans un milieu, ce n’est que dans un milieu entre deux vices. Or, cela ne convient pas а toutes les vertus morales. En effet, la justice ne se situe pas entre deux vices, mais n’a qu’un vice opposй, car prendre plus que ce qui vous appartient, cela est vicieux, mais enlever а quelqu’un ce qui vous appartient est accompli sans vice. La raison de vertu morale ne consiste donc pas а se situer dans un milieu.

[65905] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 13 Praeterea, medium aequaliter distat ab extremis. Sed virtus non aequaliter distat ab extremis. Fortis enim propinquior est audaci quam timido, et liberalis prodigo quam tenaci; et similiter patet in aliis. Ergo virtus moralis non consistit in medio.

13. Le milieu est а йgale distance des extrкmes. Or, la vertu n’est pas а йgale distance des extrкmes. En effet, le fort est plus proche de l’audacieux que du timide, et celui qui est libйral [est plus proche] du prodigue que de l’avare. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.

[65906] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 14 Praeterea, de extremo in extremum non transitur nisi per medium. Si ergo virtus sit in medio, non erit de uno vitio opposito in aliud transitus nisi per virtutem; quod patet esse falsum.

14. On ne va d’un extrкme а l’autre qu’en passant par le milieu. Si donc la vertu se situe dans un milieu, il n’y aura passage d’un vice opposй а un autre qu’en passant par la vertu. Ce qui est manifestement faux.

[65907] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem genere. Sed fortitudo et timiditas et audacia non sunt in eodem genere : nam fortitudo est in genere virtutis; timiditas et audacia in genere vitii. Ergo fortitudo non est medium inter ea. Et similiter potest obiici de aliis virtutibus.

15. Le milieu et les extrкmes appartiennent au mкme genre. Or, la force, la timiditй et l’audace ne font pas partie du mкme genre, car la force est dans le genre de la vertu, et la timiditй et l’audace dans le genre du vice. La force n’est donc pas un milieu entre celles-ci. Et on peut faire la mкme objection а propos des autres vertus.

[65908] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 16 Praeterea, in quantitatibus sicut extrema sunt indivisibilia, ita et medium; nam punctum est et medium et terminus lineae. Si ergo virtus consistit in medio, consistit in indivisibili. Et hoc etiam videtur per hoc quod philosophus dicit in II Ethic., quod difficile est esse virtuosum; sicut difficile est attingere signum, vel invenire centrum in circulo. Si ergo virtus in indivisibili consistit, videtur quod virtus non augeatur et minuatur; quod est manifeste falsum.

16. Dans les quantitйs, de mкme que les extrкmes sont indivisibles, de mкme en est-il du milieu, car le point est а la fois le milieu et le terme de la ligne. Si donc la vertu se situe dans un milieu, elle consiste dans un indivisible. C’est aussi ce que semble dire le Philosophe dans Йthique, II, qu’кtre vertueux est difficile, comme il est difficile d’atteindre un repиre ou de trouver le centre dans un cercle. Si donc la vertu se situe dans un milieu, il semble que la vertu n’augmente pas ni ne diminue. Ce qui est manifestement faux.

[65909] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 17 Praeterea, in indivisibili non est aliqua diversitas. Si ergo virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur quod in virtute non sit aliqua diversitas, ita quod id quod est virtuosum uni, sit virtuosum alteri; quod est manifeste falsum : nam aliquis laudatur in uno, qui vituperatur in altero.

17. Il n’y a pas de diversitй dans ce qui est indivisible. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il semble qu’il n’y aura aucune diversitй dans la vertu, de sorte que ce qui est vertueux pour l’un sera vertueux pour l’autre, ce qui est manifestement faux, car quelqu’un est louangй pour une chose qui est blвmйe chez un autre.

[65910] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 18 Praeterea, quidquid vel ad modicum elongatur ab indivisibili, puta a centro, est extra indivisibile, et extra centrum. Si igitur virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur quod quodcumque vel ad modicum declinet ab eo quod est rectum fieri, sit extra virtutem; et sic rarissime homo operatur secundum virtutem. Non ergo virtus est in medio.

18. Tout ce qui s’йloigne ne serait-ce qu’un peu de ce qui est indivisible, par exemple, du centre, se trouve en dehors de l’indivisible et en dehors du centre. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il semble que tout ce s’йcarte un peu de ce qui est bien agir soit en dehors de la vertu. Et ainsi, ce n’est que trиs rarement que l’homme agit selon la vertu. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.

Cependant :

[65911] De virtutibus, q. 1 a. 13 s. c. Sed contra, est quod omnis virtus vel est moralis, vel intellectualis, vel theologica. Virtus autem moralis est in medio; nam virtus moralis, secundum philosophum in VII Ethic., est habitus electivus in medietate consistens. Virtus etiam intellectualis videtur esse in medio, propter id quod apostolus dicit, Rom., XII, 3 : non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem. Similiter etiam virtus theologica videtur esse in medio; nam fides incedit media inter duas haereses, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis; spes etiam est media inter praesumptionem et desperationem. Ergo omnis virtus est in medio.

Toute vertu est soit morale, soit intellectuelle, soit thйologale. Or, la vertu morale se situe dans un milieu, car la vertu morale, selon le Philosophe dans Йthique, VI, est un habitus йlectif qui se situe dans un milieu. La vertu intellectuelle aussi semble se situer dans un milieu en raison de ce que l’Apфtre dit, Rm 12, 3 : Ne pas savoir plus qu’il faut en savoir, mais savoir avec modйration. De mкme, la vertu thйologale semble se situer dans un milieu, car la foi chemine entre deux hйrйsies, comme le dit Boиce dans le Livre sur les deux natures; l’espйrance aussi se situe entre la prйsomption et le dйsespoir. Toute vertu se situe donc dans un milieu.

Rйponse :

[65912] De virtutibus, q. 1 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod virtutes morales et intellectuales sunt in medio, licet aliter et aliter; virtutes autem theologicae non sunt in medio, nisi forte per accidens. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cuiuslibet habentis regulam et mensuram bonum consistit in hoc quod est adaequari suae regulae vel mensurae; unde dicimus illud bonum esse quod neque plus neque minus habet quam debet habere. Considerandum autem est quod materia virtutum moralium sunt passiones et operationes humanae, sicut factibilia sunt materia artis. Sicut igitur bonum in his quae fiunt per artem, consistit in hoc quod artificiata accipiant mensuram secundum quod exigit ars, quae est regula artificiatorum; ita bonum in passionibus et operationibus humanis est quod attingatur modus rationis, qui est mensura et regula omnium passionum et operationum humanarum. Nam cum homo sit homo per hoc quod rationem habet, oportet quod bonum hominis sit secundum rationem esse. Quod autem in passionibus et operationibus humanis aliquis excedat modum rationis vel deficiat ab eo, hoc est malum. Cum igitur bonum hominis sit virtus humana, consequens est quod virtus moralis consistat in medio inter superabundantiam et defectum; ut superabundantia et defectus et medium accipiantur secundum respectum ad regulam rationis. Virtutum autem intellectualium, quae sunt in ipsa ratione, quaedam sunt practicae, ut prudentia et ars; quaedam speculativae, ut sapientia, scientia et intellectus. Et practicarum quidem virtutum materia sunt passiones et operationes humanae, vel ipsa artificialia; materia autem virtutum speculativarum sunt res ipsae necessariae. Aliter autem se habet ratio ad utraque. Nam ad ea circa quae ratio operatur, se habet ratio ut regula et mensura, sicut iam dictum est; ad ea vero quae speculatur, se habet ratio sicut mensuratum et regulatum ad regulam et mensuram : bonum enim intellectus nostri est verum, quod quidem sequitur intellectus noster quando adaequatur rei. Sicut igitur virtutes morales consistunt in medio determinato per rationem; ita ad prudentiam, quae est virtus intellectualis practica circa moralia, pertinet idem medium in quantum ponit ipsum circa actiones et passiones. Et hoc patet per definitionem virtutis moralis, quae, ut in II Ethic. dicitur, est habitus electivus, in medietate consistens, ut sapiens determinabit. Idem ergo est medium prudentiae et virtutis moralis; sed prudentiae est sicut imprimentis, virtutis moralis sicut impressi; sicut eadem est rectitudo artis ut rectificantis, et artificiati ut rectificati. In virtutibus autem intellectualibus speculativis medium erit ipsum verum, quod consideratur in eo secundum quod attingit suam mensuram. Quod quidem non est medium inter aliquam contrarietatem quae sit ex parte rei : contraria enim inter quae accipitur medium virtutis, non sunt ex parte mensurae, sed ex parte mensurati, secundum quod excedit vel deficit a mensura; sicut patet ex hoc quod dictum est de virtutibus moralibus. Oportet igitur contraria inter quae est hoc medium virtutum intellectualium, accipere ex parte ipsius intellectus. Contraria autem intellectus sunt opposita secundum affirmationem et negationem, ut patet in II Periher. Inter affirmationes ergo et negationes oppositas accipitur medium virtutum intellectualium speculativarum, quod est verum : ut puta, quia verum est cum dicitur esse quod est, et non esse quod non est; falsum autem secundum excessum erit, ut dicitur esse quod non est; secundum defectum vero, cum dicitur non esse quod est. Si igitur in intellectu non esset aliqua propria contrarietas praeter contrarietatem rerum, non esset accipere in virtutibus intellectualibus medium et extrema. Manifestum est autem, quod in voluntate non est accipere aliquam contrarietatem propriam, sed solum secundum ordinem ad res volitas contrarias : quia intellectus cognoscit aliquid secundum quod est in ipso; voluntas autem movetur ad rem secundum quod in se est. Unde si aliqua virtus sit in voluntate secundum comparationem ad eius mensuram et regulam, talis virtus non consistet in medio : non enim est accipere extrema ex parte mensurae, sed ex parte mensurati tantum, prout excedit vel diminuitur a mensura. Virtutes autem theologicae ordinantur ad suam materiam vel obiectum, quod est Deus, mediante voluntate. Et quod de caritate et spe manifestum est, hoc circa fidem similiter dicitur. Nam licet fides sit in intellectu, est tamen in eo secundum quod imperatur a voluntate : nullus enim credit nisi volens. Unde, cum Deus sit regula et mensura voluntatis humanae, manifestum est quod virtutes theologicae non sunt in medio, per se loquendo; etsi contingat quandoque aliquam earum esse in medio per accidens, ut postea exponetur.

Les vertus morales et intellectuelles se situent dans un milieu, bien que de maniиre diffйrente; mais les vertus thйologales ne situent pas dans un milieu, si ce n’est par accident. Pour clarifier cela, il faut savoir que le bien de tous ceux qui ont une rиgle ou une mesure consiste а йgaler leur rиgle ou mesure. Ainsi disons-nous qu’est bon ce qui n’a ni plus ni moins que cela doit avoir. Or, il faut observer que les passions et les opйrations humaines sont la matiиre des vertus morales, comme les choses а rйaliser sont la matiиre de l’art. De mкme donc que le bien, dans ce qui est fait par l’art, consiste en ce que les choses rйalisйes reзoivent la mesure qu’exige l’art, qui est la rиgle des choses rйalisйes, de mкme le bien, pour les passions et les opйrations humaines, consiste-t-il en ce que la mesure de la raison soit atteinte, qui est la mesure et la rиgle de toutes les passions et opйrations humaines. En effet, puisque l’homme est homme par le fait de possйder la raison, il est nйcessaire que le bien de l’homme consiste а exister selon la raison. Mais ce qui, pour les passions et les opйrations humaines, dйpasse la mesure de la raison ou n’y atteint pas, cela est mal. Puisque le bien de l’homme est la vertu humaine, il en dйcoule donc que la vertu morale se situe dans un milieu entre l’excиs et le manque, de telle sorte que l’excиs et le manque soient entendus par rapport а la rиgle de la raison. Or, parmi les vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la raison elle-mкme, certaines sont pratiques, comme la prudence et l’art, et certains spйculatives, comme la sagesse, la science et l’intelligence. Les passions et les opйrations humaines sont la matiиre des vertus pratiques, alors que les choses elles-mкmes qui ont un caractиre nйcessaire sont la matiиre des vertus spйculatives. Or, la raison a un rapport diffйrent avec les deux. Car le rapport de la raison avec ce qu’elle accomplit en est un de rиgle et de mesure, comme on l’a dйjа dit; mais le rapport de la raison avec ce sur quoi elle spйcule est celui de ce qui est mesurй et rйglй par rapport а la rиgle et а la mesure : en effet, le bien de notre intelligence est le vrai, qu’atteint notre intellect lorsqu’il est йgal а une rйalitй. Comme les vertus morales se situent dans un milieu dйterminй par la raison, ainsi le mкme milieu relиve-t-il de la prudence, qui est une vertu intellectuelle pratique portant sur les rйalitйs morales, pour autant qu’elle l’йtablit pour les actions et les passions. Et cela ressort clairement de la dйfinition de la vertu morale qui, comme le dit Йthique, II, est un habitus йlectif se situant dans un milieu que la sagesse dйterminera. Le milieu de la prudence est donc le mкme que celui de la vertu morale, mais celui de la prudence l’est en tant qu’elle imprиgne, et celui de la vertu morale en tant qu’elle est imprйgnйe, comme la rectitude de l’art, en tant qu’йtablissant une rectitude, est la mкme que ce qui est le rйsultat de l’art, en tant qu’une rectitude y est йtablie. Mais, dans les vertus intellectuelles spйculatives, le milieu serait le vrai lui-mкme, qui est observй par le fait qu’il atteint sa mesure, ce qui n’est pas un milieu entre des contraires qui viendraient de la chose : en effet, les contraires entre lesquels le milieu de la vertu est conзu ne viennent pas de la mesure, mais de ce qui est mesurй, selon que cela dйpasse ou fait dйfaut а la mesure, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit des vertus morales. Il faut donc concevoir les contraires entre lesquels se situe ce milieu des vertus intellectuelles du cфtй de l’intelligence elle-mкme. Or, les contraires dans l’intelligence s’opposent selon l’affirmation et la nйgation, comme cela ressort clairement du Perihermeneias, II. Le milieu des vertus intellectuelles spйculatives se situe donc entre les affirmations et les nйgations opposйes, ce qui est le vrai : par exemple, il est vrai de dire que ce qui est est, et que ce qui n’est pas n’est pas; mais il sera faux par excиs de dire que ce qui n’est pas est, mais par dйfaut, que ce qui est n’est pas. S’il n’existait donc pas dans l’intelligence quelque contrariйtй propre au-delа de la contrariйtй dans les choses, il n’y aurait pas lieu de reconnaоtre un milieu et des extrкmes dans les vertus intellectuelles. Or, il est clair que, dans la volontй, il n’y a pas lieu de reconnaоtre une contrariйtй propre, mais seulement selon l’ordre par rapport а des choses voulues contraires, car l’intellect connaоt une chose selon qu’elle existe en lui, mais la volontй est mue vers une chose selon qu’elle est en elle-mкme. De sorte que s’il y a une vertu dans la volontй selon la comparaison а sa mesure et rиgle, une telle vertu ne se situera pas dans un milieu : en effet, on ne peut concevoir d’extrкmes par rapport а la mesure, mais seulement par rapport а ce qui est mesurй, pour autant que cela dйpasse ou manque а la mesure. Or, les vertus thйologales sont ordonnйes а leurs matiиre ou objet, qui est Dieu, par l’intermйdiaire de la volontй. Et ce qui est clair pour la charitй et l’espйrance, se dit de la mкme maniиre de la foi. Car, bien que la foi soit dans l’intelligence, elle est cependant en elle selon qu’elle est commandйe par la volontй : en effet, personne ne croit que s’il le veut. Aussi, puisque Dieu est la rиgle et la mesure de la volontй humaine, il est clair que les vertus thйologales ne se situent pas dans un milieu, а proprement parler, mкme s’il arrive parfois que l’une d’elles se situe dans un milieu par accident, comme on l’exposera plus loin.

Solutions :

[65913] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ultimum potentiae dicitur in quod ultimo potentia extenditur, et hoc est difficillimum : quia difficillimum est invenire medium, facile autem est divertere ab eo. Et ex hoc ipso virtus est ultimum potentiae, quod est in medio.

1. Le point ultime de la puissance se dit du point ultime auquel la puissance s’йtend, et cela est trиs difficile, car il est trиs difficile de trouver le milieu, mais il est facile de s’en йloigner. La vertu est donc le point ultime d’une puissance par le fait mкme qu’elle se situe dans un milieu.

[65914] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum habet rationem ultimi per comparationem ad motum appetitus, non autem per comparationem ad materiam in qua aliquod bonum constituitur; quod oportet esse in medio materiae, ut neque excedat, neque excedatur a debita regula et mensura.

2. Le bien a raison de point ultime si on le compare au mouvement de l’appйtit, mais non pas si on le compare а la matiиre dans laquelle se situe un certain bien ; il est nйcessaire que celui-ci se situe au milieu de la matiиre, de sorte qu’il ne dйpasse pas ni ne soit dйpassй par la rиgle et la mesure requises.

[65915] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus quantum ad formam quam a sua mensura sortitur, habet rationem extremi; et sic opponitur malo ut formatum informi, et commensuratum incommensurato. Sed secundum materiam in qua talis mensura imprimitur, sic virtus est in medio.

3. La vertu, pour ce qui est de la forme qu’elle reзoit de sa mesure, a raison d’extrкme ; et ainsi, elle s’oppose au mal comme ce qui a une forme а ce qui n’en a pas, et comme ce qui est mesurй а ce qui ne l’est pas. Mais, selon la matiиre dans laquelle une telle mesure est imprimйe, la vertu se trouve ainsi dans un milieu.

[65916] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa accipit supremum et medium, secundum ordinem potentiarum animae, non secundum materiam in qua ponitur modus virtutis quasi medium quoddam.

4. Cet argument conзoit ce qui est suprкme et ce qui est au milieu selon l’ordre des puissances de l’вme, et non selon la matiиre dans laquelle est placйe la mesure de la vertu comme un certain milieu.

[65917] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in virtutibus theologicis non est medium ut dictum est : sed in virtutibus intellectualibus est medium non inter contrarietatem rerum, prout sunt in intellectu, sed inter contrarietatem affirmationis et negationis, ut dictum est. In virtutibus autem moralibus omnibus commune invenitur quod sunt in medio. Et hoc ipsum quod quaedam attingunt ad maximum, pertinet in eis ad rationem medii, in quantum maximum attingunt secundum regulam rationis; sicut fortis attingit maxima pericula secundum rationem, scilicet quando debet, ut debet, et propter quod debet. Superfluum autem et diminutum accipitur non secundum quantitatem rei, sed per comparationem ad regulam rationis; ut puta superfluum esset, si quando non debet, vel propter quod non debet, periculis se ingereret; diminutum autem si se non ingereret quando et qualiter deberet.

5. Dans les vertus thйologales, il n’y a pas de milieu, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus intellectuelles, le milieu se trouve, non pas entre des choses contraires, telle qu’elles existent dans l’intelligence, mais entre des affirmations et des nйgations contraires, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus morales, il se trouve qu’elles ont en commun de se situer dans un milieu. Et le fait mкme que certaines parviennent au plus haut point relиve en elles de la raison de milieu, pour autant qu’elles parviennent au plus haut point selon la rиgle de la raison, comme le fort aborde selon la raison les plus grands dangers, а savoir, lorsqu’il le doit, comme il le doit et pour la raison qu’il le doit. Ce qui dйpasse et ce qui manque sont conзus, non pas selon la quantitй de la chose, mais par comparaison avec la rиgle de la raison. Par exemple, cela serait superflu s’il s’exposait aux dangers lorsqu’il ne le doit pas, ou pour une raison qui n’est pas nйcessaire ; mais ce serait un manque s’il ne s’y exposait pas quand il le faut et de la maniиre dont il le faut.

[65918] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virginitas et paupertas licet sint in extremo rei, sunt tamen in medio rationis : quia virgo abstinet a venereis omnibus propter quod debet et secundum quod debet; quia propter Deum, et delectabiliter. Si autem abstineret propter quod non deberet, utpote quia esset ei odiosum secundum se vel filios generare, vel mulierem habere, esset vitium insensibilitatis. Sed abstinere omnino a venereis propter debitum finem, est virtuosum : quia etiam qui abstinent ab huiusmodi, ut se exercitiis bellicis dent ad utilitatem reipublicae, secundum politicam virtutem laudantur.

6. La virginitй et la pauvretй, bien qu’elles portent sur des rйalitйs extrкmes, se situent cependant dans un milieu [dйterminй] par la raison, car celui qui est vierge s’abstient de tous les plaisirs sexuels pour une raison juste et selon qu’il le doit, car il le fait pour Dieu et avec joie. Mais s’il s’abstenait pour une raison qui n’est pas juste, par exemple, parce qu’il dйtesterait en soi-mкme engendrer des fils ou avoir une femme, il s’agirait du vice d’insensibilitй. Mais s’abstenir complиtement des plaisirs sexuels pour une fin juste est vertueux, car mкme ceux qui s’en abstiennent pour s’adonner а l’entraоnement militaire pour le bien de la communautй sont louangйs pour leur vertu politique.

[65919] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 7 Ad septimum dicendum, quod media illa quae Boetius ponit, sunt media rei; et ideo non conveniunt medio virtutis, quod est secundum rationem; nisi forte in iustitia, in qua est simul medium rei et medium rationis, cui competit medium rationis arithmeticum in commutationibus, et medium geometricum in distributionibus, ut patet in V Ethicorum.

7. Les milieux que Boиce propose sont des milieux dans les choses. C’est pourquoi ils ne conviennent pas au milieu de la vertu, qui se prend selon la raison, sauf peut-кtre pour la justice, dans laquelle existent en mкme temps un milieu dans les choses et un milieu de la raison : lui conviennent un milieu arithmйtique pour les йchanges, et un milieu gйomйtrique pour les distributions, comme cela ressort clairement d’Йthique, V.

[65920] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 8 Ad octavum dicendum, quod medium competit virtuti non in quantum medium, sed in quantum medium rationis : quia virtus est bonum hominis, quod est secundum rationem esse. Unde non oportet quod id quod plus habet de ratione medii, magis pertineat ad virtutem, sed quod est medium rationis.

8. Un milieu convient а la vertu non pas en tant que milieu, mais en tant que milieu de la raison, car la vertu est le bien de l’homme, qui consiste а vivre selon la raison. Il n’est donc pas nйcessaire que ce qui dйpasse la raison de milieu relиve davantage de la vertu, mais ce qui est le milieu de la raison.

[65921] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 9 Ad nonum dicendum, quod passiones et operationes animae sunt indivisibiles per se sed divisibiles per accidens, in quantum est in eis invenire magis et minus secundum diversas circumstantias; et sic virtus in eis medium tenet.

9. Les passions et les opйrations de l’вme sont indivisibles en elles-mкmes, mais divisibles par accident, pour autant qu’on peut trouver en elles du plus ou du moins selon les diverses circonstances. Et ainsi, la vertu occupe un milieu en elles.

[65922] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in voluptatibus est melius fieri quam factum esse, ut per melius non intelligatur operatio boni honesti, quod pertinet ad virtutem, sed boni delectabilis, quod pertinet ad voluptatem : voluptas enim est in fieri. Quorum autem esse est in fieri, quando facta sunt, non sunt; unde bonum voluptatis magis consistit in fieri quam in factum esse.

10. Pour les plaisirs, mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, de telle maniиre que, par mieux, on n’entende pas l’action portant sur un bien honnкte, ce qui relиve de la vertu, mais sur un bien dйlectable, ce qui relиve de la voluptй : en effet, la voluptй consiste dans l’accomplissement actuel. Or, ce dont l’кtre se trouve dans l’accomplissement actuel n’existe plus, lorsqu’on l’a fait. Aussi le bien de la voluptй consiste-t-il davantage dans l’accomplissement que dans le fait que l’avoir accompli.

[65923] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non quodcumque medium competit virtuti, sed medium rationis : quod quidem medium non contingit invenire in vitiis, quia secundum propriam rationem non oportet quod in vitiis sit virtus.

11. Ce n’est pas tout milieu qui convient а la vertu, mais le milieu de la raison, milieu qu’on ne trouve pas dans les vices, car, selon leur raison propre, il n’est pas nйcessaire que la vertu existe dans les vices.

[65924] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod iustitia non attingit medium in rebus exterioribus, in quibus homo plus sibi accipit ex inordinatione voluntatis; unde vitiosum est. Sed quod de suis rebus aliquid ab eo auferatur, hoc praeter bonitatem eius est; unde inordinationem vitiosam in ipso non importat. Sed passiones animae, circa quas sunt aliae virtutes, in nobis sunt; unde et earum superfluitas et diminutio in vitium homini cedit. Et ideo aliae virtutes morales sunt inter duo vitia; non autem iustitia, quae tamen medium in propria materia tenet, quod per se pertinet ad virtutem.

12. La justice ne parvient pas au milieu dans les choses extйrieures que l’homme accapare pour lui-mкme en raison d’un dйsordre de sa volontй. Aussi cela est-il vicieux. Mais que quelqu’un se voit enlever ce qui lui appartient, cela dйpasse sa bontй ; aussi cela ne comporte-t-il pas de dйsordre vicieux. Or, les passions de l’вme, sur lesquelles portent les autres vertus, existent en nous ; aussi leurs excиs ou leurs manques aboutissent-ils а un vice chez l’homme. C’est pourquoi les autres vertus morales se situent entre deux vices, mais non la justice, qui maintient cependant le milieu dans sa propre matiиre, ce qui relиve en soi de la vertu.

[65925] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod medium virtutis est medium rationis, et non medium rei; et ideo non oportet quod aequaliter distet ab utroque extremo, sed secundum quod ratio habet. Unde in quibus bonum rationis praecipue consistit in refrenando passionem, virtus propinquior est diminuto quam superfluo; sicut patet in temperantia et mansuetudine. In quibus autem bonum est inducere ad id quod passio impellit, virtus similior est superfluo, ut patet in fortitudine..

13. Le milieu de la vertu est un milieu de la raison, et non un milieu des choses. C’est pourquoi il n’est pas nйcessaire qu’il soit а йgale distance des deux extrкmes, mais selon que la raison le dйtermine. Aussi, dans les choses oщ le bien de la raison consiste principalement а rйfrйner une passion, la vertu est plus proche du manque que de l’excиs, comme cela ressort clairement pour la tempйrance et la douceur. Mais dans les choses oщ le bien consiste а aller dans le sens de la passion, la vertu ressemble davantage а l’excиs, comme cela ressort clairement dans la force.

[65926] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod sicut dicit philosophus in V Physic., medium est in quod continue mutans primum mutat, in quod mutat ultimo; unde solum in motu continuo requiritur quod de extremo ad extremum non transeatur nisi per medium. Motus autem qui est de vitio in vitium, non est motus continuus, sicut nec motus voluntatis aut intellectus, secundum quod fertur in diversa; unde non oportet quod de vitio in vitium transeatur per virtutem.

14. Comme le dit le Philosophe dans Physique, V, le milieu se trouve dans ce qui, changeant de maniиre continue, meut ce qui est premier vers ce qu’il meut en dernier lieu. Aussi n’est-il nйcessaire que dans le mouvement continu que l’on ne puisse passer d’un extrкme а l’autre qu’en passant par un milieu. Or, le mouvement qui consiste а passer de vice en vice n’est pas un mouvement continu, comme ne l’est pas le mouvement de la volontй ou de l’intelligence, lorsqu’elles sont portйes vers diverses choses. Il n’est donc pas nйcessaire que l’on passe de vice en vice en passant par la vertu.

[65927] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus etsi sit medium quantum ad materiam in qua invenit medium; tamen secundum formam suam, prout collocatur in genere boni, est extremum, ut philosophus dicit in II Ethicor.

15. La vertu, mкme si elle est un milieu pour la matiиre dans laquelle elle trouve un milieu, est cependant un extrкme selon sa forme, selon qu’elle est situйe dans le genre du bien, comme le dit le Philosophe dans Йthique, II.

[65928] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet medium in quo consistit virtus, sit quodammodo indivisibile, tamen virtus intendi et remitti potest, secundum quod homo magis vel minus disponitur ad attingendum indivisibile; sicut et arcus minus vel magis extenditur ad percutiendum signum indivisibile.

16. Bien que le milieu dans lequel se situe la vertu soit indivisible d’une certaine maniиre, toutefois la vertu peut кtre plus intense ou plus relвchйe, selon que l’homme est plus ou moins disposй а parvenir а ce qui est indivisible, comme l’arc est plus ou moins tendu afin d’atteindre une cible indivisible.

[65929] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod medium virtutis non est medium rei, sed rationis, ut dictum est. Et hoc quidem medium consistit in proportione sive mensuratione rerum et passionum ad hominem. Quae quidem commensuratio diversificatur secundum diversos homines : quia aliquid est multum uni quod est parum alteri. Et ideo non eodem modo sumitur virtuosum in omnibus hominibus.

17. Le milieu de la vertu n’est pas un milieu dans les choses, mais [un milieu] de la raison, comme on l’a dit. Et ce milieu consiste dans la proportion ou la mesure des choses et des passions par rapport а l’homme. Or, cette application d’une mesure se diversifie selon les diffйrents hommes, car quelque chose est beaucoup pour l’un, qui est peu pour un autre. C’est pourquoi ce qui est vertueux n’est pas dйterminй de la mкme maniиre pour tous les hommes.

[65930] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum medium virtutis sit medium rationis, accipienda est indivisibilitas huius medii secundum rationem. Accipitur autem indivisibile secundum rationem quod imperceptibilem distantiam habet, et quod errorem facere non potest; sicut totum corpus terrae accipitur loco puncti indivisibilis per comparationem ad totum caelum. Et ideo medium virtutis aliquam latitudinem habet.

18. Puisque le milieu de la vertu est un milieu de la raison, l’indivisiblitй de ce milieu doit кtre conзu selon la raison. Or, ce qui est indivisible selon la raison est pris selon qu’il a une distance imperceptible et qu’il ne peut causer d’erreur, comme l’ensemble du corps de la terre est pris comme point indivisible par rapport а l’ensemble du ciel. C’est pourquoi le milieu de la vertu comporte une certaine latitude.

Rйponse а l’argument en sens contraire :

[65931] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad s. c. Quod vero in contrarium obiicitur, concedendum et quantum ad virtutem moralem et intellectualem, sed non quantum ad theologicam. Accidit enim fidei quod sit in medio duarum haeresum, at non est per se in quantum est virtus. Et sic dicendum est de spe, quod est inter duo extrema, non secundum quod comparatur ad suum obiectum, sed secundum dispositionem subiecti ad sperandum superna.

Il faut le concйder pour la vertu morale et la vertu intellectuelle, mais non pour la vertu thйologale. En effet, il arrive que la foi ne se trouve pas entre deux hйrйsies, et qu’elle ne l’est pas en tant que vertu. Et il faut dire la mкme chose de l’espйrance, qu’elle se trouve entre deux extrкmes, non pas selon qu’on la compare а son objet, mais selon la disposition du sujet а espйrer les choses d’en haut.

 

 

Question 2 : [La charitй]

© Traduction Raymond Berton, dйcembre 2006[18]

Quaestiones disputatae de virtutibus, quaestio II

Prooemium

Prologue

[65932] De virtutibus, q. 2 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum caritas sit aliquid creatum in anima, vel sit ipse spiritus sanctus.

1. La charitй est-elle quelque chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?

[65933] De virtutibus, q. 2 pr. 2 Secundo utrum caritas sit virtus.

2. La charitй est-elle une vertu ?

[65934] De virtutibus, q. 2 pr. 3 Tertio utrum caritas sit forma virtutum.

3. La charitй est-elle la forme des vertus ?

[65935] De virtutibus, q. 2 pr. 4 Quarto utrum caritas sit una virtus.

4. La charitй est-elle une seule vertu ?

[65936] De virtutibus, q. 2 pr. 5 Quinto utrum caritas sit virtus specialis.

5. La charitй est-elle une vertu spйciale ?

[65937] De virtutibus, q. 2 pr. 6 Sexto utrum caritas possit esse cum peccato mortali.

6. La charitй peut-elle exister avec le pйchй mortel ?

[65938] De virtutibus, q. 2 pr. 7 Septimo utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura.

7. Est-ce que l’objet qui peut кtre aimй par charitй est la nature raisonnable ?

[65939] De virtutibus, q. 2 pr. 8 Octavo utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii.

8. Aimer ses ennemis est-ce la perfection du conseil ?

[65940] De virtutibus, q. 2 pr. 9 Nono utrum ordo aliquis sit in caritate.

9. Y a-t-il un certain ordre dans la charitй ?

[65941] De virtutibus, q. 2 pr. 10 Decimo utrum sit possibile caritatem esse perfectam in hac vita.

10. Est-il possible que la charitй soit parfaite en cette vie ?

[65942] De virtutibus, q. 2 pr. 11 Undecimo utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem.

11. Tous les hommes sont-ils tenus а la charitй parfaite ?

[65943] De virtutibus, q. 2 pr. 12 Duodecimo utrum caritas semel habita possit amitti.

12. La charitй une fois acquise peut-elle кtre perdue ?

[65944] De virtutibus, q. 2 pr. 13 Tertiodecimo utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur.

13. La charitй se perd-elle par un seul acte de pйchй mortel ?

 

Articulus 1 : [65945] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum caritas sit aliquid creatum in anima vel sit ipse spiritus sanctus

Article 1 – La charitй est-elle quelque chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?

[Le sujet de l’article 1 est traitй principalement trois fois. Dans le livre 1 des Sentences, d. 17, a. 1 en 1252-1254. Quand il йcrit la Somme thйologique IIaIIж, q. 109 sur la charitй а Paris vers 1271-1272 et а la mкme йpoque dans les questions disputйes sur les Vertus, question 2 (De caritate) a. 1. P. Lombard (I Sent, d. 17) dit que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme qui habite notre вme. Thomas apporte cependant des nuances (IIaIIж, q. 23, a. 1 ; c.) : « Il ne veut pas dire que le mouvement d’amour de l’Esprit saint par lequel nous aimons Dieu est l’Esprit saint lui-mкme, mais qu’il procиde de l’Esprit saint sans intermйdiaire d’aucun habitus ».]

[65946] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 2 Et videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima.

Et il semble que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme.

Objections :[19]

[65947] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 1 Sicut enim dicit Augustinus, sicut anima est vita corporis, ita Deus est vita animae. Sed anima est vita corporis sine medio. Ergo et Deus est vita animae sine medio. Cum igitur vita animae sit ex hoc quod est in caritate : quia qui non diligit, manet in morte, ut dicitur I Ioan. III, 14, homo non est in caritate per aliquid quod sit medium inter Deum et hominem, sed per ipsum Deum. Caritas ergo non est aliquid creatum in anima, sed ipse Deus.

1. Car Augustin[20] dit que de mкme que l’вme est la vie du corps, Dieu est la vie de l’вme. Mais l’вme est la vie du corps sans intermйdiaire. Donc Dieu est la vie de l’вme sans intermйdiaire. Donc du fait que la vie de l’вme est dans la charitй, parce que : « Qui n’aime pas demeure dans la mort », comme il est dit en I Jn 3, 14, l’homme n’est pas dans la charitй par un intermйdiaire entre Dieu et lui, mais par Dieu lui-mкme. Donc la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme, mais Dieu lui-mкme.

[65948] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 2 Sed dicebatur, quod similitudo illa attenditur quantum ad hoc quod anima est vita corporis hominis ut motor, non quantum ad hoc quod est vita corporis ut forma.- Sed contra, quanto aliquod agens est virtuosius, tanto minorem dispositionem requirit in patiente : ignis enim magnus sufficiens est etiam ligna minus desiccata comburere. Sed Deus est agens infinitae virtutis. Ergo si est vita animae, sicut movens ipsam ad diligendum; videtur quod non requiratur aliqua dispositio creata ex parte ipsius animae.

2. Mais on pourrait dire que cette ressemblance est atteinte du fait que l’вme est la vie du corps de l’homme comme moteur, non du fait qu’elle est vie du corps comme forme. En sens contraire, plus un agent est puissant, plus la disposition qu’il requiert dans le patient est petite ; en effet un grand feu suffit а consumer mкme un bois moins sec. Mais Dieu est un agent d’un pouvoir infini. Donc s’il est la vie de l’вme en la poussant pour ainsi dire а aimer, il semble qu’une disposition crййe n’est pas requise du cфtй de l’вme.

[65949] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit medium. Sed anima diligens Deum est idem cum Deo : quia, ut dicitur I ad Corinth. cap. VI, 17, qui adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo non cadit aliqua caritas creata media inter animam diligentem et Deum dilectum.

3. En outre, entre deux choses identiques, il n’y a pas d’intermйdiaire. Mais l’вme qui aime Dieu est identique а Dieu car, comme il est dit (1 Co 6, 17, « Qui s’attache а Dieu est un seul esprit [avec lui]. » Donc il n’y a pas de charitй crййe, intermйdiaire entre l’вme qui aime et Dieu qui est aimй.

[65950] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, dilectio qua diligimus proximum caritas est. Sed dilectio qua diligimus proximum, ipse Deus est; dicit enim Augustinus in VIII de Trinit.[cap. VIII] : Qui proximum diligit, consequens est ut ipsam dilectionem diligat. Deus autem dilectio est. Consequens ergo est ut praecipue Deum diligat. Ergo caritas non est aliquid creatum, sed ipse Deus.

4. L’amour par lequel nous aimons notre prochain est la charitй. Or l’amour par lequel nous l’aimons est Dieu lui-mкme ; en effet Augustin dйclare (La Trinitй, VIII, VIII, 12) : « Qui aime son prochain, aime en consйquence l’amour lui-mкme[21]. » Mais Dieu est amour. La consйquence en est donc qu’il aime surtout Dieu. Donc la charitй n’est pas quelque chose de crйй mais elle est Dieu lui-mкme.

[65951] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 5 Sed dicebatur, quod Deus est dilectio qua diligimus proximum causaliter.— Sed contra, Augustinus in eodem dicit, quod cum testimonio verborum Ioannis aperte declarat, ipsam supernam dilectionem, qua nos diligimus invicem, non solum ex Deo esse, sed etiam Deum esse. Non solum ergo causaliter, sed essentialiter dilectio Deus est.

5. Mais on pourrait dire que Dieu est l’amour par lequel nous aimons notre prochain а la maniиre d’une cause. En sens contraire, Augustin dit au mкme endroit[22] qu’avec le tйmoignage des paroles de Jean, il dйclare ouvertement que l’amour suprкme mкme, par lequel nous nous aimons les uns les autres, non seulement vient de Dieu, mais est aussi Dieu. Donc Dieu est amour, non seulement en tant que cause mais en tant qu’essence.

[65952] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit in V de Trinitate [cap. XVII] : Non dicturi sumus caritatem non propterea esse dictam Deum, quod ipsa caritas sit ipsa substantia quae Dei digna sit nomine; sed quod donum sit Dei, sicut dictum est de eo : tu es patientia mea; quia ab ipso nobis est. Non autem sic dictum est : domine, tu caritas mea; sed ita dictum est : Deus caritas est; sicut dictum est : Deus spiritus est. Videtur ergo quod Deus dicatur caritas non solum causaliter, sed essentialiter.

6. Augustin dit (La Trinitй, XV, XVII, 27)[23] : « Nous ne voulons pas dire que la charitй est appelйe Dieu non pas parce qu’elle est la substance mкme digne du nom de Dieu mais parce qu’elle est un don de Dieu, comme on a dit de lui : « Tu es ma patience » parce que nous la possйdons de lui. On n’a pas dit : Seigneur, tu es ma charitй, mais on a dit : Dieu est charitй, de mкme qu’on a dit : « Dieu est esprit. » Il semble donc bien que Dieu soit appelй charitй non seulement en tant que cause mais aussi en tant qu’essence.

[65953] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, cognito effectu Dei, non propter hoc ipse Deus cognoscitur. Sed per cognitionem dilectionis supernae ipse Deus cognoscitur. Dicit enim Augustinus, VIII de Trinit. [cap. VIII] : Magis quis novit dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Ecce iam potest notiorem Deum habere quam fratrem. Amplectere dilectionem, et dilectione amplectere Deum. Non igitur Deus dicitur dilectio fraterna solum per causam.

7. De plus, mкme si l’on connaоt l’effet produit par Dieu, ce n’est pas pour cela qu’il est lui-mкme connu. Mais Dieu est lui-mкme connu par la connaissance de l’amour suprкme. Augustin, en effet, dit La Trinitй, VIII, VIII, 12[24]) : « Quelqu’un connaоt davantage l’amour par lequel il aime que le frиre qu’il aime. Et voilа que Dieu lui est mieux connu que son frиre. Embrasse l’amour et embrasse Dieu ton amour. » Donc Dieu n’est pas appelй amour fraternel uniquement en tant que cause.

[65954] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 8 Sed dicebatur, quod fraterna dilectione cognita, cognoscitur Deus sicut in sua similitudine. Sed contra, homo secundum ipsam substantiam animae factus est ad imaginem et similitudinem Dei. Sed similitudo ista obscuratur per peccatum. Ad hoc igitur quod Deus possit in anima sicut in sua similitudine cognosci, requiritur solum quod peccatum tollatur; et non quod aliquid creatum animae superaddatur.

8. Mais on pourrait dire que, si on connaоt l’amour fraternel, on connaоt Dieu comme dans sa ressemblance. Mais en sens contraire, selon la substance mкme de l’вme, l’homme a йtй crйй а l’image et а la ressemblance de Dieu. Cependant cette ressemblance est obscurcie par le pйchй. Donc, du fait que Dieu pourrait кtre connu dans l’вme comme dans sa ressemblance, il est seulement requis que le pйchй soit enlevй et que rien de crйй ne soit surajoutй а l’вme.

[65955] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 9 Praeterea, omne quod est in anima, vel est potentia, vel passio, vel habitus, ut dicitur in III Ethic. [cap. V]. Sed caritas non est potentia animae, quia esset naturalis; nec est passio, quia non est in potentia sensitiva, in qua sunt omnes passiones; nec est habitus, quia habitus est difficile mobilis; caritas autem de facili amittitur, quia per unum actum peccati mortalis. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.

9. De plus, tout ce qui est dans l’вme est soit puissance, soit passion, soit habitus, comme dit in Ethique, III, 5. Or la charitй n’est pas puissance de l’вme, parce qu’elle serait naturelle ; elle n’est pas passion, car elle n’est pas dans la puissance sensitive, oщ se situent toutes les passions ; elle n’est pas non plus un habitus parce que un habitus ne change pas facilement[25]; mais la charitй se perd facilement, par le pйchй mortel. Donc la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme.

[65956] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, nullum creatum habet virtutem infinitam. Sed caritas habet virtutem infinitam, quia coniungit infinite distantia, scilicet animam Deo, et meretur bonum infinitum. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.

10. De plus, aucune crйature n’a de pouvoir infini. Mais la charitй possиde un pouvoir infini.car elle unit ce qui est infiniment distant, а savoir l’вme а Dieu et elle mйrite un bien infini. La charitй n’est donc pas quelque chose de crйй dans l’вme.

[65957] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis creatura vanitas est, ut patet Eccle. I, [2]. Vanitas autem non coniungit veritati. Cum ergo caritas coniungat nos primae veritati, videtur quod caritas non sit creatura.

11. En outre, toute crйature est vanitй comme l’atteste l’Eccle., (Qo.) 1, 2. Or la vanitй n’unit pas а la vйritй. Donc, comme la charitй ne nous unit а la vйritй premiиre, il semble qu’elle nest pas une crйature.

[65958] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne creatum est natura quaedam, cum sit in aliquo decem generum. Si igitur caritas est aliquid creatum in anima, videtur quod sit natura quaedam. Cum igitur caritate mereamur : si caritas est aliquid creatum, sequetur quod natura sit principium merendi; quod est erroneum secundum sententiam Pelagii.

12. De plus, toute crйature est une certaine nature[26] puisqu’elle se classe dans un des dix genres[27]. Si donc la charitй est quelque chose de crйй dans l’вme, il semble qu’elle est une nature. Donc, puisque nous mйritons par la charitй, si elle est quelque chose de crйй, il s’ensuivra que une nature sera principe de mйrite, ce qui est faux selon l’opinion de Pйlage[28].

[65959] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 13 Praeterea, homo secundum esse gratiae est propinquior Deo quam secundum esse naturae. Sed Deus creavit hominem secundum esse naturae sine medio. Ergo nec in esse gratiae utitur medio, scilicet caritate creata.

13. En outre, l’homme, selon l’кtre de grвce, est plus proche de Dieu que selon l’кtre de nature. Or Dieu a crйй l’homme, selon l’кtre de nature, sans intermйdiaire. Donc, il ne se sert pas dans l’кtre de grвce, d’intermйdiaire, а savoir une charitй crййe.

[65960] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 14 Praeterea, agens quod agit sine medio, est perfectius quam agens quod agit cum medio. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo agit sine medio : non ergo iustificat animam mediante aliquo creato.

14. De plus, l’agent qui opиre sans intermйdiaire est plus parfait que celui qui agit avec un intermйdiaire. Or Dieu est l’agent le plus parfait. Donc, il agit sans intermйdiaire : donc il ne justifie pas l’вme par l’intermйdiaire de quelque chose de crййe.

[65961] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, creatura rationalis est nobilior aliis creaturis. Sed aliae creaturae consequuntur suum finem absque aliquo alio superaddito. Multo magis igitur creatura rationalis movetur a Deo ad suum finem absque aliquo creato ei superaddito.

15. En outre, la crйature raisonnable est plus noble que les autres crйatures. Mais ces autres crйatures poursuivent leur fin sans rien de surajoutй. Donc la crйature raisonnable est beaucoup plus mise en mouvement par Dieu vers sa fin, sans rien de crйй qui lui serait surajoutйe.

[65962] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 16 Sed dicebatur, quod creatura rationalis non est proportionata ad suum finem per sua naturalia; et ideo indiget aliquo superaddito. Sed contra, finis hominis est bonum infinitum. Sed nullum creatum est proportionatum bono infinito. Ergo id per quod homo ordinatur in suum finem, non est bonum creatum in anima.

16. Mais on pourrait dire que la crйature raisonnable n’est pas proportionnйe а sa fin par ce qui lui est naturel et c’est pourquoi elle a besoin de quelque chose de surajoutй. En sens contraire, la fin de l’homme est le bien infini. Mais rien de ce qui est crйй n’est proportionnй а un bien infini. Donc, ce par quoi l’homme est ordonnй а sa fin n’est pas un bien crйй dans l’вme.

[65963] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 17 Praeterea, sicut Deus est lumen primum, ita est et bonum summum. Sed lumen quod Deus est, praesens est animae; quia de eo dicitur, Psal. XXXV, 10 : In lumine tuo videbimus lumen. Ergo et summum bonum, quod Deus est, praesens est animae. Sed bonum est quo aliquid diligimus. Ergo id quo diligimus, est Deus.

17. De mкme que Dieu est la lumiиre premiиre, il est aussi le bien suprкme. Mais la lumiиre qu’est Dieu est prйsente а l’вme, parce que, а son sujet, il est dit (Ps 35, 10) : En ta lumiиre, nous verrons la lumiиre. Donc le bien suprкme, qu’est Dieu, est lui aussi prйsent а l’вme. Mais le bien est ce par quoi nous aimons quelque chose. Donc, ce par quoi nous aimons, c’est Dieu.

[65964] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 18 Sed dicebatur, quod bonum quod Deus est, est praesens animae non formaliter, sed effective.- Sed contra, Deus est pura forma. Ergo formaliter adest his quibus adest.

18. Mais on pourrait dire que le bien qui est Dieu est prйsent а l’вme non pas formellement mais effectivement. En sens contraire, Dieu est forme pure. C’est donc selon la forme qu’il est prйsent lа oщ il est prйsent.

[65965] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 19 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus, X de Trinitate. Ergo secundum hoc aliquid est diligibile secundum quod est cognoscibile. Sed Deus est per seipsum cognoscibilis, sicut primum principium cognoscendi. Ergo est per seipsum diligibilis : non ergo per aliquam caritatem creatam.

19. On aime rien sans le connaоtre, comme le dit Augustin, La Trinitй, X, I, 3. Donc, selon cela, une chose ne peut кtre aimйe que dans la mesure oщ elle peut кtre connue. Mais Dieu est connaissable par lui-mкme en tant que premier principe de connaissance. Il est donc aimable par lui-mкme ; donc non, par une charitй crййe.

[65966] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 20 Praeterea unumquodque, secundum hoc est diligibile, secundum quod est bonum. Sed Deus est infinitum bonum. Ergo est in infinitum diligibilis. Sed nullus amor creatus est infinitus. Ergo cum aliqui qui sunt in caritate, diligant eum secundum quod diligibilis est; videtur quod dilectio qua diligimus Deum, non sit aliquid creatum.

20. Chaque chose peut кtre aimйe dans la mesure oщ elle est un bien. Or Dieu est le bien infini. Il est donc aimable а l’infini. Mais aucun amour crйй n’est infini. Donc, puisque certains, qui sont dans la charitй, l’aiment du fait qu’il est aimable, il semble que l’amour par lequel nous aimons Dieu ne soit pas quelque chose de crйй.

[65967] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 21 Praeterea, Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient. XI, 25. Sed non diligit creaturas irrationales per aliquid eis superadditum. Ergo nec creaturas rationales. Et ita videtur quod caritas et gratia propter quas homines diliguntur a Deo, non sint aliquid creatum superadditum animae nostrae.

21. En outre, Dieu aime tout ce qui existe, comme il est dit en Sg 11, 25. Mais il n’aime pas les crйatures sans raison par quelque chose qui leur serait ajoutй. Donc il n’aime pas non plus les crйatures raisonnables. Et ainsi, il semble que la charitй et la grвce, par lesquelles Dieu aime les hommes, ne sont pas quelque chose de crйй surajoutй а notre вme.

[65968] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 22 Praeterea, si caritas sit aliquid creatum, oportet quod sit accidens. Sed caritas non est accidens : quia nullum accidens est dignius suo subiecto; caritas autem est dignior quam natura. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.

22. En outre, si la charitй йtait quelque chose de crйй, il faudrait qu’elle soit un accident[29]. Mais elle n’est pas un accident car aucun accident n’est plus noble que son sujet ; or la charitй est plus noble qu’une nature[30]. Donc la charitй n’est pas quelque chose crйй dans l’вme.

[65969] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 23 Praeterea, sicut Bernardus dicit [Sermo IX de coena Domini], eadem lege diligimus Deum et proximum qua Pater et Filius se diligunt. Sed Pater et Filius se diligunt dilectione increata. Ergo nos diligimus Deum dilectione increata.

23. De plus, comme le dit saint Bernard (Sermon 9, sur la Cиne du Seigneur), nous aimons Dieu et notre prochain par la mкme loi par laquelle le Pиre et le Fils s’aiment. Or le Pиre et le Fils s’aiment d’un amour incrйй. Donc, nous, nous aimons Dieu d’un amour incrйй.

[65970] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 24 Praeterea, illud quod suscitat a morte, est infinitae virtutis. Sed caritas suscitat a morte; dicitur enim I Ioan. III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Ergo caritas est virtutis infinitae; ergo non est aliquid creatum.

24. En outre, ce qui ressuscite de la mort est d’un pouvoir infini. Or la charitй ressuscite de la mort. Car il est dit I Jn 3, 14 : « Nous savons que nous sommes passйs de la mort а la vie, parce que nous aimons nos frиres ». Donc la charitй est d’une valeur infinie ; donc elle n’est rien de crйй.

En sens contraire :

[65971] De virtutibus, q. 2 a. 1 s. c. Sed contra, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Si ergo caritas recipitur in nobis a Deo, oportet quod recipiatur a nobis finite secundum modum nostrum. Omne autem finitum est creatum. Ergo caritas est aliquid creatum in nobis.

Tout ce qui est reзu en quelqu’un, y est reзu par le mode de celui qui reзoit. Si donc la charitй est reзue de Dieu en nous, il faut qu’elle le soit notre mode limitй. Or tout ce qui est limitй est crйй. Donc, la charitй est quelque chose crйй en nous.

Rйponse :

[65972] De virtutibus, q. 2 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quidam posuerunt, quod caritas in nobis, qua diligimus Deum et proximum, non sit aliud quam spiritus sanctus, ut patet per Magistrum in 17 dist. I Sent.

Il faut dire que certains ont pensй que la charitй, en nous, par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain, ne serait autre que l’Esprit Saint, comme on le voit par le Maоtre I sent. dist. 17[31].

 

Et ut huius opinionis intellectus plenius habeatur, sciendum est, quod actum dilectionis quo Deum et proximum diligimus, Magister posuit quoddam creatum in nobis, sicut et actus ceterarum virtutum; sed ponebat differentiam inter actus caritatis et actus aliarum virtutum : quod spiritus sanctus ad actus aliarum virtutum movet animam mediantibus quibusdam habitibus, qui virtutes dicuntur; sed ad actum dilectionis movet voluntatem immediate per seipsum absque aliquo habitu, ut patet in 17 dist. I Lib. Et ad hoc ponendum movet ipsum excellentia caritatis, et verba Augustini in obiiciendo inducta, et quaedam similia. Ridiculum autem fuisset dicere, quod ipse actus dilectionis, quem experimur dum diligimus Deum et proximum, sit ipse Spiritus sanctus.

Et pour mieux comprendre cette opinion, il faut savoir que le Maоtre a considйrй que l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu et notre prochain йtait quelque chose de crйй en nous, tout comme les actes des autres vertus ; mais il plaзait une diffйrence entre les actes de charitй et ceux des autres vertus : а savoir que l’Esprit Saint met en mouvement l’вme pour les autres vertus par l’intermйdiaire de certains habitus appelйs vertus[32], mais qu’il met en mouvement la volontй pour l’acte d’amour, immйdiatement, lui-mкme, sans aucun habitus, comme on le voit en I sent. d. 17. Et pour le poser, l’excellence de la charitй le met en mouvement. Et les paroles d’Augustin donnйes comme objection et d’autres arguments semblables. Mais il aurait йtй ridicule de dire que l’acte mкme d’aimer, que nous expйrimentons quand nous aimons Dieu et notre prochain, soit l’Esprit Saint lui-mкme.

Sed haec opinio omnino stare non potest. Sicut enim naturales actiones et motus a quodam principio intrinseco procedunt, quod est natura; ita et actiones voluntariae oportet quod a principio intrinseco procedant. Nam sicut inclinatio naturalis in rebus naturalibus appetitus naturalis nominatur, ita in rationalibus inclinatio apprehensionem intellectus sequens, actus voluntatis est.

Cette opinion ne peut absolument pas tenir. De mкme, en effet, que les actions naturelles et les mouvements procиdent d’un principe intrinsиque[33] qui est la nature, de mкme les actions volontaires doivent-elles procйder d’un principe intrinsиque. Car, de mкme que le penchant naturel, dans ce qui naturel s’appelle l’appйtit naturel, de mкme dans ce qui est rationnel, le penchant qui suit la saisie de l’intellectuel est l’acte de la volontй.

Possibile autem est quod res naturalis ab aliquo exteriori agente ad aliquid moveatur non a principio intrinseco, puta cum lapis proiicitur sursum. Sed quod talis motus vel actio non a principio intrinseco procedens, naturalis sit, hoc omnino est impossibile, quia in se contradictionem implicat. Unde, cum contradictoria esse simul non subsit divinae potentiae; nec hoc a Deo fieri potest, ut motus lapidis sursum, qui non est a principio intrinseco, sit ei naturalis. Potest quidem lapidi dare virtutem, ex qua sicut ex principio extrinseco sursum naturaliter moveatur; non autem ut motus iste sit ei naturalis, nisi ei alia natura detur.

Or, il est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par un agent extйrieur, non par un principe intrinsиque : par exemple la pierre projetйe vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou une telle action qui ne procйde pas d’un principe intrinsиque soit naturel est tout а fait impossible, parce qu’en soi il implique une contradiction. C'est pourquoi, puisque ce qui est contradictoire ne se trouve pas en mкme temps dans la puissance divine, Dieu ne peut pas faire que le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient pas d’un principe intrinsиque, lui soit naturel. Il peut donner а la pierre un pouvoir par lequel elle est est mue vers le haut naturellement par un pouvoir extrinsиque, mais [il ne peut pas faire] que ce mouvement lui soit naturel, а moins de lui donner une autre nature..

Et similiter non potest hoc divinitus fieri ut aliquis motus hominis vel interior vel exterior qui sit a principio extrinseco, sit voluntarius; unde omnes actus voluntatis reducuntur, sicut in primam radicem, in id quod homo naturaliter vult, quod est ultimus finis. Quae enim sunt ad finem, propter finem volumus.

Et de la mкme maniиre, Dieu ne peut faire qu’un mouvement humain intйrieur ou extйrieur, qui serait d’un principe extrinsиque, soit volontaire ; c'est pourquoi, tous les actes de la volontй se ramиnent comme а une premiиre racine, en ce que l’homme veut naturellement et qui est sa fin derniиre. Car ce qui concerne la fin, nous le voulons а cause de la fin.

Actus igitur qui excedit totam facultatem naturae humanae, non potest esse homini voluntarius, nisi superaddatur naturae humanae aliquid intrinsecum voluntatem perficiens, ut talis actus a principio intrinseco proveniat.

Donc l’acte qui dйpasse toute la facultй de la nature humaine ne peut кtre volontaire pour l’homme que s’il est ajoutй а la nature humaine quelque chose d’intrinsиque qui perfectionne la volontй, pour qu’un tel acte provienne d’un principe intrinsиque.

Si igitur actus caritatis in homine non ex aliquo habitu interiori procedat naturali potentiae superaddito, sed ex motione Spiritus sancti, sequetur alterum duorum :

vel quod actus caritatis non sit voluntarius; quod est impossibile, quia hoc ipsum diligere est quoddam velle;

aut quod non excedat facultatem naturae, et hoc est haereticum.

Si donc l’acte de charitй dans l’homme ne procиde pas d’un habitus interne surajoutйe а sa puissance naturelle, mais par la motion de l’Esprit Saint, il s’ensuivra une de ces deux consйquences :

a. Ou l’acte de charitй n’est pas volontaire, ce qui est impossible car le fait mкme d’aimer est un certain vouloir.

b. ou l’acte de charitй ne dйpasse pas la facultй de la nature et cela est hйrйtique.

Hoc igitur remoto, sequetur primo quidem, quod actus caritatis sit actus voluntatis; secundo, dato quod actus voluntatis possit esse totaliter ab extrinseco, sicut actus manus vel pedis, sequetur etiam, si actus caritatis est solum a principio exteriori movente, quod non sit meritorius. Omne enim agens quod non agit secundum formam propriam, sed solum secundum quod est motum ab altero, est agens instrumentaliter tantum; sicut securis agit prout est mota ab artifice.

Ceci йtant donc йcartй, il s’ensuivra en premier que l’acte de charitй est un acte volontaire ; deuxiиmement, une fois donnй que l’acte volontaire pourrait кtre totalement issu d’un principe extrinsиque, comme l’acte de la main ou du pied, il s’ensuivrait aussi que, si l’acte de charitй vient seulement d’un principe extйrieur qui le meut, il ne serait pas mйritoire. Car tout agent qui n’agit pas selon sa forme propre, mais seulement mы par un autre n’est qu’un instrument en tant qu’agent, tout comme une hache n’agit que dans la mesure oщ elle est mue par l’artisan.

Sic igitur si anima non agit actum caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab exteriori agente, scilicet spiritu sancto; sequetur quod ad hunc actum se habeat sicut instrumentum tantum. Non ergo in homine est hunc actum agere vel non agere; et ita non poterit esse meritorius. Haec enim solum meritoria sunt quae in nobis aliquo modo sunt; et sic totaliter tollitur meritum humanum, cum dilectio sit radix merendi.

Ainsi donc, si l’вme ne fait pas un acte de charitй par une forme propre mais uniquement selon qu’elle y est poussйe par un agent extйrieur, а savoir l’Esprit Saint, il en dйcoulera que, pour cet acte, elle se comporte seulement comme un instrument. Donc il n’est pas dans l’homme de faire cet acte ou pas; et ainsi il ne pourra pas кtre mйritoire. Car est mйritoire seulement ce qui est de quelque maniиre en nous ; et ainsi est enlevй totalement le mйrite humain, puisque l’amour est la racine du mйrite.

Tertium inconveniens est, quia sequeretur quod homo qui est in caritate, ad actum caritatis non sit promptus, neque ipsum delectabiliter agat. Ex hoc enim actus virtutum sunt nobis delectabiles, quod secundum habitus conformamur ad illos, et inclinamur in illos per modum inclinationis naturalis. Et tamen actus caritatis est maxime delectabilis et maxime promptus existenti in caritate; et per eumdem omnia quae agimus vel patimur, delectabilia redduntur. Relinquitur igitur quod oporteat esse quemdam habitum caritatis in nobis creatum, qui sit formale principium actus dilectionis.

Nec tamen per hoc excluditur quin spiritus sanctus, qui est caritas increata, sit in homine caritatem creatam habente, movens animam ad actum dilectionis, sicut Deus movet omnia ad suas actiones, ad quas tamen inclinantur ex propriis formis. Et inde est quod omnia disponit suaviter, quia omnibus dat formas et virtutes inclinantes in id ad quod ipse movet, ut in illud tendant non coacte, sed quasi sponte.

Il existe un troisiиme inconvйnient : parce qu’il s’ensuivrait que l’homme qui est dans la charitй ne serait pas prкt pour un acte de charitй et ne le ferait pas avec plaisir. Car du fait que les actes des vertus nous sont agrйables parce qu’en raison de nos habitus, elles nous y rendent conformes et nous y inclinent et а nous tourner vers eux par un penchant naturel. Et cependant l’acte de charitй est trиs agrйable et trиs prкt pour qui est dans la charitй, et par ce mкme [acte] rend plus agrйable tout ce que nous faisons ou supportons. Et il reste donc qu’il faut qu’il y ait un certain habitus de charitй, crйй en nous, qui soit le principe formel de l’acte d’aimer.

Et cependant, il n’est pas exclu par lа que l’Esprit Saint, qui est charitй incrййe, soit dans l’homme qui possиde une charitй crййe, mettant ne mouvement l’вme pour l’acte d’amour, comme Dieu meut tout choses pour ses actions, pour lesquelles nous sommes inclinйs par leurs formes propres. De lа vient qu’il dispose tout de maniиre agrйable, parce qu’il donne а tout, les formes et les pouvoirs qui les inclinent а ce vers quoi lui-mкme les meut, pour que tout y tende non sous la contrainte mais quasi spontanйment.

Solutions :

[65973] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus est vita animae per modum moventis, et non per modum formalis principii.

1. Dieu est la vie de l’вme а la maniиre d’un moteur et non а la maniиre d’un principe formel.

[65974] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet ad efficaciam moventis pertineat ut dispositionem non praeexigat in subiecto; tamen efficaciam eius demonstrat, si dispositionem fortem imprimat in passo vel moto. Fortis enim ignis non solum formam substantialem, sed et fortem dispositionem inducit. Unde fortius est agens quod sic ad agendum movet, quod etiam formam imprimit per quam agat, quam id movens quod sic movet ad agendum, ut tamen nullam imprimat formam. Unde cum spiritus sanctus sit virtuosissimum movens; sic movet ad diligendum, quod etiam habitum caritatis inducit.

2. Bien qu’il convienne а l’efficacitй du moteur de ne pas prйexiger de disposition dans le sujet, cependant, il montre son efficacitй, s’il imprime une forte disposition dans ce qui est subi ou mы. En effet, un grand feu induit non seulement la forme substantielle mais aussi une disposition forte. C'est pourquoi, plus fort est l’agent qui pousse ainsi а agir, qui imprime aussi la forme par laquelle il agit que ce moteur qui met en mouvement pour agir sans lui induire aucune forme. C'est pourquoi, comme l’Esprit Saint est un moteur tout puissant, il pousse а aimer et cela induit aussi un habitus de la charitй.

[65975] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, Qui adhaeret Deo, unus spiritus est; non designatur unitas substantiae; sed unitas affectus, quae est inter amantem et amatum. In qua quidem unione habitus caritatis magis se habet ut principium amationis quam ut medium inter amantem et amatum; nam actus dilectionis immediate transit in Deum ut in amatum, non autem immediate in habitum caritatis.

3. Lorsqu’on dit « Qui s’attache а Dieu forme [avec lui] un seul esprit », on ne dйsigne pas une unitй de substance mais l’unitй de volontй qui existe entre celui qui aime et celui qui est aimй. Certes, dans cette union, l’habitus de la charitй se comporte plus comme principe de la mnaifestation de l’amour qu’en intermйdiaire entre celui qui aime et celui qui est aimй ; en effet, l’acte d’amour passe immйdiatement en Dieu comme dans l’кtre aimй mais pas immйdiatement dans l’habitus de charitй.

[65976] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet dilectio qua diligimus proximum, sit Deus; non tamen excluditur quin praeter hanc dilectionem increatam, sit etiam in nobis dilectio creata, qua formaliter amamus, ut dictum est.

4. Bien que l’amour, par lequel nous aimons notre prochain, soit Dieu, il n’est cependant pas exclu qu’au-delа de cet amour incrйй, il y ait aussi en nous un amour crйй, par lequel nous aimons formellement, comme cela a йtй dit.

[65977] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus non solum causaliter dicitur dilectio vel caritas, sicut causaliter tantum dicitur spes vel patientia; sed etiam essentialiter. Non tamen excluditur quin praeter illam dilectionem quae essentialiter Deus est, sit etiam in nobis dilectio creata.

5. Dieu est appelй amour ou charitй non seulement en tant que cause comme on parle seulement en tant que cause de l’espйrance ou de la patience ; mais aussi en tant qu’essence. Cependant, il n’est pas exclu qu’au delа de cet amour qui est Dieu par essence, il y ait aussi en nous un amour crйй.

[65978] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 6 Et per hoc etiam patet solutio ad sextum.

6. Et par ce raisonnement apparaоt aussi la solution а donner au sixiиme argument.

[65979] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod auctoritas illa eamdem difficultatem habet, sive ponatur creatus habitus caritatis in nobis, sive non. Cum enim dicit Augustinus, quod qui diligit proximum, magis cognoscit dilectionem qua diligit, quam proximum quem diligit, intelligere videtur de ipso actu dilectionis. Quem quidem actum nullus ponit esse aliquid increatum; unde ex hoc concludi non potest quod ipsa dilectio sic nota, sit Deus; sed quod in hoc quod percipimus actum dilectionis in nobis, sentimus in nobis ipsis quamdam Dei participationem, quia ipse Deus dilectio est; non quod sit ipse actus dilectionis quem percipimus.

7. Cette autoritй prйsente la mкme difficultй, soit qu’on place en nous un habitus de charitй crййe ou pas. En effet, quand Augustin dit que celui qui aime son prochain connaоt mieux l’amour par lequel il aime que le prochain qu’il aime, il semble [le] comprendre а partir de l’acte d’aimer mкme. Certes, personne ne pense que cet acte soit incrйй ; c'est pourquoi, on ne peut pas en conclure que l’amour mкme, ainsi connu, est Dieu ; mais parce que du fait que nous percevons l’action de l’amour en nous, nous sentons en nous-mкmes une certaine participation de Dieu parce qu’il est lui-mкme l’amour, sans en кtre l’acte que nous percevons.

[65980] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura secundum quod magis perficitur, magis ad similitudinem Dei accedit. Unde, licet quaelibet creatura habeat quamdam Dei similitudinem in eo quod est et bona est; creatura tamen rationalis superaddit aliquam rationem similitudinis in eo quod intellectualis est; et adhuc aliam in hoc quod facta est : et sic in actu caritatis expressius percipitur Deus sicut in propinquiori similitudine.

8. La crйature selon qu’elle est plus accomplie s’approche davantage de la ressemblance а Dieu. C'est pourquoi, bien que n’importe quelle crйature ait une certaine ressemblance а Dieu dans le fait qu’elle est et qu’elle est bonne, cependant la crйature douйe de raison surajoute une autre raison de ressemblance dans le fait qu’elle est intellectuelle; elle y surajoute encore une autre raison dans le fait qu’elle a йtй crййe ; ainsi, dans l’acte de charitй, Dieu est perзu plus expressйment comme dans une ressemblance plus proche.

[65981] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas habitus est; et difficile mobilis; quia non de facili, qui habet caritatem, inclinatur ad peccandum; licet ex peccato caritas amittatur.

9. La charitй est un habitus, qui change difficilement, car ce n’est pas facilement que celui qui possиde la charitй se laisse aller а pйcher, bien que celle-ci soit perdue par le pйchй.

[65982] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod caritas coniungit bono infinito, non effective, sed formaliter; unde virtus infinita non competit caritati, sed caritatis auctori. Competeret autem caritati virtus infinita, si homo ad infinitum bonum per caritatem infinite ordinaretur : quod patet esse falsum. Modus enim sequitur formam rei.

10. La charitй unit au bien infini non effectivement mais formellement ; c'est pourquoi, la puissance infinie ne convient pas а la charitй mais а son auteur. Mais le pouvoir infini conviendrait а la charitй si l’homme йtait ordonnй de maniиre infinie par la charitй au bien infini, ce qui se rйvиle faux. En effet, le mode suit la forme d’une chose.

[65983] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod creatura est vanitas in quantum est ex nihilo, non autem in quantum est similitudo Dei; et ex hac parte est quod caritas creata veritati primae coniungit.

11. La crйature est vanitй en tant qu’elle vient du nйant, mais non en tant qu’elle est ressemblance а Dieu ; et c’est de ce cфtй que la charitй crййe unit а la vйritй premiиre.

[65984] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad haeresim Pelagianam pertinet quod principia naturalia hominis sufficiant ad merendum vitam aeternam. Non est autem hoc haereticum, quod aliquo creato, quod est natura quaedam in aliquo praedicamento, mereamur. Manifestum est enim quod actibus meremur; et tamen actus, cum sint quaedam creata, in genere aliquo sunt, et natura quaedam sunt.

12. Il appartient а l’hйrйsie pйlagienne que les principes naturels de l’homme suffisent а mйriter la vie йternelle. Cependant, ce n’est pas hйrйtique de mйriter par quelque chose de crйй qui est une certaine nature, dans une certaine catйgorie. En effet, il est clair que nous mйritons par nos actes ; et cependant, comme certains sont crййs, ils sont dans un genre et ils sont une nature[34].

[65985] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus esse naturale creavit sine medio efficiente, non tamen sine medio formali. Nam unicuique dedit formam per quam esset. Et similiter dat esse gratiae per aliquam formam superadditam. Et tamen non est omnino simile; quia, ut dicit Augustinus super Ioan., [Sermo XV de verbis Apostoli] qui creavit te sine te, non iustificabit te sine te. In iustificatione ergo requiritur aliqua operatio iustificantis; et ideo requiritur quod sit ibi principium activum formale : quod non habet locum in creatione.

13. Dieu a crйй l’кtre naturel sans intermйdiaire [d’une cause] efficiente, mais pas sans intermйdiaire formel. En effet, il a donnй а chaque chose une forme par laquelle elle serait. Et de la mкme faзon, il donne l’кtre de grвce par une forme surajoutйe. Et cependant, ce n’est pas tout а fait pareil car, comme le dit Augustin (Homйlies sur l’йvangile de Jean sermon XV sur les paroles de l’Apфtre) : « Celui qui t’a crйй sans toi, ne te justifiera pas sans toi ». Donc, dans la justification, est requise une opйration de celui qui justifie ; c’est pourquoi il est requis qu’il y ait un principe actif formel qui n’a pas place dans la crйation.

[65986] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod agens per medium est minus efficax in agendo, si utatur medio propter suam necessitatem. Sic autem non utitur Deus medio in agendo, quia nullius creaturae auxilio indiget; sed utitur mediis agentibus, ut servetur ordo in rebus. Sed si loquamur de medio formali, manifestum est quod quanto agens est perfectius, tanto magis formam inducit. Nam agens imperfectum non inducit formam, sed dispositionem tantum; et tanto debiliorem quanto est debilius.

14. L’agent par intermйdiaire est moins efficace pour agir s’il se sert d’un intermйdiaire а cause de sa nйcessitй. C’est ainsi que Dieu ne se sert pas d’intermйdiaire pour agir car il n’a besoin de l’aide d’aucune crйature ; mais il se sert d’agents intermйdiaires pour prйserver l’ordre des choses. Mais si nous parlons d’intermйdiaire formel, il est йvident que plus l’agent est parfait, plus il induit de forme. En effet, un agent imparfait n’induit pas de forme mais une disposition seulement, d’autant plus faible qu’il est plus faible.

[65987] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo et aliae rationales creaturae consequi possunt altiorem finem quam aliae creaturae; unde, licet ad hunc finem consequendum pluribus indigeant, nihilominus perfectiores sunt : sicut homo est melius dispositus qui potest consequi perfectam sanitatem per plures medicinas, quam ille qui non potest sanari perfecte, et ideo non indiget nisi paucis medicinis.

15. L’homme et les autres crйatures raisonnables peuvent poursuivre une fin plus haute que les autres crйatures ; c'est pourquoi, bien qu’elles aient plus de besoin pour atteindre leur fin, elles sont nйanmoins plus parfaites : de mкme que l’homme qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux remиdes, est mieux disposй que celui qui ne peut кtre soignй parfaitement et c'est pourquoi il n’a besoin que de peu de remиdes.

[65988] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod per caritatem creatam elevatur anima supra posse naturae, ut perfectius ordinetur ad finem, quam habeat facultas naturae; sed tamen non sic ordinatur ad consequendum Deum perfecte, sicut ipse perfecte se fruitur. Et hoc contingit ex hoc quod nihil creatum sit Deo proportionatum.

16. L’вme s’йlиve au-dessus des pouvoirs de la nature par la charitй crййe pour кtre de maniиre plus parfaite ordonnйe а la fin que sa facultй naturelle n’en a ; mais cependant, elle n’est pas ordonnйe pour atteindre Dieu parfaitement, comme il jouit de lui-mкme. Cela provient du fait que rien de crйй n’est proportionnй а Dieu.

[65989] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet bonum quod est Deus, sit praesens animae per seipsum; tamen requiritur medium formale ad hoc, quod anima perfecte ordinetur in ipsum ex parte animae, non autem ex parte ipsius Dei.

17. Quoique le bien, qui est Dieu, soit prйsent а l’вme par lui-mкme, cependant il requiert un intermйdiaire formel pour que l’вme est parfaitement ordonnйe а lui, de son cфtй et non du cфtй de Dieu lui-mкme.

[65990] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Deus est forma per se subsistens; non autem ita quod formaliter alicui coniungatur.

18. Dieu est une forme qui subsiste par soi, mais pas de sorte а lui кtre uni formellement.

[65991] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod dato quod Deus per seipsum cognoscatur ab anima quia hoc aliam quaestionem habet; eodem modo per seipsum diligitur, sicut per seipsum cognoscitur; ut hoc quod dico per se accipiatur ex parte diligibilis, non autem ex parte diligentis. Non enim Deus propter aliquid aliud diligitur ab anima, sed propter seipsum; et tamen anima indiget aliquo formali principio ad perfecte diligendum Deum.

19. Une fois donnй que Dieu serait connu par lui-mкme, par l’вme, parce que ceci comporte une autre question, c’est, par lui-mкme, qu’il s’aime de la mкme maniиre par lui-mкme de mкme c’est par lui-mкme qu’il se connaоt, de mкme que ce que je dis serait reзu par soi du cфtй de celui qui est aimable mais pas de celui qui aime. Car, Dieu n’est pas aimй par l’вme pour une autre raison mais pour lui-mкme ; cependant, l’вme a besoin d’un principe formel pour l’aimer parfaitement.

[65992] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Deus non potest tantum diligi a nobis quantum diligibilis est; unde non sequitur quod amor caritatis qua diligimus Deum infinitus sit. Hoc enim non minus sequeretur de actu quam de habitu; et tamen nullus dicere potest actum dilectionis, quo diligimus Deum, esse aliquid increatum.

20. Nous ne pouvons aimer Dieu qu’autant qu’il est aimable ; c'est pourquoi il n’en dйcoule pas que l’amour de charitй, par lequel nous aimons Dieu, soit infini. Car ceci rйsulterait moins de l’acte que de l’habitus ; et cependant, personne ne peut dire que l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu est quelque chose d’incrйй.

[65993] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod habitus caritatis requiritur in nobis in quantum diligimus Deum; quod aliis creaturis non convenit, licet omnes creaturae diligantur a Deo.

21. L’habitus de la charitй est requis en nous dans la mesure oщ nous aimons Dieu, ce qui ne convient pas aux autres crйatures, bien qu’elles soient toutes aimйes par Dieu.

[65994] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod nullum accidens est dignius subiecto quantum ad modum essendi; quia substantia est ens per se, accidens vero ens in alio. Sed in quantum accidens est actus et forma substantiae, nihil prohibet accidens esse dignius substantia; sic enim comparatur ad ipsam ut actus ad potentiam, et perfectio ad perfectibile; et sic est caritas dignior anima.

22. Aucun accident n’est plus noble que le sujet quant а son mode d’existence ; parce que la substance est йtant par soi, mais l’accident est йtant par un autre. Mais dans la mesure oщ l’accident est acte et forme de la substance, rien n’empкche l’accident d’кtre plus noble que la substance ; car ainsi il se compare а elle comme l’acte а la puissance et comme la perfection au perfectible ; car ainsi la charitй est-elle plus noble que l’вme.

[65995] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod licet lex qua diligimus Deum et proximum, sit increata; tamen id quo formaliter Deum et proximum diligimus, est aliquid creatum. Lex enim increata est prima mensura et regula nostrae dilectionis.

23. Bien que la loi par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain soit incrййe, cependant ce par quoi nous aimons formellement Dieu et notre prochain est quelque chose de crйй. En effet, une loi incrййe est la premiиre mesure et la premiиre rиgle de notre amour.

[65996] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod caritas resuscitat spiritualiter mortuos, formaliter, sed non effective; unde non oportet quod sit virtutis infinitae; sicut nec anima Lazari, quae formaliter Lazarum resuscitavit, in quantum, per unionem eius ad corpus, Lazarus est resuscitatus.

24. La charitй ressuscite les morts spirituellement, formellement, mais pas effectivement ; il ne faut donc pas qu’elle soit d’un pouvoir infini ; ainsi ce n’йtait pas l’вme de Lazare qui l’a ressuscitй formellement, c’est dans la mesure de son union а son corps, que Lazare est ressuscitй.

 

 

[65997] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum caritas sit virtus

Article 2La charitй est-elle une vertu ?

Objections :[35]

[65998] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[65999] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 1 Virtus enim est circa difficile, secundum philosophum in VI Ethic. Sed caritas non est circa difficile, quinimmo, ut Augustinus dicit in Lib. de verbis domini [Sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope nulla facit amor. Ergo caritas non est virtus.

1. Car la vertu concerne ce qui est difficile, selon le philosophe (Йthique, VI) mais la charitй ne concerne pas ce qui est difficile, bien plus, comme Augustin le dit dans Les paroles du Seigneur : « L’amour rend tout ce qui est lourd et monstrueux facile [et le rйduit] а presque rien. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66000] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 2 Sed dicebatur, quod illud quod est virtutis, est difficile in principio, sed facile est in fine.- Sed contra, in principio nondum est virtus. Si igitur solum in principio sit difficile, virtus non erit circa difficile.

2. Mais on pourrait dire que ce qui concerne la vertu est difficile en son commencement mais facile en sa fin. En sens contraire, au commencement, il n’y pas encore de vertu. Donc si c’йtait difficile seulement au commencement, la vertu ne sera pas pour ce qui est difficile.

[66001] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, difficultas in virtutibus accidit ex contrarietate; inde enim fit difficile temperantiam servare propter contrarias concupiscentias. Sed caritas est circa summum bonum, cui non est aliquid contrarium. Ergo id quod est caritatis, non est difficile neque in fine neque in principio.

3. La difficultй dans les vertus vient de la contrariйtй ; de lа il devient en effet difficile de conserver la tempйrance а cause des consupiscences contraires. Mais la charitй concerne le bien suprкme, pour laequelle il n’y a rien de contraire. Donc ce qui concerne la charitй, n’est pas difficile, ni dans la fin, ni au commencement.

[66002] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, diligere vel amare quoddam velle est. Sed apostolus dicit, Rom. VII, 18 : Velle adiacet mihi. Ergo diligere adiacet nobis; non ergo ad hoc aliqua virtus caritatis requiritur.

4. Aimer[36] est un certain vouloir. Mais l’apфtre dit (Rm 7, 18) : « Vouloir est а ma portйe ». Donc aimer est а notre portйe; donc ce n’est pas pour cela qu’une vertu de charitй est requise.

[66003] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, in mente nostra non est nisi intellectus et appetitus. Sed intellectus elevatur in Deum per fidem, affectus per spem. Non ergo oportet ponere tertiam virtutem caritatis ad elevandum mentem in Deum.

5. Dans notre esprit il n’y a que l’intellect et l’appйtit. Mais l’intellect est йlevй en Dieu par la foi, l’affection par l’espйrance. Donc il ne faut pas placer en troisiиme la vertu de charitй pour йlever l’esprit en Dieu.

 [66004] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 6 Sed dicendum, quod spes elevat, sed non coniungit; unde necessaria est caritas, quae coniungat.- Sed contra, spes, quia non coniungit, semper distantis est; unde illis qui per beatitudinis fruitionem coniunguntur Deo, non congruit spes. Si ergo caritas coniungit, pari ratione non competit illis qui nondum sunt coniuncti, scilicet existentibus in via. Sed virtus perficit nos in via; est enim dispositio perfecti ad optimum. Ergo caritas non est virtus.

6. Mais il faut dire que l’espйrance йlиve, mais n’unit pas pas, c'est pourquoi la charitй source d’union est nйcessaire. Mais en sens contraire, l’espйrance, parce qu’elle n’unit pas, est toujours йloignйe, c'est pourquoi chez ceux qui sont unis а Dieu par la fruition de la bйatitude, l’espйrance ne se rencontre pas. Donc si la charitй unit, а raison йgale, elle ne convient pas а ceux qui ne sont pas encore unis, а savoir а ceux qui existent dans la voie. Mais la vertu nous rend parfait dans la voie, car c’est la disposition du parfait pour le meilleur. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66005] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, gratia sufficienter coniungit nos Deo. Non igitur requiritur virtus caritatis ad hoc quod per ipsam Deo coniungamur.

7. La grвce nous unit suffisamment а Dieu. Donc la vertu de charitй n’est pas requise pour que nous soyons unis а Dieu par elle.

[66006] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, caritas est quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed amicitia hominis ad hominem non numeratur a philosophis inter virtutes politicas. Ergo nec caritas Dei debet numerari inter virtutes theologicas.

8. La charitй est une amitй de l’homme pour Dieu[37]. Mais l’amitiй de l’homme pour l’homme n’est pas comptйe par les philosophes parmi les vertus politiques[38]. Donc la charitй non plus ne doit pas кtre comptйe parmi les vertus thйologiques.

[66007] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla passio est virtus. Amor est passio. Ergo non est virtus.

9. Aucune passion n’est une vertu. Mais l’amour est une passion. Donc ce n’est pas une vertu.

[66008] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus est in medio secundum philosophum. Sed caritas non est in medio; quia in amore Dei non potest esse aliquid superfluum. Ergo caritas non est virtus.

10. La vertu est dans l’intermйdiaire selon le philosophe[39]. Mais la charitй n’est pas dans l’intermйdiaire; parce que dans l’amour de Dieu il ne peut pas y avoir rien de superflu. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66009] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 11 Praeterea, affectus est magis corruptus per peccatum quam intellectus; quia peccatum in voluntate est, ut Augustinus dicit De duabus animabus, cap. X et XI,. Sed intellectus noster non potest Deum videre immediate per seipsum in statu viae. Ergo nec affectus noster potest diligere Deum immediate per seipsum in statu viae. Sed diligere Deum per seipsum attribuitur caritati. Ergo caritas non debet inter virtutes quae perficiunt nos in via numerari.

11. L’affection est plus corrompue par le pйchй que l’intellect ; parce que la pйchй est dans la volontй, comme le dit Augustin (Les deux вmes, X et XI). Mais notre intellect ne peut pas voir Dieu sans intermйdiaire par lui-mкme dans le statut de la voie. Donc notre affection ne peut pas aimer Dieu sans intermйdiaire par lui-mкme dans le statut de la voie. Mais aimer Dieu par lui-mкme est attribuй а la charitй. Donc la charitй ne doit pas d’кtre comptйe parmi les vertus qui nous perfectionnent dans la voie.

[66010] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 12 Praeterea, virtus est ultimum de potentia rei, ut dicitur in I de Caelo [III,c. 2]. Sed delectatio est ultimum quod pertinet ad affectum. Ergo magis delectatio debet esse virtus quam amor.

12. La vertu est le dernier degrй de la puissance, comme il est dit (Le ciel, 1, 3, 281 a 25). Mais le plaisir est le dernier degrй qui convient а l’affection. Donc la vertu doit кtre plus le plaisir que l’amour[40].

[66011] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 13 Praeterea, omnis virtus habet debitum modum; unde dicit Augustinus [in lib. de natura Boni, cependant. III et IV], quod peccatum, quod opponitur virtuti, est privatio modi, speciei et ordinis. Sed caritas non habet modum; quia, sicut dicit Bernardus [in lib. de diligendo Deo], modus caritatis est sine modo diligere. Ergo caritas non est virtus.

13. Toute vertu a une mesure obligйe; c'est pourquoi Augustin (La nature du Bien, 3 et 4) dit que le pйchй qui est opposй а la vertu, est la privation de mesure, d’espиce et d’ordre. Mais la charitй n’a pas de mesure ; parce que, comme le dit saint Bernard (L’amour de Dieu), le mesure de la charitй c’est aimer sans mesure. Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66012] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 14 Praeterea, una virtus non denominatur ab alia; quia omnes species eiusdem generis ex opposito dividuntur. Sed caritas denominatur ab aliis virtutibus; dicitur enim I ad Corinth. XIII, 4 : Patiens est, benigna caritas est. Ergo caritas non est virtus.

14. Une vertu ne tire pas son nom d’une autre ; parce que toutes les espиces d’un mкme genre sont sйparйes par opposition. Mais la charitй est dйnommйe par les autres vertus ; car il est dit 1 Co 13, 4 : « La charitй est patiente, bienveillante ». Donc la charitй n’est pas une vertu.

[66013] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 15 Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic. [cap. VIII], amicitia in quadam aequalitate consistit. Sed Dei ad nos est maxima inaequalitas, sicut infinite distantium. Ergo non potest esse amicitia Dei ad nos, vel nostri ad Deum; et ita caritas, quae huiusmodi amicitiam designat, non videtur esse virtus.

15. Selon le philosophe (Йthique, VIII, 1055 a 32) l’amitiй consiste en une certaine йgalitй. Mais de Dieu а nous l’inйgalitй est trиs grande, pour ainsi dire de distance infinie. Donc il ne peut pas y avoir d’amitй de Dieu pour nous[41], ou de nous pour Dieu ; et ainsi la charitй qui dйsigne une amitiй de ce genre ne semble pas кtre une vertu.

[66015] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 17 Praeterea, amor est excellentius timore. Sed timor, propter sui excellentiam, non est virtus, sed donum, quod est excellentius virtute. Ergo neque caritas est virtus, sed donum.

17. L’amour est bien meilleur que la crainte. Mais celle-ci а cause de son excellence n’est pas une vertu, mais un don meilleur que la vertu. Donc la charitй n’est pas une vertu mais un don.

En sens contraire :

[66016] De virtutibus, q. 2 a. 2 s. c. Sed contra, praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed actus caritatis praecipitur in lege; dicitur enim Matth. XXII, 37, quod primum et maximum mandatum est : Dilige Dominum Deum tuum. Ergo caritas est virtus.

 Les prйceptes de la loi concernent les actes de vertu. Mais l’acte de charitй est ordonnй dans la loi; car en Mt 22, 37, il est dit qu’il est le premier et le plus grand des commandements : « Aime le Seigneur ton Dieu ». Donc la charitй est une vertu.

Rйponse :

[66017] De virtutibus, q. 2 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas absque dubio virtus est. Cum enim virtus sit quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; manifestum est quod secundum propriam virtutem homo ordinatur ad proprium bonum. Proprium autem bonum hominis oportet diversimode accipi,

secundum quod homo diversimode accipitur. Nam proprium bonum hominis in quantum homo, est bonum rationis, eo quod homini esse est rationale esse. Bonum autem hominis secundum quod est artifex, est bonum artis; et sic etiam secundum quod est politicus, est bonum eius bonum commune civitatis.

A cela il n’y a aucun doute. En effet comme la vertu rend bon celui qui la possиde et rend son oeuvre bonne, il est йvident que c’est par sa propre vertu que l’homme est ordonnй а son bien propre. Or le bien propre de l’homme doit кtre entendu de diffйrentes maniиres selon que l’homme est compris de diffйrentes maniиres.

Car le bien propre de l’homme, en tant que tel, est le bien de la raison, du fait que l’кtre de l’homme est un кtre raisonnable.

Le bien de l’homme selon qu’il est artisan est le bien de son art ;

et aussi selon qu’il est homme politique c’est le bien commun de la citй[42].

Cum ergo virtus operetur ad bonum; ad virtutem cuiuslibet requiritur quod sic se habeat quod ad bonum bene operetur, id est voluntarie et prompte et delectabiliter, et etiam firmiter : hae enim sunt conditiones operationis virtuosae, quae non possunt convenire alicui operationi, nisi operans amet bonum propter quod operatur, eo quod amor est principium omnium voluntariarum affectionum. Quod enim amatur, desideratur dum non habetur, et delectationem infert quando habetur et tristitiam ingerunt ea quae ad habendo amatum impediunt. Ea etiam quae ex amore fiunt, et firmiter et prompte et delectabiliter fiunt. Ad virtutem igitur requiritur amor boni ad quod virtus operatur. Bonum autem ad quod operatur virtus quae est hominis in quantum homo, est homini connaturale; unde voluntati eius naturaliter inest huius boni amor, quod est bonum rationis. Sed si accipiamus virtutem hominis secundum aliquam aliam considerationem non naturalem homini, oportebit ad huiusmodi virtutem amorem illius boni, ad quod talis virtus ordinatur, esse aliquid superadditum circa naturalem voluntatem. Non enim artifex bene operatur nisi superveniat ei amor boni quod per operationem artis intenditur; unde philosophus dicit in VIII Polit.[cap. 1], quod ad hoc quod aliquis sit bonus politicus, requiritur quod amet bonum civitatis.

Donc puisque la vertu opиre pour le bien, il est requis pour la vertu de n’importe qui de se comporter de maniиre а parfaitement opйrer pour le bien, c’est-а-dire volontairement, promptement et avec plaisir, et aussi avec fermetй. Ce sont en effet lа les conditions de l’opйration vertueuse qui ne peuvent convenir а quelque opйration que si celui qui opиre aime le bien pour lequel il agit, parce que l’amour est le principe de toutes les affections volontaires. En effet ce qu’on aime, on le dйsire quand on ne l’a pas et il apporte le plaisir quand on l’a et ce qui en empкche la possession engendre la tristesse. Aussi ce qui est fait par amour se fait avec fermetй, promptitude et plaisir. Donc est requis pour la vertu l’amour du bien pour lequel la vertu agit. Or le bien pour lequel opиre la vertu qui est de l’homme en tant que tel lui est connaturel; c'est pourquoi l’amour de ce bien qui est le bien de la raison est naturellement en sa volontй. Mais si nous concevons la vertu de l’homme selon une autre considйration non naturelle а l’homme il faudra pour une vertu de ce genre que l’amour de ce bien auquel cette vertu est ordonnйe soit quelque chose de surajoutй а la volontй naturelle. En effet l’artisan n’opиre bien que si lui arrive l’amour du bien qu’il poursuit par l’opйration de son art. C'est pourquoi le philosophe (Politique VIII, 1) dit que pour кtre un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la citй.

Si autem homo, in quantum admittitur ad participandum bonum alicuius civitatis, et efficitur civis illius civitatis; competunt ei virtutes quaedam ad operandum ea quae sunt civium, et ad amandum bonum civitatis; ita cum homo per divinam gratiam admittatur in participationem caelestis beatitudinis, quae in visione et fruitione Dei consistit, fit quasi civis et socius illius beatae societatis, quae vocatur caelestis Ierusalem secundum illud, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum et domestici Dei.

 Si donc l’homme, en tant qu’il est admis а prendre part au bien d’une citй, est йtabli citoyen de cette citй, des vertus lui incombent pour accomplir des actes de citoyens et pour aimer le bien de la citй. Ainsi lorsque l’homme par la grвce divine est admis а participer а la bйatitude cйleste qui consiste en la vision et en la jouissance de Dieu, il devient comme le concitoyen et le compagnon de cette bienheureuse sociйtй qui est appelйe la Jйrusalem cйleste, selon ce qui est йcrit (Eph 2, 19) : « Vous кtes les concitoyens des saints et de ceux qui font partie de la maison de Dieu ».

Unde homini sic ad caelestia adscripto competunt quaedam virtutes gratuitae, quae sunt virtutes infusae; ad quarum debitam operationem praeexigitur amor boni communis toti societati, quod est bonum divinum, prout est beatitudinis obiectum. Amare autem bonum alicuius civitatis contingit dupliciter : uno modo ut habeatur; alio modo ut conservetur.

 C'est pourquoi certaines vertus gratuites qui sont des vertus infuses sont ainsi propres а l’homme inscrit sur la liste pour les cieux; pour bien s’en acquitter l’amour du bien commun est prйexigй pour toute la sociйtй, qui est le bien divin, dans la mesure oщ il est l’objet de la bйatitude. Mais aimer le bien d’une citй arrive de deux maniиres : a. Pour le possйder, b. d’une autre maniиre pout le conserver.

Amare autem bonum alicuius civitatis ut habeatur et possideatur, non facit bonum politicum; quia sic etiam aliquis tyrannus amat bonum alicuius civitatis ut ei dominetur : quod est amare seipsum magis quam civitatem; sibi enim ipsi hoc bonum concupiscit, non civitati. Sed amare bonum civitatis ut conservetur et defendatur, hoc est vere amare civitatem; quod bonum politicum facit : in tantum quod aliqui propter bonum civitatis conservandum vel ampliandum, se periculis mortis exponant et negligant privatum bonum.

 Mais aimer le bien d’une citй pour avoir ou possйder ne fait pas le bien politique : parce qu’ainsi un tyran aussi aime le bien de la citй pour la dominer; ce qui est s’aimer soi-mкme plus que la citй ; car il convoite ce bien pour lui et non pour la Citй. Mais aimer le bien de la citй pour le conserver et le dйfendre c’est lа vraiment aimer la citй ; ce que fait le bon politique ; en tant que certains s’exposent aux pйrils de la mort pour conserver le bien de la citй et le dйvelopper et ils nйgligent leur bien privй.

Sic igitur amare bonum quod a beatis participatur ut habeatur vel possideatur, non facit hominem bene se habentem ad beatitudinem, quia etiam mali illud bonum concupiscunt; sed amare illud bonum secundum se, ut permaneat et diffundatur, et ut nihil contra illud bonum agatur, hoc facit hominem bene se habentem ad illam societatem beatorum. Et haec est caritas, quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt capaces beatitudinis, sicut seipsos; et quae repugnat omnibus impedimentis et in se et in aliis; unde nunquam potest esse cum peccato mortali, quod est beatitudinis impedimentum. Sic igitur patet quod caritas non solum est virtus, sed potissima virtutum.

Ainsi donc aimer le bien auquel les bienheureux participent pour l’avoir et le possйder ne rend pas l’homme bien disposй pour la bйatitude, parce que les mйchants aussi convoitent ce bien; mais l’aimer selon ce qu’il est, pour qu’il demeure et soit rйpandu, et pour que rien ne soit fait contre lui, c’est ce qui rend l’homme bien disposй pour cette sociйtй de bienheureux. Et telle est la charitй qui aime Dieu par soi et le prochain, qui est capable [d’obtenir] de bйatitude, pour eux-mкmes; et elle s’oppose а tous les obstacles et en soi-mкme et dans les autres. C'est pourquoi elle ne peut jamais exister avec le pйchй mortel qui est une empкchement pour la bйatitude. Ainsi donc la charitй est non seulement une vertu mais la plus grande des vertus.

Solutions :

[66018] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus est circa illud quod in se difficile est, sed tamen habenti virtutem fit facile.

1. La vertu est pour ce qui est en soi difficile, mais seulement pour celui qui la possиde elle devient facile.

[66019] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. Non enim probat : manet enim, quantum in se est, difficile illud circa quod est virtus, adveniente virtute, sed quod facile fiat virtuoso, hoc est ex perfectione virtutis.

2. Par lа paraоt la solution а la seconde objection. Car elle ne prouve pas ; en effet pour ce qui concerne la vertu demeure difficile en tant qu’elle est en soi, quand arrive la vertu, mais qui devient facile au vertueux, vient de la perfection de la vertu.

[66020] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod difficultas non solum est ex contrarietate, sed etiam est ex excellentia obiecti; sic enim aliquid dicitur esse difficile ad intelligendum quoad nos propter excellentiam intelligibilis, non propter aliquam contrarietatem.

3. La difficultй ne vient pas seulement de la contrariйtй, mais aussi de l’excellence de l’objet ; car on dit aussi que quelque chose est difficile а comprendre, selon nous а cause de supйrioritй de l’intelligibilitй, non а cause d’un empкchement.

[66021] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud velle quod adiacet nobis a natura, est imperfectum et infirmum quantum ad spiritualia et gratuita; unde et apostolus ibidem subdit : Non enim quod volo bonum, hoc ago; et ideo requiritur auxilium gratuiti doni.

4. Ce vouloir qui se situe prиs de nous par nature est imparfait et faible, pour ce qui est spirituel et gratuit ; c'est pourquoi l’apфtre lа-mкme ajoute : « En effet ce que je veux de bien, je ne le fait pas » et c'est pourquoi l’aide d’un don gratuit est requis.

[66022] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spes elevat affectum hominis in summum bonum ut adipiscendum; sed super hoc requiritur quod illud bonum ametur ad bonum esse hominis, ut supra, in corp. art., dictum est.

5. L’espйrance elиve l’affection de l’homme au souverain bien pour l’obtenir, mais au-dessus de cela il est requis que ce bien soit aimй pour le bien de l’кtre de l’homme, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

[66023] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de ratione caritatis seu amoris est, quod coniungat secundum affectum; quae scilicet coniunctio intelligitur quantum ad hoc quod homo amicum reputat quasi alterum se, et vult ei bonum sicut et sibi. Sed coniungere secundum rem, non est de ratione caritatis, et ideo potest esse et habiti et non habiti. Sed non habitum facit desiderare; in habito vero, facit delectari.

6. Il est de la nature de la charitй ou de l’amour d’unir selon l’affection ; la quelle union est comprise quant а ce que l’homme considиre l’ami comme un autre lui-mкme et il lui veut du bien comme а lui-mкme. Mais unir en rйalitй n’est pas de la nature de la charitй, et c'est pourquoi ce peut кtre pour celui qui la possиde ou non. Mais ce qu’on ne possиde pas provoque le dйsir, mais dans ce qu’on possиde, on trouve la plaisir.

[66024] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod gratia coniungit nos Deo per modum assimilationis; sed requiritur quod uniamur ei per operationem intellectus et affectus, quod fit per caritatem.

7. La grвce nous unit а Dieu par mode de ressemblance, mais il est requis que nous soyons unis а lui par une opйration de l’esprit et de l’affection, ce qui se fait par charitй.

[66025] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod amicitia non ponitur virtus, sed consequens virtutem; quia ex hoc ipso quod aliquis habet virtutem et amat bonum rationis, consequitur ex ipsa inclinatione virtutis quod diligat sibi similes, scilicet virtuosos, in quibus bonum rationis viget. Sed amicitia quae est ad Deum, in quantum est beatus et beatitudinis auctor, oportet praestitui ad virtutes quae in illam beatitudinem ordinant; et ideo, cum non sit consequens ad alias virtutes, sed praeambulum, ut ostensum est, oportet quod ipsa sit per se virtus.

8. L’amitiй n’est pas considйrйe comme vertu mais comme ce qui l’accompagne ; parce que du fait que quelqu’un a la vertu et aime le bien de raison il en dйcoule par l’inclination de la vertu qu’il aime ses semblables, c'est-а-dire les vertueux, en qui le bien de raison a de la force. Mais l’amitiй qui est pour Dieu en tant qu’il est bienheureux et auteur de la bйatitude, doit кtre fixйe d’avance pour les vertus qui mette en rapport а cette bйatitude ; et c'est pourquoi comme elle n’accompagne pas les autres vertu, mais elle est le prйambule, comme on l’a montrй, il faut qu’elle soit vertu par soi.

[66026] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor, secundum quod est in sensitiva parte, est passio : qui quidem amor est boni secundum sensum. Talis autem amor non est amor caritatis; unde ratio non sequitur.

9. L’amour, selon qu’il est dans la partie sensitive, est une passion ; c’est amour du bien selon la sensation. Mais tel amour n’est pas l’amour de charitй ; c'est pourquoi la raison n’est pas valable.

[66027] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod hoc quod dicit philosophus, virtutem esse in medio; intelligitur de virtutibus moralibus; non autem est verum de virtutibus theologicis, inter quas est caritas, ut alibi, quaest. praeced., art. 10, ostensum est.

10. Ce que dit le philosophe, que la vertu est en intermйdiaire, est compris des vertus morales, mais ce n’est pas vrai des vertus thйologiques parmi lesquelles il y a la charitй, comme ailleurs, (question prйcйdente, a. 10), on l’a montrй.

[66028] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod bonum intellectum movet voluntatem; et ideo licet intellectus per aliqua media Deum intelligat ut summum bonum, ex hoc ipso movet voluntatem, ut sic possit immediate amari, licet per media cognoscatur : quia hoc ipsum quo determinatur cognitio intellectus, movet affectum.

11. La bien intellectuel meut la volontй, et ainsi, bien que l’intellect comprenne Dieu comme le souverain bien, par des intermйdiaires, de ce fait qu’il meut la volontй pour ainsi pouvoir кtre aimй sans intermйdiaire, bien qu’il soit connu par des intermйdiaires, parce que ce par quoi est limitй la connaissance intellectuelle, met en mouvement l’affection.

[66029] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod delectatio non importat operationem, sed aliquid consequens ad operationem; unde, cum virtus sit operationis principium, delectatio non ponitur inter virtutes, sed inter fructus, ut patet Galat. V, 22 : Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax, patientia.

12. Le plaisir n’apporte pas d’opйration, mais quelque chose qui accompagne l’opйration ; c'est pourquoi comme la vertu est le principe de l’opйration, le plaisir n’est pas placй parmi les vertus, mais parmi les fruits ; comme on le voit dans Gal 5, 22 : « Le fruit de l’esprit c’est la charitй, la joie, la paix, la patience ».

[66030] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod obiectum caritatis transcendit omnem facultatem humanam, scilicet Deus; unde quantumcumque voluntas humana conetur ad amandum Deum, non potest attingere ut amet eum quantum est amandus. Et ideo dicitur non habere modum caritas, quia non est aliquis terminus fixus divinae dilectionis ultra quem, si diligatur, sit contra rationem virtutis, sicut accidit in virtutibus moralibus, quae consistunt in medio; hoc enim ipsum quod est non habere sic modum, est caritatis modus. Ex hoc igitur non potest concludi quod caritas non sit virtus; sed quod non consistat in medio, sicut virtutes morales.

13. L’objet de la charitй, а savoir Dieu, transcende toute facultй humaine; c'est pourquoi chaque fois que la volontй humaine s’efforce d’aimer Dieu, elle ne peut pas parvenir а l’aimer autant qu’il doit l’кtre. Et c'est pourquoi on dit que la charitй n’a pas de mesure, parce qu’il n’y a pas un terme fixe de l’amour divin au delа duquel, s’il est aimй, c’est contre la nature de la vertu, comme il arrive dans les vertus morales, qui s’йtablissent dans l’intermйdiaire ; car cela mкme qui consiste а ne pas avoir de mesure, est le mesure de la charitй. Par cela donc, on ne peut pas conclure que la charitй n’est pas une vertu ; mais qu’elle ne consiste pas en un intermйdiaire comme les vertu morales.

[66031] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas dicitur patiens et benigna, quasi denominata ab aliis virtutibus, in quantum producit actus omnium virtutum.

14. On dit que la charitй est patiente et bienveillante, comme dйnommйe а partir des autres vertus en tant qu’elle produit les actes de toutes les vertus.

[66032] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non est virtus hominis in quantum est homo, sed in quantum per participationem gratiae fit Deus et filius Dei, secundum illud I Ioan. III, 1 : Videte qualem caritatem dedit nobis pater, ut filii Dei nominemur et simus.

15. La charitй n’est pas la vertu de l’homme en tant qu’homme, mais en tant que par la participation de la grвce, il devient Dieu et fils de Dieu, selon cette parole de 1 Jn 3, 1 : « Voyez quelle charitй le Pиre nous a donnй, pour que nous soyons appelйs et fils de Dieu et nous le sommes ».

[66033] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod amor summi boni, prout est principium esse naturalis, inest nobis a natura; sed prout est obiectum illius beatitudinis quae totam capacitatem naturae creatae excedit, non inest nobis a natura, sed est supra naturam.

16 L’amour du souverain bien est le principe de l’кtre naturel, dans la mesure oщ il est en nous par nature, mais dans la mesure oщ il est l’objet de cette bйatitude qui dйpasse toute la capacitй de la nature, il n’est pas en nous par nature mais il est au-dessus de la nature.

[66034] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod dona perficiunt virtutes elevando eas supra modum humanum, sicut donum intellectus virtutem fidei, et donum timoris virtutem temperantiae in recedendo a delectabilibus ultra humanum modum. Sed circa amorem Dei non inest aliqua imperfectio, quam oporteat per aliquod donum perfici; unde caritas non ponitur donum virtutis, quae tamen excellentior est omnibus donis.

17. Les dons rendent parfaites les vertus en les йlevant au-dessus du mode humain, comme le don d’intelligence, la vertu de foi, et le don de crainte, la vertu de tempйrance, en йloignant de ce qui est dйlectable au-delа de la mesure humaine. Mais pour l’amour de Dieu, il n’y a aucune imperfection, qu’il faudrait achever par un don ; c'est pourquoi la charitй n’est pas placйe comme don de vertu, elle qui cependant est plus excellente que tous les dons.

 

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[66035] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum caritas sit forma virtutum

Article 3La charitй est-elle la forme des vertus ?

[66036] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[43]

[66037] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 1 Forma enim dat esse et speciem ei cuius est forma. Sed caritas non dat esse et speciem cuilibet virtuti. Ergo caritas non est forma aliarum virtutum.

1. Car la forme donne l’кtre et l’espиce а ce dont elle est la forme. Mais la charitй ne donne а n’importe quelle vertu ni l’кtre ni l’espиce. Donc la charitй n’est pas la forme des autres vertus.

[66038] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, formae non est forma. Sed omnes virtutes sunt formae; sunt enim perfectiones quaedam. Ergo caritas non est forma virtutum.

2. La forme ne vient pas d’une forme. Mais toutes les vertus sont des formes, car elles sont des perfections. Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.

[66039] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, forma cadit in definitione eius cuius est forma. Sed caritas non cadit in definitione virtutum. Ergo caritas non est forma virtutum.

3. La forme tombe dans la dйfinition de ce dont elle est la forme. Mais La charitй ne tombe pas dans la dйfinition des vertus. Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.

[66040] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ea quae dividuntur ex opposito, non ita se habent, quod unum sit forma alterius. Sed caritas ex opposito dividitur aliis virtutibus, ut patet I ad Cor. XIII, 13 : Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo caritas non est forma virtutum.

4. Ce qui est sйparй par un contraire ne se comporte pas de sorte que l’un soit la forme de l’autre. Mais la charitй est sйparйe des autres vertus par opposй, comme on le voit en 1 Co 13, 13 : « Mais maintenant demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois lа ». Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.

[66041] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 5 Sed dicendum, quod caritas non est forma intrinseca virtutum, sed exemplaris.- Sed contra, exemplatum trahit speciem ab exemplari. Si igitur caritas est forma exemplaris omnium virtutum, omnes virtutes trahunt speciem ab ipsa. Ergo omnes virtutes essent unius speciei; quod est falsum.

5. Il faut dire que la charitй n’est pas la forme intrinsиque des vertus, mais leur forme exemplaire. – En sens contraire, l’image tire son espиce de l’exemplaire. Si donc la charitй est la forme exemplaire de toutes les vertus, elles tirent leur espиce d’elle. Donc toutes les vertus sont d’une seule espиce, ce qui est faux.

[66042] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, forma exemplaris est ad quam aliquid fit. Non ergo est necessaria nisi ad hoc quod res fiat. Si ergo caritas est forma exemplaris virtutum, non erit necessaria caritas nisi ad generationem virtutum. Et ideo virtutibus habitis, non erit necessarium habere caritatem; quod patet esse falsum.

6. La forme exemplaire est pour celle а laquelle quelque chose est fait. Donc elle n’est nйcessaire que pour que la chose soit faite. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, la charitй ne sera nйcessaire que pour la gйnйration des vertus. Et ainsi une fois les vertus possйdйes, il ne sera pas nйcessaire d’avoir la charitй, ce qui apparaоt comme faux.

[66043] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, exemplar est necessarium facienti, non autem utenti iam facto; sicut exemplar est necessarium ad transcribendum librum, non autem ad utendum libro iam scripto. Si igitur caritas est forma exemplaris virtutum, non competit nobis, qui virtutibus utimur, sed Deo, qui in nobis virtutes operatur.

7. L’exemplaire est nйcessaire а celui qui fait, mais pas а celui qui se sert de ce qui est fait. De mкme l’exemplaire est nйcessaire pour transcrire un livre, mais non pour se servir du livre dйjа йcrit. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, elles ne nous convient pas, а nous qui utilisons les vertus mais а Dieu qui les opиre en nous.

[66044] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 8 Praeterea, exemplar potest esse sine exemplato. Si igitur caritas sit forma exemplaris virtutum, sequitur quod possit esse sine aliis virtutibus; quod est falsum.

8. L’exemplaire peut exister sans image. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, il en dйcoule qu’elle pourrait кtre sans les autres vertus ; ce qui est faux.

[66045] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 9 Praeterea, quaelibet virtus habet formam a suo fine et obiecto. Quod autem est per se formatum, non indiget formari ab alio; et ita caritas non est forma virtutum.

9. N’importe quelle vertu tient sa forme de sa fin et son objet. Mais ce qui est mis en forme par soi, n’a pas besoin d’кtre mis en forme par un autre, et ainsi la charitй n’est la forme des vertus.

[66046] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 10 Praeterea, natura semper facit quod melius est. Multo igitur magis Deus. Sed melius est aliquid esse formatum quam informe. Cum igitur virtutes in nobis operetur Deus, videtur quod faciat eas formatas; et ita non indigent formari a caritate.

10. La nature fait toujours ce qui est meilleur. Donc beaucoup plus Dieu. Mais est meilleur un кtre en forme qu’un кtre sans forme. Donc comme Dieu opиre en nous les vertus, il semble qu’il les met en forme, et ainsi ils n’ont pas besoin d’кtre mis en forme par la charitй.

[66047] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 11 Praeterea, fides est quoddam spirituale lumen. Sed lumen est forma eorum quae videntur in lumine. Ergo, sicut lux corporalis est forma colorum, sic fides est forma caritatis et aliarum virtutum; non autem caritas.

11. La foi est une certaine lumiиre spirituelle. Mais la lumiиre est la forme de ce qui est vu dans la lumiиre. Donc de mкme que la lumiиre corporelle est la forme des couleurs, la foi est la forme de la charitй et des autres vertus, mais pas la charitй.

[66048] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo perfectionum est secundum ordinem perfectibilium. Sed virtutes sunt perfectiones potentiarum animae. Ergo secundum ordinem potentiarum est ordo virtutum. Sed inter alias potentias animae altior est intellectus ipsa voluntate. Ergo et fides est altior caritate; et ita fides magis est forma caritatis quam e converso.

12. L’ordre des perfections dйpend de la l’ordre des perfectibles. Mais les vertus sont les perfections des puissances de l’вme. Donc l’ordre des vertus dйpend de l’ordre des puissances. Mais parmi les autres puissances de l’вme, l’intellect est plus haut que la volontй. Donc la foi aussi est plus haute que la charitй, et ainsi la foi est plus la forme de la charitй que le contraire.

[66049] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 13 Praeterea, sicut se habent virtutes morales ad invicem, ita et theologicae. Sed prudentia, quae est in vi cognitiva, informat alias virtutes quae sunt in vi appetitiva, scilicet iustitiam, fortitudinem, temperantiam et huiusmodi. Ergo et fides, quae in cognitiva est, informat caritatem, quae est in appetitiva, et non e converso.

13. De la mкme maniиre que les vertus morales se comportent entre elles; se comportent les vertus thйologiques. Mais la prudence, qui est dans la force cognitive, met en forme les autres vertus qui sont dans la force appйtitive, а savoir la justice, la force, la tempйrance etc. Donc la foi aussi qui est dans la partie cognitive, met en forme la charitй, qui est dans la partie appйtitive, et non а l’inverse.

[66050] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 14 Praeterea, forma virtutis est modus eius. Sed rationis est imponere modum appetitui, et non e converso. Ergo fides, quae est in ratione, magis est forma caritatis, quae est in parte appetitiva, quam e converso.

14. La forme de la vertu est son mode. Mais c’est le propre de la raison d’imposer un mode а l’appйtit, et non le contraire. Donc la foi, qui est dans la raison, est plus une forme de la charitй, qui est dans la partie appйtitive, que le contraire.

[66051] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 15 Praeterea, Matth. I, 2, super illud, Abraham genuit Isaac, Isaac genuit Iacob, dicit Glossa, quod fides genuit spem et spes caritatem. Sed omne genitum recipit formam a generante. Ergo caritas recipit formam a fide et spe, et non e converso.

15. Mt 1, 2, sur ce verset : « Abraham a enfantй Isaac, Isaac a enfantй Jacob », la glose dit que la foi a engendrй l’espйrance et l’espйrance la charitй. Mais tout ce qui est engendrй reзoit sa forme de celui qui l’engendre. Donc la charitй reзoit la forme de la foi et de l’espйrance, et non le contraire.

[66052] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 16 Praeterea, in uno et eodem, potentia praecedit actum tempore. Si igitur caritas comparetur ad alias virtutes ut actus et forma, sequetur quod aliae virtutes prius tempore sint in homine quam caritas; quod est falsum.

16. Dans un seul et mкme objet la puissance prйcиde temporellement l’acte. Si donc la charitй est comparйe aux autres vertus comme l’acte et la forme il en dйcoule que les autres vertus sont temporellement dans l’homme avant la charitй ; ce qui est faux.

[66053] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 17 Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes ordinantur, sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut Augustinus dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam recipiunt ex fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis quam e converso.

17. La mise en forme dans le domaine moral provient de sa fin. Mais toutes les vertus sont ordonnйes comme а leur fin ultime а la vision de Dieu, qui est la rйcompense totale, comme Augustin le dit, et qui succиde а la foi. Donc toutes les autres vertus reзoivent une forme de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi est la forme de la charitй plus que le contraire.

[66054] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 18 Praeterea, finis efficiens et forma non incidunt in idem numero, secundum philosophum in II Phys., text. 70. Sed caritas est finis virtutum et motor earum. Ergo non est forma ipsarum.

18. La fin efficiente et la forme ne tombent pas dans le mкme en nombre, selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 24). Mais la charitй est la fin des vertus et leur moteur. Donc elle n’est pas leur forme.

[66055] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 19 Praeterea, illud a quo est principium essendi, est forma. Sed principium esse spiritualis est gratia, secundum illud 1 Corinth. c. XV, 10 : Gratia Dei sum id quod sum. Ergo gratia Dei est forma virtutum, et non caritas.

19. Ce d’oщ vient le principe d’кtre est un forme. Mais le principe d’кtre spirituel est la grвce, selon cette parole de 1 Co 15, 10 : « Je suis ce que je suis par la grвce de Dieu ». Donc la grвce de Dieu est la forme des vertus, et non la charitй.

En sens contraire :

[66056] De virtutibus, q. 2 a. 3 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius, lib. II In Lucam, dicit, quod caritas est forma et mater virtutum.

Il y a ce qu’Ambroise (Luc. II) dit : la charitй est la forme et la mиre des vertus.

Rйponse :

[66057] De virtutibus, q. 2 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est forma virtutum, motor et radix.

La charitй est la forme des vertus, leur moteur et leur racine.

Ad cuius evidentiam sciendum est, quod de habitibus oportet nos secundum actus iudicare; unde quando id quod est unius habitus, est ut formale in actu alterius habitus, oportet quod unus habitus se habeat ad alium ut forma. In omnibus autem actibus voluntariis id quod est ex parte finis, est formale : quod ideo est, quia unusquisque actus formam et speciem recipit secundum formam agentis, ut calefactio secundum calorem.

 Pour йclaircir cette question il faut savoir qu’il est nйcessaire que nous jugions des habitus selon leurs actes ; c'est pourquoi lorsque ce qui est d’un seul habitus est comme formel dans l’acte d’un autre habitus, il est nйcessaire que l’un se comporte vis-а-vis de l’autre comme une forme. Or dans tous les actes volontaires ce qui est du cфtй de la fin est formel ; la raison en est que chaque acte reзoit sa forme et son espиce selon la forme de l’agent, comme l’йchauffement vient de la chaleur.

Forma autem voluntatis est obiectum ipsius, quod est bonum et finis, sicut intelligibile est forma intellectus; unde oportet quod id quod est ex parte finis, sit formale in actu voluntatis. Unde idem specie actus, secundum quod ordinatur ad unum finem, cadit sub forma virtutis; et secundum quod ordinatur ad alium finem, cadit sub forma vitii; ut patet de eo qui dat eleemosynam vel propter Deum, vel propter inanem gloriam. Actus enim unius vitii, secundum quod ordinatur ad finem alterius vitii, recipit formam eius; utpote qui furatur ut fornicetur, materialiter quidem fur est, formaliter vero intemperatus.

 Mais la forme de la volontй est son objet parce qu’il est le bien et la fin, comme l’intelligible est la forme de l’intellect. C'est pourquoi il est nйcessaire que ce qui est du cфtй de la fin soit formel dans l’acte de la volontй. C'est pourquoi l’acte identique en espиce selon qu’il est ordonnй а une seule fin tombe sous la forme de la vertu; et selon qu’il est ordonnй а une autre fin, il tombe sous la forme du vice, comme on le voit de celui qui fait l’aumфne ou pour Dieu ou par vaine gloire. Car l’acte d’un seul vice selon qu’il est ordonnй а la fin d’un autre vice endosse sa forme ; par exemple celui qui vole pour forniquer est matйriellement voleur et formellement intempйrant.

Manifestum est autem quod actus omnium aliarum virtutum ordinatur ad finem proprium caritatis, quod est eius obiectum, scilicet summum bonum. Et de virtutibus quidem moralibus manifestum est : nam huiusmodi virtutes sunt circa quaedam bona creata quae ordinantur ad bonum increatum sicut ad ultimum finem. Sed de virtutibus aliis theologicis idem manifestum est : nam ens increatum est quidem obiectum fidei, ut verum; et in quantum est appetibile, habet rationem boni. Et sic tendit fides in ipsum, in quantum est appetibile, cum nullus credat nisi volens. Spei autem obiectum licet sit ens increatum, in quantum est bonum, tamen dependet ab obiecto caritatis : est enim bonum, obiectum spei, in quantum est desiderabile et consequibile : nullus enim desiderat consequi aliquod bonum nisi per hoc quod amat ipsum.

 Or il est йvident que l’acte de toutes les autres vertus est ordonnй а la fin propre de la charitй qui est son objet, а savoir le bien suprкme. Et c’est йvident pour les vertus morales; car les vertus de ce genre sont pour des biens crййs qui sont ordonnйs au bien incrйй comme а leur fin derniиre. Mais pour les autres vertus thйologales la mкme chose est йvidente ; car l’йtant incrйй est l’objet de la foi, comme vrai et en tant qu’il est dйsirable il a nature de bien. Et ainsi la foi tend en lui en tant que dйsirable puisque personne ne croit que s’il veut. Bien que l’objet de l’espйrance soit l’йtant incrйй en tant qu’il est bon, cependant il dйpend de l’objet de la charitй ; en effet il est le bien, objet d’espйrance en tant que dйsirable et qu’il peut кtre atteint ; personne en effet ne dйsire obtenir un bien, sinon parce qu’il l’aime.

Unde manifestum est quod in actibus omnium virtutum est formale id quod est ex parte caritatis; et pro tanto dicitur forma omnium virtutum, in quantum scilicet omnes actus omnium virtutum ordinantur in summum bonum amatum, ut ostensum est. Et quia praecepta legis sunt de actibus virtutum; inde est quod apostolus dicit, I Timoth. cap. I, 5, quod finis praecepti est caritas.

C'est pourquoi il est йvident que dans les actes de toutes les vertus est formel ce qui vient du cфtй de la charitй et pour autant elle est dite la forme de toutes les vertus en tant que tous les actes de toutes les vertus sont ordonnйs vers le bien suprкme aimй, comme on l’a montrй. Et parce que les prйceptes de la loi concernent les actes des vertus, il y ace que dit l’Apфtre (1 Tm 1, 5) : « La fin du prйcepte est la charitй ».

Et hinc etiam apparet, quomodo caritas sit motor omnium virtutum; in quantum scilicet importat actus omnium aliarum virtutum. Omnis enim virtus vel potentia superior dicitur movere per imperium inferiorem, ex eo quod actus inferioris ordinatur ad finem superioris; sicut aedificativa imperat caementariae, eo quod actus caementariae artis ordinatur ad formam domus, quae est finis aedificativae. Unde cum omnes aliae virtutes ordinentur ad finem caritatis, ipsa imperat actus omnium virtutum, et ex hoc dicitur motor earum.

Et de lа aussi apparaоt comment la charitй est le moteur de toutes les vertus, en tant qu’elle en suscite les actes. En effet on dit que toute vertu ou puissance supйrieure meut par un pouvoir infйrieur, du fait que l’acte de l’infйrieur est ordonnй а la fin du supйrieur; comme le pouvoir de bвtir commande au maзon, parce que l’art de celui-ci est ordonnй а la forme de la maison qui est le but du pouvoir de bвtir. C'est pourquoi comme toutes les autres vertus sont ordonnйes а la fin de la charitй celle-ci commande les actes de toutes les vertus et par lа on dit qu’elle est leur moteur.

Et quia mater dicitur quae in se accipit et concipit; ideo dicitur caritas mater omnium virtutum, in quantum ex conceptione sui finis producitur actus omnium virtutum; et eadem etiam ratione dicitur radix virtutum.

Et parce qu’on dit qu’une mиre reзoit en soi et conзoit, on dit aussi que la charitй est la mиre de toutes les vertus, en tant que par la conception de sa fin, elle produit les actes de toutes les vertus ; et pour la mкme raison on dit qu’elle est la racine des vertus.

Solutions :

[66058] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet caritas non det unicuique virtuti propriam speciem, dat tamen unicuique virtuti communem speciem virtutis, secundum quod loquimur de virtute prout est principium merendi.

1. Bien que la charitй ne donne pas а chaque vertu une espиce propre, elle donne cependant а chacune une espиce commune, selon qu’on parle de la vertu en tant qu’elle est le principe du mйrite.

[66059] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae non est forma, ita quod una forma praestet subiectum alteri. Nihil tamen prohibet plures formas in eodem subiecto esse secundum quemdam ordinem; scilicet ut una sit formalis respectu alterius, sicut color est formalis respectu superficiei. Et hoc modo caritas potest esse forma aliarum virtutum.

2. La forme ne vient pas de la forme, de sorte qu’une forme procure le sujet а un autre. Cependant rien n’empкche plusieurs formes d’кtre dans le mкme sujet selon un certain ordre ; а savoir que l’une soit formelle en rapport avec l’autre, comme la couleur est formelle en rapport а la surface. Et de cette maniиre, la charitй peut кtre la forme des autres vertus.

[66060] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas cadit in definitione virtutis meritoriae, ut patet per definitionem Augustini, dicentis [lib. V1 Contra Iulianum, cap. VI], quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur : non enim recte vivitur nisi per hoc quod vita nostra ordinatur in Deum; quod caritas facit.

3. La charitй tombe dans la dйfinition de la vertu mйritante, comme on le voit par la dйfinition d’Augustin (Contre Julien VI, 6), qui dit que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit avec rectitude ; car on ne vit ainsi que par le fait que notre vie est ordonnйe а Dieu, ce que fait la charitй.

[66061] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de forma quae intrat constitutionem rei. Sic autem caritas non dicitur forma virtutum, sed alio modo; ut supra dictum est.

4. Cette raison procиde de la forme qui pйnиtre la constitution de la chose. Mais ainsi on ne dit pas que la charitй est la forme des vertus, mais [on parle] d’une autre maniиre, comme il a йtй dit ci-dessus.

[66062] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas, cum sit communis forma virtutum, trahit quidem virtutes in unam speciem communem, non autem in unam speciem propriam, quae dicitur species specialissima.

5. Comme la charitй est la forme commune des vertus, elle tire les vertus dans une espиce commune, mais non dans une espиce propre, qui est dite une espиce trиs particuliиre.

[66063] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas potest dici forma exemplaris virtutum, non ad cuius similitudinem virtutes generentur, sed in quantum ad eius similitudinem quodammodo operantur; et ideo, quamdiu necesse est operari secundum virtutem, necessaria est caritas.

6. On peut dire que la charitй est la forme exemplaire des vertus, non que les vertus soient engendrйes а sa ressemblance, mais en tant qu’elles opиrent d’une certaine maniиre а sa ressemblance et c'est pourquoi aussi longtemps qu’il est nйcessaire d’opйrer selon la vertu, la charitй est nйcessaire.

[66064] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet creare virtutes sit Dei tantum, tamen operari secundum virtutem, est etiam hominis habentis virtutem; et ideo indiget caritate.

7. Bien que crйer les vertus vienne de Dieu seulement, cependant opйrer selon la vertu est aussi la vertu de l’homme qui la possиde, et c'est pourquoi il a besoin de la charitй.

[66065] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas quantum ad actum non solum habet exemplaritatem, sed etiam virtutem motivam et effectivam. Exemplar autem effectivum non est sine exemplato, quia producit illud in esse; et sic caritas non est sine aliis virtutibus.

8. La charitй, quant а l’acte non seulement a l’exemplaritй, mais un pouvoir qui concerne le mouvement et l’exйcution et effective. Mais l’exemplaire qui concerne l’exйcution n’est pas sans son image ; parce qu’il le produit dans l’кtre ; et ainsi la charitй n’est pas sans les autres vertus.

[66066] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod a proprio fine et a proprio obiecto quaelibet virtus habet formam specialem, per quam est haec virtus; sed a caritate habet quamdam formam communem, secundum quam est meritoria vitae aeternae.

9. Par sa propre fin et par son objet propre n’importe quelle vertu a une forme spйciale, par laquelle elle est cette vertu ; mais par la charitй elle a une forme commune, selon qu’elle permet de mйriter la vie йternelle.

[66067] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Deus facit in nobis virtutes formatas speciali forma et generali : speciali quidem ex obiecto et fine, generali autem ex caritate.

10. Dieu forme en nous les vertus d’une forme spйciale et gйnйrale ; spйciale par l’objet et la fin, mais gйnйrale par la charitй.

[66068] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod lumen est forma colorum, in quantum sunt visibiles actu per lucem, et similiter fides est forma virtutum, in quantum sunt a nobis cognoscibiles : quod enim est virtuosum vel contra virtutem per fidem cognoscimus. Sed in quantum virtutes sunt operativae, per caritatem informantur.

11. La lumiиre est la forme des couleurs, en tant que par elle, elles sont visibles en acte, et de la mкme maniиre la foi est la forme des vertus en tant qu’elles nous sont connaissables, car nous connaissons par la foi ce qui concerne les vertus ou est contre elles. Mais en tant que les vertus sont opйratives, elles sont mises en forme par la charitй.

[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior voluntate, quia bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in operando et movendo prior est voluntas. Non enim intellectus intelligit et movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum intellectum movet voluntas, in quantum est operativus : utimur enim intellectu quando volumus. Unde, cum credere sit intellectus a voluntate moti (credimus enim aliquid quia volumus); sequitur quod magis caritas det formam fidei quam e converso.

12. L’intellect est absolument avant la volontй, parce que le bien intellectuel est l’objet de la volontй. Mais cependant pour opйrer et mettre en mouvement, la volontй est avant. Car l’intellect ne pense et ne meut que par une volontй qui s’y ajoute; c'est pourquoi aussi la volontй meut l’intellect lui-mкme en tant qu’il est opйratif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons. C'est pourquoi, comme croire est pensй par la volontй qui est mue (car nous croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en dйcoule que la charitй donne plus la forme а la foi qu’а l’inverse.

[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem volentis ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum quod res intellectae sunt in intelligente : unde quando res sunt infra intelligentem, intellectus illarum est dignior voluntate : quia tunc altiori modo sunt in intellectu res quam in seipsis, cum omne quod est in altero, sit in eo per modum eius in quo est; sed quando res sunt altiores intelligente, tunc voluntas altius ascendit quam possit pertingere intellectus. Et inde est quod in moralibus quae sunt infra hominem, virtus cognoscitiva informat virtutes appetitivas, sicut prudentia alias virtutes morales; in virtutibus autem theologicis, quae sunt circa Deum, virtus voluntatis, scilicet caritas, informat virtutem intellectus scilicet fidem.

13. L’acte de la volontй dйpend de l’ordre de celui qui veut aux choses mкme dans la mesure oщ elles sont en elles. Mais l’acte de l’intellect dйpend du fait que ce qui est pensй est en celui qui pense ; c'est pourquoi quand les choses sont sous celui qui pense, leur conception est plus digne que la volontй ; parce qu’alors les choses sont dans l’intellect d’une maniиre plus haute qu’en elles-mкmes, puisque tout ce qui est dans un autre est en lui par le mode de celui en qui il est ; mais quand les choses sont plus hautes que celui qui pense, alors la volontй monte plus haut que ce que l’intellect pourrait atteindre. Et de lа vient que dans les [actes] moraux qui sont sous l’homme, la vertu cognitive informe les vertus appйtitives comme la prudence les autres vertus morales ; mais dans les vertus thйologales qui concernent Dieu, la vertu de la volontй, а savoir la charitй met en forme la vertu de l’intellect, c'est-а-dire la foi.

[66071] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod rationalis vis dat modum appetitivae in his quae sunt infra nos, non autem in his quae sunt supra nos, ut dictum est art. 1 huius quaest., et quaest. praeced. art. 10 et 11.

14. La force rationnelle donne le mode de la vertu appйtitive en ce qui est sous nous, mais non en ce qui est au-dessus de nous, comme il a йtй dit dans l’art. 1 de cette question et dans la q. prйcйdente, art. 10 et 11.

[66072] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod fides praecedit spem, et spes caritatem, ordine generationis, sicut imperfectum praecedit perfectum; sed caritas in ordine perfectionis praecedit et fidem et spem; et propter hoc dicitur esse forma earum, sicut perfectum imperfecti.

15. La foi prйcиde l’espйrance et l’espйrance la charitй dans l’ordre de leur gйnйration, comme l’imparfait prйcиde la parfait, mais la charitй dans l’ordre de la perfection prйcиde et la foi et l’espйrance, et а cause de cela on dit qu’elle est leur forme, comme le parfait [est la forme] de l’imparfait.

[66073] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod caritas non est forma virtutum quae sit pars essentiae virtutum, ut oporteat eam sequi tempore virtutes, vel aliquam materiam virtutum, sicut in formis rerum generatarum : sed est forma quasi informans; unde oportet esse naturaliter priorem aliis virtutibus.

16. La charitй n’est pas la forme des vertu qui serait une partie de leur essence, pour qu’il soit nйcessaire qu’elle suive temporellement les vertus, ou une matiиre des vertus, comme dans les formes des choses engendrйe, mais elle est la forme qui met pour ainsi dire en forme ; c'est pourquoi il est nйcessaire qu’elle soit naturellement avant les autres vertus.

[66074] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut bonum quoddam, est obiectum caritatis.

17. La vision mкme en tant qu’elle est la fin comme un bien est l’objet de la charitй.

[66075] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod forma intrinseca non potest esse finis rei, licet sit finis generationis rei. Caritas autem non est forma intrinseca, ut dictum est, sed ex hoc ipso quod trahit alias virtutes ad suum finem, format virtutes, ut ex dictis patet.

18. La forme intrinsиque ne peut pas кtre la fin d’une chose, bien qu’elle soit la fin de sa gйnйration. Mais la charitй n’est pas une forme intrinsиque, comme il a йtй dit, mais du fait mкme qu’elle attire les autres vertus а leurs fins, elle met en forme les vertus, comme on le voit dans ce qui a йtй dit.

[66076] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod gratia Dei dicitur esse forma virtutum, in quantum dat esse spirituale animae, ut sit susceptiva virtutum; sed caritas est forma virtutum in quantum format operationes earum ut dictum est in corpore articuli.

19. On dit que la grвce de Dieu est la forme des vertus, en tant qu’elle donne l’кtre spirituel а l’вme, pour qu’elle soit susceptible des vertus ; mais charitй est la forme des vertus en tant qu’elle donne forme а leurs opйrations, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 4 : [66077] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum caritas sit una virtus

Article 4La charitй est-elle une vertu unique ? [44]

[66078] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :

[66079] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 1 Habitus enim distinguuntur per actus, et actus per obiecta. Sed caritas habet duo obiecta : Deum et proximum. Ergo non est una virtus, sed duae.

1. En effet, les habitus se distinguent d'aprиs les actes, et les actes d'aprиs les objets. Mais la charitй a deux objets : Dieu et le prochain. Par consйquent, il n'y a pas qu'une seule vertu, mais deux.

[66080] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 2 Sed dicebatur, quod unum illorum obiectorum est principalius, scilicet Deus; non enim diligit caritas proximum nisi propter Deum.- Sed contra, philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. VIII], quod amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum. Sed id quod est principium et causa, est potissimum in unoquoque genere. Ergo homo ex caritate diligit seipsum tamquam principale obiectum, et non Deum.

2. Mais on pourrait dire que l’un de ces objets est plus important, а savoir Dieu ; en effet, la charitй n'aime le prochain qu'а cause de Dieu. Au contraire, Aristote affirme (Ethique IX, 8) que les motifs d'aimer le prochain proviennent des motifs de s'aimer soi-mкme. Or ce qui est principe et cause est premier en chaque genre. Donc l'homme s'aime lui-mкme de charitй comme objet principal, et non pas Dieu.

[66081] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, I Ioan., IV, 20, dicitur : Qui fratrem suum, quem videt, non diligit; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Magis ergo videtur quod debeat diligere proximum quam Deum. Proximus ergo est magis diligibilis quam Deus; et ita videtur esse principalius obiectum caritatis.

3. En outre, saint Jean (1 Jn 4, 20) affirme : "Celui qui n'aime pas son frиre qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?[45]" Il semble donc qu'on doive plus aimer son prochain que Dieu. Le prochain est donc plus aimable que Dieu ; et ainsi il est considйrй comme l’objet principal de la charitй.

[66082] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, nihil amatur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in Lib. de Trin. [lib. X]. Sed proximus magis cognoscitur quam Deus. Ergo etiam magis diligitur; et sic videtur quod caritas non sit una virtus.

4. En outre, on n'aime que ce qui est connu, selon saint Augustin (Trinitй, X). Or, le prochain est mieux connu que Dieu. Il est donc plus aimй ; et ainsi il semble que la charitй n'est pas une vertu unique.

[66083] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnis virtus habet proprium modum quem in suis actibus ponit : iustus enim est qui non solum iusta, sed iuste operatur. Sed caritas ponit duos modos in suis actibus; nam caritate diligit Deum aliquis ex toto corde, proximum autem sicut seipsum. Ergo caritas non est una virtus.

5. En outre, toute vertu a un mode propre qu'elle fait passer dans ses actes : en effet, le juste ne fait pas seulement des choses justes, mais il les fait de faзon juste. Or, la charitй semble faire passer deux modes dans ses actes ; en effet, on aime Dieu de charitй de tout son cњur, et le prochain comme soi-mкme. La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66084] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, praecepta legis ordinantur ad virtutes, quia intentio legislatoris est facere homines virtuosos, ut dicitur in II Ethicor. [cap. XIII]. Sed de caritate dantur duo praecepta, scilicet : diliges dominum Deum tuum, et diliges proximum tuum. Ergo caritas non est una virtus.

6. En outre, les prйceptes de la Loi sont ordonnйs aux vertus, car l'intention du lйgislateur est de rendre les hommes vertueux, comme le dit Aristote (Ethique, II, 13[46]). Or, au sujet de la charitй on a deux prйceptes : "Tu aimeras ton Dieu, et tu aimeras ton prochain". La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66085] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 7 Praeterea, sicut diligimus Deum et proximum, ita et honorare debemus. Sed alio honore honoramus Deum et proximum, nam Deum honoramus latria, proximum dulia sola. Ergo alia est caritas qua diligimus Deum, et alia qua diligimus proximum.

7. En outre, de la maniиre dont nous aimons Dieu et le prochain, de cette maniиre aussi nous devons les honorer. Or, nous les honorons de maniиre diffйrente : Dieu par un culte de lвtrie, le prochain seulement par un culte de dulie. La charitй par laquelle nous aimons Dieu diffиre donc de celle par laquelle nous aimons le prochain.

[66086] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 8 Praeterea, virtus est qua recte vivitur. Sed ad aliam vitam pertinet diligere Deum, et ad aliam diligere proximum; nam diligere Deum videtur ad contemplativam vitam pertinere, diligere proximum ad activam. Ergo caritas Dei et proximi non est una virtus.

8. En outre, la vertu est ce qui fait vivre de faзon droite. Or, aimer Dieu appartient а un genre de vie, et а un autre aimer le prochain ; en effet, aimer Dieu appartient а la vie contemplative, aimer le prochain а la vie active. La charitй envers Dieu et la charitй envers le prochain ne sont donc pas une vertu unique.

[66087] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 9 Praeterea, secundum philosophum in I Physic., [com. 16] unum dicitur tripliciter : continuitate, indivisibilitate et ratione. Sed caritas non est una continuitate, quia neque est corpus, neque forma corporis; neque est una indivisibilitate quia sic neque finita neque infinita esset; nec ratione, quia sic synonyma sunt unum, ut vestis et indumentum. Ergo caritas non est una.

9. En outre, selon Aristote (Physique I, 2, 185 b 5), ce qui est un l'est de trois faзons : par la continuitй, par l'indivisibilitй, par la notion. Mais la charitй n'est pas une par la continuitй, car elle n'est ni un corps, ni la forme d’un corps ; elle n'est pas une non plus par l'indivisibilitй, car alors elle ne serait ni finie, ni infinie ; elle n'est pas non plus une par la notion, car ce sont les synonymes qui sont un de cette maniиre, comme le vкtement et l'habit. La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66088] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 10 Praeterea, minime habent de ratione unius quae sunt unum proportione tantum : unde quae non sunt proportione unum, neque sunt unum specie neque genere neque numero, ut dicitur in V Metaph. [com. 15]. Sed caritas est circa aeternum, scilicet Deum et proximum; quae sunt improportionalia. Ergo caritas nullo modo est una virtus.

10. En outre, les choses qui sont unies seulement par proportion, ne le sont pas en raison de l'unitй ; ainsi les choses qui ne sont pas unies par proportion, ne le sont ni par l'espиce, ni par le genre, ni par le nombre, comme le dit Aristote (Mйtaphysique, V, 6, 1015 b 15 sq.). Or, la charitй concerne ce qui est йternel : Dieu et le prochain, qui n'ont aucune proportion entre eux. La charitй n'est donc pas une vertu unique.

[66089] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic., amicitia perfecta non habetur ad multos. Sed caritas qua diligitur Deus et proximus, est perfectissima amicitia. Ergo non habetur ad multos; et ita non eadem caritate diligitur Deus et proximus.

11. En outre, selon Aristote (Йthique, VII, 5, 1156 b 10), l’amitiй parfaite ne s'adresse pas а plusieurs. Mais la charitй qui aime Dieu et le prochain est l’amitiй la plus parfaite. Donc, elle ne s'adresse pas а beaucoup ; et ainsi, on n'aime pas Dieu et le prochain de la mкme charitй.

[66090] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 12 Praeterea, virtus in cuius actu sufficit non tristari, est alia a virtute quae delectabiliter operatur, sicut fortitudo a iustitia. Sed in actu caritatis quantum ad aliqua obiecta sufficit non tristari, sicut cum diligimus inimicos : in aliquibus etiam oportet delectari, sicut cum diligimus Deum et amicos. Ergo caritas non est una virtus, sed alia et alia.

12. En outre, la vertu dans l’acte de laquelle il suffit de ne pas кtre triste diffиre de la vertu qui produit son acte de faзon dйlectable, comme la force diffиre de la justice. Mais dans l'acte de la charitй, par rapport а certains objets, il suffit de ne pas кtre triste : ainsi lorsque nous aimons des ennemis ; dans d’autres, il faut encore йprouver de la joie, comme lorsque nous aimons Dieu et des amis. La charitй n’est donc pas une vertu unique, mais elle diffиre suivant les objets.

En sens contraire :

[66091] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Quaecumque ita se habent quod unum intelligitur in alio, illa sunt unum. Sed in dilectione proximi intelligitur dilectio Dei, et e converso, ut dicit Augustinus, VII de Trinit.[cap. VII et VIII]. Ergo est eadem caritas qua diligimus Deum et proximum.

1. Au contraire, bien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet, la charitй est une ; car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve en l’autre, elles sont une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement, comme le dit saint Augustin (Trinitй, VII). C’est donc la mкme charitй par laquelle nous aimons Dieu et le prochain.

[66092] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in quolibet genere est unum primum movens. Sed caritas est motor omnium virtutum. Ergo est una.

2. De plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais la charitй est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une.

Rйponse :

[66093] De virtutibus, q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est una virtus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod unitas cuiuslibet potentiae vel habitus ex obiecto consideranda est; et hoc ideo, quia potentia hoc ipsum quod est, dicitur in ordine ad possibile, quod est obiectum. Et sic ratio et species potentiae ex obiecto accipitur; et similiter est de habitu, qui nihil est aliud quam dispositio potentiae perfectae ad suum obiectum.

La charitй est une seule vertu. Pour en йtablir l'йvidence, il faut savoir que l’unitй de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du cфtй de son objet ; et cela parce que ce qui fait une puissance, c’est sa relation avec ce qui est possible, ce qui est l’objet. Et ainsi la raison et l’espиce de la puissance se prennent du cфtй de son objet et il en va de mкme pour l’habitus qui n’est rien autre que la disposition qui perfectionne la puissance vis-а-vis de son objet.

Sed in objecto consideratur aliquid ut formale et aliquid ut materiale. Formale autem in obiecto est id secundum quod obiectum refertur ad potentiam vel habitum; materiale autem id in quo hoc fundatur : ut si loquamur de obiecto potentiae visivae, obiectum eius formale est color, vel aliquid huiusmodi, in quantum enim aliquid coloratum est, in tantum visibile est; sed materiale in obiecto est corpus cui accidit color.

Or dans un objet on considиre quelque chose de formel et quelque chose de matйriel. Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte а la puissance ou habitus ; le matйriel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme exemple l’objet de la puissance visuelle : l’objet formel est la couleur ou quelque chose de semblable - en tant en effet que quelque chose est colorй il est visible ; mais ce qui est matйriel c’est le corps qui a la couleur.

Ex quo patet quod potentia vel habitus refertur ad formalem rationem obiecti per se; ad id autem quod est materiale in obiecto, per accidens. Et ea quae sunt per accidens non variant rem, sed solum ea quae sunt per se : ideo materialis diversitas obiecti non diversificat potentiam vel habitum, sed solum formalis. Una est enim potentia visiva, qua videmus et lapides et homines et caelum, quia ista diversitas obiectorum est materialis, et non secundum formalem rationem visibilis. Sed gustus differt ab olfactu secundum differentiam saporis et odoris, quae sunt per se sensibilia. `

D’oщ il ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte а la raison formelle de l’objet, en soi, et а ce qui est matйriel dans l’objet, par accident. Et ce n’est pas ce qui est par accident qui fait varier pas la chose mais seulement ce qui y est en soi. Donc la diversitй matйrielle de l’objet ne diversifie pas la puissance ou l’habitus, mais la diversitй formelle. Une est en effet la puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes et le ciel, parce que cette diversitй est matйrielle et non selon la raison formelle du visible. Mais le goыt diffиre de l’odorat selon la diffйrence qu’il y a dans la saveur et dans l’odeur, qui sont des sensibles en soi.

Et hoc etiam oportet in caritate considerare. Manifestum est enim quod aliquem possumus diligere dupliciter : uno modo ratione sui ipsius, alio modo ratione alterius. Ratione autem sui ipsius aliquem diligimus, quando cum ratione boni proprii diligimus, utpote quia est in se honestus, vel nobis delectabilis, aut utilis. Ratione autem alterius diligimus aliquem quando diligimus ipsum quia attinet alii quem diligimus. Ex hoc enim ipso quod diligimus aliquem secundum se, diligimus omnes et familiares et consanguineos et amicos ipsius, in quantum ei attinent; sed tamen in omnibus illis est una ratio formalis dilectionis, scilicet bonum illius, quem ratione sui diligimus, et ipsum quodammodo in omnibus aliis diligimus.

4. Et cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charitй. Il est йvident en effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux maniиres : ou en raison de lui-mкme ou en raison d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-mкme quand nous l’aimons en raison de son propre bien, d’aprиs qu’il est en soi honnкte, ou pour nous dйsirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison d’un autre quand nous l’aimons parce qu’il tient а un autre que nous aimons. De ce qu’en effet nous aimons quelqu’un en lui-mкme nous aimons tous ses familiers, ses parents et ses amis en tant qu’ils tiennent а lui. Cependant en tous ceux-lа il n'y a qu’une seule raison de dilection, а savoir son propre bien que nous aimons en raison de lui-mкme et c’est lui que nous aimons en quelque sorte dans les autres.

Sic igitur dicendum, quod caritas diligit Deum ratione sui ipsius; et ratione eius diligit omnes alios in quantum ordinantur ad Deum : unde quodammodo Deum diligit in omnibus proximis; sic enim proximus caritate diligitur, quia in eo est Deus, vel ut in eo sit Deus. Unde manifestum est quod est idem habitus caritatis quo Deum et proximum diligimus

5. Il faut donc dire que la charitй aime Dieu en raison de lui-mкme et les autres en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnйs а Dieu ; d’oщ en quelque sorte elle aime Dieu dans tous ses proches ; ainsi en effet nous aimons le prochain par charitй parce que Dieu est en lui ou pour que Dieu soit en lui. D’oщ il est йvident que c’est par le mкme habitus de charitй que nous aimons Dieu et le prochain.

Sed si diligeremus proximum ratione sui ipsius, et non ratione Dei, hoc ad aliam dilectionem pertineret : puta ad dilectionem naturalem, vel politicam, vel ad aliquam aliarum quas philosophus tangit in VIII Ethic.

6. Mais si nous aimions le prochain en raison de lui-mкme et non en raison de Dieu, cela ressortirait а une autre dilection par exemple une dilection naturelle ou politique ou а quelqu’une des autres que le philosophe touche au ch. 8 (Йthique, VIII, 3).

Solutions :

[66094] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non diligitur nisi ratione Dei; unde ambo sunt unum obiectum dilectionis, formaliter loquendo, licet materialiter sint duo.

1. Le prochain n'est aimй qu'en raison de Dieu ; de lа il dйcoule que les deux forment un seul objet, en parlant selon la forme, alors que matйriellement ils sont deux.

[66095] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum amor respiciat bonum, secundum diversitatem boni est diversitas amoris.

2. Puisque l'amour regarde le bien, il y a diversitй d'amour d'aprиs la diversitй des biens.

Est autem quoddam bonum proprium alicuius hominis in quantum est singularis persona; et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, unusquisque est sibi principale obiectum dilectionis. Est autem quoddam bonum commune quod pertinet ad hunc vel ad illum in quantum est pars alicuius totius, sicut ad militem, in quantum est pars exercitus, et ad civem, in quantum est civitatis; et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, principale obiectum dilectionis est illud in quo principaliter illum bonum consistit, sicut bonum exercitus in duce, et bonum civitatis in rege; unde ad officium boni militis pertinet ut etiam salutem suam negligat ad conservandum bonum ducis; sicut etiam homo naturaliter ad conservandum caput, brachium exponit.

Mais il existe un bien propre d'un homme en tant qu'il est une personne singuliиre ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, chacun est а soi-mкme principal objet de l'amour. Mais il y a un bien commun qui appartient а tel ou tel en tant qu'il est partie d'un tout, comme au soldat en tant qu'il est partie de l'armйe, ou au citoyen en tant qu'il est partie de la citй ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, l'objet principal de l'amour est ce en quoi consiste principalement ce bien comme le bien de l'armйe est dans le chef, celui de la citй dans le roi ; de lа il dйcoule qu'а l'office du bien du soldat appartient de sacrifier sa vie pour conserver le bien du chef ; tout comme l'homme expose naturellement son bras pour prйserver sa tкte.

 Et hoc modo caritas respicit sicut principale obiectum, bonum divinum, quod pertinet ad unumquemque, secundum quod esse potest particeps beatitudinis; unde ea sola ex caritate diligimus quae nobiscum beatitudinem participare possunt, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana.

De cette maniиre, la charitй regarde comme son objet principal le bien divin qui appartient а chacun selon qu'il peut participer а la bйatitude. De lа, nous aimons d'une seule charitй tout ce qui peut participer avec nous а cette bйatitude, comme le dit saint Augustin dans le livre de la Doctrine chrйtienne.

[66096] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Ioannes argumentatur a maiori, negando, non quod proximus magis debeat diligi; sed quia magis est in promptu ut diligatur, quia homines proniores sunt ad diligendum visibilia quam invisibilia.

3. Jean argumente а partir du plus grand, ne disant pas que le prochain doive кtre plus aimй, mais parce qu'il est plus facile de l'aimer, car les hommes sont plus enclins а aimer le visible que l'invisible.

[66097] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet cognitum diligatur, tamen non sequitur quod magis cognitum magis diligatur. Non enim ea ratione aliquid diligitur quia cognoscitur, sed quia est bonum; unde quod est magis bonum, magis est diligibile, licet non sit magis cognitum; sicut homo minus diligit aliquem servum, vel etiam equum, quem in continuo usu habet, quam aliquem bonum hominem quem tantum fama cognoscit.

4. Bien qu'on aime ce qui est connu, cependant il ne s'ensuit pas qu'est plus aimй ce qui est plus connu. En effet, on aime un objet non parce qu’il est connu, mais parce qu'il est bon ; de lа, il dйcoule que l'on aime davantage ce qui est meilleur, mкme s'il n'est pas mieux connu ; comme un homme aime moins un esclave ou un cheval dont il a l'usage continuel qu'un homme de bien qu'il ne connaоt que de rйputation.

[66098] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas respicit ut formale obiectum, bonum divinum, sicut dictum est, art. praec. et in corp. huius art., quod quidem bonum diversimode se habet ad ipsum Deum et ad proximum, et ideo oportet quod habeat diversum modum circa principale obiectum et secundarium; unde circa principale obiectum habet unum modum tantum.

5. la charitй regarde le bien divin comme son objet formel, comme on l'a dit а l'article prйcйdent et dans le corps de cet article. Mais ce bien se rapporte diffйremment а Dieu lui-mкme et au prochain ; et c’est pourquoi il faut qu’il y ait diversitй de mode suivant l’objet principal et l'objet secondaire ; de lа, il dйcoule que selon l'objet principal il n'y a qu'un seul mode.

[66099] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod praecepta legis sunt de actibus virtutum, et non de habitibus; unde ex diversitate praeceptorum non potest concludi diversitas habituum, sed diversitas actuum; qui tamen pertinent ad unum habitum, propter rationem formalem.

6. Les prйceptes de la Loi sont d'aprиs les actes des vertus et non d'aprиs les habitus ; de lа, il dйcoule qu'on ne peut conclure, а partir de la diversitй des prйceptes а la diversitй des habitus, mais а celle des actes ; ces derniers cependant appartiennent а un seul habitus, а cause de la raison formelle.

[66100] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 7Ad septimum dicendum, quod in proximo honoratur etiam bonum proprium ipsius; et ideo alius honor debetur proximo, et alius Deo.

7. On honore dans le prochain mкme son bien propre ; ainsi on doit au prochain un honneur et а Dieu un autre.

[66101] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod tam dilectio proximi quam dilectio Dei continetur sub contemplativa vita, ut Gregorius dicit super Ezechiel [homil. XIV]. Nam oratio, quae maxime ad contemplativam vitam pertinere videtur, ad Deum pro proximis fit. Sed tamen principium vitae activae praecipue est amor Dei in seipso. Nec tamen sequitur, si caritas est principium diversorum, quod caritas non sit una.

8. Tant l’amour du prochain que l’amour de Dieu appartiennent а la vie contemplative, comme le dit saint Grйgoire en commentant le prophиte Йzйchiel (Homйlie XIV). En effet, la priиre qui semble appartenir davantage а la vie contemplative est faite а Dieu pour le prochain. Mais cependant le principe premier de la vie active est l’amour de Dieu en lui-mкme. Il ne s’ensuit pas pour autant que, si la charitй est principe de choses diverses, elle ne soit pas unique.

[66102] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas non est una continuitate; sed potest dici una indivisibilitate, in quantum est una forma simplex. Non enim dicitur finita vel infinita secundum quantitatem dimensivam, sed secundum quantitatem virtutis. Sed sic non agimus hic de virtute caritatis, sed secundum quod est una ratione : non quidem una numero, ut tunica et vestis; sed ratione speciei, sicut Socrates et Plato sunt unum in ratione hominis.

9. La charitй n’est pas une par la continuitй ; mais on peut le dire une par l’indivisibilitй, en tant qu’elle est une unique forme simple. En effet, on ne la dit pas finie ou infinie selon une quantitй mesurable, mais selon la mesure de sa vertu. Mais ce n’est pas de cette maniиre que nous traitons ici de la vertu de charitй, mais selon qu’elle est une par la raison ; elle n’est pas une par le nombre, comme la tunique et le vкtement, mais en raison de l’espиce, comme Socrate et Platon sont un par la notion d’homme.

[66103] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio illa procederet, si temporale ratione sui esset obiectum caritatis, et non ratione aeterni, ut dictum est.

10. Cet argument porterait si l’objet de la charitй йtait temporel en raison de lui-mкme et non en raison de l’йternitй, comme il a йtй dit.

[66104] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod amicitia perfecta non habetur ad multos, ita quod ad unumquemque sit ratione sui ipsius; sed quanto amicitia est perfectior ad unum ratione eius, tanto ad plures se posset extendere ratione ipsius. Et sic caritas, quia perfectissima amicitia est, ad Deum se extendit, et ad omnes qui possunt percipere Deum; et non solum ad notos, sed etiam ad inimicos.

11. L’amitiй parfaite ne s’adresse pas а de nombreuses personnes, tant elle s’adresse а chacun en raison de chacun ; mais plus la charitй s’adresse parfaite а un seul en raison de celui-lа, plus elle peut s’йtendre а plusieurs en raison de cette mкme personne. Ainsi, la charitй, qui est l’amitiй la plus parfaite, s’йtend а Dieu et а tous ceux qui peuvent percevoir Dieu, non seulement aux amis, mais aussi aux ennemis.

[66105] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtus quae delectabiliter operatur circa principale obiectum, potest eadem circa aliquod accessorium non delectabiliter, sed sine tristitia, operari; et hoc modo caritas delectabiliter operatur in principali obiecto, licet difficultatem patiatur in aliquo secundario obiecto, ita ut sufficiat sine tristitia operari.

12. La vertu qui agit de faзon dйlectable vis-а-vis de son objet principal, peut agir de faзon non dйlectable mais sans tristesse vis-а-vis de quelque chose d’accessoire. De cette maniиre, la charitй agit de faзon dйlectable vis-а-vis de son objet principal, bien qu’elle subisse des difficultйs face а un objet secondaire, de sorte qu’il lui suffise d’agir sans tristesse.

 

 

Articulus 5 : [66106] De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum caritas sit virtus specialis distincta ab aliis virtutibus vel non

Article 5La charitй est-elle une vertu spйciale, diffйrente de autres vertus ou pas ?

[66107] De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[47]

[66108] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 1 Illud enim quod ponitur in definitione cuiuslibet virtutis, non est virtus specialis : quia virtus generalis ponitur in definitione cuiuslibet specialis virtutis. Sed caritas ponitur in definitione cuiuslibet virtutis : dicit enim Hieronymus : Ut breviter communem definitionem virtutis complectar; virtus est caritas, qua diligimus Deum et proximum. Ergo caritas non est virtus specialis, ab aliis distincta.

1. Car ce qui est placй dans la dйfinition de n’importe quelle vertu, n’est pas une vertu spйciale ; parce que la vertu gйnйrale n’est pas placйe dans la dйfinition de n’importe quelle vertu spйciale. Mais la charitй est placйe dans la dйfinition de n’importe quelle vertu : car Jйrфme dit : « Pour embrasser briиvement une dйfinition commune de la vertu : la charitй est la vertu par laquelle nous aimons Dieu et le prochain ». Donc la charitй n’est pas une vertu spйciale, distincte des autres

[66109] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, caritas qua diligimus proximum, non est virtus distincta a caritate qua diligimus Deum, quia caritas diligit proximum propter Deum. Sed omnis virtus diligit proximum propter Deum. Ergo nulla virtus distinguitur a caritate.

2. La charitй par laquelle nous aimons le prochain n’est pas une vertu diffйrente de la charitй par laquelle nous aimons Dieu, parce que la charitй aime le prochain а cause de Dieu. Mais tout vertu aime le prochain а cause de Dieu. Donc aucune vertu ne se distingue de la charitй.

[66110] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, distinctiones habituum attenduntur secundum actus virtutum. Sed caritas operatur actus omnium aliarum virtutum : caritas est patiens, est benigna, ut dicitur I ad Corinth., XIII, 4. Ergo caritas non est virtus ab aliis distincta.

3. Les distinctions des habitus dйpendent des actes des vertus. Mais la charitй accomplit les actes de toutes les autres vertus : « La charitй est patiente, elle est bienveillante » comme il est dit en 1 Co 13, 4. Donc la charitй n’est pas une vertu distincte des autres.

 [66111] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, bonum est obiectum generale omnium virtutum : nam virtus est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est obiectum caritatis. Ergo caritas habet obiectum generale; et ita est generalis virtus.

4. Le bien est l’objet gйnйral de toutes les vertus ; car la vertu est ce qui fait qu’on possиde le bien, et son њuvre amйliore. Mais le bien est l’objet de la charitй. Donc la charitй a un objet gйnйral, et ainsi elle est une vertu gйnйrale.

[66112] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, una perfectio est unius perfectibilis. Sed caritas est perfectio multorum perfectibilium, id est omnium virtutum. Ergo non est una.

5. Une seule perfection est d’un seul perfectible. Mais la charitй est la perfection de nombreux perfectibles, c'est-а-dire de toutes les vertus. Donc elle n’est pas une.

[66113] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, idem habitus non potest esse in diversis subiectis. Sed caritas est in diversis subiectis : iubemur enim Deum diligere ex tota mente, ex tota anima, ex toto corde, ex tota fortitudine. Ergo caritas non est virtus una.

6. Un mкme habitus ne peut pas кtre dans des sujets diffйrents. Mais la charitй est en des sujets diffйrents : car on nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre esprit, de toute notre вme et de tout notre cњur, de toute notre force. Donc la charitй est une vertu unique.

[66114] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea, virtus ad tollenda peccata ordinatur. Sed caritas sufficit ad tollenda omnia peccata; quia minima caritas resistere potest cuilibet tentationi. Ergo caritas facit id quod est omnium virtutum; et ita non videtur esse virtus specialis.

7. La vertu est destinйe а enlever les pйchйs. Mais la charitй suffit pour les enlever tous ; parce que la plus petite charitй peut rйsister а n’importe quelle tentation. Donc la charitй fait ce qui concerne toutes les vertus et ainsi il ne semble pas qu’elle soit une vertu spйciale.

[66115] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, unicuique virtuti speciali opponitur aliquod peccatum speciale. Sed caritati contrariantur omnia peccata : quia per quodlibet peccatum mortale perditur caritas. Ergo caritas non est virtus specialis.

8. A chaque vertu particuliиre est opposй un pйchй particulier. Mais tous les pйchйs sont contraires а la charitй : parce que par n’importe quel pйchй mortel la charitй est perdue. Donc la charitй n’est pas une vertu particuliиre.

[66116] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 9 Praeterea, nulla virtus est necessaria nisi ad recte operandum. Sed sola caritas sufficienter nos dirigit ad recte operandum; dicit enim Augustinus : Habe caritatem, et fac quidquid vis. Ergo praeter caritatem non est aliqua alia virtus; et ita non est virtus specialis distincta ab aliis.

9. Aucune vertu n’est nйcessaire sinon pour agir avec rectitude. Mais la charitй seule nous dirige suffisamment pour opйrer avec rectitude ; car Augustin dit : « Aie la charitй et fais ce que tu veux ». Donc au delа de la charitй il n’y a pas d’autre vertu ; et ainsi ce n’est pas une vertu spйciale diffйrente des autres.

[66117] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 10 Praeterea, habitus virtutum necessarii sunt ad hoc quod homo prompte et delectabiliter operetur : nullus enim est iustus qui non gaudet iusta operatione, ut dicitur in I Ethic. [cap. VII] Sed ad omnia prompte et delectabiliter operanda sufficit caritas : quia dicit Augustinus in Lib. de verbis Domini [sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope nulla facit amor. Ergo praeter caritatem non est necessaria aliqua alia virtus.

10. Les habitus des vertus sont nйcessaires pour que l’homme opиre promptement et avec plaisir : car aucun n’est juste qui ne se rйjouit pas d’une juste opйration, comme il est dit en Йthique, I, 7. Mais la charitй suffit pour opйrer tout promptement et avec plaisir ; parce qu’Augustin dit dans le livre des Parole du Seigneur : «Elle [la charitй] rend tout ce qui est lourd et cruel, facile et elle le rйduit а presque rien ». Donc au delа de la charitй il n’y a pas d’autre vertu nйcessaire.

[66118] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 11 Praeterea, ea quae sunt distincta ad invicem, habent distinctam generationem et corruptionem. Sed caritas et aliae virtutes non habent distinctam generationem et corruptionem; quia simul cum caritate et infunduntur et perduntur aliae virtutes. Ergo caritas non est specialis virtus.

11. Les choses diffйrentes entre elles, ont une gйnйration et une corruption distinctes. Mais la charitй et les autres vertu n’ont pas de gйnйration ni de corruption distinctes ; parce que les autres vertus sont infusйes et sont perdues en mкme temps que la charitй. Donc la charitй n’est pas une vertu spйciale.

En sens contraire :

[66119] De virtutibus, q. 2 a. 5 s. c. Sed contra, est quod apostolus, 1 Cor., cap. XIII, 13, condividit eam aliis virtutibus, dicens : Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec.

1. Il y a ce que l’Apфtre dit, 1 Co 13, 13 ; il l’a sйparйe des autres vertus en disant : « Maintenant demeurent le foi, l’espйrance et charitй, ces trois vertus ».

Rйponse :

[66120] De virtutibus, q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est quaedam virtus specialis, distincta ab aliis virtutibus. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod quandocumque aliquis actus dependet a pluribus principiis, secundum ordinem se habentibus, ad perfectionem illius actus requiritur quod quodlibet illorum principiorum sit perfectum. Si enim sit imperfectio in primo, sive in medio, vel in ultimo, sequitur actus imperfectus; sicut, si desit peritia artis artifici, sive recta dispositio in instrumento, opus sequitur imperfectum.

La charitй est une vertu spйciale, distincte des autres vertus. Pour le mettre en йvidence il faut considйrer que toutes les fois qu’un acte dйpend de plusieurs principes ordonnйs entre eux, il est requis pour la perfection de cet acte que chacun de ces principes soit parfait. Si en effet l’imperfection se trouve dans le premier ou dans celui qui est intermйdiaire ou dans le dernier, il en dйcoule un acte imparfait, ainsi si la connaissance de l’art manque а l’artisan ou le bon йtat а l’instrument, l’њuvre est imparfaite.

Et hoc etiam in ipsis potentiis animae considerari potest. Si enim sit recta ratio, quae est motiva inferiorum potentiarum, et concupiscibilis sit indisposita, operabitur quidem aliquis secundum rationem, sed operatio erit imperfecta, quia habebit impedimentum ex concupiscibili indisposita ad contrarium trahente; sicut circa continentem apparet : et ideo praeter prudentiam, quae perficit rationem, necesse est, ad hoc quod homo recte se habeat circa concupiscibilia, quod habeat temperantiam, ad hoc quod prompte operetur et sine impedimento.

 

Et sicut est in diversis potentiis, quarum una movet aliam; idem est etiam considerare secundum diversa obiecta quorum unum ordinatur ad alterum sicut ad finem : una enim et eadem potentia, secundum quod est finis, non solum aliam potentiam, sed etiam seipsam, movet in ea quae sunt ad finem.

 

Et ideo ad rectam operationem, aliquem non solum oportet bene dispositum esse ad finem, sed etiam bene dispositum ad ea quae sunt ad finem : alias sequitur operatio impedita; ut patet in eo qui bene est dispositus ad bene appetendam sanitatem, sed male est dispositus ad sumendum ea quae sunt sanativa.

Et on peut aussi considйrer cela dans les puissances mкmes de l’вme. Car si la raison qui est moteur des puissances infйrieures est droite et si le concupiscible est mal disposй, quelqu’un opйrera selon la raison mais son opйration sera imparfaite, parce qu’il aura un empкchement par la concupiscence mal disposйe qui le tire en sens contraire ; de mкme on voit cela а propos de l’homme continent et c'est pourquoi, outre la prudence qui parfait la raison, il est nйcessaire pour que l’homme se comporte avec rectitude vis-а-vis du concupiscible, qu’il possиde la tempйrance pour opйrer avec promptitude et sans empкchement.

Et c’est comme dans les diffйrentes puissances, dont l’une met l’autre en mouvement ; c’est le mкme de considйrer selon les diffйrentes objets dont l’un est ordonnй а l’autre comme а sa fin ; car une seule et mкme puissance, en tant que fin, met en mouvement non seulement une autre puissance mais se met aussi elle-mкme en mouvement vers ce qui concerne sa fin.

Et donc pour une action droite il est nйcessaire, non seulement d’кtre bien disposй en vue la fin, mais aussi pour ce qui ne concerne ; autrement il en dйcoule que l’opйration est empкchйe, comme on le voit dans celui qui est bien disposй pour cherche la santй et est mal disposй pour prendre ce qui peut le guйrir.

Et sic manifestum est quod, cum per caritatem homo disponatur ut bene se habeat ad ultimum finem, necesse est ut habeat alias virtutes, quibus bene disponatur ad ea quae sunt ad finem. Est ergo caritas alia ab his quae ordinantur ad ea quae sunt ad finem, licet illa quae ordinatur ad finem, sit principalior, et architectonica, respectu earum quae ordinantur in ea quae sunt ad finem; sicut medicinalis respectu pigmentariae, et militaris respectu equestris. Unde manifestum fit quod necesse est caritatem esse quamdam virtutem specialem distinctam ab aliis virtutibus, sed principalem et motivam respectu earum.

Et ainsi il est йvident que, puisque par la charitй l’homme est disposй а se bien comporter vis-а-vis de la fin derniиre, il est nйcessaire qu’il y ait les autres vertus qui le dispose а ce qui concerne la fin. Donc il y a une charitй autre que celles qui sont ordonnйes а ce qui concerne la fin, bien qu’elle soit plus importante et comme maоtresse par rapport а ce qui est ordonnй а ce qui concerne la fin; comme l’art mйdical par rapport а la pharmacie et l’art militaire par rapport а l’art йquestre. C'est pourquoi il devient йvident qu’il est nйcessaire que la charitй soit une vertu particuliиre distincte des autres, mais elle est importante et elle met en mouvement par rapport а elles.

Solutions :

[66121] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa definitio datur per causam, in quantum caritas est causa omnium aliarum virtutum.

1. Cette dйfinition est donnйe par la cause, en tant que la charitй est la cause de toutes les autres vertus.

[66122] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum est, quod caritas in diligendo proximum habet Deum ut rationem formalem obiecti, et non solum ut finem ultimum, ut ex supradictis, art. praec., patet : sed aliae virtutes habent Deum non ut rationem formalem obiecti, sed ut ultimum finem. Et ideo, cum dicitur quod caritas diligit proximum propter Deum, illud propter denotat non solum causam materialem, sed quodammodo formalem. Cum autem dicitur de aliis virtutibus quod operantur propter Deum, illud propter denotat causam finalem tantum.

2. La charitй en aimant le prochain possиde Dieu comme raison formelle d’objet, et non seulement comme fin ultime, comme on le voit par ce qui a йtй dit ci-dessus, art. prйcйdant ; mais les autres vertus ont Dieu non pas comme raison formelle d’objet, mais comme fin ultime. Et c'est pourquoi quand on dit que la charitй aime le prochain а cause de Dieu, ce ‘а cause’ signale non seulement une cause matйrielle, mais une cause formelle d’une certain maniиre. Mais quand on dit а propos des autres vertus, qu'elles opиrent а cause de Dieu, ce ‘а cause’ ajoute une cause finale seulement.

[66123] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas non producit actus aliarum virtutum elicitive, sed imperative tantum. Elicit enim virtus illos actus tantum qui sunt secundum rationem propriae formae, sicut iustitia recte facere, et temperantia temperanter; sed imperare dicitur omnes actus quos ad finem suum advocat.

3. La charitй ne produit pas les actes des autres vertus de maniиre efficace, mais seulement de maniиre impйrative. Car la vertu produit seulement ces actes qui dйpendent de la nature de la forme propre, comme agir avec rectitude par justice et avec tempйrance par tempйrance, mais on dit qu’elle commande tous les actes qu’elle fait parvenir а leur fin.

[66124] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum commune non est obiectum caritatis, sed summum bonum; et ideo non sequitur quod caritas sit generalis virtus sed quod sit summa virtutum.

4. Le bien commun n’est pas objet de charitй mais c’est le bien suprкme, et c'est pourquoi il n’en dйcoule pas que la charitй est une vertu gйnйrale mais qu’elle est la plus haute des vertus.

[66125] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non est perfectio intrinseca aliarum virtutum, sed extrinseca, ut supra, art. 3 huius quaest., dictum est; unde ratio non sequitur.

5. La charitй n’est pas la perfection intrinsиque des autres vertus, mais la perfection extrinsиque, comme, cela a йtй dit ci-dessus a. 3 de cette question, c'est pourquoi cette raison ne suit pas.

[66126] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas est, sicut in subiecto, in una tantum potentia, scilicet in voluntate, quae per imperium movet alias potentias; et secundum hoc Deum iubemur ex tota mente et anima diligere, ut omnes vires animae nostrae advocentur in obsequium divini amoris.

6. La charitй est, comme dans un sujet, en une puissance seulement, а savoir dans la volontй, qui par son pouvoir met en mouvement les autres puissances, et selon cela nous sommes obligйs d’aimer Dieu de tout notre esprit et de toute notre вme, pour que toutes les forces de notre вme soient appelйes en dйfйrence а l’amour divin.

[66127] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut caritas imperat aliarum virtutum actus, ita per modum imperii excludit peccata eis contraria; et secundum hunc modum caritas resistit tentationibus; sed tamen necesse est esse alias virtutes, quae directe et elicitive peccata excludant.

7. La charitй commande les actes des autres vertus, de mкme par mode de pouvoir elle exclut les pйchйs qui lui sont contraires ; et de cette maniиre la charitй rйsiste aux tentations, mais cependant il est nйcessaire qu’il y ait d’autres vertus qui excluent les pйchйs directement et de maniиre efficace.

[66128] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod sicut actus aliarum virtutum ordinantur ad finem quod est obiectum caritatis; ita et peccata quae sunt contra alias virtutes, habent oppositionem ad finem, qui est obiectum caritatis : et ex hoc contingit quod contraria aliarum virtutum, scilicet peccata, caritatem expellant.

8. De mкme que les actes des autres vertus sont ordonnйs а la fin qui est l’objet de la charitй, de mкme les pйchйs aussi qui sont contre les autres vertus, s’opposent а la fin, qui est l’objet de la charitй, et par lа il arrive que les contraires des autres vertus, а savoir les pйchйs, chassent la charitй.

[66129] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet caritas sufficienter per modum imperii in omnibus nos dirigat quae ad rectam vitam pertinent; tamen requiruntur aliae virtutes quae eliciendo actus exequantur imperium caritatis, ad hoc quod homo prompte et sine impedimento operetur.

9. Bien que la charitй nous dirige suffisamment par mode de pouvoir dans tout ce qui convient а une vie droite, cependant d’autres vertus sont requises qui en choisissant les actes suivent le pouvoir de la charitй, pour que l’homme opиre promptement et sans empкchement.

[66130] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod contingit aliquid esse propter finem quod tamen secundum se est difficile et triste; sicut cum aliquis accipit medicinam amaram libenter propter sanitatem, licet in ipsa sumptione multum affligatur. Caritas igitur facit omnia esse delectabilia ex fine; sed requiruntur aliae virtutes, quae faciant ea quae sunt virtuosa secundum se delectabilia, ad hoc quod facilius operemur.

10. Il arrive que quelque chose est en vue de la fin qui cependant en soi est difficile et triste, comme quant quelqu'un reзoit une mйdecine amиre, librement pour sa santй, bien qu’en cette prise, il йprouve beaucoup de gкne. Donc la charitй fait que tout soit dйlectable par sa fin ; mais d’autres vertus sont requises qui font que ce qui est vertueux soit dйlectable en soi, pour que nous opйrions plus facilement.

[66131] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas simul habet generationem cum aliis virtutibus, non quia sit indistincta ab aliis, sed quia Dei perfecta sunt opera; unde infundens caritatem simul infundit omnia illa quae sunt necessaria ad salutem. Corrumpitur autem simul cum omnibus virtutibus : quia quaecumque contrariantur aliis virtutibus, contrariantur caritati, ut dictum est.

11. La charitй possиde la gйnйration en mкme temps que les autres vertus, non parce qu’elle indistincte des autres, mais parce que les њuvres de Dieu sont parfaites ; c'est pourquoi en infusant la charitй, en mкme temps, il infuse tout ce qui est nйcessaire au salut. Mais elle est corrompue en mкme temps que toutes les vertus ; parce que tout ce qui est contraire aux autres vertus est contraire а la charitй, comme on l’a dit.

 

 

 

Articulus 6 : [66132] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum caritas possit esse cum peccato mortali

Article 6La charitй peut-elle exister avec le pйchй originel ?

[66133] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections :[48]

[66134] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 1 Dicit enim Origenes in I Periarchon [cap. III] : non arbitror quod aliquis ex his qui in summo perfectoque perstiterunt gradu, ad subitum evacuetur ac decidat; sed per partes et paulatim eum diffluere necesse est. Subito autem aliquis committit peccatum mortale per solum consensum. Ergo qui est in perfecto statu per caritatem, non decidit a caritate per unum actum peccati mortalis; et sic caritas potest esse cum peccato mortali.

1. Car Origиne dit (Peri archфn 1, 3) : « Je ne pense pas que quelqu'un de ceux qui sont demeurйs dans un degrй trиs йlevй de perfection, soit anйanti subitement et dйchoit ; mais il est nйcessaire qu’il s’en йcarte par parties et peu а peu ». Mais quelqu'un commet а l’improviste un pйchй mortel, par le seul consentement. Donc celui qui est dans un йtat parfait par charitй, ne dйchoit pas d’elle par un seul pйchй mortel, et ainsi la charitй peut exister avec le pйchй mortel.

[66135] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit [in lib. De dignitate div. Amoris, cap. VI] quod caritas in Petro, quando Christum negavit, non fuit extincta, sed sopita. Sed Petrus negando Christum peccavit mortaliter. Ergo caritas potest remanere cum peccato mortali.

2. Bernard (La dignitй de l’Amour divin, VI) dit que la charitй en Pierre, quand il a reniй le Christ, ne s’est pas йteinte, mais endormie. Mais Pierre, en reniant le Christ a pйchй mortellement. Donc la charitй peut demeurer avec le pйchй mortel.

[66136] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas est fortior quam habitus virtutis moralis. Sed habitus virtutis non tollitur per unum actum vitiosum, cum non per unum actum generetur : ex eisdem enim contrario modo factis generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur in II Ethic. Ergo multo minus habitus caritatis tollitur per unum peccatum mortale.

3. La charitй est plus forte que l’habitus d’une vertu morale. Mais celui-ci n’est pas enlevй par un seul acte vicieux, puisqu’il n’est pas gйnйrй par un seul acte ; car par les mкmes faits, la vertu est gйnйrйe et corrompue d’une maniиre contraire, comme il est dit en Йthique, II, 1, 1103 b 6. Donc l’habitus de la charitй est beaucoup moins enlevй par un seul pйchй mortel.

[66137] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, unum uni opponitur. Sed caritas est una virtus specialis, ut ostensum est. Ergo sibi opponitur unum vitium speciale. Non ergo per alia peccata mortalia tollitur; et sic videtur quod possit peccatum mortale simul esse cum caritate.

4. L’un s’oppose а l’un. Mais la charitй est une vertu particuliиre, comme on l’a montrй. Donc un vice particulier s’oppose а elle. Donc elle n’est pas enlevйe par d’autres pйchйs mortels, et ainsi il semble que le pйchй mortel puisse coexister avec la charitй.

[66138] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 5 Praeterea, opposita non se expellunt nisi circa idem subiectum. Sed quaedam peccata non sunt in eodem subiecto cum caritate : nam caritas est in superiori parte rationis, quae convertitur ad Deum; potest autem peccatum mortale esse etiam in inferiori parte rationis, ut dicit Augustinus in Lib. de Trinit. Ergo non omne peccatum mortale excludit caritatem.

5. Les opposйs ne s’excluent que pour un mкme substrat. Mais certains pйchйs ne sont pas dans le mкme substrat que la charitй ; car elle est dans la partie supйrieure de la raison, qui est tournйe vers Dieu : mais le pйchй mortel peut кtre aussi dans la partie infйrieure de la raison, comme le dit Augustin dans La Trinitй. Donc tout pйchй mortel n’exclut pas la charitй.

[66139] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est fortissimum, non potest expelli a debilissimo. Sed caritas est fortissima : Fortis enim est ut mors dilectio, ut dicitur Cantic., VII, 6 : peccatum autem est debilissimum, quia malum est infirmum et impotens, ut Dionysius dicit [V cap. de divin. Nomin.] Ergo peccatum mortale non expellit caritatem; et sic potest esse simul cum ea.

6. Le plus fort ne peut pas кtre chassй par le plus faible. Mais la charitй est la plus forte ; car « L’amour est fort comme le mort », comme il est dit (Ct 7, 6) : mais le pйchй est trиs faible ; parce que le mal est sans force et sans puissance, comme Denys le dit (Les noms divins, 5). Donc le pйchй mortel ne chasse pas la charitй, et ainsi il peut cohabiter avec elle.

[66140] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 7 Praeterea, habitus secundum actus cognoscuntur. Sed actus caritatis potest esse cum peccato mortali : homo enim peccans diligit Deum et proximum. Ergo caritas potest esse cum peccato mortali.

7. Les habitus sont reconnus а leurs actes. Mais celui de la charitй peut exister avec le pйchй mortel : car l’homme qui pиche aime Dieu et son prochain. Donc la charitй peut exister avec le pйchй mortel.

[66141] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 8 Praeterea, caritas praecipue facit delectari in contemplatione Dei. Sed delectationi quae est in considerando, nihil est contrarium, ut dicit philosophus in I Topic. Ergo caritati nihil est contrarium : et ita non potest expelli per peccatum mortale.

8. La charitй fait surtout qu’on йprouve du plaisir dans la contemplation de Dieu. Mais au plaisir qu’on trouve en le considйrant, rien n’est contraire, comme le dit le philosophe (Topique, 1, 15, 106 b 4). Donc rien n’est contraire а la charitй ; et ainsi elle ne peut pas кtre chassйe par le pйchй mortel.

[66142] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 9 Praeterea, universale movens potest impediri in uno mobili, et non impediri in alio. Sed caritas est universalis motor omnium virtutum, ut supra, art. 3, dictum est. Ergo non oportet quod sic impediatur in una virtute in quantum alias movet : potest igitur cum peccato opposito temperantiae caritas remanere, prout est motiva aliarum virtutum.

9. Le moteur universel peut кtre empкchй dans un mobile, et pas dans un autre. Mais la charitй est le moteur universel de toutes les vertus, comme il a йtй dit ci-dessus, a. 3. Donc il n’est pas nйcessaire qu’elle soit ainsi empкchйe dans une seule vertu en tant qu’elle meut les autres ; donc la charitй peut demeurer avec un pйchй opposй а la tempйrance, , dans la mesure oщ elle meut les autres vertus.

[66143] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 10 Praeterea, sicut caritas habet Deum pro obiecto, ita fides et spes. Sed fides et spes possunt esse informes. Ergo eadem ratione et caritas; et sic potest esse cum peccato mortali.

10. La charitй a Dieu pour objet, la foi et l’espйrance aussi. Mais la foi et l’espйrance peuvent кtre imparfait. Donc pour la mкme raison, la charitй aussi. Et ainsi elle peut exister avec un pйchй mortel.

[66144] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 11 Praeterea, omne illud quod non habet perfectionem quam natum est habere, est informe. Sed caritas non habet perfectionem hic in via quam nata est habere in patria. Ergo est informis; et sic videtur quod possit esse cum peccato mortali.

11. Tout ce qui n’a pas la perfection qu’il est destinй а avoir, est imparfait. Mais la charitй n’a pas de perfection dans la voie qu’elle est destinйe а avoir dans la patrie. Donc elle est imparfaite, et ainsi il semble qu’elle pourrait exister avec le pйchй mortel.

[66145] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 12 Praeterea, habitus cognoscuntur per actus. Sed aliqui actus habentium caritatem possunt esse imperfecti : nam multoties aliqui caritatem habentes moventur aliquo motu impatientiae, vel inanis gloriae. Ergo et habitum caritatis contingit esse imperfectum et informem; et sic videtur quod cum caritate possit esse peccatum mortale.

12. Les habitus sont connus par les actes. Mais certains actes de ceux qui possиdent la charitй peuvent кtre imparfaits, car frйquemment ils sont poussйs par un mouvement d’impatience, ou de vaine gloire. Donc il arrive que l’habitus de la charitй soit imparfait, et ainsi il semble qu’il pourrait y avoir un pйchй mortel avec la charitй.

[66146] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 13 Praeterea, sicut virtuti opponitur peccatum, ita ignorantia opponitur scientiae. Sed non quaelibet ignorantia tollit totam scientiam. Ergo nec quodlibet peccatum mortale tollit totam virtutem; unde, cum caritas sit radix virtutum, non videtur quod quodlibet peccatum mortale tollat caritatem.

13. De mкme que le pйchй est opposй а la vertu, de mкme l’ignorance est opposйe а la science. Mais ce n’est pas n’importe quelle ignorance qui enlиve toute la science. Donc ni n’importe quel pйchй mortel qui enlиve toute la vertu ; c'est pourquoi, comme la charitй est la racine des vertus, il ne semble pas que n’importe que pйchй mortel enlиve la charitй.

[66147] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 14 Praeterea, caritas est amor Dei. Sed manente amore ad rem aliquam, aliquis propter incontinentiam operatur contra illam; sicut aliquis amans seipsum, contra bonum agit per incontinentiam; et similiter aliquis amans aliquam communitatem, contra eam agit propter incontinentiam, ut philosophus dicit in V Politic. Ergo aliquis potest peccando contra Deum agere, manente caritate.

14. La charitй est l’amour de Dieu. Mais si l’amour pour quelque chose demeure, quelqu’un а cause de son incontinene opиre contre elle, de mкme quelqu'un qui s’aime lui-mкme agit contre le bien par son incontinence, et de la mкme maniиre quelqu’un qui aime une communautй agit contre elle а cause de son incontinence, comme le philosophe le dit (Politique, V). Donc quelqu’un peut en pйchant agir contre Dieu, et sa charitй demeure.

[66148] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 15 Praeterea, aliquis habet se bene in universali, qui tamen deficit in particulari, sicut incontinens rectam rationem habet circa universalia, utpote quod fornicari est malum, et tamen in singulari eligit nunc fornicari, ut bonum, ut dicit philosophus in VI Ethic. Sed caritas facit hominem bene se habere circa universalem finem. Ergo manente caritate, potest aliquis peccare circa aliquod particulare; et sic caritas potest esse cum peccato mortali.

15. Quelqu’un se comporte bien dans l’universel qui cependant est dйfaillant dans le particulier, comme l’incontinent a la droite raison pour ce qui est universel, de sorte que forniquer est un mal et cependant dans le particulier il choisit maintenant de forniquer comme un bien, comme le dit le philosophe (Ethique, VII, 2, 1145 b 12). Mais la charitй fait que l’homme se comporte bien pour la fin universelle. Donc encore que la charitй demeure, quelqu'un peut pйcher sur quelque chose de particulier, et ainsi la charitй peut exister avec le pйchй mortel.

[66149] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 16 Praeterea, contraria sunt in eodem genere. Sed peccatum est in genere actus : quia peccatum est dictum vel factum vel concupitum contra legem Dei : caritas autem est in genere habitus. Ergo peccatum non contrariatur caritati; et sic non expellit ipsam : potest ergo simul esse cum ea.

16. Les contraires sont dans un mкme genre. Mais le pйchй est dans le genre de l’acte, parce qu’il est dit ou fait ou dйsirй contre la loi de Dieu ; mais la charitй est dans le genre de l’habitus. Donc le pйchй n’est pas contraire а la charitй, et ainsi il ne la chasse pas : donc il peut кtre en mкme temps avec elle.

En sens contraire :

[66150] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sap., I, 5 : Spiritus sanctus disciplinae effugiet fictum, et avertet se a cogitationibus quae sunt sine intellectu, et corripietur, id est expelletur, a superveniente iniquitate. Sed Spiritus sanctus est in homine quamdiu habet caritatem; quia per caritatem habitat in nobis Spiritus Dei. Ergo a superveniente iniquitate expellitur caritas; et sic non potest esse simul cum peccato mortali.

1. Au Livre de la Sagesse (1, 5) il est dit : « L’Esprit Saint notre йducateur fuit la fourberie et il se dйtourne des pensйes sans intelligence et il s’offusque quand survient l’iniquitй. » Mais l’Esprit Saint est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charitй; car l’Esprit de Dieu habite en nous par la charitй. Donc elle est repoussйe par l’iniquitй qui survient et ainsi elle ne peut coexister avec le pйchй mortel.

[66151] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque habet caritatem, dignus est vita aeterna, secundum illud apostoli, II Tim., IV, 8 : In reliquo reposita est mihi corona iustitiae, quam reddet mihi dominus in illa die, iustus iudex; non solum autem mihi, sed et his qui diligunt adventum eius. Quicumque autem peccat mortaliter, dignus est poena aeterna, secundum illud Rom., cap. VI, 23. Stipendia peccati mors. Sed aliquis non potest esse simul dignus vita aeterna et poena aeterna. Ergo non potest simul caritas cum peccato mortali haberi.

2. De plus, quiconque a la charitй est digne de la vie йternelle, selon ce que dit l’Apфtre а Timothйe (II Tm 4, 8) : « Il ne me reste plus qu’а recevoir la couronne de justice que le Seigneur me donnera en retour en ces jours, lui le juste juge ; non seulement а moi mais а ceux qui aiment sa venue. » Or quiconque pиche mortellement est digne de la peine йternelle : selon Rm 6, 23 : « Le salaire du pйchй est la mort ». Mais on ne peut pas кtre en mкme temps digne de la vie йternelle et de la peine йternelle. Donc on ne peut pas avoir la charitй en mкme temps que le pйchй mortel.

Rйponse :

[66152] De virtutibus, q. 2 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas nullo modo potest simul esse cum peccato mortali.

Ad cuius evidentiam primo considerandum est, quod omne peccatum mortale directe opponitur caritati. Quicumque enim praeeligit aliquid alteri, illud quod praeeligit, magis amat; unde quia homo magis amat propriam vitam et sui consistentiam quam voluptatem, quantumcumque sit magna voluptas, homo retraheretur ab ea, si eam existimaret esse suae vitae infallibiliter peremptivam; propter quod dicit Augustinus in Lib. LXXXIII quaestionum [quaest. 36], quod Nemo est qui non magis dolorem metuat quam appetat voluptatem; quandoquidem videmus etiam immanissimas bestias a maximis voluptatibus abstinere dolorum metu.

La charitй ne peut en aucune maniиre coexister avec le pйchй mortel.

 

Pour le mettre en йvidence, il faut considйrer que tout pйchй mortel est directement opposй а la charitй. Car quiconque prйfиre une chose а une autre aime davantage ce qu’il a choisi d’abord ; c'est pourquoi, parce qu’un homme aime plus sa propre vie et sa prйservation que la voluptй ; quelle grande que soit celle-ci, l’homme s’en йchapperait s’il pensait qu’elle est de maniиre infaillible dommageable а sa vie ; а cause de cela saint Augustin dit. (Les 83 Questions, q. 36) : « Il n’y a personne qui ne craigne pas plus la douleur qui ne dйsire la voluptй : puisque nous voyons aussi les animaux les plus sauvages s’йcarter des plus grandes voluptйs par crainte de la douleur».

Ex hoc autem aliquis mortaliter peccat quod aliquid magis eligit quam vivere secundum Deum, et ei inhaerere. Unde manifestum est quod quicumque mortaliter peccat, ex hoc ipso magis amat aliud bonum quam Deum. Si enim amaret magis Deum, praeeligeret vivere secundum Deum quam quocumque temporali bono potiri. Hoc autem est de ratione caritatis quod Deus super omnia diligatur, ut ex superioribus patet; unde omne peccatum mortale caritati contrariatur.

Pиche mortellement celui qui choisit plutфt une chose que de vivre selon Dieu et s’attacher а lui. C'est pourquoi il est йvident que n’importe qui pиche mortellement du fait mкme qu’il aime un autre bien que Dieu. Si en effet il aimait Dieu davantage il choisirait avant de vivre selon Dieu plutфt que de s’emparer de quelque bien temporel. Or il est de la nature de la charitй d’aimer Dieu par-dessus tout, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut; c'est pourquoi tout pйchй mortel est contraire а la charitй.

Caritas enim hominibus a Deo infunditur. Quae autem ex infusione divina causantur, non solum indigent actione divina in sui principio, ut esse incipiant, sed in tota sui duratione, ut conserventur in esse; sicut illuminatio aeris indiget praesentia solis, non solum cum primo aer illuminatur, sed quamdiu illuminatus manet : et propter hoc, si aliquod obstaculum interponatur intercipiens directum aspectum ad solem, desinit esse lumen in aere; et similiter quando peccatum mortale advenit, quod impedit directum aspectum animae ad Deum, per hoc quod aliquid aliud praefert Deo, intercipitur influxus caritatis, et desinit esse caritas in homine, secundum illud Is., LIX, 2 : Peccata nostra diviserunt inter nos et Deum nostrum.

 

 

 

Sed cum rursus mens hominis redit ut recte in Deum aspiciat, eum super omnia diligendo (quod tamen sine divina gratia esse non potest), iterato ad statum caritatis redit.

En effet la charitй est rйpandue par Dieu dans les hommes. Or ce qui est causй par infusion divine, non seulement n’a pas besoin de l’action divine en son principe pour commencer а кtre, mais pendant toute sa durйe pour y кtre conservй, comme la lumiиre de l’air a besoin de la prйsence du soleil non seulement lorsque l’air est йclairй mais aussi longtemps qu’il demeure йclairй. Et а cause de cela, si un obstacle s’interpose, interceptant la vision directe du soleil, la lumiиre cesse d’кtre dans l’air ; et de la mкme maniиre quand le pйchй mortel advient qui empкche le regard direct de l’вme vers Dieu, par cela qu’elle lui prйfиre autre chose, l’influx de la charitй est interrompu et elle cesse d’exister en l’homme, selon ce que dit Is 69, 2 : « Nos pйchйs nous ont sйparйs de notre Dieu ».

Mais lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter avec rectitude ses regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne peut pas se faire sans la grвce), il revient de nouveau а l’йtat de charitй.

Solutions :

[66153] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Origenis non sic est intelligendum, quod homo peccans mortaliter, quantumcumque perfectus, non subito caritatem amittat sed quia non contingit de facile quod homo perfectus statim a principio mortaliter peccet, sed per negligentiam et diversa peccata venialia, disponitur ut tandem labatur in peccatum mortale.

1. La parole d’Origиne n’est pas а penser ainsi : l’homme qui pиche mortellement, quelque parfait qu’il soit, ne perd pas la charitй subitement, mais parce qu’il n’arrive pas facilement que l’homme parfait pиche mortellement aussitфt au commencement, mais par nйgligence et par diffйrents pйchйs vйniels, il se dispose а la fin а glisser dans le pйchй mortel.

[66154] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Bernardi non videtur sustinendum, nisi intelligatur caritas in Petro non fuisse extincta, quia cito resurrexit; ea enim quae parum distant, quasi nihil distare videntur, ut dicitur in II Physic. [com. 56].

2. La parole de saint Bernard ne semble pas devoir кtre soutenue, sauf si on pense que la charitй en Pierre n’a pas йtй йteinte, parce qu’aussitфt elle a ressuscitй ; car ce qui est un peu йloignй, semble pour ainsi dire en rien йloignй, comme il est dit en Physique II, 5, 197 a 28).

[66155] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus moralis, quae acquiritur ex actibus, consistit in inclinatione potentiae ad actum; quae quidem inclinatio non tollitur totaliter per unum actum. Sed influentia caritatis a Deo intercipitur per unum actum; et ideo unus actus peccati tollit caritatem.

3. La vertu morale, qui est acquise par les actes consiste dans l’inclination de la puissance а l’acte ; cette inclination n’est pas enlevйe totalement par un seul acte. Mais l’influence de la charitй est coupйe de Dieu par un seul acte, et c'est pourquoi un seul acte de pйchй enlиve la charitй.

[66156] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritatis oppositum generale est odium; sed indirecte omnia peccata caritati opponuntur, in quantum pertinent ad Dei contemptum, qui est super omnia diligendus.

4. L’opposй universel de la charitй c’est la haine, mais indirectement tous les pйchйs sont opposйs а la charitй, en tant qu’ils aboutissent au mйpris pour Dieu, qui doit кtre aimй par-dessus tout.

[66157] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superior ratio, in qua est caritas, movet inferiorem; unde peccatum, in quantum in inferiori parte opponitur motui caritatis, caritatem excludit. Vel dicendum, quod peccatum mortale non est sine consensu, qui attribuitur superiori parti rationis, in qua est caritas.

5. La raison supйrieure, en laquelle se trouve la charitй, meut la raison infйrieure ; c’est pourquoi le pйchй, en tant qu’il est opposй dans la partie infйrieure au mouvement de la charitй, l’exclut. Ou bien il faut dire que le pйchй mortel n’est pas sans consentement ; il est attribuй а la partie supйrieure de la raison en qui se trouve la charitй.

[66158] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod peccatum non expellit caritatem ex sua virtute; sed ex eo quod homo voluntarie se peccato subiicit.

6. Le pйchй ne chasse pas la charitй par son pouvoir, mais parce que l’homme se soumet volontairement au pйchй.

[66159] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod homo qui peccat mortaliter, non diligit Deum super omnia, sicut diligendus est ex caritate; sed est aliquid aliud quod praefert amori Dei, propter quod Dei mandatum contemnit.

7. L’homme qui pиche mortellement n’aime pas Dieu par-dessus tout, comme il doit кtre aimй par charitй, mais il y a quelque chose d’autre qu’il prйfиre а l’amour de Dieu, а cause de quoi il mйprise son commandement.

[66160] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod delectatio quae est in considerando, non habet contrarium in eodem genere, ut scilicet aliqua alia consideratio sit ei contraria; et hoc ideo quia species contrariorum in intellectu non sunt contrariae; unde delectationi quae est in considerando album, non contrariatur delectatio quae est in considerando nigrum. Sed quia actus voluntatis consistit in motu animae ad rem, sicut res in seipsis sunt contrariae, ita motus voluntatis in contraria sunt contrarii : desiderium enim dulcis contrariatur desiderio amari. Et secundum hoc amor Dei contrariatur amori peccati, quod excludit a Deo. Consideratio autem in qua non est contrarietas, non est proprius actus caritatis, qui ab ipsa elicitur, sed solum ab ipsa imperatur quasi eius effectus.

8. Le plaisir qu’on йprouve dans la considйration [de Dieu] n’a pas de contraire dans un mкme genre, а savoir qu’une autre considйration lui est contraire, et cela parce que les espиces des contraires dans l’intellect ne sont pas contraires, et c'est pourquoi celui йprouvй dans la considйration du blanc, n’est pas contraire au plaisir йprouvй dans la considйration du noir. Mais parce que l’acte de la volontй consiste dans le mouvement de l’вme vers la rйalitй, de mкme que les choses en elles-mкmes sont contraires ; de mкme les mouvements de la volontй dans les contraires sont contraires : car le dйsir du doux est contraire а celui de l’amer. Et selon cela l’amour de Dieu est contraire а l’amour du pйchй, qui йloigne de Dieu. Mais la considйration en laquelle il n’y a pas de contrariйtй, n’est pas l’acte propre de la charitй, qui est choisi par elle, mais seulement elle est commandйe comme son effet.

[66161] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas quae est universalis motor virtutum, cum impeditur in his quae pertinent ad unam virtutem, per peccatum mortale, impeditur in suo universali obiecto; et ob hoc universaliter in omnibus impeditur. Non est autem sic cum universale mobile sic impeditur in particulari effectu, quod non impeditur in his quae pertinent ad universalem virtutem.

9. Quand la charitй qui est le moteur universel des vertus, est empкchйe en ce qui convient а une seule vertu, par le pйchй mortel, elle est empкchйe en son objet universel et а cause de cela elle est universellement empкchйe en tout. Mais ce n’est pas ainsi quand le mobile universel est ainsi empкchй dans l’effet particulier, qui n’est pas empкchй en ce qui convient а la vertu universelle.

[66162] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet spes et fides habeant Deum pro obiecto, non tamen eis competit quod sint forma aliarum virtutum, sicut competit caritati ratione supradicta, art. 3; et ideo, licet caritas non sit informis, spes tamen et fides esse possunt informes.

10. Bien que l’espйrance et la foi aient Dieu pour objet, il ne leur convient pas d’кtre la forme des autres vertus, comme il convient а la charitй par la raison susdite, art. 3 ; et ainsi, bien que la charitй ne soit pas imparfaite, l’espйrance cependant et la foi peuvent l’кtre.

[66163] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non facit virtutem informem defectus cuiuscumque perfectionis, sed ille tantum defectus qui tollit ordinem ultimi finis; qui quidem ordo existit in caritate viae, licet caritas viae non habeat perfectionem patriae, quae est secundum fruitionem propriam et perfectam.

11. La dйfaillance de n’importe quelle perfection ne rend pas la vertu imparfaite, mais cette dйfaillance seulement qui enlиve le rapport а la fin ultime, lequel rapport existe dans la charitй de la voie, bien que celle-ci n’ait pas la perfection de la patrie, qui concerne la fruition propre et parfaite.

[66164] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod actus imperfecti possunt esse habentis caritatem, sed non sunt caritatis; non enim quilibet actus agentis est actus cuiuslibet formae in agente existentis, et praecipue in rationali natura, quae habet libertatem ad hoc quod utatur habitu in ea existente.

12. Les actes imparfaits peuvent кtre de celui qui possиde la charitй, mais ne sont pas de la charitй ; car n’importe quel acte de l’agent n’est pas l’acte de n’importe quelle forme qui existe dans l’agent, et surtout dans la nature raisonnable qui a la libertй pour utiliser l’habitus qui existe en elle.

[66165] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet non quaelibet ignorantia propriorum principiorum excludat scientiam, tamen ignorantia principiorum communium tollit scientiam; eis enim ignoratis, necesse est ignorare artem, ut dicitur in I Elench. Ultimus autem finis se habet sicut principium communissimum; et ideo huius deordinatio ab ultimo fine per peccatum mortale, tollit totaliter caritatem; non autem quaelibet deordinatio particularis, ut patet in peccatis venialibus.

13 Bien que n’importe quelle ignorance des principes particuliers exclut la science, cependant l’ignorance des principes communs prive de la science, car pour ceux qui les ignorent, il est nйcessaire d’ignorer l’art, comme il est dit en Elenchus I. Mais la fin ultime se comporte comme le principe le plus commun, et c'est pourquoi son manque de rapport а la fin ultime par le pйchй mortel, enlиve totalement la charitй, mais non n’importe quel manque d’ordre particulier, comme on le voit dans les pйchйs vйniels.

[66166] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quicumque per incontinentiam agit contra bonum quod amat, existimat bonum non totaliter perdi per hoc quod incontinenter agit. Si enim aliquis amans civitatem aliquam, vel proprii corporis salutem, existimaret se alterum horum perdere per hoc quod agit : vel totaliter abstineret, vel illud quod ageret, plus diligeret quam propriam salutem vel civitatis. Unde cum aliquis sciens se amittere Deum per peccatum mortale (quod est scire se peccare mortaliter), nihilominus hoc incontinenter agit : convincitur plus amare quod agit quam Deum.

14. Quiconque agit par incontinence contre le bien qu’il aime, pense que le bien n’est pas perdu complиtement par le fait qu’il agit avec incontinence. Car si quelqu'un qui aime une citй, ou le salut de son propre corps, pensait qu’il en perd un autre par le fait qu’il agit, ou il s’en abstiendrait totalement, ou il aimerait ce qu’il ferait plus que son propre salut ou celui de la citй. C'est pourquoi comme quelqu'un qui sait qu’il perd Dieu par le pйchй mortel (ce qui est savoir qu’il pиche mortellement), et cependant qui agit avec incontinence; il est convaincu plus aimer ce qu’il fait que Dieu.

[66167] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non solum requirit hoc haberi in universali acceptione, quod Deus sit super omnia diligendus; sed quod etiam in hoc actus electionis et voluntatis tendat sicut in quoddam aliud particulare eligibile. Et haec particularis electio excluditur per electionem contrarii, scilicet peccati excludentis a Deo.

15. La charitй ne requiert pas seulement qu’on la possиde dans son acception universelle, c'est-а-dire que Dieu doit кtre aimй au-dessus de tout, mais parce qu’aussi dans cet acte d’йlection et de volontй elle tend comme dans une autre chose particuliиre а choisir. Cette йlection particuliиre est exclue par l’йlection du contraire, а savoir du pйchй qui exclut de Dieu.

[66168] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet actus directe contrarientur actibus, sicut et habitus habitibus; tamen indirecte etiam actus contrariantur habitibus secundum conformitatem quam habent contrariis habitibus; nam actus similes ex similibus habitibus generantur, et similes etiam actus causant, licet non omnes habitus causentur ex actibus.

16. Bien que les actes soient directement contrariйs par des actes, comme les habitus par les habitus, cependant indirectement aussi les actes sont contraires aux habitus, selon la conformitй qu’ils ont avec des habitus contraires ; car les actes senblables sont engendrйs par des habitus semblables ; et aussi les actes semblables sont leur cause, bien que tous les habitus ne soient pas causйs par les actes.

 

 

 

[66169] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura

Article 7 – La nature raisonnable est-elle un objet digne d’кtre aimй par charitй ?

[66170] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 2 Et videtur quod non.

Et il semble que non.

Objections :[49]

[66171] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 1 Quia propter quod unumquodque, et illud magis. Sed homo ex caritate diligitur propter virtutem et propter beatitudinem. Ergo virtus et beatitudo, quae non sunt creaturae rationales, sunt magis ex caritate diligendae et sic creatura rationalis non est proprium obiectum caritatis.

1. Parce qu’а cause de cela, il y a chaque chose et ceci plus. Mais l’homme est aimй par charitй а cause de sa vertu et de sa bйatitude. Donc la vertu et la bйatitude qui ne sont pas des crйatures raisonnables doivent кtre plus aimйes par charitй et ainsi les crйatures raisonnables n’est pas l’objet propre de la charitй.

[66172] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 2 Praeterea, per caritatem maxime conformamur Deo in diligendo. Sed Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient., XI, 25, ex caritate diligendo seipsum, qui est caritas. Ergo omnia sunt diligenda ex caritate, et non solum rationalis natura.

2. Nous sommes tout а fait adaptйs а Dieu par la charitй en l’aimant. Mais Dieu aime tout ce qui existe, comme il est dit en Sg 11, 25, en s’aimant par charitй lui-mкme qui est la charitй. Donc tout doit кtre aimй par charitй, et pas seulement la nature raisonnable.

[66173] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 3 Praeterea, Origenes dicit Super Cantica, quod unum est diligere Deum et quaecumque bona. Sed Deus diligitur ex caritate. Ergo, cum omnes creaturae sint bonae, omnes sunt diligendae ex caritate, et non solum rationalis natura.

3. Origиne dit (Sur le Cantique), que c’est une (mкme) chose d’aimer Dieu et tout ce qui est bon. Mais Dieu est aimй par charitй. Donc, comme toutes les crйatures sont bonnes, toutes doivent кtre aimйes par charitй, et pas seulement la nature raisonnable.

[66174] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 4 Praeterea, sola dilectio caritatis est meritoria. Sed in dilectione cuiuslibet rei possumus mereri. Ergo quamlibet rem possumus diligere ex caritate.

4. Le seul amour de charitй est mйritoire. Mais en aimant n’importe quoi nous pouvons mйriter. Donc nous pouvons aimer n’importe quoi par charitй.

[66175] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 5 Praeterea, Deus ex caritate diligitur. Ergo oportet magis ex caritate diligi quod ab eo maxime diligitur. Sed inter omnia creata maxime diligitur a Deo bonum universi, in quo omnia comprehenduntur. Ergo omnia sunt ex caritate diligenda.

5. Dieu est aimй par charitй. Donc il est nйcessaire de aimer par charitй davantage ce qu’il aime le plus. Mais parmi toutes les crйatures le bien de l’univers est le plus aimй de Dieu, en quoi tout est saisi. Donc tout doit кtre aimй par charitй.

[66176] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 6 Praeterea, diligere magis pertinet ad caritatem quam credere. Sed caritas omnia credit, ut dicitur I ad Cor., XIII, 8. Ergo multo magis omnia diligit.

6. Aimer convient plus а la charitй que croire. Mais la charitй croit tout, comme il est dit en 1 Co 13, 8. Donc elle aime tout beaucoup plus.

[66177] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 7 Praeterea, natura rationalis perfectissime invenitur in Deo. Si igitur natura rationalis sit obiectum caritatis, oporteret quod Deum ex caritate diligeremus. Sed hoc videtur esse impossibile, quia amor caritatis est amor perfectus; deinde, quia Deum perfecte in hac vita diligere non possumus, quia in hac vita ipsum perfecte non cognoscimus : non enim cognoscimus de Deo quid est, sed solum quid non est. Dilectio autem praesupponit cognitionem, cum nihil diligatur nisi cognitum. Ergo rationalis vel intellectualis natura non est proprium obiectum caritatis.

7. La nature raisonnable se trouve de maniиre tout а fait parfaite en Dieu. Si donc elle йtait l’objet de la charitй il serait nйcessaire que nous aimions Dieu par charitй. Mais cela semble impossible, parce que l’amour de charitй est un amour parfait ; ensuite, parce que nous pouvons pas l’aimer parfaitement en cette vie, puisque nous ne le connaissons pas parfaitement : car nous ne savons pas de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas. Mais l’amour prйsuppose la connaissance, puisque rien n’est aimй que ce qui est connu. Donc la nature raisonnable ou intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй.

[66178] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 8 Praeterea, plus distat ab homine Deus quam quaelibet alia creatura. Si ergo aliquas creaturas non diligimus ex caritate, multo minus Deum ex caritate diligere possumus.

8. Dieu est plus distant de l’homme que n’importe quelle autre crйature. Si donc nous n’aimons pas des crйatures par charitй, nous pouvons beaucoup moins aimer Dieu par charitй.

[66179] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 9 Praeterea, in Angelis etiam est intellectualis natura. Sed Angeli non sunt ex caritate diligendi, ut videtur. Ergo intellectualis natura non est proprium obiectum caritatis. Probatio mediae. Amicitia in aliqua communicatione vitae consistit; nam convivere est proprium amicorum, secundum philosophum in Lib. Ethicor. [lib. IX, cap. XIX] Sed non videtur esse aliqua communicatio vitae nobis et Angelis; non enim communicamus in vita naturae cum Angelis, cum sint multo praestantioris naturae quam homo; neque iterum in vita gloriae, quia dona gratiae et gloriae dantur a Deo secundum virtutem recipientis, secundum illud Matth., XXV, 15 : Dedit unicuique secundum propriam virtutem; virtus autem Angeli est multo maior quam hominis. Ergo Angeli non communicant in aliqua vita cum hominibus.

9. Dans les anges aussi il y a une nature intellectuelle. Mais ils ne doivent pas кtre aimйs par charitй, а ce qu’il semble. Donc la nature intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй. Preuve intermйdiaire : L’amitiй consiste dans une communication de vie ; car vivre ensemble est le propre des amis, selon le philosophe (Ethique, VIII, 15, 1162 b 14). Mais il ne semble pas qu’il y ait un rapport de vie pour nous et les anges ; car nous n’avons pas de rapport dans la vie de nature avec eux, puisqu’ils sont d’une nature supйrieure а l’homme, et en plus dans la vie de gloire, non plus parce que les dons de grвce et de gloire sont donnйs par Dieu selon la capacitй de celui qui les reзoit, selon cette parole de Matthieu 25, 15 : « Il a donnй а chacun selon sa propre capacitй[50] » ; mais celle de l’ange est beaucoup plus grande que celle de l’homme. Donc les anges ne communiquent pas dans la vie avec les hommes.

[66180] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 10 Praeterea, natura rationalis invenitur etiam in ipso homine ex caritate diligente. Sed homo seipsum non debet ex caritate diligere ut videtur. Ergo caritatis obiectum non est rationalis natura. Probatio mediae. De actibus virtutum dantur praecepta legis. Sed non datur aliquod praeceptum legis de hoc quod aliquis diligat seipsum. Ergo diligere non est actus caritatis.

10. La nature raisonnable se trouve aussi dans l’homme qui aime par charitй. Mais l’homme ne doit pas s’aimer lui-mкme par charitй а ce qu’il semble. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charitй. Preuve intermйdiaire : les prйceptes de la loi sont donnйs au sujet des actes des vertus. Mais le prйcepte de la loi n’est pas donnй pour que quelqu’un s’aime lui-mкme. Donc aimer n’est pas un acte de charitй.

[66181] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 11 Praeterea, Gregorius dicit in quadam Homil., quod caritas minus quam inter duos haberi non potest. Non potest ergo quis seipsum ex caritate diligere.

11. Grйgoire dit dans une Homйlie que la charitй ne peut pas кtre possйdйe qu’entre deux. Donc quelqu’un ne peut pas s’aimer lui-mкme par charitй.

[66182] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 12 Praeterea, sicut iustitia consistit in communicatione, ita et amicitia, secundum philosophum in IV Ethic. Sed iustitia, proprie loquendo, non est hominis ad seipsum ut dicitur in V Ethic. Ergo neque amicitia, et ita neque caritas.

12. De mкme que le justice consiste dans la communication, l’amitiй aussi selon le philosophe, (Йthique, VIII, 1, 1155 a 23). Mais la justice а proprement parler ne vient pas de l’homme pour lui-mкme, comme il est dit (Йthique, V). Donc l’amitiй non plus et ainsi la charitй non plus.

[66183] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 13 Praeterea, nihil quod computatur in vitium, est actus caritatis. Sed amare seipsum computatur homini in vitium secundum illud II Timoth., III, 1 : Instabunt tempora periculosa, et erunt homines seipsos amantes. Ergo diligere seipsum non est actus caritatis; et ita natura rationalis non est proprium obiectum caritatis.

13. Rien de ce qui comptй dans le vice, n’est un acte de charitй. Mais s’aimer soi-mкme est comptй а l’homme comme un vice selon cette parole de 2 Tm 3, 1 : « Les [derniers] temps seront pйrilleux …… et les hommes s’aimeront eux-mкmes[51] ». Donc s’aimer soi-mкme n’est pas un acte de charitй ; et ainsi la nature raisonnable n’est pas un objet propre de la charitй.

[66184] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 14 Praeterea, corpus humanum est pars rationalis naturae, scilicet humanae. Sed corpus humanum non videtur esse diligendum ex caritate; quia secundum philosophum in IX Ethic., vituperantur qui amant seipsos secundum exteriorem naturam. Ergo natura rationalis non est obiectum caritatis.

14. Le corps humain est une partie de la nature raisonnable, c'est-а-dire de la nature humaine. Mais le corps humain ne semble pas devoir кtre aimй par charitй ; parce que selon le philosophe (Йthique, IX, 8, 1169 a 15) sont critiquйs ceux qui s’aiment eux-mкmes quant а leur nature extйrieure. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charitй.

[66185] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 15 Praeterea, nullus habens caritatem refugit illud quod ex caritate diligit. Sed sancti habentes caritatem refugiunt corpus, secundum illud Roman., VII, 24 : Quis me liberabit de corpore mortis huius? Et sic corpus non est diligendum ex caritate; et sic idem quod prius.

15. Aucun de ceux qui ont la charitй n’йcarte ce qu’il aime par charitй. Mais les saints qui ont la charitй йcarte le corps, selon cette parole de Rm 7, 24 : « Qui me libйrera de ce corps de mort ». Et ainsi le corps ne doit pas кtre aimй par charitй ; et ainsi de mкme que ci-dessus.

[66186] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 16 Praeterea, nullus tenetur ad implendum quod non potest. Sed nullus potest scire se habere caritatem. Ergo nullus tenetur ad diligendum creaturam rationalem ex caritate.

16. Personne n’est tenu d’accomplir ce qu’il ne peut pas accomplir. Mais personne ne peut savoir qu’il a la charitй. Donc personnes n’est tenu d’aimer la crйature raisonnable par charitй.

[66187] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 17 Praeterea, cum dicitur : creatura rationalis diligitur ex caritate; haec praepositio ex designat habitudinem alicuius causae. Sed non potest designare habitudinem causae materialis, quia caritas non est aliquid materiale, sed spirituale; neque iterum habitudinem causae finalis, quia finis diligendi ex caritate est Deus, non autem caritas; similiter etiam neque habitudinem causae efficientis, quia Spiritus sanctus est qui nos ad diligendum movet, secundum illud Rom., V, 5 : Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis; neque iterum habitudinem causae formalis, quia caritas nec est forma intrinseca, cum non sit de essentia rei; neque est forma extrinseca exemplaris, quia sic omnia quae diliguntur ex caritate, traherentur in speciem caritatis, sicut exemplata trahuntur ad speciem exemplaris. Ergo creaturae rationales non sunt diligendae ex caritate.

17. Quand on dit : la crйature raisonnable est aimй par charitй ; cette prйposition par (ex) dйsigne le relation d’une cause. Mais elle ne peut pas dйsigner la relation а une cause matйrielle, parce que la charitй n’est pas quelque chose de matйriel, mais de spirituel, ni non plus la relation а la cause finale parce que Dieu est le but а aimer par charitй ; mais pas la charitй ; de la mкme maniиre aussi une relation а la cause efficiente non plus, parce que l’Esprit saint est celui qui nous pousse а aimer, selon cette parole de Rm 5, 5 : « La charitй de Dieu est diffusйe en nos cњur par l’Esprit saint qui nous a йtй donnй » ; elle n’est pas non plus la relation а la cause formelle, parce que la charitй n’est pas une forme intrinsиque, puisqu’elle n’est pas de l’essence de la chose, et elle n’est pas une forme extrinsиque exemplaire, parce qu’ainsi tout ce qui est aimй par charitй serait attirй dans l’espиce de charitй, comme les images sont tirйes а la forme de l’exemplaire. Donc les crйatures raisonnables ne doivent pas кtre aimйes par charitй.

[66188] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 18 Praeterea, Augustinus dicit in I de Doctr. Christ., [cap.XXX], quod proximus est ille a quo nobis beneficium impenditur. Sed a Deo nobis beneficia impenduntur. Ergo Deus est proximus nobis; et ita inconvenienter ponitur ab Augustino Deus aliud diligibile ex caritate, et aliud proximus.

18. En plus Augustin dit dans la Doctrine chrйtienne I, 30, que le prochain est celui qui nous accorde un bienfait. Mais Dieu nous accorde ses bienfaits. Donc Dieu est le prochain pour nous, et ainsi de maniиre inconvenante, Augustin pense que Dieu est quelque chose digne d’кtre aimй diffйrent du prochain.

[66189] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 19 Praeterea, cum Christus sit mediator inter Deum et hominem, videtur quod debeat poni aliud diligibile quam Deus et quam proximus; et sic sunt quinque in caritate diligibilia, et non tantum quatuor, ut Augustinus dicit.

19. Comme le Christ est le mйdiateur entre Dieu et l’homme, il semble qu’on devrait placer une autre chose aimable que Dieu et le prochain et ainsi il y a cinq choses aimables en charitй et non seulement quatre comme le dit Augustin.

En sens contraire :

[66190] De virtutibus, q. 2 a. 7 s. c. Sed contra, est quod dicitur Levit., XIX, 18 : Diliges proximum tuum sicut teipsum. Glossa : Proximum non tantum propinquitate sanguinis, sed societate rationis. Ergo secundum quod aliquid habet societatem nobiscum in natura rationali, sic est diligibile ex caritate. Natura ergo rationalis est obiectum caritatis.

7. Il y a ce qui est dit en Lv 19, 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme. La glose dit : « Non seulement le prochain par proximitй de sang, mais par communautй de nature ». Donc selon que quelque chose a une communautй avec nous dans la nature raisonnable, il peut ainsi кtre aimй par charitй. Donc la nature raisonnable est objet de charitй.

Rйponse :

[66191] De virtutibus, q. 2 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod cum quaeritur de his quae subiiciuntur actui alicuius potentiae vel habitus, oportet considerare formalem rationem obiecti illius potentiae vel habitus. Secundum enim quod aliqua se habent ad illam rationem, sic se habent ad hoc quod subiiciantur illi potentiae vel habitui : sicut visibilia secundum quod se habent ad rationem visibilis, secundum eamdem rationem habent visibilia quod sint visibilia per se vel per accidens.

Quand on fait une recherche sur ce qui est soumis а l’acte d’une puissance ou d’un habitus, il est nйcessaire de considйrer la raison formelle de l’objet de cette puissance ou de cet habitus. Car selon comment se comportent certaines choses vis-а-vis de cette nature, elles se comportent pour les soumettre а cette puissance ou а cet habitus : de mкme que ce qui est visible selon qu’il se comporte vis-а-vis de la raison du visible, selon une mкme raison ce qui est visible a qu’il est visible par soi ou par accident.

Cum autem amoris universaliter sumpti obiectum sit bonum communiter sumptum, necesse est quod cuiuslibet specialis amoris sit aliquod speciale bonum obiectum : sicut amicitiae naturalis, quae est ad consanguineos, proprium obiectum est bonum naturale, secundum quod trahitur a parentibus; in amicitia autem politica obiectum est bonum civitatis. Unde et caritas habet quoddam speciale bonum ut proprium obiectum, scilicet bonum beatitudinis divinae, ut supra, art. 4 huius quaest., dictum est. Secundum igitur quod aliqua se habent ad hoc bonum, sic se habent ad hoc quod sint diligibilia ex caritate.

Mais comme l’objet de l’amour pris universellement est un bien pris communйment, il est nйcessaire que de n’importe quelle amour particulier, il y ait un bien particulier comme objet; de mкme que de l’amitiй naturelle, qui concerne les consanguins, l’objet propre est le bien naturel, selon qu’il vient des parents, mais dans l’amitiй politique, l’objet est le bien de la citй. C’est pourquoi la charitй aussi a un bien particulier comme objet propre, а savoir le bien de la bйatitude divine, comme il a йtй dit ci-dessus, article 4 de cette question. Donc selon que certains se comportent vis-а-vis de ce bien, ainsi il se comportent vis-а-vis de ce qui peut кtre aimй par charitй

Sed considerandum est, quod cum amare sit velle bonum alicui, dupliciter dicitur aliquid amari : aut sicut id cui volumus bonum, aut sicut bonum quod volumus alicui.

 

 

Primo ergo modo illa tantum possunt ex caritate amari quibus possumus velle bonum beatitudinis aeternae; haec autem sunt quae nata sunt huiusmodi bonum habere. Unde, cum sola intellectualis natura sit nata habere bonum beatitudinis aeternae; sola intellectualis natura est ex caritate diligibilis, secundum quod diligi dicuntur ea quibus volumus bonum.

Mais il faut considйrer que comme aimer c’est vouloir du bien а quelqu'un, on dit de deux maniиres qu’on aime quelque chose : ou bien comme ce а quoi nous voulons du bien, ou bien comme le bien que nous voulons а quelqu'un.

a. De la premiиre maniиre donc peuvent кtre aimйs par charitй seulement ceux а qui nous pouvons vouloir le bien de la bйatitude йternelle. ; ce sont ceux qui sont destinйs а avoir un bien de ce genre. C'est pourquoi comme seule la nature intellectuelle est destinйe а avoir le bien de la bйatitude йternelle, seule elle peut кtre aimйe par charitй, selon qu’on dit que sont aimйs ceux а quoi nous voulons du bien.

Et propter hoc, secundum quod diversimode aliqua possunt habere beatitudinem aeternam, secundum hoc distinguuntur ab Augustino [lib. 1 de Doct. Christ., c. XXIII quatuor diligenda ex caritate.

Est enim aliquid habens beatitudinem aeternam per suam essentiam, et hoc est Deus; et aliquid habens per participationem, et hoc est creatura rationalis; tam illa quae diligit, quam aliae creaturae, quae ei associari possunt in participatione beatitudinis. Aliquid autem est ad quod pertinet habere beatitudinem aeternam per solam redundantiam quamdam, sicut corpus nostrum, quod glorificatur per redundantiam gloriae ab anima in ipsum.

Et а cause de cela selon que diverses maniиres certaines peuvent avoir la bйatitude йternelle, sous ce rapport Augustin (La doctrine chrйtienne, I, 23) en distingue quatre qui doivent кtre aimйs par charitй.

Car il y a quelque chose qui a la bйatitude eternelle par son essence et qui est Dieu ; et quelque chose qui l’a par participation c’est la crйature raisonnable ; tant cell qui aime que les autres crйatures, qui peuvent lui кtre associйes dans la participation de la bйatitude. Mais il y a quelque chose а quoi il convient d’avoir la bйatitude йternelle par un seul excиs, de mкme que notre corps, qui est glorifiй par l’excиs de la gloire de l’вme en lui-mкme.

Unde diligendus est ex caritate Deus ut radix beatitudinis; quilibet autem homo debet seipsum ex caritate diligere, ut participet beatitudinem; proximum autem ut socium in participatione beatitudinis; corpus autem proprium secundum quod ad ipsum redundat beatitudo.

 

Secundo vero modo, prout scilicet dicuntur diligi illa bona quae volumus aliis, diligi possunt ex caritate omnia bona, in quantum sunt quaedam bona eorum qui possunt habere beatitudinem.

C'est pourquoi il faut aimer Dieu par charitй comme la racine de la bйatitude ; mais n’importe quel homme doit aimer lui-mкme par charitй, pour participer а la bйatitude, mais le prochain comme associй а la participation de la bйatitude, mais le propre corps selon que la bйatitude dйborde en lui.

b. Deuxiиme maniиre, dans la mesure oщ on dit que ces biens que nous voulons pour les autres sont aimйs, tous ces biens peuvent кtre aimйs par charitй dans la mesure oщ ils sont les biens de ceux qui peuvent possйder la bйatitude.

Omnes enim creaturae sunt homini via ad tendendum in beatitudinem; et iterum omnes creaturae ordinantur ad gloriam Dei, in quantum in eis divina bonitas manifestatur. Nunc igitur omnia ex caritate diligere possumus, ordinando tamen ea in illa quae beatitudinem habent, vel habere possunt.

 

Considerandum etiam est, quod sic se habent dilectiones ad invicem, sicut et bona quae sunt earum obiecta. Unde, cum omnia bona humana ordinentur in beatitudinem aeternam sicut in ultimum finem, dilectio caritatis sub se comprehendit omnes dilectiones humanas, nisi tantum illas quae fundantur super peccatum, quod non est ordinabile in beatitudinem. Unde quod aliqui consanguinei diligant se invicem, vel aliqui concives, vel simul peregrinantes, vel quicumque tales, potest esse meritorium et ex caritate; sed quod aliqui ament se invicem propter communicationem in rapina vel adulterio, hoc non potest esse meritorium neque ex caritate.

Car toutes les crйatures sont chemin pour l’homme pour tendre а la bйatitude et en plus toutes les crйatures sont ordonnйes а la gloire de Dieu dans la mesure oщ la bontй divine se manifeste en eux. Donc maintenant nous pouvons tout aimer par charitй, en ordonnant cependant en elle ce qui a la bйatitude ou qui peut l’avoir.

Mais il faut considйrer qu’ainsi se comportent les amours entre eux, comme les biens qui sont leurs objets. C'est pourquoi comme tous les biens humains sont ordonnйs а la bйatitude йternelle, comme а leur fin ultime, l’amour de charitй comprend sous lui tous les amours humains, sauf seulement ceux qui sont fondйs sur le pйchй, qui ne peut pas кtre ordonnй а la bйatitude. C'est pourquoi le fait que certains parents s’aiment entre eux, ou certains concitoyens, ou ceux qui marchent ensemble, ou quiconque de tel, peut кtre mйritoire et par charitй, mais que certains s’aiment entre eux pour s’associerer dans le vol ou l’adultиre, cela ne peut pas кtre mйritoire mкme par charitй non plus.

Solutions :

[66192] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutem et beatitudinem diligimus ex caritate, in quantum hoc volumus his quibus competit habere beatitudinem.

1. Nous aimons la vertu et la bйatitude par charitй, en tant que nous le voulons pour ceux а qui il convient de la possйder.

[66193] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus diligit omnia ex caritate, non ita quod velit eis beatitudinem, sed ordinans ea ad seipsum, et ad alia quae beatitudinem habere possunt.

2. Dieu aime tout par charitй, non de sorte qu’il veuille pour toutes choses la bйatitude, mais en les ordonnant а lui-mкme et а d’autres qui peuvent possйder la bйatitude.

[66194] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnia bona sunt in Deo sicut in primo principio; et sic Origenes intellexit, quod unum est diligere Deum et quaecumque bona.

3. Tous les biens sont en Dieu comme dans le premier principe, et Origиne a pensй ainsi que c’est une seule (et mкme) chose d’aimer Dieu et n’importe quels biens.

[66195] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia diligere possumus meritorie, ordinando ea in illa quae sunt capacia beatitudinis, non autem volendo eis beatitudinem.

4. Nous pouvons aimer toutes choses de maniиre mйritoire, en les ordonnant en ce qui est capable de bйatitude, mais pas en voulant la bйatitude pour eux.

[66196] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in bono universi sicut principium continetur rationalis natura, quae est capax beatitudinis, ad quam omnes aliae creaturae ordinantur; et secundum hoc competit et Deo et nobis bonum universi maxime ex caritate diligere.

5. Dans le bien universel la nature raisonnable est contenue comme principe, elle qui est capable de bйatitude, а laquelle toutes les autres crйatures sont ordonnйes, et selon cela il convient а Dieu et а nous d’aimer surtout par charitй le bien de l’univers.

[66197] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut caritas credit omnia credibilia, ita diligit omnia secundum quod sunt ex caritate diligibilia.

6. De mкme que la charitй croit tous de qui est crйdible, de mкme elle aime toutes choses selon qu’elles sont dignes d’кtre aimйes par charitй.

[66198] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deum non possumus hic illa perfectione diligere qua diligemus eum in patria, per essentiam videntes.

7. Nous ne pouvons aimer Dieu avec cette perfection par laquelle nous l’aimerons dans la patrie, en le voyant par son essence.

[66199] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod distantia creaturarum aliquarum non est causa cur non diligantur ex caritate, sed quia non sunt capaces beatitudinis.

8. L’йloignement de certaines crйatures n’est pas la cause pour laquelle elles ne sont pas aimйes par charitй, mais parce qu’elles ne sont pas capables de bйatitude.

[66200] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Angeli non communicant nobiscum in vita naturae quantum ad speciem, sed solum quantum ad genus rationalis naturae; sed possumus cum eis communicare in vita gloriae. Quod autem dicitur : Dedit unicuique secundum propriam virtutem, non est referendum tantum ad virtutem naturae : erroneum est enim dicere, quod dona gratiae et gloriae dentur secundum mensuram naturalium; sed intelligenda est virtus quae est etiam per gratiam, per quam datur hominibus ut possint mereri aequalem gloriam Angelis.

9. Les anges n’ont pas de rapport avec nous dans la vie de la nature, pour ce qui concerne l’espиce, mais seulement pour ce qui concerne le genre de nature douйe de raison ; mais nous pouvons avoir des rapports avec eux dans la vie de gloire. Ce qui est dit (Mt 25, 15) : « Il a donnй а chacun selon sa propre capacitй », ne doit pas кtre rapportй seulement au pouvoir de la nature, car il est faux de dire que les dons de la grвce et de la gloire sont donnйs selon la mesure de ce qui est naturel, mais il faut penser la vertu qui est aussi par grвce, par laquelle il est donnй aux hommes de pouvoir mйriter une gloire йgale а celle des anges.

[66201] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod lex scripta data est in auxilium legis naturae quae erat obtenebrata per peccatum. Non autem erat sic obtenebrata quin moveret ad diligendum, ad hoc quod homo diligeret seipsum et corpus suum; sed erat obtenebrata quantum ad hoc quod non movebat in dilectionem Dei et proximi. Et ideo in lege scripta danda fuerunt praecepta de dilectione Dei et proximi, in quibus tamen comprehenditur etiam quod aliquis diligat seipsum : quia cum inducimur ad diligendum Deum, inducimur ad desiderandum Deum, per quod maxime nos ipsos amamus, volentes nobis summum bonum. In praecepto autem de dilectione proximi dicitur : Diliges proximum tuum sicut teipsum; in quo includitur dilectio sui ipsius.

10. La loi йcrite a йtй donnйe en aide а la loi de nature qui йtait obscurcie par le pйchй. Mais elle n’йtait pas obscurcie au point de pousser а aimer, а ce que l’homme s’aime lui-mкme et aime son corps ; mais elle est obscurcie quant au fait qu’elle ne poussait pas а l’amour de Dieu et du prochain. Et c'est pourquoi dans la loi йcrite il a fallu donner des prйceptes d’amour de Dieu et du prochain, en qui cependant il est inclus aussi que chacun s’aime lui-mкme ; parce que, comme nous sommes amenйs а aimer Dieu, nous sommes amenйs а le dйsirer, du fait que nous nous aimons le plus nous-mкmes, en voulant pour nous le bien suprкme. Mais dans le prйcepte sur l’amour du prochain il est dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme » ; en quoi est inclus l’amour de soi.

[66202] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet amicitia non possit haberi ad seipsum, proprie loquendo; tamen amor ad seipsum habetur : ut enim dicitur in IX Ethic., amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum. Secundum vero quod caritas significat amorem, sic aliquis seipsum ex caritate diligere potest. Sed Gregorius loquitur de caritate secundum quod includit rationem amicitiae.

11. Bien que l’amitiй ne puisse pas кtre possйdйe pour elle-mкme, а proprement parler, cependant l’amour est possйdй pour lui-mкme ; en effet, comme il est dit en Йthique, IX, 4, 1166 a ) ; ce qui est amical pour un autre, vient de ce qui est amical pour soi. Mais selon que la charitй signifie l’amour, quelqu’un peut s’aimer lui-mкme par charitй. Mais Grйgoire parle de charitй selon qu’elle inclut la nature de l’amitiй.

[66203] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet amicitia sit in communicatione ad alterum, sicut et iustitia, tamen amor non de necessitate est ad alterum, qui sufficit ad rationem caritatis.

12. Bien que l’amitiй soit en rapport avec un autre, comme la justice aussi, cependant l’amour n’est pas nйcessairement pour un autre, pour suffire а la nature de la charitй.

[66204] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod amantes seipsos vituperantur, in quantum plus debito seipsos diligunt : quod quidem non contingit quantum ad bona spiritualia, quia nullus potest nimis amare virtutes; sed quantum ad bona exteriora et corporalia potest aliquis nimis amare seipsum.

13. Ceux qui s’aiment eux-mкmes sont blвmйs en tant qu'ils s'aiment plus que ce qui est dы ; ce qui n’arrive pas pour les biens spirituels, parce que personne ne peut trop aimer les vertus, mais pour ce qui concerne les biens extйrieurs et les biens corporels quelqu’un peut s’aimer trop lui-mкme.

[66205] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quicumque amat seipsum secundum exteriorem naturam, culpatur, sed qui exteriora bona quaerit ultra modum virtutis; et sic ex caritate corpus nostrum diligere possumus.

14. Ce n’est pas n’importe qui qui s’aime lui-mкme selon sa nature extйrieure qui est blвmй, mais celui qui cherche les biens extйrieurs, au-delа de la mesure de sa capacitй, et ainsi nous pouvons aimer notre corps par charitй.

[66206] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non refugit corpus, sed corporis corruptionem, in quantum corpus, quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapientiae IX, 15; et propter hoc apostolus significanter dixit, De corpore mortis huius.

15. La charitй ne s’йcarte pas du corps mais de sa corruption, en tant que le corps qui est corrompu, alourdit l’вme », comme il est dit en Sg. 9, 15 ; et а cause de cela l’apфtre dit de maniиre significative, « Ce corps de mort ».

[66207] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ex hoc quod homo nescit pro certo se habere caritatem, non sequitur quod non possit ex caritate diligere, sed quod non possit iudicare an ex caritate diligat. Unde a nobis requiri potest quod ex caritate diligamus, non autem quod iudicemus nos ex caritate diligere. Unde apostolus dicit, I ad Cor. cap. IV, 3 : Neque meipsum iudico; sed qui iudicat me, dominus est.

16. Du fait que l’homme ignore en certitude qu’il possиde la charitй, il n’en dйcoule pas qu’il ne puisse pas aimer par charitй, mais qu’il ne peut pas juger s’il aime par charitй. C'est pourquoi il peut кtre requis de nous d’aimer par charitй, mais non de juger que nous aimons par charitй. C'est pourquoi l’apфtre dit (1 Co 4, 3) : « Et je ne me juge pas moi-mкme, mais celui qui me juge, c’est le Seigneur ».

[66208] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod cum dicitur aliquis diligere proximum ex caritate, haec praepositio ex potest designare habitudinem causae finalis, efficientis et formalis. Finalis quidem, in quantum dilectio proximi ordinatur ad dilectionem Dei sicut ad finem; unde dicitur I ad Timoth. I, 5 : Finis praecepti est caritas, quia scilicet dilectio Dei est finis observationis praeceptorum. In habitudine autem causae efficientis, in quantum caritas est habitus inclinans ad diligendum, sic se habens ad actum dilectionis, sicut calor ad calefactionem. In habitudine autem causae formalis, in quantum actus recipit speciem ab habitu, sicut et calefactio a calore.

17. Quand on dit que quelqu'un aime son prochain par charitй, cette prйposition par (ex) peut dйsigner une relation de la cause finale, efficiente et formelle. La cause finale, en tant que l’amour du prochain est ordonnй а l’amour de Dieu comme а une fin ; c'est pourquoi il est dit (1 Tm 1, 5) : « La fin du prйcepte est la charitй », parce que l’amour de Dieu est le but de l’observation des prйceptes. Mais dans une relation de la cause efficiente, en tant que la charitй est un habitus qui incline а aimer, il se comporte ainsi pour un acte d’amour, comme la chaleur pour le rйchauffement. Dans la relation de la cause formelle, en tant que l’acte reзoit la forme de l’habitus, comme le rйchauffement de la chaleur.

[66209] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio proximi salvatur et in eo qui dat beneficia, et in eo qui recipit, non tamen quod quicumque dat beneficia, sit proximus; sed requiritur quod inter proximos sint communicantia in aliquo ordine; unde Deus licet det beneficia, non tamen potest dici nobis proximus; sed Christus, in quantum est homo, dicitur nobis proximus, prout nobis dat beneficia.

18. La nature de prochain est conservйe en celui qui donne les bienfaits et en celui qui les reзoit, non cependant que chacun de ceux qui donne des bienfaits soit le prochain ; mais il est requis que parmi les proches il y ait ce qui communique en un certain ordre ; c'est pourquoi, bien que Dieu donne des bienfaits, on ne peut pas dire qu’il est notre prochain, mais on dit que le Christ, en tant qu’homme, est notre prochain, dans la mesure oщ il nous donne des bienfaits.

[66210] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 19 Unde patet responsio ad ultimum.

19. C'est pourquoi on voit la rйponse а la derniиre objection.

 

 

Articulus 8 : [66211] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii

Article 8Aimer ses ennemis concerne-t-il la perfection du conseil ?

[66212] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 2 Et videtur quod non.

Et il semble que non.

Objections :[52]

 [66213] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 1 Quod enim cadit sub praecepto, non est de perfectione consilii. Sed diligere inimicum cadit sub praecepto illo, videlicet : Diliges proximum tuum sicut teipsum : nam nomine proximi intelligitur omnis homo, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana, cap. XXX. Ergo diligere inimicum non est de perfectione consilii.

1. En effet ce qui tombe sous le prйcepte ne concerne pas la perfection du conseil. Mais aimer son ennemi tombe sous ce prйcepte « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme ». Car sous le nom de prochain, on comprend tout homme, comme dit Augustin dans La Doctrine chrйtienne, 30. Donc aimer son ennemi n'est pas de la perfection du conseil.

[66214] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 2 Sed dicendum, quod est de perfectione consilii dilectio inimicorum quantum ad exhibitionem familiaritatis, et aliorum effectuum caritatis.- Sed contra, omnem proximum tenemur ex caritate diligere. Sed dilectio caritatis non est tantum in corde, sed etiam in opere : dicitur enim I Ioan. III, 18 : Non diligamus verbo, neque lingua, sed opere et veritate. Ergo etiam quantum ad effectus caritatis dilectio inimicorum cadit sub praecepto.

2. Mais il faut dire que l'amour des ennemis concerne la perfection du conseil pour reprйsenter l’amitiй et les autres effets de la charitй. Mais en sens contraire nous sommes tenus d'aimer tout le prochain par charitй. Mais l'amour de charitй n'est pas seulement dans le cњur mais aussi en acte, car il est dit en 1 Jn 3, 18 : « N'aimons pas en parole ni en langue, mais en acte et en vйritй». Donc c'est aussi quant aux effets de la charitй que l'amour des ennemis tombe sous le prйcepte.

[66215] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 3 Praeterea, Matth. V, 44, similiter dicitur : Diligite inimicos vestros, et benefacite his qui oderunt vos. Si igitur diligere inimicos cadit sub praecepto, et benefacere eis cadit sub praecepto; quod pertinet ad effectus caritatis.

3. En outre, en Mt 5, 44, il est dit pareillement : "Aimez vos ennemis, et faites du bien а ceux qui vous haпssent". Si donc aimer les ennemis tombe sous le prйcepte, leur faire du bien aussi tombe sous le prйcepte ; ce qui va avec les effets de la charitй.

[66216] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 4 Praeterea, ea quae pertinent ad perfectionem consiliorum, non fuerunt in veteri lege tradita : quia, ut dicitur Hebr. VII, 19, Nihil perfectum adduxit lex. Sed in veteri lege fuit traditum quod ad inimicos non solum affectus dilectionis haberetur, sed etiam effectus dilectionis eis impenderetur; dicitur enim Exod. XXIII, 4 : Si occurreris bovi inimici tui aut asino erranti, reduc ad eum;- Levit. XIX, 17 : Ne oderis fratrem tuum in corde tuo; sed publice argue eum, ne habeas super illo peccatum;- et Iob XXXI, vv. 29-30 : Si gavisus sum ad ruinam eius qui me oderat, et exultavi, quod invenisset eum malum : non enim dedi ad peccandum guttur meum;- et Prov. XXV, 21 : Si esurierit inimicus tuus, ciba illum; si sitiverit, da ei aquam bibere. Ergo diligere inimicum etiam quantum ad exibitionem effectuum caritatis, non est de perfectione consilii.

4. En outre, ce qui convient а la perfection des conseils ne fut pas transmis dans l'Ancienne Loi, car, comme il est dit Hb 7, 19, « La loi n'a rien amenй а la perfection ». Mais dans l'Ancienne Loi, il est rapportй qu’il y avait un sentiment d’amour pour les ennemis, mais aussi qu’il йtait mis en pratique, car il est dit en Ex 23, 4 : « Si tu rencontres le bњuf de ton ennemi ou son вne errant, ramиne-le lui » ; en Lv 19, 17 : « Ne hais pas ton frиre dans ton cњur, mais publiquement convainc-le d'erreur, afin de ne pas avoir de pйchй а son sujet » ; en Jb 41, 29-30 : « Me suis-je rйjoui de la ruine de celui qui me haпssait, ai-je exultй parce que le malheur l'avait atteint : je n'ai pas permis en effet а mon gosier de pйcher » ; et en Pv 25, 21 : « Si ton ennemi a faim, nourris-le. S'il a soif, donne-lui de l'eau а boire ». Donc aimer l'ennemi aussi en montrant les effets de la charitй, ce n'est pas de la perfection du conseil.

[66217] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 5 Praeterea, consilium non contrariatur legis praecepto; unde dominus, perfectionem novae legis traditurus, praemisit Matth. V, v. 17 : Non veni solvere legem, sed adimplere. Diligere autem inimicos videtur contrariari praecepto legis : quia dicitur Matth. cap. V, 43 : Diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. Ergo dilectio inimicorum non cadit sub perfectione consilii.

5. En outre, le conseil ne contredit pas le prйcepte de la Loi ; c'est pourquoi le Seigneur, s'apprкtant а transmettre la perfection de la Loi nouvelle, commenзa par annoncer (Mt 5, 17) : "Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir". Or aimer les ennemis paraоt s’opposer au prйcepte de la Loi, car il est dit en Mt 5, 43 : "Tu aimeras ton ami et tu haпras ton ennemi[53] ». Donc l'amour des ennemis ne tombe pas sous la perfection du conseil.

[66218] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 6 Praeterea, dilectio habet proprium obiectum in quod inclinat, quia, sicut dicit Augustinus, De Doctrina christ., [cap. XXX] : Pondus meum est amor meus. Sed proprium obiectum dilectionis non videtur esse inimicus, sed magis dilectioni repugnans. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat inimicum.

6. En outre, l'amour a un objet propre vers lequel il incline, car comme le dit Augustin, (La Doctrine chrйtienne, I, 30[54]) : "Ma lourde charge c'est l’amour". Mais l'ennemi ne semble pas кtre l’objet propre de l'amour, mais plutфt il s’y oppose. Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un ennemi.

[66219] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 7 Praeterea, perfectio virtutis non contrariatur inclinationi naturae; sed magis per virtutem inclinatio naturae perficitur. Natura autem movet ad hoc quod inimicus odio habeatur : quaelibet enim res naturalis repudiat suum contrarium. Ergo non est de perfectione caritatis quod inimicus diligatur.

7. En outre, la perfection de la vertu n’est pas opposйe а l'inclination naturelle, mais plutфt l'inclination naturelle est accomplie grвce а la vertu. Or la nature incite а haпr son ennemi, car tout ce qui est naturel repousse son contraire. Donc ce n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un ennemi.

 [66220] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 8 Praeterea, perfectio caritatis et cuiuslibet virtutis consistit in assimilatione ad Deum. Sed Deus amicos diligit, et inimicos odit, secundum illud Malach. I, 2 : Iacob dilexi, Esau odio habui. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat inimicos, sed magis quod eos odio habeat.

8. En outre, la perfection de la charitй - et de n'importe quelle vertu - consiste а devenir semblable а Dieu. Mais Dieu aime ses amis et hait ses ennemis, selon cette [parole] de Malachie 1, 2 : « J'ai aimй Jacob, j'ai haп Esaь ». Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer ses ennemis, mais plutфt de les haпr.

[66221] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 9 Praeterea, dilectio caritatis directe respicit bonum vitae aeternae. Sed aliquibus inimicis nostris non debemus velle bonum vitae aeternae; quia vel sunt damnati in inferno, vel adhuc viventes sunt reprobati a Deo. Ergo diligere inimicos non pertinet ad perfectionem caritatis.

9. En outre, l'amour de charitй regarde directement le bien de la vie йternelle. Mais nous ne devons pas le vouloir pour nos ennemis, car soit ils ont йtй damnйs en enfer, soit encore vivants ils sont rйprouvйs par Dieu. Donc aimer ses ennemis ne convient pas а la perfection de la charitй.

[66222] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 10 Praeterea, eum quem tenemur ex caritate diligere, non possumus licite occidere, nec velle eius mortem, aut quodcumque malum : quia de ratione amicitiae est quod amicos velimus esse et vivere. Sed nos licite possumus aliquos occidere; quia, secundum apostolum, Rom. XIII, 4 : Potestas saecularis Dei minister est, vindex in iram ei qui male agit. Non ergo tenemur inimicos diligere.

10. En outre, celui que nous sommes tenus d'aimer par charitй, nous ne pouvons lйgalement le tuer, ni vouloir sa mort ou un mal quelconque, car il est de la nature de l'amitiй de vouloir que nos amis existent et vivent. Mais nous pouvons lйgalement en tuer certains, car selon l'apфtre, Rm 13, 4, "L’autoritй du siиcle[55] est l’instrument de Dieu, celui qui punit dans la colиre celui qui agit mal". Donc nous ne sommes pas tenus d'aimer nos ennemis.

[66223] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 11 Praeterea, philosophus in Lib. Topicorum [ lib. II, cap. III] docet sic argumentari in contrariis. Si diligere amicos est bonum et eis benefacere; diligere inimicos et eis benefacere malum est. Sed nullum malum perfectionem habet caritatis, nec cadit sub consilio. Ergo diligere inimicum non pertinet ad perfectionem consilii.

11. En outre, le Philosophe (Les Topiques II, 3, cf. 110 a 33) enseigne а argumenter ainsi dans les contradictions : Si aimer ses amis et leur rendre service est un bien, aimer ses ennemis et leur rendre service est un mal. Mais aucun mal n'a la perfection de la charitй ni ne tombe sous le conseil. Donc aimer un ennemi ne convient pas а la perfection du conseil.

[66224] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 12 Praeterea, amicus et inimicus sunt contraria. Ergo et diligere amicum et diligere inimicum sunt contraria. Contraria autem non possunt esse simul. Cum igitur teneamur ex caritate diligere amicos, non potest cadere sub consilio quod inimicos diligamus.

12. En outre, l'ami et l'ennemi sont des contraires. Donc aimer un ami et aimer un ennemi sont des contraires. Or les contraires ne peuvent exister en mкme temps. Donc puisque nous sommes tenus d'aimer nos amis par charitй, il ne peut tomber sous le conseil que nous aimions nos ennemis.

[66225] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 13 Praeterea, consilium non potest esse sub impossibili. Sed diligere inimicum videtur impossibile, cum sit contra inclinationem naturae. Ergo diligere inimicum non cadit sub consilio.

13. En outre, le conseil ne peut concerner l'impossible. Or aimer un ennemi paraоt impossible, puisque c'est contre l'inclination naturelle. Donc aimer l'ennemi ne tombe pas sous le conseil.

[66226] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 14 Praeterea, implere consilia perfectorum est. Perfecti autem maxime fuerunt apostoli, qui tamen non dilexerunt inimicos quantum ad affectum et effectum : legitur enim de beato Thoma apostolo, quod imprecatus fuit illi qui manu alapam ei dederat, ut manus eius in convivio a canibus deportaretur. Ergo diligere inimicos quantum ad affectum et effectum non cadit sub perfectione consilii.

14. En outre, accomplir les conseils appartient aux parfaits. Or les parfaits furent surtout les apфtres, qui pourtant n'ont pas aimй leurs ennemis affectivement ni effectivement. En effet on lit du bienheureux Thomas apфtre, qu'il souhaita а celui qui lui avait donnй une gifle de sa main, que dans un banquet scelle-ci soit emportйe par les chiens. Donc aimer ses ennemis affectivement et effectivement ne tombe pas sous la perfection du conseil.

[66227] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 15 Praeterea, imprecari mala, praecipue damnationis aeternae opponitur dilectioni et quantum ad affectum, et quantum ad effectum. Sed prophetae imprecati sunt mala suis adversariis : dicitur enim in Psalm. LXVIII, 29 : Deleantur de libro vitae, cum iustis non scribantur; et iterum Psalm. LIV, 16 : Veniat mors super illos, et descendant in infernum viventes. Ergo diligere inimicos non est de perfectione caritatis.

15. En outre, souhaiter du mal, principalement celui de la damnation йternelle, s'oppose а l'amour affectivement et effectivement. Mais les prophиtes ont souhaitй des maux а leurs adversaires ; en effet il est dit dans le Ps 68, 29 : "Qu'ils soient effacйs du livre de vie, qu'ils ne soient pas inscrits avec les justes", et encore dans le Ps 54, 16 : "Que la mort vienne sur eux, et qu'ils descendent vivants en enfer". Donc aimer les ennemis n'est pas de la perfection de la charitй.

[66228] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 16 Praeterea, de ratione amicitiae verae est ut aliquis propter seipsum diligatur : caritas autem includit amicitiam sicut perfectum minus perfectum. Diligere autem inimicum propter seipsum, contrariatur caritati; quia solus Deus propter seipsum diligitur. Non ergo cadit sub consilii perfectione ut inimicus diligatur.

16. En outre, il est dans la nature de la vraie amitiй d’кtre aimй pour soi-mкme. Mais la charitй inclut l'amitiй, comme le parfait inclut le moins parfait. Or aimer un ennemi pour lui-mкme est contraire а la charitй, car seul Dieu est aimй pour lui-mкme. Donc il ne tombe pas sous la perfection du conseil d’aimer un ennemi.

 

[66229] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 17 Praeterea, id quod cadit sub perfectione consilii, melius est et magis meritorium quam id quod sub necessitate praecepti. Sed diligere inimicum non est melius neque melioris meriti quam diligere amicum, quod manifeste cadit sub necessitate praecepti : quia si bonum est diligere aliquod bonum, melius est et magis meritorium diligere quod melius est. Melior autem est amicus inimico. Non ergo diligere inimicum est de perfectione consilii.

17. En outre, ce qui tombe sous la perfection du conseil est meilleur et plus mйritoire que ce qui [tombe] sous la nйcessitй du prйcepte. Mais aimer un ennemi n'est pas meilleur ni de de plus gran mйrite que d'aimer un ami, ce qui manifestement tombe sous la nйcessitй du prйcepte ; parce que, s'il est bon d'aimer un bien, il est meilleur et plus mйritoire d'aimer ce qui est meilleur. Or l'ami est meilleur que l'ennemi. Donc aimer l'ennemi n'est pas de la perfection du conseil.

[66230] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 18 Sed dicebatur, quod diligere inimicum maioris meriti est, quia est difficilius.- Sed contra, diligere inimicum est difficilius quam diligere Deum. Ergo eadem ratione, maioris meriti esset diligere inimicum quam Deum.

18. Mais on pourrait dire qu'aimer un ennemi est plus mйritoire, parce que c'est plus difficile. Mais en sens contraire : aimer un ennemi est plus difficile qu'aimer Dieu. Donc pour cette mкme raison il serait plus mйritoire d'aimer un ennemi que [d'aimer] Dieu.

[66231] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 19 Praeterea, signum generati habitus est delectatio operis, ut dicit philosophum in II Ethic. [cap. III]. Sed diligere amicum est delectabilius quam diligere inimicum. Ergo etiam magis virtuosum, et, per consequens, magis meritorium; et sic diligere inimicum non cadit sub perfectione consilii.

19. En outre, le signe de l'habitus engendrй est la dйlectation de l'њuvre, comme dit le Philosophe en Ethique II, 3. Mais aimer un ami est plus agrйable qu'aimer un ennemi. C’est donc aussi plus vertueux, et par consйquent plus mйritoire ; et ainsi aimer l'ennemi ne tombe pas sous la perfection du conseil.

En sens contraire :

[66232] De virtutibus, q. 2 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit in Enchir. [LXXXIII] : Perfectorum filiorum Dei est diligere inimicos : in quo quidem se quilibet debet fidelem ostendere.

Il y a ce qu'Augustin dit dans l’Enchiridion, 83 : « Il appartient aux fils parfaits de Dieu d'aimer leurs ennemis, en quoi n'importe qui doit se montrer fidиle ».

 

Rйponse :

[66233] De virtutibus, q. 2 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod diligere inimicos aliquo modo cadit sub necessitate praecepti, et aliquo modo sub consilii perfectione. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut supra, art. 4 huius quaest., dictum est, proprium et per se obiectum caritatis est Deus; et quidquid ex caritate diligitur, ea ratione diligitur qua ad Deum pertinet, sicut si diligimus aliquem hominem, diligimus per consequens omnes ei attinentes, etiam si sint nobis inimici. Constat autem quod omnes homines ad Deum pertinent, in quantum sunt ab ipso creati, et capaces beatitudinis, quae in fruitione ipsius consistit. Manifestum est ergo, quod ista ratio dilectionis quam respicit caritas in omnibus hominibus invenitur

Sic ergo, in eo qui contra nos inimicitiam exercet, est duo invenire : unum quod est ratio dilectionis, scilicet quod ad Deum pertinet; et aliud quod est ratio odii, scilicet quod nobis adversatur. In quocumque autem invenitur ratio dilectionis et ratio odii si praetermissa dilectione in odium convertamur, manifestum est quod id quod est ratio odii praeponderat in corde nostro ei quod est ratio dilectionis. ritas, in omnibus hominibus invenitur.

Il faut dire qu'aimer ses ennemis tombe en quelque faзon sous la nйcessitй du prйcepte, et en quelque faзon sous la perfection du conseil. Pour en montrer l'йvidence, il faut savoir que comme il est dit ci-dessus (article 4 de cette question) l'objet propre et par soi de la charitй, c'est Dieu ; et tout ce qui est aimй par charitй est aimй pour cette raison que cela concerne Dieu, de mкme que si nous aimons un homme, nous aimons par consйquent tous ceux qui lui sont proches, mкme si pour nous ce sont des ennemis. Or il est certain que tous les hommes concernent Dieu, en tant que crййs par Lui et en tant qu’aptes а la bйatitude, qui consiste dans sa fruition. Donc il est йvident que ce motif d'aimer, que la charitй considиre, se trouve dans tous les hommes.

 

Ainsi donc, en celui qui marque de l'inimitiй contre nous, il y a deux raisons а trouver : une qui est une raison d'aimer, selon qu’il dйpend de Dieu, et l’autre qui est une raison de haine, c'est-а-dire ce qu’il s'oppose а nous. En quiconque se trouvent une raison d'amour et une raison de haine ; si, nйgligeant l'amour, nous nous tournons vers la haine, il est йvident que ce qui est la raison de la haine l'emporte dans notre cњur sur ce qui est la raison de l’amour.

Sic ergo, si aliquis inimicum suum odio habeat, inimicitia illius praeponderat in corde suo amori divino. Magis ergo odit amicitiam illius quam diligat Deum. Tantum autem odimus aliquid, quantum diligimus bonum quod nobis per inimicum subtrahitur. Relinquitur ergo quod quicumque inimicum odit, aliquod bonum creatum diligit plus quam Deum; quod est contra praeceptum caritatis.

Ainsi donc, si quelqu'un hait son ennemi, son inimitiй l'emporte dans son cњur sur l'amour divin. Donc il hait plus son amitiй qu'il n'aime Dieu. Nous haпssons quelque chose en tant que nous aimons le bien qui nous est soustrait par un ennemi. Donc il reste que quiconque hait son ennemi aime un bien crйй plus que Dieu, ce qui est contre le prйcepte de charitй.

Habere igitur odio inimicum est contrarium caritati; unde necesse est quod si ex praecepto caritatis tenemur quod dilectio Dei praeponderet in nobis dilectioni cuiuslibet alterius rei, et per consequens odio contrarii. Sequitur ergo quod ex necessitate praecepti teneamur diligere inimicos.

Donc haпr un ennemi est contraire а la charitй ; c'est pourquoi il est nйcessaire que si nous sommes tenus, par le prйcepte de charitй, а ce que l'amour de Dieu l'emporte en nous sur l'amour de n'importe quelle autre chose, par consйquent aussi sur la haine de ce qui nous est contraire. Donc il s'ensuit que nous sommes tenus, а cause de la nйcessitй du prйcepte, d'aimer nos ennemis.

Sed tunc considerandum, quod cum ex praecepto caritatis teneamur proximos diligere, non se extendit ad hoc praeceptum quod quemlibet proximum actu diligamus in speciali, aut unicuique specialiter bene faciamus : quia nullus sufficeret ad cogitandum de omnibus hominibus, ut specialiter unumquemque actu diligeret; nec etiam aliquis sufficeret ad benefaciendum vel serviendum singulariter unicuique.

Mais alors il faut considйrer que puisque nous sommes tenus par le prйcepte de charitй d'aimer le prochain, le prйcepte ne s'йtend pas jusqu’а aimer n'importe quel homme proche en acte et en particulier, ou faire du bien а chacun en particulier, car personne ne suffirait pour penser а tous les hommes, de faзon а aimer chacun en particulier et en acte, et personne non plus ne suffirait pour faire du bien ou rendre service а chacun en particulier.

Tenemur tamen etiam in speciali aliquos diligere, et eis prodesse, qui nobis aliqua alia amicitiae ratione coniuncti sunt : nam omnes aliae licitae dilectiones sub caritate comprehenduntur, ut supra dictum est; unde dicit Augustinus [lib. I de Doctr. christ., cap. XXVIII] : Cum omnibus prodesse non possis; his potissimum consulendum est, qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur; pro sorte enim habendum est prout quisque tibi temporaliter colligatius adhaeret, ex quo eligis potius illi dandum esse.

Cependant nous sommes tenus aussi d'aimer certains en particulier, et d'кtre utiles а ceux qui nous sont unis par quelque autre raison d'amitiй ; car toutes les autres amours licites sont comprises dans la charitй, comme il a йtй dit plus haut, ainsi Augustin (La Doctrine chrйtienne, I, 28), dit : " Comme tu ne peux кtre utile а tous, il te faut dйcider [de l'кtre] plutфt а ceux qui, en raison du lieu, du temps ou de n'importe quelles circonstances, te sont unis par un certain hasard; en effet il faut considйrer que c'est par hasard dans la mesure oщ chacun s’attache а toi plus йtroitement selon le temps, а partir de quoi tu choisis que c'est plutфt а lui qu'il faut donner".

Ex quo patet quod non tenemur ex caritatis praecepto ut dilectionis affectu vel operis effectu moveamur in speciali ad eum qui nulla alia constrictione nobis coniungitur, nisi forte pro loco et tempore; utpote si videremus eum in aliqua necessitate per quam sine nobis ei succurri non posset. Tenemur tamen affectu et effectu caritatis, quo omnes proximos diligimus, et pro omnibus oramus, non excludere etiam illos qui nulla nobis speciali constrictione coniunguntur, ut puta illos qui sunt in India vel in Aethiopia.

D'oщ il est clair que nous ne sommes pas tenus, par le prйcepte de charitй, d'кtre poussйs par l'affection d'amour ou l'effet de l'њuvre, en particulier, vers celui qui ne nous est uni par aucun autre lien sinon par le hasard du lieu et du temps, au cas oщ nous le voyons dans quelque nйcessitй dans laquelle sans nous il ne pourrait pas lui кtre portй secours. Cependant nous sommes tenus, par la charitй affective et effective dont nous aimons tous nos proches et nous prions pour tous, de ne pas mкme exclure ceux qui ne nous sont unis par aucun lien spйcial, par exemple ceux qui sont en Inde ou en Ethiopie.

Cum etiam ad inimicum nulla alia unio nobis remaneat nisi sola unio caritatis; ex necessitate praecepti teneremur diligere eos in communi, et affectu et effectu, et in speciali, quando necessitatis articulus immineret; sed quod homo specialem affectum et effectum dilectionis, quem ad alios sibi coniunctos impendit, inimicis exhibeat propter Deum, hoc perfectae caritatis est, et sub consilio cadit. Ex perfectione enim caritatis procedit quod sola caritas sic moveat ad inimicum, sicut ad amicum movet et caritas et specialis dilectio.

Puisqu’aussi avec un ennemi aucun autre lien ne nous reste sinon le seul lien de la charitй, nous serions tenus, par la nйcessitй du prйcepte, de les aimer en gйnйral, affectivement et effectivement, et en particulier, quand un besoin impйrieux les menacerait ; mais montrer а des ennemis, а cause de Dieu, le mкme sentiment particulier et effet de l'amour qu'aux autres qui sont unis а soi, cela est d'une parfaite charitй, et tombe sous le conseil. En effet il procиde de la perfection de la charitй qu’elle seule pousse ainsi vers l'ennemi, de mкme que la charitй et l'amour particulier pousse vers l'ami.

Manifestum est autem quod ex perfectione activae virtutis procedit quod actio agentis ad remota procedat. Perfectior enim est ignis virtus per quam non solum propinqua sed remota calefiunt. Ita et perfectior est caritas, per quam non solum ad propinquos, sed etiam ad extraneos, et ulterius ad inimicos, non solum generaliter, sed etiam specialiter, et diligendo et benefaciendo movetur.

Or il est йvident qu'il procиde de la perfection de la vertu active que l'action de l'agent s'avance vers ce qui est йloignй. En effet, plus parfait est le pouvoir du feu par lequel est rйchauffй non seulement ce qui est proche, mais aussi ce qui est йloignй. De mкme aussi, plus parfaite est la charitй par laquelle on est poussй non seulement vers les proches mais aussi vers les йtrangers, et encore plus loin vers les ennemis, non seulement en gйnйral mais aussi en particulier, en aimant et en leur rendant service.

Solutions :

[66234] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dilectio inimicorum sub praecepto continetur, sicut dictum est.

1. L'amour des ennemis est contenu sous le prйcepte, comme il a йtй dit.

[66235] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut per affectum, ita et per effectum inimicos diligere debemus, ut dictum est.

2. De mкme qu'affectivement, de mкme aussi effectivement nous devons aimer les ennemis, comme il a йtй dit.

 [66236] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 3 Unde etiam patet responsio ad tertium.

3. Par lа apparaоt la rйponse а l’argument trois.

[66237] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illae auctoritates veteris testamenti loquuntur in casu necessitatis, quando ex praecepto tenemur benefacere inimicis, ut dictum est in corp. art.

4. Ces autoritйs de l'Ancien Testament parlent en cas de nйcessitй, quand nous sommes tenus par le prйcepte de rendre service aux ennemis, comme il a йtй dit dans le corps de l'article.

[66238] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod dicitur, Odio habebis inimicum tuum, in toto veteri testamento non invenitur; sed hoc erat ex traditione Scribarum quibus visum fuit hoc esse addendum, quia dominus praecepit filiis Israel persequi inimicos suos. Vel dicendum est, quod haec vox, Odio habebis inimicum tuum, non est accipienda ut iubentis iusto, sed ut permittentis infirmo, ut Augustinus dicit in Lib. de sermone Domini in monte [lib. I, cap. XLI]. Vel, sicut etiam Augustinus dicit contra Faustum, non debent homines inimicos odire, sed vitium.

5. Ce qui est dit, "Tu haпras ton ennemi", ne se trouve nulle part dans l'Ancien Testament, mais que cela venait d'une Tradition des scribes qui ont jugй bon d'ajouter cela, parce que le Seigneur a prescrit aux fils d'Israлl de persйcuter leurs ennemis. Ou il faut dire que cette parole "Tu haпras ton ennemi" ne doit pas кtre prise comme un ordre donnй au juste mais comme une permission donnйe au faible, comme dit Augustin dans le Sermon du Seigneur sur la montagne, I, 41. Ou bien, comme dit encore Augustin dans le Contre Fauste, "les hommes ne doivent pas haпr les ennemis mais le vice".

[66239] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inimicus, ut inimicus, non est obiectum dilectionis, sed in quantum pertinet ad Deum; unde hoc debemus in inimico odire quod ipse nos odit, et desiderare quod nos diligat.

6. L'ennemi n'est pas objet d'amour en tant qu'ennemi, mais en tant qu'il concerne Dieu ; c'est pourquoi nous devons haпr dans l'ennemi le fait que lui-mкme nous hait, et dйsirer qu'il nous aime.

[66240] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod, ex natura, homo omnem hominem diligit, ut etiam philosophus dicit in VIII Ethic. Sed quod aliquis sit inimicus, est ex aliquo quod naturae superadditur, ex quo non debet tolli naturae inclinatio. Caritas ergo, dum ad dilectionem inimicorum movet, perficit naturalem inclinationem; secus autem est de illis quae habent contrarietatem ex sua natura, sicut ignis et aqua, lupus et ovis.

7. L’homme aime naturellement tout homme, comme le dit le Philosophe aussi (Йthique VIII). Mais que quelqu'un soit un ennemi, vient de quelque chose qui s'ajoute а la nature, qui ne doit pas enlever l'inclination de la nature. Donc la charitй, tant qu'elle incite а l'amour des ennemis, parachиve l'inclination naturelle ; il en est autrement de ce qui a une contradiction par nature, comme le feu et l'eau, le loup et le mouton.

[66241] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Deus non odit in aliquo quod suum est, scilicet bonum naturale vel quodcumque aliud, sed solum illud quod suum non est, scilicet peccatum; et sic etiam nos in hominibus debemus diligere quod Dei est, et odire quod est alienum a Deo; et secundum hoc dicitur in Psalm. CXXXVIII, 22 : Perfecto odio oderam illos.

8. Dieu ne hait pas dans quelqu'un ce qui est а lui, а savoir le bien naturel ou n'importe quoi d’autre, mais seulement ce qui n'est pas а lui, а savoir le pйchй ; et ainsi, nous aussi devons aimer dans les hommes ce qui vient de Dieu, et haпr ce qui est йtranger а Dieu ; et selon cela il est dit dans le Ps 138, 22 : "D'une haine parfaite je les haпssais".

 

[66242] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod praescitos et damnatos non debemus diligere ad habendum vitam aeternam, quia iam sunt totaliter per divinam sententiam ab ea exclusi; possumus tamen eos diligere ut opera Dei, in quibus divina iustitia manifestatur; sic enim eos Deus diligit. Praescitos autem nondum damnatos debemus diligere ad vitam aeternam habendam; quia hoc nobis non constat, et praescientia divina ab eis non excludit possibilitatem perveniendi ad vitam aeternam.

9. Nous ne devons pas aimer les prйdestinйs, ni les damnйs, pour qu’ils aient la vie йternelle, car ils en sont dйjа totalement exclus, par une sentence divine ; nous pouvons cependant les aimer comme des њuvres de Dieu en lesquelles se manifeste la justice divine, car c'est ainsi que Dieu les aime. Nous devons aimer les prйdestinйs non encore damnйs pour qu’ils aient la vie йternelle, car cela ne nous est pas connu, et la prescience divine n'exclut pas d'eux la possibilitй de parvenir а la vie йternelle.

[66243] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licite potest ille ad quem ex officio pertinet, malefactores punire, vel etiam occidere, eos ex caritate diligendo. Dicit enim Gregorius in quadam homilia, quod iusti persecutionem commovent, sed amantes : quia si foris increpationes per disciplinam exaggerant, intus tamen dulcedinem per caritatem servant.

10. Celui qui est concernй par sa profession peut licitement punir les malfaiteurs, ou mкme les tuer, tout en les aimant de charitй. En effet Grйgoire dit dans une homйlie que les justes suscitent les poursuites, mais en aimant ; car si extйrieurement ils accumulent les reproches, intйrieurement cependant ils conservent la douceur par charitй.

Possumus enim illis quod ex caritate diligimus, velle aut inferre aliquod malum temporale, propter tria.

Primo quidem, propter eorum correctionem. Secundo, in quantum aliquorum temporalis prosperitas est in detrimentum alicuius multitudinis, vel etiam totius Ecclesiae; unde dicit Gregorius, XXII Moral. [cap. II] : Evenire plerumque solet, ut, non amissa caritate, inimici nos ruina laetificet; et rursus eius gloria, sine invidiae culpa, contristet; dum, corruente eo, quosdam bene erigi credimus; et, proficiente illo, plerosque iniuste opprimi formidamus.-

 

 

 

Tertio, ad servandum ordinem divinae iustitiae, secundum illud Ps. LVII, 11 : Laetabitur iustus, cum viderit vindictam.

En effet nous pouvons pour eux vouloir et infliger quelque mal temporel parce que nous aimons par charitй

Premiиrement pour leur correction. Deuxiиmement en tant que la prospйritй temporelle de certains est au dйtriment de la multitude, ou encore de toute l'Eglise, c'est pourquoi Grйgoire dit, (Morales sur Job XXII, 2) : « La plupart du temps il arrive par habitude que sans perdre la charitй, la ruine de l'ennemi nous rйjouisse ; et inversement sa gloire, sans faute d'envie, [nous] attriste ; ainsi, quand il йchoue, nous croyons que certains sont heureusement redressйs ; et, quand il progresse, nous redoutons que la plupart soient injustement accablйs ».

Troisiиmement, pour garder l'ordre de la justice divine, selon cette parole (Ps 57, 11) : « Le juste se rйjouira, quand il aura vu la vengeance ».

[66244] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod huiusmodi propositiones, ex quibus argumentatur philosophus, sunt accipiendae per se. Sicut enim diligere amicum, in quantum amicus est, bonum est; ita malum est diligere inimicum, quia inimicus est; sed bonum est diligere inimicum, in quantum ad Deum pertinet.

11. Les propositions de cette sorte, par lesquelles le Philosophe argumente, doivent кtre prises en elles-mкmes. Car de mкme qu'aimer un ami, en tant que tel, est un bien ; de mкme c’est un mal d'aimer un ennemi parce qu'il est ennemi ; mais c’est un bien d'aimer un ennemi en tant qu'il concerne Dieu.

[66245] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod diligere amicum, in quantum amicus, et inimicum, in quantum inimicus, esset contrarium; sed diligere amicum et inimicum, in quantum uterque est Dei, non est contrarium, sicut nec videre album et videre nigrum, in quantum est coloratum.

12. Aimer un ami en tant que tel, et un ennemi que tel, serait contradictoire ; mais aimer un ami et un ennemi, en tant que l'un et l'autre appartiennent а Dieu, n'est pas contradictoire, comme ne pas voir le blanc et voir le noir, en tant qu'il est colorй.

 [66246] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod diligere inimicum, in quantum inimicus est, est difficile, vel etiam impossibile; sed diligere inimicum propter aliquid magis amatum, est facile; et sic id quod in se videtur impossibile, caritas Dei facit facile.

13. Aimer un ennemi, en tant que tel, est difficile ou mкme impossible ; mais aimer un ennemi а cause de quelque chose de plus aimй, c'est facile ; et ainsi ce qui en soi paraоt impossible, l'amour de Dieu le rend facile.

 

[66247] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod beatus Thomas non expetiit poenam sui percussoris zelo vindictae, sed propter manifestationem divinae iustitiae et virtutis.

14. Le Bienheureux Thomas n'a pas rйclamй le chвtiment de son agresseur par zиle de vengeance, mais pour la manifestation de la justice et de la puissance divines.

[66248] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod imprecationes quae inveniuntur in prophetis, sunt intelligendae per praenuntiationes, ut exponatur deleantur, id est delebuntur. Utuntur autem tali modo loquendi, quia conformant voluntatem suam divinae iustitiae eis revelatae.

15. Les imprйcations qui se trouvent dans les prophиtes sont а comprendre comme des prйdictions, pour rйvйler la destruction de ce qui sera dйtruit. Ils utilisent une telle faзon de parler parce qu'ils conforment leur volontй а la justice divine qui leur a йtй rйvйlйe.

[66249] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod diligere aliquem propter se potest intelligi dupliciter. Uno modo, ita quod aliquid diligatur sicut ultimus finis; et sic solus Deus est propter se diligendus.

Alio modo, ut diligamus ipsum cui volumus bonum, ut contingit in amicitia honesta; non autem sicut bonum quod volumus nobis, ut contingit in amicitia delectabili vel utili, in qua amicum diligimus ut bonum nostrum : non quia utilitatem vel delectationem appetamus amico, sed quia ex amico appetimus utilitatem et delectationem nobis; sicut et diligimus alia delectabilia nobis et utilia, ut cibum aut vestimentum. Sed cum diligimus aliquem propter virtutem, volumus ei bonum, non ipsum nobis; et hoc maxime contingit in amicitia caritatis.

16. Aimer quelqu'un pour lui-mкme peut кtre compris de deux faзons.

 

D'une premiиre maniиre : aimer quelque chose comme une fin ultime ; et Dieu seul doit кtre ainsi aimй pour lui-mкme.

D’une autre maniиre : aimer celui а qui nous voulons du bien, comme il arrive dans une amitiй honnкte ; mais pas comme un bien que nous voulons pour nous, comme il arrive dans une amitiй qui cherche le plaisir ou l'intйrкt, et dans laquelle nous aimons l'ami comme notre bien, non parce que nous recherchons le plaisir ou l'intйrкt de l'ami, mais parce que nous recherchons dans l'ami notre intйrкt et notre plaisir ; de mкme que nous aimons aussi les autres choses qui nous sont agrйables et utiles, comme la nourriture ou le vкtement. Mais quand nous aimons quelqu'un а cause de sa vertu, nous lui voulons du bien, nous ne le [voulons] pas lui-mкme pour nous ; et cela arrive surtout dans l'amitiй de charitй.

[66250] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod diligere inimicum melius est quam diligere amicum tantum, quia perfectiorem caritatem demonstrat, ut supra, in corp. art., dictum est. Sed si consideremus istos duos absolute, melius est diligere amicum quam inimicum; et melius diligere Deum quam amicum. Non enim difficultas quae est in dilectione inimici, facit ad rationem meriti, nisi in quantum per hoc demonstratur perfectio caritatis, quae hanc difficultatem vincit; unde si esset tam perfecta caritas quae totam difficultatem tolleret, adhuc esset magis meritorium. Loquimur autem in eo qui diligit amicum ex tam perfecta caritate, quae etiam se extendat ad dilectionem inimici, sed intensius operatur in dilectione amici; nisi forte per accidens, in quantum contra repugnans aliquid cum maiori conatu operatur; sicut et in rebus naturalibus aqua calefacta intensius congelatur.

17. Aimer un ennemi est meilleur qu'aimer seulement un ami, parce que cela rйvиle une charitй plus parfaite, comme il a йtй dit ci-dessus dans le corps de l'article. Mais si nous considйrons ces deux aspects dans l'absolu, il est meilleur d'aimer un ami qu’un ennemi, et il est meilleur d'aimer Dieu qu’un ami. Car ce n’est pas la difficultй qui est dans l’amour de l’ennemi qui fait le mйrite, sauf en tant que cela dйmontre la perfection de charitй qui vainc cette difficultй ; c'est pourquoi s'il y avait une charitй si parfaite pour фter toute la difficultй, elle serait encore plus mйritoire. Nous parlons de celui qui aime un ami d’une charitй si parfaite qu'elle s'йtend mкme jusqu'а l'amour de l'ennemi, mais elle agit plus intensйment dans l'amour de l'ami ; sauf par hasard par accident, en tant qu’elle agit avec un plus grand effort contre ce qui s’oppose а elle ; de mкme aussi dans ce qui est naturel, l'eau chauffйe se congиle plus intensйment.

[66251] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 18 Et per hoc patet responsio ad duo sequentia.

18. Et par cela la rйponse est claire pour les deux arguments qui suivent.

 

 

3me vers. Imprimйe corrigйe D/05/YY prкt а imprimer pour vers. ultйrieure

[66252] De virtutibus, q. 2 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum ordo aliquis sit in caritate

Article 9Y a-t-il un ordre dans la charitй ?

[66253] De virtutibus, q. 2 a. 9 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[56]

[66254] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 1 Quia sicut fides se habet ad credita, ita caritas ad diligenda. Sed fides aequaliter credit omnia credenda. Ergo caritas aequaliter diligit omnia diligenda.

1. Parce que de la mкme maniиre que la foi se comporte vis-а-vis de ce qu’il faut croire, la charitй se comporte vis-а-vis de ce qu’il faut aimer. Mais la foi croit de maniиre йgale tout ce qui doit кtre cru. Donc la charitй aime de maniиre йgale tout ce qui doit кtre aimй.

[66255] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 2 Praeterea, ordo ad rationem pertinet. Caritas autem non est in ratione, sed in voluntate. Ergo ordo non pertinet ad caritatem.

2. L’ordre appartient а la raison. Mais la charitй n’est pas dans la raison, mais dans la volontй. Donc l’ordre n’appartient pas а la charitй.

[66256] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 3 Praeterea, ubicumque est ordo, ibi est aliquis gradus. Sed secundum Bernardum [serm. LXXIX in Cantica], Caritas gradum nescit, dignitatem non considerat. Ergo ordo non est in caritate.

3. Partout oщ il y a de l’ordre, il y a un degrй. Mais selon Bernard (Cant. Sermon 79) : « La charitй ignore le degrй, elle ne considиre pas la dignitй ». Donc il n’y a pas d’ordre dans la charitй.

[66257] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 4 Praeterea, obiectum caritatis est Deus, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctr. Christ. [capit. XXVIII] : in proximo enim nihil diligit caritas nisi Deum. Deus autem non est maior in seipso quam in proximo, nec maior in uno proximo quam in alio. Ergo caritas non magis diligit Deum quam proximum, vel unum proximum quam alium.

4. Dieu est l’objet de la charitй, comme Augustin le dit dans La Doctrine chrйtienne, (1, 28), car la charitй dans le prochain n’aime rien que Dieu. Mais Dieu n’est pas plus grand en lui-mкme que dans le prochain, ni plus grand dans un proche que dans un autre. Donc la charitй n’aime pas plus Dieu que le prochain, ni un proche plus qu’un autre.

[66258] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 5 Praeterea, similitudo est ratio dilectionis, secundum illud Eccl. XIII, 19 : Omne animal diligit simile sibi. Sed maior est similitudo hominis ad proximum suum quam ad Deum. Ergo non est iste ordo in caritate, ut primo diligatur Deus, sicut Ambrosius dicit.

5. La ressemblance est la raison de l’amour, selon cette parole de l’Eccl 13, 19 : « Tout animal aime son semblable ». Mais plus grande est la ressemblance de l’homme avec son prochain qu’avec Dieu. Donc il n’y a pas dans la charitй cet ordre pour aimer en premier Dieu, comme Ambroise le dit.

[66259] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 6 Praeterea, I Ioan. IV, 20, dicitur : Qui non diligit fratrem suum, quem videt; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Arguit autem a dilectione proximi ad dilectionem Dei negando. Argumentum autem negativum non sumitur a minori, sed a maiori. Ergo magis diligendus est proximus quam Deus.

6. En 1 Jn 4, 20, il est dit : « Celui qui n’aime pas son frиre qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » Mais il a raisonnй de l’amour du prochain а celui de Dieu en se servant d’une nйgation. Mais on ne prend pas un argument nйgatif d’un plus petit, mais d’un plus grand. Donc il faut plus aimer le prochain que Dieu.

[66260] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 7 Praeterea, amor est vis unitiva, ut Dionysius dicit [IV cap. de divin. Nomin.]. Sed nihil est magis unum alicui quam ipsemet. Ergo homo ex caritate non debet magis diligere Deum quam seipsum.

7. L’amour est une force d’union, comme Denys (Les Noms divins, 4) le dit. Mais rien n’est plus uni а quelqu’un que lui-mкme. Donc l’homme ne doit pas plus aimer par charitй Dieu que lui-mкme.

[66261] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in I De Doctrina Christ.[cap. XXVIII], quod omnes homines aeque diligendi sunt. Ergo unus proximus non debet magis diligi quam alius.

8. Augustin dit (La doctrine chrйtienne, 1, 28) que tous les hommes doivent кtre aimйs de maniиre йgale. Donc un proche ne doit pas кtre plus aimй qu’un autre.

[66262] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 9 Praeterea, proximum praecipitur alicui diligere sicut seipsum. Ergo omnes proximi sunt aequaliter diligendi.

9. Il est prescrit d’aimer le prochain comme soi-mкme. Donc tous les proches doivent кtre aimйs de maniиre йgale.

[66263] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 10 Praeterea, illum magis diligimus cui maius bonum volumus. Sed omnibus proximis volumus ex caritate unum bonum, quod est vita aeterna. Ergo unum proximum non debemus plus diligere quam alium.

10. Nous aimons plus celui а qui nous voulons un bien plus grand. Mais nous voulons par charitй pour tous nos proches un seul bien qui est la vie йternelle. Donc nous ne devons pas aimer un proche plus qu’un autre.

[66264] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 11 Praeterea, si ordo est conditio caritatis, oportet quod cadat sub praecepto. Sed non videtur sub praecepto cadere; quia dummodo aliquem diligamus quem debemus, non videmur peccare, si alium quemcumque diligamus plus. Ergo ordo non est conditio caritatis.

11. Si l’ordre est la condition de la charitй, il est nйcessaire qu’il tombe sous le prйcepte. Mais il ne semble pas y tomber ; parce que pendant que nous aimons quelqu'un que nous devons aimer, nous ne semblons pas pйcher, si nous en aimons plus un autre quelconque. Donc l’ordre n’est pas la condition de la charitй.

[66265] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 12 Praeterea, caritas viae imitatur caritatem patriae. Sed in patria magis amantur meliores, non autem propinquiores. Ergo videtur, si est aliquis ordo caritatis, quod etiam in via magis amandi sint meliores, et non propinquiores; quod est contra Ambrosium, qui dicit, quod primo diligendus est Deus, secundo parentes, deinde filii, post domestici.

12. La charitй de la voie imite celle de la patrie. Mais dans la patrie les meilleurs sont plus aimйs mais pas les plus proches. Donc il semble, s’il y a un ordre de charitй qu’aussi dans la voie les meilleurs doivent кtre plus aimйs, et non les plus proches ; ce qui est contre Ambroise, qui dit, que Dieu doit кtre aimй en premier, les parents en second, ensuite les enfants et aprиs les serviteurs.

[66266] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 13 Praeterea, ratio diligendi aliquem ex caritate, est Deus. Sed aliquando extranei magis sunt coniuncti Deo quam propinqui, vel etiam parentes. Ergo sunt magis ex caritate diligendi.

13. La raison d’aimer quelqu'un par charitй, c’est Dieu. Mais quelquefois les йtrangers sont plus unis а Dieu que nos proches, ou mкme que nos parents. Donc ils doivent plus кtre aimйs par charitй.

[66267] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 14 Praeterea, sicut dicit Gregorius in quadam homilia, Probatio dilectionis est exhibitio operis. Sed aliquando effectus dilectionis, qui est beneficentia, magis exhibetur extraneo, quam proximo, ut patet in collatione ecclesiasticorum beneficiorum. Ergo non videtur quod propinqui sint magis diligendi ex caritate.

14. Comme le dit Grйgoire en une Homйlie : « La preuve de l’amour est de montrer l’њuvre ». Mais quelquefois l’effet de l’amour qui est bienfaisance, se montre plus а un йtranger qu’au prochain, comme on le voit dans l’attribution des privilиges ecclйsiastiques. Donc il ne semble pas que les proches doivent кtre plus aimйs par charitй.

[66268] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 15 Praeterea, I Ioan., III, 18, dicitur : Non diligamus ore neque lingua, sed opere et veritate. Sed aliquando plus de opere dilectionis exhibemus aliis quam parentibus; puta, miles plus obedit duci exercitus quam patri; et plus debet reddere benefactori quam patri, si in aequali necessitate existat. Ergo non sunt parentes plus diligendi.

15. En I Jn., 3, 18, il est dit : « Nous n’aimons ni de mots ni de langue, mais en acte et en vйritй ». Mais quelquefois nous montrons plus une њuvre d’amour, aux autres qu’а nos parents ; par exemple, le soldat obйit plus au gйnйral de l’armйe qu’а son pиre ; et il doit rendre plus а son bienfaiteur qu’а son pиre, s’il cela arrive dans une йgale nйcessitй. Donc ce ne sont pas les parents qui doivent le plus кtre aimйs.

[66269] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, quod illi quos ex sacro fonte suscepimus, magis sunt a nobis diligendi quam illi quos ex carne nostra genuimus. Ergo extranei magis sunt diligendi quam propinqui.

16. Grйgoire dit que nous devons plus aimer ceux que nous recevons par la source sacrйe, que ceux que nous engendrons de notre chair. Donc les йtrangers doivent кtre plus aimйs que les proches.

[66270] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 17 Praeterea, ille est magis diligendus, cuius amicitia vituperabilius rescinditur. Sed vituperabilius videtur rescindi amicitia aliorum amicorum quos sponte eligimus, quam propinquorum, qui nobis non ex nostra electione, sed sorte naturae provenerunt. Ergo magis sunt diligendi alii amici quam propinqui.

17. Doit кtre le plus aimй, celui dont l’amitiй est rompue de maniиre plus blвmable. Mais il semble plus blвmable de rompre l’amitiй des autres amis que nous choisissons spontanйment, que celle de nos proches, qui ne nous proviennent pas de notre choix, mais par le hasard de la nature. Donc doivent кtre plus aimйs les autres amis que les proches.

[66271] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 18 Praeterea, si ratione propinquitatis maioris est aliquis magis diligendus; cum uxor sit magis propinqua, quae est unum corpus, et filii, qui sunt aliquid generantis, sint magis propinqui quam parentes, videtur quod sint magis diligendi filii et uxor quam parentes. Non ergo parentes sunt maxime diligendi. Sic igitur non videtur esse ordo in caritate qui a sanctis assignatur.

18. Ainsi quelqu’un doit кtre plus aimй en raison d’une plus grande proximitй ; comme l’йpouse est plus proche qui est un seul corps, et les enfants, qui sont une part de celui qui les engendre ils sont plus proches que les parents, et il semble que les enfants et l’йpouse doivent кtre plus aimйs que les parents. Donc les parents ne sont pas а aimer au plus haut point. Donc ainsi il ne semble pas qu’il y ait un ordre dans la charitй que les saints nous rйvиlent.

En sens contraire :

[66272] De virtutibus, q. 2 a. 9 s. c. Sed contra, est quod dicitur Cantic. II, v. 4 : Introduxit me rex in cellam vinariam, ordinavit in me caritatem.

Il y a ce qui est dit dans Ct 2, 4 : « Le roi m’a introduit dans le cellier а vin, il a mis l’amour en ordre en moi[57]».

Rйponse :

[66273] De virtutibus, q. 2 a. 9 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum omnem sententiam et auctoritatem Scripturae, indubitanter iste ordo in caritate significandus est, ut Deus affectu et effectu super omnia diligatur.

Selon toute locution et autoritй de l’Йcriture, il faut signaler de maniиre indubitable cet ordre dans la charitй, de sorte que Dieu soit aimй par-dessus tout affectivement et effectivement.

Sed quantum ad dilectionem proximorum, fuit quorumdam opinio, ut ordo caritatis attendatur secundum effectum, et non secundum affectum; et fuerunt moti ex dicto Augustini, qui dicit [lib. I de Doct. Christ. Cap. XXVIII], quod omnes homines aeque diligendi sunt; Sed cum omnibus prodesse non possis, his potissime consulendum est qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte coniunguntur.

Mais au sujet de l’amour des proches, il y a eu l’opinion de certains qu’on atteint l’ordre de la charitй effectivement, et non affectivement et ils y ont йtй poussйs par les paroles d’Augustin (La doctrine chrйtienne, I, 28) qui dit que tous les hommes doivent кtre йgalement aimйs : « Mais comme tu ne pourrais pas кtre utile pour tous, il faut rйflйchir de prйfйrence, а ce qui t’est plus liй selon les lieux, les temps ou par certaines opportunitйs, comme s’ils йtaient unis par quelque hasard ».

Sed ista positio irrationabilis videtur. Sic enim Deus providet unicuique secundum quod conditio eius requirit; unde tendentibus in finem naturae imprimitur a Deo amor et appetitus finis, secundum quod exigit sua conditio ut tendat in finem; unde quorum est vehementior motus secundum naturam in aliquem finem, eorum etiam est maior inclinatio in illum, quae est appetitus naturalis, ut patet in gravibus et levibus. Sicut autem appetitus vel amor naturalis est inclinatio quaedam, indita rebus naturalibus ad fines connaturales, ita dilectio caritatis est inclinatio quaedam infusa rationali naturae ad tendendum in Deum. Secundum igitur quod necesse est alicui tendere in Deum, secundum hoc ex caritate inclinatur.

Mais cette position semble hors de raison. Car ainsi Dieu pourvoit а chacun selon que sa condition le demande ; c'est pourquoi а ceux qui tendent а la fin de la nature l’amour et l’appйtit de la fin est induit par Dieu, selon ce qu’exige leur condition pour tendre а la fin ; c'est pourquoi de ceux dont le mouvement est plus fort selon la nature pour une certaine fin, de ceux-lа aussi il y a une plus grande inclination vers lui, qui est l’appйtit naturel, comme on le voit dans ce qui est lourd et lйger. De mкme aussi que l’appйtit ou l’amour naturels sont une inclination, induite dans les choses naturelles, pour des fins naturelles, de mкme l’amour de charitй est une inclination infusйe dans la nature raisonnable pour tendre а Dieu. Donc selon qu’il est nйcessaire а quelqu'un de tendre а Dieu, il y est ainsi inclinй par la charitй.

Tendituris autem in Deum sicut in finem, id quod maxime necessarium est, divinum auxilium est; secundo autem auxilium quod est a seipso; tertio autem cooperatio, quae est a proximo : et in hoc est gradus. Nam quidam cooperantur tantum in generali; alii vero, qui sunt magis coniuncti, in speciali; non enim omnes omnibus in specialibus cooperari possent. Qui autem impediunt, in quantum huiusmodi, sunt odiendi, quicumque sunt; unde Dominus dicit, Luc., XIV, 26 : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem (...) non potest esse meus discipulus. Ultimo autem diligendum est corpus nostrum. Sic etiam secundum actum quem caritas elicit, attendendus est ordo secundum affectum in dilectione proximorum.

Mais а ceux qui veulent tendre а Dieu comme а leur fin, ce qui est tout а fait nйcessaire, il y a une aide divine ; deuxiиmement une aide qui vient de soi-mкme ; troisiиmement une coopйration qui vient du prochain, et c’est en cela qu’il y a un degrй. Car certains coopиrent seulement en ce qui est gйnйral, mais d’autres, qui sont plus unis, en ce qui est particulier ; car ce ne sont pas tous qui pourraient coopйrer dans le particulier. Mais ceux qui apportent des empкchements, en tant que tels, sont а haпr, quels qu’ils soient ; c'est pourquoi le Seigneur dit (Lc 14, 26) : « Si quelqu'un vient а moi et ne hait pas son pиre et sa mиre (…) il ne peut pas кtre mon disciple ». Mais en dernier il faut aimer notre corps. Mais ainsi selon l’acte que la charitй choisit, il faut atteindre un ordre selon l’affection dans l’amour des proches.

Sed etiam considerandum est, quod sicut supra, art. 7 et 8, diximus, etiam aliae dilectiones licitae et honestae, quae sunt ex aliquibus aliis causis, ordinari possunt ad caritatem; et sic caritas illarum dilectionum actus imperare potest; et sic quod magis secundum aliquam illarum dilectionum diligitur, magis diligitur ex caritate imperante.

Mais il faut considйrer aussi, que comme ci-dessus art. 7, et 8, nous l’avons dit qu’aussi les autres amours licites et honnкtes, qui dйpendent de certaines autres causes, peuvent кtre ordonnйs а la charitй, et ainsi la charitй peut commander les actes d’amour, et ainsi ce qui est plus aimй selon l’un de ces amours, est plus aimй quand la charitй le commande.

Manifestum est autem quod secundum dilectionem naturalem propinqui plus diliguntur etiam secundum affectum, et secundum dilectionem socialem plus coniuncti, et sic de aliis dilectionibus.

Unde manifestum fit, quod etiam secundum affectum unus proximorum magis est diligendus quam alius, et ex caritate imperante actus aliarum amicitiarum licitarum.

Mais il est йvident que selon l’amour naturel les proches sont plus aimйs aussi selon l’affection et plus unis selon l’amour social, et ainsi des autres amours.

 

C'est pourquoi il devient йvident qu’aussi selon l’affection l’un des proches doit кtre plus aimй qu’un autre, et avec la charitй qui commande les actes des autres amitiйs permises.

Solutions :

[66274] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectum fidei est verum; unde secundum quod contingit esse aliquid magis verum, sic etiam contingit aliquid magis credere. Cum autem veritas constet in adaequatione intellectus et rei, si consideretur veritas secundum rationem aequalitatis, quae non recipit magis et minus, sic non contingit esse aliquid magis et minus verum; sed si consideretur ipsum esse rei, quod est ratio veritatis, sicut dicitur in II Metaphys., [comm. 4] eadem est dispositio rerum in esse et veritate : unde quae sunt magis entia, sunt magis vera; et propter hoc etiam in scientiis demonstrativis magis creduntur principia quam conclusiones. Et sic etiam contingit in his quae sunt fidei. Unde apostolus, I ad Corinth., XV, probat resurrectionem mortuorum futuram per resurrectionem Christi.

1. L’objet de la foi est la vйritй ; c'est pourquoi selon qu’il arrive qu’il y ait quelque chose de plus vrai, il arrive aussi de le croire plus. Mais comme la vйritй existe dans l’adйquation de l’intellect et de la chose, si on considиre la vйritй selon la nature d’йgalitй, qui ne reзoit ni plus ni moins, il n’arrive pas qu’il y ait quelque chose de plus ou moins vrai, mais si on considйrait que l’кtre mкme de la chose, qui est la raison de la vйritй, comme il est dit en Mйtaphysique, II, (comm. 4), la disposition des choses est la mкme dans l’кtre et la vйritй ; c'est pourquoi ce qui est plus йtant est plus vrai, et а cause de cela aussi dans les sciences dйmonstratives on croit plus aux principes qu’aux conclusions. Et cela arrive aussi en ce qui concerne la foi. C'est pourquoi l’apфtre, (1 Co 15) ; prouve la rйsurrection future des morts, par la rйsurrection du Christ.

[66275] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo rationis est ut ordinantis; sed voluntatis ut ordinatae; et sic convenit ordo caritati.

2. L’ordre de la raison est comme de celui qui met en ordre, mais celui de la volontй comme de ce qui est ordonnй, et ainsi l’ordre convient а la charitй.

[66276] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas gradum nescit amantis ad amatum, quia unit utrumque; sed duorum diligibilium, non ignorat.

3. La charitй ne connaоt pas de degrй de l’amant а l’aimй, parce qu’elle unit l’un et l’autre ; mais elle n’ignore pas [le degrй] entre de deux choses а aimer.

[66277] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet Deus non sit maior in uno quam in alio, tamen magis et perfectius est in seipso quam in creatura; et in una creatura quam in alia.

4. Bien que Dieu ne soit pas plus grand en l’un qu’en un autre, cependant il est plus et plus parfait en lui-mкme que dans la crйature et ainsi [plus] dans une crйature que dans une autre.

[66278] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in dilectione, cuius principale obiectum est ipse diligens, necesse est quod magis diligatur id quod est diligenti similius, sicut accidit in dilectione naturali. Sed in dilectione caritatis principale obiectum est ipse Deus; unde magis diligendum est ex caritate quod magis est unum cum Deo, ceteris paribus.

5. Dans l’amour dont l’objet principal est celui qui aime, il est nйcessaire que soit plus aimй ce qui est plus semblable а celui qui aime, comme il arrive dans l’amour naturel. Mais dans l’amour de charitй l’objet principal est Dieu lui-mкme. C'est pourquoi doit кtre plus aimй par charitй ce qui est plus un avec Dieu, les autres conditions йtant йgales.

[66279] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod apostolus argumentatur secundum eos qui visibilibus praecipue inhaerent, a quibus visibilia invisibilibus magis diliguntur.

6. L’apфtre argumente selon ceux qui adhиrent principalement а ce qui est visible, ils aiment plus ce qui est visible que ce qui est invisible.

[66280] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod unitate naturae nihil est magis unum quam nos; sed unitate affectus, cuius obiectum est bonum, summe bonum debet esse magis unum quam nos.

7. Par l’unitй de la nature rien n’est plus un que nous, mais par l’unitй de l’affection dont l’objet est le bien, le bien suprкme doit кtre plus un que nous.

[66281] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnes homines sunt aeque diligendi, in quantum omnibus aequale bonum velle debemus, scilicet vitam aeternam.

8. Tous les hommes doivent кtre aimйs а йgalitй, en tant que pour tous nous devons vouloir un bien йgal, а savoir la vie йternelle.

 

[66282] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod proximum tenetur aliquis diligere sicut seipsum, non tamen quantum seipsum; propter quod non sequitur quod omnes proximi sint aequaliter diligendi.

9. On est tenu d’aimer son prochain comme soi-mкme, non cependant pas autant que soi-mкme ; c’est pourquoi il n’en dйcoule pas que tous les proches doivent кtre aimйs йgalement.

[66283] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquem dicimus magis diligere, non solum quia maius bonum ei volumus, sed etiam quia intensiori affectu idem bonum ei optamus; et sic, licet omnibus optemus unum bonum, quod est vita aeterna, non tamen omnes aequaliter diligimus.

10. Nous disons que nous aimons plus quelqu'un, non seulement parce que nous lui voulons un plus grand bien, mais aussi parce que nous souhaitons pour lui un mкme bien, mais avec une affection plus intense ; et ainsi, bien que nous souhaitons un seul bien pour tous, qui est la vie йternelle, cependant nous ne les aimons pas tous de maniиre йgale.

[66284] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non potest esse quod alicui impendamus de dilectione quod debemus, si alium quem minus diligere debemus, amplius diligamus; potest enim contingere quod in necessitatis articulo amplius subveniatur alteri, in derogationem eius quem plus amare debemus.

11. Il n’est pas possible que nous consacrions а quelqu'un de l’amour que nous lui devons, si nous aimons plus un autre que nous devons moins aimer ; car il peut arriver quand c’est nйcessaire, qu’on vienne en aide plus а un autre, en dйrogation de celui que nous devons aimer davantage.

[66285] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod illi qui sunt in patria, sunt coniuncti ultimo fini : et ideo solum illorum dilectio regulatur ex ipso fine; unde ordo caritatis in eis non attenditur nisi secundum propinquitatem ad Deum : et propter hoc Deo propinquiores magis amantur. Sed in via nobis est necessarium tendere in finem; et ideo ordo dilectionis attenditur etiam secundum mensuram auxilii, quod ex aliis consequitur ad tendendum in finem; et sic non semper meliores magis amantur, sed attenditur etiam ratio propinquitatis, ut ex utroque coniunctim sumatur ratio maioris dilectionis.

12. Ceux qui sont dans la patrie, sont unis а leur fin ultime ; et ainsi seulement leur amour est rйgulй par la fin elle-mкme ; c'est pourquoi l’ordre de la charitй en eux n’est atteinte que selon la proximitй а Dieu : et а cause de cela les plus proches de Dieu sont plus aimйs. Mais en cette voie, il nous est nйcessaire de tendre а la fin, et c'est pourquoi l’ordre de l’amour est atteint aussi selon la mesure de l’aide, qui dйcoule des autres pour tendre а la fin ; et ainsi ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont les plus aimйs, mais aussi on atteint la raison de la proximitй, pour que de l’un et l’autre en commun on choisisse la raison d’un plus grand amour.

[66286] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 13 Et per hoc etiam patet responsio ad decimumtertium.

13 Et ainsi paraоt la rйponse а la treiziиme objection.

[66287] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod praelatus aliquis non potest conferre beneficia in quantum est Petrus vel Martinus, sed in quantum est magister Ecclesiae; et ideo in collatione ecclesiasticorum beneficiorum non debet attendere propinquitatem ad se, sed propinquitatem ad Deum, et utilitatem Ecclesiae : sicut dispensator alicuius familiae attendere debet, in dispensando res domini sui, servitium quod exhibetur domino suo, et non servitium quod exhibetur sibi. In rebus autem propriis, sicut patrimonialibus bonis, vel quae ex industria suae personae acquirit ut propria, debet attendi in benefaciendo ordo propinquitatis ad ipsum beneficium.

14 Un prйlat ne peut pas confйrer des bйnйfices en tant que c’est Pierre ou Martin, mais en tant que maоtre de l’Йglise ; et c'est pourquoi dans l’attribution des privilиges ecclesiastiques, il ne doit pas tendre а ce qui est proche pour lui-mкme, mais proche pour Dieu, et l’utilitй de l’Йglise : de mкme que le rйgisseur d’une famille doit tendre, en dispensant les choses de son maоtre, au service qu’il effectue pour son maоtre et non pour lui-mкme. Mais dans les biens propres, comme dans les biens patrimoniaux, ou ce qu’il acquiert par l’activitй de sa personne comme biens particuliиrs, l’ordre de proximitй au bienfait doit кtre atteint en l’accordant.

[66288] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum ea quae pertinent proprie ad propriam personam alicuius, plus debet exhibere dilectionis effectum parentibus quam extraneis; nisi forte in quantum in bono alicuius extranei penderet bonum commune, quod etiam sibi ipsi imponere quisque debet : ut cum aliquis seipsum periculo mortis exponit, ad salvandum in bello ducem exercitus, vel in civitate principem civitatis, in quantum ex eis dependet salus totius communitatis. Sed secundum ea quae pertinent ad aliquid ratione alicuius adiuncti, utpote in quantum est civis vel miles, plus debet obedire rectori civitatis, vel duci, quam patri.

15. Selon ce qui concerne au sens propre la personne particuliиre, elle doit montrer un effet d’amour pour ses parents plus que pour les йtrangers ; а moins que par hasard, le bien commun se trouve dans le bien d’un йtranger, ce que aussi chacun doit appliquer pour lui-mкme ; comme quand quelqu'un s’expose au pйril de la mort, pour sauver а la guerre le gйnйral de l’armйe ou dans la citй son prince, en tant que dйpend d’eux le salut de toute la communautй. Mais selon ce qui convient а quelque chose en raison de ce qui lui est joint, en tant qu’il est citoyen ou soldat, il doit obйir davantage au gouverneur de la citй, ou au gйnйral qu’а son pиre.

[66289] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod auctoritas Gregorii est intelligenda quantum ad illa qua ad regenerationem spiritualem pertinent, in quibus tenemur his quos ex sacro fonte suscepimus.

16. L’autoritй de Grйgoire est а penser pour ce qui convient а la rйgйnйration spirituelle, en ceux en qui nous sommes tenus par ceux que nous recevons de la source sacrйe.

[66290] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad illa quae pertinent ad socialem vitam, in qua fundatur amicitia extraneorum.

17. Cette raison est valable pour ce qui concerne la vie sociale, en laquelle est fondйe l’amitiй des йtrangers.

[66291] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod secundum illam dilectionem qua aliquis diligit seipsum, plus diligit uxorem et filios, quam parentes, quia uxor est aliquid viri, et filius patris; unde dilectio quae habetur ad uxorem et filium magis includitur in dilectione qua aliquis diligit seipsum, quam dilectio quae habetur ad patrem. Sed hoc non est diligere filium ratione eius, sed ratione sui ipsius. Sed secundum modum dilectionis qua diligimus aliquem ratione eius, plus diligendus est pater quam filius, in quantum ex patre maius beneficium suscepimus, et in quantum honor filii magis dependet ex honore patris quam e converso; et ideo in exhibitione reverentiae, et in obediendo, et in satisfaciendo voluntati eius, et in similibus, tenetur homo magis patri quam filio; sed in subventione necessariorum plus tenetur homo filio quam parenti, quia parentes debent thesaurizare filiis, et non e converso, ut dicitur 1 Corinth., IV.

18. Selon cet amour par lequel quelqu'un s’aime lui-mкme, il aime plus son йpouse et ses enfants que ses parents, parce que l’йpouse appartient а son mari, et le fils а son pиre ; c'est pourquoi l’amour qu’on a pour l’йpouse et le fils est plus inclus dans l’amour par lequel quelqu'un s’aime lui-mкme, que l’amour qu’il a pour son pиre. Mais cela ce n’est pas aimer le fils en sa raison, mais en raison de soi-mкme. Mais selon le mode d’amour par laquel nous aimons quelqu'un selon son interкt, le pиre doit кtre plus aimй que le fils, en tant que nous recevons de lui plus de bienfait, et en tant que l’honneur du fils dйpend davantage de l’honneur du pиre que l’inverse ; et c'est pourquoi quand on montre du respect, et en obйissant, et en satisfaisant а sa volontй ; et en autres choses semblables, l’homme est tenu plus а son pиre qu’а son fils, mais dans l’aide pour ce qui est nйcessaire, l’homme est plus tenu а son fils qu’а son pиre parce que les parents doivent amasser pour leur fils et non le contraire, comme il est dit en 1 Co 4.

 

Articulus 10 : [66292] De virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum possibile sit caritatem esse perfectam in hac vita

Article 10Est-il possible que la charitй soit parfaite en cette vie ?

[66293] De virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections :[58]

[66294] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 1 Quia Deus nihil impossibile homini praecipit, ut Hieronymus dicit. Sed perfectio caritatis ponitur in praecepto, ut patet Deuter., VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo; totum enim et perfectum idem sunt. Ergo possibile est caritatem esse perfectam in hac vita.

1. Dieu ne commande rien d’impossible а l’homme, comme le dit Jйrфme. Mais la perfection de la charitй est placйe dans le prйcepte, comme on le voit en Deut., 6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cњur » ; car le tout et le parfait sont indentiques. Donc il est possible que la charitй soit parfaite en cette vie

[66295] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [in lib. De vera Relig., cap. XLVII], quod perfecta caritas est ut meliora magis diligantur. Sed hoc est possibile in hac vita. Ergo caritas potest esse in hac vita perfecta.

2. Augustin (La vraie Religion, 47) dit que la charitй est parfaite pour aimer plus ce qui est meilleur. Mais cela est possible en cette vie. Donc la charitй peut кtre parfaite en cette vie.

[66296] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 3 Praeterea, ratio amoris in quadam unione consistit. Sed caritas in hac vita maxime potest esse unum; quia qui adhaeret Deo, unus spiritus est, ut dicitur 1 Corinth., VI, 17. Ergo caritas in hac vita potest esse perfecta.

3. La nature de l’amour consiste dans une certaine union. Mais la charitй en cette vie peut кtre au plus haut point quelque chose d’unique : parce que « qui adhиre а Dieu est un seul esprit [avec lui] », comme il est dit (1 Co 6, 17). Donc la charitй en cette vie peut кtre parfaite.

[66297] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 4 Praeterea, perfectum est aliquid quod maxime recedit a contrario. Sed caritas in hac vita potest resistere omni peccato et tentationi. Ergo caritas in hac vita potest esse perfecta.

Le parfait est ce qui s’йloigne le plus du contraire. Mais la charitй en cette vie peut rйsister а tout pйchй et а toute tentation. Donc la charitй en cette vie peut кtre parfaite.

[66298] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 5 Praeterea, affectus noster in hac vita immediate fertur in Deum per dilectionem. Sed quando intellectus immediate ferretur in Deum, perfecte et totaliter ipsum cognosceremus. Ergo nunc perfecte et totaliter Deum diligimus : est ergo in hac vita caritas perfecta.

5. Notre affection en cette vie est immйdiatement portйe en Dieu, par l’amour. Mais quand l’intellect sera immйdiatement portй en Dieu, nous le connaоtrons parfaitement et totalement. Donc maintenant nous aimons Dieu parfaitement et totalement : donc la charitй est parfaite en cette vie.

[66299] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 6 Praeterea, voluntas est domina sui actus. Sed diligere Deum, est actus voluntatis. Ergo voluntas humana potest totaliter et perfecte ferri in Deum.

6. La volontй est maоtresse de son acte. Mais aimer Dieu est un acte de volontй. Donc la volontй humaine peut кtre portйe totalement et parfaitement en Dieu.

[66300] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 7 Praeterea, obiectum caritatis est divina bonitas, quae est delectabilissima. Sed in eo quod est delectabile, non est difficile continue perseverare, et sine intermissione. Ergo videtur quod in hac vita de facili possit perfectio caritatis haberi.

7. L’objet de la charitй est la bontй divine, qui est tout а fait dйlectable. Mais en ce qui est dйlectable, il n’est pas difficile de persйvйrer continuellement, et sans interruption. Donc il semble qu’en cette vie on pourrait avoir facilement la perfection de la charitй.

[66301] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 8 Praeterea, quod simplex est et indivisibile, si aliquo modo habetur, totum habetur. Sed amor caritatis est simplex et indivisibilis, et ex parte animae diligentis, et ex parte obiecti diligibilis, quod est Deus. Ergo, si quis habet in hac vita caritatem, totaliter et perfecte habet.

8. Ce qui est simple et indivisible, si on le possиde de quelque maniиre, on le possиde tout entier. Mais l’amour de charitй est simple et indivisible et du cфtй de l’вme de celui qui aime et du cфtй de l’objet а aimer qui est Dieu. Donc si quelqu'un a la charitй en cette vie, il l’a totalement et parfaitement.

[66302] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 9 Praeterea, caritas est nobilissima virtutum, secundum illud 1 Cor., XII, 31 : Adhuc excellentiorem viam vobis demonstro, scilicet caritatis. Sed aliae virtutes possunt esse perfectae in hac vita. Ergo et caritas.

9. La charitй est la plus noble des vertus selon cette parole de 1 Co 12, 31 : « Je vous rйvиle une voie bien meilleure», а savoir celle de la charitй. Mais les autres vertus peuvent кtre parfaites en cette vie. Donc la charitй aussi.

 

En sens contraire :

[66303] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Cum caritati repugnet omne peccatum, ut dictum est, perfectio caritatis requirit quod homo sit omnino absque peccato. Sed hoc non potest esse in hac vita, secundum illud I Ioan., I, 8 : Si dixerimus quia peccatum non habemus, nos ipsos seducimus. Ergo perfecta caritas in hac vita haberi non potest.

1. Comme tout pйchй s’oppose а la charitй, comme il a йtй dit, la perfection de la charitй requiert que l’homme soit tout а fait sans pйchй. Mais cela n’est pas possible en cette vie, selon cette parole de I Jn 1, 8 : « Si nous avons dit que nous n’avons pas de pйchй, nous nous trompons nous-mкmes ». Donc on ne peut pas avoir la charitй parfaite en cette vie.

[66304] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 2 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in Lib. de Trinit. [lib. X]. Sed in hac vita Deus perfecte non potest cognosci, secundum illud 1 Cor., XIII, 9 : Nunc ex parte cognoscimus. Ergo nec etiam potest perfecte diligi.

2. Rien n’est aimй que s’il est connu, comme le dit Augustin dans La Trinitй, X. Mais en cette vie Dieu ne peut pas кtre connu parfaitement, selon cette parole de 1 Co 13, 9 : « Maintenant, nous connaissons partiellement». Donc il ne peut pas non plus кtre aimй parfaitement.

[66305] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 3 Praeterea, illud quod semper potest proficere, non est perfectum. Sed caritas in hac vita semper potest proficere, ut dicitur in sermone. Ergo caritas in hac vita semper perfecta esse non potest.

3. Ce qui peut toujours progresser n’est pas parfait. Mais la charitй en cette vie peut toujours progresser, comme il est dit dans un sermon. Donc la charitй en cette vie ne peut pas toujours кtre parfaite.

[66306] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 4 Praeterea, Perfecta caritas foras mittit timorem, ut dicitur I Ioan., IV, 18. Sed in hac vita non potest homo esse sine timore. Ergo non potest aliquis habere caritatem perfectam.

4. « La charitй parfaite chasse au loin la crainte », comme il est dit en 1 Jn 4, 18. Mais en cette vie, l’homme ne peut pas кtre sans crainte. Donc personne ne peut avoir la charitй parfaite.

Rйponse :

[66307] De virtutibus, q. 2 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod perfectum tripliciter dicitur.

Uno modo perfectum simpliciter :

alio modo perfectum secundum naturam;

tertio modo secundum tempus.

On parle du parfait de trois maniиres :

 

 

D’une premiиre maniиre, le parfait absolu.

D’une autre maniиre, le parfait selon la nature.

D’une troisiиme maniиre, selon le temps.

Perfectum quidem dicitur simpliciter quod omnibus modis perfectum est, et cui nulla perfectio deest.

Perfectum autem secundum naturam dicitur, cui non deest aliquid eorum quae nata sunt haberi a natura illa : sicut intellectum hominis dicimus perfectum, non quod nihil ei intelligibilium desit, sed quia nihil ei deest eorum per quae homo natus est intelligere.

On appelle parfait dans l’absolu ce qui est parfait de toutes les maniиres, et а quoi aucune perfection ne manque.

On appelle parfait selon la nature, ce а quoi rien de ce qui est destinй а кtre possйdй par cette nature ne manque ; comme nous disons que l’intellect de l’homme est parfait, non parce que rien de ce qui est intelligible pour lui ne lui manque mais parce que rien ne lui manque de ce que par quoi l’homme est destinй а penser.

Perfectum secundum tempus dicimus quando nihil deest alicui eorum quae natum est habere secundum tempus illud : sicut dicimus puerum perfectum, quia habet ea quae requiruntur ad hominem secundum aetatem illam.

Nous disons que le parfait est selon le temps quand rien ne manque а chacun de ce qu’il est destinй а avoir selon ce temps ; comme nous disons que l’enfant est parfait parce qu’il possиde ce qui est requis pour un homme а cet вge.

Sic igitur dicendum, quod caritas perfecta simpliciter a solo Deo habetur. Caritas autem perfecta secundum naturam haberi quidem potest ab homine, sed non in hac vita. Caritas autem perfecta secundum tempus, etiam in hac vita haberi potest.

Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum actus et habitus speciem habeant ex obiecto, oportet quod ex eodem ratio perfectionis ipsius sumatur. Obiectum autem caritatis est summum bonum. Caritas ergo est perfecta simpliciter quae in summum bonum fertur in tantum quantum diligibile est. Summum autem bonum diligibile est in infinitum, cum sit bonum infinitum. Unde nulla caritas creaturae, cum sit finita, potest esse simpliciter perfecta, sed sic perfecta dici potest sola caritas Dei, qua diligit seipsum.

Ainsi donc il faut dire que la charitй parfaite est possйdйe absolument par Dieu seul. Mais la charitй parfaite selon la nature est possйdйe par l’homme, mais pas en cette vie. Mais la charitй parfaite selon le temps aussi peut aussi кtre possйdйe en cette vie.

Pour le montrer, il faut savoir que comme l’acte et l’habitus tirent leur espиce de l’objet, il est nйcessaire que la nature de sa perfection soit prise par un mкme objet. Mais celui de la charitй est le bien suprкme. Donc la charitй est absolument parfaite, qui est portйe au bien suprкme en tant qu’il est aimable. Mais le bien suprкme peut кtre aimй а l’infini, puisqu’il est le bien infini. C'est pourquoi puisqu’aucune charitй de la crйature, comme elle est finie, ne peut кtre absolument parfaite, mais on peut dire parfaite la seule charitй de Dieu par laquelle il s’aime lui-mкme.

Sed tunc secundum naturam rationalis creaturae, caritas dicitur esse perfecta, quando rationalis creatura secundum suum posse ad Deum diligendum convertitur.

Mais alors selon la nature de la crйature raisonnable on dit que la charitй est parfaite, quant la crйature raisonnable selon son pouvoir se tourne pour aimer Dieu.

Impeditur autem homo in hac vita, ne totaliter mens eius in Deum feratur, ex tribus.

 

Primo quidem ex contraria inclinatione mentis; quando scilicet mens per peccatum conversa ad commutabile bonum sicut ad finem, avertitur ab incommutabili bono. Secundo per occupationem saecularium rerum; quia, ut dicit apostolus, I ad Cor., VII, 33 : Qui cum uxore est, sollicitus est quae sunt mundi quomodo placeat uxori, et divisus est; id est, cor eius non movetur tantum in Deum.

Mais l’homme est empкchй en cette vie, de tourner totalement son esprit vers Dieu pour trois raisons : icic

1. Premiиrement, par une inclination contraire de l’esprit ; quand l’esprit, attirй par le pйchй vers un bien changeant, comme а se fin, se dйtourne du bien immuable.

2. Deuxiиmement, par l’occupation des affaires du siиcle ; parce que comme le dit l’Apфtre (1 Co 7, 33) : « Celui qui est avec une йpouse est sollicitй par ce qui est du monde, comment lui plaire et il est divisй ». c'est-а-dire, son cњur n’est pas seulement poussй en Dieu.

Tertio vero ex infirmitate praesentis vitae, cuius necessitatibus oportet aliquatenus hominem occupari, et retrahi, ne actualiter mens feratur in Deum; dormiendo, comedendo, et alia huiusmodi faciendo, sine quibus praesens vita duci non potest : et ulterius ex ipsa corporis gravitate anima deprimitur, ne divinam lucem in sui essentia videre possit, ut ex tali visione caritas perficiatur; secundum illud apostoli, II ad Cor., V, 6 : Quamdiu sumus in corpore, peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus, et non per speciem.

3. Troisiиmement, par la faiblesse de la vie prйsente par les nйcessitйs desquelles il est nйcessaire jusqu’а un certain point que l’homme s’occupe, et se soustrait а ce que l’esprit soit portй de faзon actuelle en Dieu ; en dormant, en mangeant, et en faisant d’autres choses de ce genre ; sans lesquels la vie prйsente ne peut кtre кtre menйe ; et en plus l’вme est abattue par la lourdeur du corps, de sorte а ne pas pouvoir voir la lumiиre divine en son essence, pour parachever la charitй en une telle vision, selon cette parole de l’Apфtre (2 Co 5, 6[59]) : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur, car nous avanзons par la foi et non ‘dans une claire vision’ ».

Homo autem in hac vita potest esse sine peccato mortali avertente ipsum a Deo; et iterum potest esse sine occupatione temporalium rerum, sicut apostolus dicit, I ad Cor., c. VII, 33 : Qui sine uxore est, sollicitus est de his quae sunt domini, quomodo placeat Deo. Sed ab onere corruptibilis carnis in hac vita liber esse non potest. Unde quantum ad remotionem primorum duorum impedimentorum, caritas potest esse perfecta in hac vita; non autem quantum ad remotionem tertii impedimenti; et ideo illam perfectionem caritatis quae erit post hanc vitam, nullus in hac vita habere potest, nisi sit viator et comprehensor simul; quod est proprium Christi.

Mais l’homme en cette vie peut exister sans pйchй mortel qui le dйtourne de Dieu, et а nouveau il peut exister sans s’occuper de ce qui est temporel, comme l’Apфtre le dit, (1 Co 7, 33) : « Celui qui est sans йpouse, est sollicitй par ce qui concerne le Seigneur : comment plaire а Dieu ». Mais par le poids de la chair corruptible en cette vie il n’est pas possible d’кtre libre. C'est pourquoi si on s’йcarte des deux premiers empкchements, la charitй peut кtre parfaite en cette vie ; mais pas si on s’йcarte du troisiиme, et c'est pourquoi cette perfection de la charitй qui existera aprиs cette vie, personne ne peut la possйder en cette vie, а moins qu’il ne soit cheminant et comprйhenseur[60] en mкme temps, ce qui est le propre du Christ.

 

Solutions :

[66308] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dicitur, Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, intelligitur esse praeceptum, secundum quod totalitas excludit omne illud quod impedit perfectam Dei inhaesionem; et hoc non est praeceptum, sed finis praecepti : indicatur enim nobis per hoc non quid faciendum sit, sed potius quo tendendum sit, ut dicit Augustinus.

1. Ce qui est dit que : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cњur », est compris comme un prйcepte selon que la totalitй exclut tout ce qui empкche une adhйsion parfaite а Dieu ; et ce n’est pas un prйcepte, mais son but; car il nous est indiquй par cela non ce qui doit кtre fait, mais plutфt ce а quoi il faut tendre, comme le dit Augustin.

[66309] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diligere meliora tanto plus quanto eorum bonitas exigit, sic non potest homo, sicut non potest perfectam caritatem habere, ut dictum est.

2. Aimer les choses les meilleures d’autant plus que leur bontй l’exige, l’homme ne le peut pas, de mкme qu’il ne peut pas avoir une charitй parfaite comme il a йtй dit.

[66310] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hoc ipso quod est facere unum amantem cum amato, multiplex gradus inveniri potest. Tunc vero perfecte mens nostra erit unum cum Deo, quando semper actualiter feretur in ipsum; quod non est possibile in hac vita.

3. Dans le fait d’unir l’amant а l’aimй, on peut trouver de nombreux degrйs. Mais alors notre esprit sera parfaitement un avec Dieu, quand toujours de maniиre actuelle il sera portй en lui, ce qui n’est pas possible en cette vie.

[66311] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perfectio quae convenit alicui rei secundum suam speciem, secundum quodcumque tempus ei convenit; sicut homo quolibet tempore et qualibet aetate est perfectus anima rationali. Unde perfectio caritatis quae est secundum quodcumque tempus, est perfectio quae competit caritati secundum eius speciem. Est autem de ratione caritatis ut Deus super omnia diligatur, et ut nullum creatum ei praeferatur in amore. Unde, cum omnis tentatio ex amore alicuius boni creati proveniat, vel ex timore mali contrarii, quod etiam ex amore derivatur; ex sua specie hoc habet caritas in quolibet statu, quod cuilibet tentationi resistere possit, ita etiam, scilicet, quod in peccatum mortale per eam homo non inducatur, non autem quod nullo modo tentatione afficiatur : hoc enim pertinet ad perfectionem patriae.

4. La perfection, qui convient а une chose selon son espиce, lui convient selon n’importe quel temps ; de mкme que l’homme en n’importe quel temps et en n’importe quel вge est parfait par son вme douйe de raison. C'est pourquoi la perfection de la charitй qui concerne n’importe quel temps, est une perfection qui convient а la charitй selon son espиce. C’est aussi de la nature de la charitй que Dieu soit aimй par dessus tout, et qu’aucune crйature ne lui soit prйfйrйe en amour. C'est pourquoi comme tout tentation provient de l’amour d’un bien crйй, ou de la crainte d’un mal contraire, ce qui est aussi se dйtourner de l’amour, par sa nature la charitй possиde en n’importe quel йtat, de pouvoir rйsister а n’importe quelle tentation, de sorte aussi que l’homme ne soit pas amenй par elle au pйchй mortel mais pas qu’il ne soit affectй par la tentation en aucune maniиre, car cela convient а la perfection de la patrie.

[66312] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eodem modo Deus in patria et totaliter videbitur et totaliter diligetur; secundum, scilicet, quod ly totaliter se tenet ex parte diligentis et videntis; quia, scilicet, totum posse creaturae applicabitur ad videndum et diligendum Deum. Similiter etiam potest intelligi, quod Deus totaliter videbitur et diligetur, quia non est aliqua pars eius quae non videatur et diligatur, cum ipse non sit compositus, sed simplex. Sed tamen secundum alium intellectum non totaliter diligetur, nec totaliter videbitur; quia, scilicet, non tantum videbitur, nec tantum ab aliqua creatura diligetur, sicut visibilis est et diligibilis. Sed in vita ista nec etiam secundum primum aut secundum modum Deus totaliter videri aut diligi potest : quia nec ipse per essentiam suam videtur, nec est possibile homini, in hac vita viventi, ut absque intermissione eius affectus actualiter feratur in Deum. Sed tamen quodammodo totaliter diligitur Deus ab homine in hac vita, in quantum nihil est in affectu eius contrarium dilectioni divinae.

5. De la mкme maniиre Dieu sera vu totalement et totalement aimй dans la patrie ; selon que le totalement se tient du cфtй de celui qui aime et qui voit ; parce que tout le pouvoir de la crйature sera appliquй а voir et а aimer Dieu. De la mкme maniиre aussi on peut penser que Dieu sera vu et aimй totalement, parce qu’il n’y a aucune partie de lui qui ne soit vue et aimйe, puisque lui-mкme n’est pas composй, mais simple. Mais cependant selon un autre concept, il ne sera pas totalement aimй ni totalement vu, parce qu’il ne sera pas aussi vu ni aussi aimй par une crйature, qu’il est visible et digne d’amour. Mais en cette vie, ni selon le premier mode, ni selon le second, Dieu ne peut кtre vu ni aimй : parce qu’il n’est vu lui-mкme par son essence, et il n’est pas possible а l’homme, vivant en cette vie, que son affection se porte en Dieu sans arrкt de maniиre active. Mais cependant d’une certaine maniиre Dieu est aimй totalement par l’homme en cette vie en tant qu’il n’y a rien dans son affection de contraire а l’amour divin.

[66313] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntas est domina sui actus quantum ad hoc quod agat, non quantum ad hoc quod continue in uno actu perseveret; cum conditio huius vitae requirat ut actus et voluntas ferantur ad multa. Vel potest dici, quod voluntas est domina sui actus in his quae sunt homini connaturalia; sed perfectio caritatis, maxime quae erit in patria, est super hominem, et praecipue si consideretur homo secundum statum praesentis vitae.

6. La volontй est maоtresse de son acte pour ce qu’elle fait, non quant au fait qu’elle persiste continuellement dans un acte ; puisque la condition de cette vie requiert que l’acte et la volontй se portent а de nombreux objets. Ou bien on peut dire que la volontй est maоtresse de son acte en qui est naturel а l’homme, mais la perfection de la charitй, surtout celle qui sera dans la patrie est au-dessus de l’homme et principalement si on considиre l’homme selon l’йtat de la vie prйsente.

[66314] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliqua actio desinit esse delectabilis non solum ex parte obiecti, sed etiam ex parte agentis quod deficit in virtute agendi. Sic igitur dicendum est, quod actualiter semper ferri in Deum, delectabile est ex parte obiecti; sed ex parte in hac vita constituti non potest esse talis delectatio continua, quia contemplatio mentis humanae non est sine actione virtutis imaginativae, et aliarum virium corporalium, quas necesse est laxari diuturnitate actionis, propter corporis infirmitatem, unde impeditur delectatio; et propter hoc dicitur Eccle., XII, 12 : Frequentis meditatio, carnis est afflictio.

7. Une action cesse d’кtre agrйable non seulement du cфtй de son objet, mais aussi du cфtй de l’agent, parce qu’il dйfaille dans son pouvoir d’agir. Ainsi donc il faut dire qu’кtre actuellement portй en Dieu est agrйable, du cфtй de l’objet, mais du cфtй en cette vie ne peut кtre constituй un tel plaisir continu, parce que la contemplation de l’esprit humain n’est pas sans l’action du pouvoir de l’image, et des autres forces corporelles, qu’il est nйcessaire de relвcher dans la durйe de l’action, а cause de la faiblesse du corps, c'est pourquoi le plaisir est empкchй et а cause de cela il est dit (Eccl. 12, 12 ?) : « La mйditation de ce qui est frйquent est une affliction de la chair ».

[66315] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod perfectio caritatis non attenditur secundum augmentum quantitatis, sed secundum intensionem qualitatis; quae quidem intensio simplicitati caritatis non repugnat.

8. La perfection de la charitй n’est pas atteinte selon une augmentation de la quantitй, mais selon l’intensitй de la qualitй, qui ne s’oppose а la simplicitй de la charitй.

[66316] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod aliarum virtutum moralium obiecta sunt bona humana, quae non excedunt vires hominis; et ideo ad omnimodam earum perfectionem potest homo in hac vita pervenire. Sed obiectum caritatis est bonum increatum quod vires hominis excedit; et ideo non est ratio similis.

9. Les objets des autres vertus morales sont les biens humains, qui ne dйpassent pas les forces des hommes, et c'est pourquoi l’homme peut parvenir а leur perfection de toutes sortes de maniиres. Mais l’objet de la charitй est le bien incrйй qui dйpasse les forces de l’homme, et c'est pourquoi ce n’est pas la mкme raison.

Solutions aux objections en sens contraire :

[66317] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum est, quod sine peccato mortali aliquis esse potest in hac vita, non autem sine peccato veniali : quod quidem non repugnat perfectioni viae, sed perfectioni patriae, quae est ut semper actu feratur in Deum; peccatum autem veniale non tollit habitum caritatis, sed impedit actum eius.

1. Pour ce qui est objectй en sens contraire, il faut dire que quelqu'un peut кtre sans pйchй mortel en cette vie, mais pas sans pйchй vйniel ; ce qui ne s’oppose pas а la perfection de la voie, mais а la perfection de la patrie, qui consiste а кtre portйe toujours en acte en Dieu ; mais le pйchй vйniel n’enlиve pas l’habitus de la charitй, mais empкche son action.

[66318] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod Deum in hac vita non possumus perfecte cognoscere, ut sciamus de eo quid sit; possumus tamen cognoscere de eo quid non sit, ut Augustinus dicit [VIII de Trinit., cap. II] ; et in hoc consistit perfectio cognitionis viae. Et similiter in hac vita non possumus perfecte diligere Deum, ut semper actu in ipsum feramur; sed ita quod nunquam in contrarium eius feratur mens.

2. Nous ne pouvons pas connaоtre parfaitement Dieu en cette vie, pour savoir ce qu’il est ; cependant nous pouvons connaоtre ce qu’il n’est pas, comme Augustin le dit (la Trinitй, VIII, 2) ; et en cela consiste la perfection de la connaissance de la voie. Et de la mкme maniиre en cette vie, nous ne pouvons pas parfaitement aimer Dieu pour кtre toujours portй en acte en lui, mais de sorte que jamais l’esprit soit portй dans son contraire.

[66319] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod in hac vita non est caritas perfecta nec simpliciter, nec secundum humanam naturam : sed solum secundum tempus. Ea vero quae sic perfecta sunt, habent quo crescant, ut de pueris patet; et ideo caritas in hac vita semper habet quo crescat.

3. En cette vie la charitй n’est parfaite ni dans l’absolu, ni selon la nature humaine, mais selon le temps seulement. Ce qui est ainsi parfait a ce par quoi il s’accroоt, comme on le voit pour l’enfant, et c'est pourquoi la charitй en cette vie a toujours ce par quoi elle s’accroоt.

[66320] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod perfecta caritas foras mittit timorem servilem et initialem; non tamen timorem castum vel filialem, nec etiam timorem naturalem.

4. La charitй parfaite йloigne au-dehors la crainte servile et premiиre ; non cependant la crainte chaste ou filiale, ni aussi la crainte naturelle.

 

 

Articulus 11 : [66321] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem habendam

Article 11Tous les hommes sont-ils tenus de possйder une charitй parfaite ?

Objections :[61]

[66322] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 2 Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

[66323] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 1 Ad id enim quod est in praecepto, omnes tenentur. Sed perfectio caritatis est in praecepto; dicitur enim Deuter., VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex toto corde. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.

1. Car tous les hommes sont tenus а ce qui est dans le prйcepte. Mais la perfection de la charitй est dans le prйcepte ; car il est dit (Dt 6, 5) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cњur ». Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.

[66324] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 2 Praeterea, hoc videtur esse de perfectione caritatis, quod homo omnes actus suos referat in Deum. Sed ad hoc omnes homines tenentur; dicitur enim I ad Cor., X, 31 : Sive manducatis, sive bibitis, vel aliud quid facitis; omnia in gloriam Dei facite. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.

2. Que l’homme rapporte tous ses actes а Dieu semble concerner la perfection de la charitй. Mais tous les hommes y sont tenus ; car il est dit en 1 Co 10, 31 : « Que vous mangiez, ou que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ». Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.

[66325] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 3 Sed dicendum, quod praeceptum illud Apostoli ad hoc se extendit ut omnia habitu referantur in Deum, sed non actu.- Sed contra, praecepta legis sunt de actibus virtutum; habitus autem non cadit sub praecepto. Non ergo praeceptum Apostoli intelligitur de habituali resolutione nostrorum actuum in Deo, sed de actuali.

3. Mais il faut dire que ce prйcepte de l’Apфtre s’йtend а tout rapporter а Dieu par un habitus, mais non par un acte. — En sens contraire, les prйceptes de la loi concernent les actes des vertus, mais l’habitus ne tombe pas sous le prйcepte. Donc le prйcepte de l’Apфtre ne tient pas compte du relвchement habituel de nos actes en Dieu, mais du relвchement actuel.

[66326] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 4 Praeterea, dominus, Matth., V, 17, praecepta veteris legis adimplevit, secundum illud : Non veni solvere (legem), sed adimplere. Haec autem adimpletio est de necessitate salutis, ut patet per illud quod subditur Matth., cap. V 20 : Nisi abundaverit iustitia vestra plusquam Scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum. Ad ea autem quae sunt de necessitate salutis, omnes tenentur. Ergo et ad praedictam adimpletionem servandam. Sed praedicta adimpletio ad perfectionem pertinet; unde Dominus in fine concludit Matth., V, 48 : Estote perfecti, sicut Pater vester caelestis perfectus est. Ergo ad perfectionem caritatis omnes tenentur.

4. Le Seigneur, (Mt 5, 17) a accompli les prйceptes de la loi ancienne, selon cette parole : « Je ne suis pas venu pour abolir la loi mais pour l’accomplir ». Mais cet accomplissement concerne la nйcessitй du salut, comme on le voit par ce qui est ajoutй (Mt 5, 20) : « Si notre justice ne dйpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Tous sont tenus а ce qui concerne la nйcessitй du salut. Donc pour conserver l’accomplissement annoncй aussi. Mais celui-ci convient а la perfection, c’est pourquoi le Seigneur conclut а la fin (Mt 5, 48) : « Soyez parfaits comme votre Pиre du ciel est parfait. ». Donc nous sommes tenus а la perfection de la charitй.

[66327] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 5 Praeterea, ad consilia solum non omnes tenentur. Perfectio autem vitae aeternae, aut caritatis, non attenditur secundum consilia : datur enim consilium de paupertate, nec tamen sequitur quod qui magis est pauper, sit perfectior; datur etiam consilium de virginitate, et tamen multi virgines sunt aliis imperfectiores in caritate; et sic videtur quod perfectio caritatis non consistat in consiliis. Nullus ergo excusatur a perfectione caritatis.

5. Tous ne sont pas tenus aux conseils seulement. Mais on n’atteint pas la perfection de la vie йternelle ou de la charitй selon les conseils ; car un conseil est donnй concernant la pauvretй, et cependant il n’en dйcoule pas que celui qui est plus pauvre, soit plus parfait ; il est donnй aussi un conseil concernant la virginitй, et cependant beaucoup de vierges sont plus imparfaites que d’autres dans la charitй, et ainsi il semble que la perfection de la charitй ne consiste pas dans les conseils. Donc personne n’est dispensй de la perfection de la charitй.

[66328] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 6 Praeterea, status episcoporum est perfectior quam status religiosorum; alioquin non posset aliquis licite de statu religionis ad statum praelationis se transferre : unde et Dionysius dicit in Eccles. Hierarchia [cap. V], quod episcopi sunt perfectiores; monachi autem sunt perfectius eorum virtutibus traditi, et quod debent se sursum agere ad perfectiones quas in episcopis vident. Nec tamen episcopi tenentur ad observandum huiusmodi consilium paupertatis, et alia huiusmodi. Ergo in his non consistit perfectio caritatis.

6. L’йtat des йvкques est plus parfait que celui des religieux ; autrement quelqu’un ne pourrait pas lйgalement passer de l’йtat de religion а celui de prйlat ; c'est pourquoi Denys dit dans La Hiйrarchie ecclйsiastique, 5, que les йvкques sont plus parfaits ; mais les ermites s’adonnent plus parfaitement а leurs vertus, et ils doivent s’йlever aux perfections qu’ils voient chez les йvкques. Et cependant les йvкques ne sont pas tenus d’observer un conseil du genre de celui de la pauvretй ou autres. Donc ce n’est pas en cela que la perfection de la charitй consiste

[66329] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 7 Praeterea, Dominus apostolis multa imposuit quae sunt de perfectione vitae : ut quod non portarent duas tunicas, neque calceamenta, neque virgam, neque aliquod huiusmodi. Sed quod iniunxit apostolis, omnibus iniunxit, secundum illud Marc., XIII, 37 : Quod vobis dico, omnibus dico. Ergo omnes tenentur ad perfectionem vitae.

7. Le Seigneur a imposй aux apфtres beaucoup de prйceptes qui concernent la perfection de la vie, comme de ne pas porter deux tuniques, porter ni sandales, ni bвton, ni rien de ce genre. Mais ce qu’il a enjoint aux apфtres, il l’a enjoint а tous, selon cette parole de Marc (12, 37) : « Ce que je vous dis, je le dis а tous. » Donc tous sont tenus а la perfection de la vie.

[66330] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 8 Praeterea, quicumque habet caritatem, plus amat vitam aeternam quam vitam temporalem. Sed quilibet homo tenetur ad actum caritatis. Ergo quilibet homo tenetur ad hoc quod vitam aeternam praeeligat vitae corporali. Sed, sicut Augustinus dicit, caritas cum ad perfectionem venerit, dicit : Cupio dissolvi, et esse cum Christo. Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem.

8. Quiconque a la charitй, prйfиre la vie йternelle а la vie temporelle. Mais n’importe quel homme est tenu а l’acte de charitй. Donc n’importe quel homme est tenu prйfйrer la vie йternelle а la vie corporelle. Mais, comme Augustin le dit, quand la charitй est parvenue а sa perfection, il dit : « Je dйsire кtre dissout et кtre avec le Christ ». Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charitй parfaite.

[66331] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit, quod perfecta caritas est ut quis paratus sit pro fratribus etiam mori. Sed ad hoc omnes tenentur, dicitur enim I Ioan., III, 16 : In hoc cognoscimus caritatem Dei, quoniam ille pro nobis animam suam posuit; et nos debemus pro fratribus animas ponere. Ergo quilibet tenetur ad perfectionem caritatis.

9. Augustin dit que la charitй parfaite est que quelqu’un soit prкt а mourir aussi pour ses frиres. Mais tous y sont tenus, car il est dit en 1 Jn 3, 16 : « Nous connaissons la charitй de Dieu, parce qu’il a donnй son вme pour nous ; et nous devons donner nos вmes pour nos frиres ». Donc n’importe qui est tenu а la perfection de la charitй.

[66332] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 10 Praeterea, quilibet tenetur vitare peccatum. Sed qui est sine peccato, habet fiduciam in die iudicii : quia in hoc perfecta est caritas Dei nobiscum, ut fiduciam habeamus in die iudicii, ut dicitur I Ioan., IV, 17. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.

10. N’importe qui est tenu d’йviter le pйchй. Mais celui qui est sans pйchй, a confiance au jour du jugement : « Parce que la charitй de Dieu est parfaite en nous, pour que nous ayons confiance au jour du jugement. » comme il est dit en 1 Jn 4, 17. Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.

[66333] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 11 Praeterea, philosophus dicit in VIII Ethic. : Deo et parentibus non possumus reddere aequivalens; sed sufficit ut quilibet eis reddat quod potest. Sed perfectio caritatis in hoc consistit ut aliquis faciat pro Deo quod potest, quia nullus facit ultra posse. Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem.

11. Le philosophe dit (Йthique, VIII, 16, 1163 b 15) : « Nous ne pouvons rendre l’йquivalent а Dieu ni а nos parents ; mais il suffit que n’importe qui leur rende ce qu’il peut ». Mais la perfection de la charitй consiste en ce que quelqu'un fasse pour Dieu ce qu’il peut, parce que personne ne fait qu’il puisse aller au-delа. Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charitй parfaite.

[66334] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 12 Praeterea, religiosi profitentur perfectionem vitae. Ergo ipsi videntur teneri ad habendam perfectionem caritatis, et ad omnia quae ad perfectionem vitae pertinent.

12. Les religieux s’engagent а la perfection de la vie. Donc ils semblent кtre tenus d’avoir la perfection de la charitй, et tout ce qui convient а cette perfection.

En sens contraire :

[66335] De virtutibus, q. 2 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nullus tenetur ad id quod non est in ipso. Sed habere perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo. Non ergo potest esse in praecepto.

Nul n’est tenu а ce qui n’est pas en lui-mкme. Mais avoir le charitй parfaite ne vient pas de nous, mais de Dieu. Donc cela ne peut pas кtre dans le prйcepte.

Rйponse :

[66336] De virtutibus, q. 2 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod huius quaestionis solutio ex praemissis accipi potest.

On peut tirer la solution de cette question de ce qui a йtй dit auparavant.

Ostensum est enim supra, quod aliqua perfectio est quae ipsam speciem caritatis consequitur, utpote quae consistit in remotione cuiuslibet inclinationis in contrarium caritatis. Quaedam autem perfectio est, sine qua caritas esse potest, quae pertinet ad bene esse caritatis; quae scilicet consistit in remotione occupationum saecularium, quibus affectus humanus retardatur ne libere progrediatur in Deum. Est autem et quaedam alia perfectio caritatis, quae non est possibilis homini in hac vita, et quaedam ad quam nulla natura creata pertingere potest; ut ex supradictis apparet.

On a en effet montrй ci-dessus qu’il existe une perfection qui dйcoule de la nature de la charitй, celle qui consiste а йcarter tout penchant а ce qui est contraire а la charitй. Or il y a une perfection, sans laquelle la charitй ne peut pas exister, qui aboutit а son bien-кtre; c’est-а-dire qui consiste а s’йcarter des occupations du siиcle, qui empкchent la disposition de l’homme de progresser librement vers Dieu. Et il y a une autre perfection de la charitй qui n’est pas possible pour l’homme en cette vie, et une а laquelle aucune nature crййe ne peut parvenir, comme on le voit par ce qui a йtй dit plus haut.

Manifestum est autem, quod ad illud omnes teneri dicuntur, sine quo salutem consequi non possunt. Sine caritate autem nullus potest salutem aeternam consequi, et ea habita ad salutem aeternam pervenitur.

Il est йvident qu’on dit que tous sont tenus а ce sans quoi le salut ne peut кtre obtenu. Or sans la charitй personne ne peut obtenir le salut йternel et un fois qu’on l’a, on y parvient.

Unde ad primam perfectionem caritatis omnes tenentur sicut ad ipsam caritatem. Ad secundam vero perfectionem, sine qua caritas esse potest, homines non tenentur, cum quaelibet caritas sufficiat ad salutem. Multo etiam minus tenentur ad tertiam vel quartam perfectionem, cum nullus ad impossibile teneatur.

C'est pourquoi tous sont tenus а la premiиre perfection de la charitй comme а la charitй elle-mкme. A la seconde perfection sans laquelle la charitй ne peut exister, les hommes n’y sont pas tenus, puisque n’importe quelle charitй suffit au salut. Encore beaucoup moins sont-ils tenus а la troisiиme ou а la quatriиme perfection puisque personne n’est tenu а l’impossible.

Solutions :

[66337] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod totalitas illa, secundum quod cadit sub praecepto caritatis, pertinet ad perfectionem sine qua caritas esse non potest.

1. Cette totalitй selon qu’elle tombe sous le prйcepte de la charitй, tend а la perfection sans laquelle la charitй ne peut pas exister

[66338] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnia actu referre in Deum, non est possibile in hac vita, sicut non est possibile quod semper de Deo cogitetur; hoc enim pertinet ad perfectionem patriae. Sed quod omnia virtute referantur in Deum, hoc pertinet ad perfectionem caritatis ad quam omnes tenentur. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod, sicut in causis efficientibus virtus primae causae manet in omnibus causis sequentibus, ita etiam intentio principalis finis virtute manet in omnibus finibus secundariis; unde quicumque actu intendit aliquem finem secundarium, virtute intendit finem principalem; sicut medicus, dum colligit herbas actu, intendit conficere potionem, nihil fortassis de sanitate cogitans, virtualiter tamen intendit sanitatem, propter quam potionem dat. Sic igitur, aliquis seipsum ordinat in Deum, sicut in finem, in omnibus quae propter seipsum facit manet virtute intentio ultimi finis, qui Deus est : unde in omnibus mereri potest, si caritatem habeat. Hoc igitur modo Apostolus praecipit quod omnia in Dei gloriam referantur.

2. Rapporter tout en acte а Dieu n’est pas possible en cette vie, de mкme qu’il n’est pas possible de penser toujours а Dieu, car cela convient а la perfection de la patrie. Mais que tout soit rapportй en puissance а Dieu, cela convient а la perfection de la charitй а laquelle tous sont tenus. Pour le montrer il faut considйrer que, de mкme que dans les causes efficientes le pouvoir de la cause premiиre demeure dans toutes les causes suivantes, de mкme aussi tendre а la fin principale demeure en pouvoir dans toutes les fins secondaires ; c'est pourquoi quiconque atteint en acte une fin secondaire, atteint la fin principale ; ainsi pendant que le mйdecin est en train de ramasser des herbes, il cherche а achever la potion, peut-кtre sans penser en rien а la santй, cependant potentiellement il cherche la santй, pour laquelle il donne cette potion. Ainsi donc, quelqu'un s’ordonne lui-mкme а Dieu, comme а sa fin, dans tout ce qu’il fait pour lui, sa recherche de la fin ultime qui est Dieu, demeure en puissance : c'est pourquoi il peut mйriter en tout, s’il a la charitй. Donc de cette maniиre l’Apфtre recommande que tout soit rapportй а la gloire de Dieu.

[66339] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliud est habitualiter referre in Deum, et aliud virtualiter. Habitualiter enim refert in Deum et qui nihil agit, nec aliquid actualiter intendit, ut dormiens; sed virtualiter aliquid referre in Deum, est agentis propter finem ordinantis in Deum. Unde habitualiter referre in Deum, non cadit sub praecepto; sed virtualiter referre omnia in Deum, cadit sub praecepto caritatis : cum hoc nihil aliud sit quam habere Deum ultimum finem.

 

3. Rapporter [tout] habituellement а Dieu est diffйrent que de rapporter [tout] virtuellement. Car celui qui ne fait rien, rapporte [tout] а Dieu habituellement et il n’atteint rien en acte, comme quand il dort : mais rapporter quelque chose а Dieu virtuellement c’est le propre de l’agent qui le dispose а Dieu en vue de la fin. C’est pourquoi habituellement rapporter [tout] а Dieu ne tombe pas sous le prйcepte ; mais lui rapporter tout virtuellement tombe sous le prйcepte de la charitй : puisque ce n’est rien d’autre qu’avoir Dieu comme fin ultime.

[66340] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod dicitur, Estote perfecti etc., videtur esse referendum ad dilectionem inimicorum, quae quodammodo est de perfectione consilii, et quodammodo est de necessitate praecepti, ut supra, art. 8, expositum est.

4. Ce qui est dit : « Soyez parfaits, etc. » semble devoir кtre reportй а l’amour des ennemis, qui d’une certain maniиre concerne la perfection du conseil, et d’une autre la nйcessitй du prйcepte, comme, on l’a exposй ci-dessus, art. 8.

[66341] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod perfectio vitae aeternae in quibusdam quidem consistit principaliter et per se; in quibusdam autem secundario, et quasi per accidens. Principaliter quidem et per se consistit perfectio in his quae pertinent ad interiorem mentis dispositionem, et praecipue in actu caritatis, quae est radix omnium virtutum; secundario vero et per accidens consistit etiam in quibusdam exterioribus, ut puta in virginitate, paupertate, et huiusmodi.

5. La perfection de la vie йternelle en certains s’йtablit principalement et par soi, mais en certains secondairement, et comme par accident. La perfection s’йtablit principalement et par soi en ce qui vise а la disposition intйrieure de l’esprit, et surtout dans l’acte de charitй, qui est la racine de toutes les vertus ; mais elle s’йtablit secondairement et par accident aussi en certaines [vertus] extйrieures, comme la virginitй, la pauvretй etc.

Haec enim ad perfectionem pertinere dicuntur tripliciter.

Primo quidem, in quantum per ea subtrahuntur homini impedimenta occupationum, quibus remotis mens liberius fertur in Deum; unde et dominus cum dixisset, Matth. XIX, 21 : Si vis perfectus esse, vade, et vende omnia quae habes, et da pauperibus, consequenter adiecit : Et veni, et sequere me; ut ostenderet, quod paupertas ad perfectionem non pertineret, nisi in quantum disponit ad sequendum Christum. Quem quidem sequimur non passibus corporis, sed affectibus mentis. Similiter Apostolus, I ad Cor., VII, 34, consilium dat de non nubendo; quia quae virgo est, cogitat quae Dei sunt, quomodo placeat Deo; et eadem ratio est de aliis similibus.

Car on dit que ces vertus conviennent de trois maniиres :

a. Premiиrement en tant qu’elles enlиvent de l’homme les embarras causйs par les occupations, lesquels une fois enlevйs l’esprit est portй plus librement en Dieu : c'est pourquoi comme le Seigneur l’avait dit (Mt 19, 21) : « Si tu veux кtre parfait, va et vend tout ce que tu as et donne-le aux pauvres » en consйquence il ajoute : « Et viens et suis-moi » ; pour montrer que la pauvretй ne conviendrait а la perfection qu’en tant qu’elle dispose а suivre le Christ. Nous le suivons non pas а pas avec le corps, mais par les dispositions de l’esprit. De la mкme maniиre, l’Apфtre (1 Co 7, 34) donne le conseil de ne pas se marier ; parce que « Celle qui est vierge, pense а ce qui concerne Dieu, comment lui plaire » ; et c’est la mкme raison pour d’autres vertus semblables.

Secundo pertinent ad perfectionem, in quantum sunt quidam perfectae caritatis effectus qui enim perfecte diligit Deum, ab his se retrahit quae eum retrahere possunt ne Deo vacet.

b. Deuxiиmement, elles visent а la perfection en tant qu’elles sont des dipositions de la charitй parfaite, qui en effet aime Dieu parfaitement, et s’йloigne de ce qui peut l’empкcher de s’occuper de Dieu.

Tertio pertinent ad perfectionem poenitentiae; quia nulla satisfactio pro peccatis adaequari potest votis religionis, quibus homo se Deo consecrat, et animam per votum obedientiae, et corpus per votum continentiae, et res omnes per votum paupertatis.

 

Sic igitur in his quae principaliter et per se ad perfectionem pertinent, sequitur quod sit maior perfectio ubi haec inveniuntur magis, sicut quod perfectior est qui maioris est caritatis. In his autem quae ex consequenti et quasi per accidens, ad perfectionem pertinent, non sequitur magis simpliciter ubi magis inveniuntur. Unde non sequitur quod magis pauper sit magis perfectus; sed mensuranda est in talibus perfectio per comparationem ad illa in quibus consistit perfectio simpliciter; ut scilicet ille dicatur perfectior, cuius paupertas magis sequestrat hominem a terrenis occupationibus, et facit liberius Deo vacare.

c. Troisiиmement, elles disposent а la perfection de la pйnitence, parce qu’aucune satisfaction pour les pйchйs ne peut кtre йquivalent а des vњux de religion, par lesquels l’homme se consacre а Dieu, et [consacre] son вme par un vњu d’obйissance, son corps par un vњu de continence et toutes choses par un vњu de pauvretй.

Ainsi donc en ces vertus qui conviennent principalement et par soi а la perfection, il rйsulte que la perfection est plus grande lа oщ on les trouve davantage, de la mкme maniиre qu’est parfait celle qui est d’une plus grande charitй. Mais en ceux qui visent а la perfection, par consйquence et comme par accident, il n’y rйsulte absolument pas plus de consйquences quand lа on les trouve davantage. C'est pourquoi il ne rйsulte pas qu’un plus pauvre est plus parfait ; mais en de tels cas, la perfection doit кtre mesurйe par comparaison а ce en quoi consiste absolument la perfection ; pour dire par exemple celui-ci est plus parfait dont la pauvretй sйpare plus l’homme des occupations terrestres et le rend plus libre pour s’occuper de Dieu.

[66342] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod haec est differentia inter amicitiam honesti et delectabilis : quia in amicitia delectabilis, amicus diligitur propter delectationem; in amicitia autem honesti amicus diligitur propter seipsum, sed delectatio provenit ex consequenti. Ad perfectionem igitur amicitiae honesti pertinet ut aliquis propter amicum interdum abstineat etiam a delectatione quam in eius praesentia habet, in eius servitiis occupatus. Secundum igitur hanc amicitiam plus amat aliquem qui ab eo se absentat propter amicum, quam qui a praesentia amici discedere non vult etiam propter amicum. Sed si quis libenter vel faciliter a praesentia amici divellitur et in aliis magis delectatur, vel nihil vel parum comprobatur amicum diligere.

6. C’est la diffйrence entre l’amitiй de l’honnкte et celle de l’agrйable; parce que dans l’amitiй agrйable, l’ami est aimй pour le plaisir, mais dans l’amitiй de l’honnкte l’ami est aimй pour lui-mкme, mais le plaisir en dйcoule par consйquence. Donc pour la perfection de l’amitiй de l’honnкte il vise а ce que quelqu'un а cause de son ami parfois s’abstienne aussi du plaisir qu’il trouve en sa prйsence, dans ses occupations domestiques. Donc selon cette amitiй il aime plus quelqu'un qui s’йloigne de lui а cause de son ami que celui qui ne veut pas se sйparer de la prйsence de l’ami aussi а cause de lui. Mais si quelqu'un se dйtache volontiers ou facilement de la prйsence de son ami et se dйlecte plus en d’autres, aimer un ami n’est prouvй en rien ou en bien peu.

 Hos igitur tres gradus considerare possumus in caritate. Deus autem maxime propter seipsum est diligendus. Sunt enim quidam qui libenter, vel sine magna molestia, separantur a vacatione divinae contemplationis, ut terrenis negotiis implicentur, et in his vel nihil vel modicum caritatis apparet. Quidam verum in tantum delectantur in vacatione divinae contemplationis, quod eam deserere nolunt, etiam ut divinis obsequiis mancipentur ad salutem proximorum. Quidam vero ad tantum culmen caritatis ascendunt, quod etiam divinam contemplationem, licet in ea maxime delectentur, praetermittunt, ut Deo serviant in salutem proximorum; et haec perfectio in Paulo apparet, qui dicebat Rom., IX, 3 : Optabam ego ipse anathema, id est separatus, esse a Christo pro fratribus meis;- et ad Philipp., I, 23-24 : Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo; permanere autem in carne necessarium propter vos. Et haec perfectio est proprie praelatorum, et praedicatorum, et quorumcumque aliorum, qui procurandae saluti aliorum insistunt; unde significantur per Angelos in scala Iacob ascendentes quidem per contemplationem, descendentes vero per sollicitudinem quam de salute proximorum gerunt. Nec derogare potest perfectioni status praelatorum, quod aliqui statu praelatorum abutuntur quaerentes praelationem propter temporalia bona, quasi dulcedine contemplationis non allecti; sicut nec incredulitas multorum, fidem Dei evacuat, ut dicitur Rom., III.

Donc nous pouvons considйrer ces trois degrйs dans la charitй. Mais Dieu surtout doit кtre aimй а cause de lui-mкme. Car il y en a certains, qui librement ou sans grand embarras s’abstiennent de laisser libre court а la contemplation divine, pour s’impliquer dans des affaires terrestres, et en eux ou rien ou peu de charitй n’apparaоt. Mais certains dans la mesure oщ ils sont charmйs dans ce libre cours de la contemplation divine, qu’ils ne veulent pas abandonner, s’abandonnent aux complaisances divines pour le salut de leurs proches. Mais certains montent а un tel sommet de charitй, que bien qu’ils en soient tout а fait charmйs, ils l’abandonnent pour se consacrer au salut de leurs proches ; et cette perfection apparaоt chez Paul, qui disait (Rm 9, 3) : « Je souhaiterais кtre moi-mкme anathиme », c'est-а-dire sйparй, « sйparй du Christ pour mes frиres » et aux Ph 1, 23-24 : « Ayant le dйsir d’кtre dissout, et d’кtre avec le Christ, mais demeurer dans ma chair est nйcessaire а cause de vous ». Et cette perfection est particuliиrement celle des prйlats, et des prйdicateurs et de certains autres, qui s’attachent а procurer le salut aux autres ; c'est pourquoi ils sont reprйsentйs par les anges qui montent sur l’йchelle de Jacob par la contemplation, mais descendent par la sollicitude qu’ils portent au salut de leurs proches. Et l’йtat des prйlats ne peut pas dйroger а la perfection parce que certains abusent de l’йtat de prйlat prйfйrant les biens temporels, comme non attirйs par le douceur de la contemplation ; de mкme que non plus l’incrйdulitй de beaucoup n’anйantit pas la foi en Dieu, comme il est dit en Rm 3.

[66343] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in doctrina evangelica quaedam dicta sunt apostolis in persona omnium fidelium, ea scilicet quae pertinent ad necessitatem salutis; unde et Marc., XIII, 37, dicit : Quod vobis dico, omnibus dico : Vigilate; nam in vigilantia ibi intelligitur sollicitudo quam homo debet habere, ne imparatus inveniatur a Christo. Quaedam vero dicuntur apostolis quae pertinent ad perfectionem vitae, et ad praelati officium; et ad hoc extendi non potest, Quod vobis dico, omnibus dico.

Sciendum tamen, quod illa quae dixit Dominus discipulis Luc., IX, 3 : Nihil in via tuleritis etc., secundum quod Augustinus exponit in Lib. de consen. Evangelist., non pertinent ad perfectionem vitae, sed ad potestatem dignitatis apostolicae, per quam poterant, nihil secum ferentes, vivere de his quae ministrabantur ab his quibus Evangelium praedicabant : unde ibidem dicitur, quod dignus est operarius mercede sua, vel cibo suo, unde nec praeceptum fuit, nec consilium, sed concessio. Et propter hoc Paulus, qui secum necessaria deferebat, non utens hac concessione, supererogabat, quasi propriis stipendiis militans, ut patet I ad Cor., IX 7.

7. Dans la doctrine йvangйlique, certaines (paroles) ont йtй dites aux apфtres dans la personne de tous les fidиles, ce qui convient а la nйcessitй du salut : c'est pourquoi Marc dit (13, 37) : « Ce que je vous dis, je le dis а tous : Veillez » ; car dans la vigilance ici on pense la sollicitude que l’homme doit avoir, pour ne pas кtre trouvй par le Christ sans кtre prйparй. Mais certaines (paroles) sont dites aux apфtres qui appartiennent а la perfection de la vie et au devoir du prйlat ; et on ne peut pas l’йtendre а cela : « Ce que je vous dis, je le dis а tous ».

Cependant il faut savoir que ces paroles que le Seigneur a dites aux disciples, Luc (9, 3) : « N’emportez rien pour le chemin », etc. selon ce qu’Augustin expose dans (L’accord des Йvangйlistes), ne vise pas а la perfection de la vie, mais а la puissance de la dignitй apostolique, par laquelle, ils ne pourrons, en emportant rien avec eux, vivre de ce que leur servait ceux auxquels ils annonзaient l’Йvangile ; c'est pourquoi il est dit lа mкme que « Celui qui travaille est digne de sa rйcompense, ou de sa nourriture », c'est pourquoi cela n’a pas йtй un prйcepte, ni un conseil, mais une concession. Et а cause de cela Paul qui portait avec lui son nйcessaire, sans utiliser cette concession donnait en sus se servant pour ainsi dire de son propre salaire, comme on le voit en 1 Co 9, 7[62].

[66344] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in homine sunt duo affectus; unus caritatis, quo anima desiderat esse cum Christo; alius autem naturalis, quo anima refugit separationem a corpore, qui adeo est homini naturalis, quod nec etiam Petro senectus abstulit, ut Augustinus dicit super Ioan. Ex coniunctione ergo horum duorum affectuum vellet anima sic coniungi Deo, quod non separaretur a corpore; secundum illud Apostoli, II ad Corinth., V, 4 : Nolumus expoliari, sed supervestiri; ut absorbeatur quod mortale est a vita. Sed quia hoc est impossibile (quamdiu enim sumus in corpore, peregrinamur a Domino [ut ibidem 6, subditur]; insurgit quaedam contrarietas inter praedictos affectus, et quanto caritas est perfectior, tanto sensibilius affectus caritatis vincit affectum naturae; et hoc ad perfectionem caritatis pertinet. Unde et Apostolus ibidem subdit : Audemus autem, et bonam voluntatem habemus, magis peregrinari a corpore; et praesentes esse ad dominum.

8. Dans l’homme il y a deux dispositions de l’вme : l’une de la charitй, par laquelle elle dйsire кtre avec le Christ, l’autre, naturelle par laquelle elle fuit la sйparation du corps, qui est si naturelle а l’homme, que la vieillesse ne l’a pas enlevйe а Pierre, comme Augustin le dit (Sur Jn). Donc par l’union de ces deux dispositions, l’вme voudrait кtre unie а Dieu, sans se sйparer du corps, selon cette parole de l’Apфtre (2 Co 5, 4) : « Nous ne voulons pas nous dйvкtir mais nous revкtir par dessus ; afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie ». Mais parce que cela est impossible : (« En effet tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur », comme c’est ajoutй au verset 6) ; il se lиve une contrariйtй entre les dispositions dont on a parlй, et plus la charitй est parfaite, plus la disposition sensible de la charitй vainc celle de la nature. C'est pourquoi l’Apфtre а ce mкme endroit ajoute : « Mais nous avons de l’audace, et nous avons de la bonne volontй, plus de quitter ce corps, et demeurer auprиs du Seigneur » (verset 8).

Sed in his in quibus est caritas imperfecta, si tantum affectus caritatis vincat, ex repugnantia tamen naturalis affectus redditur insensibilis victoria caritatis. Quod ergo aperte et indubitanter, sive audacter, Apostolus dicit : cupio dissolvi, et esse cum Christo, hoc perfectae caritatis est; sed quod qualitercumque, licet insensibiliter, praeferat anima fruitionem Dei unioni corporis, est de necessitate caritatis.

Mais en ce en quoi la charitй est imparfaite, si seulement la disposition de la charitй est vainqueur, cependant par la rйpugnance de la disposition naturelle, la victoire de la charitй est rendue insensible. Donc ce que l’Apфtre dit ouvertement et sans aucun doute, ou mкme avec audace : « Je dйsire кtre dissout, et кtre avec le Christ », cela est d’une parfaite charitй ; mais que de quelque maniиre, bien qu’insensiblement, l’вme prйfиre la fruition de Dieu а l’union du corps, concerne la nйcessitй de la charitй.

[66345] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ponere animam, id est, vitam praesentem, pro fratribus quodammodo est de necessitate caritatis, et quodammodo est de perfectione ipsius. Plus enim homo debet diligere proximum quam corpus proprium; unde in eo casu quo aliquis tenetur procurare proximi salutem, tenetur etiam pro ipsius salute periculis corporalem vitam exponere. Sed hoc perfectae caritatis est ut etiam pro his in quibus proximo non tenetur, pro eo corporalem suam vitam periculis quis exponat.

9. Poser son вme, c'est-а-dire [donner] sa vie prйsente, pour ses frиres, concerne d’une certaine maniиre la nйcessitй de la charitй, et d’une certaine maniиre sa perfection.Car un homme doit aimer son prochain plus que son propre corps. C'est pourquoi en ce cas oщ quelqu'un est tenu de procurer la salut а son prochain, il est tenu aussi pour son propre salut d’exposer sa vie corporelle aux dangers. Mais c’est le propre d’une charitй parfaite que quelqu'un expose sa vie aux dangers pour ceux en qui on n’est pas tenu comme au prochain.

[66346] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet quilibet teneatur esse sine peccato mortali, non tamen omnium est huiusmodi rei securitatem habere; sed perfectorum, qui peccata totaliter subiugaverunt.

10. Bien que n’importe qui soit tenu d’кtre sans pйchй mortel, cependant tous ne sont pas assurйs d’une telle rйalitй; mais c’est le propre des parfaits qui ont soumis totalement les pйchйs.

[66347] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod et parentibus, et multo magis Deo, tenetur homo rependere totum quod potest; tamen secundum communem modum humanae vitae, supra quem potest aliquis aliquid erogare, ad quod tamen ex necessitate praecepti non tenetur.

11. Pour les parents et beaucoup plus pour Dieu, l’homme est tenu de payer en йchange tout ce qu’il peut, cependant selon le mode commun de la vie humaine, au-dessus duquel quelqu'un peut payer quelque chose, a quoi cependant il n’est pas tenu par la nйcessitй de prйcepte.

[66348] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod perfectionem caritatis nullus profitetur; sed profitentur aliqui statum perfectionis, qui consistit in his quae organice ordinantur ad perfectionem caritatis, ut paupertas et ieiunia; qui tamen nec ad omnia huiusmodi tenentur, sed ad illa solum quae profitentur. Unde perfectio caritatis non cadit eis sub voto, sed est eis ut finis, ad quem pervenire conantur per ea quae vovent.

12. Personne n’offre la perfection de la charitй ; mais certains offrent un йtat de perfection qui consiste en ce qui est organiquement ordonnй а la perfection de la charitй, comme la pauvretй et le jeыne ; qui cependant ne sont pas tenus а tout ce qui est de ce genre, mais seulement а ce qu’ils offrent. C'est pourquoi la perfection de la charitй ne tombe pour eux sous un vњu, mais c’est pour eux comme une fin а laquelle ils essayent de parvenir par ce qu’ils promettent par un vњu.

 

D/05/YY 

Articulus 12 : [66349] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum caritas semel habita possit amitti

Article 12La charitй, une fois acquise, peut-elle se perdre ?

Objections :[63]

[66350] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66351] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 1 Dicitur enim I Ioan., III, 9 : omnis qui natus est ex Deo, peccatum non facit, quoniam semen ipsius in eo manet; et non potest peccare, quoniam ex Deo natus est. Sed caritatem non habent nisi filii Dei; ipsa enim est quae distinguit inter filios regni et filios perditionis, ut Augustinus dicit in XV de Trinit. [cap. XVIII]. Ergo ille qui habet caritatem, non potest eam amittere peccando.

1. Car il est dit en Jn 3, 9 : « Tout homme qui est nй de Dieu ne pйche pas, puisque sa semence demeure en lui ; et il ne peut pas pйcher, puisqu’il est nй de Dieu ». Mais n’ont la charitй que les fils de Dieu, car elle est ce qui a distinguй entre les fils du royaume et les fils de la perdition, comme Augustin le dit (Trinitй, XV, 18). Donc celui qui a la charitй ne peut pas la perdre en pйchant.

[66352] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 2 Praeterea, omnis virtus quae peccando amittitur, per peccatum arescit, ut Augustinus dicit : Unctio invisibilis caritas est, quae in quocumque fuerit, radix illi erit, quae arescere non potest, et nutritur calore solis, ut non arescat. Ergo caritas per peccatum amitti non potest.

2. Toute vertu qui se perd en pйchant se dйssиche par le pйchй, comme le dit Augustin : « L’onction invisible est la charitй qui aura йtй en n’importe qui, sera une racine pour lui qui ne peut pas se dйssйcher et se nourrit de la chaleur du soleil, pour ne pas se dessйcher ». Donc la charitй ne peut pas кtre perdue.

[66353] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, in VIII de Trin., quod dilectio si non est vera, dilectio dicenda non est. Sed, sicut Augustinus dicit in epistola ad Iulianum comitem, caritas quae deleri potest, nunquam vera fuit. Ergo neque caritas fuit. Qui igitur habet caritatem, non potest eam peccando deserere.

3. Augustin dit (la Trinitй, VIII) que si l’amour n’est pas vrai, il ne faut pas l’appeler amour. Mais Augustin le dit dans sa lettre au Comte Julien, la charitй qui peut кtre dйtruite, n’a jamais йtй vraie. Donc la charitй non plus n’a pas existй. Celui donc qui a la charitй ne peut pas la perdre en pйchant.

[66354] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 4 Praeterea, Prosper dicit in Lib. de contemplatione : caritas est recta voluntas Deo inseparabiliter iuncta, inquinationis extranea, corruptionis nescia, nulli vitio mutabilitatis obnoxia; cum qua nec potuit aliquis peccare, nec poterit. Ergo caritas semel habita, per peccatum amitti non potest.

4. Prosper (d’Aquitaine) dit dans le Livre de la contemplation : « La charitй est une volontй droite, unie insйparablement а Dieu, йtrangиre а la souillure, ignorant la corruption, liйe а aucun dйfaut d’inconstance ; avec laquelle personne n’a pas pu pйcher ni ne le pourra ». Donc la charitй, une fois possйdйe ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66355] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 5 Praeterea, Gregorius dicit in quadam hom., quod amor Dei magna operatur, si est. Sed nullus magna operando amittit caritatem. Ergo si caritas inest, amitti non potest.

5. Grйgoire dit dans une homйlie[64] que l’amour de Dieu opиre de grandes choses s’il existe. Mais personne ne perd la charitй en opйrant de grandes choses. Donc si la charitй est en lui, elle ne peut pas кtre perdue.

[66356] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 6 Praeterea, plus homo per caritatem amat Deum quam per naturalem amorem amet seipsum. Sed amor sui ipsius nunquam amittitur per peccatum. Ergo nec etiam caritas.

6. L’homme aime Dieu par charitй plus que par l’amour naturel dont il s’aime lui-mкme. Mais l’amour de soi ne se perd jamais par pйchй. Donc la charitй non plus.

[66357] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 7 Praeterea, liberum arbitrium non inclinatur in peccatum nisi per aliquod motivum ad peccandum. Motivum autem ad omnia peccata est amor sui, qui, ut Augustinus dicit, in XIV de civit. Dei, [cap. ult.] facit civitatem Babylonis. Sed hunc caritas excludit; quia, sicut Dionysius dicit [IV cap. de divin Nomin.] : Est extasim faciens divinus amor, non sinens sui ipsorum amantes esse. Similiter etiam radix omnium malorum ponitur cupiditas, ut apostolus dicit I ad Timoth., cap. VI. Sed hunc etiam caritas excludit, ut Augustinus dicit in l. LXXXIII quaestionum[quaest. 36). Ergo ille qui habet caritatem, non potest peccando eam amittere.

7. Le libre arbitre n’incline au pйchй que par un motif qui y pousse. Et le motif de tous les pйchйs est l’amour de soi, qui, comme Augustin le dit, (La citй de Dieu, XIV, 28) constitue la citй de Babylone. Mais la charitй l’exclut ; parce que, comme Denys le dit (Les Noms divins, IV, § 13 712A) : «L’amour divin est extatique, sans permettre ceux qui s’aiment eux-mкmes. » De la mкme maniиre aussi, la cupiditй est placйe comme la racine de tous les maux, comme l’Apфtre le dit (1 Tm 6). Mais la charitй l’exclut aussi, comme Augustin le dit dans les 83 questions (q. 36). Donc celui qui a la charitй ne peut pas la perdre en pйchant.

[66358] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 8 Praeterea, quicumque habet caritatem, spiritu Dei ducitur, secundum illud Galat. V, v. 18 : Si spiritu ducimini, non estis sub lege. Sed Spiritus sanctus, cum sit infinitae virtutis, non potest in sua actione deficere. Ergo videtur quod homo habens caritatem peccare non possit.

8. Quiconque a la charitй, est conduit par l’esprit de Dieu, selon ce verset de Gal. 5, 18 : « Si vous кtes conduits par l’esprit, vous n’кtes pas sous la loi ». Mais comme l’Esprit saint est d’une puissance infinie, il ne peut pas dйfaillir dans son action. Donc il semble que celui qui a la charitй ne pourrait pas pйcher.

[66359] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 9 Praeterea, contra nullum habitum cuius esse est in operari, contingit peccare; dicit enim philosophus in VII Ethic., quod non peccatur contra scientiam in actu, sed contra scientiam in habitu. Sed caritas semper consistit in operari : dicit enim Gregorius in quadam homil., quod amor Dei nunquam est otiosus. Ergo contra caritatem aliquis peccare non potest, ut sic per peccatum possit amitti.

9. Il arrive qu’on ne pиche contre aucun habitus dont l’кtre concerne une opйration ; car le philosophe dit (Йthique, VII, 3, 1145 b 22), on ne pиche pas contre la science en acte, mais contre la science en habitus. Mais la charitй consiste toujours а opйrer : car Grйgoire dit en une homйlie, que l’amour de Dieu n’est jamais oisif. Donc personne ne peut pйcher contre la charitй de sorte qu’elle puisse кtre perdue par ce pйchй.

[66360] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 10 Praeterea, si aliquis caritatem amittit, aut amittit eam dum habet, aut dum non habet. Sed dum habet, non amittit eam per peccatum, quia simul esset peccatum cum caritate. Neque etiam amittit eam cum non habet, quia quod non habet, amitti non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti.

10. Si quelqu'un perd la charitй, ou bien il la perd pendant qu’il l’a, ou pendant qu’il ne l’a pas. Mais pendant qu’il l’a, il ne la perd pas par le pйcher parce que le pйchй coexisterait avec la charitй. Il ne la perd quand il ne l’a pas, parce qu’il peut pas perdre ce qu’il n’a pas. Donc la charitй ne peut кtre perdue en aucune maniиre.

[66361] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 11 Praeterea, caritas accidens est quoddam in anima. Accidens autem quatuor modis potest deficere. Uno quidem modo per corruptionem subiecti; sed per hunc modum caritas deficere non potest; cum anima humana, quae est subiectum eius, sit incorruptibilis. Secundo deficit aliquod accidens per defectum causae, sicut lumen deficit ab aere per absentiam solis; sed hoc modo caritas deficere non potest, quia causa eius est indeficiens, scilicet Deus. Tertio modo deficit accidens aliquod deficiente obiecto; sicut paternitas deficit per mortem filii : sed nec hoc modo deficit caritas, quia eius obiectum est bonum aeternum, quod est Deus. Quarto modo deficit aliquod accidens per actionem contrarii agentis, sicut frigiditas aquae deficit per actionem caloris : sed nec hoc modo caritas deficere potest, cum sit fortior peccato, quod videtur in contrarium agere : secundum illud Cantic., VIII, 6 : Fortis est ut mors dilectio; et iterum : aquae quae multae non possunt extinguere caritatem. Ergo caritas nullo modo potest deficere in habente eam.

11. La charitй est un accident dans l’вme. Mais l’accident peut faire dйfaut de quatre maniиres. d’une premiиre maniиre par la corruption du sujet ; mais de cette maniиre la charitй ne peut pas faire dйfaut; puisque l’вme humaine qui est son substrat est incorruptible. D’une deuxiиme maniиre un accident fait dйfaut par dйfaillance de la cause, de mкme que la lumiиre disparaоt de l’air par absence de soleil ; mais de cette maniиre la charitй ne peut pas se perdre, parce que la cause, c'est-а-dire Dieu, est sans dйfaillance. D’une troisiиme maniиre un accident faire dйfaut par dйfaillance de l’objet, comme la paternitй faire dйfaut par la mort de l’enfant, mais la charitй ne fait pas dйfaut de cette maniиre, parce que son objet est le bien йternel, qui est Dieu. D’une quatriиme maniиre, un accident fait dйfaut par l’action d’un agent contraire, comme le froid de l’eau faire dйfaut par l’action de la chaleur ; mais de cette maniиre la charitй ne peut pas faire dйfaut, puisqu’elle est plus forte que le pйchй, qui semble agir dans le contraire ; selon cette parole du Ct 8, 6 : « L’amour est fort comme la mort » ; et en plus : « Les eaux nombreuses ne peuvent йteindre la charitй ». Donc la charitй ne peut se perdre d’aucune maniиre en celui qui la possиde.

[66362] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 12 Praeterea, peccatum est malum quoddam rationalis naturae. Sed malum non agit nisi virtute boni, ut dicit Dionysius, IV cap. de divin. Nomin — Bonum autem non contrariatur bono, ut dicitur in Praedicamentis; et ita non potest ipsum corrumpere, cum unumquodque corrumpatur a suo contrario. Caritas ergo per peccatum non potest corrumpi.

12. Le pйchй est un mal de la nature raisonnable. Mais le mal n’agit que dans le pouvoir du bien, comme le dit Denys, (Les noms divins, 4). Et le bien ne s’oppose pas au bien, comme il est dit dans les Catйgories ; et ainsi il ne peut pas le corrompre, puisque chaque chose est corrompue par son contraire. Donc la charitй ne peut pas кtre corrompue par le pйchй.

[66363] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 13 Praeterea, si caritas a peccato corrumpitur; aut a peccato existente, aut a non existente. Sed non a peccato existente; quia sic peccatum mortale simul esset cum caritate. Neque iterum a peccato non existente; quia non ens agere non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti per peccatum.

13. Si la charitй est corrompue par le pйchй, ou c’est par un pйchй qui existe ou par un pйchй qui n’existe pas ; parce qu’ainsi le pйchй mortel coexisterait avec la charitй. Ni non plus par un pйchй qui n’existe pas ; parce que le non йtant ne peut pas agir. Donc la charitй en aucune maniиre ne peut кtre perdue par le pйchй.

[66364] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 14 Praeterea, si caritas per peccatum amittitur; aut caritas et peccatum sunt in eodem instanti in anima, aut in alio. Sed non in eodem, quia tunc simul essent : neque iterum in alio et alio, quia oporteret quod esset tempus medium in quo homo neque peccatum neque caritatem haberet, quod est inconveniens. Non ergo potest caritas per peccatum amitti.

14. La charitй est perdue par le pйchй, ou bien la charitй et le pйchй sont dans un mкme instant dans l’вme ou dans un autre instant. Mais ce n’est pas dans le mкme, parce qu’alors ils seraient ensemble ; et de plus par dans l’un et l’autre, parce qu’il serait nйcessaire que ce soit un temps intermйdiaire en lequel l’homme n’aurait ni pйchй, ni charitй, ce qui ne convient pas. Donc la charitй ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66365] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 15 Praeterea, Magister dicit, 31 dist. III Lib. Sentent., quod perfecta caritas per peccatum amitti non potest.

15. le Maоtre dit, (III sent. d. 31,) que la charitй parfaite ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66366] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 16 Praeterea, sicut se habet intellectus ad cognitionem veri, ita et voluntas ad amorem boni. Sed intellectus cognoscendo quodcumque verum, cognoscit primam veritatem. Ergo amando quodcumque bonum, amat summam bonitatem. Sed nunquam peccat qui amat, nisi convertendo se per amorem ad bonum commutabile. Ergo in omni peccato homo amat summam bonitatem, cuius amor est caritas. Numquam igitur caritas per peccatum amitti potest.

16. Comme l’intellect se comporte vis-а-vis de la connaissance de la vйritй, de la mкme maniиre la volontй se comporte vis-а-vis de l’amour du bien. Mais l’intellect en connaissant quelque chose de vrai, connaоt la vйritй premiиre. Donc en aimant quelque bien, il aime la bontй suprкme. Mais celui qui aime ne pиche jamais sinon en se dйtournant par amour vers un bien changeant. Donc dans tout pйchй, l’homme aime la bontй suprкme, dont l’amour est la charitй. Jamais donc la charitй ne peut кtre perdue par le pйchй.

[66367] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut in genere causae efficientis est agens universale et proprium, ita et in genere causae finalis. Sed agens proprium semper agit in virtute universalis agentis. Ergo finis proprius semper movet voluntatem in virtute finis ultimi. Sed finis ultimus est Deus; et sic idem quod prius.

17. Dans le genre de la cause efficiente il y a l’agent universel et l’agent particulier, il en est de mкme dans le genre de la cause finale. Mais l’agent particulier agit toujours dans le pouvoir de l’agent universel. Donc la fin particuliиre meut toujours la volontй dans le pouvoir de la fin ultime. Mais la fin ultime est Dieu, et ainsi de mкme que plus haut.

[66368] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 18 Praeterea, caritas est signum quod aliquis sit verus Christi discipulus, secundum illud Ioan., XIII, 35 : In hoc cognoscent omnes quia mei estis discipuli, si dilectionem habueritis ad invicem. Sed non est Christi verus discipulus qui non semper est eius discipulus unde Augustinus [tract. XXVII in Ioan. VI, 67] exponens illud Ioan., VI : Multi ex discipulis eius abierunt retrorsum, dicit, quod illi non fuerunt Christi veri discipuli; et dominus dicit, Ioan. VIII, 31 : Si manseritis in sermone meo, veri discipuli mei eritis. Ergo ille qui non permanet in caritate nunquam habuit caritatem.

18. La charitй est le signe que quelqu'un est vrai disciple du Christ, selon cette parole de Jn 13, 35 : « En cela tous reconnaitront que vous кtes mes disciples, si vous avez de l’amour entre vous ». Mais n’est pas vйritable disciple du Christ celui qui n’est pas toujours son disciple c'est pourquoi Augustin, exposant cette parole de Jn 6 : « Beaucoup de ses disciples d’en allиrent » , dit que ceux-lа ne furent pas de vrais disciples et le Seigneur dit (Jn 8, 31) : « Si vous demeurez en ma parole, nous serez mes vrais disciples ». Donc celui qui ne demeure pas dans la charitй ne l’a jamais eue.

[66369] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 19 Praeterea, omnis motus est secundum exigentiam praedominantis. Sed caritas praedominatur in corde caritatem habentis, quia totum cor sibi occupat, secundum illud quod mandatur Deuter. VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Ergo motus omnis habentis caritatem est secundum caritatem; non ergo per peccatum amitti potest.

19. Tout mouvement dйpend de l’exigence de celui qui domine. Mais la charitй domine dans le cњur de celui qui la possиde, parce que tout le cњur s’occupe de lui selon ce commandement de Dt 6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cњur ». Donc tout mouvement de celui qui possиde la charitй dйpend d’elle, donc elle ne peut pas кtre perdue pas le pйchй.

 

[66370] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 20 Praeterea, differentiae diversificantes genus vel speciem non possunt convenire eidem secundum numerum. Sed corruptibile et incorruptibile diversificant genus, ut dicitur in X Metaph.[comm. 26]. Cum igitur caritas viae et patriae sit eadem numero, videtur quod sicut caritas patriae corrumpi non potest, ita nec caritas viae.

20. Les diffйrences qui diversifient le genre ou l’espиce ne peuvent pas convenir а un mкme chose en nombre. Mais le corruptible et l’incorruptible diversifient le genre, comme il est dit en Mйtaphysique X, 10, 1059 a. Donc comme la charitй de la voie et la patrie est la mкme en nombre, la charitй de la patrie ne peut pas кtre corrompue, de mкme celle de la voie non plus.

[66371] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 21 Praeterea, si caritas corrumpitur : aut corrumpitur in aliquid, aut in nihil. Sed non in aliquid; quia hoc est solum formarum quae educuntur de potentia materiae. In nihil autem corrumpi non potest : quia Deus nunquam caritatem corrumpit, qui solus potest ex aliquo facere nihil, sicut ipse solus potest facere ex nihilo aliquid : aequalis enim est utraque distantia. Ergo videtur quod caritas corrumpi non possit.

21. Si la charitй est corrompue, ou bien elle l’est en quelque chose ou en rien. Mais pas en quelque chose, parce que cela vient seulement des formes qui sont йduites de la puissance de la matiиre. Mais en rien elle ne peut кtre dйtruite : parce que Dieu ne dйtruit jamais la charitй, lui qui peut seul faire rien de quelque chose, comme il peut seul faire quelque chose de rien ; car l’une et l’autre distance sont йgales. Donc il semble que la charitй ne pourrait pas кtre corrompue.

[66372] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 22 Praeterea, illud per quod peccatum tollitur, a peccato corrumpi non potest. Sed peccatum tollitur per caritatem, secundum illud I Pet., IV, 8 : Caritas operit multitudinem peccatorum. Ergo caritas per peccatum amitti non potest.

22. Ce par quoi le pйchй est enlevй, ne peut pas кtre corrompu par lui. Mais le pйchй est enlevй par la charitй, selon cette parole de 1 P 4, 8 : « La charitй couvre de nombreux pйcheurs ». Donc la charitй ne peut pas кtre perdue par le pйchй.

[66373] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 23 Praeterea, super illud Ps. XXVI, 2 : Deum appropiant super me nocentes, ut edant carnes meas dicit Glossa Augustini : Si aufertur donum, dator vincitur. Sed Deus, qui est dator caritatis, vinci non potest. Ergo caritas non potest auferri per peccatum.

23. Sur ce Ps 26, 2 : « Les mйchants s’approchent de moi pour manger mes chairs », la glose d’Augustin dit : « Si le don est enlevй, le donneur est vaincu ». Mais Dieu qui est le donneur de la charitй, ne peut pas кtre vaincu. Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe par le pйche.

[66374] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 24 Praeterea, per caritatem anima unitur Deo ut sponsa, secundum quoddam spirituale matrimonium. Sed matrimonium carnale non potest separari per dissensum supervenientem matrimonio. Ergo caritas non potest tolli per peccatum quo mens dissentit ab iis quae sunt Dei.

24. Par la charitй l’вme s’unit а Dieu comme une йpouse, selon un certain mariage spirituel. Mais le mariage charnel ne peut pas кtre enlevйй par un dissentiment qui survient dans le mariage. Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe par le pйchй par lequel l’esprit n’est pas d’accord а ce qui est de Dieu.

En sens contraire :

[66375] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. II, v. 4 : Habeo adversus te pauca, quod caritatem tuam primam reliquisti.

1. On lit dans Ap 2, 4 : « Ce peut que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonnй ton premier amour. ».

 

[66376] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in homilia [XXX in Eang.] : in quorumdam corda venit Deus, et mansionem non facit; quia per compunctionem respectum Dei percipiunt, sed tentationis tempore sic ad perpetranda peccata redeunt, ac si haec minime planxissent. Sed Deus non venit in corda fidelium nisi per caritatem. Ergo aliquis post habitam caritatem potest eam amittere per sequens peccatum.

2 Saint Grйgoire le Grand dit dans une homйlie (Sur l’Йvangile, homйlie 30) : « Dans les coeurs de certains, Dieu vient mais n’y йtablit pas sa demeure, parce que par componction ils conзoivent du respect pour Dieu, mais au temps de la tentation ils retournent exйcuter leur pйchйs comme si ceux-ci les avaient fort peu frappйs ». Mais Dieu ne vient dans le cњur des fidиles que par charitй. Donc quelqu’un aprиs avoir possйde la charitй peut la perdre par un pйchй qui suit.

[66377] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 3 Praeterea, I Reg., XVI, dicitur de David, quod dominus erat cum eo. Sed postmodum peccavit, faciendo adulterium et homicidium. Deus autem est in homine per caritatem. Ergo post habitam caritatem aliquis potest eam amittere peccando mortaliter.

3. Au premier livre des Rois 16, 13 il est dit de David que le Seigneur йtait avec lui. Mais par la suite il pйcha en commettant un adultиre et un homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charitй. Donc aprиs avoir eu la charitй on peut la perdre en pйchant mortellement.

[66378] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 4 Praeterea, caritas est vita animae, secundum illud I Ioan. III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Sed vita naturalis potest amitti per mortem naturalem. Ergo et vita caritatis per mortem peccati mortalis.

4. La charitй est la vie de l’вme selon ce que dit 1 Jn 3, 14 : « Nous savons que nous sommes passйs de la mort а la vie parce que nous aimons nos frиres ». Mais la vie naturelle peut se perdre par la mort naturelle. Donc aussi la vie de charitй par la mort du pйchй mortel.

Rйponse :

[66379] De virtutibus, q. 2 a. 12 co. Respondeo. Dicendum, quod Magister in 17 dist., I Lib., posuit, quod caritas in nobis sit Spiritus sanctus. Non autem fuit sua intentio dicere, quod ipse actus dilectionis nostrae sit Spiritus sanctus; sed quod Spiritus sanctus movet animam nostram ad diligendum Deum et proximum, sicut etiam ad actus aliarum virtutum : sed ad actus aliarum virtutum movet animam per quosdam habitus virtutum infusarum; ad actum autem dilectionis Dei et proximi movet absque alio habitu mediante. Unde eius opinio vera fuit quidem quantum ad hoc quod posuit animam moveri a spiritu sancto ad diligendum Deum et proximum; sed imperfecta fuit quantum ad hoc, quia non posuit in nobis habitum, quid creatum, quo perficeretur voluntas humana ad huiusmodi dilectionis actum. Oportet enim huiusmodi habitum in anima poni, ut supra, art. 1 huius quaest., habitum est.

Le Maоtre (Pierre Lombard I Sent. d. 17[65]) a pensй que la charitй en nous est l’Esprit Saint. Or зa n’a pas йtй son intention de dire que notre acte d’amour soit l’Esprit Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre вme а aimer Dieu et le prochain, comme aussi pour les actes des autres vertus; mais pour les actes des autres vertus il meut l’вme par les habitus de vertus infuses ; pour les actes d’amour de Dieu et du prochain il meut sans aucun autre habitus intermйdiaire. C'est pourquoi ce qu’il a pensй a йtй vrai du fait que l’Esprit Saint incite l’вme а aimer Dieu et le prochain ; mais elle a йtй imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus, quelque chose de crйй, par lequel la volontй humaine serait accomplie en vue d’un tel acte d’amour. Il faut en effet mettre dans l’вme un tel habitus, comme on l’a vu au premier article.

 

Potest igitur quadruplex consideratio de caritate haberi.

Prima quidem ex parte Spiritus sancti moventis animam ad dilectionem Dei et proximi; et quantum ad hoc, necesse est dicere, quod motio Spiritus sancti semper est efficax secundum suam intentionem. Operatur enim in anima Spiritus sanctus dividens singulis prout vult, ut dicitur 1 Cor., XII; et ideo quibus spiritus sanctus pro suo arbitrio vult dare perseverantem divinae dilectionis motum, in his peccatum caritatem excludens esse non potest. Dico non posse ex parte virtutis motivae, quamvis possit ex parte vertibilitatis liberi arbitrii. Ista enim sunt beneficia Dei, quibus certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit in Lib. de Praedest. Sanctor. Quibusdam autem Spiritus sanctus, pro suo arbitrio, dat quidem ut ad tempus moveantur motu dilectionis in Deum, non autem dat eis ut in hoc perseverent usque in finem, ut patet per Augustinum in Lib. de Corrept. et gratia.

 On peut avoir quatre considйrations sur la charitй.

Premiиre considйration : du cфtй de l’Esprit Saint qui incite l’вme а l’amour de Dieu et а ce sujet il est nйcessaire de dire que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace selon son intention. En effet il opиre dans l’вme « distribuant а chacun comme il le veut », comme il est dit 1 Co 12, 11; et donc chez ceux auxquels selon son bon plaisir il veut donner le mouvement de persйvйrance dans la divine charitй il ne peut y avoir chez eux de pйchй excluant la charitй. Je dis que ce n’est pas possible du cфtй de la vertu qui y incite, bien que cela le soit du cфtй de la versatilitй du libre arbitre. Ce sont lа en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement libйrйs tous ceux qui sont libйrйs, comme saint Augustin le dit au Livre de la Prйdestination des saints. Or а certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir donne d’кtre mыs, pour un temps, du mouvement d’amour de Dieu mais il ne leur donne pas d’y persйvйrer jusqu’а la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de la Correction et de la Grвce.

Secunda consideratio est de caritate secundum potestatem ipsius caritatis; et quantum ad hoc, nullus habens caritatem potest peccare, quantum est ex vi ipsius caritatis, sicut neque aliquis habens aliquam formam, ex vi illius formae potest operari contra formam illam; sicut calidum ex vi calidi non potest infrigidare, vel frigidum esse; potest tamen amittere calorem et infrigidari. Et secundum hoc loquitur Augustinus in Lib. de sermone Domini in monte [lib. II, cap. XXXVII], exponens illud quod habetur Matth., VII, 18 : Non potest arbor bona fructus malos facere. Dicit enim, quod sicut potest fieri ut quod fuit nix, non sit, non autem ut nix sit calida; sic potest fieri ut qui malus fuit non sit malus, non tamen fieri potest ut malus bene faciat : et eadem ratio est de bono secundum quamcumque virtutem, quia nulla virtute aliquis male utitur.

La seconde considйration concerne la charitй du cфtй de son pouvoir et quant а cela personne n’ayant la charitй ne peut pйcher en vertu mкme de la force de la charitй, comme celui qui a une certaine forme ne peut opйrer contre elle en vertu de cette mкme forme, comme ce qui est chaud ne peut pas refroidir ou кtre froid par la force du chaud, mais il peut cependant perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’aprиs cela saint Augustin (Le sermon du Seigneur sur la montagne, II, 37) expose ce qui est dit en Mt 7, 18 : « Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits ». Il dit en effet que de mкme qu’il peut se faire que ce qui a йtй neige ne le soit plus, mais pas que la neige soit chaude, ainsi il peut se faire que celui qui fut mйchant ne le soit plus, non cependant qu’il soit fait que le mйchant fasse bien ; et c’est la mкme raison pour le bien en ce qui concerne n’importe quelle vertu, parce qu’on ne se sert mal d’aucune vertu.

Tertia consideratio est de caritate ex parte voluntatis, in quantum ei subiicitur ut materia formae. Ubi attendendum est, quod quando forma implet totam potentialitatem materiae, non potest remanere in materia potentia ad aliam formam; unde illam formam inamissibiliter habet, sicut patet de materia caelesti. Quaedam vero forma est quae non replet totam potentialitatem materiae, sed remanet potentia ad aliam formam; et tunc illa forma amissibiliter habetur ex parte materiae vel subiecti, sicut patet in formis elementarium corporum. Caritas autem implet potentialitatem sui subiecti, secundum quod suum subiectum reducit in actum dilectionis : et ideo in patria, ubi actu creatura rationalis diligit Deum ex toto corde suo, et nihil aliud diligit nisi actualiter referendo in Deum, caritas inamissibiliter habetur; in statu autem viae caritas non implet totam potentialitatem animae, quae non semper actualiter movetur in Deum, omnia in ipsum actuali intentione referens; et ideo caritas viae amissibiliter habetur, quantum est ex parte subiecti.

 La troisiиme considйration sur la charitй du cфtй de la volontй en tant que celle-ci lui est soumise comme la matiиre а la forme. Oщ il faut remarquer que quand la forme remplit toute la potentialitй de la matiиre, la puissance ne peut plus demeurer dans la matiиre pour une autre forme ; c'est pourquoi elle a cette forme sans pouvoir la perdre, comme on le voit dans la matiиre cйleste. Il y a une forme qui ne remplit pas toute la potentialitй de la matiиre, mais la puissance demeure pour une autre forme et donc cette forme est peut кtre perdue du cфtй de la matiиre ou du sujet comme on le voit dans les formes des corps йlйmentaires. Mais la charitй comble la potentialitй de son sujet qu’elle ramиne а l’acte d’amour et ainsi c’est dans la patrie oщ la crйature raisonnable aime Dieu de tout son coeur et actuellement et n’aime rien d’autre sinon qu’en le rapportant actuellement а Dieu c’est lа que la charitй est possйdйe sans pouvoir кtre perdue. Dans l’йtat de voie la charitй ne comble pas toute la potentialitй de l’вme qui n’est pas constamment poussйe en Dieu en acte, rapportant tout а lui par une intention actuelle, et ainsi la charitй de la voie est peut кtre perdue du cфtй du sujet.

Quarta consideratio est de caritate ex parte subiecti, prout comparatur specialiter ad ipsam caritatem sicut potentia ad habitum. Ubi considerandum est, quod habitus virtutis inclinat hominem ad recte agendum, secundum quod per ipsam homo habet rectam aestimationem de fine; quia, ut dicitur in III Ethic. [cap. V], qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei. Sicut enim gustus iudicat de sapore, secundum quod est affectus aliqua bona vel mala dispositione, ita id quod est conveniens homini secundum habitualem dispositionem sibi inhaerentem, bonam vel malam, aestimatur ab eo ut bonum; quod autem ab hoc discordat, aestimatur ut malum et repugnans; unde et apostolus dicit, I ad Cor., cap. II, 14, quod animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei.

 La quatriиme considйration concerne la charitй du cфtй du sujet dans la mesure oщ il est comparй spйcialement а la charitй elle-mкme, comme la puissance а l’habitus. Il faut ici considйrer que l’habitus de la vertu incline l’homme а agir avec droiture selon que par elle il a une juste estimation de la fin ; car comme il est dit (Йthiques III, 5) : « Tel est chacun et telle aussi lui semble la fin ». De mкme en effet que le goыt juge la saveur selon qu’il est affectй d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient а l’homme selon la disposition habituelle adhйrente, qui est bonne ou mauvaise, est estimй par lui comme un bien; ce qui n’est pas en accord avec cela est estimй mauvais et rйpugnant; d’oщ ce que dit l’Apфtre 1 Co 2, 14 « L’homme charnel ne perзoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ».

Contingit tamen quandoque, quod id quod videtur alicui secundum inclinationem habitus, non videatur ei secundum aliquid aliud; sicut luxurioso secundum inclinationem proprii habitus videtur bonum delectatio carnis, sed secundum rationis deliberationem, vel auctoritatem Scripturae, videtur ei contrarium; et ideo habens habitum luxuriae, ex hac aestimatione contra habitum quandoque agit, et similiter habens habitum virtutis quandoque agit contra inclinationem proprii habitus; quia aliquid ei aliter videtur secundum aliquem alium modum, puta per passionem, vel aliquam seductionem.

Il arrive parfois cependant que ce qui paraоt а quelqu’un en accord avec la tendance de l’habitus ne lui paraоt en accord а autre chose; comme au luxurieux selon la tendance de son propre habitus la tendance de la chair lui paraоt un bien, mais selon la dйlibйration de la raison ou l’autoritй de l’Ecriture elle lui paraоt contraire. Et ainsi celui qui a l’habitus de la luxure agit quelquefois selon cette estimation contre l’habitus, et de la mкme maniиre celui qui l’habitus de la vertu agit quelquefois contre la tendance de son propre habitus, parce que quelque chose d’autre lui semble d’une autre maniиre, par exemple par passion ou par une sйduction.

Tunc ergo contra habitum caritatis nullus agere poterit, quia nullus potest habere aliam aestimationem de fine et obiecto caritatis quam secundum inclinationem caritatis; hoc autem erit in patria, ubi ipsa Dei essentia videbitur, quae est ipsa essentia bonitatis. Unde sicut nunc nullus potest aliquid velle nisi sub communi ratione boni, nec bonum sub ratione boni potest non amari, ita et tunc hoc bonum, quod est Deus, nullus poterit non amare. Et propter hoc, nullus videns Deum per essentiam, potest contra caritatem agere. Et inde est quod caritas patriae est inamissibilis.

 Alors donc personne ne pourra agir contre l’habitus de la charitй parce que personne ne peut avoir une autre estimation de la fin et de l’objet de la charitй que selon la tendance de la charitй cela existera dans la patrie oщ l’essence mкme de Dieu et qui est l’essence mкme de la bontй sera vue. C'est pourquoi que de mкme que personne ne peut vouloir une chose que sous la commune raison de bien, et que le bien ne peut ne pas кtre aimй sous sa raison de bien, de mкme aussi alors ce bien qui est Dieu personne ne pourra pas ne pas l’aimer. Et а cause de cela personne voyant Dieu par son essence ne peut agir contre а la charitй. Et de lа vient que la charitй de la patrie est inamissible.

Sed nunc mens nostra non videt ipsam essentiam bonitatis divinae, sed aliquem effectum eius, qui potest videri bonus et non bonus, secundum diversas considerationes; sicut bonum spirituale aliquibus videtur non bonum, in quantum contrariatur delectationi carnali, in cuius concupiscentia sunt. Ideo caritas viae potest amitti per peccatum mortale.

Mais maintenant notre esprit ne voit pas l’essence mкme de la bontй de Dieu, mais un effet qui peut paraоtre bon ou non selon diffйrentes considйrations ; de mкme que le bien spirituel ne paraоt pas bon а certains en tant qu’il s’oppose а la dйlectation charnelle en la concupiscence duquel ils sont. Ainsi la charitй de la voie peut se perdre par le pйchй mortel.

Solutions :

[66380] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illum Ioannis est intelligendum secundum potestatem Spiritus sancti moventis animam, qui indeficienter operatur quod vult.

1. Cette parole de Jean est а penser selon le pouvoir de l’Esprit saint qui meut l’вme, qui opиre ce qu’il veut sans dйfaillance.

[66381] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de caritate secundum potestatem ipsius caritatis : de se enim habet sufficienter unde nunquam arescat; sed quod amittatur, est propter vertibilitatem subiecti, ut dictum est.

2. Augustin parle lа de charitй selon sa puissance mкme : car de soi elle a suffisamment de quoi ne jamais se dйssиcher ; mais qu’elle soit perdue est а cause de la mutabilitй du sujet, comme il a йtй dit.

[66382] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vera dilectio de sua ratione habet quod nunquam amittatur; qui enim vere diligit hominem, hoc in animo suo proponit, ut nunquam dilectionem dimittat. Sed quandoque illud propositum mutatur, et sic dilectio quae vera fuit, amittitur. Si autem hoc aliquis habuisset in proposito, ut a diligendo quandoque desisteret, vera dilectio non fuisset. Unde patet, quod caritas inamissibilis est secundum potestatem propriam; amitti tamen potest secundum potestatem subiecti vertibilis.

3. L’amour vrai de sa nature a qu’il n’est jamais perdu ; car qui aime vraiment un homme, place cela en son вme de ne jamais perdre son amour. Mais quelquefois ce dessin change, et ainsi l’amour qui a йtй vrai est changй. Et ainsi l’amour qui a йtй vrai est abandonnй. Mais si quelqu’un l’avait eu dans son dessin, pour cesser quelquefois d’aimer, l’amour vrai n’aurait pas existй. C'est pourquoi il est clair que la charitй est inamissible, selon une puissance propre, cependant elle peut кtre abandonnйe selon la puissance d’un sujet changeant (?)

[66383] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa etiam auctoritas prosperi loquitur de caritate secundum potestatem ipsius, et non secundum potestatem subiecti.

4. Cette autoritй de Prosper (d’Aquitaine) parle de la charitй selon sa puissance et non selon la puissance du sujet.

[66384] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas, dum est, habet inclinationem ad magna operandum; et hoc vult et proponit, secundum rationem suae virtutis; sed quandoque ab hoc deficit propter vertibilitatem subiecti.

5. Tant que la charitй existe, elle a une tendance а opйrer de grandes њuvres ; et elle le veut et le propose selon la nature de sa pouvoir, mais quelquefois elle fait dйfaut а cause du changement du sujet.

[66385] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum in homine sit duplex natura, scilicet intellectiva, quae principalior est, et sensitiva, quae minor est, ille vere seipsum diligit qui se amat ad bonum rationis : qui autem se amat ad bonum sensualitatis contra bonum rationis, magis se odit quam amat, proprie loquendo, secundum illud Psalm. X, 5 : Qui diligit iniquitatem, odit animam suam; et hoc etiam philosophus dicit in IX Ethic. [cap. IV]. Et secundum hoc amor verus sui ipsius amittitur per peccatum contrarium, sicut et amor Dei.

6. Comme dans l’homme il y a une double nature, а savoir intellectuelle qui plus importante et une nature sensitive, qui l’est moins, s’aime vraiment celui qui s’aime pour le bien de la raison, mais celui qu’il s’aime pour le bien de la sensualitй, contre le bien de la raison, se hait plus qu’il ne s’aime, а proprement parler, selon cette parole du Ps (10, 5) : «Qui aime l’iniquitй hait son вme ». Et cela aussi le philosophe le dit (Йthique, IX, 4, 1166 b 19). Et selon cela l’amour vrai de soi-mкme est perdu par le pйchй contraire, comme l’amour de Dieu.

[66386] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod caritas excludit omne motivum peccati secundum suum propositum : pertinet enim hoc ad rationem caritatis, ut velit non concupiscere, nec inordinate se amare. Sed quandoque accidit contrarium, propter vertibilitatem et corruptionem naturae; secundum illud Apostoli ad Roman. cap. VII, 19 : Non enim quod volo bonum, hoc ago; sed quod odi malum, id facio.

7. La charitй exclut tout motif de pйchй enson dessein ; car il appartient а la nature de la charitй, de vouloir ne pas dйsirer, ni s’aimer contre l’ordre. Mais quelquefois il arrive le contraire, а cause du changement et de la corruption de la nature ; selon cette parole de l’Apфtre (Rm 7, 19) : « Car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais ».

[66387] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamdiu aliquis sequitur motionem Spiritus sancti, non peccat; sed quando resistit, tunc peccat.

8. Aussi lontemps que quelqu’un suit la motion du Esprit saint, il ne pиche pas, mais quand il rйsiste, alors il pиche.

[66388] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod esse caritatis non semper est in operari; alioquin dormientes non haberent caritatem. Dicitur autem quod amor Dei nunquam est otiosus secundum caritatis propositum, quod ad hoc est ut totum se homo det Deo.

9. L’кtre de la charitй n’est pas toujours pour opйrer, autrement ceux qui dorment n’auraient pas la charitй. Mais on dit que l’amour de Dieu n’est jamais oisif, selon le dessein de la charitй, pour que l’homme se donne tout entier а Dieu.

[66389] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod amissio ita se habet ad rem habitam sicut corruptio ad rem existentem. Unde sicut corruptio incipit a re existente, et terminatur in eius non esse, quia eius mutatio est de esse in non esse; ita etiam amissio, cum sit etiam mutatio de habere in non habere, incipit in habere, et terminatur in non habere, et ideo principium amissionis caritatis est quando caritas habetur; finis autem quando non habetur.

10. La perte se comporte vis-а-vis de ce qu’on possиde comme la corruption vis-а-vis de ce qui existe. C'est pourquoi, de mкme que la corruption commence а ce qui existe et se termine а son non кtre, parce que son changement passe de l’кtre au non кtre, de mкme aussi comme la perte est aussi un changement de la possession а la non possession, elle commence dans le possession et se termine dans la non possession, et c'est pourquoi le commencement de la perte de la charitй est quand on a la charitй, mais la fin quand on ne l’a pas.

[66390] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas aliquo modo desinit esse in anima secundum illa quatuor. Subiectum enim caritatis quamvis sit incorruptibile secundum substantiam, fit tamen indispositum ad hanc formam per contrariam dispositionem peccati. Similiter, quamvis causa caritatis sit incorruptibilis, tamen influxio huiusmodi causae impeditur per peccatum, quod dividit inter nos et Deum. Et ex hac etiam ratione ex parte obiecti deficit caritas, in quantum voluntas se avertit a bono incommutabili. Desinit etiam per contrarium motivum ad peccandum : quod licet, simpliciter loquendo, sit debilius quam caritas, tamen in casu potest esse fortius; quando scilicet caritas in actu non operatur, et motivum peccati movet in aliquo particulari opere, sicut etiam philosophus ostendit in VII Ethic. [cap. XI], quod a passione potest vinci scientia, quamvis sit fortissima; in quantum non est in actu agens, sed in habitu ligato per passionem : et sicut scientia est fortissima in universali, passio autem in particulari operabili, ita caritas est fortissima circa finem ultimum; et motivum peccati habet fortitudinem in aliquo particulari opere.

11. La charitй d’une certaine maniиre cesse d’кtre dans l’вme selon quatre points de vue. Car bien que le sujet de la charitй soit incorruptible en substance, elle devient cependant indisponible pour cette forme par une disposition contraire du pйchй. De la mкme maniиre, bien que la cause de la charitй soit incorruptible, cependant l’йcoulement de cette cause est empкchй par le pйchй, qui nous sйpare de Dieu. Et aussi par cette raison du cфtй de l’objet la charitй fait dйfaut, en tant que la volontй se dйtourne du bien immuable. Elle cesse aussi par un motif contraire pour pйcher ; ce qui а simplement parler, bien qu’il soit plus fragile que la charitй, cependant en cette occasion, il peut кtre plus fort ; quand la charitй en acte n’opиre pas, que le mouvement du pйchй pousse а une њuvre particuliиre, comme aussi le philosophe le montre en Ethique, VII, 11, que par la passion la science peut кtre vaincue, bien qu’elle soit trиs forte ; en tant que ce n’est pas un agent en acte, mais dans un habitus liй par la passion, et de mкme que la science est trиs forte dans l’universel, la passion aussi dans ce qui peut кtre opйrй en particulier, de mкme la charitй est trиs forte pour la fin ultime, et le motif du pйchй a une force dans une њuvre particuliиre.

[66391] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod philosophus dicit, quod bonum unius virtutis non contrariatur bono alterius virtutis; et hoc intendit philosophus dicere in Praedicamentis [in postpraedic., cap. de oppositis] et in II Ethic. Sed in naturis bonum contrariatur bono; utrumque enim contrariorum est quoddam bonum naturae. Bonum ergo quod movet appetitum ad peccandum, contrariatur bono divino quod est obiectum caritatis, in quantum in eo constituitur finis. Sic enim non est possibile esse nisi unum finem ultimum : sicut et in regno, in quo non potest esse nisi unus rex, contrariatur regi qui se regem facit secundum illud Ioan., XIX, 12 : Omnis qui se regem facit, contradicit Caesari.

12. Le philosophe dit, que le bien d’une seule vertu ne s’oppose pas au bien d’une autre vertu, et le philosophe tend а le dire dans les Catйgories, les opposйs et en Ethique II. Mais dans les natures, le bien s’oppose au bien ; car l’un et l’autre des contraires est une bien de la nature. Donc le bien qui pousse l’appйtit а pйcher, est contraire au bien divin qui est l’objet de la charitй, en tant que la fin est constituйe en lui. Car ainsi il n’est possible qu’il n’y ait qu’une fin ultime : de mкme que dans un royaume, en lequel il ne peut y avoir qu’un roi, s’oppose а lui celui qui se proclame roi selon cette parole de Jn 19, 12 : « Tout homme qui se fait roi s’oppose а Cйsar »/

[66392] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod caritas non expellitur a peccato sicut ab agente, sed sicut a contrario; unde ipsa superventio peccati est expulsio caritatis, sicut adventio lucis expulsio est tenebrarum : lux enim expellit tenebras in ipso suo fieri; sed motivum ad peccatum expellit secundum quod praeexistit in apprehensione animae.

13. La charitй n’est pas chassйe par le pйchй comme par un agent, mais comme par un contraire ; c'est pourquoi la survenue du pйchй est l’expulsion de la charitй, comme l’arrivйe de la lumiиre est l’expulsion des tйnиbres : car la lumiиre chasse les tйnиbres en leur devenir, mais ce qui pousse au pйchй chasse selon ce qui prйexiste dans l’apprйhension de l’вme.

[66393] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quando homo in peccato mortali consistit, hoc quadam deliberatione rationis agitur, quia sine deliberato consensu non est peccatum mortale. Deliberatio autem quidam motus est tempore mensuratus, in cuius temporis ultimo instanti inest peccatum animae; sed ante illud ultimum instans, non est dare proximum in quo caritas insit; quia instantia non se habent consequenter, sed tempus est continuum; et ideo in toto tempore praecedenti quod terminatur ad ultimum instans, caritas inest animae, in cuius ultimo instanti post inest peccatum. Non ergo est dare ultimum instans in quo caritas insit, sed ultimum temporis, ut per philosophum patet in VIII Physic.

14. Quand un homme se trouve dans un pйchй mortel, il est poussй par cette dйlibйration de la raison, parce que sans consentement dйlibйrй, il n’y a pas de pйchй mortel. Mais le consentement est un mouvement mesurй par le temps, au dernier instant duquel il y a le pйchй de l’вme ; mais avant cette ultime instant, il ne faut pas exposer le prochain en quoi se trouve la charitй; parce que ces instants ne se comportent pas logiquement, mais le temps est continu, et ainsi dans tout le temps prйcйdant, qui se termine а l’ultime instant, la charitй est dans l’вme, en ce dernier instant aprиs il y a le pйchй. Donc il ne faut pas donner un ultime instant en lequel la charitй se trouve, mais l’ultime instant du temps, comme on le voit par le philosophe en Physique VIII.

[66394] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod si Magister intelligat de perfecta caritate, quae est caritas patriae, verum est quod inamissibilis est, rationibus supradictis. Si vero intelligatur de caritate viae quantumcumque perfecta, non est verum quod sit inamissibilis ex modo inhaerentiae ipsius ad subiectum, sed ex sola virtute motionis Spiritus sancti; et sic dicuntur confirmati quicumque fuerunt confirmati in statu viae.

15. Si le Maоtre pense а la charitй parfaite, qui est la charitй de la patrie, il est vrai qu’elle est inamissible, pour les raisons donnйes ci-dessus. Mais s’il pense а la charitй de la voie, pour autant qu’elle soit parfaite, il n’est pas vrai qu’elle soit inamissible, par le mode de son inhйrence au sujet, mais par le seul pouvoir de la motion de l’Esprit saint, et ainsi on dit que sont affermis tous ceux qui ont йtй affermis dans la statut de la voie.

[66395] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod sicut in cognitione cuiuslibet veri cognoscitur prima veritas, sicut primum exemplar in imagine, vel vestigio; ita etiam in amore cuiuslibet boni amatur summa bonitas. Sed talis amor summae bonitatis non sufficit ad rationem caritatis, sed oportet quod diligatur summum bonum prout est beatitudinis obiectum.

16. Comme dans la connaissance de quelque chose de vrai on connaоt la vйritй premiиre ; de mкme dans l’amour de quelque chose de bon on aime la bontй suprкme. Mais un tel amour de la suprкme bontй ne suffit pas а la nature de charitй, mais il est nйcessaire que soit aimй le bien suprкme dans la mesure oщ il est l’objet de la bйatitude.

[66396] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 17 Et per hoc etiam patet responsio ad decimumseptimum.

17. Et par cela apparaоt la rйponse а la dix-septiиme objection.

[66397] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut Augustinus dicit [tract. XLV In Ioan.] exponens illud Ioan., X, 27 : Oves meae vocem meam audiunt, et vocem alienorum non audiunt, est quaedam vox Christi quam nullus audit nisi sit ovis eius per praedestinationem; haec scilicet vox : Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Et per hunc modum intelligit, quod qui non permanet in sermone Christi, non est vere discipulus, quia perseverare ab eo efficaciter non didicit; potest tamen esse discipulus ad tempus quantum ad temporalem dilectionem Dei et proximi.

18. Comme Augustin le dit en exposant cette parole de Jn 10, 27 : « Mes brebis entendent ma voix, et elles n’entendent pas la voix des йtrangers », c’est une parole du Christ que quelqu'un n’entend que s’il est sa brebis par prйdestination ; telle cette parole : « Qui persйvиrera jusqu’а la fin, celui-lа sera sauvй ». Et de cette maniиre il pense que qui ne demeure pas dans la parole du Christ n’est pas vraiment un disciple, parce qu’il n’a pas appris de lui а persйvйrer efficacement ; cependant il peut кtre disciple pour un temps pour un amour temporel de Dieu et du prochain.

[66398] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod quamdiu caritas actu dominatur in homine, non movetur motu contrario, sed sequitur homo motum caritatis; et ideo summum remedium contra peccatum est ut homo redeat ad cor suum, convertens illud in Dei dilectionem. Sed quando actu homo secundum caritatem non movetur, ingeritur quandoque motus contrarius peccati.

19. Tant que la charitй domine en acte dans l’homme, elle n’est pas mue par un mouvement contraire, mais l’homme suit le mouvement de la charitй : et ainsi le remиde le meilleur contre le pйchй est que l’homme revienne а son cњur, le convertissant а l’amour de Dieu. Mais quand l’homme n’est pas mы par un acte selon la charitй, quelquefois s’introduit un mouvement contraire au pйchй.

[66399] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod corrumpi et generari vel fieri est proprium eius quod habet esse : et hoc est solum res subsistens in suo esse. Accidentia autem et formae non subsistentes, non dicuntur entia quia ipsae habeant esse, sed quia eis aliquid est. Et ideo fieri et corrumpi non proprie est accidentium et formarum, sed subiectorum; puta, cum corpus aliquod fit album hoc est albedinem fieri, sicut aliquod corpus esse album, hoc est albedinem esse. Et eadem ratio est de corruptione; et ideo corruptibile et incorruptibile non attribuuntur per se accidenti, sed substantiae. Unde nihil prohibet caritatem viae et patriae esse eamdem numero, quamvis caritas viae sit amissibilis, caritas autem patriae sit inamissibilis.

20. Кtre corrompu, engendrй ou devenir est le propre de ce qui a l’кtre, et cela est seulement la chose subsistance en son кtre. Mais on ne dit pas que les accidents et les formes non subsistantes sont des кtres, parce qu’ils ont l’кtre, mais parce qu’il y a quelque chose en eux. Et ainsi devenir et кtre corrompu ne vient pas au sens propre des accidents ou des formes, mais des sujets ; par exemple, quand un corps devient blanc, c’est devenir blancheur, de mкme que quelque corps est blanc c’est кtre blancheur. Et la mкme raison concerne la corruption ; et ainsi le corruptible et l’incorruptible ne sont pas attribuйs par soi а l’accident, mais а la substance. C'est pourquoi rien n’empкche la charitй de la voie et celle de la patrie d’кtre identique en nombre, bien que la charitй de la voie soit pйrissable, mais celle de la patrie non.

[66400] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod sicut iam dictum est, caritas, proprie loquendo, non corrumpitur, sed subiectum desinit participare caritatem; unde non proprie dicitur quod caritas corrumpatur, vel in aliquid, vel in nihil.

21. Comme on l’a dйjа dit, la charitй, а proprement parler, n’est pas corrompue, mais son sujet cesse de participer а la charitй ; c’est pour quoi on ne dit pas а proprement parler que la charitй est corrompue, ou en quelque chose ou en rien.

[66401] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod propter vertibilitatem subiecti, sicut caritas superveniens peccato destruit ipsum, ita peccatum superveniens caritati expellit ipsam; contraria enim mutuo se expellunt.

22. A cause de la versabilitй du sujet, comme la charitй qui arrive aprиs le pйchй le dйtruit, de mкme le pйchй qui arrive aprиs le pйchй, la chasse, car les contraires se chassent mutuellement.

[66402] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod si donum posset per violentiam auferri, videretur vinci donator, ad quem pertinet conservare donum ei cui dedit; sed si ille cui dedit, voluntarie abiiciat, non propter hoc videtur donator vinci, ad quem non pertinet cogere hominem ad virtutem.

23. Si un don pouvait кtre enlevй par vciolence, le donateur semblerait vaincu ; pour lequel il appartient de conserver le don а celui а qui il l’a donnй, mais si celui а qui il l’a donnй, le rejette volontairement, le donateur ne semble par vaincu pour cela, pour lequel il ne appartient pas de forcer l’homme а la vertu.

[66403] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod mulier per matrimonium amittit potestatem sui corporis; sed anima per caritatem non amittit potestatem liberi arbitrii; unde ratio non sequitur.

24. La femme par mariage perd le pouvoir de son corps, mais l’вme par charitй ne perd pas le pouvoir du libre arbitre ; c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

 

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[66404] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur

Article 13La charitй est-elle perdue par un seul pйchй mortel ?

Objections :[66]

[66405] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66406] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 1 Dicit enim Origenes I Periarch. [cap. III] : Si aliquando satietas cepit aliquem ex his qui in summo perfectoque gradu perstiterunt; non arbitror quod ad subitum quis evacuetur ac decidat; sed paulatim ac per partes eum decidere, necesse est; ita ut fieri possit interdum, ut, si brevis aliquis lapsus acciderit, et cito resipiscat, non penitus ruere videatur. Sed ille qui caritatem amittit, penitus ruit, secundum illud Apostoli, 1 Cor., XIII, 2 : Si caritatem non habeam, nihil sum. Ergo caritas non amittitur per unum peccatum mortale, quod quandoque subito fit.

1. En effet, Origиne dit (Peri archфn I, 3) : « Si quelquefois la dйgoыt prend l’un de ceux qui ont persistй dans le plus haut et le plus parfait degrй ; je ne pense pas qu’il s’affaiblisse subitement et succombe; mais il est nйcessaire qu’il succombe peu а peu et en partie; de sorte qu’il pourrait intervenir parfois, pour que, si une brиve chute йtait arrivйe, et qu’aussitфt il se reprenne, il ne semble pas se prйcipter entiиrement». Mais celui qui a perdu la charitй, s’йcroule entiиrement, selon cette parole de l’Apфtre (1 Co 13, 2) : « Si je n’ai pas la charitй, je ne suis rien. » Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel, qui quelquefois arrive subitement.

[66407] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de diligendo Deo, quod in Petro, qui negavit Christum, non fuit caritas extincta, sed sopita, et tamen, quando Christum negavit, peccavit mortaliter. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati mortalis.

2. Bernard dit dans le livre L’amour de Dieu, que, en Pierre, qui renia le Christ, la charitй n’a pas йtй йteinte, mais assoupie, et cependant quand il renia le Christ, il a pйchй mortellement. Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel.

[66408] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 3 Praeterea, Leo Papa dicit in sermone IX de passione, alloquens Petrum : Vidit in te dominus non fidem victam, non dilectionem aversam, sed constantiam fuisse turbatam : abundavit fletus, ubi non defecit affectus, et fons caritatis lavit verba formidinis. Ergo dilectio caritatis non desiit in Petro propter actum peccati mortalis.

3. Le pape Lйon [le Grand] dit dans le sermon 9 sur la Passion, en parlant de Pierre : « Le Seigneur voit en toi non une foi vaincue, non un amour dйtournй, mais que ta constance a йtй troublйe : les pleurs abondиrent, lа oщ sa disposition a faibli, et la fontaine de charitй a lavй les paroles de la peur ». Donc l’amour de charitй n’a pas manquй а Pierre а cause du pйchй mortel.

[66409] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 4 Praeterea, caritas est fortior quam virtus acquisita. Sed virtus acquisita, non corrumpitur per unum actum peccati, sicut nec generatur; dicit enim philosophus, II Ethic., [cap. I, II et IV] quod ex eisdem generatur virtus et corrumpitur. Ergo multo minus caritas amittitur per actum unius peccati mortalis.

4. La charitй est plus forte que la vertu acquise. Mais celle-ci n’est pas corrompue par une seul pйchй, de mкme qu’elle n’est pas engendrйe ; car le philosophe dit (Ethique, II, 1, 1103 b 6, 2, 1104 a 26, 4) que la vertu est engendrйe et corrompue par les mкmes causes. Donc la charitй est beaucoup moins perdue par l’acte d’un seul pйchй mortel.

[66410] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 5 Praeterea, contrarium non expellitur nisi per suum contrarium. Habitus autem caritatis non opponitur actui peccati. Sed habitus non generatur per unum actum. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati.

5. Le contraire n’est chassй que par son contraire. L’habitus de charitй n’est pas opposй au pйchй. Mais l’habitus n’est pas engendrй par un seul acte. Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй.

[66411] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 6 Praeterea, sicut fides se habet ad multa credenda, ita caritas ad multa diligenda ex caritate. Sed qui credit contra unum articulum non propter hoc amittit fidem de aliis articulis. Ergo qui peccat contra unum diligibile ex caritate, non propter hoc amittit caritatem circa alia diligibilia; et sic caritas non amittitur per unum peccatum mortale.

6. La foi se comporte vis-а-vis de nombreux articles а croire, la charitй se comporte de la mкme maniиre vis-а-vis de nombreux objets а aimer par charitй. Mais celui qui s’oppose а un seul article (de foi) ne perd pas pour cela la foi au sujet des autres articles. Donc celui qui pиche contre un seul objet digne d’кtre aimй, par charitй, ce n’est pas pour cela qu’il perd la charitй vis-а-vis des autres objets а aimer, et ainsi la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel.

En sens contraire :

[66412] De virtutibus, q. 2 a. 13 s. c. Sed contra, est quod dicitur I Ioan. III, v. 17 : qui habuerit substantiam huius mundi, et viderit fratrem suum necessitatem habentem, et clauserit viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in eo? Et sic videtur quod per peccatum omissionis aliquis caritatem amittat. Sed peccatum transgressionis non est minus quam peccatum omissionis. Ergo per quodcumque peccatum caritas tollitur.

 Saint Jean dit (I Jn 3, 17) : « Celui qui possиde les biens de ce monde et a vu son frиre dans la nйcessitй, et qui lui ferme ses entrailles, comment la charitй de Dieu demeure- t-elle en lui ? » Et il semble bien que par le pйchй d’omission on perde la charitй. Mais le pйchй de transgression n’est pas moindre que le pйchй d’omission. Donc la charitй est enlevйe par n’importe quel pйchй.

 

Rйponse :

[66413] De virtutibus, q. 2 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod absque omni dubio per quemlibet actum peccati mortalis habitus caritatis subtrahitur; non enim dicitur peccatum mortale, nisi quia per ipsum homo spiritualiter moritur, quod esse non potest praesente caritate, quae est animae vita. Similiter etiam per peccatum mortale fit homo dignus morte aeterna, secundum illud Rom. cap. VI, 23 : Stipendia peccati mors.

Sans aucun doute l’habitus de la charitй est retirй par tout pйchй mortel; en effet on ne l’appelle pйchй mortel que parce que par lui l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut pas exister si la charitй qui est la vie de l’вme est prйsente. De la mкme maniиre, aussi par le pйchй mortel, l’homme devient digne de la mort йternelle, selon cette parole de Rm 6, 23 : "Le salaire du pйchй c’est la mort."

Quicumque autem habet caritatem, habet meritum vitae aeternae : dominus enim dilectori suo promittit manifestationem sui ipsius, in quo vita aeterna consistit. Unde necesse est dicere, quod per quemlibet actum peccati mortalis homo caritatem amittit. Manifestum est enim quod in quolibet actu peccati mortalis fit aversio ab incommutabili bono, cui caritas unit; cui actus peccati mortalis opponitur.

Or quiconque a la charitй mйrite la vie йternelle ; en effet le Seigneur promet а celui qui l’aime de se manifester а lui ; ce en quoi consiste la vie йternelle. C'est pourquoi il est nйcessaire de dire que l’homme perd la charitй par n’importe quel pйchй mortel. Il est en effet йvident qu’en tout pйchй mortel se fait un dйtournement du bien incommunicable а qui unit la charitй, а qui s’oppose le pйchй mortel.

Sed quia actus non directe contrariatur habitui, sed actui, posset alicui videri quod per actum peccati mortalis impediretur quidam oppositus caritatis actus, ita tamen quod non tolleretur habitus, sicut contingit in habitibus acquisitis; non enim aliquis amittit habitum virtutis gratuitae, si contra virtutem gratuitam agat.

Sed de habitibus caritatis est aliter. Habitus enim caritatis non habet causam in subiecto, sed totaliter dependet a causa extrinseca : caritas enim infunditur in cordibus nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis, ut dicitur ad Rom. V, 5.

Mais parce que l’acte ne s’oppose pas directement а l’habitus mais а l’acte, quelqu’un pourrait y voir que par un pйchй mortel un acte opposй а la charitй est empкchй de sorte que cependant l’habitus ne soit pas enlevй comme cela arrive dans les habitus acquis ; car on ne perd pas l’habitus d’une vertu gratuite si on agit contre elle.

Mais il en va autrement des habitus de charitй. Car cet habitus n’a pas sa cause dans le sujet mais dйpend totalement d’une cause extrinsиque ; la charitй en effet est rйpandue en nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a йtй donnй (Rm 5, 5).

Non autem sic Deus causat caritatem in anima, ut sit causa eius solum quantum ad fieri, et non quantum ad conservationem ipsius, sicut aedificator est causa domus solum quantum ad fieri, unde eo subtracto adhuc remanet domus; sed Deus est causa caritatis et gratiae in anima, et quantum ad fieri, et quantum ad conservationem, sicut sol est causa luminis in aere. Et ideo, sicut statim cessaret lumen in aere, si interponeretur aliquod obstaculum; ita statim cessat habitus caritatis in anima, quando anima se avertit a Deo per peccatum. Et hoc est quod Augustinus dicit, VIII super Gen. ad litteram [cap. XII] : Non ita Deus operatur hominem iustum, id est iustificando eum, ut si abscesserit, maneat in absente quod fecit; sed potius, sicut aer praesente lumine non factus est lucidus, sed fit; sic homo Deo sibi praesente illuminatur, absente autem continuo obtenebratur.

Or Dieu ne cause pas la charitй dans l’вme de sorte а en кtre sa cause seulement pour son devenir ni pour sa conservation, de mкme que le bвtisseur est cause de la maison seulement pour son devenir, c'est pourquoi s’il disparaоt la maison demeure encore. Mais Dieu est cause de la charitй et de la grвce dans l’вme et quant au devenir et quant а sa conservation ; de mкme que le soleil est cause de la lumiиre dans l’atmosphиre. C'est pourquoi de mкme que la lumiиre cesserait aussitфt dans l’air si intervenait un obstacle, de mкme l’habitus de charitй cesse aussitфt quand l’вme se dйtourne de Dieu par le pйchй. Et c’est ce que saint Augustin dit (La Genиse au sens litteral, VIII, XII, 26) : « Ce n’est pas ainsi que Dieu opиre dans l’homme juste, (c'est-а-dire en le justifiant) de sorte que s’il s’йloigne, ce qu’il a fait demeurera en celui qui s’est йloignй; mais plutфt de mкme que l’air en prйsence de la lumiиre n’a pas йtй dotй de lumiиre mais devient lumineux, ainsi l’homme, Dieu lui йtant prйsent, est illuminй, s’il est absent aussitфt il s’obscurcit. »

Solutions :

[66414] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Origenis sic posset intelligi, quod homo qui est in statu perfecto, non subito procedit in actum peccati mortalis, sed per aliquam negligentiam praecedentem. Sed quia ipse subdit : Si aliquis brevis lapsus acciderit etc., videtur melius dicendum, quod ipse intelligit, eum penitus evacuare et decidere, qui sic decidit, ut ex malitia peccet, quod non statim a principio contingit; quia etiam, ut philosophus dicit in I Ethic. [cap. VI et IX], non est facile iusto ut opus iniustum operetur statim, sicut iniustus facit, scilicet ex electione. Amittit ergo caritatem per unum actum peccati mortalis, sed adhuc aliquae reliquiae de praecedenti perfectione remanent, dum non habet ex malitia quod caritatem amittat.

Cette parole d’Origиne peut кtre comprise ainsi : l’homme qui est dans un йtat parfait, ne procиde pas subitement а un acte de pйchй mortel, mais il le fait а la suite d’une nйgligence. Mais parce qu’il ajoute : « Si une chute brиve arrivait, etc., il semble meilleur de dire, ce qu’il pense lui-mкme, que s’affaiblit et succombe tout а fait celui qui succombe ainsi pour pйcher par malice, ce qui n’arrive pas aussitфt dиs le commencement, parce que aussi, comme le dit le philosophe (Йthique, 1, 6 et 9) il n’est pas facile а un juste d’opйrer aussitфt une њuvre injuste, comme l’homme injuste le fait, а savoir par choix. Il perd donc la charitй par un seul pйchй mortel, mais encore des restes de la perfection prйcйdante demeurent, tandis que ce n’est pas par malice qu’il perd la charitй.

[66415] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas amittitur dupliciter; uno modo directe, alio modo indirecte. Directe quidem per actualem Dei contemptum, sicut accidit in illis qui dicunt Deo, Iob XXI, 14 : Recede a nobis; scientiam viarum tuarum nolumus sicut dicitur Iob XII, 14. Alio modo indirecte; sicut non cogitans de Deo, propter aliquam passionem timoris vel concupiscentiae consentit in aliquid quod est contra Dei praeceptum, et sic per consequens caritatem amittit. Intendit ergo Bernardus dicere, quod caritas non fuit extincta in Petro per modum primum, sed amisit eam per modum secundum, et hoc nominat soporem. Et similiter sunt intelligenda verba Leonis Papae : quod patet ex hoc quod subiungit : Non tardatum est remedium ablutionis, ubi non fuit iudicium voluntatis; magis enim negatio Petri fuit extorta ex terrore, quam ipse negaverit ex iudicio deliberatae voluntatis.

2. La charitй est perdue de deux maniиres : d’une maniиre directement, d’une autre indirectement. Directement par le mйpris actuel envers Dieu, comme cela arrive а ceux qui disent а Dieu (Jb 21, 14) : « Йloigne-toi de nous, nous ne voulons pas connaоtre tes voies », comme il est en Job[67]). D’une autre maniиre, indirectement, comme celui qui ne pense pas а Dieu, parce qu’il souffre de crainte ou de concupiscence, il consent а quelque chose qui est contre le prйcepte de Dieu et ainsi par consйquence, il perd la charitй. Donc Bernard vise а dire que la charitй n’a pas йtй йteinte en Pierre de la premiиre maniиre, mais il l’a perdue de la seconde, et cela il l’appelle la torpeur. Et de la mкme maniиre les paroles du Pape Lйon sont а penser ainsi : ce qui paraоt du fait qu’il ajoute : « Le remиde de la purification n’a pas йtй retardй, lа oщ il n’y a pas eu jugement de la volontй » : car le reniement de Pierre a йtй obtenu plus par l’йpouvante, [reniement] que lui-mкme aurait niй par un jugement d’une volontй dйlibйrйe.

[66416] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.

3. Ainsi apparaоt la solution а la troisiиme objection.

[66417] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus acquisita habet causam in subiecto, et non totaliter ab extrinseco, sicut caritas; et ideo non est similis ratio.

4. La vertu acquise a une cause dans le sujet, et non totalement par l’extйrieur, comme la charitй, et c'est pourquoi ce n’est pas la mкme raison.

[66418] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in contrariis potest expelli unum contrarium, sine hoc quod alterum adveniat. Habitus autem virtutis et vitii sunt contraria mediata; unde philosophus dicit in Praedicamentis, [in postpraedic., cap. de oppositis] quod inter bonum et malum est medium; unde non oportet quod solum tunc amittat homo habitum unius virtutis, quando generatur in eo habitus contrarii vitii.

5. Dans les contraires un seul peut кtre chassй ; sans qu’il en arrive un autre. Mais l’habitus de la vertu et celui du vice sont directement contraires ; c'est pourquoi le philosophe dit dans Les catйgories, (les opposйs, 10, 12 a 10) qu’entre le bien et le mal il y a un intermйdiaire ; c'est pourquoi il n’est pas nйcessaire que l’homme perde seulement l’habitus d’une vertu, quand est engendrй en lui un habitus du vice contraire.

[66419] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod habitus respicit, per se, formalem rationem obiecti magis quam ipsum obiectum materialiter; et ideo, si formalis ratio obiecti tollatur, species habitus non manet. Formalis autem ratio obiecti in fide est veritas prima, per doctrinam Ecclesiae manifestata, sicut formalis ratio scientiae est medium demonstrationis : et ideo, sicut aliquis memorialiter tenens conclusiones geometricas, non habet geometriae scientiam, si non propter media geometriae eis assentiatur, sed habebit conclusiones illas tamquam opinatas : ita, qui tenet ea quae sunt fidei, et non assentit eis propter auctoritatem Catholicae doctrinae, non habet habitum fidei. Qui autem propter doctrinam Catholicam alicui assentit, omnibus assentit quae doctrina Catholica habet : alioquin magis credit sibi quam Ecclesiae doctrinae. Ex quo patet, quod qui deficit in uno articulo pertinaciter, non habet fidem de aliis articulis : illam dico fidem quae est habitus infusus; sed oportet quod teneat ea quae sunt fidei, quasi opinata.

6. L’habitus concerne par soi la raison formelle de l’objet plus que, matйriellement l’objet mкme ; et c’est pourquoi si on enlиve la raison formelle de l’objet, la forme de l’habitus ne demeure pas. Mais la raison formelle de l’objet dans la foi est la vйritй premiиre, manifestйe par la doctrine de l’Йglise, comme la raison formelle de la science est l’intermйdiaire de la dйmonstration : et c'est pourquoi quelqu’un qui tient en mйmoire les conclusions gйomйtriques, n’a pas la science de la gйomйtrie, si ce n’est pas а cause des intermйdiaires [de dйmonstration] de la gйomйtrie а qui il donne son assentiment, mais il aura ces conclusions comme conjecturйes : de la mкme maniиre, celui qui tient ce qui concerne la foi et n’y donne pas son assentiment а cause de l’autoritй de la doctrine catholique, n’a pas l’habitus de la foi. Mais celui qui а cause de la doctrine catholique donne son assentiment а un article la donne а tous les articles que la doctrine catholique possиde, autrement il croit plus en lui qu’а la doctrine catholique. D’oщ on voit que celui qui se dйtache avec pertinacitй d’un seul article, n’a pas la foi pour les autres : je dis que cette foi qui est un habitus infusй ; mais il est nйcessaire qu’il tienne ce qui concerne la foi comme objet de croyance.

 

 

 

Question 3 : la correction fraternelle

Traduit par Marie-Louise Evrard, sous la direction de Monsieur Raymond Berton

Prologue

[66420] De virtutibus, q. 3 pr. 1 Et primo quaeritur, utrum correctio sit in praecepto.

[66421] De virtutibus, q. 3 pr. 2 Secundo utrum ordo correctionis fraternae sit in praecepto.???,

1. La correction fraternelle est-elle dans le prйcepte ?

2. La rиgle de la correction fraternelle est-t-elle dans le prйcepte ?

 

Articulus 1 : [66422] De virtutibus, q. 3 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum fraterna correctio sit in praecepto

Article 1La correction fraternelle est-elle dans le prйcepte[68] ?

 [66423] De virtutibus, q. 3 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[69]

[66424] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 1 Praecepta enim divina non sunt sibi contraria. Sed invenitur praeceptum divinum de non arguendo peccatorem; dicitur enim Proverb. IX, 8 : Noli arguere derisorem, ne oderit te. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.

1. Les prйceptes divins, en effet, ne s’opposent pas entre eux. Mais on trouve un prйcepte divin qui dit de ne pas faire de reproches au pйcheur ; car il est dit en Pr 9, 8 : « Ne fais pas de reproche au railleur, de peur qu’il ne te haпsse[70] ! » Donc, la correction fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.

[66425] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod ibi prohibetur redargui derisor qui correctionem contemnit, et sic ex ea deterior efficitur.- Sed contra, peccatum est infirmitas animae, secundum illud Psal. VI, 3 : Miserere mei, domine, quoniam infirmus sum. Sed ille cui imponitur cura infirmi, etiam propter eius contradictionem vel contemptum non debet praetermittere : quia tunc est maius periculum quando medicinam contemnit; unde medicus furiosum satagit curare. Ergo multo magis, si homo tenetur curare fratrem delinquentem corripiendo, quantumcumque contemneret, non esset correctio praetermittenda.

2. Mais il faut dire qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur, qui mйprise la correction et par lа il devient pire. Mais en sens contraire, le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose le soin d’un faible ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son mйpris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le remиde ; c’est pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment. Donc, d’autant plus, si l’homme est tenu d’avoir soin de son frиre fautif en le rйprimendant, quelque grand que soit son mйpris, il ne faudrait pas renoncer а la correction.

[66426] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, praeceptum divinum non est praetermittendum propter alterius contemptum : veritas enim vitae non est dimittenda propter scandalum, ut per Hieronymum patet. Si igitur correctio fraterna caderet sub praecepto, non esset praetermittenda propter contemptum alterius.

3. En outre, il ne faut pas renoncer au prйcepte divin а cause du mйpris de l’autre : car la rйalitй de la vie ne doit pas кtre abandonnйe, а cause du scandale, comme on le voit chez Jйrфme. Si donc la correction fraternelle tombait sous le prйcepte, il ne faudrait pas y renoncer а cause du mйpris de l’autre.

[66427] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, non sunt facienda mala ut veniant bona, ut patet per apostolum, Rm c. III. Ergo, pari ratione, non sunt praetermittenda bona ne veniant mala. Si ergo correctio fraterna esset bonum sub praecepto cadens, non esset praetermittenda propter malum scandali, vel contemptum eius qui corrigitur.

4. En outre il ne faut pas faire le mal pour qu’il en vienne du bien, comme on le voit chez l’Apфtre (Rm 3, 8[71]). Donc, а raison йgale, il ne faut pas renoncer aux biens, afin qu’ils ne deviennent pas des maux. Si donc la correction fraternelle йtait un bien tombant sous le prйcepte, il ne faudrait pas renoncer, а cause du mal du scandale ou du mйpris de celui qui est rйprimendй.

[66428] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, in nostris operibus, quantum possumus debemus Deum imitari; secundum illud Ephes., 5, 1 : Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed Deus non praetermittit bonum, scilicet infusionem animae rationalis, quamvis sequatur inde infectio damnabilis originalis peccati. Ergo similiter homo non debet praetermittere bonum correctionis, quamvis sequatur inde contemptus vel deterioratio eius, si caderet sub praecepto.

5. En outre, dans nos њuvres, nous devons autant que nous le pouvons imiter Dieu ; selon cette parole d’Eph 5, 1 : « Soyez des imitateurs de Dieu comme des enfants trиs aimйs ». Mais Dieu ne renonce pas au bien, c’est-а-dire а infuser une вme raisonnable, bien qu’il en dйcoule la souillure funeste du pйchй originel. Donc, de la mкme maniиre, il ne faut pas que l’homme renonce au bien de la correction, encore qu’il en dйcoule du mйpris ou qu’il la supprime si elle tombait sous le prйcepte.

[66429] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dominus dicit Ezech. III, v. 19 : Si annuntiaveris impio, et ille non fuerit conversus ab impietate sua, ipse quidem in iniquitate morietur; tu autem animam tuam liberasti. Ergo non est praetermittenda correctio, etiam si ille qui corripiendus est, per correctionem non emendetur.

6. En outre, le Seigneur dit (Ez 3, 19) : « Si tu as averti l’impie et qu’il ne se soit pas converti de son impiйtй, lui-mкme mourra dans son iniquitй ; mais toi, tu auras libйrй ton вme ». Donc, il ne faut pas renoncer а la correction, mкme si celui qui doit кtre rйprimendй n’est pas corrigй.

[66430] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, utilior est correctio delinquentis quam eius punitio. Sed iudex non dimittit punire delinquentem propter hoc quod ex poena non emendatur. Ergo, etiam si correctio fraterna caderet sub praecepto, non deberet aliquis praetermittere correctionem propter contemptum vel scandalum eius qui corrigitur. Non ergo videtur quod correctio fraterna cadat sub praecepto.

7. La correction du coupable est plus utile que sa punition. Mais le juge ne renonce pas а punir le coupable, parce qu’il n’est pas purifiй par sa peine. Donc, mкme si la correction fraternelle tombait sous le prйcepte, personne ne devrait renoncer а la correction en raison du mйpris ou du scandale de celui qui est corrigй. Donc, il ne semble pas que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

[66431] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, praeceptum divinum non obligat ad impossibile. Sed corrigere omnes delinquentes est impossibile : quia stultorum infinitus est numerus, ut dicitur Eccle. I, 15. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.

8. Le prйcepte divin n’oblige pas а l’impossible. Mais corriger tous les coupables est impossible : « Parce que le nombre des sots est infini », comme il est dit (Si 22, 15). Donc la correction fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.

[66432] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 9 Sed dicendum, quod non tenetur homo corrigere nisi illos qui sibi occurrunt corrigendi. Sed contra, si correctio fraterna est in praecepto, sequitur quod ex tali praecepto homo constituatur debitor fratris, ut eum corripiat. Sed homo qui debet alicui aliquod debitum corporale, non debet expectare quod sibi occurrat, sed debet eum quaerere, ut ei reddat quod debet. Ergo multo magis, si correctio fraterna esset in praecepto, deberet homo quaerere eum quem corrigeret, et non expectare ut ei occurreret.

9. Mais il faut dire que l’homme n’est tenu de corriger que ceux qui viennent а lui pour кtre corrigй. En sens contraire, si la correction fraternelle est dans le prйcepte, il s’ensuit que, par un tel prйcepte, l’homme devient le dйbiteur de son frиre, pour le corriger. Mais l’homme qui doit а quelqu’un du bien matйriel, ne doit pas attendre qu’il vienne а sa rencontre, mais il doit aller le trouver pour lui rendre ce qu’il lui doit. Donc, d’autant plus, si la correction fraternelle йtait dans le prйcepte, l’homme devrait rechercher celui qui le corrigerait et non attendre qu’il vienne а lui.

[66433] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 10 Praeterea, si correctio fraterna esset in praecepto, ergo omissio correctionis indebita esset peccatum mortale. Hoc autem est falsum, cum talis negligentia etiam in sanctis viris interdum inveniatur : dicit enim Augustinus in I de Civit. Dei, (cap. IX) quod (2) Non solum inferiores, verum etiam qui superiorem vitae gradum tenent, ab aliorum reprehensione se abstinent propter quaedam potestatis vel cupiditatis vincula, non propter officia caritatis : (3) non itaque mihi videtur parva esse haec causa, quare cum malis flagellantur et boni. Non ergo correctio fraterna est in praecepto.

10. Si la correction fraternelle йtait dans le prйcepte, son omission indue serait un pйchй mortel. Mais c’est faux, puisque une telle nйgligence se trouve parfois mкme chez les saints : en effet, Augustin dit (La Citй de Dieu I, 9, 2-3) : « Non seulement les classes infйrieures, mais mкme ceux qui sont fidиles а un degrй de vie chrйtienne plus йlevй, s’abstiennent de reprendre les autres en raison de certains liens de pouvoir ou de dйsir, non а cause du devoir de charitй ; c’est pourquoi, il ne me semble pas que ce n’est pas une petite cause pourquoi les bons sont flagellйs avec les mйchants ». Donc la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66434] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 11 Praeterea, aliquis praeceptum transgrediens mortaliter peccat, licet non immediate contra caritatem faciat; sicut Bernardus [de dignitate Divini amoris, cap. V] dicit, quod in Petro negante Christum non fuit caritas extincta. Si ergo correctio fraterna esset in praecepto, praetermittens correctionem mortaliter peccaret, etiam si non ex contemptu hoc faceret; quasi immediate contra praeceptum agens

11. Qui transgresse un prйcepte pиche mortellement, bien qu’il n’agisse pas directement contre la charitй ; ainsi Bernard (La dignitй de l’amour divin 5) dit que, dans le cas de Pierre reniant le Christ, sa charitй ne s’est pas йteinte. Si donc la correction fraternelle йtait dans le prйcepte, celui qui renonзant а la correction pиcherait mortellement, mкme s’il ne le faisait pas par mйpris, comme agissant sans intermйdiaire contre le prйcepte.

[66435] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 12 Praeterea, omnia praecepta legis divinae ad praecepta Decalogi reducuntur. Sed correctio fraterna non cadit sub aliquo praecepto Decalogi, ut patet discurrenti per singula. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.

12. Tous les prйceptes de la Loi divine sont ramenйs а ceux du Dйcalogue. Mais la correction fraternelle ne tombe pas sous un prйcepte du Dйcalogue, comme cela apparaоt а celui qui en examine [les articles] un а un. Donc la correction fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.

[66436] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 13 Praeterea, ea quae cadunt sub praeceptis divinis, sunt efficacia ad finem consequendum. Sed admonitio fraterna non est alicui sufficiens ad emendationem eius; neque sermo admonitorius est efficax ad hoc, ut philosophus dicit in X Ethic. [cap. Ult.], et Eccle. VII, 14, dicitur : considera opera Dei, quod nemo possit corrigere quem ille despexerit. Ergo fraterna correctio non est in praecepto.

13. Ce qui tombe sous les prйceptes divins est efficace pour parvenir а la fin. Mais l’avertissement fraternel n’est pas suffisant а quelqu'un pour sa correction ; et la parole d’avertissement n’en est pas efficace pour cela comme le dit le philosophe (Ethique X, 10) et Qo 7, 13 : « Regarde les њuvres de Dieu, personne ne pourrait redresser ce qu’il a courbй ? » Donc, la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66437] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 14 Praeterea, nemo debet se intromittere de illis quae non sunt sui arbitrii. Sed si peccaverit homo in Deum, non est nostri arbitrii, ut Hieronymus dicit Super Matth. Ergo in talibus non debet homo se intromittere; et ita corripere fratrem non cadit generaliter sub praecepto.

14. Personne ne doit s’introduire dans ce qui ne concerne pas sa libre dйcision. Mais si l’homme a pйchй contre Dieu cela ne dйpend pas de notre libre dйcision, comme le dit Jйrфme dans son Commentaire sur Matthieu. Donc, l’homme ne doit pas se mкler de telles affaires ; et ainsi, reprimander son frиre, ne tombe pas en gйnйral sous le prйcepte.

[66438] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 15 Praeterea, nullus excusatur ab observantia praecepti propter peccatum. Sed homo peccator non debet alium corrigere; dicit enim Isidorus in Lib. de summo Bono, Lib. III, (cap. XXXII) quod non debet vitia aliorum corrigere qui est vitiis subiectus. Ergo admonitio fraterna non cadit sub praecepto.

15. Personne n’est dispensй de l’observance du prйcepte а cause du pйchй. Mais un homme pйcheur ne doit pas en corriger un autre ; en effet, Isidore dans le livre Du bien suprкme, III, dit que celui qui est soumis а des vices ne doit pas corriger les vices des autres. Donc, l’avertissement fraternel ne tombe pas sous le prйcepte.

[66439] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, nullus acquirit sibi damnationem ex observantia divini praecepti. Sed quidam acquirunt sibi damnationem, alios corripiendo; secundum illud Rm II, 1 : In quo alios iudicas, teipsum condemnas. Ergo correctio fraterna non est in praecepto.

16. Nul n’acquiert sa propre damnation en observant le prйcepte divin. Mais certains se damnent en rйprimandant les autres ; d’aprиs ce passage (Rm 2, 1) : « En jugeant les autres, tu te condamnes toi-mкme ». Donc, la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66440] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 17 Praeterea, nullus debet sibi usurpare quod non est sui officii, secundum illud 2 Co X, 13 : Nos autem non in immensum gloriamur, sed secundum regulam mensurae qua mensus est nobis Deus. Sed corripere delinquentes videtur esse superioris officium : quia etiam in corpore humano superiora membra movent inferiora; et in universo superiora corpora, inferiora. Ergo alii, qui non sunt praelati, non tenentur ad correctionem fraternam.

 

17. Nul ne doit se charger de ce qui n’est pas de son devoir, selon cette parole 2 Co 10, 13 : « Pour nous, nous n’irons pas nous glorifier hors mesure, mais nous prendrons comme mesure, la rиgle que Dieu a mesurй pour nous ». Mais rйprimander les pйcheurs paraоt кtre le devoir du Supйrieur ; parce que mкme dans le corps humain, les membres supйrieurs mettent en mouvement les membres infйrieurs ; et dans l’univers, les corps supйrieurs [mettent en mouvement] les corps infйrieurs. Donc, les autres, ceux qui ne sont pas des prйlats, ne sont pas tenus а la correction fraternelle.

[66441] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 18 Praeterea, illud quod debemus impendere proximis ex debito caritatis, omnibus est impendendum. Sed correctio non est omnibus impendenda : dicitur enim I ad Tm 5, v. 1 : seniorem ne increpaveris, ubi dicit Glossa : ne, indigne ferens se a minori corripi, exasperetur, unde et Dionysius Demophilum monachum reprehendit, quod sacerdotem correxerit. Non ergo correctio fraterna cadit sub debito caritatis.

18. En outre, ce que nous devons consacrer а nos proches, selon le devoir de la charitй, doit aussi кtre consacrй а tous. Mais la correction ne doit pas кtre imposйe а tous, car il est dit en 1 Tm 5, 1 : « Ne rudoie pas un vieillard » lа oщ la glose prйcise : « De peur que, supportant mal d’кtre corrigй de maniиre indigne par un plus jeune il ne soit exaspйrй », c’est ainsi que Denys reprend le moine Dйmophile qui avait corrigй un prкtre. Donc la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.

[66442] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 19 Praeterea, praecepta divina ordinantur ad caritatem et pacem, secundum illud I ad Timoth., I, 5 : Finis praecepti caritas est. Sed per correctionem fraternam frequenter perturbatur caritas et pax, secundum illud Terentii : veritas odium parit. Ergo correctio fraterna non est in praecepto.

19. En outre, les prйceptes divins sont ordonnйs а la charitй et а la paix, selon cette parole de 1 Tm 1, 5 : « La fin du prйcepte est la charitй ». Mais, la charitй et la paix sont frйquemment troublйes par la correction fraternelle, comme le dit cette parole de Tйrence : « La vйritй engendre la haine ». Donc, la correction fraternelle ne tombe pas dans le prйcepte.

En sens contraire :

[66443] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit in Lib. de Verb. Domini : Si neglexeris corrigere, peior eo factus es qui peccavit. Sed ille qui peccavit, facit contra praeceptum. Ergo ille qui negligit corrigere facit contra praeceptum; et ita correctio fraterna cadit sub praecepto.

1. Il y a ce que dit Augustin dans son livre Les paroles du Seigneur : « Si tu as nйgligй de corriger, tu deviens pire que celui qui a commis le pйchй ». Mais, celui qui a pйchй agit contre le prйcepte. Donc celui qui nйglige de corriger agit contre le prйcepte ; et ainsi la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

[66444] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII, 15, super illud : Corripe illum inter te et ipsum dicit Glossa : Ita peccat qui videns fratrem suum peccasse, tacet, sicut si peccanti non indulget. Sed ille qui peccanti non indulget, facit contra praeceptum. Ergo ille qui non corrigit, facit contra praeceptum.

2. En outre, sur cette parole de Mt 18, 15 : « Reprends-le seul а seul », la Glose dit : « De mкme que pиche celui qui voyant son frиre pйcher, se tait, de mкme s’il n’est pas indulgent envers le pйcheur ». Mais celui qui n’a pas d’indulgence pour le pйcheur agit contre le prйcepte. Donc, celui qui ne corrige pas agit contre le prйcepte.

[66445] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in impletione praecepti caritatis debemus Deo conformari, secundum illud Ephes. 5, 1 : Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed, sicut dicitur Pr. c. III, 12. Quos diligit dominus, corripit. Ergo, cum nos teneamur ex praecepto domini diligere, videtur quod ex praecepto debemus fratres corrigere.

3. Dans l’accomplissement du prйcepte de charitй, nous devons nous conformer а Dieu, selon cette parole d’Eph 5, 1 : « Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien aimйs ». Mais comme il est dit en Pr 3, 12 : « Ceux que le Seigneur aime, il les corrige ». Donc, bien que nous soyons tenus d’aimer selon le prйcepte du Seigneur, il semble que d’aprиs ce prйcepte, nous devons corriger nos frиres.

[66446] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 4 Praeterea, Eccli. XVII, 12, dicitur, quod unicuique mandavit Deus de proximo suo, curam habere. Ergo sub praecepto cadit ut homo curam apponat ad salutem proximi, corrigendo ipsum.

4. Par ailleurs (Si 17, 14), il est dit que Dieu a chargй chacun d’avoir soin de son prochain. Donc, il tombe sous le prйcepte que l’homme prenne soin du salut de son prochain en le rйprimandant.

Rйponse :

[66447] De virtutibus, q. 3 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod correctio fraterna cadit sub praecepto. Cuius ratio est, quia ex praecepto tenemur ad dilectionem proximi. Dilectio autem in se includit ut homo velit ei bonum quem diligit; hoc est enim amare aliquem, velle ei bonum, ut dicit philosophus in II Metaph. [in lib. II Rhet., cap. IX]. Et quia carere malo habet rationem boni, ut dicitur in V Ethic., inde est, quod ad rationem pertinet dilectionis, ut etiam velimus mala dilectis nostris non inesse. Voluntas autem efficax non est, nec vera, si opere non comprobetur; unde etiam ad rationem dilectionis pertinet, ut ad amicos bona operemur, et mala eorum impediamus, ut dicitur in IX Ethic. [cap. 1] Et I Ioan. III, 18, dicitur : Non diligamus verbo neque lingua, sed opere et veritate.

 

 

 

 

Triplex autem est hominis bonum, et triplex malum ei oppositum.

Est enim quoddam bonum hominis in exterioribus rebus consistens, quod est minimum bonum; et in hoc bono tenetur homo subvenire proximo per eleemosynae corporalis largitionem. Dicitur enim I Ioan. III, 17 : Qui substantiam huius mundi habuerit, et viderit fratrem suum necessitatem habere et clauserit viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in illo? Et pari ratione tenetur homo proximo auxilium ferre contra damna temporalium rerum. Unde praecipitur Deuter. XXII, 1 : Non videbis bovem et ovem fratris tui errantem, et praeteribis, sed reduces fratri tuo.

 

 

 

 

Aliud bonum hominis est bonum corporis, in quo debet etiam homo homini auxiliari, et contra contrarium malum auxilium ferre. Dicitur enim Pr. XXIV, 11 : Erue eos qui ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum, liberare ne cesses.

 

 

Tertium autem bonum est bonum virtutis, quod est bonum animae, cui contrariatur malum peccati.

Ad hoc autem bonum consequendum, vel malum vitandum, tanto magis tenetur homo ex caritate proximo auxilium ferre, quanto magis pertinet ad rationem quare aliquis ex caritate diligitur. Unde et philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. III], quod tanto magis debet homo ferre auxilium amico ad vitandum peccata quam ad vitandum damnum pecuniae, quanto virtus affinior est amicitiae. Et ideo tenetur homo ex praecepto dilectionis ut proximo auxilium ferat ad virtutem consequendam dando ei consilium et auxilium ad bene agendum, secundum illud Is., XXXV, vv. 3-4 : Confortate manus dissolutas, et genua debilia roborate, dicite : pusillanimes confortamini, et nolite timere. Et propter hoc ex praecepto dilectionis tenetur homo fratrem in peccato existentem a peccato retrahere corrigendo, secundum illud I Thess. 5, v. 14 : Corripite inquietos confortamini pusillanimes. Et hinc est quod dominus, Matth. cap. XVIII, 15, mandavit : si peccaverit in te frater tuus, corripe eum.

 

 

Sic ergo correctio fraterna cadit sub praecepto.

Sed notandum est quod per praecepta affirmativa praecipiuntur actus virtutum; per praecepta autem negativa prohibentur actus vitiorum. Illud autem quod est secundum se vitiosum et peccatum, qualitercumque fiat, est malum, quia contingit ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit in IV cap. de divinis Nomin. Et ideo, illud quod prohibetur praecepto negativo, a nullo, nec aliquo modo faciendum est. Praecepto autem affirmativo praecipitur actus virtutis, ad cuius rectitudinem multae circumstantiae concurrunt, quia bonum consurgit ex una et tota causa, sicut Dionysius dicit, IV cap. de divinis Nomin.

 

 

 

 

Unde illud quod cadit sub praecepto affirmativo, non est pro omni tempore et quolibet modo observandum, sed servatis debitis conditionibus et personarum, et locorum, et causarum, et temporum; sicut honor parentibus non est exhibendus quolibet tempore aut loco, aut quolibet modo, sed servatis debitis circumstantiis; ita etiam correctio fraterna sub praecepto cadit secundum debitas circumstantias, secundum quod est actus virtutis.

 

 

 

 

Has autem circumstantias determinare sermone, non est possibile, eo quod eorum iudicium in singularibus consistit; et pertinet ad prudentiam, vel experimento et tempore acquisitam, vel magis infusam; secundum illud I Ioan. XXI, 27 : unctio docebit vos de omnibus.

Il faut dire que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte. La raison en est que nous sommes tenus par le prйcepte а l’amour du prochain. Mais cet l’amour inclut en soi que l’homme veuille du bien а celui qu’il aime ; en effet, c’est cela aimer quelqu’un : lui vouloir du bien, comme le dit le philosophe en Mйtaphysique II (Rhйtorique 9). Et puisque le manque de mal a nature de bien, comme on le lit en Ethique V, 7, de lа, il convient а la nature de l’amour, que nous voulions qu’il n’y ait pas de mal chez ceux que nous aimons. Mais la volontй n’est ni efficace, ni vйritable, si elle n’est pas confirmйe par l’action ; c’est pourquoi, il convient а la nature de l’amour, que nous fassions du bien pour nos amis et que nous empкchions leurs maux, comme il est dit (Ethique IX, 1). Et en 1 Jn 3, 17 : « N’aimons pas seulement en paroles ni des lиvres. Mais en acte et en vйritй ».

Mais le bien de l’homme est triple et triple le mal qui lui est opposй.

1. Il y a, en effet, un certain bien de l’homme qui consiste dans ce qui lui est extйrieur, ce qui est le plus petit bien; et en ce bien, l’homme est tenu de subvenir а son prochain par les largesses d’une aumфne concrиte. En effet, on lit dans 1 Jn 2, 18 : « Celui qui aura les biens de ce monde et qui aura vu son frиre dans la nйcessitй et qui lui aura fermй ses entrailles : comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? » Et а raison йgale, l’homme est tenu de porter secours а son prochain en cas de perte des biens temporels. Ainsi est-il ordonnй en Dt 22, 1 : « Tu ne verras pas le bњuf ni la brebis de ton frиre en train de vagabonder et tu ne te dйroberas pas, mais tu les ramйneras а ton frиre ».

Un autre bien de l’homme est celui de son corps ; en quoi aussi, l’homme doit prкter assistance а un homme et lui prкter secours contre un mal contraire. On lit en effet dans Pr 24, 11 : « Dйlivre ceux qui sont conduits а la mort, ceux qui sont traоnйs au trйpas, n’aie de cesse de les libйrer.

Le troisiиme bien est celui de la vertu, qui est le bien de l’вme, а qui s’oppose le mal du pйchй.

Donc, pour atteindre ce bien ou йviter le mal, l’homme est d’autant plus tenu par la charitй de porter secours а son prochain, qu’il correspond plus а la nature par quoi on aime quelqu'un par charitй. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique IX, 3), que l’homme doit porter secours а un ami autant pour йviter le pйchй que pour йviter la perte d’argent, qu’autant que la vertu est plus proche de l’amitiй. Et c’est pourquoi, l’homme est tenu, par le prйcepte de l’amour, de porter secours а son prochain pour atteindre la vertu, en lui donnant conseil et aide pour bien agir, selon cette parole en Is 35, 3-4 : « Fortifiez les mains fatiguйes et affermissez les genoux chancelants, dites : consolez les pusillanimes et n’ayez pas peur ». Et en raison de ce prйcepte d’amour, l’homme est tenu de retirer du pйchй, en le corrigeant, son frиre qui est dans le pйchй, selon 1 Th 5, 14 : « Rйprimandez les dйsordonnйs, soutenez les faibles ». Et le Seigneur recommande en Mt 18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi, corrige-le ».

Ainsi la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

Mais il faut noter que les actes de vertu sont enseignйs par des prйceptes affirmatifs, mais les actes des vices sont йcartйs par des prйceptes nйgatifs. Donc, ce qui, en soi, est vice et pйchй, de quelque maniиre qu’il soit fait, est un mal, parce que cela arrive а partir de manquements particuliиrs, comme le dit Denys, (Les noms divins, IV). Et c’est pourquoi ce qui est interdit par un prйcepte nйgatif ne doit кtre fait par personne en aucune maniиre. Mais, l’acte de vertu est prescrit par un prйcepte positif, а la droiture duquel concourrent de nombreuses circonstances, parce que le bien surgit d’une cause unique et entiиre, comme le dit Denys, Les noms divins, IV.

C'est pourquoi, ce qui tombe sous le prйcepte affirmatif n’est pas pour tout le temps а observer de queque maniиre mais une fois prйservйes les conditions nйcessaires des personnes, des lieux, des temps et des causes ; de mкme que l’honneur dы aux parents ne doit pas кtre montrй en n’importe quel temps, en n’importe quel lieu ou de n’importe quelle maniиre, mais une fois prйservйes les circonstances qui conviennent ; ainsi, la correction fraternelle tombe sous le prйcepte, selon les circonstances qui conviennent, selon qu’il s’agit d’acte de vertu.

Mais il n’est pas possible de dйterminer ces circonstances en parole, du fait que leur jugement dйpend de cas particuliers ; et cela convient а la prudence acquise par l’expйrience et le temps, ou plutфt infuse ; 1 Jn 2, 20 : « L’onction[72] vous instruira а propos de tout. »

Solutions :

[66448] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inter alias circumstantias quae requiruntur ad actum virtutis, ista videtur esse praecipua, ut actus sit proportionatus fini quem virtus intendit. Caritas autem intendit in corrigendo delinquentem, emendationem; unde actus non esset virtuosus, si homo sic corrigeretur, ut inde efficeretur deterior : et ideo Sapiens dicit : Noli arguere derisorem. Non enim est timendum, ut Glossa [ordin. Ibid.] dicit, ne tibi derisor, cum arguitur, contumelias inferat; sed hoc potius providendum, ne tractus ad odium, inde fiat peior.

 

1. Parmi les autres circonstances, qui sont requises pour un acte de vertu, celle-ci semble la principale pour que l’acte soit proportionnй а la fin que poursuit la vertu. La charitй vise а la correction, en corrigeant le pйcheur ; c'est pourquoi l’acte ne serait pas vertueux, si l’homme йtait ainsi corrigй, de sorte qu’il en devienne pire ; et c’est pourquoi le sage dit (Pr 9, 8) : « Ne fais pas de reproches au railleur ». En effet, il ne faut pas craindre, comme le dit la Glose (glose ordinaire), que le railleur ne te porte des injures, quand on lui fait des reproches ; mais il faut plutфt veiller а ce qu’en йtant entraоnй а la haine, il ne devienne pire.

[66449] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est correctio delinquentis :

una quidem per simplicem admonitionem; et haec est fraterna quibus praesumitur quod propria voluntate admonitioni consentiant;

 

alia vero est correctio habens vim coactivam per inflictionem poenarum, ut philosophus dicit in X Ethic.[cap. ult.] ; et talis correctio pertinet ad praelatos, qui etiam contemnentes a periculo peccati studere debent ut liberent, sicut medicus furiosum studet sanare, ligando et verberando eum.

 

2. La correction du pйcheur est double :

L’une par un simple avertissement ; et cette correction est fraternelle pour ceux envers qui on prйsume qu’ils consentent а l’avertissement par leur propre volontй ; mais l’autre est la correction qui a une force coercitive par le fait d’infliger une peine, comme le dit le philosophe en Ethique X, 10 ; et une telle correction concerne les prйlats qui, doivent s’appliquer а libйrer du danger du pйchй, mкme ceux qui le mйprisent, comme le mйdecin s’attache а soigner le fou furieux, en le liant et le frappant.

[66450] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeceptum divinum non est praetermittendum propter scandalum alterius; sed ipsa correctio fraterna non cadit sub praecepto divino nisi secundum quod est emendativa fratris; ad quod requiritur ut sit sine scandalo eius, ratione iam dicta in corp. art.

3. Il ne faut pas renoncer au prйcepte divin, а cause du scandale d’un autre ; mais la correction fraternelle elle-mкme ne tombe sous le prйcepte divin, que selon qu’elle corrige un frиre ; pour cela, il est requis qu’elle soit sans scandale, pour la raison dйjа exprimйe dans le corps de l’article.

[66451] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut iam dictum est, mala sunt omnibus modis vitanda; et ideo nullo modo sunt mala facienda ad hoc quod aliqua bona proveniant. Sed bona non sunt omnibus modis facienda; et ideo interdum sunt aliqua bona intermittenda, ut aliqua magna mala vitentur. Et tamen correctio proximi non est simpliciter bonum, nisi adhibitis debitis circumstantiis, ut dictum est, in corp. art.

4. Comme il a dйjа йtй dit, il faut йviter les maux de toutes les maniиres ; et ainsi, on ne doit faire le mal en aucune maniиre pour qu’il en ressorte quelque bien. Mais les biens ne doivent pas кtre faits de toutes les maniиres ; et ainsi il faut parfois abandonner certains biens pour йviter de plus grands maux. Et cependant, la correction du prochain n’est simplement un bien, qu’employйe dans les circonstances qui conviennent, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

[66452] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalia praesupponuntur moralibus; et ideo infusio animae, quae est quoddam bonum naturae, non debuit praetermitti a Deo ad vitandum defectionem culpae; sicut nec homo debet se privare sustentamento vitae, ut vitet peccatum. Sed aliquod bonum morale debet interdum omitti ad vitandum aliud gravius malum morale.

5. Ce qui est naturel est prйsuppposй en ce qui est moral ; et ainsi l’infusion de l’вme, qui est un bien de nature, ne doit pas кtre abandonnйe par Dieu pour йviter la dйfaillance de la faute ; de mкme que l’homme ne doit pas se priver de nourriture essentielle а la vie, pour йviter le pйchй. Mais on doit parfois omettre un bien moral pour йviter un autre mal moral plus grave.

[66453] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini : Longe graviorem habent poenam Ecclesiarum praepositi, qui in Ecclesiis constituti sunt, ut non parcant obiurgando peccata; quia ad eos pertinet non solum caritativa correctio, sed etiam continua. Et ad tales dominus ibi loquitur per prophetam; unde parum ante praemittit : fili hominis, speculatorem dedi te domui Israel.

6. Il y a ce que dit Augustin dans le livre Les Paroles du Seigneur : « Ils ont un chвtiment bien trop lourd, les prйlats des Йglises, qui ont йtй placйs dans les йglises pour ne pas йpargner les pйchйs en les chвtiant ; parce que non seulement la correction caritative leur convient, mais encore la correction continue ». Et de telles personnes, le Seigneur en parle ainsi par le prophиte (Ez 3, 4) : « Fils de l’homme, je t’ai donnй comme guide а la maison d’Israлl ».

[66454] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iudex in puniendo intendit principaliter bonum commune, quod provenit multitudini ex punitione illius, etiam si ille non emendetur, secundum illud Pr. XIX, 25 : pestilente flagellato, stultus sapientior erit. Sed fraternae correctionis finis est emendatio eius qui corripitur; unde non est simile.

7. Le juge en punissant tend essentiellement au bien commun, qui parvient а la multitude par sa punition, mкme s’il ne se corrige pas, selon Pr 19, 25 : « Si on frappe le pernicieux, le sot sera plus sage. Mais le but de la correction fraternelle est l’amendement de celui qui est corrigй ; donc, ce n’est pas la mкme chose.

[66455] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., correctio fraterna cadit sub praecepto, servatis debitis circumstantiis personarum, locorum et temporum; sicut etiam et corporalis eleemosyna. Beneficia autem, spiritualia seu corporalia, sunt proximis impendenda ordine quodam : ut scilicet primo impendantur his qui magis nobis coniuncti sunt, ac si in sortem nobis eveniret eis providere; ut Augustinus dicit in Enchir. [lib. I. de Doctrina christ.,cap. XXVIII deinde providendum est aliis secundum quod opportunitas occurrit. Et sic patet quod praeceptum de correctione fraterna non obligat ad impossibile, sicut nec praeceptum de eleemosynis corporalibus dandis.

8. Comme il a йtй dit dans le corps de l’article, la charitй fraternelle tombe sous le prйcepte, une fois prйservйes les circontances dues des personnes, des lieux et des temps, comme aussi l’aumфne corporelle. Les bienfaits, spirituels et temporels, doivent кtre accordйs au prochain en un certain ordre ; et d’abord, comme en premier ils sont accordйs а ceux qui nous sont plus unis, comme s’il nous arrivait de veiller sur eux par sort, comme Augustin le dit dans l’Enchiridion (La Doctrine chrйtienne 1, 28) : ensuite, il faut veiller sur les autres selon que l’occasion se prйsente. Et ainsi, il est clair que le prйcepte de la correction fraternelle ne contraint pas а l’impossible, comme s’il nous revenait par sort de veiller sur eux le prйcepte de faire l’aumфne destinйe au corps.

 

[66456] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod, sicut Augustinus dicit in lib. de verbis Domini, admonet nos dominus noster, non negligere invicem peccata nostra; non quaerendo quid reprehendas, sed videndo quid corrigas. Unde ex praecepto correctionis fraternae non tenemur inquirere peccata aliorum, ut possimus ea corrigere, alioquin efficeremur exploratores vitae aliorum, contra illud quod dicitur Proverb. XXIV, 15 : Ne quaeras impietatem in domo iusti, et non vastes requiem eius. Nec est similis ratio de debito corporali, quia hoc est quiddam determinatum, quod debetur certae personae, et certo tempore; quod non accidit circa correctionem fraternam, ut dictum est, in corp. art.

9. Comme Augustin le dit dans son livre Des paroles du Seigneur (Sermon 16) : « Notre Seigneur nous avertit de ne pas nйgliger mutuellement nos pйchйs, non pas en recherchant ce que tu reproches, mais en voyant ce que tu corriges ». C'est pourquoi par le prйcepte de la correction fraternelle, nous ne sommes pas tenus de rechercher les pйchйs des autres pour pouvoir les corriger, autrement nous deviendrions espions de la vie des autres, contre ce qui est dit en Pr 24, 15 : « Ne recherche pas l’impiйtй dans la demeure du juste et ne ruine pas son repos ». Et ce n’est pas une raison semblable pour ce qui est dы au corps, parce que c’est quelque chose de limitй, qui est dы а une personne prйcise et а un moment prйcis, ce qui ne se produit pas dans le cas de la correction fraternelle, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

[66457] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquis potest omittere, correctionem fraternam tripliciter. Uno quidem modo absque omni peccato : quia, ut Augustinus dicit in I de Civit. Dei, [cap. IX] : si propterea quisque obiurgandis et corripiendis male agentibus parcit, quia opportunum tempus inquirit, vel eisdem ipsis metuit ne deteriores ex hoc efficiantur, vel ad bonam vitam et patientiam erudientes impediant alios infirmos, et premant atque avertant a fide; non videtur esse cupiditatis occasio, sed consilium caritatis.

 

 

 

 

Alio modo, sicut cum delectat lingua blandiens, et humanus dies, et formidatur vulgi iudicium et carnis excruciatio vel peremptio : quae quidem si sic teneantur in animo, ut praeponantur caritati fratris, est peccatum mortale.

 

Tertio modo potest esse cum peccato veniali; puta, cum ista moverent animum, non quidem ut praeponantur proximi caritati, sed ut negligentes reddantur ad considerandas circumstantias et opportunitates in quibus corrigere tenentur.

10. Il faut dire que quelqu’un peut abandonner la correction fraternelle de trois maniиres :

D’une premiиre maniиre, sans aucun pйchй : parce que, comme Augustin le dit dans la Citй de Dieu, I, 9 : « Si quelqu'un йpargne ceux qui agissent mal qu’il faut rйprimender et blвmer, qu’il cherche le moment opportun, ou bien parce qu’il a craint pour ces mкmes personnes qu’elles ne deviennent pires, ou bien instruit pour une bonne vie et pour la patience empиchent ceux qui sont faibles et ils les pressent et les dйtournent de la foi ; il ne semble pas que ce soit une occasion de cupiditй, mais un conseil de charitй. »

D’une autre maniиre : de mкme, quand la langue flatteuse et le jour humain charment, on redoute le jugement de la foule, le tourment de la chair et sa destruction : si on garde cela dans son вme pour les placer avant la charitй pourun frиre c’est un pйchй mortel.

D’une troisiиme maniиre : il existe avec un pйchй vйniel ; par exemple, comme ces choses incitant l’вme, non pour les placer avant la charitй du prochain, mais pour que les nйgligents soient ramenйs а considйrer les ciconstances et les conditions en lesquelles ils ont tenus de corriger.

[66458] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quicumque mortaliter peccat, immediate contra caritatem peccat, quia facit illud quod est contrarium caritati. Tamen, proprie loquendo, non semper directe contra caritatem peccat; sed solum tunc quando intendit contra caritatem agere, ut contingit in his qui ex malitia peccant.

11. Quiconque pиche mortellement, pиche directement contre la charitй, parce qu’il fait ce qui lui est contraire. Cependant, а proprement parler il ne pиche pas toujours directement contre la charitй, mais seulement quand il tend а agir contre elle, comme cela arrive а ceux qui pиchent par malice.

[66459] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad praeceptum de honore parentum reducuntur praecepta de beneficiis impendendis quibuscumque proximis : ponitur autem expresse de honore parentum, quia hoc cadit statim in ratione cuiuslibet; non autem sic de aliis beneficiis.

12. En ce qui concerne le prйcepte du respect dы aux parents, les prйceptes sont ramenйs а ce qui concerne les bienfaits а accomplir а chacun des proches. On pense expressйment au respect dы aux parents parce que cela tombe aussitфt dans la nature de chacun, il n’en est pas de mкme pour les autres bienfaits.

[66460] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sermo admonitorius non est sufficiens secundum philosophum [X Ethic., cap. IV] quantum ad eos qui sunt duri et servilis animi; et hi sunt qui ex admonitione fiunt deteriores; qui sunt compescendi per correctionem coactivam praelatorum, quae etiam correctio non sufficit sine divino auxilio.

13. Une parole d’avertissement n’est pas suffisante, selon le philosophe (Ethique 10, 4) pour ceux dont l’вme est dure et servile ; et ce sont ceux qui deviennent pires а la suite d’un avertissement ; et ceux qui doivent кtre repris par une correction forcйe de leurs prйlats, mкme cette correction ne suffit pas sans l’aide divine.

[66461] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod peccata in Deum non sunt nostri arbitrii ad dimittendum; sunt autem nostri arbitrii ad arguendum.

14. Les pйchйs contre Dieu ne doivent pas кtre laissйs а notre libre dйcision. Mais c’est de notre libre dйcision de les dйnoncer.

[66462] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo propter peccatum suum non absolvitur a debito correctionis; sed redditur indignus ad alium corrigendum qui seipsum non corrigit. Nec tamen est perplexus; quia debet peccata dimittere, et sic corrigere, secundum illud Matth. VII, 5 : Eiice primum trabem de oculo tuo, et tunc videbis eiicere festucam de oculo fratris tui.

15. L’homme, en raison de son pйchй, n’est pas dйliй de l’obligation d’une correction ; mais celui qui ne se corrige pas lui-mкme, est rendu indigne d’en corriger un autre. Et cependant, il n’est pas embarrassй ; parce qu’il doit renoncer а ses pйchйs et les corriger, selon cette parole de Mt 7, 5 : « Enlиve d’abord la poutre de ton њil et alors, tu verras clair pour enlever la paille dans l’њil de ton frиre ».

[66463] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod semper ille qui corripit alium in peccato existens, quodammodo condemnat seipsum, id est damnationem suam pronuntiat; non tamen semper sibi damnationem accumulat, puta, cum est in minori peccato, et arguit de maiori, vel cum est in occulto, et arguit de publico, et se simul et illum arguit, non contemnendo, sed se simul reprehendendo : dicit enim Gregorius in V Moral., [in cap. XXXIII] quod cum homo debeat diligere proximum sicut seipsum, ita tenetur aliena peccata corrigere, et contra ea irasci, sicut sua. Si vero cum superbia arguat, quasi sua peccata non recognoscens, tunc sibi damnationem acquirit; unde dicitur Matth., VII, 3 : Quia vides festucam in oculo fratris tui, et trabem in oculo tuo non vides? Sed etiam quando ex correctione sequitur scandalum propter manifestationem sui peccati, sic etiam correctio non erit actus virtuosus.

 

16. Toujours celui qui corrige un autre tout en vivant dans le pйchй, se condamne de quelque maniиre lui-mкme, c'est-а-dire qu’il prononce sa condamnation ; et cependant, il ne l’augmente pas pour lui, а savoir, quand il est dans un moindre pйchй et qu’il accuse d’un pйchй plus grave ou quand il est cachй et qu’il accuse publiquement, et qu’il s’accuse lui-mкme en mкme temps, non pas en condamnant, mais en se faisant en mкme temps des reproches : Grйgoire le Grand dit dans ses Morales V, 33, que, comme l’homme doit aimer son prochain comme lui-mкme, il est tenu de corriger les pйchйs d’autrui et de s’emporter contre eux, comme contre les siens. Mais s’il dйnonce avec orgueil, comme s’il ne reconnaissait pas ses propres pйchйs, alors, il acquiert sa propre damnation ; c'est pourquoi il est dit en Mt 7, 3 : Parce que tu vois la paille dans l’њil de ton voisin, ne vois-tu pas la poutre dans le tien ? Mais aussi quand le scandale dйcoule de la correction en raison de la manifestation de son pйchй, ainsi, la correction ne sera pas non plus un acte de vertu.

[66464] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod correctio coactiva est officium superiorum, sed correctio caritativa est officium omnium.

17. La correction forcйe est le devoir des supйrieurs, mais la correction de charitй est le devoir de tous.

 

[66465] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum superiores sint proximi, eos corrigere debemus, sed humiliter et reverenter, non proterve, ne exasperentur; et ideo ibidem dicit Apostolus : Seniorem obsecra ut patrem. Et propter hoc reprehenditur Demophilus monachus, qui sacerdotem peccantem iniuriosis verbis et factis correxit, eum verberans, et de Ecclesia eiiciens.

18. Quand les supйrieurs sont des proches, nous devons les reprendre, mais avec humilitй et respect et non sans retenue, pour ne pas les fвcher ; et c’est pourquoi l’Apфtre dit ici mкme (1 Tm 5, 1) : « Vйnиre le vieillard comme un pиre ». Pour ce motif, le moine Dйmophile a fait l’objet d’une rйprimande, lui qui avait corrigй un prкtre en йtat de pйchй, par des paroles et des gestes injurieux en le frappant et en le rejetant de l’Йglise.

[66466] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod si correctio secundum debitas circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis discordiarum causis.

19. Si la correction se passe selon les circonstances convenables, il ne doit pas en dйcouler de trouble, mais plutфt un rйtablissement de la paix, une fois que les causes de discorde ont йtй йloignйes.

 

 

 

Articulus 2 : [66467] De virtutibus, q. 3 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum ordo correctionis fraternae sit in praecepto qui ponitur Matth. XVIII

Article 2La rиgle de la correction fraternelle est-t-elle dans le prйcepte qui se trouve en Mt 18 ?

[66468] De virtutibus, q. 3 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections :[73]

 [66469] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 1 Dicitur enim I ad Timoth. VI, 20 : peccantem coram omnibus argue. Sed, Matth. c. XVIII, 15, dicitur : argue eum inter te et ipsum solum, quod est secrete admonere. Cum ergo dictum apostoli non contrarietur praecepto Christi, videtur quod non cadat sub praecepto ut frater sit prius secreto admonendus, et postea publice denuntiandus Ecclesiae.

1. Il est dit en 1 Tm 5, 20 : « Reprends le pйcheur en prйsence de tous ». Par contre, en Mt 18, 15, il est dit : « Reprends-le seul а seul », ce qui est avertir en secret. Donc comme la parole de l’Apфtre n’est pas contredite par le prйcepte du Christ, il semble qu’il ne tombe pas sous le prйcepte que le frиre doit d’abord кtre averti en privй et ensuite dйnoncй publiquement а l’Йglise.

[66470] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod verbum apostoli intelligitur de peccatis manifestis, quae publice arguenda sunt; verbum autem domini de peccatis occultis.- Sed contra, peccata occulta nullus debet publicare : sic enim esset magis proditor criminis quam corrector fratris. Sed Dominus mandat, Matth. XVIII, [v. 16-17] quod si frater monentem in secreto non audiat, adducat unum vel duos testes, et tandem dicat Ecclesiae; quod est peccatum publicare. Ergo videtur quod praeceptum Domini non sit intelligendum in peccatis occultis.

2. Mais il faut dire que la parole de l’Apфtre se comprend des pйchйs йvidents qui doivent кtre rйprimandйs en public, mais la parole du Seigneur se comprend des pйchйs cachйs. En sens contraire, nul ne doit rendre publics les pйchйs cachйs ; en effet, il dйnoncerait la faute plutфt qu’il ne corrigerait son frиre. Mais le Seigneur recommande en Mt 18, 16-17, que, si un frиre n’йcoute pas celui qui l’avertit en secret, qu’il amиne un ou deux tйmoins et enfin qu’il le dise а l’Йglise ; ce qui est rendre le pйchй public. Donc, il semble qu’il ne faut pas comprendre le prйcepte du Seigneur pour les pйchйs cachйs.

[66471] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut Augustinus dicit, VIII de Trinitate [ cap. I et III], omnes regulae veritatis derivantur a lege veritatis aeternae. Sed lex veritatis aeternae hoc habet, quod Deus non solum punit hominem de peccato occulto, sed etiam punit interdum nulla secreta admonitione praecedente. Ergo videtur quod etiam homo, qui divinae veritatis debet imitator existere, possit publice aliquem denuntiare, secreta etiam monitione non praecedente.

3. Comme le dit Augustin, (La Trinitй, VIII, 1 et 3) : Toutes les rиgles de la vйritй dйrivent de la loi de la vйritй йternelle. Mais celle-ci a que Dieu non seulement punit l’homme du pйchй cachй, mais encore il le punit parfois, sans aucun avertissement prйalable. Donc, il semble que l’homme aussi qui doit кtre l’imitateur de la vйritй divine, puisse dйnoncer publiquement quelqu’un, sans un avertissement secret qui prйcиde.

[66472] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. Contra mendacium, ex gestis sanctorum intelligi potest qualiter sunt praecepta sacrae Scripturae intelligenda. Sed in gestis sanctorum invenitur, quod facta est aliquando publica denuntiatio peccati occulti, nulla secreta admonitione praecedente; ut legitur Act. 5, quod Petrus Ananiam et Saphiram occulte defraudantes de pretio agri publice denuntiavit, nulla secreta admonitione praemissa. Ergo non obligamur ex praecepto Christi ut secreta admonitio praecedat publicam denuntiationem.

4. Comme le dit Augustin dans son livre Contre le mensonge, (ch. 15), on peut comprendre « A partir des actions des saints comment il faut penser les prйceptes de l’Ecriture sainte ». Mais on dйcouvre dans les actions des saints que parfois, il a йtй fait une dйnonciation publique des pйchйs cachйs, sans admonition secrиte prйlable ; comme on lit dans les Ac 5, 8 que Pierre a dйnoncй publiquement Ananie et Saphire qui fraudaient en secret sur le prix d’un terrain, sans admonition secrиte prйalable. Donc, nous ne sommes pas obligйs, par le prйcepte du Christ, а ce qu’un avertissement secret prйcиde une dйnonciation publique.

[66473] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnis Christi actio, nostra est instructio : ipse enim dicit, Ioan. XIII, 15 : Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. Sed Christus non legitur admonuisse Iudam secreto antequam eum denuntiaret. Ergo videtur quod etiam nos possumus publice denuntiare peccatum fratris, antequam eum occulte admoneamus.

5. Tout acte du Christ est un enseignement pour nous : car il a dit lui-mкme, Jn 13, 15 : « Je vous ai donnй l’exemple pour que vous fassiez vous aussi comme moi je l’ai fait ». Or, on ne lit pas que le Christ a averti Judas en secret, avant qu’il ne le dйnonce. Donc, il semble que, nous aussi, nous pouvons dйnoncer publiquement le pйchй d’un frиre, avant de le dйnoncer en secret.

[66474] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut denuntiatio fit in publico, ita etiam et accusatio. Sed aliquis potest ad accusationem procedere, nulla admonitione prius facta : quia ad accusationem praeexigitur sola inscriptio, ut Decretalis [2 quaest., can. Quisque] dicit. Ergo videtur, quod etiam denuntiare publice possit aliquis, nulla monitione secreta praecedente.

6. La dйnonciation se fait en public, l’accusation aussi. Mais quelqu'un peut procйder а l’accusation, sans aucune admonition prйalable, parce que seule l’inscription est exigйe au prйalable pour l’accusation, comme il est dans la Dйcrйtale (qu. 2, can. Quisque[74] (Chacun). Donc, il semble que l’on puisse dйnoncer publiquement, sans avertissement secret prйalable.

[66475] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea, illud quod in omni casu praeterire licet, nullo modo cadit sub praecepto. Sed in quolibet casu videtur quod liceat praeterire admonitionem secretam; quia in quolibet peccato potest aliquis intendere commune bonum iustitiae, et sic ad accusationem procedere, admonitione secreta non praemissa. Ergo videtur quod secreta admonitio non debeat praemitti ex necessitate praecepti.

7. Ce qu’il est permis en tout cas de passer sous silence, ne tombe en aucune maniиre sous le prйcepte. Mais en n’importe quel cas, il semble qu’il serait permis d’omettre une admonition secrиte ; parce que, en n’importe quel pйchй, quelqu'un peut tendre au bien commun de la justice et ainsi, procйder а une accusation, sans admonition prйalable. Donc il semble que l’admonition secrиte ne doit кtre employйe au prйalable par nйcessitй du prйcepte.

[66476] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, non videtur esse probabile, quod ea quae sunt in communi consuetudine religiosorum, sint contra praecepta Christi. Sed in religionibus hoc est consuetum, quod in capitulis aliqui proclamantur de aliquibus peccatis, nulla secreta monitione praemissa. Ergo videtur quod non sit de necessitate praecepti secretam admonitionem praemittere publicae denuntiationi.

8. Il ne semble pas probable que ce qui est de l’usage commun des religieux, soit contre les prйceptes du Christ. Mais dans les pratiques religieuses, c’est l’habitude que, lors des chapitres, certains dйnoncent des pйchйs, sans avertissement prйalable. Donc, il semble qu’il ne relиve pas de la nйcessitй du prйcepte de faire passer l’avertissement secret avant une dйnonciation publique.

[66477] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in IV de doctrina Christ., quod sicut eadem rotunditas est in magno disco et parvo, ita eadem ratio iustitiae est in magnis rebus et parvis. Si igitur in parvis peccatis non exigitur secreta admonitio publicae denuntiationis, ut dicebatur, videtur quod nec in magnis.

 9. Augustin dit (De la doctrine chrйtienne, IV, XVIII, 35) que, de mкme qu’un grand disque et un petit disque prйsentent la mкme rondeur, ainsi, la mкme nature de justice est dans les grandes choses comme dans les petites. Si donc, dans les petits pйchйs, on n’exige pas un avertissement secret de la dйnonciation publique, comme on le disait, il semble qu’on ne doit pas l’exiger pour les pйchйs graves.

[66478] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 10 Praeterea, si secreta admonitio debet praecedere publicam denuntiationem, necesse est aliquam moram intervenire inter reprehensionem peccati, et publicam eiusdem denuntiationem. Sed quandoque talis mora est in tantum periculosa, quod postmodum non potest sufficiens remedium adhiberi; puta, si aliquis tractaverit de proditione civitatis cum hostibus, vel si sit haereticus in grege seducens homines a fide. Non videtur ergo quod debeat praecedere secreta admonitio.

10. Si une admonition secrиte doit prйcйder la dйnonciation publique, il est nйcessaire qu’intervienne un dйlai entre le blвme du pйchй et sa dйnonciation publique. Mais parfois un pareil dйlai est tellement dangereux que, par la suite, on ne peut avoir recours а un remиde suffisant ; par exemple, si quelqu’un a traitй de la trahison de la citй avec les ennemis, ou bien si quelque hйrйtique sйpare dans la comunautй les hommes de foi. Donc, il ne semble pas qu’une admonition secrиte doit prйcйder.

[66479] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 11 Praeterea, triplex est agens; scilicet naturale, artificiale, et agens per gratiam sive per caritatem, scilicet caritative corripiens fratrem. Sed agens naturale unumquodque facit quanto melius potest; et similiter agens artificiale. Ergo etiam corripiens fratrem ex caritate debet hoc facere quanto melius potest. Sed melius est quod hoc faciat publice : sic enim magis prodest multitudini; bonum autem multorum est melius quam bonum unius. Ergo videtur quod melius sit quod statim publice frater arguatur, nulla secreta admonitione praecedente.

11. L’agent est triple : а savoir selon la nature, selon l’art et selon la grвce ou la charitй, c'est-а-dire en rйprimandant charitablement son frиre. Mais l’agent naturel fait chaque chose du mieux qu’il peut ; et de la mкme maniиre l’agent selon l’art. Donc, en rйprimandant son frиre par charitй, il doit le faire du mieux qu’il peut. Mais il est meilleur de le faire publiquement ; ainsi en effet, cela est profitable au grand nombre, et le bien de beaucoup est meilleur que le bien d’un seul. Donc, il semble qu’il est meilleur de dйnoncer son frиre en public sans un avertissement secret prйalable.

[66480] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 12 Praeterea, ita se habet peccator in Ecclesia, sicut membrum putridum in corpore naturali. Sed non refert qualiter medicus membrum putridum abscindat, ut vitetur totius corporis corruptio. Ergo videtur quod non referat qualiter frater peccans corripiatur, sive publice, sive secreto.

12. Le pйcheur se comporte dans l’Йglise comme un membre gangrйnй dans un corps naturel. Mais il n’est pas important de savoir comment un mйdecin coupe le membre gangrйnй, pour йviter la corruption а tout le corps. Donc il semble que de la mкme maniиre, il n’est pas important de savoir comment un frиre pйcheur est rйprimandй soit en public, soit en privй.

[66481] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 13 Praeterea, subditi tenentur obedire suis praelatis. Sed quandoque praelati praecipiunt ut eis dicatur a subditis quidquid de alienis peccatis sciunt. Ergo etiam si peccata sunt occulta, tenentur subditi revelare, nulla monitione secreta praemissa.

13. Les sujets sont tenus d’obйir а leurs prйlats. Mais parfois, ceux-ci leur ordonnent de dire ce qu’ils savent des pйchйs d’autrui. Donc, mкme si les pйchйs sont cachйs, les sujets sont tenus de les rйvйler, sans aucun avertissement secret.

[66482] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 14 Praeterea, Matth. XVIII, 15, super illud : Si peccaverit in te frater tuus, dicit Glossa, quod frater arguendus est ex zelo iustitiae; ex quo videtur quod correctio fraterna sit actus iustitiae. Sed iustitia debet in publico fieri; dicit enim philosophus in V Ethic. [cap. I], quod iustitia est virtus praeclara magis quam Lucifer aut Hesperus. Ergo correctio fraterna debet fieri in publico, non in secreto.

14. A propos de Mt 18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi », la Glose dit que le frиre doit кtre rйprimandй par zиle de justice, d’oщ il semble que la correction fraternelle est un acte de justice. Mais la justice doit кtre rendue en public ; en effet, on lit chez le philosophe (Ethique, V, 3, 1129 b 27) que la justice est une vertu plus йclatante que Lucifer ou l’Etoile du soir. Donc la correction fraternelle doit кtre faite en public et non en secret.

[66483] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 15 Praeterea, ad iustitiam pertinet retribuere pro meritis. Sed ille qui peccavit, ex ipso factus est inglorius apud Deum. Ergo videtur quod sicut meruit, sit auferenda ei fama coram hominibus per publicam correctionem.

15. Rйtribuer les mйrites convient а la justice. Mais celui qui a pйchй, par ce fait mкme, est devenu sans gloire devant Dieu. Donc, il semble que de mкme il a mйritй, que sa rйputation doit lui кtre enlevйe devant les hommes par une correction publique.

[66484] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 16 Praeterea, nullum praeceptum Dei contrariatur consilio vel praecepto. Sed Dominus dicit Luc. VI, 30 : Qui aufert quae tua sunt, ne repetas; quod necesse est ut sit vel per consilium vel praeceptum. Ergo videtur, cum admonitio fieri non possit sine repetitione suorum, praecipue in casu in quo aliquis asportavit alicui sua, quod non sit in praecepto, secreto admonere.

 16. Aucun prйcepte divin n’est contraire au conseil ni au prйcepte. Mais le Seigneur dit en Lc 6, 30 : « A qui te prend ton bien, ne le rйclame pas », ce qui est nйcessaire pour qu’il soit, par conseil, ou par ordre. Donc, il semble, puisque l’admonition ne peut pas кtre faite sans revendication de ses biens, surtout au cas oщ quelqu’un a emmenй ses biens chez un autre, ce qui n’est pas dans le prйcepte d’admonester en secret.

[66485] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 17 Praeterea, licet omni tempore et omni modo reddere bonum pro malo. Sed Augustinus dicit in Lib. III de libero Arbitr., quod cum corripiuntur inquieti, redditur eis bonum pro malo. Ergo videtur quod omni tempore liceat eos corripere publice ante secretam admonitionem.

17. Il est permis en tout temps et en toute maniиre de rendre le bien pour le mal. Mais Augustin, (Le libre arbitre III), dit que quand ceux qui sont troublйs sont rйprimandйs, on leur rend le bien pour le mal. Donc, il semble qu’en tout temps, il est permis de rйprimander publiquement avant un avertissement secret.

[66486] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 18 Praeterea, leges feruntur ad ea quae saepe fiunt, non ad ea quae raro accidunt. Sed raro contingit quod aliquis propter hoc quod fama sibi auferatur, peior efficiatur; plures autem propter detectionem a peccato homines corripiuntur. Ergo videtur quod non sit praeceptum legis divinae de hoc quod aliquis prius secreto admoneatur quam publice denuntietur.

18. Les lois sont йtablies pour ce qui se produit souvent, non pour ce qui arrive rarement. Mais il arrive rarement que quelqu’un devienne pire, parce que sa bonne rйputation lui aurait йtй enlevйe ; plusieurs hommes sont corrumpus par leur pйchй, а cause de sa manifestion. Donc, il semble que cela ne relиve pas du prйcepte de la loi divine que quelqu’un soit d’abord admonestй secrиtement avant d’кtre dйnoncй publiquement.

[66487] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 19 Praeterea, in ordine fraternae correctionis continetur quod peccatum non denuntietur Ecclesiae sive praelato, nisi quando frater arguentem audire noluerit. Sed si unus peccatum aliquod committat alio sciente, et correctionem promittat, videtur ex hoc ipso fratrem arguentem audisse; et tamen videtur nihilominus peccatum eius esse denuntiandum praelato, ne pereat iustitiae disciplina. Ergo videtur quod ordo correctionis fraternae quem dominus ponit, non cadat sub praecepto.

19. Dans l’ordre de la correction fraternelle, il est ajoutй que le pйchй ne doit кtre dйnoncй ni а l’Йglise ni au prйlat, sauf quand le frиre n’a pas voulu йcouter celui qui le dйnonce. Mais si quelqu’un a commis un pйchй alors qu’un autre le sait et qu’il promet de s’amender, il semble, par ce fait mкme avoir йcoutй le frиre qui le dйnonce ; et cependant, il semble nйanmoins que son pйchй doive кtre dйnoncй au prйlat, pour que ne disparaisse pas la discipline de la justice. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle que le Seigneur йtablit, ne tombe pas sous ce prйcepte.

[66488] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 20 Praeterea, super illud Matth. XVIII, 15 : Si peccaverit in te frater tuus, dicit Hieronymus : Si autem in Deum peccaverit, non est nostri arbitrii. Ergo videtur quod iste modus non se extendat ad omnia peccata.

20. A propos de Mt 18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi », Jйrфme explique : « Si donc, il a pйchй contre Dieu, ce n’est pas de notre jugement ». Donc, il semble que cette faзon de voir ne s’йtende pas а tous les pйchйs.

[66489] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 21 Praeterea, dominus dicit, Matth. XVIII, v. 15 : Si te audierit, lucratus es fratrem tuum. Sed non propterea aliquis fratrem suum est lucratus, si solum audiat arguentem a peccato desistens post gravia peccata commissa; sed multa alia requiruntur ad hoc quod ad salutem perveniat, quod est fratrem esse lucratum. Ergo videtur quod iste ordo correctionis fraternae non se extendat ad peccata gravia.

21. Le Seigneur dit en Mt 18, 15 : « Si ton frиre t’йcoute, tu l’auras gagnй ». Mais ce n’est pas а cause de cela que quelqu'un a gagnй son frиre, s’il йcoute celui qui le dйnonce, renonзant au pйchй aprиs avoir commis des pйchйs graves ; mais on recherche beaucoup d’autres choses pour qu’il parvienne au salut, en quoi consiste gagner son frиre. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle ne s’йtende pas aux pйchйs graves.

[66490] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 22 Praeterea, Eccli. XIX, 10, dicitur : Audisti verbum adversus proximum tuum? Commoriatur in te, fidens quoniam non te disrumpet. Non ergo oportet ut eum ad alios deferamus si eius peccatum deprehendimus.

22. On lit en Si 19, 10 : « As-tu entendu une parole contre ton prochain ? Qu’elle demeure en toi, confiance elle ne te brisera pas ». Donc, il n’est pas nйcessaire que nous l’annoncions aux autres si nous surprenons son pйchй.

[66491] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 23 Praeterea, minus est agendum circa fratrem in aliis peccatis quam in peccato haereticae pravitatis. Sed in haeretica pravitate debet aliquis admoneri bis vel ter, secundum illud ad Titum III, 10 : Haereticum hominem post primam et secundam correctionem devita. Ergo videtur quod non sufficiat semel corripere, sicut in verbis Domini videtur innui, ante denuntiationem.

23. Il faut moins agir pour un frиre dans tous les autres pйchйs que dans celui de la perversion hйrйtique. Mais dans cette derniиre, on doit кtre averti deux ou trois fois, selon cette parole de Tt 3, 10 : « Dйtourne-toi de l’homme hйrйtique aprиs une premiиre et deuxiиme correction ». Donc, il semble qu’il ne suffirait pas de corriger une fois, comme cela paraоt indiquй dans les paroles du Seigneur, avant la dйnonciation.

[66492] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 24 Praeterea, iste ordo correctionis, secundum Augustinum in Lib. de verbis Domini X [serm. XVI], attenditur in peccatis occultis. Sed in talibus non videtur aliquid posse probari per testes. Ergo inconvenienter continetur in hoc correctionis ordine quod testes adhibeantur.

24. En outre, cet ordre de la correction, selon Augustin, Les Paroles du Seigneur, (10, sermon 16) est atteint dans les pйchйs cachйs. Mais en de tels pйchйs, il ne semble pas qu’un acte puisse кtre prouvй par des tйmoins. Donc, il est contenu de maniиre inconvenante dans cet ordre de correction qu’on y joigne des tйmoins.

[66493] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 25 Praeterea, homo debet diligere proximum suum sicut seipsum. Sed nullus ad publicationem sui criminis tenetur testes inducere. Ergo neque etiam ad manifestationem criminis fratris.

25. En outre, l’homme doit aimer son prochain comme lui-mкme. Mais nul n’est tenu de produire des tйmoins pour la publication de sa faute. Pas plus pour la divulgation de la faute d’un frиre.

[66494] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 26 Praeterea, Augustinus dicit in Regula, quod prius praeposito debet ostendi, quam testibus. Sed ostendere praeposito, sive praelato, est ostendere Ecclesiae. Ergo non prius debent testes adduci quam dicatur; et sic videtur quod ordo quem dominus ponit, non sit in praecepto.

26. Par ailleurs, Augustin dit, dans La Rиgle[75], qu’il faut d’abord le montrer au chef de l’йglise avant de le montrer aux tйmoins. Mais le montrer au chef ou au prйlat, c’est le montrer а l’йglise. Donc, il ne faut pas amener les tйmoins avant que cela soit dit, et ainsi, il semble que l’ordre que le Seigneur a йtabli n’est pas dans le prйcepte.

En sens contraire :

[66495] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini [sermo XVIexponens illud : corripe inter te et ipsum solum.] : Studens correctionem, parcens pudori. Forte enim prae verecundia incipiet defendere peccatum suum; et quem vis facere meliorem, facis peiorem. Haec est igitur ratio huiusmodi ordinis servandi in correctione fraterna, ut parcatur pudori fratris, ne deterior efficiatur. Sed ad hoc tenemur per praeceptum caritatis. Ergo ordo correctionis fraternae cadit sub praecepto.

1. Il y a ce que dit Augustin dans le livre des Paroles du Seigneur (Sermon 16, quand il expose ceci : « Reprends-le seul а seul). Applique-toi а la correction, йpargne son honneur. Car peut-кtre, en raison de sa rйserve, commencera-t-il par dйfendre son pйchй ; et celui que tu veux rendre meilleur, tu le rends pire ». C’est donc la raison de l’ordre de ce genre а conserver dans la correction fraternelle, pour йpargner la honte du frиre, pour qu’il ne devienne pas pire. Mais nous y sommes tenus en raison du prйcepte de la charitй. Donc l’ordre de la correction fraternelle tombe sous ce prйcepte.

[66496] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII, 15, super illud : Si peccaverit in te etc., dicit Glossa ordin.] : Hoc ordine scandala vitare debemus. Sed vitare scandala cadit sub praecepto, ut patet Rom. XIV. Ergo ordo correctionis fraternae cadit sub praecepto.

2. En outre, Mt 18, 15, [sur ce passage : Si l’on a pйchй contre toi, etc., la Glose dit] : « Par cet ordre, nous devons йviter le scandale ». Mais йviter le scandale tombe sous le prйcepte, comme il ressort de Rm 14, 13. Donc, la rиgle de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.

Rйponse :

[66497] De virtutibus, q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, art. 1, dictum est, correctio fraterna cadit sub praecepto, secundum quod est actus virtutis. Est autem actus virtutis, secundum quod debitis circumstantiis vestitur; inter quas praecipue videtur esse ordo ad finem, quem oportet communem regulam habere in omnibus operabilibus. Finis autem correctionis fraternae est emendatio fratris, sicut dictum est; et ideo hoc ordine Dominus voluit fieri correctionem fraternam, secundum quod congruit ad fratris emendationem, quem volumus a peccato liberare.

Comme il a йtй dit (art. 1), la correction fraternelle tombe sous le prйcepte, selon que c’est un acte de vertu. C’en est un selon qu’il se revкt des circonstances nйcessaires ; parmi celles-ci il semble surtout qu’il y a un rapport а la fin qu’il est nйcessaire d’avoir comme rиgle commune dans tout ce qui est peut кtre opйrй. Et le but de la correction fraternelle est la rйforme du frиre, comme il a йtй dit ; et ainsi, par cet ordre, le Seigneur a voulu que la correction fraternelle se fasse selon qu’elle convient а la rйforme du frиre que nous voulons libйrer du pйchй.

Duplex autem periculum imminet homini ex peccato; scilicet periculum conscientiae et famae.

Haec autem duo, scilicet conscientia et fama, hoc modo se habent ad invicem, quod conscientia est praeferenda famae; quia testimonium conscientiae est in conspectu Dei, sed testimonium famae pertinet ad officium humanum. Differunt etiam quantum ad hoc quod conscientia est necessaria homini propter seipsum; fama autem propter se, et propter proximum.

 

 

 

Hoc igitur ordine dominus voluit correctionem fraternam fieri, ut primo quidem, si possibile sit, ita provideatur conscientiae, quod in nullo fama laedatur; et hoc per secretam admonitionem. Deinde, quia conscientia est famae praeferenda; si aliter frater emendari non potest quam cum dispendio famae, finaliter ordinavit Dominus ut publice denuntietur, ut obiurgatio quae fit a pluribus, ei sit remedium salutare.

Un double danger par le pйchй menace l’homme ; а savoir celui de sa conscience et celui de sa rйputation.

Or, ces deux йlйments а savoir la conscience et la rйputation, se comportent entre elles de cette maniиre que la conscience doit se porter au devant de la renommйs, parce que le tйmoignage de la conscience est sous le regard de Dieu, mais le tйmoignage de la rйputation concerne le devoir humain. Ils diffиrent aussi du fait que la conscience est nйcessaire а l’homme а cause de lui-mкme, et la rйputation а cause de lui et а cause du prochain.

Donc, par cette rиgle, le Seigneur a voulu йtablir la correction fraternelle, pour que, d’abord, si c’йtait possible, elle prenne soin de la conscience, quand la rйputation ne serait lйsйe en rien, et cela, par un avertissement secret. Ensuite, parce qu’il faut prйfйrer la conscience а la rйputation, si le frиre ne peut кtre corrigй autrement qu’avec la perte de la rйputation ; finalement le Seigneur a ordonnй qu’il soit dйnoncй publiquement, pour que le reproche qui est fait par plusieurs soit pour lui un remиde salutaire.

Si autem statim ad publicam pronuntiationem procederetur, pateretur frater dispendium famae suae; quod quidem vitandum est et propter ipsum, et propter alios, propter quos est sibi necessaria fama.

Propter ipsum quidem, duplici ratione.

Si donc on procиde tout de suite а une annonce publique, le frиre perdrait sa rйputation, ce qu’il faut йviter et pour lui-mкme et pour les autres, vis-а-vis desquels la rйputation lui est nйcessaire.

En raison de lui-mкme et pour un double motif.

Primo quidem, quia bona fama est praecipuum inter exteriora bona, secundum illud Prov. XXII, 1 : Melius est nomen bonum quam divitiae multae. Et hoc ideo, quia bonitas famae reddit hominem idoneum ad humana officia exequenda in conversatione humana; et ideo dicitur Eccli., XLI, 15 : Curam habe de bono nomine; hoc enim magis permanebit tibi quam multi thesauri magni et pretiosi. Sicut igitur peccaret qui absque necessitate ingereret alicui divitiarum dispendium; ita, et multo amplius, peccat si aliquis absque necessitate proximo ingereret dispendium famae, absque necessitate eius peccatum publicando.

a/ Premiиrement, parce qu’une bonne renommйe est chose importante parmi les biens extйrieurs, selon Pr 22, 1 : « Mieux vaut un nom honorable que de grandes richesses ». Et ainsi, parce que la bontй de la renommйe rend l’homme apte а remplir ses devoirs humains, dans une maniиre de vivre humaine ; et ainsi lit-on en Si 41, 15 : « Aie soin de ton bon renom, cela demeurera plus pour toi qu’une foule de grands trйsors prйcieux ». Donc, de mкme qu’il pйcherait celui qui imposerait sans nйcessitй а quelqu’un la perte de ses richesses, et il pиche beaucoup plus, si, sans nйcessitй, il poussait son prochain а la perte de sa rйputation et sans nйcessitй, en rendant public son pйchй.

Secundo, quia propter conservationem famae homo multoties abstinet a peccatis. Et ideo, quando aliquis videt se iam famam amisisse, pro nihilo ducit peccare secundum illud Ieremiae III, 3 : Facies meretricis facta est tibi, erubescere nescisti; unde et Hieronymus dicit super Matth. : Corripiendus est seorsum frater, ne si semel pudorem aut verecundiam amiserit, permaneat in peccato.

b/ Deuxiиmement, parce que, pour sauvegarder sa rйputation, l’homme s’abstient souvent des pйchйs. Et ainsi, quand quelqu’un voit que dйsormais il a perdu sa rйputation, cela le conduit pour rien au pйchй, selon ce qu’on lit en Jr 3, 3 : « Tu montrais l’apparence de la prostituйe, mais tu n’as pas su rougir[76] », d’oщ aussi Jйrфme (Sur Matthieu) : « Il faut reprendre son frиre а l’йcart, de peur que, s’il a perdu sa rйserve et sa discrйtion, il ne demeure dans le pйchй ».

Similiter etiam ex parte aliorum est periculosum dupliciter.

Primo quidem, quia homines peccatum alicuius audientes scandalizantur, et contemnunt quandoque non solum peccantem, sed et multos alios innocentes. Unde Augustinus dicit in Epistola ad plebem Hipponensem : Cum de aliquibus qui sanctum nomen profitentur, aliquid criminis vel falsi sonuerit, vel veri patuerit, instanter satagunt, ambiunt, ut de omnibus hoc credatur.

De la mкme maniиre, du cфtй des autres, le danger est double.

a/ Premiиrement, parce que les hommes sont scandalisйs en entendant parler du pйchй d’autrui et qu’ils mйprisent parfois non seulement le pйcheur, mais aussi beaucoup d’autres innocents. C’est pourquoi Augustin dit dans une Lettre au peuple d’Hippone : « Comme pour certains qui ont profйrй le saint nom, quelque chose du crime ou du mensonge aurait retenti ou que quelque chose de vrai aura йtй dйcouvert, ils se donnent du mal tout de suite et font en sorte que cela soit cru de tous ».

Secundo, quia ex peccato nimis publico multi provocantur ad peccandum; secundum illud I ad Cor. 5, 6 : Nescitis quia modicum fermentum totam massam corrumpit? Et ideo sub praecepto cadit ut non prius aliquis ad denuntiationem publicam procedat quam secreto correxerit. Sed quia de extremo ad extremum pervenitur per medium, interposuit dominus quemdam medium gradum; ut post secretam admonitionem nunquam publice omnibus denuntietur nisi unus vel duo testes adhibeantur, ut possit secretius correctus non innotescere ceteris, ut Augustinus dicit in Regula. Sic igitur ordo fraternae correctionis sub praecepto cadit, sicut et ipsa fraterna correctio; hac tamen discretione servata in utroque, ut debito loco, tempore, et aliis debitis circumstantiis observatis, omnia fiant secundum quod quis utile esse prospexerit ad emendationem fratris, quae est finis et regula correctionis fraternae.

b/ Deuxiиmement, parce qu’en raison d’un pйchй trop public, beaucoup sont tentйs de pйcher, selon 1 Co 5, 6 : « Ne voyez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute une pвte ? » C’est pourquoi, cela tombe sous le prйcepte qu’on ne procиde pas а la dйnonciation publique avant d’avoir corrigй en secret. Mais parce qu’on passe d’un extrкme а un autre par un intermйdiaire, le Seigneur a йtabli un degrй intermйdiaire, de telle sorte qu’aprиs l’avertissement en privй, il n’y ait jamais de dйnonciation publique pour tous, si ce n’est en employant un ou deux tйmoins, de maniиre а ce que celui qui a йtй corrigй d’une maniиre assez secrиte, ne puisse se faire connaоtre а tous les autres, comme le dit Augustin dans la Rиgle 7[77]. Ainsi donc, l’ordre de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte, comme la correction elle-mкme ; cependant, une fois la discrйtion observйe dans l’un et l’autre cas, comme l’exigent le lieu, le temps et l’observation des circonstances normales, qu’ils fassent tout selon ce que quelqu'un aura discernй d’utile pour l’amendement du frиre qui est la fin et la rиgle de la correction fraternelle.

Solutions :

[66498] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus solvit in Lib. de verbis Domini, verbum apostoli est intelligendum in publicis peccatis; sed verbum Domini est intelligendum in peccatis occultis, ut ex ipso modo loquendi apparet. Dicit enim Dominus : Si peccaverit in te frater tuus. Si enim publice peccat, non solum in te peccat, cui contumeliam vel iniuriam infert, sed etiam in omnes videntes, ut significatur in parabola quam dominus ponit, Matth. XVIII, 31, de servo nequam, qui cum alium conservum affligeret, videntes conservi eius quae fiebant contristati sunt valde. Et II Petri II, 8, dicitur, quod animam iusti iniquis operibus cruciabant.

 

1. Il faut donc d’abord dire, de mкme qu’Augustin le rйsoud dans Les Paroles du Seigneur, qu’il faut penser que la parole de l’Apфtre concerne les pйchйs publics, mais la parole du Seigneur est а comprendre des pйchйs secrets, comme cela apparaоt dans la maniиre mкme de s’exprimer. En effet, le Seigneur dit (Mt 18, 15) : « Si ton frиre a pйchй contre toi… ». Si, en effet, il pиche publiquement, non seulement, il pиche contre toi, а qui il fait un affront ou une injure, mais aussi, contre tous ceux qui le voient, comme le montre la parabole du Seigneur en Mt 18, 31, а propos du mauvais serviteur, comme il avait agressй un autre compagnon : « Ses compagnons, voyant ce qui se passait йtaient bien navrйs ». Et dans 2 P 2, 8 : « Ils torturaient l’вme du juste par leurs њuvres injustes[78] ».

[66499] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam sic intellexerunt ordinem correctionis fraternae esse servandum, ut primo frater sit in secreto corripiendus; et si audierit, bene quidem; si autem non audierit, dicebant esse distinguendum : quia aut est omnino occultum, et tunc non est procedendum ulterius; aut incipit iam ad plerorumque notitiam pervenire, et tunc debet ulterius procedi, secundum quod Dominus mandat. Sed hoc non videtur bene dictum; dicit enim Augustinus in Regula : Si frater tuus vulnus habet in corpore quod vult occultari, dum timet secari, nonne a te crudeliter sileretur, et misericorditer indicaretur? Quanto ergo magis non debet occultari, ne deterius putrescat in corde?

 

 

 

Et ideo alia distinctione opus est. Si enim probabiliter possumus existimare quod ulterius procedendo ad eius emendationem proficiamus, debemus ulterius procedere adhibendo testes, et denuntiando. Si vero probabiliter existimemus quod ex tali publicatione fiat deterior, non est ulterius procedendum; sed propter hanc causam a tota correctione fraterna est desistendum, ut supra dictum est.

2. Certains ont ainsi pensй qu’il fallait conserver l’ordre de la correction fraternelle, pour que le frиre soit d’abord rйprimandй en secret ; et s’il a йcoutй, c’est bien ainsi ; mais s’il n’a pas йcoutй, ils disaient qu’il fallait opйrer une distinction : parce que, ou bien c’est tout а fait secret et alors, il ne faut pas aller plus loin oщ bien il commence dйjа а parvenir а la connaissance de la plupart, et alors, il faut aller plus loin, selon que le Seigneur l’ordonne. Mais ceci ne semble pas avoir йtй bien dit : en effet, Augustin dit dans La Rиgle (7) : « Si ton frиre a une blessure en son corps qu’il veut cacher, dans la crainte qu’on y porte le fer, ne serait-ce pas cruautй de vous taire et misйricorde de l’annoncer publiquement ? Combien plus on ne doit pas le cacher pour empкcher dans son cњur des ravages plus redoutable

Et ainsi il y a besoin d’une autre distinction. Si, en effet, nous pouvons estimer probablement, qu’en procйdant plus avant, nous parvenion а le corriger, nous devons aller plus loin en ayant recours а des tйmoins et en le dйnonзant. Mais si nous pensons que probablement il deviendrait pire а la suite d’une pareille annonce, il ne faut pas aller plus avant, mais а cause de cela il faut renoncer а toute correction fraternelle comme on l’a dit ci-dessus.

[66500] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnis veritas humanae iustitiae regulatur a veritate divina. Sed hominum facta non eodem modo comparantur ad iudicium divinum et ad iudicium humanum, quia secundum iudicium humanum quaedam peccata sunt occulta, in quibus non est statim procedendum ad publicum. Et hoc modo non comparantur omnia peccata ad iudicium divinum, quia omnia nuda et aperta sunt oculis eius, ut dicitur ad Hebr. IV, v. 13. Et ideo quantum ad iudicium divinum non requiritur quod secreta admonitio praecedat et tamen plerumque peccatores quasi secreta admonitione a Deo arguuntur per interiorem remorsum conscientiae et interiorem inspirationem, vel in vigilando, vel in dormiendo. Dicitur enim Iob XXXIII, 15-17 : Per somnum in visione nocturna, quando irruit sopor super homines, tunc operit aures virorum, et erudiens eos instruit disciplina, ut avertat hominem ab his quae fecit.

3. Toute la vйritй de la justice humaine est rйglйe par la vйritй divine. Mais les actes des hommes ne sont pas comparйs de la mкme maniиre pour le jugement divin et pour le jugement humain, parce que, selon le jugement humain, certains pйchйs sont cachйs et il ne faut pas aller tout de suite devant le public. Et de cette maniиre, tous les pйchйs ne sont pas comparйs au jugement divin, parce que tout est nu et dйcouvert а ses yeux, comme il est dit en He 4, 13. Et ainsi, quant au jugement divin il n’est pas requis qu’une admonition secrиte prйcиde et cependant, la plupart du temps, les pйcheurs sont accusйs comme par un avertissement secret de Dieu, par un remord intйrieur de la conscience et une inspiration intйrieure, soit en veillant, soit en dormant. En effet, il est dit en Jb (33, 15-17) : « Par un songe, par une vision nocturne, quand une torpeur s’abat sur les hommes, alors, il ouvre leurs oreilles et en les instruisant, il les enrichit par son enseignement pour dйtourner l’homme de ce qu’il a fait ».

[66501] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum Ananiae et Saphirae non devenerat ad notitiam Petri modo humano, sed per revelationem divinam; et ideo in peccato illo processit non secundum formam humani iudicii, sed secundum formam divini iudicii, tamquam in hoc executor Dei existens.

4. Le pйchй d’Ananie et de Saphire n’йtait pas venu а la connaissance de Pierre de maniиre humaine, mais par une rйvйlation divine et donc, ainsi il s’est avancй dans ce pйchй, non sous forme d’un jugement humain, mais sous forme d’un jugement divin en cela, comme l’exйcutant de Dieu en cela.

 

[66502] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam Dominus peccatum Iudae scivit virtute divina, in quantum erat cognitor absconditorum; et ideo, in quantum Deus, procedere poterat statim ad publicandum peccatum. Et tamen ipse non publicavit, sed obscuris verbis eum de peccato admonuit.

5. Le Seigneur aussi a connu le pйchй de Judas de science divine, en tant qu’il connaissait ce qui йtait cachй, et ainsi, Dieu pouvait passer aussitфt а la divulgation du pйchй. Et pourtant, lui-mкme ne l’a pas rendu public, mais il l’a averti du pйchй par des paroles obscures.

[66503] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod alia ratio est in accusatione et in denuntiatione; quia in denuntiatione intenditur correctio fratris : et ideo tali ordine debet denuntiatio fieri qui sit conveniens ad emendationem fratris; sed in accusatione intenditur bonum Ecclesiae, ut scilicet conservetur communitas pura ab infectione peccati, et ideo in accusatione non oportet quod praecedat denuntiatio.

6. Il y a une autre raison dans l’accusation et la dйnonciation, parce que la correction fraternelle est atteinte dans la dйnonciation et doit кtre faite dans un tel ordre qui conviendrait а la purification du frиre, mais le bien de l’Йglise est atteint dans l’accusation, pour prйserver la communautй exempte de la contagion du pйchй et ainsi dans l’accusation, il n’est pas nйcessaire que la dйnonciation prйcиde.

[66504] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non in omni peccato debet homo procedere ad accusationem; sed solum in illis peccatis ex quibus in promptu est ut proveniat periculum multitudini, vel spirituale, vel corporale. Tunc enim potest homo ad accusationem procedere, monitione non praecedente, si hoc exigat utilitas communis; quia bonum commune praeferendum est bono privato.

7. L’homme ne doit pas avoir recours а l’accusation pour tous les pйchйs, mais seulement ces pйchйs desquels visiblement, provient pour la multitude un danger, soit spirituel, soit corporel. Alors, en effet, l’homme peut procйder а l’accusation sans avertissement prйalable, si l’intйrкt commun le requiert, parce qu’il faut prйfйrer le bien commun au bien privй.

[66505] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod proclamationes quae fiunt in capitulis religiosorum, magis sunt quaedam commonitiones quam accusationes vel denuntiationes. Reducitur enim fratri ad memoriam culpa de qua purgare se debet, quod famae eius detrimentum non facit; fiunt enim huiusmodi proclamationes de levibus culpis. Si autem proclamaretur aliquis in publico de aliqua gravi culpa, ex qua infamari posset, monitione non praecedente, hoc esset illicitum et contra praeceptum Christi.

8. Les proclamations qui se font dans les chapitres des religieux, sont plus des exhortations que des accusations ou des dйnonciations. Car est ramenйe а la mйmoire du frиre la faute dont il doit se purifier, ce qui n’enlиve pas sa renommйe ; car des proclamations de ce genre se font pour les fautes lйgиres. Mais si quelqu'un signale en public pour une faute grave, il pourrait par cela avoir une mauvaise rйputation ; sans avertissement prйcйdant, cela serait illйgal et contre le prйcepte du Christ.

[66506] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ex levibus peccatis non consurgit infamia, sicut consurgit ex gravibus; ideo non est eadem ratio de utriusque.

9. L’infamie ne surgit pas des petits pйchйs, comme elle surgit des pйchйs graves : ainsi ce n’est pas la mкme raison pour les uns et les autres.

[66507] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in talibus in quibus mora denuntiationis est periculosa, non oportet expectare admonitionem, sed statim procedere ad denuntiationem; nec hoc est contra praeceptum Christi, propter duo. Primo quidem, quia peccatum istud, quod vergit in periculum multorum, non est solum in te, sed est in multos; dominus autem dicit : si peccaverit in te frater tuus.

 

Secundo, quia dominus non loquitur de culpa futura cavenda, sed de culpa praeterita iam praecommissa.

10. En de tels [pйcheurs] en qui le retard de la dйnonciation est pйrilleux, il n’est pas nйcessaire d’attendre l’avertissement, mais de procйder aussitфt а la dйnonciation ; et cela n’est pas contre le prйcepte du Christ, pour deux raisons :

a/ Premiиrement parce que ce pйchй, qui tend au pйril de beaucoup, n’est pas seulement en toi, mais en beaucoup ; le Seigneur dit « Si ton frиre a pйchй contre toi… »

b/ Deuxiиmement, parce que le Seigneur ne parle pas de faute future а йviter, mais d’une faute passйe dйjа commise.

[66508] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod multo melius est et quantum ad fratrem, cuius emendationi intenditur, et quantum ad multitudinem, si fieri potest, ut secretius emendetur, ut patet ex dictis. Et ideo ille qui corrigit secundum caritatem, isto modo debet procedere.

11. Il est beaucoup mieux quant au frиre, dont la purification est atteinte, et quant а la multitude, s’il est possible qu’il soit amendй plus en secret, comme on le voit par ce qui a йtй dit. Et ainsi celui qui corrige selon la charitй doit procйder de cette maniиre.

[66509] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod si medicus procederet statim ad praecisionem membri corrupti, incaute ageret, et multoties praecideret membra quae sanari possunt; sed si sit sapiens, a levioribus remediis incipiet. Tunc demum praecidit membrum, quando experitur illud esse insanabile; et ita quidem est faciendum in correctione fraterna.

12. Si le mйdecin coupait aussitфt le membre gangrйnй, il agirait imprudemment et de nombreuses fois il couperait des membres qui peuvent кtre soignйs ; mais s’il est sage, il commencera par des remиdes plus lйgers. Alors finalement il coupe le membre, quand il sait expйrimentalement qu’il ne peut pas кtre soignй. Et il faut agir ainsi dans la correction fraternelle.

[66510] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praelato non est obediendum contra praeceptum Christi, secundum illud Act. 5, 29 : obedire oportet Deo magis quam hominibus. Sed et ille praelatus qui praecipit contra mandatum Christi a peccato non excusatur. Et ideo, si praelatus praecipiat quod aliquis dicat quod sciverit corrigendum, vel quod sciverit de peccatis alterius, intelligendum est praeceptum eius sane, in casu in quo ipse hoc potest praecipere, secundum ordinem institutum a Christo. Quod si expresse contra hunc ordinem praeceperit, non est ei obediendum. In quibusdam tamen casibus saecularis vel ecclesiasticus iudex potest iuramentum exigere, sive in via denuntiationis, sive in via inquisitionis, sive in via accusationis; in istis etiam casibus potest praelatus in religionibus per praeceptum obedientiae suos subditos obligare.

13. Il ne faut pas obйir au prйlat contre le prйcepte du Christ ; selon cette parole de Ac 5, 29 : « Il est nйcessaire d’obйir plus а Dieu qu’aux hommes ». Mais ce prйlat aussi qui ordonne un prйcepte contre le commandement du Christ n’est pas excusй de son pйchй. Et ainsi, si le prйlat avait ordonnй que quelqu'un dise ce qu’il a su devoir кtre corrigй ou ce qu’il a connu des pйchйs d’un autre, il faut penser que son prйcepte est dans le cas oщ lui-mкme peut l’ordonner selon l’ordre donnй par le Christ. Que s’il l’a ordonnй expressemment contre cet ordre, il ne faut pas lui obйir. En certains cas cependant, le juge du siиcle ou le juge ecclйsiatique peut exiger un serment, soit au cours de son enquкte ou au cours de l’accusation : en ces cas-lа, le prйlat peut obliger dans les rйunions religieuses ses sujets soumis а l’obйissance.

[66511] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod iustitia dicitur esse praeclarissima virtutum, propter decorem sui ordinis; ad quam etiam pertinet ut occultanda occultet.

14. On dit que la justice est la plus illustre des vertus en raison de la beautй de son ordre ; et il lui convient de cacher ce qui doit кtre cachй.

[66512] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ille qui occulte peccat meretur amittere famam suam; sed pro isto merito non potest ei poena recompensari, nisi ab illo qui est iudex occultorum, scilicet Deus, de quo dicitur I ad Cor., IV, 5 : qui illuminabit abscondita tenebrarum, et manifestabit consilia cordium.

15. Celui qui pиche en secret, mйrite de perdre sa rйputation, mais le chвtiment ne peut pas contrebalancer le mйrite, а moins que ce soit par celui qui est le juge des choses cachйes, c’est-а-dire Dieu duquel il est dit (1 Co 4, 5) : « Celui qui illuminera les secrets dans les tйnиbres et rendra claires les dйcisions des cњurs ».

[66513] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod non repetere sua est praeceptum, secundum quod intelligitur in praeparatione animi ut Augustinus exponit. Tenetur enim homo esse paratus sua non repetere in casu in quo hoc exigeret necessitas fidei vel caritatis; in quo etiam casu dare de novo teneretur. Sed quod ultra hunc casum homo sua non repetat, potest esse consilium debitis circumstantiis servatis, sicut et consilium est quod homo det sua quibus debet. Admonitio autem fraterna non contrariatur nec consilio nec praecepto praedicto. Potest enim aliquis fratrem admonere qui alienum accepit, ut de peccato poeniteat, et sit satisfacere paratus, etiam si ipse velit ei remittere quod debet, cum hoc viderit expedire.

 

16. Ne pas rйclamer ses biens est un prйcepte selon qu’il est connu dans une bonne disposition de l’вme, comme l’expose Augustin. En effet, l’homme est tenu de se montrer prкt а ne pas aller chercher ses biens dans le cas oщ l’exigerait la nйcessitй de la foi ou de la charitй ; dans ce cas aussi il serait mкme tenu de les donner de nouveau. Mais outre ce cas oщ l’homme n’a pas а aller chercher ses biens, il peut y avoir une dйcision, une fois observй le conseil que l’homme donne ses biens а qui il les doit. L’avertissement fraternel n’est contrariй ni par un ordre ni par un prйcepte dйjа dit. En effet, quelqu’un peut donner un avertissement а un frиre qui a reзu un bien йtranger, afin de le punir de son pйchй et qu’il soit prкt а donner satisfaction, mкme si lui-mкme voulait lui remettre ce qu’il doit quand il a vu que c’йtait utile.

[66514] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ille qui corripit delinquentem modo et ordine debito, reddit bonum pro malo; sed ille qui debitum modum et ordinem praetermittit corripiendo in publico quae sunt occulta, non reddit bonum, sed malum.

17. Celui qui corrige un dйlinquant d’une maniиre et d’un ordre obligatoire, rend le bien pour le mal, mais celui qui nйglige le mode et la rиgle obligatoires, en corrigeant en public ce qui est cachй, ne rend pas le bien mais le mal.

 

[66515] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod raro contingit quod peccata occulta publicentur; et ideo ex hoc, periculum rarius accidit. Si vero frequenter publicarentur peccata occulta, experimento perpenderetur quod pericula ex hoc sequerentur.

18. Il arrive rarement que les pйchйs cachйs soient dйvoilйs et ainsi par lа ce danger se manifeste assez rarement. Mais si les pйchйs cachйs sont frйquemment divulguйs, l’expйrience dйmontre tout au long que des dangers en dйcouleraient.

[66516] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod ex quo peccatum est occultum, et non apparet quare in promptu debeat publicari, et ille qui peccavit emendationem promittit, contra praeceptum Dei ageret qui socium peccantem vel ad praelatum vel ad alium deferret.

19. Du fait que le pйchй est cachй et qu’il n’apparaоt pas pourquoi il devrait кtre rendu public visiblement et que celui qui a pйchй promet de s’amender, il agirait contre le prйcepte de Dieu, celui qui rйvиlerait un frиre pйcheur soit au prйlat soit а un autre.

[66517] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod peccata quae in Deum committuntur, non est nostri arbitrii ea dimittere in poenitentia; est tamen nostri arbitrii in eis corrigendis ordinem servare quem Christus instituit.

20. Pour ce qui concerne les pйchйs qui sont commis contre Dieu, il ne dйpend pas de nous de les envoyer en pйnitence, mais il dйpend de nous, pour ceux qui doivent кtre corrigйs, de conserver l’ordre que le Christ a instituй.

[66518] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod intelligitur ille qui peccat corripientem audire, quando et cessat ab opere et facit alia quae sunt facienda pro salute, confitendo et satisfaciendo. Et tunc, quantumcumque sit grave peccatum, aliquis lucratur fratrem sic audientem.

21. On pense que celui qui pиche а йcouter celui qui le corrompt quand il cesse son acte et fait d’autres choses qui sont а faire pour son salut, par la confession et la satisfaction. Et alors, si grave que soit le pйchй, quelqu'un gagne son frиre qui l’йcoute ainsi.

[66519] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod verbum quod adversus fratrem audimus, sic debet in nobis commorari, ut a nobis non procedat ad fratris infamiam; non tamen prohibetur quin procedat ulterius ad fratris emendationem.

22. La parole que nous entendons contre un frиre, ne doit pas demeurer en nous ; pour que par nous-mкmes elle en vienne а l’infamie du frиre, cependant, il n’est pas interdit d’aller plus loin pour la correction.

[66520] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod cum dominus dicit, Corripe inter te et ipsum solum, non intelligendum est quod semel corripiatur sed bis et ter, aut etiam pluries, quamdiu probabiliter spes maneat quod secretius corripi possit. Cum vero probabiliter praesumitur quod sic corrigi non possit, tunc intelligitur non audire.

23. Quand le Seigneur dit : « Rйprimende le seul а seul », on ne doit pas le comprendre dans le sens qu’il est reprimendй une seule fois, mais deux et trois fois ou mкme plus, aussi longtemps que demeure avec vraisemblance l’espoir qu’il puisse кtre corrigй plus secrиtement. Quand on prйsume avec vraisemblance qu’il ne pourrait se corriger ainsi, on pense qu’il n’йcoute pas.

[66521] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod testes inducuntur vel ad ostendendum quod hoc sit peccatum de quo aliquis arguitur, ut Hieronymus dicit; vel ad convincendum de actu, si actus iteretur, ut Augustinus dicit; vel ad testificandum quod frater admonens fecit quod in se fuit, ut Chrysostomus dicit.

24. On amиne des tйmoins ou bien pour dйvoiler le pйchй de celui qui est accusй, comme le dit Jйrфme ; ou bien pour le convaincre de son acte s’il rйcidive, comme le dit Augustin, ou bien pour tйmoigner de ce que le frиre qui l’avertit a fait ce qui a йtй en lui, comme le dit Jean Chrysostome.

[66522] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod homo non indiget testibus ad emendationem sui peccati; potest tamen indigere testibus ad emendationem alterius secundum tres modos praedictos. Et ideo non est similis ratio de peccato proprio, et de peccato fratris.

25. L’homme n’a pas besoin de tйmoins pour se corriger de son pйchй ; il peut cependant avoir besoin de tйmoins pour la correction d’un autre selon les trois modes prйcitйs. Et c’est pourquoi, ce n’est pas la mкme raison dans le cas du pйchй personnel ou de celui du frиre.

[66523] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod Augustinus intelligit quod prius dicatur praelato quam testibus, secundum quod prelatus est quaedam singularis persona, quae potest prodesse etiam magis quam alii. Sic autem dicere praelato, non est dicere Ecclesiae; sed quando dicitur in publico, quasi in loco iudicii residenti.

26. Augustin pense qu’on le dit au prйlat avant de le dire aux tйmoins, dans la mesure oщ ce dernier est une personne particuliиre qui peut кtre plus utile que les autres. Ainsi, le dire au prйlat, ce n’est pas le dire а l’Йglise, mais quand c’est dit en public, c’est comme dans le lieu oщ rйside le juge.

 

 

Question 4 : [L’espйrance]

© Traduction Professeur Jacques Mйnard, avril 2007

Prologue

Prooemium

[66524] De virtutibus, q. 4 pr. 1 Et primo quaeritur utrum spes sit virtus.

[66525] De virtutibus, q. 4 pr. 2 Secundo utrum spes sit in voluntate sicut in subiecto.

[66526] De virtutibus, q. 4 pr. 3 Tertio utrum spes sit prior caritate.

[66527] De virtutibus, q. 4 pr. 4 Quarto utrum spes sit solum in viatoribus.

Article 1 – Est-ce que l’espйrance est une vertu ?

Article 2 – Est-ce que l’espйrance se trouve dans la volontй comme dans son sujet ?

Article 3 ­­– Est-ce que l’espйrance prйcиde la charitй ?

Article 4 ­­– Est-ce que l’espйrance n’existe que chez ceux qui sont en route [in viatoribus] ?

 

Articulus 1 : [66528] De virtutibus, q. 4 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum spes sit virtus

Article 1 ­– Est-ce que l’espйrance est une vertu ?

Objections :

[66529] De virtutibus, q. 4 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66530] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 1 Virtus enim non se habet ad bonum et malum, sed ad bonum tantum; unde Augustinus dicit in libro de libero Arbit., quod virtute nullus male utitur. Sed spes se habet ad bonum et malum : quidam enim habent bonam, quidam malam spem. Ergo spes non est virtus.

1. En effet, la vertu ne porte pas sur le bien et sur le mal, mais seulement sur le bien. Aussi Augustin dit-il dans le livre Sur le libre arbitre, que personne n’utilise mal la vertu. Or, l’espйrance porte sur le bien et sur le mal : en effet, certains ont une bonne espйrance, et d’autres une mauvaise. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66531] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, virtutem Deus operatur in nobis sine nobis, ut supra dictum est; et sic patet quod nulla virtus est ex meritis, sed praecedit merita. Sed spes est ex meritis : est enim spes certa expectatio futurae beatitudinis ex gratia et meritis proveniens, ut Magister dicit 26 dist., Lib. III Sent. Ergo spes non est virtus.

2. Dieu rйalise en nous sans nous la vertu, comme on l’a dit plus haut ; il est ainsi clair qu’aucune vertu ne provient du mйrite, mais prйcиde les mйrites. Or, «l’espйrance se fonde sur les mйrites : en effet, l’espйrance est une attente certaine de la bйatitude future provenant de la grвce et des mйrites», comme le dit le Maоtre, Sentences, III, d. 26. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66532] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 3 Sed dicendum, quod spes praesupponit merita non in actu, sed in habitu.- Sed contra, habitus qui est principium merendi, est caritas. Sed spes non praesupponit caritatem, sed praecedit eam : dicitur enim Matth., I, in Glossa, quod spes generat caritatem. Ergo spes non praesupponit merita in habitu.

3. L’espйrance prйsuppose des mйrites, non pas en acte, mais en habitus. – En sens contraire, l’habitus qui est le principe du mйrite est la charitй. Or, l’espйrance ne prйsuppose pas la charitй, mais la prйcиde. En effet, il est dit dans la Glose sur Mt 1, que «l’espйrance engendre la charitй». L’espйrance ne prйsuppose donc pas de mйrites en habitus.

[66533] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, virtus est dispositio perfecti, secundum philosophum in VI Physic.; unde et in IV Ethicor. probat, quod verecundia non est virtus, quia est imperfecti. Sed spes est dispositio imperfecti, quia est distantis a bono. Ergo spes non est virtus.

4. La vertu est une disposition de celui qui est parfait, selon le Philosophe, Physique, VI. Aussi dйmontre-t-il, dans Йthique, IV, que la pudeur n’est pas une vertu, parce qu’elle est le fait de celui qui est imparfait. Or, l’espйrance est une disposition de celui qui est imparfait, car elle est le fait de celui qui est йloignй du bien. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66534] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, nulla passio est virtus : quia passionibus nec laudamur nec vituperamur, ut dicitur in II Ethicor. Sed spes est una de quatuor principalibus passionibus. Ergo spes non est virtus.

5. Aucune passion n’est une vertu, car nous ne sommes ni louangйs ni rйprimandйs pour nos passions, comme il est dit dans Йthique, II. Or, l’espoir est une des quatre principales passions. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66535] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 6 Sed dicendum, quod spes quae est passio, non est virtus, sed aliquid ad mentem pertinens.- Sed contra, omnes passiones appetitus sensitivi habent aliquid simile in mente : sicut enim est spes et amor appetitus sensitivi et intellectivi, ita etiam et desiderium, et delectatio, et alia huiusmodi. Sed in aliis passionibus praeter amorem non sumuntur nomina virtutum. Ergo neque aliqua virtus debet dici spes.

6. L’espoir, qui est une passion, n’est pas une vertu, mais quelque chose qui relиve de l’esprit. ­– En sens contraire, toutes les passions de l’appйtit sensible ont quelque chose de semblable dans l’esprit : en effet, de mкme qu’il y a espoir et amour dans l’appйtit sensible et intellectif, de mкme y a-t-il dйsir, plaisir, et d’autres choses de ce genre. Mais, pour les autres passions que l’amour on n’utilise pas les noms des vertus. On ne doit donc pas donner le nom de vertu а l’espoir.

[66536] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 7 Praeterea, tria sunt genera virtutum : sunt enim quaedam virtutes morales, quaedam intellectuales, quaedam theologicae. Sed spes non est virtus moralis, quia non reducitur ad aliquam cardinalium virtutum; nec etiam virtus intellectualis, quia non pertinet ad vim cognitivam, sed appetitivam; nec etiam est virtus theologica, quia theologicae virtutis non est esse in medio, sed in extremo, secundum illud Deut., VI, 5 : diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Spes autem medium tenet inter praesumptionem et desperationem.

7. Il existe trois genres de vertus : les vertus morales, les vertus intellectuelles et les vertus thйologales. Or, l’espйrance n’est pas une vertu morale, parce qu’elle ne se ramиne а aucune des vertus cardinales. Elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne relиve pas de la puissance cognitive, mais de la puissance appйtitive. Elle n’est pas non plus une vertu thйologale, car les vertus thйologales ne se situent pas dans un milieu, mais dans un extrкme, selon ce que dit Dt 6, 5 : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cњur. Or, l’espйrance occupe le milieu entre la prйsomption et le dйsespoir.

[66537] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, virtus, maxime theologica, est quoddam donum supernaturale divinitus nobis infusum. Sed ad sperandum beatitudinem aeternam non indigemus aliquo dono supernaturali : quia, cum bonum naturaliter moveat appetitum, summum bonum, quod est beatitudo, maxime naturaliter appetitum movebit. Ergo spes non est virtus.

8. La vertu, surtout la vertu thйologale, est un don surnaturel infusй en nous par Dieu. Or, pour espйrer la bйatitude йternelle, nous n’avons pas besoin d’un don surnaturel, car, puisque le bien meut naturellement l'appйtit, le bien suprкme qu’est la bйatitude mouvra naturellement l’appйtit au plus haut point. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66538] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 9 Praeterea, actus caritatis est perfectior quam actus spei. Sed ad actum caritatis potest natura creata absque dono gratiae, secundum illorum opinionem qui dicunt, quod homo et Angelus in naturalibus creati Deum supra se et supra omnia dilexerunt; quod videtur esse actus caritatis. Ergo multo magis potest aliquis in actum spei sine dono gratiae. Ergo spes non est virtus.

9. L’acte de charitй est plus parfait que l’acte d’espйrance. Or, la nature crййe est capable d’un acte de charitй sans le don de la grвce, selon l’opinion de ceux qui disent que l’homme et l’ange, crййs avec leurs attributs naturels, ont aimй Dieu plus qu’eux-mкmes et que toutes choses, ce qui semble кtre un acte de charitй. А bien plus forte raison, donc, quelqu’un est-il capable d’un acte d’espйrance sans le don de la grвce. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66539] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 10 Praeterea, virtus, secundum philosophum in I Ethic., est omni arte certior. Sed hoc non competit spei : causatur enim ex gratia et meritis, quae sunt incerta, secundum illud Eccle., IX, 1 : nemo scit utrum sit dignus odio, vel amore. Ergo spes non est virtus.

10. Selon le Philosophe, dans Йthique, I, la vertu est plus certaine que tout art. Or, cela ne convient pas а l’espйrance : en effet, elle est causйe par la grвce et les mйrites, selon Si 9, 1 : Personne ne sait s’il est digne de haine ou d’amour. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66540] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis virtus potest esse in caritate. Spes autem importat distantiam, caritas autem unionem, secundum illud quod Dionysius dicit in IV cap. de divinis nominibus, quod amor est vis unitiva. Ergo spes non est virtus.

11. Toute vertu peut exister dans la charitй. Or, l’espйrance comporte une distance, mais la charitй, l’union, selon ce que dit Denys, Les noms divins, IV, que l’amour est une force unitive. L’espйrance est donc une vertu.

[66541] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 12 Praeterea, omnis plenitudo gratiarum et virtutum fuit in Christo, secundum illud Ioan., cap. I, 14 : vidimus eum (...) plenum gratiae et veritatis. Sed spes non fuit in Christo : qui enim videt, non sperat, ut habetur Rom., cap. VIII, 24. Ergo spes non est virtus.

12. Toute la plйnitude des grвces et des vertus se trouvait dans le Christ, selon Jn 1, 14 : Nous l’avons vu…, plein de grвce et de vйritй. Or, l’espйrance n’existait pas chez le Christ : en effet, celui qui voit n’espиre pas, comme on le lit dans Rm 8, 24. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66542] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 13 Praeterea, virtus causat delectationem in actu. Sed spes e contrario causat afflictionem, secundum illud Proverb., XIII, 12 : spes quae differtur, affligit animam. Ergo spes non est virtus.

13. La vertu produit un plaisir dans son acte. Or, l’espйrance cause au contraire une affliction, selon ce que dit Pr 13, 12 : L’espйrance qui est reportйe afflige l’вme. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66543] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus per se habet delectationem, ut dicitur in I Ethicorum. Spes autem et memoria non sunt delectabilia secundum se, ut dicitur in II Metaph. Ergo spes non est virtus.

14. La vertu comporte par elle-mкme une dйlectation, comme il est dit dans Йthique, I. Or, l’espйrance et la mйmoire ne sont pas dйlectables par elles-mкmes, comme il est dit dans Mйtaphysique, II. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66544] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 15 Praeterea, nulla virtus facit actum malum. Sed spes facit actum malum, quia facit actum difficilem. Ergo spes non est virtus.

15. Aucune vertu ne rend un acte mauvais. Or, l’espйrance rend un acte mauvais, parce qu’elle fait un acte difficile. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66545] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 16 Praeterea, spes est expectatio quaedam, ut dictum est. Expectatio autem importat distantiam. Ergo maxima spes importat maximam distantiam a bono sperato, quod est beatitudo. Sed maxima virtus non habet maximam distantiam a beatitudine, immo facit maximam propinquitatem ad ipsam. Ergo spes non est virtus.

16. L’espйrance est une certaine attente, comme on l’a dit. Or, l’attente comporte une distance. Une trиs grande espйrance comporte donc une trиs grande distance par rapport au bien espйrй, qui est la bйatitude. Or, une trиs grande vertu n’a pas une trиs grande distance par rapport а la bйatitude, bien plus, elle rйalise un trиs grand rapprochement par rapport а elle. L’espйrance n’est donc pas une vertu.

[66546] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 17 Praeterea, sicut est spes futurorum, ita est memoria praeteritorum. Sed memoria praeteritorum non est virtus. Ergo nec spes futurorum.

17. De mкme que l’espйrance porte sur des choses а venir, de mкme la mйmoire porte sur des choses passйes. Or, la mйmoire des choses passйes n’est pas une vertu. Donc, ni l’espйrance de choses а venir.

Cependant :

[66547] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Per virtutes in beatitudinem introducimur : nam felicitas virtutis est praemium, ut dicitur in I Ethic. Sed spes introducit in beatitudinem : dicitur enim ad Hebr., VI, 18-19, quod habemus spem incedentem, et incedere facientem ad interiora velaminis, id est ad beatitudinem caelestem, ut Glossa ibidem exponit. Ergo spes est virtus.

1. Nous sommes introduits dans la bйatitude par les vertus, car la fйlicitй est la rйcompense des vertus, comme il est dit dans Йthique, I. Or, l’espйrance introduit dans la bйatitude. En effet, il est dit dans He 6, 18‑19 : Nous avons une espйrance qui progresse, et qui nous fait entrer а l’intйrieur du voile, c’est-а-dire, «dans la bйatitude йternelle», comme l’explique la Glose а cet endroit. L’espйrance est donc une vertu.

[66548] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, I ad Cor., XIII, 13 : nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Sed fides et caritas sunt virtutes. Ergo et spes.

2. De plus, 1 Co 13, 13 dit : Maintenant, demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois choses. Or, la foi et la charitй sont des vertus. Donc, l’espйrance aussi.

[66549] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius in I Mor. dicit, quod per tres filias Iob significantur hae tres virtutes : fides, spes et caritas. Ergo est virtus.

3. Grйgoire dit, dans Morales, I, que ces trois vertus sont signifiйes par les trois filles de Job : la foi, l’espйrance et la charitй. [L’espйrance] est donc une vertu.

[66550] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, praecepta legis dantur de actibus virtutum. Sed multa praecepta dantur de actu spei; dicitur enim in Psal. XXXVI, 3 : spera in Deo, et fac bonitatem. Ergo spes est virtus.

4. Les commandements de la loi portent sur des actes des vertus. Or, plusieurs commandements portent sur l’acte de l’espйrance. En effet, il est dit dans Ps 36, 3 : Espиre en Dieu et fais le bien. L’espйrance est donc une vertu.

Rйponse :

[66551] De virtutibus, q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quia habitus cognoscuntur per actus, et actus per obiecta, ad cognoscendum an spes sit virtus, oportet considerare de ratione actus eius. Manifestum autem est quod sperare importat motum quemdam appetitivae virtutis tendentem in bonum, non quidem ut iam habitum, sicut gaudium et delectatio, sed tamquam assequendum, sicut etiam desiderium et cupiditas. Differt tamen spes a desiderio in duobus. Primo quidem, quia desiderium est communiter cuiuscumque boni, et ideo attribuitur concupiscibili : spes autem est boni ardui, quod difficile est assequi, et ideo attribuitur irascibili. Secundo, quia desiderium est alicuius boni absolute, absque consideratione possibilitatis et impossibilitatis illius; sed spes tendit in aliquod bonum, sicut in id quod est possibile adipisci : importat enim in sui ratione quamdam securitatem adipiscendi. Ergo sic in obiecto spei quatuor considerantur. Primo quidem, quod sit bonum; per quod differt a timore. Secundo, quod sit boni futuri; per quod differt a gaudio vel delectatione. Tertio, quod sit boni ardui; per quod differt a desiderio. Quarto, quod sit boni possibilis; per quod differt a desperatione. Est autem possibile aliquod haberi ab aliquo dupliciter : uno modo per propriam potestatem; alio modo per auxilium alterius : nam quae per amicos sunt possibilia, aliqualiter possibilia dicimus, ut patet per philosophum in III Ethic. Sic igitur quandoque sperat homo aliquid adipisci per propriam potestatem, quandoque vero per auxilium alienum; et talis spes expectationem habet, in quantum homo respicit in auxilium alterius. Et tunc necesse est quod motus spei feratur in duo obiecta : scilicet in bonum adipiscendum, et in eum cuius auxilio innititur. Summum autem bonum, quod est beatitudo aeterna, homo adipisci non potest nisi per auxilium divinum, secundum illud Rom., VI, v. 23 : gratia Dei vita aeterna. Et ideo spes adipiscendi vitam aeternam habet duo obiecta, scilicet ipsam vitam aeternam, quam quis sperat, et auxilium divinum, a quo sperat; sicut etiam fides habet duo obiecta : scilicet rem quam credit, et veritatem primam, cui correspondet. Fides autem non habet rationem virtutis, nisi in quantum inhaeret testimonio veritatis primae, ut ei credat quod ab ea manifestatur, secundum illud Genes., XV, 6 : credidit Abraham Deo, et reputatum est ei ad iustitiam; unde et spes habet rationem virtutis ex hoc ipso quod homo inhaeret auxilio divinae potestatis ad consequendum vitam aeternam. Si enim aliquis inniteretur humano auxilio, vel suo vel alterius, ad consequendum perfectum bonum absque auxilio divino, esset hoc vitiosum, secundum illud Ierem., cap. XVII, 5 : maledictus homo qui confidit in homine, et ponit carnem brachium suum. Sic igitur, sicut formale obiectum fidei est veritas prima, per quam sicut per quoddam medium assentit his quae creduntur, quae sunt materiale obiectum fidei; ita etiam formale obiectum spei est auxilium divinae potestatis et pietatis, propter quod tendit motus spei in bona sperata, quae sunt materiale obiectum spei. Sicut ergo ea quae creduntur materialiter, omnia referuntur ad Deum, quamvis aliqua eorum sint creata : sicut quod credimus omnes creaturas esse a Deo, et corpus Christi esse a filio Dei assumptum in unitate personae; ita etiam omnia quae materialiter sperantur, ordinantur in unum finale speratum, quod est fruitio Dei. In ordine enim ad hanc fruitionem speramus adiuvari a Deo non solum spiritualibus, sed etiam corporalibus beneficiis.

Parce que les habitus sont connus par leurs actes, et leurs actes par les objets de ceux-ci, pour savoir si l’espйrance est une vertu, il est nйcessaire d’examiner la raison mкme de son acte. Or, il est clair qu’espйrer comporte un certain mouvement de la puissance appйtitive tendant vers un bien, non pas dйjа possйdй, comme c’est le cas pour la joie et la dйlectation, mais recherchй, comme c’est aussi le cas du dйsir et de la cupiditй. Toutefois, l’espoir diffиre du dйsir sur deux points. Premiиrement, le dйsir porte d’une maniиre gйnйrale sur tous les biens : c’est pourquoi il est attribuй au concupiscible. Mais l’espoir porte sur un bien difficile, qu’il est difficile d’atteindre : c’est pourquoi il est attribuй а l’irascible. Deuxiиmement, le dйsir porte sur un bien de maniиre absolue, sans considйration de sa possibilitй ou de son impossibilitй. Mais l’espoir tend vers un bien comme vers quelque chose qu’il est possible d’obtenir : en effet, il comporte dans sa raison mкme une certaine assurance de l’obtenir. Dans l’objet de l’espoir, quatre choses doivent donc кtre relevйes. Premiиrement, il s’agit d’un bien : il diffиre en cela de la crainte. Deuxiиmement, il porte sur un bien futur : il diffиre en cela de la joie ou de la dйlectation. Troisiиmement, il porte sur un bien difficile : il diffиre en cela du dйsir. Quatriиmement, il porte sur un bien possible : il diffиre en cela du dйsespoir. Or, quelque chose peut кtre obtenu par quelqu’un de deux maniиres : d’une maniиre, par sa propre puissance; d’une autre maniиre, par l’aide d’un autre, car nous disons qu’est possible d’une certaine maniиre ce qui est possible par l’intermйdiaire d’amis, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Йthique, III. Ainsi donc, parfois l’homme espиre atteindre quelque chose par sa propre puissance, mais parfois par l’aide d’un autre, et un tel espoir comporte une attente dans la mesure oщ l’homme compte sur l’aide d’autrui. Il est alors nйcessaire que le mouvement de l’espoir se porte sur deux objets : sur le bien а atteindre, et sur celui sur l’aide de qui il s’appuie. Or, l’homme ne peut atteindre le bien suprкme, qui est la bйatitude йternelle, qu’avec l’aide de Dieu, selon Rm 6, 23 : La vie йternelle par la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance d’atteindre la vie йternelle a deux objets : la vie йternelle elle-mкme, que quelqu’un espиre, et l’aide divine, par laquelle il espиre, de mкme que la foi a deux objets : la chose qui est crue, et la Vйritй premiиre, а laquelle elle correspond. Or, la foi n’a raison de vertu que si elle adhиre au tйmoignage de la Vйritй premiиre, de sorte que soit cru ce qui est manifestй par elle, selon Gn 15, 6 : Abraham crut en Dieu, et cela lui fut comptй comme justice. Aussi l’espйrance a-t-elle raison de vertu du fait mкme que l’homme adhиre а l’aide de la puissance divine en vue d’obtenir la vie йternelle. En effet, si quelqu’un adhйrait а une aide humaine, la sienne ou celle d’un autre, afin d’obtenir le bien parfait sans l’aide divine, cela serait vicieux, selon Jr 17, 5 : Maudit soit l’homme qui a mis sa confiance dans l’homme et fait de la chair sa puissance. Ainsi donc, de mкme que l’objet formel de la foi est la Vйritй premiиre, par laquelle il donne son assentiment comme par un moyen aux rйalitйs qui sont crues, qui sont l’objet matйriel de la foi, de mкme l’objet formel de l’espйrance est-il l’aide de la puissance et de la bienveillance divines, en raison de laquelle le mouvement de l’espйrance tend vers les biens espйrйs, qui sont l’objet matйriel de l’espйrance. De mкme donc que ce qui est cru matйriellement se rapporte entiиrement а Dieu, bien que certains de ses йlйments soient crййs (ainsi, nous croyons que toutes les crйatures tirent leur кtre de Dieu, et que le corps du Christ a йtй assumй par le Fils de Dieu dans l’unitй de sa personne), de mкme tout ce qui est espйrй est-il entiиrement ordonnй а une seule rйalitй espйrйe а titre de fin, qui est la jouissance de Dieu. En effet, en regard de cette jouissance, nous espйrons кtre aidйs par Dieu, non seulement par des bienfaits spirituels, mais aussi par des bienfaits corporels.

Solutions :

[66552] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes secundum quod inhaeret divino auxilio, non potest se ad malum habere; nullus enim potest nimis de Deo sperare. Sed quod aliquis male speret, hoc contingit quia non inhaeret Deo, sed suae virtuti, vel falsae opinioni; puta cum praesumit se salvandum etiam in peccatis perseverans.

1. L’espйrance, dans la mesure oщ elle adhиre а l’aide divine, ne peut pas se comporter mal : en effet, personne ne peut trop espйrer de Dieu. Mais que quelqu’un espиre mal, cela arrive parce qu’il n’adhиre pas а Dieu, mais а sa propre puissance ou а une fausse opinion, par exemple, parce qu’il prйsume qu’il sera sauvй mкme s’il persйvиre dans les pйchйs.

[66553] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur spes esse expectatio futurae beatitudinis, ex gratia et meritis proveniens, dupliciter potest intelligi. Uno modo ut expectatio intelligatur ex meritis provenire ex parte expectantis; ut scilicet, expectatio talis causetur in homine ex praecedentibus meritis. Et in hoc sensu procedit obiectio, qui falsus est. Alio modo potest intelligi expectatio esse ex meritis ex parte rei expectatae; et hic est sensus verus : expectamus enim quod per gratiam Dei et bona merita beatitudinem consequamur.

2. Lorsqu’on dit que l’espйrance est une attente de la bйatitude а venir provenant de la grвce et des mйrites, cela peut s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, en comprenant que l’attente provient des mйrites du point de vue de celui qui attend, а savoir, qu’une telle attente soit causйe dans l’homme par des mйrites qui prйcиdent. C’est le sens de l’objection, qui est faux. D’une autre maniиres, on peut comprendre que l’attente vient des mйrites du point de vue de la chose espйrйe, et ce sens est vrai : en effet, nous espйrons que, par la grвce de Dieu et des mйrites bons, nous obtenions la bйatitude.

[66554] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum hunc sensum, merita non praecedunt ex necessitate spem nec actu nec habitu; sed praecedunt rem speratam scilicet beatitudinem : unde potest esse quod sperans non habeat merita nec actu nec habitu, sed solum in proposito.

3. En ce sens, les mйrites ne prйcиdent pas nйcessairement l’espйrance, ni en acte, ni par l’habitus. Mais ils prйcиdent la chose espйrйe, а savoir, la bйatitude. Aussi peut-il arriver que celui qui espиre n’ait pas de mйrites, ni en acte, ni par en habitus, mais seulement par l’intention.

[66555] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spes secundum quod refertur ad materiale obiectum, est dispositio imperfecti, quia quod speratur, nondum habetur; sed secundum quod respicit obiectum formale, scilicet auxilium divinum sic est dispositio perfecti; in hoc enim consistit perfectio hominis ut Deo inhaereat. Et simile etiam est de fide, quae habet imperfectionem, eo quod nondum videt ea quae credit; habet autem perfectionem ex eo quod inhaeret testimonio primae veritatis, et ex hoc est virtus.

4. L’espйrance, selon qu’elle se rapporte а son objet matйriel, est une disposition de quelqu’un d’imparfait, car ce qui est espйrй n’est pas encore possйdй. Mais, selon qu’elle porte sur son objet formel, а savoir, l’aide divine, elle est alors une disposition de quelqu’un de parfait : en effet, la perfection de l’homme consiste en ce qu’il adhиre а Dieu. Et il en est aussi de mкme de la foi, qui comporte une imperfection du fait qu’elle ne voit pas encore ce qu’elle croit; mais elle possиde une perfection du fait qu’elle adhиre au tйmoignage de la Vйritй premiиre, et, pour autant, elle est une vertu.

[66556] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spes est passio, secundum quod est motus appetitus sensitivi, cuius obiectum Deus esse non potest; et ideo talis spes virtus non dicitur, sed illa quae est motus mentis, quae est capax Dei.

5. L’espoir est une passion selon qu’elle est un mouvement de l’appйtit sensible, dont l’objet ne peut pas кtre Dieu. C’est pourquoi un tel espoir n’est pas appelй une vertu, mais celui qui est un mouvement de l’esprit, qui est capable de Dieu.

[66557] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nulla virtus potest denominari proprie ab aliqua passione, nisi theologica. Nam virtutes intellectuales pertinent ad vim cognitivam; passiones autem animae sunt in vi appetitiva. Virtutes autem morales consistunt medium in passionibus; unde virtus moralis non nominatur ab aliqua passione absolute, sed a moderatione passionum, sicut temperantia, fortitudo, et similia. Sed motus humanae mentis qualitercumque Deum attingeret, ad virtutem pertinet; et ideo nomina simplicium motuum, sive passionum, adaptantur virtutibus theologicis. Et quia virtutum theologicarum obiectum est Deus, quod est summum bonum, manifestum est quod passiones quarum obiectum est malum, non possunt nominare virtutes theologicas. Similiter etiam, cum virtus theologica pertineat ad statum viae ante iudicium tantum, passiones quarum obiectum est bonum praesens, ut delectatio et gaudium, non sunt nomina aliquarum virtutum, sed magis pertinent ad beatitudinem; unde delectatio ponitur una de dotibus beatitudinis. Desiderium autem importat quidem motum in futurum, sed sine aliqua praesenti inhaesione vel spirituali contactu ipsius Dei; unde nec desiderium nominat virtutem aliquam. Unde relinquitur quod solum spes et amor nominant theologicas virtutes.

6. Aucune vertu ne peut кtre nommйe au sens propre а partir d’une passion, si ce n’est une vertu thйologale. Car les vertus intellectuelles se rapportent а la puissance cognitive, et les passions de l’вme sont dans la puissance appйtitive. Mais les vertus morales se situent dans un milieu entre des passions ; aussi la vertu morale n’est-elle pas nommйe а partir d’une passion prise isolйment, mais а partir de la modйration des passions, comme la tempйrance, la force et les choses semblables. Mais le mouvement de l’esprit humain, quelle que soit la maniиre dont il atteint Dieu, se rapporte а la vertu. C’est pourquoi les noms des mouvements simples ou des passions sont adaptйs aux vertus thйologales. Et parce que l’objet des vertus thйologales est Dieu, qui est le Bien suprкme, il est clair que les passions dont l’objet est un mal ne peuvent donner leur nom aux vertus thйologales. De mкme aussi, puisque la vertu thйologale ne concerne que l’йtat de la vie antйrieur au jugement, les passions dont l’objet est un bien prйsent, comme la dйlectation et la joie, ne sont pas des noms de vertus, mais se rapportent plutфt а la bйatitude ; aussi la dйlectation est-elle donnйe comme un des ornements de la bйatitude. Or, le dйsir comporte un certain mouvement vers le futur, mais sans une adhйsion actuelle ou un contact spirituel avec Dieu lui-mкme ; aussi le dйsir ne donne-t-il pas non plus son nom а une vertu. Il reste donc que seuls l’espoir et l’amour donnent leur nom а des vertus thйologales.

[66558] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ideo virtutes morales consistunt in medio, quia ad virtutem moralem pertinet attingere regulam rationis circa proprium et per se obiectum, scilicet circa passiones et operationes humanas. Omne autem regulatum, in quantum est huiusmodi, habet rationem medii; quod autem a regula discedit, aut superfluum aut diminutum est. Dicitur etiam, quod virtus intellectualis consistit in hoc quod attingat verum, quod est bonum intellectus. Veritas autem intellectus humani regulatur et mensuratur ab essentia rei; ex eo enim quod res est vel non est, opinio vera est vel falsa. Et ideo etiam virtus intellectualis circa proprium obiectum, in medio consistit, ut scilicet hoc apprehendat homo de re quod est, non plus nec minus. Sed virtus theologica habet pro obiecto ipsam primam regulam non regulatam. Et ideo sufficit qualitercumque attingere regulam ad rationem virtutis; propter quod secundum operationem ad proprium et formale obiectum virtus theologica in medio non consistit. Sed ex parte materialis obiecti potest consistere in medio, et hoc accidit ei, sicut fides Catholica in divinis procedit inter haeresim Sabellii confundentis personas, et haeresim Arii substantiam separantis. Et eodem modo ex parte eius quod est materiale, obiectum spei consistit in medio, in quantum scilicet aliquis sperat se adipisci beatitudinem sic vel aliter : sed ex parte formalis obiecti, quod est auxilium divinum, non consistit in medio; nullus enim potest nimis divino auxilio inniti.

7. Les vertus morales se situent а ce point dans un milieu parce qu’il appartient а la vertu morale d’atteindre la rиgle de la raison а propos de ce qui est par soi son objet propre, а savoir, а propos des passions et des opйrations humaines. Or, tout ce qui soumis а une rиgle, en tant que tel, a raison de milieu ; mais ce qui s’йloigne de la rиgle est un excиs ou un manque. On dit aussi que la vertu intellectuelle consiste en ce qu’elle atteingne le vrai, qui est le bien de l’intelligence. Or, la vйritй de l’intellect humain est rйglйe et mesurйe par l’essence d’une chose : en effet, une opinion est vraie ou fausse du fait qu’une chose est ou n’est pas. C’est pourquoi la vertu intellectuelle aussi se situe dans un milieu par rapport а son objet propre, а savoir, que l’homme apprйhende d’une chose ce qu’elle est, ni plus ni moins. Mais la vertu thйologale a comme objet la rиgle elle-mкme, non soumise а une rиgle. C’est pourquoi il suffit pour la raison de la vertu [thйologale] qu’elle atteigne la rиgle de n’importe quelle maniиre. C’est la raison pour laquelle la vertu thйologale ne se situe pas dans un milieu selon son opйration par rapport а son objet propre et formel. Mais, du point de vue de l’objet matйriel, elle peut se situer dans un milieu, et cela lui arrive, comme la foi catholique, а propos des rйalitйs divines, avance entre l’hйrйsie de Sabellius qui confond les personnes, et l’hйrйsie d’Arius, qui sйpare la substance. Et, de la mкme maniиre, du point de vue de ce qui est matйriel, l’objet de l’espйrance se situe dans un milieu, dans la mesure oщ quelqu’un espиre possйder la bйatitude de telle ou telle maniиre. Mais, du point de vue de l’objet formel, qui est l’aide divine, elle ne se situe pas dans un milieu. En effet, personne ne peut trop s’appuyer sur l’aide divine.

[66559] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod bonum proportionatum movet appetitum; non enim naturaliter appetuntur ea quae non sunt proportionata. Quod autem beatitudo aeterna sit bonum proportionatum nobis, hoc est ex gratia Dei; et ideo spes, quae tendit in hoc bonum sicut proportionatum homini ad habendum, est donum divinitus infusum.

8. Le bien proportionnй meut l’appйtit : en effet, ce qui n’est pas proportionnй n’est pas dйsirй naturellement. Mais que la bйatitude йternelle soit pour nous un bien proportionnй, cela vient de la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance, qui tend vers ce bien en tant que sa possession est proportionnйe а l’homme, est un don infus de Dieu.

[66560] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diligere Deum super omnia, potest intelligi dupliciter. Uno modo secundum quod bonum divinum est principium et finis totius esse naturalis; et sic amant Deum super omnia non solum rationalia, sed et bruta animalia et inanimata in quantum amare possunt, quia unicuique parti amabilius est bonum totius quam proprium bonum; unde naturaliter manus se exponit ictui pro salute totius corporis. Sed iste naturalis amor Dei pervertitur ab hominibus per peccatum; unde in statu naturae integrae poterat homo Deum diligere super omnia secundum modum praedictum. Alio modo potest aliquis diligere Deum super omnia, secundum quod Deus est obiectum beatitudinis, et secundum quod fit quaedam societas rationalis mentis ad Deum quadam spirituali unitate; et talis dilectio est actus caritatis, in quem nulla creatura potest sine gratia.

9. Aimer Dieu par-dessus tout peut s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, pour autant que le bien divin est le principe et la fin de tout l’кtre naturel ; et ainsi, ce ne sont pas seulement les кtres raisonnables qui aiment Dieu par-dessus tout, mais aussi les animaux sans raison et les choses inanimйes, pour autant qu’elles peuvent aimer, car le bien du tout est plus aimable а une partie que son propre bien. C’est pourquoi la main s’expose naturellement а un coup pour sauver tout le corps. Mais cet amour naturel de Dieu est perverti chez les hommes par le pйchй. Aussi, dans l’йtat de nature intиgre, l’homme pouvait-il aimer Dieu par-dessus tout de la maniиre indiquйe. D’une autre maniиre, quelqu’un peut aimer Dieu par-dessus tout selon que Dieu est l’objet de la bйatitude ; et, de cette maniиre, s’йtablit une certaine communion de l’esprit avec Dieu par une certaine unitй spirituelle. L’acte de charitй est un tel amour, auquel aucune crйature ne peut parvenir sans la grвce.

[66561] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtus inclinat in proprium actum per moderationem, sicut Tullius dicit; et ideo certitudo spei et aliarum virtutum non est referenda ad cognitionem obiecti vel principiorum propriorum, sed ad infallibilem inclinationem in actu.

10. La vertu incline а son acte propre par la modйration, comme le dit Tullius [Cicйron]. C’est pourquoi la certitude de l’espйrance et des autres vertus ne doit pas кtre mise en rapport avec la connaissance de l’objet ou de ses principes propres, mais avec l’inclination infaillible de son acte.

[66562] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas facit unionem in affectu, ut scilicet amans reputet amicum quasi se alterum, et Deum plus quam se; potest tamen esse cum distantia reali rei amatae. Et ita caritas potest esse cum spe.

11. La charitй rйalise une union affective, de sorte que celui qui aime considиre son ami comme un autre lui-mкme, et Dieu plus que lui-mкme. Cependant, cela peut exister avec une distance rйelle par rapport а la chose aimйe. Et ainsi, la charitй peut exister avec l’espйrance.

[66563] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod spes habet perfectionem quamdam cum imperfectione. Et ex illa parte qua habet perfectionem, habet perfectam rationem virtutis : et ex hac parte plenissime fuit in Christo; ipse enim plenissime inhaesit divino auxilio. Et ex parte eius quod est imperfectionis, defuit ei spes, sicut et fides.

12. L’espйrance possиde une certaine perfection comportant une certaine imperfection. Pour autant qu’elle possиde une perfection, elle possиde la raison parfaite de vertu ; de ce point de vue, elle a existй en toute plйnitudde chez le Christ, car il a adhйrй а l’aide divine en toute plйnitude. Mais du point de ce qui est imperfection [dans l’espйrance], l’espйrance lui a fait dйfaut, de mкme que la foi.

[66564] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod spes non affligit animam, sed magis est causa delectationis, in quantum facit rem separatam quodammodo esse praesentem secundum fiduciam adipiscendi; unde et apostolus dicit Roman., XII, 12 : spe gaudentes. Sed dilatio rei speratae est quae quandoque affligit.

13. L’espйrance n’afflige pas l’вme, mais elle est plutфt cause de dйlectation pour autant qu’elle rend la chose sйparйe prйsente d’une certaine maniиre par la confiance de la possйder. Aussi l’Apфtre dit-il, Rm 12, 12 : Nous rйjouissant dans l’espйrance. Mais c’est l’йloignement de la chose espйrйe qui provoque parfois l’affliction.

[66565] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod duplex est delectatio : una quidem de obiecto actus; alia vero de ipso actu. Prima autem delectatio non est propria virtutis, quia est aliqua virtus ad quam pertinet dolere de suo obiecto, scilicet poenitentia. Sed secunda delectatio, quae est de actu, est propria virtutis, quia unicuique habenti virtutem est delectabilis operatio quae est secundum proprium habitum; unde etiam poenitens de dolore gaudet. Sic igitur spes, in quantum causat delectationem de re sperata, non causat delectationem per se, sed per aliud, id est in quantum facit eam existimare ut praesentem. Sed secundum quod causat delectationem de proprio actu, sic per se delectationem causat.

14. Il existe une double dйlectation : l’une dans l’objet de l’acte ; l’autre dans l’acte lui-mкme. La premiиre dйlectation n’est pas propre а la vertu, car il existe une vertu а laquelle il appartient d’кtre affligйe de son objet, а savoir, la pйnitence. Mais la seconde dйlectation, qui porte sur l’acte, est propre а la vertu, car la mise en њuvre d’une vertu selon son objet propre est dйlectable pour quiconque la possиde. C’est ainsi que mкme le pйnitent se rйjouit de sa douleur. Ainsi donc, l’espйrance, pour autant qu’elle cause une dйlectation а propos de la chose espйrйe, ne cause pas de dйlectation par soi, mais par quelque chose d’autre, c’est-а-dire pour autant qu’elle la lui fait estimer pour ainsi dire prйsente. Mais pour autant qu’elle cause une dйlectation portant sur son propre acte, elle cause par elle-mкme une dйlectation.

[66566] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod facere actum difficilem potest intelligi dupliciter. Uno modo quod faciat difficultatem in actu; et hoc sensu procedebat obiectio. Sic autem spes non facit actum difficilem, quia non adhibet difficultatem actui, sed magis minuit. Alio modo potest intelligi facere actum difficilem, quia propter spem homines aggrediuntur difficilia.

15. Faire un acte difficile peut s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, selon qu’un acte est rendu difficile, et l’objection venait de ce sens. Mais l’espйrance ne rend pas ainsi l’acte difficile, car elle n’apporte pas de difficultй а l’acte, mais plutфt lui en enlиve. D’une autre maniиre, on peut entendre rendre un acte difficile du fait que les hommes entreprennent des choses difficiles а cause de l’espйrance.

[66567] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod distantia a termino ad quem vel a termino a quo, invenitur in quolibet motu; non tamen ex ea motus specificatur, sed potius ex termino. Et ideo non sequitur, quod si motus est distantis, maior motus magis sit distans : haec enim scientia arguendi tenet solum in his quae sunt per se. Videmus autem quod motus naturalis quanto magis appropinquat ad terminum, tanto magis intenditur. Et similiter etiam est de spe.

16. La distance par rapport au point de dйpart ou au point d’arrivйe se rencontre en tout mouvement ; cependant, le mouvement n’en reзoit pas son espиce, mais il la reзoit plutфt du terme. C’est pourquoi il n’en dйcoule pas que si le mouvement porte sur quelque chose de distant, le mouvement sera d’autant plus grand qu’il porte sur quelque de plus йloignй, car cette maniиre de raisonner ne vaut que pour les choses qui existent en elles-mкmes. Or, nous voyons que plus le mouvement naturel approche de son terme, plus il y tend. Et il en est de mкme pour l’espйrance.

[66568] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod memoria non importat aliquam inhaesionem, unde possit habere rationem virtutis, sicut habet spes; et ideo non est simile.

17. La mйmoire ne comporte pas d’adhйsion qui pourrait lui donner raison de vertu, comme c’est le cas de l’espйrance. Ce n’est donc pas la mкme chose.

 

Articulus 2 : [66569] De virtutibus, q. 4 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum spes sit in voluntate sicut in subiecto

Article 2 – Est-ce que l’espйrance se trouve dans la volontй comme dans son sujet?

Objections :

[66570] De virtutibus, q. 4 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66571] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 1 Obiectum enim spei est bonum arduum. Sed arduum est obiectum irascibilis. Ergo spes est in irascibili, et non in voluntate.

1. L’objet de l’espйrance est une bien difficile. Or, ce qui est difficile est l’objet de l’irascible. L’espйrance se trouve donc dans l’irascible, et non dans la volontй.

[66572] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, caritas est perfectissima virtutum. Ergo sufficit ad perficiendam unam potentiam. Sed caritas est in voluntate. Non ergo in voluntate est spes.

2. La charitй est la plus parfaite des vertus. Elle suffit donc а perfectionner une seule puissance. Or, la charitй est dans la volontй. L’espйrance ne se trouve donc pas dans la volontй.

[66573] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, ideo non possumus plura intelligere simul, quia intellectus non potest simul informari diversis speciebus intelligibilibus, sicut nec corpus diversis figuris, ut Algazel dicit. Ergo, pari ratione, una potentia non potest simul informari in actu secundum diversos habitus, ut scilicet secundum utrumque actu operetur. Sed simul potest esse actus spei cum actu caritatis. Ergo caritas et spes non possunt esse simul in una potentia. Sed caritas est in voluntate. Spes ergo non est in voluntate.

3. Nous ne pouvons pas intelliger plusieurs choses en mкme temps parce que l’intellect ne peut pas recevoir en mкme temps les formes d’espиces intelligibles diffйrentes, de mкme que le corps ne le peut pour des figures diverses, comme le dit Algazel. Pour la mкme raison, donc, une puissance ne peut pas recevoir en acte la forme de divers habitus, de sorte que les deux puissent кtre exercйs en acte. Or, un acte d’espйrance peut exister en mкme temps qu’un acte de charitй. La charitй et l’espйrance ne peuvent donc pas se trouver en mкme temps dans une seule puissance. L’espйrance ne se trouve donc pas dans la volontй.

[66574] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, spes est certa expectatio. Sed certitudo pertinet ad vim cognitivam. Ergo spes est in vi cognitiva, et non in voluntate.

4. L’espйrance est une attente certaine. Or, la certitude relиve de la puissance cognitive. L’espйrance se trouve donc dans la puissance cognitive, et non dans la volontй.

Cependant :

[66575] De virtutibus, q. 4 a. 2 s. c. Sed contra, spes est ex meritis proveniens. Sed merita pertinent ad voluntatem. Ergo spes est in voluntate.

L’espйrance provient des mйrites. Or, les mйrites se rapportent а la volontй. L’espйrance se trouve donc dans la volontй.

Rйponse :

[66576] De virtutibus, q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut dictum est, spes est virtus theologica, unde eius obiectum est Deus. Nulla autem vis sensitiva potest se extendere ad hoc obiectum quod est Deus, quia sensus corporalia non transcendit; et ideo spes non potest esse in aliqua vi sensitiva. Manifestum autem est quod spes ad vim appetitivam pertinet, eo quod obiectum eius est bonum, ut supra, art. praeced., dictum est; unde oportet quod sit in vi appetitiva rationis, quae est voluntas, secundum philosophum in III de anima. Unde spes est in voluntate sicut in subiecto. Huiusmodi autem appetitus rationalis non dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut quidam posuerunt : quia obiectum voluntatis est bonum, secundum communem boni rationem, quam potest intellectus apprehendere, non autem sensus. Et ideo appetitus sensitivus, cuius obiectum est bonum secundum rationem particularem, dividitur in irascibilem et concupiscibilem, secundum diversas rationes boni sensibilis, quod vel est delectabile secundum sensum ad quod ordinatur concupiscibilis; vel est altitudinem propriam habens supra impedimenta delectationis, et hoc est obiectum irascibilis. Unde in appetitu superiori irascibilis et concupiscibilis non ponuntur. Sic ergo subiectum spei non est irascibilis, sed voluntas.

Comme on l’a dit, l’espйrance est une vertu thйologale ; son objet est donc Dieu. Or, aucune puissance sensible ne peut aller jusqu’а avoir Dieu pour objet, car les sens de dйpassent pas les rйalitйs corporelles. C’est pourquoi l’espйrance ne peut se trouver dans une puissance sensible. Or, il est clair que l’espйrance appartient а une puissance appйtitive, du fait que son objet est le bien, comme on l’a dit plus haut, dans l’article prйcйdent. Il faut donc qu’elle se trouve dans la puissance appйtitive de la raison, qui est la volontй, selon le Philosophe, dans Sur l’вme, III. L’espйrance se trouve donc dans la volontй comme dans son sujet. Or, cet appйtit raisonnable ne se divise pas en irascible et en concupiscible, comme certains l’ont affirmй, car l’objet de la volontй est le bien, selon la raison commune de bien, que l’intellect peut apprйhender mais non le sens. C’est pourquoi l’appйtit sensible, dont l’objet est le bien selon une raison particuliиre, se divise en irascible et concupiscible, selon les diverses raisons du bien sensible, qui est dйlectable selon le sens, а quoi est ordonnй le concupiscible, ou qui possиde une certaine йlйvation par rapport aux obstacles а la dйlectation, et cela est l’objet de l’irascible. C’est la raison pour laquelle on ne distingue pas l’irascible et le concupiscible dans l’appйtit supйrieur. Ainsi donc, le sujet de l’espйrance n’est pas l’irascible, mais la volontй.

Solutions :

[66577] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes de qua loquimur, est ardui intelligibilis, quod non est obiectum alicuius specialis potentiae; sed voluntas in ipsum tendit secundum rationem universalem boni.

1. L’espйrance dont nous parlons porte sur un intelligible difficile, qui n’est l’objet d’aucune puissance spйciale. Mais la volontй y tend selon la raison universelle de bien.

[66578] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas perficit voluntatem perfecte quantum ad unum motum eius, qui est amare; sed indiget alia perfectione quantum ad alium motum eius qui est sperare.

2. La charitй perfectionne la volontй selon un seul de ses mouvements, aimer. Mais elle a besoin d’une autre perfection par rapport а un autre de ses mouvements qui est d’espйrer.

[66579] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando sunt multa ordinata ad unum, possunt simul intelligi : similiter etiam motus spei simul potest esse cum motu caritatis, quia ad se invicem ordinantur.

3. Lorsque plusieurs choses sont ordonnйes а une seule, elles peuvent кtre intelligйes en mкme temps. De la mкme maniиre aussi, un mouvement de l’espйrance peut exister avec un mouvement de charitй, car ils sont ordonnйs l’un а l’autre rйciproquement.

[66580] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod certitudo spei derivatur a certitudine fidei : in quantum enim motus appetitivae virtutis dirigitur a virtute cognoscitiva, participat aliquid de eius certitudine.

4. La certitude de l’espйrance dйcoule de la certitude de la foi : en effet, le mouvememnt de la puissance appйtitive participe а la certitude dans la mesure oщ il est dirigй par la puissance cognitive.

 

Articulus 3 : [66581] De virtutibus, q. 4 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum spes sit prior caritate

Article 3 – Est-ce que l’espйrance prйcиde la charitй ?

Objections :

[66582] De virtutibus, q. 4 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66583] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 1 Ambrosius enim super illud Luc., XVII, 6 : si habueritis fidem sicut granum sinapis etc., dicit : ex fide est caritas, ex caritate spes. Sed fides est prior caritate. Ergo caritas est prior spe.

1. Ambroise dit, а propos de Lc 17, 6 : Si vous aviez une foi grosse comme un grain de senevй, etc. : «La charitй vient de la foi, et l’espйrance de la charitй.» Or, la foi prйcиde la charitй. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66584] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Enchirid., quod fides sine caritate non prodest; spes autem sine caritate esse non potest. Sed si spes esset prior caritate, posset esse sine ea, sicut et fides, licet non prodesset. Ergo spes non est prior caritate.

2. Augustin dit, dans l’Enchiridion, que la foi sans la charitй n’est pas utile, mais que l’espйrance ne peut exister sans la charitй. Or, si l’espйrance prйcйdait la charitй, elle pourrait exister sans elle, comme la foi, bien qu’elle ne serait pas utile. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66585] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, XII de civitate Dei, quod boni motus atque affectus, ex amore et ex sancta caritate veniunt. Sed sperare, secundum quod est actus spei, est quidam motus et affectus laudabilis. Ergo derivatur a sancta caritate. Sic ergo caritas est prior spe.

3. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XII, que les mouvements et les sentiments bons viennent de l’amour et d’une sainte charitй. Or, espйrer, en tant qu’acte de l’espйrance, est un certain mouvement et un certain sentiment louable. Il dйcoule donc d’une sainte charitй. Ainsi donc, la charitй prйcиde l’espйrance.

[66586] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, spes est cum desiderio, ut supra dictum est. Sed desiderium non est nisi boni amati. Ergo spes praesupponit amorem : ergo est posterior caritate.

4. L’espйrance est accompagnйe de dйsir. Or, il ne peut y avoir de dйsir que d’un bien aimй. L’espйrance prйsuppose donc l’amour. Elle suit donc la charitй.

[66587] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 5 Praeterea, inter affectiones animae, prima est amor; ex eo enim omnes actiones et affectiones animae derivantur, ut patet per Dionysium. Sed spes importat quamdam animae affectionem. Ergo caritas, quae est amor, est prior spe.

5. Parmi les sentiments de l’вme, l’amour est premier : en effet, tous les actions et sentiments de l’вme en dйcoulent, comme cela ressort clairement de Denys. Or, l’espйrance comporte un certain sentiment de l’вme. La charitй, qui est amour, prйcиde donc l’espйrance.

[66588] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 6 Praeterea, spes, vel desiderium, non est nisi proprii boni. Sed bonum aliquod fit proprium appetenti per amorem; sic enim redditur conveniens. Ergo spes et desiderium praesupponit amorem.

6. Il n’y a d’espйrance ou de dйsir que de son bien propre. Or, а qui dйsire, un bien devient propre par l’amour : en effet, c’est ainsi qu’il s’en rapproche. L’espйrance et le dйsir prйsupposent donc l’amour.

[66589] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 7 Praeterea, Augustinus dicit, XIV de Civit. Dei, quod recta voluntas est caritatis. Sed recta voluntas praecedit spem. Ergo caritas praecedit spem.

7. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XIV, que la volontй droite relиve de la charitй. Or, la volontй droite prйcиde l’espйrance. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66590] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 8 Praeterea, eorum quae sunt simul, unum non est prius altero. Sed fides, spes et caritas sunt simul : quia, sicut Gregorius dicit super Ezech., aequaliter ab homine habentur. Ergo spes non est prior caritate.

8. Dans les choses simultanйes, l’une ne prйcиde pas l’autre. Or, la foi, l’espйrance et la charitй sont simultanйes, car, comme le dit Grйgoire dans son commentaire sur Йzйchiel, elles sont possйdйes йgalement par l’homme. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66591] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 9 Praeterea, idem non est prius seipso. Sed idem videtur esse spes caritati; cum utriusque sit unum obiectum, scilicet summum bonum. Ergo spes non est prior caritate.

9. Une mкme chose n’est pas antйrieure а elle-mкme. Or, l’espйrance semble кtre la mкme chose que la charitй, puisque les deux n’ont qu’un seul objet, le Bien suprкme. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66592] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 10 Praeterea, Magister dicit, 26 dist. Lib. III sententiarum, quod spes ex meritis provenit, quae praecedunt non solum rem speratam, sed spem quam praeit caritas. Ergo spes non est prior caritate.

10. Le Maоtre dit, dans Sentences, III, d. 26, que l’espйrance vient des mйrites, qui prйcиdent non seulement la chose espйrйe, mais l’espйrance que la charitй prйcиde. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.

[66593] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 11 Praeterea, spei opponitur desperatio; caritati autem opponitur quodlibet peccatum mortale. Sed prius est quod homo incidat in peccatum mortale quam quod incidat in desperationem. Ergo caritas est prior spe.

11. Le dйsespoir s’oppose а l’espйrance ; mais tout pйchй mortel s’oppose а la charitй. Or, le fait pour un homme de tomber dans le pйchй mortel prйcиde le fait qu’il tombe dans le dйsespoir. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66594] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo habituum et actuum est secundum ordinem obiectorum. Sed bonum, quod est obiectum caritatis, est prius quam arduum, quod est obiectum spei, quia arduum se habet ex additione ad bonum. Ergo caritas est prior spe.

12. L’ordre entre les habitus et les actes suit l’ordre entre les objets. Or, le bien, qui est l’objet de la charitй, prйcиde ce qui est difficile, qui est l’objet de l’espйrance, car le fait d’кtre difficile s’ajoute au bien. La charitй prйcиde donc l’espйrance.

[66595] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 13 Praeterea, quidquid nobilitatis convenit alicui incompleto in aliquo genere, convenit etiam completo in genere illo. Sed manifestum est quod aliquis amor incompletus praecedit spem. Ergo multo magis amor completus, qui est caritas, spem praecedit.

13. Toute la noblesse qui convient а quelque chose d’incomplet dans un genre, convient aussi а ce qui est complet dans ce genre. Or, il est clair qu’un amour incomplet prйcиde l’espйrance. А bien plus forte raison donc, l’amour complet, qui est la charitй, prйcиde-t-il l’espйrance.

Cependant :

[66596] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Matth. I, v. 2 : Abraham genuit Isaac; Isaac autem genuit Iacob; Glossa : id est, fides genuit spem, spes caritatem. Sed generans est prius genito. Ergo spes est prior caritate.

1. La Glose dit а propos de Mt 1, 2 : Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob : «C’est-а-dire, la foi engendra l’espйrance, et l’espйrance la charitй. Or, ce qui engendre est antйrieur а ce qui est engendrй. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.

[66597] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea, super illud Psal. XXXVI, spera in Deo, et fac bonitatem, dicit Glossa : spes est introitus ad fidem, et initium humanae salutis. Et sic videtur quod spes sit prior fide. Sed prior est fides caritate. Ergo et spes.

2. La Glose dit, а propos de Ps 36 : Espиre en Dieu et fais le bien : «L’espйrance est l’entrйe vers la foi et le commencement du salut de l’homme.» Il semble ainsi que l’espйrance prйcиde la foi. Or, la foi prйcиde la charitй. Donc, l’espйrance aussi.

[66598] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 3 Praeterea, apostolus dicit, I ad Timoth., cap. I, 5 : finis praecepti caritas est de corde puro et conscientia bona; Glossa : id est spes. Et sic videtur quod caritas procedat ex spe. Spes ergo est prior caritate.

3. L’apфtre dit en 1 Tm 1, 5 : La fin du commandement est la charitй qui vient d’un cњur pur et d’une conscience bonne. La Glose dit : «C’est-а-dire, l’espйrance.» Il semble ainsi que la charitй vienne de l’espйrance. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.

[66599] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Augustinus dicit X de Trinit., quod nullus amat nisi id ad quod se sperat posse pervenire; et id quod quis non sperat, aut non amat, aut tepide amat. Ergo amor praesupponit spem.

4. Augustin dit, dans La Trinitй, X, que «personne n’aime que ce а quoi il espиre parvenir, et ce que quelqu’un n’espиre pas, il ne l’aime pas, ou bien il l’aime avec tiйdeur». L’amour prйsuppose donc l’espйrance.

[66600] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 5 Praeterea, prius est a quo non convertitur consequentia subsistendi. Sed spes est huiusmodi; in statu enim viae quicumque habet caritatem, habet spem; sed non convertitur. Ergo spes est prior caritate.

5. Est antйrieur ce а quoi une consйquence ne peut pas кtre convertie. Or, l’espйrance est de cet ordre : en effet, dans l’йtat de cheminement, quiconque possиde la charitй possиde l’espйrance, mais non pas l’inverse. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.

Rйponse :

[66601] De virtutibus, q. 4 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod prius dicitur aliquid, vel secundum rationem alicuius principii, vel quia principio propinquius est. Sunt autem duo principia intrinseca rei : materia, et forma; et secundum horum differentiam aliquid dicitur dupliciter prius. Uno quidem modo est aliquid prius altero perfectione, sicut actus potentia, et perfectum imperfecto : quae quidem prioritas respondet principio formali. Alio vero modo est aliquid prius in via generationis et temporis; et sic potentia est prior actu in eodem, et imperfectum perfecto. Simpliciter autem et universaliter etiam tempore perfectum est prius, quia imperfectum non movetur nisi ab aliquo praeexistenti perfecto; hoc autem respondet materiali principio. Secundum igitur primum prioritatis modum caritas est prior naturaliter spe; secundum autem modum secundum spes in uno homine praecedit caritatem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omnes affectiones animae, quae sunt quidam appetitivi motus, proportionantur motibus naturalibus, eo quod motus naturalis ex inclinatione naturali procedit, quae dicitur appetitus naturalis; et similiter motus affectionum animalium procedunt ex inclinatione animalis, quae est appetitus animalis. In motibus autem naturalibus invenimus, primo quidem, principium ipsius motus, quod est informatio mobilis per suam formam non animalem, sicut cum generatur grave aut leve. Secundo est motus naturalis, proveniens ex tali forma; sicut cum corpus ascendit et descendit. Tertio vero est quies in proprio loco. Et similiter in appetitu animali, primo quidem est informatio quaedam ipsius appetitus per bonum; et hoc est amor, qui unit amatum amanti. Ex hoc autem secundo sequitur, si bonum amatum sit distans, quod appetitus tendat in illud motu desiderii vel spei. Tertio autem sequitur gaudium vel delectatio, quando aliquis pertingit ad rem amatam. Sicut igitur motus et quies naturalis provenit ex forma, ita omnis affectio animae provenit ex amore. Oportet igitur quod secundum differentiam amoris attendatur differentia in caeteris affectionibus animae. Est autem duplex amor : unus quidem imperfectus, alius autem perfectus. Imperfectus quidem amor alicuius rei est, quando aliquis rem aliquam amat non ut ei bonum in seipsa velit, sed ut bonum illius sibi velit; et hic nominatur a quibusdam concupiscentia, sicut cum amamus vinum, volentes eius dulcedine uti; vel cum amamus aliquem hominem propter nostram utilitatem vel delectationem. Alius autem est amor perfectus, quo bonum alicuius in seipso diligitur, sicut cum amando aliquem, volo quod ipse bonum habeat, etiam si nihil inde mihi accedat; et hic dicitur esse amor amicitiae, quo aliquis secundum seipsum diligitur; unde ista est perfecta amicitia, ut dicitur in VIII Ethic. Caritas autem est non quicumque amor Dei, sed amor perfectus, quo Deus in seipso diligitur. Ad hoc autem quod aliquis bonum divinum secundum se diligat, inducitur ex bonis a Deo provenientibus, quae sibi quis vult, et ex malis quae, Deo inhaerendo, vitat. Quantum ad vitationem malorum, pertinet ad hunc amorem timor; quantum vero ad consecutionem bonorum, pertinet ad sui amorem spes, quae est motus tendens in aliquid adipiscendum, sicut dictum est. Unde utrumque horum secundum propriam rationem derivatur ex imperfecto Dei amore. Et propter hoc in via generationis et temporis sicut timor praecedit caritatem, et introducit ad ipsam, ut Augustinus dicit super canonicam Ioan. : ita etiam et spes introducit ad caritatem : dum aliquis per hoc quod sperat se aliquod bonum a Deo consequi, ad hoc deducitur ut Deum propter se amet.

On dit qu’une chose est antйrieure soit selon la raison d’un principe, soit en raison de sa proximitй par rapport au principe. Or, il existe deux principes intrinsиques d’une chose : la matiиre et la forme. Et, selon la diffйrence de ces deux [principes], on peut dire qu’une chose est antйrieure de deux maniиres. D’une maniиre, on peut dire qu’une chose est antйrieure а une autre par la perfection : cette perfection rйpond au principe formel. D’une autre maniиre, une chose est antйrieure sur la voie de la gйnйration et du temps : et ainsi, la puissance est antйrieure а l’acte dans une mкme chose, et l’imparfait au parfait. Or, ce qui est parfait est tout simplement et universellement antйrieur, mкme dans le temps, car ce qui est imparfait n’est mы que par quelque chose d’antйrieur qui est parfait : cela rйpond au principe matйriel. Selon le premier mode de prioritй, la charitй est donc naturellement antйrieure а l’espйrance ; selon le second mode, l’espйrance prйcиde la charitй chez un homme. Pour le montrer, il faut savoir que tous les sentiments de l’вme, qui sont des mouvements appйtitifs, sont proportionnйs aux mouvements naturels, du fait que le mouvement naturel vient d’une inclination naturelle, qui est appelйe appйtit naturel. De mкme, les mouvements affectifs des animaux procиdent-ils d’une inclination de l’animal, qui est l’appйtit animal. Or, dans les mouvements naturels, nous trouvons, en premier lieu, le principe du mouvement mкme, qui est la forme donnйe а ce qui est mы par sa forme non animale, comme lorsque quelque chose de lourd ou de lйger est engendrй. Deuxiиmement, il y a le mouvement naturel provenant d’une telle forme, comme lorsque qu’un corps monte et descend. Troisiиmement, il y a le repos dans son lieu propre. De la mкme faзon, dans l’appйtit animal, il y a, premiиrement, la forme donnйe а l’appйtit par un bien : et cela est l’amour, qui unit ce qui est aimй а ce qui aime. De cela dйcoule, si le bien aimй est distant, que l’appйtit tend vers lui par un mouvement de dйsir et d’espoir. Troisiиmement, il en dйcoule une joie ou une dйlectation, lorsque quelqu’un parvient а la chose aimйe. Ainsi donc, de mкme que le mouvement et le repos naturels viennent de la forme, de mкme toute affection de l’вme provient de l’amour. Il est donc nйcessaire que, selon la diffйrence de l’amour, on relиve une diffйrence dans les autres affections de l’вme. Or, il existe un double amour : l’un imparfait, l’autre parfait. L’amour imparfait d’une chose se produit lorsque quelqu’un aime une chose, non pas parce qu’il lui veut du bien, mais parce qu’il veut son bien pour lui-mкme. Certains l’appellent «concupiscence», comme lorsque nous aimons le vin, en voulant utiliser sa douceur, ou lorsque nous aimons un homme pour notre utilitй ou notre plaisir. Il existe un autre amour parfait, par lequel le bien de quelqu’un est aimй en lui-mкme, comme lorsque j’aime quelqu’un, je veux qu’il ait un bien, mкme si rien ne m’en est ajoutй. Cet amour s’appelle amour d’amitiй, par lequel quelqu’un est aimй pour lui-mкme. C’est lа l’amitiй parfaite, comme il est dit dans Йthique, VIII. Or, la charitй n’est pas un amour quelconque de Dieu, mais un amour parfait, par lequel Dieu est aimй en lui-mкme. Mais pour que quelqu’un aime le bien divin en lui-mкme, il est conduit par des biens qui viennent de Dieu, que l’on aime pour soi-mкme, et par des maux que l’on йvite en adhйrant а Dieu. Pour ce qui est de l’йvitement de maux, la crainte est en rapport avec cet amour ; pour ce qui est de l’obtention de biens, l’espйrance se rapporte а l’amour de soi, elle qui est un mouvement tendant vers l’obtention de quelque chose, comme on l’a dit. Aussi ces deux choses, selon leur raison propre, dйcoulent-elles d’un amour imparfait de Dieu. Pour cette raison, en cours de gйnйration ou selon le temps, la crainte prйcиde-t-elle la charitй et y fait-elle entrer, comme Augustin le dit en commentant la lettre canonique de Jean ; de mкme, l’espйrance fait-elle entrer dans la charitй, lorsque quelqu’un, du fait qu’il espиre obtenir de Dieu un bien, est conduit а aimer Dieu pour lui-mкme.

Solutions :

[66602] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Ambrosius ibidem subdit, rursus in se quodam sancto circuitu refunduntur, quia scilicet, cum aliquis ex spe iam ad caritatem introductus fuerit, tunc etiam perfectius sperat, et castius timet, sicut etiam et firmius credit. Et ideo quod dicit quod ex caritate est spes, non loquitur quantum ad primam caritatis generationem, sed quantum ad secundam caritatis refusionem; secundum quod iam nobis indita, facit nos et perfectius sperare et credere.

1. Comme Ambroise l’ajoute plus loin au mкme endroit, elles rejaillissent l’une sur l’autre comme en saint retour, car lorsque quelqu’un est dйjа entrй dans la charitй а partir de l’espйrance, il espиre alors encore plus parfaitement, et il craint avec plus de pudeur, comme il croit aussi plus fermement. C’est pourquoi lorsqu’il dit que l’espйrance vient de la charitй, il ne parle pas du premier engendrement de la charitй, mais du second influx de charitй, selon que, dйjа infuse en nous, elle nous fait espйrer et croire plus parfaitement.

[66603] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes quae est ex meritis praecedentibus, non potest esse sine caritate, quae est merendi principium. Sed spes informis, quae est sine meritis in actu, sed ex meritis in proposito, est quidem sine caritate in actu, sed non sine caritate in proposito.

2. L’espйrance qui se fonde sur des mйrites antйrieurs ne peut exister sans la charitй, qui est le principe du mйrite. Mais l’espйrance informe, qui ne produit pas de mйrites en acte, mais s’appuie sur des mйrites en intention, existe sans la charitй en acte, mais non sans la charitй en intention.

[66604] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de bonis motibus et affectibus meritoriis; huiusmodi enim ex caritate causantur.

3. Augustin parle en cet endroit des bons mouvements et sentiments mйritoires. En effet, ceux-lа sont causйs par la charitй.

[66605] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa probat quod spes praesupponat aliquem amorem. Non tamen oportet quod praesupponat amorem caritatis, sed amorem sui ipsius, quo quis optat bonum divinum.

4. Cet argument prouve que l’espйrance prйsuppose un certain amour. Toutefois, il n’est pas nйcessaire qu’elle prйsuppose l’amour de charitй, mais l’amour de soi, par lequel quelqu’un se souhaite а lui-mкme un bien divin.

[66606] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 5 Et per hoc patet solutio ad quintum et ad sextum.

5. Par lа ressort clairement la solution aux cinquiиme et sixiиme arguments.

[66607] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod recta voluntas dicitur caritas causaliter; quia scilicet perfecta rectitudo voluntatis non potest esse nisi ex caritate. Sed talis perfectio voluntatis non praecedit spem informem.

7. La volontй droite s’appelle charitй par maniиre de cause, car la parfaite rectitude de la volontй ne peut exister que par la charitй. Mais une telle perfection de la volontй ne prйcиde pas l’espйrance informe.

[66608] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod auctoritas Gregorii intelligitur de fide, spe et caritate secundum quod sunt virtutes, quod non convenit fidei et spei nisi secundum quod formantur caritate. Sed secundum quod sunt informes, quandoque praecedunt caritatem tempore.

8. L’autoritй de Grйgoire s’entend de la foi, de l’espйrance et de la charitй selon qu’elles sont des vertus, ce qui ne convient а la foi et а l’espйrance que si elles reзoivent leur forme de la charitй. Mais, selon qu’elles sont informes, elles prйcиdent parfois la charitй dans le temps.

[66609] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod bonum divinum, ut secundum se dilectum, est obiectum caritatis; sed sicut adipiscendum, est obiectum spei : et propter hoc caritas a spe differt.

9. Le bien divin, selon qu’il est aimй en lui-mкme, est l’objet de la charitй ; mais [aimй] pour кtre obtenu, il est l’objet de l’espйrance. Pour cette raison, la charitй diffиre de l’espйrance.

[66610] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si spes sit informis, merita non praecedunt spem, sed rem speratam. Si autem spes sit formata, sic merita praecedunt etiam spem; et hoc modo naturaliter praecedit ipsam caritas.

10. Si l’espйrance est informe, les mйrites ne prйcиdent pas l’espйrance, mais la chose espйrйe. Mais si l’espйrance est formйe, alors les mйrites prйcиdent aussi l’espйrance. De cette maniиre, la charitй la prйcиde-t-elle par nature.

[66611] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ea quae sunt posteriora in compositione, sunt priora in resolutione; et ideo, quia in via generationis spes praecedit caritatem, in via resolutionis, e converso, culpa per quam amittitur caritas, praecedit desperationem, per quam amittitur spes.

11. Ce qui est postйrieur par la composition est antйrieur selon la rйsolution. C’est pourquoi, parce que l’espйrance prйcиde la charitй en cours de gйnйration, en cours de rйsolution, la faute par laquelle la charitй est enlevйe prйcиde le dйsespoir, par lequel l’espйrance est enlevйe.

[66612] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ratio illa concludit, quod amor universaliter sit prius quam spes, quia bonum communiter sumptum, est obiectum amoris; non autem oportet quod caritas sit prior spe.

12. Cet argument conclut que l’amour, considйrй universellement, est antйrieur а l’espйrance, parce que le bien, considйrй d’une maniиre gйnйrale, est l’objet de l’amour. Mais il n’est pas nйcessaire que la charitй prйcиde l’espйrance.

[66613] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praecedere in via generationis, non pertinet ad perfectionem; quia secundum hanc viam imperfecta sunt perfectis priora.

13. Prйcйder en cours de gйnйration n’appartient pas а la perfection, car, dans ce processus, ce qui est imparfait prйcиde ce qui est parfait.

 

Articulus 4 : [66614] De virtutibus, q. 4 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum spes sit solum in viatoribus

Article 4 – Est-ce que l’espйrance n’existe que chez ceux qui sont en route [in viatoribus] ?

Objections :

[66615] De virtutibus, q. 4 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non.

[66616] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 1 Sicut enim spes est rei non habitae, quod videtur repugnare statui beatorum; ita etiam desiderium est rei non habitae. Sed desiderium est in beatis, secundum illud I Petri I, 12 : in quem desiderant Angeli prospicere. Ergo etiam spes potest esse in beatis.

1. En effet, de mкme que l’espйrance porte sur une chose non possйdйe, ce qui semble s’opposer а l’йtat des bienheureux, de mкme le dйsir porte-t-il sur une chose non possйdйe. Or, il existe un dйsir chez les bienheureux, selon ce que dit 1 P 1, 12 : Lui que les anges dйsirent voir. L’espйrance peut donc exister chez les bienheureux.

[66617] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, spes, cuius obiectum est bonum, est aliquid perfectius timore, cuius obiectum est malum. Sed aliquis timor est in beatis, secundum illud Ps. XVIII, 10 : timor domini sanctus permanet in saeculum. Ergo aliqua spes est etiam in beatis.

2. L’espйrance, dont l’objet est un bien, est quelque chose de plus parfait que la crainte, dont l’objet est un mal. Or, il existe une crainte chez les bienheureux, selon ce passage de Ps 18, 10 : La crainte du Seigneur demeure pour l’йternitй. Il existe donc une espйrance chez les bienheureux.

[66618] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut adeptio beatitudinis est quoddam bonum arduum, ita etiam et eius continuatio. Sed antequam beatitudinem aliqui adipiscantur, sperant beatitudinis adeptionem. Ergo etiam postquam sunt beatitudinem adepti, possunt sperare beatitudinis continuationem.

3. De mкme que l’obtention de la bйatitude est quelque chose de difficile, de mкme aussi sa continuation. Or, avant que certains n’obtiennent la bйatitude, ils espиrent l’obtention de la bйatitude. Mкme aprиs avoir obtenu la bйatitude, ils peuvent donc espйrer la continuation de la bйatitude.

[66619] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 4 Praeterea, spes et desperatio sunt in eodem. Sed desperatio potest esse de alio; unde mandatur nobis de nemine esse desperandum in via. Ergo etiam spes potest esse de aliquo alio; et ita, sancti qui sunt in patria, possunt sperare de aliis qui sunt in via, quod ad beatitudinem perveniant.

4. L’espйrance et le dйsespoir portent sur la mкme chose. Or, le dйsespoir peut porter sur quelqu’un d’autre : c’est pourquoi il nous est ordonnй de ne dйsespйrer de personne aussi longtemps qu’il est en route. Mкme l’espйrance peut donc porter sur quelqu’un d’autre. Et ainsi, les saints qui sont dans la patrie peuvent espйrer que les autres qui sont en route [in via] parviennent а la bйatitude.

[66620] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod sperare beatitudinem alterius, non pertinet ad virtutem spei. – Sed contra, sicut spes est virtus theologica, ita et caritas. Sed eadem virtute caritatis, homo diligit se et proximum. Ergo eadem virtute spei sperat homo vitam aeternam sibi et aliis; et sic, cum boni sperent vitam aeternam aliis, videtur quod in eis sit virtus spei.

5. Espйrer la bйatitude d’un autre ne relиve pas de la vertu d’espйrance. – Mais, en sens contraire, de mкme que l’espйrance est une vertu thйologale, de mкme en est-il de la charitй. Or, l’homme s’aime lui-mкme et son prochain par la mкme vertu de charitй. L’homme espиre donc par la mкme vertu d’espйrance la vie йternelle pour lui et pour les autres. Et ainsi, lorsque les bons espиrent la vie йternelle pour les autres, il semble qu’existe chez eux la vertu d’espйrance.

[66621] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 6 Praeterea, oratio ex virtute spei procedit, secundum illud Ps. XXXVI, 5 : revela domino viam tuam, et spera in eo; et ipse faciet. Sed sanctis qui sunt in patria convenit orare; et de hoc rogamus eos dicentes orate pro nobis, omnes sancti Dei. Ergo in eis potest esse etiam spes.

6. La priиre vient de la vertu d’espйrance, selon ce que dit Ps 36, 5 : Montre au Seigneur ta voie et espиre en lui : lui-mкme agira. Or, il convient aux saints qui sont dans la patrie de prier, et nous le leur demandons en disant : «Priez pour nous, tous les saints de Dieu.» L’espйrance peut donc aussi exister en eux.

[66622] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 7 Praeterea, idem est principium movendi ad terminum, et quiescendi in termino. Sed spes est principium motus in beatitudinem, secundum illud Hebr. VI, 19 : qui spem habemus incedentem, id est incedere facientem, usque ad interiora velaminis. Ergo etiam spes est principium quiescendi in beatitudine; et ita oportet quod beatis insit spes.

7. C’est le mкme principe qui meut vers un terme et qui se repose dans le terme. Or, l’espйrance est le principe du mouvement vers la bйatitude, selon ce passage de He 6, 19 : Qui nous donne l’espйrance d’avancer, c’est-а-dire qui nous fait avancer, jusqu’а l’intйrieur du voile. L’espйrance est donc aussi le principe du repos dans la bйatitude. Et ainsi, il est nйcessaire que l’espйrance existe chez les bienheureux.

[66623] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 8 Praeterea, Isidorus dicit, quod spe et fide nitet iustitia; et Augustinus dicit in Enchiridion, quod qui recte vivit, recte credit et recte sperat. Sed iustitia est in patria, et vitae rectitudo; secundum illud Is., LX, v. 21 : populus tuus omnes iusti. Ergo etiam in patria est fides et spes.

8. Isidore dit que la justice repose sur l’espйrance et la foi ; et Augustin dit, dans l’Enchiridion, que «celui qui vit correctement, croit correctement et espиre correctement». Or, la justice se trouve dans la patrie, ainsi que la rectitude de la vie, selon ce que dit Is 60, 21 : Ton peuple, tous les justes. La foi et l’espйrance existent donc aussi dans la patrie.

[66624] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 9 Praeterea, certitudo perpetuae permansionis in beatitudine requiritur ad beatitudinem. Et quia haec defuit Angelis ante confirmationem vel lapsum, non fuerunt perfecte beati, ut Augustinus dicit. Sed certitudo expectationis beatitudinis pertinet ad virtutem spei. Ergo in beatis est spes.

9. La certitude de toujours demeurer dans la bйatitude est une exigence de la bйatitude. Et parce que cela manquait aux anges avant leur confirmation ou leur chute, ils n’йtaient pas parfaitement bienheureux, comme le dit Augustin. Or, la certitude de la bйatitude relиve de la vertu d’espйrance. L’espйrance existe donc chez les bienheureux.

[66625] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 10 Praeterea, quae corrupta sunt bona, ipsa sunt mala, secundum philosophum. Si igitur spes quae est in viatoribus, corrumpatur per beatitudinem, quae est summum bonum hominis, videtur quod spes sit malum; quod est inconveniens, cum spes sit virtus, ut dictum est art. 1 huius quaest.

10. Les biens qui ont йtй corrompus sont des maux, selon le Philosophe. Si donc l’espйrance qui existe chez ceux qui sont en route est corrompue par la bйatitude, qui est le bien suprкme de l’homme, il semble que l’espйrance soit un mal, ce qui ne convient pas puisque l’espйrance est une vertu, comme on l’a dit dans l’article 1 de la prйsente question.

[66626] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 11 Praeterea, actus virtutis videtur esse non solum facere vel velle facere, quod ad virtutem pertinet, quando facultas adest; sed etiam velle facere, si facultas adesset. Actus enim iustitiae est velle reddere pecuniam debitam, etiam si eam quis non possit habere. Sed sancti qui sunt in patria, sic sunt dispositi, quod vellent beatitudinem expectare, etiam si eam non haberent. Ergo in eis est actus spei. Sed actus procedit ab habitu. Ergo in eis est virtus spei.

11. L’acte de la vertu ne consiste pas seulement а faire ou а vouloir faire ce qui relиve de la vertu, lorsque cela est possible, mais aussi а vouloir le faire si cela йtait possible. En effet, l’acte de justice consiste а vouloir rendre l’argent dы, mкme si quelqu’un ne peut l’avoir. Or, les saints dans la patrie sont ainsi disposйs qu’ils voudraient attendre la bйatitude, mкme s’ils ne la possйdaient pas. Il existe donc aussi en eux un acte d’espйrance. Or, l’acte procиde de l’habitus. La vertu d’espйrance existe donc chez eux.

[66627] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 12 Praeterea, Anselmus dicit in libro de similitudinibus, quod in sanctis post resurrectionem erit tanta fortitudo, quod poterunt terram movere; non quod eam sint moturi, vel aliquid huiusmodi, omnibus optime collocatis, sed propter eorum perfectionem. Ergo, a simili, habitus spei, quae est quaedam perfectio animae, poterit esse in beatis, quamvis actus spei ibi locum non habeat.

12. Anselme dit, dans le livre Sur les similitudes, qu’il y aura chez les saints aprиs la rйsurrection une telle force qu’ils pourront dйplacer la terre : non pas qu’ils la dйplaceront ou quelque chose de ce genre, toutes choses йtant bien placйes, mais en raison de leur perfection. Par un raisonnement semblable, l’habitus d’espйrance, qui est une perfection de l’вme, pourra donc exister chez les bienheureux, bien que l’acte d’espйrance n’y ait pas sa place.

[66628] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 13 Praeterea, divina bonitas non est maior quam divina maiestas. Sed caritas, cuius obiectum est divina bonitas, manet in patria. Ergo et spes, cuius obiectum est divina maiestas.

13. La bontй divine n’est pas plus grande que la majestй divine. Or, la charitй, dont l’objet est la bontй divine, demeure dans la patrie. C’est donc aussi le cas de l’espйrance, dont l’objet est la majestй divine.

[66629] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 14 Praeterea, destructo fundamento et pariete, destruitur tectum. Sed in aedificio spirituali fides se habet ut fundamentum; spes autem quae erigit, se habet per modum parietis. Si ergo a beatis abstrahatur fides et spes, non poterit remanere caritas, quae operit per modum tecti; quod est inconveniens, quia caritas nunquam excidit, ut apostolus dicit, 1 Cor., XIII, 8.

14. Si l’on dйtruit le fondement et le mur, le toit est dйtruit. Or, dans l’йdifice spirituel, la foi est comme le fondement ; mais l’espйrance qui йlиve est comme le mur. Si donc la foi et l’espйrance sont soustraites aux bienheureux, la charitй, qui couvre а la maniиre d’un toit, ne pourra pas demeurer, ce qui est inaccpetable, car la charitй ne disparaоt jamais, comme le dit l’Apфtre en 1 Co 13, 8.

[66630] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 15 Praeterea, quicumque expectat aliquid per quod, cum habitum fuerit, eius appetitus quietatur, videtur sperare illud. Sed animae beatorum expectant gloriam corporis, qua habita, eorum appetitus quietatur, ut Augustinus dicit XII super Genes. ad Litt. Ergo in eis est virtus spei.

15. Quiconque attend quelque chose qui apaisera son appйtit lorsqu’il le possйdera, semble l’espйrer. Or, les вmes des bienheureux attendent la gloire du corps ; lorsqu’elle sera possйdйe, leur appйtit sera apaisй, comme Augustin le dit dans le Commentaire littйral de la Genиse, XII. La vertu d’espйrance existe donc chez eux.

[66631] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 16 Praeterea, Christus a primo instanti suae conceptionis fuit perfectus comprehensor. Sed Christus habuit spem : ex eius enim persona dicitur in Psalm. LXX, 1 : in te, domine, speravi ut Glossa exponit. Ergo in beatis potest esse spes.

16. Le Christ, dиs le premier instant de sa conception, a йtй un parfait comprehensor [voir IIIa, q. 15, a. 10, c, et Trois opuscules sur la vie religieuse mendiante, notes 43-44]. Or, le Christ avait l’espйrance : en effet, il est dit de lui dans Ps 70, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espйrй, comme la Glose l’explique. L’espйrance peut donc exister chez les bienheureux.

Cependant :

[66632] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Roman., cap. VIII, 24 : quod videt quis, quid sperat? Sed sancti fruuntur plena Dei visione, ergo in eis non est spes.

1. Il est dit en Rm 8, 24 : Ce qu’on voit, est-ce qu’on l’espиre ? Or, les saints jouissent de la pleine vision de Dieu. Il n’y a donc pas d’espйrance en eux.

[66633] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus, I ad Cor., XIII, 13, probat caritatem esse maiorem fide et spe : quia caritas non excidit; fides autem et spes evacuabuntur, cum venerit quod perfectum est. Sed illud perfectum est status beatitudinis. Ergo fides et spes non remanent in statu beatitudinis.

2. En 1 Co 13, 13, l’Apфtre montre que la charitй est plus grande que la foi et l’espйrance, car la charitй ne meurt pas, mais la foi et l’espйrance disparaissent, lorsque ce qui est parfait arrive. Or, ce qui est parfait est l’йtat de la bйatitude. La foi et l’espйrance ne demeurent donc pas dans l’йtat de bйatitude.

[66634] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali : habitus est quo aliquid agitur cum opus est; et si non agitur, potest agi. Ex quo accipitur, quod ubi non potest esse actus, ibi non est habitus. Sed in patria non potest esse actus spei, qui respicit beatitudinem non habitam. Ergo ibi non potest esse habitus spei.

3. Augustin dit, dans le livre Sur le bien conjugal : «L’habitus est ce par quoi on fait quelque chose, lorsque cela est nйcessaire ; et si on ne le fait pas, on peut le faire.» On comprend par cela que lа oщ ne peut exister l’acte, lа n’existe pas l’habitus. Or, dans la patrie, il ne peut exister d’acte d’espйrance, qui a pour objet la bйatitude non acquise. Il ne peut donc y exister d’habitus de l’espйrance.

Rйponse :

[66635] De virtutibus, q. 4 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod remoto eo a quo res aliqua habet speciem, consequens est ut species rei solvatur; sicut remota forma substantiali a corporibus naturalibus, non remanent specie eadem. Sicut autem forma in rebus naturalibus dat speciem, ita et in moralibus obiectum dat speciem actui, et per consequens habitui; et ideo sublato principali obiecto alicuius habitus, non potest remanere habitus. Spei autem obiectum, si spes absolute consideratur, est bonum arduum futurum possibile, ut supra, art. 1 huius quaest., dictum est. Unde si cesset aliquid esse bonum, vel esse futurum, vel esse arduum, vel esse possibile, cessabit spes secundum communem rationem spei. Spei autem, secundum quod est virtus theologica, obiectum formale est auxilium divinum, cui inhaeret : et quamvis sub hoc formali obiecto multa materialia sperata comprehendantur, unum tamen est principale, et alia sunt secundaria vel adiuncta. Quod quidem potest accipi dupliciter. Uno modo ex parte rei speratae : alio modo ex parte hominis sperantis. Ex parte quidem rei speratae principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica, est plena Dei fruitio, quae beatum facit : alia vero sub spe cadunt in ordine ad hunc finem, sive sint spiritualia, sive temporalia bona. Ex parte vero sperantis, principale obiectum est quod aliquis beatitudinem speret sibi; secundarium vero est quod speret eam aliis in quantum sunt quodam modo unum cum ipso, et bonum eorum desiderat et sperat sicut et suum. Manente igitur obiecto principali, scilicet quod bonum arduum, quod est beatitudo, sit futurum, et possibile haberi respectu eius qui sperat, manet virtus spei; et per hanc virtutem spei sperat aliquis non solum futuram beatitudinem, sed etiam alia ad hoc ordinata; et per eamdem spei virtutem sperat aliquis beatitudinem aliis, et quaecumque in beatitudinem ordinantur. Sed si subtrahatur principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica; ita, scilicet, quod beatitudo aeterna iam non sit futura, sed habita, cessat species huius virtutis; unde non est in beatis spes quae est virtus theologica. Possunt autem sancti aliqua sperare inhaerendo divino auxilio, vel ad se vel ad alios pertinentia, secundum communem rationem spei; non autem secundum propriam rationem spei quae est theologica virtus. Et huius exemplum e contrario in malis accipi potest. Caritatis enim principale obiectum est Deus : unde, quamdiu aliquis diligit Deum, per eamdem virtutem caritatis diligit etiam proximum in Deo. Sed si desinat diligere Deum, poterit quidem diligere proximum secundum naturam, non tamen per virtutem caritatis, cuius species solvitur remoto principali obiecto.

Si l’on enlиve ce par quoi une chose a son espиce, il en dйcoule que l’espиce de la chose disparaоt : ainsi, si la forme substantielle est enlevйe des corps naturels, ils ne demeurent pas de la mкme spиce. Or, de mкme que la forme, dans les choses naturelles, donne l’espиce, de mкme, dans les choses morales, l’objet donne son espиce а l’acte et, par consйquent, а l’habitus. C’est pourquoi un habitus ne peut pas demeurer si l’objet principal de l’habitus est enlevй. Or, l’objet de l’espйrance, si l’on envisage l’espйrance d’une maniиre absolue, est un bien difficile futur possible, comme on l’a dit plus haut, dans l’article 1 de la prйsente question. Si quelque chose cesse d’кtre bon, difficile ou possible, l’espйrance cesse donc, selon la raison commune d’espйrance. Or, selon qu’elle est une vertu thйologale, l’objet formel de l’espйrance est l’aide divine а laquelle elle adhиre : et bien que, sous cet objet formel, beaucoup de choses espйrйes а titre de matiиre soient comprises, une seule est cependant principale, et les autres sont secondaires ou associйes. Mais cela peut s’entendre de deux maniиres : d’une maniиre, du point de vue de la chose espйrйe; d’une autre maniиre, du point de l’homme qui espиre. Du point de vue de la chose espйrйe, l’objet principal de l’espйrance, selon qu’elle est une vertu thйologale, est la pleine jouissance de Dieu, qui fait le bienheureux; les autres choses relиvent de l’espйrance selon leur ordre а cette fin, qu’il s’agisse de biens spirituels ou qu’il s’agisse de biens temporels. Du point de vue de celui qui espиre, l’objet principal est que quelqu’un espиre pour lui-mкme la bйatitude; mais l’objet secondaire est qu’il l’espиre pour les autres dans la mesure oщ ils ne forment de quelque faзon qu’un avec lui-mкme, et il dйsire et espиre leur bien comme le sien. Si l’objet principal demeure, а savoir que l’objet difficile qu’est la bйatitude soit а venir et soit possible du point de vue de celui qui espиre, la vertu d’espйrance demeure et, par cette vertu d’espйrance, quelqu’un espиre non seulement la bйatitude а venir, mais aussi les autres choses qui lui sont ordonnйes. Et, par la mкme vertu d’espйrance, quelqu’un espиre la bйatitude pour les autres et tout ce qui est ordonnй а la bйatitude. Mais si on enlиve l’objet principal de l’espйrance, selon qu’elle est une vertu thйologale, de telle sorte que la bйatitude йternelle ne soit plus а venir, mais possйdйe, l’espиce de cette vertu cesse. En consйquence, l’espйrance qui est une vertu thйologale n’existe pas chez les bienheureux. Mais les saints peuvent espйrer certaines choses en adhйrant а l’aide divine, qu’elles les concernent ou en concernent d’autres, selon la raison commune d’espйrance, mais non selon la raison propre de l’espйrance qui est une vertu thйologale. L’exemple peut en кtre saisi en sens contraire chez les mйchants. En effet, l’objet principal de la charitй est Dieu; aussi longtemps que quelqu’un aime Dieu, il aime donc aussi son prochain en Dieu par la mкme vertu de charitй. Mais s’il cesse d’aimer Dieu, il pourra aimer son prochain selon la nature, non pas cependant par la vertu de charitй, dont l’espиce est dissoute par la disparition de son objet principal.

Solutions :

[66636] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod desiderium ibi ponitur non quidem proprie, secundum quod est rei futurae, sed secundum quod excludit fastidium; per modum quo Eccli. XXIV, v. 29, dicitur : qui edunt me, adhuc esurient.

1. Il est ici question de dйsir non pas au sens propre, selon qu’il porte sur une chose а venir, mais selon qu’il йcarte le dйgoыt, а la maniиre dont parle Si 24, 29 : Ceux me mangent auront encore faim.

[66637] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor est respectu mali. Sub malo autem comprehendi potest omnis defectus. Est autem triplex hominis defectus. Unus quidem poenae; et hunc quidem principaliter respicit timor servilis. Alius autem est defectus culpae; et hunc defectum respicit timor filialis vel castus, secundum quod est in statu viae, in quo peccare possumus. Neutro autem modo erit timor in patria, sublata potestate culpae et poenae; secundum illud Prov., I, 33 : abundantia perfruetur, malorum timore sublato. Est autem tertius defectus naturalis, secundum quod quaelibet creatura in infinitum distat a Deo; qui defectus nunquam tolletur; et hunc defectum respicit timor reverentialis qui erit in patria : qui reverentiam exhibebit suo creatori ex consideratione maiestatis eius, in propriam desiliens parvitatem. Sed obiectum spei, quod est beatitudinem esse futuram, tolletur, ea superveniente, et ideo spes non remanebit.

2. La crainte porte sur le mal, Or, sous le mal, on peut inclure toute carence. Or, il y a un triple carence chez l’homme. L’une, celle de la peine : c’est sur celle-ci que porte principalement la crainte servile. La deuxiиme est la carence de la faute : c’est sur cette carence que porte la crainte filiale ou pure, selon qu’elle existe dans l’йtat de cheminement, oщ nous pouvons pйcher. La crainte n’existera d’aucune de ces deux faзons dans la patrie, puisque la capacitй de pйcher ou celle de subir une peine seront йcartйes, selon ce que dit Pr 1, 33 : On jouira de l’abondance, alors que la crainte du mal sera йcartйe. Mais il existe une troisiиme carence naturelle, selon laquelle toute crйature diffиre infiniment de Dieu, carence qui ne sera jamais enlevйe. C’est sur cette carence que porte la crainte rйvйrentielle qui existera dans la patrie : elle manifestera de la rйvйrence а son crйateur en raison de sa majestй, en reconnaissant sa propre petitesse. Mais l’objet de l’espйrance, qui consiste en ce que la bйatitude soit а venir, sera йcartй lorsque celle-ci surviendra. C’est pourquoi l’espйrance ne demeurera pas.

[66638] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuatio beatitudinis non habet rationem futuri : quia in quantum aliquis homo fit beatus, aeternitatem participat, in qua non est praeteritum et futurum; unde in beatitudine illa dicitur vita aeterna. Dato etiam quod haberet rationem futuri, non habet rationem ardui respectu eius qui iam beatitudinem obtinet. Ex hoc enim ipso accepit non solum facultatem, sed etiam necessitatem quamdam nunquam peccandi, sed semper permanendi. Et ideo totaliter tollitur ratio spei.

3. La continuation de la bйatitude n’a pas raison d’а venir, car, pour autant qu’un homme devient bienheureux, il participe а l’йternitй, dans laquelle il n’y a ni passй ni futur. Aussi dit-on que cette bйatitude sera la vie йternelle. Mais en supposant qu’elle aurait raison d’а venir, elle n’a pas raison de difficile du point de vue de celui qui possиde dйjа la bйatitude. En effet, par le fait mкme, il n’a pas reзu seulement la capacitй, mais aussi une certaine nйcessitй de ne jamais pйcher, mais de toujours persйvйrer. C’est pourquoi la raison d’espйrance est totalement йcartйe.

[66639] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de eo quod cadit sub spe, non principaliter, sed secundario.

4. Cet argument vient de ce qui relиve de l’espйrance non pas principalement, mais de maniиre secondaire.

[66640] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamdiu remanet principale obiectum spei, eadem virtute spei sperat aliquis bona sibi et aliis; sed remoto principali obiecto, potest quidem aliis sperare aliquo modo, sed non secundum virtutem spei.

5. Aussi longtemps que demeure l’objet principal de l’espйrance, c’est par la mкme vertu d’espйrance que quelqu’un espиre des biens pour lui-mкme et pour d’autres. Mais, une fois йcйartй l’objet principal, il peut espйrer pour les autres d’une certaine maniиre, mais non selon la vertu d’espйrance.

[66641] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod eo modo convenit sanctis orare sicut et sperare; non quidem per virtutem spei, quae ponitur theologica virtus.

6. Il convient aux sasints de prier comme il leur convient d’espйrer, mais non en raison de la vertu d’espйrance, dont on affirme qu’elle est une vertu thйologale.

[66642] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si accipiatur primum principium movens ad terminum, verum est idem esse principium motus ad terminum, et quietis in termino. Sed si accipiatur aliquid secundarium et instrumentale; quaedam sunt principia motus, quae cessant, cum perventum fuerit ad terminum, sicut navis cessat, et impulsio venti, cum perventum fuerit ad portum. Et hoc modo caritas, quae est primum movens, manet in termino beatitudinis, non autem spes, quae est secundarium principium appropriatum motui.

7. Si l’on prend le premier principe qui meut vers le terme, il est vrai que le principe du mouvement vers le terme et du repos dans le terme est le mкme. Mais si l’on prend un principe secondaire et instrumental, certains sont principes du mouvement, qui cessent lorsque qu’on sera parvenu au terme, comme le navire s’arrкte et la poussйe du vent, lorsqu’on est parvenu au port. De cette maniиre, la charitй, qui est un moteur premier, demeure dans la bйatitude, mais non pas l’espйrance, qui est un principe secondaire rattachй au mouvement.

[66643] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod auctoritates illae loquuntur de iustitia et rectitudine vitae, secundum statum praesentis vitae, quo moventur ad rectitudinem.

8. Ces autoritйs parlent de la justice et de la rectitude de la vie selon l’йtat de la vie prйsente, par quoi ils sont mus а la rectitude.

[66644] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod certitudo quae est in beatis de perpetua stabilitate, non est per aliquid quod expectetur futurum, sed per id quod iam acceperunt; unde non pertinet ad rationem spei.

9. La certitude qui existe chez les bienheureux а propos de leur stabilitй perpйtuelle ne vient pas de quelque chose qui est attendu dans l’avenir, mais du fait qu’ils l’ont dйjа reзu. Elle ne relиve donc pas de la raison de l’espйrance.

[66645] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod, sicut philosophus dicit in III Physic., in motibus accipiuntur magis et minus loco contrariorum, ut magis et minus album loco albi et nigri; et similiter magis et minus bonum loco boni et mali. Sic igitur beatitudo superveniens evacuat spem, non sicut bonum malum, sed minus bonum; sicut iuventus pueritiam.

10. Comme le Philosophe le dit dans Physique, III, dans les mouvements, on prend le plus et le moins а la place des contraires, comme le plus ou moins blanc а la place du blanc et du noir. De mкme en est-il pour le plus ou moins bon а la place de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. De mкme, lorsqu’elle survient, la bйatitude йvacue l’espйrance, non pas comme un bien mauvais, mais comme quelque chose de moins bon, comme la jeunesse йvacue l’enfance.

[66646] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod obiectum alicuius virtutis potest deesse dupliciter. Uno modo, cum possibilitate habendi; et sic etiam obiecto non habito potest esse actus virtutis et virtus, sub hac conditione, si facultas adesset. Alio modo, cum impossibilitate habendi : et sic nec habitus nec actus manet : frustra enim remaneret. Et hoc modo tollitur obiectum spei in patria; quia nunquam de cetero erit possibile beatitudinem esse futuram.

11. L’objet d’une vertu peut faire dйfaut de deux maniиres. D’une maniиre, lorsque demeure la possibilitй de le possйder : et ainsi, alors que l’objet n’est pas possйdй, il peut y avoir un acte de vertu et une vertu, а la condition que la possibilitй existe. D’une autre maniиre, lorsqu’il y a impossibilitй de le possйder : et ainsi, ni l’habitus ni l’acte ne demeurent, car ils demeureraient en vain. Et de cette maniиre, l’objet de l’espйrance est йcartй dans la patrie, car il ne sera plus jamais possible que la bйatitude soit а venir.

[66647] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod fortitudo illa quae erit in sanctis, non erit consequens ex principio praeexistenti, id est ex perfecta inhaesione ad omnipotentem Deum; non autem erit ordinata ut ad finem, sed magis finem consequens, ut dictum est. Et ideo non est similis ratio de spe, quae non datur nisi propter motum in finem.

12. Cette force qui existera chez les saints ne dйcoulera pas d’un principe prйexistant, а savoir, de la parfaite adhйsion au Dieu tout-puissant : elle ne sera pas ordonnйe а la fin, mais plutфt а ce qui dйcoule de la fin, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’en va pas de mкme pour l’espйrance, qui n’est donnйe qu’en vue du mouvement vers la fin.

[66648] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod maiestas Dei non est minor quam eius bonitas. Sed caritas alio modo, se habet ad bonitatem quam spes ad maiestatem; quia caritas de sui ratione importat unionem, et ideo perficitur in patria. Spes autem importat distantiam, quae repugnat statui patriae.

13. La majestй de Dieu n’est pas moindre que sa bontй. Mais le rapport de la charitй а sa bontй est diffйrent de celui de l’espйrance а sa majestй, car la charitй comporte par elle-mкme l’union; aussi s’accomplit-elle dans la patrie. Mais l’espйrance comporte une distance, qui s’oppose а l’йtat de la patrie.

[66649] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod fides et spes habent rationem fundamenti vel parietis ex parte eius quod est perfectionis in eis : scilicet ex eo quod fides inhaeret primae veritati, spes autem summae maiestati; non autem ex hoc quod est imperfectionis in utraque : in quantum, scilicet, fides est non apparentium, et spes non habitorum. Et ideo in statu perfectae beatitudinis, quando caritas, quae nihil de sui ratione imperfectionis importat, perficietur, fidei succedet perfectius fundamentum, scilicet visio aperta; et spei perfectior paries, scilicet comprehensio plena, secundum illud 1 Cor. IX, 24 : sic currite ut comprehendatis.

14. La foi et l’espйrance ont raison de fondement ou de mur du point de vue de ce qui relиve en elles de la perfection, а savoir, du fait que la foi adhиre а la vйritй premiиre, et l’espйrance а la majestй suprкme; mais non en raison de ce qu’il y d’imperfection dans les deux, pour autant que la foi porte sur des choses qui ne sont pas йvidentes et l’espйrance sur des choses qui ne sont pas possйdйes. C’est pourquoi, dans l’йtat de bйatitude parfaite, alors que la charitй, qui ne comporte rien d’imparfait selon sa raison propre, sera perfectionnйe, succйdera а la foi un fondement plus parfait, а savoir, la claire vision, et а l’espйrance un mur plus parfait, а savoir, la pleine saisie, selon ce que dit 1 Co 9, 24 : Courez afin de saisir!

[66650] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod gloria corporis derivatur in sanctis a gloria animae; et ideo habentibus gloriam animae, quae est potior, gloria corporis non habet rationem ardui.

15. La gloire du corps dйcoule chez les saints de la gloire de l’вme. C’est pourquoi, pour ceux qui possиdent la gloire de l’вme, qui est plus puissante, la gloire du corps n’est pas difficile.

[66651] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Christus speravit secundum communem rationem spei, non autem habuit spem quae est virtus theologica, quia beatitudo non erat ei futura, sed praesens.

16. Le Christ a espйrй selon la raison commune d’espйrance, mais il n’a pas possdй l’espйrance qui est une vertu thйologale, car la bйatitude n’йtait pas pour lui а venir, mais prйsente.

 

Question 5 : [Les vertus cardinales]

© Traduction Anne Michel, Nancy, mйmoire de maоtrise, 2003[79]

Sous la direction du professeur Mйnard

Prologue

Quaestio 5

Prooemium

[66652] De virtutibus, q. 5 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum prudentia, iustitia, fortitudo et temperantia sint virtutes cardinales.

[66653] De virtutibus, q. 5 pr. 2 Secundo utrum virtutes sint connexae, ut qui habet unam habeat omnes.

[66654] De virtutibus, q. 5 pr. 3 Tertio utrum omnes virtutes in homine sint aequales.

[66655] De virtutibus, q. 5 pr. 4 Quarto utrum virtutes cardinales maneant in patria.

Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?

Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les possйderait toutes ?

Article 3 – Toutes les vertus sont-elles йgales dans l’homme ?

Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ?

 

Articulus 1 – [66656] De virtutibus, q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum istae sint quatuor virtutes cardinales, scilicet iustitia, prudentia, fortitudo et temperantia

Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?

Objections :

Et videtur quod non.

[66658] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 1 Ea enim quae non distinguuntur ad invicem, non debent ad invicem connumerari; quia distinctio est causa numeri, ut dicit Damascenus. Sed praedictae virtutes non distinguuntur ad invicem; dicit enim Gregorius in XXII Moral. : prudentia vera non est, quae iusta et temperans et fortis non est; nec perfecta temperantia, quae fortis, iusta et prudens non est; neque fortitudo integra, quae prudens, temperans et iusta non est; nec vera iustitia, quae prudens, fortis et temperans non est. Ergo non debent dici hae quatuor virtutes cardinales.

Il semble que non.

1. Les choses qui ne sont pas mutuellement distinctes ne doivent pas кtre comptйes sйparйment l’une de l’autre, parce que la distinction est cause du nombre, comme le dit [saint Jean] Damascиne. Or, les vertus mentionnйes ne se distinguent pas l’une de l’autre. En effet, Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job : « La prudence n’est pas vraie si elle n’est pas juste, tempйrante et forte ; ni la tempйrance parfaite si elle n’est pas forte, juste et prudente ; ni la force complиte si elle n’est pas prudente, tempйrante et juste ; ni la justice vraie si elle n’est pas prudente, forte et tempйrante. » Ces quatre vertus ne doivent donc pas кtre appelйes cardinales.

[66659] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes videntur dici cardinales, ex eo quod sunt aliis principaliores; unde quas quidam cardinales, aliquando principales vocant, ut patet per Gregorium, XXII Moralium. Sed cum finis principalior sit his quae sunt ad finem; principaliores esse videntur virtutes theologicae, quae habent ultimum finem pro obiecto, quam praedictae virtutes, quae sunt circa ea quae sunt ad finem. Ergo non debent dici praedictae quatuor virtutes cardinales.

2. Les vertus semblent кtre appelйes cardinales parce qu’elles l’emportent sur les autres. C’est pourquoi certains les appellent cardinales, parfois principales, comme l’йcrit Grйgoire au livre XXII des Morales sur Job. Mais comme la fin l’emporte sur ce qui tend vers la fin, les vertus thйologales, qui ont pour objet la fin ultime, semblent l’emporter sur les vertus mentionnйes, qui concernent ce qui tend vers la fin. Les quatre vertus mentionnйes ne doivent donc pas кtre appelйes cardinales.

[66660] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt diversorum generum, non debent poni in una coordinatione. Sed prudentia est in genere virtutum intellectualium, ut patet in VI Ethic. : aliae vero tres sunt virtutes morales. Ergo inconvenienter ponuntur praedictae quatuor virtutes cardinales.

3. Les choses qui appartiennent а des genres divers ne doivent pas кtre mises en coordination. Mais la prudence appartient au genre des vertus intellectuelles, comme il est dit au livre VI de l’Йthique; quant aux trois autres, ce sont des vertus morales. Il ne convient donc pas de faire des quatre vertus mentionnйes des [vertus] cardinales.

[66661] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, inter intellectuales virtutes sapientia est principalior quam prudentia, ut philosophus probat in VI Ethic.; quia sapientia est de divinis, prudentia autem est de humanis. Si igitur debuit aliqua virtus intellectualis poni inter virtutes cardinales, potius debuit poni sapientia quasi principalior.

4. Parmi les vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte sur la prudence, comme le dйmontre le Philosophe au livre VI de l’Йthique, parce que la sagesse porte sur les choses divines, alors que la prudence porte sur les choses humaines. Si donc l’on avait dы placer une vertu intellectuelle parmi les vertus cardinales, c’est la sagesse que l’on aurait dы plutфt placer, vu qu’elle est supйrieure.

[66662] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad virtutes cardinales aliae debent reduci. Sed philosophus in II Ethic. condividit quasdam alias virtutes fortitudini et temperantiae; scilicet liberalitatem et magnanimitatem et huiusmodi, quae sic non reducuntur. Non ergo praedictae virtutes sunt cardinales.

5. Les autres [vertus] doivent кtre ramenйes aux vertus cardinales. Or, le Philosophe, au livre II de l’Йthique, a distinguй d’autres vertus que celles de force et de tempйrance : la libйralitй et la magnanimitй, et celles de ce genre, qui ne sont pas ainsi ramenйes [aux vertus cardinales]. Les vertus mentionnйes ne sont donc pas cardinales.

[66663] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod non est virtus, non debet poni inter virtutes cardinales. Sed temperantia non videtur esse virtus. Non enim habetur aliis virtutibus habitis; ut patet in Paulo, qui habebat omnes alias virtutes, et tamen temperantiam non habebat : inerat enim adhuc in membris eius concupiscentia, secundum illud Rom., VII, 23 : video aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae. Temperatus autem differt in hoc a continente, quod temperatus non habet concupiscentias pravas; continens autem habet, sed non sequitur eas; ut patet per philosophum in VII Ethic. Ergo inconvenienter enumerantur praedictae quatuor cardinales virtutes.

6. On ne doit pas mettre au nombre des vertus cardinales ce qui n’est pas vertu. Or, la tempйrance ne semble pas кtre une vertu. En effet, on ne la possиde pas alors que les autres vertus sont possйdйes, comme l’йcrit Paul, qui possйdait toutes les autres vertus, sans possйder cependant la tempйrance. Car la concupiscence continuait d’exister dans ses membres, d’aprиs cette phrase : Je vois une autre loi dans mon corps, luttant contre la loi de mon esprit, Rm 7, 23. Or, l’homme tempйrй diffиre de l’homme continent, en ceci que l’homme tempйrй n’a pas de concupiscences mauvaises, alors que l’homme continent en a mais ne les suit pas, comme l’йcrit le Philosophe, au livre VII de l’Йthique. C’est donc incorrectement que l’on йnumиre les vertus mentionnйes comme quatre vertus cardinales.

[66664] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut per virtutem homo ordinatur ad seipsum, ita et ad proximum. Sed duae virtutes ponuntur, quibus homo ordinatur ad seipsum; scilicet fortitudo et temperantia. Ergo etiam duae virtutes debent poni quibus aliquis ordinatur ad proximum; et non solum iustitia.

7. De mкme que l’homme est ordonnй а lui-mкme par la vertu, de mкme il l’est aussi au prochain. Mais l’on йtablit deux vertus par lesquelles l’homme est ordonnй а lui-mкme : la force et la tempйrance. On doit donc aussi йtablir deux vertus par lesquelles il est ordonnй au prochain, et pas seulement la justice.

[66665] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus Eccles., quod virtus est ordo amoris. Sed amor gratiae comprehenditur sub duobus praeceptis; scilicet dilectionis Dei et proximi. Ergo non debent esse nisi duae virtutes cardinales.

8. Augustin dit, dans Le livre sur le comportement de l’Йglise, que la vertu est l’ordre de l’amour. Mais l’amour est embrassй par la grвce sous deux prйceptes : l’amour de Dieu et du prochain. Il ne doit donc y avoir que deux vertus cardinales.

[66666] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 9 Praeterea, diversitas materiae quae est secundum extensionem, facit solum diversitatem secundum numerum; diversitas autem materiae quae est secundum diversas acceptiones formae, facit differentiam secundum genus : propter quod corruptibile et incorruptibile differunt genere, ut dicitur X Metaph. Sed praedictae virtutes differunt secundum diversitatem materiae habentis rationem diversam recipiendi formam. Nam modus rationis circa materiam temperantiae ponitur secundum refrenationem passionum; circa materiam autem fortitudinis secundum quemdam conatum ad id a quo passio retrahit. Ergo praedictae virtutes differunt genere; non ergo debent coniungi in una ordinatione virtutum cardinalium.

9. La diversitй de matiиre qui se prend de l’extension donne seulement la diversitй par le nombre. Or, la diversitй de matiиre, qui est se trouve dans les diverses rйceptions de forme, donne la diffйrence par le genre, du fait que le corruptible et l’incorruptible diffиrent par le genre, comme il est dit au livre X de la Mйtaphysique. Or, les vertus mentionnйes diffиrent par la diversitй de matiиre, qui possиde une maniиre diffйrente de recevoir la forme. En effet, le mode de la raison concernant la matiиre de la tempйrance est йtabli par la rйpression des passions, mais celui qui concerne la matiиre de la force, par un certain effort vers ce dont la passion йloigne. Les vertus mentionnйes diffиrent donc par le genre ; on ne doit donc pas les rйunir dans un seul ordre de vertus cardinales.

[66667] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 10 Praeterea, ratio virtutis moralis sumitur secundum quod attingit rationem, ut patet per philosophum in II Ethicor., qui definit virtutem per hoc, quod est secundum rationem rectam. Sed ratio recta est regula regulata a prima regula quae est Deus; a qua etiam virtutem regulandi habet. Ergo virtutes morales praecipue habent rationem virtutis ex eo quod attingunt primam regulam, scilicet Deum. Sed virtutes theologicae, quae sunt circa Deum, non dicuntur cardinales. Ergo neque virtutes morales debent dici cardinales.

10. La dйfinition de la vertu morale est fondйe sur le fait qu’elle concerne la raison, comme l’йcrit le Philosophe au livre II de l’Йthique, qui dйfinit la vertu par « ce qui est selon la droite raison ». Or, la droite raison est une rиgle rйglйe par une rиgle premiиre : Dieu, par laquelle elle possиde aussi la vertu de rйgler. Les vertus morales possиdent donc surtout ce qui fait la vertu parce qu’elles atteignent la rиgle premiиre : Dieu. Or, les vertus thйologales, qui portent sur Dieu, ne sont pas appelйes cardinales. Les vertus morales ne doivent donc pas non plus кtre appelйes cardinales.

[66668] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 11 Praeterea, principalis pars animae est ratio. Sed temperantia et fortitudo non sunt in ratione, sed sunt irrationabilium partium, ut philosophus dicit in III Ethic. Ergo non debent poni virtutes cardinales.

11. La partie principale de l’вme est la raison. Or, la tempйrance et la force ne sont pas dans la raison mais appartiennent aux parties irrationnelles, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique. On ne doit donc pas les йtablir comme vertus cardinales.

 

[66669] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 12 Praeterea, laudabilius est dare de suo quam reddere vel non auferre alienum. Sed primum pertinet ad liberalitatem, secundum ad iustitiam. Ergo liberalitas magis debet poni virtus cardinalis quam iustitia.

12. Il est plus louable de donner de son propre bien que de rendre ou de ne pas prendre celui d’autrui. Or, le premier cas relиve de la libйralitй, le second, de la justice. On doit donc йtablir comme vertu cardinale la libйralitй plutфt que la justice.

 

[66670] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 13 Praeterea, illud maxime videtur esse virtus cardinalis quod est firmamentum aliorum. Sed huiusmodi est humilitas; dicit enim Gregorius, quod qui ceteras virtutes sine humilitate congregat, quasi pulveres in ventum portat. Ergo humilitas debuit poni inter virtutes cardinales.

13. Il semble surtout qu’une vertu cardinale est le point d’appui des autres. Or, l’humilitй est de ce genre. Grйgoire dit en effet que « celui qui regroupe toutes les autres vertus sans l’humilitй, c’est comme s’il transportait de la poussiиre dans le vent». On aurait donc dы йtablir l’humilitй parmi les vertus cardinales.

[66671] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus est perfectio quaedam, ut patet per philosophum in VI Phys. Sed, sicut dicitur Iac., I, 4, patientia perfectum opus habet. Ergo patientia tamquam perfectio, poni debuit inter virtutes cardinales.

14. La vertu est une certaine perfection, comme l’йcrit le Philosophe au livre VI de la Physique. Mais, comme il est dit dans Jc 1, 4 : « La patience s’accompagne d’une њuvre parfaite. » On aurait donc dы йtablir la patience, plus parfaite, parmi les vertus cardinales.

[66672] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod magnanimitas operatur magnum in virtutibus, et est velut ornamentum aliis virtutibus. Sed hoc maxime videtur pertinere ad principalitatem virtutis. Ergo magnanimitas videtur esse virtus cardinalis. Inconvenienter igitur annumerantur praedictae quatuor virtutes cardinales.

15. Le Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que la magnanimitй rйalise ce qui est grand dans les vertus et est comme une parure pour les autres vertus. Or, ceci semble surtout relever de la primautй d’une vertu. Il semble donc que la magnanimitй soit une vertu cardinale. Les quatre vertus mentioncardinales mentionnйes ne sont donc pas convenablement йnumйrйes.

Cependant :

[66673] De virtutibus, q. 5 a. 1 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius dicit super illud Lucae, cap. VI : beati pauperes spiritu : scimus virtutes esse quatuor cardinales : temperantiam, iustitiam, prudentiam, fortitudinem.

Ambroise dit, а propos de Lc 6 : Heureux les pauvres en esprit : « Nous savons bien qu’il y a quatre vertus cardinales : la tempйrance, la justice, la prudence, la force. »

Rйponse :

[66674] De virtutibus, q. 5 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod cardinalis a cardine dicitur, in quo ostium vertitur, secundum illud Proverb., XXVI, 14 : sicut ostium vertitur in cardine suo, ita piger in lectulo suo. Unde virtutes cardinales dicuntur in quibus fundatur vita humana, per quam in ostium introitur; vita autem humana est quae est homini proportionata. In hoc homine autem invenitur primo quidem natura sensitiva, in qua convenit cum brutis; ratio practica, quae est homini propria secundum suum gradum; et intellectus speculativus, qui non perfecte in homine invenitur sicut invenitur in Angelis, sed secundum quamdam participationem animae. Ideo vita contemplativa non est proprie humana, sed superhumana; vita autem voluptuosa, quae inhaeret sensibilibus bonis, non est humana, sed bestialis. Vita ergo proprie humana est vita activa, quae consistit in exercitio virtutum moralium : et ideo proprie virtutes cardinales dicuntur in quibus quodammodo vertitur et fundatur vita moralis, sicut in quibusdam principiis talis vitae; propter quod et huiusmodi virtutes principales dicuntur. Considerandum est autem, quod de ratione actus virtuosi quatuor existunt. Quorum unum est, ut substantia ipsius actus sit in se modificata; et ex hoc actus dicitur bonus, quasi circa debitam materiam existens, vel debitis circumstantiis vestitus. Secundum autem est, ut actus sit debito modo se habens ad subiectum, ex quo firmiter subiecto inhaereat. Tertium autem est, ut actus sit debito modo proportionatus ad aliquid extrinsecum sicut ad finem. Et haec quidem tria sunt ex parte eius quod per rationem dirigitur. Quartum autem ex parte ipsius rationis dirigentis, scilicet cognitio. Et haec quatuor philosophus tangit in II Ethic., ubi dicit, quod non sufficit ad virtutem quod aliqua sint iuste vel temperate comparata, quod pertinet ad modificationem actus. Sed alia tria requiruntur ex parte operantis. Primum quidem, ut sit sciens; quod pertinet ad cognitionem dirigentem. Deinde, quod sit eligens et reeligens propter hoc, id est propter debitum finem; quod pertinet ad rectitudinem actus in ordine ad aliquid extrinsecum. Tertium est, si firme et immobiliter adhaereat et operetur. Haec igitur quatuor scilicet cognitio dirigens, rectitudo, firmitas et moderatio, etsi in omnibus virtuosis actibus requirantur; singula tamen horum principalitatem quamdam habent in specialibus quibusdam materiis et actibus. Ex parte cognitionis practicae tria requiruntur. Quorum primum est consilium : secundum est iudicium de consiliatis; sicut etiam in ratione speculativa invenitur inventio vel inquisitio, et iudicium. Sed quia intellectus practicus praecipit fugere vel prosequi, quod non facit speculativus intellectus, ut dicitur in III de anima; ideo tertio ad rationem practicam pertinet praemeditari de agendis; et hoc est praecipuum ad quod alia duo ordinantur. Circa primum autem perficitur homo per virtutem eubuliae, quae est bene consiliativa. Circa secundum autem perficitur homo per synesim et gnomen, quibus homo fit bene iudicativus, ut dicitur in VI Ethic. Sed per prudentiam fit ratio bene praeceptiva, ut ibidem dicitur. Unde manifestum est quod ad prudentiam pertinet id quod est praecipuum in cognitione dirigente; et ideo ex hac parte ponitur prudentia virtus cardinalis. Similiter rectitudo actus per comparationem ad aliquid extrinsecum, habet quidem rationem boni et laudabilis etiam in his quae pertinent ad unum secundum seipsum, sed maxime laudatur in his quae sunt ad alterum; quando scilicet homo actum suum rectificat non solum in his quae ad ipsum pertinent, sed etiam in his in quibus cum aliis communicat. Dicit enim philosophus in V Ethic., quod multi in propriis quidem virtute uti possunt, in his autem quae sunt ad alterum, non possunt. Et ideo iustitia ex hac parte ponitur virtus principalis, per quam homo debito modo coaptatur et adaequatur aliis, cum quibus communicare habet; unde et vulgariter dicuntur iusta illa quae sunt debito modo coaptata. Moderatio autem, sive refrenatio, ibi praecipue laudem habet et rationem boni, ubi praecipue passio impellit, quam ratio refrenare debet, ut ad medium virtutis perveniatur. Impellit autem passio maxima ad prosequendas delectationes maximas, quae sunt delectationes tactus; et ideo ex hac parte ponitur cardinalis virtus temperantia, quae reprimit concupiscentias delectabilium secundum tactum. Firmitas autem praecipue laudem habet et rationem boni in illis in quibus passio maxime movet ad fugam : et hoc praecipue est in maximis periculis, quae sunt pericula mortis; et ideo ex hac parte fortitudo ponitur virtus cardinalis, per quam homo circa mortis pericula intrepide se habet. Harum autem quatuor virtutum prudentia quidem est in ratione, iustitia autem est in voluntate, fortitudo autem in irascibili, temperantia autem in concupiscibili; quae solae potentiae possunt esse principia actus humani, id est voluntarii. Unde patet ratio virtutum cardinalium, tum ex parte modorum virtutis, quae sunt quasi rationes formales, tum etiam ex parte materiae, tum etiam ex parte subiecti.

« Cardinal » tire son origine du gond sur lequel une porte tourne, selon cette phrase de Pr 26, 14 : La porte tourne sur ses gonds, tout comme le paresseux sur son lit. Ainsi, on appelle cardinales les vertus sur lesquelles est fondйe la vie humaine, qui fait entrer par la porte. Or, la vie humaine est celle qui est proportionnйe а l’homme. Dans cet homme, on trouve d’abord une nature sensitive, qu’il a en commun avec les animaux sans raison, la raison pratique, qui est propre а l’homme selon son degrй, et une intelligence spйculative, que l’on ne trouve pas parfaitement en l’homme comme on la trouve chez les anges, mais selon une certaine participation de l’вme. C’est pourquoi la vie contemplative n’est pas proprement humaine, mais surhumaine; et une vie de voluptй, qui est attachйe aux biens sensibles, n’est pas humaine mais bestiale. La vie proprement humaine est donc une vie active qui repose sur l’exercice des vertus morales. C’est pourquoi l’on appelle proprement cardinales les vertus sur lesquelles tourne en quelque sorte et est fondйe la vie morale, en tant que principes d’une telle vie, raison pour laquelle l’on appelle aussi principales des vertus de ce genre. Or, il faut considйrer nйanmoins que quatre йlйments font partie de ce qui rend un acte vertueux. Le premier d’entre eux est que la substance de l’acte lui-mкme soit rйglйe en elle-mкme; c’est la raison pour laquelle l’acte est dit bon, en tant qu’il porte sur la matiиre appropriйe ou est revкtu des circonstances appropriйes. Le deuxiиme : que l’acte soit en rapport avec le sujet de faзon appropriйe ; il est ainsi fermement enracinй dans le sujet. Le troisiиme : que l’acte soit proportionnй de faзon appropriйe а quelque chose d’extйrieur comme а sa fin. Ces trois йlйments relиvent de ce qui est dirigй par la raison. Et le quatriиme relиve de la raison qui dirige elle-mкme : la connaissance. Le Philosophe aborde ces quatre йlйments au livre II de l’Йthique, oщ il dit qu’il ne suffit pas pour la vertu que certains actes soient rйglйs avec justice ou tempйrance, ce qui relиve de la disposition rйglйe de l’acte. Mais trois autres йlйments sont requis du cфtй de l’agent. D’abord, qu’il connaisse, ce qui se rapporte а la connaissance qui dirige. Ensuite, qu’il choisisse et choisisse de nouveau, а savoir, en raison de la fin qui convient; ce qui relиve de la rectitude de l’acte ordonnй vers quelque chose d’extйrieur. Troisiиmement, que l’agent soit fixй et agisse avec fermetй et de maniиre immuable. Mкme s’ils sont exigйs de tous les actes vertueux, chacun de ces quatre йlйments : la connaissance qui dirige, la rectitude, la fermetй et la modйration, a la primautй dans certains actes et matiиres particuliers. Pour ce qui est de la connaissance pratique, trois choses sont requises. La premiиre est le conseil ; la deuxiиme est le jugement sur les choses conseillйes, de mкme que, dans la raison spйculative, on trouve la dйcouverte ou la recherche, et le jugement. Mais parce que l’intelligence pratique prescrit de fuir ou de poursuivre, ce que ne fait pas l’intelligence spйculative, comme il est dit au livre III du traitй De l’Вme, un troisiиme йlйment relиve de la raison pratique : rйflйchir а l’avance sur les actes а poser; et ceci est le principal, а quoi sont ordonnйs les deux autres. Pour le premier, l’homme est perfectionnй par l’eubulia, qui est bonne conseillиre; pour le deuxiиme, il est perfectionnй par la synesis et la gnфmи, qui permettent а l’homme de bien juger, comme il est dit au livre VI de l’Йthique. Mais, par la prudence, la raison commande bien, comme il est dit au mкme endroit. Dиs lors, il est clair que c’est de la prudence que relиve ce qui est le principal dans la connaissance qui dirige. C’est pourquoi la prudence est йtablie comme vertu cardinale. De mкme, la rectitude de l’acte par comparaison avec quelque chose d’extйrieur possиde assurйment le caractиre de bien et de louable, mкme dans ce qui relиve de la personne elle-mкme, mais elle est surtout louйe pour ce qui se rapporte а autrui, а savoir, quand l’homme rend droit son acte, non seulement а son йgard, mais aussi dans ce qu’il partage avec d’autres. Le Philosophe dit en effet, au livre V de l’Йthique, que beaucoup peuvent faire usage de la vertu dans ce qui leur est propre, mais ne le peuvent pas dans celles qui concernent autrui. C’est pourquoi la justice est йtablie comme vertu principale, par laquelle l’homme est ajustй et rendu йgal aux autres, avec lesquels il doit partager. Ainsi, l’on appelle communйment juste ce qui est agencй de maniиre appropriйe. Or, la modйration ou la retenue appellent la louange et ont le caractиre de bien, surtout lа oщ la passion entraоne, que la raison doit rйfrйner pour qu’on parvienne au milieu de la vertu. Or, la plus grande passion pousse а poursuivre les plus grands plaisirs : les plaisirs du toucher. C’est pourquoi la tempйrance est йtablie comme vertu cardinale, qui rйprime les concupiscences dйlectables au toucher. Mais la fermetй appelle la louange et a le caractиre de bien, lа oщ la passion pousse surtout а fuir; et cela arrive principalement dans les plus grands dangers : les dangers de mort. C’est pourquoi la force est йtablie comme vertu cardinale, par laquelle l’homme est intrйpide face aux dangers de mort. Parmi ces quatre vertus, la prudence se trouve assurйment dans la raison, la justice dans la volontй, la force dans l’irascible, la tempйrance dans le concupiscible, les seules puissances qui peuvent кtre principes d’un acte humain, c’est-а-dire volontaire. Ainsi ressort clairement le caractиre des vertus cardinales, tant du cфtй des modes de la vertu, qui sont pour ainsi dire des raisons formelles, que du cфtй de la matiиre, et aussi du cфtй du sujet.

Solutions :

[66675] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de praedictis quatuor virtutibus cardinalibus aliqui dupliciter loquuntur. Quidam enim utuntur praedictis quatuor nominibus ad significandum generales modos virtutum : puta omnem cognitionem dirigentem vocantes prudentiam; omnem rectitudinem adaequantem actus humanos vocantes iustitiam; omnem moderationem refrenantem appetitum hominis a temporalibus bonis vocantes temperantiam; omnem firmitatem animi stabilientem hominem in bono contra insultum quorumcumque malorum, fortitudinem appellantes. Et ita videtur uti his nominibus Augustinus in Lib. de moribus Eccles.; et secundum hoc potest intelligi praedictum verbum Gregorii : quia una harum conditionum ad veram virtutis rationem non sufficit nisi omnes praedictae conditiones concurrant. Secundum hoc ergo praedicta quatuor dicuntur quatuor virtutes non propter diversas species habituum quae attenduntur secundum diversa obiecta, sed secundum diversas rationes formales. Alii vero, sicut Aristoteles in Lib. Ethic., loquuntur de praedictis quatuor virtutibus secundum quod sunt speciales virtutes determinatae ad proprias materias; et secundum hoc etiam potest verificari dictum Gregorii : per modum enim cuiusdam redundantiae, praedictae virtutes sunt circa illas materias in quibus potissime commendantur praedictae generales quatuor virtutis conditiones. Unde secundum hoc fortitudo temperans est, et temperantia fortis, quia qui potest refrenare appetitum suum ne consequatur concupiscentias delectationum, quod pertinet ad temperantiam, multo magis poterit refrenare motum audaciae in periculis; et similiter qui potest stare firmus contra pericula mortis, multo magis potest stare firmus contra illecebras voluptatum. Et secundum hoc, id quod est principaliter temperantiae, transit ad fortitudinem, et e converso; et eadem ratio est in aliis.

1. Certains parlent de deux faзons des quatre vertus cardinales mentionnйes. Certains, en effet, utilisent ces quatre noms pour signifier des modes gйnйraux des vertus, par exemple, en appelant prudence toute connaissance qui dirige, en appelant justice toute rectitude qui ajuste les actes humains, en appelant tempйrance toute modйration qui rйfrиne l’appйtit de l’homme pour les biens temporels, en appelant force toute fermetй de l’вme qui maintient solidement l’homme dans le bien contre l’assaut de n’importe quel mal. Augustin semble utiliser ces noms de cette maniиre dans le Livre sur le comportement de l’Йglise. L’on peut comprendre ainsi la parole citйe de Grйgoire, qu’une de ces conditions ne suffit pas au vйritable caractиre de vertu, si toutes les conditions mentionnйes ne sont pas satisfaites. Dиs lors, les quatre dispositions citйes sont quatre vertus, non par les diverses espиces d’habitus en rapport avec des objets divers, mais selon diverses raisons formelles. Mais d’autres, comme Aristote dans l’Йthique, parlent des quatre vertus mentionnйes comme de vertus spйciales, dйterminйes selon leurs matiиres propres. Ainsi se vйrifie aussi ce qu’a dit Grйgoire : en effet, par mode d’une certaine redondance, les vertus mentionnйes portent sur les matiиres dans lesquelles sont louйes au plus haut point les quatre conditions gйnйrales de la vertu indiquйes. Dиs lors, la force est tempйrante et la tempйrance, forte, parce que celui qui peut rйfrйner son appйtit, afin de ne pas rechercher la concupiscence des plaisirs, tвche qui relиve de la tempйrance, pourra bien davantage rйfrйner le mouvement d’audace dans les dangers; et de mкme, celui qui peut demeurer ferme contre les dangers de mort peut bien davantage rester ferme contre les sйductions des plaisirs. Ainsi, ce qui relиve principalement de la tempйrance passe du cфtй de la force, et inversement. Et c’est la mкme chose pour les autres.

[66676] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in fine appetitus hominis quiescit; et ideo virtutum theologicarum, quae sunt circa finem ultimum, principalitas non comparatur cardini, qui movetur, sed magis fundamento et radici, quae sunt stantia et quiescentia, secundum illud ad Ephes., III, 17 : in caritate radicati et fundati.

2. L’appйtit humain trouve son repos dans la fin. Ainsi la supйrioritй des vertus thйologales, qui concernent la fin ultime, n’est pas comparйe au gond qui est mis en mouvement, mais plutфt а la fondation et а la racine, qui sont stables et en repos, selon ce que dit Ep 3, 17 : Enracinйs et fondйs dans l’amour.

 

[66677] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in VI Ethic., prudentia est recta ratio agibilium. Agibilia autem dicuntur moralia opera, ut ex his quae ibi dicuntur, apparet. Et ideo prudentia convenit cum moralibus virtutibus quantum ad sui materiam; et propter hoc connumeratur eis, licet quantum ad suam essentiam vel subiectum sit intellectualis.

3. Selon le Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison dans les actions а poser. Or, les actes moraux sont des actions а poser, comme le montrent celles dont on parle lа. Ainsi la prudence a quelque chose en commun avec les vertus morales du fait de sa propre matiиre; c’est pourquoi elle est comptйe parmi elles, bien qu’elle soit [une vertu] intellectuelle pour ce qui est de son essence ou son sujet.

[66678] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, ex hoc ipso quod non est circa humana, sed circa divina, non communicat cum virtutibus moralibus in materia : unde non connumeratur virtutibus moralibus, ut simul cum eis dicatur cardinalis virtus, quia ipsa ratio cardinis repugnat contemplationi, quia non est sicut ostium, quo intratur ad aliquid aliud; sed magis actio moralis est ostium, per quod ad contemplationem sapientiae intratur.

4. La sagesse, parce qu’elle ne concerne pas l’humain mais le divin, n’a rien en commun avec les vertus morales pour ce qui est de la matiиre. Ainsi, elle n’est pas comptйe parmi les vertus morales, de sorte qu’on ne l’appelle pas vertu cardinale, comme elles, parce que la notion mкme de cardinal est incompatible avec la contemplation, qui n’est pas comme une porte par laquelle on pйnиtre dans quelque chose d’autre; mais l’action morale est plutфt une entrйe par laquelle on pйnиtre dans la contemplation de la sagesse.

[66679] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si praedictae quatuor virtutes accipiantur secundum quod significant generales conditiones virtutum, secundum hoc omnes virtutes speciales, de quibus philosophus tractat in Lib. Ethic., reducuntur ad has quatuor virtutes sicut species ad genus. Si vero accipiantur secundum quod sunt speciales virtutes circa quasdam materias principales, sic aliae reducuntur ad eas sicut secundarium ad principale ut eutrapelia quae moderatur delectationem ludi, potest reduci ad temperantiam, quae moderatur delectationes tactus; unde et Tullius in II rhetoricae, ponit alias virtutes esse partes harum quatuor. Quod potest intelligi dupliciter : uno modo quod sint partes subiectivae secundum primum modum sumendi has virtutes; alio modo quod sint partes potentiales, si sumantur secundo modo virtutes praedictae; sic sensus est pars potentialis, quia non nominat totam virtutem animae, sed aliquid eius.

5. Si l’on considиre les quatre vertus mentionnйes selon qu’elles indiquent les conditions gйnйrales des vertus, toutes les vertus spйciales dont traite le Philosophe dans l’Йthique se ramиnent alors а ces quatre vertus, comme les espиces au genre. Mais si on les considиre selon qu’elles sont des vertus spйciales qui concernent certaines matiиres principales, alors les autres se ramиnent а celles-ci comme le secondaire au principal, comme l’eutrapelia, qui rиgle le plaisir du jeu, peut кtre ramenйe а la tempйrance, qui rиgle les plaisirs du toucher. Ainsi Cicйron, au livre II de La Rhйtorique, йtablit que les autres vertus sont des parties de ces quatre vertus. Ce que l’on peut comprendre de deux faзons : d’une permiиre faзon, elles sont des parties subjectives, selon la premiиre maniиre de considйrer ces vertus; d’une seconde faзon, elles sont des parties potentielles, si l’on considиre les vertus mentionnйes de la seconde maniиre. Ainsi le sens est une partie potentielle, parce qu’il ne dйsigne pas toute la puissance de l’вme, mais une partie de celle-ci.

[66680] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est de ratione temperantiae quod omnes pravas concupiscentias excludat, sed quod temperatus non patiatur aliquas tales concupiscentias vehementes et fortes, sicut patiuntur illi qui non studuerunt concupiscentias refrenare. Paulus igitur patiebatur concupiscentias inordinatas propter fomitis corruptionem : non tamen fortes neque vehementes, quia studebat eas reprimere castigando corpus suum, et in servitutem redigendo; unde vere temperatus erat.

6. Le fait d’exclure toutes les mauvaises concupiscences ne fait pas partie de la notion de tempйrance, mais le fait que l’homme tempйrй ne subissent pas de telles concupiscences fortes et violentes, comme en subissent ceux qui n’ont pas appris а rйfrйner leurs concupiscences. Paul subissait donc des concupiscences dйsordonnйes en raison de la corruption qui l’enflammait; elles n’йtaient cependant ni fortes ni violentes, parce qu’il s’efforзait de les rйprimer en chвtiant son corps et en l’asservissant. C’est pourquoi il йtait vraiment tempйrй.

[66681] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iustitia, per quam ordinamur ad alterum, non est circa passiones proprias, sed circa operationes quibus communicamus cum aliis, sicut sunt emptio et venditio, et alia huiusmodi : temperantia autem et fortitudo sunt circa proprias passiones. Et ideo, sicut in homine est una vis appetitiva sine passione id est voluntas, duae autem cum passione, id est concupiscibilis et irascibilis : ita est una virtus cardinalis ordinans ad proximum, duae autem ordinantes hominem ad seipsum.

7. La justice, qui nous ordonne а autrui, ne concerne pas les passions qui nous sont propres mais les opйrations par lesquelles nous partageons avec les autres, comme l’achat et la vente, et d’autres de ce genre. Or, la tempйrance et la force concernent les passions propres. Ainsi, de mкme qu’il y a en l’homme une seule force appйtitive sans passion, la volontй, mais deux avec passion, le concupiscible et l’irascible, de mкme il y a une vertu cardinale qui ordonne l’homme au prochain, mais deux qui l’ordonnent а lui-mкme.

[66682] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas dicitur esse omnis virtus non essentialiter, sed causaliter, quia scilicet caritas est mater omnium virtutum. Semper autem effectus magis multiplicatur quam causa; et ideo oportet aliarum virtutum esse maiorem multiplicitatem quam caritatis.

8. On dit que la charitй est toute vertu, non essentiellement mais en tant que cause, parce que la charitй est mиre de toutes les vertus. Or, l’effet est toujours plus multipliй que la cause. Il faut donc que la multiplicitй des autres vertus soit plus grande que celle de la charitй.

[66683] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diversa ratio receptionis potest esse vel ex parte materiae, quae receptiva est formae; et talis diversitas facit diversitatem generis; vel ex parte formae, quae diversimode receptibilis est in materia : et talis diversitas facit diversitatem speciei. Et ita est in proposito.

 

9. La rйception peut se faire de maniиre diverse : soit dans la matiиre, qui reзoit la forme – et une telle diversitй fait la diversitй du genre –, soit dans la forme, qui peut кtre reзue de diverses maniиres dans la matiиre – et une telle diversitй fait la diversitй de l’espиce. Il en va de mкme dans le sujet traitй.

[66684] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes morales attingunt rationem sicut regulam proximam, Deum autem sicut regulam primam. Res autem specificantur secundum propria et proxima principia, non secundum principia prima.

10. Les vertus morales ont un rapport avec la raison comme la rиgle seconde, mais avec Dieu comme la rиgle premiиre. Or, les choses sont spйcifiйes par leurs principes propres et prochains, non par les principes premiers.

[66685] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod principalis pars hominis est pars rationalis. Sed rationale est duplex : scilicet per essentiam et per participationem; et sicut ipsa ratio est principalior quam vires participantes ratione, ita etiam prudentia est principalior quam aliae virtutes.

11. La partie principale de l’homme est la partie rationnelle. Mais le rationnel est double : par essence et par participation. De mкme que la raison elle-mкme l’emporte sur les forces qui participent а la raison, de mкme la prudence l’emporte aussi sur les autres vertus.

[66686] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtutes cardinales dicuntur principaliores omnibus aliis, non quia sunt omnibus aliis perfectiores, sed quia in eis principalius versatur humana vita, et super eas aliae virtutes fundantur. Manifestum est autem quod humana vita magis versatur circa iustitiam, quam circa liberalitatem : utimur enim iustitia ad omnes, liberalitate autem ad paucos. Ipsa autem liberalitas supra iustitiam fundatur : non enim esset liberalis donatio, nisi aliquis daret de suo; per iustitiam autem distinguuntur propria ab alienis.

12. On dit que les vertus cardinales l’emportent sur toutes les autres, non parce qu’elles sont plus parfaites que toutes les autres, mais parce que la vie humaine repose surtout sur elles et que les autres vertus sont fondйes sur elles. Or, il est clair que la vie humaine repose plus sur la justice que sur la libйralitй, car nous faisons usage de la justice pour tous, mais de la libйralitй pour un petit nombre. Or, la libйralitй elle-mкme est fondйe sur la justice, car il n’y aurait pas de don libйral si on ne donnait pas de ce qui est а soi. Et c’est par la justice qu’on distingue ses biens propres de ceux d’autrui.

[66687] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humilitas firmat omnes virtutes indirecte, removendo quae bonis virtutum operibus insidiantur, ut pereant; sed in virtutibus cardinalibus firmantur aliae virtutes directe.

13. L’humilitй affermit indirectement toutes les vertus, en йloignant ce qui tend des embыches aux actions bonnes des vertus en vue de les dйtruire. Mais dans les vertus cardinales, les autres vertus sont affermies directement.

[66688] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod patientia includitur in fortitudine : nam fortis habet id quod est patientis, ut scilicet non conturbetur ex imminentibus malis; et etiam addit amplius, ut scilicet in mala imminentia exiliat secundum quod oportet.

14. La patience est contenue dans la force. L’homme fort, en effet, a les caractйristiques de l’homme patient : il ne se laisse pas troubler par des maux imminents. Et il en ajouteajoute encore plus : il s’йlance mкme vers les maux imminents, comme il convient.

[66689] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ex hoc ipso quod magnanimitas est ornatus aliarum virtutum, manifestatur quod alias virtutes praesupponit, in quibus fundatur; et ex hoc apparet quod aliae sunt magis principales quam ipsa.

15. Parce que la magnanimitй est la parure des autres vertus, il est clair qu’elle prйsuppose les autres vertus sur lesquelles elle est fondйe. Dиs lors, il apparaоt que celles-ci l’emportent sur elle.

 

 

Articulus 2 : [66690] De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum virtutes sint connexae; ut qui habet unam, habeat omnes

Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les possиde toutes ?

Objections :

[66691] De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non. [66692] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 1 Dicit enim Beda super Lucam, quod sancti magis humiliantur de virtutibus quas non habent, quam extollantur de virtutibus quas habent. Ergo quasdam habent, et quasdam non habent; non ergo virtutes sunt connexae.

Il semble que non.

1. Bиde dit en effet, en commentant Luc, que les saints sont plus humiliйs des vertus qu’ils ne possиdent pas qu’ils ne s’enorgueillissent des vertus qu’ils possиdent. Ils en possиdent donc certaines mais n’en possиdent pas d’autres. Les vertus ne sont donc pas connexes.

[66693] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, homo post poenitentiam est in statu caritatis : de his autem patitur difficultatem operandi propter consuetudinem praecedentem, ut dicit Augustinus contra Iulianum; et sic huiusmodi difficultas videtur provenire ex habitu contrario virtuti, per malam consuetudinem acquisitam, cum quo non potest simul esse virtus ei contraria. Ergo aliquis potest habere unam virtutem, scilicet caritatem, et carebit aliis.

2. Aprиs le repentir, l’homme est en йtat de charitй. Or, il a de la difficultй а agir en raison d’une habitude prйcйdente, comme le dit Augustin contre Julien. Ainsi, une difficultй de ce genre semble provenir d’un habitus contraire а la vertu, acquis par une mauvaise habitude, qui ne peut pas exister en mкme temps que la vertu qui lui est contraire. On peut donc possйder une vertu, la charitй, et кtre privй des autres.

 [66694] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea in omnibus baptizatis caritas invenitur. Sed quidam baptizati non habent prudentiam, ut patet maxime in morionibus et phreneticis, qui non possunt esse prudentes, secundum philosophum; et etiam in quibusdam adultis simplicibus, qui non bene videntur esse prudentes, cum non sint bene consiliativi, quod est opus prudentiae. Non ergo qui habet unam virtutem, scilicet caritatem habet omnes alias.

3. Chez tous les baptisйs se trouve la charitй. Mais certains baptisйs ne possиdent pas la prudence, comme on le voit surtout chez les idiots et les frйnйtiques, qui ne peuvent pas кtre prudents, selon le Philosophe; et aussi chez certains adultes ingйnus, qui ne semblent pas кtre bien prudents, vu qu’ils ne sont pas bons conseillers, ce qui est l’њuvre de la prudence. Donc, celui qui possиde une seule vertu, la charitй, ne possиde pas toutes les autres.

[66695] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum in VI Ethic., prudentia est recta ratio agibilium, sicut ars est recta ratio factibilium. Sed homo potest habere rectam rationem circa unum genus factibilium puta circa fabrilia, et non habebit rectam rationem circa alia artificialia. Ergo etiam potest habere prudentiam circa unum genus agibilium, puta circa iusta, et non habebit circa aliud genus, puta circa fortia; et ita poterit habere unam virtutem absque alia.

4. Selon le Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison dans la conduite а tenir, comme l’art est la droite raison dans les choses а faire. Mais l’homme peut possйder la droite raison qui concerne un seul genre de choses а faire, par exemple, les objets а forger, mais il ne possйdera pas la droite raison qui concerne d’autres choses qui relиve de l’art. Il peut donc aussi possйder la prudence qui concerne un seul genre d’actions, par exemple, ce qui est juste, mais il ne la possйdera pas dans un autre genre, par exemple, ce qui est fort. Ainsi il pourra possйder une seule vertu sans les autres.

[66696] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod non omnis liberalis est magnificus, et tamen utrumque est virtus, scilicet liberalitas et magnificentia; et similiter dicit, quod aliqui sunt moderati, non tamen magnanimi. Non ergo quicumque habet unam virtutem, habet omnes.

5. Le Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que tout homme libйral ne fait pas de grandes choses, alors que les deux sont des vertus : la libйralitй et la magnificence. Il dit de mкme que certains hommes sont modйrйs mais non magnanimes. Celui qui possиde une vertu ne les possиde donc pas toutes.

[66697] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 6 Praeterea, apostolus dicit I ad Corinth., cap. XII, 4 : divisiones gratiarum sunt; et postea subdit : alii datur per spiritum sermo sapientiae, alii sermo scientiae, quae sunt intellectuales virtutes, alii fides, quae est virtus theologica. Ergo aliquis habet unam virtutem, et non habet aliam.

6. L’Apфtre dit, dans 1 Co 12, 4 : Il y a diversitй des grвces, puis il ajoute : А l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnйe par l’Esprit, а l’autre, une parole de science – qui sont des vertus intellectuelles –, а un autre, la foi – qui est une vertu thйologale. On possиde donc une vertu sans en possйder une autre.

[66698] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 7 Praeterea, virginitas est quaedam virtus, ut Cyprianus dicit. Sed multi habent alias virtutes qui non habent virginitatem. Ergo non quicumque habet unam virtutem, habet omnes.

7. La virginitй est une vertu, comme le dit Cyprien. Or, beaucoup de ceux qui ne possиdent pas la virginitй possиdent d’autres vertus. Celui qui possиde une vertu ne les possиde donc pas toutes.

[66699] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VI Ethic., quod Anaxagoram et Thaletem sapientes quidem dicimus, non autem prudentes. Sed sapientia et prudentia sunt quaedam virtutes intellectuales. Ergo aliquis potest habere unam virtutem sine aliis.

8. Le Philosophe dit, au livre VI de l’Йthique, que nous disons d’Anaxagore et de Thalиs qu’ils sont sages, mais non pas prudents. Or, la sagesse et la prudence sont des vertus intellectuelles. On peut donc possйder une vertu sans les autres.

[66700] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 9 Praeterea, philosophus in eodem Lib. dicit, quod quidam habent inclinationem ad unam virtutem, et non ad aliam. Potest ergo contingere quod aliquis exercitetur in actibus unius virtutis, et non in actibus alterius. Sed ex exercitio actuum acquiruntur quaedam virtutes, ut patet per philosophum in II Ethic. Ergo, saltem, virtutes acquisitae non sunt connexae.

9. Le Philosophe dit, au mкme livre, que certains ont une inclination pour une vertu, et non pour une autre. Il peut donc arriver que l’on s’exerce dans les actes d’une vertu, et non dans les actes d’une autre. Or, l’on acquiert certaines vertus par l’exercice de leurs actes, comme cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe au livre II de l’Йthique. Les vertus acquises, du moins, ne sont donc pas connexes.

[66701] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus etsi secundum aptitudinem sit a natura, tamen secundum esse perfectum non est a natura, ut dicitur in II Ethic. Manifestum est etiam quod non est a fortuna, quia quae sunt a fortuna, sunt praeter electionem. Relinquitur ergo quod virtus acquiratur in nobis vel a proposito vel a Deo. Sed a proposito (ut videtur) potest acquiri una virtus sine alia : quia unus potest habere intentionem ad acquirendum unam virtutem, et non aliam. Similiter etiam et a Deo : quia aliquis potest petere a Deo unam virtutem, et non aliam. Ergo omnibus modis una virtus potest esse sine alia.

10. La vertu, bien qu’elle vienne de la nature pour ce qui est de l’aptitude, ne reзoit cependant pas son кtre parfait de la nature, comme il est dit au livre II de l’Йthique. Il est aussi clair qu’elle ne vient pas de la fortune, parce que ce qui vient de la fortune est au-delа du choix. Il reste donc que la vertu est acquise en nous soit par dessein, soit par Dieu. Mais par dessein (а ce qu’il semble), on peut acquйrir une vertu sans les autres, parce qu’un homme peut vouloir acquйrir une vertu et non une autre. Il en va de mкme pour Dieu, parce que l’on peut demander а Dieu une vertu, et non une autre. De toutes les faзons, une vertu peut donc exister sans une autre.

[66702] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 11 Praeterea, finis in moralibus comparatur ad actus virtutum in moralibus, sicut in demonstrativis principia ad conclusiones. Sed homo potest habere unam conclusionem sine alia. Ergo potest habere unam virtutem sine alia.

11. La fin dans les rйalitйs morales se compare aux actes des vertus dans les rйalitйs morales, comme les principes le font aux conclusions dans les dйmonstrations. Or, l’homme peut possйder une conclusion sans une autre. Il peut donc possйder une vertu sans une autre.

[66703] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit in quadam Epist. de sententia Iacobi, quod non est divina sententia, qua dicitur : qui habet unam virtutem, habet omnes; et quod homo potest habere unam virtutem sine alia, puta misericordiam, et non continentiam; sicut et in membris corporis unum potest esse illuminatum, sive decorum aut sanum, sine alio. Ergo virtutes non sunt connexae.

12. Augustin dit, dans une lettre а propos d’une position de Jacques, que ce n’est pas une position divine par laquelle on dit : « Celui qui possиde une vertu les possиde toutes », et que l’homme peut possйder une vertu sans une autre, par exemple, la misйricorde et non la continence. De mкme aussi, dans les membres du corps, l’un peut кtre mis en valeur, ou parй ou en santй, sans un autre. Les vertus ne sont donc pas connexes.

[66704] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 13 Praeterea, ea quae sunt connexa, aut hoc est ratione principii, aut ratione subiecti, aut ratione obiecti. Sed non ratione principii, quod est Deus, quia, secundum hoc, omnia bona quae sunt a Deo, essent connexa; nec etiam ratione subiecti, quod est anima, quia secundum hoc omnes non essent connexae; nec iterum ratione obiecti, quia per obiecta distinguuntur : non est autem idem principium distinctionis et connexionis. Ergo et cetera.

13. Ce qui est connexe l’est soit en raison du principe, soit en raison du sujet, soit en raison de l’objet. Or, ce n’est pas en raison du principe, qui est Dieu, parce que, de cette maniиre, tous les biens qui viennent de Dieu seraient connexes; ni en raison du sujet, qui est l’вme, parce que, de cette maniиre, toutes les vertus ne sont pas connexes; ni en raison de l’objet, parce que ce sont les objets qui distinguent les vertus. Or, les principes de distinction et de connexion ne sont pas les mкmes. Donc, etc.

[66705] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 14 Praeterea, intellectuales virtutes non habent connexionem cum moralibus; sicut patet maxime de intellectu principiorum, qui potest haberi sine moralibus virtutibus. Sed prudentia est virtus intellectualis, quae ponitur una cardinalium. Ergo non habet connexionem cum aliis cardinalibus, quae sunt virtutes morales.

14. Les vertus intellectuelles n’ont pas de connexion avec les vertus morales, comme le montre surtout la comprйhension des principes, qui peut кtre possйdйe sans les vertus morales. Or, la prudence est une vertu intellectuelle qui est donnйe comme une des vertus cardinales. Elle n’a donc pas de connexion avec les autres vertus cardinales, qui sont des vertus morales.

 

[66706] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 15 Praeterea, in patria non erit fides et spes, sed tantum erit ibi caritas. Ergo etiam in statu perfectissimo virtutes non erunt connexae.

15. Dans la patrie, il n’y aura pas de foi ni d’espйrance, mais il y aura seulement la charitй. Mкme dans l’йtat le plus parfait, les vertus ne seront donc pas connexes.

[66707] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 16 Praeterea, Angeli, in quibus non sunt virtutes sensitivae, et similiter animae separatae, habent caritatem et iustitiam, quae est perpetua et immortalis; non autem habent temperantiam et fortitudinem, quia hae virtutes sunt irrationabilium partium, ut dicitur in III Ethic. Ergo virtutes non sunt connexae.

16. Les anges, qui ne possиdent pas de puissances sensitives, ainsi que les вmes sйparйes [du corps], possиdent la charitй et la justice, qui est йternelle et immortelle, mais ils ne possиdent pas la tempйrance ni la force, parce que ces vertus appartiennent aux parties irrationnelles, comme il est dit au livre III de l’Йthique. Les vertus ne sont donc pas connexes.

[66708] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 17 Praeterea, sicut sunt virtutes quaedam animae, sunt etiam quaedam virtutes corporales. Sed in virtutibus corporalibus non est connexio, quia aliquis habet visum qui non habet auditum. Ergo neque etiam in virtutibus animae.

17. De mкme qu’il y a des puissances spirituelles, de mкme il y a des puissances corporelles. Mais dans les puissances corporelles, il n’y a pas de connexion, parce que l’on peut possйder la vue et ne pas possйder l’ouпe. Il n’y en a donc pas non plus dans les puissances spirituelles.

[66709] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 18 Praeterea, dicit Gregorius super Ezechielem, quod nemo repente fit summus; et in Psalm. LXXXIII, 8, dicitur, quod ibunt de virtute in virtutem. Non ergo simul acquirit homo virtutes, sed successive; et ita virtutes non sunt connexae.

18. Grйgoire dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel, que personne n’atteint soudainement le degrй le plus йlevй; et dans le Psaume 83, 8, il est dit qu’ils iront de vertu en vertu. L’homme n’acquiert donc pas les vertus en mкme temps, mais successivement. Ainsi les vertus ne sont pas connexes.

Cependant :

[66710] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Ambrosius dicit super Luc. : connexae sunt et concatenatae : ut qui unam habuerit, omnes habere videatur.

1. Ambroise dit, dans le Traitй sur l’Йvangile de Luc : « Elles sont connexes et enchaоnйes, de sorte que celui qui en possйderait une semblerait les possйder toutes. »

[66711] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit XXII Moral., quod si una virtus sine alia habeatur, aut virtus non est, aut perfecta non est. Sed perfectio est de ratione virtutis : virtus enim est perfectio quaedam, ut dicitur in VII Physic. Ergo virtutes sunt connexae.

2. Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job, que, si l’on possиde une vertu sans une autre, c’est soit qu’elle n’est pas une vertu, soit qu’elle n’est pas parfaite. Or, la perfection fait partie de la notion de vertu, car la vertu est une certaine perfection, comme il est dit au livre VII de la Physique. Les vertus sont donc connexes.

 [66712] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 3 Praeterea, super illud Ezech., I, 11 : duae pennae singulorum iungebantur, Glossa dicit, quod virtutes sunt coniunctae; ut qui una caruerit, alia careat.

3. Au sujet de cette phrase d’Ez 1, 11 : Leurs ailes йtaient jointes l’une а l’autre, la Glose dit que les vertus sont unies, de sorte que celui qui serait privй de l’une serait privй de l’autre.

Rйponse :

[66713] De virtutibus, q. 5 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod de virtutibus dupliciter possumus loqui : uno modo de virtutibus perfectis; alio modo de virtutibus imperfectis. Perfectae quidem virtutes connexae sibi sunt; imperfectae autem virtutes non sunt ex necessitate connexae. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum virtus sit quae hominem bonum facit, et opus eius bonum reddit, illa est virtus perfecta quae perfecte opus hominis bonum reddit, et ipsum bonum facit; illa autem est imperfecta, quae hominem et opus eius reddit bonum non simpliciter, sed quantum ad aliquid. Bonum autem simpliciter in actibus humanis invenitur per hoc quod pertingitur ad regulam humanorum actuum; quae quidem est una quasi homogenea et propria homini, scilicet ratio recta, alia autem est sicut prima mensura transcendens, quod est Deus. Ad rationem autem rectam attingit homo per prudentiam, quae est recta ratio agibilium, ut philosophus dicit in VI Ethic. Ad Deum autem attingit homo per caritatem, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo. Sic igitur est triplex gradus virtutum. Sunt enim quaedam virtutes omnino imperfectae, quae sine prudentia existunt, non attingentes rationem rectam, sicut sunt inclinationes quas aliqui habent ad aliqua virtutum opera etiam ab ipsa nativitate, secundum illud Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero egressa est mecum. Huiusmodi autem inclinationes non simul insunt omnibus, sed quidam habent inclinationem ad unum, quidam ad aliud. Hae autem inclinationes non habent rationem virtutis, quia virtute nullus male utitur, secundum Augustinum; huiusmodi autem inclinationibus potest aliquis male uti et nocive, si sine discretione utatur; sicut equus, si visu careret, tanto fortius impingeret, quanto fortius curreret. Unde Gregorius dicit in XXII Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt; unde ibi inclinationes quae sunt sine prudentia, non habent perfecte rationem virtutis. Secundus autem gradus virtutum est illarum quae attingunt rationem rectam, non tamen attingunt ad ipsum Deum per caritatem. Hae quidem aliqualiter sunt perfectae per comparationem ad bonum humanum, non tamen sunt simpliciter perfectae, quia non attingunt ad primam regulam, quae est ultimus finis, ut Augustinus dicit contra Iulianum. Unde et deficiunt a vera ratione virtutis; sicut et morales inclinationes absque prudentia deficiunt a vera ratione virtutis. Tertius gradus est virtutum simpliciter perfectarum, quae sunt simul cum caritate; hae enim virtutes faciunt actum hominis simpliciter bonum, quasi attingentem usque ad ultimum finem. Est autem considerandum ulterius, quod, sicut virtutes morales esse non possunt absque prudentia, ratione iam dicta, ita nec prudentia potest esse sine virtutibus moralibus; est enim prudentia recta ratio agibilium. Ad ipsam autem rectam rationem in quolibet genere requiritur quod aliquis habeat aestimationem et iudicium de principiis, ex quibus ratio illa procedit; sicut in geometricalibus non potest aliquis habere aestimationem rectam, nisi habeat rectam rationem circa principia geometricalia. Principia autem agibilium sunt fines; ex his enim sumitur ratio agendorum. De fine autem habet aliquis rectam existimationem per habitum virtutis moralis; quia, ut philosophus dicit in III Ethic., qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei; sicut virtuoso videtur appetibile, ut finis, bonum quod est secundum virtutem; et vitioso illud quod pertinet ad illud vitium; et est simile de gustu infecto et sano. Unde necesse est quod quicumque habet prudentiam, habeat etiam virtutes morales. Similiter etiam quicumque habet caritatem, oportet quod habeat omnes alias virtutes. Caritas enim est in homine ex infusione divina, secundum illud Rom. V, 5 : caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per spiritum sanctum, qui datus est nobis. Deus autem ad quaecumque dat inclinationem, dat etiam formas aliquas, quae sunt principia operationum et motuum, ad quos res inclinatur a Deo; sicut igni dat levitatem, per quam prompte et faciliter sursum tendit; unde, ut dicitur Sap. VIII, 1, disponit omnia suaviter. Oportet igitur quod similiter cum caritate infundantur habituales formae expedite producentes actus ad quos caritas inclinat. Inclinat autem caritas ad omnes actus virtutum, quia cum sit circa finem ultimum, importat omnes actus virtutum. Quaelibet enim ars vel virtus ad quam pertinet finis, imperat his quae sunt circa finem, sicut militaris equestri, et equestris frenorum factrici, ut dicitur in I Ethicor. Unde secundum decentiam divinae sapientiae et bonitatis, ad caritatem simul habitus omnium virtutum infunduntur; et ideo dicitur I ad Corinth. XII, v. 4 : caritas patiens est, benigna est, et cetera. Sic ergo, si accipiamus virtutes simpliciter perfectas, connectuntur propter caritatem; quia nulla virtus talis sine caritate haberi potest, et caritate habita omnes habentur. Si autem accipiamus virtutes perfectas in secundo gradu, respectu boni humani, sic connectuntur per prudentiam; quia sine prudentia nulla virtus moralis esse potest, nec prudentia haberi potest, si cui deficiat moralis virtus. Si tamen accipiamus quatuor cardinales virtutes, secundum quod important quasdam generales conditiones virtutum, secundum hoc habent connexionem, ex hoc quod non sufficit ad aliquem actum virtutis quod adsit una harum conditionum, nisi omnes adsint; et secundum hoc videtur assignare causas connexionis Gregorius, in Lib. XXI Moralium

Nous pouvons parler des vertus de deux maniиres : d’une maniиre, de vertus parfaites; d’une autre maniиre, de vertus imparfaites. Or, les vertus parfaites sont connexes, alors que les vertus imparfaites ne sont pas nйcessairement connexes. Pour le montrer, il faut savoir ceci : comme c’est la vertu qui rend l’homme bon et rend son њuvre bonne, c’est une vertu parfaite qui rend parfaitement bonne l’њuvre de l’homme et le rend lui-mкme bon; mais elle est imparfaite celle qui rend bons l’homme et son њuvre, non pas simplement, mais de maniиre relative. Or, on trouve ce qui est simplement bon dans les actes humains dans ce qui atteint la rиgle des actes humains. Or, une [rиgle] est pour ainsi dire homogиne et propre а l’homme, а savoir, la droite raison, alors qu’une autre est comme la premiиre mesure transcendante : Dieu. Or, l’homme atteint la droite raison par la prudence, qui est la droite raison dans les actes а poser, comme le dit le Philosophe au livre VI de l’Йthique. Et l’homme atteint Dieu par la charitй, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui qui demeure dans la charitй demeure en Dieu et Dieu en lui. Ainsi donc, il y a un triple degrй des vertus. En effet, il y a des vertus tout а fait imparfaites, qui existent sans la prudence, et n’atteignent pas la droite raison, comme le sont les inclinations de certains pour certains actes des vertus, mкme depuis leur naissance, selon ce que dit Jb 31, 18 : Dиs l’enfance, la misйricorde a grandi avec moi, et elle est sortie du sein maternel en mкme temps que moi. Or, les inclinations de ce genre n’existent pas en mкme temps chez tous, mais les uns ont une inclination pour une chose, les autres pour autre chose. Mais ces inclinations n’ont pas le caractиre de vertu, parce que personne ne fait usage de la vertu de faзon mauvaise, selon Augustin [livre I des Rйtractations]. Mais l’on peut faire usage d’inclinations de ce genre de faзon mauvaise et nuisible si on en fait usage sans discernement, comme un cheval, s’il йtait privй de la vue, se cognerait d’autant plus fort qu’il courrait avec plus d’йnergie. Ainsi Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job, que toutes les autres vertus, а moins qu’elles n’accomplissent avec prudence ce qu’elles dйsirent, ne peuvent en aucun cas кtre des vertus. Dиs lors, les inclinations qui sont dйpourvues de prudence ne possиdent pas parfaitement le caractиre de vertu. Le deuxiиme degrй des vertus est constituй de celles qui atteignent la droite raison, mais n’atteignent pas Dieu lui-mкme par la charitй. Elles sont en quelque sorte parfaites, comparйes au bien humain, mais ne sont pas simplement parfaites, parce qu’elles n’atteignent pas la rиgle premiиre, qui est la fin ultime, comme le dit Augustin contre Julien. Dиs lors, le vйritable caractиre de vertu leur fait dйfaut, comme le vйritable caractиre de vertu fait dйfaut aux inclinations morales dйpourvues de prudence. Le troisiиme degrй des vertus est constituй des vertus simplement parfaites, qui existent en mкme temps que la charitй. Ces vertus, en effet, rendent tout simplement bon l’acte humain, comme s’il atteignait mкme la fin ultime. Nйanmoins, il faut aussi observer que, de mкme que les vertus morales ne peuvent pas exister sans la prudence, pour la raison dйjа mentionnйe, de mкme la prudence ne peut pas exister sans les vertus morales, car la prudence est la droite raison dans la conduite а tenir. Or, pour la droite raison mкme, dans n’importe quel genre, il est exigй que l’on possиde l’йvaluation et le jugement des principes d’oщ provient cette raison, comme en gйomйtrie, on ne peut pas avoir une juste йvaluation si on ne possиde pas la droite raison qui porte sur les principes de gйomйtrie. Or, les principes dans la conduite а tenir sont les fins, car c’est d’elles que provient la raison de ce qui doit кtre fait. Or, l’on possиde une juste йvaluation de la fin par l’habitus de la vertu morale, parce que, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique, tel est chacun, telle lui semble aussi la fin. Ainsi, а l’homme vertueux, c’est le bien conforme а la vertu qui semble dйsirable comme fin, alors qu’а l’homme vicieux, c’est ce qui relиve du vice. Cela ressemble au goыt malade ou en santй. Dиs lors, il est nйcessaire que celui qui possиde la prudence possиde aussi les vertus morales; et de mкme, il faut que celui qui possиde la charitй possиde aussi toutes les autres vertus. Car la charitй qui existe en l’homme provient d’une infusion divine, selon ce que dit Rm 5, 5 : L’amour de Dieu a йtй rйpandu dans nos cњurs par le Saint Esprit qui nous a йtй donnй. Or, Dieu donne l’inclination pour tout; il donne aussi des formes, qui sont les principes des actions et des mouvements vers lesquels une chose est inclinйe par Dieu, comme il donne au feu la lйgиretй par laquelle il s’йlиve avec promptitude et facilitй. Dиs lors, comme il est dit dans Sg 8, 1, il dispose de tout avec douceur. Il faut donc qu’en mкme temps que la charitй, soient rйpandues les formes habituelles qui produisent aisйment les actes auxquels incline la charitй. Or, la charitй incline а tous les actes des vertus, parce que, comme elle porte sur la fin ultime, elle entraоne tous les actes des vertus. En effet, n’importe quel art ou vertu dont relиve la fin, commande dans les choses qui portent sur la fin, comme la science militaire [commande] а l’йquitation et l’йquitation а la fabrication des mors, ainsi qu’il est dit au livre I de l’Йthique. Dиs lors, comme il convient а la sagesse et а la bontй divines, les habitus de toutes les vertus sont rйpandus en mкme temps que la charitй. Ainsi il est dit dans 1 Co 12, 4 : La charitй est patiente, elle est pleine de bontй, etc. Ainsi donc, si nous considйrons les vertus tout simplement parfaites, elles sont connexes grвce а la charitй, parce que l’on ne peut possйder aucune vertu de ce genre sans la charitй, et qu’en possйdant la charitй, on les possиde toutes. Mais si nous considйrons des vertus parfaites du deuxiиme degrй, en rapport avec le bien humain, alors elles sont connexes par la prudence, parce qu’aucune vertu morale ne peut exister sans la prudence, et que quelqu’un ne peut pas possйder la prudence s’il lui manque une vertu morale. Si nous considйrons cependant les quatre vertus cardinales selon qu’elles comportent certaines conditions gйnйrales des vertus, alors elles ont une connexion du fait qu’il ne suffit pas pour un acte de vertu qu’il y ait une seule de ces conditions, si elles n’y sont pas toutes. C’est ainsi que Grйgoire semble expliquer les causes de la connexion dans le livre XXI des Morales sur Job.

Solutions :

[66714] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propter inclinationem quae est ex natura, vel ex aliquo dono gratiae, quam habet aliquis magis ad opus unius virtutis quam alterius contingit quod aliquis promptior est ad actum unius virtutis quam alterius; et secundum hoc dicuntur sancti aliquas virtutes habere, ad quarum actus magis sunt prompti, et aliquas non habere, ad quas sunt minus prompti.

1. Par l’inclination, issue de la nature ou d’un don de la grвce, que quelqu’un possиde а l’acte d’une vertu plutфt qu’а l’acte d’une autre, il arrive qu’il soit plus portй а l’acte d’une vertu qu’а celui d’une autre. C’est pourquoi l’on dit que les saints possиdent certaines vertus а l’acte desquelles ils sont plus portйs, et n’en possиdent pas certaines autres, auxquelles ils sont moins portйs.

[66715] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum habitus secundum se facit prompte et delectabiliter operari, potest tamen hoc impediri per aliquid superveniens; sicut habens habitum scientiae interdum impeditur ad eius usum per somnolentiam vel ebrietatem, vel aliquid huiusmodi. Sic ergo iste qui poenitet, consequitur cum gratia gratum faciente, caritatem, et omnes alios habitus virtutum, sed propter dispositiones ex actibus priorum peccatorum relictas patitur difficultatem in executione virtutum quas habitualiter recipit; quod quidem non contingit in virtutibus acquisitis per exercitium actuum, per quos simul et contrariae dispositiones tolluntur, et habitus virtutum generantur.

2. Alors que l’habitus fait de soi њuvrer de maniиre prompte et agrйable, il se peut que cela soit empкchй par quelque chose qui survient, comme celui qui a l’habitus de la science est parfois empкchй d’en faire usage par la somnolence, l’ivresse ou quelque chose de ce genre. Ainsi donc, celui qui se repent obtient, avec la grвce qui sanctifie, la charitй et tous les autres habitus des vertus. Mais, а cause des dispositions laissйes par les actes des pйchйs prйcйdents, il йprouve de la difficultй а mettre en њuvre les vertus qu’il reзoit de maniиre habituelle, ce qui toutefois ne se produit pas pour les vertus acquises par l’exercice des actes par lesquels les dispositions contraires sont aussi enlevйes et par lesquels sont engendrйs les habitus des vertus.

[66716] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui baptizatur, simul cum caritate recipit et prudentiam, et omnes alias virtutes; sed de necessitate prudentiae non est ut homo sit bene consiliativus in omnibus, puta in mercationibus et rebus bellicis et huiusmodi, sed in his quae sunt necessaria ad salutem : quod non deest omnibus in gratia existentibus, quantumcumque sint simplices, secundum illud I Ioan. II, 27 : unctio docebit vos de omnibus; nisi forte in aliquibus baptizatis impediatur actus prudentiae propter corporalem defectum aetatis, sicut in pueris, vel pravae dispositionis, sicut in morionibus et phreneticis.

3. Celui qui est baptisй reзoit, en mкme temps que la charitй, la prudence et toutes les autres vertus. Mais il ne relиve pas nйcessairement de la prudence qu’un homme soit bon conseiller en tout, par exemple, dans le commerce, les affaires militaires et les choses de ce genre, mais dans ce qui est nйcessaire а son salut, ce qui ne manque pas а tous ceux qui vivent dans la grвce, aussi ingйnus soient-ils, selon ce que dit Jn 3, 27 : L’onction vous enseignera tout, а moins que, chez certains baptisйs, l’acte de prudence ne soit entravй par une dйfaillance corporelle due а l’вge, comme chez les enfants, ou par une mauvaise disposition, comme chez les idiots et les frйnйtiques.

[66717] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod artificialia diversorum generum habent principia omnino disparata : et ideo nihil prohibet habere artem circa unum genus eorum, et non circa aliud. Sed principia moralium sunt ordinata ad invicem, ita quod per defectum unius sequeretur etiam defectus in aliis; puta, si quis deficeret ab hoc principio quod est concupiscentias non esse sequendas, quod pertinet ad concupiscentiam, sequeretur interdum quod sequendo concupiscentiam faceret iniuriam, et sic violaretur iustitia; sicut etiam in una et eadem arte vel scientia, puta in geometria, error unius principii inducit errorem in totam scientiam. Et inde est quod non potest esse aliquis sufficienter prudens circa materiam unius virtutis, nisi sit prudens circa omnes.

4. Les principes de l’art de divers genres ont des principes totalement disparates. Ainsi, rien n’empкche de possйder l’art qui concerne l’un de ces genres et non un autre. Mais les principes des rйalitйs morales sont ordonnйs les uns par rapport aux autres, si bien que la dйfaillance de l’un entraоne aussi la dйfaillance des autres. Par exemple, si l’on s’йloigne du principe qu’il ne faut pas suivre les concupiscences, qui porte sur la concupiscence, il en dйcoulerait parfois qu’on commettrait un dommage en suivant la concupiscence, et ainsi on violerait la justice. De mкme aussi, dans un seul et mкme art ou science, par exemple en gйomйtrie, l’erreur d’un seul principe introduit l’erreur dans la science tout entiиre. Dиs lors, il s’ensuit que l’on ne peut pas кtre suffisamment prudent dans la matiиre d’une seule vertu, si l’on n’est pas prudent dans toutes.

[66718] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potest dici quod contingit esse aliquem liberalem, sed non magnificum quantum ad actus : quia aliquis parum habens, potest in usu eius quod habet, exercere actum liberalitatis, non autem magnificentiae; quamvis aliquis habeat habitum, per quem etiam magnificentiae actum exerceret, si materia adesset. Et similiter dicendum est de moderantia et magnanimitate. Ista responsio tenenda est omnino in virtutibus infusis. In virtutibus etiam acquisitis per actum, potest dici, quod ille qui acquisivit habitum liberalitatis in usu parvae substantiae, nondum acquisito habitu magnificentiae, sed habito liberalitatis actu, est in proxima dispositione ut acquirat habitum magnificentiae per modicum actum. Quia igitur in propinquo est ut habeatur, idem videtur ac si haberetur, quia quod parum deest, quasi nihil deesse videtur, ut dicitur in II Physic.

5. On peut dire qu’il arrive qu’un homme soit libйral mais ne fasse pas de grandes choses au niveau de l’acte, parce que quelqu’un qui possиde peu de choses peut, dans l’usage de ce qu’il possиde, exercer un acte de libйralitй mais non de magnificence, bien qu’il possиde l’habitus par lequel il exercerait aussi un acte de magnificence s’il en avait la matiиre. Et il faut parler de mкme de la modйration et de la magnanimitй. Et cette rйponse doit кtre absolument maintenue pour les vertus infuses. Aussi pour les vertus acquises par l’acte, l’on peut dire que celui qui a acquis l’habitus de la libйralitй dans l’usage d’une petite fortune, alors qu’il n’a pas encore acquis l’habitus de la magnificence mais possиde l’acte de la libйralitй, est tout prиs d’acquйrir l’habitus de la magnificence par un acte modeste. Parce qu’il est prиs d’кtre possйdй, ce semble donc кtre la mкme chose que s’il йtait possйdй, parce que lorsqu’il manque peu de chose, il semble qu’il ne manque pour ainsi dire rien, comme il est dit au livre II de la Physique.

[66719] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sapientia et scientia non accipiuntur in illis verbis apostoli neque secundum quod sunt virtutes intellectuales, quae tamen connexionem non habent, ut infra dicetur, neque secundum quod sunt dona spiritus sancti, quae connexionem habent secundum caritatem; sed secundum quod sunt gratiae gratis datae : prout scilicet aliquis abundat scientia et sapientia, ut possit aedificare alios ad finem et Dei cognitionem, et contradicentes arguere; unde et apostolus non dicit : alii datur sapientia, alii scientia; sed : alii datur sermo sapientiae, alii sermo scientiae. Unde Augustinus dicit in XIV de Trinitate, quod huiusmodi scientia, non pollent fideles plurimi, quamvis ipsa fide polleant. Fides etiam non accipitur ibi pro fide informi, ut quidam dicunt, quia donum fidei commune est omnibus; sed accipitur pro quadam fidei constantia, seu certitudine, quae interdum abundat etiam in peccatoribus.

6. La sagesse et la science ne sont pas entendues dans ces mots de l’Apфtre ni selon qu’elles sont des vertus intellectuelles, qui ne sont cependant pas connexes, comme on le dira plus loin, ni selon qu’elles sont des dons de l’Esprit Saint, qui sont connexes par la charitй, mais selon qu’elles sont des charismes (gratiae gratis datae), dans la mesure oщ l’on possиde en abondance la science et la sagesse afin de pouvoir йdifier autrui en vue de la fin et de la connaissance de Dieu, et de convaincre les adversaires. C’est pourquoi l’Apфtre ne dit pas : «А l’un est donnйe la sagesse, а l’autre la science», mais а l’un est donnйe une parole de sagesse, а l’autre une parole de science. Ainsi Augustin dit-il, au livre XIV de La Trinitй, qu’«un grand nombre de fidиles ne possиdent pas cette science, bien qu’ils possиdent la foi elle-mкme ». En cet endroit, on n’entend pas non plus la foi comme la foi informe, comme certains le disent, parce que le don de la foi est commun а tous, mais on l’entend d’une certaine constance ou certitude de la foi, qui abonde aussi parfois chez les pйcheurs.

 [66720] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virginitas secundum quosdam non nominat virtutem, sed quemdam perfectiorem statum virtutis. Non autem oportet quod quicumque habet virtutem, habeat eam secundum gradum perfectum. Et ideo sine virginitate, castitas et aliae virtutes haberi possunt. Vel, si detur quod virginitas sit virtus, hoc erit secundum quod importat habitum mentis, ex quo aliquis eligit virginitatem conservare propter Christum. Et hic quidem habitus esse potest etiam in his qui carnis integritate carent; sicut et habitus magnificentiae potest esse sine magnitudine divitiarum.

7. La virginitй, selon certains, ne dйsigne pas une vertu mais un йtat plus parfait de vertu. Or, il n’est pas nйcessaire que celui qui possиde une vertu la possиde а un degrй parfait. Ainsi l’on peut possйder la chastetй et d’autres vertus sans la virginitй. Ou bien, si l’on concиde que la virginitй est une vertu, ce sera selon qu’elle comporte un habitus de l’esprit par lequel on choisit de garder la virginitй а cause du Christ. Or, cet habitus peut aussi se trouver chez ceux qui n’ont plus une chair intиgre, comme l’habitus de la magnificence peut exister sans que l’on possиde de grandes richesses.

[66721] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtutes intellectuales non sunt connexae ad invicem; et hoc propter tria. Primo quidem, quia quae sunt circa rerum diversa genera, non sunt coordinata ad invicem, sicut et de artibus dictum est. Secundo, quia in scientiis non convertibiliter se habent principia et conclusiones; ita scilicet quod quicumque habet principia, habeat conclusiones, sicut in moralibus dictum est. Tertio, quia virtus intellectualis non habet respectum ad caritatem, per quam ordinatur homo ad ultimum finem. Et ideo huiusmodi virtutes ordinantur ad aliqua particularia bona : puta geometria ad dimetiendum circa abstracta quaedam, physica circa mobilia, et sic de aliis. Unde eadem ratione non sunt connexae qua nec virtutes imperfectae, ut supra, in corp. art., dictum est.

8. Les vertus intellectuelles ne sont pas connexes les unes par rapport aux autres pour trois raisons. Premiиrement, parce qu’elles concernent divers genres de choses, elles ne sont pas coordonnйes les unes par rapport aux autres, comme on vient de le dire а propos des arts. Deuxiиmement, parce que, dans les sciences, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles, de telle sorte que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme on l’a dit pour les rйalitйs morales. Troisiиmement, parce que la vertu intellectuelle n’a pas de rapport avec la charitй, qui ordonne l’homme а la fin ultime. Ainsi les vertus de ce genre sont ordonnйes а certains biens particuliers : par exemple, la gйomйtrie, а la mesure des йlйments abstraits, la physique, а celle des йlйments mobiles, et ainsi des autres. Dиs lors, pour la mкme raison, elles ne sont pas connexes pour la raison que les vertus imparfaites [ne le sont pas], comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de cet article.

[66722] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quaedam virtutes sunt quae ordinant hominem in his quae occurrunt in vita humana : sicut temperantia, iustitia, mansuetudo et huiusmodi; et in talibus necesse est quod homo, dum exercitatur in actu huius virtutis, vel simul etiam exerceatur in actibus aliarum virtutum, et tunc acquiret omnes habitus, virtutum simul; vel oportet quod bene se habeat in uno et male in aliis, et tunc acquiret habitum contrarium alteri virtuti, et per consequens corruptionem prudentiae, sine qua nec dispositio, quam acquisivit per actus alicuius virtutis, habet proprie rationem virtutis, ut supra, in corp. art., dictum est. Huiusmodi autem habitibus acquisitis circa ea quae communiter in vita occurrunt, virtualiter iam habentur quasi in propinqua dispositione si qui alii habitus virtutum sunt, quorum actus occurrant frequenter in conversatione humana; sicut de magnificentia et magnanimitate dictum est, in solutione ad 5 argumentum.

9. Il y a des vertus qui ordonnent l’homme а ce qui survient dans la vie humaine, comme la tempйrance, la justice, la mansuйtude et d’autres du mкme genre. Et pour de telles vertus, il est nйcessaire que l’homme, quand il s’exerce dans l’acte de cette vertu, s’exerce aussi en mкme temps aux actes des autres vertus, et alors il acquiert tous les habitus des vertus en mкme temps ; ou bien qu’il se comporte bien dans l’une et mal dans les autres, et alors il acquiert un habitus contraire а une autre vertu, et par consйquent la corruption de la prudence, sans laquelle la disposition qu’il a acquise par l’acte d’une vertu n’a plus а proprement parler le caractиre de vertu, comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de l’article. Or, aprиs avoir acquis des habitus de ce genre, qui concernent ce qui arrive communйment dans la vie, on les possиde dйjа virtuellement, comme par une disposition proche, s’il y d’autres habitus de vertus, dont les actes se prйsentent frйquemment dans le com­por­tement humain, comme on l’a dit а propos de la magnificence et de la magnanimitй dans la solution au cinquiиme argument.

 [66723] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes acquisitae causantur a proposito; et necesse est quod simul causentur in homine qui sibi proponit acquirere unam virtutem; et non acquiret, nisi simul acquirat prudentiam, cum qua omnes habentur, ut dictum est in corp. art. Virtutes autem infusae causantur immediate a Deo, quae etiam causantur ex caritate, sicut ex communi radice, ut dictum est in corp. art.

10. Les vertus acquises sont causйes par dessein. Il est ainsi nйcessaire qu’elles soient causйes en mкme temps dans l’homme qui se propose d’acquйrir une vertu, et il ne l’acquiert pas s’il n’acquiert pas en mкme temps la prudence, avec laquelle toutes sont possйdйes, comme il a йtй dit dans le corps de l’article. Mais les vertus infuses sont causйes immйdiatement par Dieu ; elles sont aussi causйes par la charitй en tant que racine commune, comme il a йtй dit dans le corps de l’article.

[66724] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in scientiis speculativis non se habent principia convertibiliter ad conclusiones, sicut accidit in moralibus, ut dictum est in corp. art., et ideo qui habet unam conclusionem, non necesse est quod habeat aliam. Esset autem necesse, si oporteret, quod quicumque habet principia, haberet conclusiones, sicut est in proposito.

11. Dans les sciences spйculatives, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles, comme il arrive dans les rйalitйs morales, comme on l’a dit dans le corps de l’article. C’est pourquoi celui qui possиde une conclusion n’en possиde pas nйcessairement une autre. Or, cela serait nйcessaire s’il fallait que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme c’est le cas dans le sujet en cause.

[66725] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Augustinus loquitur ibi de virtutibus imperfectis, quae sunt dispositiones quaedam ad actus virtutum; unde et ipsemet probat in VI de Trinitate, connexionem.

12. Augustin parle lа des vertus imparfaites, qui sont des dispositions en vue des actes des vertus. Aussi prouve-t-il lui-mкme la connexion dans le livre VI de La Trinitй.

 

[66726] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtutes habent connexionem ratione principii proximi, id est sui generis, quod est prudentia vel caritas; non autem ratione principii remoti et communis, quod est Deus.

13. Les vertus sont connexes en raison du principe rapprochй de leur genre, qui est la prudence ou la charitй, mais non en raison du principe йloignй et commun, qui est Dieu.

[66727] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod prudentia specialiter inter virtutes intellectuales habet connexionem cum virtutibus ratione materiae circa quam est; est enim circa mobilia.

14. Parmi les vertus intellectuelles, la prudence a une connexion particuliиre avec les vertus, en raison de la matiиre sur laquelle elle porte : des йlйments changeants.

[66728] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in patria, deficiente spe et fide, succedent quaedam perfectiora, scilicet visio et comprehensio, quae connectentur caritati.

15. Dans la patrie, alors que seront absentes l’espйrance et la foi, succйderont des rйalitйs plus parfaites : la vision et la comprйhension, connexes а la charitй.

[66729] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in Angelis et animabus separatis non est temperantia et fortitudo ad hos actus ad quos sunt in hac vita, scilicet ad moderandum passiones sensibilis partis; sed ad quosdam alios actus, ut patet per Augustinum in XIV de Trinitate.

16. Chez les anges et les вmes sйparйes du corps, il n’y a ni tempйrance ni force pour les actes pour lesquels elles existent dans cette vie : modйrer les passions de la partie sensible ; mais pour d’autres actes, comme cela ressort clairement de ce qu’йcrit Augustin au livre XIV de La Trinitй.

[66730] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod potentiae animae non se habent convertibiliter cum essentia; quamvis enim nulla potentia animae possit esse sine essentia, tamen essentia animae potest esse sine quibusdam potentiis; puta sine visu et auditu, propter corruptionem organorum quorum huiusmodi potentiae proprie sunt actus.

17. Les puissances de l’вme et son essence ne sont pas convertibles. En effet, quoique aucune puissance de l’вme ne puisse exister sans l’essence, l’essence de l’вme peut cependant exister sans certaines puissances, par exemple, sans la vue ni l’ouпe, en raison de la corruption des organes qui exercent les actes propres de cette puissance.

[66731] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non propter hoc homo est summus, quod habet omnes virtutes, sed propter hoc quod habet eas in summo.

18. L’homme atteint le degrй le plus йlevй, non parce qu’il possиde toutes les vertus, mais parce qu’il les possиde au plus haut degrй.

 

 

 

Articulus 3 : [66732] De virtutibus, q. 5 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum omnes virtutes in homine sint aequales

Article 3 – Toutes les vertus sont-elles йgales en l’homme ?

Objections :

[66733] De virtutibus, q. 5 a. 3 tit. 2 Et videtur quod non.

[66734] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 1 Dicitur enim I ad Cor. XIII, 13 : nunc autem manent fides, spes et caritas, tria haec; maior autem horum est caritas. Sed maioritas excludit aequalitatem. Ergo virtutes in uno homine non sunt aequales.

Il semble que non.

1. En effet, il est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant la foi, l’espйrance et la charitй demeurent toutes les trois; mais la plus grande d’entre elles, c’est la charitй. (XIII, 13). Or, le fait d’кtre plus grand exclut l’йgalitй. Les vertus ne sont donc pas йgales chez un seul homme.

[66735] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 2 Sed dicendum, quod caritas est maior secundum actum, sed non secundum habitum. Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de Trinit., quod in his quae non mole magna sunt, idem est esse maius quod melius. Sed habitus caritatis est melior quam habitus aliarum virtutum, quia magis attingit ad Deum, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet. Ergo caritas secundum habitum, maior est quam aliae virtutes.

2. Mais il faut dire que la charitй est plus grande par l’acte, et non par l’habitus. – En sens contraire, Augustin dit cependant, au livre VI de La Trinitй, que « pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la mкme chose d’кtre plus grand et d’кtre meilleur ». Or, l’habitus de la charitй est meilleur que les habitus des autres vertus parce qu’il atteint davantage Dieu, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui qui demeure dans la charitй demeure en Dieu. La charitй, par l’habitus, est donc plus grande que les autres vertus.

[66736] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, perfectio praecedit suum perfectibile. Sed caritas est perfectio aliarum virtutum, secundum illud Coloss. III, 14 : super omnia autem haec caritatem habete, quod est vinculum perfectionis; et I ad Tim. I, 5, dicitur : finis autem praecepti caritas. Ergo est maior aliis virtutibus.

 

3. La perfection l’emporte sur ce qu’elle perfectionne. Or, la charitй est la perfection des autres vertus, selon ce que dit Col 3, 14 : Et puis, par-dessus tout, ayez la charitй, qui est le lien de la perfection. Et il est dit en 1 Tm 1, 5 : Mais la fin du commandement est la charitй. Elle est donc plus grande que les autres vertus.

[66737] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod nihil imperfectionis habet annexum, est perfectius et maius; quia albius est quod est nigro impermixtius. Sed habitus caritatis nihil habet imperfectionis admixtum; quia fides est de non apparentibus, et spes de non habitis. Ergo caritas, etiam secundum habitum, est perfectior et maior quam fides et spes.

4. Ce qui n’est mкlй а aucune imperfection est plus parfait et plus grand, car ce qui est plus blanc est ce qui est le moins mкlй au noir. Or, l’habitus de la charitй n’est mкlй а aucune imperfection, car la foi concerne ce qui n’est pas visible, et l’espйrance, ce qui n’est pas possйdй. La charitй, mкme en habitus, est donc plus parfaite et plus grande que la foi et l’espйrance.

[66738] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit in XIX de civitate Dei : virtutes nisi ad Deum referantur, vitia sunt. Ex quo potest accipi, quod ratio virtutis perficitur ex ordine ad Deum. Sed caritas propinquius ordinat hominem ad Deum quam aliae virtutes; quia unit hominem Deo, secundum illud I ad Cor. cap. VI, 17 : qui adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo caritas est maior virtus quam aliae.

5. Augustin dit, au livre XIX de La Citй de Dieu : « Les vertus, si on ne les rapporte pas а Dieu, sont des vices. » Dиs lors, on peut comprendre que la perfection de ce qui fait la vertu vient de l’ordre а Dieu. Or, la charitй ordonne l’homme а Dieu d’une maniиre plus rapprochйe que les autres vertus, parce qu’elle unit l’homme а Dieu, selon ce que dit 1 Co 6, 17 : Celui qui est uni а Dieu ne forme avec lui qu’un seul esprit. La charitй est donc une vertu plus grande que les autres.

[66739] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, virtutes infusae originem habent ex gratia, quae est earum perfectio. Sed caritas perfectius participat gratiam quam aliae virtutes : gratia enim et caritas inseparabiliter se concomitantur; fides autem et spes possunt esse sine gratia. Ergo caritas est maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

6. Les vertus infuses tirent leur origine de la grвce, qui est leur perfection. Or, la charitй participe а la grвce de faзon plus parfaite que les autres vertus, car la grвce et la charitй s’accompagnent de maniиre insйparable, alors que la foi et l’espйrance peuvent exister sans la grвce. La charitй est donc plus grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66740] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 7 Praeterea, Bernardus dicit in I de consideratione, quod prudentia est materia fortitudinis, quia sine prudentia fortitudo praecipitat. Sed id quod est principium et causa alicuius, est maius et potius eo. Ergo prudentia est maior fortitudine; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

7. Bernard dit, au livre I de La Considйration, que la prudence est la matiиre de la force, parce que, sans la prudence, la force va а sa ruine. Or, ce qui est le principe et la cause de quelque chose est plus grand et plus puissant que lui. La prudence est donc plus grande que la force. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66741] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in V Ethic., quod iustitia est tota virtus; aliae autem virtutes sunt secundum partem. Sed totum est maius parte. Ergo iustitia est maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

8. Le Philosophe dit, au livre V de l’Йthique, que la justice est une vertu complиte, et que les autres vertus sont partielles. Or, le tout est plus grand que la partie. La justice est donc plus grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66742] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea, Augustinus probat in XI super Genes. ad Litt. quod si omnia in universo essent aequalia, non essent omnia. Sed virtutes omnes habentur simul, quia sunt connexae, ut supra, art. praec., ostensum est. Non ergo omnes virtutes sunt aequales.

9. Augustin montre, au livre XI de La Genиse au sens littйral, que, si toutes les rйalitйs йtaient йgales dans l’univers, elles n’existeraient pas toutes. Or, l’on possиde toutes les vertus en mкme temps parce qu’elles sont connexes, comme on l’a montrй ci-dessus, dans l’article prйcйdent. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66743] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 10 Praeterea, virtutibus opponuntur vitia. Sed non omnia vitia sunt aequalia. Ergo neque omnes virtutes sunt aequales.

10. Les vices sont opposйs aux vertus. Or, tous les vices ne sont pas йgaux. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

[66744] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 11 Praeterea, laus debetur actibus virtutum. Sed quidam magis laudantur de una virtute quam de alia; unde Cassianus dicit in V de institutione Coenob. : alius scientiae floribus exornatur; alius discretionis ratione robustius communitur; alter patientiae gravitate fundatur; alius humilitatis, alius continentiae virtute praefertur. Non ergo omnes virtutes in uno homine sunt aequales.

11. On doit louer les actes des vertus. Or, certains louent plus ceux d’une vertu que ceux d’une autre. C’est pourquoi Cassien dit, au livre V des Institutions cйnobitiques : « L’un est ornй des fleurs de la science, l’autre possиde un discernement plus solide ; un autre s’appuie sur la pondйration de la patience ; un autre l’emporte par la vertu d’humilitй, un autre par celle de continence. » Toutes les vertus ne sont donc pas йgales chez un seul homme.

[66745] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 12 Sed dicendum, quod ista inaequalitas est secundum actus, non secundum habitus. Sed contra, secundum philosophum in I Poster., ea quae ad aliquid sunt, simul intenduntur. Sed habitus secundum propriam rationem dicitur ad actum. Est enim habitus quo quis agit cum tempus fuerit, ut Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali. Si ergo actus unius virtutis in aliquo homine est maior quam actus alterius, sequitur quod etiam habitus sint inaequales.

12. Mais il faut dire que cette inйgalitй relиve des actes, non des habitus. – Cependant, en sens contraire, selon le Philosophe au livre I des Seconds Analytiques, les rйalitйs qui sont tournйes vers quelque chose sont visйes en mкme temps. Or, selon sa raison, l’habitus est tournй vers l’acte, car l’habitus est ce qui fait agir au moment opportun, comme le dit Augustin dans le Livre sur le bien conjugal. Si l’acte d’une vertu est plus grand chez un homme que l’acte d’une autre, il en dйcoule donc que les habitus aussi sont inйgaux.

[66746] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 13 Praeterea, Hugo de s. Victore dicit, quod actus augent habitus. Si ergo actus virtutum sunt inaequales; et habitus virtutum inaequales erunt.

13. Hugues de Saint-Victor dit que les actes dйveloppent les habitus. Si les actes des vertus sont inйgaux, les habitus des vertus aussi seront inйgaux.

[66747] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 14 Praeterea, ita se habet in moralibus habitus virtutis ad actum proprium, sicut in naturalibus forma ad proprium motum vel actionem. Sed in naturalibus, quanto aliquis magis habet de forma, tanto magis habet de operatione vel motu, quia quod est gravius, velocius tendit deorsum, et quod est calidius, magis calefacit. Ergo etiam in moralibus actus virtutum inaequales esse non possunt, nisi habitus virtutum fuerint inaequales.

14. De mкme que, dans le domaine moral, l’habitus d’une vertu est tournй vers son acte propre, de mкme, dans la nature, la forme est tournйe vers son mouvement ou son action propres. Or, dans la nature, plus l’on possиde la forme, plus l’on possиde l’opйration ou le mouvement, car ce qui est plus lourd tend plus rapidement vers le bas, et ce qui est plus chaud chauffe davantage. Dans le domaine moral aussi les actes des vertus ne peuvent donc pas кtre inйgaux, а moins que les habitus des vertus ne soient pas inйgaux.

[66748] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 15 Praeterea, perfectiones sunt proportionabiles perfectibilibus. Virtutes autem sunt perfectiones potentiarum animae, quae sunt inaequales, quia ratio excedit inferiores vires, quibus imperat. Ergo etiam virtutes sunt inaequales.

15. Les perfections sont proportionnйes а ce qui est perfectible. Or, les vertus sont des perfections des puissances de l’вme, qui sont inйgales, parce que la raison dйpasse les puissances infйrieures qu’elle commande. Les vertus sont donc aussi inйgales.

[66749] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, XXII Moral. et Homil. XV in Ezech., beatus Iob incrementa virtutum, quia distincte hominibus superno munere tribui conspexit, gradus vocavit; quoniam per ipsos ascenditur, et ad caelestia obtinenda venitur. Sed ubi est incrementum et gradus, non est aequalitas. Ergo virtutes non sunt aequales.

16. Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job : « Le bienheureux Job a appelй degrйs les dйveloppements des vertus, parce qu’il a observй qu’elles sont donnйes aux hommes de maniиre diffйrente par la faveur divine ; car c’est par eux qu’on monte et qu’on parvient а obtenir les rйalitйs cйlestes.» Mais lа oщ il y a dйveloppement et degrй, il n’y a pas йgalitй. Les vertus ne sont donc pas йgales.

[66750] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 17 Praeterea, quaecumque ita se habent quod uno crescente aliud decrescit, oportet quod sint inaequalia. Sed videtur quod caritate crescente aliud decrescat : quia status patriae, in quo perficietur caritas, opponitur statui viae, in quo habet locum fides; uno autem oppositorum crescente, alterum decrescit. Ergo caritas et fides non possunt esse aequales; non ergo omnes virtutes sunt aequales.

17. Il est inйvitable que soit inйgal tout ce qui est tel que l’un dйcroоt alors que l’autre croоt. Or, il semble que, alors que la charitй croоt, autre chose dйcroоt, car l’йtat de la patrie [status patriae], dans lequel la charitй atteindra sa perfection, est opposй а l’йtat de la route [status viae], dans lequel la foi prend place. L’un des opposйs croissant, l’autre dйcroоt. La charitй et la foi ne peuvent donc pas кtre йgales. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.

Cependant :

[66751] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Apocal. XXI, 16 dicitur : quod latera civitatis sunt aequalia; per quae latera signantur virtutes, secundum Glossam. Ergo virtutes sunt aequales.

1. Il est dit, au chapitre XXI de l’Apocalypse, que les cфtйs de la citй sont йgaux, cфtйs qui dйsignent les vertus, selon la Glose. Les vertus sont donc йgales.

 

[66752] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus in VI de Trinit. : quicumque sunt aequales in fortitudine, aequales sunt in prudentia et temperantia. Si enim dixeris aequales esse istos fortitudine, sed illum praestare prudentia; sequitur quod huius fortitudo minus prudens sit. Ac per hoc nec fortitudine aequales erunt; quando est illius fortitudo prudentior. Atque ita de ceteris virtutibus invenies, si omnes eadem consideratione percurras. Non autem oporteret eos qui sunt aequales in una virtute, esse aequales in aliis, nisi omnes virtutes in uno homine sint aequales.

2. Augustin dit, au livre VI de La Trinitй : « Tous ceux qui sont йgaux en force, sont йgaux en prudence et en tempйrance. En effet, si tu prйtends que ces hommes sont йgaux en force mais que celui-lа l’emporte en prudence, il s’ensuit que la force de celui-ci est moins prudente. Et par consйquent, ils ne seront pas йgaux en force, alors que la force de celui-lа est plus prudente. Et tu feras la mкme observation pour les autres vertus si tu les passes toutes en revue de la mкme faзon. ». Or, il ne serait pas nйcessaire que ceux qui sont йgaux pour une vertu soient йgaux dans les autres, si toutes les vertus n’йtaient pas йgales chez un seul homme.

[66753] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit super Ezech. quod fides, spes, caritas et operatio sunt aequales. Ergo pari ratione omnes aliae virtutes sunt aequales.

3. Grйgoire dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel, que la foi, l’espйrance, la charitй et l’action sont йgales. Pour la mкme raison, toutes les autres vertus sont donc йgales.

[66754] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Ezech. XLVI, 22, dicitur : mensurae unius quatuor erant; Glossa : quibus proficimus ad virtutem. Sed quae unius mensurae, sunt aequalia. Ergo omnes sunt aequales.

4. Il est dit dans Ez 46, 22 : Les quatre avaient les mкmes dimensions, et dans la Glose : « Par lesquelles nous avanзons vers la vertu ». Or, ce qui a les mкmes dimensions est йgal. Elles sont donc toutes йgales.

[66755] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 5 Praeterea, Damascenus dicit : naturales sunt virtutes, et aequaliter insunt omnibus secundum esse accidentis. Ergo virtutes secundum suum esse accidentis sunt aequales.

5. [Jean] Damascиne dit : « Les vertus sont naturelles et existent йgalement en tous selon leur caractиre accidentel ». Les vertus sont donc йgales selon leur caractиre accidentel.

 

[66756] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 6 Praeterea, maioris virtutis actui debetur maius praemium. Si ergo in homine esset una virtus maior quam alia, sequeretur quod eidem homini deberetur maius et minus praemium; quod est inconveniens.

6. On doit а l’acte d’une vertu plus grande une rйcompense plus grande. Si donc une vertu йtait plus grande qu’une autre chez un homme, il s’ensuivrait que l’on devrait au mкme homme une rйcompense plus grande et une moins grande, ce qui est incorrect.

[66757] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 7 Praeterea, si simpliciter sequitur ad simpliciter, et magis sequitur ad magis. Sed ad hoc quod una virtus habeatur, sequitur quod omnes habeantur, quia virtutes sunt connexae, ut supra, art. praeced., dictum est. Ergo ad hoc quod una magis habeatur, sequitur quod omnes magis habeantur; oportet ergo omnes virtutes esse aequales.

7. Si le simple suit le simple, le plus suit le plus. Or, pour possйder une vertu il faut les possйder toutes, parce que les vertus sont connexes, comme il a йtй dit ci-dessus, dans l’article prйcйdent. Pour en possйder une davantage, il dйcoule donc que toutes doivent кtre davantage possйdйes. Il faut donc que toutes les vertus soient йgales.

Rйponse :

[66758] De virtutibus, q. 5 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod aequale et inaequale dicuntur secundum quantitatem; unum enim in quantitate aequale dicitur, sicut in qualitate simile, et in substantia idem, ut patet in V Metaph. Quantitas autem importat rationem mensurae, quae primo quidem invenitur in numeris; secundario autem in magnitudinibus; et quodam alio modo in omnibus aliis generibus, ut patet in IX Metaph. In quolibet enim genere id quod est simplicissimum et perfectissimum, est mensura omnium aliorum, ut in coloribus albedo, et in motibus motus diurnus; eo quod unaquaeque res tanto perfectior est, quanto magis accedit ad primum sui generis principium. Ex quo patet quod perfectio uniuscuiusque rei secundum quam attenditur mensuratio eius, est a primo principio; similiter quantitas eius; et hoc est quod Augustinus dicit in VIII de Trinit., quod in his quae non mole magna sunt, idem est melius quod maius. Cum autem cuiuslibet formae non subsistentis esse consistat in eo quod subiecto vel materiae inest, dupliciter potest eius quantitas seu perfectio considerari : uno modo, secundum rationem propriae speciei; alio modo, secundum esse quod habet in materia seu subiecto. Secundum quidem rationem propriae speciei, formae diversarum specierum sunt inaequales; sed formae unius speciei quaedam quidem possunt esse aequales, quaedam autem non. Oportet enim principium specificum accipi in aliquo indivisibili. Differentia enim huiusmodi principii speciem variat, et ideo, si hoc principio esset additio vel subtractio, ex necessitate species variaretur. Unde et philosophus dicit in VIII Metaph., quod species rerum sunt sicut numeri, in quibus unitas addita vel subtracta variat speciem. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem per aliquid suae essentiae, sicut omnes formae absolutae, sive sint substantiales sive accidentales; et in talibus impossibile est quod in eadem specie secundum hunc modum una forma maior alia inveniatur, non enim est una albedo secundum se considerata, magis albedo quam alia. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem ex aliquo extrinseco ad quod ordinantur, sicut motus sortitur speciem ex termino. Unde unus motus est maior alio, secundum propinquitatem vel distantiam a termino. Et similiter inveniuntur quaedam qualitates quae sunt dispositiones in ordine ad aliquid; sicut sanitas est quaedam commensuratio humorum in ordine ad naturam animalis, quod dicitur sanum : et ideo aliquis gradus commensurationis humorum in leone est sanitas, qui in homine esset infirmitas. Quia ergo secundum gradum commensurationis sanitas non recipit speciem, sed secundum naturam animalis ad quam ordinatur, contingit etiam quod in eodem animali una sanitas est maior quam alia, ut dicitur X Ethicorum : in quantum, scilicet, diversi gradus commensurationis humorum possunt esse, in quibus salvatur convenientia humanae naturae. Et eodem modo se habet in scientia, quae recipit unitatem ex unitate subiecti; unde in uno potest esse geometria maior quam in alio, in quantum novit plures conclusiones ordinatas ad cognitionem subiecti geometriae, quod est magnitudo. Similiter etiam secundum quantitatem perfectionis quam habent huiusmodi formae secundum quod insunt materiae vel subiecto, quaedam formae unius speciei inaequales esse possunt, in quantum insunt secundum magis et minus; quaedam vero magis et minus inesse non possunt. Non enim quaecumque forma dat speciem subiecto cui inest, potest inesse magis et minus : quia, sicut dictum est, principium specificum oportet in indivisibili consistere; quod inde est, quia nulla forma substantialis recipit magis et minus. Similiter etiam si qua forma speciem sortiatur secundum aliquid quod secundum suam rationem est indivisibile, non dicitur secundum magis et minus. Et inde est quod binarius, et quaelibet alia species numeri quae specificatur secundum unitatem additam, non recipit magis et minus; et eadem ratio est in figuris quae secundum numerum specificantur, ut triangulus et quadratum; et in quantitatibus determinatis, ut bicubitum et tricubitum; et in relationibus numeralibus, sicut duplum et triplum. Formae vero quae neque dant speciem subiecto, neque sortiuntur speciem ex aliquo quod secundum rationem suam sit indivisibile, possunt inesse secundum magis et minus, ut albedo et nigredo, et alia huiusmodi. Ex his igitur patet, quod dupliciter potest aliquid se ad diversas formas habere circa aequalitatem et inaequalitatem. Quaedam enim formae sunt quae in eadem specie inaequalitatem non recipiunt neque secundum se, ut una earum sit maior quam alia eiusdem speciei, neque secundum esse, ut scilicet magis insit subiecto; et huiusmodi sunt omnes formae substantiales. Quaedam vero inaequalitatem non recipiunt secundum se, sed solum secundum quod insunt subiecto, sicut albedo et nigredo. Quaedam vero inaequalitatem recipiunt secundum se, non tamen secundum quod insunt subiecto, sicut triangulus dicitur maior triangulo, eo quod lineae unius trianguli sunt maiores quam alterius, quamvis ordinentur ad aliquid unum specificans; non tamen una superficies est magis triangula quam alia. Quaedam vero sunt quae recipiunt inaequalitatem et secundum se, et secundum quod insunt subiecto; sicut sanitas, et scientia, et motus. Est enim motus inaequalis, vel quia maius spatium pertransit, vel quia mobile velocius movetur. Similiter etiam scientia est maior unius quam alterius, vel quia conclusiones plures novit, vel quia easdem res melius scit. Similiter potest esse sanitas inaequaliter, vel quia gradus commensurationis in uno est propinquior debitae et perfectae aequalitati quam in alio, vel quia circa eumdem gradum commensurationis unus firmius se habet quam alius, et melius. His igitur visis, circa aequalitatem et inaequalitatem virtutum dicendum est, quod si loquamur de inaequalitate virtutum quae attenditur secundum seipsas, sic virtutes diversarum specierum possunt esse inaequales. Cum enim virtus sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Ethic., illa virtus perfectior et maior est quae ad maius bonum ordinatur. Et secundum hoc virtutes theologicae, quarum obiectum est Deus, sunt aliis potiores; inter quas tamen caritas est maior, quia propinquius Deo coniungit; et spes maior quam fides, quia scilicet spes aliqualiter movet affectum in Deum, fides autem facit Deum in homine esse per modum cognitionis. Inter alias autem virtutes prudentia est maxima, quia est moderatrix aliarum; et post hanc iustitia, per quam homo bene se habet non solum in seipso, sed ad alium; et post hanc fortitudo, per quam homo propter bonum contemnit pericula mortis; et post hanc temperantia, per quam homo propter bonum contemnit maximas delectationes corporalium. Sed in eadem specie virtutis non potest huiusmodi inaequalitas inveniri sicut invenitur in eadem specie scientiae, quia non est de ratione scientiae, quod habens aliquam scientiam sciat omnes conclusiones illius scientiae; est autem de ratione virtutis, ut habens aliquam, bene se habeat in omnibus quae ad virtutem illam pertinent. Secundum vero perfectionem vel quantitatem virtutis ex parte illa qua inest subiecto, potest esse inaequalitas etiam in eadem specie virtutis : in quantum unus habentium virtutem melius se habet ad ea quae sunt illius virtutis quam alius; vel propter meliorem dispositionem naturalem, vel propter maius exercitium, vel propter melius iudicium rationis, vel propter gratiae donum; quia virtus neque dat speciem subiecto, neque habet aliquid indivisibile in sui ratione, nisi secundum Stoicos, qui dicebant nullum habere virtutem nisi eam haberet in summo; et secundum hoc omnes sunt habentes eamdem virtutem aequaliter. Sed hoc non videtur esse de ratione alicuius virtutis, quia talis diversitas in modo participandi virtutem attenditur secundum praedicta, quae non pertinent ad rationem alicuius particularis virtutis, puta castitatis, vel similium. Sic igitur in diversis, virtutes inaequales esse possunt, et quantum ad diversas species virtutum, et etiam secundum quod insunt subiecto, quantum etiam ad unam speciem virtutis. Sed in uno et in eodem homine sunt quidem virtutes inaequales secundum quantitatem vel perfectionem, quam virtus secundum se habet; secundum vero illam quantitatem et perfectionem quam habet virtus secundum quod inest subiecto, simpliciter quidem oportet omnes virtutes esse aequales, eadem ratione qua et sunt connexae, quia aequalitas est quaedam connexio in quantitate. Unde et aequalitatis rationem aliqui assignant secundum quod per quatuor virtutes cardinales intelliguntur quidam generales modi virtutum; et huiusmodi est ratio Augustini in VI de Trinit. Aliter vero assignari potest secundum dependentiam virtutum moralium a prudentia, et omnium virtutum a caritate; unde ubi est aequaliter caritas, oportet omnes virtutes esse aequales secundum formalem perfectionem virtutis; et eadem ratione de prudentia per comparationem ad virtutes morales. Secundum quid vero possunt virtutes esse inaequales in uno et eodem, sicut et non connexae, secundum inclinationem potentiae ad actum, quae est ex natura, vel ex quacumque alia causa. Et propter hoc quidam dicunt, quod sunt inaequales secundum actum; sed hoc non est intelligendum nisi secundum inaequalitatem inclinationis ad actum.

On parle d’йgal et d’inйgal selon la quantitй, car on parle d’une chose йgale selon la quantitй. En effet, on dit qu’une chose est йgale en quantitй, comme [on dit] qu’une chose est semblable par la qualitй et la mкme par la substance, comme cela ressort clairement du livre V de la Mйtaphysique. Or, la quantitй comporte la notion de mesure, que l’on trouve d’abord dans les nombres, puis dans les grandeurs, et, d’une autre maniиre, dans tous les autres genres, comme cela ressort clairement du livre IX de la Mйtaphysique. Dans n’importe quel genre, en effet, ce qui est le plus simple et le plus parfait est la mesure de tout le reste, comme le blanc dans les couleurs et le mouvement quotidien dans les mouvements, parce que chaque rйalitй est d’autant plus parfaite qu’elle s’approche du principe premier de son genre. Dиs lors, il est clair que la perfection d’une rйalitй selon laquelle on envisage de la mesurer se prend de son premier principe. De mкme en est-il pour sa quantitй. C’est ce que dit Augustin au livre VIII de La Trinitй : « Pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la mкme chose d’кtre meilleures et d’кtre plus grandes. ». Or, comme l’кtre de n’importe quelle forme non subsistante consiste en ce qu’elle existe dans un sujet ou dans une matiиre, on peut considйrer de deux faзons sa quantitй ou sa perfection : d’une faзon, selon le caractиre de sa propre espиce; d’une autre faзon, selon l’кtre qu’elle a dans la matiиre ou dans le sujet. Selon le caractиre de leur propre espиce, les formes des diverses espиces sont inйgales, mais certaines formes d’une seule espиce peuvent кtre йgales, et certaines non. En effet, il faut qu’un principe spйcifique soit reзu dans quelque chose d’indivisible. Car la diffйrence d’un principe de ce genre diversifie l’espиce, et ainsi, s’il y avait addition ou soustraction а ce principe, l’espиce serait nйcessairement diffйrente. Aussi le Philosophe dit-il, au livre VIII de la Mйtaphysique, que les espиces des choses sont comme les nombres, dans lesquels une unitй ajoutйe ou soustraite diversifie l’espиce. Mais il y a des formes qui reзoivent leur espиce par quelque chose de leur essence, comme toutes les formes absolues, qu’elles soient substantielles ou accidentelles. Et dans de telles formes, il est impossible que l’on trouve de cette maniиre dans la mкme espиce une forme plus grande qu’une autre : en effet, considйrйe en elle-mкme, une blancheur n’est pas davantage blancheur qu’une autre. Mais il y a des formes qui reзoivent leur espиce de quelque chose d’extйrieur а quoi elles sont ordonnйes, comme le mouvement tire son espиce du terme. Dиs lors, un mouvement est plus grand qu’un autre, selon la proximitй ou la distance par rapport au terme. Et l’on trouve de mкme des qualitйs qui sont des dispositions ordonnйes а quelque chose, comme la santй est une mesure proportionnйe des humeurs du corps, ordonnйe а la nature d’un animal ; c’est pourquoi un certain degrй de mesure des humeurs chez le lion est la santй, qui, chez l’homme, serait une maladie. Donc, parce que la santй ne reзoit pas son espиce du degrй de la mesure, mais de la nature de l’animal а laquelle elle est ordonnйe, il arrive aussi que, chez le mкme animal, une santй soit plus grande qu’une autre, comme il est dit au livre X de l’Йthique, dans la mesure oщ il peut exister des degrйs dans la mesure des humeurs, qui maintiennent l’harmonie de la nature humaine. Et il en va de mкme pour la science, qui reзoit l’unitй de l’unitй du sujet. Dиs lors, la gйomйtrie peut кtre plus grande chez l’un que chez l’autre, dans la mesure oщ il connaоt plus de conclusions ordonnйes а la connaissance du sujet de la gйomйtrie, qui est la grandeur. De mкme aussi selon la quantitй de perfection que possиdent les formes de ce genre, selon qu’elles sont dans la matiиre ou dans le sujet, certaines formes d’une seule espиce peuvent кtre inйgales, dans la mesure oщ elles s’y trouvent plus ou moins. Mais certaines ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins. En effet, toutes les formes qui donnent l’espиce au sujet dans lequel elles existent ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins, parce que, comme on vient de le dire, un principe spйcifique doit consister en quelque d’indivisible ; de lа dйcoule qu’aucune forme substantielle ne reзoit du plus ou du moins. De mкme aussi, si une forme partage une espиce selon quelque chose qui est spйcifiquement indivisible, on n’en parle pas comme de quelque chose de plus ou de moins. C’est pourquoi le double, et n’importe quelle autre espиce de nombre, qui reзoit son espиce d’une unitй ajoutйe, ne reзoit pas plus ou moins. Et la mкme raison vaut pour les figures qui reзoivent leur espиce du nombre, comme le triangle et le carrй ; et pour les quantitйs dйterminйes, comme deux coudйes et trois coudйes, et pour les relations entre les nombres, comme double et triple. Mais les formes qui ne donnent pas son espиce au sujet et ne reзoivent pas leur espиce de quelque chose qui est spйcifiquement indivisible, peuvent y exister en plus ou en moins, comme la blancheur ou le noir, et les autres choses du mкme genre. Il ressort donc clairement de cela que quelque chose peut avoir un rapport а diverses formes selon l’йgalitй et l’inйgalitй. En effet, il y a des formes qui, а l’intйrieur d’une mкme espиce, ne reзoivent pas l’inйgalitй ni par elles-mкmes, de sorte que l’une d’elles soit plus grande qu’une autre de cette espиce, ni selon l’кtre, de sorte qu’elle existe davantage dans un sujet : et toutes les formes substantielles sont de ce genre. Mais certaines ne reзoivent pas l’inйgalitй par elles-mкmes, mais seulement selon qu’elles existent dans un sujet, comme la blancheur et le noir. Mais certaines reзoivent l’inйgalitй par elles-mкmes, mais non selon qu’elles existent dans un sujet, comme un triangle est dit plus grand qu’un autre triangle, parce que les lignes d’un triangle sont plus grandes que celles d’un autre, bien qu’elles soient ordonnйes а une seule chose qui leur donne leur espиce; cependant, une surface n’est pas plus triangulaire qu’une autre. Mais il y en a qui reзoivent l’inйgalitй et par elles-mкmes, et selon qu’elles existent dans un sujet, comme la santй, la science et le mouvement. En effet, le mouvement est inйgal, soit parce qu’il traverse un espace plus grand, soit parce que le mobile est mы plus rapidement. De mкme aussi la science de l’un est plus grande que celle d’un autre, soit parce qu’il connaоt un plus grand nombe de conclusions, soit parce qu’il sait mieux les mкmes choses. De mкme la santй peut кtre inйgale, soit parce que le degrй de la mesure [des humeurs] est plus proche de l’йgalitй convenable et parfaite chez l’un que chez l’autre, soit parce que l’un se trouve а un degrй de mesure de faзon plus ferme et meilleure que l’autre. Aprиs avoir vu cela, il faut dire, а propos de l’йgalitй et de l’inйgalitй des vertus, que, si nous parlons de l’inйgalitй des vertus tirйe d’elles-mкmes, ainsi les vertus d’espиces diverses peuvent кtre inйgales. En effet, comme la vertu est la disposition de ce qui est parfait а ce qui est meilleur, comme il est dit au livre VII de l’Йthique, la vertu plus parfaite et plus grande est celle qui est ordonnйe au bien plus grand. Ainsi les vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, sont plus puissantes que les autres ; toutefois, parmi elles, la charitй est plus grande, parce qu’elle unit de maniиre plus proche а Dieu ; et l’espйrance est plus grande que la foi, parce que l’espйrance meut d’une certaine faзon l’affectivitй vers Dieu, alors que la foi fait que Dieu se trouve dans l’homme par mode de connaissance. Mais, parmi les autres vertus, la prudence est la plus grande, parce qu’elle rиgle les autres; et aprиs elle, la justice, qui permet а l’homme de bien se comporter, non seulement en lui-mкme, mais envers autrui; et aprиs elle, la force, qui fait que l’homme mйprise les dangers mortels pour le bien ; et aprиs elle, la tempйrance, qui fait que l’homme mйprise les plus grands plaisirs du corps pour le bien. Mais dans une mкme espиce de vertu, on ne peut pas trouver une inйgalitй de ce genre, comme on en trouve dans une mкme espиce de science, parce qu’il n’est pas de la raison de la science que celui qui possиde une science connaisse toutes les conclusions qui relиvent de cette science. Mais, selon la perfection ou la quantiй de la vertu, pour autant qu’elle existe dans un sujet, il peut exister une inйgalitй mкme а l’intйrieur de la mкme espиce de vertu, dans la mesure oщ l’un entretient un meilleur rapport qu’un autre avec ce qui relиve de cette vertu, soit par une meilleure disposition naturelle, soit par un plus grand exercice, soit par un meilleur jugement de la raison, soit par un don de la grвce, parce que la vertu ne donne pas l’espиce au sujet et ne possиde pas non plus quelque chose d’indivisible dans ce qu’elle a de spйcifique, sauf selon les Stoпciens, qui disaient que personne ne possйdait la vertu s’il ne la possйdait pas au plus haut point, et qu’ainsi tous possиdaient la mкme vertu de maniиre йgale. Mais il ne semble pas que cela fasse partie de la raison de vertu, parce qu’une telle diversitй dans le mode de participation а la vertu est tirйe de ce qui a йtй dit, qui n’appartient pas а la raison d’une vertu particuliиre, par exemple, la chastetй, ou de vertus semblables. Ainsi donc, les vertus peuvent кtre inйgales chez divers individus, tant par rapport aux diverses espиces de vertus, que par leur maniиre d’exister dans un sujet, mкme par rapport а une seule espиce de vertu. Mais chez un seul et mкme homme, les vertus sont effectivement inйgales selon la quantitй ou la perfection que la vertu possиde par elle-mкme. Mais selon cette quantitй et perfection que la vertu possиde pour autant qu’elle existe dans un sujet, il faut, а parler simplement, que toutes les vertus soient йgales, pour la mкme raison qu’elles sont aussi connexes, parce que l’йgalitй est une certaine connexion dans la quantitй. Dиs lors, certains attribuent aussi la notion d’йgalitй au fait que, par les quatre vertus cardinales, l’on entend certains modes gйnйraux des vertus. C’est la raison que donne Augustin, au livre VI de La Trinitй. Mais on peut l’attribuer autrement а la dйpendance des vertus morales par rapport а la prudence, et de toutes les vertus par rapport а la charitй. Dиs lors, lа oщ la charitй se trouve de maniиre йgale, il faut que toutes les vertus soient йgales selon la perfection formelle de la vertu; et de mкme pour la prudence, comparйe aux vertus morales. Mais, а parler relativement, les vertus peuvent кtre inйgales chez un seul et mкme homme, si elles ne sont pas connexes, selon l’inclination de la puissance а l’acte qui provient de la nature, ou pour n’importe quelle autre cause. C’est pourquoi certains disent qu’elles sont inйgales selon l’acte, mais cela ne doit кtre entendu que selon l’inйgalitй de l’inclination а l’acte.

Solutions :

[66759] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de inaequalitate quae est et attenditur secundum ipsas virtutes, non de inaequalitate quae est secundum inesse ipsarum, de qua nunc loquimur. Caritas enim, ut dictum est, secundum se est maior omnibus aliis virtutibus; sed tamen, ea crescente, etiam proportionaliter crescunt omnes aliae virtutes in uno et eodem homine, sicut digiti manus secundum se sunt inaequales, tamen proportionaliter crescunt.

1. Cet argument procиde de l’inйgalitй tirйe des vertus elles-mкmes, non de l’inйgalitй qui existe et qui est envisagйe selon les vertus elles-mкmes, et non de l’inйgalitй qui vient de leur existence dans quelque chose, dont nous parlons maintenant. En effet, la charitй, comme on l’a dit, est en elle-mкme plus grande que toutes les autres vertus. Mais cependant, alors qu’elle croоt, toutes les autres vertus croissent aussi proportion­nellement dans un seul et mкme homme, de mкme que les doigts de la main sont inйgaux en eux-mкmes, mais croissent propor­tionnellement.

[66760] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, tertium, quartum, quintum et sextum; et etiam ad septimum, quod secundum eumdem modum probabat, aliis virtutibus esse fortitudinem maiorem.

2. 3. 4. 5. 6. Il faut dire la mкme chose. Et aussi pour 7, qui dйmontrait de la mкme maniиre que la force йtait plus grande que les autres vertus.

[66761] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 8 Similiter etiam ad octavum, quod eodem modo procedit de iustitia, licet iustitia, quae est tota virtus, non sit illa iustitia quae ponitur virtus cardinalis.

8. Cer argument s’adresse de la mкme faзon а la justice, bien que la justice, qui est une vertu complиte, ne soit pas la justice йtablie comme vertu cardinale.

[66762] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 9 Et similiter etiam dicendum ad nonum; quia in hoc omnes virtutes homini insunt, quod distinguuntur secundum maiorem et minorem perfectionem speciei.

9. Il en va de mкme, parce que toutes les vertus existent en l’homme selon qu’elles se distinguent par une plus ou moins grande perfection de leur espиce.

[66763] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 10 Et similiter etiam dicendum ad decimum, quia etiam hoc modo vitia sunt inaequalia.

10. Il en va de mкme, parce que, mкme de cette faзon, les vices sont inйgaux.

[66764] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod unus magis laudatur de una virtute quam de alia propter maiorem promptitudinem ad actum.

11. L’un est plus louй pour une vertu que pour une autre, en raison d’une plus grande promptitude а l’acte.

[66765] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ubi est maior habitus, oportet quod sit maior actus secundum inclinationem habitus. Potest tamen esse in homine aliquid vel impediens vel disponens ad actum, quod per accidens se habet ad habitum; sicut habitus scientiae impeditur ne ad actum prodeat, propter ebrietatem. Et ideo secundum huiusmodi impedimenta vel auxilia ad agendum, potest quandoque esse augmentum in actu, non existente augmento circa habitum.

12. Lа oщ l’habitus est plus grand, il faut que l’acte soit plus grand selon l’inclination de l’habitus. Il peut cependant y avoir quelque chose en l’homme qui empкche l’action ou y dispose, qui a un rapport accidentel avec l’habitus, comme l’habitus de science est empкchй d’кtre mis en acte par l’ivresse. Ainsi, par des empкchements ou des aides а l’action de ce genre, il peut y avoir parfois une augmentation dans l’acte, alors que l’augmentation n’existe pas pour l’habitus.

[66766] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in habitibus acquisitis maius exercitium causat maiorem habitum; tamen per accidens potest impediri habitus iam ex pluribus actibus acquisitus, ut non magis possit in actum procedere; sicut dictum est in corp. art.

13. Dans les habitus acquis, un exercice plus grand engendre un habitus plus grand. Cependant un habitus dйjа acquis par plusieurs actes peut кtre empкchй par accident, de sorte qu’il ne peut plus кtre mis en acte, comme on l’a dit dans le corps de cet article.

[66767] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod in rebus naturalibus, ubi est aequalis forma, potest esse inaequalitas actus propter aliquod impedimentum accidentale.

14. Dans les choses naturelles, oщ la forme est йgale, il peut exister une inйgalitй de l’acte en raison d’un empкchement accidentel.

[66768] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod potentiae sunt inaequales secundum seipsas : in quantum, scilicet, una potentia secundum propriam rationem est perfectior alia. Et hoc etiam modo dictum est, quod virtutes sint inaequales.

15. Les puissances sont inйgales en elles-mкmes, dans la mesure oщ une puissance est plus parfaite qu’une autre selon sa propre raison. Et, de cette maniиre aussi, on a dit que les vertus sont inйgales.

[66769] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod virtutes insunt proportionaliter, ut dictum est; unde ex hoc non sequitur quod inaequaliter habeantur.

16. Les vertus existent [dans un sujet] de maniиre proportionnelle, comme on vient de le dire. Dиs lors, il ne s’ensuit pas qu’elles sont possйdйes de maniиre inйgale.

[66770] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod status patriae opponitur fidei, ratione apertae visionis, quam non consequitur aliquis per augmentum caritatis; unde non oportet quod crescente caritate fides minuatur.

17. L’йtat de la patrie est opposй а la foi, en raison de la pleine vision, que l’on obtient pas par l’augmentation de la charitй. Dиs lors, il n’est pas nйcessaire que la foi diminue alors que la charitй croоt.

Solutions : des arguments en sens contraire :

[66771] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiecta sunt et secundum, tertium et quartum patet responsio ex his quae dicta sunt.

1. 2. 3. 4. La rйponse est claire avec ce qui a йtй dit.

[66772] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod Damascenus intelligit virtutes aequaliter in omnibus esse.

5. [Jean] Damascиne comprend que les vertus existent de maniиre йgale en tous.

[66773] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod praemium essentiale respondet radici caritatis; et ideo, si etiam detur quod virtutes non sint aequales, tamen idem praemium debebitur uni homini propter identitatem caritatis.

6. La rйcompense essentielle correspond а la racine de la charitй. Ainsi, mкme si l’on admet que les vertus ne sont pas йgales, la mкme rйcompense sera cependant donnйe а un seul homme, en raison de l’identitй de la charitй.

[66774] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 7 Septimum concedimus.

7. Nous concйdons le septiиme argument.

 

 

Articulus 4 : [66775] De virtutibus, q. 5 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum virtutes cardinales maneant in patria

Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ?

Objections :

[66776] De virtutibus, q. 5 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.

[66777] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 1 Dicit enim Gregorius, XVI Moral., quod accidentia vitae comparata cum corpore transeunt. Non ergo manent in patria.

Il semble que non.

1. Grйgoire dit en effet, au livre XVI des Morales sur Job, que les accidents de la vie, comparйs au corps, passent. Ils ne demeurent donc pas dans la patrie.

[66778] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 2 Praeterea, habito fine non sunt necessaria ea quae sunt ad finem; sicut postquam pervenitur ad portum, non necessaria est navis. Sed virtutes cardinales in hoc distinguuntur a theologicis, quod theologicae habent ultimum finem pro obiecto, cardinales autem sunt circa ea quae sunt ad finem. Ergo quando perventum fuerit ad ultimum finem in patria, non erit necessaria virtus cardinalis.

2. Une fois que l’on possиde la fin, ce qui est ordonnй а la fin n’est plus nйcessaire, de mкme que, aprиs кtre arrivй au port, le navire n’est plus nйcessaire. Or, les vertus cardinales se distinguent des vertus thйologales en ceci que les thйologales ont la fin ultime pour objet, alors que les cardinales portent sur ce qui est ordonnй a la fin. Quand on sera parvenu а la fin ultime dans la patrie, les vertus cardinales ne seront donc plus nйcessaires.

[66779] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 3 Praeterea, sublato fine cessat id quod est ad finem. Sed virtutes cardinales ordinantur ad bonum civile, quod non erit in patria. Ergo neque virtutes cardinales erunt in patria.

3. La fin enlevйe, ce qui est ordonnй а la fin s’arrкte. Or, les vertus cardinales sont ordonnйes au bien civil, qui n’existera plus dans la patrie. Les vertus cardinales n’existeront donc plus dans la patrie.

[66780] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 4 Praeterea, id non dicitur manere in patria, sed magis evacuari, quod non manet secundum propriam speciem, sed solum secundum communem generis rationem; sicut fides dicitur evacuari, quamvis maneat cognitio, quae est genus eius. Sed virtutes cardinales non remanent in patria secundum proprias species, secundum quas distinguuntur : dicit enim Augustinus, XII super Genes. ad Litt., quod una ibi et tota virtus est amare quod videris. Ergo virtutes cardinales non manent in patria, sed evacuantur.

4. On ne dit pas que demeure dans la patrie, mais plutфt en est йcartй, ce qui ne demeure pas selon sa propre espиce, mais seulement selon la raison commune du genre ; comme l’on dit que la foi est йcartйe, bien que demeure la connaissance, qui en est le genre. Or, les vertus cardinales ne demeurent pas dans la patrie selon leurs espиces propres, qui les distinguent : en effet, Augustin dit, au livre XII de La Genиse au sens littйral, que lа-bas, la vertu complиte consiste а aimer ce que l’on verra. Les vertus cardinales ne demeurent donc pas dans la patrie, mais sont йcartйes.

[66781] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 5 Praeterea, virtutes habent speciem ex obiectis. Sed obiecta virtutum cardinalium non manent in patria : nam prudentia est circa dubia, de quibus est consilium; iustitia autem est circa contractus et iudicia; fortitudo autem est circa pericula mortis; temperantia autem circa concupiscentias ciborum et venereorum, quae omnia non erunt in patria.

5. L’espиce des vertus provient des objets. Or, les objets des vertus cardinales ne demeurent pas dans la patrie : la prudence, en effet, concerne les doutes, sur lesquels porte le conseil ; la justice concerne les contrats et les jugements ; la force concerne les dangers mortels, et la tempйrance concerne les concupiscences dans la nourriture et les plaisirs sexuels, tout ce qui n’existera pas dans la patrie.

[66782] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 6 Sed dicendum, quod in patria habebunt alios actus.- Sed contra, diversitas eius quod cadit in definitione alicuius rei, diversificat speciem eius. Sed actus cadit in definitione habitus : dicit enim Augustinus in libro de bono Coniug., quod habitus est quo quis agit cum tempus affuerit. Ergo si sunt diversi actus, erunt et habitus specie differentes.

6. Mais il faut dire que, dans la patrie, elles auront d’autres actes. – Cependant, la diversitй de ce qui dйfinit une chose diversifie son espиce. Or, l’acte dйfinit l’habitus. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur le bien conjugal, que l’habitus est ce qui nous fait agir au moment opportun. Si les actes sont divers, les habitus seront donc aussi diffйrents en espиce.

[66783] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 7 Praeterea, secundum Plotinum, ut Macrobius refert, aliae sunt virtutes purgati animi, et aliae virtutes politicae. Sed virtutes purgati animi maxime videntur esse virtutes quae sunt in patria; virtutes autem quae sunt hic, sunt virtutes politicae. Ergo virtutes quae sunt hic, non manent, sed evacuantur.

7. Selon Plotin, comme le rapporte Macrobe, autres sont les vertus de l’вme purifiйe, et autres sont les vertus politiques. Or, les vertus de l’вme purifiйe semblent кtre surtout les vertus qui existent dans la patrie, alors que les vertus qui existent ici-bas sont les vertus politiques. Les vertus qui existent ici-bas ne demeurent donc pas, mais sont йcartйes.

[66784] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 8 Praeterea, plus distant status beatorum et viatorum, quam status domini et servi, aut viri et mulieris in vita praesenti. Sed secundum philosophum in I Politic., alia est virtus domini et alia est virtus servi, et similiter alia viri et alia mulieris. Ergo multo magis aliae sunt virtutes viatorum et beatorum.

8. Les йtats des bienheureux et de ceux qui sont en route sont plus йloignйs que les йtats du maоtre et de l’esclave, ou de l’homme et de la femme dans la vie prйsente. Or, selon le Philosophe, au livre I de La Politique, autre est la vertu du maоtre, et autre la vertu de l’esclave, et de mкme autre celle de l’homme, et autre celle de la femme. Les vertus de ceux qui sont en route et des bienheureux sont donc bien plus diffйrentes.

[66785] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 9 Praeterea, habitus virtutum sunt necessarii ad habilitandum possibilitatem ad actum. Sed huiusmodi habilitatio sufficienter fiet ibi per gloriam. Non ergo erunt necessarii habitus virtutum.

9. Les habitus des vertus sont nйcessaires pour rendre apte la possibilitй de l’acte. Or, une habilitation de ce genre se rйalisera suffisamment lа-bas par la gloire. Les habitus des vertus ne seront donc pas nйcessaires.

[66786] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 10 Praeterea, apostolus probat, I ad Corinth. XIII, 8, quod caritas est excellentior aliis, quia non evacuatur. Sed fides et spes, quae evacuantur, sunt nobiliores virtutibus cardinalibus, quia habent nobilius obiectum, scilicet Deum. Ergo virtutes cardinales evacuantur.

 10. L’Apфtre montre, dans 1 Co 13, 8, que la charitй est bien supйrieure aux autres, parce qu’elle ne sera pas йcartйe. Or, la foi et l’espйrance, qui sont йcartйes, sont plus nobles que les vertus cardinales, parce qu’elles ont un objet plus noble : Dieu. Les vertus cardinales sont donc йcartйes.

[66787] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 11 Praeterea, virtutes intellectuales sunt nobiliores moralibus, ut patet in VI Ethic. Sed virtutes intellectuales non manent, quia scientia destruetur, ut dicitur I ad Corinth. cap. XIII, 8. Ergo nec virtutes cardinales manebunt in patria.

11. Les vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, comme cela est clair d’aprиs le livre VI de l’Йthique. Or, les vertus intellectuelles ne demeurent pas, parce que « la science sera dйtruite », comme il est dit dans 1 Co 13, 8. Les vertus cardinales ne demeureront donc pas dans la patrie.

[66788] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut Iac. I, 4, dicitur, patientia opus perfectum habet. Sed patientia non manet in patria nisi secundum praemium, ut dicit Augustinus XIV de Civit. Dei. Ergo multo minus aliae virtutes morales.

 

12. Comme il est dit dans Jc 1, 4 : La patience s’accompagne d’une њuvre parfaite. Or, la patience ne demeure pas dans la patrie, si ce n’est par la rйcompense, comme le dit Augustin au livre XIV de La Citй de Dieu. Donc, les autres vertus morales encore bien moins.

[66789] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 13 Praeterea, quaedam virtutes cardinales, scilicet temperantia et fortitudo, sunt in potentiis animae sensitivis : sunt enim irrationabilium partium animae, ut patet per philosophum in III Ethic. Sed partes animae sensitivae neque sunt in Angelis, neque possunt esse in anima separata. Ergo huiusmodi virtutes non sunt in patria neque in Angelis, neque in animabus separatis.

13. Certaines vertus cardinales, la tempйrance et la force, sont dans les puissances sensitives de l’вme, car elles appartiennent aux parties irrationnelles de l’вme, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique. Or, les parties sensitives de l’вme n’existent pas chez les anges et ne peuvent pas se trouver dans l’вme sйparйe [du corps]. Les vertus de ce genre n’existent donc pas dans la patrie, ni chez les anges, ni dans les вmes sйparйes [du corps].

[66790] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, XIII de Civit. Dei, quod in patria vacabimus, videbimus, amabimus, laudabimus. Sed vacare est actus sapientiae : videre actus intellectus : amare actus caritatis : laudare actus latriae. Ergo ista sola erunt in patria, non autem virtutes cardinales.

14. Augustin dit, au livre XIII de La Citй de Dieu, que dans la patrie nous serons libres d’occupations, nous verrons, nous aimerons, nous louerons. Or, кtre libre d’occupations est un acte de la sagesse, voir, un acte de l’intelligence, aimer, un acte de la charitй, et louer, un acte de latrie. Ceux-lа seuls existeront donc dans la patrie, mais non les vertus cardinales.

[66791] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 15 Praeterea, in patria erunt homines similes Angelis, ut dicitur Matth. XXII, 30. Sed secundum sobrietatem homines non assimilantur Angelis, ad quos non pertinet cibis et potibus uti. Ergo sobrietas non erit in patria, et pari ratione nec aliae huiusmodi virtutes.

15. Dans la patrie, les hommes seront semblables aux anges, comme le dit Mt 22, 30. Or, par la sobriйtй, les hommes ne sont pas assimilйs aux anges, а qui il ne revient pas de consommer nourritures et boissons. La sobriйtй n’existera donc pas dans la patrie, et les autres vertus du mкme genre non plus, pour la mкme raison.

Cependant :

[66792] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sap. I, v. 15 : iustitia perpetua est et immortalis.

1. Il est dit dans Sg 1, 15 : La justice est йternelle et immortelle.

[66793] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Sap. VIII, 7, dicitur de divina sapientia quod sobrietatem et prudentiam docet, iustitiam et virtutem, quibus in vita nihil utilius est hominibus. Sed in patria erit plenissima participatio sapientiae. Ergo huiusmodi virtutes plenius erunt in patria.

2. En Sg 8, 7, il est dit de la sagesse divine qu’elle enseigne la tempйrance et la prudence, la justice et la force : il n’y a rien de plus utile pour les hommes dans la vie. Or, dans la patrie, la participation а la sagesse se rйalisera plus pleinement. Les vertus de ce genre existeront donc plus pleinement dans la patrie.           

[66794] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt divitiae spirituales. Sed spiritualium divitiarum maior copia est in patria quam in via. Ergo huiusmodi virtutes plenius in patria abundabunt.

3. Les vertus sont des richesses spirituelles. Or, l’abondance des richesses spirituelles est plus grande dans la patrie que pendant le voyage. Les vertus de ce genre abonderont donc plus pleinement dans la patrie.

Rйponse :

[66795] De virtutibus, q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in patria manent virtutes cardinales, et habebunt ibi alios actus quam hic, ut Augustinus dicit, XIII de Trinit. : quod nunc agit iustitia in subveniendo miseris, quod prudentia in praecavendis insidiis, quod fortitudo in perferendis molestiis, quod temperantia in coercendis delectationibus pravis, non ibi erit, ubi nihil omnino mali erit; sed iustitiae erit regenti Deo subditum esse; prudentiae, nullum bonum Deum praeponere vel aequare; fortitudinis, ei firmissime cohaerere; temperantiae, nullo affectu noxio delectari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut philosophus dicit in I de caelo, virtus importat ultimum potentiae. Manifestum est autem, quod in diversis naturis diversum est potentiae ultimum, quia altioris naturae est maior potentia, ad plura et maiora se extendens. Et ideo illud quod est virtus uni, non est virtus alteri; puta, hominis virtus determinatur ad ea quae sunt praecipua in humana vita; sicut temperantia humana est, quod a ratione homo non discedat propter maximas delectationes, sed eas magis secundum rationem moderetur; fortitudo autem humana est, ut propter bonum rationis firmiter stet contra maxima pericula, quae sunt pericula mortis. Sed quia divinae potentiae ultimum non attenditur secundum ista, sed secundum aliquid altius pertinens ad infinitatem potentiae eius; ideo fortitudo divina est eius immobilitas; temperantia erit conversio mentis divinae ad seipsam; prudentia autem est ipsa mens divina; iustitia autem Dei ipsa lex eius perennis. Est autem considerandum, quod diversa ultima dupliciter accipi possunt : uno modo secundum quod accipiuntur in eadem serie motus; alio modo secundum quod accipiuntur ut omnino disparata, et ad invicem non ordinata. Si igitur accipiantur diversa ultima quae sub una serie motus ordinantur, esse diversa ultima, faciunt diversas species motus; non autem diversificant speciem principii motivi, eo quod idem est principium motus quod movet a principio usque ad finem. Et huius exemplum accipere possumus in aedificatione, in qua ultimus terminus est forma domus completa; possunt tamen alia ultima accipi secundum complexionem singularum partium domus; unde, ut philosophus dicit in X Ethic., alius specie motus est fundatio domus, quae terminatur ad fundamentum, et alia columnarum erectio, et alia completa aedificatio; sed tamen ars aedificatoria est una et eadem, quae est horum trium motuum principium; et idem est in aliis motibus. Si vero accipiantur diversa ultima disparata, quae non sunt in una serie motus, sed sunt omnino disparata : tunc et motus specie differunt, et principia motiva; sicut alia ars est quae est principium aedificationis, et constructionis navis. Sic ergo ubi est idem ultimum specie, est et eadem virtus secundum speciem, idem actus, sive motus virtutis; sicut patet quod idem ultimum specie est quod attingit temperantia in me et in te, scilicet moderantia circa delectationes tactus; unde nec temperantia nec actus eius specie differt in me et in te. Ubi vero ultimum quod attingit virtus, nec est in eadem specie, nec sub eadem serie motus continetur, oportet quod sit differentia secundum speciem non solum in actu virtutis, sed etiam in ipsa virtute; sicut patet de istis virtutibus secundum quod dicuntur de Deo et de homine. Ubi vero ultimum virtutis differt specie (si tamen sub eadem serie motus continetur, ut scilicet ab uno perveniatur in aliud), est quidem actus differens specie, sed virtus est eadem; sicut fortitudinis actus ad aliud ultimum derivatur ante praelium, et ad aliud in ipso praelio, et ad aliud in triumpho : unde alius specie actus est accedere ad bellum, et alius in praelio fortiter stare, et alius iterum de adepta victoria gaudere; et eadem fortitudo est; sicut etiam eiusdem potentiae actus est amare, desiderare et gaudere. Manifestum est igitur ex praedictis, in istomet artic., quod cum status patriae sit altior quam status viae, pertingat ad perfectius ultimum. Si igitur ultimum illud ad quod pertingit virtus viae, ordinetur ad ultimum illud ad quod pertingit virtus patriae, necesse est quod sit eadem virtus secundum speciem; sed actus erunt differentes. Si autem non accipiatur unum in ordine ad aliud, tunc non erunt eaedem virtutes nec secundum actum nec secundum habitum. Manifestum est autem quod virtutes acquisitae, de quibus locuti sunt philosophi, ordinantur tantum ad perficiendum homines in vita civili, non secundum quod ordinantur ad caelestem gloriam consequendam. Et ideo posuerunt, quod huiusmodi virtutes non manent post hanc vitam, sicut de Tullio Augustinus narrat. Sed virtutes cardinales, secundum quod sunt gratuitae et infusae, prout de eis nunc loquimur, perficiunt hominem in vita praesenti in ordine ad caelestem gloriam. Et ideo necesse est dicere, quod sit idem habitus harum virtutum hic et ibi; sed quod actus sunt differentes : nam hic habent actus qui competunt tendentibus in finem ultimum; illic autem habent actus qui competunt iam in fine ultimo quiescentibus.

Les vertus cardinales demeurent dans la patrie, et elles y auront d’autres actes qu’ici-bas, comme le dit Augustin au livre XIII de La Trinitй : « Le rфle que joue maintenant la justice en venant en aide aux malheureux, la prudence en prenant des prйcautions contre les embыches, la force en persйvйrant dans les difficultйs, la tempйrance en rйfrйnant les plaisirs mauvais, n’aura plus de raison d’кtre lа-bas, oщ il n’y aura absolument aucun mal. Mais le propre de la justice sera d’кtre soumis au pouvoir de Dieu; de la prudence, de ne prйfйrer ou йgaler aucun bien а Dieu; de la force, d’кtre attachй а lui de la maniиre la plus ferme; de la tempйrance, de ne se plaire en aucun sentiment nuisible. » Pour montrer cela, il faut savoir que, comme le dit le Philosophe au livre I Du Ciel, la vertu conduit au point ultime d’une puissance. Or, il est clair que, dans les diverses natures, le point ultime de la puissance est diffйrent, parce que la puissance d’une nature plus йlevйe est plus grande, s’йtend а plus de choses et а des choses plus grandes. Ainsi, ce qui est vertu pour l’un n’est pas vertu pour l’autre. Par exemple, la vertu de l’homme est tournйe vers ce qui est le principal dans la vie humaine : ainsi, la tempйrance humaine consiste en ce que l’homme ne s’йloigne pas de la raison а cause des plus grands plaisirs, mais les modиre plutфt par la raison ; la force humaine consiste en ce que, en vue du bien de la raison, il demeure ferme contre les plus grands dangers, qui sont les dangers mortels. Mais parce que le point ultime de la puissance divine ne se prend pas de ces choses, mais de quelque chose de plus йlevй qui relиve de l’infinitй de sa puissance, la force divine est ainsi son immobilitй, la tempйrance sera la conversion de l’esprit divin vers lui-mкme, la prudence est l’esprit divin lui-mкme, et la justice de Dieu, sa propre loi йternelle. Mais il faut observer que l’on peut concevoir de deux faзons les divers points ultimes : d’une premiиre faзon, selon qu’ils sont reзus dans une mкme sйrie de mouvements; d’une seconde faзon, selon qu’ils sont reзus comme tout а fait sйparйs et non ordonnйs les uns aux autres. Si donc l’on conзoit les divers points ultimes selon qu’ils sont ordonnйs en une seule sйrie de mouvements, le fait qu’ils sont des points ultimes rend diverses les espиces de mouvement, mais ils ne rendent pas diverse l’espиce du principe qui meut, parce que c’est le mкme principe de mouvement qui meut du dйbut а la fin. Et nous pouvons en voir l’exemple dans la construction, oщ la forme achevйe de la maison est le terme ultime ; toutefois, l’on peut voir d’autres points ultimes dans l’assemblage de chacune des parties de la maison. Ainsi, comme le dit le Philosophe au livre X de l’Йthique, la mise en place du fondement de la maison est une espиce de mouvement, une autre est l’йrection de colonnes, et une autre, la construction achevйe. Mais pourtant, il y a un seul et mкme art de la construction, qui est le principe de ces trois mouvements ; et il en est de mкme des autres mouvements. Mais si l’on conзoit les divers points ultimes comme sйparйs, qui ne sont pas en une sйrie de mouvements mais sont tout а fait sйparйs, alors les mouvements diffиrent en espиce, ainsi que les principes qui meuvent, de mкme que sont diffйrents les arts qui sont les principes de la construction et ceux de la rйalisation d’un navire. Ainsi donc, lа oщ le point ultime est le mкme selon l’espиce, lа existe une mкme vertu selon l’espиce, un mкme acte ou mouvement de la vertu, comme il est clair que c’est la mкme fin selon espиce qu’atteint la tempйrance en moi et en toi : la modйration qui concerne les plaisirs du toucher. Dиs lors, ni la tempйrance ni son acte ne diffиrent en espиce en moi et en toi. Mais lа oщ le point ultime qu’atteint la vertu n’est pas dans la mкme espиce et n’est pas contenu dans la mкme sйrie de mouvements, il faut qu’il y ait une diffйrence selon l’espиce, non seulement dans l’acte de la vertu, mais encore dans la vertu elle-mкme, comme on le voit bien dans les vertus dont on dit qu’elles viennent de Dieu et de l’homme. Mais lа oщ le point ultime de la vertu diffиre en espиce (s’il est cependant contenu en une mкme sйrie de mouvements, pour parvenir naturellement de l’un а l’autre), l’acte est diffйrent en espиce, mais la vertu est la mкme. Ainsi l’acte de la force se tourne vers un autre point ultime avant le combat, vers un autre pendant le combat, et encore vers un autre lors du triomphe. Dиs lors, autre est l’espиce de l’acte de se prйparer а combattre, autre celle de rйsister vaillamment dans le combat, et autre encore celle de se rйjouir de la victoire acquise. Et c’est la mкme force. De mкme aussi qu’aimer, dйsirer et se rйjouir sont l’acte de la mкme puissance. Il est donc clair par ce qu’on vient de dire dans cet article mкme que, puisque l’йtat de la patrie est plus йlevй que l’йtat du voyage, il atteint un point ultime plus parfait. Si donc le point ultime qu’atteint la vertu du voyage est ordonnй а celui qu’atteint la vertu de la patrie, il est nйcessaire qu’il s’agisse de la mкme vertu par l’espиce, mais les actes seront diffйrents. Mais si l’on ne conзoit pas un point ultime comme ordonnй а un autre, alors ce ne seront pas les mкmes vertus, ni selon l’acte ni selon l’habitus. Or, il est clair que les vertus acquises, dont ont parlй les philosophes, sont ordonnйes seulement а la perfection des hommes dans la vie civile, et non а obtenir la gloire cйleste. Ainsi ils ont йtabli que les vertus de ce genre ne demeurent pas aprиs cette vie, comme le raconte Augustin а propos de Cicйron. Mais les vertus cardinales, parce qu’elles sont gratuites et infuses, pour autant que nous parlons maintenant d’elles, perfectionnent l’homme dans la vie prйsente en vue de la gloire cйleste. Ainsi, il est nйcessaire de dire que l’habitus de ces vertus est le mкme ici-bas que lа-bas, mais que les actes sont diffйrents. Ici-bas, en effet, elles ont des actes qui s’accordent avec ce qui tend а la fin ultime, alors que lа-bas, elles ont des actes qui conviennent а ceux qui se reposent dйjа dans la fin ultime.

Solutions :

[66796] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi virtutes perficiunt hominem in vita activa, sicut in quadam via qua pervenitur ad terminum contemplationis patriae; et ideo in patria manent secundum actus consummatos in fine.

1. Les vertus de ce genre perfectionnent l’homme dans la vie active, comme dans un voyage qui le fait parvenir au but de la contemplation dans la patrie. Ainsi, elles demeurent dans la patrie selon leurs actes finalement achevйs.

[66797] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes cardinales sunt circa ea quae sunt ad finem, non quasi in his sit ultimus eorum terminus, sicut ultimus terminus navis est navigatio; sed in quantum, per ea quae sunt ad finem, habent ordinem ad finem ultimum; sicut temperantia gratuita non habet pro finali ultimo moderari concupiscentias tactus, sed hoc facit propter similitudinem caelestem.

2. Les vertus cardinales concernent ce qui est tournй vers la fin, non pas comme si leur terme se trouvait dans cela, comme la navigation est la fin ultime du navire, mais dans la mesure oщ, par ce qui est tournй vers la fin, elles sont ordonnйes а la fin ultime. Ainsi la tempйrance gratuite n’a pas pour fin ultime de modйrer les concupiscences du toucher, mais elle le fait en raison de la similitude cйleste.

[66798] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum civile non est finis ultimus virtutum cardinalium infusarum, de quibus loquimur, sed virtutum acquisitarum de quibus philosophi sunt locuti, sicut dictum est in corp. art.

3. Le bien civil n’est pas la fin ultime des vertus cardinales infuses, dont nous parlons, mais des vertus acquises dont ont parlй les philosophes, comme on l’a dit dans le corps de cet article.

[66799] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet unam et eamdem rem esse finem diversarum virtutum vel artium; sicut conservatio boni civilis est finis et terminus militaris et legis positivae : unde utraque ars vel virtus habet actum suum circa hoc sicut circa finale bonum; sed militaris, in quantum providet de conservatione boni civilis, secundum quod per fortia certamina ad hoc pervenitur; sed lex positiva gaudet de eodem, secundum quod per ordinationem legum bonum civile conservatur. Sic igitur fruitio Dei in patria est finis omnium cardinalium virtutum; et unaquaeque gaudet ibi de ea, secundum quod est finis suorum actuum. Et ideo dicitur quod in patria erit una virtus, in quantum erit in subiecto, de qua omnes virtutes gaudebunt; tamen erunt differentes actus et differentes virtutes secundum diversam rationem gaudendi.

4. Rien n’empкche qu’une seule et mкme chose soit la fin de divers arts ou vertus, comme la conservation du bien civil est la fin et le terme du soldat et de la loi positive. Dиs lors, l’acte des deux art ou vertu porte sur cela comme sur son bien final : mais, pour le soldat, dans la mesure oщ il s’occupe de la conservation du bien civil en y parvenant par de durs combats, alors que la loi positive s’en rйjouit en conservant le bien civil par l’ordonnance des lois. Ainsi donc, la jouissance de Dieu dans la patrie est la fin de toutes les vertus cardinales, et chacune s’en rйjouit lа-bas, selon qu’elle est la fin de ses actes. C’est pourquoi l’on dit que, dans la patrie, il y aura une seule vertu, selon qu’elle existera dans un sujet, dont se rйjouiront toutes les vertus ; cependant les actes seront diffйrents des vertus selon des raisons diverses de se rйjouir.

[66800] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse obiectum virtutum dupliciter. Uno modo sicut illud ad quod virtus ordinatur sicut ad finem; sicut summum bonum est obiectum caritatis, et beatitudo aeterna obiectum spei. Alio modo sicut materia circa quam operatur, ut ab ea in aliud tendens; et hoc modo delectationes coitus sunt obiectum temperantiae, non enim temperantia intendit huiusmodi delectationibus inhaerere, sed istas delectationes compescendo, tendere in bonum rationis. Similiter fortitudo non intendit inhaerere periculis superando pericula, sed consequi bonum rationis; et idem est de prudentia respectu dubitationum, et de iustitia respectu necessitatum huius vitae. Et ideo quanto longius ab his fuerit recessum, secundum profectum spiritualis vitae, tanto erunt perfectiores actus harum virtutum, quia praedicta verba magis se habent ad has virtutes per modum termini a quo quam per modum termini ad quem, qui dat speciem.

5. Quelque chose est dit objet des vertus de deux faзons : d’une faзon, comme ce а quoi est ordonnйe la vertu comme а sa fin : ainsi le plus grand bien est l’objet de la charitй, et la bйatitude йternelle, l’objet de l’espйrance; d’une seconde faзon, comme la matiиre sur laquelle elle agit, de sorte qu’elle passe de celle-ci а autre chose. De cette maniиre, les plaisirs de l’accouplement sont l’objet de la tempйrance, car la tempйrance ne vise pas а s’attacher а des plaisirs de ce genre, mais, en rйprimant ces plaisirs, а tendre vers le bien de la raison. De mкme, la force ne vise pas а s’attacher aux dangers en surmontant les dangers, mais а poursuivre le bien de la raison. Et il en va de mкme pour la prudence par rapport aux doutes, et pour la justice, par rapport а ce qui est nйcessaire а cette vie. Ainsi, plus l’on s’en sera йloignй, selon l’avancement de la vie spirituelle, plus les actes de ces vertus seront parfaits, parce que ce que l’on vient de dire concerne plus ces vertus par mode de point de dйpart (terminus a quo) que par mode de point d’arrivйe (terminus ad quem), qui donne l’espиce.

[66801] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non omnis differentia actuum demonstrat diversitatem habituum, sicut iam dictum est in corp. Art.

6. Toute diffйrence des actes ne dйmontre pas la diversitй des habitus, comme il a dйjа йtй dit dans le corps de cet article.

[66802] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtutes purgati animi, quas Plotinus definiebat, possunt convenire beatis : nam prudentiae ibi est sola divina intueri; temperantiae, cupiditates oblivisci; fortitudinis, passiones ignorare; iustitiae, perpetuum foedus cum Deo habere. Sed virtutes politicae de quibus ipse loquitur, ordinantur tantum ad bonum civile praesentis vitae ut dictum est in corp. art.

7. Les vertus de l’вme purifiйe, dйfinies par Plotin, peuvent convenir aux bienheureux : lа-bas, en effet, le propre de la prudence est de fixer ses regards sur les seules choses divines ; le propre de la tempйrance, d’oublier les dйsirs ; le propre de la force, d’ignorer les passions ; le propre de la justice, d’avoir une alliance йternelle avec Dieu. Mais les vertus politiques dont il parle lui-mкme sont ordonnйes seulement au bien civil de la vie prйsente, comme on vient de le dire dans le corps de cet article.

[66803] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ultima virtutum servi et domini, mulieris et viri non ordinantur in invicem, ut sic ex uno transeatur in aliud; et ideo non est similis ratio.

8. Les points ultimes des vertus de l’esclave et du maоtre, de la femme et de l’homme, ne sont pas ordonnйs les uns aux autres, de sorte qu’on passe de l’un а l’autre. Ainsi, ce n’est pas le mкme raisonnement.

[66804] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipsa habilitatio gloriae ad opera virtutum, quae fiet vel perficietur per gloriam, pertinet ad ipsos habitus virtutum.

9. L’habilitation mкme de la gloire aux њuvres des vertus, qui se fera ou sera rйalisйe par la gloire, relиve des habitus mкmes des vertus.

[66805] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod fides ordinatur ad veritatem non apparentem, et spes ad arduum non habitum sicut a quo speciem habent. Et ideo, quamvis excellentiores sint virtutibus cardinalibus propter altius obiectum, tamen evacuantur, propter hoc quod habent speciem ab eo quod non manet.

10. La foi est ordonnйe а une vйritй non йvidente et l’espйrance, а quelque chose de difficile non possйdй, dont elles reзoivent leur espиce. Ainsi, bien qu’elles soient meilleures que les vertus cardinales en raison de leur objet plus йlevй, elles sont cependant йcartйes parce que leur espиce provient de ce qui ne demeure pas.

[66806] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod etiam scientia non destruetur secundum habitum, sed habebit alium actum.

11. La science non plus ne sera pas dйtruite selon l’habitus, mais elle aura un autre acte.

[66807] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod patientia non manebit in patria secundum actum quem habet in via, tolerando scilicet tribulationes; manebit tamen secundum actum convenientem fini, sicut et de aliis virtutibus dictum est in corp. art.

12. La constance ne demeurera pas dans la patrie selon l’acte qu’elle a pendant le voyage : supporter les tourments ; mais elle demeurera dans l’acte qui convient а la fin, comme on l’a dit aussi pour les autres vertus dans le corps de cet article.

[66808] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quidam dicunt quod irascibilis et concupiscibilis, in quibus sunt temperantia et fortitudo, sunt in parte superiori, non autem in parte sensitiva. Sed hoc est contra philosophum in III Ethic., ubi dicit, quod virtutes sunt irrationabilium partium. Quidam autem dicunt, quod vires sensitivae partis manent in anima separata vel secundum potentiam tantum, vel secundum actum. Sed hoc non potest esse, quia actus potentiae sensitivae non est sine corpore; alioquin anima sensitiva brutorum esset etiam incorruptibilis, quod est erroneum. Cuius autem est actio, eius est etiam potentia; unde oportet quod potentiae huiusmodi sint coniunctae; et ita post mortem non remanent in anima separata actu, sed virtute, sicut in radice in quantum scilicet potentiae animae fluunt ab essentia eius. Virtutes autem istae sunt quidem in irascibili quantum ad eorum derivationem; sed secundum originem et inchoationem sunt in ratione et in voluntate, quia principalis actus virtutis moralis est electio, quae est actus appetitus rationalis. Sed ista electio per quamdam applicationem terminatur ad passiones irascibilis et concupiscibilis secundum temperantiam et fortitudinem.

13. Certains disent que l’irascible et le concupiscible, oщ existent la tempйrance et la force, se trouvent dans la partie supйrieure, mais non dans la partie sensitive. Mais cela va contre le Philosophe qui dit, au livre III de l’Йthique, que les vertus appartiennent aux parties irrationnelles. Or, certains disent que les forces de la partie sensitive demeurent dans l’вme sйparйe du corps, soit selon la seule puissance, soit selon l’acte. Mais cela ne peut pas кtre le cas, parce que l’acte d’une puissance sensitive n’existe pas sans le corps, sans quoi l’вme sensitive des animaux sans raison serait aussi incorruptible, ce qui est une erreur. Or, acte et puissance relиvent de la mкme chose. Dиs lors, il faut que des puissances de ce genre soient unies [au corps]. Ainsi, aprиs la mort, elles ne demeurent pas dans l’вme sйparйe du corps selon l’acte, mais selon selon la puissance, comme dans leur racine, dans la mesure oщ les puissances de l’вme dйcoulent naturellement de son essence. Mais ces vertus se trouvent assurйment dans l’irascible quant а ce dont elles dйcoulent, mais, selon leur origine et leur amorce, elles existent dans la raison et dans la volontй, parce que l’acte principal de la vertu morale est le choix, qui est l’acte de l’appйtit rationnel. Mais ce choix, par une certaine application, a son terme dans les passions de l’irascible et du concupiscible, suivant la tempйrance et la force.

[66809] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnia illa quatuor pertinent ad unumquemque actum virtutum cardinalium per modum finis, in quantum in eis consistit beatitudo caelestis.

14. Ces quatre actes relиvent tous de chaque acte des vertus cardinales par mode de fin, dans la mesure oщ la bйatitude йternelle consiste en eux.

[66810] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sobrietas non assimilat nos Angelis secundum actum viae quem habet circa materiam ciborum et potuum; sed secundum actum patriae, quem habet circa ultimum finem, sicut et aliae virtutes.

15. La sobriйtй ne nous assimile pas aux anges selon l’acte du voyage qu’elle possиde en matiиre de nourritures et de boissons, mais selon l’acte de la patrie, qu’elle possиde pour ce qui est de la fin ultime, comme les autres vertus.

 

 



[1]              Le pиre Maxime Allard est dominicain et professeur de philosophie et de thйologie au Collиge Universitaire Dominicain а Ottawa (Canada). Il est Docteur en thйologie de l'Universitй de Laval. Il est titulaire d'une maоtrise en philosophie а l'Universitй d'Ottawa (1997). Il a йgalement obtenu une maоtrise et une licence en thйologie au Collиge dominicain (1991). Ses champs d'intйrкt et de recherche sont concentrйs sur les sujets suivants : Thomas d'Aquin; le rationalisme au XVIIe siиcle (Descartes et Spinoza); l'hermйneutique et les philosophies « post-modernes »; la philosophie de la religion; la philosophie politique.

[2]              Philippa Foot, Virtue and Vices and other Essays in Moral Philosophy, Oxford University Press, 2003, 232p.; Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory, University of Notre Dame Press, 3e йdition, 2007, 321p.; S.L. Danwall (ed.), Virtue Ethics, Basil Blackwell Pubs., coll. “Blackwell Readings in Philosophy”, 2002, 272p.; J. Oakley, “Varieties of Virtue Ethics”, in Ratio, 9\2 (1996), p. 128-152; M. Alvarez Mauri, “Perspectivas actuales sobre la virdud. Estudio bibliografico”, in Pensamiento, 198\48 (1992), p. 459-485; S.M. Gardiner (ed.), Virtue Ethics Old and New, Ithaca, Cornell University Press, 2005; G.E. Pence, « Recent Works on virtue », in American Philosophical Quarterly 21 (1984), p. 281-298; K.M. Staley, “Thomas Aquinas and Contemporary Ethics of Virtue”, in The Modern Schoolman, 66 (1989), p. 285-300; L Sentis, De l'utilitй des vertus. Ethique et alliance, Paris, Beauchesne, 2004, 404p;

[3]              L.E. Corso de Estrada, « Antropologia en la Q.d. de virtutibus in commun de Santo Tomбs », Sapientia, 46 (1991), p. 99-110; M.F. Johnson, « St. Thomas, Obediential Potency, and the Infused Virtues : De Virtutibus in Communi, a. 10 ad 13”, in Recherches de thйologie ancienne et mйdiйvale, supplementa I, 1995; J. Leirens, La thйorie des vertus dans la Question Disputйe De virtutibus in communi de saint Thomas d’Aquin, Rome, Pontificia Universitas Santa Crucis, Facultas Filosofia, 2002, 322p.; J Inglis « Aquinas’s Replication of the Acquired moral virtues: Rethinking the Standard Philosophical Interpretation of Moral Virtue in Aquinas”, in Journal of Religious Ethics 27\1 (1999), 3-27. Un mйmoire de maоtrise au Centre Pierre Abйlard, par Marie-Alix Vandevoorde a proposй une « Traduction et commentaire des articles 10, 11 et 13 du De virtutibus in communi de Thomas d’Aquin » en 2005 sous la direction de R. Imbach. La traduction d’un monumental « On the virtues » de J. Capreolus en 2001, prйfacй par Pinckaers et traduit par K. White et R. Cessario (Catholic University of America Press, xxxv + 395p.) serait aussi а mettre au compte de cet intйrкt pour la vertu parmi les thomistes.

[4]              Il faudra attendre l’йdition critique de la Commission lйonine pour savoir ce qu'il en est de cet «  ajout » de ce dominicain.

[5]8E. Wйber, La controverse de 1270 а l’Universitй de Paris et son retentissement sur la pensйe de S. Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque thomiste » 40, 1970 et id., La Personne humaine au XIIIe siиcle, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque thomiste » 46, 1991; Thomas d’Aquin, Contre Averroиs, traduit, prйsentй et annotй par Alain de Libera, Paris, Garnier-Flammarion, coll. « Philosophie », 1999, 713p.; A. de Libera, L’Unitй de l’intellect : commentaire du De Unitate Intellectu contra averroistas de Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.  « Йtudes et commentaires », 2004, 558p.

[6]              J.-P. Torrell, Saint Thomas d’Aquin : sa personne et son oeuvre, Paris & Fribourg, Йditions du Cerf et Йditions universitaires de Fribourg, coll. « Vestigia. Pensйe antique et mйdiйvale. Initiation. 13 » 2e йditions, 2002, 654p. oщ il affine les donnйes des PP. Synave, Mandonnet et Weisheipl et les travaux de P. Glorieux; J.A. Weisheipl, Frиre Thomas d’Aquin. Sa viem sa pensйe, son oeuvre, traduit de l’anglais par C. Lotte et J. Hoffmann, Paris, Cerf, coll. « Cerf Histoire », 1993, p. 143-148, 283.

[7]              Cela mйrite attention car ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la question 1 du De veritate sera certes scindйe en deux dans la Summa theologiae Ia, q. 16-17 mais l’ordre des articles sera globalement respectй bien que le contenu soit trиs modifiй а l’intйrieur de chaque respondeo, surtout а propos de la dйfinition de la vйritй (cf. L. Dewan, « St Thomas’s Successive Discussions on the Nature of Truth », in D. Ols (ed.), Sanctus Thomas de Aquino : Doctor Hodiernae Humanitatis, Vatican City, Libreria Editrice Vaticana, 1995, p. 153-168. D’autres cas pourraient кtre recensйs.

[8]              « Mais il faut dire qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur, qui mйprise la correction et par lа il devient pire. Mais en sens contraire, le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose le soin d’un faible ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son mйpris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le remиde ; c’est pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment…. » (nos italiques). La mкme chose se produit aussi, par exemple, en q. 1, a. 4, obj. 5 et 8; q. 1, a. 8, obj, 10; q. 1. a. 9, obj. 14; q. 2, a. 12, obj. 9, etc. On trouve mкme un cas oщ aucun sed contra n’apparaоt ce qui, dans la Summa theologiae est presque exclusivement rйservй а des questions oщ il va de valider une liste (v.g., Summa theologiae, IIaIIae, q. 80).

[9]              Sur toute cette question, cf. B. Bazan , G. Fransen, JF Wippel, D Jacquart, Les questions disputйes et les questions quodlibйtiques dans les facultйs de thйologie, de droit et de mйdecine, Turnhout, coll. « Typologie des sources du moyen вge occidental 44-45 » , 1985, p. 13-149. On pourra relire aussi avec profit le neuviиme chapitre de M.-D. Chenu, Introduction а l’йtude de saint Thomas d’Aquin, Publication de l’Institut d’йtudes mйdiйvales 11, Montrйal-Paris, 1954 ainsi que le long article de P. Glorieux, « L’enseignement au Moyen вge. Techniques et mйthodes en usage а la Facultй de Thйologie de Paris au XIIIe siиcle », in Archives d’histoire doctrinale et littйraire du Moyen Age, 35 (1968), p. 65-186.

[10]            S. Thomas d’Aquin, Questiones disputatae, tome 2, Marietti, 1949, p. 703. Que penser par ailleurs de l’attente soutenue par le dйsir d’une prйsentation oщ il en irait de la cohйrence parfaite et complиte de la nature de la « vertu »? C’est lа une question pour un autre travail car je ne crois guиre possible de trouver un lieu thomasien oщ ce dйsir et cette attente trouveraient satisfaction!

[11]            D’ailleurs, la correctio avait fait deux brиves apparitions dans le traitement des questions antйrieures du  De virtutibus in communi en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10.

[12]            Il est intйressant de voir le P. Bernard, dans les notes doctrinales thomistes expliciter le texte de la Somme thйologique comme si l’importation avouйe et rйpйtйe de cet йlйment de la question disputйe allait de soi (Somme thйologique, La vertu, tome premier, Paris, Йditions de la Revue des jeunes, 1933, p. 382-384) et qu’il ne se pose pas la question de l’absence de ces traits dans la nйgociation thйologique propre а la Somme thйologique.

[13]            Q. 1, a. 1, ad 13; q. 1, a. 4, ad 2; q. 2, a. 6, ad 15; q. 2, a. 13, ad 1; q. 5, a. 4, ad 13.

[14]            Q. 1, a. 12, ad 24.

[15]            Q. 3, a. 1, ad  19 : « si correctio secundum debitas circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis discordiarum causis.” 

[16]            F. Nietzsche, Aurore, Prйface de 1886 § 5.

[17]            Nй en en 1935, Jacques Mйnard a йtй professeur d'histoire du Moyen Вge а l'Universitй de Montrйal (Canada) pendant une trentaine d'annйes. Il a enseignй en particulier l'histoire des rapports entre religion et politique au Moyen Вge; Il a йtй aussi chargй pendant plusieurs annйes des cours sur l'histoire du latin mйdiйval. Il est actuellement le plus efficace collaborateur du projet http://docteurangelique.free.fr pour la traduction et l’йdition des њuvres complиtes de saint Thomas d’Aquin.

[18]            Actuellement en retraite, Raymond Berton est titulaire d'un Doctorat d’Йtat franзais, consacrй а Abraham dans la littйrature patristique latine. Il a rйalisй deux traductions du De potentia de saint thomas d’Aquin. Il travaille en ce moment sur le Commentaire des Sentences. Le 1er septembre 2005, il nous annonce son projet de prendre en main tout le livre 1 pour le projet http://docteurangelique.free.fr .

[19]            I Sent. d. 17,q. 1, a. 1. IIa//IIж q. 23, a. 2 ;

[20]            les paroles de l’Apфtre, Sermon 18 et 28 (161 et 180).

[21]            Le texte d’Augustin La Trinitй, VIII, VIII, 12 : Diligat fratrem, et diliget eamdem dilectionem. Trad. BA p. 63 : « Qu’il aime son frиre, il aimera ce mкme amour. Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime, que son frиre qu’il aime».

[22]            Augustin, mкme rйfйrence : «Apertissime enim in eadem Epistula …dicit …… Ista contextio satis aperteque declarat, eamdem ipsam fraternem dilectionem…(nam fraterna dilectio est, qua diligimus invicem) non solum ex Deo, sed etiam Deum esse tanta auctoritate praedicari ». Trad. BA (p65) : « Ce contexte est assez clair. Il montre que cette charitй fraternelle… non seulement vient de Dieu, mais qu’elle est Dieu…

[23]            La Trinitй, XV, XVII, 27. : « Nous n’irons pas dire en effet que, si Dieu est appelй charitй, c’est non pas que la charitй elle-mкme soit une substance qui mйrite le nom de Dieu, mais c’est qu’elle est un don de Dieu, au sens par exemple oщ le psalmiste dit а Dieu : « Tu es ma patience. »… Mais il n’est pas dit : « Seigneur, ma charitй », ou « Dieu ma charitй ». Il est dit : « Dieu est charitй », comme il est dit : « Dieu est Esprit ». (Jn 4, 24). (Trad. BA 16, p. 27-28).

[24]            Augustin la Trinitй, VIII, VIII, 12 :« Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime que son frиre qu’il aime. Et voilа dиs lors que Dieu lui est mieux connu que son frиre ; beacoup mieux connu, par que prйsent…Embrasse le Dieu amour et tu embrasseras Dieu par amour » Trad. BA 16 p. 63.

[25]            L’expression se trouve en Ia//IIж 49, a. 1 sc. C’est Aristote qui le dit Catйgories 8, 9 a 5.

[26]            Les quatre dйfinitions de la nature donnйe par Boиce (Contre Eutychиs et Nestorius, ou la Personne du Christ, 1) ;

                1. Les choses corporelles ou incorporelles, ce qui peut кtre saisi par l’intellect. ». Le terme nature s’applique а des choses qui, puisqu’elles sont, peuvent кtre saisies de quelque maniиre. Accident et substance sont donc compris dans cette dйfinition, car tous peuvent кtre saisis.

                2. « Est une nature ce qui peut ou agir ou pвtir.

                3. « La nature est le principe du mouvement par soi et non par accident » (Cf. Physique, 192 b)

                4. « La nature est la diffйrence spйcifique qui donne sa forme а chaque chose ». (Trad. H. Merle)

                J. Maritain nous invite a considйrer en plus de ce que nous appelons nature « la nature de tout кtre ». C’est dans ce sens qu’il faut comprend l’emploi du mot dans ce qui suit.

[27]            Il s’agit des dix catйgories (Catйgories, 4, 1 b 25).

[28]            La pйlagianisme est une hйrйsie en matiиre de thйologie de la grвce, promue par le moine Pйlage (dйbut du Ve siиcle). Sa doctrine se rйsume ainsi : « L’homme peut accomplir les commandements de Dieu par ses propres forces sans qu’il ait besoin pour cela d’un concours divin intйrieur а la volontй ». (Ch Baumgartner, La grвce du Christ, p. 14. Cette opinion a йtй ombattue par Augustin.

                On trouve en I Sent. d. 17, q. 1, a. 1, arg. 8 le mкme raisonnement mais plus clair. Le syllogisme consiste а dire : 1. Le crйй est une nature – 2. Si la charitй est crййe elle est une nature, qui apporte des mйrites – 3. Donc en conclusion une nature apporte du mйrite, ce qui est la doctrine de Pйlage.

[29]            Cf. I Sent. D. 17,q. 1,a.2 : « La charitй est-elle un accident ? »

[30]            Comprendre un кtre naturel, sans apport de la grвce.

[31]            « Le Maоtre… affirme que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme habitant notre вme » (IIa IIж, q. 23, a. 1, c.

[32]            « D’autres actes vertueux procиdent de l’Esprit saint par la mйdiation des habitus d’autres vertus. » Il cite l’espйrance et la foi (IIa IIж, q. 23, a. 2 c.).

[33]            Thomas distingue intrinsиque et interne. Ce qui est intrinsиque appartient а la nature et en dйpend, opposй а un mouvement intйrieur.

[34]            « …parce que le pйchй ne corrompt pas entiиrement la nature humaine…il reste que l’homme dans cet йtat peut, par son pouvoir naturel, rйaliser les biens particulier, comme bвtir une maison et planter des vignes » Ia, IIж q. 109, a. 2, c.

[35]            ParallIIaIIж, q. 23, a. 3. II Sent. d. 27, q. 2, a. 2.

[36]            Le texte dit diligere vel amare. Les deux mots se traduisent pour nous par « aimer », (Ia IIж, q. 26, a. 3) : « L’amour est-il la mкme chose que la dilection ». « L'amour est le plus commun; car toute dilection ou charitй est amour; mais l'inverse n'est pas vrai. Car la dilection, comme le mot l'indique, ajoute а l'amour l'idйe d'un choix, d'une "йlection" antйcйdente. Ce qui fait que la dilection ne se trouve pas dans le concupiscible mais seulement dans la volontй, et dans la seule nature rationnelle. Enfin la charitй ajoute а l'amour une certaine perfection, car ce qu'on aime de charitй est estimй d'un grand prix, comme l'indique le nom mкme de charitй ».

[37]            Cf. Ia IIж, q. 23, a. 1, c.

[38]            L‘amitiй ne concerne que les individus entre eux et non la vie de la citй.

[39]            La mйdiйtй de la vertu selon Aristote : « J’entends par moyen dans la chose ce qui s’йcarte а йgale distance de chacun des deux extrкmes ». (Ethique ; II, 5 1106 a 27). Sur « nos њuvres bien rйussies… il est impossible de rien retrancher ni de rien ajouter. Voulant signifier par lа que l’excиs et le dйfaut dйtruisent la perfection tant que la mйdiйtй la prйserve… ». (Ibid. 1106 b 10).(Trad. J. Tricot).

[40]            Cf. IIaIIж q. 23, a. 2, arg. 2 : « Mais la charitй n’est pas le dernier degrй (ultimum) mais c’est plus la joie et la paix. Donc il semble que la charitй n’est pas une vertu, mais c’est la joie et la paix qui en sont une ».

[41]            En IIaIIж, q. 23, a. 1, sc., il cite Jn 15, 15 : « Je ne vous appeler plus serviteur, mais mes amis ».

[42]            Thomas йtudie trois cas oщ s’exerce la vertu d’amour : l’acte de raison, l’opйration de l’artisan et celle de l’homme en tant que citoyen, appliquйe en parallиle а la citoyennetй de la Jйrusalem cйleste.

[43]            Parall. : IIaIIж, q. 23, a. 8 – II Sent., d. 26, a. 4, ad 5. – III Sent., d. 23, q. 3, a. 1, q. 1 – d. 27, q. 2, a. 4 ; qa. 3 – Q. de verit., q. 11, a. 5, - De malo, q. 7, a. 2.

[44]            « Vertu unique » Cf. arg. 6, 8, 9, 10, 12

[45]            Citations en italique

[46]            La rйfйrence donnйe par l’йdition Marietti est fausse ; le II, 13 n’existe pas.

[47]            Parall. : IIa IIж, q. 23, a. 4 – III Sent., d. 27, q. 2, a. 4, qa. 2 — De Malo, q. 7, a. 2, q. 9, a. 2.

[48]            Ia, IIж, q. 52, a. 1 – q. 66, a. 1. I Sent., d. 17, q. 2, a. 1 – De Malo, q. 7, a. 2 – Quodl., 9, q. 6.

[49]            Parall. : IIa IIж q. 25, a. 3.- III Sent. d. 28, a. 2.

[50]            Il s’agit des talents.

[51]            La liste des dйfauts et vices citйs par saint Paul est bien plus longue.

[52]            Parall. : IIa IIж, q. 25, a. 8, q. 83, a. 8 – III Sent. , d. 30, a ; 1 – De duobus Praecept, cap. De dilect, prox. de Perf. Vitae spir., cap. XIV, Ad Rm 12, lectio 3.

[53]            Mais saint Jean ajoute aussitфt : « Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos ennemis… (5, 44).

[54]            La rйfйrence semble fausse.

[55]            L’autoritй judiciaire lйgale.

[56]            Parall. : IIa IIж, q. 26, a. 1 – III Sent. d. 29, a. 1.

[57]            « Il m’a menйe au cellier et la banniиre qu’il dresse sur moi est l’amour » (BJ.).

[58]            Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 8, - q. 184, a. 2 – II Sent. d. 27, q. 3, a ; 4 – De perf. vit spir., cap. III, sq. Ad Philipp., c. 3, lect. 2 -

[59]            « Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que demeurer dans ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision... » (BJ).

[60]            Qui jouit de la vision bйatifique.

[61]            Parall. : III Sent. d. 20, a. 8, q.a. 2.

[62]            « Qui fait jamais campagne а ses propres frais ? » (BJ).

[63]            Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 11 — CG. IV, 70 — Ad Rom., c. 8, lect. 7 — Ad cor., c. 13, lect. 3. Cet article est souvent la reprise, parfois mot а mot, de l’art. 11 de IIa IIж, q. 24.

[64]            Homйlie sur la Pentecфtes (cf. IIa IIж, q. 24, a ; 11, arg. 3).

[65]            Cf. a. 1.

[66]            Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 12 – III sent., d. 31, q. 1, a. 1.

[67]            Rйfйrence apparemment fausse.

[68]            Le prйcepte est un terme technique, opposй au conseil. Le prйcepte s’impose а tous (exemple : la charitй), le conseil а certains (pauvretй, chastetй, etc.).

[69]            Parall. : IIaIIж, qu. 33, a. 2 – IV Sent., d. 19, qu. 2, a. 2, q.a 1.

[70]            Proverbes 9, 8 « Ne reprends pas le railleur, il te haпrait, reprends le sage, il t'aimera ». B.J.

[71]            « … comme certains nous accusent outrageusement de le dire, devrions-nous faire le mal pour qu'en sorte le bien? Ceux-lа mйritent leur condamnation » (Rm 3, 8).

[72]            L’onction de l’Esprit saint.

[73]            Parall. : IIa, IIж, q. 33, a. 3 — IV Sent., dist. 11, q. 2, a. 3 q. a 1 — Quodl., I, q. 7, a. 2 — XI, q. 10, a. 1, 2, In Matth., c. 40.

[74]            « CORRECTION FRATERNELLE, 7. Et si dans quelqu'un de vos frиres vous remarquez ce regard immodeste dont je parle, avertissez-le de suite, afin que sa faute ne se prolonge point, mais qu'il s'en corrige au plus tфt. Si, aprиs votre avis, et en quelque jour que ce soit, vous le voyez retomber, celui qui aura pu l'observer doit le dйcouvrir comme un blessй qu'il faut guйrir. Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а un troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou trois tйmoins (2) et retenu par une crainte salutaire. Mais ne croyez pas кtre malveillants en le faisant connaоtre; vous кtes coupables au contraire quand vous laissez pйrir par votre silence des frиres que vous pouvez corriger en parlant ».

[75]            « …devant ceux qui doivent le convaincre s'il nie , le signaler au supйrieur, dans la crainte qu'une correction trop secrиte ne lui permette de dissimuler devant les autres ».

[76]            « Tu conservais un front de prostituйe, refusant de rougir ». (BJ).

[77]            « Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а un troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou trois tйmoins et retenu par une crainte salutaire ».

[78]            Il s’agit de Job.

[79]            Nйe en 1980, Anne Michel a suivi des йtudes classiques, jusqu'а l'obtention d'une maоtrise de lettres classiques (Le livre IV de la Johannide de Corippe: introduction, traduction et notes), d'une maоtrise de philosophie (Les vertus cardinales chez saint Thomas d'Aquin: une question disputйe, introduction et traduction) et d'un DEA de papyrologie (Edfou а l'йpoque byzantine : des ostraca grecs inйdits de l'IFAO).