Une
prйface possиde une fonction d’exposition. Encadrant un texte, du coup, elle
l’expose. Elle offre une perspective pour le regarder, assigne un point de vue
au lecteur. А tout le moins, elle en dйsigne un parmi d’autres possibles. Pour
ce faire, elle doit jouer de contrastes et de lumiиres. Pour un texte ancien,
il importe qu’elle fasse surgir quelque chose du contexte de rйdaction et de
rйflexion. Mais cela ne suffit pas. Elle signale aussi l’actualitй de ce qui se
joue dans le texte.
Vertus а la mode
Les « vertus »
reviennent а la mode. Dans le monde philosophique anglophone, certainement,
depuis les travaux de Philippa Foot il y a prиs de quarante ans et ceux plus
rйcent de Alasdair MacIntyre, les « йthiques de la vertu » (virtueethics) se sont multipliйes[2]. Et, grвce
а des traductions, ces discussions rйcentes nourrissent dйsormais des
discussions dans le monde francophone. Pour diffйrentes raisons, dans divers
milieux catholiques, le mot « vertu » et ce а quoi il ferait
rйfйrence reviennent aussi en force sur le devant de la scиne. Dans plusieurs
de ces cas, le nom de Thomas d’Aquin est utilisй comme garant, comme autoritй.
Il aurait structurй une de ces йthiques de la vertu ou des vertus.
J’йcris ceci au conditionnel car l’йcart me semble parfois tel entre la
nйgociation thйologique thomasienne et les entreprises actuelles que son
patronage risque fort de porter а faux ou d’entraоner dans des quiproquos
malheureux.
Retour donc а une doctrine
thomiste, а l’autoritй du docteur commun. Mais attention, les pensйes du
« retour » sont souvent dangereuses et les retours plus imaginaires
et fantasmйs qu’autre chose. Il serait peut-кtre mieux et а long terme plus
fructueux encore, de parler d’un tour par les textes signйs « Thomas
d’Aquin » pour les dйcouvrir : d’un tour de leur diversitй, de leurs
parallиles, d’une dйcouverte de leurs йcarts, voire de leurs tensions, selon la
diversitй possible des hermйneutiques inventйes pour ces lectures.
La prйsente traduction des
questions disputйes De virtutibus in communi participe de ce mouvement
car elle offre la premiиre traduction complиte de ces questions peu
frйquentйes. Elle facilitera la tвche de qui voudra plonger dans les dynamiques
des nйgociations et traitements, philosophiques et thйologiques, du thиme
thomasien de la vertu et de sa place importante dans l’йconomie de l’agir
humain tendu par Dieu vers Dieu pour que l’кtre humain, contemplant Dieu,
jouisse de Dieu.
Il faut l’avouer, ces questions
disputйes avaient йtй peu prйsentes explicitement dans la discussion, mкme
entre thomistes, jusqu’а prйsent dans les lieux classiques francophones,
pourtant elles les hantaient. Ainsi, par exemple, le P. Bernard leur faisait
une belle place dans ces notes explicatives et dans ses notes
« doctrinales » а la fin des deux volumes sur la vertu dans l’Йdition
dite de la « Revue des jeunes » de 1933-1934. Mais alors, s’agissant
d’йclaircir ou de prolonger des aperзus de la Summatheologiae,
ces questions disputйes n’йtaient pas travaillйes en et pour elles-mкmes; leurs
йconomies propres n’йtaient pas nйcessairement respectйes et la mise en
discours particuliиre de leurs dйterminations aisйment escamotйes. On les
pillait pour construire une « doctrine », pour produire un systиme,
jamais йnoncй et impensable а l’йpoque de la rйdaction des questions disputйes
et de la Summa theologiae. Heureusement, on remarque un lent changement
dans cette pratique grвce а quelques publications rйcentes sur un point ou
l’autre de ces questions elles-mкmes[3].
Une
collection de questions
De virtutibus in communi est un assemblage relativement
bref de questions thйologiques parmi les « questions disputйes » signйes
Thomas d’Aquin. Seulement cinq questions pour un total de trente-six articles.
Par contraste, le De malo, par exemple, en compte 15 avec un total de 96
articles ou le De veritatae avec ses vingt-sept questions et deux cents
cinquante-trois articles, dans un contexte historique particulier, ou le De
potentia, avec dix questions. Mais plus long que le De Anima avec
son unique question de vingt-et-un articles ou du De unione verbi incarnati
avec seulement cinq article en une question. Pour expliquer ces diffйrences, il
faut recourir, entre autre, а la distinction entre les disputes
« privйes » et les « publiques » et а la distinction entre
la dispute ayant eu lieu effectivement et la « rйdaction » а laquelle
elle donna lieu par la suite. De plus, а propos de certaines piиces du texte de
la premiиre question disputйe portant sur les vertus en gйnйral, les йditions
existantes signalent un « ajout » signй de « Vincent de Castel
novo », dominicain, qui s’йtend de l’ad 9 jusqu’а la fin du
deuxiиme article[4].
Tous les catalogues anciens les
situent explicitement а l’йpoque du second enseignement parisien de Thomas
d’Aquin, dont on pourra lire les enjeux philosophiques et thйologiques ainsi
que leur complexitй dans les ouvrages du P. Wйber sur l’« homme » et
la « personne » et dans les mises en contexte par Alain de Libera de
la querelle anti-averroпste sur l’unitй de l’intellect а cette pйriode[5]. Les
recherches les plus rйcentes, en attendant la publication de l’йdition critique
par la Commission lйonine, les datent de la fin de ce second sйjour, soit entre
1271 et 1272[6].
Ces recherches tablent sur des critиres externes car rien dans le texte comme
tel des questions disputйes en cause n’offre de prise pour une datation
prйcise. Ces questions auraient donc eu lieu et auraient йtй rйdigйes de
maniиre parallиle а la nйgociation de la Prima Secundae de la Summa
theologiae.
Une
organisation diffйrente
Et, pourtant, les questions sont
regroupйes et posйes autrement. De plus, l’йquilibre des autoritйs
patristiques, philosophiques, bibliques et ecclйsiastiques n’est pas le mкme.[7] Une prйface
n’est pas lа pour analyser tous les enjeux de ces dйplacements et diffйrences.
Un bref tableau, pour la premiиre question sur la vertu en gйnйral,
indique clairement l’ampleur des transformations et transmutations:
De virtutibus in communi
Summa Theologiae, Prima Secundae
Article 1
q. 55, a. 1
Article 2
q. 55, a. 4
Article 3
q. 56, a. 1
Article 4
q. 56, a. 3
Article 5
q. 56. a. 6
Article 6
q. 57, a. 5 (plus ou moins
parallиle)
Article 7
q. 56, a. 3 et q. 57, a. 1
Article 8
q. 63, a. 1
Article 9
q. 63, a. 2
Article 10
q. 63, a. 3
Article 11
q. 63, a. 3 et 4 (plus ou
moins parallиle) mais aussi q. 52, a. 1 et 66, a. 1
Article 12
q. 57, a. 2, 4 et 6 et q. 58,
a. 2 (plus ou moins parallиle)
Article 13
q. 64, a. 1 quant а la
question йnoncйe; incluant des parties des articles 2, 3 et 4 quant au
contenu
Un rйamйnagement de l’ordre aussi radical a lieu а propos des
vertus cardinales :
De virtutibus in communi q. 5
Summa Theologiae, Prima Secundae
Article 1
q. 61, a. 4
Article 2
q. 65
Article 3
q. 66, a. 2
Article 4
q. 67, a. 1
De plus, comme presque toujours,
lа oщ la Summa theologiae se contente de trois ou quatre
« objections », les questions disputйes en regorgent : jusqu’а
vingt-sept pour l’article 12 de la question sur les vertus en gйnйral avec un sed
contra de quatre objections pour l’article septiиme! De plus, les
objections elles-mкmes peuvent кtre complexifiйes par des sed contra internes
aux objections elles-mкmes comme on le voit pour la question 3, a. 1, obj. 2, а
propos de la correction fraternelle[8]. La
multiplication et la complication de ces perspectives irrйductibles
construisent un espace plus en tension pour le respondeo et la determinatio
magistrale qui s’y nйgocie et s’y configure. Du point de vue de la
reconstitution historique du contexte des « disputes », cela
requerrait une enquкte fine sur les manuscrits de l’йpoque et des maоtres
parisiens et autres pour identifier les tenants possibles de ces positions,
mais aussi pour la reconstruction des enjeux philosophiques et thйologiques
soulevйs. Cette multiplication a trait а la nature mкme de la question disputйe
et а son mode de rйalisation concrиte dans le cadre universitaire de l’йpoque[9].
Logique de la suite des
questions
Difficile de
dйterminer, enfin, une logique faisant tenir ensemble un traitement des vertus
en gйnйral, de la charitй de la correction fraternelle, de l’espйrance et des
vertus cardinales. Les rйdacteurs des introductions aux diverses йditions
Marietti dйclarent : « Manifesto, hoc non est commentarium de
virtutibus ad modum integrum, perfectum et natura sua cohaerens.[10] »
Aucune logique n’est йnoncйe dans le texte. L’ordre d’ailleurs ne reproduit pas
celui de la Prima Secundae ou de la Secunda Secundae. Si on
voulait y voir la sйquence suivante : vertus en gйnйral, vertus
thйologales, vertus cardinales, d’une part, l’absence de la « foi »
dans le groupe surprendrait; d’autre part, la prйsence de la brиve question sur
la « correction fraternelle » pourrait йtonner. Mais, sur ce point,
il est possible d’offrir une explication. D’une part, la vertu thйologale de
« foi » avait fait l’objet dйjа d’une question (la douziиme) dans les
questions disputйes De veritate lors du premier enseignement parisien;
d’autre part, une nйgociation sur la charitй appelle le traitement de la
« correctiofraterna » comme il s’agit, selon la
structure de la Secunda secundae et ce qui est indiquй dans le corps de
cette question, d’un acte de la charitй (S.T., IIaIIae, q. 33)[11]. Pour sa
part la prioritй de la charitй sur l’espйrance йtant l’objet d’un traitement
propre а propos de l’espйrance (DVC, q. 4, a. 3 : « Utrum spes sit
prior caritate »), l’ordre suivi est cohйrent avec le contenu de la
discussion bien que cela entraоne un renversement de l’ordre habituel.
Mais alors rebondit la
question : pourquoi privilйgier la « correction fraternelle »
sur l’ensemble des autres actes de la charitй? Quelque chose dans la question
antйcйdente sur la charitй ou dans les deux articles qui en traitent
offrent-ils quelques йlйments de rйponse? Pas vraiment car les brиves
apparitions de la correctio dans le traitement des questions
antйrieures, soit en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10 ne
constituent guиre des appels ou des impйratifs а un traitement ultйrieur.
Cependant, ici, le parallиle avec la Summa theologiae peut encore
s’avйrer prйcieux. Sur les sept aumфnes spirituelles йnumйrйes en IIaIIae, q.
32, a. 2 а la suite des sept aumфnes corporelles, seule la correction fraternelle
reзoit comme telle un traitement explicite et dйveloppй dans le cadre du traitй
de la charitй. Ce traitement est dйployй sur huit articles divisйs en deux
groupes (qui corrige qui [articles 1 а 5] et comment corriger [article 6 а 8]);
la question disputйe ne retient que la premiиre question et en nйgocie une
autre qui n’a pas d’йquivalent en tant que question dans la Summa theologiae,
ce qui n’empкche pas les respondeo et les rйponses aux diverses
objections de couvrir une part du matйriel mis en discours dans les articles de
la question de la Summa theologiae.
Des
traitements originaux
Mais plus encore, sans parler de
transformation profonde de la pensйe dans le cas des questions qui nous
occupent – comme, а la mкme йpoque cela arrive avec la question 6 du De Malo
– il faut cependant reconnaоtre que le traitement varie ici. Je n’en veux
donner que deux exemples mais la comparaison vaudrait pour bien d’autres
questions ou articles du recueil De virtutibus in communi. Comparons
l’article premier du De virtutibus in communi а l’article premier de son
йquivalent dans la Summa theologiae, soit la question 55 de la Prima
Secundae. Au lieu des 15 objections du De virtutibus in communi nous
n’en retrouvons que cinq dans la Prima Secundae; et de ces cinq, seulement
trois se retrouvent dans la question disputйe correspondante et, encore, pas
tout а fait. De plus, le respondeo de la question 55ne
reprйsente que 14.2% du total du respondeo correspondant. Une partie du respondeo
de la question disputйe prend du matйriel dйjа nйgociй dans les questions
49, article 2 et surtout 51 article 2 de la Prima Secundae. Pourtant, ce
n’est que dans le respondeo de la question disputйe que l’on trouve
explicitйs et argumentйs les trois йlйments sur lesquels une certaine dйfinition
traditionnelle de la vertu thomasienne s’enracinera :
Premiиrement, afin qu’il y ait uniformitй dans son opйration : en
effet, ce qui dйpend de la seule opйration est facilement changй, а moins
d’кtre affermi par une inclination habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une
opйration parfaite soit toujours prкte. En effet, а moins que la puissance
raisonnable ne soit d’une certaine faзon inclinйe а une seule chose, il faudra
toujours que prйcиde une recherche sur une opйration, alors qu’il est
nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut examiner, alors qu’il
n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui veut agir selon la
vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la vertu. (…) Troisiиmement, afin
que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En effet, ce qui est
accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon une certaine nature,
rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et par consйquent
dйlectable.[12]
Le second exemple est tirй de la
derniиre question, celle portant sur les vertus cardinales. L’йconomie de la
nйgociation esttrиs diffйrente entre
les deux questions : les questions ne sont pas les mкmes (ce qui est
uni dans la question disputйe est dissйminй sur plusieurs questions dans la Summa
theologiae); le dйsйquilibre dans la longueur de le respondeo de la
question disputйe et celle de la Summa theologiae est encore plus
accentuй que dans l’exemple prйcйdent; le vocabulaire ne se recoupe guиre; la
problйmatique de la vertu « gйnйrale » ainsi que la tension entre la
perspective des vertus « principales » et celle des vertus
« cardinales » qui sous-tend la dйfinition de la vertu cardinale dans
la Summa theologiae n’apparaоt pas structurante dans la question
disputйe; enfin, la mйtaphore а laquelle on recourt trиs souvent, celle du
gond, n’est pas mise en scиne dans les questions gйnйrales sur les vertus
cardinales dans la Summa theologiae alors qu’elle ouvre la discussion de
la question disputйe et avait йtй utilisйe dиs la question sur la vertu en gйnйral
(q. 1, a. 12, ad 24).
Un
enjeu
Au
point nйvralgique de l’йthique se love l’acte de choisir, d’йlire[13], de choisir d’кtre
heureux, avec Dieu. Les nйgociations de questions disputйes sur les vertus en
gйnйral, sur la charitй, la correction fraternelle, l’espйrance et les vertus
cardinales, selon diverses perspectives, constituent l’йclaircissement des
conditions pour rendre possible l’acte de choisir de maniиre rapide, ferme et
plaisante. Elles signalent, le travail d’habituation nйcessaire de l’acteur humain
dans toutes ses dimensions. Elles tйmoignent de ce que travail passe par
l’engagement tant par soi-mкme que par l’intervention de Dieu qui vient se
rendre prйsent et dйsirable, dйjа aimant cet acteur pour qu’il choisisse de
l’aimer et espйrer en lui, puisse parvenir а choisir de vivre et de jouir
d’кtre а l’image de Dieu et d’кtre en route vers une contemplation dйjа amorcйe
mais encore en attente de complйtion qui dйpasse les limite des capacitйs
humaines. Mieux que le registre thйologal est comme une « porte »
pour la moralitй[14].
Sur ce chemin, la communautй des « prochains » joue un rфle et
l’acteur a une responsabilitй envers autrui : celle de l’aider а
s’habituer а choisir Dieu comme fin et ce qui mиne а Dieu et, du coup, а la
paix[15].
Mais
cet enjeu et l’йlaboration des rйponses se heurtent а plusieurs objections
liйes soit а des comprйhensions diffйrentes de la nature humaine et des aspects
constitutifs de l’agir et de la psychologie humains, soit de lectures et
d’interprйtations divergentes de l’Йcriture ou de la Tradition, soit encore
d’options thйologiques autorisйes а l’йcart des options nйgociйes par Thomas
d’Aquin. Parfois, aussi, des йlйments d’un respondeo servent
d’objections lors d’une mise а la question subsйquente. En ce sens, plus encore
que pour la Summa theologiae les objections et les rйponses aux
objections s’avиrent ici structurantes de la « doctrine » mise en
discours patiemment par Thomas d’Aquin. Ainsi,
il est possible de montrer que les objections sont massivement en provenance de
l’orbite augustinienne : sur 168 occurrences du nom de saint Augustin et
de ses oeuvres, 118 se retrouvent dans les objections; dans les respondeo,
on trouve seulement 23 recours а l’autoritй d’Augustin et 27 dans les rйponses
aux objections mкmes. Divers arguments sont aussi objectйs en provenance du
corpus aristotйlicien; mais lа le rapport est plus йquilibrй : pour
97 occurrences en positions d’objections, on trouve un total de 75 rйfйrences а
ce corpus dans les respondeo et les solutions aux objections. Un patient
travail pourrait кtre fait pour voir d’une part comment se nouent dans ces
questions disputйes ces deux grand fils conducteurs de la pensйe et comment,
d’autre part les rйfйrences bibliques trиs nombreuses (67 pour l’Ancien
Testament et 147 pour le Nouveau) sont tressйes avec ceux-ci.
Cette situation
invite а кtre attentif а la polysйmie des termes utilisйs au Moyen Вge et aussi
la plasticitй des concepts. Cela signale aussi qu’il n’existe pas une йconomie
discursive unique, unifiйe ou unifiante qui pourrait accorder toutes les
options ouvertes, surtout lorsque sont injectйs dans la discussion des йlйments
en provenance de la Parole de Dieu. Certaines des positions avec et contre
lesquelles la nйgociation thomasienne compose sont encore en circulation de nos
jours.
Conclusion
Dйsormais, le
lecteur est prкt а plonger dans le texte, а ce laisser surprendre par l’univers
de sens dont il est porteur, а s’y laisser questionner, а le soumettre
charitablement а la question. Surtout а lire lentement, а prendre son temps et
de fonctionner comme un patient orfиvre des mots et des arguments, pour faire
йcho au Nietzsche d’Aurore[16]. Reste а y dйcouvrir la
finesse philosophique et thйologique des analyses, certes, mais aussi ce
qu’elles offrent pour penser et mettre en discours, non loin de la
phйnomйnologie ou d’une psychologie, une anthropologie fondamentale. Reste а
repйrer les complйments, les йcarts par rapport aux textes plus connus de
Thomas d’Aquin et aux attentes qu’ils ont dйjа suscitйes et de construire pour
lui-mкme et en lui-mкme la cohйrence du discours thomasien oщ il y va pour le
lecteur de s’ajuster lа oщ il n’attendait peut-кtre pas de se retrouver. Reste
enfin et surtout peut-кtre а trouver les guйs et а inventer des protocoles pour
faire entrer ces riches analyses dans la discussion contemporaine.
1. En l’absence d’une йdition critique des questions
disputйes sur les vertus par saint Thomas d’Aquin, la prйsente traduction
franзaise se fonde sur l’йdition йlectronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, rйalisйe par Enrique Alarcуn, dans
le cadre du Corpus thomisticum
(Universitй de Navarre, 2006) : http://www.corpusthomisticum.org/.
2. Dans le texte latin du commentaire,
seules les rйfйrences aux chapitres de la Bible sont indiquйes, puisque que
tel йtait l’usage au XIIIe siиcle. Toutefois, pour la commoditй du
lecteur, les rйfйrences aux versets ont йtй ajoutйes dans la prйsente traduction,
chaque fois que ceux-ci ont pu кtre identifiйs. De mкme, les rйfйrences exactes
ont йtй rйtablies en cas d’erreur. Les abrйviations des livres bibliques sont
celles de La Bible de Jйrusalem, Paris,
1998. En cas de diffйrence de numйrotation des versets entre la version latine
de la Bible et La Bible de Jйrusalem, la numйrotation de La Bible de Jйrusalem a йtй retenue. La traduction
franзaise des textes bibliques suit d’aussi prиs que possible la version latine
de la Bible utilisйe par Thomas d’Aquin. On ne s’йtonnera donc pas de certains
йcarts par rapport а la version latine de la Bible reзue depuis le XVIe
siиcle ou par rapport а une traduction moderne de la Bible.
3. Les passages bibliques commentйs
par Thomas d’Aquin sont citйs en majuscules dans le corps du texte. Nous
indiquons aussi en majuscules et entre crochets le contexte des mots commentйs
par Thomas d’Aquin, lorsque cela semble nйcessaire pour la comprйhension du
commentaire. Les autres citations bibliques sont donnйes en italiques. Afin de
faciliter le repйrage des passages commentйs, la rйfйrence au chapitre et au
verset est donnйe en caractиres gras entre crochets а l’endroit oщ dйbute le
commentaire de Thomas d’Aquin sur chaque verset. Les citations autres que les
citations bibliques sont placйes entre guillemets.
4. La traduction a йtй rйalisйe en
2003 et en 2007 par Jacques Mйnard (question 1 et 4), Anne Michel (question 5),
Raymond Berton (Question 2 et 3), avec la collaboration du R.P. Dominique
Dupont, abbй de Solesmes et de Marie-Louise Evrard. Raymond Berton a unifiй la
traduction. Madame Dominique Pillet a assurй la relecture de l’ensemble. Le
professeur Maxime Allard op a rйdigй la prйsentation de l’oeuvre. La
coordination des travaux et la mise en forme de l’йdition йlectronique ont йtй
assurйs par Arnaud Dumouch, pour le projet http://docteurangelique.free.fr
Il semble que non, mais qu’elles sont plutфt
des actes.
[65478] De virtutibus, q.
1 a. 1 arg. 1 Augustinus
enim dicit in Lib. Retract., quod bonus usus liberi arbitrii est virtus. Sed
usus liberi arbitrii est actus. Ergo virtus est actus.
1. En effet, Augustin dit, dans le livre des Rйtractations, que le bon usage du
libre arbitre est la vertu. Or, l’usage du libre arbitre est un acte. La
vertu est donc un acte.
[65479] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, praemium non
debetur alicui nisi ratione actus. Debetur autem omni habenti virtutem; quia
quicumque in caritate decedit, ad beatitudinem perveniet. Ergo virtus est
meritum. Meritum autem est actus. Ergo virtus est actus.
2. Une rйcompense n’est due а quelqu’un qu’en
raison d’un acte. Or, elle est due а tous ceux qui possиdent la vertu, car
tous ceux qui meurent avec la charitй parviennent а la bйatitude. La vertu
est donc un mйrite. Or, le mйrite est un acte. La vertu est donc un acte.
[65480] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid
est in nobis Deo similius, tanto est melius. Sed maxime Deo similamur
secundum quod sumus in actu, quia est actus purus. Ergo
actus est optimum eorum quae sunt in nobis. Sed virtutes sunt maxima bona
quae sunt in nobis, ut Augustinus dicit in libro de libero arbitrio. Ergo virtutes sunt actus.
3. Plus ce qui est en nous est semblable а
Dieu, meilleur cela est. Or, nous sommes semblables а Dieu selon que nous
sommes en acte, car il est acte pur. L’acte est donc ce qu’il ce qu’il y a de
meilleur en nous. Or, les vertus sont les plus grands biens qui sont en nous,
comme le dit Augustin dans le livre Sur
le libre arbitre. Les vertus sont donc des actes.
[65481] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea,
perfectio viae respondet perfectioni patriae. Sed perfectio patriae est
actus, scilicet felicitas, quae in actu consistit, secundum philosophum. Ergo et perfectio viae,
scilicet virtus, actus est.
4. La perfection de la route [perfectio
viae]correspond la perfecton de la patrie [perfectio patriae].
Or, la perfection de la patrie est un acte, а savoir, la fйlicitй, qui
consiste dans un acte, selon le Philosophe. La perfection de la route, а
savoir, la vertu, est donc aussi un acte.
[65482] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea,
contraria sunt quae in eodem genere ponuntur, et mutuo se expellunt. Sed
actus peccati expellit virtutem ratione oppositionis quam habet ad ipsam. Ergo virtus est in genere
actus.
5. Les contraires se situent dans un mкme
genre et se repoussent mutuellement. Or, l’acte du pйchй repousse la vertu en
raison de son opposition qu’il a par rapport а elle. La vertu se situe donc dans
le genre de l’acte.
[65483] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophus
dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum de potentia : ultimum
potentiae est actus. Ergo virtus est actus.
6. Le Philosophe dit, dans Sur le ciel et le monde, I, que la
vertu est le point ultime d’une puissance. Or, le point ultime d’une
puissance est l’acte. La vertu est donc un acte.
[65484]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, pars rationalis est nobilior et
perfectior quam pars sensitiva. Sed vis sensitiva habet suam operationem nullo
habitu vel qualitate mediante. Ergo nec in parte intellectiva oportet ponere
habitus, quibus mediantibus pars intellectiva perfectam operationem habeat.
7. La partie raisonnable est plus noble et
plus parfaite que la partie sensible. Or, la puissance sensible exerce son
opйration sans l’intermйdiaire d’un habitus ou d’une qualitй. Il n’est donc
pas nйcessaire de situer dans la partie intellective les habitus, par
l’intermйdiaire desquels celle-ci exerce une opйration parfaite.
[65485] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, philosophus
dicit in VII Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Optimum
autem est actus; dispositio autem est eiusdem generis cum eo ad quod
disponit. Ergo virtus est actus.
8. Le Philosophe dit, dans Physique, VII, que la vertu est une
disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur. Or, ce qui est le
meilleur est un acte ; mais la disposition fait partie du mкme genre que
ce а quoi elle dispose. La vertu est donc un acte.
[65486]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus
Ecclesiae, quod virtus est ordo amoris : ordo autem, ut ipse dicit in XIX de
Civit. Dei, est parium dispariumque sua cuique tribuens loca dispositio.
Virtus ergo est dispositio : non ergo habitus.
9. Augustin dit, dans le livre Sur le comportement de l’Йglise, que
la vertu est l’ordre de l’amour. Or, l’ordre, comme il le dit lui-mкme dans La citй de Dieu, XIX, est une
disposition qui donne leur place а des choses йgales et inйgales. La vertu
est donc une disposition. Elle n’est donc pas un habitus.
[65487] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 10 Praeterea, habitus est
qualitas de difficili mobilis. Sed virtus est facile mobilis, quia per unum
actum peccati mortalis amittitur. Ergo virtus non est habitus.
10. L’habitus est une qualitй difficilement
changeable. Or, la vertu peut changer facilement, car elle est enlevйe par un
seul acte de pйchй mortel. La vertu n’est donc pas un habitus.
[65488] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, si habitibus
aliquibus indigemus, qui sint virtutes, aut indigemus ad operationes
naturales, aut meritorias, quae sunt quasi supernaturales. Non autem ad
naturales : quia si quaelibet natura, etiam sensibilis et insensibilis,
potest suam operationem perficere absque habitu, multo fortius hoc poterit
rationalis natura. Similiter nec ad operationes meritorias, quia
has Deus in nobis operatur : Philipp. II, 13. Qui
operatur in nobis velle et perficere, pro bona voluntate. Ergo nullo modo
virtutes sunt habitus.
11. Si nous avons besoin d’habitus, qui
seraient les vertus, ou bien nous en avons besoin pour des opйrations
naturelles, ou bien pour [des opйrations] mйritoires, qui sont pour ainsi
dire surnaturelles. Or, [nous n’en avons pas besoin] pour des [opйrations]
naturelles, car, si toute nature, mкme la sensible et l’insensible, peut
accomplir son opйration sans habitus, а bien plus forte raison la nature
raisonnable le pourra-t-elle. De mкme, [nous n’en avons pas besoin] pour les
opйrations mйritoires, car Dieu les accomplit en nous, Ph 2, 13 : Lui qui accomplit en nous le vouloir et
l’opйration, pour une bonne volontй. Les vertus ne sont donc d’aucune
maniиre des habitus.
[65489]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne agens secundum formam, semper agit
secundum exigentiam illius formae, sicut calidum agit semper calefaciendo. Si
ergo in mente sit aliqua habitualis forma quae virtus dicatur, oportebit quod
habens virtutem, secundum virtutem operetur; quod est falsum : quia sic quilibet
habens virtutem esset confirmatus. Ergo virtutes non sunt
habitus.
12. Tout ce qui agit selon une forme agit
toujours selon que l’exige cette forme, comme le chaud agit toujours en
rйchauffant. Si donc il existe dans l’esprit une forme habituelle appelйe
vertu, il sera nйcessaire que celui qui possиde la vertu agisse selon la
vertu, ce qui est faux, car ainsi quiconque possиde la vertu serait confirmй
[dans la vertu]. Les vertus ne sont donc pas des habitus.
[65490]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 13 Praeterea, habitus
ad hoc
insunt potentiis, ut tribuant eis facilitatem operandi. Sed ad actus virtutum
non indigemus aliquo facilitatem faciente, ut videtur. Consistunt enim
principaliter in electione et voluntate : nihil autem est facilius eo quod
est in voluntate constitutum. Ergo virtutes non sunt habitus.
13. Les habitus sont inhйrents aux puissances
afin de leur donner une facilitй d’agir. Or, pour les actes des vertus, nous
n’avons pas besoin de quelque chose qui assure la facilitй, semble-t-il. En
effet, ils consistent principalement dans le choix et la volontй. Or, rien
n’est plus facile que ce qui est dйterminй par la volontй. Les vertus ne sont
donc pas des habitus.
[65491] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 14 Praeterea, effectus non
potest esse nobilior quam sua causa. Sed si virtus est habitus, erit causa
actus, qui est habitu nobilior. Ergo non videtur conveniens quod virtus sit
habitus.
14. L’effet ne peut pas кtre plus noble que la
cause. Or, si la vertu est un habitus, la cause de l’acte, qui est plus noble
que l’habitus, en sera aussi un. Il ne semble donc pas appropriй que la vertu
soit un habitus.
[65492]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt unius generis. Sed
virtus moralis est medium inter passiones; passiones autem sunt de genere
actuum. Ergo, et cetera.
15. Le milieu et les extrкmes appartiennent au
mкme genre. Or, la vertu morale est un milieu entre des passions. Or, les
passions font partie du genre des actes. Donc, etc.
Cependant :
[65493] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra. Virtus,
secundum Augustinum, est bona qualitas mentis. Non autem potest esse in
aliqua specie nisi in prima, quae est habitus. Ergo virtus est habitus.
1. La vertu, selon Augutin, est une bonne
qualitй de l’esprit. Or, elle ne peut кtre dans une autre espиce que la
premiиre, qui est l’habitus. La vertu est donc un habitus.
2. Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu un habitus
йlectif йtabli dans l’esprit.
[65495]
De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt in dormientibus; quia non
amittuntur nisi per peccatum mortale. Non sunt autem in eis
actus virtutum, quia non habent usum liberi arbitrii. Ergo virtutes non sunt actus.
3. Les vertus existent chez ceux qui dorment,
car elles ne sont enlevйes que par le pйchй mortel. Or, il n’existe pas chez
eux d’actes des vertus, car ils n’ont pas l’usage du libre arbitre. Les
vertus ne sont donc pas des actes.
Rйponse
:
[65496]
De virtutibus, q. 1 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod virtus, secundum sui
nominis rationem, potentiae complementum designat; unde et vis dicitur,
secundum quod res aliqua per potestatem completam quam habet, potest sequi
suum impetum vel motum. Virtus enim, secundum suum nomen, potestatis
perfectionem demonstrat; unde philosophus dicit in I caeli et mundi, quod
virtus est ultimum in re de potentia. Quia
vero potentia ad actum dicitur, complementum potentiae attenditur penes hoc
quod completam operationem suscipit. Quia vero operatio est finis operantis,
cum omnis res, secundum philosophum in I caeli et mundi, sit propter suam
operationem, sicut propter finem proximum; unumquodque est bonum, secundum
quod habet completum ordinem ad suum finem. Inde est quod virtus bonum facit
habentem, et opus eius reddit bonum, ut dicitur in II Ethic.; et per hunc
etiam modum patet quod est dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII
Metaph. Et haec
omnia conveniunt virtuti cuiuscumque rei. Nam virtus equi est quae facit
ipsum bonum, et opus ipsius; similiter virtus lapidis, vel hominis, vel
cuiuscumque alterius. Secundum autem diversam conditionem potentiarum,
diversus est modus complexionis ipsius. Est enim aliqua potentia tantum
agens; aliqua tantum acta vel mota; alia vero agens et acta. Potentia igitur
quae est tantum agens, non indiget, ad hoc quod sit principium actus, aliquo
inducto; unde virtus talis potentiae nihil est aliud quam ipsa potentia.
Talis autem potentia est divina, intellectus agens, et potentiae naturales;
unde harum potentiarum virtutes non sunt aliqui habitus, sed ipsae potentiae
in seipsis completae. Illae vero potentiae sunt tantum actae quae non agunt
nisi ab aliis motae; nec est in eis agere vel non agere, sed secundum impetum
virtutis moventis agunt; et tales sunt vires sensitivae secundum se
consideratae; unde in III Ethic. dicitur, quod sensus nullius actus est
principium : et hae potentiae perficiuntur ad suos actus per aliquid
superinductum; quod tamen non inest eis sicut aliqua forma manens in
subiecto, sed solum per modum passionis, sicut species in pupilla. Unde nec
harum potentiarum virtutes sunt habitus, sed magis ipsae potentiae, secundum
quod sunt actu passae a suis activis. Potentiae vero illae sunt agentes et
actae quae ita moventur a suis activis, quod tamen per eas non determinantur
ad unum; sed in eis est agere, sicut vires aliquo modo rationales; et hae
potentiae complentur ad agendum per aliquid superinductum, quod non est in eis
per modum passionis tantum, sed per modum formae quiescentis, et manentis in
subiecto; ita tamen quod per eas non de necessitate potentia ad unum cogatur;
quia sic potentia non esset domina sui actus. Harum potentiarum virtutes non
sunt ipsae potentiae; neque passiones, sicut est in sensitivis potentiis;
neque qualitates de necessitate agentes, sicut sunt qualitates rerum
naturalium; sed sunt habitus, secundum quos potest quis agere cum voluerit ut
dicit Commentator in III de anima. Et Augustinus in Lib. de bono coniugali
dicit, quod habitus est quo quis agit, cum tempus affuerit. Sic ergo patet
quod virtutes sunt habitus. Et qualiter habitus distent a secunda et tertia
specie qualitatis, qualiter autem a quarta differant, in promptu est : nam
figura non dicit ordinem ad actum quantum in se est. Ex his etiam potest
patere quod habitus virtutum ad tria indigemus. Primo ut sit uniformitas in
sua operatione; ea enim quae ex sola operatione dependent, facile immutantur,
nisi secundum aliquam inclinationem habitualem fuerint stabilita. Secundo ut operatio perfecta in promptu habeatur. Nisi enim potentia
rationalis per habitum aliquo modo inclinetur ad unum, oportebit semper, cum
necesse fuerit operari, praecedere inquisitionem de operatione; sicut patet
de eo qui vult considerare nondum habens scientiae habitum, et qui vult
secundum virtutem agere habitu virtutis carens. Unde philosophus dicit in V
Ethic., quod repentina sunt ab habitu. Tertio ut delectabiliter perfecta
operatio compleatur. Quod quidem fit per habitum; qui cum sit per modum
cuiusdam naturae, operationem sibi propriam quasi naturalem reddit, et per
consequens delectabilem. Nam convenientia est delectationis causa; unde
philosophus, in II Ethic., ponit signum habitus, delectationem in opere
existentem.
Il faut dire que la vertu, selon le sens du
mot, dйsigne l’achиvement d’une puissance. Aussi est-elle appelйe une force,
selon laquelle une chose, en vertu de la puissance achevйe qu’elle possиde,
peut suivre son йlan ou son mouvement. En effet, la vertu, selon le sens du
mot, exprime la perfection d’une puissance. Aussi le Philosophe dit-il, dans Le ciel et le monde, I, que la vertu
est le point ultime de la puissance dans une chose. Or, comme la puissance se
dit par rapport а l’acte, l’achиvement d’une puissance se prend du fait
qu’elle reзoit une opйration achevйe. Mais comme l’opйration est la fin de
celui qui agit, et comme toute chose, selon le Philosophe, dans Le ciel et le monde, I, existe pour
son opйration comme pour sa fin prochaine, toute chose est bonne selon
qu’elle possиde un ordre achevй а sa fin. De lа vient que la vertu rend bon
celui qui la possиde et rend bonne son action, comme il est dit dans Йthique, II. De cette maniиre aussi,
il ressort clairement qu’elle est une disposition de ce qui est parfait а ce
qui est le meilleur, comme il est dit dans Mйtaphysique, VII. Et tout cela convient а la vertu de n’importe
quelle chose. Car la vertu du cheval est ce qui le rend bon, ainsi que son
opйration ; de la mкme maniиre, la vertu de la pierre, de l’homme ou de
n’importe quelle autre chose. Or, selon la condition diverse des puissances,
divers est le mode de sa complexion. En effet, il existe une puissance qui
est seulement active ; une autre est seulement passive ou mue ;
mais une autre est active et passive. La puissance qui est seulement active
n’a donc pas besoin, pour кtre le principe d’un acte, de quelque chose
d’ajoutй ; aussi la vertu d’une telle puissance n’est-elle rien d’autre
que la puissance elle-mкme. Or, une telle puissance est [la puissance]
divine, l’intellect agent et les puissances naturelles. Aussi, les vertus de
ces puissances ne sont-elles pas des habitus, mais les puissances elles-mкmes
en tant qu’elles sont achevйes en elles-mкmes. Mais les puissances seulement
passives sont celles qui n’agissent que si elles sont mues par quelque chose
d’autre ; elles n’ont pas non plus en elles-mкmes le pouvoir d’agir ou
de ne pas agir, mais elles agissent sous l’impulsion de la puissance qui
meut. Telles sont les puissances sensibles considйrйes en elles-mкmes. Aussi
est-il dit dans Йthique, III, que
le sens n’est le principe d’aucun acte. Et ces puissances sont perfectionnйes
en vue de leurs actes par quelque chose d’ajoutй, qui n’existe cependant pas
en elles comme une forme demeure dans un sujet, mais seulement par mode de
passion, comme l’espиce dans la pupille. Il dйcoule de cela que les vertus de
ces puissances ne sont pas non plus des habitus, mais plutфt les puissances
elles-mкmes, selon qu’elles subissent l’action de ce qui les active. Mais les
puissances qui sont а la fois actives et passives sont mues par ce qui les
active de telle maniиre qu’elles ne sont cependant pas dйterminйes а une
seule chose, mais qu’il leur est possible d’agir, comme des puissances en
quelque sorte raisonnables. Et ces puissances sont achevйes en vue d’agir par
quelque chose d’ajoutй, qui n’existe pas en elles seulement par mode de
passion, mais par mode d’une forme qui repose et demeure dans un sujet, de
telle maniиre, cependant, que, par elles, une puissance n’est pas
nйcessairement forcйe а une seule chose, car ainsi cette puissance ne serait
pas maоtresse de son acte. Les vertus de ces puissances ne sont pas les
puissances elles-mкmes ; elles ne sont pas non plus des passions, comme
c’est le cas pour les puissances sensibles ; elles ne sont pas non plus
des qualitйs qui agissent par nйcessitй, comme les qualitйs des choses
naturelles. Mais elles sont des habitus par lesquels quelqu’un peut agir
lorsqu’il le veut, comme le dit le Commentateur, dans Sur l’вme, III. Et Augustin dit, dans le livre Le bien conjugal, que l’habitus est ce
par quoi quelqu’un agit, lorsque le moment est venu. Il est donc clair que
les vertus sont des habitus. Comment les habitus s’йloignent de la deuxiиme
et de la troisiиme espиce de qualitй et comment ils diffиrent de la
quatriиme, cela est йvident, car la figure ne comporte pas en elle-mкme
d’ordre а l’acte. А partir de cela, on peut voir clairement que nous avons
besoin des habitus des vertus pour trois choses. Premiиrement, afin qu’il y
ait uniformitй dans son opйration : en effet, ce qui dйpend de la seule
opйration est facilement changй, а moins d’кtre affermi par une inclinaton
habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une opйration parfaite soit toujours prкte.
En effet, а moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine faзon
inclinйe а une seule chose, il faudra toujours que prйcиde une recherche sur
une opйration, alors qu’il est nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui
qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de
celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la
vertu. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Йthique, V, que ce qui vient de la vertu est subit.
Troisiиmement, afin que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En
effet, ce qui est accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon
une certaine nature, rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et
par consйquent dйlectable. Car l’adйquation est la cause du plaisir. Aussi,
dans Йthique, II, le Philosophe
donne-t-il comme signe d’un habitus le fait qu’il y a plaisir dans
l’opйration.
Solutions :
[65497]
De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut potestas, ita et
virtus accipitur dupliciter. Uno modo materialiter, prout dicimus, id quod
possumus, esse nostram potentiam; et sic Augustinus bonum usum liberi
arbitrii dicit esse virtutem. Alio modo essentialiter; et sic neque potentia
neque virtus est actus.
1.
Comme la puissance, la vertu s’entend de deux maniиres. D’une maniиre,
matйriellement, comme lorsque nous disons que ce que nous pouvons est notre
puissance; et ainsi, Augustin dit que l’usage du libre arbitre est la vertu.
D’une autre maniиre, essentiellement; et ainsi, ni la puissance ni la vertu
ne sont des actes.
[65498]
De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mereri dupliciter
accipitur. Uno modo proprie; et sic nihil aliud est quam facere aliquam
actionem unde aliquis sibi iuste acquirat mercedem. Alio modo improprie; et
sic quaelibet conditio quae facit hominem aliquo modo dignum, meritum
dicitur; ut si dicamus, quod species Priami meruit imperium, quia digna
imperio fuit. Praemium ergo cum merito debeatur, debetur quodammodo et
qualitati habituali, per quam aliquis redditur idoneus ad praemium : et sic
debetur parvulis baptizatis. Et iterum debetur merito actuali; et sic non
debetur virtuti, sed actui virtutis. Et tamen etiam parvulis quodammodo
redditur ratione meriti actualis, in quantum ex merito Christi sacramentum efficaciam
habet, quo regenerantur ad vitam.
2.
Mйriter s’entend de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre; et ainsi,
ce n’est rien d’autre que de faire une action par laquelle on acquiert une
rйcompense pour soi-mкme. D’une autre maniиre, en un sens impropre; et ainsi,
toute condition qui rend l’homme digne d’une certaine faзon est appelйe
mйrite, comme si nous disions que l’espиce de Priam mйritait le pouvoir parce
qu’elle йtait digne du pouvoir. Puisque la rйcompense est due au mйrite, elle
est donc aussi due d’une certaine faзon а la qualitй habituelle par laquelle
quelqu’un est rendu apte а la rйcompense. Et ainsi est-elle due aux petits
enfants baptisйs. Elle est aussi due au mйrite actuel; et ainsi, elle n’est
pas due а la vertu, mais а l’acte de la vertu. Cependant,
la rйcompense est d’une certaine faзon donnйe aux petits enfants en raison
d’un mйrite actuel, pour autant que le sacrement par lequel ils sont
rйgйnйrйs pour la vie tire son efficacitй du mйrite du Christ.
[65499] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus dicit, virtutes esse maxima bona,
non simpliciter, sed in genere; sicut et ignis dicitur subtilissimum
corporum. Unde
non sequitur quod nihil sit in nobis ipsis virtutibus melius; sed quod sint
de numero eorum quae sunt maxima bona secundum genus suum.
3.
Augustin dit que les vertus sont les plus grands biens, non pas tout
simplement, mais d’une maniиre gйnйrale, comme le feu est le plus subtil
parmi les corps. Il n’en dйcoule donc pas que rien ne soit meilleur en nous
que les vertus, mais qu’elles font partie des biens qui sont les plus grands
selon leur genre.
[65500] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in vita est perfectio habitualis quae
est virtus, et perfectio actualis quae est virtutis actus; ita etiam in ipsa
patria felicitas est perfectio actualis, procedens ex aliquo habitu
consummato. Unde etiam philosophus in I Ethic. dicit, quod
felicitas est operatio secundum virtutem perfectam.
4.
De mкme que, durant la vie, il existe une perfection habituelle qui est la
vertu, et une perfection actuelle, qui est l’acte de la vertu, de mкme aussi,
dans la patrie, existe-t-il une perfection actuelle, provenant d’un habitus
consommй. Aussi, mкme le Philosophe dit-il, dans Йthique, I, que la fйlicitй est une opйration conforme а la vertu
parfaite.
[65501] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus vitiosus directe tollit actum virtutis
per modum contrarietatis; ipsum vero virtutis habitum tollit per accidens, in
quantum separatur a causa virtutis infusae, scilicet a Deo. Unde Is., LIX, 2 : peccata
vestra diviserunt inter vos et Deum vestrum. Et propter hoc virtutes
acquisitae, per unum actum vitiosum non tolluntur.
5.
L’acte vicieux enlиve directement l’acte de la vertu parce qu’il lui est
contraire, mais il enlиve l’habitus lui-mкme par accident, pour autant qu’il
est sйparй de la cause de la vertu infuse, а savoir, de Dieu. Aussi Isaпe
dit-il, 49, 2 : Vos pйchйs ont mis
une sйparation entre vous et votre Dieu. Pour cette raison, les vertus
acquises ne sont pas enlevйes par un seul acte vicieux.
[65502]
De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa definitio philosophi
potest dupliciter intelligi. Uno modo materialiter, ut per virtutem
intelligamus id in quod virtus potest, quod est ultimum inter ea in quae
potentia potest; sicut virtus eius qui potest ferre centum libras, est in eo
in quantum potest ferre centum libras non in quantum ferre potest sexaginta.
Alio modo potest intelligi essentialiter; et sic virtus dicitur ultimum
potentiae, quia designat potentiae complementum; sive id per quod potentia
completur, sit aliud a potentia, sive non.
6.
Cette dйfinition du Philosophe peut s’entendre de deux faзons. D’une faзon,
matйriellement, de sorte que nous entendions par vertu ce sur quoi porte la
vertu, qui est le point ultime de ce dont une puissance est capable, comme la
vertu de celui qui peut porter cent livres est en lui pour autant qu’il peut
porter cent livres, et non pour autant qu’il peut en porter soixante. D’une
autre faзon, on peut l’entendre essentiellement; et ainsi, on appelle vertu
le point ultime d’une puissance, parce qu’elle dйsigne l’achиvement de la
puissance, que cela soit diffйrent de la puissance ou non.
7. Il n’en va pas de mкme des puissances
sensibles et raisonnables, comme on l’a dit.
[65504] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dispositio ad aliquid dicitur id per quod
aliquid movetur in illud consequendum. Motus autem habet quandoque terminum
in eodem genere, sicut motus alterationis est qualitas; unde dispositio ad
hunc terminum semper est eiusdem generis cum termino. Quandoque vero habet
terminum alterius generis, sicut alterationis terminus est forma
substantialis; et sic dispositio non est semper eiusdem generis cum eo ad
quod disponit; sicut calor est dispositio ad formam substantialem ignis.
8.
On dit que la disposition а quelque chose est ce par quoi quelque chose est
mы pour l’atteindre. Or, le mouvement a parfois un terme du mкme genre, comme
lorsque [le terme] d’une altйration est une qualitй; aussi la disposition а
ce terme est-elle toujours du mкme genre que le terme. Mais parfois, [le
mouvement] a un terme d’un autre genre, comme lorsque le terme de
l’altйration est une forme substantielle. Ainsi, la disposition n’est pas
toujours du mкme genre que ce а quoi elle dispose, comme lorsque la chaleur
est une disposition а la forme substantielle du feu.
[65505] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod dispositio dicitur tribus modis. Uno modo per
quam materia disponitur ad formae receptionem, sicut calor est dispositio ad
formam ignis. Alio modo per quam aliquod agens disponitur ad agendum, sicut
velocitas est dispositio ad cursum. Tertio modo dispositio dicitur ipsa
ordinatio aliquorum ad invicem; et hoc modo dispositio ab Augustino sumitur. Dispositio vero contra habitum dividitur primo modo; ipsa vero virtus,
dispositio est secundo modo.
9.
On parle de disposition de trois maniиres. D’une maniиre, selon laquelle la
matiиre est disposйe а la rйception de la forme, comme la chaleur est une
disposition а la forme du feu. D’une autre maniиre, selon laquelle un agent
est disposй а agir, comme la rapiditй est une disposition а la course. D’une
troisiиme maniиre, on appelle disposition l’ordre mкme de certanes choses les
unes par rapport aux autres. Et Augustin entend la disposition de cette
maniиre. Mais, la disposition s’oppose а l’habitus de la premiиre maniиre;
mais la vertu elle-mкme est une disposition selon la deuxiиme maniиre.
[65506] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod nulla res est adeo stabilis, quae non statim
ex se deficiat, sua causa deficiente. Unde non est mirum, si deficiente
coniunctione ad Deum per peccatum mortale, deficiat virtus infusa. Nec hoc
repugnat suae immobilitati, quae intelligi non potest nisi sua causa manente.
10.
Aucune chose n’est а ce point stable qu’elle ne disparaisse d’elle-mкme, si
sa cause disparaоt. Aussi n’est-il pas йtonnant que, l’union а Dieu faisant
dйfaut par le pйchй mortel, la vertu infuse disparaisse. Cela ne s’oppose pas
non plus а son immobilitй, qu’on ne peut entendre que si sa cause demeure.
[65507] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ad utrasque operationes habitu indigemus;
ad naturales quidem tribus rationibus superius positis; ad meritorias autem
insuper, ut naturalis potentia elevetur ad id quod est supra naturam ex
habitu infuso. Nec hoc removetur ex hoc quod Deus in nobis operatur; quia ita
agit in nobis, quod et nos agimus; unde habitu indigemus, quo sufficienter
agere possimus.
11.
Nous avons besoin d’un habitus pour les deux opйrations. Pour les
[opйrations] naturelles, pour les trois raisons indiquйes plus haut; et en
plus, pour les [opйrations] mйritoires, afin que la puissance naturelle soit
йlevйe а ce qui est supйrieure а la nature par un habitus infus. Et cela
n’est pas enlevй par le fait que Dieu agit en nous, car il agit en nous de la
maniиre dont nous agissons. Aussi avons-nous besoin d’un habitus par lequel
nous puissions agir d’une maniиre suffisante.
[65508] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod omnis forma recipitur in suo supposito
secundum modum recipientis. Proprietas autem rationalis potentiae est ut
in opposita possit, et ut sit domina sui actus. Unde
nunquam per formam habitualem receptam cogitur potentia rationalis ad
similiter agendum; sed potest agere vel non agere.
12.
Toute forme est reзue dans son suppфt selon le mode de celui qui reзoit. Or,
le propre d’une puissance raisonnable est qu’elle peut se porter vers des
choses opposйes, et qu’elle soit maоtresse de son acte. Aussi la puissance
raisonnable n’est-elle jamais contrainte par une forme habituelle а agir de
maniиre semblable, mais elle peut agir ou ne pas agir.
[65509] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa quae in sola electione
consistunt facile est quod qualitercumque fiant; sed quod debito modo fiant,
scilicet expedite, firmiter, et delectabiliter, hoc non est facile; unde ad
hoc habitibus virtutum indigemus.
13.
Il est facile de faire n’importe comment ce qui relиve du simple choix; mais
le faire de la maniиre appropriйe, а savoir, rapidement, fermement et avec
plaisir, cela n’est pas facile. Aussi avons-nous besoin des habitus des
vertus pour cela.
[65510] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnes motus animalium vel hominum,
qui de novo incipiunt, sunt ab aliquo movente moto, et dependent ab aliquo
priori actu existente; et sic habitus de se actum non elicit, nisi ab aliquo
agente excitatus.
14.
Tous les mouvements des animaux ou des hommes, а leur dйbut, viennent d’un
agent qui est mы, et ils dйpendent de quelque chose d’antйrieur qui existe en
acte. Et ainsi, l’habitus n’amиne pas de lui-mкme а l’acte, а moins qu’il ne
soit rйveillй par un agent.
[65511] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus est medium inter passiones,
non quasi aliqua passio media; sed actio, quae in passionibus medium
constituit.
15.
La vertu est un milieu entre les passions, non comme une passion moyenne,
mais comme une action qui instaure un milieu entre les passions.
[La dйfinition communйment reзue, attribuйe а
Augustin, йtait la suivante : Virtus est bona qualitas mentis, qua recte
vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur :
«La vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit
correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en
nous sans nous.» Voir plus loin, article 9, arg. 1; aussi II-II, q.
55, a. 4, arg. 1.]
Objections
:
[65514]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 1 Virtus enim est bonitas quaedam. Si ergo ipsa est bona : aut ergo sua bonitate, aut alia. Si alia, procedetur
in infinitum : si seipsa, ergo virtus est bonitas prima quia sola bonitas
prima est bona per seipsam.
1.
En effet, la vertu est une certaine bontй. Si donc elle est bonne, elle l’est
soit par sa propre bontй, soit par une autre. Si elle l’est par une autre, il
faudrait remonter а l’infini; si elle l’est par elle-mкme, la vertu est donc
la bontй premiиre, car seule la bontй premiиre est bonne par elle-mкme.
[65515] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est commune omni enti, non debet poni in
definitione alicuius. Sed bonum, quod convertitur cum ente, est commune omni
enti. Ergo non debet poni in definitione virtutis.
2.
Ce qui est commun а tout кtre ne doit pas кtre placй dans la dйfinition de
l’un d’entre eux. Or, le bien, qui est convertible avec l’кtre, est commun а
tout кtre. Il ne doit donc pas кtre placй dans la dйfinition de la vertu.
[65516]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut bonum est in moralibus, ita et in
naturalibus. Sed bonum et malum in naturalibus non diversificant speciem. Ergo nec in definitione virtutis debet poni bona, quasi differentia
specifica ipsius virtutis.
3.
De mкme que le bien existe dans le domaine moral, de mкme existe-t-il dans le
domaine naturel. Or, le bien et le mal dans le domaine naturel ne donnent pas
des espиces diffйrentes. Il ne faut donc pas indiquer dans la dйfinition de
la vertu le fait qu’elle est bonne, comme s’il s’agissait d’une diffйrence
spйcifique de la vertu.
[65517] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, differentia non includitur in ratione generis. Sed bonum includitur in
ratione qualitatis, sicut et ens. Ergo non debet addi in definitione
virtutis, ut dicatur : virtus est bona qualitas mentis et cetera.
4.
La diffйrence ne fait pas partie de la raison du genre. Or, le bien fait
partie de la raison de la qualitй, de mкme que l’кtre. Il ne doit donc pas
кtre ajoutй dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «La vertu
est une bonne qualitй de l’esprit, etc.»
[65518]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, malum et bonum sunt opposita. Sed malum
non constituit aliquam speciem, cum sit privatio. Ergo nec bonum; ergo non
debet poni in definitione virtutis tamquam differentia constitutiva.
5.
Le mal et le bien sont des contraires. Or, le mal ne constitue pas une
espиce, puisqu’il est une privation. Il en est donc de mкme pour le bien. Il
ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu comme diffйrence
constitutive.
[65519] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 6 Praeterea, bonum est in plus quam qualitas. Ergo per bonum non
differt una qualitas ab alia; ergo non debet poni in definitione virtutis
bonum, sicut differentia qualitatis vel virtutis.
6.
Le bien s’ajoute а la qualitй. Une qualitй ne diffиre donc pas d’une autre
par le bien. Le bien ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu
en tant que diffйrence de la qualitй ou de la vertu.
[65520]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, ex duobus actibus nihil fit. Sed bonum
importat actum quemdam, et qualitas similiter. Ergo male dicitur, quod virtus
sit bona qualitas.
7.
Rien n’est fait а partir de deux actes. Or, le bien comporte un certain acte;
de mкme en est-il de la qualitй. C’est donc а tort qu’on dit de la vertu
qu’elle est une bonne qualitй.
[65521] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, quod praedicatur in abstracto, non praedicatur in concreto;
sicut albedo est color, non tamen colorata. Sed
bonitas praedicatur de virtute in abstracto. Ergo non praedicatur in
concreto; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.
8.
Ce qui est prйdiquй dans l’abstrait n’est pas prйdiquй dans le concret :
ainsi la blancheur est une couleur, mais non ce qui est colorй. Or, la bontй
est prйdiquйe de la vertu dans l’abstrait. Elle n’en est donc pas prйdiquйe
dans le concret. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne
qualitй.»
[65522] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla differentia praedicatur in abstracto de specie unde
dicit Avicenna, quod homo non est rationalitas, sed rationale. Sed virtus est bonitas. Ergo bonitas non est differentia virtutis;
ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.
9.
Aucune diffйrence n’est prйdiquйe de l’espиce dans l’abstrait; aussi Avicenne
dit-il que l’homme n’est pas la rationalitй, mais raisonnable. Or, la vertu
est bontй. La bontй n’est donc pas une diffйrence de la vertu. On ne dit donc
pas correctement : «La vertu est une bonne qualitй.»
[65523]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, malum moris idem est quod vitium. Ergo
bonum moris idem est quod virtus; ergo bonum non debet poni in definitione
virtutis, quia sic idem definiret seipsum.
10.
Le mal du comportement est la mкme chose que le vice. Le bien du comportement
est donc la mкme chose que la vertu. Le bien ne doit pas кtre mis dans la
dйfinition de la vertu, car ainsi le mкme dйfinirait le mкme.
[65524] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea, mens ad
intellectum pertinet. Sed virtus magis respicit affectum. Ergo male dicitur,
quod virtus sit bona qualitas mentis.
11.
L’esprit se rapporte а l’intellect. Or, la vertu concerne plutфt
l’affectivitй. On dit donc incorrectement que la vertu est une bonne qualitй
de l’esprit.
[65525] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 12 Praeterea, secundum Augustinum, mens nominat superiorem partem animae.
Sed aliquae virtutes sunt in inferioribus potentiis. Ergo
male ponitur in definitione virtutis bona qualitas mentis.
12.
Selon Augustin, l’esprit dйsigne la partie supйrieure de l’вme. Or, certaines
vertus se situent dans les puissances infйrieures. On met donc incorrectement
dans la dйfinition de la vertu : «Une bonne qualitй de l’esprit.»
[65526] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 13 Praeterea, subiectum virtutis nominat potentiam, non
essentiam. Sed mens videtur nominare essentiam animae; quia dicit Augustinus,
quod in mente est intelligentia, memoria et voluntas. Ergo non debet poni
mens in definitione virtutis.
13.
Le sujet de la vertu dйsigne une puissance, non une essence. Or, l’esprit
semble dйsigner l’essence de l’вme, car Augustin dit que, dans l’esprit, se
trouvent l’intelligence, la mйmoire et la volontй. L’esprit ne doit donc pas
кtre mis dans la dйfinition de la vertu.
[65527] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 14 Praeterea, illud quod est proprium speciei, non debet poni in
definitione generis. Sed rectitudo est proprium iustitiae. Ergo non debet poni
rectitudo in definitione virtutis, ut dicatur bona qualitas mentis, qua
recte vivitur.
14.
Ce qui est le propre d’une espиce ne doit pas кtre mis dans la dйfinition du
genre. Or, la rectitude est le propre de la justice. La rectitude ne doit
donc pas кtre mise dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «Une
bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit correctement.»
[65528] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 15 Praeterea, vivere viventibus est esse. Sed virtus non perficit ad esse, sed ad opera. Ergo male dicitur, qua recte vivitur.
15.
Vivre, c’est кtre pour les vivants. Or, la vertu ne rend pas parfait pour
l’кtre, mais pour les actions. On dit donc incorrectement : «Par laquelle on
vit correctememnt.»
[65529] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 16 Praeterea, quicumque superbit
de aliqua re, male utitur ea. Sed de virtutibus aliquis superbit. Ergo virtutibus aliquis male utitur.
16.
Quiconque s’enorgueillit d’une chose en fait un mauvais usage. Or, on
s’enorgueillit des vertus. On fait donc un mauvais usage des vertus.
[65530] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 17 Praeterea,
Augustinus in libro de Lib. Arbit. dicit, quod solum maximis bonis nullus
male utitur. Sed virtus non est de maximis bonis; quia maxima bona sunt quae
propter se appetuntur; quod non convenit virtutibus, cum propter aliud
appetantur, quia propter felicitatem. Ergo male ponitur qua nullus male
utitur.
17.
Augustin, dans le livre sur Le libre arbitre, dit que personne
n’utilise mal que les plus grands biens. Or, la vertu ne porte pas sur les
plus grands biens, car les plus grands biens sont ceux qui sont dйsirйs pour
eux-mкmes, ce qui ne convient pas aux vertus, puisqu’elles sont dйsirйes pour
autre chose, а savoir, pour la fйlicitй. On ne dit donc pas correctement que «personne
n’en fait un mauvais usage».
[65531] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 18 Praeterea, ab eodem aliquid generatur et nutritur et augetur. Sed virtus per actus
nostros nutritur et augetur; quia diminutio cupiditatis est augmentum
caritatis. Ergo per actus nostros virtus generatur; ergo male ponitur in
definitione, quam Deus in nobis sine nobis operatur.
18.
Quelque chose est engendrй, entretenu et accru par la mкme chose. Or, la
vertu est entretenue et accrue par nos actes, car la diminution de la convoitise
est l’accroissement de la charitй. La vertu est donc engendrйe par nos actes.
On met donc incorrectement dans sa dйfinition : «Que Dieu rйalise en nous
sans nous.»
[65532]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 19 Praeterea, removens prohibens ponitur movens et
causa. Sed liberum arbitrium est quodammodo removens prohibens virtutis. Ergo
est quodammodo causa; ergo non bene ponitur, quod sine nobis Deus virtutem
operetur.
19.
Celui qui йcarte un obstacle est un agent et une cause. Or, le libre arbitre
enlиve d’une certaine maniиre l’obstacle а la vertu. Il en est donc cause
d’une certaine maniиre. On ne dit donc pas correctement que «Dieu rйalise en
nous la vertu sans nous».
20.
Augustin dit : «Celui t’a crйй sans toi ne te justifiera pas sans toi.» Donc,
etc.
[65534] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 21 Praeterea,
ista definitio convenit gratiae, ut videtur. Sed virtus et gratia non sunt
unum et idem. Ergo non bene definitur per hanc definitionem virtus.
21.
Cette dйfinition convient а la grвce, semble-t-il. Or, la vertu et la grвce
ne sont pas une seule et mкme chose. La vertu n’est donc pas bien dйfinie par
cette dйfinition.
Rйponse :
[65535] De virtutibus, q. 1 a. 2 co. Respondeo.
Dicendum, quod ista definitio complectitur definitionem virtutis, etiam si
ultima particula omittatur; et convenit omni virtuti humanae. Sicut enim
dictum est, virtus perficit potentiam in comparatione ad actum perfectum;
actus autem perfectus est finis potentiae vel operantis; unde virtus facit et
potentiam bonam et operantem, ut prius dictum est. Et ideo in definitione
virtutis aliquid ponitur quod pertinet ad perfectionem actus, et aliquid quod
pertinet ad perfectionem potentiae vel operantis. Ad perfectionem autem actus
duo requiruntur. Requiritur autem quod actus sit rectus, et quod habitus non
possit esse principium contrarii actus. Illud enim quod est principium boni et mali actus,
non potest esse, quantum est de se, principium perfectum boni actus; quia
habitus est perfectio potentiae. Oportet ergo quod ita sit principium actus
boni, quod nullo modo mali; propter quod philosophus dicit in VI Ethic., quod
opinio, quae potest esse vera et falsa, non est virtus; sed scientia, quae
non est nisi de vero. Primum designatur in hoc quod dicitur, qua recte
vivitur : secundum, in hoc quod dicitur, qua nemo male utitur. Ad
hoc vero quod virtus facit subiectum bonum, tria sunt ibi consideranda.
Subiectum ipsum : et hoc determinatur cum dicitur mentis; quia virtus
humana non potest esse nisi in eo quod est hominis in quantum est homo. Perfectio vero intellectus designatur in hoc quod dicitur bona;
quia bonum dicitur secundum ordinem ad finem. Modus autem inhaerendi designatur in hoc quod
dicitur qualitas; quia virtus non inest per modum passionis, sed per
modum habitus; ut supra dictum est. Haec autem omnia conveniunt tam virtuti
morali quam intellectuali, quam theologicae, quam acquisitae, quam infusae.
Hoc vero quod Augustinus addit quam in nobis sine nobis Deus operatur,
convenit solum virtuti infusae.
Cette
dйfinition exprime la dйfinition de la vertu, mкme si l’on omet la derniиre
partie, et elle convient а toute vertu humaine. En effet, comme on l’a dit,
la vertu perfectionne une puissance par rapport а son acte parfait. Or,
l’acte parfait est la fin d’une puissance ou d’un agent. Aussi la vertu
rend-elle bons а la fois la puissance et l’agent, comme on l’a dйjа dit.
C’est pourquoi, dans la dйfinition de la vertu, quelque chose est mis qui se
rapporte а la perfection de l’acte, et quelque chose qui se rapporte а la
perfection de la puissance ou de l’agent. Or, deux choses sont nйcessaires
pour la perfection de l’acte : il est nйcessaire que l’acte soit droit, et
que l’habitus ne puisse кtre le principe d’un acte contraire. En effet, ce
qui est le principe d’un acte bon et mauvais ne peut кtre de soi le principe
parfait d’un acte bon, car l’habitus est la perfection de la puissance. Il
faut donc que ce soit le principe d’un acte bon, qui ne soit d’aucune maniиre
[principe d’un acte] mauvais. C’est la raison pour laquelle le Philosophe
dit, dans Йthique, VI, que l’opinion, qui peut кtre vraie ou fausse,
n’est pas une vertu, mais la science, qui ne porte que sur ce qui est vrai.
Le premier point est indiquй lorsqu’on dit : «par laquelle on vit
correctement»; le second, lorsqu’on dit : «dont personne ne fait un mauvais
usage». Or, pour que la vertu rende un sujet bon, il faut y relever trois
choses. Le sujet lui-mкme : et cela est prйcisй lorsqu’on dit : «de
l’esprit», car la vertu humaine ne peut rйsider que dans ce appartient а
l’homme en tant qu’il est homme. Mais la perfection de l’intelligence est
dйsignйe par le fait qu’on dit : «bonne», car on parle de bien selon l’ordre
а la fin. La maniиre d’adhйrer est dйsignйe lorsqu’on dit : «une qualitй»,
car la vertu n’est pas prйsente par mode de passion, mais par mode d’habitus,
comme on l’a dit plus haut. Or, tout cela convient autant а la vertu morale,
а la vertu thйologale, а la vertu acquise ou а la vertu infuse. Mais ce que
Augustin ajoute : «Que Dieu rйalise en nous sans nous», convient seulement а
la vertu infuse.
Solutions :
[65536] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidentia sicut non dicuntur entia quia
subsistant, sed quia aliquid eis est; ita virtus non dicitur bona quod ipsa
sit bona, sed qua aliquid est bonum. Unde
non oportet quod virtus sit bona alia bonitate, quasi informetur alia
bonitate.
1.
De mкme que les accidents ne sont pas appelйs des кtres parce qu’ils
subsisteraient, mais parce que quelque chose existe en eux, de mкme la vertu
n’est pas appelйe bonne parce qu’elle est elle-mкme bonne, mais parce que
quelque chose est bon. Il n’est donc pas nйcessaire que la vertu soit bonne
par une autre bontй, comme si elle recevait la forme d’une autre bontй.
[65537] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum quod convertitur cum ente, non
ponitur hic in definitione virtutis; sed bonum quod determinatur ad actum
moralem.
2.
Le bien qui est convertible avec l’кtre n’est pas mis ici dans la dйfinition
de la vertu, mais le bien qui est concerne un acte moral.
[65538] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actiones diversificantur secundum formam
agentis, ut calefacere et infrigidare. Bonum autem et malum sunt quasi forma
et obiectum voluntatis; quia semper agens imprimit formam suam in patientem,
et movens in motum. Et ideo actus morales, quorum principium est voluntas,
diversificantur specie secundum bonum et malum. Principium autem naturalium
operationum non est finis, sed forma; et ideo non diversificantur in
naturalibus species secundum bonum et malum; sed in moralibus sic.
3.
Les actions se diversifient selon la forme de l’agent, comme chauffer et
refroidir. Or, le bien et le mal sont comme la forme et l’objet de la
volontй, car l’agent imprime toujours sa forme dans le patient, et ce qui
meut dans ce qui est mы. C’est pourquoi les actes moraux, dont le principe
est la volontй, se diversifient selon l’espиce par le bien et le mal. Or, le
principe des opйrations naturelles n’est pas la fin, mais la forme. C’est
pourquoi, dans les choses naturelles, les espиces ne se diversifient pas
selon le bien et le mal, mais il en est ainsi dans les choses morales.
[65539] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonitas moralis non includitur in intellectu
qualitatis; et ideo ratio non est ad propositum.
4.
La bontй morale ne fait pas partie de la notion de qualitй. C’est pourquoi
l’argument est hors de propos.
[65540] De
virtutibus, q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod malum non constituit speciem ratione privationis, sed ratione
eius quod privationi substernitur, quia non compatitur secum rationem boni;
et ex hoc habet quod constituit speciem.
5.
Le mal ne constitue pas une espиce en raison de la privation, mais en raison
de ce qui est sous-jacent а la privation, parce que cela ne supporte pas la
raison de bien. Et c’est ainsi qu’il a ce par quoi il constitue une espиce.
[65541] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod obiectio illa procedit de bono naturae, non
de bono moris, quod ponitur in definitione virtutis.
6.
Cette objection vient du bien naturel, et non du bien moral, qui est mis dans
la dйfinition de la vertu.
[65542] De
virtutibus, q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod bonitas non importat aliam bonitatem quam ipsam virtutem, ut
ex dictis patet. Ipsa
enim virtus per essentiam suam est qualitas; unde manifestum est quod bona et
qualitas non dicunt diversos actus, sed unum.
7.
La bontй ne comporte pas d’autre bontй que la vertu elle-mкme, comme cela
ressort clairement de ce qui a йtй dit. En effet, la vertu elle-mкme est par
son essence une qualitй. Il est donc clair que «bonne» et «qualitй»
n’expriment pas des actes diffйrents, mais un seul acte.
[65543]
De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod istud fallit in
transcendentibus, quae circumeunt omne ens. Nam essentia est ens, et bonitas
bona, et unitas una, non autem sic potest dici albedo alba. Cuius ratio est,
quia quidquid cadit in intellectu, oportet quod cadat sub ratione entis, et
per consequens sub ratione boni et unius; unde essentia et bonitas et unitas
non possunt intelligi, nisi intelligantur sub ratione boni et unius et entis.
Propter hoc potest dici bonitas bona, et unitas una.
8.
Ceci est le cas pour les transcendentaux, qui englobent tout кtre. Car
l’essence est кtre, la bontй est bonne et l’unitй est une; mais on ne peut
dire de cette faзon que la blancheur est blanche. La raison en est qu’il est
nйcessaire que tout ce qui tombe sous l’intelligence tombe sous la raison
d’кtre, et par consйquent, sous la raison de bon et d’un. Aussi l’essence, la
bontй et l’unitй ne peuvent-elles кtre comprises que si elles sont comprises
sous la raison de bien, d’un et d’кtre. Pour cette raison, la bontй peut кtre
dite bonne, et l’unitй une.
1. Selon Augustin, la vertu est ce par quoi l’on vit bien. Or, on ne
vit pas pas une puissance, mais par son essence. Une puissance de l’вme n’est
donc pas le sujet de la vertu.
[65547]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nobilius est esse gratiae quam naturae.
Esse autem naturae est per essentiam animae, quae est nobilior suis
potentiis, utpote earum principium. Ergo esse gratiae, quod est per virtutes,
non est per potentias : et sic potentia non est virtutis subiectum.
2.
L’кtre de la grвce est plus noble que l’кtre de la nature. Or, l’кtre de la
nature vient de l’essence de l’вme, qui est plus noble que ses puissances en
tant qu’elle est leur principe. L’кtre de la grвce, qui vient des vertus, ne
vient donc pas des puissances. Et ainsi, une puissance n’est pas le sujet de
la vertu.
[65548] De virtutibus, q.
1 a. 3 arg. 3 Praeterea, accidens subiectum esse non potest. Sed potentia
animae est de genere accidentium; potentia enim et impotentia naturalis
pertinent ad secundam speciem qualitatis. Ergo potentia animae non potest
esse virtutis subiectum.
3.
Un accident ne peut кtre un sujet. Or, la puissance de l’вme fait partie du
genre des accidents : en effet, la puissance et l’impuissance naturelles
relиvent de la deuxiиme espиce de la qualitй. La puissance de l’вme ne peut
donc кtre le sujet de la vertu.
[65549] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si aliqua potentia animae est virtutis subiectum, et
quaelibet; cum quaelibet potentia animae vitiis impugnetur, contra quae
virtutes ordinantur, sed non quaelibet potentia animae potest esse virtutis
subiectum, ut post patebit. Ergo virtutis subiectum potentia esse non potest.
4.
Si une puissance de l’вme est le sujet d’une vertu, toutes [le seront],
puisque toutes les puissances de l’вme sont combattues par les vices, contre
lesquels les vertus sont ordonnйs, mais que toutes les puissances de l’вme ne
peuvent кtre le sujet de la vertu, comme ce sera clair par la suite. La
puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.
[65550]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, principia activa in naturis aliorum
agentium subiecta non sunt, ut calor et frigus. Sed potentiae animae sunt
quaedam activa principia; sunt enim principia operationum animae. Ergo
aliorum accidentium subiecta esse non possunt.
5.
Les principes actifs dans les natures des autres agents ne sont pas des
sujets, tels la chaleur et le froid. Or, les puissances de l’вme sont des
principes actifs : en effet, elles sont les principes des opйrations de
l’вme. Elles ne peuvent donc pas кtre les sujets d’autres accidents.
[65551]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, anima subiectum est potentiae. Si ergo
potentia subiectum est alterius accidentis, pari ratione illud accidens erit
subiectum alterius accidentis; et ita ibitur in infinitum; quod est
inconveniens. Non ergo potentia animae est subiectum virtutis.
6.
L’вme est le sujet de la puissance. Si donc la puissance est le sujet d’un
autre accident, pour la mкme raison cet accident sera le sujet d’un autre
accident; et ainsi, on remontera а l’infini, ce qui ne convient pas. La
puissance de l’вme n’est donc pas le sujet de la vertu.
[65552]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, in Lib. I Poster. dicitur quod qualitatis
non est qualitas. Sed potentia animae quaedam qualitas est in secunda specie
qualitatis; virtus autem in prima specie qualitatis est. Ergo potentia animae
non potest esse subiectum virtutis.
7.
Dans les Seconds analytiques, I, il est dit qu’il n’y a pas de qualitй
de la qualitй. Or, la puissance de l’вme est une certaine qualitй de la
deuxiиme espиce de qualitй; mais la vertu fait partie de la premiиre espиce
de qualitй. La puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.
Cependant
:
[65553] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed
contra. Cuius
est actio, eius est principium actionis. Sed
actiones virtutum sunt potentiarum animae. Ergo
et ipsae virtutes.
1.
Le principe de l’action appartient а ce dont elle est l’action. Or, les
actions des vertus appartiennent aux puissances de l’вme. Il en va donc de
mкme pour les vertus.
[65554] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit
in I Ethic., quod virtutes intelligibiles sunt rationales per essentiam,
virtutes autem morales sunt rationales per participationem. Sed rationale per
essentiam et per participationem nominat quasdam animae potentias. Ergo
potentiae animae sunt subiecta virtutum.
2.
Le Philosophe dit, dans Йthiques, I, que les vertus intellectuelles
sont raisonnables par essence, mais que les vertus morales sont raisonnables
par participation. Or, кtre raisonnable par essence et [кtre raisonnable] par
participation dйsignent des puissances de l’вme. Les puissances de l’вme sont
donc les sujets des vertus.
Rйponse
:
[65555]
De virtutibus, q. 1 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod subiectum tripliciter
comparatur ad accidens. Uno modo sicut praebens ei sustentamentum; nam
accidens per se non subsistit, fulcitur vero per subiectum. Alio modo sicut
potentia ad actum; nam subiectum accidenti subiicitur, sicut quaedam potentia
activi; unde et accidens forma dicitur. Tertio modo sicut causa ad effectum;
nam principia subiecta sunt principia per se accidentis. Quantum igitur ad
primum, unum accidens alterius subiectum esse non potest. Nam, cum nullum
accidens per se subsistat, non potest alteri sustentamentum praebere : nisi
fortasse dicatur, quod in quantum est a subiecto sustentatum, aliud accidens
sustentat. Sed quantum ad alia duo, unum accidens se
habet ad aliud per modum subiecti : nam unum accidens est in potentia ad
alterum, sicut diaphanum ad lucem, et superficies ad colorem. Unum etiam accidens
potest esse causa alterius, ut humor saporis; et per hunc modum dicitur unum
accidens alterius accidentis esse subiectum. Non quod unum accidens possit
alteri accidenti sustentamentum praebere; sed quia subiectum est receptivum
unius accidentis altero mediante. Et per hunc modum dicitur potentia animae
esse habitus subiectum. Nam habitus ad potentiam animae comparatur ut actus
ad potentiam; cum potentia sit indeterminata quantum est de se, et per
habitum determinetur ad hoc vel illud. Ex principiis etiam potentiarum
habitus acquisiti causantur. Sic ergo dicendum est, potentias esse virtutum
subiecta; quia virtus animae inest, potentia mediante.
Le
sujet se compare а l’accident d’une triple maniиre. D’une premiиre maniиre,
comme ce qui lui prкte un support, car l’accident ne subsiste pas par
lui-mкme, mais il est soutenu par le sujet. D’une autre maniиre, comme la
puissance а l’acte, car le sujet est sujet de l’accident comme une puissance
а un principe actif; aussi l’accident est-il appelй une forme. D’une
troisiиme maniиre, comme la cause а l’effet, car les principes sous-jacents
sont par eux-mкmes [les principes] de l’accident. Pour ce qui est du premier
point, un accident ne peut pas кtre le sujet d’un autre [accident], car,
puisqu’aucun accident ne subsiste par lui-mкme, il ne peut fournir d’appui а
un autre, а moins qu’on ne dise que, pour autant qu’il est soutenu par un
sujet, il soutient un autre accident. Mais, pour ce qui est des autres
points, un accident joue le rфle de sujet pour quelque chose d’autre, car un
accident est en puissance а un autre, comme ce qui est diaphane par rapport а
la lumiиre, et la surface par rapport а la couleur. Un accident peut aussi
кtre la cause d’un autre, comme l’humiditй l’est pour le goыt. Et, de cette
maniиre, on dit qu’un accident est le sujet d’un autre accident. Non pas
qu’un accident puisse fournir appui а un autre accident, mais parce que le
sujet reзoit un accident par l’intermйdiaire d’un autre [accident]. C’est
ainsi qu’on dit que la puissance de l’вme est le sujet d’un habitus. Car
l’habitus entretient avec l’вme le rapport de l’acte avec la puissance,
puisque la puissance est indйterminйe pour ce qui relиve d’elle-mкme, et
qu’elle est dйterminйe а ceci ou а cela par l’habitus. C’est aussi а partir
des principes des puissances que les habitus acquis sont causйs. Il faut donc
dire que des puissances sont sujets de vertus, parce que la vertu est
prйsente dans l’вme par l’intermйdiaire de la puissance.
1.
Le mot «vivre», mis dans la dйfinition de la vertu, se rapporte а l’action,
comme on l’a dit plus haut.
[65557] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse
spirituale non per virtutes est, sed per gratiam. Nam gratia est principium
spiritualiter essendi, virtus vero spiritualiter operandi.
2.
L’кtre spirituel n’existe pas par les vertus, mais par la grвce, car la grвce
est le principe de l’existence spirituelle, mais la vertu [est le principe]
de l’opйration spirituelle.
3.
La puissance n’est pas sujet par elle-mкme, mais pour autant qu’elle est soutenue
par l’вme.
[65559] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nunc
loquimur de virtutibus humanis; et ideo illae potentiae quae nullo modo
possunt esse humanae, ad quas nullo modo se extendit imperium rationis, sicut
sunt vires animae vegetabilis, non possunt esse subiecta virtutum. Omnis autem impugnatio
quae ex his viribus provenit, fit mediante appetitu sensitivo, ad quem
pertingit imperium rationis, ut possit dici humanus, et virtutis humanae
subiectum.
4.
Nous parlons maintenant des vertus humaines. C’est pourquoi les puissances
qui ne peuvent кtre humaines d’aucune maniиre, sur lesquelles le commandement
de la raison ne s’йtend aucunement, comme c’est le cas des puissances de
l’вme vйgйtative, ne peuvent pas кtre les sujets de vertus. Mais tout combat
qui vient de ces puissances se fait par l’intermйdiaire de l’appйtit
sensible, sur lequel la raison exerce son commandement, de sorte qu’il puisse
кtre appelй humain et sujet de la vertu humaine.
[65560]
De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inter potentias animae non
sunt activae nisi intellectus agens, et vires animae vegetabilis, quae non
sunt aliquorum habituum subiecta. Aliae autem potentiae animae sunt passivae
: principia tamen actionum animae existentes secundum quod sunt motae a suis
activis.
5.
Parmi les puissances de l’вme, ne sont actives que l’intellect agent et les
puissances de l’вme vйgйtative, qui ne sont pas les sujets d’habitus. Les
autres puissances de l’вme sont passives, mais elles sont cependant les
principes des actions de l’вme qui sont mues par ce qui les active.
[65561] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non
oportet in infinitum abire, quia pervenietur ad aliquod accidens quod non est
in potentia respectu alterius accidentis.
6.
Il n’est pas nйcessaire de remonter а l’infini, car on parviendra а un
accident qui n’est pas en puissance par rapport а un autre accident.
[65562]
De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qualitatis non dicitur
esse qualitas, ita quod per se sit qualitas qualitatis subiectum; quod in
proposito non accidit, ut supra dictum est.
7. On ne dit pas de la qualitй qu’elle est une
qualitй, de telle maniиre que la qualitй soit le sujet d’une qualitй, ce qui
n’est pas en cause, comme on l’a dit plus haut.
[65565] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 1 Quia contraria nata sunt fieri
circa idem. Virtuti
autem contrarium est peccatum mortale, quod non potest esse in sensualitate,
cuius partes sunt irascibilis et concupiscibilis. Ergo irascibilis et
concupiscibilis subiectum virtutis esse non possunt.
1.
Les contraires portent de soi sur la mкme chose. Or, le contraire de la vertu
est le pйchй mortel, qui ne peut exister dans l’appйtit sensibe, dont les
parties sont l’irascible et le concupiscible. L’irascible et le concupiscible
ne peuvent donc pas кtre sujets de la vertu.
[65566] De virtutibus, q.
1 a. 4 arg. 2 Praeterea, eiusdem potentiae sunt habitus et actus. Sed
principalis actus virtutis est electio, secundum philosophum in Lib. Ethic.,
quae non potest esse actus irascibilis et concupiscibilis. Ergo nec habitus
virtutum possunt esse in irascibili et concupiscibili.
2.
Les habitus et les actes relиvent de la mкme puissance. Or, l’acte principal
de la vertu est le choix, selon le Philosophe, dans l’Йthique, lequel
ne peut кtre un acte de l’irascible et du concupiscible. Les habitus des
vertus ne peuvent donc pas se trouver dans l’irascible et le concupiscible.
[65567]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullum corruptibile est subiectum
perpetui; unde Augustinus probat animam esse perpetuam, quia est subiectum
veritatis, quae est perpetua. Sed irascibilis et concupiscibilis, sicut et
ceterae potentiae sensitivae, non remanent post corpus, ut quibusdam videtur;
virtutes autem manent. Nam iustitia est perpetua et immortalis, ut dicitur
Sapient. I, v. 15; quod pari ratione de omnibus dici potest. Ergo irascibilis
et concupiscibilis virtutum subiectum esse non possunt.
3.
Aucun chose corruptible ne peut кtre le sujet de ce qui est perpйtuel. Ainsi
Augustin prouve-t-il que l’вme est perpйtuelle, parce qu’elle est le sujet de
la vйritй, qui est perpйtuelle. Or, l’irascible et le concupiscible, comme
les autres puissances sensibles, ne demeurent pas aprиs que le corps [a
disparu], comme il semble а certains, mais les vertus demeurent, car la
justice est perpйtuelle et immortelle, comme il est dit dans
Sg 1, 15, ce qui peut кtre dit de toutes les [vertus] pour la mкme
raison. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas кtre le sujet des
vertus.
[65568] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, irascibilis et
concupiscibilis habent organum corporale. Si ergo virtutes sunt in irascibili
et concupiscibili, sunt in organo corporali. Ergo possunt apprehendi per
imaginationem vel phantasiam; et sic non sunt sola mente perceptibiles; ut
Augustinus dicit de iustitia, quod est rectitudo sola mente perceptibilis.
4.
L’irascible et le concupiscible ont un organe corporel. Si donc les vertus
sont dans l’irascible et le concupiscible, elles existent dans un organe
corporel. Elles peuvent donc кtre saisies par l’imagination ou la
«fantaisie». Et ainsi, elles ne sont pas perceptibles par la seule raison,
comme Augustin dit de la justice qu’«elle est une rectitude perceptible par
l’esprit seul».
[65569]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis
possunt esse subiectum virtutis, in quantum participant aliqualiter,
ratione.- Sed contra, irascibilis et concupiscibilis dicuntur ratione
participare, in quantum a ratione ordinantur. Sed ordo rationis non potest
virtuti sustentamentum praebere, cum non sit quid subsistens. Ergo nec in
quantum ratione participant, possunt irascibilis et concupiscibilis esse
virtutis subiectum.
5.
L’irascible et le concupiscible peuvent кtre sujets de la vertu pour autant
qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison. – Mais, en sens
contraire, on dit que l’irascible et le concupiscible participent а la raison
pour autant qu’ils sont commandйs par la raison. Or, l’ordre de la raison ne
peut fournir de support а la vertu, puisqu’il n’est pas quelque chose de
subsistant. Ni l’irascible ni le concupiscible ne peuvent donc pas non plus
кtre sujets de la vertu pour autant qu’ils participent а la raison.
[65570]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, sicuti irascibilis et concupiscibilis,
quae pertinent ad sensibilem appetitum, subserviunt rationi; ita et potentiae
apprehensivae et sensitivae. Sed in nulla apprehensiva potentiarum sensitivarum
potest esse virtus. Ergo nec in irascibili et concupiscibili.
6.
De mкme que l’irascible et le concupiscible, qui relиvent de l’appйtit
sensible, obйissent а la raison, de mкme les puissances cognitives et
sensibles. Or, il n’y a de vertu dans aucune puissance cognitive parmi les
puissances sensibles. Il n’y en a donc pas non plus dans l’irascible et le
concupiscible.
[65571] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, si ordo
rationis participari potest in irascibili et concupiscibili, poterit minui
rebellio sensualitatis, quae has duas vires continet ad rationem. Sed
rebellio praedicta non est infinita, cum sensualitas sit virtus finita, et
virtutis finitae non possit esse actio infinita. Ergo
poterit totaliter tolli praedicta rebellio; omne enim finitum consumitur
multoties ablato quodam, ut patet per philosophum in I Physic.; et sic
sensualitas in hac vita possit totaliter curari. Quod est impossibile.
7.
Si l’irascible et le concupiscible peuvent participer а l’ordre de la raison,
la rйbellion de la sensualitй sera diminuйe, qui comprend ces deux puissances
en rapport avec la raison. Or, la rйbellion dont il a йtй question n’est pas
infinie, puisque la sensualitй est une puissance finie, et qu’il ne peut
exister d’action infinie d’une puissance finie. Ladite rйbellion pourra donc
кtre entiиrement abolie : en effet, tout ce qui est fini disparaоt, si on en
enlиve souvent quelque chose, comme cela ressort clairement de ce que dit le
Philosophe dans Physique, I. Et ainsi, en cette vie, la sensualitй
pourra кtre totalement guйrie. Ce qui est impossible.
[65572] De virtutibus, q.
1 a. 4 arg. 8 Sed dicendum, quod Deus, qui virtutem infundit, posset
totaliter praedictam rebellionem auferre; sed ex parte nostra est quod non
totaliter auferatur.- Sed contra, homo est id quod est in quantum est
rationalis; cum ex hoc speciem sortiatur. Quanto igitur id quod est in
homine, magis rationi subiicitur; tanto magis competit humanae naturae.
Maxime autem subiicerentur inferiores vires animae rationi si praedicta rebellio
totaliter tolleretur. Ergo hoc esset competens maxime humanae naturae; et ita
ex parte nostra non est impedimentum quin praedicta rebellio totaliter
tollatur.
8.
Mais Dieu, qui infuse la vertu, pourrait йcarter complиtement cette
rйbellion; cependant, cela vient de nous qu’elle ne soit pas totalement
йcartйe. – Mais, en sens contraire, l’homme est ce qu’il est pour autant
qu’il est raisonnable, puisqu’il tire de cela son espиce. Plus ce qui est
dans l’homme est soumis а la raison, plus cela relиve donc de la nature
humaine. Or, les puissances infйrieures seraient soumises а la raison au plus
haut point si ladite rйbellion йtait totalement йcartйe. Cela conviendrait
donc au plus haut point а la nature humaine. Et ainsi, il n’y a pas
d’empкchement de notre part а ce que ladite rйbellion soit totalement
йcartйe.
[65573] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, ad rationem virtutis non sufficit quod peccatum vitetur.
Perfectio enim iustitiae in hoc consistit quod in Psal. XXXIII, v. 15, dicitur : declina
a malo, et fac bonum. Sed ad irascibilem pertinet detestari malum, ut
dicitur in Lib. de spiritu et anima. Ergo in irascibili ad minus non potest
esse virtus.
9.
Il ne suffit pas а la raison de vertu que le pйchй soit йvitй. En effet, la
perfection de la justice consiste en ce que dit le Ps 38, 15 : Dйtourne-toi
du mal et fais le bien. Or, il appartient а l’irascible de dйtester le
mal, comme il est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’вme. Dans
l’irascible au moins, il ne peut donc y avoir de vertu.
[65574]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, in eodem libro dicitur, quod in ratione
est desiderium virtutum, in irascibili odium vitiorum. Sed in eodem est
desiderium virtutis et virtus, cum quaelibet res suam perfectionem desideret.
Ergo omnis virtus est in ratione, et non in irascibili et concupiscibili.
10.
Dans le mкme livre, on dit qu’il existe un dйsir des vertus dans la raison,
et une haine des vices dans l’irascible. Or, le dйsir de la vertu et la vertu
se trouvent dans le mкme [sujet], puisque toute chose dйsire sa perfection.
Toute vertu se trouve donc dans la raison, et non dans l’irascible et le
concupiscible.
[65575] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 11 Praeterea, in nulla
potentia potest esse habitus quae agitur tantum et non agit; eo quod habitus
est id quo quis agit cum voluerit, ut dicit Commentator in III de anima. Sed
irascibilis et concupiscibilis non agunt, sed aguntur : quia ut dicitur in
III Ethic., sensus nullius actus dominus est. Ergo non potest esse habitus
virtutis in irascibili et concupiscibili.
11.
Dans aucune puissance ne peut exister un habitus qui est seulement mы et qui
n’agit pas, йtant donnй que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit
lorsqu’il le veut, comme le dit le Commantateur dans Sur l’вme, III.
Or, l’irascible et le concupiscible n’agissent pas mais sont mus, car, comme
on le dit dans Йthique, III, le sens n’est maоtre d’aucun acte. Il ne
peut donc y avoir de vertu dans l’irascible et le concupiscible.
[65576] De virtutibus, q.
1 a. 4 arg. 12 Praeterea, proprium subiectum parificatur propriae passioni.
Virtus autem parificatur rationi, non autem irascibili et concupiscibili,
quae sunt nobis et brutis communes. Virtus ergo est in hominibus tantum,
sicut et ratio; ergo omnis virtus est in ratione, non autem in irascibili et
concupiscibili.
12.
Le sujet propre est assimilй а la passion propre. Or, la vertu est assimilйe
а la raison, et non а l’irascible et au concupiscible, qui sont communs а
nous et aux animaux sans raison. La vertu se trouve donc dans l’homme seulement,
comme la raison. Toute vertu est donc dans la raison, et non dans l’irascible
et le concupiscible.
[65577] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 13 Praeterea, Rom. VII,
dicit Glossa : bona est lex, quae dum concupiscentiam prohibet, omne malum
prohibet. Omnia ergo vitia ad concupiscibilem pertinent, cuius est
concupiscentia. Sed in eodem, sunt virtutes et vitia. Ergo virtutes non sunt
in irascibili, sed in concupiscibili ad minus.
13.
А propos de Rm 7, la Glose dit : «La loi est bonne, puisqu’elle interdit
la convoitise et empкche tout mal.» Tous les vices se rapportent donc au
concupiscible, dont relиve la convoitise. Or, les vertus et les vices se
trouvent dans le mкme [sujet]. Les vertus ne sont donc pas dans l’irascible,
mais au moins dans le concupiscible.
Cependant
:
[65578] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod philosophus, dicit de temperantia et fortitudine, quod sunt
irrationabilium partium. Partes autem irrationabiles, id est sensibilis
appetitus, sunt irascibilis et concupiscibilis, ut habetur in III de anima.
Ergo in irascibili et concupiscibili possunt esse virtutes.
1.
Il y a ce que le Philosophe dit de la tempйrance et de la force, qui
appartiennent aux parties non raisonnables. Or, les parties non raisonnables,
а savoir, l’appйtit sensible, sont l’irascible et le concupiscible, comme on
le trouve dans Sur l’вme, III. Les vertus peuvent donc exister dans
l’irascible et le concupiscible.
[65579] De virtutibus, q.
1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, peccatum veniale est dispositio ad mortale.
Perfectio autem et dispositio sunt in eodem. Cum igitur veniale peccatum sit
in irascibili et concupiscibili (prius enim motus est actus sensualitatis, ut
ponitur in Glossa ad Rom. VIII); ergo et mortale peccatum ibi esse poterit;
et sic etiam virtus, quae est peccato mortali contraria.
2.
Le pйchй vйniel est une disposition au pйchй mortel. Or, la perfection et la
disposition existent dans le mкme [sujet]. Comme le pйchй vйniel existe dans
l’irascible et le concupiscible (en effet, il y a d’abord un mouvement de la
sensualitй, comme on le trouve dans la Glose а propos de Rm 8), le pйchй
mortel peut donc aussi y exister, et donc aussi la vertu, qui est contraire
au pйchй mortel.
[65580]
De virtuoses, q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem. Sed
virtus aliqua est medium inter contrarias passiones; sicut fortitudo inter
timorem et audaciam, et temperantia inter superfluum et diminutum in
concupiscentiis. Cum igitur huiusmodi passiones sint in irascibili et
concupiscibili, videtur etiam quod in eisdem sit virtus.
3.
Le milieu et les extrкmes existent dans le mкme [sujet]. Or, une vertu est le
milieu entre des passions contraires, comme la force entre la crainte et
l’audace, et la tempйrance entre l’excиs et la carence dans les dйsirs.
Puisque ces passions sont dans l’irascible et le concupiscible, il semble
donc aussi que la vertu existe en eux.
Rйponse
:
[65581] De virtutibus, q.
1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod circa quaestionem istam partim ab
omnibus convenitur, et partim opiniones sibi invicem repugnant. Ab omnibus
enim conceditur aliquas virtutes in irascibili et concupiscibili esse, sicut
temperantiam in concupiscibili et fortitudinem in irascibili; sed in hoc est
differentia. Quidam enim distinguunt duplicem irascibilem et concupiscibilem
esse; in superiori parte animae, et iterum in inferiori. Dicunt enim, quod
irascibilis et concupiscibilis quae sunt in superiori parte animae, cum ad
naturam rationalem pertineant, possunt esse subiectum virtutis; non tamen
illae quae sunt in inferiori parte ad naturam sensualem et brutalem
pertinentes. Sed hoc quidem in alia quaestione discussum est; utrum scilicet
in superiori parte animae possint distingui duae vires, quarum una sit
irascibilis et alia concupiscibilis, proprie loquendo. Sed, quidquid de hoc
dicatur, nihilominus in irascibili et concupiscibili quae sunt in inferiori
appetitu, secundum philosophum in III Ethic., oportet ponere esse aliquas
virtutes, ut etiam alii dicunt : quod quidem sic patet. Cum enim virtus, ut
supra dictum est, nominet quoddam potentiae complementum, potentia autem ad
actum respiciat; oportet humanam virtutem in illa potentia ponere quae est
principium actus humani. Actus autem humanus dicitur qui non quocumque modo
in homine vel per hominem exercetur; cum in quibusdam etiam plantae, bruta et
homines conveniant; sed qui hominis proprius est. Inter cetera vero hoc habet
homo proprium in suo actu, quod sui actus est dominus. Quilibet igitur actus
cuius homo dominus est, est proprie actus humanus; non autem illi quorum homo
non est dominus, licet in homine fiant, ut digerere, et augeri, et alia
huiusmodi. In eo igitur quod est principium talis actus cuius homo dominus
est, potest poni virtus humana. Sciendum tamen est, quod huiusmodi actus
contingit esse triplex principium. Unum sicut primum movens et imperans, per
hoc quod homo sui actus sit dominus; et hoc est ratio vel voluntas. Aliud est
movens motum, sicut appetitus sensibilis, qui etiam movetur ab appetitu
superiori in quantum ei obedit, et tunc iterum movet membra exteriora per sui
imperium. Tertium autem est quod est motum tantum, scilicet membrum exterius.
Cum autem utrumque, scilicet membrum exterius et appetitus inferior a
superiori parte animae moveantur; tamen aliter, et aliter. Nam membrum exterius
ad nutum obedit superiori imperanti absque ulla repugnantia secundum naturae
ordinem, nisi sit impedimentum aliquod; ut patet in manu et pede. Appetitus
autem inferior habet propriam inclinationem ex natura sua, unde non obedit
superiori appetitui ad nutum, sed interdum repugnat; unde Aristoteles dicit
in politica sua, quod anima dominatur corpori dispotico principatu, sicut
dominus servo, qui non habet facultatem resistendi in aliquo imperio domini;
ratio vero dominatur inferioribus animae partibus regali et politico
principatu, id est sicut reges et principes civitatum dominantur liberis, qui
habent ius et facultatem repugnandi quantum ad aliqua praecepta regis vel
principis. In membro igitur exteriori non est necessarium aliquid perfectivum
actus humani, nisi naturalis eius dispositio, per quam natum est moveri a
ratione; sed in appetitu inferiori, qui rationi repugnare potest, est
necessarium aliquid quo operationem quam ratio imperat, absque repugnantia
prosequatur. Si enim immediatum operationis principium sit imperfectum,
oportet operationem esse imperfectam, quantacumque perfectio adsit superiori
principio. Et ideo, si appetitus inferior non esset in perfecta dispositione
ad sequendum imperium rationis, operatio, quae est appetitus inferioris, sicut
proximi principii, non esset in bonitate perfecta; esset enim cum quadam
repugnantia sensibilis appetitus; ex quo quaedam tristitia consequeretur
appetitui inferiori per quamdam violentiam a superiori moto; sicut accidit in
eo qui habet fortes concupiscentias, quas tamen non sequitur, ratione
prohibente. Quando igitur oportet operationem hominis esse circa ea quae sunt
obiecta sensibilis appetitus, requiritur ad bonitatem operationis quod sit in
appetitu sensibili aliqua dispositio, vel perfectio, per quam appetitus
praedictus de facili obediat rationi; et hanc virtutem vocamus. Quando igitur
aliqua virtus est circa illa quae proprie ad vim irascibilem pertinent, sicut
fortitudo circa timores et audacias, magnanimitas circa ardua sperata,
mansuetudo circa iras : talis virtus dicitur esse etiam in irascibili sicut
in subiecto. Quando autem est circa ea quae sunt proprie concupiscibilis,
dicitur esse in concupiscibili sicut in subiecto; sicut castitas, quae est
circa delectationes venereas, et sobrietas et abstinentia, quae sunt circa
delectationes in cibis et potibus.
А
propos de cette question, tous sont d’accord en partie, et les opinions
s’opposent les unes aux autres en partie. Tous concиdent en effet qu’il
existe certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible, comme la
tempйrance dans le concupiscible et la force dans l’irascible. Mais il y a
sur ce point une divergence. En effet, certains font une distinction selon
laquelle il existe une double irascible et concupiscible : dans la partie
supйrieure de l’вme, et aussi dans [la partie] infйrieure. En effet, ils
disent que l’irascible et le concupiscible qui existent dans la partie
supйreure de l’вme, puisqu’ils relиvent de la nature raisonnable, peuvent
кtre le sujet de la vertu, mais que ce n’est cependant pas le cas de ceux qui
existent dans la partie infйrieure, qui se rapporte а la nature sensible et
sans raison. Mais cela a йtй discutй dans une autre question, а savoir, si
l’on peut distinguer deux puissances dans la partie supйrieure de l’вme, dont
l’une est l’irascible et l’autre le concupiscible au sens propre. Mais quoi
qu’on dise а ce sujet, il est nйanmoins nйcessaire de situer certaines vertus
dans l’irascible et le concupiscible qui se trouvent dans l’appйtit
infйrieur, selon le Philosophe, dans Йthique, II, et comme d’autres
aussi le disent. Et cela peut s’expliquer ainsi. En effet, puisque la vertu,
comme on l’a dit, dйsigne un achиvement de la puissance et que la puissance
concerne l’acte, il est nйcessaire de situer la vertu humaine dans la
puissance qui est le principe de l’acte humain. Or, on appelle acte humain
non pas celui qui existe dans l’homme ou est exercй par l’homme de n’importe
quelle maniиre, puisque les plantes, les animaux sans raison et les hommes
ont certaines choses en commun, mais [l’acte] qui est propre а l’homme. Or,
parmi les autres choses, l’homme a en propre dans son acte d’кtre maоtre de
son acte. Tout acte dont l’homme est maоtre est donc humain au sens propre,
mais non ceux dont l’homme n’est pas maоtre, bien qu’ils s’accomplissent chez
l’homme, comme digйrer, grandir et les autres choses de ce genre. C’est donc
dans ce qui est le principe de l’acte dont l’homme est maоtre qu’on peut
situer la vertu humaine. Il faut cependant savoir qu’il se fait que le principe
d’un tel acte est triple. L’un, comme premier agent et commandant, par lequel
l’homme est maоtre de son acte : et cela est la raison ou la volontй. Un
autre est l’agent qui est mы, comme l’appйtit sensible, qui est aussi mы par
un appйtit supйrieur dans la mesure oщ il lui obйit, et par le commandement
duquel aussi [l’homme] meut ses membres extйrieurs. Le troisiиme est celui
qui est mы seulement, а savoir, le membre extйrieur, bien que les deux, а
savoir, le membre infйrieur et l’appйtit infйrieur, soient mus par la partie
supйrieure de l’вme, mais cependant d’une maniиre diffйrente. Car le membre
extйrieur obйit au moindre commandement de la [partie] supйrieure qui le
commande, sans aucune rйsistance, selon l’ordre de la nature, а moins qu’il y
ait un empкchement, comme cela est manifeste pour la main et le pied. Mais
l’appйtit infйrieur a sa propre inclination par sa nature; aussi n’obйit-il
pas au moindre commendemenet de l’appйtit supйrieur, mais parfois lui
rйsiste. C’est ainsi qu’Aristote dit, dans sa Politique, que l’вme
commande au corps par un pouvoir despotique, comme le maоtre а l’esclave, qui
n’a la capacitй de rйsister а aucun commandement du maоtre; mais la raison
s’impose aux parties infйrieures de l’вme par un pouvoir royal et politique,
c’est-а-dire comme les rois et les dirigeants des villes s’imposent aux
hommes libres, qui ont le droit et la capacitй de rйsister а certains ordres
du roi ou du dirigeant. Il n’est donc pas nйcessaire qu’existe dans le membre
extйrieur quelque chose qui perfectionne l’acte humain, sinon sa disposition
naturelle, par laquelle il est disposй а кtre mы par la raison. Mais, dans
l’appйtit infйrieur, qui peut rйsister а la raison, quelque chose est
nйcessaire pour que suive sans rйsistance l’opйration que commande la raison.
En effet, si le principe immйdiat de l’opйration est imparfait, l’opйration
sera nйcessairement imparfaite, quelle que soit la perfection du principe
supйrieur. C’est pourquoi, si l’appйtit infйrieur n’est pas parfaitement
disposй а suivre le commandement de la raison, l’opйration, qui relиve de
l’appйtit infйrieur comme de son principe rapprochй, ne sera pas d’une bontй
parfaite. En effet, elle se ferait avec une certaine rйsistance de l’appйtit
sensible, d’oщ viendrait une tristesse de l’appйtit infйrieur mы selon une
certaine violence par l’appйtit supйrieur, comme il arrive chez celui qui a
de fortes convoitises, qu’il ne suit cependant pas parce que la raison l’en
empкche. Ainsi donc, lorsque l’opйration de l’homme doit porter sur les choses
qui sont les objets de l’appйtit sensible, il est nйcessaire pour la bontй de
l’opйration qu’il y ait dans l’appйtit sensible une certaine disposition ou
perfection, par laquelle ledit appйtit puisse obйir facilement а la raison.
Et c’est cette disposition que nous appelons vertu. Lors donc qu’une vertu
porte sur ce qui relиve en propre de la puissance irascible, comme la force
pour les craintes et les audaces, la magnanimitй pour les choses difficiles
qu’on espиre, la douceur pour les colиres, on dit qu’une telle vertu rйside
dans l’irascible comme dans son sujet. Mais lorsqu’elle porte sur ce qui
relиve en propre du concupiscible, on dit qu’elle rйside dans le
concupiscible comme dans son sujet, comme la chastetй, qui porte sur les
plaisirs sexuels, la sobriйtй et l’abstinence, qui portent sur les plaisirs
associйs а la nourriture et aux boissons.
Solutions :
[65582]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus et peccatum
mortale dupliciter considerari possunt; scilicet secundum actum et secundum
habitum. Sicut autem actio concupiscibilis et irascibilis si secundum se
consideratur, non est peccatum mortale, concurrit tamen in actu peccati
mortalis, quando ratione movente vel consentiente tendit in contrarium legis
divinae; ita actus eorumdem, si per se accipiantur, non possunt esse actus
virtutis, sed solum quando concurrunt ad consequendum imperium rationis. Et
sic actus peccati mortalis et virtutis pertinet aliquo modo ad irascibilem et
concupiscibilem; unde et habitus utriusque in irascibili et concupiscibili
esse possunt. Hoc tamen in re est, quod sicut actus virtutis consistit in hoc
quod irascibilis et concupiscibilis sequuntur rationem, ita actus peccati
consistit in hoc quod ratio trahitur ad sequendum inclinationem irascibilis
et concupiscibilis. Unde et peccatum consuevit frequentius rationi attribui
tamquam proximae causae; et eadem ratione virtus irascibilis et
concupiscibilis.
1.
La vertu et le pйchй mortel peuvent кtre abordйs de deux faзons : selon
l’acte et selon l’habitus. De mкme que l’action du concupiscible et de
l’irascible, considйrйe en elle-mкme, n’est pas un pйchй mortel, mais
concourt cependant а l’acte du pйchй mortel lorsque, malgrй le mouvement ou
le consentement de la raison, elle tend а ce qui est contraire а la loi
divine, de mкme leurs actes, considйrйs en eux-mкmes, ne peuvent-ils кtre
considйrйs comme des actes de vertu, mais seulement lorsqu’ils parviennent а
se conformer au commandement de la raison. Et ainsi, l’acte du pйchй mortel
et de la vertu se rapportent-ils d’une certaine maniиre а l’irascible et au
concupiscible; l’habitus de chacun peut donc rйsider dans l’irascible et le
concupiscible. En rйalitй, de mкme que l’acte de la vertu consiste en ce que
l’irascible et le concupiscible suivent la raison, de mкme l’acte du pйchй
consiste-t-il en ce que la raison soit entraоnйe а suivre l’inclination de
l’irascible et du concupiscible. Aussi a-t-on l’habitude d’attribuer plus
frйquemment le pйchй а la raison comme а sa cause prochaine et, pour la mкme
raison, la vertu de l’irascible et du concupuscible.
[65583] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod, sicut iam dictum est, actus virtutis non potest esse irascibilis vel
concupiscibilis tantum, sine ratione. Id tamen quod est in actu virtutis,
principalius est rationis, scilicet electio; sicut et in qualibet operatione
principalior est agentis actio quam passio patientis. Ratio enim imperat
irascibili et concupiscibili. Non ergo pro tanto dicitur esse virtus in
irascibili vel concupiscibili, quasi per eas totus actus virtutis vel
principalior pars expleatur; sed in quantum, per virtutis habitum, ultimum
complementum bonitatis actui virtutis confertur : in hoc scilicet quod
irascibilis et concupiscibilis absque difficultate sequantur ordinem
rationis.
2.
Comme on l’a dйjа dit, l’acte de la vertu ne peut relever de l’irascible et
du concupiscible seulement, sans la raison. Cependant,
ce qui constitue l’acte de la vertu relиve principalement de la raison, а
savoir, le choix, comme dans toute action, l’action de l’agent est plus
importante que la passion de ce qui reзoit l’action. En effet, la raison
commande а l’irascible et au concupiscible. Pour autant, on ne dit donc pas
qu’existe une vertu dans l’irascible ou dans le concupiscible, comme si
s’accomplissait par eux tout l’acte ou la partie principale de la vertu, mais
pour autant que, par l’habitus de la vertu, l’ultime achиvement de la bontй
est apportй а l’acte de la vertu, а savoir, par le fait que l’irascible et le
concupiscible suivent l’ordre de la raison.
[65584] De virtutibus, q.
1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposito quod irascibilis et
concupiscibilis non remaneant actu in anima separata, manent tamen in ea
sicut in radice : nam essentia animae est radix potentiarum. Et similiter
virtutes quae ascribuntur irascibili et concupiscibili, manent in ratione
sicut in radice. Nam ratio est radix omnium virtutum, ut postea ostendetur.
3.
А supposer que l’irascible et le concupiscible ne demeurent pas en acte dans
l’вme sйparйe, ils demeurent cependant en elle comme en leur racine, car
l’essence de l’вme est la racine des puissances. De mкme, les vertus qui sont
attribuйes а l’irascible et au concupiscible demeurent dans la raison comme
en leur racine. Car la raison est la racine de toutes les vertus, comme on le
montrera plus loin.
[65585]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in formis invenitur quidam
gradus. Sunt enim quaedam formae et virtutes totaliter ad materiam depressae,
quarum omnis actio materialis est; ut patet in formis elementaribus.
Intellectus vero est totaliter a materia liber; unde et eius operatio est
absque corporis communione. Irascibilis autem et concupiscibilis medio modo
se habent. Quod enim organo corporali utantur, ostendit corporalis transmutatio,
quae earum actibus adiungitur; quod iterum sint aliquo modo a materia
elevatae, ostenditur per hoc quod per imperium moventur et quod obediunt
rationi. Et sic in eis est virtus, id est in quantum elevatae sunt a materia,
et rationi obediunt.
4.
Il existe une certaine gradation dans les formes. En effet, certaines formes
et puissances sont entiиrement immergйes dans la matiиre : toute leur action
est matйrielle, comme cela ressort clairement dans les formes йlйmentaires.
Mais l’intellect est entiиrement libre par rapport а la matiиre; aussi son
opйration se rйalise-t-elle sans communion avec le corps. Cependant, l’irascible et le concupiscible
occupent une position intermйdiaire. En effet, qu’ils utilisent un organe
corporel, la transformation corporelle qui est associйe а leurs actes le
montre; mais qu’ils soient d’une certaine maniиre йlevйs au-dessus de la
matiиre, cela est montrй par le fait qu’ils sont mus par un commandement et
qu’ils obйissent а la raison. Et ainsi rйside en eux la vertu, а savoir, pour
autant qu’elles sont йlevйes au-dessus de la matiиre et obйissent а la
raison.
[65586] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
licet ordo rationis quo irascibilis et concupiscibilis participant, non sit
aliquid subsistens, nec per se possit esse subiectum; potest tamen esse ratio
quare aliquid sit subiectum.
5. Bien que l’ordre de la raison auquel
l’irascible et le concupiscible participent ne soit pas quelque chose de
subsistant et ne puisse par lui-mкme кtre un sujet, il peut cependant кtre la
raison pour laquelle quelque chose est un sujet.
[65587]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtutes sensitivae
cognitivae sunt naturaliter praeviae rationi, cum ab eis ratio accipiat;
appetitivae autem sequuntur naturaliter ordinem rationis cum naturaliter
appetitus inferior superiori obediat; et ideo non est simile.
6. Les puissances sensibles cognitives
prйcиdent naturellement la raison, puisque la raison reзoit d’elles ;
mais les puissances appйtitives suivent naturellement l’ordre de la raison,
puisque l’appйtit infйrieur obйit naturellement а [l’appйtit] supйrieur. Ce
n’est donc pas la mкme chose.
[65588]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod tota rebellio irascibilis
et concupiscibilis ad rationem tolli non potest per virtutem; cum ex ipsa sui
natura irascibilis et concupiscibilis in id quod est bonum secundum sensum,
quandoque rationi repugnet; licet hoc possit fieri divina virtute, quae
potens est etiam naturas immutare. Nihilominus tamen per virtutem minuitur
illa rebellio, in quantum praedictae vires assuefiunt ut rationi subdantur;
ut sic ex extrinseco habeant id quod ad virtutem pertinet, scilicet ex
dominio rationis super eas; ex seipsis autem retineant aliquid de motibus
propriis, qui quandoque sunt contrarii rationi.
7. Toute la rйbellion de l’irascible et du
concupiscible contre la raison ne peut pas кtre enlevйe par la vertu,
puisque, par sa nature mкme, [le mouvement de] l’irascible et du
concupiscible vers ce qui est bon selon le sens est parfois contraire а la
raison ; cela peut cependant кtre accompli par la puissance divine, qui
a le pouvoir de changer mкme les natures. Toutefois, cette rйbellion est
diminuйe par la vertu, pour autant que lesdites puissances sont habituйes а se
soumettre а la raison, de sorte qu’elles reзoivent de l’extйrieur ce qui
relиve de la vertu, а savoir, du pouvoir de la raison sur elles, et qu’elles
gardent par elles-mкmes quelque chose de leurs propres mouvements, qui sont
parfois contraires а la raison.
[65589] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
licet quandoque in homine principium sit quod est rationis; tamen ad
integritatem humanae naturae requiritur non solum ratio, sed inferiores
animae vires, et ipsum corpus. Et ideo ex conditione humanae naturae sibi
relictae provenit ut in inferioribus animae viribus aliquid sit rationi
rebellans, dum inferiores vires animae proprios motus habent. Secus autem est
in statu innocentiae et gloriae, cum ex coniunctione ad Deum ratio sortitur
vim totaliter sub se inferiores vires continendi.
8. Bien que parfois, chez l’homme, ce qui
relиve de la raison soit principe, toutefois, non seulement la raison
est-elle nйcessaire pour l’intйgritй de la nature humaine, mais aussi les
puissances infйrieures de l’вme, et le corps lui-mкme. C’est pourquoi vient
de la condition de la nature humaine laissйe а elle-mкme que quelque chose se
rebelle contre la raison, lorsque les puissances infйrieures de l’вme
exercent leurs propres mouvements. Il en est autrement dans l’йtat
d’innocence et de gloire, puisque, par suite de l’union а Dieu, la raison
possиde la force de maintenir sous sous son contrфle les puissances
infйrieures.
[65590]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod detestari malum, secundum
quod ad irascibilem pertinere dicitur, non solum importat declinationem a
malo, sed quemdam motum irascibilis ad mali destructionem; sicut accidit illi
qui non solum malum refugit, sed ad mala extirpanda per vindictam movetur. Hoc autem est aliquod bonum facere. Licet autem sic malum detestari,
ad irascibilem et concupiscibilem pertineat, non tamen solum habet actum
hunc; nam et insurgere ad arduum bonum consequendum ad irascibilem pertinet;
in qua non solum est passio irae et audaciae, sed etiam spei.
9. Dйtester le mal, pour autant qu’on le dit
relever de l’irascible, ne comporte pas seulement un йloignement du mal, mais
un certain mouvement de l’irascible pour dйtruire le mal, comme cela arrive
chez celui qui, non seulement fuit le mal, mais est mы par la vengeance а
extirper le mal. Or, c’est lа accomplir un certain bien. Bien que dйtester
ainsi le mal relиve de l’irascible et du concupiscible, cela ne comporte donc
pas seulement cet acte, car entreprendre d’atteindre un bien difficile relиve
aussi de l’irascible, dans lequel n’existent pas seulement les passions de
colиre et d’audace, mais aussi d’espoir.
[65591] De virtutibus, q.
1 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa verba sunt accipienda per quamdam
adaptationem, et non per proprietatem. Nam in qualibet potentia animae est
desiderium boni proprii; unde et irascibilis appetit victoriam, sicut et
concupiscibilis delectationem. Sed quia concupiscibilis fertur in id quod est
bonum toti animali simpliciter sive absolute; ideo omne desiderium boni
appropriatur sibi.
10. Ces paroles doivent кtre interprйtйes
selon une certaine adaptation, et non au sens propre. Car, en toute puissance
de l’вme, existe le dйsir de son bien propre. Ainsi, l’irascible dйsire la
victoire, comme le concupiscible dйsire le plaisir. Mais parce que le
concupiscible se porte vers ce qui est bon pour tout animal purement et
absolument, c’est la raison pour laquelle tout dйsir du bien lui est
appropriй.
[65592]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet irascibilis et
concupiscibilis secundum se consideratae agantur, et non agant : tamen in
homine secundum quod participant aliqualiter rationem, etiam quodam modo
agunt; non tamen totaliter aguntur. Unde etiam in politicis dicit
philosophus, quod dominium rationis super has vires est politicum; quia
huiusmodi vires aliquid habent de proprio motu, ubi non totaliter obediunt
rationi. Dominium autem animae ad corpus non est
regale, sed dispoticum; quia membra corporis ad nutum obediunt animae quantum
ad motum.
11. Bien que l’irascible et le concupiscible,
considйrйs en eux-mкmes, soient mus et ne meuvent pas, cependant, chez
l’homme, pour autant qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison,
ils meuvent aussi d’une certaine faзon, et ne sont pas totalement mus. Aussi
le Philosophe dit-il, dans la Politique, que le pouvoir de la raison
sur ces autres puissances est politique, car ces puissances ont quelque chose
de leur propre mouvement, en quoi elles n’obйissent pas totalement а la
raison. Mais le pouvoir de l’вme sur le corps n’est pas royal, mais
despotique, car les membres du corps obйissent au moindre commandement de
l’вme pour ce qui est de se mouvoir.
[65593] De virtutibus, q.
1 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet istae vires sint in brutis,
non tamen in eis participant aliquid rationis; et ideo virtutes morales
habere non possunt.
12. Bien que ces puissances existent chez les
animaux sans raison, elles ne participent cependant pas chez eux а quelque
chose de la raison. C’est pourquoi ils ne peuvent avoir de vertus morales.
[65594] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod omnia mala ad concupiscentiam
pertinent, sicut ad primam radicem, et non sicut ad proximum principium. Nam omnes passiones ex
irascibili et concupiscibili oriuntur, ut ostensum est, cum de passionibus
animae ageretur. Perversitas vero rationis et voluntatis ut plurimum ex
passionibus accidit. Vel potest dici quod per concupiscentiam intelligit non
solum id quod est proprium vis concupiscibilis, sed quod est commune toti
appetitivae potentiae; in cuius unaquaque particula invenitur alicuius
concupiscentia, circa quam contingit esse peccatum. Nec aliter peccari potest
nisi aliquid concupiscendo vel appetendo.
13. Tous les maux relиvent de la concupiscence
comme de leur racine premiиre, et non selon leur principe propre. Car toutes
les passions sont issues de l’irascible et du concupiscible, comme on l’a
montrй, lorsqu’il a йtй question des passions de l’вme. Mais la perversitй de
la raison et de la volontй vient la plupart du temps des passions. Ou l’on
peut dire que, par concupiscence, on entend non seulement ce qui est propre а
la puissance concupiscible, mais ce qui est commun а toute puissance
appйtitive : en chaque petite parcelle de celle-ci, se rencontre la concupiscence
de quelque chose, dans laquelle il arrive que se trouve le pйchй. Et l’on ne
peut pйcher autrement qu’en convoitant ou en dйsirant quelque chose.
[65597] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 1 Maior enim perfectio
requiritur in imperante ad hoc quod recte imperet, quam in exequente ad hoc
quod recte exequatur; quia ex imperante procedit ordinatio exequentis. Sed ad actum virtutis se
habet voluntas sicut imperans, irascibilis autem et concupiscibilis sicut
obedientes et exequentes. Cum igitur in irascibili et concupiscibili sit
virtus sicut in subiecto, videtur quod multo fortius debeat esse in
voluntate.
1. En effet, une plus grande perfection est
requise chez celui qui commande pour qu’il commande correctement, que chez
celui qui exйcute pour qu’il exйcute correctememnt, car la mise en ordre de
celui qui exйcute vient de celui qui commande. Or, la volontй joue le rфle de
commandant par rapport а l’acte de la vertu, mais l’irascible et le
concupiscible obйissent et exйcutent. Puisque la vertu rйside dans
l’irascible et le concupuscible comme dans un sujet, il semble qu’elle doive
а bien plus forte raison rйsider dans la volontй.
[65598] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 2 Sed diceretur, quod naturalis inclinatio voluntatis ad bonum sufficit
ad eius rectitudinem. Nam finem naturaliter desideramus; unde non requiritur
quod rectificetur per habitum virtutis superadditum.- Sed contra, voluntas
non solum est finis ultimi, sed etiam finium aliorum. Sed circa appetitum
aliorum finium contingit voluntatem et recte et non recte se habere. Nam boni
praestituunt sibi bonos fines, mali vero malos, ut dicitur in III Ethic. : qualis
unusquisque est, talis finis videtur ei. Ergo
requiritur ad rectitudinem voluntatis, quod sit in ea aliquis habitus
virtutis ipsam perficiens.
2. Mais on pourrait dire que l’inclination
naturelle de la volontй au bien suffit а sa rectitude. Car nous dйsirons
naturellement la fin. Aussi n’a-t-elle pas besoin d’кtre rectifiйe par un
habitus de vertu surajoutй. – Par contre, la volontй n’a pas seulement pour
objet la fin ultime, mais aussi les autres fins. Or, il arrive qu’а propos
des autres fins, la volontй soit et ne soit pas droite, car les bons se
donnent des fins bonnes, et les mйchants, [des fins] mauvaises, comme il est
dit dans Йthique, III : «Tel est chacun, telle lui paraоt la fin.» Il
est donc nйcessaire pour la rectitude la volontй qu’il existe en elle un
habitus de vertu qui la perfectionne.
[65599] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, etiam inest
animae cognoscitivae aliqua cognitio naturalis, quae est primorum
principiorum; et tamen respectu huius cognitionis est aliqua virtus
intellectualis in nobis, scilicet intellectus, qui est habitus principiorum.
Ergo et in voluntate debet esse aliqua virtus respectu eius ad quod
naturaliter inclinatur.
3. Il existe aussi dans l’вme cognitive une
connaissance naturelle, qui porte sur les premiers principes. Et cependant,
par rapport а cette connaissance, il existe en nous une vertu intellectuelle,
а savoir, l’intellect, qui est l’habitus des principes. Il doit donc aussi
exister dans la volontй une vertu pour ce а quoi elle est naturellement
inclinйe.
[65600]
De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, sicut circa passiones est aliqua virtus
moralis, ut temperantia et fortitudo; ita etiam est aliqua virtus circa
operationes, ut iustitia. Operari autem sine passione est voluntatis, sicut
operari ex passione est irascibilis et concupiscibilis. Ergo sicut aliqua
virtus moralis est in irascibili et concupiscibili, ita aliqua est in voluntate.
4. De mкme qu’il existe une vertu morale par
rapport aux passions, comme la tempйrance et la force, de mкme aussi
existe-t-il une vertu par rapport aux actions, comme la justice. Or, agir
sans passion relиve de la volontй, comme agir par passion relиve de
l’irascible et du concupiscible. De mкme qu’il existe une vertu morale dans
l’irascible et dans le concupiscible, de mкme en existe-t-il donc une dans la
volontй.
[65601] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, philosophus in
IV Ethic. dicit, quod amor sive amicitia est ex passione. Amicitia autem est
ex electione. Dilectio autem quae est sine passione, est actus voluntatis.
Cum igitur amicitia sit vel virtus, vel non sine virtute, ut dicitur in VIII
Ethic.; videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.
5. L’amour ou l’amitiй vient d’une passion.
Or, l’amitiй vient d’un choix. Mais l’amour qui existe sans passion est un
acte de la volontй. Puisque l’amitiй est une vertu ou n’existe pas sans
vertu, comme il est dit dans Йthique, VIII, il semble donc que la
vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.
[65602] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, caritas est
potissima inter virtutes, ut probat apostolus, I ad Cor. XIII. Sed caritatis
subiectum esse non potest nisi voluntas; non enim est eius subiectum
concupiscibilis inferior, quae solum ad bona sensibilia se extendit. Ergo
voluntas est subiectum virtutis.
6. La charitй est la plus importante des
vertus, comme le montre l’Apфtre en 1 Co 13. Or, le sujet de la
charitй ne peut кtre que la volontй : en effet, le concupiscible infйrieur,
qui ne porte que sur les biens sensibles, n’est pas son sujet. La volontй est
donc le sujet de la vertu.
[65603] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, secundum
Augustinum, per voluntatem immediatius Deo coniungimur. Sed id quod coniungit
nos Deo, est virtus. Ergo videtur quod virtus sit in voluntate sicut in
subiecto.
7. Selon Augustin, c’est par la volontй que
nous sommes unis а Dieu de maniиre plus immйdiate. Or, ce qui nous unit а
Dieu, c’est la vertu. Il semble donc que la vertu rйside dans la volontй
comme dans son sujet.
[65604] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea,
felicitas, secundum Hugonem de s. Victore, in voluntate est. Virtutes autem sunt
dispositiones quaedam ad felicitatem. Cum igitur dispositio et perfectio sint
in eodem, videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.
8. La fйlicitй, selon Hugues de Saint-Victor,
se trouve dans la volontй. Or, les vertus sont des dispositions а la
fйlicitй. Puisque la disposition et l’accomplissement se trouvent dans la
mкme chose, il semble que la vertu rйside dans la volontй comme dans son
sujet.
[65605] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum
Augustinum, voluntas est qua peccatur et recte vivitur. Rectitudo autem vitae
pertinet ad virtutem; unde Augustinus dicit, quod virtus est bona qualitas
mentis, qua recte vivitur. Ergo virtus est in voluntate.
9. Selon Augustin, c’est par la volontй que
l’on pиche ou que l’on vit correctement. Or, la rectitude de la vie relиve de
la vertu. Aussi Augustin dit-il que «la vertu est une bonne qualitй de
l’esprit, par laquelle on vit correctement». La vertu est donc dans la
volontй.
[65606] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea,
contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem peccatum contrariatur.
Cum igitur omne peccatum sit in voluntate, ut Augustinus dicit, videtur quod
virtus sit in eadem.
10. Par nature, les contraires portent sur la
mкme chose. Or, le pйchй est le contraire de la vertu. Puisque tout pйchй est
dans la volontй, comme le dit Augustin, il semble donc que la vertu y soit
aussi.
[65607] De virtutibus, q.
1 a. 5 arg. 11 Praeterea, virtus humana in illa parte animae debet esse quae
est propria hominis. Sed voluntas est propria hominis, sicut et ratio; utpote
magis propinqua rationi quam irascibilis et concupiscibilis. Cum igitur
irascibilis et concupiscibilis sint subiecta virtutum, videtur quod multo
fortius voluntas.
11.
La vertu humaine doit exister dans cette partie de l’вme qui est propre а
l’homme. Or, la volontй est propre а l’homme, comme la raison, car elle est
plus rapprochйe de la raison que l’irascible et le concupiscible. Puisque
l’irascible et le concupiscible sont des sujets de vertus, il semble donc
qu’а bien plus forte raison la volontй le soit.
Cependant
:
[65608] De virtutibus, q. 1 a.
5 s. c. 1 Sed contra. Omnis virtus aut est
intellectualis, aut moralis, ut patet per philosophum in fine I Ethic. Virtus
autem moralis est sicut in subiecto in eo quod est rationale non per
essentiam, sed per participationem; virtus vero intellectualis habet pro
subiecto id quod est rationale per essentiam. Cum igitur voluntas in neutra
parte possit computari; quia nec est cognoscitiva potentia, quod pertinet ad
rationalem per essentiam; neque pertinet ad irrationalem animae partem quae
pertinet ad rationalem per participationem; videtur quod voluntas nullo modo
subiectum virtutis esse possit.
1.
Toute vertu est ou bien intellectuelle, ou morale, comme le dit clairement le
Philosophe а la fin du premier livre de l’Йthique. Or, la vertu morale
a comme sujet ce qui est raisonnable, non pas par essence, mais par
participation; mais la vertu intellectuelle a comme sujet ce qui est
raisonnable par essence. Puisque la volontй ne peut кtre situйe dans aucune
des deux parties, car elle n’est pas une puissance cognitive, ce qui relиve
de la raison par essence, et elle ne relиve pas de la partie non raisonnable
de l’вme, laquelle relиve de la partie raisonnable par participation, il
semble donc que la volontй ne puisse кtre d’aucune maniиre le sujet d’une
vertu.
[65609]
De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, ad eumdem actum non debent ordinari
plures virtutes. Hoc autem sequeretur, si voluntas virtutis esset subiectum;
quia ostensum est, quod in irascibili et concupiscibili sunt aliquae
virtutes; et cum ad actus illarum virtutum se habeat quodammodo voluntas,
oporteret quod ad eosdem actus essent aliquae virtutes in voluntate. Ergo non
est dicendum, quod voluntas sit subiectum virtutis.
2.
Plusieurs vertus ne doivent pas кtre ordonnйes а un mкme acte. Or, telle
serait la consйquence, si la volontй йtait le sujet d’une vertu, car on a
montrй qu’il existe des vertus dans l’irascible et dans le concupiscible et,
comme la volontй a un rapport avec les actes de ces vertus, il serait
nйcessaire qu’il existe des vertus de la volontй pour les mкmes actes. Il ne
faut donc pas dire que la volontй est le sujet de la vertu.
Rйponse
:
[65610] De virtutibus, q.
1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod per habitum virtutis potentia quae ei
subiicitur, respectu sui actus complementum acquirit. Unde ad id ad quod
potentia aliqua se extendit ex ipsa ratione potentiae, non est necessarius
habitus virtutis. Virtus autem ordinat potentias ad bonum; ipsa enim est quae
bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Voluntas autem hoc quod
virtus facit circa alias potentias, habet ex ipsa ratione suae potentiae :
nam eius obiectum est bonum. Unde tendere in bonum hoc modo se habet ad
voluntatem sicut tendere in delectabile ad concupiscibilem, et sicut ordinari
ad sonum se habet ad auditum. Unde voluntas non indiget aliquo habitu
virtutis inclinante ipsam ad bonum quod est sibi proportionatum, quia in hoc
ex ipsa ratione potentiae tendit; sed ad bonum quod transcendit proportionem
potentiae, indiget habitu virtutis. Cum autem uniuscuiusque appetitus tendat
in proprium bonum appetentis; dupliciter aliquod bonum potest excedere
voluntatis proportionem. Uno modo ratione speciei; alio modo ratione
individui. Ratione quidem speciei, ut voluntas elevetur ad aliquod bonum quod
excedit limites humani boni : et dico humanum id quod ex viribus naturae homo
potest. Sed supra humanum bonum est bonum divinum, id quod voluntatem hominis
caritas elevat, et similiter spes. Ratione autem individui, hoc modo quod aliquis
quaerat id quod est alterius bonum, licet voluntas extra limites boni humani
non feratur; et sic voluntatem perficit iustitia, et omnes virtutes in aliud
tendentes, ut liberalitas, et alia huiusmodi. Nam iustitia est alterius
bonum, ut philosophus dicit in V Ethic. Sic ergo duae virtutes sunt in
voluntate sicut in subiecto; scilicet caritas et iustitia. Cuius signum est,
quod istae virtutes quamvis ad appetitivam pertineant, tamen non circa
passiones consistunt, sicut temperantia et fortitudo : unde patet quod non
sunt in sensibili appetitu, in quo sunt passiones, sed in appetitu rationali,
qui est voluntas, in quo passiones non sunt. Nam omnis passio est in parte
animae sensitiva, ut probatur in VII Physic. Illae autem virtutes quae circa
passiones consistunt, sicut fortitudo circa timores et audacias, et
temperantia circa concupiscentias, oportet eadem ratione esse in appetitu
sensitivo. Nec oportet quod ratione istarum passionum sit aliqua virtus in
voluntate quia bonum in istis passionibus est quod est secundum rationem. Et ad hoc naturaliter se
habet voluntas ex ratione ipsius potentiae, cum sit proprium obiectum
voluntatis.
Par
l’habitus de la vertu, la puissance qui en est le sujet acquiert un
complement par rapport а son acte. Aussi un habitus de vertu n’est-il pas
nйcessaire pour ce sur quoi porte une puissance en raison mкme de sa
puissance. Cependant, la vertu ordonne les
puissances au bien. En effet, c’est elle qui rend bon celui qui la possиde et
rend son acte bon. Or, la volontй possиde par sa propre puissance ce qui fait
une vertu dans les autres puissances, car son objet est le bien. Aussi tendre
vers le bien de cette maniиre est-il а la volontй ce que tendre vers ce qui
est dйlectable est au concupiscible, et comme кtre ordonnй au son l’est pour
l’ouпe. De sorte que la volontй n’a pas besoin d’un habitus de vertu qui
l’incline vers le bien qui lui est proportionnй, car elle tend vers lui en
raison mкme de sa puissance; mais, pour le bien qui dйpasse la proportion de
sa puissance, elle a besoin d’un habitus de vertu. Or, puisque l’appйtit de
toute chose tend vers le bien propre de ce qui dйsire, un bien peut dйpasser
la proportion de la volontй de deux maniиres : d’une maniиre, en raison de
l’espиce; d’une autre maniиre, en raison de l’individu. En raison de
l’espиce, afin que la volontй soit йlevйe а un bien qui dйpasse les limites
du bien humain, et j’entends par humain ce que l’homme peut par les
puissances de sa nature. Or, au-dessus du bien humain, existe le bien divin,
auquel la charitй йlиve la volontй de l’homme, de mкme que l’espйrance. En
raison de l’individu, de telle sorte que quelqu’un recherche ce qui est le
bien d’un autre, bien que la volontй ne soit pas portйe hors des limites du
bien humain; et ainsi, la justice perfectionne la volontй, et toutes les
vertus quit tendent vers quelque chose d’autre, comme la libйralitй et les
choses de ce genre. Car la justice porte sur le bien d’un autre, comme le dit
le Philosophe dans Йthique, V. Il y a ainsi deux vertus qui existent
dans la volontй comme dans leur sujet : la charitй et la justice. Le signe en
est que ces vertus, bien qu’elles se rapportent а l’appйtit, ne portent
cependant pas sur les passions, comme la tempйrance et la force. Il est donc
clair qu’elles ne rйsident pas dans l’appйtit sensible, dans lequel sont les
passions, mais dans l’appйtit raisonnable, qui est la volontй, dans lequel il
n’y a pas de passions. Car toute passion se trouve dans la partie sensible de
l’вme, comme cela est dйmontrй dans Physique, VII. Il faut donc que
les vertus qui portent sur les passions, comme la force par rapport aux
craintes et aux audaces, et la tempйrance par rapport aux concupiscences, se
trouvent pour la mкme raison dans l’appйtit sensible. Et il n’est pas
nйcessaire qu’en raison de ces passions, existe dans la volontй une vertu,
car le bien de ces vertus est ce qui est conforme а la raison. Et la volontй
a un rapport naturel avec cela en raison mкme de sa puissance, puisque c’est
l’objet propre de la volontй.
Solutions :
[65611]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad imperandum sufficit
voluntati iudicium rationis; nam voluntas appetit naturaliter quod est bonum
secundum rationem, sicut concupiscibilis quod est delectabile secundum
sensum.
1. Le jugement de la raison suffit а la
volontй pour commander, car la volontй dйsire naturellement ce qui est bien
selon la raison, comme le concupiscible ce qui est dйlectable selon le sens.
[65612]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inclinatio naturalis
voluntatis non solum est in ultimum finem, sed in id bonum quod sibi a
ratione demonstratur. Nam bonum intellectum est obiectum voluntatis, ad quod
naturaliter ordinatur voluntas, sicut et quaelibet potentia in suum obiectum,
dummodo hoc sit proprium bonum, ut supra dictum est. Tamen circa hoc aliquis
peccat, in quantum iudicium rationis intercipitur passione.
2.
L’inclination naturelle de la volontй ne porte pas seulement sur la fin
ultime, mais sur ce qui lui est montrй comme bien par la raison. Car le bien
intelligй est l’objet de la volontй, auquel est naturellement ordonnйe la
volontй, comme toute puissance а son objet, pourvu que ce soit son bien
propre, comme on l’a dit plus haut. Toutefois, quelqu’un pиche а ce sujet
pour autant que le jugement de la raison est surpris par la passion.
[65613] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fit per aliquam speciem; nec ad
cognoscendum potentia intellectus sufficit per seipsam, nisi species a
sensibilibus accipiat. Et ideo oportet in his etiam quae naturaliter
cognoscimus, esse quemdam habitum, qui etiam quodammodo principium a sensibus
sumit, ut dicitur in fine Poster. Sed voluntas ad volendum non indiget aliqua specie;
unde non est simile.
3.
La connaissance se rйalise par une certaines espиce, et la puissance de
l’intelligence ne suffit pas par elle-mкme, а moins qu’elle ne reзoive une
espиce а partir des choses sensibles. C’est pourquoi il est nйcessaire pour
cela mкme que nous connaissons naturellement qu’il existe un habitus, qui,
lui aussi, tire son principe des sens, comme il est dit а la fin des Postйrieurs
[analytiques]. Mais la volontй n’a pas besoin d’une espиce pour vouloir.
Ce n’est donc pas la mкme chose.
[65614] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa
passiones virtutes sunt in appetitu inferiori; nec ad huiusmodi requiritur
alia virtus in appetitu superiori, ratione iam dicta.
4.
Pour ce qui est des passions, les vertus se trouvent dans l’appйtit
infйrieur, et une autre vertu n’est pas nйcessaire pour ces choses dans
l’appйtit supйrieur, pour la raison dйjа donnйe.
[65615] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amicitia proprie non est virtus, sed
consequens virtutem. Nam ex hoc ipso quod aliquis est virtuosus, sequitur
quod diligat sibi similes. Secus autem est de caritate, quae est quaedam
amicitia ad Deum, elevans hominem in id quod metam naturae excedit; unde
caritas in voluntate est, ut diximus.
5.
А proprement parler, l’amitiй n’est pas une vertu, mais la consйquence de la
vertu, car du fait mкme que quelqu’un est vertueux, dйcoule qu’il aime ses
semblables. Mais il en est autrement de la charitй, qui est une certaine
amitiй envers Dieu, qui йlиve l’homme а ce qui dйpasse la mesure de la
nature. C’est pourquoi la charitй existe dans la volontй, comme nous l’avons
dit.
6. La rйponse а la sixiиme et а la septiиme
objection est ainsi claire, car la vertu qui unit la volontй а Dieu est la
charitй.
Ad 7 : absent.
7.
[Absente]
[65617] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad felicitatem quaedam praeexiguntur sicut
dispositiones, sicuti actus virtutum moralium, per quos removentur
impedimenta felicitatis; scilicet inquietudo mentis a passionibus, et ab
exterioribus perturbationibus. Aliquis autem actus est virtutis qui est
essentialiter ipsa felicitas quando est completus; scilicet actus rationis
vel intellectus. Nam felicitas contemplativa nihil aliud est quam perfecta
contemplatio summae veritatis; felicitas autem activa est actus prudentiae,
quo homo et se et alios gubernat. Aliquid autem est in felicitate sicut
perfectivum felicitatis; scilicet delectatio, quae perficit felicitatem,
sicut decor iuventutem, ut dicitur in X Ethic. : et hoc pertinet ad
voluntatem; et in ordine ad hoc perficit voluntatem caritas, si loquamur de
felicitate caelesti, quae sanctis repromittitur. Si autem loquamur de
felicitate contemplativa, de qua philosophi tractaverunt, ad huiusmodi
delectationem voluntas naturali desiderio ordinatur. Et sic patet quod non
oportet omnes virtutes esse in voluntate.
8.
Certaines choses sont prйrequises а la fйlicitй comme des dispositions, tels
les actes des vertus morales, par lesquels sont enlevйs les empкchements а la
fйlicitй, а savoir, l’agitation de l’esprit par les passions et par les
troubles extйrieurs. Mais il existe un acte de vertu qui est par essence la
fйlicitй elle-mкme, lorsqu’il se rйalise : l’acte de la raison ou de
l’intellect. Car la fйlicitй contemplative n’est rien d’autre que la
contemplation parfaite de la vйritй suprкme; mais la fйlicitй active est
l’acte de la prudence, par lequel l’homme se gouverne ainsi que les autres.
Or, il existe quelque chose dans la fйlicitй qui parfait la fйlicitй : la
dйlectation, qui parfait la fйlicitй, comme la beautй le fait pour la
jeunesse, comme il est dit dans Йthique, X. Et cela relиve de la
volontй, et, par rapport а cela, la charitй perfectionne la volontй, si nous
parlons de la fйlicitй cйleste, qui est promise aux saints. Mais si nous
parlons de la fйlicitй contemplative, dont ont traitй les philosophes, la
volontй est ordonnйe а une telle dйlectation par un dйsir naturel. Il ressort
ainsi clairement qu’il n’est pas nйcessaire que toutes les vertus se trouvent
dans la volontй.
[65618]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod voluntate recte vivitur et
peccatur sicut imperante omnes actus virtutum et vitiorum; non autem sicut
eliciente; unde non oportet quod voluntas sit proximum subiectum cuiuslibet
virtutis.
9.
On vit correctemement ou l’on pиche par la volontй pour autant qu’elle
commande tous les actes des vertus et des vices, et non parce qu’elle les
accomplit. Aussi n’est-il pas nйcessaire que la volontй soit le sujet
prochain de toutes les vertus.
[65619]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod peccatum omne est in
voluntate sicut in causa, in quantum omne peccatum fit ex consensu
voluntatis; non tamen oportet quod omne peccatum sit in voluntate sicut in
subiecto; sed sicut gula et luxuria sunt in concupiscibili, ita et superbia
in irascibili.
10. Tout pйchй se trouve dans la volontй comme
dans sa cause, pour autant que tout pйchй est fait par consentement de la
volontй. Il n’est cependant pas nйcessaire que tout pйchй soit dans la
volontй comme dans son sujet ; mais de mкme que la gourmandise et la
luxure se trouvent dans le concupiscible, de mкme l’orgueil se trouve-t-il
dans l’irascible.
[65620] De virtutibus, q.
1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ex propinquitate voluntatis ad
rationem contingit quod voluntas secundum ipsam rationem potentiae consonet
rationi; et ideo non indiget ad hoc habitu virtutis super inducto, sicut
inferiores potentiae, scilicet irascibilis et concupiscibilis.
11. А cause de la proximitй de la volontй par
rapport а la raison, il se fait que la volontй soit d’accord avec la raison
selon la raison mкme de sa puissance. C’est pourquoi elle n’a pas besoin que
lui soit ajoutй un habitus de vertu, comme c’est le cas des puissances
infйrieures, l’irascible et le concupiscible.
[65621]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur,
dicendum, quod caritas et spes, quae sunt in voluntate, non continentur sub
ista philosophi divisione; sunt enim aliud genus virtutum, et dicuntur
virtutes theologicae. Iustitia vero inter morales continetur; voluntas enim
sicut et alii appetitus, ratione participat, in quantum dirigitur a ratione. Licet enim voluntas ad eamdem naturam intellectivae partis pertineat,
non tamen ad ipsam potentiam rationis.
Rйponse au premier argument en sens contraire. La charitй et
l’espйrance, qui existent dans la volontй, ne sont pas contenues dans cette
division du Philosophe : en effet, elles sont un autre genre de vertus, qu’on
appelle vertus thйologales. Mais la justice est comprise parmi les vertus
morales : en effet, la volontй, comme les autres appйtits, participe а la
raison, pour autant qu’elle est dirigйe par la raison. Bien que la volontй relиve
de la mкme nature que la partie intellectuelle, elle ne relиve cependant pas
de la puissance mкme de la raison.
[65622]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod respectu illorum ad quae
habetur virtus in irascibili et concupiscibili, non oportet esse virtutem in
voluntate, ratione prius dicta.
Rйponse au deuxiиme
argument en sens contraire. Par rapport а ce qui est l’objet de la vertu dans
l’irascible et dans le concupiscible, il n’est pas nйcessaire qu’il y ait une
vertu dans la volontй, pour la raison donnйe auparavant.
[65625] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 1 Quia secundum philosophum
in II Ethic., scire, parum vel nihil prodest ad virtutem. Loquitur autem ibi
de scientia practica; quod patet ex hoc quod subiungit, quod multi non
operantur ea quorum habent scientiam; scientia enim ordinata ad opus est
practici intellectus. Ergo practicus intellectus non poterit esse subiectum
virtutis.
1. Selon le Philosophe, dans Йthique, II,
connaоtre est peu utile ou pas du tout а la vertu. Or, il est question lа de
science pratique, ce qui ressort clairement de ce qu’il ajoute, que beaucoup
ne pratiquent pas ce dont ils ont la science. Or, la science ordonnйe а
l’action relиve de l’intellect pratique. L’intellect pratique ne pourra donc
pas кtre le sujet d’une vertu.
[65626]
De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, sine virtute non potest aliquis recte
agere. Sed sine perfectione practici intellectus potest aliquis recte agere,
eo quod potest instrui ab alio de agendis. Ergo perfectio practici
intellectus non est virtus.
2. Quelqu’un ne peut agir correctement sans la
vertu. Or, quelqu’un peut agir correctement sans une perfection de
l’intellect pratique, du fait qu’il peut кtre instruit par un autre de ce
qu’il faut faire. Une perfection de l’intellect pratique n’est donc pas une
vertu.
[65627] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, tanto aliquid magis
peccat, quanto magis recedit a virtute. Sed recessus a perfectione practici
intellectus diminuit peccatum; ignorantia enim excusat vel a tanto, vel a
toto. Ergo perfectio practici intellectus non potest esse virtus.
3.
Plus quelqu’un pиche, plus il s’йloigne de la vertu. Or, l’йloignement de la
perfection de l’intellect pratique diminue le pйchй : en effet, l’ignorance
excuse en partie ou en totalitй. La perfection de l’intellect pratique ne
peut donc pas кtre une vertu.
[65628] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, virtus
secundum Tullium, agit in modum naturae. Sed modus agendi naturae opponitur
contra modum agendi rationis, sive practici intellectus; quod patet in II
Physic., ubi dividitur agens a natura contra agens a proposito. Ergo videtur
quod in practico intellectu non sit virtus.
4.
Selon Tullius [Cicйron], la vertu agit а la maniиre de la nature. Or, le mode
d’agir de la nature s’oppose au mode d’agir de la raison ou de l’intellect
pratique, comme cela ressort clairement de Physique, II, oщ l’agent
naturel est opposй а l’agent qui dйcide. Il semble donc qu’il n’y ait pas de
vertu dans l’intellect pratique.
[65629]
De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, bonum et verum formaliter differunt
secundum proprias rationes. Sed differentia formalis obiectorum diversificat
habitus. Cum igitur virtutis obiectum sit bonum, practici autem intellectus
perfectio sit verum, tamen ordinatum ad opus; videtur quod perfectio practici
intellectus non sit virtus.
5.
Le bien et le vrai diffиrent formellement selon leurs raisons propres. Or, la
diffйrence formelle des objets diffйrencie les habitus. Puisque que l’objet
de la vertu est le bien et que la perfection de l’intellect pratique est le
vrai, mais ordonnй а l’action, il semble donc que la perfection de
l’intellect pratique ne soit pas une vertu.
[65630] De virtutibus, q.
1 a. 6 arg. 6 Praeterea, virtus, secundum philosophum in II Ethic., est
habitus voluntarius. Sed habitus intellectus practici differunt ab habitibus
voluntatis vel appetitivae partis. Ergo habitus qui sunt in intellectu
practico, non sunt virtutes; et sic intellectus practicus non potest esse
subiectum virtutis.
6.
Selon le Philosophe, dans Йthique, II, la vertu est un habitus
volontaire. Or, les habitus de l’intellect pratique diffиrent des habitus de
la volontй ou partie appйtitive. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect
pratique ne sont donc pas des vertus. Et ainsi, l’intellect pratique ne peut
pas кtre le sujet de la vertu.
Cependant
:
[65631] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod prudentia ponitur una quatuor virtutum principalium; et tamen eius
subiectum est practicus intellectus. Ergo intellectus practicus potest esse
subiectum virtutis.
1.
La prudence est prйsentйe comme une des quatre vertus principales, et
cependant, son sujet est l’intellect pratique. L’intellect pratique peut donc
кtre le sujet d’une vertu.
[65632]
De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, virtus humana est cuius subiectum est
potentia humana. Sed potentia humana magis est intellectus practicus quam
irascibilis et concupiscibilis; sicut quod est per essentiam tale, magis est
eo quod est per participationem. Ergo intellectus practicus potest esse
subiectum virtutis humanae.
2.
La vertu humaine est celle dont le sujet est une puissance humaine. Or,
l’intellect pratique est davantage une puissance humaine que l’irascible et
le concupiscible, de la mкme faзon que ce qui est une chose par essence l’est
davantage que ce qui l’est par participation. L’intellect pratique peut donc
кtre le sujet d’une vertu humaine.
[65633]
De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, propter quod unumquodque, et illud magis.
Sed in parte affectiva est virtus propter rationem; quia ad hoc quod obediat
rationi vis affectiva, in ea ponitur virtus. Ergo
multo fortius in ratione practica debet esse virtus.
3.
Ce pour quoi une chose existe en est davantage la raison d’кtre. Or, la vertu
dans la partie affective existe en vue de la raison, car une vertu existe en
elle afin qu’elle obйisse а la raison. А bien plus forte raison doit-il donc
y avoir une vertu dans la raison pratique.
Rйponse
:
[65634] De virtutibus, q.
1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod inter virtutes naturales et rationales
haec differentia assignatur; quod naturalis virtus est determinata ad unum,
virtus autem rationalis ad multa se habet. Oportet autem ut appetitus
animalis vel rationalis inclinetur in suum appetibile ex aliqua apprehensione
praeexistente; inclinatio enim in finem absque praeexistente cognitione ad
appetitum pertinet naturalem, sicut grave inclinatur ad medium. Sed quia
aliquod bonum apprehensum oportet esse obiectum appetitus animalis et
rationalis; ubi ergo istud bonum uniformiter se habet, potest esse inclinatio
naturalis in appetitu, et iudicium naturale in vi cognitiva, sicut accidit in
brutis. Cum enim sint paucarum operationum propter debilitatem principii activi
quod ad pauca se extendit; est in omnibus unius speciei bonum uniformiter se
habens. Unde per appetitum naturalem inclinationem habent in id, et per vim
cognitivam naturale iudicium habent de illo proprio bono uniformiter se
habente. Et ex hoc naturali iudicio et naturali appetitu provenit quod omnis
hirundo uniformiter facit nidum, et quod omnis aranea uniformiter facit
telam; et sic est in omnibus aliis brutis considerare. Homo autem est
multarum operationum et diversarum; et hoc propter nobilitatem sui principii
activi, scilicet animae, cuius virtus ad infinita quodammodo se extendit. Et
ideo non sufficeret homini naturalis appetitus boni, nec naturale iudicium ad
recte agendum, nisi amplius determinetur et perficiatur. Per naturalem
siquidem appetitum homo inclinatur ad appetendum proprium bonum; sed cum hoc
multipliciter varietur, et in multis bonum hominis consistat; non potuit
homini inesse naturalis appetitus huius boni determinati, secundum
conditiones omnes quae requiruntur ad hoc quod sit ei bonum; cum hoc
multipliciter varietur secundum diversas conditiones personarum et temporum
et locorum, et huiusmodi. Et eadem ratione naturale iudicium; quod est
uniforme, et ad huiusmodi bonum quaerendum non sufficit; unde oportuit in
homine per rationem, cuius est inter diversa conferre, invenire et diiudicare
proprium bonum, secundum omnes conditiones determinatum, prout est nunc et
hic quaerendum. Et ad hoc faciendum ratio absque habitu perficiente hoc modo
se habet sicut et in speculativo se habet ratio absque habitu scientiae ad
diiudicandum de aliqua conclusione alicuius scientiae; quod quidem non potest
nisi imperfecte et cum difficultate agere. Sicut igitur oportet rationem
speculativam habitu scientiae perfici ad hoc quod recte diiudicet de
scibilibus ad scientiam aliquam pertinentibus; ita oportet quod ratio
practica perficiatur aliquo habitu ad hoc quod recte diiudicet de bono humano
secundum singula agenda. Et haec virtus dicitur prudentia, cuius subiectum
est ratio practica; et est perfectiva omnium virtutum moralium quae sunt in
parte appetitiva, quarum unaquaeque facit inclinationem appetitus in aliquod
genus humani boni : sicut iustitia facit inclinationem in bonum quod est
aequalitas pertinentium ad communicationem vitae; temperantia in bonum quod
est refrenari a concupiscentiis; et sic de singulis virtutibus. Unumquodque
autem horum contingit multipliciter fieri, et non eodem modo in omnibus; unde
ad hoc quod rectus modus statuatur, requiritur iudicii prudentia. Et ita ab
ipsa est rectitudo et complementum bonitatis in omnibus aliis virtutibus;
unde philosophus dicit quod medium in virtute morali determinatur secundum
rationem rectam. Et quia ex hac rectitudine et bonitatis complemento omnes
habitus appetitivi virtutis rationem sortiuntur, inde est quod prudentia est
causa omnium virtutum appetitivae partis, quae dicuntur morales in quantum
sunt virtutes; et propterea dicit Gregorius in XXII Moral., quod ceterae
virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam
possunt.
Entre
les puissances naturelles et raisonnables, il existe cette diffйrence que la
puissance naturelle est dйterminйe а une seule chose, alors que puissance
raisonnable se rapporte а plusieurs choses. Or, il est nйcessaire que
l’appйtit animal ou raisonnable soit inclinй vers ce qui est l’objet de son
dйsir en vertu d’une saisie antйrieure : en effet, l’inclination vers la fin
sans connaissance antйrieure relиve de l’appйtit naturel, comme ce qui est
lourd est inclinй vers le milieu. Mais parce qu’il est nйcessaire qu’un bien
connu soit l’objet de l’appйtit animal et raisonnable, lа oщ ce bien se
trouve de maniиre uniforme, il peut exister une inclination naturelle dans
l’appйtit et un jugement naturel dans la puissance cognitive, comme cela se
produit chez les animaux sans raison. En effet, comme ils ont peu
d’opйrations en raison de la faiblesse du principe actif qui s’йtend а peu de
choses, il existe chez tous un bien d’une seule espиce qui se trouve de
maniиre uniforme. Aussi, par l’appйtit naturel, tendent-ils vers celui-ci,
et, par la connaissance naturelle, jugent-ils de ce bien propre qui existe de
maniиre uniforme. Et de ce jugement naturel vient le fait que toutes les
hirondelles font leur nid de maniиre uniforme, et que toutes les araignйes
tissent leur toile de maniиre uniforme. Et il faut penser la la mкme chose
pour tous les animaux sans raison. Mais l’homme possиde des opйrations
multiples et diverses, et cela, en raison de son principe actif, а savoir,
l’вme, dont la puissance s’йtend pour ainsi dire а l’infini. C’est pourquoi
ne suffirait pas а l’homme un appйtit naturel du bien, ni un jugement naturel
pour agir correctement, а moins qu’il ne soit davantage dйterminй et
perfectionnй. Car, par l’appйtit naturel, l’homme est inclinй а dйsirer son
propre bien; mais puisque celui-ci se diversifie de multiples maniиres et que
le bien de l’homme consiste dans plusieurs choses, il ne pouvait pas exister
chez l’homme un appйtit naturel de tel bien dйterminй, selon toutes les
conditions qui sont requises pour que cela soit bon, puisque cela se
diversifie de multiples faзons selon les diverses conditions de personnes, de
temps, de lieux et de choses de ce genre. Et il en est de mкme pour le
jugement naturel, qui est uniforme, et qui ne suffit pas pour rechercher un
bien de ce genre. Aussi fallait-il que, par la raison, а qui il appartient de
rapprocher les choses diverses, l’homme trouve son propre bien et en juge,
tel qu’il est dйterminй selon toutes les conditions, en tant qu’il doit кtre
recherchй ici et maintenant. Et pour faire cela, la raison sans un habitus
qui la perfectionne se trouve dans la mкme condition que la raison en matiиre
spйculative, sans l’habitus de la science, pour juger de la conclusion d’une
science, ce qu’elle ne peut faire qu’imparfaitement et avec difficultй.
Puisqu’il faut que la raison spйculative soit perfectionnйe par l’habitus de
la science pour juger correctement des objets connaissables qui relиvent de
cette science, de mкme est-il donc nйcessaire que la raison pratique soit perfectionnйe
par un habitus afin de juger correctement du bien humain pour chaque action а
poser. Et cette vertu s’appelle la prudence, dont le sujet est la raison
pratique, et elle perfectionne toutes les vertus morales qui existent dans la
partie appйtitive, dont chacune incline l’appйtit vers un certain genre de
bien humain, comme la justice incline vers le bien qui est l’йgalitй dans ce
qui se rapporte а la vie sociale, la tempйrance, vers le bien qui consiste se
retenir des dйsirs dйsordonnйs, et ainsi pour toutes les vertus. Or, chacune
de ces choses peut кtre accomplie de multiples faзons, et non de la mкme
faзon chez tous. Aussi, pour que la bonne mesure soit dйterminйe, la prudence
du jugement est-elle nйcessaire. Et ainsi, une rectitude et un complйment de
bontй viennent-ils de [la prudence] pour toutes les autres vertus. C’est
pourquoi le Philosophe dit que le milieu de la vertu morale est dйterminйe
selon la raison droite. Et parce que toutes les vertus de la puissance
appйtitive tirent leur raison de vertu de cette rectitude et de ce complйment
de bontй, de lа vient que la prudence est la cause de toutes les vertus de la
partie appйtitive, qui sont appelйes morales pour autant qu’elles sont des
vertus. Et c’est pourquoi Grйgoire dit, dans les Morales, XXII, que
les autres vertus, si elles ne font pas prudemment ce qu’elles dйsirent, ne
peuvent jamais кtre des vertus.
Solutions :
[65635]
De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus ibi
loquitur de scientia practica; sed prudentia plus importat quam scientia
practica : nam ad scientiam practicam pertinet universale iudicium de
agendis; sicut fornicationem esse malam, furtum non esse faciendum, et
huiusmodi. Qua quidem scientia existente, in particulari actu contingit
iudicium rationis intercipi, ut non recte diiudicet; et propter hoc dicitur
parum valere ad virtutem, quia ea existente contingit hominem contra virtutem
peccare. Sed ad prudentiam pertinet recte iudicare de singulis agibilibus,
prout sint nunc agenda : quod quidem iudicium corrumpitur per quodlibet
peccatum. Et ideo prudentia manente, homo non peccat; unde ipsa non parum sed
multum confert ad virtutem; immo ipsam virtutem causat, ut dictum est.
1.
Le Philosophe parle lа de la science pratique. Mais la prudence comporte plus
que la science pratique, car il relиve de la science pratique de porter un
jugement universel sur ce qu’il faut faire, comme le fait que la fornication
est mauvaise, qu’il ne faut pas voler, et les choses de ce genre. Alors que
cette science existe, il arrive cependant que, dans les actes particuliers,
le jugement de la raison soit pris par surprise, de sorte qu’il ne juge par
correctement. C’est pour cette raison que l’on dit que [la science pratique]
contribue peu а la vertu, parce que, alors qu’elle existe, il arrive que
l’homme pиche contre la vertu. Mais il relиve de la prudence de juger
correctement de chaque action а poser, pour autant qu’elle doit кtre
accomplie maintenant; c’est ce jugement est corrompu par n’importe quel
pйchй. C’est pourquoi, lorsque la prudence demeure, l’homme ne pиche pas.
Aussi celle-ci n’apporte-t-elle pas peu, mais beaucoup а la vertu, bien plus,
elle cause la vertu elle-mкme, comme on l’a dit.
[65636] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod homo ab alio potest accipere consilium in universali de agendis; sed
quod iudicium recte servet in ipso actu contra omnes passiones, hoc solum ex
rectitudine prudentiae provenit; et sine hoc virtus esse non potest.
2. Un homme peut recevoir un conseil dans l’universel
sur les actes а poser. Mais qu’il maintienne dans l’acte mкme un jugement
droit contre toutes les passions, cela provient seulement de la rectitude de
la prudence. Et sans cela, il ne peut y avoir de vertu.
[65637] De virtutibus, q.
1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignorantia quae opponitur prudentiae,
est ignorantia electionis, secundum quam omnis malus est ignorans; quae
provenit ex eo quod iudicium rationis intercipitur per appetitus
inclinationem : et hoc non excusat peccatum, sed constituit. Sed ignorantia
quae opponitur scientiae practicae, excusat vel diminuit peccatum.
3. L’ignorance qui s’oppose а la prudence est
l’ignorance dans le choix, selon laquelle tout mйchant est ignorant. Celle-ci
vient du fait que le jugement de la raison est surpris par l’inclination de
l’appйtit. Et cela n’excuse pas le pйchй, mais le constitue. Mais l’ignorance
qui s’oppose а la science pratique excuse ou diminue le pйchй.
[65638] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
verbum Tullii intelligitur quantum ad inclinationem appetitus tendentis in
aliquod bonum commune, sicut in fortiter agere, vel aliquid huiusmodi. Sed
nisi rationis iudicio dirigeretur, talis inclinatio frequenter duceretur in
praecipitium; et tanto magis, quanto esset vehementior; sicut ponit
philosophus exemplum de caeco, in VI Ethic., qui tanto magis laeditur ad
parietem impingens, quanto fortius currit.
4. La parole de Tullius [Cicйron] s’entend de
l’inclination de l’appйtit qui tend vers un bien gйnйral, comme agir avec force,
ou quelque chose du genre. Mais si elle n’йtait pas dirigйe par le jugement
de la raison, une telle inclination mиnerait souvent au prйcipice, et
d’autant plus qu’elle serait plus impйtueuse, comme le Philosophe le dit en
prйsentant, dans Йthique, VI, l’exemple de l’aveugle qui se blesse
d’autant plus, en heurtant un mur, qu’il court plus vite.
[65639]
De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum et verum sunt
obiecta duarum partium animae, scilicet intellectivae et appetitivae : quae
quidem duo hoc modo se habent, quod utraque ad actum alterius operatur; sicut
voluntas vult intellectum intelligere, et intellectus intelligit voluntatem
velle. Et ideo haec duo, bonum et verum, se invicem includunt : nam bonum est
quoddam verum, in quantum est ab intellectu apprehensum; prout scilicet
intellectus intelligit voluntatem velle bonum, vel etiam in quantum
intelligit aliquid esse bonum; similiter etiam et ipsum verum est quoddam
bonum intellectus, quod etiam sub voluntate cadit, in quantum homo vult
intelligere verum. Nihilominus tamen verum intellectus practici est bonum,
quod et finis operationis : bonum enim non movet appetitum, nisi in quantum
est apprehensum. Ideo nihil prohibet in intellectu practico esse virtutem.
5. Le bien et le vrai sont les objets de deux
parties de l’вme, а savoir, de l’intellective et l’appйtitive. Ces deux
[parties] se comportent de maniиre telle que chacune opиre en vue de l’acte
de l’autre, comme la volontй veut que l’intellect comprenne, et l’intellect
comprend que la volontй veut. C’est pourquoi ces deux choses, le bien et le
vrai, s’incluent l’une l’autre. Car le bien est quelque chose de vrai en tant
qu’il est saisi par l’intellect, pour autant que l’intellect comprend que la
volontй veut le bien, ou encore qu’il comprend que quelque chose est bon.
Semblablement, le vrai lui-mкme est un certain bien de l’intellect, qui
relиve aussi de la volontй, pour autant que l’homme veut comprendre ce qui
est vrai. Toutefois, le vrai qui est l’objet de l’intellect pratique est le
bien qui est la fin de l’opйration : en effet, le bien ne meut l’appйtit que
dans la mesure oщ il est compris. C’est pourquoi rien n’empкche qu’il y ait
une vertu dans l’intellect pratique.
[65640] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus in II Ethic., definit virtutem
moralem : de virtute enim intellectuali determinat in VI Ethic. Virtus autem
quae est in intellectu practico, non est moralis, sed intellectualis : nam
etiam prudentiam inter virtutes intellectuales philosophus ponit, ut patet in
II Ethic.
6. Dans Йthique, II, le Philosophe
dйfinit la vertu morale : en effet, il prйcise ce qu’est la vertu
intellectuelle dans Йthique, VI. Or, la vertu qui est dans l’intellect
pratique n’est pas une vertu morale, mais intellectuelle, car le Philosophe
range aussi la prudence parmi les vertus intellectuelles, comme cela ressort
clairement d’Йthique, II.
[65643] De virtutibus, q.
1 a. 7 arg. 1 Virtus enim omnis ordinatur ad actum : virtus enim est quae
opus bonum reddit. Intellectus autem speculativus non ordinatur ad actum :
nihil enim dicit de imitando vel fugiendo, ut patet in III de anima. Ergo in
intellectu speculativo non potest esse virtus.
1. En effet, toute vertu est ordonnйe а
l’acte, car la vertu est ce qui rend un acte bon. Or, l’intellect spйculatif
n’est pas ordonnй а l’acte, car il ne dit rien de l’imitation ou de la fuite,
comme cela ressort clairement de Sur l’вme, III. Il ne peut donc pas y
avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.
[65644]
De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, virtus est quae bonum facit habentem, ut
dicitur in II Ethic. Sed habitus intellectus speculativi non faciunt bonum
habentem; non enim dicitur propter hoc bonus homo, quia habet scientiam. Ergo
habitus qui sunt in intellectu speculativo, non sunt virtutes.
2. La vertu est ce qui rend bon celui qui la
possиde, comme il est dit dans Йthique, II. Or, les habitus de
l’intellect spйculatif ne rendent pas bon celui qui les possиdent, car on ne
dit pas qu’un homme est bon parce qu’il possиde la science. Les habitus qui
se trouvent dans l’intellect spйculatif ne sont donc pas des vertus.
[65645] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, intellectus
speculativus praecipue perficitur habitu scientiae. Scientia autem non est
virtus; quod ex hoc patet, quia contra virtutes dividitur : dicitur enim in
prima specie qualitatis esse habitus et dispositio; et habitus dicitur
scientiae et virtutis. Ergo in intellectu speculativo non est virtus.
3. L’intellect spйculatif est principalement
perfectionnй par l’habitus de science. Or, la science n’est pas une vertu, ce
qui ressort clairement du fait qu’elle est distinguйe des vertus : en effet,
on dit que l’habitus et la disposition se trouvent dans la premiиre espиce de
qualitй, et on parle d’habitus de la science et de la vertu. Il n’y a donc
pas de vertu dans l’intellect spйculatif.
[65646] De virtutibus, q.
1 a. 7 arg. 4 Praeterea, omnis virtus ordinatur ad aliquid, quia ad
felicitatem quae est finis virtutis. Sed intellectus speculativus non
ordinatur ad aliquid : non enim scientiae speculativae propter utilitatem
quaeruntur, sed propter seipsas, ut dicitur in I Metaph. Ergo in intellectu
speculativo non potest esse virtus.
4. Toute vertu est ordonnйe а quelque chose,
parce qu’elle est ordonnйe а la fйlicitй qui est la fin de la vertu. Or,
l’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose : en effet, les
sciences spйculatives ne sont pas recherchйes pour leur utilitй, mais pour
elles-mкmes, comme il est dit dans Mйtaphysique, I. Il ne peut donc
pas y avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.
[65647]
De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, actus virtutis est meritorius. Sed
intelligere non sufficit ad meritum; immo scienti bonum, et non facienti
peccatum est illi, ut dicit Iacobus, IV, 17. Ergo in intellectu
speculativo non est virtus.
5. L’acte de la vertu est mйritoire. Or,
comprendre ne suffit pas pour le mйrite ; bien plus, c’est pйchй de
connaоtre le bien, et de ne pas l’accomplir, comme il est dit en
Jc 4, 17. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect spйculatif.
Cependant
:
[65648] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed
contra. Fides
est in intellectu speculativo, cum sit eius obiectum veritas prima. Sed fides
est virtus. Ergo intellectus speculativus potest esse subiectum virtutis.
1. La foi se trouve dans l’intellect
spйculatif, puisque son objet est la Vйritй premiиre, Or, la foi est une
vertu. L’intellect spйculatif peut donc кtre le sujet d’une vertu.
[65649] De virtutibus, q.
1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, verum et bonum sunt aeque nobilia. Nam se invicem
circumeunt; nam verum est quoddam bonum, et bonum est quoddam verum : et
utrumque commune omni enti. Si igitur in voluntate, cuius obiectum est bonum,
potest esse virtus; ergo et in intellectu speculativo, cuius obiectum est
verum, poterit esse virtus.
2. Le vrai et le bien sont йgalement nobles.
En effet, ils s’englobent rйciproquement, car le vrai est un certain bien, et
le bien est quelque chose de vrai, et les deux sont communs а tout кtre. Si
donc il peut exister une vertu dans la volontй, dont l’objet est le bien, il
pourra aussi exister une vertu dans l’intellect spйculatif, dont l’objet est
le vrai.
Rйponse
:
[65650]
De virtutibus, q. 1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod virtus in unaquaque re
dicitur per respectum ad bonum; eo quod uniuscuiusque virtus est, ut
philosophus dicit, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit;
sicut virtus equi quae facit equum esse bonum, et bene ire, et bene ferre
sessorem, quod est opus equi. Ex hoc quidem igitur aliquis habitus habebit
rationem virtutis, quia ordinatur ad bonum. Hoc
autem contingit dupliciter : uno modo formaliter, alio modo materialiter. Formaliter quidem, quando
aliquis habitus ordinatur ad bonum sub ratione boni; materialiter vero,
quando ordinatur ad id quod est bonum, non tamen sub ratione boni. Bonum
autem sub ratione boni est obiectum solius appetitivae partis; nam bonum est
quod omnia appetunt. Illi igitur habitus qui vel sunt in parte appetitiva,
vel a parte appetitiva dependent, ordinantur formaliter ad bonum; unde
potissime habent rationem virtutis. Illi vero habitus qui nec sunt in
appetitiva parte, nec ab eadem dependent, possunt quidem ordinari
materialiter in id quod est bonum, non tamen formaliter sub ratione boni;
unde et possunt aliquo modo dici virtutes, non tamen ita proprie sicut primi
habitus. Sciendum est autem, quod intellectus tam speculativus quam practicus
potest perfici dupliciter aliquo habitu. Uno modo absolute et secundum se,
prout praecedit voluntatem, quasi eam movens; alio modo prout sequitur
voluntatem, quasi ad imperium actum suum eliciens : quia, ut dictum est,
istae duae potentiae, scilicet intellectus et voluntas, se invicem
circumeunt. Illi igitur habitus qui sunt in intellectu practico vel
speculativo, primo modo, possunt dici aliquo modo virtutes, licet non ita
secundum perfectam rationem; et hoc modo intellectus scientia et sapientia,
sunt in intellectu speculativo, ars vero in intellectu practico. Dicitur enim
aliquis intelligens vel sciens secundum quod eius intellectus perfectus est
ad cognoscendum verum; quod quidem est bonum intellectus. Et licet istud
verum possit esse volitum, prout homo vult intelligere verum; non tamen
quantum ad hoc perficiuntur habitus praedicti. Non enim ex hoc quod homo
habet scientiam, efficitur volens considerare verum, sed solummodo potens;
unde et ipsa veri consideratio non est scientia in quantum est volita, sed
secundum quod directe tendit in obiectum. Et similiter est de arte respectu
intellectus practici; unde ars non perficit hominem ex hoc quod bene velit
operari secundum artem, sed solummodo ad hoc quod sciat et possit. Habitus
vero qui sunt in intellectu speculativo vel practico secundum quod
intellectus sequitur voluntatem, habent verius rationem virtutis; in quantum
per eos homo efficitur non solum potens vel sciens recte agere, sed volens.
Quod quidem ostenditur in fide et prudentia, sed diversimode. Fides enim
perficit intellectum speculativum, secundum quod imperatur ei a voluntate;
quod ex actu patet : homo enim ad ea quae sunt supra rationem humanam, non
assentit per intellectum nisi quia vult; sicut Augustinus dicit, quod credere
non potest homo nisi volens. Ita et similiter erit fides in intellectu
speculativo, secundum quod subiacet imperio voluntatis; sicut temperantia est
in concupiscibili secundum quod subiacet imperio rationis. Unde voluntas
imperat intellectui, credendo, non solum quantum ad actum exequendum, sed
quantum ad determinationem obiecti : quia ex imperio voluntatis in
determinatum creditum intellectus assentit; sicut et in determinatum medium a
ratione, concupiscibilis, per temperantiam tendit. Prudentia vero est in
intellectu sive ratione practica, ut dictum est : non quidem ita quod ex
voluntate determinetur obiectum prudentiae, sed solum finis; obiectum autem
ipsa perquirit : praesupposito enim a voluntate fine boni, prudentia
perquirit vias per quas hoc bonum et perficiatur et conservetur. Sic igitur
patet quod habitus in intellectu existentes diversimode se habent ad
voluntatem. Nam quidam in nullo a voluntate dependent, nisi quantum ad eorum
usum; et hoc quidem per accidens, cum huiusmodi usus habituum aliter a
voluntate dependeat, et aliter ab habitibus praedictis, sicut sunt scientia
et sapientia et ars. Non enim per hos habitus homo ad hoc perficitur,
ut homo eis bene velit uti; sed solum ut ad hoc sit potens. Aliquis vero habitus intellectus dependet a voluntate sicut a qua
accipit principium suum : nam finis in operativis principium est; et sic se
habet prudentia. Aliquis
vero habitus etiam determinationem obiecti a voluntate accipit, sicut est in
fide. Et licet omnes quoquo modo possint dici virtutes; tamen perfectius et
magis proprie hi duo ultimi habent rationem virtutis; licet ex hoc non
sequatur quod sint nobiliores habitus aut perfectiores.
En toute chose, on parle de vertu par rapport
au bien, du fait que la vertu, comme le dit le Philosophe, est, chez chacun,
ce qui le rend bon et rend son acte bon, comme la vertu du cheval est ce qui
rend le cheval bon, et le fait bien aller et porter celui qui le monte, ce
qui est l’action du cheval. Et donc, un habitus aura la raison de vertu parce
qu’il est ordonnй au bien. Or, cela se produit de deux maniиres : d’une
maniиre, formellement ; d’une autre maniиre, matйriellement.
Formellement, lorsqu’un habitus est ordonnй au bien sous la raison de
bien ; mais matйriellement lorsqu’il est ordonnй а ce qui est bon, mais
non sous la raison de bien. Or, le bien sous la raison de bien est l’objet de
la seule partie appйtitive, car le bien est ce que toutes choses dйsirent.
Les habitus qui se trouvent dans la partie appйtitive ou dйpendent de la
partie appйtitive sont donc formellement ordonnйs au bien. C’est pourquoi
ils ont principalement raison de vertu. Mais les habitus qui ne se trouvent
pas dans la partie appйtitive ni n’en dйpendent peuvent toutefois кtre
ordonnйs matйriellement а ce qui est bon, mais non pas formellement sous la
raison de bien. C’est pourquoi ils peuvent кtre appelйs d’une certaine faзon
des vertus, mais non pas aussi proprement que les premiers habitus. Or, il
faut savoir que l’intellect aussi bien spйculatif que pratique peut кtre
perfectionnй par un habitus de deux faзons. D’une faзon, tout simplement et
par soi, en tant qu’il prйcиde la volontй en la mouvant ; d’une autre
faзon, en tant qu’il suit la volontй, comme s’il exйcutait son acte au commandement
[de la volontй], car, ainsi qu’on l’a dit, ces deux puissances, l’intellect
et la volontй, s’englobent l’une l’autre. Les habitus qui se trouvent dans
l’intellect pratique ou spйculatif de la premiиre faзon peuvent кtre appelйs
vertus d’une certaine maniиre, bien que ce ne soit pas selon une parfaite
raison. Et de cette maniиre, la science et la sagesse de l’intellect se
trouvent dans l’intellect spйculatif, et l’art, dans l’intellect pratique. En
effet, on dit de quelqu’un qu’il comprend ou sait selon que son intellect a
йtй perfectionnй pour connaоtre le vrai, qui est le bien de l’intellect. Et
bien que ce vrai puisse кtre voulu, pour autant que l’homme veut comprendre
le bien, toutefois les habitus mentionnйs ne sont pas mis en њuvre pour cette
raison. En effet, ce n’est pas parce que l’homme a la science qu’il veut en
acte considйrer ce qui est vrai, mais il en est rendu seulement capable.
Aussi la considйration du vrai elle-mкme n’est-elle pas la science en tant
que celle-ci est voulue, mais selon qu’elle tend directement а son sujet. Et
de mкme en est-il pour l’art par rapport а l’intellect pratique. Aussi l’art
ne perfectionne-t-il pas l’homme du fait qu’il veut bien agir selon l’art,
mais seulement afin qu’il le sache et le puisse. Mais les habitus qui se
trouvent dans l’intellect spйculatif ou pratique selon que l’intellect suit
la volontй possиdent la raison de vertu avec plus de vйritй, dans la mesure
oщ, par eux, l’homme est rendu non seulement capable ou sait agir
correctement, mais le veut. Ce qui apparaоt dans la foi et la prudence, mais
de maniиre diffйrente. En effet, la foi parfait l’intellect spйculatif en
tant qu’il est commandй par la volontй, ce qui ressort clairement de son
acte : en effet, l’homme ne donne son assentiment а ce qui dйpasse la raison
humaine par l’intellect que parce qu’il le veut. Ainsi Augustin dit-il que
l’homme ne peut croire que s’il le veut. Semblablement, la foi se trouvera
dans l’intellect spйculatif selon qu’il est soumis а la volontй, comme la
tempйrance se trouve dans le concupiscible selon qu’il est soumis au
commandement de la raison. Aussi la volontй commande-t-elle а l’intellect en
croyant, non seulement pour l’accomplissement de l’acte, mais pour la
dйtermination de l’objet, car l’intellect consent а ce qui est cru de maniиre
dйterminйe sous le commandement de la volontй, de la mкme maniиre qu’il tend
par la tempйrance vers un milieu dйterminй du concupiscible par la raison. Or,
la prudence se trouve dans l’intellect ou la raison pratique, comme on l’a
dit : non pas que l’objet de la prudence soit dйterminй par la volontй, mais
seulement la fin. Elle recherche elle-mкme l’objet : en effet, йtant
prйsupposйe le fin du bien par la volontй, la prudence recherche les moyens
par lesquels ce bien est accompli et conservй. Il ressort donc clairement que
les habitus qui existent dans l’intellect ont divers rapports avec la
volontй. Certains ne dйpendant aucunement de la volontй, si ce n’est pour
leur usage, et cela, par accident, puisque cette usage des habitus depend de
la volontй d’une autre maniиre que les habitus mentionnйs, tels que la
science, la sagesse et l’art. En effet, par ces habitus, l’homme n’est pas
perfectionnй de telle maniиre que l’homme veuille les bien utiliser, mais
seulement qu’il en soit capable. Mais un certain habitus de l’intellect
dйpend de la volontй en tant que celui-ci reзoit d’elle son principe, car la
fin est le principe pour les actions : il en va ainsi pour la prudence. Un
autre habitus reзoit aussi de la volontй la dйtermination de son objet, comme
c’est le cas de la foi. Et bien que tous puissent кtre appelйs des vertus
d’une certaine maniиre, ces deux derniиres possиdent cependant plus
parfaitement et а parler plus proprement la raison de vertu, bien qu’il n’en
dйcoule pas qu’elles soient des habitus plus nobles ou plus parfaits.
Solutions :
[65651]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habitus intellectus
speculativi ordinatur ad actum proprium, quem perfectum reddit, qui est veri
consideratio : non autem ordinatur sicut in finem in aliquem exteriorem
actum, sed finem habet in suo actu proprio. Intellectus autem practicus
ordinatur sicut in finem in alium exteriorem actum : non enim consideratio de
agendis vel faciendis pertinet ad intellectum practicum nisi propter agere
vel facere. Et sic habitus intellectus speculativi reddit actum suum
nobiliori modo bonum quam habitus intellectus practici : quia ille ut finem,
hic ut ad finem; licet habitus intellectus practici, ex eo quod ordinat ad
bonum sub ratione boni, prout praesupponitur voluntati, magis proprie habeat
rationem virtutis.
1. L’habitus de l’intellect spйculatif est
ordonnй а son acte propre qu’il rend parfait : c’est la considйration de la
vйritй. Mais il n’est pas ordonnй comme а sa fin а un acte extйrieur, car il
a sa fin dans son acte propre. Mais l’intellect pratique est ordonnй comme а
sa fin а un acte extйrieur : en effet, la considйration des actes а poser ou
des choses а faire ne relиve de l’intellect pratique qu’en raison de l’action
ou de la rйalisation. Et ainsi, l’habitus de l’intellect spйculatif rend son
acte bon d’une maniиre plus noble que l’habitus de l’intellect pratique, car
celui-lа en tant que fin, celui-ci en tant qu’ordonnй а une fin, bien que
l’habitus de l’intellect pratique, du fait qu’il ordonne au bien sous la
raison de bien, en tant qu’il est prйsupposй а la volontй, ait davantage la
raison de vertu.
[65652] De virtutibus, q.
1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non dicitur bonus simpliciter ex
eo quod est in parte bonus, sed ex eo quod secundum totum est bonus : quod
quidem contingit per bonitatem voluntatis. Nam voluntas imperat actibus
omnium potentiarum humanarum. Quod provenit ex hoc quod quilibet actus est
bonum suae potentiae; unde solus ille dicitur esse bonus homo simpliciter qui
habet bonam voluntatem. Ille autem qui habet bonitatem secundum aliquam
potentiam, non praesupposita bona voluntate, dicitur bonus secundum quod
habet bonum visum et auditum, aut est bene videns et audiens. Et sic patet,
quod ex eo quod homo habet scientiam, non dicitur bonus simpliciter, sed
bonus secundum intellectum, vel bene intelligens; et similiter est de arte,
et de aliis huiusmodi habitibus.
2. On ne dit pas que l’homme est tout
simplement bon du fait qu’il est bon en partie, mais parce qu’il est
entiиrement bon, ce qui se produit par la bontй de la volontй, car la volontй
commande aux actes de toutes les puissances humaines. Cela vient de ce que tout
acte est le bien de sa puissance ; aussi dit-on qu’un homme est tout
simplement bon lorsqu’il a une volontй bonne. Mais celui qui possиde la bontй
selon quelque puissance, sans que prйexiste une volontй bonne, est appelй bon
selon qu’il a une bonne vue ou une bonne ouпe, ou qu’il voit et entend bien.
Ainsi ressort-il clairement que, du fait qu’un homme possиde la science, il
n’est pas appelй bon tout simplement, mais bon selon l’intellect, et comme
ayant une bonne intelligence. Et il en va de mкme pour l’art, et pour les
autres habitus de ce genre.
[65653]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod scientia dividitur contra
moralem virtutem, et tamen ipsa est virtus intellectualis; vel etiam
dividitur contra virtutem propriissime dictam : sic enim ipsa non est virtus,
ut supra dictum est.
3. La science se distingue de la vertu morale,
et cependant elle est elle-mкme une vertu intellectuelle. Ou bien, elle se
distingue de la vertu entendue au sens le plus propre : ainsi n’est-elle pas
elle-mкme une vertu, comme on l’a dit plus haut.
[65654] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus speculativus non ordinatur ad
aliquid extra se; ordinatur autem ad proprium actum sicut ad finem. Felicitas autem ultima,
scilicet contemplativa, in eius actu consistit. Unde actus speculativi
intellectus sunt propinquiores felicitati ultimae per modum similitudinis,
quam habitus practici intellectus; licet habitus intellectus practici
fortasse sint propinquiores per modum praeparationis, vel per modum meriti.
4.
L’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose qui lui est
extйrieur, mais il est ordonnй а son acte propre comme а sa fin. Or, la
fйlicitй ultime, а savoir, la [fйlicitй] contemplative, consiste dans son
acte. Aussi les actes de l’intellect spйculatif sont-ils plus proches de la
fйlicitй ultime par mode de ressemblance, que les habitus de l’intellect
pratique, bien que les habitus de l’intellect pratique puissent peut-кtre en
кtre plus proches par mode de prйparation ou par mode de mйrite.
[65655]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per actum scientiae, aut
alicuius talis habitus, potest homo mereri, secundum quod imperatur a
voluntate, sine qua nullum est meritum. Tamen scientia non ad hoc perficit
intellectum ut dictum est. Non enim ex eo quod homo habet scientiam,
efficitur bene volens considerare, sed solummodo bene potens; et ideo mala
voluntas non opponitur scientiae vel arti, sicut prudentiae, vel fidei, aut
temperantiae. Et inde est quod philosophus dicit, quod ille qui peccat
voluntarius in agibilibus, est minus prudens; licet e contrario sit in
scientia et arte. Nam grammaticus qui involuntarie soloecizat, apparet esse
minus sciens grammaticam.
5.
Par l’acte de la science ou d’un habitus semblable, l’homme peut mйriter
selon que [l’acte] est commandй par la volontй, sans laquelle il n’existe
aucun mйrite. Toutefois, la science ne perfectionne pas l’intellect pour
cela, comme on l’a dit. En effet, du fait que l’homme a la science, il n’est
pas rendu bien disposй а examiner, mais seulement capable de le faire. C’est
pourquoi la volontй mauvaise ne s’oppose pas а la science ou а l’art, comme а
la prudence, а la foi ou а la tempйrance. De lа vient que le Philosophe dit
que celui qui pиche volontairement pour les actes а poser est moins prudent,
bien que ce soit le contraire dans le cas de la science et de l’art. Car le
grammairien qui commet involontairement un solйcisme montre qu’il connaоt
moins la grammaire.
[65658] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 1 Dicit enim Damascenus, III Lib. : naturales sunt virtutes,
et naturaliter et aequaliter insunt nobis.
1. En effet, [Jean] Damascиne dit, au livre
III : «Les vertus sont naturelles, et existent en nous naturellement et
йgalement.»
[65659]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea, Matth., IV, 23, dicit Glossa : docet
naturales iustitias : scilicet castitatem, iustitiam, humilitatem, quales
naturaliter habet homo.
2. De plus, а propos de Mt 4, 23, la
Glose dit : «Il enseigne les justice naturelles, а savoir, la chastetй, la
justice, l’humilitй, que l’homme possиde naturellement.»
[65660]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea, Rom. II, 14, dicitur quod homines non
habentes legem, naturaliter ea quae legis sunt, faciunt. Sed lex praecipit
actum virtutis. Ergo actum virtutis naturaliter homo facit; et ita videtur
quod virtus sit a natura.
3.
De plus, en Rm 2, 14, il est dit que les hommes qui n’ont pas de
loi font naturellement ce qui se trouve dans la loi. Or, la loi prescrit
l’acte de la vertu. L’homme accomplit donc naturellement l’acte de la vertu,
et ainsi il semble que la vertu vienne de la nature.
[65661] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea,
Antonius dicit in sermone ad monachos : si naturam voluntas mutaverit,
perversitas est. Conditio servetur, et virtus est. Et in eodem sermone
dicitur, quod sufficit homini naturalis ornatus. Hoc autem non esset, si
virtutes non essent naturales. Ergo virtutes sunt
naturales.
4.
Antoine dit, dans un sermon adressй aux moines : «Si la volontй a changй la nature,
cela est mauvais. Si la condition [naturelle] est maintenue, cela est vertu.»
Et il est dit dans le mкme sermon que la beautй naturelle suffit а l’homme.
Or, cela ne serait pas le cas si les vertus n’йtaient pas naturelles. Les
vertus sont donc naturelles.
[65662]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea, Tullius dicit, quod celsitudo animi est
nobis a natura. Sed hoc videtur ad magnanimitatem pertinere. Ergo magnanimitas inest
nobis a natura; et eadem ratione aliae virtutes.
5.
Tullius [Cicйron] dit que la grandeur d’вme existe en nous par nature. Or,
cela semble relever de la magnanimitй. La magnanimitй existe donc en nous par
nature et, pour la mкme raison, les autres vertus.
[65663] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 6 Praeterea, ad faciendum opus virtutis non requiritur nisi posse
bonum, et velle, et nosse. Sed notio boni inest nobis a natura, ut dicit
Augustinus in II de libero arbitrio. Velle etiam bonum inest homini a natura,
ut idem dicit super Genes. ad litteram. Posse etiam bonum inest homini naturaliter,
cum voluntas sit domina sui actus. Ergo ad opus virtutis sufficit natura.
Virtus igitur est homini naturalis, quantum ad sui inchoationem.
6.
Pour accomplir un acte de vertu, il n’est nйcessaire que de pouvoir faire le
bien, de le vouloir et de le connaоtre. Or, la connaissance du bien existe en
nous par nature, comme le dit Augustin dans le livre II de Sur le libre
arbitre. Vouloir le bien existe aussi en l’homme par nature, comme le dit
le mкme dans le Commentaire littйral de la Genиse. Pouvoir le bien
existe aussi dans l’homme par nature, puisque la volontй est maоtresse de son
acte. La nature suffit donc а l’acte de vertu. La vertu est donc naturelle а
l’homme, quant а son amorce.
[65664]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 7 Sed diceretur, quod virtus est homini naturalis
quantum ad sui inchoationem, sed perfectio virtutis non est a natura.- Sed
contra est quod Damascenus dicit in III Lib. : manentes in eo quod
secundum naturam, in virtute sumus; declinantes autem ab eo quod est secundum
naturam, ex virtute, ad id quod est praeter naturam devenimus et in malitia
sumus. Ex quo patet, quod secundum naturam inest a malitia declinare. Sed
hoc est perfectae virtutis. Ergo et perfectio virtutis est a natura.
7.
Mais on pourrait dire que la vertu est naturelle а l’homme pour ce qui est de
son amorce, mais que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature. –
Toutefois, ce que dit Damascиne, dans le livre III, va en sens contraire :
«En demeurant dans ce qui est conforme а la nature, nous sommes dans la
vertu; mais en nous йcartant de ce qui est conforme а la nature, nous sortons
de la vertu, nous parvenons а ce qui est au-delа de la nature et nous sommes
dans le mal.» Il ressort clairement de cela qu’il est conforme а la nature de
s’йcarter du mal. Or, ceci est le fait d’une vertu parfaite. La perfection de
la vertu vient donc de la nature.
[65665] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 8 Praeterea, virtus, cum
sit forma, est quoddam simplex, et partibus carens. Si igitur secundum
aliquid sui est a natura videtur quod totaliter sit a natura.
8.
La vertu, puisqu’elle est une forme, est quelque chose de simple, qui n’a pas
de parties. Si donc quelque chose d’elle vient de la nature, il semble
qu’elle vienne entiиrement de la nature.
[65666]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 9 Praeterea, homo dignior est et perfectior aliis
creaturis irrationalibus. Sed aliae creaturae sufficienter habent a natura ea
quae pertinent ad suam perfectionem. Cum igitur virtutes sint quaedam
perfectiones hominis, videtur quod insint homini a natura.
9.
L’homme est plus digne et plus parfait que les crйatures non raisonnables.
Or, les autres crйatures possиdent suffisamment par nature ce qui se rapporte
а leur perfection. Puis que les vertus sont des perfections de l’homme, il
semble donc qu’elles sont dans l’homme par nature.
[65667]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 10 Sed diceretur, quod hoc non potest esse, quia
perfectio hominis consistit in multis et diversis; natura autem ordinatur ad
unum. Sed contra est, quod virtutis inclinatio est etiam ad unum, sicut et
naturae : dicit enim Tullius, quod virtus est habitus in modum naturae,
rationi consentaneus. Ergo nihil prohibet virtutes inesse homini a
natura.
10.
Mais on pourrait dire que cela est impossible, car la perfection de l’homme
consiste dans des choses nombreuses et diverses. Or, la nature est ordonnйe а
une seule chose. En sens contraire,
l’inclination de la vertu va aussi vers une seule chose, comme celle de la
nature. En effet, Tullius [Cicйron] dit que la vertu est un habitus par mode
de nature, conforme а la raison. Rien n’empкche donc que les vertus soient
dans l’homme par nature.
[65668] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 11 Praeterea, virtus in medio
consistit. Medium autem est unum determinatum. Ergo nihil prohibet
inclinationem naturae esse ad id quod est virtutis.
11.
La vertu se situe dans un milieu. Or, le milieu est quelque chose de
dйterminй. Rien n’empкche donc que l’inclination de la nature aille dans le
sens de la vertu.
[65669] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 12 Praeterea, peccatum est privatio modi, speciei et ordinis. Sed
peccatum est privatio virtutis. Ergo virtus consistit in modo, specie et
ordine. Sed modus, species et ordo sunt homini naturalia. Ergo virtus est
homini naturalis.
12.
Le pйchй est une privation de mesure, de beautй et d’ordre. Or, le pйchй est
la privation de la vertu. La vertu consiste donc dans la mesure, la beautй et
l’ordre. Mais la mesure, la beautй et l’ordre sont naturels а l’homme. La
vertu est donc naturelle а l’homme.
[65670] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 13 Praeterea, pars appetitiva in anima sequitur partem cognitivam. Sed in parte cognitiva
est aliquis habitus naturalis, scilicet intellectus principiorum. Ergo et in
parte appetitiva et affectiva, quae est subiectum virtutis, est aliquis
habitus naturalis; et ita videtur quod aliqua virtus sit naturalis.
13.
La partie appйtitive de l’вme suit la partie cognitive. Or, dans la partie
cognitive, il existe un habitus naturel, а savoir, l’intelligence des
principes. Dans la partie appйtitive et affective, qui est le sujet de la
vertu, il existe donc aussi un habitus naturel. Et ainsi, il semble qu’une
vertu soit naturelle.
[65671]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 14 Praeterea, naturale est cuius principium est intra;
sicut ferri sursum est naturale igni, quia principium huius motus est in eo
quod movetur. Sed principium virtutis est in homine. Ergo virtus est homini
naturalis.
14.
Est naturel ce dont le principe est interne, comme d’кtre portй vers le haut
est naturel au feu, parce que le principe de ce mouvement se trouve а
l’intйrieur de ce qui est mы. Or, le principe de la vertu existe а
l’intйrieur de l’homme. La vertu est donc naturelle а l’homme.
[65672] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 15 Praeterea, cuius est semen naturale, ipsum quoque est naturale.
Sed semen virtutis est naturale; dicit enim quaedam Glossa, Hebr., I, quod
voluit Deus inseminare omni animae initia sapientiae et intellectus. Ergo videtur quod virtutes sint naturales.
15.
Ce dont la semence est naturelle est naturel. Or, la semence de la vertu est
naturelle. En effet, une glose dit, а propos de He 1, que Dieu a voulu
semer en toute вme des amorces de sagesse et d’intelligence. Il semble donc
que les vertus soient naturelles.
[65673] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 16 Praeterea,
contraria sunt eiusdem generis. Sed virtuti contrariatur malitia. Malitia
autem est naturalis; dicitur enim Sap., XII, v. 10 : erat enim naturalis
malitia eius; et Ephes., II, 3, dicitur : eramus natura filii irae.
Ergo videtur quod virtus sit naturalis.
16.
Les contraires appartiennent au mкme genre. Or, la malice est contraire а la
vertu. En effet, il est dit en Sg 12, 10 : Car, sa malice lui
йtait naturelle; et en Ep 2, 3 : Nous йtions par nature fils
de la colиre. Il semble donc que la vertu soit naturelle.
[65674] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 17 Praeterea, naturale est quod vires inferiores rationi
subdantur; dicit enim philosophus in III de anima, quod appetitus superioris,
qui est rationis, movet inferiorem, qui est partis sensitivae; sicut sphaera
superior movet inferiorem sphaeram. Virtus autem moralis
in hoc consistit quod inferiores vires rationi subdantur. Ergo huiusmodi
virtutes sunt naturales.
17.
Il est naturel que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. En
effet, le Philosophe dit, dans Sur l’вme, III, que l’appйtit
supйrieur, qui est celui de la raison, meut l’infйrieur, qui est la partie
sensible, comme la sphиre supйrieure meut la sphиre infйrieure. Or, la vertu
morale consiste en ce que les puissances infйrieures soient soumises а la
raison. Les vertus de ce genre sont donc naturelles.
[65675] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 18 Praeterea, ad hoc quod aliquis motus sit naturalis, sufficit
naturalis aptitudo interioris principii passivi. Sic enim generatio
simplicium corporum dicitur naturalis, et etiam motus caelestium corporum;
nam principium activum caelestium corporum non est natura, sed intellectus;
principium etiam generationis simplicium corporum est extrinsecus. Sed ad
virtutem inest homini aptitudo naturalis; dicit enim philosophus in II
Ethicor. : innatis quidem nobis a natura suscipere, perfectis autem ab
assuetudine. Ergo videtur quod virtus est naturalis.
18.
Pour qu’un mouvement soit naturel, une aptitude naturelle du principe passif
intйrieur suffit. En effet, la gйnйration des corps simples est ainsi appelйe
naturelle, et mкme le mouvement des corps cйlestes, car le principe actif des
corps cйlestes n’est pas la nature, mais l’intelligence, et le principe de la
gйnйration des corps simples est aussi extйrieur. Or, une aptitude naturelle
а la vertu existe dans l’homme. En effet, le Philosophe dit, dans Йthique,
II : «Les choses innйes, nous les recevons de la nature; les choses
parfaites, de l’habitus.» Il semble donc que la vertu soit naturelle.
[65676]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 19 Praeterea, illud quod inest homini a nativitate, est
naturale. Sed secundum philosophum in VI Ethic., quidam confestim a
nativitate videntur esse fortes et temperati, et secundum alias virtutes
dispositi; et Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de
utero egressa est mecum. Ergo virtutes sunt homini naturales.
19.
Ce que l’homme possиde par naissance est naturel. Or, selon le Philosophe,
dans Йthique, VI, certains semblent кtre immйdiatement а la naissance
forts et modйrйs, et disposйs а d’autres vertus. Et [il est dit] en
Jb 31, 18 : La compassion s’est dйveloppйe en moi depuis la
naissance, et elle est sortie du sein en mкme temps que moi. Des vertus
sont donc naturelles а l’homme.
[65677] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 20 Praeterea, natura non deficit in necessariis. Sed virtutes sunt homini
necessariae ad finem ad quem naturaliter ordinatur, scilicet ad felicitatem,
quae est actus virtutis perfectae. Ergo virtutes habet
homo a natura.
20.
La nature ne fait pas dйfaut pour les choses nйcessaires. Or, les vertus sont
nйcessaires а l’homme pour la fin а laquelle il est naturellement ordonnй, а
savoir, la fйlicitй, qui est un acte de la vertu parfaite. L’homme possиde
donc les vertus par nature.
Cependant
:
[65678] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed
contra. Naturalia per peccatum non amittuntur; unde Dionysius dicit, quod
data naturalia in Daemonibus permanent. Sed virtutes per peccatum amittuntur.
Ergo non sunt naturales.
1.
Les choses naturelles ne sont pas enlevйes par le pйchй. Aussi Denys dit-il
que les dons naturels demeurent chez les dйmons. Or, les vertus sont enlevйes
par le pйchй. Elles ne sont donc pas naturelles.
[65679] De virtutibus, q.
1 a. 8 s. c. 2 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, et ea quae sunt a natura,
neque assuescimus neque dissuescimus. Sed ea quae sunt virtutis, possumus
assuescere et dissuescere. Ergo virtutes non sunt naturales.
2.
Ce qui existe en nous naturellement et ce qui vient de la nature, nous ne
nous y habituons pas et nous n’en perdons pas l’habitude. Or, nous pouvons
nous habituer et nous dйshabituer de ce qui relиve de la vertu. Les vertus
sont donc naturelles.
[65680]
De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 3 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, communiter
insunt omnibus. Sed virtutes non insunt communiter omnibus, cum quibusdam
insint vitia contraria virtutibus.
3.
Ce qui existe naturellement existe chez tous d’une maniиre commune. Or, les
vertus n’existent pas chez tous d’une maniиre commune, puisqu’il existe chez
certains des vices contraires aux vertus.
[65681] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 4 Praeterea, naturalibus neque meremur neque demeremur, quia sunt in
nobis. Sed
virtutibus meremur, sicut et vitiis demeremur. Ergo virtutes et vitia non
sunt naturalia.
4.
Nous ne mйritons pas ni ne perdons le mйrite en raison des choses naturelles,
car elles existent en nous. Or, nous mйritons par les vertus, comme nous
dйmйritons par les vices. Les vertus et les vices ne sont donc pas naturels.
Rйponse
:
[65682] De virtutibus, q.
1 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum quod diversificati sunt aliqui
circa productionem formarum naturalium, ita diversificati sunt circa
adeptionem scientiarum et virtutum. Fuerunt enim aliqui qui posuerunt formas
praeexistere in materia secundum actum, latenter autem; et quod per agens
naturale reducuntur de occulto in manifestum. Et haec fuit opinio Anaxagorae
qui posuit omnia esse in omnibus, ut ex omnibus omnia generari possent. Alii
autem dixerunt, formas esse totaliter ab extrinseco, vel participatione idearum,
ut posuit Plato, vel intelligentia agente, ut posuit Avicenna; et quod
agentia naturalia disponunt solummodo materiam ad formam. Tertia est via
Aristotelis media, quae ponit, quod formae praeexistunt in potentia materiae,
sed reducuntur in actum per agens exterius naturale. Similiter etiam et circa
scientias et virtutes aliqui dixerunt, quod scientiae et virtutes insunt
nobis a natura, et quod per studium solummodo tolluntur impedimenta scientiae
et virtutis : et hoc videtur Plato posuisse; qui posuit scientias et virtutes
causari in nobis per participationem formarum separatarum; sed anima
impediebatur ab earum usu per unionem ad corpus; quod impedimentum tolli
oportebat per studium scientiarum, et exercitium virtutum. Alii vero
dixerunt, quod scientiae et virtutes sunt in nobis ex influxu intelligentiae
agentis, ad cuius influentiam recipiendam homo disponitur per studium et
exercitium. Tertia est opinio media, quod scientiae et virtutes secundum
aptitudinem insunt nobis a natura; sed earum perfectio non est nobis a
natura. Et haec opinio melior est, quia sicut circa formas naturales nihil
derogat virtus naturalium agentium; ita circa adeptionem scientiae et
virtutis studio et exercitio suam efficaciam conservat. Sciendum tamen est,
quod aptitudo perfectionis et formae in aliquo subiecto potest esse
dupliciter. Uno modo secundum potentiam passivam tantum;
sicut in materia aeris est aptitudo ad formam ignis. Alio modo secundum
potentiam passivam et activam simul : sicut in corpore sanabili est aptitudo
ad sanitatem, quia corpus est susceptivum sanitatis. Et hoc modo in homine
est aptitudo naturalis ad virtutem; partim quidem secundum naturam speciei,
prout aptitudo ad virtutem est communis omnibus hominibus, et partim secundum
naturam individui, secundum quod quidam prae aliis sunt apti ad virtutem. Ad cuius evidentiam
sciendum est, quod in homine triplex potest esse subiectum virtutis, sicut ex
superioribus patet; scilicet intellectus, voluntas et appetitus inferior, qui
in concupiscibilem et irascibilem dividitur. In unoquoque autem est
considerare aliquo modo et susceptibilitatem virtutis et principium activum
virtutis. Manifestum est enim quod in parte intellectiva est intellectus
possibilis, qui est in potentia ad omnia intelligibilia, in quorum cognitione
consistit intellectualis virtus; et intellectus agens, cuius lumine
intelligibilia fiunt actu; quorum quaedam statim a principio naturaliter
homini innotescunt absque studio et inquisitione : et huiusmodi sunt
principia prima, non solum in speculativis, ut : omne totum est maius sua
parte, et similia; sed etiam in operativis, ut : malum esse fugiendum, et
huiusmodi. Haec autem naturaliter nota, sunt principia totius cognitionis
sequentis, quae per studium acquiritur; sive sit practica, sive sit speculativa.
Similiter autem circa voluntatem manifestum est quod est aliquod principium
activum naturale. Nam voluntas naturaliter inclinatur in ultimum finem. Finis
autem in operativis habet rationem principii naturalis. Ergo inclinatio
voluntatis est quoddam principium activum respectu omnis dispositionis, quae
per exercitium in parte affectiva acquiritur. Manifestum autem est quod ipsa
voluntas, in quantum est potentia ad utrumlibet se habens, in his quae sunt
ad finem, est susceptiva habitualis inclinationis in haec vel in illa.
Irascibilis autem et concupiscibilis naturaliter sunt obaudibiles rationi :
unde naturaliter sunt susceptivae virtutis, quae in eis perficitur, secundum
quod disponuntur ad bonum rationis sequendum. Et omnes praedictae
inchoationes virtutum consequuntur naturam speciei humanae unde et omnibus
sunt communes. Est autem aliqua inchoatio virtutis, quae consequitur naturam
individui, secundum quod aliquis homo ex naturali complexione vel caelesti
impressione inclinatur ad actum alicuius virtutis. Et haec quidem inclinatio
est quaedam virtutis inchoatio; non tamen est virtus perfecta; quia ad
virtutem perfectam requiritur moderatio rationis : unde et in definitione
virtutis ponitur, quod est electiva medii secundum rationem rectam. Si enim aliquis
absque rationis discretione inclinationem huiusmodi sequeretur, frequenter
peccaret. Et sicut haec virtutis inchoatio absque rationis opere, perfectae
virtutis rationem non habet, ita nec aliqua praemissarum. Nam ex
universalibus principiis in specialia pervenitur per inquisitionem rationis.
Rationis etiam officio ex appetitu ultimi finis homo deducitur in ea quae
sunt convenientia illi fini. Ipsa etiam ratio imperando irascibilem et
concupiscibilem facit sibi esse subiectas. Unde manifestum est quod ad
consummationem virtutis requiritur opus rationis; sive virtus sit in
intellectu, sive sit in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Haec
tamen est consummatio : quod ad virtutem inferioris partis ordinatur
inchoatio virtutis quae est in superiori; sicut ad virtutem quae est in
voluntate, aptus redditur homo et per inchoationem virtutis quae est in
voluntate, et per eam quae est in intellectu. Ad virtutem vero quae est in
irascibili et concupiscibili, per inchoationem virtutis quae est in eis, et
per eam quae est in superioribus; sed non e converso. Unde etiam manifestum
est, quod ratio, quae est superior, operatur ad completionem omnis virtutis.
Dividitur autem principium operativum quod est ratio, contra principium
operativum quod est natura, ut patet in II Phys.; eo quod rationalis potestas
est ad opposita, natura autem ordinatur ad unum. Unde manifestum est quod
perfectio virtutis non est a natura, sed a ratione.
De
mкme que certains ont des positions diffйrentes а propos de la production
des formes naturelles, de mкme diffиrent-ils а propos de l’acquisition des
sciences et des vertus. En effet, certains ont soutenu que les formes
prйexistent dans la matiиre selon l’acte, mais de maniиre cachйe, et qu’elles
sont ramenйes de l’йtat occulte а l’йtat manifeste par un agent naturel.
Telle fut l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que tout йtait en tout, de
sorte que tout pouvait кtre engendrй а partir de tout. Mais d’autres ont dit
que les formes viennent entiиrement de l’extйrieur, soit par la participation
aux idйes, comme l’affirmait Platon, soit par l’intellect agent, comme
l’affirmait Avicenne, et que les agents naturels ne font que disposer la
matiиre en vue de la forme. La troisiиme voie, celle d’Aristote, se situe au
milieu : elle affirme que les formes prйexistent dans la puissance de la
matiиre, mais qu’elles sont amenйs а l’acte par un agent extйrieur naturel.
De mкme, а propos des sciences et des vertus, certains ont-ils dit qu’elles
existent en nous par nature et que, par l’effort, sont seulement enlevйs les
obstacles а la science et а la vertu. Platon semble avoir affirmй cela, en
affirmant que les sciences et les vertus sont causйes en nous par la
participation aux formes sйparйes, mais que l’вme йtait empкchйe d’en faire
usage par l’union au corps, empкchement qu’il fallait йcarter par l’йtude
des sciences et par l’application aux vertus. Mais d’autres ont dit que les
sciences et les vertus existent en nous sous l’influence de l’intellect
agent, que l’homme se dispose а recevoir par l’йtude et l’application. La
troisiиme opinion se situe au centre : les sciences et les vertus existent
en nous par nature par l’aptitude, mais leur perfection ne nous vient pas de
la nature. Et cette opinion est meilleure, car, de mкme que la puissance des
agents naturels ne fait en rien dйfaut pour ce qui est des formes naturelles,
de mкme, pour l’acquisition de la science et l’application а la vertu et pour
sa pratique, elle conserve son efficacitй. Toutefois, il faut savoir que
l’aptitude а la perfection et а la forme chez un sujet peut exister de deux
maniиres. D’une maniиre, selon une puissance passive seulement, comme il
existe une aptitude а la forme du feu dans la matiиre de l’air. D’une autre
maniиre, selon une puissance passive et active en mкme temps, comme dans un
corps susceptible d’кtre guйri, il existe une aptitude а la santй, parce que
le corps est rйceptif par rapport а la santй. Et c’est de cette maniиre qu’il
existe dans l’homme une aptitude naturelle а la vertu, en partie selon la
nature de l’espиce, pour autant que l’aptitude а la vertu est commune а tous
les hommes, et en partie selon la nature de l’individu, pour autant que
certains sont plus aptes que d’autres а la vertu. Pour йclairer cela, il faut
savoir que, dans l’homme, peut exister un triple sujet de la vertu, comme
cela ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut : l’intellect, la
volontй et l’appйtit infйrieur, qui se divise en concupiscible et en
irascible. Or, dans chacun, il faut d’une certaine faзon prendre en compte а
la fois la rйceptivitй а la vertu et le principe actif de la vertu. En effet,
il est clair que, dans la partie intellective, existe l’intellect possible,
qui est en puissance а tous les intelligibles, dans la connaissance desquels
consiste la vertu intellectuelle; et l’intellect agent, par la lumiиre duquel
les intelligibles le deviennent en acte. Certains [de ces intelligibles]
sont connus naturellement par l’homme immйdiatement et dиs le dйbut, sans
йtude ni recherche. Ce sont les principes premiers, non seulement en matiиre
spйculative, comme : le tout est plus grand que la partie, et les choses
semblables, mais aussi en matiиre d’action, comme : il faut fuir le mal, et
les choses de ce genre. Or, ces connaissances naturelles sont les principes
de toute la connaissance ultйrieure, qui est acquise par l’йtude, qu’elle
soit pratique ou spйculative. De mкme, а propos de la volontй, il est clair
qu’il existe un principe actif naturel, car la volontй est naturellement inclinйe
а la fin ultime. Or, dans le domaine des actions, la fin a raison de principe
naturel. L’inclination de la volontй est donc un principe actif par rapport
а toute disposition, qui est acquise dans la partie affective par la
pratique. Or, il est clair que la volontй elle-mкme, pour autant qu’elle se
trouve en puissance а n’importe quelle chose parmi celles qui concernent la
fin, est rйceptive а une inclination habituelle а telle ou telle chose. Mais
l’irascible et le concupiscible, pour leur part, sont naturellement rйceptifs
а la raison; aussi sont-ils naturellement rйceptifs а la vertu qui
s’accomplit en eux, selon qu’ils sont disposйs а suivre le bien de la raison.
Et toutes ces amorces de vertus dйcoulent de la nature de l’espиce humaine :
elles sont donc communes а tous. Mais il y a une amorce de vertu qui dйcoule
de la nature d’un individu, selon qu’un homme, en raison de sa complexion ou
d’une influence cйleste, est inclinй а l’acte d’une vertu. Et cette
inclination est une amorce de vertu; elle n’est cependant pas une vertu
parfaite, car la modйration de la raison est nйcessaire pour la vertu
parfaite. Aussi met-on dans la dйfinition de la vertu qu’elle choisit le
milieu selon la raison droite. En effet, si quelqu’un suivait cette
inclination sans le jugement de la raison, il pйcherait souvent. Et de mкme
que cette amorce de vertu sans intervention de la raison ne possиde pas la
raison de vertu parfaite, de mкme aucune de celles mentionnйes plus haut.
Car l’on parvient aux choses particuliиres а partir de principes universels
par la recherche de la raison. C’est aussi par la fonction de la raison que
l’homme est conduit de l’appйtit de la fin ultime а ce qui convient а cette
fin. C’est encore par le commandement de la raison que celle-ci se soumet
l’irascible et le concupiscible. Ainsi ressort-il clairement que, pour
l’achиvement de la vertu, l’action de la raison est nйcessaire, que la vertu
soit dans l’intellect, qu’elle soit dans la volontй ou qu’elle soit dans
l’irascible et le concupiscible. Cependant
tel est l’achиvement : que l’amorce de vertu qui est dans la partie
supйrieure soit ordonnйe а la vertu de la partie infйrieure, comme l’homme
est rendu apte а la vertu qui est dans la volontй а la fois par l’amorce de
vertu qui se trouve dans la volontй et par celle qui se trouve dans
l’intellect; mais а la vertu qui se trouve dans l’irascible et le
concupiscible, par l’amorce de vertu qui est en eux, et par celle qui se
trouve dans les [puissances] supйrieures. Mais il n’en va pas de mкme en sens
inverse. Aussi est-il clair que la raison, qui est supйrieure, agit en vue de
l’achиvement de toute vertu. Or, le principe opйratif qu’est la raison se
distingue du principe opйratif qu’est la nature, comme cela ressort
clairement de Physique, II, du fait que la puissance rationnelle porte
sur des choses opposйes, alors que la nature est ordonnйe а une seule chose.
Il est donc clair que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature,
mais de la raison.
Solutions :
[65683]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes dicuntur
naturales quantum ad naturales inchoationes virtutum quae insunt homini, non
quantum ad earum perfectionem.
1. Les vertus sont appelйes naturelles quant
aux amorces de vertus qui sont innйes chez l’homme, et non quant а leur perfection.
2-5. Il faut dire la mкme chose pour les
deuxiиme, troisiиme, qautriиme et cinquiиme arguments.
[65685]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod posse bonum simpliciter
inest nobis a natura, eo quod potentiae sunt naturales; velle autem et scire
est nobis aliquo modo a natura, scilicet secundum quamdam inchoationem in
universali. Sed hoc non sufficit ad virtutem. Requiritur autem ad bonam
operationem, quae est effectus virtutis, quod homo prompte et infallibiliter
ut in pluribus bonum attingat; quod non potest aliquis facere sine habitu
virtutis : sicut etiam manifestum est quod aliquis in universali scit opus
artis facere, ut puta argumentari, vel secare, aut aliquid huiusmodi facere;
sed ad hoc quod prompte et sine errore faciat, requiritur quod habeat artem;
et similiter est in virtute.
6. Pouvoir faire le bien est tout simplement
innй chez nous par nature, du fait que les puissances sont naturelles ;
mais vouloir et savoir nous viennent d’une certaine maniиre de la nature, а
savoir, dans leur amorce d’une maniиre gйnйrale. Mais cela n’est pas
suffisant pour la vertu. Il est nйcessaire pour une opйration bonne, qui est
l’effet de la vertu, que l’homme atteigne le bien rapidement et sans se
tromper dans la plupart des cas, ce que quelqu’un ne peut faire sans
l’habitus de la vertu, de mкme qu’il est clair que quelqu’un sait accomplir
de maniиre universelle l’acte d’un art, par exemple, argumenter ou couper, ou
faire quelque chose de ce genre ; mais pour qu’il fasse cela rapidement
et sans erreur, il est nйcessaire qu’il en possиde l’art. Et de mкme en
est-il pour la vertu.
[65686]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex natura habet homo
aliqualiter quod declinet malitiam; sed ad hoc quod hoc prompte faciat et
infallibiliter, requiritur habitus virtutis.
7. L’homme a d’une certaine maniиre par nature
ce qu’il faut pour s’йcarter de la mйchancetй; mais pour qu’il le fasse
promptement et infailliblement, un habitus de vertu est nйcessaire.
[65687] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus non dicitur partim a natura
esse, eo quod aliqua pars eius sit a natura et aliqua non, sed quia secundum
aliquem modum essendi imperfectum est a natura; scilicet secundum potentiam
et aptitudinem.
8. On ne dit pas que la vertu vient en partie
de la nature parce qu’une partie d’elle vient de la nature et une autre n’[en
vient] pas, mais parce qu’elle vient de la nature selon un mode d’exister
imparfait, а savoir, selon la puissance et l’aptitude.
[65688] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus est per se perfectus in bonitate; unde
nullo indiget ad bonitatem consequendam. Substantiae autem superiores et ei
propinquae, paucis indigent ad consequendam perfectionem bonitatis ab ipso.
Homo autem, qui est magis remotus, pluribus indiget ad assecutionem perfectae
bonitatis, quia est capax beatitudinis. Quae
autem creaturae non sunt capaces beatitudinis, paucioribus indigent quam
homo. Unde homo est dignior eis licet pluribus indigeat; sicut ille qui
potest consequi perfectam sanitatem multis exercitiis, est melius dispositus
quam ille qui non potest consequi nisi parvam, sed per modica exercitia.
9.
Dieu est par lui-mкme parfait en bontй : aussi n’a-t-il besoin de rien pour
atteindre la bontй. Les substances supйrieures et qui lui sont proches ont
besoin de peu de choses pour obtenir de lui la bontй. Mais l’homme, qui en
est plus йloignй, a besoin de plus de choses pour atteindre la bontй
parfaite, car il est capable de la bйatitude. Les crйatures qui ne sont pas
capables de la bйatitude ont besoin de moins de choses que l’homme. Aussi
l’homme est-il plus digne qu’elles, bien qu’il ait besoin de plus de choses,
comme celui qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux exercices est
mieux disposй que celui qui ne peut en obtenir qu’une petite, mais par peu
d’exercices.
[65689] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad ea quae sunt
unius virtutis, posset esse inclinatio naturalis. Sed ad ea quae sunt omnium
virtutum, non posset esse inclinatio a natura; quia dispositio naturalis quae
inclinat ad unam virtutem, inclinat ad contrarium alterius virtutis : puta,
qui est dispositus secundum naturam ad fortitudinem, quae est in prosequendo
ardua, est minus dispositus ad mansuetudinem, quae consistit in refrenando
passiones irascibilis. Unde videmus quod animalia quae naturaliter
inclinantur ad actum alicuius virtutis, inclinantur ad vitium contrarium
alteri virtuti; sicut leo, qui naturaliter est audax est etiam naturaliter
crudelis. Et haec quidem naturalis inclinatio ad hanc vel illam virtutem
sufficit aliis animalibus, quae non possunt consequi perfectum bonum secundum
virtutem, sed consequuntur qualecumque determinatum bonum. Homines autem nati
sunt pervenire ad perfectum bonum secundum virtutem; et ideo oportet quod
habeant inclinationem ad omnes actus virtutum : quod cum non possit esse a
natura, oportet quod sit secundum rationem, in qua existunt semina omnium
virtutum.
10.
Il pourrait exister une inclination naturelle а ce qui ne relиve que d’une
seule vertu. Mais il ne peut exister d’inclination venant de la nature а ce
qui relиve de toutes les vertus, car la disposition naturelle qui incline а
une seule vertu incline а ce qui est contraire а une autre vertu, par
exemple, celui qui est disposй par nature а la force, qui consiste а
poursuivre les choses difficiles, est moins disposй а la douceur, qui
consiste а rйfrйner les passions de l’irascible. Ainsi voyons-nous que les
animaux qui sont naturellement inclinйs а l’acte d’une vertu sont inclinйs au
vice contraire а une autre vertu, comme le lion, qui est naturellement
audacieux, est aussi naturellement cruel. Et cette inclination naturelle а
telle ou telle vertu suffit aux autres animaux, qui ne peuvent obtenir le
bien parfait selon la vertu, mais poursuivent tel bien dйterminй. Mais les
hommes sont destinйs а parvenir au bien parfait selon la vertu. C’est
pourquoi il est nйcessaire qu’ils aient une inclination а tous les actes des
vertus. Comme cela ne peut venir de la nature, il est nйcessaire que cela
soit selon la raison, dans laquelle existent les semences de toutes les
vertus.
[65690]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod medium virtutis non est
determinatum secundum naturam, sicut est determinatum medium mundi in quod
tendunt gravia; sed oportet quod medium virtutis determinetur secundum
rationem rectam, ut dicitur in II Ethic. Quia quod est mediocre uni, est parum
vel multum alteri.
11.
Le milieu de la vertu n’est pas dйterminй selon la nature, comme est
dйterminй le milieu du monde vers lequel tendent tous les objets lourds, mais
il est nйcessaire que le milieu de la vertu soit dйterminй selon la raison
droite, comme il est dit dans Йthique, II. Car ce qui est milieu pour
l’un est peu ou beaucoup pour un autre.
[65692]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod voluntas non exit
in actum suum per aliquas species ipsam informantes, sicut intellectus
possibilis; et ideo non requiritur aliquis naturalis habitus in voluntate ad
naturale desiderium; et praecipue cum ex habitu naturali intellectus moveatur
voluntas, in quantum bonum intellectum est obiectum voluntatis.
13. La volontй ne va pas vers son action par
des espиces qui lui donnent forme, comme l’intellect possible. C’est pourquoi
un habitus naturel n’est pas nйcessaire dans la volontй pour son dйsir
naturel, et surtout lorsque la volontй est mue par un habitus naturel de
l’intellect, dans la mesure oщ le bien intelligй est l’objet de la volontй.
[65693] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet principium virtutis sit
intra hominem, scilicet ratio; tamen hoc principium non agit per modum
naturae; et ideo quod ab ea est, non dicitur naturale.
14. Bien que le principe de la vertu soit
intйrieur а l’homme, а savoir, la raison, ce principe n’agit cependant pas
par mode de nature. C’est pourquoi ce qui vient d’elle n’est pas appelй
naturel.
15. Il faut dire la mкme chose en rйponse а la
quinziиme objection.
[65695]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod malitia eorum erat
naturalis, in quantum erat in consuetudinem reducta, prout consuetudo est
altera natura. Nos autem eramus natura filii irae propter peccatum originale,
quod est peccatum naturae.
16.
Leur malice йtait naturelle dans la mesure oщ elle йtait devenue coutumiиre,
pour autant que la coutume est une seconde nature. Mais nous йtions fils de
la colиre en raison du pйchй originel, qui est un pйchй de nature.
[65696] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod naturale est quod vires
inferiores sint subiicibiles rationi, non tamen quod sint secundum habitum
subiectae.
17. Il est naturel que les puissances
infйrieures soient susceptibles de se soumettre а la raison, mais non
qu’elles lui soient soumises selon un habitus.
[65697]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod motus dicitur esse
naturalis propter aptitudinem naturalem mobilis, quando movens movet ad unum
determinate per modum naturae; sicut generans in elementis, et motor corporum
caelestium. Sic autem non est in proposito; unde ratio non sequitur.
18. Un mouvement est appelй naturel en raison
de l’aptitude naturelle de ce qui est mы, lorsque l’agent meut prйcisйment а
une seule chose par mode de nature, comme c’est le cas pour ce qui engendre
dans les йlйments et pour ce qui meut les corps cйlestes. Mais ce n’est pas
ce qui est en cause ici. L’argument ne vaut donc pas.
[65698] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa inclinatio naturalis ad
virtutem, secundum quam quidam mox a nativitate sunt fortes et temperati, non
sufficit ad perfectam virtutem, ut dictum est.
19.
L’inclination naturelle а la vertu, selon laquelle certains sont forts et
tempйrйs peu aprиs leur naissance, ne suffit pas pour la vertu parfaite,
comme on l’a dit.
[65699] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura non deficit homini in necessariis;
licet enim non det omnia quae sunt ei necessaria, tamen dat ei unde possit
omnia necessaria acquirere secundum rationem, et quae ei deserviunt.
20.
La nature ne fait pas dйfaut а l’homme pour les choses nйcessaires : en
effet, bien qu’elle ne lui donne pas tout ce qui lui est nйcessaire, elle lui
donne cependant les moyens de pouvoir acquйrir tout ce qui est nйcessaire
selon la raison, et qui est а son service.
[65702] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis,
qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis
operatur. Sed illud quod fit ex actibus nostris, non operatur Deus in nobis.
Ergo virtus non causatur ex actibus nostris.
1. En effet, Augustin dit que «la vertu est une
bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne
fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en nous sans nous.» Or, ce qui est
fait par nos actes, Dieu ne le rйalise pas en nous. La vertu n’est donc pas
causйe par nos actes.
[65703]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit : omnium infidelium
vita peccatum est, et nihil est bonum sine summo bono, ubi deest cognitio
veritatis, falsa est virtus etiam in optimis moribus. Ex quo habetur quod
virtus non potest esse sine fide. Fides autem non est ex operibus nostris,
sed ex gratia, ut patet Ephes. cap. II, 8 : gratia estis salvati per
fidem, et non ex vobis : nec quis glorietur; Dei enim donum est. Ergo
virtus non potest causari ex actibus nostris.
2. Augustin dit aussi : «La vie de tous les
infidиles est pйchй, et rien n’est bon sans le bien suprкme ; lа oщ fait
dйfaut la connaissance de la vйritй, la vertu est fausse, mкme lorsque le
comportement est le meilleur.» On conclut de cela que la vertu ne peut
exister sans la foi. Or, la foi ne compte pas parmi nos њuvres, mais elle
vient de la grвce, comme cela ressort clairement de Ep 2, 8 : C’est
par grвce que vous avez йtй sauvйs par la foi, et non par vous-mкmes. Que
personne donc ne se glorifie, car elle est un don de Dieu. La vertu ne
peut donc кtre causйe par nos actes.
[65704] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 3 Praeterea, Bernardus dicit, quod incassum quis ad virtutem
laborat, nisi a domino eam sperandam putet. Quod autem speratur obtinendum a
Deo, non causatur ex actibus nostris. Virtus ergo non causatur ex actibus
nostris.
3. Bernard dit que c’est en vain que quelqu’un
travaille pour la vertu, а moins qu’il ne pense pouvoir l’espйrer du
Seigneur. Or, ce que nous espйrons obtenir de Dieu n’est pas causй par nos
actes. La vertu n’est donc pas causйe par nos actes.
[65705]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 4 Praeterea, continentia est minus virtute, ut patet
per philosophum in VII Ethic. Sed continentia non est in nobis nisi ex divino
munere; dicitur enim Sapient. cap. VIII, 21 : scio quod non possum esse
continens, nisi Deus det. Ergo nec virtutes possumus acquirere ex nostris
actibus, sed solum ex dono Dei.
4. La continence est moins que la vertu, comme
cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Йthique, VII.
Or, la continence n’existe en nous que par un don divin. En effet, il est dit
dans Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis кtre continent, а moins
que Dieu ne m’en fasse le don. Nous ne pouvons donc pas non plus acquйrir
les vertus par nos actes, mais seulement par un don de Dieu.
[65706] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo non potest vitare
peccatum sine gratia. Sed per virtutem vitatur peccatum; non enim potest esse
homo simul vitiosus et virtuosus. Ergo virtus non potest esse sine gratia;
non ergo potest acquiri ex actibus.
5. Augustin dit que l’homme ne peut йviter le
pйchй sans la grвce. Or, le pйchй est йvitй par la vertu : en effet, un homme
ne peut кtre en mкme temps vicieux et vertueux. La vertu ne peut donc exister
sans la grвce. Elle ne peut donc кtre acquise par nos actes.
[65707] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 6 Praeterea, per virtutem pervenitur ad felicitatem. Nam felicitas
virtutis est praemium, ut philosophus dicit in I Ethic. Si ergo ex actibus
nostris acquiratur virtus, ex actibus nostris possumus pervenire ad vitam
aeternam, quae est hominis ultima felicitas, sine gratia; quod est contra
apostolum, Rom. VI, 23 : gratia Dei vita aeterna.
6. C’est par la vertu que l’on parvient а la
fйlicitй, car la fйlicitй est la rйcompense de la vertu, comme le Philosophe
le dit dans Йthique, I. Si donc la vertu est acquise par nos actes,
nous pouvons parvenir par nos actes et sans la grвce а la vie йternelle, qui
est l’ultime fйlicitй de l’homme. Ce qui est contraire а ce que dit l’Apфtre,
Rm 6, 23 : La vie йternelle est une grвce de Dieu.
[65708] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 7 Praeterea,
virtus computatur inter maxima bona, secundum Augustinum, Lib. de libero
arbitrio, quia virtute nullus male utitur. Sed maxima bona sunt a Deo,
secundum illud Iacob. I, 17 : omne datum optimum et omne donum perfectum
de sursum est, descendens a patre luminum. Ergo videtur quod virtus non
sit in nobis nisi ex dono Dei.
7.
La vertu compte parmi les plus grands biens, selon Augustin, Sur le libre
arbitre, car personne n’utilise mal la vertu. Or, les plus grands biens
viennent de Dieu, selon ce passage de Jc 1, 17 : Tout don
excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Pиre des
lumiиres. Il semble donc que la vertu n’existe en nous que par un don de
Dieu.
[65709] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. de libero arbitrio,
nihil potest formare seipsum. Sed virtus est quaedam forma animae. Ergo homo non potest in se per suos actus causare virtutem.
8.
Comme Augustin le dit, dans Sur le libre arbitre, rien ne peut se
former soi-mкme. Or, la vertu est une certaine forme de l’вme. L’homme ne
peut donc pas causer en lui-mкme la vertu par ses actes.
[65710] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 9 Praeterea, sicut intellectus a principio est in potentia essentiali ad
scientiam, ita vis affectiva ad virtutem. Sed intellectus in potentia
essentiali existens, ad hoc ut reducatur in actum scientiae, indiget motore
extrinseco, scilicet doctore ad hoc quod scientiam acquirat in actu. Ergo similiter ad hoc quod homo virtutem acquirat, indiget aliquo
agente exteriori, et non sufficiunt ad hoc actus proprii.
9.
De mкme que l’intellect est au dйpart en puissance essentielle par rapport а
la science, de mкme la puissance affective par rapport а la vertu. Or,
l’intellect qui est en puissance essentielle, pour кtre amenй а l’acte de la
science, a besoin d’un moteur extйrieur, а savoir, un enseignant, pour
acquйrir la science en acte. De la mкme maniиre, pour que l’homme acquiиre la
vertu, il a donc besoin d’un agent extйrieur, et ses propres actes ne
suffisent pas.
[65711] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 10 Praeterea, acquisitio fit per receptionem. Actio autem non fit
per receptionem, sed magis per emissionem vel exitum actionis ab agente. Ergo per hoc quod aliquid agimus, non acquiritur virtus in nobis.
10.
L’acquisition se fait par rйception. Or, l’action ne se fait pas par
rйception, mais plutфt par йmission ou par sortie de l’action de l’agent. Par
le fait que nous faisons quelque chose, la vertu n’est donc pas acquise par
nous.
[65712]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 11 Praeterea, si per actum nostrum virtus in nobis
acquiritur; aut acquiritur per unum, aut per plures. Non per unum; quia ex
uno non efficitur aliquis studiosus, ut dicitur II Ethic.; similiter etiam
nec ex multis; quia multi actus, cum non sint simul, non possunt simul
aliquem effectum inducere. Ergo videtur quod nullo modo virtus in nobis
causetur ex actibus nostris.
11.
Si la vertu est acquise en nous par notre acte, ou bien elle est acquise par
un seul, ou bien [elle est acquise] par plusieurs. [Elle n’est pas acquise]
par un seul, car quelqu’un ne devient pas studieux par un seul acte, comme il
est dit dans Йthique, II. De mкme, [elle n’est pas acquise] par
plusieurs, car plusieurs actes, lorsqu’ils ne sont pas simultanйs, ne peuvent
produire un effet simultanйment. Il semble donc que la vertu ne soit d’aucune
maniиre causйe en nous par nos actes.
[65713] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 12 Praeterea, Avicenna dicit, quod virtus est potentia
essentialiter rebus attributa ad suas peragendas operationes. Sed id quod
essentialiter attribuitur rei, non causatur ex actu eius. Ergo virtus non causatur ex actu habentis virtutem.
12.
Avicenne dit que la vertu est une puissance attribuйe essentiellement aux
choses en vue d’accomplir leurs actions. Or, ce qui est attribuй
essentiellement а une chose n’est pas causй par son acte. La vertu n’est donc
pas causйe par l’acte de celui qui possиde la vertu.
[65714]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 13 Praeterea, si virtus causatur ex actibus nostris :
aut ex actibus virtuosis, aut ex actibus vitiosis. Non ex vitiosis quia illi
magis destruunt virtutem; similiter nec ex virtuosis, quia illi praesupponunt
virtutem. Ergo nullo modo causatur ex actibus nostris virtus in nobis.
13.
Si la vertu est causйe par nos actes, ou bien c’est par les actes vertueux,
ou bien par les actes vicieux. [Ce n’est pas par les actes] vicieux, car ceux-ci
dйtruisent plutфt la vertu; de mкme, [ce n’est pas par les actes] vertueux,
car ceux-ci prйsupposent la vertu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre
causйe en nous par nos actes.
[65715] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 14 Sed
dicendum, quod virtus causatur ex actibus virtuosis imperfectis.- Sed contra
nihil agit ultra suam speciem. Si ergo actus praecedentes virtutem sunt
imperfecti, videtur quod non possunt causare virtutem perfectam.
14.
Mais on dira que la vertu est causйe par des actes vertueux imparfaits. – En sens contraire, rien n’agit au-delа de son
espиce. Si donc les actes prйcйdant la vertu sont imparfaits, il semble
qu’ils ne peuvent pas cause une vertu parfaite.
[65716] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 15 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in I caeli
et mundi. Sed potentia est naturalis. Ergo virtus est naturalis, et non ex
operibus acquisita.
15.
La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Du
ciel et du monde, I. Or, la puissance est naturelle. La vertu est donc
naturelle, et elle n’est pas acquise par des actes.
[65717]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 16 Praeterea, ut dicitur in II Ethic., virtus est quae
bonum reddit habentem. Sed homo est bonus secundum suam naturam. Ergo virtus
hominis est ei a natura, et non ex actibus acquisita.
16.
Comme il est dit dans Йthique, II, la vertu est ce qui rend bon celui
qui la possиde. Or, l’homme est bon par sa nature. La vertu de l’homme lui
vient donc de sa nature, et elle n’est pas acquise par ses actes.
[65718] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 17 Praeterea, ex frequentia actus naturalis non acquiritur novus
habitus.
17.
Par la rйpйtition d’un acte naturel un nouvel habitus n’est pas acquis.
[65719] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 18 Praeterea,
omnia habent esse a sua forma. Sed gratia est forma virtutum : nam sine
gratia virtutes dicuntur esse informes. Ergo virtutes sunt a gratia, et non
ab actibus.
18.
Toutes choses reзoivent leur кtre de leur forme. Or, la grвce est la forme
des vertus, car, sans la grвce, les vertus sont appelйes informes. Les vertus
viennent donc de la grвce, et non des actes.
[65720] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 19 Praeterea, secundum
apostolum, 2 Cor. XII, 9, virtus in infirmitate perficitur. Sed
infirmitas magis est passio quam actio. Ergo virtus magis causatur ex
passione quam ex actibus.
19.
Selon l’Apфtre, 2 Co 12, 9, la vertu se rйalise dans la
faiblesse. Or, la faiblesse est plutфt une passion qu’une action. La
vertu est donc plutфt causйe par une passion que par des actes.
[65721]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 20 Praeterea, cum virtus sit qualitas, mutatio quae est
secundum virtutem, videtur esse alteratio : nam alteratio est motus in
qualitate. Sed alteratio passio tantum est in parte
animae sensitivae, ut patet per philosophum in VII Physic. Si ergo virtus acquiritur
ex actibus nostris per quamdam passionem et alterationem; sequetur quod
virtus sit in parte sensitiva : quod est contra Augustinum, qui dicit, quod
est bona qualitas mentis.
20.
Puisque la vertu est une qualitй, le changement qui se rйalise selon la vertu
semble кtre une altйration, car l’altйration est un mouvement dans la
qualitй. Or, l’altйration est une passion seulement dans la partie sensible
de l’вme, comme cela ressort clairement du Philosophe, Physique, VII.
Si donc la vertu est acquise par nos actes en vertu d’une certaine passion et
altйration, il en dйcoulera que la vertu se situe dans la partie sensible, ce
qui est contraire а Augustin, qui dit qu’elle est une bonne qualitй de
l’esprit.
[65722]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 21 Praeterea, per virtutem habet aliquis rectam
electionem de fine, ut dicitur X Ethicorum. Sed habere rectam electionem de
fine, non videtur esse in potestate nostra : quia qualis unusquisque est,
talis finis ei videtur, ut dicitur III Ethic. Hoc autem contingit nobis ex
naturali complexione, vel ex impressione corporis caelestis. Ergo non est in
potestate nostra acquirere virtutes : non ergo causantur ex actibus nostris.
21.
Par la vertu, quelqu’un fait un choix droit а propos de la fin, comme il est
dit dans Йthique, X. Or, faire un choix droit а propos de la fin ne
semble pas кtre en notre pouvoir, car tel est chacun, telle la fin lui
apparaоt, comme il est dit dans Йthique, III. Or, cela nous arrive en
raison d’une complexion naturelle, ou par l’influence d’un corps cйleste. Il
n’est donc pas en notre pouvoir d’acquйrir les vertus. Elles ne sont donc pas
causйes par nos actes.
[65723] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 22 Praeterea, ea quae sunt naturalia, neque assuescimus neque
dissuescimus. Sed quibusdam hominibus insunt naturales inclinationes ad
aliqua vitia, sicut et ad virtutes. Ergo huiusmodi inclinationes non possunt
tolli per assuetudinem actuum. Eis autem manentibus non possunt in nobis esse
virtutes. Ergo virtutes non possunt in nobis acquiri per actus.
22.
Nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel, ni ne nous en
dйshabituons. Or, certains hommes possиdent des inclinations naturelles
innйes envers certains vices, de mкme qu’а des vertus. Les inclinations de ce
genre ne peuvent donc pas кtre enlevйes par l’accoutumance aux actes. Aussi
longtemps que [ces inclinations] demeurent, il ne peut donc y avoir de vertus
en nous. Les vertus ne peuvent donc pas кtre causйes en nous par des actes.
Cependant
:
[65724] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 1 Sed
contra. Dionysius dicit, quod bonum est virtuosius quam malum. Sed ex malis
actibus causantur in nobis habitus vitiorum. Ergo ex bonis actibus causantur
in nobis habitus virtutum.
1.
Denys dit que le bien est plus vertueux que le mal. Or, les habitus des vices
sont causйs en nous par des mauvaises actions. Les habitus des vertus sont
donc causйs en nous par des actes bons.
[65725] De virtutibus, q.
1 a. 9 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in II Ethic., operationes sunt
causae eius quod est nos studiosos esse. Hoc
autem est per virtutem. Ergo virtus causatur in nobis ex actibus.
2.
Selon le Philosophe, Йthique, II, des actions sont les causes du fait
que nous sommes studieux. Or, cela est le fait de la vertu. La vertu est donc
causйe en nous par des actes.
[65726] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 3 Praeterea, ex
contrariis sunt generationes et corruptiones. Sed virtus corrumpitur ex malis
actibus. Ergo ex bonis actibus generatur.
3.
Les gйnйrations et les corruptions viennent des contraires. Or, la vertu est
corrompue par les actes mauvais. Elle est donc engendrйe par les actes bons.
Rйponse
:
[65727] De virtutibus, q. 1 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod cum virtus sit
ultimum potentiae, ad quod quaelibet potentia se extendit ut faciat
operationem, quod est operationem esse bonam; manifestum est quod virtus
uniuscuiusque rei est per quam operationem bonam producit. Quia vero omnis
res est propter suam operationem; unumquodque autem bonum est secundum quod
bene se habet ad suum finem; oportet quod per virtutem propriam unaquaeque
res sit bona, et bene operetur. Bonum autem proprium uniuscuiusque rei est
aliud ab eo quod est proprium alterius : diversorum enim perfectibilium sunt
diversae perfectiones; unde et bonum hominis est aliud a bono equi et a bono
lapidis. Ipsius etiam hominis secundum diversas sui considerationes accipitur
diversimode bonum. Non enim idem est bonum hominis in quantum est homo, et in
quantum est civis. Nam bonum hominis in quantum est homo, est ut ratio sit
perfecta in cognitione veritatis, et inferiores appetitus regulentur secundum
regulam rationis : nam homo habet quod sit homo per hoc quod sit rationalis.
Bonum autem hominis in quantum est civis, est ut ordinetur secundum civitatem
quantum ad omnes : et propter hoc philosophus dicit, III Politic., quod non
est eadem virtus hominis in quantum est bonus et hominis in quantum est bonus
civis. Homo autem non solum est civis terrenae civitatis, sed est particeps
civitatis caelestis Ierusalem, cuius rector est dominus, et cives Angeli et
sancti omnes, sive regnent in gloria et quiescant in patria, sive adhuc
peregrinentur in terris, secundum illud apostoli, Ephes. II, 19 : estis
cives sanctorum, et domestici Dei, et cetera. Ad hoc autem quod homo
huius civitatis sit particeps, non sufficit sua natura, sed ad hoc elevatur
per gratiam Dei. Nam manifestum est quod virtutes illae quae sunt hominis in
quantum est huius civitatis particeps, non possunt ab eo acquiri per sua
naturalia; unde non causantur ab actibus nostris, sed ex divino munere nobis
infunduntur. Virtutes autem quae sunt hominis in eo quod est homo, vel in eo
quod est terrenae civitatis particeps, non excedunt facultatem humanae
naturae; unde eas per sua naturalia homo potest acquirere, ex actibus
propriis : quod sic patet. Dum enim aliquis habet naturalem aptitudinem ad
perfectionem aliquam; si haec aptitudo sit secundum principium passivum
tantum, potest eam acquirere; sed non ex actu proprio, sed ex actione
alicuius exterioris naturalis agentis; sicut aer recipit lumen a sole. Si
vero habeat aptitudinem naturalem ad perfectionem aliquam secundum activum
principium et passivum simul; tunc per actum proprium potest ad illam
pervenire; sicut corpus hominis infirmi habet naturalem aptitudinem ad
sanitatem. Et quia subiectum est naturaliter receptivum sanitatis, propter
virtutem naturalem activam quae inest ad sanandum, ideo absque actione
exterioris agentis infirmus interdum sanatur. Ostensum est autem in
praecedenti quaestione, quod aptitudo naturalis ad virtutem quam habet homo,
est secundum principia activa et passiva; quod quidem ex ipso ordine
potentiarum apparet. Nam in parte intellectiva est principium quasi passivum
intellectus possibilis, qui reducitur in suam perfectionem per intellectum
agentem. Intellectus autem in actu movet voluntatem : nam bonum intellectus
est finis qui movet appetitum; voluntas autem mota a ratione, nata est movere
appetitum sensitivum, scilicet irascibilem et concupiscibilem, quae natae
sunt obedire rationi. Unde etiam manifestum est, quod quaelibet virtus
faciens operationem hominis bonam, habet proprium actum in homine, qui sui
actione potest ipsam reducere in actum; sive sit in intellectu, sive in
voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Diversimode tamen reducitur
in actum virtus quae est in parte intellectiva, et quae est in parte
appetitiva. Nam actio intellectus, et cuiuslibet cognoscitivae virtutis, est
secundum quod aliqualiter assimilatur cognoscibili; unde virtus
intellectualis fit in parte intellectiva, secundum quod per intellectum
agentem fiunt species intellectae in ipsa vel actu vel habitu. Actio autem virtutis appetitivae consistit in quadam inclinatione ad
appetibile; unde ad hoc quod fiat virtus in parte appetitiva, oportet quod
detur ei inclinatio ad aliquid determinatum. Sciendum est autem, quod inclinatio rerum
naturalium consequitur formam; et ideo est ad unum, secundum exigentiam
formae : qua remanente, talis inclinatio tolli non potest, nec contraria
induci. Et propter hoc, res naturales neque assuescunt aliquid neque
dissuescunt; quantumcumque enim lapis sursum feratur nunquam hoc assuescet,
sed semper inclinatur ad motum deorsum. Sed ea quae sunt ad utrumlibet, non
habent aliquam formam ex qua declinent ad unum determinate; sed a proprio
movente determinantur ad aliquid unum; et hoc ipso quod determinantur ad
ipsum, quodammodo disponuntur in idem; et cum multoties inclinantur,
determinantur ad idem a proprio movente, et firmatur in eis inclinatio
determinata in illud, ita quod ista dispositio superinducta, est quasi
quaedam forma per modum naturae tendens in unum. Et propter hoc dicitur, quod
consuetudo est altera natura. Quia igitur vis appetitiva se habet ad
utrumlibet; non tendit in unum nisi secundum quod a ratione determinatur in
illud. Cum igitur ratio multoties inclinet virtutem appetitivam in aliquid
unum, fit quaedam dispositio firmata in vi appetitiva, per quam inclinatur in
unum quod consuevit; et ista dispositio sic firmata est habitus virtutis.
Unde, si recte consideretur, virtus appetitivae partis nihil est aliud quam
quaedam dispositio, sive forma, sigillata et impressa in vi appetitiva a
ratione. Et propter hoc, quantumcumque sit fortis dispositio in vi appetitiva
ad aliquid, non potest habere rationem virtutis, nisi sit ibi id quod est
rationis. Unde et in definitione virtutis ponitur ratio : dicit enim
philosophus, II Ethicorum, quod virtus est habitus electivus in mente
consistens determinata specie, prout sapiens determinabit.
Puisque
la vertu est le point ultime d’une puissance, vers lequel tend toute
puissance pour accomplir son opйration, ce qui rend une action bonne, il est
clair que la vertu de toute chose est celle par laquelle elle produit une
bonne opйration. Comme toute chose chose existe en vue de son opйration, et
que toute chose est bonne selon qu’elle a un bon rapport а sa fin, il est
donc nйcessaire que toute chose soit bonne et agisse bien par sa propre
vertu. Or, le bien propre de toute chose est diffйrent de celui qui est
propre а une autre chose : en effet, les perfections des diverses choses
perfectibles sont diverses. Le bien de l’homme est donc diffйrent de celui du
cheval et du bien de la pierre. Et le bien de l’homme est aussi conзu
diversement selon les maniиres diffйrentes de l’envisager. En effet, le bien
de l’homme en tant qu’homme n’est pas le mкme que [celui de l’homme] en tant
que citoyen. Car le bien de l’homme en tant qu’homme est que sa raison soit
parfaite dans la connaissance de la vйritй et que ses appйtits infйrieurs
soient dirigйs selon la rиgle de la raison, car l’homme est homme par le fait
qu’il est raisonnable. Or, le bien de l’homme en tant que citoyen consiste en
ce qu’il soit ordonnй par rapport а ce qui concerne tous selon la citй. C’est
la raison pour laquelle le Philosophe dit, Politique, III, que la
vertu de l’homme en tant qu’il est bon n’est pas la mкme que celle de l’homme
en tant qu’il est un bon citoyen. Or, l’homme n’est pas seulement citoyen de
la citй terrestre, mais il est membre de la citй cйleste de Jйrusalem, dont
le dirigeant est le Seigneur, et les citoyens, les anges et tous les saints,
soit qu’ils rиgnent dans la gloire et se reposent dans la patrie, soit qu’ils
cheminent encore sur terre, selon ce que dit l’Apфtre, Ep 2, 19 : Vous
кtes les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu, etc. Or, pour
que l’homme soit membre de cette citй, sa nature ne suffit pas, mais il y est
йlevй par la grвce de Dieu. Car il est clair que les vertus qui appartiennent
а l’homme en tant qu’il est membre de cette citй ne peuvent pas кtre acquises
par lui par ce qui relиve de sa nature. Elles ne sont donc pas causйes par
nos actes, mais elles sont infusйes en nous par un don divin. Mais les vertus
qui sont le fait de l’homme en tant qu’il est homme ou en tant qu’il est
membre de la citй terrestre, ne dйpassent pas la capacitй de la nature
humaine. L’homme peut donc les acquйrir par ce qui relиve de sa nature, par
ses propres actes. Voici comment on le montre. En effet, lorsque quelqu’un
possиde une aptitude naturelle а une certaine perfection, si cette aptitude
n’existe que selon un principe passif seulement, il peut l’acquйrir, non par
son acte, mais par l’action d’un agent extйrieur, comme l’air reзoit du
soleil la lumiиre. Mais s’il a une aptitude naturelle а une perfection selon
un principe а la fois actif et passif, il peut alors l’atteindre, comme le
corps d’un homme malade possиde une aptitude naturelle а la santй. Et parce
que le sujet est naturellement rйceptif par rapport а la santй, en raison de
la puissance active qu’il possиde pour la guйrison, c’est pourquoi le malade
est parfois guйri sans action d’un agent extйrieur. Or, on a montrй, dans la
question prйcйdente, que l’aptitude naturelle а la vertu que possиde l’homme
existe selon des principes actifs et passifs, ce qui se rйvиle par l’ordre
mкme des puissances. Car, dans la partie intellective, existe le principe
pour ainsi dire passif de l’intellect possible, qui est amenй а sa perfection
par l’intellect agent. Or, l’intellect en acte meut la volontй, car le bien
de l’intellect est la fin qui meut l’appйtit, et la volontй mue par la raison
est naturellement disposйe а mouvoir l’appйtit sensible, а savoir,
l’irascible et le concupiscible, qui sont naturellement disposйs а obйir а la
raison. Il est donc aussi clair que toute vertu qui rend bonne l’opйration de
l’homme a son acte propre а l’intйrieur de l’homme, qui peut l’amener а
l’acte par sa propre action, qu’elle soit dans l’intellect, dans la volontй
ou dans l’irascible et le concupiscible. Toutefois, la vertu qui se trouve
dans la partie intellective est amenйe diffйremment а l’acte que celle qui se
trouve dans la partie appйtitive. Car l’action de l’intellect et de toute
puissance cognitive se rйalise par une certaine assimilation а ce qui est
connaissable; aussi la vertu intellectuelle se rйalise-t-elle dans la partie
intellective selon que, par l’intellect agent, les espиces deviennent
intelligйes en elle, soit en acte, soit par habitus. Mais l’action de la
puissance appйtitive consiste dans une certaine inclination а ce qui est appйtible;
aussi, pour que se produise une vertu dans la partie appйtitive, est-il
nйcessaire que lui soit donnйe une inclination а quelque chose de dйterminй.
Or, il faut savoir que l’inclination des choses naturelles suit sa forme :
c’est pourquoi elle n’est orientйe qu’а une seule chose, selon ce qu’exige la
forme; aussi longtemps que celle-ci demeure, une telle inclination ne peut
кtre йcartйe, ni une forme contraire кtre amenйe. C’est pourquoi les choses
naturelles ne s’accoutument pas а une chose ni ne s’en dйsaccoutument : en
effet, aussi souvent qu’une pierre sera lancйe en l’air, elle ne s’y
accoutumera pas, mais elle sera toujours inclinйe а se mouvoir vers le bas.
Mais les choses qui peuvent aller dans un sens ou l’autre ne possиdent pas de
forme qui les inclinent а une seule chose de maniиre dйterminйe, mais elles
sont mues par leur propre agent vers une seule chose, et par le fait qu’elles
sont dйterminйes par rapport а celle-ci, elles y sont en quelque sorte
disposйes. Et lorsqu’elles y sont inclinйes а plusieurs reprises, elles sont
dйterminйes а la mкme chose par leur propre agent et l’inclination vers cette
chose est affermie en elles, de telle sorte que cette disposition ajoutйe est
comme une forme qui ressemble а une nature, qui tend а une seule chose. Pour
cette raison, on dit que l’habitude est une seconde nature. Puisque la
puissance appйtitive peut aller dans un sens ou l’autre, elle ne tend donc а
une seule chose que selon qu’elle y est dйterminйe par la raison. Lorsque la
raison incline а plusieurs reprises la puissance appйtitive а une seule
chose, il se produit donc une certaine disposition affermie dans la puissance
appйtitive, par laquelle elle est inclinйe а la seule chose а laquelle elle
s’est habituйe, et cette disposition affermie est l’habitus de la vertu.
Aussi, si on examine [la chose] correctement, la vertu de la partie
appйtitive n’est rien d’autre qu’une certaine disposition ou forme, scellйe
et imprimйe par la raison dans la puissance appйtitive. C’est pourquoi, aussi
forte que soit une dispostion а quelque chose dans la puissance appйtitive,
cela ne peut avoir raison de vertu, а moins que ne s’y trouve ce qui relиve
de la raison. Aussi la raison est-elle mise dans la dйfinition de la vertu.
En effet, le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu est un
habitus йlectif rйsidant dans l’esprit selon une espиce dйterminйe, selon que
le sage en aura dйterminй.
Solutions :
[65728]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de
virtutibus secundum quod ordinantur ad aeternam beatitudinem.
1. Augustin parle des vertus selon qu’elles
sont ordonnйes а la bйatitude йternelle.
2-4. Il faut dire la mкme chose pour la
deuxiиme, la troisiиme et la quatriиme objection.
[65730] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus acquisita facit declinare a
peccato non semper, sed ut in pluribus : quia et ea quae naturaliter
accidunt, ut in pluribus eveniunt. Nec propter hoc sequitur, quod simul
aliquis sit virtuosus et vitiosus; quia unus actus potentiae neque habitum
vitii neque habitum virtutis acquisitae tollit; et non potest per virtutem
acquisitam declinare ab omni peccato. Non enim per eas vitatur peccatum
infidelitatis; et alia peccata quae virtutibus infusis opponuntur.
5. La vertu acquise fait s’йcarter du pйchй
non pas toujours, mais dans la plupart des cas, car mкme ce qui se produit
naturellement arrive dans la plupart des cas. Il n’en dйcoule pas que
quelqu’un soit en mкme temps vertueux et vicieux, car un seul acte d’une
puissance n’enlиve ni l’habitus du vice ni l’habitus de la vertu acquise, et
l’on ne peut s’йcarter de tout pйchй par la vertu acquise. En effet, le pйchй
d’infidйlitй n’est pas йvitй par elles, ainsi que les autres pйchйs qui
s’opposent aux vertus infuses.
[65731]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod per virtutes acquisitas non
pervenitur ad felicitatem caelestem, sed ad quamdam felicitatem quam homo
natus est acquirere per propria naturalia in hac vita secundum actum
perfectae virtutis, de qua Aristoteles tractat in X Metaph.
6. On ne parvient pas а la fйlicitй йternelle
par les vertus acquises, mais а une certaine fйlicitй que l’homme est destinй
а acquйrir dans cette vie par ce qui lui naturellement propre, selon l’acte
de la vertu parfaite, dont Aristote traite dans Mйtaphysique, X.
[65732] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus acquisita non est maximum bonum
simpliciter, sed maximum in genere humanorum bonorum; virtus autem infusa est
maximum bonum simpliciter, in quantum per eam homo ad summum bonum ordinatur,
quod est Deus.
7. La vertu acquise n’est pas le plus grand
bien tout simplement, mais le plus grand dans le genre des biens humains.
Mais la vertu infuse est le plus grand bien tout simplement, dans la mesure
oщ, par elle, l’homme est ordonnйe au bien suprкme qu’est Dieu.
[65733]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod idem secundum idem non
potest seipsum formare. Sed quando in aliquo uno est aliquod principium
activum et aliud passivum, seipsum formare potest secundum partes : ita
scilicet quod una pars eius sit formans, et alia formata; sicut aliquid movet
seipsum, ita quod una pars eius est movens, et alia mota, ut dicitur VIII
Phys. Sic autem est in generatione virtutis ut ostensum est.
8. Une mкme chose ne peut se donner forme а
elle-mкme selon une mкme chose. Mais lorsqu’il y a un principe actif et un
autre passif, elle peut se donner forme selon ses parties, de telle sorte
qu’une de ses parties donne la forme, et l’autre reзoive la forme, comme
quelque chose se meut soi-mкme, de telle sorte qu’une de ses parties meut et
une autre est mue, comme il est dit dans Physique, VIII. Il en est de
mкme dans la gйnйration de la vertu, comme on l’a montrй.
[65734] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut in intellectu scientia acquiritur non solum per
inventionem, sed etiam per doctrinam, quae est ab alio; ita etiam in
acquisitione virtutis homo iuvatur per correctionem et disciplinam, quae est
ab alio; qua aliquis tanto minus indiget, quanto de se est magis dispositus
ad virtutem; sicut et aliquis quanto perspicacioris est ingenii, tanto minus
indiget exteriori doctrina.
9. De mкme que, dans l’intellect, la science
est acquise non seulement par l’invention, mais aussi par l’enseignement, qui
vient d’un autre, de mкme, pour l’acquisition de la vertu, l’homme est aidй
par la correction et l’йducation, qui vient d’un autre. Quelqu’un en a
d’autant moins besoin qu’il est davantage disposй а la vertu, de mкme que
plus quelqu’un a un esprit perspicace, moins il a besoin d’enseignement
extйrieur.
[65735]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad actionem hominis
concurrunt virtutes activae et passivae; et licet a virtutibus, in quantum
activae, fiat emissio, et in eis nihil recipiatur; tamen passivis in quantum
passivae, competit acquirere aliquid per receptionem. Unde in potentia quae
est tantum activa, ut in intellectu agente, non acquiritur aliquis habitus
per actionem.
10. Les puissances actives et passives
concourent а l’action de l’homme. Et bien que, par les puissances actives, en
tant qu’elles sont passives, se produise une йmission et que rien ne soit
reзue en elles, il convient cependant aux puissances passives, en tant
qu’elles sont passives, d’acquйrir quelque chose par rйception. Aussi, dans
la puissance qui est seulement active, comme c’est le cas pour l’intellect
agent, un habitus n’est-il pas acquis par l’action.
[65736] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod quanto actio agentis est efficacior, tanto velocius
inducit formam. Et ideo videmus in intellectualibus, quod per unam
demonstrationem, quae est efficax, causatur in nobis scientia; opinio autem,
licet sit minor scientia, non causatur in nobis per unum syllogismum
dialecticum; sed requiruntur plures propter eorum debilitatem. Unde et in
agibilibus, quia operationes animae non sunt efficaces sicut in
demonstrationibus, propter hoc quod agibilia sunt contingentia et probabilia,
ideo unus actus non sufficit ad causandum virtutem, sed requiruntur plures.
Et licet illi plures non sint simul, tamen habitum virtutis causare possunt :
quia primus actus facit aliquam dispositionem, et secundus actus inveniens materiam
dispositam adhuc eam magis disponit, et tertius adhuc amplius; et sic ultimus
actus agens in virtute omnium praecedentium complet generationem virtutis,
sicut accidit de multis guttis cavantibus lapidem.
11. Plus l’action d’un agent est efficace, plus
rapidement elle mиne а la forme. C’est pourquoi nous voyons, en matiиre
intellectuelle, que, par une seule dйmonstration qui est efficace, la science
est causйe en nous ; mais l’opinion, bien qu’elle soit une science
infйrieure, n’est pas causйe en nous par un seul syllogisme dialectique : en
effet, plusieurs sont nйcessaires en raison de leur faiblesse. Aussi, en
matiиre d’actions а poser, comme les opйrations de l’вme ne sont pas aussi
efficaces que pour les dйmonstrations parce que les actes а poser sont
contingents et probables, un seul acte ne suffit-il pas pour causer la vertu,
mais plusieurs sont nйcessaires. Et bien que ces nombreux actes ne soient pas
simultanйs, ils peuvent cependant causer un habitus de vertu, car le premier
acte produit une certaine disposition, et le deuxiиme acte, trouvant une
matiиre dйjа disposйe, la dispose encore davantage, et le troisiиme encore
davantage. Et ainsi, le dernier acte, posй en vertu de tous les prйcйdents,
achиve la gйnйration de la vertu, comme il arrive que de nombreuses gouttes
creusent la pierre.
[65737] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Avicenna intendit definire virtutem
naturalem, quae sequitur formam quae est principium essentiale; unde illa
definitio non est ad propositum.
12. Avicenne entend dйfinir la vertu
naturelle, qui dйcoule de la forme qui est un principe essentiel. Aussi cette
dйfinition est-elle hors de propos.
[65738]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtus generatur ex
actibus quodammodo virtuosis et quodammodo non virtuosis. Actus enim
praecedentes virtutem, sunt quidem virtuosi quantum ad id quod agitur, in
quantum scilicet homo agit fortia et iusta; non autem quantum ad modum agendi
: quia ante habitum virtutis acquisitum non agit homo opera virtutis eo modo
quo virtuosus agit, scilicet prompte absque dubitatione et delectabiliter
absque difficultate.
13. La vertu est engendrйe par des actes qui
sont vertueux d’une certaine maniиre et non vertueux d’une autre. En effet,
les actes qui prйcиdent la vertu sont vertueux quant а l’action posйe, а
savoir, pour autant que l’homme accomplit des actes forts et justes ;
mais non quant au mode d’agir, car, avant que l’habitus de vertu ne soit
acquis, l’homme n’accomplit pas les actes de vertu de la maniиre dont le
vertueux les accomplit, а savoir, promptement, sans hйsitation, avec plaisir
et sans difficultй.
[65739] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio est nobilior virtute
generata in parte appetitiva, cum talis virtutis non sit nisi quaedam
participatio rationis. Actus igitur qui virtutem praecedit, potest causare
virtutem, in quantum est a ratione, a qua habet id quod perfectionis in ea
est. Imperfectio enim eius est in potentia appetitiva, in qua nondum est
causatus habitus, per quem homo delectabiliter et expedite id quod est ex
imperio rationis consequatur.
14. La raison est plus noble que la vertu
engendrйe dans la partie appйtitive, puisqu’une telle vertu n’est qu’une
participation а la raison. L’acte qui prйcиde la vertu peut donc causer la
vertu pour autant qu’il vient de la raison, de laquelle il tient ce qu’il y a
de perfection en elle. En effet, son imperfection se trouve dans la puissance
appйtitive oщ il n’y a pas encore d’habitus causй, par lequel l’homme suit
avec plaisir et rapidement ce qui vient du commandemenet de la raison.
[65740]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus dicitur esse
ultimum potentiae, non quia semper sit aliquid de essentia potentiae; sed
quia inclinat ad id quod ultimo potentia potest.
15. On dit que la vertu est le point ultime de
la puissance, non pas parce qu’elle est quelque chose de l’essence de la
puissance, mais parce qu’elle incline а ce qui est ultimement possible а la
puissance.
[65741] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod homo secundum naturam suam est
bonus secundum quid, non autem simpliciter. Ad hoc autem quod aliquid sit
bonum simpliciter, requiritur quod sit totaliter perfectum; sicut ad hoc quod
aliquid sit pulchrum simpliciter requiritur quod in nulla parte sit aliqua
deformitas vel turpitudo. Simpliciter autem et totaliter bonus dicitur
aliquis ex hoc quod habet voluntatem bonam, quia per voluntatem homo utitur
omnibus aliis potentiis. Et ideo bona voluntas facit hominem bonum
simpliciter; et propter hoc virtus appetitivae partis secundum quam voluntas
fit bona, est quae simpliciter bonum facit habentem.
16. L’homme est bon selon sa nature d’une
maniиre relative, et non pas absolue. Pour que quelque chose soit bon de
maniиre absolue, il est nйcessaire que cela soit entiиrement parfait, comme
pour que quelque chose soit beau de maniиre absolue, il est nйcessaire qu’il
n’y ait de difformitй ou de laideur dans aucune partie. On dit que quelqu’un
est bon de maniиre absolue et totale du fait qu’il a une volontй bonne, car
l’homme utilise toutes ses autres puissances par la volontй. C’est pourquoi
la volontй bonne rend l’homme bon de maniиre absolue. Et, pour cette raison,
la vertu de la partie appйtitive par laquelle la volontй est rendue bonne est
celle qui rend l’homme bon de maniиre absolue.
[65742]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod actus qui sunt
ante virtutem, possunt quidem dici naturales, secundum quod a naturali
ratione procedunt, prout naturale dividitur contra acquisitum; non autem
possunt naturales dici, prout naturale dividitur contra id quod est ex
ratione. Sic autem dicitur quod naturalia non dissuescimus neque assuescimus,
secundum quod natura contra rationem dividitur.
17. On peuet dire que les actes qui existent
avant la vertu sont naturels selon qu’ils procиdent de la raison naturelle,
selon que «naturel» est opposй а «acquis» ; mais on ne peut les appeler
naturels selon que «naturel» s’oppose а ce qui vient de la raison. On dit
ainsi que nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel ni ne nous en
dйsaccoutumons, selon que «naturel» est opposй а la raison.
[65743] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod gratia dicitur esse forma virtutis
infusae; non tamen ita quod ei det esse specificum; sed in quantum per eam
informatur aliqualiter actus eius. Unde non oportet quod virtus politica sit
per infusionem gratiae.
18. On dit que la grвce est la forme de la
vertu infuse, non pas cependant parce qu’elle lui donne son кtre spйcifique,
mais pour autant que son acte reзoit d’elle sa forme. Aussi n’est-il pas
nйcessaire que la vertu politique exige l’infusion de la grвce.
[65744]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod virtus perficitur in
infirmitate, non quia infirmitas causat virtutem, sed quia dat occasionem
alicui virtuti, scilicet humilitati. Est etiam materia alicuius virtutis,
scilicet patientiae, et etiam caritatis, in quantum aliquis infirmitati
proximi subvenit. Et naturaliter est signum virtutis, quia tanto anima
virtuosior demonstratur, quanto infirmius corpus ad actum virtutis movet.
19.
La vertu se rйalise dans la faiblesse, non pas parce que la faiblesse cause
la vertu, mais parce qu’elle fournit l’occasion а une vertu, а savoir,
l’humilitй. Elle est aussi la matiиre d’une vertu, а savoir, la patience et
aussi la charitй, dans la mesure oщ quelqu’un vient au secours de la
faiblesse du prochain. Et elle est naturellement un signe de vertu parce que
plus une вme se montre vertueuse, plus elle meut а l’acte de vertu un corps
plus faible.
[65745] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod proprie loquendo non dicitur aliquid
alterari secundum quod adipiscitur propriam perfectionem. Unde, cum virtus sit
propria perfectio hominis, non dicitur homo alterari secundum quod acquirit
virtutem; nisi forte per accidens secundum quod immutatio sensibilis partis
animae in qua sunt animae passiones, pertinet ad virtutem.
20.
А proprement parler, on ne dit pas qu’une chose est altйrйe du fait qu’elle
obtient sa perfection propre. Puisque la vertu est la perfection propre de
l’homme, on ne dit donc pas que l’homme est altйrй du fait qu’il acquiert une
vertu, si ce n’est peut-кtre par accident, selon que le changement de la
partie sensible de l’вme, dans laquelle se trouvent les passions de l’вme,
relиve de la vertu.
[65746]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod homo potest dici
qualis vel secundum qualitatem quae est in parte intellectiva : et sic non
dicitur qualis ex naturali complexione corporis, neque ex impressione
corporis caelestis, cum pars intellectiva sit absoluta ab omni corpore; vel
potest dici homo qualis secundum dispositionem quae est in parte sensitiva :
quae quidem potest esse ex naturali complexione corporis, vel ex impressione
corporis caelestis. Tamen quia haec pars naturaliter obedit rationi, ideo
potest per assuetudinem diminui, vel totaliter tolli.
21.
On peut dire d’un homme qu’il est tel ou tel selon la qualitй qui se trouve
dans la partie intellective : ainsi, on ne dit pas qu’il est tel en raison de
la complexion de son corps, ni de l’influence d’un corps cйleste, puisque la
partie intellective est indйpendante de tout corps. Ou bien l’on peut dire
que l’homme est tel selon une disposition qui se trouve dans la partie
sensible, ce qui peut arriver en raison de la complexion de son corps ou de
l’influence d’un corps cйleste. Toutefois, puisque cette partie obйit
naturellement а la raison, c’est pourquoi elle peut кtre diminuйe ou
totalement enlevйe par l’habitude.
[65747] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 22 Et per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum; nam secundum
hanc dispositionem quae est in parte sensitiva, dicuntur aliqui habere
naturalem inclinationem ad vitium vel virtutem et cetera.
22. Par cela, la rйponse а la vingt-deuxiиme
objection ressort clairement, car selon la disposition qui se trouve dans la
partie sensible, on dit de certains qu’ils ont une inclination naturelle au
vice ou а la vertu, etc.
[65750] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 1 Quia in VII Physic. dicitur : unumquodque perfectum est
quando attingit propriam virtutem. Propria autem virtus uniuscuiusque est
eius naturalis perfectio. Ergo ad perfectionem hominis sufficit sibi virtus
connaturalis. Haec autem est quae per principia naturalia causari potest. Non
igitur requiritur ad perfectionem hominis quod habeat aliquam virtutem ex
infusione.
1. Car il est dit, dans Physique, VII :
«Chaque chose est parfaite lorsqu’elle atteint sa propre vertu.» Or, la vertu
propre de chaque chose est sa perfection naturelle. Une vertu qui lui est
connaturelle suffit donc а l’homme. Or, celle-ci est celle qui est causйe par
ses principes naturels. Il n’est donc pas nйcessaire pour la perfection de
l’homme qu’il reзoive quelque vertu par infusion.
[65751] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 2 Sed dicebatur, quod oportet hominem perfici per virtutem non solum in
ordine ad connaturalem finem, sed etiam in ordine ad supernaturalem, qui est
beatitudo vitae aeternae, ad quam ordinatur homo per virtutes infusas.- Sed
contra, natura non deficit in necessariis. Sed illud quo indiget homo ad
consecutionem ultimi finis, est sibi necessarium. Ergo hoc potest habere per
principia naturalia; non ergo indiget ad hoc infusione virtutis.
2. Mais on disait qu’il est nйcessaire que
l’homme soit perfectionnй par la vertu, non seulement par rapport а sa fin
connaturelle, mais aussi par rapport а [sa fin] surnaturelle, qui est la
bйatitude de la vie йternelle, а laquelle l’homme est ordonnйe par les vertus
infuses. – En sens contraire : : la nature
ne laisse pas dйpourvu pour les choses nйcessaires. Or, ce dont l’homme a
besoin pour obtenir sa fin ultime lui est nйcessaire. Il peut donc l’avoir
par ses principes naturels. L’homme n’a donc pas besoin pour cela de
l’infusion d’une vertu.
[65752] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 3 Praeterea, semen agit in virtute eius a quo emittitur. Aliter
enim semen animalis cum sit imperfectum, non posset sua actione perducere ad
speciem perfectam. Sed semina virtutum sunt nobis immissa a Deo; ut enim
dicitur in Glossa, Deus inseminavit omni animae initia intellectus et
sapientiae. Ergo huiusmodi semina agunt in virtute Dei. Cum igitur ex
huiusmodi seminibus causetur virtus acquisita, videtur quod virtus acquisita
possit ducere ad fruitionem Dei, in qua consistit beatitudo vitae aeternae.
3. La semence agit par la puissance de celui
dont elle provient. Autrement, la semence d’un animal, puisqu’elle est
imparfaite, ne pourrait conduire par son action а une espиce parfaite. Or,
les semences des vertus sont mises en nous par Dieu, comme il est dit dans la
Glose : «Dieu a semй en toute вme les commencements de l’intelligence et de
la sagesse.» Puisque la vertu acquise est causйe par les semences de ce
genre, il semble que la vertu acquise puisse mener а la jouissance de Dieu,
dans laquelle consiste la bйatitude de la vie йternelle.
[65753]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 4 Praeterea, virtus ordinat hominem ad beatitudinem
vitae aeternae, in quantum est actus meritorius. Sed actus virtutis
acquisitae potest esse meritorius vitae aeternae, si sit gratia informatus. Ergo ad beatitudinem vitae aeternae non est necessarium habere
virtutes infusas.
4. La vertu ordonne l’homme а la bйatitude de
la vie йternelle, pour autant qu’il s’agit d’un acte mйritoire. Or, l’acte de
la vertu acquise peut кtre mйritoire de la vie йternelle, s’il reзoit forme
de la grвce. Pour la bйatitude de la vie йternelle, il n’est donc pas
nйcessaire qu’il y ait des vertus infuses.
[65754] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 5 Praeterea, radix merendi
caritas est. Si igitur necessarium esset habere virtutes infusas ad merendum vitam
aeternam, videtur quod sola caritas sufficeret; et ita non oportet habere
aliquas alias virtutes infusas.
5. La racine du mйrite est la grвce. Si donc
il est nйcessaire de possйder des vertus infuses pour mйriter la vie
йternelle, il semble que seule la charitй suffirait. Et ainsi, il n’est pas
nйcessaire d’avoir d’autres vertus infuses.
[65755] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 6 Praeterea, virtutes morales necessariae sunt ad hoc quod inferiores
vires rationi subdantur. Sed per virtutes acquisitas sufficienter rationi
subduntur. Non ergo necessarium est quod sint aliquae virtutes infusae
morales ad hoc quod ratio ordinetur ad aliquem specialem finem; sed sufficit
quod ratio hominis in illum supernaturalem finem dirigatur. Hoc autem
sufficienter fit per fidem. Ergo non oportet habere aliquas alias virtutes
infusas.
6. Les vertus morales sont nйcessaires pour
que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. Or, elles sont
suffisamment soumises а la raison par les vertus acquises. Il n’est donc pas
nйcessaire qu’il y ait des vertus morales infuses pour que la raison soit
ordonnйe а une fin particuliиre, mais la raison de l’homme suffit pour qu’il
soit orientй vers cette fin surnaturelle. Or, cela se rйalise suffisamment
par la foi. Il n’est donc pas nйcessaire de possйder d’autres vertus infuses.
[65756]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 7 Praeterea, id quod fit virtute divina, non differt
specie ab eo quod fit operatione naturae. Eadem enim specie est sanitas quam
aliquis miraculose recuperat, et quam natura operatur. Si igitur sit aliqua
virtus infusa, quae a Deo esset in nobis, et aliqua acquisita per actus
nostros, non propter hoc specie differrent; puta, si sit temperantia
acquisita, et temperantia infusa. Duae autem formae quae sunt unius speciei,
non possunt simul esse in eodem subiecto. Ergo non potest esse quod ille qui
habet temperantiam acquisitam, habeat temperantiam infusam.
7. Ce qui est rйalisй par la puissance divine
ne diffиre pas par l’espиce de ce qui est rйalisй par l’opйration de la
nature. En effet, la santй que quelqu’un retrouve miraculeusement est de mкme
espиce que celle que la nature rйalise. Si donc il existe une vertu infuse,
qui serait en nous par l’intervention de Dieu, et une [vertu] acquise par nos
actes, elles ne diffйreraient pas pour autant par l’espиce, par exemple, s’il
existe une tempйrance acquise et une tempйrance infuse. Or, deux formes d’une
seule espиce ne peuvent exister en mкme temps dans le mкme sujet. Il ne peut
donc pas se faire que celui qui possиde la tempйrance acquise possиde la
tempйrance infuse.
[65757]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 8 Praeterea, species virtutis ex actibus cognoscitur.
Sed sunt idem specie actus temperantiae infusae et acquisitae. Ergo et
virtutes specie eaedem. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in materia et
forma, sunt unius speciei. Sed actus temperantiae infusae et acquisitae conveniunt
in materia : uterque enim est circa delectabilia tactus; conveniunt etiam in
forma, quia uterque in medietate consistit. Ergo
actus temperantiae infusae et actus temperantiae acquisitae sunt eiusdem
speciei.
8.
L’espиce d’une vertu se reconnaоt а ses actes. Or, les actes de la tempйrance
infuse et de [la tempйrance] acquise sont identiques par leur espиce. Les
vertus sont donc les mкmes selon leur espиce. Dйmonstration de la mineure :
tout ce qui a les mкmes matiиre et forme est d’une mкme espиce. Or, les actes
de la tempйrance infuse et de [la tempйrance] acquise ont la mкme matiиre :
en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Ils ont aussi la mкme
forme, car les deux consistent dans un milieu. Les actes de la tempйrance
infuse et les actes de la tempйrance acquise sont donc de la mкme espиce.
[65758] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 9 Sed dicendum, quod differunt
specie, eo quod ordinantur ad alium et ad alium finem : ex fine enim sumuntur
species in moralibus. Sed contra, secundum id aliqua possunt specie differre
a quo sumitur species rei. Sed species in moralibus non sumitur a fine
ultimo, sed a fine proximo : aliter enim omnes virtutes essent unius speciei,
cum omnes ad beatitudinem ordinentur sicut ad ultimum finem. Ergo ex ordine
ad ultimum finem non possunt dici in moralibus aliqua esse eiusdem speciei,
vel specie differre; et ita temperantia infusa non differt specie a
temperantia acquisita, ex hoc quod ordinat hominem in beatitudinem altiorem.
9.
Mais elles diffиrent par l’espиce du fait qu’elles sont ordonnйes а une fin
diffйrente : en effet, l’espиce se prend de la fin en matiиre morale. En sens contraire : : certaines choses peuvent
diffйrer par l’espиce en raison de ce dont est tirйe l’espиce de la chose.
Or, l’espиce en matiиre morale n’est pas tirйe de la fin ultime, mais de la
fin prochaine, autrement, toutes les vertus auraient la mкme espиce, puisque
toutes sont ordonnйes а la bйatitude comme а la fin ultime. On ne peut donc
pas dire qu’en matiиre morale, certaines choses sont de la mкme espиce ou
diffиrent par l’espиce selon leur rapport а la fin ultime. Et ainsi, la
tempйrance infuse ne diffиre pas spйcifiquement de la tempйrance acquise par
le fait qu’elle ordonne l’homme а une bйatitude plus йlevйe.
[65759]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 10 Praeterea, nullus habitus moralis consequitur
speciem ex hoc quod ab aliquo habitu movetur. Contingit enim unum habitum
moralem moveri vel imperari a diversis secundum speciem; sicut habitus
intemperantiae movetur ab habitu avaritiae, cum quis moechatur ut furetur; ab
habitu autem crudelitatis, cum quis moechatur ut occidat. Et e converso
diversi habitus secundum speciem ab eodem habitu imperantur; puta cum unus
moechatur ut furetur, alter vero occidit ut furetur. Sed temperantia vel fortitudo,
aut aliqua aliarum virtutum moralium non habet actum ordinatum ad
beatitudinem vitae aeternae, nisi in quantum imperatur a virtute quae ultimum
finem habet pro obiecto. Ergo ex hoc non consequitur speciem; et ita per hoc
virtus infusa moralis non differt specie a virtute acquisita per hoc quod
ordinatur ad finem vitae aeternae.
10.
Aucun habitus moral n’obtient son espиce par le fait qu’il est mы par un
autre habitus. En effet, il arrive qu’un habitus moral soit mы ou commandй
par des [habitus] diffйrents selon leur espиce, comme l’habitus
d’intempйrance est mы par l’habitus d’avarice, lorsque quelqu’un commet
l’adultиre en vue de voler; et par l’habitus de la cruautй, lorsque quelqu’un
commet l’adultиre en vue de tuer. En sens inverse, des habitus diffйrents
selon l’espиce sont commandйs par le mкme habitus, par exemple, lorsqu’un
homme commet l’adultиre pour voler, et qu’un autre tue pour voler. Or, l’acte
de la tempйrance ou de la force, ou d’aucune autre vertu morale, n’est
ordonnй а la bйatitude de la vie йternelle que dans la mesure oщ il est
commandй par la vertu qui a pour objet la vie йternelle. Il ne reзoit donc
pas par lа son espиce. Et ainsi, la vertu morale infuse ne diffиre pas
spйcifiquement de la vertu acquise par le fait qu’elle est ordonnйe а la fin
de la vie йternelle.
[65760] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 11 Praeterea, virtus infusa est in mente sicut in subiecto :
dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis, quam Deus in
nobis sine nobis operatur. Sed virtutes morales non sunt in mente sicut in
subiecto : nam temperantia et fortitudo sunt irrationabilium partium, ut
philosophus dicit III Ethic. Ergo virtutes morales non sunt infusae.
11.
La vertu infuse se trouve dans l’esprit comme dans son sujet. En effet,
Augustin dit que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, que Dieu rйalise
en nous sans nous. Or, les vertus morales ne se trouvent pas dans l’esprit
comme dans leur sujet, car la tempйrance et la force appartiennent aux
parties non raisonnables, comme le dit le Philosophe dans Йthique, III.
Les vertus morales ne sont donc pas infuses.
[65761] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 12 Praeterea,
contraria sunt unius rationis. Sed vitium quod est contrarium virtuti,
nunquam infunditur, sed solum ex actibus nostris causatur. Ergo nec virtutes
infunduntur, sed solum ex actibus nostris causantur.
12.
Les contraires relиvent d’une seule raison. Or, le vice, qui est le contraire
de la vertu, n’est jamais infus, mais est causй par nos actes seulement. Les
vertus ne sont donc pas non plus infuses, mais sont causйes par nos seuls
actes.
[65762] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 13 Praeterea, homo ante acquisitionem virtutis est in potentia
ad virtutes. Sed potentia et actus sunt unius generis : omne enim genus
dividitur per potentiam et actum, ut patet in III Physic. Cum ergo potentia ad virtutem non sit ex infusione, videtur quod nec
virtus ex infusione sit.
13.
Avant l’acquisition de la vertu, l’homme est en puissance par rapport а la
vertu. Or, la puissance et l’acte appartiennent au mкme genre : en effet,
tout genre se divise en puissance et en acte, comme cela ressort clairement
de Physique, III. Puisque la puissance а la vertu ne vient pas d’une
infusion, il semble donc que la vertu non plus ne vienne pas d’une infusion.
[65763]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 14 Praeterea, si virtutes infunduntur, oportet quod
simul infunduntur. Cum gratia autem infunditur homini qui in peccato fuit, in
actu; tunc non infunduntur sibi habitus virtutum moralium : adhuc enim post
contritionem patitur passionum molestias; quod non est virtuosi, sed forte
continentis : differt enim continens a temperato per hoc quod continens
patitur quidem, sed non deducitur; temperatus autem non patitur, ut dicitur
in VII Ethic. Ergo videtur quod virtutes non sint nobis ex infusione gratiae.
14.
Si les vertus sont infusйes, il est nйcessaire qu’elles soient infusйes en
mкme temps. Or, lorsque la grвce est infusйe dans l’homme qui йtait pйcheur
en acte, les habitus des vertus morales ne sont pas infusйes en lui : en effet,
aprиs la contrition, il souffre encore des tiraillements des passions, ce qui
n’est pas le fait de l’homme vertueux, mais peut-кtre de celui qui est
continent. En effet, l’homme continent diffиre de celui qui est tempйrant par
le fait que l’homme continent souffre, mais ne cиde pas, alors que celui qui
est tempйrant ne souffre pas, comme il est dit dans Йthique, VII. Il
semble donc que les vertus ne se trouvent pas en nous par infusion de la
grвce.
[65764] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 15 Praeterea, dicit philosophus
II Ethic., quod signum generati habitus oportet accipere fientem in
operatione delectationem. Sed post contritionem non statim delectabiliter
aliquis operatur ea quae sunt virtutum moralium. Ergo nondum habet habitum
virtutum; non ergo virtutes morales causantur in nobis ex infusione gratiae.
15.
Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que le signe de l’habitus
engendrй est que celui qui agit trouve plaisir dans l’action. Or, aprиs la
contrition, quelqu’un n’accomplit pas aussitфt avec plaisir ce qui relиve des
vertus morales. Il ne possиde donc pas encore l’habitus des vertus. Les
vertus morales ne sont donc pas causйes en nous par l’infusion de la grвce.
[65765]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 16 Praeterea, ponamus quod in aliquo ex multis actibus
malis causatus sit aliquis habitus vitiosus : manifestum est quod in uno actu
contritionis dimittuntur sibi peccata et infunditur gratia. Per unum autem
actum non destruitur habitus acquisitus, sicut nec per unum generatur. Cum
igitur cum gratia simul infundantur virtutes morales, sequitur quod habitus
virtutis moralis simul sit cum habitu vitii oppositi; quod est impossibile.
16.
Supposons que, chez quelqu’un, ait йtй causй par de nombreux actes mauvais un
habitus vicieux. Il est clair que, par un acte de contrition, ses pйchйs lui
sont remis et que la grвce est infusйe. Or, l’habitus acquis n’est pas
dйtruit par un seul acte, de mкme qu’il n’est pas engendrй par un seul.
Puisque les vertus morales sont infusйes en mкme temps que la grвce, il en dйcoule
que l’habitus d’une vertu morale existe en mкme temps que l’habitus du vice
opposй, ce qui est impossible.
[65766] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 17 Praeterea, ex eodem generatur virtus et corrumpitur, ut
dicitur III Ethic. Si igitur virtus non causetur in nobis ex actibus nostris,
videtur sequi quod neque ex actibus nostris corrumpatur; et ita sequitur quod
aliquis peccando mortaliter non amittat virtutem : quod est inconveniens.
17.
La vertu est engendrйe et corrompue par la mкme chose, comme il est dit dans Йthique,
III. Si donc la vertu n’est pas causйe en nous par nos actes, il semble
en dйcouler qu’elle n’est pas non plus corrompue par nos actes. Il en dйcoule
ainsi que quelqu’un ne perd pas la vertu en pйchant mortellement, ce qui est
incorrect.
[65767]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 18 Praeterea, idem videtur esse mos et consuetudo. Ergo
et eadem est virtus moralis et consuetudinalis. Sed virtus consuetudinalis
dicitur ex consuetudine; causatur enim ex frequenti bene agere. Ergo omnis
virtus moralis causatur ex actibus, et non ex infusione gratiae.
18.
La coutume [mos, moris] et l’habitude semblent кtre la mкme
chose. Et donc aussi, la vertu morale et l’habitude. Or, la vertu est dite
habituelle а partir de l’habitude : en effet, elle est causйe par le fait de
bien agir frйquemment. Toute vertu morale est donc causйe par nos actes, et
non par l’infusion de la grвce.
[65768] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 19 Praeterea, si aliquae virtutes sunt infusae, oportet quod
earum actus sint efficaciores quam actus hominis non habentis virtutes. Sed
ex huiusmodi actibus causatur aliquis habitus virtutis in nobis. Ergo et ex
actibus virtutum infusarum, si aliquae sunt tales. Sed sicut dicitur II
Ethic., quales sunt habitus, tales actus reddunt; et quales sunt actus, tales
habitus causant. Habitus igitur causati ex actibus virtutum infusarum, sunt
eiusdem speciei cum virtutibus infusis. Sequitur igitur quod duae formae
eiusdem speciei sunt simul in eodem subiecto. Hoc est autem impossibile. Ergo
impossibile videtur quod sint in nobis aliquae virtutes infusae.
19.
Si certaines vertus sont infuses, il est nйcessaire que leurs actes soient
plus efficaces que les actes d’un homme qui n’a pas [ces] vertus. Or, un
habitus de vertu est causй en nous par les actes de ce genre, et donc aussi
par les actes des vertus infuses, s’il en existe. Or, il est dit dans Йthique,
II, que tels sont les habitus, tels ils rendent les actes; et que tels
sont les actes, tels habitus ils causent. Les habitus causйs par les actes
des vertus infuses sont donc de la mкme espиce que les vertus infuses. Il en
dйcoule donc que deux formes de mкme espиce existent en mкme temps dans le
mкme sujet. Or, cela est impossible. Il semble donc impossible qu’il existe
en nous des vertus infuses.
1.
Il est dit en Lc 24, 49 : Demeurez ici dans la ville, jusqu’а ce
que vous soyez revкtus d’une vertu venue d’en haut.
[65770]
De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Sap., VIII, 7, de divina sapientia
dicitur, quod sobrietatem et iustitiam docet, et cetera. Docet autem spiritus sapientiae virtutem, eam causando. Ergo videtur quod
virtutes morales sint nobis infusae a Deo.
2.
Il est dit de la sagesse divine, dans Sg 8, 7, qu’elle enseigne la
sobriйtй et la justice, etc. Or, l’Esprit de sagesse enseigne la vertu en la
causant. Il semble donc que les vertus morales soient infusйes en nous par
Dieu.
[65771] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 3 Praeterea, actus virtutum
quarumlibet debent esse meritorii, ad hoc quod per eas in beatitudinem
ducamur. Sed
meritum non potest esse nisi ex gratia. Ergo videtur quod virtutes causantur
in nobis ex infusione gratiae.
3.
Les actes de toutes les vertus doivent кtre mйritoires pour que nous soyons
conduits par elles а la bйatitude. Or, le mйrite ne peut venir que de la
grвce. Il semble donc que les vertus soient causйes en nous par l’infusion de
la grвce.
Rйponse
:
[65772]
De virtutibus, q. 1 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod praeter virtutes
acquisitas ex actibus nostris, sicut iam dictum est, oportet ponere alias
virtutes in homine a Deo infusas. Cuius ratio hinc accipi potest, quod
virtus, ut dicit philosophus, est quae bonum facit habentem, et opus eius
bonum reddit. Secundum igitur quod bonum diversificatur in homine, oportet
etiam quod et virtus diversificetur; sicut patet quod aliud est bonum hominis
in quantum et homo, et aliud in quantum civis. Et manifestum est quod aliquae
operationes possent esse convenientes homini in quantum est homo, quae non
essent convenientes ei secundum quod est civis. Et propter hoc philosophus
dicit in III Politic., quod alia est virtus quae facit hominem bonum, et alia
quae facit civem bonum. Considerandum est autem, quod est duplex hominis
bonum; unum quidem quod est proportionatum suae naturae; aliud autem quod
suae naturae facultatem excedit. Cuius ratio est, quia oportet quod passivum
consequatur perfectiones ab agente diversimode secundum diversitatem virtutis
agentis; unde videmus quod perfectiones et formae quae causantur ex actione
naturalis agentis, non excedunt naturalem facultatem recipientis : potentiae
enim passivae naturali proportionatur virtus activa naturalis. Sed perfectiones
et formae quae proveniunt ab agente supernaturali infinitae virtutis, quod
Deus est, excedunt facultatem naturae recipientis. Unde anima rationalis,
quae immediate a Deo causatur, excedit capacitatem suae materiae, ita quod
materia corporalis non totaliter potest comprehendere et includere ipsam; sed
remanet aliqua virtus eius et operatio in qua non communicat materia
corporalis; quod non contingit de aliqua aliarum formarum quae causantur ab
agentibus naturalibus. Sicut autem homo suam primam perfectionem, scilicet
animam, acquirit ex actione Dei; ita et ultimam suam perfectionem, quae est
perfecta hominis felicitas, immediate habet a Deo, et in ipso quiescit : quod
quidem ex hoc patet quod naturale hominis desiderium in ullo alio quietari
potest, nisi in solo Deo. Innatum est enim homini ut ex causatis desiderio
quodam moveatur ad inquirendum causas; nec quiescit istud desiderium quousque
perventum fuerit ad primam causam, quae Deus est. Oportet igitur quod, sicut
prima perfectio hominis, quae est anima rationalis, excedit facultatem
materiae corporalis; ita ultima perfectio ad quam homo potest pervenire, quae
est beatitudo vitae aeternae, excedat facultatem totius humanae naturae. Et
quia unumquodque ordinatur ad finem per operationem aliquam; et ea quae sunt
ad finem, oportet esse aliqualiter fini proportionata; necessarium est esse
aliquas hominis perfectiones quibus ordinetur ad finem supernaturalem, quae
excedant facultatem principiorum naturalium hominis. Hoc autem esse non
posset, nisi supra principia naturalia aliqua supernaturalia operationum
principia homini infundantur a Deo. Naturalia autem operationum principia
sunt essentia animae, et potentiae eius, scilicet intellectus et voluntas,
quae sunt principia operationum hominis, in quantum huiusmodi; nec hoc esse
posset, nisi intellectus haberet cognitionem principiorum per quae in aliis
dirigeretur, et nisi voluntas haberet naturalem inclinationem ad bonum
naturae sibi proportionatum; sicut in praecedenti quaestione dictum est.
Infunditur igitur divinitus homini ad peragendas actiones ordinatas in finem
vitae aeternae primo quidem gratia, per quam habet anima quoddam spirituale
esse, et deinde fides, spes et caritas; ut per fidem intellectus illuminetur
de aliquibus supernaturalibus cognoscendis, quae se habent in isto ordine
sicut principia naturaliter cognita in ordine connaturalium operationum; per
spem autem et caritatem acquirit voluntas quamdam inclinationem in illud
bonum supernaturale ad quod voluntas humana per naturalem inclinationem non sufficienter
ordinatur. Et sicut praeter ista principia naturalia requiruntur habitus
virtutum ad perfectionem hominis secundum modum sibi connaturalem, ut supra
dictum est; ita ex divina influentia consequitur homo, praeter praemissa
supernaturalia principia, aliquas virtutes infusas, quibus perficitur ad
operationes ordinandas in finem vitae aeternae.
En
plus des vertus acquises par nos actes, comme on l’a dйjа dit, il est
nйcessaire d’admettre d’autres vertus infusйes dans l’homme par Dieu. La
raison peut en кtre saisie а partir du fait que, comme le dit le Philosophe,
c’est la vertu qui rend bon celui qui la possиde et qui rend bon son acte.
Selon que le bien se diffйrencie dans l’homme, il est donc nйcessaire que la
vertu aussi se diffйrencie, comme il est clair qu’il existe un bien de
l’homme en tant qu’homme, et un autre en tant qu’il est citoyen. Et il est
clair que certaines opйrations peuvent convenir а l’homme en tant qu’il est
homme, qui ne lui conviendraient pas en tant qu’il est citoyen. Pour cette
raison, le Philosophe dit, dans Politique, III, qu’autre est la vertu
qui rend l’homme bon, et autre celle qui fait le bon citoyen. Or, il faut
observer qu’il existe un double bien de l’homme : l’un qui est proportionnй а
sa nature; l’autre qui dйpasse la capacitй de sa nature. La raison en est
qu’il est nйcessaire que ce qui reзoit reзoive les perfections de l’agent de
maniиre diffйrente selon la diversitй de la puissance de l’agent. Ainsi
voyons-nous que les perfections et les formes qui sont causйes par l’action
d’un agent naturel ne dйpassent pas la capacitй naturelle de ce qui reзoit :
en effet, la puissance active naturelle est proportionnйe а la puissance
passive naturelle. Or, les perfections et les formes qui viennent d’un agent
surnaturel d’une puissance infinie, qui est Dieu, dйpassent la capacitй de la
nature de celui qui reзoit. Aussi l’вme raisonnable, qui est immйdiatement
causйe par Dieu, dйpasse-t-elle la capacitй de sa matiиre, de telle sorte que
la matiиre corporelle ne peut l’embrasser et l’enclore totalement, mais qu’il
demeure en elle une certaine puissance et opйration que ne partage pas la
matiиre corporelle; ce qui ne se produit pas pour l’une des autres formes qui
sont causйes par les agents naturels. De mкme donc que l’homme reзoit sa
premiиre perfection, а savoir, son вme, par l’action de Dieu, de mкme,
tient-il immйdiatement de Dieu et se repose-t-il en lui pour sa perfection
ultime, qui est la parfaite fйlicitй de l’homme. Pour sыr, cela ressort
clairement dans le fait que le dйsir naturel de l’homme ne peut se reposer en
personne d’autre qu’en Dieu seul. En effet, il est innй а l’homme d’кtre mы
par un certain dйsir а rechercher la cause а partir des choses causйes, et ce
dйsir ne se repose pas avant d’кtre parvenu а la cause premiиre, qui est
Dieu. Il est donc nйcessaire que, de mкme que la premiиre perfection de
l’homme, qui est l’вme raisonnable, dйpasse la capacitй de la matiиre
corporelle, de mкme, la perfection ultime а la quelle l’homme peut parvenir,
et qui est la bйatitude de la vie йternelle, dйpasse la capacitй de toute la
nature humaine. Et parce que toute chose est ordonnйe а sa fin par une
opйration, et que ce qui est ordonnй а une fin doit d’une certaine maniиre
кtre proportionnй а la fin, il est nйcessaire qu’il existe certaines
perfections de l’homme par lesquelles il est sera ordonnй а sa fin
surnaturelle, [perfections] qui dйpassent la capacitй des principes naturels
de l’homme. Or, cela ne peut se faire que si, en plus des principes naturels,
certains principes surnaturels de ses opйrations sont infusйs dans l’homme
par Dieu. Or, les principes naturels des opйrations sont l’essence de l’вme
et ses puissances, а savoir, l’intellect et la volontй, qui sont les
principes des opйrations de l’homme en tant que tel; et cela ne pourrait pas
non plus exister si l’intellect n’avait une connaissance des principes par
lesquels elle sera dirigйe vers d’autres choses, et si la volontй n’avait une
inclination naturelle au bien naturel qui lui est proportionnй, comme on l’a
dit dans la question prйcйdente. Premiиrement, Dieu infuse donc dans l’homme,
pour qu’il accomplise les actions ordonnйes а la fin de la vie йternelle, la
grвce, par laquelle l’вme obtient, en quelque sorte, d’exister
spirituellement; puis la foi, l’espйrance et la charitй, afin que, par la
foi, l’intellect soit йclairй sur certaines rйalitйs surnaturelles qu’il doit
connaоtre, qui jouent dans cet ordre le rфle des principes connus
naturellement dans l’ordre des opйrations connaturelles; par l’espйrance et
par la charitй, la volontй acquiert une certaine inclination vers ce bien
surnaturel auquel la volontй humaine n’est pas suffisamment ordonnйe par
inclination naturelle. Et de mкme qu’en plus de ces principes naturels, sont
requis les habitus des vertus pour la perfection de l’homme selon un mode qui
lui est connaturel, comme on l’a dit plus haut, de mкme, par une imprйgnation
[influentia] divine, l’homme obtient-il, en plus des principes
surnaturels dйjа mentionnйs, des vertus infuses, par lesquelles il est perfectionnй
en vue d’ordonner ses opйrations vers la fin de la vie йternelle.
Solutions :
[65773]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut secundum primam
perfectionem homo est perfectus dupliciter; uno modo secundum nutritivam et
sensitivam, quae quidem perfectio non excedit capacitatem materiae
corporalis; alio modo secundum partem intellectivam, quae naturalem et
corporalem excedit : et secundum hanc simpliciter est homo perfectus, primo
autem modo secundum quid; ita et quantum ad perfectionem finis, dupliciter
homo potest esse perfectus : uno modo secundum capacitatem suae naturae, alio
modo secundum quamdam supernaturalem perfectionem : et sic dicitur homo
perfectus esse simpliciter; primo autem modo secundum quid. Unde duplex competit
virtus homini; una quae respondet primae perfectioni, quae non est completa
virtus; alia quae respondet suae perfectioni ultimae : et haec est vera et
perfecta hominis virtus.
1.
Selon la premiиre perfection de l’homme, l’homme est parfait de deux maniиres
: l’une, selon [les parties] nutritive et sensible, perfection qui ne dйpasse
pas la capacitй de la matiиre corporelle; l’autre, selon la partie
intellective, qui dйpasse [la partie] naturelle et corporelle, l’homme йtant,
selon celle-ci, tout simplement parfait, alors que, selon le premier mode,
[il ne l’est que] de maniиre relative. De mкme, quant а la perfection de la
fin, l’homme peut кtre parfait de deux maniиres : l’une, selon la capacitй de
sa nature; l’autre, selon une certaine perfection surnaturelle. De cette
[seconde] maniиre, l’homme est appelй tout simplement parfait, mais de la
premiиre maniиre, de maniиre relative. Aussi une double vertu se
rencontre-t-elle chez l’homme : l’une, qui rйpond а la premiиre perfection,
qui n’est pas un vertu complиte; l’autre, qui rйpond а sa perfection ultime,
et celle-ci est la vйritable et parfaite vertu de l’homme.
[65774]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura providit homini in
necessariis secundum suam virtutem; unde respectu eorum quae facultatem
naturae non excedunt, habet homo a natura non solum principia receptiva, sed
etiam principia activa. Respectu autem eorum quae facultatem naturae
excedunt, habet homo a natura aptitudinem ad recipiendum.
2.
La nature pourvoit l’homme du nйcessaire selon sa nature. Aussi, par rapport
а ce qui ne dйpasse pas la capacitй de la nature, l’homme possиde-t-il par
nature, non seulement des principes rйceptifs, mais aussi des principes
actifs. Mais par rapport а ce qui dйpasse la capacitй de la nature, l’homme
reзoit de la nature une aptitude а recevoir.
[65775] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod semen
hominis agit secundum totam virtutem hominis. Semina autem virtutum animae
humanae naturaliter indita non agunt secundum totam virtutem Dei; unde non
sequitur quod ex eis possit causari quidquid potest causare Deus.
3.
La semence de l’homme agit selon toute la puissance de l’homme. Mais les
semences naturellement innйes des vertus de l’вme humaine n’agissent pas
selon toute la puissance de Dieu. Aussi n’en dйcoule-t-il pas que puisse кtre
causй par elles tout ce que Dieu peut causer.
[65776]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum nullum meritum sit
sine caritate, actus virtutis acquisitae, non potest esse meritorius sine
caritate. Cum caritate autem simul infunduntur aliae virtutes; unde actus
virtutis acquisitae non potest esse meritorius nisi mediante virtute infusa.
Nam virtus ordinata in finem inferiorem non facit actus ordinatum ad finem
superiorem, nisi mediante virtute superiori; sicut fortitudo, quae est virtus
hominis qua homo, non ordinat actum suum ad bonum politicum, nisi mediante
fortitudine quae est virtus hominis in quantum est civis.
4.
Comme il n’existe aucun mйrite sans la charitй, l’acte de la vertu acquise ne
peut кtre mйritoire sans la charitй. Mais, avec la charitй, sont infusйes les
autres vertus; aussi l’acte de la vertu acquise ne peut-il кtre mйritoire que
par l’intermйdiaire de la vertu infuse. Car la vertu ordonnйe а une fin
infйrieure ne produit pas un acte ordonnй а une fin supйrieure, si ce n’est
par l’intermйdiaire d’une vertu supйrieure, comme la force, qui est une vertu
de l’homme en tant qu’homme, n’ordonne son acte au bien politique que par
l’intermйdiaire de la force qui une vertu de l’homme en tant que citoyen.
[65777] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando aliqua actio procedit ex
pluribus agentibus ad invicem ordinatis, eius perfectio et bonitas impediri
potest per impedimentum unius agentium, etiam si aliud fuerit perfectum :
quantumcumque enim artifex sit perfectus, non faciet operationem perfectam,
si instrumentum fuerit defectivum. In operationibus autem hominis quas
oportet bonas fieri per virtutem, hoc considerandum est : quod actio superioris
potentiae non dependet ab inferiori potentia; sed actio inferioris dependet a
superiori. Et ideo ad hoc quod actus inferiorum virium sint perfecti,
scilicet irascibilis et concupiscibilis, requiritur quod non solum
intellectus sit ordinatus in finem ultimum per fidem, et voluntas per
caritatem; sed etiam quod inferiores vires, scilicet irascibilis et
concupiscibilis, habeant proprias operationes, ad hoc quod earum actus sint
boni, et ordinabiles in finem ultimum.
5. Lorsqu’une action est issue de plusieurs
agents ordonnйs les uns aux autres, sa perfection et sa bontй peuvent кtre
empкchйes par l’empкchement d’un seul des agents, mкme si un autre est
parfait : en effet, aussi parfait que soit l’artisan, il ne fera pas une
opйration parfaite si l’instrument est dйficient. Or, dans les opйrations de
l’homme qui peuvent кtre rendues bonnes par la vertu, il faut observer que
l’action de la puissance supйrieure ne dйpend pas d’une puissance infйrieure,
mais que l’action d’une [puissance] infйrieure dйpend d’une [puissance]
supйrieure. C’est pourquoi, pour que les actes des puissances infйrieures, а
savoir, l’irascible et le concupiscible, soient parfaits, il est nйcessaire,
non seulement que la foi soit ordonnйe а la fin ultime par la foi et la
volontй par la charitй, mais aussi que les puissances infйrieures, а savoir
l’irascible et le concupiscible, aient leurs opйrations propres, pour que
leurs actes soient bons et puissent кtre ordonnйs а la fin ultime.
6. La solution а la sixiиme objection est
ainsi claire.
[65779] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod omnem formam quam operatur natura, potest etiam eamdem specie Deus
operari per seipsum sine operatione naturae : et secundum hoc, sanitas quae a
Deo miraculose perficitur, est eiusdem speciei cum sanitate quam facit
natura. Unde non sequitur quod omnem formam quam Deus potest facere, possit
etiam natura perficere; unde non oportet quod virtus infusa, quae est immediate
a Deo, sit eiusdem speciei cum virtute acquisita.
7.
Dieu peut rйaliser par lui-mкme, sans opйration de la nature, toute forme que
la nature rйalise. Et ainsi, la santй qui est miraculeusement rйalisйe par
Dieu est de la mкme espиce que la santй que rйalise la nature. Aussi n’en
dйcoule-t-il pas que la nature puisse rйaliser toute forme que Dieu peut
faire. Il n’est pas nйcessaire que la vertu infuse, qui vient immйdiatement
de Dieu, soit de la mкme espиce que la vertu acquise.
[65780] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod temperantia infusa et acquisita
conveniunt in materia, utraque enim est circa delectabilia tactus; sed non
conveniunt in forma effectus vel actus : licet enim utraque quaerat medium,
tamen alia ratione requirit medium temperantia infusa quam temperantia
acquisita. Nam temperantia infusa exquirit medium
secundum rationes legis divinae, quae accipiuntur ex ordine ad ultimum finem;
temperantia autem acquisita accipit medium secundum inferiores rationes, in
ordine ad bonum praesentis vitae.
8.
La temperance infuse et [la tempйrance] acquise ont en commun une matiиre :
en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Mais elles n’ont pas
en commun la forme de l’effet ou de l’acte. En effet, bien que les deux recherchent
un milieu, la tempйrance infuse recherche un milieu pour une autre raison que
la tempйrance acquise. Car la tempйrance infuse recherche un milieu selon les
raisons de la loi divine, qui sont prises de l’ordre а la fin ultime; mais la
tempйrance acquise reзoit un milieu selon des raison infйrieures, par rapport
au bien de la vie prйsente.
[65781]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ultimus finis non dat
speciem in moralibus nisi quatenus in fine proximo est debita proportio ad ultimum
finem; oportet enim ea quae sunt ad finem, esse proportionata fini. Et hoc
etiam bonitas consilii requirit, ut quis convenienti medio finem sortiatur,
ut patet per philosophum VI Metaph.
9.
La fin ultime ne donne pas l’espиce en matiиre morale si ce n’est dans la
mesure oщ, dans la fin prochaine, existe une proportion adйquate а la fin
ultime : en effet, il est nйcessaire que ce qui est ordonnй а la fin soit
proportionnй а la fin. Et la bontй du conseil exige aussi cela, afin que
quelqu’un atteigne la fin par un moyen convenable, comme cela ressort
clairement de ce que dit le Philosophe dans Mйtaphysique, VI.
[65782]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod actus alicuius habitus,
prout imperatur ab illo habitu, accipit quidem speciem moralem, formaliter
loquendo, de ipso actu; unde cum quis fornicatur ut furetur, actus iste licet
materialiter sit intemperantiae, tamen formaliter est avaritiae. Sed licet
actus intemperantiae accipiat aliqualiter speciem, prout imperatur ab
avaritia; non tamen ex hoc intemperantia speciem accipit secundum quod actus
est ab avaritia imperatus. Ex hoc ergo quod actus temperantiae vel
fortitudinis imperantur a caritate ordinante eos in ultimum finem; ipsi
quidem actus formaliter speciem sortiuntur : nam formaliter loquendo fiunt
actus caritatis; non tamen ex hoc sequeretur quod temperantia vel fortitudo
speciem sortiantur. Non igitur temperantia et fortitudo infusae differunt
specie ab acquisitis ex hoc quod imperantur a caritate earum actus; sed ex
hoc quod earum actus secundum eam rationem sunt in medio constituti, prout
ordinabiles ad ultimum finem qui est caritatis obiectum.
10.
L’acte d’un habitus, pour autant qu’il est commandй par cet habitus, reзoit
son espиce morale, а parler formellement, de l’acte lui-mкme. Aussi, lorsque
quelqu’un fornique en vue de voler, cet acte, bien qu’il soit matйriellement
un acte d’intempйrance, est cependant formellement un acte d’avarice. Mais
bien que l’acte d’intempйrance reзoive d’une certaine faзon son espиce pour autant
qu’il est commandй par l’avarice, l’intempйrance ne reзoit cependant pas son
espиce par le fait que l’acte est commandй par l’avarice. Du fait qu’un acte
de tempйrance ou de force est commandй par la charitй qui les ordonne а la
fin ultime, ces actes mкmes reзoivent formellement leur espаce, car, а parler
formellement, ils deviennent des actes de charitй; toutefois il n’en
dйcoulerait pas que la tempйrance ou la force en reзoivent leur espиce. La
tempйrance et la force infuses ne diffиrent donc pas spйcifiquement de [la
tempйrance et de la force] acquises par le fait que leurs actes sont
commandйs par la charitй, mais par le fait que leurs actes sont йtablis selon
la raison dans un milieu, consitant en ce qu’ils peuvent кtre ordonnйs а la
fin ultime qui est l’objet de la charitй.
[65783] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod temperantia infusa est in
irascibili, irascibilis autem et concupiscibilis sic accipiunt nomen rationis
vel rationalis, in quantum participant aliqualiter ratione, in quantum
obediunt ei. Illa ergo secundum eumdem modum accipiunt nomen mentis, prout
obediunt menti; ut verum sit quod Augustinus dicit, quod virtus infusa est
bona qualitas mentis.
11.
La tempйrance infuse se trouve dans l’irascible, mais l’irascible et le
concupiscible prennent le nom de raison ou de raisonnable pour autant qu’ils
participant d’une certaine maniиre а la raison, dans la mesure oщ ils lui
obйissent. De la mкme maniиre, les choses qui obйissent а l’esprit prennent
le nom d’esprit, de sorte que ce que dit Augustin est vrai, que la vertu
infuse est une bonne qualitй de l’esprit.
[65784] De
virtutibus, q. 1 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod vitium hominis est per hoc quod ad
inferiora reducitur; sed virtus eius est per hoc quod in superiora elevatur;
et ideo vitium non potest esse ex infusione, sed solum virtus.
12. Le vice de l’homme consiste en ce qu’il
soit ramenй aux choses infйrieures. Mais sa vertu consiste en ce par quoi il
est йlevй aux choses supйrieures. C’est pourquoi il ne peut y avoir de vice
par infusion, mais seulement une vertu.
[65785]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quando aliquod
passivum natum est consequi diversas perfectiones a diversis agentibus
ordinatis, secundum differentiam et ordinem potentiarum activarum in
agentibus, est differentia et ordo potentiarum passivarum in passivo; quia
potentiae passivae respondet potentia activa : sicut patet quod aqua vel
terra habet aliquam potentiam secundum quam nata est moveri ab igne; et aliam
secundum quam nata est moveri a corpore caelesti; et ulterius aliam secundum
quam nata est moveri a Deo. Sicut enim ex aqua vel terra potest aliquid fieri
virtute corporis caelestis, quod non potest fieri virtute ignis; ita ex eis
potest aliquid fieri virtute supernaturalis agentis quod non potest fieri
virtute alicuius naturalis agentis; et secundum hoc dicimus, quod in tota
creatura est quaedam obedientialis potentia, prout tota creatura obedit Deo
ad suscipiendum in se quidquid Deus voluerit. Sic igitur et in anima est
aliquid in potentia, quod natum est reduci in actum ab agente connaturali; et
hoc modo sunt in potentia in ipsa virtutes acquisitae. Alio modo aliquid est in potentia in anima quod non est natum educi in
actum nisi per virtutem divinam; et sic sunt in potentia in anima virtutes
infusae.
13.
Lorsque ce qui est passif est destinй а recevoir diverses perfections de
divers agents ordonnйs, il existe dans ce qui est passif une diffйrence et un
ordre entre les puissances passives, conforme а la diffйrence et а l’ordre
des puissances actives, car la puissance active correspond а la puissance
passive. Ainsi, il est clair que l’eau ou la terre possиdent une certaine
puissance qui les destine а кtre mues par le feu, une autre selon laquelle elles
sont destinйes а кtre mues par un corps cйleste, et une autre encore selon
laquelle elles sont destinйes а кtre mues par Dieu. En effet, de mкme que
quelque chose peut кtre fait а partir de l’eau ou de la terre par la
puissance d’un corps cйleste, qui ne peut кtre rйalisй par la puissance du
feu, de mкme quelque chose peut кtre rйalisй par la puissance d’un agent
surnaturel, qui ne peut кtre accompli par la puissance d’un agent naturel.
Pour cette raison, nous disons qu’en toute crйature, existe une certaine
puissance obйdientielle, au sens oщ toute crйature obйit а Dieu pour recevoir
en elle tout ce que Dieu voudra. Ainsi donc, il existe aussi dans l’вme
quelque chose en puissance, qui est destinй а кtre amenй а l’acte par un
agent connaturel, et, de cette maniиre, les vertus acquises existent en
puissance en elle. D’une autre maniиre, il existe dans l’вme quelque chose
qui n’est destinй а кtre amenй а l’acte que par la puissance divine, et ainsi
existent dans l’вme les vertus infuses.
[65786] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod passiones ad malum inclinantes
non totaliter tolluntur neque per virtutem acquisitam neque per virtutem
infusam, nisi forte miraculose; quia semper remanet colluctatio carnis contra
spiritum, etiam post moralem virtutem; de qua dicit apostolus, Gal., V, 17,
quod caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem.
Sed tam per virtutem acquisitam quam infusam
huiusmodi passiones modificantur, ut ab his homo non effrenate moveatur. Sed quantum ad aliquid
praevalet in hoc virtus acquisita, et quantum ad aliquid virtus infusa.
Virtus enim acquisita praevalet quantum ad hoc quod talis impugnatio minus
sentitur. Et hoc habet ex causa sua : quia per frequentes actus quibus homo
est assuefactus ad virtutem, homo iam dissuevit talibus passionibus obedire,
cum consuevit eis resistere; ex quo sequitur quod minus earum molestias
sentiat. Sed praevalet virtus infusa quantum ad hoc quod facit quod huiusmodi
passiones etsi sentiantur, nullo tamen modo dominentur. Virtus enim infusa
facit quod nullo modo obediatur concupiscentiis peccati; et facit hoc
infallibiliter ipsa manente. Sed virtus acquisita deficit in hoc, licet in
paucioribus, sicut et aliae inclinationes naturales deficiunt in minori
parte; unde apostolus, Rom., VII, 5 : cum essemus in carne, passiones
peccatorum quae per legem erant, operabantur in membris nostris, ut
fructificarent morti; nunc autem soluti sumus a lege mortis in qua
detinebamur, ita ut serviamus in novitate spiritus, et non in vetustate
litterae.
14.
Les passions qui inclinent au mal ne sont totalement enlevйes ni par la vertu
acquise, ni par la vertu infuse, si ce n’est par miracle; car la lutte de la
chair contre l’esprit demeure toujours, mкme aprиs la vertu morale. L’Apфtre Paul
en parle dans Ga 5, 17 : La chair convoite а l’encontre de
l’esprit, mais l’esprit contre la chair. Mais ces passions sont rйglйes
tant par la vertu acquise que par [la vertu] infuse, de sorte que l’homme ne
soit pas mы par elles de maniиre effrйnйe. Mais, sur un point, la vertu
acquise l’emporte, et sur un autre, la vertu infuse. En effet, la vertu
acquise l’emporte parce qu’elle fait en sorte que ce combat est moins
ressenti. Et elle tient cela de sa cause, car par les actes frйquents par
lesquels l’homme s’est accoutumй а la vertu, l’homme a ainsi perdu l’habitude
d’obйir а ces passions, puisqu’il a pris l’habitude de leur rйsister, d’oщ il
dйcoule qu’il ressent moins leurs tourments. Mais la vertu infuse l’emporte
parce qu’elle fait en sorte que mкme si ces passions sont ressenties,
toutefois elles ne l’emportent aucunement. En effet, la vertu infuse fait
qu’on n’obйit aucunement aux convoitises du pйchй, et elle fait cela d’une
maniиre infaillible aussi longtemps qu’elle demeure. Mais la vertu acquise
est dйficiente sur ce point, bien que chez un plus petit nombre, comme sont
dйficientes les autres inclinations naturelles chez une minoritй. Aussi
l’Apфtre dit-il en Rm 7, 5 : Lorsque nous йtions dans la chair,
les passions des pйchйs, qui existaient en raison de la loi, agissaient dans
nos membres pour porter un fruit de mort. Mais maintenant, nous sommes
libйrйs de la loi de mort par laquelle nous йtions dйtenus, afin de servir
dans la nouveautй de l’esprit, et non dans la vйtustй de la lettre.
[65787]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod quia a principio
virtus infusa non semper ita tollit sensum passionum sicut virtus acquisita,
propter hoc a principio non ita delectabiliter operatur. Non tamen hoc est
contra rationem virtutis, quia quandoque ad virtutem sufficit sine tristitia
operari; nec requiritur quod delectabiliter operetur propter molestias quae
sentiuntur; sicut philosophus dicit III Ethic., quod forti sufficit sine
tristitia operari.
15.
Parce qu’au dйbut, la vertu infuse n’enlиve pas autant la perception des
passions que la vertu acquise, pour cette raison, elle n’est pas accomplie
aussi agrйablement au dйbut. Toutefois, cela ne va pas а l’encontre de la
raison de vertu, car il suffit parfois pour la vertu d’agir sans tristesse,
et il n’est pas nйcessaire d’agir avec plaisir, en raison des dйsagrйments
qui sont йprouvйs. Ainsi, le Philosophe dit, dans Йthique, III, qu’il
suffit pour le fort d’agir sans tristesse.
[65788] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet per actum unum simplicem
non corrumpatur habitus acquisitus, tamen actus contritionis habet quod
corrumpat habitum vitii generatum ex virtute gratiae; unde in eo qui habuit
habitum intemperantiae, cum conteritur, non remanet cum virtute temperantiae
infusa habitus intemperantiae in ratione habitus, sed in via corruptionis,
quasi dispositio quaedam. Dispositio autem non contrariatur habitui perfecto.
16.
Bien que l’habitus acquis ne soit pas corrompu par un seul acte propre,
l’acte de contrition fait cependant en sorte de corrompre, par la puissance
de la grвce, l’habitus du vice engendrй. Aussi, chez celui qui avait
l’habitus d’intempйrance, lorsqu’il est contrit, l’habitus d’intempйrance ne
reste-t-elle pas selon la raison d’habitus avec la vertu infuse de
tempйrance, mais comme tendance а la corruption, comme une certaine
disposition. Or, une disposition n’est pas contraire а un habitus parfait.
[65789]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet virtus
infusa non causetur ex actibus, tamen actus possunt ad eam disponere; unde
non est inconveniens quod per actus corrumpatur; quia per indispositionem
materiae tollitur forma, sicut propter indispositionem corporis anima
separatur.
17. Bien que la vertu infuse ne soit pas
causйe par des actes, toutefois des actes peuvent y disposer. Aussi n’est-il
pas inconvenant qu’elle soit corrompue par des actes, car la forme est
enlevйe par l’indisposition de la matiиre, de mкme qu’en raison de
l’indisposition du corps, l’вme est sйparйe.
[65790] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod virtus moralis non dicitur a
more secundum quod mos non significat consuetudinem appetitivae virtutis;
secundum hoc enim virtutes infusae possent dici morales, licet non causentur
ex consuetudine.
18. Une vertu n’est pas appelйe morale а
partir de mos [habitude], au sens oщ mos ne signifie pas une
habitude de la puissance appйtitive. En effet, si tel йtait le cas, les
vertus infuses pourraient кtre dites morales, bien qu’elles ne soient pas
causйes par une habitude.
[65791]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod actus virtutis
infusae non causant aliquem habitum, sed per eos augetur habitus praeexistens
: quia nec ex actibus virtutis acquisitae aliquis habitus generatur; alias
multiplicarentur habitus in infinitum.
19. Les actes de la vertu infuse ne causent
pas d’habitus, mais l’habitus prйexistant est augmentй par eux, car un
habitus n’est pas non plus engendrй par les actes de la vertu acquise.
Autrement, les habitus seraient multipliйs а l’infini.
1. Rien n’est augmentй qui ne soit une
quantitй. Or, la vertu n’est pas une quantitй, mais une qualitй. Elle n’est
donc pas augmentйe.
[65795] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 2 Praeterea, virtus est
forma accidentalis. Sed forma est simplicissima et invariabili essentia
consistens. Ergo virtus non variatur secundum suam essentiam; ergo nec
secundum essentiam augetur.
2. La vertu est une forme accidentelle. Or, la
forme a une essence trиs simple et invariable. La vertu ne varie donc pas
selon son essence. Elle n’est donc pas augmentйe pas non plus selon son essence.
[65796] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 3 Praeterea, quod augetur
movetur. Quod igitur secundum essentiam augetur, secundum essentiam movetur.
Sed quod mutatur secundum suam essentiam, corrumpitur vel generatur. Sed
generatio et corruptio sunt mutationes in substantia. Ergo caritas non augetur per essentiam, nisi cum corrumpitur vel
generatur.
3. Ce qui est augmentй est mы. Ce qui est
augmentй selon son essence est donc mы selon son essence. Or, ce qui est
changй selon son essence est corrompu ou engendrй. Or, la gйnйration et la
corruption sont des changements de substance. La charitй n’est donc pas
augmentйe selon son essence, si ce n’est lorsqu’elle est corrompue ou
engendrйe.
[65797] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 4 Praeterea, essentialia
non augentur nec minuuntur. Manifestum est autem quod essentia virtutis est
essentialis. Ergo virtus secundum essentiam non augetur.
4. Les йlйments essentiels ne sont ni
augmentйs ni diminuйs. Or, il est clair que l’essence de la vertu est
essentielle. La vertu n’est donc pas augmentйe selon son essence.
[65798] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 5 Praeterea,
contraria nata sunt fieri circa idem. Augmentum autem et diminutio sunt
contraria. Ergo nata sunt fieri circa idem. Virtus autem infusa non
diminuitur : quia neque diminuitur per actum virtutis, quia per eum magis
roboratur; neque per actum peccati venialis, quia sic multa peccata venialia
tollerent totaliter caritatem et alias virtutes infusas, quod est
impossibile; sic enim multa venialia aequipollerent uni peccato mortali;
neque etiam minuitur per peccatum mortale : quia mortale peccatum tollit
caritatem et alias virtutes infusas. Ergo virtus infusa non augetur.
5.
Les contraires sont destinйs а se produire а propos de la mкme chose. Or,
l’augmentation et la diminution sont des contraires. Ils sont donc destinйs а
se produire а propos de la mкme chose. Or, la vertu infuse n’est pas
diminuйe, car elle n’est pas diminuйe par un acte de vertu, puisque, par
celui-ci, elle est plutфt renforcйe; ni par un acte de pйchй vйniel, car
ainsi de multiples pйchйs vйniels enlиveraient totalement la charitй et les
autres vertus infuses, ce qui est impossible, car de multiples pйchйs vйniels
йquivaudraient а un seul pйchй mortel, puisque le pйchй mortel enlиve la
charitй et les autres vertus infuses. La vertu infuse n’augmente donc pas.
[65799] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 6 Praeterea, simile simili augetur, ut dicitur in II de anima.
Si ergo virtus infusa augetur, oportet quod augeatur per additionem virtutis.
Sed hoc non potest esse, quia virtus simplex est. Simplex autem simplici
additum non facit maius; sicut punctum additum puncto non facit lineam
maiorem. Ergo virtus infusa augeri non potest.
6.
Le semblable est augmentй par le semblable, comme il est dit dans Sur
l’вme, II. Si la vertu infuse est augmentйe, il faut donc qu’elle soit
augmentйe par l’addition d’une vertu. Mais cela ne peut pas кtre, car la
vertu est simple. Or, le simple ajoutй au simple ne rend pas plus grand,
comme le point ajoutй au point ne rend pas une ligne plus grande. La vertu
infuse ne peut donc pas кtre augmentйe.
[65800]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 7 Praeterea, I de generatione dicitur, quod augmentum
est praeexistentis magnitudinis additamentum. Si ergo virtus augetur, oportet
quod aliquid sibi addatur; et sic erit magis composita, et magis recedens a
divina similitudine, et per consequens minus bona; quod est inconveniens.
Relinquitur ergo quod virtus non augetur.
7.
Il est dit, dans Sur la gйnйration, I, que l’augmentation est une
addition а une grandeur prйexistante. Si la vertu est augmentйe, il est donc
nйcessaire que quelque chose lui soit ajoutй; elle sera ainsi composйe,
s’йloignera davantage de la ressemblance divine et, par consйquent, sera
moins bonne, ce qui est inacceptable. Il reste donc que la vertu n’est pas
augmentйe.
[65801] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 8 Praeterea, omne quod augetur, movetur; omne quod movetur, est
corpus; virtus non est corpus. Ergo non augetur.
8.
Tout ce qui est augmentй est mы. Or, tout ce qui est mы est un corps, et la
vertu n’est pas un corps. Elle n’est donc pas augmentйe.
[65802]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 9 Praeterea, cuius causa est invariabilis, et ipsum
est invariabile. Sed causa virtutis infusae, quae est Deus, invariabilis est.
Ergo virtus infusa est invariabilis; ergo non recipit magis et minus; et ita
non augetur.
9.
Ce dont la cause est invariable est lui aussi invariable. Or, la cause de la
vertu infuse, qui est Dieu, est invariable. La vertu infuse est donc
invariable. Elle ne reзoit donc pas du plus et du moins, et ainsi elle n’est
pas augmentйe.
[65803] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 10 Praeterea, virtus est in genere habitus, sicut et scientia.
Si ergo virtus augetur, oportet quod augeatur sicut et scientia augetur.
Scientia autem augetur per multiplicationem obiectorum, prout scilicet ad
plura se extendit. Sic autem non augetur virtus, ut patet in caritate : quia
minima caritas se extendit ad omnia diligenda secundum caritatem. Ergo virtus nullo modo augetur.
10.
La vertu se situe dans le genre habitus, comme la science. Si la vertu est
augmentйe, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe comme la science.
Or, la science est augmentйe par la multiplication des objets, dans la mesure
oщ elle s’йtend а un plus grand nombre de choses. Or, la vertu n’est pas
augmentйe de cette maniиre, comme cela ressort clairement pour la charitй,
car la moindre charitй s’йtend а tout ce qui doit кtre aimй selon la charitй.
La vertu n’est donc augmentйe d’aucune faзon.
[65804]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 11 Praeterea, si virtus augetur, oportet quod ad
aliquam speciem motus, eius augmentum reducatur. Sed non potest reduci nisi
ad alterationem, quae est motus in qualitate. Alteratio autem, secundum
philosophum, VII Physic., non est in anima nisi secundum partem sensitivam :
in qua non est caritas, neque plures aliarum virtutum infusarum. Ergo non
omnis virtus infusa augetur.
11.
Si la vertu est augmentйe, il est nйcessaire que son augmentation soit
ramenйe а une espиce. Or, elle ne peut кtre ramenйe qu’а l’altйration, qui
est un mouvement а l’intйrieur de la qualitй. Or, l’altйration, selon le
Philosophe, dans Physique, VII, n’existe dans l’вme que selon la
partie sensible, dans laquelle ne se trouvent pas la charitй, ni plusieurs
des autres vertus infuses. Toute vertu infuse n’est donc pas augmentйe.
[65805]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 12 Praeterea, si virtus infusa augetur, oportet quod
augeatur a Deo, qui eam causat. Si autem Deus eam auget, oportet quod hoc
fiat per alium eius influxum. Sed novus influxus non potest esse, nisi sit
nova virtus infusa. Ergo virtus infusa non potest augeri nisi per additionem
novae virtutis. Sic autem non potest augeri, ut supra ostensum est. Ergo virtus infusa nullo modo augetur.
12.
Si la vertu infuse est augmentйe, il est nйcessaire qu’elle soit augmentйe
par Dieu, qui en est la cause. Or, si Dieu l’augmente, il est nйcessaire que
cela se rйalise par une autre intervention de sa part. Or, il ne peut y avoir
d’autre intervention sans qu’il n’y ait une autre vertu infuse. La vertu
infuse ne peut donc кtre augmentйe que par l’addition d’une autre vertu. Or,
elle ne peut кtre augmentйe de cette maniиre, comme on l’a montrй plus haut.
La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe d’aucune faзon.
[65806] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 13 Praeterea, habitus maxime augentur ex actibus. Cum igitur
virtus sit habitus; si augetur, maxime augetur per suum actum. Sed hoc non potest esse, ut videtur; cum actus egrediatur ab habitu. Nihil autem augetur per hoc quod aliquid ab eo egreditur, sed per hoc
quod aliquid in eo recipitur. Ergo virtus nullo modo augetur.
13.
Les habitus sont augmentйs principalement par les actes. Puisque la vertu est
un habitus, si elle est augmentйe, elle sera augmentйe par son acte. Or, cela
n’est pas possible, semble-t-il, puisque l’acte est issu de l’habitus. Or,
rien n’est augmentй par le fait que quelque chose en est issu, mais par le
fait que quelque chose y est reзu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre
augmentйe.
[65807]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 14 Praeterea, omnes actus virtutis unius sunt rationis.
Si igitur aliqua virtus per suum actum augetur, oportet quod per quemlibet
actum augeatur; quod videtur esse falsum ex experimento : non enim experimur
quod virtus in quolibet actu crescat.
14.
Tous les actes de vertu ont une seule raison. Si une vertu est augmentйe par
son acte, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe par n’importe quel
acte, ce qui semble кtre faux d’aprиs l’expйrience : en effet, nous ne
faisons pas l’expйrience qu’une vertu soit augmentйe par n’importe quel acte.
[65808] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 15 Praeterea, illud cuius ratio in superlativo consistit, non
potest augeri : optimo enim non est aliquid melius, nec albissimo est aliquid
albius. Sed ratio virtutis in superlatione consistit : est enim virtus
ultimum potentiae. Ergo virtus non potest augeri.
15.
Ce dont la raison consiste dans le superlatif ne peut кtre augmentй : en
effet, rien n’est meilleur que ce qui est le meilleur, et rien n’est plus
blanc que ce qui est le plus blanc. Or, la raison de vertu consiste dans le
superlatif : en effet, la vertu est le point ultime d’une puissance. La vertu
ne peut donc кtre augmentйe.
[65809]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 16 Praeterea, omne illud cuius ratio consistit in
aliquo indivisibili, caret intensione et remissione; sicut forma
substantialis, et numerus, et figura. Sed ratio virtutis consistit in quodam
indivisibili : est enim in medietate consistens. Ergo virtus non intenditur
neque remittitur.
16.
L’intensitй et la diminution font dйfaut а tout ce dont la raison consiste
dans quelque chose d’indivisible, tels une forme substantielle, un nombre et
une figure. Or, la raison de vertu consiste dans quelque chose d’indivisible
: en effet, elle consiste dans un milieu. La vertu n’a donc ni intensitй ni
diminution.
[65810] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 17 Praeterea, nullum infinitum potest augeri; quia infinito non
est aliquid magis. Sed virtus infusa est infinita, quia per eam meretur homo
infinitum bonum, scilicet Deum. Ergo virtus infusa augeri non potest.
17.
Aucun infini ne peut кtre augmentй, car il n’y a rien de plus que l’infini.
Or, la vertu infuse est infinie, car l’homme mйrite par elle un bien infini,
а savoir, Dieu. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe.
[65811] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 18 Praeterea,
nulla res procedit ultra suam perfectionem, quia perfectio est terminus rei.
Sed virtus est perfectio habentis eam; dicitur enim VII Physic., quod virtus
est dispositio perfecti ad optimum. Ergo virtus non augetur.
18.
Aucune chose ne va au-delа de sa perfection, car la perfection est le terme
d’une chose. Or, la vertu est la perfection de celui qui la possиde. En
effet, il est dit dans Physique, VII, que la vertu est une disposition
du parfait а ce qu’il y a de meilleur. La vertu n’est donc pas augmentйe.
Cependant :
[65812] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod dicitur I Petr., II, v. 2 : sicut modo geniti infantes, rationabiles
et sine dolo, lac concupiscite, ut in eo crescatis in salutem. Non autem
crescit aliquis in salutem nisi per augmentum virtutis, per quam homo in
salutem ordinatur. Ergo virtus augetur.
1.
Il est dit en 1 P 2, 2 : Comme des enfants nouveau-nйs,
sans hypocrisie et sans ruse, dйsirez le lait afin de grandir par lui en vue
du salut. Or, personne ne grandit en vue du salut que par l’augmentation
de la vertu, par laquelle l’homme est ordonnй au salut. La vertu est donc
augmentйe.
2. Augustin dit que la charitй est augmentйe,
afin que, par son accroissement, nous mйritions de devenir parfaits.
Rйponse :
[65814] De virtutibus, q.
1 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod multis error accidit circa formas ex
hoc quod de eis iudicant sicut de substantiis iudicatur. Quod quidem ex hoc
contingere videtur, quod formae per modum substantiarum signantur in
abstracto, ut albedo, vel virtus, aut aliquid huiusmodi; unde aliqui modum
loquendi sequentes, sic de eis iudicant ac si essent substantiae. Et ex hinc
processit error tam eorum qui posuerunt latitationem formarum, quam eorum qui
posuerunt formas esse a creatione. Aestimaverunt enim quod formis competeret
fieri sicut competit substantiis; et ideo non invenientes ex quo formae
generentur, posuerunt eas vel creari, vel praeexistere in materia; non
attendentes, quod sicut esse non est formae, sed subiecti per formam, ita nec
fieri, quod terminatur ad esse, est formae, sed subiecti. Sicut enim forma ens
dicitur, non quia ipsa sit, si proprie loquamur, sed quia aliquid ea est; ita
et forma fieri dicitur, non quia ipsa fiat, sed quia ea aliquid fit : dum
scilicet subiectum reducitur de potentia in actum. Sic autem et circa
augmentum qualitatum accidit; de quo aliqui locuti sunt ac si qualitates et
formae substantiae essent. Substantia autem augeri dicitur, in quantum ipsa
est subiectum motus quo pervenitur de minori quantitate in maiorem, qui motus
augmenti dicitur. Et quia augmentum substantiae fit per additionem
substantiae ad substantiam; quidam aestimaverunt, quod hoc modo caritas, sive
quaelibet virtus infusa, augeatur per additionem caritatis ad caritatem, vel
virtutis ad virtutem, aut albedinis ad albedinem : quod omnino stare non
potest. Nam non potest intelligi additio unius ad alterum nisi praeintellecta
dualitate. Dualitas autem in formis unius speciei non potest intelligi nisi
per alietatem subiecti. Formae enim unius speciei non diversificantur numero
nisi per subiectum. Si igitur qualitas additur qualitati, oportet alterum
duorum esse : vel quod subiectum addatur subiecto, ut puta quod unum album
addatur alteri albo; aut quod aliquid in subiecto fiat album, quod prius non
fuit album, ut quidam posuerunt circa qualitates corporeas; quod etiam improbat
philosophus in IV physicorum. Cum enim aliquid fit magis curvum, non curvatur
aliquid quod prius curvum non fuit, sed totum fit magis curvum. Circa
qualitates autem spirituales, quarum subiectum est anima, vel pars animae
impossibile est etiam hoc fingere. Unde quidam alii dixerunt caritatem, et
alias virtutes infusas, non augeri essentialiter; sed quod dicuntur augeri,
vel in quantum radicantur fortius in subiecto, vel in quantum ferventius vel
intensius operantur. Sed hoc quidem dictum aliquam rationem haberet, si
caritas esset quaedam substantia habens per se esse absque substantia; unde
et Magister sententiarum, aestimans caritatem esse aliquam substantiam,
scilicet ipsum spiritum sanctum, non irrationabiliter hunc modum augmenti
posuisse videtur. Sed alii, aestimantes caritatem esse qualitatem quamdam,
penitus irrationabiliter sunt locuti. Nihil enim est aliud qualitatem aliquam
augeri, quam subiectum magis participare qualitatem; non enim est aliquod
esse qualitatis nisi quod habet in subiecto. Ex hoc autem ipso quod subiectum
magis participat qualitatem, vehementius operatur; quia unumquodque agit in
quantum est actu; unde quod magis est reductum in actum, perfectius agit.
Ponere igitur quod aliqua qualitas non augeatur secundum essentiam, sed augeatur
secundum radicationem in subiecto, vel secundum intensionem actus, est ponere
contradictoria esse simul. Et ideo considerandum restat quomodo aliquae
qualitates et formae augeri dicuntur; et quae sunt quae augeri possunt.
Sciendum est ergo, quod cum nomina sint signa intellectuum, ut dicitur I
Periher.; sicut ex magis notis cognoscimus minus nota, ita etiam ex magis
notis minus nota nominamus. Et inde est quod, quia motus localis est notior
inter omnes motus, ex contrarietate secundum locum derivatur nomen distantiae
ad omnia contraria inter quae potest esse aliquis motus; ut dicit philosophus
X Metaph. Et similiter, quia motus substantiae secundum quantitatem est
sensibilior quam motus secundum alterationem; inde est quod nomina
convenientia motui secundum quantitatem derivantur ad alterationem. Et inde
est quod, sicut corpus quod movetur ad quantitatem perfectam dicitur augeri,
et ipsa quantitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae; ita illud quod
movetur de qualitate imperfecta ad perfectam, dicitur augeri secundum
qualitatem; et ipsa qualitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae. Et
quia perfectio uniuscuiusque rei est eius bonitas; ideo Augustinus dicit,
quod in his quae non magna mole sunt, idem est esse maius quod melius. Moveri
autem de forma imperfecta ad perfectam, nihil est aliud quam subiectum magis
reduci in actum : nam forma actus est; unde subiectum magis percipere formam,
nihil aliud est quam ipsum reduci magis in actum illius formae. Et sicut ab
agente reducitur aliquid de pura potentia in actum formae; ita etiam per
actionem agentis reducitur de actu imperfecto in actum perfectum. Sed hoc non
contingit in omnibus formis, propter duo. Primo quidem ex ipsa ratione
formae; eo scilicet quod id quod perficit rationem formae, est aliquid
indivisibile, puta numerus. Nam unitas addita constituit speciem : unde
binarius aut trinarius non dicitur secundum magis et minus; et per consequens
non invenitur magis et minus neque in quantitatibus quae denominantur a
numeris, puta bicubitum vel tricubitum, neque in figuris, puta triangulare et
quadratum; et in proportionibus, puta duplum et triplum. Alio modo ex comparatione formae ad subiectum; quia inhaeret ei modo
indivisibili. Et propter hoc forma substantialis non recipit intensionem vel
remissionem, quia dat esse substantiale, quod est uno modo : ubi enim est
aliud esse substantiale, est alia res; et propter hoc philosophus, VIII
Metaphys., assimilat definitiones numeris. Et inde est etiam quod nihil quod
substantialiter de altero praedicatur, etiam si sit in genere accidentis,
praedicatur secundum magis et minus; non enim dicitur albedo magis et minus
color. Et propter hoc etiam qualitates in abstracto signatae, quia signantur
per modum substantiae, nec intenduntur nec remittuntur; non enim dicitur
albedo magis et minus, sed album. Neutra autem istarum causarum est in
caritate et in aliis virtutibus infusis, quare non intendantur et
remittantur; quia neque earum ratio in indivisibili consistit, sicut ratio
numeri; neque dant esse substantiale subiecto, sicut formae substantiales; et
ideo intenduntur et remittuntur, in quantum subiectum reducitur magis in
actum ipsarum per actionem agentis causantis eas. Unde sicut virtutes
acquisitae augentur ex actibus per quos causantur, ita virtutes infusae
augentur per actionem Dei, a quo causantur. Actus autem nostri comparantur ad
augmentum caritatis et virtutum infusarum, ut disponentes, sicut ad caritatem
a principio obtinendam; homo enim faciens quod in se est, praeparat se, ut a
Deo recipiat caritatem. Ulterius autem actus nostri possunt esse meritorii
respectu augmenti caritatis; quia praesupponunt caritatem, quae est
principium merendi. Sed nullus potest mereri, quin a principio obtineat
caritatem; quia meritum sine caritate esse non potest. Sic igitur caritatem
augeri per intensionem dicimus.
Beaucoup commettent une erreur а propos des
formes parce qu’ils en jugent comme on juge des substances. Cela semble
provenir du fait que les formes sont exprimйes dans l’abstrait par mode de
substances, comme la blancheur ou la vertu, ou quelque chose de ce genre.
Aussi certains, en suivant cette maniиre de parler, en jugent-ils comme si
elles йtaient des substances. Et de cela vient l’erreur aussi bien de ceux
qui ont affirmй le caractиre cachй des formes, que de ceux qui ont affirmй
que les formes existent par crйation. En effet, ils ont estimй qu’il
convenait aux formes de devenir а la maniиre des substances ; c’est
pourquoi, ne trouvant pas comment les formes йtaient engendrйes, ils ont
affirmй qu’elles йtaient crййes ou qu’elles prйexistaient dans la matiиre, en
ne remarquant pas que, de mкme de l’acte d’кtre n’appartient pas а la forme
mais au sujet par la forme, de mкme le devenir, qui se termine а l’acte
d’кtre, n’appartient-il pas а la forme mais au sujet. En effet, de mкme qu’on
dit que la forme est un кtre, non pas parce qu’elle-mкme existe, а parler
proprement, mais parce que quelque chose existe par elle, de mкme dit-on
qu’une forme devient, non pas parce qu’elle-mкme devient, mais parce que
quelque chose devient par elle, а savoir, lorsque le sujet est amenй de la
puissance а l’acte. Il en est de mкme pour l’augmentation des qualitйs, dont
certains ont parlй comme si les qualitйs et les formes йtaient des
substances. Or, on dit qu’une substance augmente pour autant qu’elle est le
sujet d’un mouvement par lequel on passe d’une quantitй moindre а une
quantitй plus grande, ce qu’on appelle le mouvement d’augmentation. Et parce
que l’augmentation de la substance se fait par l’ajout d’une substance а une
substance, certains ont estimй que la charitй, ou n’importe quelle vertu
infuse, йtait augmentйe par l’addition de la charitй а la charitй, ou de la
vertu а la vertu, ou de la blancheur а la blancheur, ce qui ne peut кtre
soutenu. Car on ne peut comprendre l’addition d’une chose а une autre que si
on a d’abord compris la dualitй. Or, la dualitй pour les formes d’une mкme
espиce ne peut se comprendre que par l’altйritй du sujet. En effet, les
formes d’une espиce ne se diffйrencient en nombre que par le sujet. Si donc
la qualitй est ajoutйe а la qualitй, il est nйcessaire qu’une de deux choses
se produise : ou bien qu’un sujet soit ajoutй а un sujet, par exemple, que
quelque chose de blanc soit ajoutй а une autre chose blanche ; ou bien
que quelque chose devienne blanc dans le sujet, alors que ce n’йtait pas
blanc auparavant, comme certains l’ont affirmй а propos des formes
corporelles, ce que rejette aussi le Philosophe, dans Physique, IV. En
effet, lorsqu’une chose devient davantage courbйe, quelque chose n’est pas
courbй qui n’йtait pas courbй auparavant, mais l’ensemble devient plus
courbй. Or, а propos des qualitйs spirituelles, dont le sujet est l’вme ou
une partie de l’вme, il est impossible mкme de se reprйsenter cela. Aussi
d’autres ont-ils dit que la charitй et les autres vertus infuses n’йtaient
pas augmentйes essentiellement, mais qu’on disait qu’elles йtaient augmentйes
soit parce qu’elles йtaient plus fortement enracinйes dans le sujet, soit
parce qu’elles agissaient avec plus de ferveur ou d’intensitй. Mais cela
aurait quelque fondement si la charitй йtait une substance pouvant exister
par elle-mкme sans une substance. Ainsi, le Maоtre des Sentences,
estimant que la charitй est une certaine substance, а savoir, l’Esprit Saint,
semble avoir affirmй ce mode d’augmentation d’une maniиre qui n’est pas
dйraisonnable. Mais d’autres, estimant que la charitй est une certaine
qualitй, ont parlй d’une maniиre tout а fait dйraisonnable. En effet, кtre
augmentйe, pour une qualitй, n’est rien d’autre que le fait pour le sujet d’y
participer davantage : en effet, la qualitй n’a pas d’autre кtre que celui
qu’elle a dans le sujet. Or, par le fait que le sujet participe davantage а
une qualitй, il agit avec plus de vigueur, car chacun agit dans la mesure oщ
il est en acte. Aussi ce qui a йtй davantage amenй а l’acte agit-il plus
parfaitement. Affirmer qu’une qualitй n’est pas augmentйe selon son essence,
mais qu’elle est augmentйe selon son enracinement dans le sujet ou selon
l’intensitй de son acte, c’est affirmer en mкme temps des contraires. C’est
pourquoi il reste а examiner comment on dit que certaines qualitйs et formes
sont augmentйes, et quelles sont celles qui peuvent кtre augmentйes. Il faut
donc savoir que, puisque les mots sont des signes des choses comprises, comme
il est dit dans Sur l’interprйtation, I, de mкme que nous connaissons
les choses moins connues а partir des plus connues, de mкme aussi
nommons-nous les moins connues а partir des plus connues. De lа vient que,
parce que le mouvement local est plus connu que tous les autres mouvements,
le mot «distance» est dйrivй de ce qui est contraire selon le lieu а tous les
contraires entre lesquels peut exister un mouvement, comme le dit le
Philosophe dans Mйtaphysique, X. De la mкme faзon, parce que le
mouvement de la substance selon la quantitй est plus perceptible que le
mouvement selon l’altйration, de lа vient que les mots convenant au mouvement
selon la quantitй sont appliquйs а l’altйration. Et de lа vient que, de mкme
qu’on dit qu’un corps qui est mы vers une quantitй parfaite est augmentй, et
que la quantitй parfaite est appelйe grande par rapport а l’imparfaite, de
mкme dit-on que ce qui est mы d’une qualitй imparfaite а une [qualitй]
parfaite est augmentй selon la qualitй, et que la qualitй parfaite elle-mкme
est dite grande par rapport а l’imparfaite. Et parce que la perfection de
toute chose est sa bontй, c’est la raison pour laquelle Augustin dit que,
dans les choses qui n’ont pas beaucoup d’importance, c’est la mкme chose
d’кtre plus grand que meilleur. Or, кtre mы d’une forme imparfaite а [une
forme] parfaite n’est rien d’autre que le fait pour un sujet d’кtre amenй
davantage а l’acte, car la forme est un acte. Ainsi, qu’un sujet reзoive
davantage une forme, cela n’est rien d’autre que le fait pour lui d’кtre
davantage amenй а l’acte de cette forme. Et de mкme qu’une chose est amenйe
de la puissance pure а l’acte de la forme, de mкme aussi est-elle amenйe d’un
acte imparfait а un acte parfait par l’action de l’agent. Mais cela ne se
produit pas dans toutes les formes pour deux raisons. Premiиrement, en raison
mкme de la forme, а savoir que ce qui rйalise la raison de la forme est
quelque chose d’indivisible, par exemple, un nombre. Car l’unitй ajoutйe
constitue une espиce : aussi ne parle-t-on pas de ce qui est double ou triple
en termes de plus ou de moins ; par consйquent, on ne trouve pas non
plus de plus ou de moins dans les quantitйs qui sont dйsignйes а partir des
nombres, par exemple, ce qui a deux coudйes ou trois coudйes, ni dans les
figures, par exemple, ce qui est triangulaire ou carrй, ni dans les
proportions, par exemple, ce qui est double ou triple. D’une autre maniиre,
par comparaison de la forme au sujet, car elle existe en lui de maniиre
indivisible. Pour cette raison, la forme substantielle ne reзoit-elle pas
d’intensitй ou de diminution, car elle donne l’кtre substantiel, qui existe
d’une seule maniиre : en effet, lа oщ il y a un autre кtre substantiel, il y
a une autre chose. Pour cette raison, le Philosophe, dans Mйtaphysique, VIII,
assimile les dйfinitions aux nombres. Et de lа vient aussi que rien de ce qui
est attribuй а quelque chose d’autre а titre de substance, mкme si cela fait
partie du genre de l’accident, ne lui est attribuй en plus ou en moins : en
effet, on ne dit pas que la blancheur est plus ou moins une couleur. Et pour
cette raison, les qualitйs dйsignйes dans l’abstrait, parce qu’elles sont
dйsignйes par mode de substance, ne sont-elles pas intensifiйes ni diminuйes
: en effet, on n’attribue pas de plus ou de moins а la blancheur, mais а ce
qui est blanc. Or, aucune de ces causes n’existe dans la charitй et dans les
autres vertus infuses, pour lesquelles elles ne seraient pas intensifiйes et
diminuйes, car leur raison ne consiste pas en quelque chose d’indivisible,
comme la raison de nombre ; elles ne donnent pas non plus l’кtre
substantiel а leur sujet, comme les formes substantielles. Et c’est la raison
pour laquelle elles sont intensifiйes et diminuйes dans la mesure oщ leur
sujet est davantage amenй а leur acte par l’action de l’agent qui les cause.
Aussi, de mкme que les vertus acquises sont augmentйes par les actes par
lesquels elles sont causйes, de mкme les vertus infuses sont-elles augmentйes
par l’action de Dieu, par qui elles sont causйes. Mais nos actes se comparent
а l’augmentation de la charitй et des vertus infuses en tant qu’ils y
disposent, comme c’est le cas au dйpart pour l’obtention de la charitй. En
effet, l’homme, en faisant ce qui relиve de lui, se prйpare а recevoir de
Dieu la charitй. Davantage encore, nos actes peuvent кtre mйritoires par
rapport а l’augmentation de la charitй, car ils prйsupposent la charitй, qui
est le principe du mйrite. Mais personne ne peut mйriter au dйpart d’obtenir
la charitй, car le mйrite ne peut exister sans la charitй. Ainsi disons-nous
donc que la charitй est augmentйe en intensitй.
Solutions
:
[65815]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in caritate et
aliis qualitatibus dicitur augmentum per similitudinem, ita et quantitas, ut
ex dictis, in corp. art., patet.
1. Comme pour la charitй et les autres
qualitйs, on parle d’augmentation par similitude. Il en va de mкme pour la
quantitй, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit dans le corps de
l’article.
[65816] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma est invariabilis, quia non est
variationis subiectum; potest tamen dici variabilis, prout subiectum secundum
eam variatum, plus et minus eam participat.
2. La forme est invariable parce qu’elle n’est
pas le sujet de la variation. Toutefois, elle peut кtre dite variable pour
autant que le sujet, qui varie selon elle, y participe plus ou moins.
[65817]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus alicuius rei potest
intelligi secundum essentiam dupliciter. Uno modo quantum ad id quod est
proprium, esse scilicet essentialis, vel non esse; et sic motus secundum
essentiam non est nisi motus secundum esse et non esse, qui est generatio et
corruptio. Alio modo, potest intelligi motus secundum essentiam, si sit motus
secundum quodcumque adhaerens essentiae; sicut dicimus corpus essentialiter
moveri quando movetur secundum locum, quia de loco ad locum eius subiectum
transfertur; sicut etiam et aliqua qualitas dicitur suo modo moveri
essentialiter, prout variatur secundum perfectum et imperfectum, vel magis
subiectum secundum eam ut ex dictis, in corp. art., patet.
3. On peut entendre le mouvement d’une chose
selon son essence de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre, а savoir,
l’кtre de ce qui est essentiel ou le non-кtre. Et ainsi, le mouvement selon
l’essence n’est que le mouvement selon l’кtre et le non-кtre, qui est la
gйnйration et la corruption. D’une autre maniиre, on peut l’entendre selon le
mouvement de l’essence, s’il s’agit du mouvement de quoi que ce soit qui est
associй а l’essence, comme nous disons qu’un corps est mы essentiellement
lorsqu’il est mы selon le lieu, parce que son sujet passe d’un lieu а un
autre. Comme on dit aussi qu’une qualitй est mue а sa faзon selon son
essence, pour autant qu’elle varie selon le parfait et l’imparfait, ou qu’une
chose lui est davantage soumise, comme cela ressort clairement de ce qui a
йtй dit dans le corps de l’artice.
[65818] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod praedicatur essentialiter de
caritate, non praedicatur de ea secundum magis et minus : non enim dicitur
magis vel minus virtus; sed maior caritas dicitur magis virtus propter modum
significandi, quia significatur ut substantia. Sed quia ipsa non praedicatur
essentialiter de suo subiecto, subiectum secundum eam recipit magis et minus
: ut dicatur subiectum habens magis caritatis vel minus; et quod est habens
magis caritatem est magis virtuosum.
4. Ce qui est attribuй de maniиre essentielle
а la charitй ne lui est pas attribuй en plus ou en moins : en effet, on ne
dit pas qu’elle est plus ou moins une vertu. Mais on dit d’une charitй plus
grande qu’elle est davantage vertu selon la maniиre de la signifier, car elle
est signifiйe comme une substance. Mais parce qu’elle n’est pas elle-mкme
attribuйe de maniиre essentielle а son sujet, son sujet reзoit d’elle plus ou
moins, de sorte qu’on parle d’un sujet qui a plus ou moins de charitй, et que
celui qui a plus de charitй est plus vertueux.
[65819]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non diminuitur,
quia non habet causam diminutionis, ut Ambrosius probat; habet autem causam
augmenti, scilicet Deum.
5. La charitй n’est pas diminuйe parce qu’elle
n’a pas de cause de diminution, comme le montre Ambroise. Mais elle a une
cause d’augmentation, а savoir, Dieu.
[65820] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod augmentum quod fit per additionem, est
augmentum substantiae quantae. Sic autem caritas non augetur, ut dictum est
in corp. art.
6.
L’augmentation qui se fait par addition est une augmentation d’une substance
quantifiйe. Mais la charitй n’est pas augmentйe de cette maniиre, comme on
l’a dit dans le corps de l’article.
7.
La solution de la septiиme objection ressort ainsi clairement.
[65822] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
caritas dicitur augeri vel moveri, non quia ipsa sit subiectum motus, sed
quia eius subiectum secundum ipsam movetur et augetur.
8. On dit que la charitй est augmentйe ou est
mue, non parce que la charitй est elle-mкme le sujet du mouvement, mais parce
que le sujet est mы et augmentй selon elle.
[65823]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus sit invariabilis,
tamen absque sua variatione variat res; non enim est necessarium ut omne
movens moveatur, ut probatur in Lib. Physic.
Et hoc praecipue Deo competit, quia non agit per necessitatem naturae, sed
per voluntatem.
9. Bien que Dieu ne change pas, cependant une
chose change sans qu’il change. En effet, il n’est pas nйcessaire que tout ce
qui meut soit mы, comme il est dйmontrй dans Physique. Et cela
convient principalement а Dieu, parce qu’il n’agit pas par nйcessitй de
nature, mais par volontй.
[65824] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod omnibus qualitatibus et formis est
communis ratio magnitudinis quae dicta est, scilicet perfectio earum in
subiecto. Aliquae tamen qualitates, praeter istam magnitudinem seu
quantitatem quae competit eis per se, habent aliam magnitudinem vel
quantitatem quae competit eis per accidens; et hoc dupliciter. Uno modo
ratione subiecti; sicut albedo dicitur quanta per accidens, quia subiectum
eius est quantum; unde augmentato subiecto, augmentatur albedo per accidens.
Sed secundum hoc augmentum, non dicitur aliquid magis album, sed maior
albedo, sicut et dicitur aliquid maius album : non enim aliter praedicantur
ea quae pertinent ad hoc augmentum, de albedine, et de subiecto ratione cuius
albedo per accidens augeri dicitur. Sed hic modus quantitatis et augmenti non
competit qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Alio modo
quantitas et augmentum attribuitur alicui qualitati per accidens, ex parte
obiecti in quod agit : et haec dicitur quantitas virtutis; quae magis dicitur
propter quantitatem obiecti vel continentiam; sicut dicitur magnae virtutis
qui magnum pondus potest ferre, vel qualitercumque potest magnam rem facere,
sive magnitudine dimensiva, sive magnitudine perfectionis, vel secundum
quantitatem discretam; sicut dicitur aliquis magnae virtutis qui potest multa
facere. Et hoc modo quantitas per accidens potest attribui qualitatibus
animae, scilicet scientiis et virtutibus. Sed tamen hoc interest inter
scientiam et virtutem : quia de ratione scientiae non est quod se extendat in
actum respectu omnium obiectorum : non enim est necesse quod sciens omnia
scibilia cognoscat. Sed de ratione virtutis est quod in omnibus virtuose se
agat. Unde scientia potest augeri vel secundum numerum obiectorum, vel
secundum intensionem eius in subiecto; virtus autem uno modo tantum. Sed
considerandum est, quod eiusdem rationis est quod aliqua qualitas in aliquid
magnum possit, et quod ipsa sit magna, sicut ex supradictis patet; unde etiam
magnitudo perfectionis potest dici magnitudo virtutis.
10. Toutes les qualitйs et formes ont la
commune raison de grandeur qui a йtй dite, а savoir, leur perfection dans le
sujet. Cependant, certaines qualitйs, en
plus de cette grandeur ou quantitй qui leur convient en elles-mкmes, ont une
autre grandeur ou quantitй qui leur convient par accident, et cela, de deux
maniиres. D’une maniиre, en raison du sujet, comme on dit que la blancheur
est grande par accident, parce que son sujet est ce qui quantifiй ; aussi,
si le sujet est augmentй, la blancheur est-elle augmentйe par accident. Mais,
selon cette augmentation, on ne dit pas qu’une chose est davantage blanche,
mais qu’il y a une blancheur plus grande, comme on dit que quelque chose est
plus blanc. En effet, on attribue de maniиre diffйrente ce qui se rapporte а
l’augmentation а la blancheur et au sujet, en raison duquel on dit que la
blancheur est augmentйe par accident. Mais ce mode de quantitй et
d’augmentation ne convient pas aux qualitйs de l’вme, а savoir, les sciences
et les vertus. D’une autre maniиre, la quantitй et l’augmentation sont
attribuйes а une qualitй par accident du point de vue de l’objet oщ elle agit
: et c’est celle-lа qu’on appelle quantitй de la vertu, qui est attribuйe
davantage en raison de la quantitй de l’objet ou de ce qu’il peut contenir,
comme on dit que celui qui peut porter un plus grand poids a une plus grande
force, ou pour n’importe qu’elle grande chose qu’il peut faire, soit pour la
grandeur selon la dimension, soit pour la grandeur selon la perfection, soit
pour la quantitй discrиte, comme on dit de quelqu’un qui peut faire beaucoup
de choses qu’il a une grande vertu. De cette maniиre, la quantitй peut кtre
attribuйe par accident aux qualitйs de l’вme, а savoir, aux sciences et aux vertus.
Toutefois, il y a une diffйrence entre la science et la vertu, car il ne fait
pas partie de la raison de la science que quelqu’un se porte en acte vers
tous les objets : en effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui connaоt
connaisse tout ce qui peut кtre connu. Mais il est de la raison de la vertu
qu’il se comporte vertueusement en tout. Aussi la science peut-elle кtre
augmentйe soit par le nombre des objets, soit par son intensitй dans le
sujet ; mais la vertu [ne peut кtre augmentйe] que d’une seule faзon.
Mais il faut observer qu’il relиve de la mкme raison qu’une qualitй puisse
faire quelque chose de grand, et qu’elle soit elle-mкme grande, comme cela
ressort clairement de ce qui a йtй dit. En consйquence, mкme la grandeur de
la perfection peut кtre dite grandeur de la vertu.
[65825]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod motus augmenti caritatis
reducitur ad alterationem, non secundum quod alteratio est inter contraria,
prout est tantum in sensibilibus, et in sensibili parte animae; sed prout
alteratio et passio dicitur secundum receptionem et perfectionem; sicut
sentire et intelligere est quoddam pati et alterari. Et sic distinguit
philosophus alterationem et passionem in II de anima.
11. Le mouvement d’augmentation de la charitй
se ramиne а l’altйration, non pas selon que l’altйration se rйalise entre des
contraires, pour autant qu’elle existe dans les choses sensibles et dans la
partie sensible de l’вme, mais selon qu’on parle d’altйration et de passion
selon la rйception et la perfection, comme sentir et comprendre sont d’une
certaine maniиre une passion et une altйration. C’est ainsi que le Philosophe
fait une distinction entre l’altйration et la passion, dans Sur l’вme, II.
[65826] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus auget caritatem, non novam caritatem
infundendo, sed eam quae praeexistebat, perficiendo.
12.
Dieu augmente la charitй, non pas en infusant une nouvelle charitй, mais en
perfectionnant celle qui prйexistait.
[65827]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sicut actus
egrediens ab agente potest causare virtutem acquisitam propter impressionem
virtutum activarum in passivis, ut supra dictum est; ita et potest eam
augere.
13. De mкme que l’acte issu d’un agent peut
causer la vertu acquise en raison de l’impression des puissances actives sur
les [puissances] passives, comme on l’a dit plus haut, de mкme peut-il
l’augmenter.
[65828] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas et aliae virtutes
infusae non augentur active ex actibus, sed tantum dispositive et meritorie,
ut dictum est. Nec tamen oportet quod quilibet actus perfectus correspondeat
quantitati virtutis : non enim oportet quod habens caritatem, semper operetur
secundum totum posse caritatis; usus enim habituum subiacet voluntati.
14. La charitй et les autres vertus infuses ne
sont pas augmentйes de maniиre active par les actes, mais seulement par mode
de disposition et de mйrite, comme on l’a dit. Toutefois, il n’est pas
nйcessaire que tout acte parfait corresponde а la quantitй de la vertu : en
effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui a la charitй agisse toujours
selon tout ce que peut la charitй, car l’usage des habitus est soumis а la
volontй.
[65829]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ratio virtutis non
consistit in superlatione quantum ad se, sed quantum ad suum obiectum : quia
per virtutem ordinatur homo ad ultimum potentiae, quod est bene operari; unde
philosophus dicit, VII Phys., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum.
Tamen ad hoc optimum aliquis potest esse magis, vel minus dispositus; et
secundum hoc, virtus recipit magis vel minus. Vel dicendum, quod ultimum non
dicitur simpliciter, sed ultimum specie; sicut ignis est specie subtilissimum
corporum, et homo dignissima creaturarum; et tamen unus homo est dignior
altero.
15. La raison de vertu ne consiste pas par
elle-mкme dans le superlatif, mais elle se prend de son objet, car, par la
vertu, l’homme est ordonnй au point le plus йlevй de sa puissance, ce qui est
bien agir. Aussi le Philosophe dit-il, dans Physique, VII, que la
vertu est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur.
Toutefois, quelqu’un peut кtre plus ou moins bien disposй а ce qui est le
meilleur : de ce point de vue, la vertu reзoit plus ou moins. Ou bien il faut
dire qu’on ne parle pas de point le plus йlevй tout simplement, mais du point
le plus йlevй selon l’espиce, comme le feu est, selon son espиce, le plus
subtil des corps, et l’homme la plus digne des crйatures. Et cependant, un
homme est plus digne qu’un autre.
[65830] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in
indivisibili secundum se, sed ratione sui subiecti, in quantum quaerit medium
: ad quod quaerendum potest aliquis diversimode se habere, vel peius vel
melius. Et tamen ipsum medium non est omnino indivisibile; habet enim aliquam
latitudinem : sufficit enim ad virtutem quod appropinquet ad medium, ut
dicitur II Ethic.; et propter hoc unus actus altero virtuosior dicitur.
16. La raison de vertu ne consiste pas en
quelque chose d’indivisible en soi, mais en raison de son sujet, pour autant
qu’elle cherche un milieu, envers la recherche duquel quelqu’un peut se
comporter de diverses maniиres, pire ou meilleure. Cependant,
le milieu lui-mкme n’est pas du tout indivisible. En effet, il comporte une
certaine йtendue, puisqu’il suffit que la vertu s’approche du milieu, comme
il est dit dans Йthique, II. Pour cette raison, on dit qu’un acte est
plus vertueux qu’un autre.
[65831]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod virtus caritatis
est infinita ex parte Dei, vel finis; sed ad illum infinitum caritas finite
disponit; unde potest magis vel minus esse.
17. La vertu de charitй est infinie de la part
de Dieu ou de sa fin ; mais la charitй dispose а cet infini de maniиre
finie. Aussi peut-elle exister en plus ou en moins.
[65832] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non omne perfectum est
perfectissimum, sed solum illud quod est in ultimo actualitatis; et ideo
nihil prohibet, quod est perfectum secundum virtutem, adhuc magis perfici.
18. Tout ce qui est parfait n’est pas le plus
parfait, mais seulement ce qui atteint le plus haut point de mise en acte.
C’est pourquoi rien n’empкche que ce qui est parfait selon la vertu soit
rendu encore plus parfait.
Il semble que les vertus ne sont pas
correctement distinguйes.
[65835] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 1 Moralia enim recipiunt speciem ex fine. Si igitur virtutes
distinguantur secundum speciem, oportet quod hoc sit ex parte finis. Sed non ex parte finis proximi : quia sic essent infinitae virtutes
secundum speciem. Ergo ex parte finis ultimi. Sed finis ultimus virtutum est unus tantum,
scilicet Deus, sive felicitas. Ergo est una tantum virtus.
1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce
de la fin. Si donc les vertus sont distinguйes selon leur espиce, il est
nйcessaire que cela vienne de la fin. Or, cela ne vient pas de la fin
prochaine, car alors les vertus seraient infinies selon l’espиce. Cela vient
donc de la fin ultime. Or, la fin ultime des vertus est unique, а savoir,
Dieu, ou la fйlicitй. Il n’y a donc qu’une seule vertu.
[65836] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 2 Praeterea,
ad unum finem pervenitur una operatione. Una autem operatio est ex una forma.
Ergo ad unum finem ordinatur homo per unam formam. Finis autem hominis est
unus : scilicet felicitas. Ergo et virtus, quae est forma per quam homo
ordinatur ad felicitatem, est una tantum.
2. On parvient а une seule fin par une seule
opйration. Or, l’opйration unique vient d’une seule forme. L’homme est donc
ordonnй а une seule fin par une seule forme. Or, la fin de l’homme est
unique, а savoir, la fйlicitй. La vertu aussi est donc unique, elle qui est
la forme par laquelle l’homme est ordonnй а la fйlicitй.
[65837] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 3 Praeterea, formae et accidentia
recipiunt numerum secundum materiam vel subiectum. Subiectum autem virtutis
est anima, vel potentia animae. Ergo videtur quod virtus sit una tantum, quia
anima est una; vel saltem quod virtutes non excedant numerum potentiarum
animae.
3. Les formes et les accidents reзoivent leur
nombre de la matiиre ou du sujet. Or, le sujet de la vertu est l’вme ou une
puissance de l’вme. Il semble donc que la vertu soit unique, car l’вme est
unique ; ou tout au moins, que les vertus ne sont pas plus nombreuses que
les puissances de l’вme.
[65838]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 4 Praeterea, habitus distinguuntur per obiecta, sicut
et potentiae. Cum ergo virtutes sint quidam habitus : videtur quod eadem sit
ratio distinctionis virtutum et potentiarum animae; et sic, virtutes non
excedunt numerum potentiarum animae.
4. Les habitus se distinguent par leurs
objets, de mкme que les puissances. Puisque les vertus sont des habitus, il
semble donc que la raison de distinguer les vertus soit la mкme que celle de
distinguer les puissances de l’вme. Et ainsi, les vertus ne sont pas plus
nombreuses que les puissances de l’вme.
[65839] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 5 Sed dicendum, quod habitus distinguuntur per actus, et non per
potentias.- Sed contra, principiata distinguuntur secundum principia, et non
e converso; quia ab eodem res habent esse et unitatem. Sed habitus sunt
principia actuum. Ergo magis distinguuntur actus penes habitus quam e
converso.
5.
Mais les habitus se distinguent par leurs actes, et non par les puissances. –
En sens contraire, les rйalitйs qui jouent
le rфle de principes se distinguent selon les principes, et non l’inverse,
car les choses reзoivent leur кtre et leur unitй de la mкme rйalitй. Or, les
habitus sont les principes des actes. Les actes se distinguent donc plutфt
selon les habitus que l’inverse.
[65840]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 6 Praeterea, virtus necessaria est ad hoc quod homo
inclinetur ad id quod est virtutis per modum naturae : est enim virtus, ut
Tullius dicit, habitus in modum naturae rationi consentaneus. Ad id igitur ad quod ipsa potentia naturaliter inclinatur, non indiget
homo virtute. Sed voluntas hominis naturaliter inclinatur ad ultimum finem. Ergo circa ultimum finem non est necessarius homini aliquis habitus
virtutis; propter quod nec philosophi posuerunt aliquas virtutes quarum
obiectum esset felicitas. Nec ergo nos debemus ponere aliquas virtutes
theologicas, cuius obiectum sit Deus, qui est ultimus finis.
6.
La vertu est nйcessaire pour que l’homme soit inclinй par mode de nature а ce
qui relиve de la vertu. En effet, comme le dit Tullius [Cicйron], la vertu
est un habitus qui se plie а la raison par mode de nature. Pour qu’une
puissance elle-mкme soit inclinйe naturellement, l’homme n’a donc pas besoin
de vertu. Or, la volontй de l’homme est naturellement inclinйe vers la fin
ultime. Un habitus vertueux n’est donc pas nйcessaire а l’homme pour la fin
ultime; c’est la raison pour laquelle mкme les philosophes n’ont pas proposй
de vertus dont l’objet serait la fйlicitй. Nous ne devons donc pas nous aussi
proposer des vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, qui est la fin
ultime.
[65841] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 7 Praeterea, virtus est
dispositio perfecti ad optimum. Sed fides et spes imperfectionem quamdam important;
quia fides est de non visis, spes de non habitis, propter quod, cum
venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, ut dicitur 1
Cor. XIII, v. 10. Ergo fides et spes non debent poni virtutes.
7.
La vertu est une disposition de celui qui est parfait а ce qui est le
meilleur. Or, la foi et l’espйrance comportent une certaine imperfection, car
la foi porte sur des rйalitйs non vues, et l’espйrance, sur des rйalitйs non
possйdйes. C’est la raison pour laquelle, lorsque ce qui est parfait sera
venu, ce qui est partiel disparaоtra, 1 Co 13, 10. Il ne
faut donc pas proposer la foi et l’espйrance comme des vertus.
[65842]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 8 Praeterea, ad Deum non potest aliquis ordinari nisi
per intellectum et affectum. Sed fides sufficienter ordinat intellectum
hominis in Deum, caritas autem affectum. Ergo praeter fidem et caritatem non
debet poni spes virtus theologica.
8.
On ne peut кtre ordonnй а Dieu que par l’intellect et la volontй. Or, la foi
ordonne suffisamment l’intellect de l’homme vers Dieu, et la charitй, la
volontй. On ne doit donc pas proposer l’espйrance comme certu thйologale en
plus de la foi et de la charitй.
[65843] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 9 Praeterea, id quod est generale omni virtuti, non debet poni
specialis virtus. Sed caritas videtur esse communis omnibus virtutibus; quia
ut dicit Augustinus in Lib. de moribus Ecclesiae, nihil aliud est virtus quam
ordo amoris : ipsa etiam caritas dicitur esse forma omnium virtutum. Ergo non
debet poni una specialis virtus inter theologicas.
9.
Ce qui est commun а toute vertu ne doit pas кtre proposй comme une vertu
spйciale. Or, la charitй semble кtre commune а toutes les vertus, car, comme
le dit Augustin dans le Livre sur le comportement de l’Йglise, la
vertu n’est rien d’autre que l’ordre de l’amour. La charitй elle-mкme est
aussi appelйe la forme de toutes les vertus. Elle ne doit pas кtre mise comme
une vertu spйciale parmi les vertus thйologales.
[65844]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 10 Praeterea, in Deo non solum consideratur veritas
quam respicit fides, vel sublimitas quam respicit spes, vel bonitas quam
respicit caritas; sed sunt plura alia quae Deo attribuuntur : ut sapientia,
potentia et huiusmodi. Ergo videtur quod sit vel una tantum virtus
theologica, quia omnia illa unum sunt in Deo; vel quod sint tot virtutes
theologicae, quot sunt quae attribuuntur Deo.
10. En Dieu, on ne relиve pas seulement la
vйritй, qui est l’objet de la foi considиre, ni l’йlйvation, qui est l’objet
de l’espйrance, ni la bontй, qui est l’objet de la charitй, mais il existe
plusieurs autres choses qui sont attribuйes а Dieu, comme la sagesse, la
puissance et les choses de ce genre. Il semble donc qu’il y ait ou bien une
seule vertu thйologale, car toutes ces choses n’en sont qu’une en Dieu, ou
bien qu’il y ait autant de vertus thйologales qu’il y a de choses attribuйes
а Dieu.
[65845]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 11 Praeterea, virtus theologica est cuius actus
immediate ordinatur in Deum. Sed plura alia sunt talia : sicut sapientia quae
contemplatur Deum, timor qui reveretur ipsum, religio quae colit eum. Ergo non sunt tantum tres virtutes theologicae.
11.
La vertu thйologale est celle dont l’acte est immйdiatement ordonnй а Dieu.
Or, il existe plusieurs autres choses de ce genre, comme la sagesse, qui
contemple Dieu, la crainte, qui le rйvиre, la religion, qui lui rend un
culte. Il n’y a donc pas seulement trois vertus thйologales.
[65846] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 12 Praeterea, finis est ratio eorum quae sunt ad finem. Habitis
igitur virtutibus theologicis, quibus homo recte ordinatur ad Deum, videtur
superfluum ponere alias virtutes.
12.
La fin est la raison de ce qui est ordonnй а la fin. Une fois possйdйes les
vertus thйologales, par lesquelles l’homme est correctement ordonnй а Dieu,
il semble superflu de proposer d’autres vertus.
[65847]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 13 Praeterea, virtus ordinatur ad bonum : est enim
virtus quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est
tantum in voluntate et in appetitiva parte; et sic videtur quod non sint
aliquae virtutes intellectuales.
13.
La vertu est ordonnйe au bien : en effet, la vertu est ce qui rend bon celui
qui la possиde et rend bonne son action. Or, le bien ne se trouve que dans la
volontй et dans la partie appйtitive. Et ainsi, il semble qu’il n’y a pas de
vertus intellectuelles.
[65848] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 14 Praeterea, prudentia est quaedam virtus intellectualis. Ipsa
autem ponitur inter morales. Ergo videtur quod morales virtutes non
distinguantur ab intellectualibus.
14.
La prudence est une vertu intellectuelle. Or, elle est placйe parmi les
vertus morales. Il semble donc que les vertus morales ne se distinguent pas
des vertus intellectuelles.
[65849]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 15 Praeterea, scientia moralis non tractat nisi
moralia. Tractat autem scientia moralis de virtutibus intellectualibus. Ergo
virtutes intellectuales sunt morales.
15.
La science morale ne traite que des rйalitйs morales. Or, la science morale
traite des vertus intellectuelles. Les vertus intellectuelles sont donc [des
vertus] morales.
[65850] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 16 Praeterea, id quod ponitur in definitione alicuius, non
distinguitur ab eo. Sed prudentia ponitur in definitione virtutis moralis :
est enim virtus moralis, habitus electivus in medietate consistens
determinata secundum rectam rationem, ut dicitur II Ethic. : ratio enim
agibilium est prudentia, ut dicitur VI Ethic. Ergo morales virtutes non
distinguuntur a prudentia.
16.
Ce qui est mis dans la dйfinition d’une chose ne s’en distingue pas. Or, la
prudence est mise dans la dйfinition de la vertu morale : en effet, la vertu
morale est un habitus qui choisit ce en quoi consiste le milieu dйterminй
selon la raison droite, comme il est dit dans Йthique, II. En effet,
la raison des actes а poser est la prudence, comme il est dit dans Йthique,
VI. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence.
[65851] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut prudentia pertinet ad cognitionem practicam, ita et
ars. Sed praeter artem non sunt aliqui habitus in appetitiva parte ordinati
ad operandum artificialia. Ergo pari ratione nec praeter prudentiam sunt
aliqui habitus virtuosi in appetitu ad operandum agibilia; et ita videtur
quod non sint aliquae virtutes morales distinctae a prudentia.
17.
De mкme que la prudence se rapporte а la connaissance pratique, de mкme en
est-il de l’art. Or, il n’existe pas dans la partie appйtitive, en plus de
l’art, d’habitus ordonnйs а rйaliser des њuvres d’art. Pour la mкme raison,
il n’existe pas dans l’appйtit, pour poser les actes qui doivent l’кtre,
d’habitus vertueux, en plus de la prudence. Et ainsi, il semble qu’il
n’existe pas de vertus morales distinctes de la prudence.
[65852] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 18 Sed dicendum, quod ideo arti non respondet aliqua virtus in
appetitu, quia appetitus est singularium, ars autem universalium.- Sed
contra, Aristoteles dicit II Ethic., quod ira semper est circa singularia :
sed odium est etiam universalium; habemus enim odio omne latronum genus. Odium autem ad appetitum pertinet. Ergo appetitus est respectu universalium.
18.
Mais la raison pour laquelle il n’y a pas de vertu dans l’appйtit est que
l’appйtit porte sur des rйalitйs singuliиres, et l’art sur des rйalitйs universelles.
– En sens contraire, Aristote dit, dans Йthique,
II, que la colиre porte toujours sur des rйalitйs singuliиres, mais que
la haine porte aussi sur des rйalitйs universelles : en effet, nous haпssons
tous les genres de brigands. Or, la haine relиve de l’appйtit. L’appйtit
porte donc sur des rйalitйs universelles.
[65853] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 19 Praeterea, unaquaeque potentia naturaliter tendit in suum
obiectum. Obiectum autem appetitus est bonum apprehensum. Ergo appetitus
naturaliter tendit in bonum ex quo est apprehensum. Sed
ad apprehendendum bonum sufficienter nos perficit prudentia. Ergo praeter
prudentiam non est necessarium nos habere aliquam virtutem aliam moralem in
appetitu, cum ad hoc sufficiat inclinatio naturalis.
19.
Toute puissance tend naturellement vers son objet. Or, l’objet de l’appйtit
est le bien apprйhendй. L’appйtit tend donc naturellement vers le bien du
fait qu’il est apprйhendй. Or, pour apprйhender le bien, la prudence nous
perfectionne suffisamment. En plus de la prudence, il n’est donc pas
nйcessaire que nous ayons une autre vertu morale dans l’appйtit, puisque
l’inclination naturelle suffit а cela.
[65854] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 20 Praeterea, ad virtutem sufficit cognitio et operatio. Sed utrumque horum
habetur per prudentiam. Ergo praeter prudentiam non oportet ponere
alias virtutes morales.
20.
La connaissance et l’action suffisent pour la vertu. Or, on a ces deux deux
choses par la prudence. Il n’est donc pas nйcessaire de proposer d’autres
vertus morales en plus de la prudence.
[65855] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 21 Praeterea, sicut appetitivi
habitus distinguuntur penes obiecta, ita et habitus cognoscitivi. Sed de
omnibus moralibus est unus habitus cognoscitivus, vel scientia moralis circa
omnia moralia, vel etiam prudentia. Ergo et una tantum
est in appetitu virtus moralis.
21.
De mкme que les habitus appйtitifs se distinguent selon leurs objets, de mкme
en est-il aussi des habitus cognitifs. Or, il n’existe qu’un seul habitus
cognitif pour toutes les rйalitйs morales : soit la science morale pour
toutes les rйalitйs morales, soit aussi la prudence. Il n’existe donc qu’une
seule vertu morale dans l’appйtit.
[65856]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 22 Praeterea, ea quae conveniunt in forma, et differunt
solum in materia, sunt unum specie. Sed omnes virtutes morales conveniunt
secundum id quod est formale in eis, quia in omnibus est medium acceptum
secundum rationem rectam; non autem differunt nisi penes materias. Ergo non differunt specie, sed numero tantum.
22.
Les choses qui ont en commun une forme et qui ne diffиrent que par la
matiиre, font partie d’une seule espиce. Or, toutes les vertus morales ont en
commun ce qui a valeur de forme en elles, car, chez toutes, il existe un
milieu saisi selon la raison droite, et elles ne diffиrent que selon les
matiиres. Elles ne diffиrent donc pas selon l’espиce, mais selon le nombre
seulement.
[65857] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 23 Praeterea, ea quae differunt specie, non denominantur ad
invicem. Sed virtutes morales denominant se ad invicem : quia, ut Augustinus
dicit, oportet quod iustitia sit fortis et temperata, et temperantia iusta et
fortis, et sic de aliis. Ergo virtutes non distinguuntur ad invicem.
23.
Les choses qui diffиrent par l’espиce ne reзoivent pas leur nom les unes des
autres. Or, les vertus morales reзoivent leur nom les unes des autres, car,
comme le dit Augustin, il est nйcessaire que la justice soit forte et
tempйrйe, et que la tempйrance soit juste et forte, et ainsi de suite pour les
autres. Les vertus ne se distinguent donc pas les unes des autres.
[65858]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 24 Praeterea, virtutes theologicae et cardinales, sunt
principaliores quam morales. Sed virtutes intellectuales non dicuntur
cardinales, neque theologicae. Ergo nec morales debent dici cardinales, quasi
principales.
24.
Les vertus thйologales et les [vertus] cardinales sont supйrieures aux vertus
morales. Or, les vertus intellectuelles ne sont appelйes ni cardinales ni
thйologales. Des vertus morales ne doivent donc pas, elles non plus, кtre
appelйes cardinales, comme si elles йtaient supйrieures.
[65859] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 25 Praeterea, tres ponuntur animae partes; scilicet rationalis,
irascibilis et concupiscibilis. Ergo si sunt aliquae virtutes principales,
videtur quod sint tres tantum.
25.
On admet qu’il existe trois parties de l’вme : la partie raisonnable, la
[partie] irascible et la [partie] concupiscible. S’il existe des vertus
principales, il semble donc qu’il y en ait trois.
[65860]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 26 Praeterea, aliae virtutes videntur istis
principaliores; sicut est magnanimitas, quae operatur magnum in omnibus
virtutibus, ut dicitur IV Ethic.; et humilitas, quae est custos virtutum;
mansuetudo etiam videtur esse principalior quam fortitudo, cum sit circa
iram, a qua denominatur irascibilis; liberalitas et magnificentia, quae dant
de suo, videntur esse principaliores quam iustitia quae reddit alteri
debitum. Ergo istae non sunt virtutes cardinales, sed magis aliae.
26.
D’autres vertus semblent supйrieures а celles-ci, comme la maganimitй, qui
accomplit ce qui est grand dans toutes les vertus, comme il est dit dans Йthique,
IV, et l’humilitй, qui est la gardienne des vertus; la douceur aussi
semble кtre supйrieure а la force, puisqu’elle porte sur la colиre, dont
l’irascible tire son nom; la libйralitй et la magnificence, qui donnent de
leur bien propre, semblent кtre supйrieures а la justice, qui rend а autrui
ce qui lui est dы. Ces vertus ne sont donc pas des vertus cardinales, mais
d’autres le sont plutфt.
[65861] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 27 Praeterea, pars non distinguitur a suo toto. Sed aliae
virtutes ponuntur a Tullio, partes istarum quatuor : scilicet prudentiae,
iustitiae, fortitudinis, et temperantiae. Ergo saltem aliae virtutes morales
non distinguuntur ab istis; et sic videntur virtutes non recte distingui.
27.
La partie ne se distingue du tout dont elle fait partie. Or, d’autres vertus
sont donnйes par Tullius [Cicйron] comme parties de ces quatre : la prudence,
la justice, la force et la tempйrance. D’autres vertus morales ne sont donc
pas distinctes de celles-ci. Et ainsi, il semble que les vertus ne soient pas
correctement distinguйes.
Cependant :
[65862]
De virtutibus, q. 1 a. 12 s. c. Sed contra, est quod 1 Cor. XIII, 13, dicitur : nunc
autem manent fides, spes, caritas, tria haec; et Sap. VIII, 7 : sobrietatem
et prudentiam docet, et iustitiam, et virtutem.
Il
est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant donc demeurent la foi,
l’espйrance et la charitй, ces trois choses; et en Sg 8, 7 : [La
Sagesse] enseigne tempйrance et prudence, justice et force.
Rйponse :
[65863] De virtutibus, q.
1 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod unumquodque diversificatur secundum
speciem secundum id quod est formale in ipso. Formale autem in unoquoque est
id quod est completivum definitionis eius. Ultima enim differentia constituit
speciem : unde per eam differt definitum secundum speciem ab aliis; et si
ipsa sit multiplicabilis formaliter secundum diversas rationes, definitum in
species diversas dividitur secundum ipsius diversitatem. Illud autem quod est
completivum et ultimum formale in definitione virtutis, est bonum : nam
virtus universaliter accepta sic definitur : virtus est, quae bonum facit
habentem, et opus eius bonum reddit : ut patet in Lib. Ethic. Unde et
virtus hominis, de qua loquimur, oportet quod diversificetur secundum
speciem, secundum quod bonum ratione diversificatur. Cum autem homo sit homo
in quantum rationalis est; oportet hominis bonum esse eius quod est
aliqualiter rationale. Rationalis autem pars, sive intellectiva, comprehendit
et cognitivam et appetitivam. Pertinet autem ad rationalem partem non solum
appetitus, qui est in ipsa parte rationali, consequens apprehensionem
intellectus, qui dicitur voluntas : sed etiam appetitus qui est in parte
sensitiva hominis, et dividitur per irascibilem et concupiscibilem. Nam etiam
hic appetitus in homine sequitur apprehensionem rationis, in quantum imperio
rationis obedit; unde et participare dicitur aliqualiter rationem. Bonum
igitur hominis est et bonum cognitivae et bonum appetitivae partis. Non autem
secundum eamdem rationem utrique parti bonum attribuitur. Nam bonum
appetitivae parti attribuitur formaliter, ipsum enim bonum est appetitivae
partis obiectum : sed intellectivae parti attribuitur bonum non formaliter,
sed materialiter tantum. Nam cognoscere verum, est quoddam bonum cognitivae
partis; licet sub ratione boni non comparetur ad cognitivam, sed magis ad
appetitivam : nam ipsa cognitio veri est quoddam appetibile. Oportet igitur
alterius rationis esse virtutem quae perficit partem cognoscitivam ad
cognoscendum verum, et quae perficit rationem appetitivam ad apprehendendum
bonum; et propter hoc philosophus in Lib. Ethic., distinguit virtutes
intellectuales a moralibus : et intellectuales dicuntur quae perficiunt
partem intellectualem ad cognoscendum verum, morales autem quae perficiunt
partem appetitivam ad appetendum bonum. Et quia bonum magis congrue competit
parti appetitivae quam intellectivae, propter hoc, nomen virtutis
convenientius et magis proprie competit virtutibus appetitivae partis quam
virtutibus intellectivae; licet virtutes intellectivae sint nobiliores
perfectiones quam virtutes morales, ut probatur VI Ethic. Cognitio autem veri
non est respectu omnium unius rationis. Alia enim ratione cognoscitur verum
necessarium, et verum contingens : et iterum verum necessarium alia ratione
cognoscitur si sit per se notum, sicut intellectu cognoscuntur prima
principia; alia ratione si fiat notum ex alio, sicut fiunt notae conclusiones
per scientiam vel sapientiam circa altissima : in quibus etiam est alia ratio
cognoscendi, eo quod ex hac homo dirigitur in aliis cognoscendis. Et
similiter circa contingentia operabilia non est eadem ratio cognoscendi ea quae
sunt in nobis, quae dicuntur agibilia, ut sunt operationes nostrae, circa
quas frequenter contingit errare, propter aliquam passionem; quarum est
prudentia : et ea quae sunt extra nos a nobis factibilia, in quibus dirigit
ars aliqua; quorum rectam aestimationem passiones animae non corrumpunt. Et
ideo philosophus ponit VI Ethic., virtutes intellectuales, scilicet
sapientiam, et scientiam et intellectum, prudentiam et artem. Similiter etiam
bonum appetitivae partis non secundum eamdem rationem se habet in omnibus
rebus humanis. Huiusmodi autem bonum in tripartita materia quaeritur;
scilicet in passionibus irascibilis et in passionibus concupiscibilis, et in
operationibus nostris quae sunt circa res exteriores quae veniunt in usum
nostrum, sicut est emptio et venditio, locatio et conductio, et huiusmodi
alia. Bonum enim hominis in passionibus est, ut sic homo in eis se habeat,
quod per earum impetum a rationis iudicio non declinet; unde si aliquae
passiones sunt quae bonum rationis natae sint impedire per modum incitationis
ad agendum vel prosequendum, bonum virtutis praecipue consistit in quadam
refrenatione et retractione; sicut patet de temperantia, quae refrenat et
compescit concupiscentias. Si autem passio nata sit praecipue bonum rationis
impedire in retrahendo, sicut timor, bonum virtutis circa huiusmodi passionem
erit in sustinendo; quod facit fortitudo. Circa res vero exteriores bonum
rationis consistit in hoc quod debitam proportionem suscipiant, secundum quod
pertinent ad communicationem humanae vitae; et ex hoc imponitur nomen
iustitiae, cuius est dirigere, et aequalitatem in huiusmodi invenire. Sed
considerandum est, quod tam bonum intellectivae partis quam appetitivae est
duplex : scilicet bonum quod est ultimus finis, et bonum quod est propter finem;
nec est eadem ratio utriusque. Et ideo praeter omnes virtutes praedictas,
secundum quas homo bonum consequitur in his quae sunt ad finem, oportet esse
alias virtutes secundum quas homo bene se habet circa ultimum finem, qui Deus
est; unde et theologicae dicuntur, quia Deum habent non solum pro fine, sed
etiam pro obiecto. Ad hoc autem quod moveamur recte in finem, oportet finem
esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem finis duo exigit : scilicet
fiduciam de fine obtinendo, quia nullus sapiens movetur ad id quod consequi
non potest; et amorem finis, quia non desideratur nisi amatum. Et ideo
virtutes theologicae sunt tres : scilicet fides, qua Deum cognoscimus; spes,
qua ipsum nos obtenturos esse speramus; et caritas, qua eum diligimus. Sic ergo
patet quod sunt tria genera virtutum : theologicae, intellectuales et morales
et quodlibet genus sub se plures species habet.
Toute
chose se diversifie selon l’espиce d’aprиs ce qui joue le rфle de forme en
elle. Or, joue le rфle de forme en toute chose ce qui complиte sa dйfinition.
En effet, la diffйrence ultime constitue l’espиce : c’est donc par elle que
ce qui est dйfini diffиre des autres choses selon l’espиce, et si elle est
multipliable selon la forme en diverses raisons, ce qui est dйfini en espиces
diverses se divise selon sa diversitй. Or, ce qui est le complйment et joue
ultimement le rфle de forme dans la dйfinition de la vertu, c’est le bien,
car la vertu, entendue d’une maniиre universelle, se dйfinit ainsi : «La
vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde et rend bone son action»,
comme cela ressort clairement de l’Йthique. Aussi est-il nйcessaire
que la vertu de l’homme, dont nous parlons, se diversifie selon l’espиce
selon que le bien se diversifie d’aprиs la raison. Or, puisque l’homme est
homme pour autant qu’il est raisonnable, il est nйcessaire que le bien de
l’homme soit le bien de ce qui est raisonnable d’une certaine maniиre. Or, la
partie raisonnable, ou intellective, comprend la [partie] cognitive et la
[partie] appйtitive. Relиvent donc de la partie raisonnable, non seulement
l’appйtit qui existe dans la partie raisonnable elle-mкme, qui suit
l’apprйhension de l’intellect et qu’on appelle volontй, mais aussi l’appйtit
qui est dans la partie sensible de l’homme, et qui se divise en irascible et
en concupiscible. Car mкme cet appйtit chez l’homme suit l’apprйhension de la
raison, pour autant qu’il obйit au commandement de la raison. C’est pourquoi
on dit qu’il participe d’une certaine maniиre а la raison. Le bien de l’homme
est donc tant le bien de la partie cognitive que le bien de la partie
appйtitive. Mais le bien n’est pas attribuй aux deux parties pour la mкme
raison. Car le bien de la partie appйtitive est attribuй а titre de forme :
en effet, le bien est l’objet de la partie appйtitive; mais le bien est
attribuй а la partie intellective non pas а titre de forme, mais а titre de
matiиre seulement. Car connaоtre le vrai est un certain bien de la partie
cognitive, bien que, sous la raison de bien, il ne se rapporte pas а la partie
cognitive, mais plutфt а la partie appйtitive, car la connaissance du vrai
elle-mкme est un objet de l’appйtit. Il est donc nйcessaire que la vertu qui
parfait la partie cognitive pour connaоtre le vrai et celle qui parfait la
partie appйtitive pour apprйhender le bien aient une autre raison. C’est
pourquoi, dans le livre de l’Йthique, le Philosophe distingue les
vertus intellectuelles des vertus morales : sont appelйes intellectuelles
celles qui perfectionnent la partie intellectuelle pour connaоtre le vrai,
mais [sont appelйes] morales celles qui perfectionnent la partie appйtitive
pour dйsirer le bien. Et parce que le bien relиve plutфt de la partie
appйtitive que de la partie intellective, le nom de vertu appartient avec
plus de convenance et en un sens plus propre aux vertus de la partie
appйtitive plutфt qu’aux vertus de la partie intellective, bien que les
vertus intellectives soient des perfections plus nobles que les vertus
morales, comme on le dйmontre dans Йthique, VI. Or, la connaissance du
vrai ne s’йtend pas а toutes choses selon une seule raison. En effet, le vrai
nйcessaire est connu selon selon une raison, et le vrai contingent selon une
autre; de plus, le vrai nйcessaire est connu selon une autre raison s’il est
connu par lui-mкme, comme les premiers principes sont connus par l’intellect,
et selon une autre raison s’il devient connu par autre chose, comme les
conclusions deviennent connues par la science ou la sagesse portant sur les
rйalitйs les plus йlevйes, pour lesquelles il y a encore une autre raison de
les connaоtre, du fait que l’homme est orientй vers la connaissance des
autres choses а partir d’elle. De la mкme maniиre, а propos des actes а poser
qui sont contingents, autre est la raison de connaоtre ce qui est en nous,
qu’on appelle les actes а poser, comme sont nos opйrations, а propos
desquelles il [nous] arrive souvent d’errer en raison de quelque passion, et
sur lesquelles porte la prudence; et [autre est la raison de connaоtre] les
choses extйrieures а nous, mais rйalisables par nous, pour lesquelles un
certain art assure la direction, et dont les passions de l’вme ne pas
corrompent le jugement droit. C’est pourquoi, dans Йthique, VI, le
Philosophe met de l’avant des vertus intellectuelles, а savoir, la sagesse,
la science et l’intellect, la prudence et l’art. De la mкme maniиre aussi, le
bien de la partie appйtitive ne se trouve pas selon la mкme raison dans
toutes les choses humaines. Le bien de ce genre est cherchй dans une matiиre
qui se divise en trois : dans les passions de l’irascible et dans les
passions du concupiscible, et dans nos opйrations qui portent sur les choses
extйrieures qui viennent en notre usage, comme l’achat et la vente, la
location et le contrat, et les autres choses de ce genre. En effet, le bien
de l’homme, pour ce qui est des passions, consiste en ce que l’homme se
comporte а leur йgard de telle sorte qu’il ne s’йcarte pas du jugement de la
raison sous leur impulsion. Ainsi, s’il existe certaines passions qui ont
tendance а faire obstacle au bien de la raison par mode d’incitation а agir
ou а obtenir, le bien de la vertu consiste principalement а se retenir et а
se retirer, comme cela est clair pour la tempйrance, qui rйfrиne et rйprime
les convoitises. Mais si une passion a tendance а faire obstacle au bien de
la vertu principament en se retirant, comme c’est le cas de la crainte, le
bien de la vertu а propos de cette passion consistera а supporter, ce que
fait la force. Mais, en ce qui concerne les choses extйrieures, le bien de la
raison consiste en ce qu’ils reзoivent la proportion appropriйe pour les
rapports de la vie humaine; de lа vient de nom de justice, а qui il
appartient de redresser et de trouver l’йgalitй dans les choses de ce genre.
Mais il faut observer que le bien de la partie intellective, comme celui de
la partie appйtitive, est double : le bien qui est la fin ultime, et le bien
qui existe en vue de la fin, et la raison des deux n’est pas la mкme. Et
c’est pourquoi, en plus de toutes les vertus dйjа mentionnйes, par lesquelles
l’homme obtient le bien pour ce qui est ordonnй а la fin, il est nйcessaire
qu’existent d’autres vertus, par lesquelles l’homme se situe bien par rapport
а la fin ultime, qui est Dieu. De lа vient qu’elles sont appelйes
thйologales, parce qu’elles ont Dieu non seulement comme fin, mais aussi
comme objet. Or, pour que nous soyons correctement mus vers la fin, il est
nйcessaire que la fin soit а la fois connue et dйsirйe. Or, le dйsir de la
fin exige deux choses : la confiance d’obtenir la fin, car aucun sage n’est
mы vers ce qu’il ne peut pas obtenir; et l’amour de la fin, car elle n’est
pas dйsirйe а moins d’кtre aimйe. C’est pourquoi il y a trois vertus
thйologales : la foi, par laquelle nous connaissons Dieu; l’espйrance, par
laquelle nous espйrons l’obtenir; la charitй, par laquelle nous l’aimons. Il
ressort ainsi clairement qu’il y a trois genres de vertus : les vertus
thйologales, intellectuelles et morales, et chaque genre comporte plusieurs
espиces.
Solutions
:
[65864]
De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod moralia recipiunt
speciem a finibus proximis; qui tamen non sunt infiniti, si in eis sola
differentia formalis consideretur : nam finis proximus uniuscuiusque virtutis
est bonum quod ipsa operatur, quod differt ratione, ut ostensum est in corp.
art.
1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce
des fins prochaines, qui ne sont cependant pas infinies, si l’on considиre en
elles la seule diffйrence formelle, car la fin prochaine de toutes les vertus
est le bien qu’elle accomplit, qui diffиre par sa raison, comme on l’a montrй
dans le corps de l’article.
[65865] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
ratio illa procedit in his quae agunt per necessitatem naturae, quia ea
consequuntur finem una actione et una forma : homo autem ideo habet rationem,
quia per plura et diversa oportet quod ad finem suum perveniat; unde sunt ei
necessariae plures virtutes.
2.
Cet argument s’applique aux choses qui agissent par nйcessitй de nature, car
celles-ci obtiennent leur fin par une seule action et une seule forme. Mais
l’homme a la raison parce qu’il doit parvenir а sa fin par plusieurs choses
diverses. Aussi plusieurs vertus lui sont-elles nйcessaires.
[65866] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidentia non multiplicantur in uno
secundum numerum, sed tantum secundum speciem; unde non oportet unitatem vel
multitudinem in virtutibus considerari secundum subiectum, quod est anima,
vel potentiae eius, nisi quatenus diversitatem potentiarum consequitur
diversa ratio boni, secundum quam distinguuntur virtutes, ut dictum est.
3.
Les accidents ne sont pas multipliйs dans une chose selon le nombre, mais
seulement selon l’espиce. Il n’est donc pas nйcessaire que l’unitй et la
multitude soient envisagйes pour les vertus selon leur sujet, qui est l’вme
ou ses puissances, si ce n’est pour autant qu’une raison de bien diffйrente
entraоne la diversitй des puissances, [raison] selon laquelle les vertus sont
distinguйes, comme on l’a dit.
[65867]
De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem
rationem est aliquid obiectum potentiae et habitus. Nam potentia est secundum
quam simpliciter possumus aliquid, puta irasci vel confidere; habitus autem
est secundum quem aliquid possumus bene vel male, ut dicitur in Ethic. Et
ideo ubi est alia ratio boni, est alia ratio obiecti quantum ad habitum, sed
non quantum ad potentiam; propter quod contingit in una potentia multos
habitus esse.
4.
Une chose n’est pas l’objet d’une puissance et d’un habitus selon la mкme raison.
Car la puissance est ce par quoi nous pouvons tout simplement quelque chose,
par exemple, кtre en colиre ou avoir confiance; mais l’habitus est ce selon
quoi nous le pouvons bien ou mal, comme il est dit dans Йthique. C’est
pourquoi lа oщ il y a une autre raison de bien, il y a une autre raison
d’objet quant а l’habitus, mais non quant а la puissance. C’est la raison
pour laquelle plusieurs habitus peuvent se trouvent dans une seule puissance.
[65868] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nihil
prohibet aliquid esse causam effectivam alterius, quod tamen est causa
finalis illius; sicut medicina est causa effectiva sanitatis, quae est finis
medicinae, ut philosophus dicit I Ethic. Habitus igitur sunt causae effectivae actuum;
sed actus sunt fines habituum; et ideo habitus formaliter secundum actus
distinguuntur.
5.
Rien n’empкche que quelque chose soit la cause efficiente d’une autre chose,
tout en йtant sa cause finale, comme le mйdicament est la cause efficiente de
la santй, qui est la fin du mйdicament, comme le Philosophe le dit dans Йthique,
I. Les habitus sont donc causes efficientes des actes, mais les actes
sont fins des habitus; c’est pourquoi les habitus se distinguent formellement
selon les actes.
[65869] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod respectu finis qui est naturae humanae
proportionatus, sufficit homini ad bene se habendum naturalis inclinatio; et
ideo philosophi posuerunt aliquas virtutes, quarum obiectum esset felicitas,
de qua ipsi tractabant. Sed finis in quo beatitudinem speramus, Deus, est
naturae nostrae excedens proportionem; et ideo supra naturalem inclinationem
necessariae sunt nobis virtutes, quibus in finem ultimum elevemur.
6.
Par rapport а la fin qui est proportionnйe а la nature humaine, l’inclination
naturelle suffit а l’homme pour se bien comporter. C’est pourquoi les
philosophes ont mis de l’avant certaines vertus, dont l’objet serait la
fйlicitй, dont eux-mкmes traitaient. Mais la fin que nous espйrons, Dieu,
dйpasse la proportion de notre nature. C’est pourquoi, en plus de
l’inclination naturelle, nous sont nйcessaires des vertus par lesquelles nous
sommes йlevйs vers la fin ultime.
[65870] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
attingere ad Deum qualitercumque et imperfecte, maioris perfectionis est quam
perfecte alia attingere; unde philosophus dicit de proprietatibus animalium,
et in II de Cael. et Mund. : quod de sublimioribus rebus percipimus, est
dignius, quam quod de aliis rebus multum cognoscimus. Et ideo nihil prohibet et
fidem et spem esse virtutes, quamvis per eas imperfecte attingamus ad Deum.
7.
Atteindre Dieu d’une maniиre quelconque et imparfaitement est plus parfait
que d’atteindre parfaitement les autres rйalitйs. C’est ainsi que le
Philosophe dit, а propos des propriйtйs des animaux, dans Sur le ciel et
le monde, II : «Ce que nous percevons des rйalitйs plus йlevйes est plus
digne que la connaissance approfondie que nous avons des autres choses.»
C’est pourquoi rien n’empкche que la foi et l’espйrance soient des vertus,
bien que nous approchions Dieu imparfaitement par elles.
[65871] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod affectus in Deum ordinatur et per spem in
quantum confidit de Deo, et per caritatem in quantum diligit ipsum.
8.
L’orientation de la volontй vers Dieu se rйalise par l’espйrance, pour autant
qu’elle a confiance а propos de Dieu, et par la charitй, pour autant qu’elle
l’aime.
[65872] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor
est principium et radix omnium affectuum : non enim gaudemus de praesentia
boni nisi in quantum est amatum; et similiter patet in omnibus aliis
affectionibus. Sic
igitur omnis virtus quae est ordinativa alicuius passionis, est etiam
ordinativa amoris. Nec etiam sequitur quod caritas, quae est amor, non sit
virtus specialis; sed oportet quod sit principium quodammodo omnium virtutum,
in quantum omnes movet ad suum finem.
9.
L’amour est le principe et la racine de tous les autres sentiments. En effet,
nous ne nous rйjouissons de la prйsence du bien que pour autant qu’il est
aimй; de mкme en est-il clairement pour tous les autres sentiments. Ainsi
donc, toute vertu qui ordonne une passion ordonne aussi l’amour. Il n’en
dйcoule cependant pas que la charitй, qui est un amour, ne soit pas une vertu
spйciale, mais il est nйcessaire qu’il soit d’une certaine maniиre le
principe de toutes les vertus, pour autant qu’il les meut toutes vers sa fin.
[65873] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet secundum omnia attributa divina
accipi virtutes theologicas, sed solum secundum illa secundum quae appetitum
nostrum movet ut finis; et secundum hoc sunt tres virtutes theologicae, ut
dictum est art. 10 huius quaestionis.
10.
Il n’est pas nйcessaire de concevoir des vertus thйologales pour tous les
attributs divins, mais seulement pour ceux selon lesquels il meut notre
appйtit en tant que fin. Et ainsi, il y a trois vertus thйologales, comme on
l’a dit dans l’article 10 de la prйsente question.
[65874] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod religio habet Deum pro fine, non autem pro
obiecto, sed ea quae offert colendo ipsum; et ideo non est virtus theologica.
Similiter etiam sapientia, qua nunc contemplamur Deum, non immediate respicit
ipsum Deum, sed effectus ex quibus ipsum in praesenti contemplamur. Timor etiam respicit pro obiecto aliquid aliud quam Deum; vel poenas
vel propriam parvitatem, ex cuius consideratione homo Deo reverenter se
subiicit.
11.
La religion a Dieu comme fin, non pas en tant qu’objet, mais pour lui rendre
un culte par ce qu’elle offre. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu
thйologale. De mкme, la sagesse, par laquelle nous contemplons Dieu
maintenant, ne porte pas sur Dieu lui-mкme, mais sur les effets а partir
desquels nous le contemplons dans la vie prйsente. La crainte aussi porte sur
quelque chose d’autre que Dieu : soit les peines, soit sa propre petitesse,
dont la considйration pousse l’homme а se soumettre а Dieu avec respect.
[65875] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
sicut in speculativis sunt principia et conclusiones : ita et in operativis
sunt fines et ea quae sunt ad finem. Sicut
igitur ad perfectam cognitionem et expeditam non sufficit quod homo bene se
habeat circa principia per intellectum, sed ulterius requiritur scientia ad
conclusiones; ita in operativis praeter virtutes theologicas, quibus bene nos
habemus ad ultimum finem, sunt necessariae virtutes aliae, quibus bene
ordinemur ad ea quae sunt ad finem.
12.
De mкme que, dans le domaine spйculatif, il existe des principes et des
conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, il existe des fins et ce
qui est ordonnй а la fin. De mкme que, pour la connaissance parfaite et
rapide, il ne suffit pas que l’homme se comporte bien par rapport aux
principes par l’intellect, mais qu’est aussi nйcessaire la science pour les
conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, en plus des vertus
thйologales par lesquelles nous nous comportons bien vis-а-vis de la fin,
d’autres vertus sont-elles nйcessaires, par lesquelles nous sommes bien
ordonnйs par rapport а ce qui se rapporte а la fin.
[65876] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet bonum, in quantum huiusmodi,
sit obiectum appetitivae virtutis et non intellectivae; tamen id quod est
bonum, potest inveniri etiam in intellectiva. Nam cognoscere verum, quoddam
bonum est; et sic habitus perficiens intellectum ad verum cognoscendum, habet
virtutis rationem.
13.
Quoique le bien, en tant que tel, soit l’objet de la puissance appйtitive, et
non de la puissance intellective, ce qui est bien peut cependant se trouver
mкme dans la partie intellective. Car connaоtre le vrai est un certain bien.
Et ainsi, l’habitus perfectionnant l’intellect pour connaоtre le vrai a raison
de vertu.
[65877] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod prudentia secundum essentiam suam intellectualis est, sed habet materiam
moralem; et ideo quandoque cum moralibus numeratur, quodammodo media existens
inter intellectuales et morales.
14.
La prudence est intellectuelle selon son essence, mais elle a une matiиre
morale. C’est pourquoi elle est parfois comptйe parmi les vertus morales, en
occupant d’une certaine faзon une position mйdiane entre les vertus
intellectuelles et les vertus morales.
[65878] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtutes intellectuales licet
distinguantur a moralibus, pertinent tamen ad scientiam moralem in quantum
actus earum voluntati subduntur : utimur enim scientia cum volumus, et aliis
virtutibus intellectualibus. Ex hoc autem aliquid morale dicitur, quod se
habet aliquo modo ad voluntatem.
15.
Bien que les intellectuelles soient distinctes des vertus morales, elles se
rapportent cependant а la science morale pour autant que leurs actes sont
soumis а la volontй. En effet, nous faisons usage de la science lorsque nous
le voulons, ainsi que des autres vertus intellectuelles. Car on dit de
quelque chose que cela est moral lorsque cela a un certain rapport avec la
volontй.
[65879] De virtutibus, q. 1 a.
12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio recta prudentiae non ponitur
in definitione virtutis moralis, quasi aliquid de essentia eius existens; sed
sicut causa quodammodo effectiva ipsius, vel per participationem. Nam virtus moralis nihil aliud est quam participatio quaedam rationis
rectae in parte appetitiva, ut in superioribus dictum est.
16.
La raison droite de la prudence n’est pas placйe dans la dйfinition de la
vertu morale comme si elle faisait partie de son essence, mais comme une
cause qui la rйalise d’une certaine maniиre ou en raison d’une participation.
Car la vertu morale n’est rien d’autre qu’une certaine participation а la
raison droite dans la partie appйtitive, comme on l’a dit plus haut.
[65880] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod materia artis sunt exteriora
factibilia; materia autem prudentiae sunt agibilia in nobis existentia. Sicut
igitur ars requirit rectitudinem quamdam in rebus exterioribus, quae ars
disponit secundum aliquam formam; ita prudentia requirit rectam dispositionem
in passionibus et affectionibus nostris; et propter hoc prudentia requirit
aliquos habitus morales in parte appetitiva, non autem ars.
17.
Les rйalisations extйrieures sont la matiиre de l’art, mais les actions а
poser qui existent en nous sont la matiиre de la prudence. De mкme donc que
l’art requiert une certaine rectitude dans les choses extйrieures, que l’art
dispose selon une certaine forme, de mкme la prudence requiert-elle une
disposition droite dans nos affections et nos passions. Pour cette raison, la
prudence requiert certains habitus dans la partie appйtitive, mais non l’art.
[65881] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum concedimus. Appetitus enim
intellectivae partis, qui est voluntas, potest esse universalis boni, quod
per intellectum apprehenditur; non autem appetitus qui est in parte
sensitiva, quia nec sensus universale apprehendit.
18.
En effet, l’appйtit de la partie intellective, qui est la volontй, peut
porter sur le bien universel, qui est apprйhendй par l’intellect, mais non
l’appйtit qui se trouve dans la partie sensible, parce que le sens
n’apprйhende pas non plus l’universel.
[65882] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet appetitus naturaliter moveatur in
bonum apprehensum; ad hoc tamen quod faciliter inclinetur in hoc bonum, quod
ratio consequitur per prudentiam perfectam, requiritur in parte appetitiva
aliquis habitus virtutis; et praecipue vera ratio deliberans et demonstrans aliquod
bonum, in cuius contrarium appetitus natus est ferri absolute; sicut
concupiscibilis nata est moveri in delectabile sensus, et irascibilis in
vindictam, quae tamen interdum ratio prohibet per suam deliberationem. Similiter etiam voluntas,
ea quae in usum hominis veniunt, nata est appetere sibi ad necessitatem
vitae, sed ratio deliberans aliquando praecipit alteri communicanda. Et ideo in parte appetitiva necessarium est ponere habitus virtutum ad
hoc quod faciliter obediat rationi.
19.
Bien que l’appйtit soit naturellement mы vers le bien apprйhendй, pour qu’il
soit facilement inclinй vers ce bien, que la raison poursuit par la prudence
parfaite, un habitus de vertu est nйcessaire dans la partie appйtitive, et
surtout, une raison vraie dйlibйrant et montrant un certain bien, alors que
l’appйtit, laissй а lui-mкme, est naturellement poussй vers son contraire :
ainsi, le concupiscible est naturellement poussй а кtre mы vers un plaisir du
sens, et l’irascible, vers la vengeance, que la raison interdit cependant par
sa dйlibйration. De la mкme faзon, la volontй est naturellement poussйe а
dйsirer pour elle-mкme, pour ce qui est nйcessaire а la vie, les choses qui
viennent а l’usage de l’homme, mais la raison qui dйlibиre ordonne parfois de
les partager avec un autre. C’est pourquoi il est nйcessaire de mettre dans
la partie appйtitive les habitus des vertus afin qu’elle obйisse facilement а
la raison.
[65883] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum est, quod cognitio ad prudentiam immediate pertinet;
sed operatio pertinet ad eam mediante appetitiva virtute; et ideo debent in
appetitiva etiam virtute esse aliqui habitus, qui dicuntur virtutes morales.
20.
La connaissance relиve immйdiatement de la prudence, mais l’opйration en
relиve par l’intermйdiaire de la puissance appйtitive. C’est pourquoi il doit
y avoir des habitus dans la partie appйtitive, qu’on appelle les vertus
morales.
[65884] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod in omnibus moralibus est una ratio
veri : in omnibus enim moralibus est verum contingens agibile; non tamen in
eis est una ratio boni, quod est obiectum virtutis. Et ideo respectu omnium
moralium est unus habitus cognoscitivus, sed non una virtus moralis.
21.
Dans toutes les rйalitйs morales, n’existe qu’une seule raison de vrai : en
effet, dans toutes les rйalitйs morales, existe le vrai contingent qui peut
кtre accompli. Cependant, il n’y a pas en
elles une seule raison de bien, qui est l’objet de la vertu. C’est pourquoi,
pour toutes les rйalitйs morales, il n’y a qu’un seul habitus cognitif, mais
non pas une seule vertu morale.
[65885] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum,
quod medium in diversis materiis diversimode invenitur; et ideo diversitas
materiae in virtutibus moralibus causat diversitatem formalem secundum quam
virtutes morales specie differunt.
22.
Le milieu se trouve diffйremment selon les diverses matiиres. C’est pourquoi
la diversitй de matiиre dans les vertus morales cause une diversitй formelle,
selon laquelle les vertus morales diffиrent selon l’espиce.
[65886] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod quaedam virtutes morales speciales,
et circa materiam specialem existentes, appropriant sibi illud quod est
commune omni virtuti, et ab eo denominantur : propterea quod illud quod est
omnibus commune in aliqua speciali materia, praecipue difficultatem et laudem
habet. Manifestum
est enim quod ad quamlibet virtutem requiritur quod actus eius sit
modificatus secundum debitas circumstantias, quibus in medio constituitur, et
quod sit directus in ordine ad finem, vel ad quodcumque aliud exterius; et
iterum quod habeat firmitatem. Immobiliter enim operari est una de
conditionibus virtutis, ut patet III Ethic.; persistere autem firmiter praecipue
habet difficultatem et laudem in periculis mortis, et ideo virtus quae est
circa hanc materiam, nomen sibi fortitudinis vindicat. Continere autem,
specialiter habet difficultatem et laudem in delectabilibus tactus; unde
virtus quae est circa hanc materiam, temperantia nominatur. In usu autem
rerum exteriorum praecipue requiritur et laudatur rectitudo, quia in
huiusmodi bonis homines sibi communicant; et ideo hoc est bonum virtutis in
eis, quia quantum ad ea homo directe secundum aequalitatem quamdam se habet
ad alios; et ab hoc denominatur iustitia. Quandoque ergo homines de
virtutibus loquentes, utuntur nomine fortitudinis et temperantiae et
iustitiae, non secundum quod sunt virtutes speciales in determinata materia,
sed secundum conditiones generales a quibus denominantur. Et per hoc dicitur
quod temperantia debet esse fortis, id est firmitatem habere; et fortitudo
debet esse temperata, id est modum servare, et eadem ratio est in aliis. De
prudentia vero manifestum est quod quodammodo est generalis, in quantum habet
pro materia omnia moralia, et in quantum omnes virtutes morales quodammodo
eam participant, ut ostensum est in isto art. ad 16 arg., et hac ratione
dicitur quod omnis virtus moralis debet esse prudens.
23.
Certaines vertus morales particuliиres, portant sur une matiиre particuliиre,
s’approprient ce qui est commun а toute vertu et en portent le nom, parce que
ce qui est commun comporte, dans une matiиre particuliиre, une difficultй et
une louange particuliиres. En effet, il est clair qu’il est nйcessaire pour
toute vertu que ses actes soient rйglйs selon les circonstances appropriйes,
en fonction desquelles elle dйtermine un milieu, et qu’elle soit orientйe
selon l’ordre а la fin ou vers quelque chose d’extйrieur, et aussi, qu’elle
possиde une fermetй. En effet, agir immuablement est une condition de la
vertu, comme cela ressort clairement de l’Йthique, III; et persister
fermement comporte une difficultй et une louange, surtout dans les dangers de
mort. C’est pourquoi la vertu qui porte sur cette matiиre revendique le nom
de force. Mais se contenir comporte une difficultй et une louange spйciales
dans les plaisirs du toucher. Aussi la vertu qui porte sur cette matiиre
est-elle appelйe tempйrance. Pour ce qui est de l’usage des choses extйrieures,
la droiture surtout est exigйe et louйe, car les hommes йchangent ce genre de
biens entre eux. C’est pourquoi lа se trouve le bien de la vertu en cette
matiиre, car, pour ce qui concerne ces choses, l’homme se comporte
correctement envers les autres par une certaine йgalitй. Pour cette raison,
elle est appelйe justice. Parfois donc, lorsqu’ils parlent des vertus, les
hommes utilisent le nom de force, de tempйrance et de justice, non pas selon
qu’elles sont des vertus spйciales portant sur une matiиre dйterminйe, mais
selon les conditions gйnйrales d’aprиs lesquelles elles sont nommйes. C’est
ainsi qu’on dit que la tempйrance doit кtre forte, c’est-а-dire possйder une
fermetй; et que la force doit кtre tempйrйe, c’est-а-dire respecter une
mesure. Et la mкme raison vaut pour les autres. Mais il est clair que
prudence est, d’une certaine maniиre, gйnйrale, pour autant qu’elle a comme
matiиre toutes les rйalitйs morales, et pour autant que toutes les vertus
morales y participent, comme on l’a montrй dans le prйsent article, а
l’argument 16. Pour cette raison, on dit que toute vertu doit кtre prudente.
[65887] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod virtus aliqua dicitur cardinalis,
quasi principalis, quia super eam aliae virtutes firmantur sicut ostium in
cardine. Et quia
ostium est per quod introitur in domum, ratio cardinalis virtutis non
competit virtutibus theologicis, quae sunt circa ultimum finem, ex quo non
est introitus vel motus ad aliquid interius. Convenit enim virtutibus theologicis
quod super eas aliae virtutes firmentur, sicut supra aliquid immobile; et
ideo fides dicitur fundamentum, 1 Corinth., III, 11 : fundamentum enim
aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est; spes ancora, Heb.
VI, 19 : sicut anima ancoram etc.; caritas radix, Ephes. III, 17 : in
caritate radicati et fundati. Similiter etiam intellectuales non dicuntur
cardinales, quia perficiunt in vita contemplativa quaedam earum, scilicet
sapientia, scientia, et intellectus : vita autem contemplativa est finis,
unde non habet rationem ostii. Sed vita activa, in qua perficiuntur morales,
est ut ostium ad contemplativam. Ars autem non habet virtutes sibi
cohaerentes, ut cardinalis dici possit. Sed
prudentia, quae dirigit in vita activa, inter cardinales virtutes computatur.
24.
Une vertu est appelйe cardinale, ou principale, parce que d’autres vertus
s’appuient sur elle comme une porte sur un gond (in cardine). Et parce
que la porte est ce par oщ l’on entre dans la maison, la raison de vertu
cardinale ne convient pas aux vertus thйologales, qui portent sur la fin
ultime, а partir de laquelle il n’y a pas d’entrйe ou de mouvement vers
quelque chose а l’intйrieur. En effet, il convient aux vertus thйologales que
d’autres vertus s’appuient sur elles comme sur quelque chose d’immuable.
C’est pourquoi on dit que la foi est le fondement, 1 Co 3, 11
: Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a йtй
opposй ; que l’espйrance est une ancre, He 6, 19 : [Nous
avons] comme ancre de notre вme, etc.; que la charitй est la racine,
Ep 3, 17 : Enracinйs et appuyйs sur la charitй. De la mкme
faзon aussi, les vertus intellectuelles ne sont pas appelйes cardinales,
parce qu’elles rйalisent dans la contemplation certaines choses qui leur
appartiennent, а savoir, la sagesse, la science et l’intelligence. Mais la
vie contemplative est la fin; elle n’a donc pas raison de porte. Toutefois,
la vie active, dans laquelle sont accomplies les vertus morales, est comme la
porte de la vie contemplative. L’art n’a pas de vertus qui lui soient
associйes au point qu’il soit appelй cardinal. Mais la prudence, qui assure
la direction dans la vie active, est comptйe au nombre des vertus cardinales.
[65888] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum,
quod in parte rationali sunt duae virtutes, scilicet appetitiva, quae vocatur
voluntas; et apprehensiva, quae vocatur ratio. Unde
in parte rationali sunt duae virtutes cardinales : prudentia quantum ad
rationem, iustitia quantum ad voluntatem. In
concupiscibili autem temperantia; sed in irascibili fortitudo.
25.
Dans la partie raisonnable, il existe deux puissances : la puissance
appйtitive, qui est appelйe volontй; et la puissance apprйhensive, qui est
appelйe raison. Aussi y a –t-il dans la partie raisonnable deux vertus cardinales
: la prudence, pour ce qui est de la raison, et la justice, pour ce qui est
de la volontй. Dans le concupiscible, il y a la tempйrane, mais, dans
l’irascible, la force.
[65889] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod in unaquaque materia oportet esse
cardinalem virtutem circa id quod est principalius in materia illa. Virtutes autem quae sunt circa alia quae pertinent ad illam materiam,
dicuntur secundariae vel adiectae. Sicut in passionibus concupiscibilis,
principaliores sunt concupiscentiae et delectationes quae sunt secundum
tactum, circa quas est temperantia; et ideo in materia ista temperantia
ponitur cardinalis; eutrapelia vero, quae est circa delectationes quae sunt
in ludis, potest poni secundaria vel adiuncta. Similiter inter passiones
irascibilis, praecipuum est quod pertinet ad timores et audacias circa
pericula mortis, circa quae est fortitudo : unde fortitudo ponitur virtus
cardinalis in irascibili; non mansuetudo, quae est circa iras, licet ab ira
denominetur, irascibilis propter hoc quod est ultima inter passiones
irascibilis; nec etiam magnanimitas et humilitas, quae quodammodo se habent
ad spem vel fiduciam alicuius magni : non enim ita movent hominem ira et
spes, sicut timor mortis. In actionibus autem quae sunt respectu exteriorum
quae veniunt in usum vitae, primum et praecipuum est quod unicuique quod suum
est, reddatur : quod facit iustitia. Hoc enim subtracto, neque liberalitas
neque magnificentia locum habet, et ideo iustitia est cardinalis virtus, et aliae
sunt adiunctae. In actibus etiam rationis praecipuum est praecipere, sive
eligere, quod facit prudentia : ad hoc enim ordinatur et consultiva, in quo
dirigit eubulia, et iudicium de consiliatis, in quo dirigit synesis. Unde prudentia est cardinalis, aliae vero virtutes sunt adiunctae.
26.
En chaque matiиre, il est nйcessaire qu’existe une vertu cardinale portant
sur ce qui esst plus important dans cette matiиre. Les vertus qui portent sur
d’autres choses appartenant а cette matiиre sont appelйes secondaires ou
associйes. Ainsi, dans les passions du concupiscible, les principales
[passions] sont les dйsirs et les plaisirs qui concernent le toucher, sur
lesquels porte la tempйrance. C’est pourquoi, dans cette matiиre, la
tempйrance est cardinale. Mais l’eutrapйlie, qui porte sur les plaisirs des
jeux, peut кtre mise comme secondaire ou associйe. De mкme, dans les passions
de l’irascible, est principal ce qui concerne les craintes et les audaces en
rapport avec les dangers de morts, sur lesquelles porte la force. C’est
pourquoi la force est mise comme vertu cardinale de l’irascible, et non pas
la douceur, qui porte sur les colиres, bien que l’irascible tire son nom de
la colиre, parce que c’est la colиre qui occupe le point le plus йlevй des
passions de l’irascible. Ni la magnanimitй ni l’humilitй, qui se rapportent
d’une certaine maniиre а l’espoir ou а la confiance en quelque chose de grand
: en effet, la colиre et l’espoir ne meuvent pas autant l’homme que la
crainte de la mort. Parmi les actions qui portent sur les rйalitйs
extйrieures qui sont utilisйes pour vivre, la premiиre et la principale
consiste en ce que soit rendu а chacun ce qui lui appartient, ce que fait la
justice. Si cela est enlevй, ni la libйralitй ni la magnificence n’ont de
place. C’est pourquoi la justice est une vertu cardinale et les autres, des
[vertus] associйes. Parmi les actions de la raison, la principale consiste а
commander ou а choisir, ce que fait la prudence : en effet, c’est а cela que
sont ordonnйs la consultation, que dirige l’eubolia, et le jugement
sur ce qui est conseillй, que dirige la synesis. Ainsi, la prudence
est une [vertu] cardinale, mais les autres vertus sont associйes.
[65890] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum,
quod aliae virtutes adiunctae vel secundariae ponuntur partes cardinalium,
non integrales vel subiectivae, cum habeant materiam determinatam et actum
proprium; sed quasi partes potentiales, in quantum particulariter
participant, et deficienter medium quod principaliter et perfectius convenit
virtuti cardinali.
27.
Les autres vertus associйs ou secondaires sont donnйes comme des parties des
vertus cardinales, non pas intйgrales ou subjectives, puisqu’elles ont une
matiиre dйterminйe et un acte propre, mais comme des parties potentielles,
pour autant qu’elles y participent d’une maniиre particuliиre et dйfinissent
le milieu, qui convient principalement et plus parfaitement а une vertu
cardinale.
[65893] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 1 Quia, ut dicitur in I de caelo, virtus est ultimum potentiae. Sed ultimum non est medium, sed magis extremum. Ergo virtus non est in
medio, sed in extremo.
1. Comme il est dit dans Sur le ciel, I,
la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, ce qui est le point ultime
n’est pas un milieu, mais plutфt un extrкme. La vertu ne se situe donc pas au
milieu, mais а l’extrкme.
[65894]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 2 Praeterea, virtus habet rationem boni; est enim bona
qualitas, ut Augustinus dicit. Bonum autem habet rationem finis, quod est
ultimum, et ita extremum. Ergo magis virtus est in extremo quam in medio.
2. La vertu a raison de bien : en effet, elle
est une bonne qualitй, comme le dit Augustin. Or, le bien a raison de fin, ce
qui est le point ultime, et ainsi extrкme. La vertu se situe donc davantage
dans un extrкme que dans un milieu.
[65895] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 3 Praeterea, bonum est contrarium malo, inter quae nullum est
medium, quod neque bonum neque malum est, ut dicitur in postpraedicamentis.
Ergo bonum habet rationem extremi; et sic virtus, quae bonum facit habentem,
et opus eius bonum reddit, ut dicitur in II Ethic., non est in medio sed in
extremo.
3.
Le bien est contraire au mal : entre les deux, il n’y a aucun milieu, qui ne
soit ni bien ni mal, comme il est dit dans les Postprйdicaments. Le
bien a donc raison d’extrкme, et ainsi la vertu, qui «rend bon celui qui la
possиde et rend son acte bon», comme il est dit dans Йthique, II, ne
se situe pas dans un milieu mais dans un extrкme.
[65896]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 4 Praeterea virtus est bonum rationis; hoc enim est
virtuosum quod secundum rationem est. Ratio autem in homine non se habet ut
medium, sed ut supremum. Ergo ratio medii non competit virtuti.
4.
La vertu est le bien de la raison : en effet, est vertueux ce qui est
conforme а la raison. Or, la raison chez l’homme ne se prйsente pas chez
l’homme comme un milieu, mais comme quelque chose de suprкme. La raison de
milieu ne convient donc pas а la vertu.
[65897] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 5 Praeterea, omnis virtus, aut est theologica, aut
intellectualis, aut moralis, ut ex superioribus patet. Sed virtus theologica
non est in medio; quia Bernardus dicit quod modus caritatis est non habere
modum. Caritas autem praecipua est inter alias virtutes theologicas, et radix
earum. Similiter etiam nec intellectualibus virtutibus videtur competere
ratio medii : quia medium est inter contraria; res autem, prout sunt in
intellectu non sunt contrariae, nec intellectus corrumpitur ex excellenti
intelligibili, ut dicitur in III de anima. Similiter etiam nec virtutes
morales videntur esse in medio : quia quaedam virtutes consistunt in maximo :
sicut fortitudo est circa maxima pericula, quae sunt pericula mortis; et
magnanimitas circa magnum in honoribus; et magnificentia circa magnum in
sumptibus; et pietas circa maximam reverentiam quae debetur parentibus,
quibus nihil aequivalens reddere possumus; et simile est de religione, quae
circa magnum est in cultu divino, cui non possumus sufficienter servire. Ergo virtus non est in medio.
5.
Toute vertu est soit thйologale, soit intellectuelle, soit morale, comme cela
ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut. Or, la vertu thйologale ne
se situe pas dans un milieu, car Bernard dit que la mesure de la charitй
consiste en ce qu’elle n’ait pas de mesure. Or, la charitй est la principale
des vertus thйologales et leur racine. De mкme aussi, la raison de milieu ne
semble pas convenir aux vertus intellectuelles, car le milieu se situe entre
des contraires. Or, les choses, en tant qu’elles sont dans l’intellect, ne
sont pas contraires, et l’intellect n’est pas corrompu par un objet
intelligible excellent, comme il est dit dans Sur l’вme, III. De mкme
encore, les vertus morales ne semblent pas se situer dans un milieu, car
certaines vertus portent sur ce qui est le plus grand, comme la force porte
sur les dangers les plus grands, qui sont les dangers de mort, la magnanimitй
sur les plus grands honneurs, la magnificence sur les plus grandes dйpenses,
la piйtй sur le plus grand respect qui est dы aux parents, auxquels nous ne
pouvons rendre rien d’йquivalent. Et il en est de mкme pour la religion, qui
porte sur ce qui est grand dans le culte de Dieu, que nous ne pouvons
suffisamment servir. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
[65898] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 6 Praeterea,
si perfectio virtutis consistit in medio, oportet quod perfectiores virtutes
magis in medio consistant. Sed virginitas et paupertas sunt perfectiores
virtutes, quia cadunt sub consilio, quod non est nisi de meliori bono. Ergo
virginitas et paupertas essent in medio : quod videtur esse falsum; quia
virginitas in materia venereorum abstinet ab omni venereo, et ita tenet
extremum; et similiter in possessionibus paupertas, quia renuntiat omnibus. Non ergo videtur quod ratio virtutis sit consistere in medio.
6.
Si la perfection de la vertu se situe dans un milieu, il est nйcessaire que
les vertus plus parfaites se situent plutфt dans un milieu. Or, la virginitй
et la pauvretй sont des vertus plus parfaites parce qu’elles sont l’objet
d’un conseil, qui ne porte que sur un bien meilleur. La virginitй et la
pauvretй se situeraient donc dans un milieu, ce qui semble кtre faux, car la
virginitй s’abstient de tout plaisir sexuel en matiиre de plaisirs sexuels,
et se situe ainsi а un extrкme. De mкme en est-il de la pauvretй pour les
possessions, car elle renonce а toutes. Il ne semble donc pas que la raison
de vertu se situe dans un milieu.
[65899] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 7 Praeterea, Boetius in arithmetica assignat triplex medium :
scilicet arithmeticum, ut 6 inter 4 et 8, quia secundum aequalem quantitatem
distat ab utroque; et medium geometricum, sicut 6 inter 9 et 4, quia secundum
eamdem proportionem, scilicet sesquialteram, ab utroque extremo distat, licet
non secundum eamdem quantitatem; et medium harmonicum, sive musicum, sicut 3
est medium inter 6 et 2, quia quae proportio est unius extremi ad alterum,
scilicet 6 ad 2, eadem est proportio 3 (quod est differentia inter 6 et 3) ad
1, quod est differentia inter 2 et 3. Nullum autem istorum mediorum salvatur
in virtute; quia non oportet quod medium virtutis aequaliter se habeat ad
extremum neque secundum quantitatem, neque secundum proportionem et
terminorum et differentiarum. Ergo virtus non est
in medio.
7.
Boиce, dans Arithmйtique, signale trois milieux : le [milieu]
arithmйtique, comme 6 entre 4 et 8, car il est а йgale distance des deux par
une quantitй йgale; le milieu gйomйtrique, comme 6 entre 9 et 4, car il est
йgale distance des deux selon une mкme proportion, а savoir, sesquialtиre
[une fois et demie], bien qu’il ne le soit pas selon une quantitй йgale; le
milieu harmonique ou musical, comme 3 est le milieu entre 6 et 2, parce que
la proportion d’un extrкme а l’autre, а savoir, de 6 а 2, est la mкme proportion
de 3 (qui est la diffйrence entre 6 et 3) а 1, qui est la diffйrence entre 2
et 3. Or, aucun de ces milieux n’est respectй dans la vertu, car il n’est pas
nйcessaire que le milieu de la vertu se situe йgalement par rapport aux
extrкmes selon la quantitй, ni selon une proportion des termes et des
diffйrences. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
[65900]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 8 Sed dicendum, quod virtus consistit in medio
rationis, et non in medio rei, de quo dicit Boetius.- Sed contra, virtus,
secundum Augustinum, computatur inter maxima bona, quibus nullus male utitur.
Si ergo bonum virtutis est in medio, oportet quod medium virtutis maxime
habeat rationem medii. Sed medium rei perfectius habet rationem medii
quam medium rationis. Ergo medium virtutis magis est medium rei quam medium
rationis.
8.
La vertu consiste dans un milieu selon la raison, et non dans le milieu d’une
chose, dont parle Boиce. – En sens contraire,
la vertu, selon Augustin, compte parmi les plus grands biens, que personne
n’utilise mal. Si donc le bien de la vertu se trouve dans un milieu, il est
nйcessaire que le milieu de la vertu possиde au plus haut point la raison de
milieu. Or, le milieu d’une chose possиde plus parfaitement la raison de
milieu que le milieu selon la raison. Le milieu de la vertu est donc
davantage le milieu d’une chose qu’un milieu selon la raison.
[65901] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 9 Praeterea, virtus moralis est circa passiones et operationes
animae, quae sunt indivisibiles. In indivisibili autem non est accipere
medium et extrema. Ergo virtus non consistit in medio.
9.
La vertu morale porte sur les passions et les opйrations de l’вme, qui sont
indivisibles. Or, dans l’indivisible, on ne peut dйterminer de milieu ni
d’extrкmes. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
[65902]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 10 Praeterea, philosophus dicit in Lib. topicorum, quod
in voluptatibus melius est facere quam fecisse, vel fieri quam factum esse.
Sed virtus aliqua est circa voluptates, scilicet temperantia. Ergo, cum
virtus semper quaerat quod melius est; semper temperantia quaeret voluptates
fieri, quod est tenere extremum, et non medium. Non ergo virtus moralis
consistit in medio.
10.
Le Philosophe dit, dans le livre des Topiques, que, pour les plaisirs,
mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, ou les rechercher que de les avoir
eus. Or, une vertu porte sur les plaisirs, а savoir, la tempйrance. Puisque
la vertu cherche toujours ce qui est meilleur, la tempйrance vise donc
toujours а rechercher les plaisirs, ce qui est se situer а un extrкme, et non
dans un milieu. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.
[65903] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 11 Praeterea, ubi est invenire magis et minus, ibi est invenire
medium. Sed in vitiis est invenire magis et minus; est enim aliquis magis vel
minus luxuriosus vel gulosus. Ergo in gula et luxuria, et in aliis vitiis,
est invenire medium. Si ergo ratio virtutis est esse in medio, videtur quod
in vitiis sit invenire virtutem.
11.
Lа oщ l’on trouve du plus et du moins, lа on trouve un milieu. Or, on trouve
du plus et eu moins dans les vices : en effet, quelqu’un est plus ou moins
luxurieux ou gourmand. On trouve donc un milieu dans la gourmandise et la
luxure, et dans les autres vices. Si donc la raison de vertu consiste а se
situer dans un milieu, il semble qu’on trouve de la vertu dans les vices.
[65904] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 12 Praeterea,
si virtus consistit in medio, non nisi in medio duorum vitiorum. Hoc autem
non convenit omni virtuti morali; iustitia enim non est inter duo vitia, sed
habet unum tantum vitium oppositum : accipere enim plus quam suum est, hoc
vitiosum est; sed quod auferatur alicui de eo quod suum est, absque suo vitio
est. Ergo
ratio virtutis moralis non est ut in medio consistat.
12.
Si la vertu se situe dans un milieu, ce n’est que dans un milieu entre deux
vices. Or, cela ne convient pas а toutes les vertus morales. En effet, la
justice ne se situe pas entre deux vices, mais n’a qu’un vice opposй, car
prendre plus que ce qui vous appartient, cela est vicieux, mais enlever а
quelqu’un ce qui vous appartient est accompli sans vice. La raison de vertu
morale ne consiste donc pas а se situer dans un milieu.
[65905] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 13 Praeterea, medium aequaliter
distat ab extremis. Sed virtus non aequaliter distat ab extremis. Fortis
enim propinquior est audaci quam timido, et liberalis prodigo quam tenaci; et
similiter patet in aliis. Ergo virtus moralis non consistit in medio.
13.
Le milieu est а йgale distance des extrкmes. Or, la vertu n’est pas а йgale
distance des extrкmes. En effet, le fort est plus proche de l’audacieux que
du timide, et celui qui est libйral [est plus proche] du prodigue que de
l’avare. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.
[65906]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 14 Praeterea, de extremo in extremum non transitur nisi
per medium. Si ergo virtus sit in medio, non erit de uno vitio opposito in
aliud transitus nisi per virtutem; quod patet esse falsum.
14.
On ne va d’un extrкme а l’autre qu’en passant par le milieu. Si donc la vertu
se situe dans un milieu, il n’y aura passage d’un vice opposй а un autre
qu’en passant par la vertu. Ce qui est manifestement faux.
[65907] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem genere. Sed
fortitudo et timiditas et audacia non sunt in eodem genere : nam fortitudo
est in genere virtutis; timiditas et audacia in genere vitii. Ergo fortitudo
non est medium inter ea. Et similiter potest obiici de aliis virtutibus.
15.
Le milieu et les extrкmes appartiennent au mкme genre. Or, la force, la
timiditй et l’audace ne font pas partie du mкme genre, car la force est dans
le genre de la vertu, et la timiditй et l’audace dans le genre du vice. La
force n’est donc pas un milieu entre celles-ci. Et on peut faire la mкme
objection а propos des autres vertus.
[65908]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 16 Praeterea, in quantitatibus sicut extrema sunt
indivisibilia, ita et medium; nam punctum est et medium et terminus lineae. Si
ergo virtus consistit in medio, consistit in indivisibili. Et hoc etiam
videtur per hoc quod philosophus dicit in II Ethic., quod difficile est esse
virtuosum; sicut difficile est attingere signum, vel invenire centrum in
circulo. Si ergo virtus in indivisibili consistit, videtur quod virtus non
augeatur et minuatur; quod est manifeste falsum.
16.
Dans les quantitйs, de mкme que les extrкmes sont indivisibles, de mкme en
est-il du milieu, car le point est а la fois le milieu et le terme de la
ligne. Si donc la vertu se situe dans un milieu, elle consiste dans un
indivisible. C’est aussi ce que semble dire le Philosophe dans Йthique, II,
qu’кtre vertueux est difficile, comme il est difficile d’atteindre un repиre
ou de trouver le centre dans un cercle. Si donc la vertu se situe dans un
milieu, il semble que la vertu n’augmente pas ni ne diminue. Ce qui est
manifestement faux.
[65909]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 17 Praeterea, in indivisibili non est aliqua
diversitas. Si ergo virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur
quod in virtute non sit aliqua diversitas, ita quod id quod est virtuosum
uni, sit virtuosum alteri; quod est manifeste falsum : nam aliquis laudatur
in uno, qui vituperatur in altero.
17.
Il n’y a pas de diversitй dans ce qui est indivisible. Si donc la vertu se
situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il semble qu’il
n’y aura aucune diversitй dans la vertu, de sorte que ce qui est vertueux
pour l’un sera vertueux pour l’autre, ce qui est manifestement faux, car
quelqu’un est louangй pour une chose qui est blвmйe chez un autre.
[65910] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 18 Praeterea, quidquid vel ad modicum elongatur ab indivisibili,
puta a centro, est extra indivisibile, et extra centrum. Si igitur virtus sit
in medio sicut in quodam indivisibili, videtur quod quodcumque vel ad modicum
declinet ab eo quod est rectum fieri, sit extra virtutem; et sic rarissime
homo operatur secundum virtutem. Non ergo virtus est in medio.
18.
Tout ce qui s’йloigne ne serait-ce qu’un peu de ce qui est indivisible, par
exemple, du centre, se trouve en dehors de l’indivisible et en dehors du
centre. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose
d’indivisible, il semble que tout ce s’йcarte un peu de ce qui est bien agir
soit en dehors de la vertu. Et ainsi, ce n’est que trиs rarement que l’homme
agit selon la vertu. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
Cependant :
[65911]
De virtutibus, q. 1 a. 13 s. c. Sed contra, est quod omnis virtus vel est moralis, vel
intellectualis, vel theologica. Virtus autem moralis est in medio; nam virtus
moralis, secundum philosophum in VII Ethic., est habitus electivus in
medietate consistens. Virtus etiam intellectualis videtur esse in
medio, propter id quod apostolus dicit, Rom., XII, 3 : non plus sapere
quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem. Similiter etiam virtus
theologica videtur esse in medio; nam fides incedit media inter duas
haereses, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis; spes etiam est media
inter praesumptionem et desperationem. Ergo omnis virtus est
in medio.
Toute
vertu est soit morale, soit intellectuelle, soit thйologale. Or, la vertu
morale se situe dans un milieu, car la vertu morale, selon le Philosophe dans
Йthique, VI, est un habitus йlectif qui se situe dans un milieu. La
vertu intellectuelle aussi semble se situer dans un milieu en raison de ce
que l’Apфtre dit, Rm 12, 3 : Ne pas savoir plus qu’il faut en
savoir, mais savoir avec modйration. De mкme, la vertu thйologale semble
se situer dans un milieu, car la foi chemine entre deux hйrйsies, comme le
dit Boиce dans le Livre sur les deux natures; l’espйrance aussi se
situe entre la prйsomption et le dйsespoir. Toute vertu se situe donc dans un
milieu.
Rйponse
:
[65912] De virtutibus, q.
1 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod virtutes morales et intellectuales sunt
in medio, licet aliter et aliter; virtutes autem theologicae non sunt in
medio, nisi forte per accidens. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod
cuiuslibet habentis regulam et mensuram bonum consistit in hoc quod est
adaequari suae regulae vel mensurae; unde dicimus illud bonum esse quod neque
plus neque minus habet quam debet habere. Considerandum autem est quod
materia virtutum moralium sunt passiones et operationes humanae, sicut factibilia
sunt materia artis. Sicut igitur bonum in his quae fiunt per artem, consistit
in hoc quod artificiata accipiant mensuram secundum quod exigit ars, quae est
regula artificiatorum; ita bonum in passionibus et operationibus humanis est
quod attingatur modus rationis, qui est mensura et regula omnium passionum et
operationum humanarum. Nam cum homo sit homo per hoc quod rationem habet,
oportet quod bonum hominis sit secundum rationem esse. Quod autem in
passionibus et operationibus humanis aliquis excedat modum rationis vel
deficiat ab eo, hoc est malum. Cum igitur bonum hominis sit virtus humana,
consequens est quod virtus moralis consistat in medio inter superabundantiam
et defectum; ut superabundantia et defectus et medium accipiantur secundum
respectum ad regulam rationis. Virtutum autem intellectualium, quae sunt in
ipsa ratione, quaedam sunt practicae, ut prudentia et ars; quaedam
speculativae, ut sapientia, scientia et intellectus. Et
practicarum quidem virtutum materia sunt passiones et operationes humanae,
vel ipsa artificialia; materia autem virtutum speculativarum sunt res ipsae
necessariae. Aliter autem se habet ratio ad utraque. Nam ad ea circa quae
ratio operatur, se habet ratio ut regula et mensura, sicut iam dictum est; ad
ea vero quae speculatur, se habet ratio sicut mensuratum et regulatum ad
regulam et mensuram : bonum enim intellectus nostri est verum, quod quidem
sequitur intellectus noster quando adaequatur rei. Sicut igitur virtutes
morales consistunt in medio determinato per rationem; ita ad prudentiam, quae
est virtus intellectualis practica circa moralia, pertinet idem medium in
quantum ponit ipsum circa actiones et passiones. Et hoc patet per
definitionem virtutis moralis, quae, ut in II Ethic. dicitur, est habitus
electivus, in medietate consistens, ut sapiens determinabit. Idem ergo est medium
prudentiae et virtutis moralis; sed prudentiae est sicut imprimentis,
virtutis moralis sicut impressi; sicut eadem est rectitudo artis ut
rectificantis, et artificiati ut rectificati. In
virtutibus autem intellectualibus speculativis medium erit ipsum verum, quod
consideratur in eo secundum quod attingit suam mensuram. Quod quidem non est
medium inter aliquam contrarietatem quae sit ex parte rei : contraria enim
inter quae accipitur medium virtutis, non sunt ex parte mensurae, sed ex
parte mensurati, secundum quod excedit vel deficit a mensura; sicut patet ex
hoc quod dictum est de virtutibus moralibus. Oportet
igitur contraria inter quae est hoc medium virtutum intellectualium, accipere
ex parte ipsius intellectus. Contraria autem intellectus sunt opposita
secundum affirmationem et negationem, ut patet in II Periher. Inter
affirmationes ergo et negationes oppositas accipitur medium virtutum
intellectualium speculativarum, quod est verum : ut puta, quia verum est cum
dicitur esse quod est, et non esse quod non est; falsum autem secundum
excessum erit, ut dicitur esse quod non est; secundum defectum vero, cum
dicitur non esse quod est. Si igitur in intellectu non esset aliqua propria
contrarietas praeter contrarietatem rerum, non esset accipere in virtutibus
intellectualibus medium et extrema. Manifestum est autem, quod in voluntate
non est accipere aliquam contrarietatem propriam, sed solum secundum ordinem
ad res volitas contrarias : quia intellectus cognoscit aliquid secundum quod
est in ipso; voluntas autem movetur ad rem secundum quod in se est. Unde si
aliqua virtus sit in voluntate secundum comparationem ad eius mensuram et
regulam, talis virtus non consistet in medio : non enim est accipere extrema
ex parte mensurae, sed ex parte mensurati tantum, prout excedit vel
diminuitur a mensura. Virtutes autem theologicae ordinantur ad suam
materiam vel obiectum, quod est Deus, mediante voluntate. Et quod de caritate et
spe manifestum est, hoc circa fidem similiter dicitur. Nam licet fides sit in
intellectu, est tamen in eo secundum quod imperatur a voluntate : nullus enim
credit nisi volens. Unde, cum Deus sit regula et mensura voluntatis humanae,
manifestum est quod virtutes theologicae non sunt in medio, per se loquendo;
etsi contingat quandoque aliquam earum esse in medio per accidens, ut postea
exponetur.
Les
vertus morales et intellectuelles se situent dans un milieu, bien que de
maniиre diffйrente; mais les vertus thйologales ne situent pas dans un
milieu, si ce n’est par accident. Pour clarifier cela, il faut savoir que le
bien de tous ceux qui ont une rиgle ou une mesure consiste а йgaler leur
rиgle ou mesure. Ainsi disons-nous qu’est bon ce qui n’a ni plus ni moins que
cela doit avoir. Or, il faut observer que les passions et les opйrations
humaines sont la matiиre des vertus morales, comme les choses а rйaliser sont
la matiиre de l’art. De mкme donc que le bien, dans ce qui est fait par
l’art, consiste en ce que les choses rйalisйes reзoivent la mesure qu’exige
l’art, qui est la rиgle des choses rйalisйes, de mкme le bien, pour les
passions et les opйrations humaines, consiste-t-il en ce que la mesure de la
raison soit atteinte, qui est la mesure et la rиgle de toutes les passions et
opйrations humaines. En effet, puisque l’homme est homme par le fait de
possйder la raison, il est nйcessaire que le bien de l’homme consiste а
exister selon la raison. Mais ce qui, pour les passions et les opйrations
humaines, dйpasse la mesure de la raison ou n’y atteint pas, cela est mal.
Puisque le bien de l’homme est la vertu humaine, il en dйcoule donc que la
vertu morale se situe dans un milieu entre l’excиs et le manque, de telle
sorte que l’excиs et le manque soient entendus par rapport а la rиgle de la raison.
Or, parmi les vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la raison
elle-mкme, certaines sont pratiques, comme la prudence et l’art, et certains
spйculatives, comme la sagesse, la science et l’intelligence. Les passions et
les opйrations humaines sont la matiиre des vertus pratiques, alors que les
choses elles-mкmes qui ont un caractиre nйcessaire sont la matiиre des vertus
spйculatives. Or, la raison a un rapport diffйrent avec les deux. Car le
rapport de la raison avec ce qu’elle accomplit en est un de rиgle et de
mesure, comme on l’a dйjа dit; mais le rapport de la raison avec ce sur quoi
elle spйcule est celui de ce qui est mesurй et rйglй par rapport а la rиgle
et а la mesure : en effet, le bien de notre intelligence est le vrai,
qu’atteint notre intellect lorsqu’il est йgal а une rйalitй. Comme les vertus
morales se situent dans un milieu dйterminй par la raison, ainsi le mкme
milieu relиve-t-il de la prudence, qui est une vertu intellectuelle pratique
portant sur les rйalitйs morales, pour autant qu’elle l’йtablit pour les
actions et les passions. Et cela ressort clairement de la dйfinition de la
vertu morale qui, comme le dit Йthique, II, est un habitus йlectif se
situant dans un milieu que la sagesse dйterminera. Le milieu de la prudence
est donc le mкme que celui de la vertu morale, mais celui de la prudence
l’est en tant qu’elle imprиgne, et celui de la vertu morale en tant qu’elle
est imprйgnйe, comme la rectitude de l’art, en tant qu’йtablissant une
rectitude, est la mкme que ce qui est le rйsultat de l’art, en tant qu’une
rectitude y est йtablie. Mais, dans les vertus intellectuelles spйculatives,
le milieu serait le vrai lui-mкme, qui est observй par le fait qu’il atteint
sa mesure, ce qui n’est pas un milieu entre des contraires qui viendraient de
la chose : en effet, les contraires entre lesquels le milieu de la vertu est
conзu ne viennent pas de la mesure, mais de ce qui est mesurй, selon que cela
dйpasse ou fait dйfaut а la mesure, comme cela ressort clairement de ce qui a
йtй dit des vertus morales. Il faut donc concevoir les contraires entre
lesquels se situe ce milieu des vertus intellectuelles du cфtй de
l’intelligence elle-mкme. Or, les contraires dans l’intelligence s’opposent
selon l’affirmation et la nйgation, comme cela ressort clairement du Perihermeneias,
II. Le milieu des vertus intellectuelles spйculatives se situe donc entre
les affirmations et les nйgations opposйes, ce qui est le vrai : par exemple,
il est vrai de dire que ce qui est est, et que ce qui n’est pas n’est pas; mais
il sera faux par excиs de dire que ce qui n’est pas est, mais par dйfaut, que
ce qui est n’est pas. S’il n’existait donc pas dans l’intelligence quelque
contrariйtй propre au-delа de la contrariйtй dans les choses, il n’y aurait
pas lieu de reconnaоtre un milieu et des extrкmes dans les vertus
intellectuelles. Or, il est clair que, dans la volontй, il n’y a pas lieu de
reconnaоtre une contrariйtй propre, mais seulement selon l’ordre par rapport
а des choses voulues contraires, car l’intellect connaоt une chose selon
qu’elle existe en lui, mais la volontй est mue vers une chose selon qu’elle
est en elle-mкme. De sorte que s’il y a une vertu dans la volontй selon la
comparaison а sa mesure et rиgle, une telle vertu ne se situera pas dans un
milieu : en effet, on ne peut concevoir d’extrкmes par rapport а la mesure,
mais seulement par rapport а ce qui est mesurй, pour autant que cela dйpasse
ou manque а la mesure. Or, les vertus thйologales sont ordonnйes а leurs
matiиre ou objet, qui est Dieu, par l’intermйdiaire de la volontй. Et ce qui
est clair pour la charitй et l’espйrance, se dit de la mкme maniиre de la
foi. Car, bien que la foi soit dans l’intelligence, elle est cependant en
elle selon qu’elle est commandйe par la volontй : en effet, personne ne croit
que s’il le veut. Aussi, puisque Dieu est la rиgle et la mesure de la volontй
humaine, il est clair que les vertus thйologales ne se situent pas dans un
milieu, а proprement parler, mкme s’il arrive parfois que l’une d’elles se
situe dans un milieu par accident, comme on l’exposera plus loin.
Solutions :
[65913]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ultimum potentiae
dicitur in quod ultimo potentia extenditur, et hoc est difficillimum : quia
difficillimum est invenire medium, facile autem est divertere ab eo. Et ex
hoc ipso virtus est ultimum potentiae, quod est in medio.
1.
Le point ultime de la puissance se dit du point ultime auquel la puissance
s’йtend, et cela est trиs difficile, car il est trиs difficile de trouver le
milieu, mais il est facile de s’en йloigner. La vertu est donc le point
ultime d’une puissance par le fait mкme qu’elle se situe dans un milieu.
[65914] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum habet rationem ultimi per
comparationem ad motum appetitus, non autem per comparationem ad materiam in
qua aliquod bonum constituitur; quod oportet esse in medio materiae, ut neque
excedat, neque excedatur a debita regula et mensura.
2. Le bien a raison de point ultime si on le
compare au mouvement de l’appйtit, mais non pas si on le compare а la matiиre
dans laquelle se situe un certain bien ; il est nйcessaire que celui-ci
se situe au milieu de la matiиre, de sorte qu’il ne dйpasse pas ni ne soit
dйpassй par la rиgle et la mesure requises.
[65915]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus quantum ad formam
quam a sua mensura sortitur, habet rationem extremi; et sic opponitur malo ut
formatum informi, et commensuratum incommensurato. Sed secundum materiam in
qua talis mensura imprimitur, sic virtus est in medio.
3. La vertu, pour ce qui est de la forme
qu’elle reзoit de sa mesure, a raison d’extrкme ; et ainsi, elle
s’oppose au mal comme ce qui a une forme а ce qui n’en a pas, et comme ce qui
est mesurй а ce qui ne l’est pas. Mais, selon la matiиre dans laquelle une
telle mesure est imprimйe, la vertu se trouve ainsi dans un milieu.
[65916] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa accipit supremum et medium,
secundum ordinem potentiarum animae, non secundum materiam in qua ponitur
modus virtutis quasi medium quoddam.
4. Cet argument conзoit ce qui est suprкme et
ce qui est au milieu selon l’ordre des puissances de l’вme, et non selon la
matiиre dans laquelle est placйe la mesure de la vertu comme un certain
milieu.
[65917]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in virtutibus theologicis
non est medium ut dictum est : sed in virtutibus intellectualibus est medium
non inter contrarietatem rerum, prout sunt in intellectu, sed inter contrarietatem
affirmationis et negationis, ut dictum est. In
virtutibus autem moralibus omnibus commune invenitur quod sunt in medio. Et
hoc ipsum quod quaedam attingunt ad maximum, pertinet in eis ad rationem
medii, in quantum maximum attingunt secundum regulam rationis; sicut fortis
attingit maxima pericula secundum rationem, scilicet quando debet, ut debet,
et propter quod debet. Superfluum autem et diminutum accipitur non
secundum quantitatem rei, sed per comparationem ad regulam rationis; ut puta
superfluum esset, si quando non debet, vel propter quod non debet, periculis
se ingereret; diminutum autem si se non ingereret quando et qualiter deberet.
5. Dans les vertus thйologales, il n’y a pas
de milieu, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus intellectuelles, le milieu
se trouve, non pas entre des choses contraires, telle qu’elles existent dans
l’intelligence, mais entre des affirmations et des nйgations contraires,
comme on l’a dit. Mais, dans les vertus morales, il se trouve qu’elles ont en
commun de se situer dans un milieu. Et le fait mкme que certaines parviennent
au plus haut point relиve en elles de la raison de milieu, pour autant
qu’elles parviennent au plus haut point selon la rиgle de la raison, comme le
fort aborde selon la raison les plus grands dangers, а savoir, lorsqu’il le
doit, comme il le doit et pour la raison qu’il le doit. Ce qui dйpasse et ce
qui manque sont conзus, non pas selon la quantitй de la chose, mais par
comparaison avec la rиgle de la raison. Par exemple, cela serait superflu s’il
s’exposait aux dangers lorsqu’il ne le doit pas, ou pour une raison qui n’est
pas nйcessaire ; mais ce serait un manque s’il ne s’y exposait pas quand
il le faut et de la maniиre dont il le faut.
[65918] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virginitas et paupertas licet sint in
extremo rei, sunt tamen in medio rationis : quia virgo abstinet a venereis
omnibus propter quod debet et secundum quod debet; quia propter Deum, et
delectabiliter. Si autem abstineret propter quod non deberet, utpote quia
esset ei odiosum secundum se vel filios generare, vel mulierem habere, esset
vitium insensibilitatis. Sed abstinere omnino a venereis propter debitum
finem, est virtuosum : quia etiam qui abstinent ab huiusmodi, ut se
exercitiis bellicis dent ad utilitatem reipublicae, secundum politicam
virtutem laudantur.
6. La virginitй et la pauvretй, bien qu’elles
portent sur des rйalitйs extrкmes, se situent cependant dans un milieu
[dйterminй] par la raison, car celui qui est vierge s’abstient de tous les
plaisirs sexuels pour une raison juste et selon qu’il le doit, car il le fait
pour Dieu et avec joie. Mais s’il s’abstenait pour une raison qui n’est pas
juste, par exemple, parce qu’il dйtesterait en soi-mкme engendrer des fils ou
avoir une femme, il s’agirait du vice d’insensibilitй. Mais s’abstenir
complиtement des plaisirs sexuels pour une fin juste est vertueux, car mкme
ceux qui s’en abstiennent pour s’adonner а l’entraоnement militaire pour le
bien de la communautй sont louangйs pour leur vertu politique.
[65919]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 7 Ad septimum dicendum, quod media illa quae Boetius
ponit, sunt media rei; et ideo non conveniunt medio virtutis, quod est
secundum rationem; nisi forte in iustitia, in qua est simul medium rei et
medium rationis, cui competit medium rationis arithmeticum in
commutationibus, et medium geometricum in distributionibus, ut patet in V
Ethicorum.
7. Les milieux que Boиce propose sont des
milieux dans les choses. C’est pourquoi ils ne conviennent pas au milieu de
la vertu, qui se prend selon la raison, sauf peut-кtre pour la justice, dans
laquelle existent en mкme temps un milieu dans les choses et un milieu de la
raison : lui conviennent un milieu arithmйtique pour les йchanges, et un
milieu gйomйtrique pour les distributions, comme cela ressort clairement d’Йthique,
V.
[65920] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 8 Ad octavum dicendum, quod medium competit virtuti non in quantum
medium, sed in quantum medium rationis : quia virtus est bonum hominis, quod
est secundum rationem esse. Unde non oportet quod id quod plus habet de
ratione medii, magis pertineat ad virtutem, sed quod est medium rationis.
8. Un milieu convient а la vertu non pas en
tant que milieu, mais en tant que milieu de la raison, car la vertu est le
bien de l’homme, qui consiste а vivre selon la raison. Il n’est donc pas
nйcessaire que ce qui dйpasse la raison de milieu relиve davantage de la
vertu, mais ce qui est le milieu de la raison.
[65921]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 9 Ad nonum dicendum, quod passiones et operationes
animae sunt indivisibiles per se sed divisibiles per accidens, in quantum est
in eis invenire magis et minus secundum diversas circumstantias; et sic
virtus in eis medium tenet.
9. Les passions et les opйrations de l’вme
sont indivisibles en elles-mкmes, mais divisibles par accident, pour autant
qu’on peut trouver en elles du plus ou du moins selon les diverses
circonstances. Et ainsi, la vertu occupe un milieu en elles.
[65922] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in voluptatibus est melius fieri quam
factum esse, ut per melius non intelligatur operatio boni honesti, quod
pertinet ad virtutem, sed boni delectabilis, quod pertinet ad voluptatem :
voluptas enim est in fieri. Quorum autem esse est in fieri, quando facta sunt,
non sunt; unde bonum voluptatis magis consistit in fieri quam in factum esse.
10. Pour les plaisirs, mieux vaut en jouir que
d’en avoir joui, de telle maniиre que, par mieux, on n’entende pas l’action
portant sur un bien honnкte, ce qui relиve de la vertu, mais sur un bien
dйlectable, ce qui relиve de la voluptй : en effet, la voluptй consiste dans
l’accomplissement actuel. Or, ce dont l’кtre se trouve dans l’accomplissement
actuel n’existe plus, lorsqu’on l’a fait. Aussi le bien de la voluptй consiste-t-il
davantage dans l’accomplissement que dans le fait que l’avoir accompli.
[65923]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non quodcumque medium
competit virtuti, sed medium rationis : quod quidem medium non contingit
invenire in vitiis, quia secundum propriam rationem non oportet quod in
vitiis sit virtus.
11. Ce n’est pas tout milieu qui convient а la
vertu, mais le milieu de la raison, milieu qu’on ne trouve pas dans les
vices, car, selon leur raison propre, il n’est pas nйcessaire que la vertu
existe dans les vices.
[65924] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod iustitia non attingit medium in
rebus exterioribus, in quibus homo plus sibi accipit ex inordinatione
voluntatis; unde vitiosum est. Sed quod de suis rebus aliquid ab eo
auferatur, hoc praeter bonitatem eius est; unde inordinationem vitiosam in
ipso non importat. Sed passiones animae, circa quas sunt aliae virtutes, in
nobis sunt; unde et earum superfluitas et diminutio in vitium homini cedit. Et ideo aliae virtutes morales sunt inter duo vitia; non autem
iustitia, quae tamen medium in propria materia tenet, quod per se pertinet ad
virtutem.
12. La justice ne parvient pas au milieu dans
les choses extйrieures que l’homme accapare pour lui-mкme en raison d’un
dйsordre de sa volontй. Aussi cela est-il vicieux. Mais que quelqu’un se voit
enlever ce qui lui appartient, cela dйpasse sa bontй ; aussi cela ne
comporte-t-il pas de dйsordre vicieux. Or, les passions de l’вme, sur
lesquelles portent les autres vertus, existent en nous ; aussi leurs
excиs ou leurs manques aboutissent-ils а un vice chez l’homme. C’est pourquoi
les autres vertus morales se situent entre deux vices, mais non la justice,
qui maintient cependant le milieu dans sa propre matiиre, ce qui relиve en
soi de la vertu.
[65925]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod medium virtutis est
medium rationis, et non medium rei; et ideo non oportet quod aequaliter
distet ab utroque extremo, sed secundum quod ratio habet. Unde in quibus
bonum rationis praecipue consistit in refrenando passionem, virtus
propinquior est diminuto quam superfluo; sicut patet in temperantia et
mansuetudine. In quibus autem bonum est inducere ad id quod passio impellit,
virtus similior est superfluo, ut patet in fortitudine..
13.
Le milieu de la vertu est un milieu de la raison, et non un milieu des
choses. C’est pourquoi il n’est pas nйcessaire qu’il soit а йgale distance
des deux extrкmes, mais selon que la raison le dйtermine. Aussi, dans les
choses oщ le bien de la raison consiste principalement а rйfrйner une
passion, la vertu est plus proche du manque que de l’excиs, comme cela
ressort clairement pour la tempйrance et la douceur. Mais dans les choses oщ
le bien consiste а aller dans le sens de la passion, la vertu ressemble
davantage а l’excиs, comme cela ressort clairement dans la force.
[65926] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod sicut dicit philosophus in V Physic., medium est in quod continue mutans
primum mutat, in quod mutat ultimo; unde solum in motu continuo requiritur
quod de extremo ad extremum non transeatur nisi per medium. Motus autem qui
est de vitio in vitium, non est motus continuus, sicut nec motus voluntatis
aut intellectus, secundum quod fertur in diversa; unde non oportet quod de
vitio in vitium transeatur per virtutem.
14. Comme le dit le Philosophe dans Physique,
V, le milieu se trouve dans ce qui, changeant de maniиre continue, meut
ce qui est premier vers ce qu’il meut en dernier lieu. Aussi n’est-il
nйcessaire que dans le mouvement continu que l’on ne puisse passer d’un
extrкme а l’autre qu’en passant par un milieu. Or, le mouvement qui consiste
а passer de vice en vice n’est pas un mouvement continu, comme ne l’est pas
le mouvement de la volontй ou de l’intelligence, lorsqu’elles sont portйes
vers diverses choses. Il n’est donc pas nйcessaire que l’on passe de vice en
vice en passant par la vertu.
[65927]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus etsi sit
medium quantum ad materiam in qua invenit medium; tamen secundum formam suam,
prout collocatur in genere boni, est extremum, ut philosophus dicit in II
Ethicor.
15. La vertu, mкme si elle est un milieu pour
la matiиre dans laquelle elle trouve un milieu, est cependant un extrкme
selon sa forme, selon qu’elle est situйe dans le genre du bien, comme le dit
le Philosophe dans Йthique, II.
[65928] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet medium in quo consistit
virtus, sit quodammodo indivisibile, tamen virtus intendi et remitti potest,
secundum quod homo magis vel minus disponitur ad attingendum indivisibile;
sicut et arcus minus vel magis extenditur ad percutiendum signum
indivisibile.
16. Bien que le milieu dans lequel se situe la
vertu soit indivisible d’une certaine maniиre, toutefois la vertu peut кtre
plus intense ou plus relвchйe, selon que l’homme est plus ou moins disposй а
parvenir а ce qui est indivisible, comme l’arc est plus ou moins tendu afin
d’atteindre une cible indivisible.
[65929]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod medium virtutis
non est medium rei, sed rationis, ut dictum est. Et hoc quidem medium
consistit in proportione sive mensuratione rerum et passionum ad hominem.
Quae quidem commensuratio diversificatur secundum diversos homines : quia
aliquid est multum uni quod est parum alteri. Et
ideo non eodem modo sumitur virtuosum in omnibus hominibus.
17. Le milieu de la vertu n’est pas un milieu
dans les choses, mais [un milieu] de la raison, comme on l’a dit. Et ce
milieu consiste dans la proportion ou la mesure des choses et des passions
par rapport а l’homme. Or, cette application d’une mesure se diversifie selon
les diffйrents hommes, car quelque chose est beaucoup pour l’un, qui est peu
pour un autre. C’est pourquoi ce qui est vertueux n’est pas dйterminй de la
mкme maniиre pour tous les hommes.
[65930]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum medium virtutis
sit medium rationis, accipienda est indivisibilitas huius medii secundum
rationem. Accipitur autem indivisibile secundum rationem quod imperceptibilem
distantiam habet, et quod errorem facere non potest; sicut totum corpus
terrae accipitur loco puncti indivisibilis per comparationem ad totum caelum.
Et ideo medium virtutis aliquam latitudinem habet.
18.
Puisque le milieu de la vertu est un milieu de la raison, l’indivisiblitй de
ce milieu doit кtre conзu selon la raison. Or, ce qui est indivisible selon
la raison est pris selon qu’il a une distance imperceptible et qu’il ne peut
causer d’erreur, comme l’ensemble du corps de la terre est pris comme point
indivisible par rapport а l’ensemble du ciel. C’est pourquoi le milieu de la
vertu comporte une certaine latitude.
Rйponse а l’argument en sens
contraire :
[65931] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad s. c. Quod vero in contrarium obiicitur, concedendum et quantum ad virtutem
moralem et intellectualem, sed non quantum ad theologicam. Accidit enim fidei
quod sit in medio duarum haeresum, at non est per se in quantum est virtus.
Et sic dicendum est de spe, quod est inter duo extrema, non secundum quod
comparatur ad suum obiectum, sed secundum dispositionem subiecti ad sperandum
superna.
Il
faut le concйder pour la vertu morale et la vertu intellectuelle, mais non
pour la vertu thйologale. En effet, il arrive que la foi ne se trouve pas
entre deux hйrйsies, et qu’elle ne l’est pas en tant que vertu. Et il faut
dire la mкme chose de l’espйrance, qu’elle se trouve entre deux extrкmes, non
pas selon qu’on la compare а son objet, mais selon la disposition du sujet а
espйrer les choses d’en haut.
[65932] De virtutibus, q. 2 pr. 1 Et primo
enim quaeritur, utrum caritas sit aliquid creatum in anima, vel sit ipse
spiritus sanctus.
1. La charitй est-elle quelque chose de
crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?
[65933] De
virtutibus, q. 2 pr. 2 Secundo utrum caritas sit virtus.
2. La charitй est-elle une vertu ?
[65934] De
virtutibus, q. 2 pr. 3 Tertio utrum caritas sit forma virtutum.
3. La charitй est-elle la forme des
vertus ?
[65935] De virtutibus, q. 2 pr. 4 Quarto
utrum caritas sit una virtus.
4. La charitй est-elle une seule
vertu ?
[65936] De virtutibus, q. 2 pr. 5 Quinto
utrum caritas sit virtus specialis.
5. La charitй est-elle une vertu
spйciale ?
[65937] De virtutibus, q. 2 pr. 6 Sexto
utrum caritas possit esse cum peccato mortali.
6. La charitй peut-elle exister avec le
pйchй mortel ?
[65938] De virtutibus, q. 2 pr. 7 Septimo
utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura.
7. Est-ce que l’objet qui peut кtre aimй
par charitй est la nature raisonnable ?
[65939] De virtutibus, q. 2 pr. 8 Octavo
utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii.
8. Aimer ses ennemis est-ce la perfection
du conseil ?
[65940] De virtutibus, q. 2 pr. 9 Nono
utrum ordo aliquis sit in caritate.
9. Y a-t-il un certain ordre dans la
charitй ?
[65941] De virtutibus, q. 2 pr. 10 Decimo
utrum sit possibile caritatem esse perfectam in hac vita.
10. Est-il possible que la charitй soit
parfaite en cette vie ?
[65942] De virtutibus, q. 2 pr. 11
Undecimo utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem.
11. Tous les hommes sont-ils tenus а la
charitй parfaite ?
[65943] De virtutibus, q. 2 pr. 12
Duodecimo utrum caritas semel habita possit amitti.
12. La charitй une fois acquise peut-elle
кtre perdue ?
[65944] De virtutibus, q. 2 pr. 13
Tertiodecimo utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur.
13. La charitй se perd-elle par un seul
acte de pйchй mortel ?
Articulus 1 : [65945] De virtutibus, q. 2 a. 1
tit. 1 Et primo quaeritur utrum caritas sit aliquid creatum in anima vel sit
ipse spiritus sanctus
Article
1 – La charitй est-elle quelque
chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?
[Le sujet de
l’article 1 est traitй principalement trois fois. Dans le livre 1 des
Sentences, d. 17, a. 1 en 1252-1254. Quand il йcrit la Somme thйologique
IIaIIж, q. 109 sur la charitй а Paris vers 1271-1272 et а la mкme йpoque dans
les questions disputйes sur les Vertus, question 2 (De caritate) a. 1. P.
Lombard (I Sent, d. 17) dit que la charitй n’est pas quelque chose de crйй
dans l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme qui habite notre вme. Thomas apporte
cependant des nuances (IIaIIж, q. 23, a. 1 ; c.) : « Il ne
veut pas dire que le mouvement d’amour de l’Esprit saint par lequel nous
aimons Dieu est l’Esprit saint lui-mкme, mais qu’il procиde de l’Esprit saint
sans intermйdiaire d’aucun habitus ».]
[65946] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 2 Et
videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima.
Et il semble que la charitй n’est pas
quelque chose de crйй dans l’вme.
[65947] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 1
Sicut enim dicit Augustinus, sicut anima est vita corporis, ita Deus est vita
animae. Sed anima est vita corporis sine medio. Ergo et Deus est vita animae
sine medio. Cum igitur vita animae sit ex hoc quod est in caritate : quia qui non diligit, manet in morte, ut
dicitur I Ioan. III, 14, homo non
est in caritate per aliquid quod sit medium inter Deum et hominem, sed per
ipsum Deum. Caritas ergo non est aliquid creatum in anima, sed ipse Deus.
1. Car Augustin[20] dit que de mкme que l’вme
est la vie du corps, Dieu est la vie de l’вme. Mais l’вme est la vie du corps
sans intermйdiaire. Donc Dieu est la vie de l’вme sans intermйdiaire. Donc du
fait que la vie de l’вme est dans la charitй, parce que : « Qui n’aime
pas demeure dans la mort », comme il est dit en I Jn 3, 14, l’homme n’est pas dans la charitй par un intermйdiaire
entre Dieu et lui, mais par Dieu lui-mкme. Donc la charitй n’est pas quelque
chose de crйй dans l’вme, mais Dieu lui-mкme.
[65948] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 2 Sed dicebatur, quod similitudo illa
attenditur quantum ad hoc quod anima est vita corporis hominis ut motor, non
quantum ad hoc quod est vita corporis ut forma.- Sed contra, quanto aliquod agens est virtuosius, tanto minorem
dispositionem requirit in patiente : ignis enim magnus sufficiens est etiam
ligna minus desiccata comburere. Sed Deus est agens infinitae virtutis. Ergo
si est vita animae, sicut movens ipsam ad diligendum; videtur quod non
requiratur aliqua dispositio creata ex parte ipsius animae.
2. Mais
on pourrait dire que cette ressemblance est atteinte du fait que l’вme
est la vie du corps de l’homme comme moteur, non du fait qu’elle est vie du
corps comme forme. En sens contraire, plus
un agent est puissant, plus la disposition qu’il requiert dans le patient est
petite ; en effet un grand feu suffit а consumer mкme un bois moins sec.
Mais Dieu est un agent d’un pouvoir infini. Donc s’il est la vie de l’вme en
la poussant pour ainsi dire а aimer, il semble qu’une disposition crййe n’est
pas requise du cфtй de l’вme.
[65949] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 3
Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit medium. Sed anima diligens Deum
est idem cum Deo : quia, ut dicitur I
ad Corinth. cap. VI, 17, qui
adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo non cadit aliqua caritas creata
media inter animam diligentem et Deum dilectum.
3. En
outre, entre deux choses identiques, il n’y a pas d’intermйdiaire. Mais l’вme
qui aime Dieu est identique а Dieu car, comme il est dit (1 Co 6, 17, « Qui s’attache а Dieu est un seul esprit [avec
lui]. » Donc il n’y a pas
de charitй crййe, intermйdiaire entre l’вme qui aime et Dieu qui est
aimй.
[65950] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, dilectio qua diligimus proximum caritas est. Sed dilectio qua
diligimus proximum, ipse Deus est; dicit enim Augustinus in VIII de Trinit.[cap. VIII] : Qui proximum diligit, consequens est ut
ipsam dilectionem diligat. Deus autem dilectio est. Consequens ergo est
ut praecipue Deum diligat. Ergo caritas non est aliquid creatum, sed ipse
Deus.
4.
L’amour par lequel nous aimons notre prochain est la charitй. Or l’amour par
lequel nous l’aimons est Dieu lui-mкme ; en effet Augustin dйclare (La
Trinitй, VIII, VIII, 12) : « Qui
aime son prochain, aime en consйquence l’amour lui-mкme[21]. »
Mais Dieu est amour. La consйquence en est donc qu’il aime surtout Dieu. Donc
la charitй n’est pas quelque chose de crйй mais elle est Dieu lui-mкme.
[65951] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 5 Sed dicebatur, quod Deus est dilectio
qua diligimus proximum causaliter.— Sed
contra, Augustinus in eodem dicit, quod cum testimonio verborum Ioannis
aperte declarat, ipsam supernam dilectionem, qua nos diligimus invicem, non
solum ex Deo esse, sed etiam Deum esse. Non solum ergo causaliter, sed
essentialiter dilectio Deus est.
5. Mais on pourrait dire que Dieu est
l’amour par lequel nous aimons notre prochain а la maniиre d’une cause. En sens contraire, Augustin dit au mкme endroit[22]
qu’avec le tйmoignage des paroles de Jean, il dйclare ouvertement que l’amour
suprкme mкme, par lequel nous nous aimons les uns les autres, non seulement
vient de Dieu, mais est aussi Dieu. Donc Dieu est amour, non seulement en
tant que cause mais en tant qu’essence.
[65952] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 6
Praeterea, Augustinus dicit in V de
Trinitate [cap. XVII] : Non dicturi
sumus caritatem non propterea esse dictam Deum, quod ipsa caritas sit ipsa
substantia quae Dei digna sit nomine; sed quod donum sit Dei, sicut dictum
est de eo : tu es patientia mea; quia ab ipso nobis est. Non autem sic dictum
est : domine, tu caritas mea; sed ita dictum est : Deus caritas est; sicut
dictum est : Deus spiritus est. Videtur ergo quod Deus dicatur caritas
non solum causaliter, sed essentialiter.
6.
Augustin dit (La Trinitй, XV, XVII,
27)[23] :
« Nous ne voulons pas dire que la
charitй est appelйe Dieu non pas parce qu’elle est la substance mкme digne du
nom de Dieu mais parce qu’elle est un don de Dieu, comme on a dit de lui :
« Tu es ma patience » parce que nous la possйdons de lui. On n’a
pas dit : Seigneur, tu es ma charitй, mais on a dit : Dieu est charitй, de
mкme qu’on a dit : « Dieu est esprit. » Il semble donc bien que
Dieu soit appelй charitй non seulement en tant que cause mais aussi en tant
qu’essence.
[65953] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 7
Praeterea, cognito effectu Dei, non propter hoc ipse Deus cognoscitur. Sed per
cognitionem dilectionis supernae ipse Deus cognoscitur. Dicit enim Augustinus, VIII de Trinit.
[cap. VIII] : Magis quis novit
dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Ecce iam potest notiorem Deum habere quam fratrem. Amplectere
dilectionem, et dilectione amplectere Deum. Non igitur Deus dicitur dilectio fraterna solum per causam.
7. De
plus, mкme si l’on connaоt l’effet produit par Dieu, ce n’est pas pour cela
qu’il est lui-mкme connu. Mais Dieu est lui-mкme connu par la connaissance de
l’amour suprкme. Augustin, en effet, dit La Trinitй, VIII, VIII, 12[24]) :
« Quelqu’un connaоt davantage
l’amour par lequel il aime que le frиre qu’il aime. Et voilа que Dieu lui est
mieux connu que son frиre. Embrasse l’amour et embrasse Dieu ton amour. »
Donc Dieu n’est pas appelй amour fraternel uniquement en tant que cause.
[65954] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 8 Sed dicebatur, quod fraterna
dilectione cognita, cognoscitur Deus sicut in sua similitudine. Sed contra, homo secundum ipsam
substantiam animae factus est ad imaginem et similitudinem Dei. Sed
similitudo ista obscuratur per peccatum. Ad hoc igitur quod Deus possit in
anima sicut in sua similitudine cognosci, requiritur solum quod peccatum
tollatur; et non quod aliquid creatum animae superaddatur.
8. Mais on pourrait dire que, si on
connaоt l’amour fraternel, on connaоt Dieu comme dans sa ressemblance. Mais en sens contraire, selon la
substance mкme de l’вme, l’homme a йtй crйй а l’image et а la ressemblance de
Dieu. Cependant cette ressemblance est
obscurcie par le pйchй. Donc, du fait que Dieu pourrait кtre connu dans l’вme
comme dans sa ressemblance, il est seulement requis que le pйchй soit enlevй
et que rien de crйй ne soit surajoutй а l’вme.
[65955] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 9
Praeterea, omne quod est in anima, vel
est potentia, vel passio, vel habitus, ut dicitur in III Ethic. [cap. V]. Sed caritas non est
potentia animae, quia esset naturalis; nec est passio, quia non est in
potentia sensitiva, in qua sunt omnes passiones; nec est habitus, quia
habitus est difficile mobilis; caritas autem de facili amittitur, quia per
unum actum peccati mortalis. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.
9. De plus, tout ce qui est dans l’вme est soit puissance, soit
passion, soit habitus, comme dit in Ethique,
III, 5. Or la charitй n’est pas puissance de l’вme, parce qu’elle serait
naturelle ; elle n’est pas passion, car elle n’est pas dans la puissance
sensitive, oщ se situent toutes les passions ; elle n’est pas non plus
un habitus parce que un habitus ne change pas facilement[25]; mais
la charitй se perd facilement, par le pйchй mortel. Donc la charitй n’est pas
quelque chose de crйй dans l’вme.
[65956]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, nullum creatum habet virtutem
infinitam. Sed caritas habet virtutem infinitam, quia coniungit infinite
distantia, scilicet animam Deo, et meretur bonum infinitum. Ergo caritas non
est aliquid creatum in anima.
10. De
plus, aucune crйature n’a de pouvoir infini. Mais la charitй possиde un pouvoir
infini.car elle unit ce qui est infiniment distant, а savoir l’вme а Dieu et
elle mйrite un bien infini. La charitй n’est donc pas quelque chose de crйй
dans l’вme.
[65957] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 11
Praeterea, omnis creatura vanitas est, ut patet Eccle. I, [2]. Vanitas autem non coniungit veritati. Cum ergo
caritas coniungat nos primae veritati, videtur quod caritas non sit creatura.
11. En
outre, toute crйature est vanitй comme l’atteste l’Eccle., (Qo.) 1, 2. Or
la vanitй n’unit pas а la vйritй. Donc, comme la charitй ne nous unit а la
vйritй premiиre, il semble qu’elle nest pas une crйature.
[65958]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne creatum est natura quaedam,
cum sit in aliquo decem generum. Si
igitur caritas est aliquid creatum in anima, videtur quod sit natura quaedam.
Cum igitur caritate mereamur : si caritas est aliquid creatum, sequetur quod
natura sit principium merendi; quod est erroneum secundum sententiam Pelagii.
12. De
plus, toute crйature est une certaine nature[26] puisqu’elle
se classe dans un des dix genres[27]. Si
donc la charitй est quelque chose de crйй dans l’вme, il semble qu’elle est
une nature. Donc, puisque nous mйritons par la charitй, si elle est quelque
chose de crйй, il s’ensuivra que une nature sera principe de mйrite, ce qui
est faux selon l’opinion de Pйlage[28].
[65959] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 13
Praeterea, homo secundum esse gratiae est propinquior Deo quam secundum esse
naturae. Sed Deus creavit hominem secundum esse naturae sine medio. Ergo nec
in esse gratiae utitur medio, scilicet caritate creata.
13. En
outre, l’homme, selon l’кtre de grвce, est plus proche de Dieu que selon
l’кtre de nature. Or Dieu a crйй l’homme, selon l’кtre de nature, sans
intermйdiaire. Donc, il ne se sert pas dans l’кtre de grвce, d’intermйdiaire,
а savoir une charitй crййe.
[65960] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 14
Praeterea, agens quod agit sine medio, est perfectius quam agens quod agit
cum medio. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo agit sine medio : non ergo
iustificat animam mediante aliquo creato.
14. De plus, l’agent qui opиre sans intermйdiaire est plus parfait que
celui qui agit avec un intermйdiaire. Or Dieu est l’agent le plus parfait.
Donc, il agit sans intermйdiaire : donc il ne justifie pas l’вme par l’intermйdiaire
de quelque chose de crййe.
[65961]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, creatura rationalis est nobilior
aliis creaturis. Sed aliae creaturae consequuntur suum finem absque aliquo
alio superaddito. Multo magis igitur creatura rationalis movetur a Deo ad
suum finem absque aliquo creato ei superaddito.
15. En outre, la crйature raisonnable est plus noble que les autres
crйatures. Mais ces autres crйatures poursuivent leur fin sans rien de
surajoutй. Donc la crйature raisonnable est beaucoup plus mise en mouvement
par Dieu vers sa fin, sans rien de crйй qui lui serait surajoutйe.
[65962] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 16 Sed dicebatur, quod creatura
rationalis non est proportionata ad suum finem per sua naturalia; et ideo
indiget aliquo superaddito. Sed contra,
finis hominis est bonum infinitum. Sed nullum creatum est proportionatum
bono infinito. Ergo id per quod homo ordinatur in suum finem, non est bonum
creatum in anima.
16. Mais on pourrait dire que la crйature
raisonnable n’est pas proportionnйe а sa fin par ce qui lui est naturel et
c’est pourquoi elle a besoin de quelque chose de surajoutй. En sens contraire, la fin de l’homme est le bien
infini. Mais rien de ce qui est crйй n’est proportionnй а un bien infini.
Donc, ce par quoi l’homme est ordonnй а sa fin n’est pas un bien crйй dans
l’вme.
[65963] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 17
Praeterea, sicut Deus est lumen primum, ita est et bonum summum. Sed lumen
quod Deus est, praesens est animae; quia de eo dicitur, Psal. XXXV, 10 : In lumine tuo videbimus lumen. Ergo et summum bonum, quod Deus est,
praesens est animae. Sed bonum est quo aliquid diligimus. Ergo id quo
diligimus, est Deus.
17. De
mкme que Dieu est la lumiиre premiиre, il est aussi le bien suprкme. Mais la
lumiиre qu’est Dieu est prйsente а l’вme, parce que, а son sujet, il est dit
(Ps 35, 10) : En ta lumiиre, nous verrons la lumiиre. Donc le bien suprкme,
qu’est Dieu, est lui aussi prйsent а l’вme. Mais le bien est ce par quoi nous
aimons quelque chose. Donc, ce par quoi nous aimons, c’est Dieu.
[65964] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 18 Sed dicebatur, quod bonum quod Deus
est, est praesens animae non formaliter, sed effective.- Sed contra, Deus est pura forma. Ergo formaliter
adest his quibus adest.
18.
Mais on pourrait dire que le bien qui est Dieu est prйsent а l’вme non pas
formellement mais effectivement. En sens contraire,
Dieu est forme pure. C’est donc selon la forme qu’il est prйsent lа oщ il est
prйsent.
[65965] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 19
Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus, X de Trinitate. Ergo secundum hoc
aliquid est diligibile secundum quod est cognoscibile. Sed Deus est per
seipsum cognoscibilis, sicut primum principium cognoscendi. Ergo est per
seipsum diligibilis : non ergo per aliquam caritatem creatam.
19. On
aime rien sans le connaоtre, comme le dit Augustin, La Trinitй, X, I, 3. Donc, selon cela, une chose ne peut кtre
aimйe que dans la mesure oщ elle peut кtre connue. Mais Dieu est connaissable
par lui-mкme en tant que premier principe de connaissance. Il est donc
aimable par lui-mкme ; donc non, par une charitй crййe.
[65966] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 20
Praeterea unumquodque, secundum hoc est diligibile, secundum quod est bonum.
Sed Deus est infinitum bonum. Ergo est in infinitum diligibilis. Sed nullus amor creatus est infinitus.
Ergo cum aliqui qui sunt in caritate, diligant eum secundum quod diligibilis
est; videtur quod dilectio qua diligimus Deum, non sit aliquid creatum.
20.
Chaque chose peut кtre aimйe dans la mesure oщ elle est un bien. Or Dieu est
le bien infini. Il est donc aimable а l’infini. Mais aucun amour crйй n’est
infini. Donc, puisque certains, qui sont dans la charitй, l’aiment du fait
qu’il est aimable, il semble que l’amour par lequel nous aimons Dieu ne soit
pas quelque chose de crйй.
[65967] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 21
Praeterea, Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient. XI, 25. Sed non diligit creaturas irrationales per
aliquid eis superadditum. Ergo nec creaturas rationales. Et ita videtur quod
caritas et gratia propter quas homines diliguntur a Deo, non sint aliquid
creatum superadditum animae nostrae.
21. En
outre, Dieu aime tout ce qui existe, comme il est dit en Sg 11, 25. Mais il n’aime pas les crйatures sans raison par
quelque chose qui leur serait ajoutй. Donc il n’aime pas non plus les
crйatures raisonnables. Et ainsi, il semble que la charitй et la grвce, par
lesquelles Dieu aime les hommes, ne sont pas quelque chose de crйй surajoutй
а notre вme.
[65968] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 22
Praeterea, si caritas sit aliquid creatum, oportet quod sit accidens. Sed
caritas non est accidens : quia nullum accidens est dignius suo subiecto;
caritas autem est dignior quam natura. Ergo caritas non est aliquid creatum
in anima.
22. En
outre, si la charitй йtait quelque chose de crйй, il faudrait qu’elle soit un
accident[29].
Mais elle n’est pas un accident car aucun accident n’est plus noble que son
sujet ; or la charitй est plus noble qu’une nature[30]. Donc
la charitй n’est pas quelque chose crйй dans l’вme.
[65969] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 23
Praeterea, sicut Bernardus dicit [Sermo IX de coena Domini], eadem lege diligimus Deum et proximum qua Pater
et Filius se diligunt. Sed Pater et Filius se diligunt dilectione increata.
Ergo nos diligimus Deum dilectione increata.
23. De
plus, comme le dit saint Bernard (Sermon 9, sur la Cиne du Seigneur), nous aimons Dieu et notre prochain par
la mкme loi par laquelle le Pиre et le Fils s’aiment. Or le Pиre et le Fils
s’aiment d’un amour incrйй. Donc, nous, nous aimons Dieu d’un amour incrйй.
[65970] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 24
Praeterea, illud quod suscitat a morte, est infinitae virtutis. Sed caritas
suscitat a morte; dicitur enim I Ioan.
III, 14 : Nos scimus quoniam translati
sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Ergo caritas est
virtutis infinitae; ergo non est aliquid creatum.
24. En
outre, ce qui ressuscite de la mort est d’un pouvoir infini. Or la charitй
ressuscite de la mort. Car il est dit I
Jn 3, 14 : « Nous savons que
nous sommes passйs de la mort а la vie, parce que nous aimons nos
frиres ». Donc la charitй est d’une valeur infinie ; donc elle
n’est rien de crйй.
En sens contraire :
[65971]
De virtutibus, q. 2 a. 1 s. c. Sed contra, omne quod recipitur in aliquo,
recipitur in eo per modum recipientis. Si ergo caritas recipitur in nobis a
Deo, oportet quod recipiatur a nobis finite secundum modum nostrum. Omne
autem finitum est creatum. Ergo caritas est aliquid creatum in nobis.
Tout ce
qui est reзu en quelqu’un, y est reзu par le mode de celui qui reзoit. Si
donc la charitй est reзue de Dieu en nous, il faut qu’elle le soit notre mode
limitй. Or tout ce qui est limitй est crйй. Donc, la charitй est quelque
chose crйй en nous.
Rйponse
:
[65972] De virtutibus, q. 2 a. 1 co. Respondeo.
Dicendum, quod quidam posuerunt,
quod caritas in nobis, qua diligimus Deum et proximum, non sit aliud quam
spiritus sanctus, ut patet per Magistrum in 17 dist. I Sent.
Il faut
dire que certains ont pensй que la
charitй, en nous, par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain, ne serait
autre que l’Esprit Saint, comme on le voit par le Maоtre I sent. dist. 17[31].
Et ut huius opinionis intellectus plenius
habeatur, sciendum est, quod actum dilectionis quo Deum et proximum
diligimus, Magister posuit quoddam creatum in nobis, sicut et actus ceterarum
virtutum; sed ponebat differentiam inter actus caritatis et actus aliarum
virtutum : quod spiritus sanctus ad actus aliarum virtutum movet animam
mediantibus quibusdam habitibus, qui virtutes dicuntur; sed ad actum
dilectionis movet voluntatem immediate per seipsum absque aliquo habitu, ut
patet in 17 dist. I Lib. Et ad hoc ponendum movet ipsum excellentia
caritatis, et verba Augustini in obiiciendo inducta, et quaedam similia.
Ridiculum autem fuisset dicere, quod ipse actus dilectionis, quem experimur
dum diligimus Deum et proximum, sit ipse Spiritus sanctus.
Et pour
mieux comprendre cette opinion, il faut savoir que le Maоtre a considйrй que
l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu et notre prochain йtait quelque
chose de crйй en nous, tout comme les actes des autres vertus ; mais il
plaзait une diffйrence entre les actes de charitй et ceux des autres vertus :
а savoir que l’Esprit Saint met en mouvement l’вme pour les autres vertus par
l’intermйdiaire de certains habitus appelйs vertus[32], mais
qu’il met en mouvement la volontй pour l’acte d’amour, immйdiatement,
lui-mкme, sans aucun habitus, comme on le voit en I sent. d. 17. Et pour le poser, l’excellence de la charitй le
met en mouvement. Et les paroles d’Augustin donnйes comme objection et
d’autres arguments semblables. Mais il aurait йtй ridicule de dire que l’acte
mкme d’aimer, que nous expйrimentons quand nous aimons Dieu et notre
prochain, soit l’Esprit Saint lui-mкme.
Sed haec opinio omnino stare non potest.
Sicut enim naturales actiones et motus a quodam principio intrinseco
procedunt, quod est natura; ita et actiones voluntariae oportet quod a
principio intrinseco procedant. Nam sicut inclinatio naturalis in rebus
naturalibus appetitus naturalis nominatur, ita in rationalibus inclinatio
apprehensionem intellectus sequens, actus voluntatis est.
Cette
opinion ne peut absolument pas tenir. De mкme, en effet, que les actions
naturelles et les mouvements procиdent d’un principe intrinsиque[33] qui
est la nature, de mкme les actions volontaires doivent-elles procйder d’un
principe intrinsиque. Car, de mкme que le penchant naturel, dans ce qui
naturel s’appelle l’appйtit naturel, de mкme dans ce qui est rationnel, le
penchant qui suit la saisie de l’intellectuel est l’acte de la volontй.
Possibile autem est quod res naturalis ab
aliquo exteriori agente ad aliquid moveatur non a principio intrinseco, puta
cum lapis proiicitur sursum. Sed quod talis motus vel actio non a principio
intrinseco procedens, naturalis sit, hoc omnino est impossibile, quia in se
contradictionem implicat. Unde, cum contradictoria esse simul non subsit
divinae potentiae; nec hoc a Deo fieri potest, ut motus lapidis sursum, qui
non est a principio intrinseco, sit ei naturalis. Potest quidem lapidi dare
virtutem, ex qua sicut ex principio extrinseco sursum naturaliter moveatur;
non autem ut motus iste sit ei naturalis, nisi ei alia natura detur.
Or, il
est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par un agent
extйrieur, non par un principe intrinsиque : par exemple la pierre projetйe
vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou une telle action qui ne procйde pas
d’un principe intrinsиque soit naturel est tout а fait impossible, parce
qu’en soi il implique une contradiction. C'est pourquoi, puisque ce qui est
contradictoire ne se trouve pas en mкme temps dans la puissance divine, Dieu
ne peut pas faire que le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient
pas d’un principe intrinsиque, lui soit naturel. Il peut donner а la pierre
un pouvoir par lequel elle est est mue vers le haut naturellement par un
pouvoir extrinsиque, mais [il ne peut pas faire] que ce mouvement lui soit
naturel, а moins de lui donner une autre nature..
Et similiter non potest hoc divinitus
fieri ut aliquis motus hominis vel interior vel exterior qui sit a principio
extrinseco, sit voluntarius; unde omnes actus voluntatis reducuntur, sicut in
primam radicem, in id quod homo naturaliter vult, quod est ultimus finis.
Quae enim sunt ad finem, propter finem volumus.
Et de
la mкme maniиre, Dieu ne peut faire qu’un mouvement humain intйrieur ou
extйrieur, qui serait d’un principe extrinsиque, soit volontaire ; c'est
pourquoi, tous les actes de la volontй se ramиnent comme а une premiиre
racine, en ce que l’homme veut naturellement et qui est sa fin derniиre. Car
ce qui concerne la fin, nous le voulons а cause de la fin.
Actus igitur qui excedit totam facultatem
naturae humanae, non potest esse homini voluntarius, nisi superaddatur
naturae humanae aliquid intrinsecum voluntatem perficiens, ut talis actus a
principio intrinseco proveniat.
Donc
l’acte qui dйpasse toute la facultй de la nature humaine ne peut кtre
volontaire pour l’homme que s’il est ajoutй а la nature humaine quelque chose
d’intrinsиque qui perfectionne la volontй, pour qu’un tel acte provienne d’un
principe intrinsиque.
Si igitur actus caritatis in homine non ex
aliquo habitu interiori procedat naturali potentiae superaddito, sed ex
motione Spiritus sancti, sequetur alterum duorum
:
vel quod actus caritatis non sit voluntarius;
quod est impossibile, quia hoc ipsum diligere est quoddam velle;
aut quod non excedat facultatem naturae, et
hoc est haereticum.
Si donc
l’acte de charitй dans l’homme ne procиde pas d’un habitus interne surajoutйe
а sa puissance naturelle, mais par la motion de l’Esprit Saint, il s’ensuivra
une de ces deux consйquences :
a. Ou l’acte de charitй n’est pas
volontaire, ce qui est impossible car le fait mкme d’aimer est un certain
vouloir.
b. ou l’acte de charitй ne dйpasse pas la
facultй de la nature et cela est hйrйtique.
Hoc igitur remoto, sequetur primo quidem,
quod actus caritatis sit actus voluntatis; secundo, dato quod actus
voluntatis possit esse totaliter ab extrinseco, sicut actus manus vel pedis,
sequetur etiam, si actus caritatis est solum a principio exteriori movente,
quod non sit meritorius. Omne enim agens quod non agit secundum formam
propriam, sed solum secundum quod est motum ab altero, est agens
instrumentaliter tantum; sicut securis agit prout est mota ab artifice.
Ceci
йtant donc йcartй, il s’ensuivra en premier que l’acte de charitй est un acte
volontaire ; deuxiиmement, une fois donnй que l’acte volontaire pourrait
кtre totalement issu d’un principe extrinsиque, comme l’acte de la main ou du
pied, il s’ensuivrait aussi que, si l’acte de charitй vient seulement d’un
principe extйrieur qui le meut, il ne serait pas mйritoire. Car tout agent
qui n’agit pas selon sa forme propre, mais seulement mы par un autre n’est
qu’un instrument en tant qu’agent, tout comme une hache n’agit que dans la
mesure oщ elle est mue par l’artisan.
Sic igitur si anima non agit actum
caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab
exteriori agente, scilicet spiritu sancto; sequetur quod ad hunc actum se
habeat sicut instrumentum tantum. Non ergo in homine est hunc actum agere vel
non agere; et ita non poterit esse meritorius. Haec enim solum meritoria sunt
quae in nobis aliquo modo sunt; et sic totaliter tollitur meritum humanum,
cum dilectio sit radix merendi.
Ainsi
donc, si l’вme ne fait pas un acte de charitй par une forme propre mais
uniquement selon qu’elle y est poussйe par un agent extйrieur, а savoir
l’Esprit Saint, il en dйcoulera que, pour cet acte, elle se comporte
seulement comme un instrument. Donc il n’est pas dans l’homme de faire cet
acte ou pas; et ainsi il ne pourra pas кtre mйritoire. Car est mйritoire
seulement ce qui est de quelque maniиre en nous ; et ainsi est enlevй
totalement le mйrite humain, puisque l’amour est la racine du mйrite.
Tertium inconveniens est, quia sequeretur quod
homo qui est in caritate, ad actum caritatis non sit promptus, neque ipsum
delectabiliter agat. Ex hoc enim actus virtutum sunt nobis delectabiles, quod
secundum habitus conformamur ad illos, et inclinamur in illos per modum
inclinationis naturalis. Et tamen actus caritatis est maxime delectabilis et
maxime promptus existenti in caritate; et per eumdem omnia quae agimus vel
patimur, delectabilia redduntur. Relinquitur igitur quod oporteat esse
quemdam habitum caritatis in nobis creatum, qui sit formale principium actus
dilectionis.
Nec
tamen per hoc excluditur quin spiritus sanctus, qui est caritas increata, sit
in homine caritatem creatam habente, movens animam ad actum dilectionis,
sicut Deus movet omnia ad suas actiones, ad quas tamen inclinantur ex
propriis formis. Et inde est quod omnia disponit suaviter, quia omnibus dat
formas et virtutes inclinantes in id ad quod ipse movet, ut in illud tendant
non coacte, sed quasi sponte.
Il
existe un troisiиme inconvйnient :
parce qu’il s’ensuivrait que l’homme qui est dans la charitй ne serait pas
prкt pour un acte de charitй et ne le ferait pas avec plaisir. Car du fait
que les actes des vertus nous sont agrйables parce qu’en raison de nos
habitus, elles nous y rendent conformes et nous y inclinent et а nous tourner
vers eux par un penchant naturel. Et cependant l’acte de charitй est trиs
agrйable et trиs prкt pour qui est dans la charitй, et par ce mкme [acte]
rend plus agrйable tout ce que nous faisons ou supportons. Et il reste donc
qu’il faut qu’il y ait un certain habitus de charitй, crйй en nous, qui soit
le principe formel de l’acte d’aimer.
Et cependant, il
n’est pas exclu par lа que l’Esprit Saint, qui est charitй incrййe, soit dans
l’homme qui possиde une charitй crййe, mettant ne mouvement l’вme pour l’acte
d’amour, comme Dieu meut tout choses pour ses actions, pour lesquelles nous
sommes inclinйs par leurs formes propres. De lа vient qu’il dispose tout de
maniиre agrйable, parce qu’il donne а tout, les formes et les pouvoirs qui
les inclinent а ce vers quoi lui-mкme les meut, pour que tout y tende non
sous la contrainte mais quasi spontanйment.
Solutions :
[65973] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Deus est vita animae per modum moventis, et non
per modum formalis principii.
1. Dieu
est la vie de l’вme а la maniиre d’un moteur et non а la maniиre d’un
principe formel.
[65974] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod licet ad efficaciam moventis pertineat ut dispositionem
non praeexigat in subiecto; tamen efficaciam eius demonstrat, si
dispositionem fortem imprimat in passo vel moto. Fortis enim ignis non solum
formam substantialem, sed et fortem dispositionem inducit. Unde fortius est
agens quod sic ad agendum movet, quod etiam formam imprimit per quam agat,
quam id movens quod sic movet ad agendum, ut tamen nullam imprimat formam.
Unde cum spiritus sanctus sit virtuosissimum movens; sic movet ad diligendum,
quod etiam habitum caritatis inducit.
2. Bien
qu’il convienne а l’efficacitй du moteur de ne pas prйexiger de disposition
dans le sujet, cependant, il montre son efficacitй, s’il imprime une forte
disposition dans ce qui est subi ou mы. En effet, un grand feu induit non
seulement la forme substantielle mais aussi une disposition forte. C'est
pourquoi, plus fort est l’agent qui pousse ainsi а agir, qui imprime aussi la
forme par laquelle il agit que ce moteur qui met en mouvement pour agir sans
lui induire aucune forme. C'est pourquoi, comme l’Esprit Saint est un moteur
tout puissant, il pousse а aimer et cela induit aussi un habitus de la
charitй.
[65975] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod cum dicitur, Qui
adhaeret Deo, unus spiritus est; non designatur unitas substantiae; sed
unitas affectus, quae est inter amantem et amatum. In qua quidem unione
habitus caritatis magis se habet ut principium amationis quam ut medium inter
amantem et amatum; nam actus dilectionis immediate transit in Deum ut in
amatum, non autem immediate in habitum caritatis.
3.
Lorsqu’on dit « Qui s’attache а
Dieu forme [avec lui] un seul esprit », on ne dйsigne pas une unitй
de substance mais l’unitй de volontй qui existe entre celui qui aime et celui
qui est aimй. Certes, dans cette union, l’habitus de la charitй se comporte
plus comme principe de la mnaifestation de l’amour qu’en intermйdiaire entre
celui qui aime et celui qui est aimй ; en effet, l’acte d’amour passe
immйdiatement en Dieu comme dans l’кtre aimй mais pas immйdiatement dans
l’habitus de charitй.
[65976] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod licet dilectio qua diligimus proximum, sit Deus; non
tamen excluditur quin praeter hanc dilectionem increatam, sit etiam in nobis
dilectio creata, qua formaliter amamus, ut dictum est.
4. Bien
que l’amour, par lequel nous aimons notre prochain, soit Dieu, il n’est
cependant pas exclu qu’au-delа de cet amour incrйй, il y ait aussi en nous un
amour crйй, par lequel nous aimons formellement, comme cela a йtй dit.
[65977] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Deus non solum causaliter dicitur dilectio vel caritas, sicut
causaliter tantum dicitur spes vel patientia; sed etiam essentialiter. Non
tamen excluditur quin praeter illam dilectionem quae essentialiter Deus est,
sit etiam in nobis dilectio creata.
5. Dieu
est appelй amour ou charitй non seulement en tant que cause comme on parle
seulement en tant que cause de l’espйrance ou de la patience ; mais
aussi en tant qu’essence. Cependant, il
n’est pas exclu qu’au delа de cet amour qui est Dieu par essence, il y ait
aussi en nous un amour crйй.
[65978]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 6 Et per hoc etiam patet solutio ad sextum.
6. Et
par ce raisonnement apparaоt aussi la solution а donner au sixiиme argument.
[65979] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod auctoritas illa eamdem difficultatem habet, sive
ponatur creatus habitus caritatis in nobis, sive non. Cum enim dicit
Augustinus, quod qui diligit proximum, magis cognoscit dilectionem qua
diligit, quam proximum quem diligit, intelligere videtur de ipso actu
dilectionis. Quem quidem actum nullus ponit esse aliquid increatum; unde ex
hoc concludi non potest quod ipsa dilectio sic nota, sit Deus; sed quod in
hoc quod percipimus actum dilectionis in nobis, sentimus in nobis ipsis quamdam
Dei participationem, quia ipse Deus dilectio est; non quod sit ipse actus
dilectionis quem percipimus.
7.
Cette autoritй prйsente la mкme difficultй, soit qu’on place en nous un
habitus de charitй crййe ou pas. En effet, quand Augustin dit que celui qui
aime son prochain connaоt mieux l’amour par lequel il aime que le prochain
qu’il aime, il semble [le] comprendre а partir de l’acte d’aimer mкme.
Certes, personne ne pense que cet acte soit incrйй ; c'est pourquoi, on
ne peut pas en conclure que l’amour mкme, ainsi connu, est Dieu ; mais
parce que du fait que nous percevons l’action de l’amour en nous, nous
sentons en nous-mкmes une certaine participation de Dieu parce qu’il est
lui-mкme l’amour, sans en кtre l’acte que nous percevons.
[65980]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura secundum
quod magis perficitur, magis ad similitudinem Dei accedit. Unde, licet
quaelibet creatura habeat quamdam Dei similitudinem in eo quod est et bona
est; creatura tamen rationalis superaddit aliquam rationem similitudinis in
eo quod intellectualis est; et adhuc aliam in hoc quod facta est : et sic in
actu caritatis expressius percipitur Deus sicut in propinquiori similitudine.
8. La
crйature selon qu’elle est plus accomplie s’approche davantage de la
ressemblance а Dieu. C'est pourquoi, bien que n’importe quelle crйature ait
une certaine ressemblance а Dieu dans le fait qu’elle est et qu’elle est
bonne, cependant la crйature douйe de raison surajoute une autre raison de
ressemblance dans le fait qu’elle est intellectuelle; elle y surajoute encore
une autre raison dans le fait qu’elle a йtй crййe ; ainsi, dans l’acte
de charitй, Dieu est perзu plus expressйment comme dans une ressemblance plus
proche.
[65981] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod caritas habitus est; et difficile mobilis; quia non de
facili, qui habet caritatem, inclinatur ad peccandum; licet ex peccato
caritas amittatur.
9. La
charitй est un habitus, qui change difficilement, car ce n’est pas facilement
que celui qui possиde la charitй se laisse aller а pйcher, bien que celle-ci
soit perdue par le pйchй.
[65982] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod caritas coniungit bono infinito, non effective, sed
formaliter; unde virtus infinita non competit caritati, sed caritatis
auctori. Competeret autem caritati virtus infinita, si homo ad infinitum
bonum per caritatem infinite ordinaretur : quod patet esse falsum. Modus enim
sequitur formam rei.
10.
La charitй unit au bien infini non effectivement mais formellement ;
c'est pourquoi, la puissance infinie ne convient pas а la charitй mais а son
auteur. Mais le pouvoir infini conviendrait а la charitй si l’homme йtait
ordonnй de maniиre infinie par la charitй au bien infini, ce qui se rйvиle
faux. En effet, le mode suit la forme d’une chose.
[65983] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod creatura est vanitas in quantum est ex nihilo, non
autem in quantum est similitudo Dei; et ex hac parte est quod caritas creata
veritati primae coniungit.
11. La
crйature est vanitй en tant qu’elle vient du nйant, mais non en tant qu’elle
est ressemblance а Dieu ; et c’est de ce cфtй que la charitй crййe unit
а la vйritй premiиre.
[65984]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad haeresim
Pelagianam pertinet quod principia naturalia hominis sufficiant ad merendum
vitam aeternam. Non est autem hoc haereticum, quod aliquo creato, quod est
natura quaedam in aliquo praedicamento, mereamur. Manifestum est enim quod
actibus meremur; et tamen actus, cum sint quaedam creata, in genere aliquo
sunt, et natura quaedam sunt.
12. Il
appartient а l’hйrйsie pйlagienne que les principes naturels de l’homme
suffisent а mйriter la vie йternelle. Cependant,
ce n’est pas hйrйtique de mйriter par quelque chose de crйй qui est une
certaine nature, dans une certaine catйgorie. En effet, il est clair que nous
mйritons par nos actes ; et cependant, comme certains sont crййs, ils
sont dans un genre et ils sont une nature[34].
[65985] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod Deus esse naturale creavit sine medio
efficiente, non tamen sine medio formali. Nam unicuique dedit formam per quam
esset. Et similiter dat esse gratiae per aliquam formam superadditam. Et
tamen non est omnino simile; quia, ut dicit Augustinus super Ioan., [Sermo XV
de verbis Apostoli] qui creavit te sine te, non iustificabit
te sine te. In iustificatione ergo requiritur aliqua operatio
iustificantis; et ideo requiritur quod sit ibi principium activum formale :
quod non habet locum in creatione.
13.
Dieu a crйй l’кtre naturel sans intermйdiaire [d’une cause] efficiente, mais
pas sans intermйdiaire formel. En effet, il a donnй а chaque chose une forme
par laquelle elle serait. Et de la mкme faзon, il donne l’кtre de grвce par
une forme surajoutйe. Et cependant, ce n’est pas tout а fait pareil car,
comme le dit Augustin (Homйlies sur
l’йvangile de Jean sermon XV sur les paroles de l’Apфtre) : « Celui qui t’a crйй sans toi, ne te
justifiera pas sans toi ». Donc, dans la justification, est requise
une opйration de celui qui justifie ; c’est pourquoi il est requis qu’il
y ait un principe actif formel qui n’a pas place dans la crйation.
[65986]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod agens per
medium est minus efficax in agendo, si utatur medio propter suam
necessitatem. Sic autem non utitur Deus medio in agendo, quia nullius
creaturae auxilio indiget; sed utitur mediis agentibus, ut servetur ordo in
rebus. Sed si loquamur de medio formali, manifestum est quod quanto agens est
perfectius, tanto magis formam inducit. Nam agens imperfectum non inducit
formam, sed dispositionem tantum; et tanto debiliorem quanto est debilius.
14.
L’agent par intermйdiaire est moins efficace pour agir s’il se sert d’un
intermйdiaire а cause de sa nйcessitй. C’est ainsi que Dieu ne se sert pas
d’intermйdiaire pour agir car il n’a besoin de l’aide d’aucune
crйature ; mais il se sert d’agents intermйdiaires pour prйserver
l’ordre des choses. Mais si nous parlons d’intermйdiaire formel, il est
йvident que plus l’agent est parfait, plus il induit de forme. En effet, un
agent imparfait n’induit pas de forme mais une disposition seulement,
d’autant plus faible qu’il est plus faible.
[65987] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod homo et aliae rationales creaturae consequi
possunt altiorem finem quam aliae creaturae; unde, licet ad hunc finem
consequendum pluribus indigeant, nihilominus perfectiores sunt : sicut homo
est melius dispositus qui potest consequi perfectam sanitatem per plures
medicinas, quam ille qui non potest sanari perfecte, et ideo non indiget nisi
paucis medicinis.
15.
L’homme et les autres crйatures raisonnables peuvent poursuivre une fin plus
haute que les autres crйatures ; c'est pourquoi, bien qu’elles aient
plus de besoin pour atteindre leur fin, elles sont nйanmoins plus parfaites :
de mкme que l’homme qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux
remиdes, est mieux disposй que celui qui ne peut кtre soignй parfaitement et
c'est pourquoi il n’a besoin que de peu de remиdes.
[65988] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod per caritatem creatam elevatur anima supra posse
naturae, ut perfectius ordinetur ad finem, quam habeat facultas naturae; sed
tamen non sic ordinatur ad consequendum Deum perfecte, sicut ipse perfecte se
fruitur. Et hoc contingit ex hoc quod nihil creatum sit Deo proportionatum.
16.
L’вme s’йlиve au-dessus des pouvoirs de la nature par la charitй crййe pour
кtre de maniиre plus parfaite ordonnйe а la fin que sa facultй naturelle n’en
a ; mais cependant, elle n’est pas ordonnйe pour atteindre Dieu
parfaitement, comme il jouit de lui-mкme. Cela provient du fait que rien de
crйй n’est proportionnй а Dieu.
[65989] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod licet bonum quod est Deus, sit praesens animae
per seipsum; tamen requiritur medium formale ad hoc, quod anima perfecte
ordinetur in ipsum ex parte animae, non autem ex parte ipsius Dei.
17.
Quoique le bien, qui est Dieu, soit prйsent а l’вme par lui-mкme, cependant
il requiert un intermйdiaire formel pour que l’вme est parfaitement ordonnйe
а lui, de son cфtй et non du cфtй de Dieu lui-mкme.
[65990] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod Deus est forma per se subsistens; non autem ita
quod formaliter alicui coniungatur.
18. Dieu est une forme qui subsiste par soi, mais pas de sorte а lui
кtre uni formellement.
[65991] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod dato quod Deus per seipsum cognoscatur ab anima
quia hoc aliam quaestionem habet; eodem modo per seipsum diligitur, sicut per
seipsum cognoscitur; ut hoc quod dico per se accipiatur ex parte diligibilis,
non autem ex parte diligentis. Non enim Deus propter aliquid aliud diligitur
ab anima, sed propter seipsum; et tamen anima indiget aliquo formali
principio ad perfecte diligendum Deum.
19.
Une fois donnй que Dieu serait connu par lui-mкme, par l’вme, parce que ceci
comporte une autre question, c’est, par lui-mкme, qu’il s’aime de la mкme
maniиre par lui-mкme de mкme c’est par lui-mкme qu’il se connaоt, de mкme que
ce que je dis serait reзu par soi du cфtй de celui qui est aimable mais pas
de celui qui aime. Car, Dieu n’est pas aimй par l’вme pour une autre raison
mais pour lui-mкme ; cependant, l’вme a besoin d’un principe formel pour
l’aimer parfaitement.
[65992] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod Deus non potest tantum diligi a nobis quantum
diligibilis est; unde non sequitur quod amor caritatis qua diligimus Deum
infinitus sit. Hoc enim non minus sequeretur de actu quam de habitu; et tamen
nullus dicere potest actum dilectionis, quo diligimus Deum, esse aliquid
increatum.
20.
Nous ne pouvons aimer Dieu qu’autant qu’il est aimable ; c'est pourquoi
il n’en dйcoule pas que l’amour de charitй, par lequel nous aimons Dieu, soit
infini. Car ceci rйsulterait moins de l’acte que de l’habitus ; et
cependant, personne ne peut dire que l’acte d’amour par lequel nous aimons
Dieu est quelque chose d’incrйй.
[65993] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod habitus caritatis requiritur in nobis in
quantum diligimus Deum; quod aliis creaturis non convenit, licet omnes
creaturae diligantur a Deo.
21.
L’habitus de la charitй est requis en nous dans la mesure oщ nous aimons
Dieu, ce qui ne convient pas aux autres crйatures, bien qu’elles soient
toutes aimйes par Dieu.
[65994] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod nullum accidens est dignius subiecto quantum
ad modum essendi; quia substantia est ens per se, accidens vero ens in alio.
Sed in quantum accidens est actus et forma substantiae, nihil prohibet
accidens esse dignius substantia; sic enim comparatur ad ipsam ut actus ad
potentiam, et perfectio ad perfectibile; et sic est caritas dignior anima.
22.
Aucun accident n’est plus noble que le sujet quant а son mode
d’existence ; parce que la substance est йtant par soi, mais l’accident
est йtant par un autre. Mais dans la mesure oщ l’accident est acte et forme
de la substance, rien n’empкche l’accident d’кtre plus noble que la
substance ; car ainsi il se compare а elle comme l’acte а la puissance
et comme la perfection au perfectible ; car ainsi la charitй est-elle
plus noble que l’вme.
[65995] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 23 Ad vicesimumtertium
dicendum, quod licet lex qua diligimus Deum et proximum, sit increata; tamen
id quo formaliter Deum et proximum diligimus, est aliquid creatum. Lex enim
increata est prima mensura et regula nostrae dilectionis.
23.
Bien que la loi par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain soit incrййe,
cependant ce par quoi nous aimons formellement Dieu et notre prochain est
quelque chose de crйй. En effet, une loi incrййe est la premiиre mesure et la
premiиre rиgle de notre amour.
[65996] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 24 Ad
vicesimumquartum dicendum, quod caritas resuscitat spiritualiter mortuos,
formaliter, sed non effective; unde non oportet quod sit virtutis infinitae;
sicut nec anima Lazari, quae formaliter Lazarum resuscitavit, in quantum, per
unionem eius ad corpus, Lazarus est resuscitatus.
24.
La charitй ressuscite les morts spirituellement, formellement, mais pas
effectivement ; il ne faut donc pas qu’elle soit d’un pouvoir
infini ; ainsi ce n’йtait pas l’вme de Lazare qui l’a ressuscitй formellement,
c’est dans la mesure de son union а son corps, que Lazare est ressuscitй.
[65997] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum caritas sit virtus
[65998] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 2 Et
videtur quod non.
Il semble que non.
[65999] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 1
Virtus enim est circa difficile, secundum philosophum in VI Ethic. Sed
caritas non est circa difficile, quinimmo, ut Augustinus dicit in Lib. de verbis domini [Sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope
nulla facit amor. Ergo caritas non est virtus.
1. Car la vertu concerne ce qui est
difficile, selon le philosophe (Йthique,
VI) mais la charitй ne concerne pas ce qui est difficile, bien plus, comme
Augustin le dit dans Les paroles du
Seigneur : « L’amour rend tout
ce qui est lourd et monstrueux facile [et le rйduit] а presque rien. Donc
la charitй n’est pas une vertu.
[66000] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 2 Sed dicebatur, quod illud quod est
virtutis, est difficile in principio, sed facile est in fine.- Sed contra, in principio nondum est
virtus. Si igitur solum in principio sit difficile, virtus non erit circa
difficile.
2. Mais on pourrait dire que ce qui concerne la vertu est difficile
en son commencement mais facile en sa fin. En sens
contraire, au commencement, il n’y pas encore de vertu. Donc si
c’йtait difficile seulement au commencement, la vertu ne sera pas pour ce qui
est difficile.
[66001] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 3
Praeterea, difficultas in virtutibus accidit ex contrarietate; inde enim fit
difficile temperantiam servare propter contrarias concupiscentias. Sed
caritas est circa summum bonum, cui non est aliquid contrarium. Ergo id quod
est caritatis, non est difficile neque in fine neque in principio.
3. La difficultй dans les vertus vient de
la contrariйtй ; de lа il devient en effet difficile de conserver la
tempйrance а cause des consupiscences contraires. Mais la charitй concerne le
bien suprкme, pour laequelle il n’y a rien de contraire. Donc ce qui concerne
la charitй, n’est pas difficile, ni dans la fin, ni au commencement.
[66002] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 4
Praeterea, diligere vel amare quoddam velle est. Sed apostolus
dicit, Rom. VII, 18 : Velle adiacet mihi. Ergo diligere adiacet
nobis; non ergo ad hoc aliqua virtus caritatis requiritur.
4. Aimer[36] est un certain vouloir.
Mais l’apфtre dit (Rm 7, 18) :
« Vouloir est а ma portйe ».
Donc aimer est а notre portйe; donc ce n’est pas pour cela qu’une vertu de
charitй est requise.
[66003] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 5
Praeterea, in mente nostra non est nisi intellectus et appetitus. Sed
intellectus elevatur in Deum per fidem, affectus per spem. Non ergo oportet
ponere tertiam virtutem caritatis ad elevandum mentem in Deum.
5. Dans notre esprit il n’y a que
l’intellect et l’appйtit. Mais l’intellect est йlevй en Dieu par la foi,
l’affection par l’espйrance. Donc il ne faut pas placer en troisiиme la vertu
de charitй pour йlever l’esprit en Dieu.
[66004] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 6 Sed dicendum, quod spes elevat, sed
non coniungit; unde necessaria est caritas, quae coniungat.- Sed contra, spes, quia non coniungit,
semper distantis est; unde illis qui per beatitudinis fruitionem coniunguntur
Deo, non congruit spes. Si ergo caritas coniungit, pari ratione non competit
illis qui nondum sunt coniuncti, scilicet existentibus in via. Sed virtus
perficit nos in via; est enim dispositio perfecti ad optimum. Ergo caritas
non est virtus.
6. Mais
il faut dire que l’espйrance йlиve, mais n’unit pas pas, c'est pourquoi
la charitй source d’union est nйcessaire. Mais en sens contraire,l’espйrance,parce qu’elle n’unit pas, est
toujours йloignйe, c'est pourquoi chez ceux qui sont unis а Dieu par la
fruition de la bйatitude, l’espйrance ne se rencontre pas. Donc si la charitй
unit, а raison йgale, elle ne convient pas а ceux qui ne sont pas encore
unis, а savoir а ceux qui existent dans la voie. Mais la vertu nous rend
parfait dans la voie, car c’est la disposition du parfait pour le meilleur.
Donc la charitй n’est pas une vertu.
[66005] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 7
Praeterea, gratia sufficienter coniungit nos Deo. Non igitur
requiritur virtus caritatis ad hoc quod per ipsam Deo coniungamur.
7. La grвce nous unit suffisamment а Dieu.
Donc la vertu de charitй n’est pas requise pour que nous soyons unis а Dieu
par elle.
[66006] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 8
Praeterea, caritas est quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed
amicitia hominis ad hominem non numeratur a philosophis inter virtutes
politicas. Ergo nec caritas
Dei debet numerari inter virtutes theologicas.
8. La charitй est une amitй de l’homme
pour Dieu[37].
Mais l’amitiй de l’homme pour l’homme n’est pas comptйe par les philosophes
parmi les vertus politiques[38]. Donc la charitй non plus
ne doit pas кtre comptйe parmi les vertus thйologiques.
[66007] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 9
Praeterea, nulla passio est virtus. Amor est passio. Ergo non est virtus.
9. Aucune passion n’est une vertu. Mais
l’amour est une passion. Donc ce n’est pas une vertu.
[66008] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 10
Praeterea, virtus est in medio secundum philosophum. Sed caritas non est in
medio; quia in amore Dei non potest esse aliquid superfluum. Ergo caritas non
est virtus.
10. La vertu est dans l’intermйdiaire
selon le philosophe[39]. Mais la charitй n’est pas
dans l’intermйdiaire; parce que dans l’amour de Dieu il ne peut pas y avoir
rien de superflu. Donc la charitй n’est pas une vertu.
[66009] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 11
Praeterea, affectus est magis corruptus per peccatum quam intellectus; quia
peccatum in voluntate est, ut Augustinus dicit De duabus animabus, cap. X et XI,. Sed intellectus noster non
potest Deum videre immediate per seipsum in statu viae. Ergo nec affectus
noster potest diligere Deum immediate per seipsum in statu viae. Sed diligere
Deum per seipsum attribuitur caritati. Ergo caritas non debet inter virtutes
quae perficiunt nos in via numerari.
11. L’affection est plus corrompue par le
pйchй que l’intellect ; parce que la pйchй est dans la volontй, comme le
dit Augustin (Les deux вmes, X et
XI). Mais notre intellect ne peut pas voir Dieu sans intermйdiaire par
lui-mкme dans le statut de la voie. Donc notre affection ne peut pas aimer
Dieu sans intermйdiaire par lui-mкme dans le statut de la voie. Mais aimer
Dieu par lui-mкme est attribuй а la charitй. Donc la charitй ne doit pas
d’кtre comptйe parmi les vertus qui nous perfectionnent dans la voie.
[66010] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 12
Praeterea, virtus est ultimum de potentia rei, ut dicitur in I de Caelo [III,c. 2]. Sed
delectatio est ultimum quod pertinet ad affectum. Ergo magis delectatio debet esse virtus
quam amor.
12. La vertu est le dernier degrй de la
puissance, comme il est dit (Le ciel,
1, 3, 281 a 25). Mais le plaisir est le dernier degrй qui convient а
l’affection. Donc la vertu doit кtre plus le plaisir que l’amour[40].
[66011] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 13
Praeterea, omnis virtus habet debitum modum; unde dicit Augustinus [in lib. de natura Boni, cependant. III et
IV], quod peccatum, quod opponitur virtuti, est privatio modi, speciei et
ordinis. Sed caritas non habet modum; quia, sicut dicit Bernardus [in lib. de diligendo Deo], modus caritatis est
sine modo diligere. Ergo caritas non est virtus.
13. Toute vertu a une mesure obligйe; c'est
pourquoi Augustin (La nature du Bien,
3 et 4) dit que le pйchй qui est opposй а la vertu, est la privation de
mesure, d’espиce et d’ordre. Mais la charitй n’a pas de mesure ; parce
que, comme le dit saint Bernard (L’amour
de Dieu), le mesure de la charitй c’est aimer sans mesure. Donc la
charitй n’est pas une vertu.
[66012] De
virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 14 Praeterea, una virtus non denominatur ab alia;
quia omnes species eiusdem generis ex opposito dividuntur. Sed
caritas denominatur ab aliis virtutibus; dicitur enim I ad Corinth. XIII,
4 : Patiens est, benigna caritas est.
Ergo caritas non est virtus.
14. Une vertu ne tire pas son nom d’une
autre ; parce que toutes les espиces d’un mкme genre sont sйparйes par
opposition. Mais la charitй est dйnommйe par les autres vertus ; car il
est dit 1 Co13, 4 : « La charitй est patiente,
bienveillante ». Donc la charitй n’est pas une vertu.
[66013] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 15
Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic. [cap. VIII], amicitia in
quadam aequalitate consistit. Sed Dei ad nos est maxima inaequalitas, sicut
infinite distantium. Ergo non potest esse amicitia Dei ad nos, vel nostri ad
Deum; et ita caritas, quae huiusmodi amicitiam designat, non videtur esse
virtus.
15. Selon le philosophe (Йthique, VIII, 1055 a 32) l’amitiй
consiste en une certaine йgalitй. Mais de Dieu а nous l’inйgalitй est trиs
grande, pour ainsi dire de distance infinie. Donc il ne peut pas y avoir
d’amitй de Dieu pour nous[41], ou de nous pour
Dieu ; et ainsi la charitй qui dйsigne une amitiй de ce genre ne semble
pas кtre une vertu.
[66015] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 17
Praeterea, amor est excellentius timore. Sed timor, propter sui excellentiam,
non est virtus, sed donum, quod est excellentius virtute. Ergo neque caritas est
virtus, sed donum.
17. L’amour est bien meilleur que la
crainte. Mais celle-ci а cause de son excellence n’est pas une vertu, mais un
don meilleur que la vertu. Donc la charitй n’est pas une vertu mais un don.
En
sens contraire :
[66016] De
virtutibus, q. 2 a. 2 s. c. Sed contra, praecepta legis sunt de actibus
virtutum. Sed actus caritatis praecipitur in lege; dicitur enim Matth. XXII,
37, quod primum et maximum mandatum est : Dilige
Dominum Deum tuum. Ergo
caritas est virtus.
Les
prйceptes de la loi concernent les actes de vertu. Mais l’acte de charitй est
ordonnй dans la loi; car en Mt 22,
37, il est dit qu’il est le premier et le plus grand des commandements :
« Aime le Seigneur ton Dieu ».
Donc la charitй est une vertu.
Rйponse
:
[66017] De virtutibus, q. 2 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum, quod caritas absque dubio virtus est. Cum enim virtus
sit quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; manifestum est quod
secundum propriam virtutem homo ordinatur ad proprium bonum. Proprium autem
bonum hominis oportet diversimode accipi,
secundum quod homo diversimode accipitur.
Nam proprium bonum hominis in quantum homo, est bonum rationis, eo quod
homini esse est rationale esse. Bonum autem hominis secundum quod est
artifex, est bonum artis; et sic etiam secundum quod est politicus, est bonum
eius bonum commune civitatis.
A cela il n’y a aucun doute. En effet
comme la vertu rend bon celui qui la possиde et rend son oeuvre bonne, il est
йvident que c’est par sa propre vertu que l’homme est ordonnй а son bien
propre. Or le bien propre de l’homme doit кtre entendu de diffйrentes
maniиres selon que l’homme est compris de diffйrentes maniиres.
Car le bien
propre de l’homme, en tant que tel, est le bien de la raison, du fait que
l’кtre de l’homme est un кtre raisonnable.
Le
bien de l’homme selon qu’il est artisan est le bien de son art ;
et
aussi selon qu’il est homme politique c’est le bien commun de la citй[42].
Cum ergo virtus operetur ad bonum; ad
virtutem cuiuslibet requiritur quod sic se habeat quod ad bonum bene
operetur, id est voluntarie et prompte et delectabiliter, et etiam firmiter :
hae enim sunt conditiones operationis virtuosae, quae non possunt convenire
alicui operationi, nisi operans amet bonum propter quod operatur, eo quod
amor est principium omnium voluntariarum affectionum. Quod enim amatur,
desideratur dum non habetur, et delectationem infert quando habetur et
tristitiam ingerunt ea quae ad habendo amatum impediunt. Ea etiam quae ex
amore fiunt, et firmiter et prompte et delectabiliter fiunt. Ad
virtutem igitur requiritur amor boni ad quod virtus operatur. Bonum
autem ad quod operatur virtus quae est hominis in quantum homo, est homini
connaturale; unde voluntati eius naturaliter inest huius boni amor, quod est
bonum rationis. Sed si accipiamus virtutem hominis secundum aliquam aliam
considerationem non naturalem homini, oportebit ad huiusmodi virtutem amorem
illius boni, ad quod talis virtus ordinatur, esse aliquid superadditum circa
naturalem voluntatem. Non enim artifex bene operatur nisi superveniat ei amor
boni quod per operationem artis intenditur; unde philosophus dicit in VIII
Polit.[cap. 1], quod ad hoc quod aliquis sit bonus politicus, requiritur quod
amet bonum civitatis.
Donc puisque la vertu opиre pour le bien,
il est requis pour la vertu de n’importe qui de se comporter de maniиre а
parfaitement opйrer pour le bien, c’est-а-dire volontairement, promptement et
avec plaisir, et aussi avec fermetй. Ce sont en effet lа les conditions de
l’opйration vertueuse qui ne peuvent convenir а quelque opйration que si
celui qui opиre aime le bien pour lequel il agit, parce que l’amour est le
principe de toutes les affections volontaires. En effet ce qu’on aime, on le
dйsire quand on ne l’a pas et il apporte le plaisir quand on l’a et ce qui en
empкche la possession engendre la tristesse. Aussi ce qui est fait par amour
se fait avec fermetй, promptitude et plaisir. Donc est requis pour la vertu
l’amour du bien pour lequel la vertu agit. Or le bien pour lequel opиre la
vertu qui est de l’homme en tant que tel lui est connaturel; c'est pourquoi
l’amour de ce bien qui est le bien de la raison est naturellement en sa
volontй. Mais si nous concevons la vertu de l’homme selon une autre
considйration non naturelle а l’homme il faudra pour une vertu de ce genre
que l’amour de ce bien auquel cette vertu est ordonnйe soit quelque chose de
surajoutй а la volontй naturelle. En effet l’artisan n’opиre bien que si lui
arrive l’amour du bien qu’il poursuit par l’opйration de son art. C'est
pourquoi le philosophe (Politique VIII,
1) dit que pour кtre un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la
citй.
Si autem homo, in quantum admittitur ad
participandum bonum alicuius civitatis, et efficitur civis illius civitatis;
competunt ei virtutes quaedam ad operandum ea quae sunt civium, et ad amandum
bonum civitatis; ita cum homo per divinam gratiam admittatur in
participationem caelestis beatitudinis, quae in visione et fruitione Dei
consistit, fit quasi civis et socius illius beatae societatis, quae vocatur
caelestis Ierusalem secundum illud, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum et domestici Dei.
Si
donc l’homme, en tant qu’il est admis а prendre part au bien d’une citй, est
йtabli citoyen de cette citй, des vertus lui incombent pour accomplir des
actes de citoyens et pour aimer le bien de la citй. Ainsi lorsque l’homme par
la grвce divine est admis а participer а la bйatitude cйleste qui consiste en
la vision et en la jouissance de Dieu, il devient comme le concitoyen et le
compagnon de cette bienheureuse sociйtй qui est appelйe la Jйrusalem cйleste,
selon ce qui est йcrit (Eph 2,
19) : « Vous кtes les concitoyens des saints et de ceux qui font
partie de la maison de Dieu ».
Unde homini sic ad caelestia adscripto
competunt quaedam virtutes gratuitae, quae sunt virtutes infusae; ad quarum
debitam operationem praeexigitur amor boni communis toti societati, quod est
bonum divinum, prout est beatitudinis obiectum. Amare autem bonum
alicuius civitatis contingit dupliciter : uno modo ut habeatur; alio modo ut
conservetur.
C'est
pourquoi certaines vertus gratuites qui sont des vertus infuses sont ainsi
propres а l’homme inscrit sur la liste pour les cieux; pour bien s’en
acquitter l’amour du bien commun est prйexigй pour toute la sociйtй, qui est
le bien divin, dans la mesure oщ il est l’objet de la bйatitude. Mais aimer
le bien d’une citй arrive de deux maniиres : a. Pour le possйder, b. d’une
autre maniиre pout le conserver.
Amare autem bonum alicuius civitatis ut
habeatur et possideatur, non facit bonum politicum; quia sic etiam aliquis
tyrannus amat bonum alicuius civitatis ut ei dominetur : quod est amare
seipsum magis quam civitatem; sibi enim ipsi hoc bonum concupiscit, non
civitati. Sed amare bonum civitatis ut conservetur et defendatur, hoc est
vere amare civitatem; quod bonum politicum facit : in tantum quod aliqui
propter bonum civitatis conservandum vel ampliandum, se periculis mortis
exponant et negligant privatum bonum.
Mais aimer le bien d’une citй pour avoir ou
possйder ne fait pas le bien politique : parce qu’ainsi un tyran aussi aime
le bien de la citй pour la dominer; ce qui est s’aimer soi-mкme plus que la
citй ; car il convoite ce bien pour lui et non pour la Citй. Mais aimer le
bien de la citй pour le conserver et le dйfendre c’est lа vraiment aimer la
citй ; ce que fait le bon politique ; en tant que certains s’exposent
aux pйrils de la mort pour conserver le bien de la citй et le dйvelopper et
ils nйgligent leur bien privй.
Sic igitur amare bonum quod a beatis
participatur ut habeatur vel possideatur, non facit hominem bene se habentem
ad beatitudinem, quia etiam mali illud bonum concupiscunt; sed amare illud
bonum secundum se, ut permaneat et diffundatur, et ut nihil contra illud
bonum agatur, hoc facit hominem bene se habentem ad illam societatem
beatorum. Et haec est caritas, quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt
capaces beatitudinis, sicut seipsos; et quae repugnat omnibus impedimentis et
in se et in aliis; unde nunquam potest esse cum peccato mortali, quod est
beatitudinis impedimentum. Sic igitur patet quod caritas non solum est
virtus, sed potissima virtutum.
Ainsi donc aimer le bien auquel les
bienheureux participent pour l’avoir et le possйder ne rend pas l’homme bien
disposй pour la bйatitude, parce que les mйchants aussi convoitent ce bien;
mais l’aimer selon ce qu’il est, pour qu’il demeure et soit rйpandu, et pour
que rien ne soit fait contre lui, c’est ce qui rend l’homme bien disposй pour
cette sociйtй de bienheureux. Et telle est la charitй qui aime Dieu par soi
et le prochain, qui est capable [d’obtenir] de bйatitude, pour eux-mкmes; et
elle s’oppose а tous les obstacles et en soi-mкme et dans les autres. C'est
pourquoi elle ne peut jamais exister avec le pйchй mortel qui est une
empкchement pour la bйatitude. Ainsi donc la charitй est non seulement une
vertu mais la plus grande des vertus.
Solutions :
[66018] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtus est circa illud quod in se difficile est,
sed tamen habenti virtutem fit facile.
1. La vertu est pour ce qui est en soi
difficile, mais seulement pour celui qui la possиde elle devient facile.
[66019]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. Non enim probat : manet enim, quantum in
se est, difficile illud circa quod est virtus, adveniente virtute, sed quod
facile fiat virtuoso, hoc est ex perfectione virtutis.
2. Par lа paraоt la solution а la seconde
objection. Car elle ne prouve pas ; en effet pour ce qui concerne la
vertu demeure difficile en tant qu’elle est en soi, quand arrive la vertu,
mais qui devient facile au vertueux, vient de la perfection de la vertu.
[66020] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod difficultas non solum est ex contrarietate, sed etiam
est ex excellentia obiecti; sic enim aliquid dicitur esse difficile ad
intelligendum quoad nos propter excellentiam intelligibilis, non propter
aliquam contrarietatem.
3. La difficultй ne vient pas seulement de
la contrariйtй, mais aussi de l’excellence de l’objet ; car on dit aussi
que quelque chose est difficile а comprendre, selon nous а cause de
supйrioritй de l’intelligibilitй, non а cause d’un empкchement.
[66021] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illud velle quod adiacet nobis a natura, est
imperfectum et infirmum quantum ad spiritualia et gratuita; unde et apostolus
ibidem subdit : Non enim quod volo
bonum, hoc ago; et ideo requiritur auxilium gratuiti doni.
4. Ce vouloir qui se situe prиs de nous
par nature est imparfait et faible, pour ce qui est spirituel et gratuit ;
c'est pourquoi l’apфtre lа-mкme ajoute : « En effet ce que je veux de bien, je ne le fait pas » et
c'est pourquoi l’aide d’un don gratuit est requis.
[66022] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod spes elevat affectum hominis in summum bonum ut
adipiscendum; sed super hoc requiritur quod illud bonum ametur ad bonum esse
hominis, ut supra, in corp. art., dictum est.
5. L’espйrance elиve l’affection de
l’homme au souverain bien pour l’obtenir, mais au-dessus de cela il est
requis que ce bien soit aimй pour le bien de l’кtre de l’homme, comme on l’a
dit dans le corps de l’article.
[66023] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod de ratione caritatis seu amoris est, quod coniungat
secundum affectum; quae scilicet coniunctio intelligitur quantum ad hoc quod
homo amicum reputat quasi alterum se, et vult ei bonum sicut et sibi. Sed
coniungere secundum rem, non est de ratione caritatis, et ideo potest esse et
habiti et non habiti. Sed non habitum facit desiderare; in habito vero, facit
delectari.
6. Il est de la nature de la charitй ou de
l’amour d’unir selon l’affection ; la quelle union est comprise quant а
ce que l’homme considиre l’ami comme un autre lui-mкme et il lui veut du bien
comme а lui-mкme. Mais unir en rйalitй n’est pas de la nature de la charitй,
et c'est pourquoi ce peut кtre pour celui qui la possиde ou non. Mais ce
qu’on ne possиde pas provoque le dйsir, mais dans ce qu’on possиde, on trouve
la plaisir.
[66024] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod gratia coniungit nos Deo per modum assimilationis;
sed requiritur quod uniamur ei per operationem intellectus et affectus, quod
fit per caritatem.
7. La grвce nous unit а Dieu par mode de
ressemblance, mais il est requis que nous soyons unis а lui par une opйration
de l’esprit et de l’affection, ce qui se fait par charitй.
[66025] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod amicitia non ponitur virtus, sed consequens virtutem;
quia ex hoc ipso quod aliquis habet virtutem et amat bonum rationis,
consequitur ex ipsa inclinatione virtutis quod diligat sibi similes, scilicet
virtuosos, in quibus bonum rationis viget. Sed amicitia quae est ad Deum, in
quantum est beatus et beatitudinis auctor, oportet praestitui ad virtutes
quae in illam beatitudinem ordinant; et ideo, cum non sit consequens ad alias
virtutes, sed praeambulum, ut ostensum est, oportet quod ipsa sit per se
virtus.
8. L’amitiй n’est pas considйrйe comme
vertu mais comme ce qui l’accompagne ; parce que du fait que quelqu’un a
la vertu et aime le bien de raison il en dйcoule par l’inclination de la
vertu qu’il aime ses semblables, c'est-а-dire les vertueux, en qui le bien de
raison a de la force. Mais l’amitiй qui est pour Dieu en tant qu’il est
bienheureux et auteur de la bйatitude, doit кtre fixйe d’avance pour les
vertus qui mette en rapport а cette bйatitude ; et c'est pourquoi comme
elle n’accompagne pas les autres vertu, mais elle est le prйambule, comme on
l’a montrй, il faut qu’elle soit vertu par soi.
[66026] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod amor, secundum quod est in sensitiva parte, est passio :
qui quidem amor est boni secundum sensum. Talis autem amor non est amor
caritatis; unde ratio non sequitur.
9. L’amour, selon qu’il est dans la partie
sensitive, est une passion ; c’est amour du bien selon la sensation.
Mais tel amour n’est pas l’amour de charitй ; c'est pourquoi la raison
n’est pas valable.
[66027] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod hoc quod dicit philosophus, virtutem esse in medio;
intelligitur de virtutibus moralibus; non autem est verum de virtutibus
theologicis, inter quas est caritas, ut alibi, quaest. praeced., art. 10,
ostensum est.
10. Ce que dit le philosophe, que la vertu
est en intermйdiaire, est compris des vertus morales, mais ce n’est pas vrai
des vertus thйologiques parmi lesquelles il y a la charitй, comme ailleurs,
(question prйcйdente, a. 10), on l’a montrй.
[66028] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod bonum intellectum movet voluntatem; et ideo licet
intellectus per aliqua media Deum intelligat ut summum bonum, ex hoc ipso
movet voluntatem, ut sic possit immediate amari, licet per media cognoscatur
: quia hoc ipsum quo determinatur cognitio intellectus, movet affectum.
11. La bien intellectuel meut
la volontй, et ainsi, bien que l’intellect comprenne Dieu comme le souverain
bien, par des intermйdiaires, de ce fait qu’il meut la volontй pour ainsi
pouvoir кtre aimй sans intermйdiaire, bien qu’il soit connu par des
intermйdiaires, parce que ce par quoi est limitй la connaissance
intellectuelle, met en mouvement l’affection.
[66029]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod delectatio non
importat operationem, sed aliquid consequens ad operationem; unde, cum virtus
sit operationis principium, delectatio non ponitur inter virtutes, sed inter
fructus, ut patet Galat. V, 22 : Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax, patientia.
12. Le plaisir n’apporte pas d’opйration,
mais quelque chose qui accompagne l’opйration ; c'est pourquoi comme la
vertu est le principe de l’opйration, le plaisir n’est pas placй parmi les
vertus, mais parmi les fruits ; comme on le voit dans Gal 5, 22 : « Le fruit de l’esprit c’est la charitй, la
joie, la paix, la patience ».
[66030] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod obiectum caritatis transcendit omnem facultatem
humanam, scilicet Deus; unde quantumcumque voluntas humana conetur ad amandum
Deum, non potest attingere ut amet eum quantum est amandus. Et ideo dicitur
non habere modum caritas, quia non est aliquis terminus fixus divinae
dilectionis ultra quem, si diligatur, sit contra rationem virtutis, sicut
accidit in virtutibus moralibus, quae consistunt in medio; hoc enim ipsum
quod est non habere sic modum, est caritatis modus. Ex hoc igitur non potest
concludi quod caritas non sit virtus; sed quod non consistat in medio, sicut
virtutes morales.
13. L’objet de la charitй, а
savoir Dieu, transcende toute facultй humaine; c'est pourquoi chaque fois que
la volontй humaine s’efforce d’aimer Dieu, elle ne peut pas parvenir а
l’aimer autant qu’il doit l’кtre. Et c'est pourquoi on dit que la charitй n’a
pas de mesure, parce qu’il n’y a pas un terme fixe de l’amour divin au delа
duquel, s’il est aimй, c’est contre la nature de la vertu, comme il arrive
dans les vertus morales, qui s’йtablissent dans l’intermйdiaire ; car
cela mкme qui consiste а ne pas avoir de mesure, est le mesure de la charitй.
Par cela donc, on ne peut pas conclure que la charitй n’est pas une vertu ;
mais qu’elle ne consiste pas en un intermйdiaire comme les vertu morales.
[66031] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod caritas dicitur patiens et benigna, quasi
denominata ab aliis virtutibus, in quantum producit actus omnium virtutum.
14. On dit que la charitй est patiente et
bienveillante, comme dйnommйe а partir des autres vertus en tant qu’elle
produit les actes de toutes les vertus.
[66032] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod caritas non est virtus hominis in quantum est
homo, sed in quantum per participationem gratiae fit Deus et filius Dei,
secundum illud I Ioan. III, 1 : Videte
qualem caritatem dedit nobis pater, ut filii Dei nominemur et simus.
15. La charitй n’est pas la vertu de
l’homme en tant qu’homme, mais en tant que par la participation de la grвce,
il devient Dieu et fils de Dieu, selon cette parole de 1 Jn 3, 1 : « Voyez
quelle charitй le Pиre nous a donnй, pour que nous soyons appelйs et fils de
Dieu et nous le sommes ».
[66033] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod amor summi boni, prout est principium esse
naturalis, inest nobis a natura; sed prout est obiectum illius beatitudinis
quae totam capacitatem naturae creatae excedit, non inest nobis a natura, sed
est supra naturam.
16 L’amour du souverain bien est le
principe de l’кtre naturel, dans la mesure oщ il est en nous par nature, mais
dans la mesure oщ il est l’objet de cette bйatitude qui dйpasse toute la
capacitй de la nature, il n’est pas en nous par nature mais il est au-dessus
de la nature.
[66034] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod dona perficiunt virtutes elevando eas supra
modum humanum, sicut donum intellectus virtutem fidei, et donum timoris
virtutem temperantiae in recedendo a delectabilibus ultra humanum modum. Sed
circa amorem Dei non inest aliqua imperfectio, quam oporteat per aliquod
donum perfici; unde caritas non ponitur donum virtutis, quae tamen
excellentior est omnibus donis.
17. Les dons rendent parfaites les vertus
en les йlevant au-dessus du mode humain, comme le don d’intelligence, la
vertu de foi, et le don de crainte, la vertu de tempйrance, en йloignant de
ce qui est dйlectable au-delа de la mesure humaine. Mais pour l’amour de
Dieu, il n’y a aucune imperfection, qu’il faudrait achever par un don ;
c'est pourquoi la charitй n’est pas placйe comme don de vertu, elle qui
cependant est plus excellente que tous les dons.
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[66035] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum caritas
sit forma virtutum
Article 3 – La
charitй est-elle la forme des vertus ?
[66036] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 2 Et
videtur quod non.
[66037]
De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 1 Forma enim dat esse et speciem ei cuius est
forma. Sed caritas non dat esse et speciem cuilibet virtuti. Ergo caritas non
est forma aliarum virtutum.
1. Car la forme donne l’кtre et l’espиce а
ce dont elle est la forme. Mais la charitй ne donne а n’importe quelle vertu
ni l’кtre ni l’espиce. Donc la charitй n’est pas la forme des autres vertus.
[66038] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 2
Praeterea, formae non est forma. Sed omnes virtutes sunt formae; sunt enim
perfectiones quaedam. Ergo caritas non est forma virtutum.
2. La forme ne vient pas d’une forme. Mais
toutes les vertus sont des formes, car elles sont des perfections. Donc la
charitй n’est pas la forme des vertus.
[66039] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 3
Praeterea, forma cadit in definitione eius cuius est forma. Sed caritas non
cadit in definitione virtutum. Ergo caritas non est forma virtutum.
3. La forme tombe dans la dйfinition de ce
dont elle est la forme. Mais La charitй ne tombe pas dans la dйfinition des
vertus. Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.
[66040]
De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ea quae dividuntur ex opposito,
non ita se habent, quod unum sit forma alterius. Sed caritas ex
opposito dividitur aliis virtutibus, ut patet I ad Cor. XIII, 13 : Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo caritas
non est forma virtutum.
4. Ce qui est sйparй par un contraire ne
se comporte pas de sorte que l’un soit la forme de l’autre. Mais la charitй
est sйparйe des autres vertus par opposй, comme on le voit en 1 Co 13, 13 : « Mais maintenant demeurent la foi,
l’espйrance et la charitй, ces trois lа ». Donc la charitй n’est pas
la forme des vertus.
[66041] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 5 Sed dicendum, quod caritas non est
forma intrinseca virtutum, sed exemplaris.- Sed contra, exemplatum trahit speciem ab exemplari. Si igitur
caritas est forma exemplaris omnium virtutum, omnes virtutes trahunt speciem
ab ipsa. Ergo omnes virtutes essent unius speciei; quod est falsum.
5. Il
faut dire que la charitй n’est pas la forme intrinsиque des vertus, mais
leur forme exemplaire. – En sens contraire,l’image tire son espиce de
l’exemplaire. Si donc la charitй est la forme exemplaire de toutes les
vertus, elles tirent leur espиce d’elle. Donc toutes les vertus sont d’une
seule espиce, ce qui est faux.
[66042] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 6
Praeterea, forma exemplaris est ad quam aliquid fit. Non ergo est necessaria
nisi ad hoc quod res fiat. Si ergo caritas est forma exemplaris virtutum, non
erit necessaria caritas nisi ad generationem virtutum. Et ideo virtutibus
habitis, non erit necessarium habere caritatem; quod patet esse falsum.
6. La forme exemplaire est pour celle а laquelle
quelque chose est fait. Donc elle n’est nйcessaire que pour que la chose soit
faite. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, la charitй ne
sera nйcessaire que pour la gйnйration des vertus. Et ainsi une fois les
vertus possйdйes, il ne sera pas nйcessaire d’avoir la charitй, ce qui
apparaоt comme faux.
[66043] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 7
Praeterea, exemplar est necessarium facienti, non autem utenti iam facto;
sicut exemplar est necessarium ad transcribendum librum, non autem ad utendum
libro iam scripto. Si igitur caritas est forma exemplaris virtutum, non
competit nobis, qui virtutibus utimur, sed Deo, qui in nobis virtutes
operatur.
7. L’exemplaire est nйcessaire а celui qui
fait, mais pas а celui qui se sert de ce qui est fait. De mкme l’exemplaire
est nйcessaire pour transcrire un livre, mais non pour se servir du livre
dйjа йcrit. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, elles ne
nous convient pas, а nous qui utilisons les vertus mais а Dieu qui les opиre
en nous.
[66044] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 8
Praeterea, exemplar potest esse sine exemplato. Si igitur caritas sit forma
exemplaris virtutum, sequitur quod possit esse sine aliis virtutibus; quod
est falsum.
8. L’exemplaire peut exister sans image.
Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, il en dйcoule qu’elle
pourrait кtre sans les autres vertus ; ce qui est faux.
[66045] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 9
Praeterea, quaelibet virtus habet formam a suo fine et obiecto. Quod autem
est per se formatum, non indiget formari ab alio; et ita caritas non est
forma virtutum.
9. N’importe quelle vertu tient sa forme
de sa fin et son objet. Mais ce qui est mis en forme par soi, n’a pas besoin
d’кtre mis en forme par un autre, et ainsi la charitй n’est la forme des
vertus.
[66046] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 10
Praeterea, natura semper facit quod melius est. Multo igitur magis Deus. Sed
melius est aliquid esse formatum quam informe. Cum igitur virtutes in nobis
operetur Deus, videtur quod faciat eas formatas; et ita non indigent formari
a caritate.
10. La nature fait toujours ce qui est
meilleur. Donc beaucoup plus Dieu. Mais est meilleur un кtre en forme qu’un
кtre sans forme. Donc comme Dieu opиre en nous les vertus, il semble qu’il
les met en forme, et ainsi ils n’ont pas besoin d’кtre mis en forme par la
charitй.
[66047] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 11
Praeterea, fides est quoddam spirituale lumen. Sed lumen est forma eorum quae
videntur in lumine. Ergo, sicut lux corporalis est forma colorum, sic fides
est forma caritatis et aliarum virtutum; non autem caritas.
11. La foi est une certaine lumiиre
spirituelle. Mais la lumiиre est la forme de ce qui est vu dans la lumiиre.
Donc de mкme que la lumiиre corporelle est la forme des couleurs, la foi est
la forme de la charitй et des autres vertus, mais pas la charitй.
[66048] De
virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo perfectionum est secundum
ordinem perfectibilium. Sed virtutes sunt perfectiones potentiarum animae.
Ergo secundum ordinem potentiarum est ordo virtutum. Sed inter alias
potentias animae altior est intellectus ipsa voluntate. Ergo et fides
est altior caritate; et ita fides magis est forma caritatis quam e converso.
12. L’ordre des perfections dйpend de la
l’ordre des perfectibles. Mais les vertus sont les perfections des puissances
de l’вme. Donc l’ordre des vertus dйpend de l’ordre des puissances. Mais
parmi les autres puissances de l’вme, l’intellect est plus haut que la
volontй. Donc la foi aussi est plus haute que la charitй, et ainsi la foi est
plus la forme de la charitй que le contraire.
[66049] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 13
Praeterea, sicut se habent virtutes morales ad invicem, ita et theologicae.
Sed prudentia, quae est in vi cognitiva, informat alias virtutes quae sunt in
vi appetitiva, scilicet iustitiam, fortitudinem, temperantiam et huiusmodi.
Ergo et fides, quae in cognitiva est, informat caritatem, quae est in
appetitiva, et non e converso.
13. De la mкme maniиre que les vertus
morales se comportent entre elles; se comportent les vertus thйologiques.
Mais la prudence, qui est dans la force cognitive, met en forme les autres
vertus qui sont dans la force appйtitive, а savoir la justice, la force, la
tempйrance etc. Donc la foi aussi qui est dans la partie cognitive, met en forme
la charitй, qui est dans la partie appйtitive, et non а l’inverse.
[66050] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 14
Praeterea, forma virtutis est modus eius. Sed rationis est imponere modum
appetitui, et non e converso. Ergo fides, quae est in ratione, magis est
forma caritatis, quae est in parte appetitiva, quam e converso.
14. La forme de la vertu est son mode.
Mais c’est le propre de la raison d’imposer un mode а l’appйtit, et non le
contraire. Donc la foi, qui est dans la raison, est plus une forme de la charitй,
qui est dans la partie appйtitive, que le contraire.
[66051] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 15 Praeterea, Matth. I, 2, super
illud, Abraham genuit Isaac, Isaac
genuit Iacob, dicit Glossa, quod fides genuit spem et spes caritatem. Sed
omne genitum recipit formam a generante. Ergo caritas recipit formam a fide et spe,
et non e converso.
15. Mt
1, 2, sur ce verset : « Abraham
a enfantй Isaac, Isaac a enfantй Jacob », la glose dit que la foi a
engendrй l’espйrance et l’espйrance la charitй. Mais tout ce qui est engendrй
reзoit sa forme de celui qui l’engendre. Donc la charitй reзoit la forme de
la foi et de l’espйrance, et non le contraire.
[66052] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 16
Praeterea, in uno et eodem, potentia praecedit actum tempore. Si igitur caritas
comparetur ad alias virtutes ut actus et forma, sequetur quod aliae virtutes
prius tempore sint in homine quam caritas; quod est falsum.
16. Dans un seul et mкme objet la
puissance prйcиde temporellement l’acte. Si donc la charitй est comparйe aux
autres vertus comme l’acte et la forme il en dйcoule que les autres vertus
sont temporellement dans l’homme avant la charitй ; ce qui est faux.
[66053] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 17
Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes ordinantur,
sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut Augustinus
dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam recipiunt ex
fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis quam e
converso.
17. La mise en forme dans le domaine moral
provient de sa fin. Mais toutes les vertus sont ordonnйes comme а leur fin
ultime а la vision de Dieu, qui est la rйcompense totale, comme Augustin le
dit, et qui succиde а la foi. Donc toutes les autres vertus reзoivent une forme
de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi est la forme de la
charitй plus que le contraire.
[66054] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 18
Praeterea, finis efficiens et forma non incidunt in idem numero, secundum
philosophum in II Phys., text. 70. Sed caritas est finis virtutum et motor
earum. Ergo non est forma ipsarum.
18. La fin efficiente et la forme ne
tombent pas dans le mкme en nombre, selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 24). Mais la charitй est la fin des vertus
et leur moteur. Donc elle n’est pas leur forme.
[66055] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 19
Praeterea, illud a quo est principium essendi, est forma. Sed principium esse
spiritualis est gratia, secundum illud 1 Corinth. c. XV, 10 : Gratia Dei sum id quod sum. Ergo
gratia Dei est forma virtutum, et non caritas.
19. Ce d’oщ vient le principe d’кtre est
un forme. Mais le principe d’кtre spirituel est la grвce, selon cette parole
de 1 Co 15, 10 : « Je suis ce que je suis par la grвce de
Dieu ». Donc la grвce de Dieu est la forme des vertus, et non la
charitй.
En
sens contraire :
[66056] De virtutibus, q. 2 a. 3 s. c. Sed
contra, est quod Ambrosius, lib. II In
Lucam, dicit, quod caritas est forma et mater virtutum.
Il y a ce qu’Ambroise (Luc. II) dit : la charitй est la forme
et la mиre des vertus.
Rйponse
:
[66057] De virtutibus, q. 2 a. 3 co.
Respondeo. Dicendum, quod caritas est forma virtutum, motor et radix.
La charitй est la forme des vertus, leur
moteur et leur racine.
Ad cuius evidentiam sciendum est, quod de
habitibus oportet nos secundum actus iudicare; unde quando id quod est unius
habitus, est ut formale in actu alterius habitus, oportet quod unus habitus
se habeat ad alium ut forma. In omnibus autem actibus voluntariis id quod est
ex parte finis, est formale : quod ideo est, quia unusquisque actus formam et
speciem recipit secundum formam agentis, ut calefactio secundum calorem.
Pour йclaircir cette question il faut savoir
qu’il est nйcessaire que nous jugions des habitus selon leurs actes ; c'est
pourquoi lorsque ce qui est d’un seul habitus est comme formel dans l’acte
d’un autre habitus, il est nйcessaire que l’un se comporte vis-а-vis de
l’autre comme une forme. Or dans tous les actes volontaires ce qui est du
cфtй de la fin est formel ; la raison en est que chaque acte reзoit sa forme
et son espиce selon la forme de l’agent, comme l’йchauffement vient de la
chaleur.
Forma autem voluntatis est obiectum
ipsius, quod est bonum et finis, sicut intelligibile est forma intellectus;
unde oportet quod id quod est ex parte finis, sit formale in actu voluntatis.
Unde idem specie actus, secundum quod ordinatur ad unum finem, cadit sub
forma virtutis; et secundum quod ordinatur ad alium finem, cadit sub forma
vitii; ut patet de eo qui dat eleemosynam vel propter Deum, vel propter
inanem gloriam. Actus enim unius vitii, secundum quod ordinatur ad finem
alterius vitii, recipit formam eius; utpote qui furatur ut fornicetur,
materialiter quidem fur est, formaliter vero intemperatus.
Mais la forme de la volontй est son objet
parce qu’il est le bien et la fin, comme l’intelligible est la forme de
l’intellect. C'est pourquoi il est nйcessaire que ce qui est du cфtй de la
fin soit formel dans l’acte de la volontй. C'est pourquoi l’acte identique en
espиce selon qu’il est ordonnй а une seule fin tombe sous la forme de la
vertu; et selon qu’il est ordonnй а une autre fin, il tombe sous la forme du
vice, comme on le voit de celui qui fait l’aumфne ou pour Dieu ou par vaine
gloire. Car l’acte d’un seul vice selon qu’il est ordonnй а la fin d’un autre
vice endosse sa forme ; par exemple celui qui vole pour forniquer est
matйriellement voleur et formellement intempйrant.
Manifestum est autem quod actus omnium
aliarum virtutum ordinatur ad finem proprium caritatis, quod est eius
obiectum, scilicet summum bonum. Et de virtutibus quidem moralibus manifestum
est : nam huiusmodi virtutes sunt circa quaedam bona creata quae ordinantur
ad bonum increatum sicut ad ultimum finem. Sed de virtutibus aliis
theologicis idem manifestum est : nam ens increatum est quidem obiectum
fidei, ut verum; et in quantum est appetibile, habet rationem boni. Et sic
tendit fides in ipsum, in quantum est appetibile, cum nullus credat nisi
volens. Spei autem obiectum licet sit ens increatum, in quantum est bonum,
tamen dependet ab obiecto caritatis : est enim bonum, obiectum spei, in
quantum est desiderabile et consequibile : nullus enim desiderat consequi
aliquod bonum nisi per hoc quod amat ipsum.
Or
il est йvident que l’acte de toutes les autres vertus est ordonnй а la fin
propre de la charitй qui est son objet, а savoir le bien suprкme. Et c’est
йvident pour les vertus morales; car les vertus de ce genre sont pour des
biens crййs qui sont ordonnйs au bien incrйй comme а leur fin derniиre. Mais
pour les autres vertus thйologales la mкme chose est йvidente ; car l’йtant
incrйй est l’objet de la foi, comme vrai et en tant qu’il est dйsirable il a
nature de bien. Et ainsi la foi tend en lui en tant que dйsirable puisque
personne ne croit que s’il veut. Bien que l’objet de l’espйrance soit l’йtant
incrйй en tant qu’il est bon, cependant il dйpend de l’objet de la charitй ;
en effet il est le bien, objet d’espйrance en tant que dйsirable et qu’il
peut кtre atteint ; personne en effet ne dйsire obtenir un bien, sinon parce
qu’il l’aime.
Unde manifestum est quod in actibus omnium
virtutum est formale id quod est ex parte caritatis; et pro tanto dicitur
forma omnium virtutum, in quantum scilicet omnes actus omnium virtutum
ordinantur in summum bonum amatum, ut ostensum est. Et quia praecepta legis
sunt de actibus virtutum; inde est quod apostolus dicit, I Timoth. cap. I, 5,
quod finis praecepti est caritas.
C'est pourquoi il est йvident que dans les
actes de toutes les vertus est formel ce qui vient du cфtй de la charitй et
pour autant elle est dite la forme de toutes les vertus en tant que tous les
actes de toutes les vertus sont ordonnйs vers le bien suprкme aimй, comme on
l’a montrй. Et parce que les prйceptes de la loi concernent les actes des
vertus, il y ace que dit l’Apфtre (1 Tm
1, 5) : « La fin du prйcepte est
la charitй ».
Et hinc etiam apparet, quomodo caritas sit
motor omnium virtutum; in quantum scilicet importat actus omnium aliarum
virtutum. Omnis enim virtus vel potentia superior dicitur movere per imperium
inferiorem, ex eo quod actus inferioris ordinatur ad finem superioris; sicut
aedificativa imperat caementariae, eo quod actus caementariae artis ordinatur
ad formam domus, quae est finis aedificativae. Unde cum omnes aliae virtutes
ordinentur ad finem caritatis, ipsa imperat actus omnium virtutum, et ex hoc
dicitur motor earum.
Et de lа aussi apparaоt comment la charitй
est le moteur de toutes les vertus, en tant qu’elle en suscite les actes. En
effet on dit que toute vertu ou puissance supйrieure meut par un pouvoir
infйrieur, du fait que l’acte de l’infйrieur est ordonnй а la fin du
supйrieur; comme le pouvoir de bвtir commande au maзon, parce que l’art de
celui-ci est ordonnй а la forme de la maison qui est le but du pouvoir de
bвtir. C'est pourquoi comme toutes les autres vertus sont ordonnйes а la fin
de la charitй celle-ci commande les actes de toutes les vertus et par lа on
dit qu’elle est leur moteur.
Et quia mater dicitur quae in se accipit
et concipit; ideo dicitur caritas mater omnium virtutum, in quantum ex
conceptione sui finis producitur actus omnium virtutum; et eadem etiam
ratione dicitur radix virtutum.
Et parce qu’on dit qu’une mиre reзoit en
soi et conзoit, on dit aussi que la charitй est la mиre de toutes les vertus,
en tant que par la conception de sa fin, elle produit les actes de toutes les
vertus ; et pour la mкme raison on dit qu’elle est la racine des vertus.
Solutions :
[66058] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet caritas non det unicuique virtuti propriam
speciem, dat tamen unicuique virtuti communem speciem virtutis, secundum quod
loquimur de virtute prout est principium merendi.
1. Bien que la charitй ne donne pas а
chaque vertu une espиce propre, elle donne cependant а chacune une espиce
commune, selon qu’on parle de la vertu en tant qu’elle est le principe du
mйrite.
[66059] De
virtutibus, q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae non est forma,
ita quod una forma praestet subiectum alteri. Nihil tamen prohibet plures
formas in eodem subiecto esse secundum quemdam ordinem; scilicet ut una sit
formalis respectu alterius, sicut color est formalis respectu superficiei. Et hoc modo
caritas potest esse forma aliarum virtutum.
2. La forme ne vient pas de la forme, de
sorte qu’une forme procure le sujet а un autre. Cependant
rien n’empкche plusieurs formes d’кtre dans le mкme sujet selon un certain
ordre ; а savoir que l’une soit formelle en rapport avec l’autre, comme
la couleur est formelle en rapport а la surface. Et de cette maniиre, la
charitй peut кtre la forme des autres vertus.
[66060] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod caritas cadit in definitione virtutis meritoriae, ut
patet per definitionem Augustini, dicentis [lib. V1 Contra Iulianum, cap. VI], quod virtus
est bona qualitas mentis, qua recte vivitur : non enim recte vivitur nisi per
hoc quod vita nostra ordinatur in Deum; quod caritas facit.
3. La charitй tombe dans la dйfinition de
la vertu mйritante, comme on le voit par la dйfinition d’Augustin (Contre Julien VI, 6), qui dit que la
vertu est une bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit avec
rectitude ; car on ne vit ainsi que par le fait que notre vie est
ordonnйe а Dieu, ce que fait la charitй.
[66061] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ratio illa procedit de forma quae intrat
constitutionem rei. Sic autem caritas non dicitur forma virtutum, sed alio
modo; ut supra dictum est.
4. Cette raison procиde de la forme qui
pйnиtre la constitution de la chose. Mais ainsi on ne dit pas que la charitй
est la forme des vertus, mais [on parle] d’une autre maniиre, comme il a йtй
dit ci-dessus.
[66062] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod caritas, cum sit communis forma virtutum, trahit
quidem virtutes in unam speciem communem, non autem in unam speciem propriam,
quae dicitur species specialissima.
5. Comme la charitй est la forme commune
des vertus, elle tire les vertus dans une espиce commune, mais non dans une
espиce propre, qui est dite une espиce trиs particuliиre.
[66063] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod caritas potest dici forma exemplaris virtutum, non ad
cuius similitudinem virtutes generentur, sed in quantum ad eius similitudinem
quodammodo operantur; et ideo, quamdiu necesse est operari secundum virtutem,
necessaria est caritas.
6. On peut dire que la charitй est la
forme exemplaire des vertus, non que les vertus soient engendrйes а sa
ressemblance, mais en tant qu’elles opиrent d’une certaine maniиre а sa
ressemblance et c'est pourquoi aussi longtemps qu’il est nйcessaire d’opйrer
selon la vertu, la charitй est nйcessaire.
[66064] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet
creare virtutes sit Dei tantum, tamen operari secundum virtutem, est etiam
hominis habentis virtutem; et ideo indiget caritate.
7. Bien que crйer les vertus vienne de
Dieu seulement, cependant opйrer selon la vertu est aussi la vertu de l’homme
qui la possиde, et c'est pourquoi il a besoin de la charitй.
[66065] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod caritas quantum ad actum non solum habet
exemplaritatem, sed etiam virtutem motivam et effectivam. Exemplar autem
effectivum non est sine exemplato, quia producit illud in esse; et sic
caritas non est sine aliis virtutibus.
8. La charitй, quant а l’acte non seulement
a l’exemplaritй, mais un pouvoir qui concerne le mouvement et l’exйcution et
effective. Mais l’exemplaire qui concerne l’exйcution n’est pas sans son
image ; parce qu’il le produit dans l’кtre ; et ainsi la charitй
n’est pas sans les autres vertus.
[66066] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod a proprio fine et a proprio obiecto quaelibet virtus
habet formam specialem, per quam est haec virtus; sed a caritate habet
quamdam formam communem, secundum quam est meritoria vitae aeternae.
9. Par sa propre fin et par son objet
propre n’importe quelle vertu a une forme spйciale, par laquelle elle est
cette vertu ; mais par la charitй elle a une forme commune, selon
qu’elle permet de mйriter la vie йternelle.
[66067] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod Deus facit in nobis virtutes formatas speciali forma
et generali : speciali quidem ex obiecto et fine, generali autem ex caritate.
10. Dieu forme en nous les vertus d’une
forme spйciale et gйnйrale ; spйciale par l’objet et la fin, mais
gйnйrale par la charitй.
[66068] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod lumen est forma colorum, in quantum sunt visibiles
actu per lucem, et similiter fides est forma virtutum, in quantum sunt a
nobis cognoscibiles : quod enim est virtuosum vel contra virtutem per fidem
cognoscimus. Sed in quantum virtutes
sunt operativae, per caritatem informantur.
11. La lumiиre est la forme des couleurs,
en tant que par elle, elles sont visibles en acte, et de la mкme maniиre la
foi est la forme des vertus en tant qu’elles nous sont connaissables, car
nous connaissons par la foi ce qui concerne les vertus ou est contre elles.
Mais en tant que les vertus sont opйratives, elles sont mises en forme par la
charitй.
[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior voluntate, quia
bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in operando et movendo prior est voluntas. Non enim
intellectus intelligit et movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum
intellectum movet voluntas, in quantum est operativus : utimur enim
intellectu quando volumus. Unde, cum credere sit intellectus a voluntate moti
(credimus enim aliquid quia volumus); sequitur quod magis caritas det formam
fidei quam e converso.
12. L’intellect est absolument avant la
volontй, parce que le bien intellectuel est l’objet de la volontй. Mais
cependant pour opйrer et mettre en mouvement, la volontй est avant. Car
l’intellect ne pense et ne meut que par une volontй qui s’y ajoute; c'est
pourquoi aussi la volontй meut l’intellect lui-mкme en tant qu’il est
opйratif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons.
C'est pourquoi, comme croire est pensй par la volontй qui est mue (car nous
croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en dйcoule que la
charitй donne plus la forme а la foi qu’а l’inverse.
[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem volentis
ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum quod res
intellectae sunt in intelligente : unde quando res sunt infra intelligentem,
intellectus illarum est dignior voluntate : quia tunc altiori modo sunt in
intellectu res quam in seipsis, cum omne quod est in altero, sit in eo per
modum eius in quo est; sed quando res sunt altiores intelligente, tunc
voluntas altius ascendit quam possit pertingere intellectus. Et inde est quod
in moralibus quae sunt infra hominem, virtus cognoscitiva informat virtutes
appetitivas, sicut prudentia alias virtutes morales; in virtutibus autem
theologicis, quae sunt circa Deum, virtus voluntatis, scilicet caritas,
informat virtutem intellectus scilicet fidem.
13. L’acte de la volontй dйpend de l’ordre
de celui qui veut aux choses mкme dans la mesure oщ elles sont en elles. Mais
l’acte de l’intellect dйpend du fait que ce qui est pensй est en celui qui
pense ; c'est pourquoi quand les choses sont sous celui qui pense, leur
conception est plus digne que la volontй ; parce qu’alors les choses
sont dans l’intellect d’une maniиre plus haute qu’en elles-mкmes, puisque
tout ce qui est dans un autre est en lui par le mode de celui en qui il
est ; mais quand les choses sont plus hautes que celui qui pense, alors
la volontй monte plus haut que ce que l’intellect pourrait atteindre. Et de
lа vient que dans les [actes] moraux qui sont sous l’homme, la vertu
cognitive informe les vertus appйtitives comme la prudence les autres vertus
morales ; mais dans les vertus thйologales qui concernent Dieu, la vertu
de la volontй, а savoir la charitй met en forme la vertu de l’intellect,
c'est-а-dire la foi.
[66071] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod rationalis vis dat modum appetitivae in his
quae sunt infra nos, non autem in his quae sunt supra nos, ut dictum est art.
1 huius quaest., et quaest. praeced. art. 10 et 11.
14. La force rationnelle donne le mode de
la vertu appйtitive en ce qui est sous nous, mais non en ce qui est au-dessus
de nous, comme il a йtй dit dans l’art. 1 de cette question et dans la q.
prйcйdente, art. 10 et 11.
[66072] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod fides praecedit spem, et spes caritatem, ordine
generationis, sicut imperfectum praecedit perfectum; sed caritas in ordine
perfectionis praecedit et fidem et spem; et propter hoc dicitur esse forma
earum, sicut perfectum imperfecti.
15. La foi prйcиde l’espйrance et
l’espйrance la charitй dans l’ordre de leur gйnйration, comme l’imparfait
prйcиde la parfait, mais la charitй dans l’ordre de la perfection prйcиde et
la foi et l’espйrance, et а cause de cela on dit qu’elle est leur forme,
comme le parfait [est la forme] de l’imparfait.
[66073] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod caritas non est forma virtutum quae sit pars
essentiae virtutum, ut oporteat eam sequi tempore virtutes, vel aliquam
materiam virtutum, sicut in formis rerum generatarum : sed est forma quasi
informans; unde oportet esse naturaliter priorem aliis virtutibus.
16. La charitй n’est pas la forme des vertu
qui serait une partie de leur essence, pour qu’il soit nйcessaire qu’elle
suive temporellement les vertus, ou une matiиre des vertus, comme dans les
formes des choses engendrйe, mais elle est la forme qui met pour ainsi dire
en forme ; c'est pourquoi il est nйcessaire qu’elle soit naturellement
avant les autres vertus.
[66074] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut bonum
quoddam, est obiectum caritatis.
17. La vision mкme en tant qu’elle est la
fin comme un bien est l’objet de la charitй.
[66075] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod forma intrinseca non potest esse finis rei,
licet sit finis generationis rei. Caritas autem non est forma intrinseca, ut
dictum est, sed ex hoc ipso quod trahit alias virtutes ad suum finem, format
virtutes, ut ex dictis patet.
18. La forme intrinsиque ne peut pas кtre
la fin d’une chose, bien qu’elle soit la fin de sa gйnйration. Mais la
charitй n’est pas une forme intrinsиque, comme il a йtй dit, mais du fait
mкme qu’elle attire les autres vertus а leurs fins, elle met en forme les
vertus, comme on le voit dans ce qui a йtй dit.
[66076] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod gratia Dei dicitur esse forma virtutum, in
quantum dat esse spirituale animae, ut sit susceptiva virtutum; sed caritas
est forma virtutum in quantum format operationes earum ut dictum est in
corpore articuli.
19. On dit que la grвce de Dieu est la
forme des vertus, en tant qu’elle donne l’кtre spirituel а l’вme, pour
qu’elle soit susceptible des vertus ; mais charitй est la forme des
vertus en tant qu’elle donne forme а leurs opйrations, comme il a йtй dit
dans le corps de l’article.
Articulus
4 : [66077] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum
caritas sit una virtus
Article 4 – La charitй est-elle une vertu unique ?[44]
[66078]
De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.
Il semble que non.
Objections
:
[66079] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 1 Habitus enim distinguuntur per actus, et actus
per obiecta. Sed caritas habet duo obiecta : Deum et proximum. Ergo non est
una virtus, sed duae.
1. En
effet, les habitus se distinguent d'aprиs les actes, et les actes d'aprиs les
objets. Mais la charitй a deux objets : Dieu et le prochain. Par consйquent,
il n'y a pas qu'une seule vertu, mais deux.
[66080] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 2 Sed
dicebatur, quod unum illorum obiectorum est principalius, scilicet Deus;
non enim diligit caritas proximum nisi propter Deum.- Sed contra, philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. VIII], quod
amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad
seipsum. Sed id quod est principium et causa, est potissimum in unoquoque
genere. Ergo
homo ex caritate diligit seipsum tamquam principale obiectum, et non Deum.
2.
Mais on pourrait dire que l’un de ces objets est plus important, а savoir Dieu ; en effet, la charitй n'aime
le prochain qu'а cause de Dieu. Au
contraire, Aristote affirme (Ethique IX, 8) que les motifs d'aimer
le prochain proviennent des motifs de s'aimer soi-mкme. Or ce qui est
principe et cause est premier en chaque genre. Donc l'homme s'aime lui-mкme
de charitй comme objet principal, et non pas Dieu.
[66081] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, I Ioan., IV, 20, dicitur : Qui fratrem suum, quem videt, non diligit;
Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Magis ergo videtur quod
debeat diligere proximum quam Deum. Proximus ergo est magis diligibilis quam
Deus; et ita videtur esse principalius obiectum caritatis.
3. En
outre, saint Jean (1 Jn 4, 20)
affirme : "Celui qui n'aime pas
son frиre qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?[45]" Il
semble donc qu'on doive plus aimer son prochain que Dieu. Le prochain est
donc plus aimable que Dieu ; et ainsi il est considйrй comme l’objet
principal de la charitй.
[66082] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, nihil amatur nisi cognitum, ut
Augustinus dicit in Lib. de Trin.
[lib. X]. Sed proximus magis cognoscitur quam Deus. Ergo etiam magis
diligitur; et sic videtur quod caritas non sit una virtus.
4. En
outre, on n'aime que ce qui est connu, selon saint Augustin (Trinitй,
X). Or, le prochain est mieux connu que Dieu. Il est donc plus aimй ; et
ainsi il semble que la charitй n'est pas une vertu unique.
[66083] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnis virtus habet proprium modum
quem in suis actibus ponit : iustus enim est qui non solum iusta, sed iuste
operatur. Sed caritas ponit duos modos in suis actibus; nam caritate diligit
Deum aliquis ex toto corde, proximum autem sicut seipsum. Ergo caritas non
est una virtus.
5. En
outre, toute vertu a un mode propre qu'elle fait passer dans ses actes : en
effet, le juste ne fait pas seulement des choses justes, mais il les fait de
faзon juste. Or, la charitй semble faire passer deux modes dans ses
actes ; en effet, on aime Dieu de charitй de tout son cњur, et le
prochain comme soi-mкme. La charitй n'est donc pas une vertu unique.
[66084] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, praecepta legis ordinantur ad
virtutes, quia intentio legislatoris est facere homines virtuosos, ut dicitur
in II Ethicor. [cap. XIII]. Sed de caritate dantur duo praecepta, scilicet : diliges dominum Deum tuum, et diliges proximum tuum. Ergo caritas
non est una virtus.
6. En
outre, les prйceptes de la Loi sont ordonnйs aux vertus, car l'intention du
lйgislateur est de rendre les hommes vertueux, comme le dit Aristote (Ethique, II, 13[46]). Or, au
sujet de la charitй on a deux prйceptes : "Tu
aimeras ton Dieu, et tu aimeras ton prochain". La charitй n'est donc
pas une vertu unique.
[66085] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 7 Praeterea, sicut diligimus Deum et proximum, ita
et honorare debemus. Sed alio honore honoramus Deum et proximum, nam Deum
honoramus latria, proximum dulia sola. Ergo alia est caritas qua diligimus
Deum, et alia qua diligimus proximum.
7. En
outre, de la maniиre dont nous aimons Dieu et le prochain, de cette maniиre
aussi nous devons les honorer. Or, nous les honorons de maniиre diffйrente :
Dieu par un culte de lвtrie, le prochain seulement par un culte de dulie. La
charitй par laquelle nous aimons Dieu diffиre donc de celle par laquelle nous
aimons le prochain.
[66086] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 8 Praeterea, virtus est qua recte vivitur. Sed ad aliam vitam pertinet diligere Deum, et ad
aliam diligere proximum; nam diligere Deum videtur ad contemplativam vitam
pertinere, diligere proximum ad activam. Ergo caritas Dei et proximi non est una
virtus.
8. En
outre, la vertu est ce qui fait vivre de faзon droite. Or, aimer Dieu
appartient а un genre de vie, et а un autre aimer le prochain ; en
effet, aimer Dieu appartient а la vie contemplative, aimer le prochain а la
vie active. La charitй envers Dieu et la charitй envers le prochain ne sont
donc pas une vertu unique.
[66087] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 9
Praeterea, secundum philosophum in I Physic., [com. 16] unum dicitur tripliciter : continuitate,
indivisibilitate et ratione. Sed caritas non est una continuitate, quia neque est corpus, neque forma corporis; neque
est una indivisibilitate quia sic
neque finita neque infinita esset; nec ratione,
quia sic synonyma sunt unum, ut vestis et indumentum. Ergo caritas non est
una.
9. En
outre, selon Aristote (Physique
I, 2, 185 b 5), ce qui est un l'est de trois faзons : par la continuitй, par l'indivisibilitй, par la
notion. Mais la charitй n'est pas une par la continuitй, car elle n'est ni un corps, ni la forme d’un
corps ; elle n'est pas une non plus par l'indivisibilitй, car alors elle ne serait ni finie, ni
infinie ; elle n'est pas non plus une par la notion, car ce sont les
synonymes qui sont un de cette maniиre, comme le vкtement et l'habit. La
charitй n'est donc pas une vertu unique.
[66088] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 10
Praeterea, minime habent de ratione unius quae sunt unum proportione tantum :
unde quae non sunt proportione unum, neque sunt unum specie neque genere
neque numero, ut dicitur in V Metaph. [com. 15]. Sed caritas est circa
aeternum, scilicet Deum et proximum; quae sunt improportionalia. Ergo caritas
nullo modo est una virtus.
10. En
outre, les choses qui sont unies seulement par proportion, ne le sont pas en
raison de l'unitй ; ainsi les choses qui ne sont pas unies par proportion, ne
le sont ni par l'espиce, ni par le genre, ni par le nombre, comme le dit Aristote
(Mйtaphysique, V, 6, 1015 b 15 sq.). Or, la charitй concerne ce qui est йternel :
Dieu et le prochain, qui n'ont aucune proportion entre eux. La charitй n'est
donc pas une vertu unique.
[66089] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 11
Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic., amicitia perfecta non habetur
ad multos. Sed caritas qua diligitur Deus et proximus, est perfectissima
amicitia. Ergo non habetur ad multos; et ita non eadem caritate diligitur
Deus et proximus.
11.
En outre, selon Aristote (Йthique,
VII, 5, 1156 b 10), l’amitiй parfaite ne s'adresse pas а plusieurs.
Mais la charitй qui aime Dieu et le prochain est l’amitiй la plus parfaite.
Donc, elle ne s'adresse pas а beaucoup ; et ainsi, on n'aime pas Dieu et
le prochain de la mкme charitй.
[66090] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 12
Praeterea, virtus in cuius actu sufficit non tristari, est alia a virtute
quae delectabiliter operatur, sicut fortitudo a iustitia. Sed in actu
caritatis quantum ad aliqua obiecta sufficit non tristari, sicut cum diligimus
inimicos : in aliquibus etiam oportet delectari, sicut cum diligimus Deum et
amicos. Ergo caritas non est una virtus, sed
alia et alia.
12. En
outre, la vertu dans l’acte de laquelle il suffit de ne pas кtre triste
diffиre de la vertu qui produit son acte de faзon dйlectable, comme la force
diffиre de la justice. Mais dans l'acte de la charitй, par rapport а certains
objets, il suffit de ne pas кtre triste : ainsi lorsque nous aimons des
ennemis ; dans d’autres, il faut encore йprouver de la joie, comme
lorsque nous aimons Dieu et des amis. La charitй n’est donc pas une vertu
unique, mais elle diffиre suivant les objets.
En
sens contraire :
[66091] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Quaecumque ita se
habent quod unum intelligitur in alio, illa sunt unum. Sed in dilectione
proximi intelligitur dilectio Dei, et e converso, ut dicit Augustinus, VII de
Trinit.[cap. VII
et VIII]. Ergo est eadem caritas qua diligimus Deum et proximum.
1. Au
contraire, bien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet, la charitй est une ;
car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve en l’autre, elles sont
une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement,
comme le dit saint Augustin (Trinitй,
VII). C’est donc la mкme charitй par laquelle
nous aimons Dieu et le prochain.
[66092] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 2
Praeterea, in quolibet genere est unum primum movens. Sed caritas est motor
omnium virtutum. Ergo est una.
2. De
plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais la charitй
est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une.
Rйponse
:
[66093] De virtutibus, q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas
est una virtus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod unitas cuiuslibet
potentiae vel habitus ex obiecto consideranda est; et hoc ideo, quia potentia
hoc ipsum quod est, dicitur in ordine ad possibile, quod est obiectum. Et sic ratio et
species potentiae ex obiecto accipitur; et similiter est de habitu, qui nihil
est aliud quam dispositio potentiae perfectae ad suum obiectum.
La
charitй est une seule vertu. Pour en йtablir l'йvidence, il faut savoir que
l’unitй de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du cфtй de
son objet ; et cela parce que ce qui fait une puissance, c’est sa
relation avec ce qui est possible, ce qui est l’objet. Et ainsi la raison et
l’espиce de la puissance se prennent du cфtй de son objet et il en va de mкme
pour l’habitus qui n’est rien autre que la disposition qui perfectionne la
puissance vis-а-vis de son objet.
Sed in objecto consideratur aliquid ut
formale et aliquid ut materiale. Formale autem in obiecto est id secundum
quod obiectum refertur ad potentiam vel habitum; materiale autem id in quo
hoc fundatur : ut si loquamur de obiecto potentiae visivae, obiectum eius formale
est color, vel aliquid huiusmodi, in quantum enim aliquid coloratum est, in
tantum visibile est; sed materiale in obiecto est corpus cui accidit color.
Or dans
un objet on considиre quelque chose de formel et quelque chose de matйriel.
Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte а la puissance
ou habitus ; le matйriel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme
exemple l’objet de la puissance visuelle : l’objet formel est la couleur ou
quelque chose de semblable - en tant en effet que quelque chose est
colorй il est visible ; mais ce qui est matйriel c’est le corps qui a la
couleur.
Ex quo patet quod potentia vel habitus
refertur ad formalem rationem obiecti per se; ad id autem quod est materiale
in obiecto, per accidens. Et ea quae sunt per accidens non variant rem, sed
solum ea quae sunt per se : ideo materialis diversitas obiecti non
diversificat potentiam vel habitum, sed solum formalis. Una est enim potentia
visiva, qua videmus et lapides et homines et caelum, quia ista diversitas
obiectorum est materialis, et non secundum formalem rationem visibilis. Sed
gustus differt ab olfactu secundum differentiam saporis et odoris, quae sunt
per se sensibilia. `
D’oщ il
ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte а la raison formelle de
l’objet, en soi, et а ce qui est matйriel dans l’objet, par accident. Et ce
n’est pas ce qui est par accident qui fait varier pas la chose mais seulement
ce qui y est en soi. Donc la diversitй matйrielle de l’objet ne diversifie
pas la puissance ou l’habitus, mais la diversitй formelle. Une est en effet
la puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes
et le ciel, parce que cette diversitй est matйrielle et non selon la raison
formelle du visible. Mais le goыt diffиre de l’odorat selon la diffйrence
qu’il y a dans la saveur et dans l’odeur, qui sont des sensibles en soi.
Et hoc etiam oportet in caritate
considerare. Manifestum est enim quod aliquem possumus diligere dupliciter :
uno modo ratione sui ipsius, alio modo ratione alterius. Ratione autem sui
ipsius aliquem diligimus, quando cum ratione boni proprii diligimus, utpote
quia est in se honestus, vel nobis delectabilis, aut utilis. Ratione autem
alterius diligimus aliquem quando diligimus ipsum quia attinet alii quem
diligimus. Ex hoc enim ipso quod diligimus aliquem secundum se, diligimus
omnes et familiares et consanguineos et amicos ipsius, in quantum ei
attinent; sed tamen in omnibus illis est una ratio formalis dilectionis,
scilicet bonum illius, quem ratione sui diligimus, et ipsum quodammodo in
omnibus aliis diligimus.
4. Et
cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charitй. Il est йvident en
effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux maniиres : ou en raison de
lui-mкme ou en raison d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-mкme
quand nous l’aimons en raison de son propre bien, d’aprиs qu’il est en soi
honnкte, ou pour nous dйsirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison
d’un autre quand nous l’aimons parce qu’il tient а un autre que nous aimons.
De ce qu’en effet nous aimons quelqu’un en lui-mкme nous aimons tous ses
familiers, ses parents et ses amis en tant qu’ils tiennent а lui. Cependant en tous ceux-lа il n'y a qu’une seule
raison de dilection, а savoir son propre bien que nous aimons en raison de
lui-mкme et c’est lui que nous aimons en quelque sorte dans les autres.
Sic
igitur dicendum, quod caritas diligit Deum ratione sui ipsius; et ratione
eius diligit omnes alios in quantum ordinantur ad Deum : unde quodammodo Deum
diligit in omnibus proximis; sic enim proximus caritate diligitur, quia in eo
est Deus, vel ut in eo sit Deus. Unde manifestum est quod est idem habitus
caritatis quo Deum et proximum diligimus
5. Il
faut donc dire que la charitй aime Dieu en raison de lui-mкme et les autres
en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnйs а Dieu ; d’oщ en quelque
sorte elle aime Dieu dans tous ses proches ; ainsi en effet nous aimons
le prochain par charitй parce que Dieu est en lui ou pour que Dieu soit en
lui. D’oщ il est йvident que c’est par le mкme habitus de charitй que nous
aimons Dieu et le prochain.
Sed
si diligeremus proximum ratione sui ipsius, et non ratione Dei, hoc ad aliam
dilectionem pertineret : puta ad dilectionem naturalem, vel politicam, vel ad
aliquam aliarum quas philosophus tangit in VIII Ethic.
6. Mais
si nous aimions le prochain en raison de lui-mкme et non en raison de Dieu,
cela ressortirait а une autre dilection par exemple une dilection naturelle
ou politique ou а quelqu’une des autres que le philosophe touche au ch. 8 (Йthique,
VIII, 3).
Solutions :
[66094]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non
diligitur nisi ratione Dei; unde ambo sunt unum obiectum dilectionis,
formaliter loquendo, licet materialiter sint duo.
1. Le
prochain n'est aimй qu'en raison de Dieu ; de lа il dйcoule que les deux
forment un seul objet, en parlant selon la forme, alors que matйriellement
ils sont deux.
[66095] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum amor respiciat
bonum, secundum diversitatem boni est diversitas amoris.
2.
Puisque l'amour regarde le bien, il y a diversitй d'amour d'aprиs la
diversitй des biens.
Est autem
quoddam bonum proprium alicuius hominis in quantum est singularis persona; et
quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, unusquisque est sibi
principale obiectum dilectionis. Est autem quoddam bonum commune quod
pertinet ad hunc vel ad illum in quantum est pars alicuius totius, sicut ad
militem, in quantum est pars exercitus, et ad civem, in quantum est civitatis;
et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, principale obiectum
dilectionis est illud in quo principaliter illum bonum consistit, sicut bonum
exercitus in duce, et bonum civitatis in rege; unde ad officium boni militis
pertinet ut etiam salutem suam negligat ad conservandum bonum ducis; sicut
etiam homo naturaliter ad conservandum caput, brachium exponit.
Mais il
existe un bien propre d'un homme en tant qu'il est une personne
singuliиre ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, chacun est а
soi-mкme principal objet de l'amour. Mais il y a un bien commun qui
appartient а tel ou tel en tant qu'il est partie d'un tout, comme au soldat
en tant qu'il est partie de l'armйe, ou au citoyen en tant qu'il est partie
de la citй ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, l'objet principal
de l'amour est ce en quoi consiste principalement ce bien comme le bien de
l'armйe est dans le chef, celui de la citй dans le roi ; de lа il
dйcoule qu'а l'office du bien du soldat appartient de sacrifier sa vie pour
conserver le bien du chef ; tout comme l'homme expose naturellement son
bras pour prйserver sa tкte.
Et hoc modo caritas respicit sicut
principale obiectum, bonum divinum, quod pertinet ad unumquemque, secundum
quod esse potest particeps beatitudinis; unde ea sola ex caritate diligimus
quae nobiscum beatitudinem participare possunt, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana.
De cette
maniиre, la charitй regarde comme son objet principal le bien divin qui
appartient а chacun selon qu'il peut participer а la bйatitude. De lа, nous
aimons d'une seule charitй tout ce qui peut participer avec nous а cette
bйatitude, comme le dit saint Augustin dans le livre de la Doctrine
chrйtienne.
[66096] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Ioannes argumentatur a
maiori, negando, non quod proximus magis debeat diligi; sed quia magis est in
promptu ut diligatur, quia homines proniores sunt ad diligendum visibilia
quam invisibilia.
3.
Jean argumente а partir du plus grand, ne disant pas que le prochain doive кtre
plus aimй, mais parce qu'il est plus facile de l'aimer, car les hommes sont
plus enclins а aimer le visible que l'invisible.
[66097] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet cognitum
diligatur, tamen non sequitur quod magis cognitum magis diligatur. Non enim
ea ratione aliquid diligitur quia cognoscitur, sed quia est bonum; unde quod
est magis bonum, magis est diligibile, licet non sit magis cognitum; sicut
homo minus diligit aliquem servum, vel etiam equum, quem in continuo usu habet,
quam aliquem bonum hominem quem tantum fama cognoscit.
4. Bien
qu'on aime ce qui est connu, cependant il ne s'ensuit pas qu'est plus aimй ce
qui est plus connu. En effet, on aime un objet non parce qu’il est connu,
mais parce qu'il est bon ; de lа, il dйcoule que l'on aime davantage ce
qui est meilleur, mкme s'il n'est pas mieux connu ; comme un homme aime
moins un esclave ou un cheval dont il a l'usage continuel qu'un homme de bien
qu'il ne connaоt que de rйputation.
[66098] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas respicit ut
formale obiectum, bonum divinum, sicut dictum est, art. praec. et in corp.
huius art., quod quidem bonum diversimode se habet ad ipsum Deum et ad
proximum, et ideo oportet quod habeat diversum modum circa principale
obiectum et secundarium; unde circa principale obiectum habet unum modum
tantum.
5. la
charitй regarde le bien divin comme son objet formel, comme on l'a dit а
l'article prйcйdent et dans le corps de cet article. Mais ce bien se rapporte
diffйremment а Dieu lui-mкme et au prochain ; et c’est pourquoi il faut
qu’il y ait diversitй de mode suivant l’objet principal et l'objet
secondaire ; de lа, il dйcoule que selon l'objet principal il n'y a
qu'un seul mode.
[66099] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod praecepta legis sunt de
actibus virtutum, et non de habitibus; unde ex diversitate praeceptorum non
potest concludi diversitas habituum, sed diversitas actuum; qui tamen
pertinent ad unum habitum, propter rationem formalem.
6. Les prйceptes
de la Loi sont d'aprиs les actes des vertus et non d'aprиs les habitus ;
de lа, il dйcoule qu'on ne peut conclure, а partir de la diversitй des
prйceptes а la diversitй des habitus, mais а celle des actes ; ces
derniers cependant appartiennent а un seul habitus, а cause de la raison
formelle.
[66100] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 7Ad septimum dicendum, quod in proximo honoratur
etiam bonum proprium ipsius; et ideo alius honor debetur proximo, et alius
Deo.
7. On
honore dans le prochain mкme son bien propre ; ainsi on doit au prochain
un honneur et а Dieu un autre.
[66101] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod tam dilectio proximi
quam dilectio Dei continetur sub contemplativa vita, ut Gregorius dicit super Ezechiel [homil. XIV]. Nam oratio, quae maxime ad contemplativam
vitam pertinere videtur, ad Deum pro proximis fit. Sed tamen
principium vitae activae praecipue est amor Dei in seipso. Nec tamen
sequitur, si caritas est principium diversorum, quod caritas non sit una.
8. Tant
l’amour du prochain que l’amour de Dieu appartiennent а la vie contemplative,
comme le dit saint Grйgoire en commentant le prophиte Йzйchiel (Homйlie XIV).
En effet, la priиre qui semble appartenir davantage а la vie contemplative
est faite а Dieu pour le prochain. Mais cependant le principe premier de la
vie active est l’amour de Dieu en lui-mкme. Il ne s’ensuit pas pour autant
que, si la charitй est principe de choses diverses, elle ne soit pas unique.
[66102] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas non est una
continuitate; sed potest dici una indivisibilitate, in quantum est una forma
simplex. Non enim dicitur finita vel infinita secundum quantitatem
dimensivam, sed secundum quantitatem virtutis. Sed sic non agimus hic de
virtute caritatis, sed secundum quod est una ratione : non quidem una numero,
ut tunica et vestis; sed ratione speciei, sicut Socrates et Plato sunt unum
in ratione hominis.
9. La
charitй n’est pas une par la continuitй ; mais on peut le dire une par
l’indivisibilitй, en tant qu’elle est une unique forme simple. En effet, on
ne la dit pas finie ou infinie selon une quantitй mesurable, mais selon la
mesure de sa vertu. Mais ce n’est pas de cette maniиre que nous traitons ici
de la vertu de charitй, mais selon qu’elle est une par la raison ; elle
n’est pas une par le nombre, comme la tunique et le vкtement, mais en raison
de l’espиce, comme Socrate et Platon sont un par la notion d’homme.
[66103] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod ratio illa procederet, si temporale ratione sui esset
obiectum caritatis, et non ratione aeterni, ut dictum est.
10. Cet
argument porterait si l’objet de la charitй йtait temporel en raison de
lui-mкme et non en raison de l’йternitй, comme il a йtй dit.
[66104] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod amicitia perfecta non
habetur ad multos, ita quod ad unumquemque sit ratione sui ipsius; sed quanto
amicitia est perfectior ad unum ratione eius, tanto ad plures se posset
extendere ratione ipsius. Et sic caritas, quia perfectissima amicitia est, ad
Deum se extendit, et ad omnes qui possunt percipere Deum; et non solum ad
notos, sed etiam ad inimicos.
11.
L’amitiй parfaite ne s’adresse pas а de nombreuses personnes, tant elle
s’adresse а chacun en raison de chacun ; mais plus la charitй s’adresse
parfaite а un seul en raison de celui-lа, plus elle peut s’йtendre а
plusieurs en raison de cette mкme personne. Ainsi, la charitй, qui est
l’amitiй la plus parfaite, s’йtend а Dieu et а tous ceux qui peuvent percevoir
Dieu, non seulement aux amis, mais aussi aux ennemis.
[66105] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtus quae
delectabiliter operatur circa principale obiectum, potest eadem circa aliquod
accessorium non delectabiliter, sed sine tristitia, operari; et hoc modo
caritas delectabiliter operatur in principali obiecto, licet difficultatem
patiatur in aliquo secundario obiecto, ita ut sufficiat sine tristitia
operari.
12. La
vertu qui agit de faзon dйlectable vis-а-vis de son objet principal, peut
agir de faзon non dйlectable mais sans tristesse vis-а-vis de quelque chose
d’accessoire. De cette maniиre, la charitй agit de faзon dйlectable vis-а-vis
de son objet principal, bien qu’elle subisse des difficultйs face а un objet
secondaire, de sorte qu’il lui suffise d’agir sans tristesse.
Articulus 5 : [66106] De virtutibus, q.
2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum caritas sit virtus specialis distincta
ab aliis virtutibus vel non
Article 5 – La
charitй est-elle une vertu spйciale, diffйrente de autres vertus ou
pas ?
[66107]
De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 2 Et videtur quod non.
[66108] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 1
Illud enim quod ponitur in definitione cuiuslibet virtutis, non est virtus
specialis : quia virtus generalis ponitur in definitione cuiuslibet specialis
virtutis. Sed caritas ponitur in definitione cuiuslibet virtutis : dicit enim
Hieronymus : Ut breviter communem
definitionem virtutis complectar; virtus est caritas, qua diligimus Deum et
proximum. Ergo caritas non est virtus specialis, ab aliis distincta.
1. Car ce qui est placй dans la dйfinition
de n’importe quelle vertu, n’est pas une vertu spйciale ; parce que la
vertu gйnйrale n’est pas placйe dans la dйfinition de n’importe quelle vertu
spйciale. Mais la charitй est placйe dans la dйfinition de n’importe quelle
vertu : car Jйrфme dit : « Pour
embrasser briиvement une dйfinition commune de la vertu : la charitй est la
vertu par laquelle nous aimons Dieu et le prochain ». Donc la
charitй n’est pas une vertu spйciale, distincte des autres
[66109]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, caritas qua diligimus proximum,
non est virtus distincta a caritate qua diligimus Deum, quia caritas diligit
proximum propter Deum. Sed omnis virtus diligit proximum propter Deum. Ergo
nulla virtus distinguitur a caritate.
2. La charitй par laquelle nous aimons le
prochain n’est pas une vertu diffйrente de la charitй par laquelle nous
aimons Dieu, parce que la charitй aime le prochain а cause de Dieu. Mais tout
vertu aime le prochain а cause de Dieu. Donc aucune vertu ne se distingue de
la charitй.
[66110]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, distinctiones habituum attenduntur
secundum actus virtutum. Sed caritas operatur actus omnium aliarum virtutum :
caritas est patiens, est benigna,
ut dicitur I ad Corinth., XIII, 4. Ergo caritas non est virtus ab aliis
distincta.
3. Les distinctions des habitus dйpendent
des actes des vertus. Mais la charitй accomplit les actes de toutes les
autres vertus : « La charitй est
patiente, elle est bienveillante » comme il est dit en 1 Co 13, 4. Donc la charitй n’est pas
une vertu distincte des autres.
[66111] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 4
Praeterea, bonum est obiectum generale omnium virtutum : nam virtus est quae
bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est obiectum
caritatis. Ergo caritas habet obiectum generale; et ita est generalis virtus.
4. Le bien est l’objet gйnйral de toutes
les vertus ; car la vertu est ce qui fait qu’on possиde le bien, et son
њuvre amйliore. Mais le bien est l’objet de la charitй. Donc la charitй a un
objet gйnйral, et ainsi elle est une vertu gйnйrale.
[66112] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, una
perfectio est unius perfectibilis. Sed caritas est perfectio multorum
perfectibilium, id est omnium virtutum. Ergo non est una.
5. Une seule perfection est d’un seul
perfectible. Mais la charitй est la perfection de nombreux perfectibles,
c'est-а-dire de toutes les vertus. Donc elle n’est pas une.
[66113]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, idem habitus non potest esse in
diversis subiectis. Sed caritas est in diversis subiectis : iubemur enim Deum
diligere ex tota mente, ex tota anima, ex toto corde, ex tota fortitudine.
Ergo caritas non est virtus una.
6. Un mкme habitus ne peut pas кtre dans
des sujets diffйrents. Mais la charitй est en des sujets diffйrents : car on
nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre esprit, de toute notre вme et de tout
notre cњur, de toute notre force. Donc la charitй est une vertu unique.
[66114] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea,
virtus ad tollenda peccata ordinatur. Sed caritas sufficit ad tollenda omnia
peccata; quia minima caritas resistere potest cuilibet tentationi. Ergo
caritas facit id quod est omnium virtutum; et ita non videtur esse virtus
specialis.
7. La vertu est destinйe а enlever les
pйchйs. Mais la charitй suffit pour les enlever tous ; parce que la plus
petite charitй peut rйsister а n’importe quelle tentation. Donc la charitй
fait ce qui concerne toutes les vertus et ainsi il ne semble pas qu’elle soit
une vertu spйciale.
[66115]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, unicuique virtuti speciali
opponitur aliquod peccatum speciale. Sed caritati contrariantur omnia peccata
: quia per quodlibet peccatum mortale perditur caritas. Ergo caritas non est
virtus specialis.
8. A chaque vertu particuliиre est opposй
un pйchй particulier. Mais tous les pйchйs sont contraires а la charitй :
parce que par n’importe quel pйchй mortel la charitй est perdue. Donc la
charitй n’est pas une vertu particuliиre.
[66116]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 9 Praeterea, nulla virtus est necessaria nisi
ad recte operandum. Sed sola caritas sufficienter nos dirigit ad recte
operandum; dicit enim Augustinus : Habe
caritatem, et fac quidquid vis. Ergo praeter caritatem non est aliqua
alia virtus; et ita non est virtus specialis distincta ab aliis.
9. Aucune vertu n’est nйcessaire sinon
pour agir avec rectitude. Mais la charitй seule nous dirige suffisamment pour
opйrer avec rectitude ; car Augustin dit : « Aie la charitй et fais ce que tu veux ». Donc au delа de la
charitй il n’y a pas d’autre vertu ; et ainsi ce n’est pas une vertu
spйciale diffйrente des autres.
[66117]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 10 Praeterea, habitus virtutum necessarii sunt
ad hoc quod homo prompte et delectabiliter operetur : nullus enim est iustus
qui non gaudet iusta operatione, ut dicitur in I Ethic. [cap. VII] Sed ad omnia prompte et delectabiliter operanda
sufficit caritas : quia dicit Augustinus in Lib. de verbis Domini [sermo IX]
: Omnia gravia et immania, facilia et
prope nulla facit amor. Ergo praeter caritatem non est necessaria aliqua
alia virtus.
10. Les habitus des vertus sont
nйcessaires pour que l’homme opиre promptement et avec plaisir : car aucun
n’est juste qui ne se rйjouit pas d’une juste opйration, comme il est dit en Йthique, I, 7. Mais la charitй suffit
pour opйrer tout promptement et avec plaisir ; parce qu’Augustin dit
dans le livre des Parole du Seigneur :
«Elle [la charitй] rend tout ce qui
est lourd et cruel, facile et elle le rйduit а presque rien ». Donc
au delа de la charitй il n’y a pas d’autre vertu nйcessaire.
[66118]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 11 Praeterea, ea quae sunt distincta ad
invicem, habent distinctam generationem et corruptionem. Sed caritas et aliae
virtutes non habent distinctam generationem et corruptionem; quia simul cum
caritate et infunduntur et perduntur aliae virtutes. Ergo caritas non est
specialis virtus.
11. Les choses diffйrentes entre elles,
ont une gйnйration et une corruption distinctes. Mais la charitй et les
autres vertu n’ont pas de gйnйration ni de corruption distinctes ; parce
que les autres vertus sont infusйes et sont perdues en mкme temps que la
charitй. Donc la charitй n’est pas une vertu spйciale.
En sens
contraire :
[66119]
De virtutibus, q. 2 a. 5 s. c. Sed contra, est quod apostolus, 1 Cor., cap. XIII, 13, condividit eam
aliis virtutibus, dicens : Nunc autem
manent fides, spes, caritas, tria haec.
1. Il y a ce que l’Apфtre dit, 1 Co 13, 13 ; il l’a sйparйe des
autres vertus en disant : « Maintenant
demeurent le foi, l’espйrance et charitй, ces trois vertus ».
Rйponse
:
[66120]
De virtutibus, q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est quaedam
virtus specialis, distincta ab aliis virtutibus. Ad cuius evidentiam
considerandum est, quod quandocumque aliquis actus dependet a pluribus
principiis, secundum ordinem se habentibus, ad perfectionem illius actus
requiritur quod quodlibet illorum principiorum sit perfectum. Si enim sit imperfectio in primo, sive in medio, vel in
ultimo, sequitur actus imperfectus; sicut, si desit peritia artis artifici,
sive recta dispositio in instrumento, opus sequitur imperfectum.
La charitй est une vertu spйciale,
distincte des autres vertus. Pour le mettre en йvidence il faut considйrer
que toutes les fois qu’un acte dйpend de plusieurs principes ordonnйs entre
eux, il est requis pour la perfection de cet acte que chacun de ces principes
soit parfait. Si en effet l’imperfection se trouve dans le premier ou dans celui
qui est intermйdiaire ou dans le dernier, il en dйcoule un acte imparfait,
ainsi si la connaissance de l’art manque а l’artisan ou le bon йtat а
l’instrument, l’њuvre est imparfaite.
Et
hoc etiam in ipsis potentiis animae considerari potest. Si enim sit recta
ratio, quae est motiva inferiorum potentiarum, et concupiscibilis sit
indisposita, operabitur quidem aliquis secundum rationem, sed operatio erit
imperfecta, quia habebit impedimentum ex concupiscibili indisposita ad
contrarium trahente; sicut circa continentem apparet : et ideo praeter
prudentiam, quae perficit rationem, necesse est, ad hoc quod homo recte se
habeat circa concupiscibilia, quod habeat temperantiam, ad hoc quod prompte
operetur et sine impedimento.
Et sicut est in
diversis potentiis, quarum una movet aliam; idem est etiam considerare
secundum diversa obiecta quorum unum ordinatur ad alterum sicut ad finem :
una enim et eadem potentia, secundum quod est finis, non solum aliam
potentiam, sed etiam seipsam, movet in ea quae sunt ad finem.
Et ideo ad rectam
operationem, aliquem non solum oportet bene dispositum esse ad finem, sed
etiam bene dispositum ad ea quae sunt ad finem : alias sequitur operatio
impedita; ut patet in eo qui bene est dispositus ad bene appetendam
sanitatem, sed male est dispositus ad sumendum ea quae sunt sanativa.
Et on peut aussi
considйrer cela dans les puissances mкmes de l’вme. Car si la raison qui est
moteur des puissances infйrieures est droite et si le concupiscible est mal
disposй, quelqu’un opйrera selon la raison mais son opйration sera
imparfaite, parce qu’il aura un empкchement par la concupiscence mal disposйe
qui le tire en sens contraire ; de mкme on voit cela а propos de l’homme
continent et c'est pourquoi, outre la prudence qui parfait la raison, il est
nйcessaire pour que l’homme se comporte avec rectitude vis-а-vis du
concupiscible, qu’il possиde la tempйrance pour opйrer avec promptitude et
sans empкchement.
Et c’est
comme dans les diffйrentes puissances, dont l’une met l’autre en
mouvement ; c’est le mкme de considйrer selon les diffйrentes objets
dont l’un est ordonnй а l’autre comme а sa fin ; car une seule et mкme
puissance, en tant que fin, met en mouvement non seulement une autre
puissance mais se met aussi elle-mкme en mouvement vers ce qui concerne sa
fin.
Et
donc pour une action droite il est nйcessaire, non seulement d’кtre bien
disposй en vue la fin, mais aussi pour ce qui ne concerne ; autrement il
en dйcoule que l’opйration est empкchйe, comme on le voit dans celui qui est
bien disposй pour cherche la santй et est mal disposй pour prendre ce qui
peut le guйrir.
Et sic manifestum est quod, cum per
caritatem homo disponatur ut bene se habeat ad ultimum finem, necesse est ut
habeat alias virtutes, quibus bene disponatur ad ea quae sunt ad finem. Est
ergo caritas alia ab his quae ordinantur ad ea quae sunt ad finem, licet illa
quae ordinatur ad finem, sit principalior, et architectonica, respectu earum
quae ordinantur in ea quae sunt ad finem; sicut medicinalis respectu
pigmentariae, et militaris respectu equestris. Unde manifestum fit quod
necesse est caritatem esse quamdam virtutem specialem distinctam ab aliis
virtutibus, sed principalem et motivam respectu earum.
Et ainsi il est йvident que, puisque par
la charitй l’homme est disposй а se bien comporter vis-а-vis de la fin
derniиre, il est nйcessaire qu’il y ait les autres vertus qui le dispose а ce
qui concerne la fin. Donc il y a une charitй autre que celles qui sont
ordonnйes а ce qui concerne la fin, bien qu’elle soit plus importante et
comme maоtresse par rapport а ce qui est ordonnй а ce qui concerne la fin;
comme l’art mйdical par rapport а la pharmacie et l’art militaire par rapport
а l’art йquestre. C'est pourquoi il devient йvident qu’il est nйcessaire que
la charitй soit une vertu particuliиre distincte des autres, mais elle est
importante et elle met en mouvement par rapport а elles.
Solutions :
[66121]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa definitio
datur per causam, in quantum caritas est causa omnium aliarum virtutum.
1. Cette dйfinition est donnйe par la
cause, en tant que la charitй est la cause de toutes les autres vertus.
[66122]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum est, quod caritas in
diligendo proximum habet Deum ut rationem formalem obiecti, et non solum ut
finem ultimum, ut ex supradictis, art. praec., patet : sed aliae virtutes
habent Deum non ut rationem formalem obiecti, sed ut ultimum finem. Et ideo,
cum dicitur quod caritas diligit proximum propter Deum, illud propter denotat
non solum causam materialem, sed quodammodo formalem. Cum autem dicitur de
aliis virtutibus quod operantur propter Deum, illud propter denotat causam
finalem tantum.
2. La charitй en aimant le prochain
possиde Dieu comme raison formelle d’objet, et non seulement comme fin
ultime, comme on le voit par ce qui a йtй dit ci-dessus, art.
prйcйdant ; mais les autres vertus ont Dieu non pas comme raison
formelle d’objet, mais comme fin ultime. Et c'est pourquoi quand on dit que
la charitй aime le prochain а cause de Dieu, ce ‘а cause’ signale non
seulement une cause matйrielle, mais une cause formelle d’une certain
maniиre. Mais quand on dit а propos des autres vertus, qu'elles opиrent а
cause de Dieu, ce ‘а cause’ ajoute une cause finale seulement.
[66123] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod caritas non producit actus aliarum virtutum elicitive, sed
imperative tantum. Elicit enim virtus illos actus tantum qui sunt secundum
rationem propriae formae, sicut iustitia recte facere, et temperantia
temperanter; sed imperare dicitur omnes actus quos ad finem suum advocat.
3. La charitй ne produit pas les actes des
autres vertus de maniиre efficace, mais seulement de maniиre impйrative. Car
la vertu produit seulement ces actes qui dйpendent de la nature de la forme
propre, comme agir avec rectitude par justice et avec tempйrance par
tempйrance, mais on dit qu’elle commande tous les actes qu’elle fait parvenir
а leur fin.
[66124]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum commune non est
obiectum caritatis, sed summum bonum; et ideo non sequitur quod caritas sit
generalis virtus sed quod sit summa virtutum.
4. Le bien commun n’est pas objet de
charitй mais c’est le bien suprкme, et c'est pourquoi il n’en dйcoule pas que
la charitй est une vertu gйnйrale mais qu’elle est la plus haute des vertus.
[66125]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non est
perfectio intrinseca aliarum virtutum, sed extrinseca, ut supra, art. 3 huius
quaest., dictum est; unde ratio non sequitur.
5. La charitй n’est pas la perfection
intrinsиque des autres vertus, mais la perfection extrinsиque, comme, cela a
йtй dit ci-dessus a. 3 de cette question, c'est pourquoi cette raison ne suit
pas.
[66126]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas est, sicut in
subiecto, in una tantum potentia, scilicet in voluntate, quae per imperium
movet alias potentias; et secundum hoc Deum iubemur ex tota mente et anima
diligere, ut omnes vires animae nostrae advocentur in obsequium divini
amoris.
6. La charitй est, comme dans un sujet, en
une puissance seulement, а savoir dans la volontй, qui par son pouvoir met en
mouvement les autres puissances, et selon cela nous sommes obligйs d’aimer
Dieu de tout notre esprit et de toute notre вme, pour que toutes les forces
de notre вme soient appelйes en dйfйrence а l’amour divin.
[66127]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut caritas
imperat aliarum virtutum actus, ita per modum imperii excludit peccata eis
contraria; et secundum hunc modum caritas resistit tentationibus; sed tamen
necesse est esse alias virtutes, quae directe et elicitive peccata excludant.
7. La charitй commande les actes des
autres vertus, de mкme par mode de pouvoir elle exclut les pйchйs qui lui sont
contraires ; et de cette maniиre la charitй rйsiste aux tentations, mais
cependant il est nйcessaire qu’il y ait d’autres vertus qui excluent les
pйchйs directement et de maniиre efficace.
[66128]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod sicut actus
aliarum virtutum ordinantur ad finem quod est obiectum caritatis; ita et
peccata quae sunt contra alias virtutes, habent oppositionem ad finem, qui
est obiectum caritatis : et ex hoc contingit quod contraria aliarum virtutum,
scilicet peccata, caritatem expellant.
8. De mкme que les actes des autres vertus
sont ordonnйs а la fin qui est l’objet de la charitй, de mкme les pйchйs
aussi qui sont contre les autres vertus, s’opposent а la fin, qui est l’objet
de la charitй, et par lа il arrive que les contraires des autres vertus, а
savoir les pйchйs, chassent la charitй.
[66129]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet caritas
sufficienter per modum imperii in omnibus nos dirigat quae ad rectam vitam
pertinent; tamen requiruntur aliae virtutes quae eliciendo actus exequantur
imperium caritatis, ad hoc quod homo prompte et sine impedimento operetur.
9. Bien que la charitй nous dirige
suffisamment par mode de pouvoir dans tout ce qui convient а une vie droite,
cependant d’autres vertus sont requises qui en choisissant les actes suivent
le pouvoir de la charitй, pour que l’homme opиre promptement et sans
empкchement.
[66130]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod contingit aliquid
esse propter finem quod tamen secundum se est difficile et triste; sicut cum
aliquis accipit medicinam amaram libenter propter sanitatem, licet in ipsa
sumptione multum affligatur. Caritas igitur facit
omnia esse delectabilia ex fine; sed requiruntur aliae virtutes, quae faciant
ea quae sunt virtuosa secundum se delectabilia, ad hoc quod facilius
operemur.
10. Il arrive que quelque chose est en vue
de la fin qui cependant en soi est difficile et triste, comme quant quelqu'un
reзoit une mйdecine amиre, librement pour sa santй, bien qu’en cette prise,
il йprouve beaucoup de gкne. Donc la charitй fait que tout soit dйlectable
par sa fin ; mais d’autres vertus sont requises qui font que ce qui est
vertueux soit dйlectable en soi, pour que nous opйrions plus facilement.
[66131]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas simul
habet generationem cum aliis virtutibus, non quia sit indistincta ab aliis,
sed quia Dei perfecta sunt opera; unde infundens caritatem simul infundit
omnia illa quae sunt necessaria ad salutem. Corrumpitur autem simul cum
omnibus virtutibus : quia quaecumque contrariantur aliis virtutibus,
contrariantur caritati, ut dictum est.
11. La charitй possиde la gйnйration en
mкme temps que les autres vertus, non parce qu’elle indistincte des autres,
mais parce que les њuvres de Dieu sont parfaites ; c'est pourquoi en
infusant la charitй, en mкme temps, il infuse tout ce qui est nйcessaire au
salut. Mais elle est corrompue en mкme temps que toutes les vertus ;
parce que tout ce qui est contraire aux autres vertus est contraire а la
charitй, comme on l’a dit.
Articulus
6 : [66132] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum
caritas possit esse cum peccato mortali
Article 6 – La
charitй peut-elle exister avec le pйchй originel ?
[66133]
De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 2 Et videtur quod sic.
[66134]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 1 Dicit enim Origenes in I Periarchon [cap. III] : non
arbitror quod aliquis ex his qui in summo perfectoque perstiterunt gradu, ad
subitum evacuetur ac decidat; sed per partes et paulatim eum diffluere
necesse est. Subito autem aliquis committit peccatum mortale per solum
consensum. Ergo qui est in perfecto statu per caritatem, non decidit a
caritate per unum actum peccati mortalis; et sic caritas potest esse cum
peccato mortali.
1. Car Origиne dit (Peri archфn 1, 3) : « Je ne pense pas que quelqu'un de ceux qui
sont demeurйs dans un degrй trиs йlevй de perfection, soit anйanti subitement
et dйchoit ; mais il est nйcessaire qu’il s’en йcarte par parties et peu
а peu ». Mais quelqu'un commet а l’improviste un pйchй mortel, par
le seul consentement. Donc celui qui est dans un йtat parfait par charitй, ne
dйchoit pas d’elle par un seul pйchй mortel, et ainsi la charitй peut exister
avec le pйchй mortel.
[66135]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit [in lib. De dignitate div. Amoris, cap. VI]
quod caritas in Petro, quando Christum negavit, non fuit extincta, sed
sopita. Sed Petrus negando Christum peccavit mortaliter. Ergo caritas potest
remanere cum peccato mortali.
2. Bernard (La dignitй de l’Amour divin, VI) dit que la charitй en Pierre,
quand il a reniй le Christ, ne s’est pas йteinte, mais endormie. Mais Pierre,
en reniant le Christ a pйchй mortellement. Donc la charitй peut demeurer avec
le pйchй mortel.
[66136]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas est fortior quam habitus
virtutis moralis. Sed habitus virtutis non tollitur per unum actum vitiosum,
cum non per unum actum generetur : ex eisdem enim contrario modo factis
generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur in II Ethic. Ergo multo minus habitus caritatis tollitur per unum
peccatum mortale.
3. La charitй est plus forte que l’habitus
d’une vertu morale. Mais celui-ci n’est pas enlevй par un seul acte vicieux,
puisqu’il n’est pas gйnйrй par un seul acte ; car par les mкmes faits,
la vertu est gйnйrйe et corrompue d’une maniиre contraire, comme il est dit
en Йthique, II, 1, 1103 b 6. Donc
l’habitus de la charitй est beaucoup moins enlevй par un seul pйchй mortel.
[66137]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, unum uni opponitur. Sed caritas
est una virtus specialis, ut ostensum est. Ergo sibi opponitur unum vitium
speciale. Non ergo per alia peccata mortalia tollitur; et sic videtur quod
possit peccatum mortale simul esse cum caritate.
4. L’un s’oppose а l’un. Mais
la charitй est une vertu particuliиre, comme on l’a montrй. Donc un vice
particulier s’oppose а elle. Donc elle n’est pas enlevйe par d’autres pйchйs
mortels, et ainsi il semble que le pйchй mortel puisse coexister avec la
charitй.
[66138]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 5 Praeterea, opposita non se expellunt nisi
circa idem subiectum. Sed quaedam peccata non sunt in eodem subiecto cum
caritate : nam caritas est in superiori parte rationis, quae convertitur ad
Deum; potest autem peccatum mortale esse etiam in inferiori parte rationis,
ut dicit Augustinus in Lib. de Trinit.
Ergo non omne peccatum mortale excludit caritatem.
5. Les opposйs ne s’excluent que pour un
mкme substrat. Mais certains pйchйs ne sont pas dans le mкme substrat que la
charitй ; car elle est dans la partie supйrieure de la raison, qui est
tournйe vers Dieu : mais le pйchй mortel peut кtre aussi dans la partie
infйrieure de la raison, comme le dit Augustin dans La Trinitй. Donc tout pйchй mortel n’exclut pas la charitй.
[66139]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est fortissimum, non
potest expelli a debilissimo. Sed caritas est fortissima : Fortis enim est ut mors dilectio, ut dicitur Cantic., VII, 6 : peccatum autem est debilissimum, quia malum est
infirmum et impotens, ut Dionysius dicit [V cap. de divin. Nomin.] Ergo peccatum mortale non expellit caritatem;
et sic potest esse simul cum ea.
6. Le plus fort ne peut pas кtre chassй
par le plus faible. Mais la charitй est la plus forte ; car « L’amour est fort comme le mort », comme il est dit (Ct 7, 6) : mais le pйchй est trиs
faible ; parce que le mal est sans force et sans puissance, comme Denys
le dit (Les noms divins, 5). Donc
le pйchй mortel ne chasse pas la charitй, et ainsi il peut cohabiter avec
elle.
[66140] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 7 Praeterea,
habitus secundum actus cognoscuntur. Sed actus caritatis potest esse cum
peccato mortali : homo enim peccans diligit Deum et proximum. Ergo caritas
potest esse cum peccato mortali.
7. Les habitus sont reconnus а leurs
actes. Mais celui de la charitй peut exister avec le pйchй mortel : car
l’homme qui pиche aime Dieu et son prochain. Donc la charitй peut exister
avec le pйchй mortel.
[66141]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 8 Praeterea, caritas praecipue facit delectari
in contemplatione Dei. Sed delectationi quae est in considerando, nihil est
contrarium, ut dicit philosophus in I Topic.
Ergo caritati nihil est contrarium : et ita non potest expelli per peccatum mortale.
8. La charitй fait surtout qu’on йprouve
du plaisir dans la contemplation de Dieu. Mais au plaisir qu’on trouve en le
considйrant, rien n’est contraire, comme le dit le philosophe (Topique, 1, 15, 106 b 4). Donc rien
n’est contraire а la charitй ; et ainsi elle ne peut pas кtre chassйe
par le pйchй mortel.
[66142]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 9 Praeterea, universale movens potest impediri
in uno mobili, et non impediri in alio. Sed caritas est universalis motor
omnium virtutum, ut supra, art. 3, dictum est. Ergo non oportet quod sic
impediatur in una virtute in quantum alias movet : potest igitur cum peccato
opposito temperantiae caritas remanere, prout est motiva aliarum virtutum.
9. Le moteur universel peut кtre empкchй
dans un mobile, et pas dans un autre. Mais la charitй est le moteur universel
de toutes les vertus, comme il a йtй dit ci-dessus, a. 3. Donc il n’est pas
nйcessaire qu’elle soit ainsi empкchйe dans une seule vertu en tant qu’elle
meut les autres ; donc la charitй peut demeurer avec un pйchй opposй а
la tempйrance, , dans la mesure oщ elle meut les autres vertus.
[66143]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 10 Praeterea, sicut caritas habet Deum pro
obiecto, ita fides et spes. Sed fides et spes possunt esse informes. Ergo
eadem ratione et caritas; et sic potest esse cum peccato mortali.
10. La charitй a Dieu pour objet, la foi
et l’espйrance aussi. Mais la foi et l’espйrance peuvent кtre imparfait. Donc
pour la mкme raison, la charitй aussi. Et ainsi elle peut exister avec un
pйchй mortel.
[66144]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 11 Praeterea, omne illud quod non habet
perfectionem quam natum est habere, est informe. Sed caritas non habet
perfectionem hic in via quam nata est habere in patria. Ergo est informis; et
sic videtur quod possit esse cum peccato mortali.
11. Tout ce qui n’a pas la perfection
qu’il est destinй а avoir, est imparfait. Mais la charitй n’a pas de
perfection dans la voie qu’elle est destinйe а avoir dans la patrie. Donc
elle est imparfaite, et ainsi il semble qu’elle pourrait exister avec le
pйchй mortel.
[66145] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 12 Praeterea,
habitus cognoscuntur per actus. Sed aliqui actus habentium caritatem possunt
esse imperfecti : nam multoties aliqui caritatem habentes moventur aliquo
motu impatientiae, vel inanis gloriae. Ergo et habitum caritatis contingit esse
imperfectum et informem; et sic videtur quod cum caritate possit esse
peccatum mortale.
12. Les habitus sont connus par les actes.
Mais certains actes de ceux qui possиdent la charitй peuvent кtre imparfaits,
car frйquemment ils sont poussйs par un mouvement d’impatience, ou de vaine
gloire. Donc il arrive que l’habitus de la charitй soit imparfait, et ainsi
il semble qu’il pourrait y avoir un pйchй mortel avec la charitй.
[66146]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 13 Praeterea, sicut virtuti opponitur peccatum,
ita ignorantia opponitur scientiae. Sed non quaelibet ignorantia tollit totam
scientiam. Ergo nec quodlibet peccatum mortale tollit totam virtutem; unde,
cum caritas sit radix virtutum, non videtur quod quodlibet peccatum mortale
tollat caritatem.
13. De mкme que le pйchй est opposй а la
vertu, de mкme l’ignorance est opposйe а la science. Mais ce n’est pas
n’importe quelle ignorance qui enlиve toute la science. Donc ni n’importe
quel pйchй mortel qui enlиve toute la vertu ; c'est pourquoi, comme la
charitй est la racine des vertus, il ne semble pas que n’importe que pйchй
mortel enlиve la charitй.
[66147]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 14 Praeterea, caritas est amor Dei. Sed manente
amore ad rem aliquam, aliquis propter incontinentiam operatur contra illam;
sicut aliquis amans seipsum, contra bonum agit per incontinentiam; et
similiter aliquis amans aliquam communitatem, contra eam agit propter
incontinentiam, ut philosophus dicit in V Politic.
Ergo aliquis potest peccando contra Deum agere, manente caritate.
14. La charitй est l’amour de Dieu. Mais
si l’amour pour quelque chose demeure, quelqu’un а cause de son incontinene
opиre contre elle, de mкme quelqu'un qui s’aime lui-mкme agit contre le bien
par son incontinence, et de la mкme maniиre quelqu’un qui aime une communautй
agit contre elle а cause de son incontinence, comme le philosophe le dit (Politique, V). Donc quelqu’un peut en
pйchant agir contre Dieu, et sa charitй demeure.
[66148]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 15 Praeterea, aliquis habet se bene in
universali, qui tamen deficit in particulari, sicut incontinens rectam
rationem habet circa universalia, utpote quod fornicari est malum, et tamen
in singulari eligit nunc fornicari, ut bonum, ut dicit philosophus in VI Ethic. Sed caritas facit hominem bene se habere circa universalem finem. Ergo manente
caritate, potest aliquis peccare circa aliquod particulare; et sic caritas
potest esse cum peccato mortali.
15. Quelqu’un se comporte bien
dans l’universel qui cependant est dйfaillant dans le particulier, comme
l’incontinent a la droite raison pour ce qui est universel, de sorte que
forniquer est un mal et cependant dans le particulier il choisit maintenant
de forniquer comme un bien, comme le dit le philosophe (Ethique, VII, 2, 1145 b 12). Mais la charitй fait que l’homme se
comporte bien pour la fin universelle. Donc encore que la charitй demeure,
quelqu'un peut pйcher sur quelque chose de particulier, et ainsi la charitй
peut exister avec le pйchй mortel.
[66149]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 16 Praeterea, contraria sunt in eodem genere.
Sed peccatum est in genere actus : quia peccatum est dictum vel factum vel
concupitum contra legem Dei : caritas autem est in genere habitus. Ergo
peccatum non contrariatur caritati; et sic non expellit ipsam : potest ergo
simul esse cum ea.
16. Les contraires sont dans
un mкme genre. Mais le pйchй est dans le genre de l’acte, parce qu’il est dit
ou fait ou dйsirй contre la loi de Dieu ; mais la charitй est dans le
genre de l’habitus. Donc le pйchй n’est pas contraire а la charitй, et ainsi
il ne la chasse pas : donc il peut кtre en mкme temps avec elle.
En sens contraire :
[66150] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur
Sap., I, 5 : Spiritus sanctus disciplinae effugiet fictum, et avertet se a
cogitationibus quae sunt sine intellectu, et corripietur, id est
expelletur, a superveniente iniquitate.
Sed Spiritus sanctus est in homine quamdiu habet caritatem; quia per
caritatem habitat in nobis Spiritus Dei. Ergo a superveniente iniquitate
expellitur caritas; et sic non potest esse simul cum peccato mortali.
1. Au Livre de la Sagesse (1,
5) il est dit : « L’Esprit Saint
notre йducateur fuit la fourberie et il se dйtourne des pensйes sans intelligence
et il s’offusque quand survient l’iniquitй. » Mais l’Esprit Saint
est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charitй; car l’Esprit de Dieu
habite en nous par la charitй. Donc elle est repoussйe par l’iniquitй qui
survient et ainsi elle ne peut coexister avec le pйchй mortel.
[66151]
De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque habet caritatem, dignus
est vita aeterna, secundum illud apostoli, II Tim., IV, 8 : In reliquo
reposita est mihi corona iustitiae, quam reddet mihi dominus in illa die,
iustus iudex; non solum autem mihi, sed et his qui diligunt adventum eius.
Quicumque autem peccat mortaliter, dignus est poena aeterna, secundum illud Rom., cap. VI, 23. Stipendia peccati mors. Sed aliquis
non potest esse simul dignus vita aeterna et poena aeterna. Ergo non potest
simul caritas cum peccato mortali haberi.
2. De plus, quiconque a la charitй est
digne de la vie йternelle, selon ce que dit l’Apфtre а Timothйe (II Tm 4, 8) :
« Il ne me reste plus qu’а
recevoir la couronne de justice que le Seigneur me donnera en retour en ces
jours, lui le juste juge ; non seulement а moi mais а ceux qui aiment sa
venue. » Or quiconque pиche mortellement est digne de la peine
йternelle : selon Rm 6, 23 :
« Le salaire du pйchй est la
mort ». Mais on ne peut pas кtre en mкme temps digne de la vie
йternelle et de la peine йternelle. Donc on ne peut pas avoir la charitй en
mкme temps que le pйchй mortel.
Rйponse :
[66152] De virtutibus, q. 2 a. 6 co. Respondeo.
Dicendum, quod caritas nullo modo potest simul esse cum peccato mortali.
Ad cuius
evidentiam primo considerandum est, quod omne peccatum mortale directe
opponitur caritati. Quicumque enim praeeligit aliquid alteri, illud quod
praeeligit, magis amat; unde quia homo magis amat propriam vitam et sui consistentiam
quam voluptatem, quantumcumque sit magna voluptas, homo retraheretur ab ea,
si eam existimaret esse suae vitae infallibiliter peremptivam; propter quod
dicit Augustinus in Lib. LXXXIII
quaestionum [quaest. 36], quod Nemo est qui non magis dolorem metuat quam
appetat voluptatem; quandoquidem videmus etiam immanissimas bestias a maximis
voluptatibus abstinere dolorum metu.
La charitй ne peut en aucune maniиre
coexister avec le pйchй mortel.
Pour
le mettre en йvidence, il faut considйrer que tout pйchй mortel est
directement opposй а la charitй. Car quiconque prйfиre une chose а une autre
aime davantage ce qu’il a choisi d’abord ; c'est pourquoi, parce qu’un
homme aime plus sa propre vie et sa prйservation que la voluptй ; quelle
grande que soit celle-ci, l’homme s’en йchapperait s’il pensait qu’elle est
de maniиre infaillible dommageable а sa vie ; а cause de cela saint
Augustin dit. (Les 83 Questions, q.
36) : « Il n’y a personne qui
ne craigne pas plus la douleur qui ne dйsire la voluptй : puisque nous voyons
aussi les animaux les plus sauvages s’йcarter des plus grandes voluptйs par
crainte de la douleur».
Ex
hoc autem aliquis mortaliter peccat quod aliquid magis eligit quam vivere
secundum Deum, et ei inhaerere. Unde manifestum est quod quicumque mortaliter
peccat, ex hoc ipso magis amat aliud bonum quam Deum. Si enim amaret magis
Deum, praeeligeret vivere secundum Deum quam quocumque temporali bono potiri.
Hoc autem est de ratione caritatis quod Deus super omnia diligatur, ut ex
superioribus patet; unde omne peccatum mortale caritati contrariatur.
Pиche mortellement celui qui choisit
plutфt une chose que de vivre selon Dieu et s’attacher а lui. C'est pourquoi
il est йvident que n’importe qui pиche mortellement du fait mкme qu’il aime
un autre bien que Dieu. Si en effet il aimait Dieu davantage il choisirait
avant de vivre selon Dieu plutфt que de s’emparer de quelque bien temporel.
Or il est de la nature de la charitй d’aimer Dieu par-dessus tout, comme il
ressort de ce qu’on a dit plus haut; c'est pourquoi tout pйchй mortel est
contraire а la charitй.
Caritas enim hominibus a Deo infunditur. Quae autem ex
infusione divina causantur, non solum indigent actione divina in sui
principio, ut esse incipiant, sed in tota sui duratione, ut conserventur in
esse; sicut illuminatio aeris indiget praesentia solis, non solum cum primo
aer illuminatur, sed quamdiu illuminatus manet : et propter hoc, si aliquod
obstaculum interponatur intercipiens directum aspectum ad solem, desinit esse
lumen in aere; et similiter quando peccatum mortale advenit, quod impedit
directum aspectum animae ad Deum, per hoc quod aliquid aliud praefert Deo,
intercipitur influxus caritatis, et desinit esse caritas in homine, secundum
illud Is., LIX, 2 : Peccata nostra
diviserunt inter nos et Deum nostrum.
Sed cum rursus mens hominis redit ut recte in Deum aspiciat, eum super
omnia diligendo (quod tamen sine divina gratia esse non potest), iterato ad
statum caritatis redit.
En effet la charitй est rйpandue par Dieu
dans les hommes. Or ce qui est causй par infusion divine, non seulement n’a
pas besoin de l’action divine en son principe pour commencer а кtre, mais
pendant toute sa durйe pour y кtre conservй, comme la lumiиre de l’air a
besoin de la prйsence du soleil non seulement lorsque l’air est йclairй mais
aussi longtemps qu’il demeure йclairй. Et а cause de cela, si un obstacle
s’interpose, interceptant la vision directe du soleil, la lumiиre cesse
d’кtre dans l’air ; et de la mкme maniиre quand le pйchй mortel advient qui
empкche le regard direct de l’вme vers Dieu, par cela qu’elle lui prйfиre
autre chose, l’influx de la charitй est interrompu et elle cesse d’exister en
l’homme, selon ce que dit Is 69, 2
: « Nos pйchйs nous ont sйparйs de
notre Dieu ».
Mais
lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter avec rectitude ses
regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne peut pas se faire
sans la grвce), il revient de nouveau а l’йtat de charitй.
Solutions
:
[66153]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Origenis
non sic est intelligendum, quod homo peccans mortaliter, quantumcumque
perfectus, non subito caritatem amittat sed quia non contingit de facile quod
homo perfectus statim a principio mortaliter peccet, sed per negligentiam et
diversa peccata venialia, disponitur ut tandem labatur in peccatum mortale.
1. La parole d’Origиne n’est pas а penser
ainsi : l’homme qui pиche mortellement, quelque parfait qu’il soit, ne perd
pas la charitй subitement, mais parce qu’il n’arrive pas facilement que
l’homme parfait pиche mortellement aussitфt au commencement, mais par
nйgligence et par diffйrents pйchйs vйniels, il se dispose а la fin а glisser
dans le pйchй mortel.
[66154]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Bernardi non
videtur sustinendum, nisi intelligatur caritas in Petro non fuisse extincta,
quia cito resurrexit; ea enim quae parum distant, quasi nihil distare
videntur, ut dicitur in II Physic.
[com. 56].
2. La parole de saint Bernard ne semble
pas devoir кtre soutenue, sauf si on pense que la charitй en Pierre n’a pas
йtй йteinte, parce qu’aussitфt elle a ressuscitй ; car ce qui est un peu
йloignй, semble pour ainsi dire en rien йloignй, comme il est dit en Physique II, 5, 197 a 28).
[66155]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus moralis, quae
acquiritur ex actibus, consistit in inclinatione potentiae ad actum; quae
quidem inclinatio non tollitur totaliter per unum actum. Sed influentia
caritatis a Deo intercipitur per unum actum; et ideo unus actus peccati
tollit caritatem.
3. La vertu morale, qui est acquise par
les actes consiste dans l’inclination de la puissance а l’acte ; cette
inclination n’est pas enlevйe totalement par un seul acte. Mais l’influence
de la charitй est coupйe de Dieu par un seul acte, et c'est pourquoi un seul
acte de pйchй enlиve la charitй.
[66156]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritatis oppositum
generale est odium; sed indirecte omnia peccata caritati opponuntur, in
quantum pertinent ad Dei contemptum, qui est super omnia diligendus.
4. L’opposй universel de la charitй c’est
la haine, mais indirectement tous les pйchйs sont opposйs а la charitй, en
tant qu’ils aboutissent au mйpris pour Dieu, qui doit кtre aimй par-dessus
tout.
[66157]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superior ratio, in
qua est caritas, movet inferiorem; unde peccatum, in quantum in inferiori
parte opponitur motui caritatis, caritatem excludit. Vel dicendum, quod
peccatum mortale non est sine consensu, qui attribuitur superiori parti
rationis, in qua est caritas.
5. La raison supйrieure, en laquelle se
trouve la charitй, meut la raison infйrieure ; c’est pourquoi le pйchй,
en tant qu’il est opposй dans la partie infйrieure au mouvement de la
charitй, l’exclut. Ou bien il faut dire que le pйchй mortel n’est pas sans
consentement ; il est attribuй а la partie supйrieure de la raison en
qui se trouve la charitй.
[66158]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod peccatum non expellit
caritatem ex sua virtute; sed ex eo quod homo voluntarie se peccato subiicit.
6. Le pйchй ne chasse pas la charitй par
son pouvoir, mais parce que l’homme se soumet volontairement au pйchй.
[66159]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod homo qui peccat
mortaliter, non diligit Deum super omnia, sicut diligendus est ex caritate;
sed est aliquid aliud quod praefert amori Dei, propter quod Dei mandatum
contemnit.
7. L’homme qui pиche mortellement n’aime
pas Dieu par-dessus tout, comme il doit кtre aimй par charitй, mais il y a
quelque chose d’autre qu’il prйfиre а l’amour de Dieu, а cause de quoi il
mйprise son commandement.
[66160]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod delectatio quae est
in considerando, non habet contrarium in eodem genere, ut scilicet aliqua
alia consideratio sit ei contraria; et hoc ideo quia species contrariorum in
intellectu non sunt contrariae; unde delectationi quae est in considerando
album, non contrariatur delectatio quae est in considerando nigrum. Sed quia
actus voluntatis consistit in motu animae ad rem, sicut res in seipsis sunt
contrariae, ita motus voluntatis in contraria sunt contrarii : desiderium
enim dulcis contrariatur desiderio amari. Et secundum hoc amor Dei
contrariatur amori peccati, quod excludit a Deo. Consideratio autem in qua
non est contrarietas, non est proprius actus caritatis, qui ab ipsa elicitur,
sed solum ab ipsa imperatur quasi eius effectus.
8. Le plaisir qu’on йprouve dans la
considйration [de Dieu] n’a pas de contraire dans un mкme genre, а savoir
qu’une autre considйration lui est contraire, et cela parce que les espиces
des contraires dans l’intellect ne sont pas contraires, et c'est pourquoi
celui йprouvй dans la considйration du blanc, n’est pas contraire au plaisir
йprouvй dans la considйration du noir. Mais parce que l’acte de la volontй
consiste dans le mouvement de l’вme vers la rйalitй, de mкme que les choses
en elles-mкmes sont contraires ; de mкme les mouvements de la volontй
dans les contraires sont contraires : car le dйsir du doux est contraire а
celui de l’amer. Et selon cela l’amour de Dieu est contraire а l’amour du
pйchй, qui йloigne de Dieu. Mais la considйration en laquelle il n’y a pas de
contrariйtй, n’est pas l’acte propre de la charitй, qui est choisi par elle,
mais seulement elle est commandйe comme son effet.
[66161]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas quae est
universalis motor virtutum, cum impeditur in his quae pertinent ad unam
virtutem, per peccatum mortale, impeditur in suo universali obiecto; et ob
hoc universaliter in omnibus impeditur. Non est autem sic cum universale
mobile sic impeditur in particulari effectu, quod non impeditur in his quae
pertinent ad universalem virtutem.
9. Quand la charitй qui est le moteur
universel des vertus, est empкchйe en ce qui convient а une seule vertu, par
le pйchй mortel, elle est empкchйe en son objet universel et а cause de cela
elle est universellement empкchйe en tout. Mais ce n’est pas ainsi quand le
mobile universel est ainsi empкchй dans l’effet particulier, qui n’est pas
empкchй en ce qui convient а la vertu universelle.
[66162]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet spes et fides
habeant Deum pro obiecto, non tamen eis competit quod sint forma aliarum
virtutum, sicut competit caritati ratione supradicta, art. 3; et ideo, licet
caritas non sit informis, spes tamen et fides esse possunt informes.
10. Bien que l’espйrance et la foi aient
Dieu pour objet, il ne leur convient pas d’кtre la forme des autres vertus,
comme il convient а la charitй par la raison susdite, art. 3 ; et ainsi,
bien que la charitй ne soit pas imparfaite, l’espйrance cependant et la foi
peuvent l’кtre.
[66163]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non facit virtutem
informem defectus cuiuscumque perfectionis, sed ille tantum defectus qui
tollit ordinem ultimi finis; qui quidem ordo existit in caritate viae, licet
caritas viae non habeat perfectionem patriae, quae est secundum fruitionem
propriam et perfectam.
11. La dйfaillance de n’importe quelle
perfection ne rend pas la vertu imparfaite, mais cette dйfaillance seulement
qui enlиve le rapport а la fin ultime, lequel rapport existe dans la charitй
de la voie, bien que celle-ci n’ait pas la perfection de la patrie, qui
concerne la fruition propre et parfaite.
[66164]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod actus imperfecti
possunt esse habentis caritatem, sed non sunt caritatis; non enim quilibet
actus agentis est actus cuiuslibet formae in agente existentis, et praecipue
in rationali natura, quae habet libertatem ad hoc quod utatur habitu in ea
existente.
12. Les actes imparfaits peuvent кtre de
celui qui possиde la charitй, mais ne sont pas de la charitй ; car
n’importe quel acte de l’agent n’est pas l’acte de n’importe quelle forme qui
existe dans l’agent, et surtout dans la nature raisonnable qui a la libertй
pour utiliser l’habitus qui existe en elle.
[66165]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet non quaelibet
ignorantia propriorum principiorum excludat scientiam, tamen ignorantia
principiorum communium tollit scientiam; eis enim ignoratis, necesse est
ignorare artem, ut dicitur in I Elench. Ultimus autem finis se habet sicut
principium communissimum; et ideo huius deordinatio ab ultimo fine per
peccatum mortale, tollit totaliter caritatem; non autem quaelibet deordinatio
particularis, ut patet in peccatis venialibus.
13 Bien que n’importe quelle ignorance des
principes particuliers exclut la science, cependant l’ignorance des principes
communs prive de la science, car pour ceux qui les ignorent, il est
nйcessaire d’ignorer l’art, comme il est dit en Elenchus I. Mais la fin
ultime se comporte comme le principe le plus commun, et c'est pourquoi son
manque de rapport а la fin ultime par le pйchй mortel, enlиve totalement la
charitй, mais non n’importe quel manque d’ordre particulier, comme on le voit
dans les pйchйs vйniels.
[66166]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quicumque per
incontinentiam agit contra bonum quod amat, existimat bonum non totaliter
perdi per hoc quod incontinenter agit. Si enim aliquis amans civitatem
aliquam, vel proprii corporis salutem, existimaret se alterum horum perdere
per hoc quod agit : vel totaliter abstineret, vel illud quod ageret, plus
diligeret quam propriam salutem vel civitatis. Unde cum aliquis sciens se
amittere Deum per peccatum mortale (quod est scire se peccare mortaliter),
nihilominus hoc incontinenter agit : convincitur plus amare quod agit quam
Deum.
14. Quiconque agit par
incontinence contre le bien qu’il aime, pense que le bien n’est pas perdu
complиtement par le fait qu’il agit avec incontinence. Car si quelqu'un qui
aime une citй, ou le salut de son propre corps, pensait qu’il en perd un
autre par le fait qu’il agit, ou il s’en abstiendrait totalement, ou il
aimerait ce qu’il ferait plus que son propre salut ou celui de la citй. C'est
pourquoi comme quelqu'un qui sait qu’il perd Dieu par le pйchй mortel (ce qui
est savoir qu’il pиche mortellement), et cependant qui agit avec
incontinence; il est convaincu plus aimer ce qu’il fait que Dieu.
[66167]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non
solum requirit hoc haberi in universali acceptione, quod Deus sit super omnia
diligendus; sed quod etiam in hoc actus electionis et voluntatis tendat sicut
in quoddam aliud particulare eligibile. Et haec particularis electio
excluditur per electionem contrarii, scilicet peccati excludentis a Deo.
15. La charitй ne requiert pas seulement
qu’on la possиde dans son acception universelle, c'est-а-dire que Dieu doit
кtre aimй au-dessus de tout, mais parce qu’aussi dans cet acte d’йlection et
de volontй elle tend comme dans une autre chose particuliиre а choisir. Cette
йlection particuliиre est exclue par l’йlection du contraire, а savoir du
pйchй qui exclut de Dieu.
[66168]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet actus
directe contrarientur actibus, sicut et habitus habitibus; tamen indirecte etiam
actus contrariantur habitibus secundum conformitatem quam habent contrariis
habitibus; nam actus similes ex similibus habitibus generantur, et similes
etiam actus causant, licet non omnes habitus causentur ex actibus.
16. Bien que les actes soient directement
contrariйs par des actes, comme les habitus par les habitus, cependant
indirectement aussi les actes sont contraires aux habitus, selon la
conformitй qu’ils ont avec des habitus contraires ; car les actes
senblables sont engendrйs par des habitus semblables ; et aussi les
actes semblables sont leur cause, bien que tous les habitus ne soient pas
causйs par les actes.
[66169] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 1 Septimo
quaeritur utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura
[66171] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 1 Quia propter quod unumquodque, et illud magis.
Sed homo ex caritate diligitur propter virtutem et propter beatitudinem. Ergo
virtus et beatitudo, quae non sunt creaturae rationales, sunt magis ex
caritate diligendae et sic creatura rationalis non est proprium obiectum
caritatis.
1. Parce qu’а
cause de cela, il y a chaque chose et ceci plus. Mais l’homme est aimй par
charitй а cause de sa vertu et de sa bйatitude. Donc la vertu et la bйatitude
qui ne sont pas des crйatures raisonnables doivent кtre plus aimйes par
charitй et ainsi les crйatures raisonnables n’est pas l’objet propre de la
charitй.
[66172] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 2
Praeterea, per caritatem maxime conformamur Deo in diligendo. Sed Deus
diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient.,
XI, 25, ex caritate diligendo seipsum, qui est caritas. Ergo omnia sunt
diligenda ex caritate, et non solum rationalis natura.
2. Nous sommes tout а fait adaptйs а Dieu
par la charitй en l’aimant. Mais Dieu aime tout ce qui existe, comme il est
dit en Sg 11, 25, en s’aimant par
charitй lui-mкme qui est la charitй. Donc tout doit кtre aimй par charitй, et
pas seulement la nature raisonnable.
[66173] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 3
Praeterea, Origenes dicit Super Cantica,
quod unum est diligere Deum et quaecumque bona. Sed Deus diligitur ex
caritate. Ergo, cum omnes creaturae sint bonae, omnes sunt diligendae ex
caritate, et non solum rationalis natura.
3. Origиne dit (Sur le Cantique), que c’est une (mкme) chose d’aimer Dieu et tout
ce qui est bon. Mais Dieu est aimй par charitй. Donc, comme toutes les crйatures
sont bonnes, toutes doivent кtre aimйes par charitй, et pas seulement la
nature raisonnable.
[66174] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 4
Praeterea, sola dilectio caritatis est meritoria. Sed in dilectione
cuiuslibet rei possumus mereri. Ergo quamlibet rem possumus diligere ex
caritate.
4. Le seul amour de charitй est mйritoire.
Mais en aimant n’importe quoi nous pouvons mйriter. Donc nous pouvons aimer
n’importe quoi par charitй.
[66175] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 5
Praeterea, Deus ex caritate diligitur. Ergo oportet magis ex caritate diligi
quod ab eo maxime diligitur. Sed inter omnia
creata maxime diligitur a Deo bonum universi, in quo omnia comprehenduntur.
Ergo omnia sunt ex caritate diligenda.
5. Dieu est aimй par charitй. Donc il est
nйcessaire de aimer par charitй davantage ce qu’il aime le plus. Mais parmi
toutes les crйatures le bien de l’univers est le plus aimй de Dieu, en quoi
tout est saisi. Donc tout doit кtre aimй par charitй.
[66176] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 6 Praeterea, diligere magis
pertinet ad caritatem quam credere. Sed caritas omnia credit, ut dicitur I ad Cor., XIII, 8. Ergo multo magis
omnia diligit.
6. Aimer convient plus а la charitй que
croire. Mais la charitй croit tout, comme il est dit en 1 Co 13, 8. Donc elle aime tout beaucoup plus.
[66177] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 7
Praeterea, natura rationalis perfectissime invenitur in Deo. Si igitur natura
rationalis sit obiectum caritatis, oporteret quod Deum ex caritate
diligeremus. Sed hoc videtur esse impossibile, quia amor caritatis est amor
perfectus; deinde, quia Deum perfecte in hac vita diligere non possumus, quia
in hac vita ipsum perfecte non cognoscimus : non enim cognoscimus de Deo quid
est, sed solum quid non est. Dilectio autem praesupponit cognitionem, cum nihil
diligatur nisi cognitum. Ergo rationalis vel intellectualis natura non est
proprium obiectum caritatis.
7. La nature raisonnable se trouve de
maniиre tout а fait parfaite en Dieu. Si donc elle йtait l’objet de la
charitй il serait nйcessaire que nous aimions Dieu par charitй. Mais cela
semble impossible, parce que l’amour de charitй est un amour parfait ;
ensuite, parce que nous pouvons pas l’aimer parfaitement en cette vie,
puisque nous ne le connaissons pas parfaitement : car nous ne savons pas de
Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas. Mais l’amour prйsuppose
la connaissance, puisque rien n’est aimй que ce qui est connu. Donc la nature
raisonnable ou intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй.
[66178] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 8
Praeterea, plus distat ab homine Deus quam quaelibet alia creatura. Si ergo
aliquas creaturas non diligimus ex caritate, multo minus Deum ex caritate
diligere possumus.
8. Dieu est plus distant de l’homme que
n’importe quelle autre crйature. Si donc nous n’aimons pas des crйatures par
charitй, nous pouvons beaucoup moins aimer Dieu par charitй.
[66179] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 9
Praeterea, in Angelis etiam est intellectualis natura. Sed Angeli non sunt ex
caritate diligendi, ut videtur. Ergo intellectualis natura non est proprium
obiectum caritatis. Probatio mediae.
Amicitia in aliqua communicatione vitae consistit; nam convivere est proprium
amicorum, secundum philosophum in Lib. Ethicor.
[lib. IX, cap. XIX] Sed non videtur esse aliqua communicatio vitae nobis et
Angelis; non enim communicamus in vita naturae cum Angelis, cum sint multo
praestantioris naturae quam homo; neque iterum in vita gloriae, quia dona
gratiae et gloriae dantur a Deo secundum virtutem recipientis, secundum illud
Matth., XXV, 15 : Dedit unicuique secundum propriam virtutem;
virtus autem Angeli est multo maior quam hominis. Ergo Angeli non communicant
in aliqua vita cum hominibus.
9. Dans les anges aussi il y a une nature
intellectuelle. Mais ils ne doivent pas кtre aimйs par charitй, а ce qu’il
semble. Donc la nature intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй.
Preuve intermйdiaire : L’amitiй
consiste dans une communication de vie ; car vivre ensemble est le
propre des amis, selon le philosophe (Ethique,
VIII, 15, 1162 b 14). Mais il ne semble pas qu’il y ait un rapport de vie
pour nous et les anges ; car nous n’avons pas de rapport dans la vie de
nature avec eux, puisqu’ils sont d’une nature supйrieure а l’homme, et en
plus dans la vie de gloire, non plus parce que les dons de grвce et de gloire
sont donnйs par Dieu selon la capacitй de celui qui les reзoit, selon cette
parole de Matthieu 25, 15 : « Il a donnй а chacun selon sa propre
capacitй[50] » ; mais celle de l’ange
est beaucoup plus grande que celle de l’homme. Donc les anges ne communiquent
pas dans la vie avec les hommes.
[66180] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 10 Praeterea, natura rationalis invenitur etiam in ipso homine ex
caritate diligente. Sed homo seipsum non debet ex caritate diligere ut
videtur. Ergo caritatis obiectum non est rationalis natura. Probatio mediae. De actibus virtutum
dantur praecepta legis. Sed non datur aliquod praeceptum legis de hoc quod
aliquis diligat seipsum. Ergo diligere non est actus caritatis.
10. La nature raisonnable se trouve aussi
dans l’homme qui aime par charitй. Mais l’homme ne doit pas s’aimer lui-mкme
par charitй а ce qu’il semble. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet
de la charitй. Preuve intermйdiaire :
les prйceptes de la loi sont donnйs au sujet des actes des vertus. Mais le
prйcepte de la loi n’est pas donnй pour que quelqu’un s’aime lui-mкme. Donc
aimer n’est pas un acte de charitй.
[66181] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 11 Praeterea, Gregorius dicit in quadam Homil., quod caritas minus quam inter duos haberi non
potest. Non potest ergo quis seipsum ex caritate diligere.
11. Grйgoire dit dans une Homйlie que la charitй ne peut pas кtre possйdйe
qu’entre deux. Donc quelqu’un ne peut pas s’aimer lui-mкme par charitй.
[66182] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 12 Praeterea, sicut iustitia consistit in communicatione, ita et
amicitia, secundum philosophum in IV Ethic.
Sed iustitia, proprie loquendo, non est hominis ad seipsum ut dicitur in V Ethic. Ergo neque amicitia, et ita
neque caritas.
12. De mкme que le justice consiste dans
la communication, l’amitiй aussi selon le philosophe, (Йthique, VIII, 1, 1155 a 23). Mais la justice а proprement parler
ne vient pas de l’homme pour lui-mкme, comme il est dit (Йthique, V). Donc l’amitiй non plus et ainsi la charitй non plus.
[66183] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 13 Praeterea, nihil quod computatur in vitium, est actus caritatis.
Sed amare seipsum computatur homini in vitium secundum illud II Timoth., III, 1 : Instabunt tempora periculosa, et erunt
homines seipsos amantes. Ergo diligere seipsum non est actus caritatis;
et ita natura rationalis non est proprium obiectum caritatis.
13. Rien de ce qui comptй dans le vice,
n’est un acte de charitй. Mais s’aimer soi-mкme est comptй а l’homme comme un
vice selon cette parole de 2 Tm 3,
1 : « Les [derniers] temps seront pйrilleux …… et les hommes
s’aimeront eux-mкmes[51] ». Donc s’aimer soi-mкme n’est pas un acte de
charitй ; et ainsi la nature raisonnable n’est pas un objet propre de la
charitй.
[66184] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 14 Praeterea, corpus humanum est pars rationalis naturae, scilicet
humanae. Sed corpus humanum non videtur esse diligendum ex caritate; quia
secundum philosophum in IX Ethic.,
vituperantur qui amant seipsos secundum exteriorem naturam. Ergo natura
rationalis non est obiectum caritatis.
14. Le corps humain est une partie de la
nature raisonnable, c'est-а-dire de la nature humaine. Mais le corps humain
ne semble pas devoir кtre aimй par charitй ; parce que selon le
philosophe (Йthique, IX, 8, 1169 a
15) sont critiquйs ceux qui s’aiment eux-mкmes quant а leur nature
extйrieure. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charitй.
[66185] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 15 Praeterea, nullus habens caritatem refugit illud quod ex caritate
diligit. Sed sancti habentes caritatem refugiunt corpus, secundum illud Roman., VII, 24 : Quis me liberabit de corpore mortis huius? Et sic corpus non est
diligendum ex caritate; et sic idem quod prius.
15. Aucun de ceux qui ont la charitй
n’йcarte ce qu’il aime par charitй. Mais les saints qui ont la charitй йcarte
le corps, selon cette parole de Rm 7,
24 : « Qui me libйrera de ce corps
de mort ». Et ainsi le corps ne doit pas кtre aimй par
charitй ; et ainsi de mкme que ci-dessus.
[66186] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 16 Praeterea, nullus tenetur ad implendum quod non potest. Sed nullus
potest scire se habere caritatem. Ergo nullus tenetur ad diligendum creaturam
rationalem ex caritate.
16. Personne n’est tenu d’accomplir ce
qu’il ne peut pas accomplir. Mais personne ne peut savoir qu’il a la charitй.
Donc personnes n’est tenu d’aimer la crйature raisonnable par charitй.
[66187] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 17 Praeterea, cum dicitur : creatura rationalis diligitur ex caritate;
haec praepositio ex designat
habitudinem alicuius causae. Sed non potest designare habitudinem causae materialis, quia caritas non est
aliquid materiale, sed spirituale; neque iterum habitudinem causae finalis, quia finis diligendi ex
caritate est Deus, non autem caritas; similiter etiam neque habitudinem
causae efficientis, quia Spiritus
sanctus est qui nos ad diligendum movet, secundum illud Rom., V, 5 : Caritas Dei
diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis;
neque iterum habitudinem causae formalis,
quia caritas nec est forma intrinseca, cum non sit de essentia rei; neque est
forma extrinseca exemplaris, quia sic omnia quae diliguntur ex caritate,
traherentur in speciem caritatis, sicut exemplata trahuntur ad speciem
exemplaris. Ergo creaturae
rationales non sunt diligendae ex caritate.
17. Quand on dit : la crйature raisonnable
est aimй par charitй ; cette prйposition par (ex) dйsigne le
relation d’une cause. Mais elle ne peut pas dйsigner la relation а une cause matйrielle, parce que la charitй n’est
pas quelque chose de matйriel, mais de spirituel, ni non plus la relation а
la cause finale parce que Dieu est
le but а aimer par charitй ; mais pas la charitй ; de la mкme
maniиre aussi une relation а la cause efficiente
non plus, parce que l’Esprit saint est celui qui nous pousse а aimer, selon
cette parole de Rm 5, 5 : « La charitй de Dieu est diffusйe en nos
cњur par l’Esprit saint qui nous a йtй donnй » ; elle n’est pas
non plus la relation а la cause formelle,
parce que la charitй n’est pas une forme intrinsиque, puisqu’elle n’est pas
de l’essence de la chose, et elle n’est pas une forme extrinsиque exemplaire,
parce qu’ainsi tout ce qui est aimй par charitй serait attirй dans l’espиce
de charitй, comme les images sont tirйes а la forme de l’exemplaire. Donc les
crйatures raisonnables ne doivent pas кtre aimйes par charitй.
[66188] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 18 Praeterea, Augustinus dicit in I de Doctr. Christ., [cap.XXX], quod proximus est ille a quo nobis
beneficium impenditur. Sed a Deo nobis beneficia impenduntur. Ergo
Deus est proximus nobis; et ita inconvenienter ponitur ab Augustino Deus
aliud diligibile ex caritate, et aliud proximus.
18. En plus Augustin dit dans la Doctrine chrйtienne I, 30, que le
prochain est celui qui nous accorde un bienfait. Mais Dieu nous accorde ses
bienfaits. Donc Dieu est le prochain pour nous, et ainsi de maniиre
inconvenante, Augustin pense que Dieu est quelque chose digne d’кtre aimй
diffйrent du prochain.
[66189] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 19 Praeterea, cum Christus sit mediator inter Deum et hominem, videtur
quod debeat poni aliud diligibile quam Deus et quam proximus; et sic sunt
quinque in caritate diligibilia, et non tantum quatuor, ut Augustinus dicit.
19. Comme le Christ est le mйdiateur entre
Dieu et l’homme, il semble qu’on devrait placer une autre chose aimable que
Dieu et le prochain et ainsi il y a cinq choses aimables en charitй et non
seulement quatre comme le dit Augustin.
En
sens contraire :
[66190] De virtutibus, q. 2 a.
7 s. c. Sed contra, est quod dicitur Levit.,
XIX, 18 : Diliges proximum tuum sicut
teipsum. Glossa : Proximum non
tantum propinquitate sanguinis, sed societate rationis. Ergo secundum
quod aliquid habet societatem nobiscum in natura rationali, sic est
diligibile ex caritate. Natura ergo rationalis est obiectum caritatis.
7. Il y a ce qui est dit en Lv 19, 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme. La glose dit : « Non seulement le prochain par proximitй de
sang, mais par communautй de nature ». Donc selon que quelque chose
a une communautй avec nous dans la nature raisonnable, il peut ainsi кtre
aimй par charitй. Donc la nature raisonnable est objet de charitй.
Rйponse
:
[66191] De virtutibus, q. 2 a.
7 co. Respondeo. Dicendum, quod cum quaeritur de his quae subiiciuntur actui
alicuius potentiae vel habitus, oportet considerare formalem rationem obiecti
illius potentiae vel habitus. Secundum enim quod aliqua se habent ad illam
rationem, sic se habent ad hoc quod subiiciantur illi potentiae vel habitui :
sicut visibilia secundum quod se habent ad rationem visibilis, secundum
eamdem rationem habent visibilia quod sint visibilia per se vel per accidens.
Quand on fait une recherche sur ce qui est
soumis а l’acte d’une puissance ou d’un habitus, il est nйcessaire de
considйrer la raison formelle de l’objet de cette puissance ou de cet
habitus. Car selon comment se comportent certaines choses vis-а-vis de cette
nature, elles se comportent pour les soumettre а cette puissance ou а cet
habitus : de mкme que ce qui est visible selon qu’il se comporte vis-а-vis de
la raison du visible, selon une mкme raison ce qui est visible a qu’il est
visible par soi ou par accident.
Cum autem amoris universaliter
sumpti obiectum sit bonum communiter sumptum, necesse est quod cuiuslibet
specialis amoris sit aliquod speciale bonum obiectum : sicut amicitiae
naturalis, quae est ad consanguineos, proprium obiectum est bonum naturale,
secundum quod trahitur a parentibus; in amicitia autem politica obiectum est
bonum civitatis. Unde et caritas habet quoddam speciale bonum ut proprium
obiectum, scilicet bonum beatitudinis divinae, ut supra, art. 4 huius
quaest., dictum est. Secundum igitur quod aliqua se habent ad hoc bonum, sic
se habent ad hoc quod sint diligibilia ex caritate.
Mais comme l’objet de l’amour pris
universellement est un bien pris communйment, il est nйcessaire que de
n’importe quelle amour particulier, il y ait un bien particulier comme objet;
de mкme que de l’amitiй naturelle, qui concerne les consanguins, l’objet
propre est le bien naturel, selon qu’il vient des parents, mais dans l’amitiй
politique, l’objet est le bien de la citй. C’est pourquoi la charitй aussi a
un bien particulier comme objet propre, а savoir le bien de la bйatitude
divine, comme il a йtй dit ci-dessus, article 4 de cette question. Donc selon
que certains se comportent vis-а-vis de ce bien, ainsi il se comportent
vis-а-vis de ce qui peut кtre aimй par charitй
Sed considerandum est, quod cum
amare sit velle bonum alicui, dupliciter
dicitur aliquid amari : aut sicut id cui volumus bonum, aut sicut bonum quod
volumus alicui.
Primo ergo modo illa
tantum possunt ex caritate amari quibus possumus velle bonum beatitudinis
aeternae; haec autem sunt quae nata sunt huiusmodi bonum habere. Unde, cum
sola intellectualis natura sit nata habere bonum beatitudinis aeternae; sola
intellectualis natura est ex caritate diligibilis, secundum quod diligi
dicuntur ea quibus volumus bonum.
Mais il faut considйrer que comme aimer
c’est vouloir du bien а quelqu'un, on dit de deux maniиres qu’on aime quelque chose : ou bien comme ce а quoi
nous voulons du bien, ou bien comme le bien que nous voulons а quelqu'un.
a.
De la premiиre maniиre donc peuvent
кtre aimйs par charitй seulement ceux а qui nous pouvons vouloir le bien de
la bйatitude йternelle. ; ce sont ceux qui sont destinйs а avoir un bien
de ce genre. C'est pourquoi comme seule la nature intellectuelle est destinйe
а avoir le bien de la bйatitude йternelle, seule elle peut кtre aimйe par
charitй, selon qu’on dit que sont aimйs ceux а quoi nous voulons du bien.
Et propter hoc, secundum quod diversimode
aliqua possunt habere beatitudinem aeternam, secundum hoc distinguuntur ab
Augustino [lib. 1 de Doct. Christ., c.
XXIII quatuor diligenda ex
caritate.
Est
enim aliquid habens beatitudinem aeternam per suam essentiam, et hoc est
Deus; et aliquid habens per participationem, et hoc est creatura rationalis;
tam illa quae diligit, quam aliae creaturae, quae ei associari possunt in
participatione beatitudinis. Aliquid autem est ad quod pertinet habere
beatitudinem aeternam per solam redundantiam quamdam, sicut corpus nostrum,
quod glorificatur per redundantiam gloriae ab anima in ipsum.
Et а cause de cela selon que diverses
maniиres certaines peuvent avoir la bйatitude йternelle, sous ce rapport
Augustin (La doctrine chrйtienne,
I, 23) en distingue quatre qui
doivent кtre aimйs par charitй.
Car
il y a quelque chose qui a la bйatitude eternelle par son essence et qui est
Dieu ; et quelque chose qui l’a par participation c’est la crйature
raisonnable ; tant cell qui aime que les autres crйatures, qui peuvent
lui кtre associйes dans la participation de la bйatitude. Mais il y a quelque
chose а quoi il convient d’avoir la bйatitude йternelle par un seul excиs, de
mкme que notre corps, qui est glorifiй par l’excиs de la gloire de l’вme en
lui-mкme.
Unde diligendus est ex caritate Deus ut
radix beatitudinis; quilibet autem homo debet seipsum ex caritate diligere,
ut participet beatitudinem; proximum autem ut socium in participatione
beatitudinis; corpus autem proprium secundum quod ad ipsum redundat
beatitudo.
Secundo vero modo, prout scilicet dicuntur diligi
illa bona quae volumus aliis, diligi possunt ex caritate omnia bona, in
quantum sunt quaedam bona eorum qui possunt habere beatitudinem.
C'est pourquoi il faut aimer Dieu par
charitй comme la racine de la bйatitude ; mais n’importe quel homme doit
aimer lui-mкme par charitй, pour participer а la bйatitude, mais le prochain
comme associй а la participation de la bйatitude, mais le propre corps selon
que la bйatitude dйborde en lui.
b. Deuxiиme maniиre, dans la mesure oщ on dit que ces
biens que nous voulons pour les autres sont aimйs, tous ces biens peuvent
кtre aimйs par charitй dans la mesure oщ ils sont les biens de ceux qui
peuvent possйder la bйatitude.
Omnes enim creaturae sunt homini via ad
tendendum in beatitudinem; et iterum omnes creaturae ordinantur ad gloriam
Dei, in quantum in eis divina bonitas manifestatur. Nunc igitur omnia ex
caritate diligere possumus, ordinando tamen ea in illa quae beatitudinem habent,
vel habere possunt.
Considerandum
etiam est, quod sic se habent dilectiones ad invicem, sicut et bona quae sunt
earum obiecta. Unde, cum omnia bona humana ordinentur in beatitudinem
aeternam sicut in ultimum finem, dilectio caritatis sub se comprehendit omnes
dilectiones humanas, nisi tantum illas quae fundantur super peccatum, quod
non est ordinabile in beatitudinem. Unde quod aliqui consanguinei diligant se
invicem, vel aliqui concives, vel simul peregrinantes, vel quicumque tales,
potest esse meritorium et ex caritate; sed quod aliqui ament se invicem
propter communicationem in rapina vel adulterio, hoc non potest esse
meritorium neque ex caritate.
Car toutes les crйatures sont chemin pour
l’homme pour tendre а la bйatitude et en plus toutes les crйatures sont
ordonnйes а la gloire de Dieu dans la mesure oщ la bontй divine se manifeste
en eux. Donc maintenant nous pouvons tout aimer par charitй, en ordonnant
cependant en elle ce qui a la bйatitude ou qui peut l’avoir.
Mais
il faut considйrer qu’ainsi se comportent les amours entre eux, comme les
biens qui sont leurs objets. C'est pourquoi comme tous les biens humains sont
ordonnйs а la bйatitude йternelle, comme а leur fin ultime, l’amour de
charitй comprend sous lui tous les amours humains, sauf seulement ceux qui
sont fondйs sur le pйchй, qui ne peut pas кtre ordonnй а la bйatitude. C'est
pourquoi le fait que certains parents s’aiment entre eux, ou certains
concitoyens, ou ceux qui marchent ensemble, ou quiconque de tel, peut кtre
mйritoire et par charitй, mais que certains s’aiment entre eux pour
s’associerer dans le vol ou l’adultиre, cela ne peut pas кtre mйritoire mкme
par charitй non plus.
Solutions :
[66192] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtutem et beatitudinem diligimus ex caritate, in
quantum hoc volumus his quibus competit habere beatitudinem.
1. Nous aimons la vertu et la bйatitude
par charitй, en tant que nous le voulons pour ceux а qui il convient de la
possйder.
[66193] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Deus diligit omnia ex caritate, non ita quod velit
eis beatitudinem, sed ordinans ea ad seipsum, et ad alia quae beatitudinem
habere possunt.
2. Dieu aime tout par charitй, non de
sorte qu’il veuille pour toutes choses la bйatitude, mais en les ordonnant а
lui-mкme et а d’autres qui peuvent possйder la bйatitude.
[66194] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod omnia bona sunt in Deo sicut in primo principio; et
sic Origenes intellexit, quod unum est diligere Deum et quaecumque bona.
3. Tous les biens sont en Dieu comme dans
le premier principe, et Origиne a pensй ainsi que c’est une seule (et mкme)
chose d’aimer Dieu et n’importe quels biens.
[66195] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod omnia diligere possumus meritorie, ordinando ea in
illa quae sunt capacia beatitudinis, non autem volendo eis beatitudinem.
4. Nous pouvons aimer toutes choses de
maniиre mйritoire, en les ordonnant en ce qui est capable de bйatitude, mais
pas en voulant la bйatitude pour eux.
[66196] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod in bono universi sicut principium continetur
rationalis natura, quae est capax beatitudinis, ad quam omnes aliae creaturae
ordinantur; et secundum hoc competit et Deo et nobis bonum universi maxime ex
caritate diligere.
5. Dans le bien universel la nature
raisonnable est contenue comme principe, elle qui est capable de bйatitude, а
laquelle toutes les autres crйatures sont ordonnйes, et selon cela il
convient а Dieu et а nous d’aimer surtout par charitй le bien de l’univers.
[66197] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut
caritas credit omnia credibilia, ita diligit omnia secundum quod sunt ex
caritate diligibilia.
6. De mкme que la charitй croit tous de
qui est crйdible, de mкme elle aime toutes choses selon qu’elles sont dignes
d’кtre aimйes par charitй.
[66198] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deum non possumus hic illa perfectione diligere qua
diligemus eum in patria, per essentiam videntes.
7. Nous ne pouvons aimer Dieu avec cette
perfection par laquelle nous l’aimerons dans la patrie, en le voyant par son
essence.
[66199] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod distantia creaturarum aliquarum non est causa cur non diligantur
ex caritate, sed quia non sunt capaces beatitudinis.
8. L’йloignement de certaines crйatures
n’est pas la cause pour laquelle elles ne sont pas aimйes par charitй, mais
parce qu’elles ne sont pas capables de bйatitude.
[66200] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod Angeli non communicant nobiscum in vita naturae quantum
ad speciem, sed solum quantum ad genus rationalis naturae; sed possumus cum
eis communicare in vita gloriae. Quod autem dicitur : Dedit unicuique secundum propriam virtutem, non est referendum
tantum ad virtutem naturae : erroneum est enim dicere, quod dona gratiae et
gloriae dentur secundum mensuram naturalium; sed intelligenda est virtus quae
est etiam per gratiam, per quam datur hominibus ut possint mereri aequalem
gloriam Angelis.
9. Les anges n’ont pas de rapport avec
nous dans la vie de la nature, pour ce qui concerne l’espиce, mais seulement
pour ce qui concerne le genre de nature douйe de raison ; mais nous
pouvons avoir des rapports avec eux dans la vie de gloire. Ce qui est dit (Mt 25, 15) : « Il a donnй а chacun selon sa propre
capacitй », ne doit pas кtre rapportй seulement au pouvoir de la
nature, car il est faux de dire que les dons de la grвce et de la gloire sont
donnйs selon la mesure de ce qui est naturel, mais il faut penser la vertu
qui est aussi par grвce, par laquelle il est donnй aux hommes de pouvoir
mйriter une gloire йgale а celle des anges.
[66201] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod lex scripta data est in auxilium legis naturae quae
erat obtenebrata per peccatum. Non autem erat sic
obtenebrata quin moveret ad diligendum, ad hoc quod homo diligeret seipsum et
corpus suum; sed erat obtenebrata quantum ad hoc quod non movebat in
dilectionem Dei et proximi. Et ideo in lege scripta danda fuerunt praecepta
de dilectione Dei et proximi, in quibus tamen comprehenditur etiam quod
aliquis diligat seipsum : quia cum inducimur ad diligendum Deum, inducimur ad
desiderandum Deum, per quod maxime nos ipsos amamus, volentes nobis summum
bonum. In praecepto autem de dilectione proximi dicitur : Diliges proximum tuum sicut teipsum;
in quo includitur dilectio sui ipsius.
10. La loi йcrite a йtй donnйe en aide а
la loi de nature qui йtait obscurcie par le pйchй. Mais elle n’йtait pas
obscurcie au point de pousser а aimer, а ce que l’homme s’aime lui-mкme et
aime son corps ; mais elle est obscurcie quant au fait qu’elle ne
poussait pas а l’amour de Dieu et du prochain. Et c'est pourquoi dans la loi
йcrite il a fallu donner des prйceptes d’amour de Dieu et du prochain, en qui
cependant il est inclus aussi que chacun s’aime lui-mкme ; parce que,
comme nous sommes amenйs а aimer Dieu, nous sommes amenйs а le dйsirer, du
fait que nous nous aimons le plus nous-mкmes, en voulant pour nous le bien
suprкme. Mais dans le prйcepte sur l’amour du prochain il est dit : « Tu aimeras ton prochain comme
toi-mкme » ; en quoi est inclus l’amour de soi.
[66202] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod licet amicitia non possit haberi ad seipsum, proprie
loquendo; tamen amor ad seipsum habetur : ut enim dicitur in IX Ethic.,
amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad
seipsum. Secundum vero quod caritas significat amorem, sic aliquis seipsum ex
caritate diligere potest. Sed Gregorius loquitur de caritate secundum quod
includit rationem amicitiae.
11. Bien que l’amitiй ne puisse pas кtre
possйdйe pour elle-mкme, а proprement parler, cependant l’amour est possйdй
pour lui-mкme ; en effet, comme il est dit en Йthique, IX, 4, 1166 a ) ; ce qui est amical pour un autre,
vient de ce qui est amical pour soi. Mais selon que la charitй signifie
l’amour, quelqu’un peut s’aimer lui-mкme par charitй. Mais Grйgoire parle de
charitй selon qu’elle inclut la nature de l’amitiй.
[66203] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod licet amicitia sit in communicatione ad alterum,
sicut et iustitia, tamen amor non de necessitate est ad alterum, qui sufficit
ad rationem caritatis.
12. Bien que l’amitiй soit en rapport avec
un autre, comme la justice aussi, cependant l’amour n’est pas nйcessairement
pour un autre, pour suffire а la nature de la charitй.
[66204] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod amantes seipsos vituperantur, in quantum plus
debito seipsos diligunt : quod quidem non contingit quantum ad bona
spiritualia, quia nullus potest nimis amare virtutes; sed quantum ad bona
exteriora et corporalia potest aliquis nimis amare seipsum.
13. Ceux qui s’aiment eux-mкmes sont
blвmйs en tant qu'ils s'aiment plus que ce qui est dы ; ce qui n’arrive
pas pour les biens spirituels, parce que personne ne peut trop aimer les
vertus, mais pour ce qui concerne les biens extйrieurs et les biens corporels
quelqu’un peut s’aimer trop lui-mкme.
[66205] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quicumque amat seipsum secundum
exteriorem naturam, culpatur, sed qui exteriora bona quaerit ultra modum
virtutis; et sic ex caritate corpus nostrum diligere possumus.
14. Ce n’est pas n’importe qui qui s’aime
lui-mкme selon sa nature extйrieure qui est blвmй, mais celui qui cherche les
biens extйrieurs, au-delа de la mesure de sa capacitй, et ainsi nous pouvons
aimer notre corps par charitй.
[66206] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non refugit corpus, sed
corporis corruptionem, in quantum corpus,
quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapientiae IX, 15; et propter hoc apostolus significanter dixit, De corpore mortis huius.
15. La charitй ne s’йcarte pas du corps
mais de sa corruption, en tant que le
corps qui est corrompu, alourdit l’вme », comme il est dit en Sg. 9, 15 ; et а cause de cela
l’apфtre dit de maniиre significative, « Ce corps de mort ».
[66207] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ex hoc quod homo nescit pro certo se
habere caritatem, non sequitur quod non possit ex caritate diligere, sed quod
non possit iudicare an ex caritate diligat. Unde a nobis requiri potest quod
ex caritate diligamus, non autem quod iudicemus nos ex caritate diligere.
Unde apostolus dicit, I ad Cor. cap. IV, 3 : Neque meipsum iudico; sed qui iudicat me, dominus est.
16. Du fait que l’homme ignore en
certitude qu’il possиde la charitй, il n’en dйcoule pas qu’il ne puisse pas
aimer par charitй, mais qu’il ne peut pas juger s’il aime par charitй. C'est
pourquoi il peut кtre requis de nous d’aimer par charitй, mais non de juger
que nous aimons par charitй. C'est pourquoi l’apфtre dit (1 Co 4, 3) : « Et je ne me juge pas moi-mкme, mais celui
qui me juge, c’est le Seigneur ».
[66208] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod cum dicitur aliquis diligere
proximum ex caritate, haec praepositio ex potest designare habitudinem causae
finalis, efficientis et formalis. Finalis quidem, in quantum
dilectio proximi ordinatur ad dilectionem Dei sicut ad finem; unde dicitur I
ad Timoth. I, 5 : Finis praecepti est caritas, quia
scilicet dilectio Dei est finis observationis praeceptorum. In habitudine
autem causae efficientis, in quantum caritas est habitus inclinans ad
diligendum, sic se habens ad actum dilectionis, sicut calor ad calefactionem.
In habitudine autem causae formalis, in quantum actus recipit speciem ab
habitu, sicut et calefactio a calore.
17. Quand on dit que quelqu'un aime son
prochain par charitй, cette prйposition par
(ex) peut dйsigner une relation
de la cause finale, efficiente et formelle. La cause finale, en tant que
l’amour du prochain est ordonnй а l’amour de Dieu comme а une fin ;
c'est pourquoi il est dit (1 Tm 1, 5)
: « La fin du prйcepte est la
charitй », parce que l’amour de Dieu est le but de l’observation des
prйceptes. Mais dans une relation de la cause efficiente, en tant que la
charitй est un habitus qui incline а aimer, il se comporte ainsi pour un acte
d’amour, comme la chaleur pour le rйchauffement. Dans la relation de la cause
formelle, en tant que l’acte reзoit la forme de l’habitus, comme le
rйchauffement de la chaleur.
[66209] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio proximi salvatur et in eo qui
dat beneficia, et in eo qui recipit, non tamen quod quicumque dat beneficia,
sit proximus; sed requiritur quod inter proximos sint communicantia in aliquo
ordine; unde Deus licet det beneficia, non tamen potest dici nobis proximus;
sed Christus, in quantum est homo, dicitur nobis proximus, prout nobis dat
beneficia.
18. La nature de prochain est conservйe en
celui qui donne les bienfaits et en celui qui les reзoit, non cependant que
chacun de ceux qui donne des bienfaits soit le prochain ; mais il est
requis que parmi les proches il y ait ce qui communique en un certain
ordre ; c'est pourquoi, bien que Dieu donne des bienfaits, on ne peut
pas dire qu’il est notre prochain, mais on dit que le Christ, en tant
qu’homme, est notre prochain, dans la mesure oщ il nous donne des bienfaits.
[66210] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 19 Unde patet responsio ad ultimum.
19. C'est pourquoi on voit la rйponse а la
derniиre objection.
[66213]De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 1 Quod enim cadit sub
praecepto, non est de perfectione consilii. Sed diligere inimicum cadit sub
praecepto illo, videlicet : Diliges proximum tuum sicut
teipsum : nam nomine proximi intelligitur
omnis homo, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina
Christiana, cap. XXX. Ergo diligere inimicum non
est de perfectione consilii.
1. En effet ce qui tombe sous le prйcepte
ne concerne pas la perfection du conseil. Mais aimer son ennemi tombe sous ce
prйcepte « Tu aimeras ton prochain
comme toi-mкme ». Car sous le nom de prochain, on comprend tout
homme, comme dit Augustin dans La
Doctrine chrйtienne, 30. Donc aimer son ennemi n'est pas de la perfection
du conseil.
[66214] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 2 Sed
dicendum, quod est de
perfectione consilii dilectio inimicorum quantum ad exhibitionem
familiaritatis, et aliorum effectuum caritatis.- Sed contra, omnem proximum tenemur ex caritate diligere. Sed
dilectio caritatis non est tantum in corde, sed etiam in opere : dicitur enim
I Ioan. III, 18 : Non diligamus verbo, neque lingua, sed
opere et veritate. Ergo etiam quantum ad effectus caritatis dilectio
inimicorum cadit sub praecepto.
2. Mais il faut dire que l'amour des ennemis concerne la perfection du
conseil pour reprйsenter l’amitiй et les autres effets de la charitй. Mais en sens contraire nous sommes tenus
d'aimer tout le prochain par charitй. Mais l'amour de charitй n'est pas
seulement dans le cњur mais aussi en acte, car il est dit en 1 Jn 3, 18 : « N'aimons pas en parole ni en langue, mais
en acte et en vйritй». Donc c'est aussi quant aux effets de la charitй
que l'amour des ennemis tombe sous le prйcepte.
[66215] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 3 Praeterea, Matth. V, 44, similiter dicitur : Diligite inimicos vestros, et benefacite his qui oderunt vos. Si
igitur diligere inimicos cadit sub praecepto, et benefacere eis cadit sub
praecepto; quod pertinet ad effectus caritatis.
3. En outre, en Mt 5, 44, il est dit pareillement : "Aimez vos ennemis, et faites du bien а ceux qui vous haпssent".
Si donc aimer les ennemis tombe sous le prйcepte, leur faire du bien aussi
tombe sous le prйcepte ; ce qui va avec les effets de la charitй.
[66216] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 4 Praeterea, ea quae pertinent ad
perfectionem consiliorum, non fuerunt in veteri lege tradita : quia, ut
dicitur Hebr. VII, 19, Nihil perfectum adduxit lex. Sed in
veteri lege fuit traditum quod ad inimicos non solum affectus dilectionis
haberetur, sed etiam effectus dilectionis eis impenderetur; dicitur enim Exod. XXIII, 4 : Si occurreris bovi inimici tui aut asino erranti, reduc ad eum;- Levit. XIX, 17 : Ne oderis fratrem tuum in corde tuo; sed publice argue eum, ne habeas
super illo peccatum;- et Iob
XXXI, vv. 29-30 : Si gavisus sum ad
ruinam eius qui me oderat, et exultavi, quod invenisset eum malum : non enim
dedi ad peccandum guttur meum;- et Prov.
XXV, 21 : Si esurierit inimicus tuus,
ciba illum; si sitiverit, da ei aquam bibere. Ergo diligere inimicum
etiam quantum ad exibitionem effectuum caritatis, non est de perfectione
consilii.
4. En outre, ce qui convient а la
perfection des conseils ne fut pas transmis dans l'Ancienne Loi, car, comme
il est dit Hb 7, 19, « La loi n'a rien amenй а la perfection ».
Mais dans l'Ancienne Loi, il est rapportй qu’il y avait un sentiment d’amour
pour les ennemis, mais aussi qu’il йtait mis en pratique, car il est dit en Ex 23, 4 : « Si tu rencontres le bњuf de ton ennemi ou son вne errant, ramиne-le
lui » ; en Lv 19, 17 :
« Ne hais pas ton frиre dans ton
cњur, mais publiquement convainc-le d'erreur, afin de ne pas avoir de pйchй а
son sujet » ; en Jb 41,
29-30 : « Me suis-je rйjoui de la
ruine de celui qui me haпssait, ai-je exultй parce que le malheur l'avait
atteint : je n'ai pas permis en effet а mon gosier de pйcher » ; et
en Pv 25, 21 : « Si ton ennemi a faim, nourris-le. S'il a
soif, donne-lui de l'eau а boire ». Donc aimer l'ennemi aussi en
montrant les effets de la charitй, ce n'est pas de la perfection du conseil.
[66217] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 5 Praeterea, consilium non contrariatur
legis praecepto; unde dominus, perfectionem novae legis traditurus, praemisit
Matth.V, v. 17 : Non veni solvere legem, sed adimplere.
Diligere autem inimicos videtur contrariari praecepto legis : quia dicitur Matth. cap. V, 43 : Diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. Ergo dilectio
inimicorum non cadit sub perfectione consilii.
5. En outre, le conseil ne contredit pas
le prйcepte de la Loi ; c'est pourquoi le Seigneur, s'apprкtant а transmettre
la perfection de la Loi nouvelle, commenзa par annoncer (Mt 5, 17) : "Je ne
suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir". Or aimer les ennemis
paraоt s’opposer au prйcepte de la Loi, car il est dit en Mt 5, 43 : "Tu aimeras ton ami et tu haпras ton ennemi[53] ». Donc l'amour des
ennemis ne tombe pas sous la perfection du conseil.
[66218] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 6 Praeterea, dilectio habet
proprium obiectum in quod inclinat, quia, sicut dicit Augustinus, De Doctrina christ., [cap. XXX] : Pondus meum est amor meus. Sed
proprium obiectum dilectionis non videtur esse inimicus, sed magis dilectioni
repugnans. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat
inimicum.
6. En outre, l'amour a un objet propre
vers lequel il incline, car comme le dit Augustin,(La Doctrine chrйtienne,
I, 30[54]) : "Ma lourde charge c'est l’amour".
Mais l'ennemi ne semble pas кtre l’objet propre de l'amour, mais plutфt il
s’y oppose. Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un
ennemi.
7. En outre, la perfection de
la vertu n’est pas opposйe а l'inclination naturelle, mais plutфt
l'inclination naturelle est accomplie grвce а la vertu. Or la nature incite а
haпr son ennemi, car tout ce qui est naturel repousse son contraire. Donc ce
n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un ennemi.
[66220] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 8 Praeterea, perfectio caritatis et
cuiuslibet virtutis consistit in assimilatione ad Deum. Sed Deus amicos
diligit, et inimicos odit, secundum illud Malach.
I, 2 : Iacob dilexi, Esau odio habui.
Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat inimicos, sed
magis quod eos odio habeat.
8. En outre, la perfection de la charitй -
et de n'importe quelle vertu - consiste а devenir semblable а Dieu. Mais Dieu
aime ses amis et hait ses ennemis, selon cette [parole] de Malachie 1, 2 : « J'ai aimй Jacob, j'ai haп Esaь ».
Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer ses ennemis, mais
plutфt de les haпr.
[66221] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 9 Praeterea, dilectio caritatis directe
respicit bonum vitae aeternae. Sed aliquibus inimicis nostris non debemus
velle bonum vitae aeternae; quia vel sunt damnati in inferno, vel adhuc
viventes sunt reprobati a Deo. Ergo diligere inimicos non pertinet ad perfectionem
caritatis.
9. En outre, l'amour de charitй regarde
directement le bien de la vie йternelle. Mais nous ne devons pas le vouloir
pour nos ennemis, car soit ils ont йtй damnйs en enfer, soit encore vivants
ils sont rйprouvйs par Dieu. Donc aimer ses ennemis ne convient pas а la
perfection de la charitй.
[66222] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 10 Praeterea, eum quem tenemur ex caritate
diligere, non possumus licite occidere, nec velle eius mortem, aut quodcumque
malum : quia de ratione amicitiae est quod amicos velimus esse et vivere. Sed nos
licite possumus aliquos occidere; quia, secundum apostolum, Rom. XIII, 4 : Potestas
saecularis Dei minister est, vindex in iram ei qui male agit. Non ergo
tenemur inimicos diligere.
10. En outre, celui que nous sommes tenus
d'aimer par charitй, nous ne pouvons lйgalement le tuer, ni vouloir sa mort
ou un mal quelconque, car il est de la nature de l'amitiй de vouloir que nos
amis existent et vivent. Mais nous pouvons lйgalement en tuer certains, car
selon l'apфtre, Rm 13, 4, "L’autoritй du siиcle[55] est l’instrument de Dieu, celui qui punit dans la colиre celui qui
agit mal". Donc nous ne sommes pas tenus d'aimer nos ennemis.
[66223] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 11 Praeterea, philosophus in Lib. Topicorum [ lib. II, cap. III] docet sic
argumentari in contrariis. Si diligere amicos est bonum et eis benefacere;
diligere inimicos et eis benefacere malum est. Sed nullum malum perfectionem
habet caritatis, nec cadit sub consilio. Ergo diligere inimicum non pertinet ad perfectionem consilii.
11. En outre, le Philosophe (Les Topiques II, 3, cf. 110 a 33) enseigne
а argumenter ainsi dans les contradictions : Si aimer ses amis et leur rendre
service est un bien, aimer ses ennemis et leur rendre service est un mal.
Mais aucun mal n'a la perfection de la charitй ni ne tombe sous le conseil.
Donc aimer un ennemi ne convient pas а la perfection du conseil.
[66224] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 12 Praeterea, amicus et inimicus sunt
contraria. Ergo et diligere amicum et diligere inimicum sunt contraria.
Contraria autem non possunt esse simul. Cum igitur teneamur ex caritate
diligere amicos, non potest cadere sub consilio quod inimicos diligamus.
12. En outre, l'ami et
l'ennemi sont des contraires. Donc aimer un ami et aimer un ennemi sont des
contraires. Or les contraires ne peuvent exister en mкme temps. Donc puisque
nous sommes tenus d'aimer nos amis par charitй, il ne peut tomber sous le
conseil que nous aimions nos ennemis.
[66225] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 13 Praeterea, consilium non potest esse sub
impossibili. Sed diligere inimicum videtur impossibile, cum sit contra
inclinationem naturae. Ergo diligere inimicum non cadit sub consilio.
13. En outre, le conseil ne peut concerner
l'impossible. Or aimer un ennemi paraоt impossible, puisque c'est contre
l'inclination naturelle. Donc aimer l'ennemi ne tombe pas sous le conseil.
[66226] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 14 Praeterea, implere consilia perfectorum
est. Perfecti autem maxime fuerunt apostoli, qui tamen non dilexerunt inimicos
quantum ad affectum et effectum : legitur enim de beato Thoma apostolo, quod
imprecatus fuit illi qui manu alapam ei dederat, ut manus eius in convivio a
canibus deportaretur. Ergo
diligere inimicos quantum ad affectum et effectum non cadit sub perfectione
consilii.
14. En outre, accomplir les conseils
appartient aux parfaits. Or les parfaits furent surtout les apфtres, qui
pourtant n'ont pas aimй leurs ennemis affectivement ni effectivement. En
effet on lit du bienheureux Thomas apфtre, qu'il souhaita а celui qui lui
avait donnй une gifle de sa main, que dans un banquet scelle-ci soit emportйe
par les chiens. Donc aimer ses ennemis affectivement et effectivement ne
tombe pas sous la perfection du conseil.
[66227] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 15 Praeterea, imprecari mala, praecipue
damnationis aeternae opponitur dilectioni et quantum ad affectum, et quantum
ad effectum. Sed prophetae imprecati sunt mala suis adversariis : dicitur
enim in Psalm. LXVIII, 29 : Deleantur de libro vitae, cum iustis non
scribantur; et iterum Psalm.
LIV, 16 : Veniat mors super illos, et
descendant in infernum viventes. Ergo diligere inimicos non est de
perfectione caritatis.
15. En outre, souhaiter du mal,
principalement celui de la damnation йternelle, s'oppose а l'amour affectivement
et effectivement. Mais les prophиtes ont souhaitй des maux а leurs
adversaires ; en effet il est dit dans le Ps
68, 29 : "Qu'ils soient effacйs du
livre de vie, qu'ils ne soient pas inscrits avec les justes", et
encore dans le Ps 54, 16 : "Que la mort vienne sur eux, et qu'ils
descendent vivants en enfer". Donc aimer les ennemis n'est pas de la
perfection de la charitй.
[66228] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 16 Praeterea, de ratione amicitiae verae est
ut aliquis propter seipsum diligatur : caritas autem includit amicitiam sicut
perfectum minus perfectum. Diligere autem inimicum propter seipsum,
contrariatur caritati; quia solus Deus propter seipsum diligitur. Non ergo
cadit sub consilii perfectione ut inimicus diligatur.
16. En outre, il est dans la nature de la
vraie amitiй d’кtre aimй pour soi-mкme. Mais la charitй inclut l'amitiй,
comme le parfait inclut le moins parfait. Or aimer un ennemi pour lui-mкme
est contraire а la charitй, car seul Dieu est aimй pour lui-mкme. Donc il ne
tombe pas sous la perfection du conseil d’aimer un ennemi.
[66229] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 17 Praeterea, id quod cadit sub perfectione
consilii, melius est et magis meritorium quam id quod sub necessitate
praecepti. Sed diligere inimicum non est melius neque melioris meriti quam
diligere amicum, quod manifeste cadit sub necessitate praecepti : quia si
bonum est diligere aliquod bonum, melius est et magis meritorium diligere
quod melius est. Melior autem est amicus inimico. Non ergo diligere inimicum
est de perfectione consilii.
17. En outre, ce
qui tombe sous la perfection du conseil est meilleur et plus mйritoire que ce
qui [tombe] sous la nйcessitй du prйcepte. Mais aimer un ennemi n'est pas
meilleur ni de de plus gran mйrite que d'aimer un ami, ce qui manifestement
tombe sous la nйcessitй du prйcepte ; parce que, s'il est bon d'aimer un
bien, il est meilleur et plus mйritoire d'aimer ce qui est meilleur. Or l'ami
est meilleur que l'ennemi. Donc aimer l'ennemi n'est pas de la perfection du
conseil.
[66230] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 18 Sed
dicebatur, quod diligere
inimicum maioris meriti est, quia est difficilius.- Sed contra, diligere inimicum est difficilius quam diligere Deum.
Ergo eadem ratione, maioris meriti esset diligere inimicum quam Deum.
18. Mais
on pourrait dire qu'aimer un ennemi est plus mйritoire, parce que c'est
plus difficile. Mais en sens contraire
: aimer un ennemi est plus difficile qu'aimer Dieu. Donc pour cette mкme
raison il serait plus mйritoire d'aimer un ennemi que [d'aimer] Dieu.
[66231] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 19 Praeterea, signum generati habitus est
delectatio operis, ut dicit philosophum in II Ethic. [cap. III]. Sed diligere amicum est delectabilius quam
diligere inimicum. Ergo etiam magis virtuosum, et, per consequens, magis meritorium;
et sic diligere inimicum non cadit sub perfectione consilii.
19. En outre, le signe de l'habitus
engendrй est la dйlectation de l'њuvre, comme dit le Philosophe en Ethique II, 3. Mais aimer un ami est
plus agrйable qu'aimer un ennemi. C’est donc aussi plus vertueux, et par
consйquent plus mйritoire ; et ainsi aimer l'ennemi ne tombe pas sous la
perfection du conseil.
En
sens contraire :
[66232] De virtutibus, q. 2 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit in
Enchir. [LXXXIII] : Perfectorum
filiorum Dei est diligere inimicos : in quo quidem se quilibet debet fidelem
ostendere.
Il y a ce qu'Augustin dit dans l’Enchiridion, 83 : « Il appartient aux fils parfaits de Dieu
d'aimer leurs ennemis, en quoi n'importe qui doit se montrer fidиle ».
Rйponse
:
[66233] De
virtutibus, q. 2 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod diligere inimicos aliquo modo
cadit sub necessitate praecepti, et aliquo modo sub consilii perfectione. Ad
cuius evidentiam sciendum est, quod sicut supra, art. 4 huius quaest., dictum
est, proprium et per se obiectum caritatis est Deus; et quidquid ex caritate
diligitur, ea ratione diligitur qua ad Deum pertinet, sicut si diligimus
aliquem hominem, diligimus per consequens omnes ei attinentes, etiam si sint
nobis inimici. Constat autem quod omnes homines ad Deum pertinent, in quantum
sunt ab ipso creati, et capaces beatitudinis, quae in fruitione ipsius
consistit. Manifestum est ergo, quod ista ratio dilectionis quam respicit
caritas in omnibus hominibus invenitur
Sic ergo, in eo qui contra nos inimicitiam exercet, est duo invenire :
unum quod est ratio dilectionis, scilicet quod ad Deum pertinet; et aliud
quod est ratio odii, scilicet quod nobis adversatur. In quocumque autem
invenitur ratio dilectionis et ratio odii si praetermissa dilectione in odium
convertamur, manifestum est quod id quod est ratio odii praeponderat in corde
nostro ei quod est ratio dilectionis. ritas, in omnibus hominibus invenitur.
Il faut dire
qu'aimer ses ennemis tombe en quelque faзon sous la nйcessitй du prйcepte, et
en quelque faзon sous la perfection du conseil. Pour en montrer l'йvidence,
il faut savoir que comme il est dit ci-dessus (article 4 de cette question)
l'objet propre et par soi de la charitй, c'est Dieu ; et tout ce qui est aimй
par charitй est aimй pour cette raison que cela concerne Dieu, de mкme que si
nous aimons un homme, nous aimons par consйquent tous ceux qui lui sont
proches, mкme si pour nous ce sont des ennemis. Or il est certain que tous
les hommes concernent Dieu, en tant que crййs par Lui et en tant qu’aptes а
la bйatitude, qui consiste dans sa fruition. Donc il est йvident que ce motif
d'aimer, que la charitй considиre, se trouve dans tous les hommes.
Ainsi donc, en celui qui marque de
l'inimitiй contre nous, il y a deux raisons а trouver : une qui est une
raison d'aimer, selon qu’il dйpend de Dieu, et l’autre qui est une raison de
haine, c'est-а-dire ce qu’il s'oppose а nous. En quiconque se trouvent une
raison d'amour et une raison de haine ; si, nйgligeant l'amour, nous nous tournons
vers la haine, il est йvident que ce qui est la raison de la haine l'emporte
dans notre cњur sur ce qui est la raison de l’amour.
Sic
ergo, si aliquis inimicum suum odio habeat, inimicitia illius praeponderat in
corde suo amori divino. Magis ergo odit amicitiam illius quam diligat Deum.
Tantum autem odimus aliquid, quantum diligimus bonum quod nobis per inimicum
subtrahitur. Relinquitur ergo quod quicumque inimicum odit, aliquod bonum
creatum diligit plus quam Deum; quod est contra praeceptum caritatis.
Ainsi donc, si quelqu'un hait son ennemi,
son inimitiй l'emporte dans son cњur sur l'amour divin. Donc il hait plus son
amitiй qu'il n'aime Dieu. Nous haпssons quelque chose en tant que nous aimons
le bien qui nous est soustrait par un ennemi. Donc il reste que quiconque
hait son ennemi aime un bien crйй plus que Dieu, ce qui est contre le
prйcepte de charitй.
Habere
igitur odio inimicum est contrarium caritati; unde necesse est quod si ex
praecepto caritatis tenemur quod dilectio Dei praeponderet in nobis
dilectioni cuiuslibet alterius rei, et per consequens odio contrarii.
Sequitur ergo quod ex necessitate praecepti teneamur diligere inimicos.
Donc haпr un ennemi est contraire а la
charitй ; c'est pourquoi il est nйcessaire que si nous sommes tenus, par le
prйcepte de charitй, а ce que l'amour de Dieu l'emporte en nous sur l'amour
de n'importe quelle autre chose, par consйquent aussi sur la haine de ce qui
nous est contraire. Donc il s'ensuit que nous sommes tenus, а cause de la
nйcessitй du prйcepte, d'aimer nos ennemis.
Sed
tunc considerandum, quod cum ex praecepto caritatis teneamur proximos
diligere, non se extendit ad hoc praeceptum quod quemlibet proximum actu
diligamus in speciali, aut unicuique specialiter bene faciamus : quia nullus
sufficeret ad cogitandum de omnibus hominibus, ut specialiter unumquemque
actu diligeret; nec etiam aliquis sufficeret ad benefaciendum vel serviendum
singulariter unicuique.
Mais alors il faut considйrer que puisque
nous sommes tenus par le prйcepte de charitй d'aimer le prochain, le prйcepte
ne s'йtend pas jusqu’а aimer n'importe quel homme proche en acte et en
particulier, ou faire du bien а chacun en particulier, car personne ne
suffirait pour penser а tous les hommes, de faзon а aimer chacun en
particulier et en acte, et personne non plus ne suffirait pour faire du bien
ou rendre service а chacun en particulier.
Tenemur
tamen etiam in speciali aliquos diligere, et eis prodesse, qui nobis aliqua
alia amicitiae ratione coniuncti sunt : nam omnes aliae licitae dilectiones
sub caritate comprehenduntur, ut supra dictum est; unde dicit Augustinus
[lib. I de Doctr. christ., cap.
XXVIII] :Cum omnibus prodesse non possis; his potissimum consulendum est, qui
pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius
tibi quasi quadam sorte iunguntur; pro sorte enim habendum est prout quisque
tibi temporaliter colligatius adhaeret, ex quo eligis potius illi dandum esse.
Cependant nous sommes tenus aussi d'aimer certains
en particulier, et d'кtre utiles а ceux qui nous sont unis par quelque autre
raison d'amitiй ; car toutes les autres amours licites sont comprises dans la
charitй, comme il a йtй dit plus haut, ainsi Augustin (La Doctrine chrйtienne, I, 28),
dit : " Comme tu ne peux кtre
utile а tous, il te faut dйcider [de l'кtre] plutфt а ceux qui, en raison du
lieu, du temps ou de n'importe quelles circonstances, te sont unis par un
certain hasard; en effet il faut considйrer que c'est par hasard dans la
mesure oщ chacun s’attache а toi plus йtroitement selon le temps, а partir de
quoi tu choisis que c'est plutфt а lui qu'il faut donner".
Ex
quo patet quod non tenemur ex caritatis praecepto ut dilectionis affectu vel
operis effectu moveamur in speciali ad eum qui nulla alia constrictione nobis
coniungitur, nisi forte pro loco et tempore; utpote si videremus eum in
aliqua necessitate per quam sine nobis ei succurri non posset. Tenemur tamen
affectu et effectu caritatis, quo omnes proximos diligimus, et pro omnibus
oramus, non excludere etiam illos qui nulla nobis speciali constrictione
coniunguntur, ut puta illos qui sunt in India vel in Aethiopia.
D'oщ il est clair que nous ne sommes pas
tenus, par le prйcepte de charitй, d'кtre poussйs par l'affection d'amour ou
l'effet de l'њuvre, en particulier, vers celui qui ne nous est uni par aucun
autre lien sinon par le hasard du lieu et du temps, au cas oщ nous le voyons
dans quelque nйcessitй dans laquelle sans nous il ne pourrait pas lui кtre
portй secours. Cependant nous sommes tenus,
par la charitй affective et effective dont nous aimons tous nos proches et
nous prions pour tous, de ne pas mкme exclure ceux qui ne nous sont unis par
aucun lien spйcial, par exemple ceux qui sont en Inde ou en Ethiopie.
Cum
etiam ad inimicum nulla alia unio nobis remaneat nisi sola unio caritatis; ex
necessitate praecepti teneremur diligere eos in communi, et affectu et
effectu, et in speciali, quando necessitatis articulus immineret; sed quod
homo specialem affectum et effectum dilectionis, quem ad alios sibi
coniunctos impendit, inimicis exhibeat propter Deum, hoc perfectae caritatis
est, et sub consilio cadit. Ex perfectione enim caritatis procedit quod sola
caritas sic moveat ad inimicum, sicut ad amicum movet et caritas et specialis
dilectio.
Puisqu’aussi avec un ennemi aucun autre
lien ne nous reste sinon le seul lien de la charitй, nous serions tenus, par
la nйcessitй du prйcepte, de les aimer en gйnйral, affectivement et
effectivement, et en particulier, quand un besoin impйrieux les menacerait ;
mais montrer а des ennemis, а cause de Dieu, le mкme sentiment particulier et
effet de l'amour qu'aux autres qui sont unis а soi, cela est d'une parfaite
charitй, et tombe sous le conseil. En effet il procиde de la perfection de la
charitй qu’elle seule pousse ainsi vers l'ennemi, de mкme que la charitй et
l'amour particulier pousse vers l'ami.
Manifestum
est autem quod ex perfectione activae virtutis procedit quod actio agentis ad
remota procedat. Perfectior enim est ignis virtus per quam non solum
propinqua sed remota calefiunt. Ita et perfectior est caritas, per quam non
solum ad propinquos, sed etiam ad extraneos, et ulterius ad inimicos, non
solum generaliter, sed etiam specialiter, et diligendo et benefaciendo
movetur.
Or il est йvident qu'il
procиde de la perfection de la vertu active que l'action de l'agent s'avance
vers ce qui est йloignй. En effet, plus parfait est le pouvoir du feu par
lequel est rйchauffй non seulement ce qui est proche, mais aussi ce qui est
йloignй. De mкme aussi, plus parfaite est la charitй par laquelle on est
poussй non seulement vers les proches mais aussi vers les йtrangers, et
encore plus loin vers les ennemis, non seulement en gйnйral mais aussi en
particulier, en aimant et en leur rendant service.
2. De mкme qu'affectivement, de mкme aussi
effectivement nous devons aimer les ennemis, comme il a йtй dit.
[66236] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 3 Unde
etiam patet responsio ad tertium.
3. Par lа apparaоt la rйponse а l’argument
trois.
[66237] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illae
auctoritates veteris testamenti loquuntur in casu necessitatis, quando ex
praecepto tenemur benefacere inimicis, ut dictum est in corp. art.
4. Ces autoritйs de l'Ancien Testament
parlent en cas de nйcessitй, quand nous sommes tenus par le prйcepte de
rendre service aux ennemis, comme il a йtй dit dans le corps de l'article.
[66238] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod
dicitur, Odio habebis inimicum tuum,
in toto veteri testamento non invenitur; sed hoc erat ex traditione Scribarum
quibus visum fuit hoc esse addendum, quia dominus praecepit filiis Israel
persequi inimicos suos. Vel dicendum est, quod haec vox, Odio habebis inimicum tuum, non est accipienda ut iubentis iusto,
sed ut permittentis infirmo, ut Augustinus dicit in Lib. de sermone Domini in monte [lib. I, cap. XLI]. Vel,
sicut etiam Augustinus dicit contra
Faustum, non debent homines inimicos odire, sed vitium.
5. Ce qui est dit, "Tu haпras ton ennemi", ne se
trouve nulle part dans l'Ancien Testament, mais que cela venait d'une
Tradition des scribes qui ont jugй bon d'ajouter cela, parce que le Seigneur
a prescrit aux fils d'Israлl de persйcuter leurs ennemis. Ou il faut dire que
cette parole "Tu haпras ton ennemi"
ne doit pas кtre prise comme un ordre donnй au juste mais comme une
permission donnйe au faible, comme dit Augustin dans le Sermondu Seigneursur la montagne, I, 41. Ou bien, comme
dit encore Augustin dans le ContreFauste, "les hommes ne doivent
pas haпr les ennemis mais le vice".
[66239] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inimicus, ut
inimicus, non est obiectum dilectionis, sed in quantum pertinet ad Deum; unde
hoc debemus in inimico odire quod ipse nos odit, et desiderare quod nos
diligat.
6. L'ennemi n'est pas objet d'amour en
tant qu'ennemi, mais en tant qu'il concerne Dieu ; c'est pourquoi nous
devons haпr dans l'ennemi le fait que lui-mкme nous hait, et dйsirer qu'il
nous aime.
[66240] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod, ex natura,
homo omnem hominem diligit, ut etiam philosophus dicit in VIII Ethic. Sed quod aliquis sit inimicus,
est ex aliquo quod naturae superadditur, ex quo non debet tolli naturae inclinatio.
Caritas ergo, dum ad dilectionem inimicorum movet, perficit naturalem
inclinationem; secus autem est de illis quae habent contrarietatem ex sua
natura, sicut ignis et aqua, lupus et ovis.
7. L’homme aime naturellement tout homme,
comme le dit le Philosophe aussi (Йthique
VIII). Mais que quelqu'un soit un ennemi, vient de quelque chose qui s'ajoute
а la nature, qui ne doit pas enlever l'inclination de la nature. Donc la
charitй, tant qu'elle incite а l'amour des ennemis, parachиve l'inclination
naturelle ; il en est autrement de ce qui a une contradiction par nature,
comme le feu et l'eau, le loup et le mouton.
[66241] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Deus non odit in
aliquo quod suum est, scilicet bonum naturale vel quodcumque aliud, sed solum
illud quod suum non est, scilicet peccatum; et sic etiam nos in hominibus
debemus diligere quod Dei est, et odire quod est alienum a Deo; et secundum
hoc dicitur in Psalm. CXXXVIII, 22
: Perfecto odio oderam illos.
8. Dieu ne hait pas dans quelqu'un ce qui
est а lui, а savoir le bien naturel ou n'importe quoi d’autre, mais seulement
ce qui n'est pas а lui, а savoir le pйchй ; et ainsi, nous aussi devons aimer
dans les hommes ce qui vient de Dieu, et haпr ce qui est йtranger а Dieu ; et
selon cela il est dit dans le Ps
138, 22 : "D'une haine parfaite je
les haпssais".
[66242] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod praescitos et
damnatos non debemus diligere ad habendum vitam aeternam, quia iam sunt
totaliter per divinam sententiam ab ea exclusi; possumus tamen eos diligere
ut opera Dei, in quibus divina iustitia manifestatur; sic enim eos Deus
diligit. Praescitos autem nondum damnatos debemus diligere ad vitam aeternam
habendam; quia hoc nobis non constat, et praescientia divina ab eis non
excludit possibilitatem perveniendi ad vitam aeternam.
9. Nous ne devons pas aimer
les prйdestinйs, ni les damnйs, pour qu’ils aient la vie йternelle, car ils
en sont dйjа totalement exclus, par une sentence divine ; nous pouvons
cependant les aimer comme des њuvres de Dieu en lesquelles se manifeste la
justice divine, car c'est ainsi que Dieu les aime. Nous devons aimer les
prйdestinйs non encore damnйs pour qu’ils aient la vie йternelle, car cela ne
nous est pas connu, et la prescience divine n'exclut pas d'eux la possibilitй
de parvenir а la vie йternelle.
[66243] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licite potest
ille ad quem ex officio pertinet, malefactores punire, vel etiam occidere,
eos ex caritate diligendo. Dicit enim Gregorius in quadam homilia, quod iusti
persecutionem commovent, sed amantes : quia si foris increpationes per
disciplinam exaggerant, intus tamen dulcedinem per caritatem servant.
10. Celui qui est concernй par
sa profession peut licitement punir les malfaiteurs, ou mкme les tuer, tout
en les aimant de charitй. En effet Grйgoire dit dans une homйlie que les
justes suscitent les poursuites, mais en aimant ; car si extйrieurement ils
accumulent les reproches, intйrieurement cependant ils conservent la douceur
par charitй.
Possumus
enim illis quod ex caritate diligimus, velle aut inferre aliquod malum
temporale, propter tria.
Primo
quidem, propter eorum correctionem. Secundo,
in quantum aliquorum temporalis prosperitas est in detrimentum alicuius multitudinis,
vel etiam totius Ecclesiae; unde dicit Gregorius, XXII Moral. [cap. II] : Evenire
plerumque solet, ut, non amissa caritate, inimici nos ruina laetificet; et
rursus eius gloria, sine invidiae culpa, contristet; dum, corruente eo,
quosdam bene erigi credimus; et, proficiente illo, plerosque iniuste opprimi
formidamus.-
Tertio, ad
servandum ordinem divinae iustitiae, secundum illud Ps. LVII, 11 : Laetabitur iustus, cum viderit vindictam.
En effet nous pouvons pour eux vouloir et
infliger quelque mal temporel parce que nous aimons par charitй
Premiиrement pour leur correction. Deuxiиmement en tant que la prospйritй
temporelle de certains est au dйtriment de la multitude, ou encore de toute
l'Eglise, c'est pourquoi Grйgoire dit, (Morales
sur Job XXII, 2) : « La
plupart du temps il arrive par habitude que sans perdre la charitй, la ruine
de l'ennemi nous rйjouisse ; et inversement sa gloire, sans faute d'envie,
[nous] attriste ; ainsi, quand il йchoue, nous croyons que certains sont
heureusement redressйs ; et,quand
il progresse, nous redoutons que la plupart soient injustement accablйs ».
Troisiиmement, pour garder l'ordre de la justice
divine, selon cette parole (Ps 57,
11) : « Le juste se rйjouira,
quand il aura vu la vengeance ».
[66244] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod huiusmodi
propositiones, ex quibus argumentatur philosophus, sunt accipiendae per se.
Sicut enim diligere amicum, in quantum amicus est, bonum est; ita malum est
diligere inimicum, quia inimicus est; sed bonum est diligere inimicum, in
quantum ad Deum pertinet.
11. Les propositions de cette sorte, par
lesquelles le Philosophe argumente, doivent кtre prises en elles-mкmes. Car
de mкme qu'aimer un ami, en tant que tel, est un bien ; de mкme c’est un
mal d'aimer un ennemi parce qu'il est ennemi ; mais c’est un bien
d'aimer un ennemi en tant qu'il concerne Dieu.
[66245] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod diligere
amicum, in quantum amicus, et inimicum, in quantum inimicus, esset contrarium;
sed diligere amicum et inimicum, in quantum uterque est Dei, non est
contrarium, sicut nec videre album et videre nigrum, in quantum est
coloratum.
12. Aimer un ami en tant que
tel, et un ennemi que tel, serait contradictoire ; mais aimer un ami et un
ennemi, en tant que l'un et l'autre appartiennent а Dieu, n'est pas
contradictoire, comme ne pas voir le blanc et voir le noir, en tant qu'il est
colorй.
[66246] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod diligere
inimicum, in quantum inimicus est, est difficile, vel etiam impossibile; sed
diligere inimicum propter aliquid magis amatum, est facile; et sic id quod in
se videtur impossibile, caritas Dei facit facile.
13. Aimer un ennemi, en tant que tel, est
difficile ou mкme impossible ; mais aimer un ennemi а cause de quelque chose
de plus aimй, c'est facile ; et ainsi ce qui en soi paraоt impossible,
l'amour de Dieu le rend facile.
[66247] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod beatus
Thomas non expetiit poenam sui percussoris zelo vindictae, sed propter
manifestationem divinae iustitiae et virtutis.
14. Le Bienheureux Thomas n'a pas rйclamй
le chвtiment de son agresseur par zиle de vengeance, mais pour la
manifestation de la justice et de la puissance divines.
[66248] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod
imprecationes quae inveniuntur in prophetis, sunt intelligendae per
praenuntiationes, ut exponatur deleantur, id est delebuntur. Utuntur autem
tali modo loquendi, quia conformant voluntatem suam divinae iustitiae eis
revelatae.
15. Les imprйcations qui se
trouvent dans les prophиtes sont а comprendre comme des prйdictions, pour
rйvйler la destruction de ce qui sera dйtruit. Ils utilisent une telle faзon
de parler parce qu'ils conforment leur volontй а la justice divine qui leur a
йtй rйvйlйe.
[66249] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod diligere
aliquem propter se potest intelligi dupliciter.
Uno modo, ita quod aliquid
diligatur sicut ultimus finis; et sic solus Deus est propter se diligendus.
Alio modo,
ut diligamus ipsum cui volumus bonum, ut contingit in amicitia honesta; non
autem sicut bonum quod volumus nobis, ut contingit in amicitia delectabili
vel utili, in qua amicum diligimus ut bonum nostrum : non quia utilitatem vel
delectationem appetamus amico, sed quia ex amico appetimus utilitatem et
delectationem nobis; sicut et diligimus alia delectabilia nobis et utilia, ut
cibum aut vestimentum. Sed cum diligimus aliquem propter virtutem, volumus ei
bonum, non ipsum nobis; et hoc maxime contingit in amicitia caritatis.
16. Aimer quelqu'un pour lui-mкme peut
кtre compris de deux faзons.
D'une premiиre maniиre : aimer quelque chose comme une fin ultime
; et Dieu seul doit кtre ainsi aimй pour lui-mкme.
D’une autre maniиre : aimer celui а qui nous voulons du bien,
comme il arrive dans une amitiй honnкte ; mais pas comme un bien que nous
voulons pour nous, comme il arrive dans une amitiй qui cherche le plaisir ou
l'intйrкt, et dans laquelle nous aimons l'ami comme notre bien, non parce que
nous recherchons le plaisir ou l'intйrкt de l'ami, mais parce que nous
recherchons dans l'ami notre intйrкt et notre plaisir ; de mкme que nous
aimons aussi les autres choses qui nous sont agrйables et utiles, comme la
nourriture ou le vкtement. Mais quand nous aimons quelqu'un а cause de sa
vertu, nous lui voulons du bien, nous ne le [voulons] pas lui-mкme pour nous
; et cela arrive surtout dans l'amitiй de charitй.
[66250] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod diligere
inimicum melius est quam diligere amicum tantum, quia perfectiorem caritatem
demonstrat, ut supra, in corp. art., dictum est. Sed si consideremus istos
duos absolute, melius est diligere amicum quam inimicum; et melius diligere
Deum quam amicum. Non enim difficultas quae est in dilectione inimici, facit
ad rationem meriti, nisi in quantum per hoc demonstratur perfectio caritatis,
quae hanc difficultatem vincit; unde si esset tam perfecta caritas quae totam
difficultatem tolleret, adhuc esset magis meritorium. Loquimur autem in eo
qui diligit amicum ex tam perfecta caritate, quae etiam se extendat ad
dilectionem inimici, sed intensius operatur in dilectione amici; nisi forte
per accidens, in quantum contra repugnans aliquid cum maiori conatu operatur;
sicut et in rebus naturalibus aqua calefacta intensius congelatur.
17. Aimer un ennemi est
meilleur qu'aimer seulement un ami, parce que cela rйvиle une charitй plus
parfaite, comme il a йtй dit ci-dessus dans le corps de l'article. Mais si
nous considйrons ces deux aspects dans l'absolu, il est meilleur d'aimer un
ami qu’un ennemi, et il est meilleur d'aimer Dieu qu’un ami. Car ce n’est pas
la difficultй qui est dans l’amour de l’ennemi qui fait le mйrite, sauf en
tant que cela dйmontre la perfection de charitй qui vainc cette
difficultй ; c'est pourquoi s'il y avait une charitй si parfaite pour
фter toute la difficultй, elle serait encore plus mйritoire. Nous parlons de
celui qui aime un ami d’une charitй si parfaite qu'elle s'йtend mкme jusqu'а
l'amour de l'ennemi, mais elle agit plus intensйment dans l'amour de l'ami ;
sauf par hasard par accident, en tant qu’elle agit avec un plus grand effort
contre ce qui s’oppose а elle ; de mкme aussi dans ce qui est naturel, l'eau
chauffйe se congиle plus intensйment.
[66254] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 1 Quia sicut fides se habet ad credita, ita
caritas ad diligenda. Sed fides aequaliter credit omnia credenda. Ergo
caritas aequaliter diligit omnia diligenda.
1. Parce que de la mкme maniиre que la foi
se comporte vis-а-vis de ce qu’il faut croire, la charitй se comporte
vis-а-vis de ce qu’il faut aimer. Mais la foi croit de maniиre йgale tout ce
qui doit кtre cru. Donc la charitй aime de maniиre йgale tout ce qui doit
кtre aimй.
[66255] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 2 Praeterea, ordo ad rationem pertinet. Caritas
autem non est in ratione, sed in voluntate. Ergo ordo non pertinet ad
caritatem.
2. L’ordre appartient а la raison. Mais la
charitй n’est pas dans la raison, mais dans la volontй. Donc l’ordre n’appartient
pas а la charitй.
[66256]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 3 Praeterea, ubicumque est ordo, ibi est
aliquis gradus. Sed secundum Bernardum [serm. LXXIX in Cantica], Caritas gradum
nescit, dignitatem non considerat. Ergo ordo non est in caritate.
3. Partout oщ il y a de l’ordre, il y a un
degrй. Mais selon Bernard (Cant. Sermon
79) : « La charitй ignore le
degrй, elle ne considиre pas la dignitй ». Donc il n’y a pas d’ordre
dans la charitй.
[66257]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 4 Praeterea, obiectum caritatis est Deus, ut
Augustinus dicit in Lib. de Doctr.
Christ. [capit. XXVIII] : in proximo enim nihil diligit caritas nisi
Deum. Deus autem non est maior in seipso quam in proximo, nec maior in uno
proximo quam in alio. Ergo caritas non magis diligit Deum quam proximum, vel
unum proximum quam alium.
4. Dieu est l’objet de la charitй, comme
Augustin le dit dans La Doctrine
chrйtienne, (1, 28), car la charitй dans le prochain n’aime rien que
Dieu. Mais Dieu n’est pas plus grand en lui-mкme que dans le prochain, ni
plus grand dans un proche que dans un autre. Donc la charitй n’aime pas plus
Dieu que le prochain, ni un proche plus qu’un autre.
[66258]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 5 Praeterea, similitudo est ratio dilectionis,
secundum illud Eccl. XIII, 19 : Omne animal diligit simile sibi. Sed
maior est similitudo hominis ad proximum suum quam ad Deum. Ergo non est iste
ordo in caritate, ut primo diligatur Deus, sicut Ambrosius dicit.
5. La ressemblance est la raison de
l’amour, selon cette parole de l’Eccl 13,
19 : « Tout animal aime son
semblable ». Mais plus grande est la ressemblance de l’homme avec
son prochain qu’avec Dieu. Donc il n’y a pas dans la charitй cet ordre pour
aimer en premier Dieu, comme Ambroise le dit.
[66259] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 6 Praeterea,
I Ioan. IV, 20, dicitur :
Qui non diligit fratrem suum, quem
videt; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Arguit autem a
dilectione proximi ad dilectionem Dei negando. Argumentum autem negativum non
sumitur a minori, sed a maiori. Ergo magis diligendus est proximus quam Deus.
6. En 1
Jn 4, 20, il est dit : « Celui
qui n’aime pas son frиre qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit
pas ? » Mais il a raisonnй de l’amour du prochain а celui de
Dieu en se servant d’une nйgation. Mais on ne prend pas un argument nйgatif
d’un plus petit, mais d’un plus grand. Donc il faut plus aimer le prochain
que Dieu.
[66260]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 7 Praeterea, amor est vis unitiva, ut Dionysius
dicit [IV cap. de divin. Nomin.].
Sed nihil est magis unum alicui quam ipsemet. Ergo homo ex caritate non debet
magis diligere Deum quam seipsum.
7. L’amour est une force d’union, comme
Denys (Les Noms divins, 4) le dit.
Mais rien n’est plus uni а quelqu’un que lui-mкme. Donc l’homme ne doit pas
plus aimer par charitй Dieu que lui-mкme.
[66261]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in I De Doctrina Christ.[cap. XXVIII], quod
omnes homines aeque diligendi sunt. Ergo unus proximus non debet magis diligi
quam alius.
8. Augustin dit (La doctrine chrйtienne, 1, 28) que tous les hommes doivent кtre
aimйs de maniиre йgale. Donc un proche ne doit pas кtre plus aimй qu’un
autre.
[66262]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 9 Praeterea, proximum praecipitur alicui
diligere sicut seipsum. Ergo omnes proximi sunt aequaliter diligendi.
9. Il est prescrit d’aimer le prochain
comme soi-mкme. Donc tous les proches doivent кtre aimйs de maniиre йgale.
[66263]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 10 Praeterea, illum magis diligimus cui maius
bonum volumus. Sed omnibus proximis volumus ex caritate unum bonum, quod est
vita aeterna. Ergo unum proximum non debemus plus diligere quam alium.
10. Nous aimons plus celui а qui nous
voulons un bien plus grand. Mais nous voulons par charitй pour tous nos
proches un seul bien qui est la vie йternelle. Donc nous ne devons pas aimer
un proche plus qu’un autre.
[66264]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 11 Praeterea, si ordo est conditio caritatis,
oportet quod cadat sub praecepto. Sed non videtur sub praecepto cadere; quia
dummodo aliquem diligamus quem debemus, non videmur peccare, si alium
quemcumque diligamus plus. Ergo ordo non est conditio caritatis.
11. Si l’ordre est la condition de la
charitй, il est nйcessaire qu’il tombe sous le prйcepte. Mais il ne semble
pas y tomber ; parce que pendant que nous aimons quelqu'un que nous
devons aimer, nous ne semblons pas pйcher, si nous en aimons plus un autre
quelconque. Donc l’ordre n’est pas la condition de la charitй.
[66265] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 12
Praeterea, caritas viae imitatur caritatem patriae. Sed in patria magis
amantur meliores, non autem propinquiores. Ergo videtur, si est aliquis ordo
caritatis, quod etiam in via magis amandi sint meliores, et non
propinquiores; quod est contra Ambrosium, qui dicit, quod primo diligendus
est Deus, secundo parentes, deinde filii, post domestici.
12. La charitй de la voie imite celle de
la patrie. Mais dans la patrie les meilleurs sont plus aimйs mais pas les
plus proches. Donc il semble, s’il y a un ordre de charitй qu’aussi dans la
voie les meilleurs doivent кtre plus aimйs, et non les plus proches ; ce
qui est contre Ambroise, qui dit, que Dieu doit кtre aimй en premier, les
parents en second, ensuite les enfants et aprиs les serviteurs.
[66266]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 13 Praeterea, ratio diligendi aliquem ex
caritate, est Deus. Sed aliquando extranei magis sunt coniuncti Deo quam
propinqui, vel etiam parentes. Ergo sunt magis ex caritate diligendi.
13. La raison d’aimer quelqu'un par
charitй, c’est Dieu. Mais quelquefois les йtrangers sont plus unis а Dieu que
nos proches, ou mкme que nos parents. Donc ils doivent plus кtre aimйs par
charitй.
[66267]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 14 Praeterea, sicut dicit Gregorius in quadam
homilia, Probatio dilectionis est
exhibitio operis. Sed aliquando effectus dilectionis, qui est
beneficentia, magis exhibetur extraneo, quam proximo, ut patet in collatione
ecclesiasticorum beneficiorum. Ergo non videtur quod propinqui sint magis
diligendi ex caritate.
14. Comme le dit Grйgoire en une Homйlie :
« La preuve de l’amour est de
montrer l’њuvre ». Mais quelquefois l’effet de l’amour qui est
bienfaisance, se montre plus а un йtranger qu’au prochain, comme on le voit
dans l’attribution des privilиges ecclйsiastiques. Donc il ne semble pas que
les proches doivent кtre plus aimйs par charitй.
[66268]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 15 Praeterea, I Ioan., III, 18, dicitur : Non
diligamus ore neque lingua, sed opere et veritate. Sed aliquando plus de
opere dilectionis exhibemus aliis quam parentibus; puta, miles plus obedit
duci exercitus quam patri; et plus debet reddere benefactori quam patri, si
in aequali necessitate existat. Ergo non sunt parentes plus diligendi.
15. En I
Jn., 3, 18, il est dit : « Nous
n’aimons ni de mots ni de langue, mais en acte et en vйritй ». Mais
quelquefois nous montrons plus une њuvre d’amour, aux autres qu’а nos
parents ; par exemple, le soldat obйit plus au gйnйral de l’armйe qu’а
son pиre ; et il doit rendre plus а son bienfaiteur qu’а son pиre, s’il
cela arrive dans une йgale nйcessitй. Donc ce ne sont pas les parents qui
doivent le plus кtre aimйs.
[66269]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, quod illi quos
ex sacro fonte suscepimus, magis sunt a nobis diligendi quam illi quos ex
carne nostra genuimus. Ergo extranei magis sunt diligendi quam propinqui.
16. Grйgoire dit que nous devons plus
aimer ceux que nous recevons par la source sacrйe, que ceux que nous engendrons de
notre chair. Donc les йtrangers doivent кtre plus aimйs que les proches.
[66270]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 17 Praeterea, ille est magis diligendus, cuius
amicitia vituperabilius rescinditur. Sed vituperabilius videtur rescindi
amicitia aliorum amicorum quos sponte eligimus, quam propinquorum, qui nobis
non ex nostra electione, sed sorte naturae provenerunt. Ergo magis sunt
diligendi alii amici quam propinqui.
17. Doit кtre le plus aimй, celui dont
l’amitiй est rompue de maniиre plus blвmable. Mais il semble plus blвmable de
rompre l’amitiй des autres amis que nous choisissons spontanйment, que celle
de nos proches, qui ne nous proviennent pas de notre choix, mais par le
hasard de la nature. Donc doivent кtre plus aimйs les autres amis que les
proches.
[66271]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 18 Praeterea, si ratione propinquitatis maioris
est aliquis magis diligendus; cum uxor sit magis propinqua, quae est unum
corpus, et filii, qui sunt aliquid generantis, sint magis propinqui quam
parentes, videtur quod sint magis diligendi filii et uxor quam parentes. Non
ergo parentes sunt maxime diligendi. Sic igitur non videtur esse ordo in
caritate qui a sanctis assignatur.
18. Ainsi quelqu’un doit кtre plus aimй en
raison d’une plus grande proximitй ; comme l’йpouse est plus proche qui
est un seul corps, et les enfants, qui sont une part de celui qui les
engendre ils sont plus proches que les parents, et il semble que les enfants
et l’йpouse doivent кtre plus aimйs que les parents. Donc les parents ne sont
pas а aimer au plus haut point. Donc ainsi il ne semble pas qu’il y ait un ordre
dans la charitй que les saints nous rйvиlent.
En sens contraire :
[66272]
De virtutibus, q. 2 a. 9 s. c. Sed contra, est quod dicitur Cantic. II, v. 4 : Introduxit me rex in cellam vinariam,
ordinavit in me caritatem.
Il y a ce qui est dit dans Ct 2, 4 : « Le roi m’a introduit dans le cellier а vin, il a mis l’amour en ordre
en moi[57]».
Rйponse :
[66273] De virtutibus, q. 2 a. 9 co.
Respondeo. Dicendum, quod secundum omnem sententiam et auctoritatem
Scripturae, indubitanter iste ordo in caritate significandus est, ut Deus
affectu et effectu super omnia diligatur.
Selon toute locution et autoritй de
l’Йcriture, il faut signaler de maniиre indubitable cet ordre dans la
charitй, de sorte que Dieu soit aimй par-dessus tout affectivement et
effectivement.
Sed quantum ad dilectionem proximorum,
fuit quorumdam opinio, ut ordo caritatis attendatur secundum effectum, et non
secundum affectum; et fuerunt moti ex dicto Augustini, qui dicit [lib. I de Doct. Christ. Cap. XXVIII], quod
omnes homines aeque diligendi sunt; Sed
cum omnibus prodesse non possis, his potissime consulendum est qui pro
locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi
quasi quadam sorte coniunguntur.
Mais au sujet de l’amour des proches, il y
a eu l’opinion de certains qu’on atteint l’ordre de la charitй effectivement,
et non affectivement et ils y ont йtй poussйs par les paroles d’Augustin (La doctrine chrйtienne, I, 28) qui dit
que tous les hommes doivent кtre йgalement aimйs : « Mais comme tu ne pourrais pas кtre utile
pour tous, il faut rйflйchir de prйfйrence, а ce qui t’est plus liй selon les
lieux, les temps ou par certaines opportunitйs, comme s’ils йtaient unis par
quelque hasard ».
Sed ista positio
irrationabilis videtur. Sic enim Deus providet unicuique secundum quod
conditio eius requirit; unde tendentibus in finem naturae imprimitur a Deo
amor et appetitus finis, secundum quod exigit sua conditio ut tendat in
finem; unde quorum est vehementior motus secundum naturam in aliquem finem,
eorum etiam est maior inclinatio in illum, quae est appetitus naturalis, ut
patet in gravibus et levibus. Sicut autem appetitus vel amor naturalis est
inclinatio quaedam, indita rebus naturalibus ad fines connaturales, ita
dilectio caritatis est inclinatio quaedam infusa rationali naturae ad
tendendum in Deum. Secundum
igitur quod necesse est alicui tendere in Deum, secundum hoc ex caritate
inclinatur.
Mais cette position semble hors de raison.
Car ainsi Dieu pourvoit а chacun selon que sa condition le demande ;
c'est pourquoi а ceux qui tendent а la fin de la nature l’amour et l’appйtit
de la fin est induit par Dieu, selon ce qu’exige leur condition pour tendre а
la fin ; c'est pourquoi de ceux dont le mouvement est plus fort selon la
nature pour une certaine fin, de ceux-lа aussi il y a une plus grande
inclination vers lui, qui est l’appйtit naturel, comme on le voit dans ce qui
est lourd et lйger. De mкme aussi que l’appйtit ou l’amour naturels sont une
inclination, induite dans les choses naturelles, pour des fins naturelles, de
mкme l’amour de charitй est une inclination infusйe dans la nature
raisonnable pour tendre а Dieu. Donc selon qu’il est nйcessaire а quelqu'un
de tendre а Dieu, il y est ainsi inclinй par la charitй.
Tendituris autem in Deum sicut in finem,
id quod maxime necessarium est,
divinum auxilium est; secundo autem
auxilium quod est a seipso; tertio
autem cooperatio, quae est a proximo : et in hoc est gradus. Nam quidam cooperantur tantum in generali; alii vero, qui sunt magis
coniuncti, in speciali; non enim
omnes omnibus in specialibus cooperari possent. Qui autem impediunt, in
quantum huiusmodi, sunt odiendi, quicumque sunt; unde Dominus dicit, Luc., XIV, 26 : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem (...) non
potest esse meus discipulus. Ultimo autem diligendum est corpus nostrum.
Sic etiam secundum actum quem caritas elicit, attendendus est ordo secundum
affectum in dilectione proximorum.
Mais а ceux qui veulent tendre а Dieu
comme а leur fin, ce qui est tout а
fait nйcessaire, il y a une aide divine ; deuxiиmement une aide qui vient de soi-mкme ; troisiиmement une coopйration qui
vient du prochain, et c’est en cela qu’il y a un degrй. Car certains coopиrent seulement en ce qui
est gйnйral, mais d’autres, qui
sont plus unis, en ce qui est particulier ;
car ce ne sont pas tous qui pourraient coopйrer dans le particulier. Mais
ceux qui apportent des empкchements, en tant que tels, sont а haпr, quels
qu’ils soient ; c'est pourquoi le Seigneur dit (Lc 14, 26) : « Si
quelqu'un vient а moi et ne hait pas son pиre et sa mиre (…) il ne peut pas
кtre mon disciple ». Mais en dernier il faut aimer notre corps. Mais
ainsi selon l’acte que la charitй choisit, il faut atteindre un ordre selon
l’affection dans l’amour des proches.
Sed etiam considerandum est, quod sicut
supra, art. 7 et 8, diximus, etiam aliae dilectiones licitae et honestae,
quae sunt ex aliquibus aliis causis, ordinari possunt ad caritatem; et sic
caritas illarum dilectionum actus imperare potest; et sic quod magis secundum
aliquam illarum dilectionum diligitur, magis diligitur ex caritate imperante.
Mais il faut considйrer aussi, que comme
ci-dessus art. 7, et 8, nous l’avons dit qu’aussi les autres amours licites
et honnкtes, qui dйpendent de certaines autres causes, peuvent кtre ordonnйs
а la charitй, et ainsi la charitй peut commander les actes d’amour, et ainsi
ce qui est plus aimй selon l’un de ces amours, est plus aimй quand la charitй
le commande.
Manifestum est autem quod secundum
dilectionem naturalem propinqui plus diliguntur etiam secundum affectum, et
secundum dilectionem socialem plus coniuncti, et sic de aliis dilectionibus.
Unde
manifestum fit, quod etiam secundum affectum unus proximorum magis est
diligendus quam alius, et ex caritate imperante actus aliarum amicitiarum licitarum.
Mais il est йvident que selon l’amour
naturel les proches sont plus aimйs aussi selon l’affection et plus unis
selon l’amour social, et ainsi des autres amours.
C'est
pourquoi il devient йvident qu’aussi selon l’affection l’un des proches doit
кtre plus aimй qu’un autre, et avec la charitй qui commande les actes des
autres amitiйs permises.
Solutions
:
[66274]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectum fidei
est verum; unde secundum quod contingit esse aliquid magis verum, sic etiam
contingit aliquid magis credere. Cum autem veritas constet in adaequatione
intellectus et rei, si consideretur veritas secundum rationem aequalitatis,
quae non recipit magis et minus, sic non contingit esse aliquid magis et
minus verum; sed si consideretur ipsum esse rei, quod est ratio veritatis,
sicut dicitur in II Metaphys.,
[comm. 4] eadem est dispositio rerum in esse et veritate : unde quae sunt
magis entia, sunt magis vera; et propter hoc etiam in scientiis
demonstrativis magis creduntur principia quam conclusiones. Et sic
etiam contingit in his quae sunt fidei. Unde apostolus, I ad Corinth., XV, probat resurrectionem mortuorum futuram per
resurrectionem Christi.
1. L’objet de la foi est la vйritй ;
c'est pourquoi selon qu’il arrive qu’il y ait quelque chose de plus vrai, il
arrive aussi de le croire plus. Mais comme la vйritй existe dans l’adйquation
de l’intellect et de la chose, si on considиre la vйritй selon la nature
d’йgalitй, qui ne reзoit ni plus ni moins, il n’arrive pas qu’il y ait
quelque chose de plus ou moins vrai, mais si on considйrait que l’кtre mкme
de la chose, qui est la raison de la vйritй, comme il est dit en Mйtaphysique, II, (comm. 4), la
disposition des choses est la mкme dans l’кtre et la vйritй ; c'est
pourquoi ce qui est plus йtant est plus vrai, et а cause de cela aussi dans
les sciences dйmonstratives on croit plus aux principes qu’aux conclusions.
Et cela arrive aussi en ce qui concerne la foi. C'est pourquoi l’apфtre, (1 Co 15) ; prouve la rйsurrection
future des morts, par la rйsurrection du Christ.
[66275]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo rationis est ut
ordinantis; sed voluntatis ut ordinatae; et sic convenit ordo caritati.
2. L’ordre de la raison est comme de celui
qui met en ordre, mais celui de la volontй comme de ce qui est ordonnй, et
ainsi l’ordre convient а la charitй.
[66276]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas gradum nescit
amantis ad amatum, quia unit utrumque; sed duorum diligibilium, non ignorat.
3. La charitй ne connaоt pas de degrй de
l’amant а l’aimй, parce qu’elle unit l’un et l’autre ; mais elle
n’ignore pas [le degrй] entre de deux choses а aimer.
[66277]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet Deus non sit maior
in uno quam in alio, tamen magis et perfectius est in seipso quam in
creatura; et in una creatura quam in alia.
4. Bien que Dieu ne soit pas plus grand en
l’un qu’en un autre, cependant il est plus et plus parfait en lui-mкme que
dans la crйature et ainsi [plus] dans une crйature que dans une autre.
[66278]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in dilectione, cuius
principale obiectum est ipse diligens, necesse est quod magis diligatur id
quod est diligenti similius, sicut accidit in dilectione naturali. Sed in
dilectione caritatis principale obiectum est ipse Deus; unde magis diligendum
est ex caritate quod magis est unum cum Deo, ceteris paribus.
5. Dans l’amour dont l’objet principal est
celui qui aime, il est nйcessaire que soit plus aimй ce qui est plus
semblable а celui qui aime, comme il arrive dans l’amour naturel. Mais dans
l’amour de charitй l’objet principal est Dieu lui-mкme. C'est pourquoi doit
кtre plus aimй par charitй ce qui est plus un avec Dieu, les autres conditions
йtant йgales.
[66279]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod apostolus argumentatur
secundum eos qui visibilibus praecipue inhaerent, a quibus visibilia
invisibilibus magis diliguntur.
6. L’apфtre argumente selon ceux qui
adhиrent principalement а ce qui est visible, ils aiment plus ce qui est
visible que ce qui est invisible.
[66280]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod unitate naturae
nihil est magis unum quam nos; sed unitate affectus, cuius obiectum est
bonum, summe bonum debet esse magis unum quam nos.
7. Par l’unitй de la nature rien n’est
plus un que nous, mais par l’unitй de l’affection dont l’objet est le bien,
le bien suprкme doit кtre plus un que nous.
[66281]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnes homines sunt
aeque diligendi, in quantum omnibus aequale bonum velle debemus, scilicet
vitam aeternam.
8. Tous les hommes doivent кtre aimйs а
йgalitй, en tant que pour tous nous devons vouloir un bien йgal, а savoir la
vie йternelle.
[66282]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod proximum tenetur
aliquis diligere sicut seipsum, non tamen quantum seipsum; propter quod non
sequitur quod omnes proximi sint aequaliter diligendi.
9. On est tenu d’aimer son prochain comme
soi-mкme, non cependant pas autant que soi-mкme ; c’est pourquoi il n’en
dйcoule pas que tous les proches doivent кtre aimйs йgalement.
[66283]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquem dicimus
magis diligere, non solum quia maius bonum ei volumus, sed etiam quia
intensiori affectu idem bonum ei optamus; et sic, licet omnibus optemus unum
bonum, quod est vita aeterna, non tamen omnes aequaliter diligimus.
10. Nous disons que nous aimons plus
quelqu'un, non seulement parce que nous lui voulons un plus grand bien, mais
aussi parce que nous souhaitons pour lui un mкme bien, mais avec une
affection plus intense ; et ainsi, bien que nous souhaitons un seul bien
pour tous, qui est la vie йternelle, cependant nous ne les aimons pas tous de
maniиre йgale.
[66284]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non potest esse
quod alicui impendamus de dilectione quod debemus, si alium quem minus
diligere debemus, amplius diligamus; potest enim contingere quod in
necessitatis articulo amplius subveniatur alteri, in derogationem eius quem
plus amare debemus.
11. Il n’est pas possible que nous
consacrions а quelqu'un de l’amour que nous lui devons, si nous aimons plus
un autre que nous devons moins aimer ; car il peut arriver quand c’est
nйcessaire, qu’on vienne en aide plus а un autre, en dйrogation de celui que
nous devons aimer davantage.
[66285]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod illi qui
sunt in patria, sunt coniuncti ultimo fini : et ideo solum illorum dilectio
regulatur ex ipso fine; unde ordo caritatis in eis non attenditur nisi
secundum propinquitatem ad Deum : et propter hoc Deo propinquiores magis
amantur. Sed in via nobis est necessarium tendere in finem; et ideo ordo
dilectionis attenditur etiam secundum mensuram auxilii, quod ex aliis
consequitur ad tendendum in finem; et sic non semper meliores magis amantur,
sed attenditur etiam ratio propinquitatis, ut ex utroque coniunctim sumatur
ratio maioris dilectionis.
12. Ceux qui sont dans la patrie, sont
unis а leur fin ultime ; et ainsi seulement leur amour est rйgulй par la
fin elle-mкme ; c'est pourquoi l’ordre de la charitй en eux n’est
atteinte que selon la proximitй а Dieu : et а cause de cela les plus proches
de Dieu sont plus aimйs. Mais en cette voie, il nous est nйcessaire de tendre
а la fin, et c'est pourquoi l’ordre de l’amour est atteint aussi selon la
mesure de l’aide, qui dйcoule des autres pour tendre а la fin ; et ainsi
ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont les plus aimйs, mais aussi on
atteint la raison de la proximitй, pour que de l’un et l’autre en commun on
choisisse la raison d’un plus grand amour.
[66286] De
virtutibus, q. 2 a. 9 ad 13 Et per hoc etiam patet responsio ad
decimumtertium.
13 Et ainsi paraоt la rйponse а la
treiziиme objection.
[66287]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod praelatus
aliquis non potest conferre beneficia in quantum est Petrus vel Martinus, sed
in quantum est magister Ecclesiae; et ideo in collatione ecclesiasticorum
beneficiorum non debet attendere propinquitatem ad se, sed propinquitatem ad
Deum, et utilitatem Ecclesiae : sicut dispensator alicuius familiae attendere
debet, in dispensando res domini sui, servitium quod exhibetur domino suo, et
non servitium quod exhibetur sibi. In rebus autem propriis, sicut
patrimonialibus bonis, vel quae ex industria suae personae acquirit ut
propria, debet attendi in benefaciendo ordo propinquitatis ad ipsum
beneficium.
14 Un prйlat ne peut pas confйrer des
bйnйfices en tant que c’est Pierre ou Martin, mais en tant que maоtre de
l’Йglise ; et c'est pourquoi dans l’attribution des privilиges
ecclesiastiques, il ne doit pas tendre а ce qui est proche pour lui-mкme,
mais proche pour Dieu, et l’utilitй de l’Йglise : de mкme que le rйgisseur
d’une famille doit tendre, en dispensant les choses de son maоtre, au service
qu’il effectue pour son maоtre et non pour lui-mкme. Mais dans les biens
propres, comme dans les biens patrimoniaux, ou ce qu’il acquiert par
l’activitй de sa personne comme biens particuliиrs, l’ordre de proximitй au
bienfait doit кtre atteint en l’accordant.
[66288]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum ea
quae pertinent proprie ad propriam personam alicuius, plus debet exhibere
dilectionis effectum parentibus quam extraneis; nisi forte in quantum in bono
alicuius extranei penderet bonum commune, quod etiam sibi ipsi imponere
quisque debet : ut cum aliquis seipsum periculo mortis exponit, ad salvandum
in bello ducem exercitus, vel in civitate principem civitatis, in quantum ex
eis dependet salus totius communitatis. Sed secundum ea quae pertinent ad
aliquid ratione alicuius adiuncti, utpote in quantum est civis vel miles,
plus debet obedire rectori civitatis, vel duci, quam patri.
15. Selon ce qui concerne au sens propre
la personne particuliиre, elle doit montrer un effet d’amour pour ses parents
plus que pour les йtrangers ; а moins que par hasard, le bien commun se
trouve dans le bien d’un йtranger, ce que aussi chacun doit appliquer pour lui-mкme ;
comme quand quelqu'un s’expose au pйril de la mort, pour sauver а la guerre
le gйnйral de l’armйe ou dans la citй son prince, en tant que dйpend d’eux le
salut de toute la communautй. Mais selon ce qui convient а quelque chose en
raison de ce qui lui est joint, en tant qu’il est citoyen ou soldat, il doit
obйir davantage au gouverneur de la citй, ou au gйnйral qu’а son pиre.
[66289]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod auctoritas
Gregorii est intelligenda quantum ad illa qua ad regenerationem spiritualem
pertinent, in quibus tenemur his quos ex sacro fonte suscepimus.
16. L’autoritй de Grйgoire est а penser
pour ce qui convient а la rйgйnйration spirituelle, en ceux en qui nous
sommes tenus par ceux que nous recevons de la source sacrйe.
[66290]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ratio illa
procedit quantum ad illa quae pertinent ad socialem vitam, in qua fundatur
amicitia extraneorum.
17. Cette raison est valable pour ce qui
concerne la vie sociale, en laquelle est fondйe l’amitiй des йtrangers.
[66291]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod secundum
illam dilectionem qua aliquis diligit seipsum, plus diligit uxorem et filios,
quam parentes, quia uxor est aliquid viri, et filius patris; unde dilectio
quae habetur ad uxorem et filium magis includitur in dilectione qua aliquis
diligit seipsum, quam dilectio quae habetur ad patrem. Sed hoc non est
diligere filium ratione eius, sed ratione sui ipsius. Sed secundum modum dilectionis
qua diligimus aliquem ratione eius, plus diligendus est pater quam filius, in
quantum ex patre maius beneficium suscepimus, et in quantum honor filii magis
dependet ex honore patris quam e converso; et ideo in exhibitione
reverentiae, et in obediendo, et in satisfaciendo voluntati eius, et in
similibus, tenetur homo magis patri quam filio; sed in subventione
necessariorum plus tenetur homo filio quam parenti, quia parentes debent
thesaurizare filiis, et non e converso, ut dicitur 1 Corinth., IV.
18. Selon cet amour par lequel quelqu'un
s’aime lui-mкme, il aime plus son йpouse et ses enfants que ses parents,
parce que l’йpouse appartient а son mari, et le fils а son pиre ; c'est
pourquoi l’amour qu’on a pour l’йpouse et le fils est plus inclus dans l’amour
par lequel quelqu'un s’aime lui-mкme, que l’amour qu’il a pour son pиre. Mais
cela ce n’est pas aimer le fils en sa raison, mais en raison de soi-mкme.
Mais selon le mode d’amour par laquel nous aimons quelqu'un selon son
interкt, le pиre doit кtre plus aimй que le fils, en tant que nous recevons
de lui plus de bienfait, et en tant que l’honneur du fils dйpend davantage de
l’honneur du pиre que l’inverse ; et c'est pourquoi quand on montre du
respect, et en obйissant, et en satisfaisant а sa volontй ; et en autres
choses semblables, l’homme est tenu plus а son pиre qu’а son fils, mais dans
l’aide pour ce qui est nйcessaire, l’homme est plus tenu а son fils qu’а son
pиre parce que les parents doivent amasser pour leur fils et non le
contraire, comme il est dit en 1 Co 4.
Articulus 10 : [66292] De virtutibus, q. 2 a.
10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum possibile sit caritatem esse perfectam in
hac vita
Article 10 – Est-il
possible que la charitй soit parfaite en cette vie ?
[66293] De virtutibus, q. 2 a.
10 tit. 2 Et videtur quod sic.
[66294] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 1 Quia Deus nihil impossibile homini praecipit, ut Hieronymus dicit.
Sed perfectio caritatis ponitur in praecepto, ut patet Deuter., VI, 5 : Diliges dominum
Deum tuum ex toto corde tuo; totum enim et perfectum idem sunt. Ergo
possibile est caritatem esse perfectam in hac vita.
1. Dieu ne commande rien d’impossible а
l’homme, comme le dit Jйrфme. Mais la perfection de la charitй est placйe
dans le prйcepte, comme on le voit en Deut.,
6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu, de tout ton cњur » ; car le tout et le parfait sont
indentiques. Donc il est possible que la charitй soit parfaite en cette vie
[66295] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [in lib. De vera Relig., cap. XLVII], quod perfecta caritas est ut meliora
magis diligantur. Sed hoc est possibile in hac vita. Ergo caritas potest esse
in hac vita perfecta.
2. Augustin (La vraie Religion, 47) dit que la charitй est parfaite pour aimer
plus ce qui est meilleur. Mais cela est possible en cette vie. Donc la
charitй peut кtre parfaite en cette vie.
[66296] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 3 Praeterea, ratio amoris in quadam unione consistit. Sed caritas in
hac vita maxime potest esse unum; quia qui
adhaeret Deo, unus spiritus est, ut dicitur 1 Corinth., VI, 17. Ergo caritas in hac vita potest esse
perfecta.
3. La nature de l’amour consiste dans une
certaine union. Mais la charitй en cette vie peut кtre au plus haut point
quelque chose d’unique : parce que « qui
adhиre а Dieu est un seul esprit [avec lui] », comme il est dit (1 Co 6, 17). Donc la charitй en cette
vie peut кtre parfaite.
[66297] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 4 Praeterea, perfectum est aliquid quod maxime recedit a contrario.
Sed caritas in hac vita potest resistere omni peccato et tentationi. Ergo
caritas in hac vita potest esse perfecta.
Le parfait est ce qui s’йloigne le plus du
contraire. Mais la charitй en cette vie peut rйsister а tout pйchй et а toute
tentation. Donc la charitй en cette vie peut кtre parfaite.
[66298] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 5 Praeterea,
affectus noster in hac vita immediate fertur in Deum per dilectionem. Sed
quando intellectus immediate ferretur in Deum, perfecte et totaliter ipsum cognosceremus.
Ergo nunc perfecte et totaliter Deum diligimus : est ergo in hac vita caritas
perfecta.
5. Notre affection en cette vie est
immйdiatement portйe en Dieu, par l’amour. Mais quand l’intellect sera
immйdiatement portй en Dieu, nous le connaоtrons parfaitement et totalement.
Donc maintenant nous aimons Dieu parfaitement et totalement : donc la charitй
est parfaite en cette vie.
[66299] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 6 Praeterea, voluntas est domina sui actus. Sed diligere Deum, est
actus voluntatis. Ergo voluntas humana potest totaliter et perfecte ferri in
Deum.
6. La volontй est maоtresse de son acte.
Mais aimer Dieu est un acte de volontй. Donc la volontй humaine peut кtre
portйe totalement et parfaitement en Dieu.
[66300] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 7 Praeterea, obiectum caritatis est divina bonitas, quae est
delectabilissima. Sed in eo quod est delectabile, non est difficile continue
perseverare, et sine intermissione. Ergo videtur quod in hac vita de facili
possit perfectio caritatis haberi.
7. L’objet de la charitй est la bontй
divine, qui est tout а fait dйlectable. Mais en ce qui est dйlectable, il
n’est pas difficile de persйvйrer continuellement, et sans interruption. Donc
il semble qu’en cette vie on pourrait avoir facilement la perfection de la
charitй.
[66301] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 8 Praeterea, quod simplex est et indivisibile, si aliquo modo
habetur, totum habetur. Sed amor caritatis est simplex et indivisibilis, et
ex parte animae diligentis, et ex parte obiecti diligibilis, quod est Deus.
Ergo, si quis habet in hac vita caritatem, totaliter et perfecte habet.
8. Ce qui est simple et indivisible, si on
le possиde de quelque maniиre, on le possиde tout entier. Mais l’amour de
charitй est simple et indivisible et du cфtй de l’вme de celui qui aime et du
cфtй de l’objet а aimer qui est Dieu. Donc si quelqu'un a la charitй en cette
vie, il l’a totalement et parfaitement.
[66302] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 9 Praeterea, caritas est nobilissima virtutum, secundum illud 1 Cor., XII, 31 : Adhuc excellentiorem viam vobis demonstro, scilicet caritatis. Sed aliae virtutes possunt esse perfectae in
hac vita. Ergo et caritas.
9. La charitй est la plus noble des vertus
selon cette parole de 1 Co 12, 31 :
« Je vous rйvиle une voie bien
meilleure», а savoir celle de la charitй. Mais les autres vertus peuvent
кtre parfaites en cette vie. Donc la charitй aussi.
En sens contraire :
[66303] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 1 Sed contra.
Cum caritati repugnet omne peccatum, ut dictum est, perfectio caritatis
requirit quod homo sit omnino absque peccato. Sed hoc non potest esse in hac
vita, secundum illud I Ioan., I, 8
: Si dixerimus quia peccatum non
habemus, nos ipsos seducimus. Ergo perfecta caritas in hac
vita haberi non potest.
1. Comme tout pйchй s’oppose а la charitй,
comme il a йtй dit, la perfection de la charitй requiert que l’homme soit
tout а fait sans pйchй. Mais cela n’est pas possible en cette vie, selon
cette parole de I Jn 1, 8 : « Si nous avons dit que nous n’avons pas de pйchй,
nous nous trompons nous-mкmes ». Donc on ne peut pas avoir la
charitй parfaite en cette vie.
[66304] De virtutibus, q. 2 a.
10 s. c. 2 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in
Lib. de Trinit. [lib. X]. Sed in hac vita Deus perfecte non potest
cognosci, secundum illud 1 Cor.,
XIII, 9 : Nunc ex parte cognoscimus.
Ergo nec etiam potest perfecte diligi.
2. Rien n’est aimй que s’il est connu,
comme le dit Augustin dans La Trinitй, X. Mais en cette vie Dieu ne peut pas
кtre connu parfaitement, selon cette parole de 1 Co 13, 9 : « Maintenant,
nous connaissons partiellement». Donc il ne peut pas non plus кtre aimй
parfaitement.
[66305] De virtutibus, q. 2 a.
10 s. c. 3 Praeterea, illud quod semper potest proficere, non est perfectum. Sed caritas in hac vita semper potest
proficere, ut dicitur in sermone. Ergo
caritas in hac vita semper perfecta esse non potest.
3. Ce qui peut toujours progresser n’est
pas parfait. Mais la charitй en cette vie peut toujours progresser, comme il
est dit dans un sermon. Donc la charitй en cette vie ne peut pas toujours
кtre parfaite.
[66306] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 4 Praeterea,
Perfecta caritas foras mittit timorem,
ut dicitur I Ioan., IV, 18. Sed in
hac vita non potest homo esse sine timore. Ergo non potest aliquis habere
caritatem perfectam.
4. « La charitй parfaite chasse au loin la crainte », comme il
est dit en 1 Jn 4, 18. Mais en
cette vie, l’homme ne peut pas кtre sans crainte. Donc personne ne peut avoir
la charitй parfaite.
Rйponse
:
[66307] De virtutibus, q. 2 a. 10 co. Respondeo.
Dicendum, quod perfectum tripliciter
dicitur.
Uno modo perfectum simpliciter :
alio modo perfectum
secundum naturam;
tertio
modo secundum tempus.
On parle du parfait de trois maniиres :
D’une premiиre maniиre, le parfait absolu.
D’une autre maniиre, le parfait selon la nature.
D’une troisiиme maniиre, selon le temps.
Perfectum quidem dicitur simpliciter quod omnibus modis
perfectum est, et cui nulla perfectio deest.
Perfectum autem secundum naturam dicitur, cui non
deest aliquid eorum quae nata sunt haberi a natura illa : sicut intellectum
hominis dicimus perfectum, non quod nihil ei intelligibilium desit, sed quia
nihil ei deest eorum per quae homo natus est intelligere.
On appelle
parfait dans l’absolu ce qui est
parfait de toutes les maniиres, et а quoi aucune perfection ne manque.
On
appelle parfait selon la nature, ce
а quoi rien de ce qui est destinй а кtre possйdй par cette nature ne
manque ; comme nous disons que l’intellect de l’homme est parfait, non
parce que rien de ce qui est intelligible pour lui ne lui manque mais parce
que rien ne lui manque de ce que par quoi l’homme est destinй а penser.
Perfectum
secundum tempus dicimus quando
nihil deest alicui eorum quae natum est habere secundum tempus illud : sicut
dicimus puerum perfectum, quia habet ea quae requiruntur ad hominem secundum
aetatem illam.
Nous disons que le parfait est selon le temps quand rien ne manque а
chacun de ce qu’il est destinй а avoir selon ce temps ; comme nous
disons que l’enfant est parfait parce qu’il possиde ce qui est requis pour un
homme а cet вge.
Sic igitur dicendum, quod caritas perfecta simpliciter a solo Deo habetur.
Caritas autem perfecta secundum naturam
haberi quidem potest ab homine, sed non in hac vita. Caritas autem perfecta secundum tempus, etiam in hac vita
haberi potest.
Ad cuius
evidentiam sciendum est, quod cum actus et habitus speciem habeant ex
obiecto, oportet quod ex eodem ratio perfectionis ipsius sumatur. Obiectum
autem caritatis est summum bonum. Caritas ergo est perfecta simpliciter quae
in summum bonum fertur in tantum quantum diligibile est. Summum autem bonum diligibile est in
infinitum, cum sit bonum infinitum. Unde nulla caritas creaturae, cum sit
finita, potest esse simpliciter perfecta, sed sic perfecta dici potest sola
caritas Dei, qua diligit seipsum.
Ainsi donc il faut dire que la charitй
parfaite est possйdйe absolument
par Dieu seul. Mais la charitй parfaite selon
la nature est possйdйe par l’homme, mais pas en cette vie. Mais la charitй
parfaite selon le temps aussi peut
aussi кtre possйdйe en cette vie.
Pour
le montrer, il faut savoir que comme l’acte et l’habitus tirent leur espиce
de l’objet, il est nйcessaire que la nature de sa perfection soit prise par
un mкme objet. Mais celui de la charitй est le bien suprкme. Donc la charitй
est absolument parfaite, qui est portйe au bien suprкme en tant qu’il est
aimable. Mais le bien suprкme peut кtre aimй а l’infini, puisqu’il est le
bien infini. C'est pourquoi puisqu’aucune charitй de la crйature, comme elle
est finie, ne peut кtre absolument parfaite, mais on peut dire parfaite la
seule charitй de Dieu par laquelle il s’aime lui-mкme.
Sed
tunc secundum naturam rationalis creaturae, caritas dicitur esse perfecta,
quando rationalis creatura secundum suum posse ad Deum diligendum
convertitur.
Mais alors selon la nature de la crйature
raisonnable on dit que la charitй est parfaite, quant la crйature raisonnable
selon son pouvoir se tourne pour aimer Dieu.
Impeditur
autem homo in hac vita, ne totaliter mens eius in Deum feratur, ex tribus.
Primo
quidem ex contraria inclinatione mentis; quando scilicet mens per peccatum
conversa ad commutabile bonum sicut ad finem, avertitur ab incommutabili
bono. Secundo per occupationem
saecularium rerum; quia, ut dicit apostolus, I ad Cor., VII, 33 : Qui cum uxore est, sollicitus est quae
sunt mundi quomodo placeat uxori, et divisus est; id est, cor eius non
movetur tantum in Deum.
Mais l’homme est empкchй en cette vie, de
tourner totalement son esprit vers Dieu pour trois raisons : icic
1. Premiиrement, par une inclination contraire de l’esprit ;
quand l’esprit, attirй par le pйchй vers un bien changeant, comme а se fin,
se dйtourne du bien immuable.
2.
Deuxiиmement, par l’occupation des
affaires du siиcle ; parce que comme le dit l’Apфtre (1 Co 7, 33) : « Celui qui est avec une йpouse est sollicitй par ce qui est du monde,
comment lui plaire et il est divisй ». c'est-а-dire, son cњur n’est
pas seulement poussй en Dieu.
Tertio vero
ex infirmitate praesentis vitae, cuius necessitatibus oportet aliquatenus
hominem occupari, et retrahi, ne actualiter mens feratur in Deum; dormiendo,
comedendo, et alia huiusmodi faciendo, sine quibus praesens vita duci non
potest : et ulterius ex ipsa corporis gravitate anima deprimitur, ne divinam
lucem in sui essentia videre possit, ut ex tali visione caritas perficiatur;
secundum illud apostoli, II ad Cor.,
V, 6 : Quamdiu sumus in corpore,
peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus, et non per speciem.
3. Troisiиmement,
par la faiblesse de la vie prйsente par les nйcessitйs desquelles il est
nйcessaire jusqu’а un certain point que l’homme s’occupe, et se soustrait а
ce que l’esprit soit portй de faзon actuelle en Dieu ; en dormant, en
mangeant, et en faisant d’autres choses de ce genre ; sans lesquels la
vie prйsente ne peut кtre кtre menйe ; et en plus l’вme est abattue par
la lourdeur du corps, de sorte а ne pas pouvoir voir la lumiиre divine en son
essence, pour parachever la charitй en une telle vision, selon cette parole
de l’Apфtre (2 Co 5, 6[59]) : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous
marchons loin du Seigneur, car nous avanзons par la foi et non ‘dans une
claire vision’ ».
Homo
autem in hac vita potest esse sine peccato mortali avertente ipsum a Deo; et
iterum potest esse sine occupatione temporalium rerum, sicut apostolus dicit,
I ad Cor., c. VII, 33 : Qui sine uxore est, sollicitus est de his
quae sunt domini, quomodo placeat Deo. Sed ab onere corruptibilis carnis
in hac vita liber esse non potest. Unde quantum ad remotionem primorum duorum
impedimentorum, caritas potest esse perfecta in hac vita; non autem quantum
ad remotionem tertii impedimenti; et ideo illam perfectionem caritatis quae
erit post hanc vitam, nullus in hac vita habere potest, nisi sit viator et
comprehensor simul; quod est proprium Christi.
Mais l’homme en cette vie peut exister
sans pйchй mortel qui le dйtourne de Dieu, et а nouveau il peut exister sans
s’occuper de ce qui est temporel, comme l’Apфtre le dit, (1 Co 7, 33) : « Celui qui est sans йpouse, est sollicitй par ce qui concerne le
Seigneur : comment plaire а Dieu ». Mais par le poids de la chair
corruptible en cette vie il n’est pas possible d’кtre libre. C'est pourquoi
si on s’йcarte des deux premiers empкchements, la charitй peut кtre parfaite
en cette vie ; mais pas si on s’йcarte du troisiиme, et c'est pourquoi
cette perfection de la charitй qui existera aprиs cette vie, personne ne peut
la possйder en cette vie, а moins qu’il ne soit cheminant et comprйhenseur[60] en mкme temps, ce qui est
le propre du Christ.
Solutions :
[66308] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dicitur, Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, intelligitur esse
praeceptum, secundum quod totalitas excludit omne illud quod impedit
perfectam Dei inhaesionem; et hoc non est praeceptum, sed finis praecepti :
indicatur enim nobis per hoc non quid faciendum sit, sed potius quo tendendum
sit, ut dicit Augustinus.
1. Ce qui est dit que : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout
ton cњur », est compris comme un prйcepte selon que la totalitй
exclut tout ce qui empкche une adhйsion parfaite а Dieu ; et ce n’est
pas un prйcepte, mais son but; car il nous est indiquй par cela non ce qui
doit кtre fait, mais plutфt ce а quoi il faut tendre, comme le dit Augustin.
[66309] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diligere meliora tanto plus quanto eorum
bonitas exigit, sic non potest homo, sicut non potest perfectam caritatem
habere, ut dictum est.
2. Aimer les choses les meilleures
d’autant plus que leur bontй l’exige, l’homme ne le peut pas, de mкme qu’il
ne peut pas avoir une charitй parfaite comme il a йtй dit.
[66310] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in hoc ipso quod est facere unum amantem cum amato, multiplex
gradus inveniri potest. Tunc vero perfecte mens nostra erit unum cum Deo,
quando semper actualiter feretur in ipsum; quod non est possibile in hac
vita.
3. Dans le fait d’unir l’amant а l’aimй,
on peut trouver de nombreux degrйs. Mais alors notre esprit sera parfaitement
un avec Dieu, quand toujours de maniиre actuelle il sera portй en lui, ce qui
n’est pas possible en cette vie.
[66311] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perfectio quae convenit alicui rei secundum
suam speciem, secundum quodcumque tempus ei convenit; sicut homo quolibet
tempore et qualibet aetate est perfectus anima rationali. Unde perfectio
caritatis quae est secundum quodcumque tempus, est perfectio quae competit
caritati secundum eius speciem. Est autem de ratione caritatis ut Deus super
omnia diligatur, et ut nullum creatum ei praeferatur in amore. Unde, cum
omnis tentatio ex amore alicuius boni creati proveniat, vel ex timore mali
contrarii, quod etiam ex amore derivatur; ex sua specie hoc habet caritas in
quolibet statu, quod cuilibet tentationi resistere possit, ita etiam,
scilicet, quod in peccatum mortale per eam homo non inducatur, non autem quod
nullo modo tentatione afficiatur : hoc enim pertinet ad perfectionem patriae.
4. La perfection, qui convient а une chose
selon son espиce, lui convient selon n’importe quel temps ; de mкme que
l’homme en n’importe quel temps et en n’importe quel вge est parfait par son
вme douйe de raison. C'est pourquoi la perfection de la charitй qui concerne
n’importe quel temps, est une perfection qui convient а la charitй selon son
espиce. C’est aussi de la nature de la charitй que Dieu soit aimй par dessus
tout, et qu’aucune crйature ne lui soit prйfйrйe en amour. C'est pourquoi
comme tout tentation provient de l’amour d’un bien crйй, ou de la crainte
d’un mal contraire, ce qui est aussi se dйtourner de l’amour, par sa nature
la charitй possиde en n’importe quel йtat, de pouvoir rйsister а n’importe
quelle tentation, de sorte aussi que l’homme ne soit pas amenй par elle au
pйchй mortel mais pas qu’il ne soit affectй par la tentation en aucune
maniиre, car cela convient а la perfection de la patrie.
[66312] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eodem modo Deus in patria et totaliter
videbitur et totaliter diligetur;
secundum, scilicet, quod ly totaliter se tenet ex parte diligentis et
videntis; quia, scilicet, totum posse creaturae applicabitur ad videndum et
diligendum Deum. Similiter etiam potest intelligi, quod Deus totaliter
videbitur et diligetur, quia non est aliqua pars eius quae non videatur et
diligatur, cum ipse non sit compositus, sed simplex. Sed tamen secundum alium
intellectum non totaliter diligetur, nec totaliter videbitur; quia, scilicet,
non tantum videbitur, nec tantum ab aliqua creatura diligetur, sicut
visibilis est et diligibilis. Sed in vita ista nec etiam secundum primum aut
secundum modum Deus totaliter videri aut diligi potest : quia nec ipse per
essentiam suam videtur, nec est possibile homini, in hac vita viventi, ut
absque intermissione eius affectus actualiter feratur in Deum. Sed tamen
quodammodo totaliter diligitur Deus ab homine in hac vita, in quantum nihil
est in affectu eius contrarium dilectioni divinae.
5. De la mкme maniиre Dieu sera vu
totalement et totalement aimй dans la patrie ; selon que le totalement se tient du cфtй de celui
qui aime et qui voit ; parce que tout le pouvoir de la crйature sera
appliquй а voir et а aimer Dieu. De la mкme maniиre aussi on peut penser que
Dieu sera vu et aimй totalement, parce qu’il n’y a aucune partie de lui qui
ne soit vue et aimйe, puisque lui-mкme n’est pas composй, mais simple. Mais
cependant selon un autre concept, il ne sera pas totalement aimй ni
totalement vu, parce qu’il ne sera pas aussi vu ni aussi aimй par une crйature,
qu’il est visible et digne d’amour. Mais en cette vie, ni selon le premier
mode, ni selon le second, Dieu ne peut кtre vu ni aimй : parce qu’il n’est vu
lui-mкme par son essence, et il n’est pas possible а l’homme, vivant en cette
vie, que son affection se porte en Dieu sans arrкt de maniиre active. Mais
cependant d’une certaine maniиre Dieu est aimй totalement par l’homme en
cette vie en tant qu’il n’y a rien dans son affection de contraire а l’amour
divin.
[66313] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntas est domina sui actus quantum ad hoc
quod agat, non quantum ad hoc quod continue in uno actu perseveret; cum
conditio huius vitae requirat ut actus et voluntas ferantur ad multa. Vel
potest dici, quod voluntas est domina sui actus in his quae sunt homini
connaturalia; sed perfectio caritatis, maxime quae erit in patria, est super
hominem, et praecipue si consideretur homo secundum statum praesentis vitae.
6. La volontй est maоtresse de son acte
pour ce qu’elle fait, non quant au fait qu’elle persiste continuellement dans
un acte ; puisque la condition de cette vie requiert que l’acte et la
volontй se portent а de nombreux objets. Ou bien on peut dire que la volontй
est maоtresse de son acte en qui est naturel а l’homme, mais la perfection de
la charitй, surtout celle qui sera dans la patrie est au-dessus de l’homme et
principalement si on considиre l’homme selon l’йtat de la vie prйsente.
[66314] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliqua actio desinit esse delectabilis non
solum ex parte obiecti, sed etiam ex parte agentis quod deficit in virtute
agendi. Sic igitur dicendum est, quod actualiter semper ferri in Deum,
delectabile est ex parte obiecti; sed ex parte in hac vita constituti non
potest esse talis delectatio continua, quia contemplatio mentis humanae non
est sine actione virtutis imaginativae, et aliarum virium corporalium, quas
necesse est laxari diuturnitate actionis, propter corporis infirmitatem, unde
impeditur delectatio; et propter hoc dicitur Eccle., XII, 12 : Frequentis meditatio, carnis est afflictio.
7. Une action cesse d’кtre agrйable non
seulement du cфtй de son objet, mais aussi du cфtй de l’agent, parce qu’il
dйfaille dans son pouvoir d’agir. Ainsi donc il faut dire qu’кtre
actuellement portй en Dieu est agrйable, du cфtй de l’objet, mais du cфtй en
cette vie ne peut кtre constituй un tel plaisir continu, parce que la
contemplation de l’esprit humain n’est pas sans l’action du pouvoir de
l’image, et des autres forces corporelles, qu’il est nйcessaire de relвcher
dans la durйe de l’action, а cause de la faiblesse du corps, c'est pourquoi
le plaisir est empкchй et а cause de cela il est dit (Eccl. 12, 12 ?) : « La
mйditation de ce qui est frйquent est une affliction de la chair ».
[66315] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod perfectio caritatis non attenditur secundum
augmentum quantitatis, sed secundum intensionem qualitatis; quae quidem
intensio simplicitati caritatis non repugnat.
8. La perfection de la charitй n’est pas
atteinte selon une augmentation de la quantitй, mais selon l’intensitй de la
qualitй, qui ne s’oppose а la simplicitй de la charitй.
[66316] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod aliarum virtutum moralium obiecta sunt bona humana, quae non
excedunt vires hominis; et ideo ad omnimodam earum perfectionem potest homo
in hac vita pervenire. Sed obiectum caritatis est bonum
increatum quod vires hominis excedit; et ideo non est ratio similis.
9. Les objets des autres vertus morales
sont les biens humains, qui ne dйpassent pas les forces des hommes, et c'est
pourquoi l’homme peut parvenir а leur perfection de toutes sortes de
maniиres. Mais l’objet de la charitй est le bien incrйй qui dйpasse les
forces de l’homme, et c'est pourquoi ce n’est pas la mкme raison.
Solutions aux objections en
sens contraire :
[66317] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum
est, quod sine peccato mortali aliquis esse potest in hac vita, non autem
sine peccato veniali : quod quidem non repugnat perfectioni viae, sed
perfectioni patriae, quae est ut semper actu feratur in Deum; peccatum autem
veniale non tollit habitum caritatis, sed impedit actum eius.
1. Pour ce qui est objectй en sens
contraire, il faut dire que quelqu'un peut кtre sans pйchй mortel en cette
vie, mais pas sans pйchй vйniel ; ce qui ne s’oppose pas а la perfection
de la voie, mais а la perfection de la patrie, qui consiste а кtre portйe
toujours en acte en Dieu ; mais le pйchй vйniel n’enlиve pas l’habitus
de la charitй, mais empкche son action.
[66318] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod Deum in hac vita non possumus
perfecte cognoscere, ut sciamus de eo quid sit; possumus tamen cognoscere de
eo quid non sit, ut Augustinus dicit [VIII de Trinit., cap. II] ; et in hoc consistit perfectio
cognitionis viae. Et similiter in hac vita non possumus perfecte diligere
Deum, ut semper actu in ipsum feramur; sed ita quod nunquam in contrarium
eius feratur mens.
2. Nous ne pouvons pas connaоtre
parfaitement Dieu en cette vie, pour savoir ce qu’il est ; cependant
nous pouvons connaоtre ce qu’il n’est pas, comme Augustin le dit (la Trinitй, VIII, 2) ; et en cela
consiste la perfection de la connaissance de la voie. Et de la mкme maniиre
en cette vie, nous ne pouvons pas parfaitement aimer Dieu pour кtre toujours
portй en acte en lui, mais de sorte que jamais l’esprit soit portй dans son
contraire.
[66319] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod in hac vita non est caritas perfecta
nec simpliciter, nec secundum humanam naturam : sed solum secundum tempus. Ea vero quae sic perfecta sunt, habent quo
crescant, ut de pueris patet; et ideo caritas in hac vita semper habet quo
crescat.
3. En cette vie la charitй n’est parfaite
ni dans l’absolu, ni selon la nature humaine, mais selon le temps seulement.
Ce qui est ainsi parfait a ce par quoi il s’accroоt, comme on le voit pour
l’enfant, et c'est pourquoi la charitй en cette vie a toujours ce par quoi
elle s’accroоt.
[66320] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod perfecta caritas foras mittit timorem
servilem et initialem; non tamen timorem castum vel filialem, nec etiam
timorem naturalem.
4. La charitй parfaite йloigne au-dehors
la crainte servile et premiиre ; non cependant la crainte chaste ou
filiale, ni aussi la crainte naturelle.
Articulus
11 : [66321] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum
omnes teneantur ad perfectam caritatem habendam
Article 11 – Tous
les hommes sont-ils tenus de possйder une charitй parfaite ?
[66322] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 2
Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
[66323] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 1
Ad id enim quod est in praecepto, omnes tenentur. Sed perfectio caritatis est
in praecepto; dicitur enim Deuter.,
VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex
toto corde. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.
1. Car tous les hommes sont tenus а ce qui
est dans le prйcepte. Mais la perfection de la charitй est dans le prйcepte ;
car il est dit (Dt 6, 5)
: « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton cњur ». Donc tous sont tenus а la perfection de
la charitй.
[66324] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 2
Praeterea, hoc videtur esse de perfectione caritatis, quod homo omnes actus
suos referat in Deum. Sed ad hoc omnes homines tenentur; dicitur enim I ad Cor., X, 31 : Sive manducatis, sive bibitis, vel aliud
quid facitis; omnia in gloriam Dei facite. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.
2. Que l’homme rapporte tous ses actes а
Dieu semble concerner la perfection de la charitй. Mais tous les hommes y
sont tenus ; car il est dit en 1
Co 10, 31 : « Que vous
mangiez, ou que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites
tout pour la gloire de Dieu ». Donc tous sont tenus а la perfection
de la charitй.
[66325] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 3 Sed dicendum, quod praeceptum illud
Apostoli ad hoc se extendit ut omnia habitu referantur in Deum, sed non
actu.- Sed contra, praecepta legis
sunt de actibus virtutum; habitus autem non cadit sub praecepto. Non ergo
praeceptum Apostoli intelligitur de habituali resolutione nostrorum actuum in
Deo, sed de actuali.
3. Mais il faut dire que ce prйcepte de l’Apфtre s’йtend а tout rapporter
а Dieu par un habitus, mais non par un acte. — En
sens contraire,les
prйceptes de la loi concernent les actes des vertus, mais l’habitus ne tombe
pas sous le prйcepte. Donc le prйcepte de l’Apфtre ne tient pas compte du
relвchement habituel de nos actes en Dieu, maisdu relвchement actuel.
[66326] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 4
Praeterea, dominus, Matth., V, 17,
praecepta veteris legis adimplevit, secundum illud : Non veni solvere (legem),
sed adimplere. Haec autem adimpletio est de necessitate salutis, ut patet
per illud quod subditur Matth.,
cap. V 20 : Nisi abundaverit iustitia
vestra plusquam Scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum.
Ad ea autem quae sunt de necessitate salutis, omnes tenentur. Ergo et ad
praedictam adimpletionem servandam. Sed praedicta adimpletio ad perfectionem
pertinet; unde Dominus in fine concludit Matth.,
V, 48 : Estote perfecti, sicut Pater
vester caelestis perfectus est. Ergo ad perfectionem caritatis omnes
tenentur.
4. Le Seigneur, (Mt 5, 17) a accompli les prйceptes de la loi ancienne, selon cette
parole : « Je ne suis pas venu
pour abolir la loi mais pour
l’accomplir ». Mais cet accomplissement concerne la nйcessitй du
salut, comme on le voit par ce qui est ajoutй (Mt 5, 20) : « Si notre
justice ne dйpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez
pas dans le royaume des cieux. » Tous sont tenus а ce qui concerne
la nйcessitй du salut. Donc pour conserver l’accomplissement annoncй aussi.
Mais celui-ci convient а la perfection, c’est pourquoi le Seigneur conclut а
la fin (Mt 5, 48) : « Soyez parfaits comme votre Pиre du ciel
est parfait. ». Donc nous sommes tenus а la perfection de la
charitй.
[66327] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 5
Praeterea, ad consilia solum non omnes tenentur. Perfectio autem vitae
aeternae, aut caritatis, non attenditur secundum consilia : datur enim
consilium de paupertate, nec tamen sequitur quod qui magis est pauper, sit
perfectior; datur etiam consilium de virginitate, et tamen multi virgines
sunt aliis imperfectiores in caritate; et sic videtur quod perfectio
caritatis non consistat in consiliis. Nullus ergo excusatur a perfectione
caritatis.
5. Tous ne sont pas tenus aux conseils
seulement. Mais on n’atteint pas la perfection de la vie йternelle ou de la
charitй selon les conseils ; car un conseil est donnй concernant la
pauvretй, et cependant il n’en dйcoule pas que celui qui est plus pauvre,
soit plus parfait ; il est donnй aussi un conseil concernant la
virginitй, et cependant beaucoup de vierges sont plus imparfaites que
d’autres dans la charitй, et ainsi il semble que la perfection de la charitй
ne consiste pas dans les conseils. Donc personne n’est dispensй de la
perfection de la charitй.
[66328]
De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 6 Praeterea, status episcoporum est perfectior
quam status religiosorum; alioquin non posset aliquis licite de statu
religionis ad statum praelationis se transferre : unde et Dionysius dicit in Eccles. Hierarchia [cap. V], quod
episcopi sunt perfectiores; monachi autem sunt perfectius eorum virtutibus
traditi, et quod debent se sursum agere ad perfectiones quas in episcopis
vident. Nec tamen episcopi tenentur ad observandum huiusmodi consilium
paupertatis, et alia huiusmodi. Ergo in his non consistit perfectio
caritatis.
6. L’йtat des йvкques est plus parfait que
celui des religieux ; autrement quelqu’un ne pourrait pas lйgalement
passer de l’йtat de religion а celui de prйlat ; c'est pourquoi Denys
dit dans La Hiйrarchie ecclйsiastique, 5,
que les йvкques sont plus parfaits ; mais les ermites s’adonnent plus
parfaitement а leurs vertus, et ils doivent s’йlever aux perfections qu’ils
voient chez les йvкques. Et cependant les йvкques ne sont pas tenus
d’observer un conseil du genre de celui de la pauvretй ou autres. Donc ce
n’est pas en cela que la perfection de la charitй consiste
[66329] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 7
Praeterea, Dominus apostolis multa imposuit quae sunt de perfectione vitae :
ut quod non portarent duas tunicas, neque calceamenta, neque virgam, neque
aliquod huiusmodi. Sed quod iniunxit apostolis, omnibus iniunxit, secundum
illud Marc., XIII, 37 : Quod vobis dico, omnibus dico. Ergo
omnes tenentur ad perfectionem vitae.
7. Le Seigneur a imposй aux apфtres
beaucoup de prйceptes qui concernent la perfection de la vie, comme de ne pas
porter deux tuniques, porter ni sandales, ni bвton, ni rien de ce genre. Mais
ce qu’il a enjoint aux apфtres, il l’a enjoint а tous, selon cette parole de
Marc (12, 37) : « Ce que je vous
dis, je le dis а tous. » Donc tous sont tenus а la perfection de la
vie.
[66330] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 8
Praeterea, quicumque habet caritatem, plus amat vitam aeternam quam vitam
temporalem. Sed quilibet homo tenetur ad actum caritatis. Ergo quilibet homo
tenetur ad hoc quod vitam aeternam praeeligat vitae corporali. Sed, sicut
Augustinus dicit, caritas cum ad perfectionem venerit, dicit : Cupio dissolvi, et esse cum Christo.
Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem.
8. Quiconque a la charitй, prйfиre la vie
йternelle а la vie temporelle. Mais n’importe quel homme est tenu а l’acte de
charitй. Donc n’importe quel homme est tenu prйfйrer la vie йternelle а la
vie corporelle. Mais, comme Augustin le dit, quand la charitй est parvenue а
sa perfection, il dit : « Je
dйsire кtre dissout et кtre avec le Christ ». Donc n’importe qui est
tenu d’avoir une charitй parfaite.
[66331] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 9
Praeterea, Augustinus dicit, quod perfecta caritas est ut quis paratus sit
pro fratribus etiam mori. Sed ad hoc omnes tenentur, dicitur enim I Ioan., III, 16 : In hoc cognoscimus caritatem Dei, quoniam
ille pro nobis animam suam posuit; et nos debemus pro fratribus animas ponere.
Ergo quilibet tenetur ad perfectionem caritatis.
9. Augustin dit que la charitй parfaite
est que quelqu’un soit prкt а mourir aussi pour ses frиres. Mais tous y sont
tenus, car il est dit en 1 Jn 3, 16
: « Nous connaissons la charitй de
Dieu, parce qu’il a donnй son вme pour nous ; et nous devons donner nos
вmes pour nos frиres ». Donc n’importe qui est tenu а la perfection
de la charitй.
[66332] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 10
Praeterea, quilibet tenetur vitare peccatum. Sed qui est sine peccato, habet
fiduciam in die iudicii : quia in hoc
perfecta est caritas Dei nobiscum, ut fiduciam habeamus in die iudicii,
ut dicitur I Ioan., IV, 17. Ergo
omnes tenentur ad perfectionem caritatis.
10. N’importe qui est tenu d’йviter le
pйchй. Mais celui qui est sans pйchй, a confiance au jour du jugement :
« Parce que la charitй de Dieu est
parfaite en nous, pour que nous ayons confiance au jour du jugement. »
comme il est dit en 1 Jn 4, 17.
Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.
[66333] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 11
Praeterea, philosophus dicit in VIII Ethic.
: Deo et parentibus non possumus
reddere aequivalens; sed sufficit ut quilibet eis reddat quod potest. Sed
perfectio caritatis in hoc consistit ut aliquis faciat pro Deo quod potest,
quia nullus facit ultra posse. Ergo quilibet tenetur habere perfectam
caritatem.
11. Le philosophe dit (Йthique, VIII, 16, 1163 b 15) :
« Nous ne pouvons rendre l’йquivalent
а Dieu ni а nos parents ; mais il suffit que n’importe qui leur rende ce
qu’il peut ». Mais la perfection de la charitй consiste en ce que
quelqu'un fasse pour Dieu ce qu’il peut, parce que personne ne fait qu’il
puisse aller au-delа. Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charitй
parfaite.
[66334] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 12
Praeterea, religiosi profitentur perfectionem vitae. Ergo ipsi videntur
teneri ad habendam perfectionem caritatis, et ad omnia quae ad perfectionem
vitae pertinent.
12. Les religieux s’engagent а la
perfection de la vie. Donc ils semblent кtre tenus d’avoir la perfection de
la charitй, et tout ce qui convient а cette perfection.
En sens contraire :
[66335] De virtutibus, q. 2 a. 11 s. c.
Sed contra, est quod nullus tenetur ad id quod non est in ipso. Sed habere
perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo. Non ergo potest esse in
praecepto.
Nul n’est tenu а ce qui n’est pas en
lui-mкme. Mais avoir le charitй parfaite ne vient pas de nous, mais de Dieu.
Donc cela ne peut pas кtre dans le prйcepte.
Rйponse :
[66336] De virtutibus, q. 2 a. 11 co.
Respondeo. Dicendum, quod huius quaestionis solutio ex praemissis accipi
potest.
On peut tirer la solution de cette
question de ce qui a йtй dit auparavant.
Ostensum est enim supra, quod aliqua
perfectio est quae ipsam speciem caritatis consequitur, utpote quae consistit
in remotione cuiuslibet inclinationis in contrarium caritatis. Quaedam autem perfectio est, sine qua
caritas esse potest, quae pertinet ad bene esse caritatis; quae scilicet
consistit in remotione occupationum saecularium, quibus affectus humanus
retardatur ne libere progrediatur in Deum. Est autem et quaedam alia perfectio caritatis, quae non est possibilis homini
in hac vita, et quaedam ad quam
nulla natura creata pertingere potest; ut ex supradictis apparet.
On a en effet montrй ci-dessus qu’il
existe une perfection qui dйcoule de la nature de la charitй, celle qui
consiste а йcarter tout penchant а ce qui est contraire а la charitй. Or il y
a une perfection, sans laquelle la
charitй ne peut pas exister, qui aboutit а son bien-кtre; c’est-а-dire qui
consiste а s’йcarter des occupations du siиcle, qui empкchent la disposition
de l’homme de progresser librement vers Dieu. Et il y a une autre perfection de la charitй qui
n’est pas possible pour l’homme en cette vie, et une а laquelle aucune nature crййe ne peut parvenir, comme on le
voit par ce qui a йtй dit plus haut.
Manifestum est autem, quod ad illud omnes
teneri dicuntur, sine quo salutem consequi non possunt. Sine caritate autem
nullus potest salutem aeternam consequi, et ea habita ad salutem aeternam
pervenitur.
Il est йvident qu’on dit que tous sont
tenus а ce sans quoi le salut ne peut кtre obtenu. Or sans la charitй
personne ne peut obtenir le salut йternel et un fois qu’on l’a, on y
parvient.
Unde ad
primam perfectionem caritatis omnes tenentur sicut ad ipsam caritatem. Ad
secundam vero perfectionem, sine qua caritas esse potest, homines non
tenentur, cum quaelibet caritas sufficiat ad salutem. Multo etiam minus
tenentur ad tertiam vel quartam perfectionem, cum nullus ad impossibile
teneatur.
C'est pourquoi tous sont tenus а la
premiиre perfection de la charitй comme а la charitй elle-mкme. A la seconde
perfection sans laquelle la charitй ne peut exister, les hommes n’y sont pas
tenus, puisque n’importe quelle charitй suffit au salut. Encore beaucoup
moins sont-ils tenus а la troisiиme ou а la quatriиme perfection puisque
personne n’est tenu а l’impossible.
Solutions
:
[66337] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod totalitas illa, secundum quod cadit sub praecepto
caritatis, pertinet ad perfectionem sine qua caritas esse non potest.
1. Cette totalitй selon qu’elle tombe sous
le prйcepte de la charitй, tend а la perfection sans laquelle la charitй ne
peut pas exister
[66338] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod omnia actu referre in Deum, non est possibile in hac
vita, sicut non est possibile quod semper de Deo cogitetur; hoc enim pertinet
ad perfectionem patriae. Sed quod omnia virtute referantur in Deum, hoc
pertinet ad perfectionem caritatis ad quam omnes tenentur. Ad cuius
evidentiam considerandum est, quod, sicut in causis efficientibus virtus
primae causae manet in omnibus causis sequentibus, ita etiam intentio
principalis finis virtute manet in omnibus finibus secundariis; unde
quicumque actu intendit aliquem finem secundarium, virtute intendit finem
principalem; sicut medicus, dum colligit herbas actu, intendit conficere
potionem, nihil fortassis de sanitate cogitans, virtualiter tamen intendit
sanitatem, propter quam potionem dat. Sic igitur, aliquis seipsum ordinat in
Deum, sicut in finem, in omnibus quae propter seipsum facit manet virtute
intentio ultimi finis, qui Deus est : unde in omnibus mereri potest, si
caritatem habeat. Hoc igitur modo Apostolus praecipit quod omnia in Dei
gloriam referantur.
2. Rapporter tout en acte а
Dieu n’est pas possible en cette vie, de mкme qu’il n’est pas possible de
penser toujours а Dieu, car cela convient а la perfection de la patrie. Mais
que tout soit rapportй en puissance а Dieu, cela convient а la perfection de
la charitй а laquelle tous sont tenus. Pour le montrer il faut considйrer
que, de mкme que dans les causes efficientes le pouvoir de la cause premiиre
demeure dans toutes les causes suivantes, de mкme aussi tendre а la fin
principale demeure en pouvoir dans toutes les fins secondaires ; c'est
pourquoi quiconque atteint en acte une fin secondaire, atteint la fin
principale ; ainsi pendant que le mйdecin est en train de ramasser des
herbes, il cherche а achever la potion, peut-кtre sans penser en rien а la
santй, cependant potentiellement il cherche la santй, pour laquelle il donne
cette potion. Ainsi donc, quelqu'un s’ordonne lui-mкme а Dieu, comme а sa
fin, dans tout ce qu’il fait pour lui, sa recherche de la fin ultime qui est
Dieu, demeure en puissance : c'est pourquoi il peut mйriter en tout, s’il a
la charitй. Donc de cette maniиre l’Apфtre recommande que tout soit rapportй
а la gloire de Dieu.
[66339]
De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliud est habitualiter referre in Deum, et aliud virtualiter. Habitualiter enim refert in Deum et qui
nihil agit, nec aliquid actualiter intendit, ut dormiens; sed virtualiter
aliquid referre in Deum, est agentis propter finem ordinantis in Deum. Unde
habitualiter referre in Deum, non cadit sub praecepto; sed virtualiter
referre omnia in Deum, cadit sub praecepto caritatis : cum hoc nihil aliud
sit quam habere Deum ultimum finem.
3. Rapporter [tout] habituellement а Dieu
est diffйrent que de rapporter [tout] virtuellement. Car celui qui ne fait
rien, rapporte [tout] а Dieu habituellement et il n’atteint rien en acte,
comme quand il dort : mais rapporter quelque chose а Dieu virtuellement c’est
le propre de l’agent qui le dispose а Dieu en vue de la fin. C’est pourquoi
habituellement rapporter [tout] а Dieu ne tombe pas sous le prйcepte ;
mais lui rapporter tout virtuellement tombe sous le prйcepte de la charitй :
puisque ce n’est rien d’autre qu’avoir Dieu comme fin ultime.
[66340] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illud quod dicitur, Estote perfecti etc., videtur esse referendum ad dilectionem
inimicorum, quae quodammodo est de perfectione consilii, et quodammodo est de
necessitate praecepti, ut supra, art. 8, expositum est.
4. Ce qui est dit : « Soyez parfaits, etc. » semble
devoir кtre reportй а l’amour des ennemis, qui d’une certain maniиre concerne
la perfection du conseil, et d’une autre la nйcessitй du prйcepte, comme, on
l’a exposй ci-dessus, art. 8.
[66341] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod perfectio vitae aeternae in quibusdam quidem consistit principaliter et per se; in quibusdam autem secundario, et quasi
per accidens. Principaliter quidem
et per se consistit perfectio in
his quae pertinent ad interiorem mentis dispositionem, et praecipue in actu
caritatis, quae est radix omnium virtutum; secundario vero et per
accidens consistit etiam in quibusdam exterioribus, ut puta in
virginitate, paupertate, et huiusmodi.
5. La perfection de la vie йternelle en certains s’йtablit principalement et
par soi, mais en certains
secondairement, et comme par accident. La perfection s’йtablit principalement et par soi en ce qui vise а la disposition intйrieure de l’esprit, et
surtout dans l’acte de charitй, qui est la racine de toutes les vertus ;
mais elle s’йtablit secondairement et par accident aussi en certaines [vertus] extйrieures, comme la virginitй, la
pauvretй etc.
Haec
enim ad perfectionem pertinere dicuntur tripliciter.
Primo quidem, in quantum per ea subtrahuntur homini
impedimenta occupationum, quibus remotis mens liberius fertur in Deum; unde
et dominus cum dixisset, Matth.XIX, 21 : Si vis perfectus esse, vade, et vende omnia quae habes, et da
pauperibus, consequenter adiecit : Et
veni, et sequere me; ut ostenderet, quod paupertas ad perfectionem non
pertineret, nisi in quantum disponit ad sequendum Christum. Quem quidem
sequimur non passibus corporis, sed affectibus mentis. Similiter Apostolus, I ad Cor., VII, 34, consilium dat de
non nubendo; quia quae virgo est,
cogitat quae Dei sunt, quomodo placeat Deo; et eadem ratio est de aliis
similibus.
Car on dit que ces vertus conviennent de trois maniиres :
a.
Premiиrement en tant qu’elles
enlиvent de l’homme les embarras causйs par les occupations, lesquels une
fois enlevйs l’esprit est portй plus librement en Dieu : c'est pourquoi comme
le Seigneur l’avait dit (Mt 19, 21)
: « Si tu veux кtre parfait, va et
vend tout ce que tu as et donne-le aux pauvres » en consйquence il
ajoute : « Et viens et suis-moi » ;
pour montrer que la pauvretй ne conviendrait а la perfection qu’en tant
qu’elle dispose а suivre le Christ. Nous le suivons non pas а pas avec le
corps, mais par les dispositions de l’esprit. De la mкme maniиre, l’Apфtre (1 Co 7, 34) donne le conseil de ne pas
se marier ; parce que « Celle
qui est vierge, pense а ce qui concerne Dieu, comment lui plaire » ;
et c’est la mкme raison pour d’autres vertus semblables.
Secundo pertinent ad perfectionem, in quantum sunt
quidam perfectae caritatis effectus qui enim perfecte diligit Deum, ab his se
retrahit quae eum retrahere possunt ne Deo vacet.
b. Deuxiиmement,
elles visent а la perfection en tant qu’elles sont des dipositions de la
charitй parfaite, qui en effet aime Dieu parfaitement, et s’йloigne de ce qui
peut l’empкcher de s’occuper de Dieu.
Tertio pertinent ad perfectionem poenitentiae;
quia nulla satisfactio pro peccatis adaequari potest votis religionis, quibus
homo se Deo consecrat, et animam per votum obedientiae, et corpus per votum
continentiae, et res omnes per votum paupertatis.
Sic igitur in his quae principaliter et
per se ad perfectionem pertinent, sequitur quod sit maior perfectio ubi haec
inveniuntur magis, sicut quod perfectior est qui maioris est caritatis. In
his autem quae ex consequenti et quasi per accidens, ad perfectionem
pertinent, non sequitur magis simpliciter ubi magis inveniuntur. Unde non
sequitur quod magis pauper sit magis perfectus; sed mensuranda est in talibus
perfectio per comparationem ad illa in quibus consistit perfectio
simpliciter; ut scilicet ille dicatur perfectior, cuius paupertas magis
sequestrat hominem a terrenis occupationibus, et facit liberius Deo vacare.
c. Troisiиmement,
elles disposent а la perfection de la pйnitence, parce qu’aucune
satisfaction pour les pйchйs ne peut кtre йquivalent а des vњux de religion,
par lesquels l’homme se consacre а Dieu, et [consacre] son вme par un vњu
d’obйissance, son corps par un vњu de continence et toutes choses par un vњu
de pauvretй.
Ainsi
donc en ces vertus qui conviennent principalement et par soi а la perfection,
il rйsulte que la perfection est plus grande lа oщ on les trouve davantage,
de la mкme maniиre qu’est parfait celle qui est d’une plus grande charitй.
Mais en ceux qui visent а la perfection, par consйquence et comme par
accident, il n’y rйsulte absolument pas plus de consйquences quand lа on les
trouve davantage. C'est pourquoi il ne rйsulte pas qu’un plus pauvre est plus
parfait ; mais en de tels cas, la perfection doit кtre mesurйe par
comparaison а ce en quoi consiste absolument la perfection ; pour dire
par exemple celui-ci est plus parfait dont la pauvretй sйpare plus l’homme
des occupations terrestres et le rend plus libre pour s’occuper de Dieu.
[66342] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod haec est differentia inter amicitiam honesti et
delectabilis : quia in amicitia delectabilis, amicus diligitur propter
delectationem; in amicitia autem honesti amicus diligitur propter seipsum,
sed delectatio provenit ex consequenti. Ad perfectionem igitur amicitiae
honesti pertinet ut aliquis propter amicum interdum abstineat etiam a
delectatione quam in eius praesentia habet, in eius servitiis occupatus.
Secundum igitur hanc amicitiam plus amat aliquem qui ab eo se absentat
propter amicum, quam qui a praesentia amici discedere non vult etiam propter
amicum. Sed si quis libenter vel faciliter a praesentia amici divellitur et
in aliis magis delectatur, vel nihil vel parum comprobatur amicum diligere.
6. C’est la diffйrence entre
l’amitiй de l’honnкte et celle de l’agrйable; parce que dans l’amitiй
agrйable, l’ami est aimй pour le plaisir, mais dans l’amitiй de l’honnкte
l’ami est aimй pour lui-mкme, mais le plaisir en dйcoule par consйquence.
Donc pour la perfection de l’amitiй de l’honnкte il vise а ce que quelqu'un а
cause de son ami parfois s’abstienne aussi du plaisir qu’il trouve en sa
prйsence, dans ses occupations domestiques. Donc selon cette amitiй il aime
plus quelqu'un qui s’йloigne de lui а cause de son ami que celui qui ne veut
pas se sйparer de la prйsence de l’ami aussi а cause de lui. Mais si
quelqu'un se dйtache volontiers ou facilement de la prйsence de son ami et se
dйlecte plus en d’autres, aimer un ami n’est prouvй en rien ou en bien peu.
Hos
igitur tres gradus considerare possumus in caritate. Deus autem maxime
propter seipsum est diligendus. Sunt enim quidam
qui libenter, vel sine magna molestia, separantur a vacatione divinae
contemplationis, ut terrenis negotiis implicentur, et in his vel nihil vel
modicum caritatis apparet. Quidam verum
in tantum delectantur in vacatione divinae contemplationis, quod eam deserere
nolunt, etiam ut divinis obsequiis mancipentur ad salutem proximorum. Quidam vero ad tantum culmen caritatis
ascendunt, quod etiam divinam contemplationem, licet in ea maxime
delectentur, praetermittunt, ut Deo serviant in salutem proximorum; et haec
perfectio in Paulo apparet, qui dicebat Rom., IX, 3 : Optabam ego ipse anathema, id est separatus, esse a Christo pro fratribus meis;- et ad Philipp., I, 23-24 : Desiderium habens dissolvi, et esse cum
Christo; permanere autem in carne necessarium propter vos. Et haec
perfectio est proprie praelatorum, et praedicatorum, et quorumcumque aliorum,
qui procurandae saluti aliorum insistunt; unde significantur per Angelos in
scala Iacob ascendentes quidem per contemplationem, descendentes vero per
sollicitudinem quam de salute proximorum gerunt. Nec derogare potest
perfectioni status praelatorum, quod aliqui statu praelatorum abutuntur quaerentes
praelationem propter temporalia bona, quasi dulcedine contemplationis non
allecti; sicut nec incredulitas multorum, fidem Dei evacuat, ut dicitur Rom.,
III.
Donc nous pouvons considйrer ces trois
degrйs dans la charitй. Mais Dieu surtout doit кtre aimй а cause de lui-mкme.
Car il y en a certains, qui
librement ou sans grand embarras s’abstiennent de laisser libre court а la
contemplation divine, pour s’impliquer dans des affaires terrestres, et en
eux ou rien ou peu de charitй n’apparaоt. Mais certains dans la mesure oщ ils sont charmйs dans ce libre cours
de la contemplation divine, qu’ils ne veulent pas abandonner, s’abandonnent
aux complaisances divines pour le salut de leurs proches. Mais certains montent а un tel sommet de
charitй, que bien qu’ils en soient tout а fait charmйs, ils l’abandonnent
pour se consacrer au salut de leurs proches ; et cette perfection
apparaоt chez Paul, qui disait (Rm
9, 3) : « Je souhaiterais кtre moi-mкme
anathиme », c'est-а-dire sйparй, « sйparй du Christ pour mes frиres »et aux Ph 1, 23-24 : « Ayant
le dйsir d’кtre dissout, et d’кtre avec le Christ, mais demeurer dans ma
chair est nйcessaire а cause de vous ». Et cette perfection est
particuliиrement celle des prйlats, et des prйdicateurs et de certains
autres, qui s’attachent а procurer le salut aux autres ; c'est pourquoi
ils sont reprйsentйs par les anges qui montent sur l’йchelle de Jacob par la
contemplation, mais descendent par la sollicitude qu’ils portent au salut de
leurs proches. Et l’йtat des prйlats ne peut pas dйroger а la perfection
parce que certains abusent de l’йtat de prйlat prйfйrant les biens temporels,
comme non attirйs par le douceur de la contemplation ; de mкme que non
plus l’incrйdulitй de beaucoup n’anйantit pas la foi en Dieu, comme il est dit
en Rm 3.
[66343] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod in doctrina evangelica quaedam dicta sunt apostolis
in persona omnium fidelium, ea scilicet quae pertinent ad necessitatem
salutis; unde et Marc., XIII, 37,
dicit : Quod vobis dico, omnibus dico :
Vigilate; nam in vigilantia ibi intelligitur sollicitudo quam homo debet
habere, ne imparatus inveniatur a Christo. Quaedam vero dicuntur apostolis
quae pertinent ad perfectionem vitae, et ad praelati officium; et ad hoc
extendi non potest, Quod vobis dico,
omnibus dico.
Sciendum tamen, quod illa quae dixit
Dominus discipulis Luc., IX, 3 : Nihil in via tuleritis etc., secundum
quod Augustinus exponit in Lib. de
consen. Evangelist., non pertinent ad perfectionem vitae, sed ad
potestatem dignitatis apostolicae, per quam poterant, nihil secum ferentes,
vivere de his quae ministrabantur ab his quibus Evangelium praedicabant :
unde ibidem dicitur, quod dignus est
operarius mercede sua, vel cibo suo, unde nec praeceptum fuit, nec
consilium, sed concessio. Et propter hoc Paulus, qui secum necessaria
deferebat, non utens hac concessione, supererogabat, quasi propriis
stipendiis militans, ut patet I ad Cor.,
IX 7.
7. Dans la doctrine йvangйlique, certaines
(paroles) ont йtй dites aux apфtres dans la personne de tous les fidиles, ce
qui convient а la nйcessitй du salut : c'est pourquoi Marc dit (13, 37) :
« Ce que je vous dis, je le dis а
tous : Veillez » ; car dans la vigilance ici on pense la
sollicitude que l’homme doit avoir, pour ne pas кtre trouvй par le Christ
sans кtre prйparй. Mais certaines (paroles) sont dites aux apфtres qui
appartiennent а la perfection de la vie et au devoir du prйlat ; et on
ne peut pas l’йtendre а cela : « Ce
que je vous dis, je le dis а tous ».
Cependant il
faut savoir que ces paroles que le Seigneur a dites aux disciples, Luc (9, 3) : « N’emportez rien pour le chemin »,
etc. selon ce qu’Augustin expose dans (L’accorddes Йvangйlistes), ne vise pas а la
perfection de la vie, mais а la puissance de la dignitй apostolique, par
laquelle, ils ne pourrons, en emportant rien avec eux, vivre de ce que leur
servait ceux auxquels ils annonзaient l’Йvangile ; c'est pourquoi il est
dit lа mкme que « Celui qui
travaille est digne de sa rйcompense, ou de sa nourriture », c'est
pourquoi cela n’a pas йtй un prйcepte, ni un conseil, mais une concession. Et
а cause de cela Paul qui portait avec lui son nйcessaire, sans utiliser cette
concession donnait en sus se servant pour ainsi dire de son propre salaire,
comme on le voit en 1 Co 9, 7[62].
[66344] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod in homine sunt duo
affectus; unus caritatis, quo anima desiderat esse cum Christo; alius autem naturalis, quo anima
refugit separationem a corpore, qui adeo est homini naturalis, quod nec etiam
Petro senectus abstulit, ut Augustinus dicit super Ioan. Ex coniunctione ergo horum duorum affectuum vellet
anima sic coniungi Deo, quod non separaretur a corpore; secundum illud
Apostoli, II ad Corinth., V, 4 : Nolumus expoliari, sed supervestiri; ut
absorbeatur quod mortale est a vita. Sed quia hoc est impossibile (quamdiu enim sumus in corpore,
peregrinamur a Domino [ut ibidem 6, subditur]; insurgit quaedam
contrarietas inter praedictos affectus, et quanto caritas est perfectior,
tanto sensibilius affectus caritatis vincit affectum naturae; et hoc ad
perfectionem caritatis pertinet. Unde et Apostolus ibidem subdit : Audemus autem, et bonam voluntatem
habemus, magis peregrinari a corpore; et praesentes esse ad dominum.
8. Dans l’homme il y a deux dispositions de l’вme : l’une de
la charitй, par laquelle elle dйsire кtre avec le Christ, l’autre, naturelle par laquelle elle
fuit la sйparation du corps, qui est si naturelle а l’homme, que la
vieillesse ne l’a pas enlevйe а Pierre, comme Augustin le dit (Sur Jn). Donc par l’union de ces deux
dispositions, l’вme voudrait кtre unie а Dieu, sans se sйparer du corps,
selon cette parole de l’Apфtre (2 Co 5,
4) : « Nous ne voulons pas nous
dйvкtir mais nous revкtir par dessus ; afin que ce qui est mortel soit
englouti par la vie ». Mais parce que cela est impossible : (« En effet tant que nous sommes dans ce
corps, nous marchons loin du Seigneur », comme c’est ajoutй au
verset 6) ; il se lиve une contrariйtй entre les dispositions dont on a
parlй, et plus la charitй est parfaite, plus la disposition sensible de la
charitй vainc celle de la nature. C'est pourquoi l’Apфtre а ce mкme endroit
ajoute : « Mais nous avons de
l’audace, et nous avons de la bonne volontй, plus de quitter ce corps, et
demeurer auprиs du Seigneur » (verset 8).
Sed in his in quibus est caritas
imperfecta, si tantum affectus caritatis vincat, ex repugnantia tamen
naturalis affectus redditur insensibilis victoria caritatis. Quod ergo aperte
et indubitanter, sive audacter, Apostolus dicit : cupio dissolvi, et esse cum Christo, hoc perfectae caritatis est;
sed quod qualitercumque, licet insensibiliter, praeferat anima fruitionem Dei
unioni corporis, est de necessitate caritatis.
Mais en ce en quoi la charitй est
imparfaite, si seulement la disposition de la charitй est vainqueur,
cependant par la rйpugnance de la disposition naturelle, la victoire de la
charitй est rendue insensible. Donc ce que l’Apфtre dit ouvertement et sans
aucun doute, ou mкme avec audace : « Je
dйsire кtre dissout, et кtre avec le Christ », cela est d’une
parfaite charitй ; mais que de quelque maniиre, bien qu’insensiblement,
l’вme prйfиre la fruition de Dieu а l’union du corps, concerne la nйcessitй
de la charitй.
[66345] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod ponere animam, id est, vitam praesentem, pro fratribus
quodammodo est de necessitate caritatis, et quodammodo est de perfectione
ipsius. Plus enim homo debet diligere proximum quam corpus proprium; unde in
eo casu quo aliquis tenetur procurare proximi salutem, tenetur etiam pro
ipsius salute periculis corporalem vitam exponere. Sed hoc perfectae
caritatis est ut etiam pro his in quibus proximo non tenetur, pro eo
corporalem suam vitam periculis quis exponat.
9. Poser son вme, c'est-а-dire [donner] sa
vie prйsente, pour ses frиres, concerne d’une certaine maniиre la nйcessitй
de la charitй, et d’une certaine maniиre sa perfection.Car un homme doit
aimer son prochain plus que son propre corps. C'est pourquoi en ce cas oщ
quelqu'un est tenu de procurer la salut а son prochain, il est tenu aussi
pour son propre salut d’exposer sa vie corporelle aux dangers. Mais c’est le
propre d’une charitй parfaite que quelqu'un expose sa vie aux dangers pour
ceux en qui on n’est pas tenu comme au prochain.
[66346] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet quilibet teneatur esse sine peccato mortali, non
tamen omnium est huiusmodi rei securitatem habere; sed perfectorum, qui
peccata totaliter subiugaverunt.
10. Bien que n’importe qui soit tenu
d’кtre sans pйchй mortel, cependant tous ne sont pas assurйs d’une telle
rйalitй; mais c’est le propre des parfaits qui ont soumis totalement les
pйchйs.
[66347] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod et parentibus, et multo magis Deo, tenetur homo
rependere totum quod potest; tamen secundum communem modum humanae vitae,
supra quem potest aliquis aliquid erogare, ad quod tamen ex necessitate
praecepti non tenetur.
11. Pour les parents et beaucoup plus pour
Dieu, l’homme est tenu de payer en йchange tout ce qu’il peut, cependant
selon le mode commun de la vie humaine, au-dessus duquel quelqu'un peut payer
quelque chose, a quoi cependant il n’est pas tenu par la nйcessitй de
prйcepte.
[66348]
De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod perfectionem
caritatis nullus profitetur; sed profitentur aliqui statum perfectionis, qui
consistit in his quae organice ordinantur ad perfectionem caritatis, ut
paupertas et ieiunia; qui tamen nec ad omnia huiusmodi tenentur, sed ad illa
solum quae profitentur. Unde perfectio caritatis non cadit eis sub voto, sed
est eis ut finis, ad quem pervenire conantur per ea quae vovent.
12. Personne n’offre la perfection de la
charitй ; mais certains offrent un йtat de perfection qui consiste en ce
qui est organiquement ordonnй а la perfection de la charitй, comme la
pauvretй et le jeыne ; qui cependant ne sont pas tenus а tout ce qui est
de ce genre, mais seulement а ce qu’ils offrent. C'est pourquoi la perfection
de la charitй ne tombe pour eux sous un vњu, mais c’est pour eux comme une
fin а laquelle ils essayent de parvenir par ce qu’ils promettent par un vњu.
D/05/YY
Articulus 12 : [66349] De virtutibus, q. 2 a.
12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum caritas semel habita possit amitti
Article 12 – La
charitй, une fois acquise, peut-elle se perdre ?
[66350] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 2
Et videtur quod non.
Il semble que non.
[66351] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 1
Dicitur enim I Ioan., III, 9 : omnis qui natus est ex Deo, peccatum non
facit, quoniam semen ipsius in eo manet; et non potest peccare, quoniam ex
Deo natus est. Sed caritatem non habent nisi filii Dei; ipsa enim est
quae distinguit inter filios regni et filios perditionis, ut Augustinus dicit
in XV de Trinit. [cap. XVIII]. Ergo
ille qui habet caritatem, non potest eam amittere peccando.
1. Car il est dit en Jn 3, 9 : « Tout homme
qui est nй de Dieu ne pйche pas, puisque sa semence demeure en lui ; et
il ne peut pas pйcher, puisqu’il est nй de Dieu ». Mais n’ont la
charitй que les fils de Dieu, car elle est ce qui a distinguй entre les fils
du royaume et les fils de la perdition, comme Augustin le dit (Trinitй, XV, 18). Donc celui qui a la
charitй ne peut pas la perdre en pйchant.
[66352] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 2
Praeterea, omnis virtus quae peccando amittitur, per peccatum arescit, ut
Augustinus dicit : Unctio invisibilis
caritas est, quae in quocumque fuerit, radix illi erit, quae arescere non
potest, et nutritur calore solis, ut non arescat. Ergo caritas per
peccatum amitti non potest.
2. Toute vertu qui se perd en pйchant se
dйssиche par le pйchй, comme le dit Augustin : « L’onction invisible est la charitй qui aura йtй en n’importe qui,
sera une racine pour lui qui ne peut pas se dйssйcher et se nourrit de la
chaleur du soleil, pour ne pas se dessйcher ». Donc la charitй ne
peut pas кtre perdue.
[66353] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 3
Praeterea, Augustinus dicit, in VIII de
Trin., quod dilectio si non est vera, dilectio dicenda non est. Sed,
sicut Augustinus dicit in epistola ad
Iulianum comitem, caritas quae deleri potest, nunquam vera fuit. Ergo
neque caritas fuit. Qui igitur habet caritatem, non potest eam peccando
deserere.
3. Augustin dit (la Trinitй, VIII) que si l’amour n’est pas vrai, il ne faut pas
l’appeler amour. Mais Augustin le dit dans sa lettre au Comte Julien, la charitй qui peut кtre dйtruite, n’a jamais
йtй vraie. Donc la charitй non plus n’a pas existй. Celui donc qui a la
charitй ne peut pas la perdre en pйchant.
[66354] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 4
Praeterea, Prosper dicit in Lib. de
contemplatione : caritas est recta
voluntas Deo inseparabiliter iuncta, inquinationis extranea, corruptionis
nescia, nulli vitio mutabilitatis obnoxia; cum qua nec potuit aliquis peccare,
nec poterit. Ergo caritas semel habita, per peccatum amitti non potest.
4. Prosper (d’Aquitaine) dit dans le Livre de la contemplation : « La charitй est une volontй droite, unie
insйparablement а Dieu, йtrangиre а la souillure, ignorant la corruption,
liйe а aucun dйfaut d’inconstance ; avec laquelle personne n’a pas pu
pйcher ni ne le pourra ». Donc la charitй, une fois possйdйe ne peut
pas кtre perdue par le pйchй.
[66355] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 5
Praeterea, Gregorius dicit in quadam hom., quod amor Dei magna operatur, si
est. Sed nullus magna operando amittit caritatem. Ergo si caritas inest,
amitti non potest.
5. Grйgoire dit dans une homйlie[64] que l’amour de Dieu opиre
de grandes choses s’il existe. Mais personne ne perd la charitй en opйrant de
grandes choses. Donc si la charitй est en lui, elle ne peut pas кtre perdue.
[66356]
De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 6 Praeterea, plus homo per caritatem amat Deum
quam per naturalem amorem amet seipsum. Sed
amor sui ipsius nunquam amittitur per peccatum. Ergo nec etiam caritas.
6. L’homme aime Dieu par charitй plus que
par l’amour naturel dont il s’aime lui-mкme. Mais l’amour de soi ne se perd
jamais par pйchй. Donc la charitй non plus.
[66357] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 7
Praeterea, liberum arbitrium non inclinatur in peccatum nisi per aliquod
motivum ad peccandum. Motivum autem ad omnia peccata est amor sui, qui, ut
Augustinus dicit, in XIV de civit. Dei,
[cap. ult.] facit civitatem Babylonis. Sed hunc caritas excludit; quia, sicut
Dionysius dicit [IV cap. de divin
Nomin.] : Est extasim faciens
divinus amor, non sinens sui ipsorum amantes esse. Similiter etiam radix
omnium malorum ponitur cupiditas, ut apostolus dicit I ad Timoth., cap. VI. Sed hunc etiam caritas excludit, ut
Augustinus dicit in l. LXXXIII quaestionum[quaest.
36). Ergo ille qui habet caritatem, non potest peccando eam amittere.
7. Le libre arbitre n’incline au pйchй que
par un motif qui y pousse. Et le motif de tous les pйchйs est l’amour de soi,
qui, comme Augustin le dit, (La citй de
Dieu, XIV, 28) constitue la citй de Babylone. Mais la charitй
l’exclut ; parce que, comme Denys le dit (Les Noms divins, IV, § 13 712A) : «L’amour divin est extatique, sans permettre ceux qui s’aiment
eux-mкmes. » De la mкme maniиre aussi, la cupiditй est placйe comme
la racine de tous les maux, comme l’Apфtre le dit (1 Tm 6). Mais la charitй l’exclut aussi, comme Augustin le dit
dans les 83 questions (q. 36). Donc celui qui a la charitй ne peut
pas la perdre en pйchant.
[66358] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 8
Praeterea, quicumque habet caritatem, spiritu Dei ducitur, secundum illud Galat. V, v. 18 : Si spiritu ducimini, non estis sub lege. Sed Spiritus sanctus,
cum sit infinitae virtutis, non potest in sua actione deficere. Ergo videtur
quod homo habens caritatem peccare non possit.
8. Quiconque a la charitй, est conduit par
l’esprit de Dieu, selon ce verset de Gal.
5, 18 : « Si vous кtes conduits
par l’esprit, vous n’кtes pas sous la loi ». Mais comme l’Esprit
saint est d’une puissance infinie, il ne peut pas dйfaillir dans son action.
Donc il semble que celui qui a la charitй ne pourrait pas pйcher.
[66359] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 9
Praeterea, contra nullum habitum cuius esse est in operari, contingit
peccare; dicit enim philosophus in VII Ethic.,
quod non peccatur contra scientiam in actu, sed contra scientiam in habitu.
Sed caritas semper consistit in operari : dicit enim Gregorius in quadam
homil., quod amor Dei nunquam est otiosus. Ergo contra caritatem aliquis
peccare non potest, ut sic per peccatum possit amitti.
9. Il arrive qu’on ne pиche contre aucun
habitus dont l’кtre concerne une opйration ; car le philosophe dit (Йthique, VII, 3, 1145 b 22), on ne
pиche pas contre la science en acte, mais contre la science en habitus. Mais
la charitй consiste toujours а opйrer : car Grйgoire dit en une homйlie, que
l’amour de Dieu n’est jamais oisif. Donc personne ne peut pйcher contre la
charitй de sorte qu’elle puisse кtre perdue par ce pйchй.
[66360] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 10
Praeterea, si aliquis caritatem amittit, aut amittit eam dum habet, aut dum
non habet. Sed dum habet, non amittit eam per peccatum, quia simul esset
peccatum cum caritate. Neque etiam amittit eam cum non habet, quia quod non
habet, amitti non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti.
10. Si quelqu'un perd la charitй, ou bien
il la perd pendant qu’il l’a, ou pendant qu’il ne l’a pas. Mais pendant qu’il
l’a, il ne la perd pas par le pйcher parce que le pйchй coexisterait avec la
charitй. Il ne la perd quand il ne l’a pas, parce qu’il peut pas perdre ce
qu’il n’a pas. Donc la charitй ne peut кtre perdue en aucune maniиre.
[66361] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 11
Praeterea, caritas accidens est quoddam in anima. Accidens autem quatuor modis potest deficere. Uno quidem modo per corruptionem subiecti; sed per hunc modum caritas
deficere non potest; cum anima humana, quae est subiectum eius, sit
incorruptibilis. Secundo deficit
aliquod accidens per defectum causae, sicut lumen deficit ab aere per
absentiam solis; sed hoc modo caritas deficere non potest, quia causa eius
est indeficiens, scilicet Deus. Tertio
modo deficit accidens aliquod deficiente obiecto; sicut paternitas
deficit per mortem filii : sed nec hoc modo deficit caritas, quia eius
obiectum est bonum aeternum, quod est Deus. Quarto modo deficit aliquod accidens per actionem contrarii
agentis, sicut frigiditas aquae deficit per actionem caloris : sed nec hoc
modo caritas deficere potest, cum sit fortior peccato, quod videtur in
contrarium agere : secundum illud Cantic.,
VIII, 6 : Fortis est ut mors dilectio;
et iterum : aquae quae multae non
possunt extinguere caritatem. Ergo
caritas nullo modo potest deficere in habente eam.
11. La charitй est un accident dans l’вme.
Mais l’accident peut faire dйfaut de quatre
maniиres. d’une premiиre maniиre
par la corruption du sujet ; mais de cette maniиre la charitй ne peut
pas faire dйfaut; puisque l’вme humaine qui est son substrat est
incorruptible. D’une deuxiиme maniиre un
accident fait dйfaut par dйfaillance de la cause, de mкme que la lumiиre
disparaоt de l’air par absence de soleil ; mais de cette maniиre la
charitй ne peut pas se perdre, parce que la cause, c'est-а-dire Dieu, est
sans dйfaillance. D’une troisiиme
maniиre un accident faire dйfaut par dйfaillance de l’objet, comme la
paternitй faire dйfaut par la mort de l’enfant, mais la charitй ne fait pas
dйfaut de cette maniиre, parce que son objet est le bien йternel, qui est
Dieu. D’une quatriиme maniиre, un
accident fait dйfaut par l’action d’un agent contraire, comme le froid de
l’eau faire dйfaut par l’action de la chaleur ; mais de cette maniиre la
charitй ne peut pas faire dйfaut, puisqu’elle est plus forte que le pйchй,
qui semble agir dans le contraire ; selon cette parole du Ct 8, 6 : « L’amour est fort comme la mort » ; et en plus : « Les eaux nombreuses ne peuvent йteindre la
charitй ». Donc la charitй ne peut se perdre d’aucune maniиre en
celui qui la possиde.
[66362] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 12
Praeterea, peccatum est malum quoddam rationalis naturae. Sed malum non agit
nisi virtute boni, ut dicit Dionysius, IV cap. de divin. Nomin — Bonum autem non contrariatur bono, ut dicitur
in Praedicamentis; et ita non
potest ipsum corrumpere, cum unumquodque corrumpatur a suo contrario. Caritas
ergo per peccatum non potest corrumpi.
12. Le pйchй est un mal de la nature
raisonnable. Mais le mal n’agit que dans le pouvoir du bien, comme le dit
Denys, (Les noms divins, 4). Et le
bien ne s’oppose pas au bien, comme il est dit dans les Catйgories ; et ainsi il ne peut pas le corrompre, puisque
chaque chose est corrompue par son contraire. Donc la charitй ne peut pas
кtre corrompue par le pйchй.
[66363] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 13
Praeterea, si caritas a peccato corrumpitur; aut a peccato existente, aut a
non existente. Sed non a peccato existente; quia sic peccatum mortale simul
esset cum caritate. Neque iterum a peccato non existente; quia non ens agere
non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti per peccatum.
13. Si la charitй est corrompue par le
pйchй, ou c’est par un pйchй qui existe ou par un pйchй qui n’existe
pas ; parce qu’ainsi le pйchй mortel coexisterait avec la charitй. Ni
non plus par un pйchй qui n’existe pas ; parce que le non йtant ne peut
pas agir. Donc la charitй en aucune maniиre ne peut кtre perdue par le pйchй.
[66364] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 14
Praeterea, si caritas per peccatum amittitur; aut caritas et peccatum sunt in
eodem instanti in anima, aut in alio. Sed non in eodem, quia tunc simul
essent : neque iterum in alio et alio, quia oporteret quod esset tempus
medium in quo homo neque peccatum neque caritatem haberet, quod est
inconveniens. Non ergo potest caritas per peccatum amitti.
14. La charitй est perdue par le pйchй, ou
bien la charitй et le pйchй sont dans un mкme instant dans l’вme ou dans un
autre instant. Mais ce n’est pas dans le mкme, parce qu’alors ils seraient
ensemble ; et de plus par dans l’un et l’autre, parce qu’il serait
nйcessaire que ce soit un temps intermйdiaire en lequel l’homme n’aurait ni
pйchй, ni charitй, ce qui ne convient pas. Donc la charitй ne peut pas кtre
perdue par le pйchй.
[66365] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 15
Praeterea, Magister dicit, 31 dist. III Lib. Sentent., quod perfecta caritas per peccatum amitti non potest.
15. le Maоtre dit, (III sent. d. 31,) que la charitй parfaite ne peut pas кtre perdue
par le pйchй.
[66366] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 16
Praeterea, sicut se habet intellectus ad cognitionem veri, ita et voluntas ad
amorem boni. Sed intellectus cognoscendo quodcumque verum, cognoscit primam
veritatem. Ergo amando quodcumque bonum, amat summam bonitatem. Sed nunquam
peccat qui amat, nisi convertendo se per amorem ad bonum commutabile. Ergo in
omni peccato homo amat summam bonitatem, cuius amor est caritas. Numquam
igitur caritas per peccatum amitti potest.
16. Comme l’intellect se comporte
vis-а-vis de la connaissance de la vйritй, de la mкme maniиre la volontй se
comporte vis-а-vis de l’amour du bien. Mais l’intellect en connaissant
quelque chose de vrai, connaоt la vйritй premiиre. Donc en aimant quelque
bien, il aime la bontй suprкme. Mais celui qui aime ne pиche jamais sinon en
se dйtournant par amour vers un bien changeant. Donc dans tout pйchй, l’homme
aime la bontй suprкme, dont l’amour est la charitй. Jamais donc la charitй ne
peut кtre perdue par le pйchй.
[66367] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 17
Praeterea, sicut in genere causae efficientis est agens universale et
proprium, ita et in genere causae finalis. Sed agens proprium
semper agit in virtute universalis agentis. Ergo finis proprius semper movet
voluntatem in virtute finis ultimi. Sed
finis ultimus est Deus; et sic idem quod prius.
17. Dans le genre de la cause efficiente
il y a l’agent universel et l’agent particulier, il en est de mкme dans le
genre de la cause finale. Mais l’agent particulier agit toujours dans le
pouvoir de l’agent universel. Donc la fin particuliиre meut toujours la
volontй dans le pouvoir de la fin ultime. Mais la fin ultime est Dieu, et
ainsi de mкme que plus haut.
[66368] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 18
Praeterea, caritas est signum quod aliquis sit verus Christi discipulus,
secundum illud Ioan., XIII, 35 : In hoc cognoscent omnes quia mei estis
discipuli, si dilectionem habueritis ad invicem. Sed non est Christi
verus discipulus qui non semper est eius discipulus unde Augustinus [tract.
XXVII in Ioan. VI, 67] exponens
illud Ioan., VI : Multi ex discipulis eius abierunt
retrorsum, dicit, quod illi non fuerunt Christi veri discipuli; et
dominus dicit, Ioan. VIII, 31 : Si manseritis in sermone meo, veri
discipuli mei eritis. Ergo ille qui non permanet in caritate nunquam
habuit caritatem.
18. La charitй est le signe que quelqu'un
est vrai disciple du Christ, selon cette parole de Jn 13, 35 : « En cela
tous reconnaitront que vous кtes mes disciples, si vous avez de l’amour entre
vous ». Mais n’est pas vйritable disciple du Christ celui qui n’est
pas toujours son disciple c'est pourquoi Augustin, exposant cette parole de Jn 6 : « Beaucoup de ses disciples d’en allиrent » , dit que ceux-lа
ne furent pas de vrais disciples et le Seigneur dit (Jn 8, 31) : « Si vous
demeurez en ma parole, nous serez mes vrais disciples ». Donc celui
qui ne demeure pas dans la charitй ne l’a jamais eue.
[66369] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 19
Praeterea, omnis motus est secundum exigentiam praedominantis. Sed caritas
praedominatur in corde caritatem habentis, quia totum cor sibi occupat,
secundum illud quod mandatur Deuter.
VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex
toto corde tuo. Ergo motus omnis habentis caritatem est secundum
caritatem; non ergo per peccatum amitti potest.
19. Tout mouvement dйpend de l’exigence de
celui qui domine. Mais la charitй domine dans le cњur de celui qui la
possиde, parce que tout le cњur s’occupe de lui selon ce commandement de Dt 6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cњur ». Donc
tout mouvement de celui qui possиde la charitй dйpend d’elle, donc elle ne
peut pas кtre perdue pas le pйchй.
[66370] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 20
Praeterea, differentiae diversificantes genus vel speciem non possunt
convenire eidem secundum numerum. Sed corruptibile et incorruptibile
diversificant genus, ut dicitur in X Metaph.[comm. 26]. Cum igitur caritas
viae et patriae sit eadem numero, videtur quod sicut caritas patriae corrumpi
non potest, ita nec caritas viae.
20. Les diffйrences qui diversifient le
genre ou l’espиce ne peuvent pas convenir а un mкme chose en nombre. Mais le
corruptible et l’incorruptible diversifient le genre, comme il est dit en Mйtaphysique X, 10, 1059 a. Donc comme
la charitй de la voie et la patrie est la mкme en nombre, la charitй de la
patrie ne peut pas кtre corrompue, de mкme celle de la voie non plus.
[66371] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 21
Praeterea, si caritas corrumpitur : aut corrumpitur in aliquid, aut in nihil.
Sed non in aliquid; quia hoc est solum formarum quae educuntur de potentia
materiae. In nihil autem corrumpi non potest : quia Deus nunquam caritatem
corrumpit, qui solus potest ex aliquo facere nihil, sicut ipse solus potest
facere ex nihilo aliquid : aequalis enim est utraque distantia. Ergo videtur
quod caritas corrumpi non possit.
21. Si la charitй est corrompue, ou bien
elle l’est en quelque chose ou en rien. Mais pas en quelque chose, parce que
cela vient seulement des formes qui sont йduites de la puissance de la
matiиre. Mais en rien elle ne peut кtre dйtruite : parce que Dieu ne dйtruit
jamais la charitй, lui qui peut seul faire rien de quelque chose, comme il
peut seul faire quelque chose de rien ; car l’une et l’autre distance sont
йgales. Donc il semble que la charitй ne pourrait pas кtre corrompue.
[66372] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 22
Praeterea, illud per quod peccatum tollitur, a peccato corrumpi non potest.
Sed peccatum tollitur per caritatem, secundum illud I Pet., IV, 8 : Caritas
operit multitudinem peccatorum. Ergo caritas per peccatum amitti non
potest.
22. Ce par quoi le pйchй est enlevй, ne
peut pas кtre corrompu par lui. Mais le pйchй est enlevй par la charitй,
selon cette parole de 1 P 4, 8 :
« La charitй couvre de nombreux
pйcheurs ». Donc la charitй ne peut pas кtre perdue par le pйchй.
[66373] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 23
Praeterea, super illud Ps. XXVI, 2
: Deum appropiant super me nocentes, ut
edant carnes meas dicit Glossa Augustini : Si aufertur donum, dator vincitur. Sed Deus, qui est dator
caritatis, vinci non potest. Ergo caritas non potest auferri per peccatum.
23. Sur ce Ps 26, 2 : « Les
mйchants s’approchent de moi pour manger mes chairs », la glose
d’Augustin dit : « Si le don est
enlevй, le donneur est vaincu ». Mais Dieu qui est le donneur de la
charitй, ne peut pas кtre vaincu. Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe
par le pйche.
[66374] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 24
Praeterea, per caritatem anima unitur Deo ut sponsa, secundum quoddam
spirituale matrimonium. Sed matrimonium carnale non potest separari per
dissensum supervenientem matrimonio. Ergo caritas non potest tolli per
peccatum quo mens dissentit ab iis quae sunt Dei.
24. Par la charitй l’вme s’unit а Dieu
comme une йpouse, selon un certain mariage spirituel. Mais le mariage charnel
ne peut pas кtre enlevйй par un dissentiment qui survient dans le mariage.
Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe par le pйchй par lequel l’esprit
n’est pas d’accord а ce qui est de Dieu.
En
sens contraire :
[66375] De
virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. II, v. 4 : Habeo adversus te pauca, quod caritatem
tuam primam reliquisti.
1. On lit dans Ap 2, 4 : « Ce peut
que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonnй ton premier amour. ».
[66376] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 2
Praeterea, Gregorius dicit in homilia [XXX in Eang.] : in quorumdam
corda venit Deus, et mansionem non facit; quia per compunctionem respectum
Dei percipiunt, sed tentationis tempore sic ad perpetranda peccata redeunt,
ac si haec minime planxissent. Sed Deus non venit in corda fidelium nisi
per caritatem. Ergo aliquis post habitam caritatem potest eam amittere per
sequens peccatum.
2 Saint Grйgoire le Grand dit dans une
homйlie (Sur l’Йvangile, homйlie
30) : « Dans les coeurs de
certains, Dieu vient mais n’y йtablit pas sa demeure, parce que par
componction ils conзoivent du respect pour Dieu, mais au temps de la
tentation ils retournent exйcuter leur pйchйs comme si ceux-ci les avaient
fort peu frappйs ». Mais Dieu ne vient dans le cњur des fidиles que
par charitй. Donc quelqu’un aprиs avoir possйde la charitй peut la perdre par
un pйchй qui suit.
[66377] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 3
Praeterea, I Reg., XVI, dicitur de
David, quod dominus erat cum eo. Sed postmodum peccavit, faciendo adulterium
et homicidium. Deus autem est in homine per caritatem. Ergo post habitam
caritatem aliquis potest eam amittere peccando mortaliter.
3. Au premier livre des Rois 16, 13 il est dit de David que
le Seigneur йtait avec lui. Mais par la suite il pйcha en commettant un
adultиre et un homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charitй. Donc aprиs
avoir eu la charitй on peut la perdre en pйchant mortellement.
[66378] De
virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 4 Praeterea, caritas est vita animae, secundum
illud I Ioan.III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam
diligimus fratres. Sed vita naturalis potest amitti per mortem naturalem.
Ergo et vita caritatis per mortem peccati mortalis.
4. La charitй est la vie de l’вme selon ce
que dit 1 Jn 3, 14 : « Nous savons que nous sommes passйs de la
mort а la vie parce que nous aimons nos frиres ». Mais la vie
naturelle peut se perdre par la mort naturelle. Donc aussi la vie de charitй
par la mort du pйchй mortel.
Rйponse
:
[66379] De virtutibus, q. 2 a. 12 co.
Respondeo. Dicendum, quod Magister in 17 dist., I Lib., posuit, quod caritas
in nobis sit Spiritus sanctus. Non autem fuit sua intentio dicere, quod ipse
actus dilectionis nostrae sit Spiritus sanctus; sed quod Spiritus sanctus
movet animam nostram ad diligendum Deum et proximum, sicut etiam ad actus
aliarum virtutum : sed ad actus aliarum virtutum movet animam per quosdam
habitus virtutum infusarum; ad actum autem dilectionis Dei et proximi movet
absque alio habitu mediante. Unde eius opinio vera fuit quidem quantum ad hoc
quod posuit animam moveri a spiritu sancto ad diligendum Deum et proximum;
sed imperfecta fuit quantum ad hoc, quia non posuit in nobis habitum, quid
creatum, quo perficeretur voluntas humana ad huiusmodi dilectionis actum.
Oportet enim huiusmodi habitum in anima poni, ut supra, art. 1 huius quaest.,
habitum est.
Le Maоtre (Pierre Lombard I Sent. d. 17[65]) a pensй que la charitй en
nous est l’Esprit Saint. Or зa n’a pas йtй son intention de dire que notre
acte d’amour soit l’Esprit Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre вme а
aimer Dieu et le prochain, comme aussi pour les actes des autres vertus; mais
pour les actes des autres vertus il meut l’вme par les habitus de vertus
infuses ; pour les actes d’amour de Dieu et du prochain il meut sans aucun
autre habitus intermйdiaire. C'est pourquoi ce qu’il a pensй a йtй vrai du
fait que l’Esprit Saint incite l’вme а aimer Dieu et le prochain ; mais elle
a йtй imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus, quelque chose
de crйй, par lequel la volontй humaine serait accomplie en vue d’un tel acte
d’amour. Il faut en effet mettre dans l’вme un tel habitus, comme on l’a vu
au premier article.
Potest igitur quadruplex consideratio de caritate haberi.
Prima quidem ex parte Spiritus sancti moventis
animam ad dilectionem Dei et proximi; et quantum ad hoc, necesse est dicere,
quod motio Spiritus sancti semper est efficax secundum suam intentionem.
Operatur enim in anima Spiritus sanctus dividens
singulis prout vult, ut dicitur 1
Cor., XII; et ideo quibus spiritus sanctus pro suo arbitrio vult dare
perseverantem divinae dilectionis motum, in his peccatum caritatem excludens
esse non potest. Dico non posse ex parte virtutis motivae, quamvis possit ex
parte vertibilitatis liberi arbitrii. Ista enim sunt beneficia Dei, quibus
certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit in Lib. de Praedest. Sanctor. Quibusdam autem
Spiritus sanctus, pro suo arbitrio, dat quidem ut ad tempus moveantur motu
dilectionis in Deum, non autem dat eis ut in hoc perseverent usque in finem,
ut patet per Augustinum in Lib. de
Corrept. et gratia.
On peut avoir quatre considйrations sur la charitй.
Premiиre
considйration : du cфtй
de l’Esprit Saint qui incite l’вme а l’amour de Dieu et а ce sujet il est
nйcessaire de dire que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace
selon son intention. En effet il opиre dans l’вme « distribuant а chacun comme il le veut », comme il est dit 1 Co 12, 11; et donc chez ceux
auxquels selon son bon plaisir il veut donner le mouvement de persйvйrance
dans la divine charitй il ne peut y avoir chez eux de pйchй excluant la
charitй. Je dis que ce n’est pas possible du cфtй de la vertu qui y incite,
bien que cela le soit du cфtй de la versatilitй du libre arbitre. Ce sont lа
en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement libйrйs
tous ceux qui sont libйrйs, comme saint Augustin le dit au Livre de la Prйdestination des saints. Or а
certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir donne d’кtre mыs, pour un
temps, du mouvement d’amour de Dieu mais il ne leur donne pas d’y persйvйrer
jusqu’а la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de la Correction et de la Grвce.
Secunda
consideratio est de
caritate secundum potestatem ipsius caritatis; et quantum ad hoc, nullus
habens caritatem potest peccare, quantum est ex vi ipsius caritatis, sicut
neque aliquis habens aliquam formam, ex vi illius formae potest operari
contra formam illam; sicut calidum ex vi calidi non potest infrigidare, vel
frigidum esse; potest tamen amittere calorem et infrigidari. Et secundum hoc
loquitur Augustinus in Lib. de sermone
Domini in monte [lib. II, cap. XXXVII], exponens illud quod habetur Matth., VII, 18 : Non potest arbor bona fructus malos facere. Dicit enim, quod
sicut potest fieri ut quod fuit nix, non sit, non autem ut nix sit calida;
sic potest fieri ut qui malus fuit non sit malus, non tamen fieri potest ut
malus bene faciat : et eadem ratio est de bono secundum quamcumque virtutem,
quia nulla virtute aliquis male utitur.
La
secondeconsidйration concerne la charitй du
cфtй de son pouvoir et quant а cela personne n’ayant la charitй ne peut
pйcher en vertu mкme de la force de la charitй, comme celui qui a une
certaine forme ne peut opйrer contre elle en vertu de cette mкme forme, comme
ce qui est chaud ne peut pas refroidir ou кtre froid par la force du chaud,
mais il peut cependant perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’aprиs cela
saint Augustin (Le sermon du Seigneur
sur la montagne, II, 37) expose ce qui est dit en Mt 7, 18 : « Un bon
arbre ne peut pas porter de mauvais fruits ». Il dit en effet que de
mкme qu’il peut se faire que ce qui a йtй neige ne le soit plus, mais pas que
la neige soit chaude, ainsi il peut se faire que celui qui fut mйchant ne le
soit plus, non cependant qu’il soit fait que le mйchant fasse bien ; et c’est
la mкme raison pour le bien en ce qui concerne n’importe quelle vertu, parce
qu’on ne se sert mal d’aucune vertu.
Tertia consideratio est de caritate ex
parte voluntatis, in quantum ei subiicitur ut materia formae. Ubi attendendum
est, quod quando forma implet totam potentialitatem materiae, non potest
remanere in materia potentia ad aliam formam; unde illam formam
inamissibiliter habet, sicut patet de materia caelesti. Quaedam vero forma
est quae non replet totam potentialitatem materiae, sed remanet potentia ad
aliam formam; et tunc illa forma amissibiliter habetur ex parte materiae vel
subiecti, sicut patet in formis elementarium corporum. Caritas autem implet
potentialitatem sui subiecti, secundum quod suum subiectum reducit in actum
dilectionis : et ideo in patria, ubi actu creatura rationalis diligit Deum ex
toto corde suo, et nihil aliud diligit nisi actualiter referendo in Deum,
caritas inamissibiliter habetur; in statu autem viae caritas non implet totam
potentialitatem animae, quae non semper actualiter movetur in Deum, omnia in
ipsum actuali intentione referens; et ideo caritas viae amissibiliter
habetur, quantum est ex parte subiecti.
La troisiиmeconsidйration sur la charitй du cфtй de la volontй en tant que
celle-ci lui est soumise comme la matiиre а la forme. Oщ il faut remarquer
que quand la forme remplit toute la potentialitй de la matiиre, la puissance
ne peut plus demeurer dans la matiиre pour une autre forme ; c'est pourquoi
elle a cette forme sans pouvoir la perdre, comme on le voit dans la matiиre
cйleste. Il y a une forme qui ne remplit pas toute la potentialitй de la
matiиre, mais la puissance demeure pour une autre forme et donc cette forme
est peut кtre perdue du cфtй de la matiиre ou du sujet comme on le voit dans
les formes des corps йlйmentaires. Mais la charitй comble la potentialitй de
son sujet qu’elle ramиne а l’acte d’amour et ainsi c’est dans la patrie oщ la
crйature raisonnable aime Dieu de tout son coeur et actuellement et n’aime
rien d’autre sinon qu’en le rapportant actuellement а Dieu c’est lа que la
charitй est possйdйe sans pouvoir кtre perdue. Dans l’йtat de voie la charitй
ne comble pas toute la potentialitй de l’вme qui n’est pas constamment
poussйe en Dieu en acte, rapportant tout а lui par une intention actuelle, et
ainsi la charitй de la voie est peut кtre perdue du cфtй du sujet.
Quarta
consideratio est de
caritate ex parte subiecti, prout comparatur specialiter ad ipsam caritatem
sicut potentia ad habitum. Ubi considerandum est, quod habitus virtutis
inclinat hominem ad recte agendum, secundum quod per ipsam homo habet rectam
aestimationem de fine; quia, ut dicitur in III Ethic. [cap. V], qualis unusquisque est, talis et finis videtur
ei. Sicut enim gustus iudicat de sapore, secundum quod est affectus aliqua
bona vel mala dispositione, ita id quod est conveniens homini secundum
habitualem dispositionem sibi inhaerentem, bonam vel malam, aestimatur ab eo
ut bonum; quod autem ab hoc discordat, aestimatur ut malum et repugnans; unde
et apostolus dicit, I ad Cor., cap.
II, 14, quod animalis homo non percipit
ea quae sunt Spiritus Dei.
La quatriиme considйration concerne la
charitй du cфtй du sujet dans la mesure oщ il est comparй spйcialement а la
charitй elle-mкme, comme la puissance а l’habitus. Il faut ici considйrer que
l’habitus de la vertu incline l’homme а agir avec droiture selon que par elle
il a une juste estimation de la fin ; car comme il est dit (Йthiques III, 5) : « Tel est chacun et telle aussi lui semble
la fin ». De mкme en effet que le goыt juge la saveur selon qu’il
est affectй d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient а
l’homme selon la disposition habituelle adhйrente, qui est bonne ou mauvaise,
est estimй par lui comme un bien; ce qui n’est pas en accord avec cela est
estimй mauvais et rйpugnant; d’oщ ce que dit l’Apфtre 1 Co 2, 14 « L’homme
charnel ne perзoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ».
Contingit tamen quandoque, quod id quod
videtur alicui secundum inclinationem habitus, non videatur ei secundum
aliquid aliud; sicut luxurioso secundum inclinationem proprii habitus videtur
bonum delectatio carnis, sed secundum rationis deliberationem, vel
auctoritatem Scripturae, videtur ei contrarium; et ideo habens habitum
luxuriae, ex hac aestimatione contra habitum quandoque agit, et similiter
habens habitum virtutis quandoque agit contra inclinationem proprii habitus;
quia aliquid ei aliter videtur secundum aliquem alium modum, puta per
passionem, vel aliquam seductionem.
Il arrive parfois cependant
que ce qui paraоt а quelqu’un en accord avec la tendance de l’habitus ne lui
paraоt en accord а autre chose; comme au luxurieux selon la tendance de son
propre habitus la tendance de la chair lui paraоt un bien, mais selon la
dйlibйration de la raison ou l’autoritй de l’Ecriture elle lui paraоt
contraire. Et ainsi celui qui a l’habitus de la luxure agit quelquefois selon
cette estimation contre l’habitus, et de la mкme maniиre celui qui l’habitus
de la vertu agit quelquefois contre la tendance de son propre habitus, parce
que quelque chose d’autre lui semble d’une autre maniиre, par exemple par
passion ou par une sйduction.
Tunc
ergo contra habitum caritatis nullus agere poterit, quia nullus potest habere
aliam aestimationem de fine et obiecto caritatis quam secundum inclinationem
caritatis; hoc autem erit in patria, ubi ipsa Dei essentia videbitur, quae
est ipsa essentia bonitatis. Unde sicut nunc nullus potest aliquid velle nisi
sub communi ratione boni, nec bonum sub ratione boni potest non amari, ita et
tunc hoc bonum, quod est Deus, nullus poterit non amare. Et propter hoc,
nullus videns Deum per essentiam, potest contra caritatem agere. Et inde est
quod caritas patriae est inamissibilis.
Alors donc personne ne pourra agir contre
l’habitus de la charitй parce que personne ne peut avoir une autre estimation
de la fin et de l’objet de la charitй que selon la tendance de la charitй
cela existera dans la patrie oщ l’essence mкme de Dieu et qui est l’essence
mкme de la bontй sera vue. C'est pourquoi que de mкme que personne ne peut
vouloir une chose que sous la commune raison de bien, et que le bien ne peut
ne pas кtre aimй sous sa raison de bien, de mкme aussi alors ce bien qui est
Dieu personne ne pourra pas ne pas l’aimer. Et а cause de cela personne
voyant Dieu par son essence ne peut agir contre а la charitй. Et de lа vient
que la charitй de la patrie est inamissible.
Sed nunc mens nostra non videt ipsam
essentiam bonitatis divinae, sed aliquem effectum eius, qui potest videri
bonus et non bonus, secundum diversas considerationes; sicut bonum spirituale
aliquibus videtur non bonum, in quantum contrariatur delectationi carnali, in
cuius concupiscentia sunt. Ideo caritas viae potest amitti per peccatum
mortale.
Mais maintenant notre esprit ne voit pas
l’essence mкme de la bontй de Dieu, mais un effet qui peut paraоtre bon ou
non selon diffйrentes considйrations ; de mкme que le bien spirituel ne
paraоt pas bon а certains en tant qu’il s’oppose а la dйlectation charnelle
en la concupiscence duquel ils sont. Ainsi la charitй de la voie peut se
perdre par le pйchй mortel.
Solutions :
[66380] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod verbum illum Ioannis est intelligendum secundum
potestatem Spiritus sancti moventis animam, qui indeficienter operatur quod
vult.
1. Cette parole de Jean est а penser selon
le pouvoir de l’Esprit saint qui meut l’вme, qui opиre ce qu’il veut sans
dйfaillance.
[66381] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de caritate secundum
potestatem ipsius caritatis : de se enim habet sufficienter unde nunquam
arescat; sed quod amittatur, est propter vertibilitatem subiecti, ut dictum
est.
2. Augustin parle lа de charitй selon sa
puissance mкme : car de soi elle a suffisamment de quoi ne jamais se
dйssиcher ; mais qu’elle soit perdue est а cause de la mutabilitй du
sujet, comme il a йtй dit.
[66382] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod vera dilectio de sua ratione habet quod nunquam
amittatur; qui enim vere diligit hominem, hoc in animo suo proponit, ut
nunquam dilectionem dimittat. Sed quandoque illud propositum mutatur, et sic
dilectio quae vera fuit, amittitur. Si autem hoc aliquis habuisset in
proposito, ut a diligendo quandoque desisteret, vera dilectio non fuisset.
Unde patet, quod caritas inamissibilis est secundum potestatem propriam;
amitti tamen potest secundum potestatem subiecti vertibilis.
3. L’amour vrai de sa nature a qu’il n’est
jamais perdu ; car qui aime vraiment un homme, place cela en son вme de
ne jamais perdre son amour. Mais quelquefois ce dessin change, et ainsi
l’amour qui a йtй vrai est changй. Et ainsi l’amour qui a йtй vrai est
abandonnй. Mais si quelqu’un l’avait eu dans son dessin, pour cesser
quelquefois d’aimer, l’amour vrai n’aurait pas existй. C'est pourquoi il est
clair que la charitй est inamissible, selon une puissance propre, cependant
elle peut кtre abandonnйe selon la puissance d’un sujet changeant (?)
[66383] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illa etiam auctoritas prosperi loquitur de caritate
secundum potestatem ipsius, et non secundum potestatem subiecti.
4. Cette autoritй de Prosper (d’Aquitaine)
parle de la charitй selon sa puissance et non selon la puissance du sujet.
[66384] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod caritas, dum est, habet inclinationem ad magna
operandum; et hoc vult et proponit, secundum rationem suae virtutis; sed
quandoque ab hoc deficit propter vertibilitatem subiecti.
5. Tant que la charitй existe, elle a une
tendance а opйrer de grandes њuvres ; et elle le veut et le propose
selon la nature de sa pouvoir, mais quelquefois elle fait dйfaut а cause du
changement du sujet.
[66385] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod cum in homine sit duplex natura, scilicet intellectiva,
quae principalior est, et sensitiva, quae minor est, ille vere seipsum
diligit qui se amat ad bonum rationis : qui autem se amat ad bonum
sensualitatis contra bonum rationis, magis se odit quam amat, proprie
loquendo, secundum illud Psalm. X,
5 : Qui diligit iniquitatem, odit
animam suam; et hoc etiam philosophus dicit in IX Ethic. [cap. IV]. Et secundum hoc amor verus sui ipsius amittitur
per peccatum contrarium, sicut et amor Dei.
6. Comme dans l’homme il y a une double
nature, а savoir intellectuelle qui plus importante et une nature sensitive,
qui l’est moins, s’aime vraiment celui qui s’aime pour le bien de la raison,
mais celui qu’il s’aime pour le bien de la sensualitй, contre le bien de la
raison, se hait plus qu’il ne s’aime, а proprement parler, selon cette parole
du Ps (10, 5) : «Qui aime l’iniquitй hait son вme ».
Et cela aussi le philosophe le dit (Йthique,
IX, 4, 1166 b 19). Et selon cela l’amour vrai de soi-mкme est perdu par
le pйchй contraire, comme l’amour de Dieu.
[66386] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod caritas excludit omne motivum peccati secundum suum
propositum : pertinet enim hoc ad rationem caritatis, ut velit non
concupiscere, nec inordinate se amare. Sed quandoque accidit contrarium,
propter vertibilitatem et corruptionem naturae; secundum illud Apostoli ad Roman. cap. VII, 19 : Non enim quod volo bonum, hoc ago; sed
quod odi malum, id facio.
7. La charitй exclut tout motif de pйchй
enson dessein ; car il appartient а la nature de la charitй, de vouloir
ne pas dйsirer, ni s’aimer contre l’ordre. Mais quelquefois il arrive le
contraire, а cause du changement et de la corruption de la nature ; selon
cette parole de l’Apфtre (Rm 7, 19)
: « Car je ne fais pas le bien que je
veux, mais je fais le mal que je hais ».
[66387] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod quamdiu aliquis sequitur motionem Spiritus sancti, non
peccat; sed quando resistit, tunc peccat.
8. Aussi lontemps que quelqu’un suit la
motion du Esprit saint, il ne pиche pas, mais quand il rйsiste, alors il
pиche.
[66388] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod esse caritatis non semper est in operari; alioquin
dormientes non haberent caritatem. Dicitur autem quod amor Dei nunquam est
otiosus secundum caritatis propositum, quod ad hoc est ut totum se homo det
Deo.
9. L’кtre de la charitй n’est pas toujours
pour opйrer, autrement ceux qui dorment n’auraient pas la charitй. Mais on
dit que l’amour de Dieu n’est jamais oisif, selon le dessein de la charitй,
pour que l’homme se donne tout entier а Dieu.
[66389] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod amissio ita se habet ad rem habitam sicut corruptio ad
rem existentem. Unde sicut corruptio incipit a re existente, et terminatur in
eius non esse, quia eius mutatio est de esse in non esse; ita etiam amissio,
cum sit etiam mutatio de habere in non habere, incipit in habere, et
terminatur in non habere, et ideo principium amissionis caritatis est quando
caritas habetur; finis autem quando non habetur.
10. La perte se comporte vis-а-vis de ce
qu’on possиde comme la corruption vis-а-vis de ce qui existe. C'est pourquoi,
de mкme que la corruption commence а ce qui existe et se termine а son non
кtre, parce que son changement passe de l’кtre au non кtre, de mкme aussi
comme la perte est aussi un changement de la possession а la non possession,
elle commence dans le possession et se termine dans la non possession, et
c'est pourquoi le commencement de la perte de la charitй est quand on a la
charitй, mais la fin quand on ne l’a pas.
[66390] De
virtutibus, q. 2 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas aliquo modo
desinit esse in anima secundum illa quatuor.
Subiectum enim caritatis quamvis
sit incorruptibile secundum substantiam, fit tamen indispositum ad hanc
formam per contrariam dispositionem peccati. Similiter, quamvis causa caritatis sit incorruptibilis,
tamen influxio huiusmodi causae impeditur per peccatum, quod dividit inter
nos et Deum. Et ex hac etiam ratione ex parte obiecti deficit caritas, in quantum voluntas se avertit a bono
incommutabili. Desinit etiam per contrarium motivum ad peccandum : quod licet, simpliciter loquendo, sit
debilius quam caritas, tamen in casu potest esse fortius; quando scilicet
caritas in actu non operatur, et motivum peccati movet in aliquo particulari
opere, sicut etiam philosophus ostendit in VII Ethic. [cap. XI], quod a passione potest vinci scientia, quamvis
sit fortissima; in quantum non est in actu agens, sed in habitu ligato per
passionem : et sicut scientia est fortissima in universali, passio autem in
particulari operabili, ita caritas est fortissima circa finem ultimum; et
motivum peccati habet fortitudinem in aliquo particulari opere.
11. La charitй d’une certaine maniиre
cesse d’кtre dans l’вme selon quatre
points de vue. Car bien que le sujet de
la charitй soit incorruptible en substance, elle devient cependant
indisponible pour cette forme par une disposition contraire du pйchй. De la
mкme maniиre, bien que la cause de
la charitй soit incorruptible, cependant l’йcoulement de cette cause est
empкchй par le pйchй, qui nous sйpare de Dieu. Et aussi par cette raison du
cфtй de l’objet la charitй fait
dйfaut, en tant que la volontй se dйtourne du bien immuable. Elle cesse aussi
par un motif contraire pour
pйcher ; ce qui а simplement parler, bien qu’il soit plus fragile que la
charitй, cependant en cette occasion, il peut кtre plus fort ; quand la
charitй en acte n’opиre pas, que le mouvement du pйchй pousse а une њuvre
particuliиre, comme aussi le philosophe le montre en Ethique, VII, 11, que par la passion la science peut кtre
vaincue, bien qu’elle soit trиs forte ; en tant que ce n’est pas un
agent en acte, mais dans un habitus liй par la passion, et de mкme que la
science est trиs forte dans l’universel, la passion aussi dans ce qui peut
кtre opйrй en particulier, de mкme la charitй est trиs forte pour la fin
ultime, et le motif du pйchй a une force dans une њuvre particuliиre.
[66391] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod philosophus dicit, quod bonum unius virtutis non
contrariatur bono alterius virtutis; et hoc intendit philosophus dicere in Praedicamentis [in postpraedic., cap. de oppositis] et in II Ethic. Sed in
naturis bonum contrariatur bono; utrumque enim contrariorum est quoddam bonum
naturae. Bonum ergo quod movet appetitum ad peccandum, contrariatur bono
divino quod est obiectum caritatis, in quantum in eo constituitur finis. Sic
enim non est possibile esse nisi unum finem ultimum : sicut et in regno, in
quo non potest esse nisi unus rex, contrariatur regi qui se regem facit
secundum illud Ioan., XIX, 12 : Omnis qui se regem facit, contradicit
Caesari.
12. Le philosophe dit, que le bien d’une
seule vertu ne s’oppose pas au bien d’une autre vertu, et le philosophe tend
а le dire dans les Catйgories, les opposйs et en Ethique II. Mais dans les natures, le bien s’oppose au
bien ; car l’un et l’autre des contraires est une bien de la nature. Donc
le bien qui pousse l’appйtit а pйcher, est contraire au bien divin qui est
l’objet de la charitй, en tant que la fin est constituйe en lui. Car ainsi il
n’est possible qu’il n’y ait qu’une fin ultime : de mкme que dans un royaume,
en lequel il ne peut y avoir qu’un roi, s’oppose а lui celui qui se proclame
roi selon cette parole de Jn 19, 12
: « Tout homme qui se fait roi
s’oppose а Cйsar »/
[66392] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod caritas non expellitur a peccato sicut ab
agente, sed sicut a contrario; unde ipsa superventio peccati est expulsio
caritatis, sicut adventio lucis expulsio est tenebrarum : lux enim expellit
tenebras in ipso suo fieri; sed motivum ad peccatum expellit secundum quod
praeexistit in apprehensione animae.
13. La charitй n’est pas chassйe par le
pйchй comme par un agent, mais comme par un contraire ; c'est pourquoi
la survenue du pйchй est l’expulsion de la charitй, comme l’arrivйe de la
lumiиre est l’expulsion des tйnиbres : car la lumiиre chasse les tйnиbres en
leur devenir, mais ce qui pousse au pйchй chasse selon ce qui prйexiste dans
l’apprйhension de l’вme.
[66393] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod quando homo in peccato mortali consistit, hoc
quadam deliberatione rationis agitur, quia sine deliberato consensu non est
peccatum mortale. Deliberatio autem quidam motus est tempore mensuratus, in
cuius temporis ultimo instanti inest peccatum animae; sed ante illud ultimum
instans, non est dare proximum in quo caritas insit; quia instantia non se
habent consequenter, sed tempus est continuum; et ideo in toto tempore
praecedenti quod terminatur ad ultimum instans, caritas inest animae, in
cuius ultimo instanti post inest peccatum. Non ergo est dare ultimum instans
in quo caritas insit, sed ultimum temporis, ut per philosophum patet in VIII Physic.
14. Quand un homme se trouve dans un pйchй
mortel, il est poussй par cette dйlibйration de la raison, parce que sans
consentement dйlibйrй, il n’y a pas de pйchй mortel. Mais le consentement est
un mouvement mesurй par le temps, au dernier instant duquel il y a le pйchй
de l’вme ; mais avant cette ultime instant, il ne faut pas exposer le
prochain en quoi se trouve la charitй; parce que ces instants ne se
comportent pas logiquement, mais le temps est continu, et ainsi dans tout le
temps prйcйdant, qui se termine а l’ultime instant, la charitй est dans
l’вme, en ce dernier instant aprиs il y a le pйchй. Donc il ne faut pas
donner un ultime instant en lequel la charitй se trouve, mais l’ultime
instant du temps, comme on le voit par le philosophe en Physique VIII.
[66394] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod si Magister intelligat de perfecta caritate,
quae est caritas patriae, verum est quod inamissibilis est, rationibus
supradictis. Si vero intelligatur de caritate viae quantumcumque perfecta,
non est verum quod sit inamissibilis ex modo inhaerentiae ipsius ad
subiectum, sed ex sola virtute motionis Spiritus sancti; et sic dicuntur
confirmati quicumque fuerunt confirmati in statu viae.
15. Si le Maоtre pense а la
charitй parfaite, qui est la charitй de la patrie, il est vrai qu’elle est
inamissible, pour les raisons donnйes ci-dessus. Mais s’il pense а la charitй
de la voie, pour autant qu’elle soit parfaite, il n’est pas vrai qu’elle soit
inamissible, par le mode de son inhйrence au sujet, mais par le seul pouvoir
de la motion de l’Esprit saint, et ainsi on dit que sont affermis tous ceux
qui ont йtй affermis dans la statut de la voie.
[66395] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod sicut in cognitione cuiuslibet veri cognoscitur
prima veritas, sicut primum exemplar in imagine, vel vestigio; ita etiam in
amore cuiuslibet boni amatur summa bonitas. Sed talis amor summae bonitatis non
sufficit ad rationem caritatis, sed oportet quod diligatur summum bonum prout
est beatitudinis obiectum.
16. Comme dans la connaissance de quelque
chose de vrai on connaоt la vйritй premiиre ; de mкme dans l’amour de
quelque chose de bon on aime la bontй suprкme. Mais un tel amour de la
suprкme bontй ne suffit pas а la nature de charitй, mais il est nйcessaire
que soit aimй le bien suprкme dans la mesure oщ il est l’objet de la
bйatitude.
[66396]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 17 Et per hoc etiam patet responsio ad
decimumseptimum.
17. Et par cela apparaоt la rйponse а la
dix-septiиme objection.
[66397]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut
Augustinus dicit [tract. XLV In Ioan.]
exponens illud Ioan., X, 27 : Oves meae vocem meam audiunt, et vocem
alienorum non audiunt, est quaedam vox Christi quam nullus audit nisi sit
ovis eius per praedestinationem; haec scilicet vox : Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Et per hunc modum intelligit, quod qui non
permanet in sermone Christi, non est vere discipulus, quia perseverare ab eo
efficaciter non didicit; potest tamen esse discipulus ad tempus quantum ad
temporalem dilectionem Dei et proximi.
18. Comme Augustin le dit en exposant
cette parole de Jn 10, 27 : « Mes brebis entendent ma voix, et elles
n’entendent pas la voix des йtrangers », c’est une parole du Christ
que quelqu'un n’entend que s’il est sa brebis par prйdestination ; telle
cette parole : « Qui persйvиrera
jusqu’а la fin, celui-lа sera sauvй ». Et de cette maniиre il pense
que qui ne demeure pas dans la parole du Christ n’est pas vraiment un
disciple, parce qu’il n’a pas appris de lui а persйvйrer efficacement ;
cependant il peut кtre disciple pour un temps pour un amour temporel de Dieu
et du prochain.
[66398] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod quamdiu caritas actu dominatur in homine, non
movetur motu contrario, sed sequitur homo motum caritatis; et ideo summum
remedium contra peccatum est ut homo redeat ad cor suum, convertens illud in
Dei dilectionem. Sed quando actu homo secundum caritatem non movetur,
ingeritur quandoque motus contrarius peccati.
19. Tant que la charitй domine en acte
dans l’homme, elle n’est pas mue par un mouvement contraire, mais l’homme
suit le mouvement de la charitй : et ainsi le remиde le meilleur contre le
pйchй est que l’homme revienne а son cњur, le convertissant а l’amour de
Dieu. Mais quand l’homme n’est pas mы par un acte selon la charitй,
quelquefois s’introduit un mouvement contraire au pйchй.
[66399] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod corrumpi et generari vel fieri est proprium eius
quod habet esse : et hoc est solum res subsistens in suo esse. Accidentia
autem et formae non subsistentes, non dicuntur entia quia ipsae habeant esse,
sed quia eis aliquid est. Et ideo fieri et corrumpi non proprie est
accidentium et formarum, sed subiectorum; puta, cum corpus aliquod fit album
hoc est albedinem fieri, sicut aliquod corpus esse album, hoc est albedinem
esse. Et eadem ratio est de corruptione; et ideo corruptibile et
incorruptibile non attribuuntur per se accidenti, sed substantiae. Unde nihil
prohibet caritatem viae et patriae esse eamdem numero, quamvis caritas viae
sit amissibilis, caritas autem patriae sit inamissibilis.
20. Кtre corrompu, engendrй ou devenir est
le propre de ce qui a l’кtre, et cela est seulement la chose subsistance en
son кtre. Mais on ne dit pas que les accidents et les formes non subsistantes
sont des кtres, parce qu’ils ont l’кtre, mais parce qu’il y a quelque chose
en eux. Et ainsi devenir et кtre corrompu ne vient pas au sens propre des
accidents ou des formes, mais des sujets ; par exemple, quand un corps
devient blanc, c’est devenir blancheur, de mкme que quelque corps est blanc
c’est кtre blancheur. Et la mкme raison concerne la corruption ; et
ainsi le corruptible et l’incorruptible ne sont pas attribuйs par soi а
l’accident, mais а la substance. C'est pourquoi rien n’empкche la charitй de
la voie et celle de la patrie d’кtre identique en nombre, bien que la charitй
de la voie soit pйrissable, mais celle de la patrie non.
[66400] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod sicut iam dictum est, caritas, proprie
loquendo, non corrumpitur, sed subiectum desinit participare caritatem; unde
non proprie dicitur quod caritas corrumpatur, vel in aliquid, vel in nihil.
21. Comme on l’a dйjа dit, la charitй, а
proprement parler, n’est pas corrompue, mais son sujet cesse de participer а
la charitй ; c’est pour quoi on ne dit pas а proprement parler que la
charitй est corrompue, ou en quelque chose ou en rien.
[66401] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod propter vertibilitatem subiecti, sicut
caritas superveniens peccato destruit ipsum, ita peccatum superveniens
caritati expellit ipsam; contraria enim mutuo se expellunt.
22. A cause de la versabilitй du sujet,
comme la charitй qui arrive aprиs le pйchй le dйtruit, de mкme le pйchй qui
arrive aprиs le pйchй, la chasse, car les contraires se chassent mutuellement.
[66402] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 23 Ad
vicesimumtertium dicendum, quod si donum posset per violentiam auferri,
videretur vinci donator, ad quem pertinet conservare donum ei cui dedit; sed
si ille cui dedit, voluntarie abiiciat, non propter hoc videtur donator
vinci, ad quem non pertinet cogere hominem ad virtutem.
23. Si un don pouvait кtre enlevй par
vciolence, le donateur semblerait vaincu ; pour lequel il appartient de
conserver le don а celui а qui il l’a donnй, mais si celui а qui il l’a donnй,
le rejette volontairement, le donateur ne semble par vaincu pour cela, pour
lequel il ne appartient pas de forcer l’homme а la vertu.
[66403]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod mulier per
matrimonium amittit potestatem sui corporis; sed anima per caritatem non
amittit potestatem liberi arbitrii; unde ratio non sequitur.
24. La femme par mariage perd le pouvoir
de son corps, mais l’вme par charitй ne perd pas le pouvoir du libre
arbitre ; c'est pourquoi la raison ne vaut pas.
A envoyer
[66404] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 1
Decimotertio quaeritur utrum per unum actum peccati mortalis caritas
amittatur
Article 13 – La
charitй est-elle perdue par un seul pйchй mortel ?
[66405] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 2
Et videtur quod non.
Il semble que non.
[66406] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 1
Dicit enim Origenes I Periarch.
[cap. III] : Si aliquando satietas
cepit aliquem ex his qui in summo perfectoque gradu perstiterunt; non
arbitror quod ad subitum quis evacuetur ac decidat; sed paulatim ac per
partes eum decidere, necesse est; ita ut fieri possit interdum, ut, si brevis
aliquis lapsus acciderit, et cito resipiscat, non penitus ruere videatur.
Sed ille qui caritatem amittit, penitus ruit, secundum illud Apostoli, 1 Cor., XIII, 2 : Si caritatem non habeam, nihil sum. Ergo caritas non amittitur
per unum peccatum mortale, quod quandoque subito fit.
1. En effet, Origиne dit (Peri archфn I, 3) : « Si quelquefois la dйgoыt prend l’un de
ceux qui ont persistй dans le plus haut et le plus parfait degrй ; je ne
pense pas qu’il s’affaiblisse subitement et succombe; mais il est nйcessaire
qu’il succombe peu а peu et en partie; de sorte qu’il pourrait intervenir
parfois, pour que, si une brиve chute йtait arrivйe, et qu’aussitфt il se
reprenne, il ne semble pas se prйcipter entiиrement». Mais celui qui a
perdu la charitй, s’йcroule entiиrement, selon cette parole de l’Apфtre (1 Co 13, 2) : « Si je n’ai pas la charitй, je ne suis
rien. » Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel,
qui quelquefois arrive subitement.
[66407] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 2
Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de
diligendo Deo, quod in Petro, qui negavit Christum, non fuit caritas
extincta, sed sopita, et tamen, quando Christum negavit, peccavit mortaliter.
Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati mortalis.
2. Bernard dit dans le livre L’amour de Dieu, que, en Pierre, qui
renia le Christ, la charitй n’a pas йtй йteinte, mais assoupie, et cependant
quand il renia le Christ, il a pйchй mortellement. Donc la charitй n’est pas
perdue par un seul pйchй mortel.
[66408] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 3
Praeterea, Leo Papa dicit in sermone IX de
passione, alloquens Petrum : Vidit
in te dominus non fidem victam, non dilectionem aversam, sed constantiam
fuisse turbatam : abundavit fletus, ubi non defecit affectus, et fons
caritatis lavit verba formidinis. Ergo dilectio caritatis non desiit in
Petro propter actum peccati mortalis.
3. Le pape Lйon [le Grand] dit dans le
sermon 9 sur la Passion, en parlant
de Pierre : « Le Seigneur voit en
toi non une foi vaincue, non un amour dйtournй, mais que ta constance a йtй
troublйe : les pleurs abondиrent, lа oщ sa disposition a faibli, et la
fontaine de charitй a lavй les paroles de la peur ». Donc l’amour de
charitй n’a pas manquй а Pierre а cause du pйchй mortel.
[66409] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 4
Praeterea, caritas est fortior quam virtus acquisita. Sed virtus acquisita,
non corrumpitur per unum actum peccati, sicut nec generatur; dicit enim
philosophus, II Ethic., [cap. I, II
et IV] quod ex eisdem generatur virtus et corrumpitur. Ergo multo minus
caritas amittitur per actum unius peccati mortalis.
4. La charitй est plus forte que la vertu
acquise. Mais celle-ci n’est pas corrompue par une seul pйchй, de mкme
qu’elle n’est pas engendrйe ; car le philosophe dit (Ethique, II, 1, 1103 b 6, 2, 1104 a
26, 4) que la vertu est engendrйe et corrompue par les mкmes causes. Donc la
charitй est beaucoup moins perdue par l’acte d’un seul pйchй mortel.
[66410] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 5
Praeterea, contrarium non expellitur nisi per suum contrarium. Habitus autem
caritatis non opponitur actui peccati. Sed habitus non generatur per unum
actum. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati.
5. Le contraire n’est chassй que par son
contraire. L’habitus de charitй n’est pas opposй au pйchй. Mais l’habitus
n’est pas engendrй par un seul acte. Donc la charitй n’est pas perdue par un
seul pйchй.
[66411] De
virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 6 Praeterea, sicut fides se habet ad multa
credenda, ita caritas ad multa diligenda ex caritate. Sed qui credit contra unum articulum non
propter hoc amittit fidem de aliis articulis. Ergo qui peccat contra unum
diligibile ex caritate, non propter hoc amittit caritatem circa alia
diligibilia; et sic caritas non amittitur per unum peccatum mortale.
6. La foi se comporte vis-а-vis de
nombreux articles а croire, la charitй se comporte de la mкme maniиre
vis-а-vis de nombreux objets а aimer par charitй. Mais celui qui s’oppose а
un seul article (de foi) ne perd pas pour cela la foi au sujet des autres
articles. Donc celui qui pиche contre un seul objet digne d’кtre aimй, par
charitй, ce n’est pas pour cela qu’il perd la charitй vis-а-vis des autres
objets а aimer, et ainsi la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй
mortel.
En sens contraire :
[66412] De virtutibus, q. 2 a. 13 s. c.
Sed contra, est quod dicitur I Ioan.
III, v. 17 : qui habuerit substantiam
huius mundi, et viderit fratrem suum necessitatem habentem, et clauserit
viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in eo? Et sic videtur quod
per peccatum omissionis aliquis caritatem amittat. Sed peccatum
transgressionis non est minus quam peccatum omissionis. Ergo per quodcumque
peccatum caritas tollitur.
Saint Jean dit (I Jn 3, 17) : « Celui
qui possиde les biens de ce monde et a vu son frиre dans la nйcessitй, et qui
lui ferme ses entrailles, comment la charitй de Dieu demeure- t-elle en lui ? »
Et il semble bien que par le pйchй d’omission on perde la charitй. Mais le
pйchй de transgression n’est pas moindre que le pйchй d’omission. Donc la
charitй est enlevйe par n’importe quel pйchй.
Rйponse :
[66413] De virtutibus, q. 2 a. 13 co.
Respondeo. Dicendum, quod absque omni dubio per quemlibet actum peccati mortalis
habitus caritatis subtrahitur; non enim dicitur peccatum mortale, nisi quia
per ipsum homo spiritualiter moritur, quod esse non potest praesente
caritate, quae est animae vita. Similiter etiam per peccatum mortale fit homo
dignus morte aeterna, secundum illud Rom.
cap. VI, 23 : Stipendia peccati mors.
Sans aucun doute l’habitus de la charitй
est retirй par tout pйchй mortel; en effet on ne l’appelle pйchй mortel que
parce que par lui l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut pas exister
si la charitй qui est la vie de l’вme est prйsente. De la mкme maniиre, aussi
par le pйchй mortel, l’homme devient digne de la mort йternelle, selon cette
parole de Rm 6, 23 : "Le salaire du pйchй c’est la mort."
Quicumque autem habet caritatem, habet
meritum vitae aeternae : dominus enim dilectori suo promittit manifestationem
sui ipsius, in quo vita aeterna consistit. Unde necesse est dicere, quod per
quemlibet actum peccati mortalis homo caritatem amittit. Manifestum est enim
quod in quolibet actu peccati mortalis fit aversio ab incommutabili bono, cui
caritas unit; cui actus peccati mortalis opponitur.
Or quiconque a la charitй mйrite la vie
йternelle ; en effet le Seigneur promet а celui qui l’aime de se
manifester а lui ; ce en quoi consiste la vie йternelle. C'est pourquoi il
est nйcessaire de dire que l’homme perd la charitй par n’importe quel pйchй
mortel. Il est en effet йvident qu’en tout pйchй mortel se fait un
dйtournement du bien incommunicable а qui unit la charitй, а qui s’oppose le
pйchй mortel.
Sed quia actus non directe contrariatur
habitui, sed actui, posset alicui videri quod per actum peccati mortalis
impediretur quidam oppositus caritatis actus, ita tamen quod non tolleretur
habitus, sicut contingit in habitibus acquisitis; non enim aliquis amittit
habitum virtutis gratuitae, si contra virtutem gratuitam agat.
Sed de habitibus caritatis est aliter.
Habitus enim caritatis non habet causam in subiecto, sed totaliter dependet a
causa extrinseca : caritas enim infunditur in cordibus nostris per Spiritum
sanctum, qui datus est nobis, ut dicitur ad Rom. V, 5.
Mais parce que l’acte ne s’oppose pas
directement а l’habitus mais а l’acte, quelqu’un pourrait y voir que par un
pйchй mortel un acte opposй а la charitй est empкchй de sorte que cependant
l’habitus ne soit pas enlevй comme cela arrive dans les habitus acquis ; car
on ne perd pas l’habitus d’une vertu gratuite si on agit contre elle.
Mais
il en va autrement des habitus de charitй. Car cet habitus n’a pas sa cause
dans le sujet mais dйpend totalement d’une cause extrinsиque ; la charitй en
effet est rйpandue en nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a йtй donnй (Rm 5, 5).
Non autem sic Deus causat caritatem in
anima, ut sit causa eius solum quantum ad fieri, et non quantum ad
conservationem ipsius, sicut aedificator est causa domus solum quantum ad
fieri, unde eo subtracto adhuc remanet domus; sed Deus est causa caritatis et
gratiae in anima, et quantum ad fieri, et quantum ad conservationem, sicut
sol est causa luminis in aere. Et ideo, sicut statim cessaret lumen in aere,
si interponeretur aliquod obstaculum; ita statim cessat habitus caritatis in
anima, quando anima se avertit a Deo per peccatum. Et hoc est quod Augustinus
dicit, VIII super Gen. ad litteram [cap.
XII] : Non ita Deus operatur hominem
iustum, id est iustificando eum, ut
si abscesserit, maneat in absente quod fecit; sed potius, sicut aer praesente
lumine non factus est lucidus, sed fit; sic homo Deo sibi praesente
illuminatur, absente autem continuo obtenebratur.
Or Dieu ne cause pas la charitй dans l’вme
de sorte а en кtre sa cause seulement pour son devenir ni pour sa
conservation, de mкme que le bвtisseur est cause de la maison seulement pour
son devenir, c'est pourquoi s’il disparaоt la maison demeure encore. Mais
Dieu est cause de la charitй et de la grвce dans l’вme et quant au devenir et
quant а sa conservation ; de mкme que le soleil est cause de la lumiиre dans
l’atmosphиre. C'est pourquoi de mкme que la lumiиre cesserait aussitфt dans
l’air si intervenait un obstacle, de mкme l’habitus de charitй cesse aussitфt
quand l’вme se dйtourne de Dieu par le pйchй. Et c’est ce que saint Augustin
dit (La Genиse au sens litteral,
VIII, XII, 26) : « Ce n’est pas
ainsi que Dieu opиre dans l’homme juste, (c'est-а-dire en le justifiant) de
sorte que s’il s’йloigne, ce qu’il a fait demeurera en celui qui s’est
йloignй; mais plutфt de mкme que l’air en prйsence de la lumiиre n’a pas йtй
dotй de lumiиre mais devient lumineux, ainsi l’homme, Dieu lui йtant prйsent,
est illuminй, s’il est absent aussitфt il s’obscurcit. »
Solutions
:
[66414] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod verbum illud Origenis sic posset intelligi, quod
homo qui est in statu perfecto, non subito procedit in actum peccati
mortalis, sed per aliquam negligentiam praecedentem. Sed quia ipse subdit : Si aliquis brevis lapsus acciderit
etc., videtur melius dicendum, quod ipse intelligit, eum penitus evacuare et
decidere, qui sic decidit, ut ex malitia peccet, quod non statim a principio
contingit; quia etiam, ut philosophus dicit in I Ethic. [cap. VI et IX], non est facile iusto ut opus iniustum
operetur statim, sicut iniustus facit, scilicet ex electione. Amittit ergo
caritatem per unum actum peccati mortalis, sed adhuc aliquae reliquiae de
praecedenti perfectione remanent, dum non habet ex malitia quod caritatem
amittat.
Cette parole d’Origиne peut кtre comprise
ainsi : l’homme qui est dans un йtat parfait, ne procиde pas subitement а un
acte de pйchй mortel, mais il le fait а la suite d’une nйgligence. Mais parce
qu’il ajoute : « Si une chute
brиve arrivait, etc., il semble meilleur de dire, ce qu’il pense
lui-mкme, que s’affaiblit et succombe tout а fait celui qui succombe ainsi
pour pйcher par malice, ce qui n’arrive pas aussitфt dиs le commencement,
parce que aussi, comme le dit le philosophe (Йthique, 1, 6 et 9) il n’est pas facile а un juste d’opйrer
aussitфt une њuvre injuste, comme l’homme injuste le fait, а savoir par
choix. Il perd donc la charitй par un seul pйchй mortel, mais encore des
restes de la perfection prйcйdante demeurent, tandis que ce n’est pas par
malice qu’il perd la charitй.
[66415] De
virtutibus, q. 2 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas amittitur
dupliciter; uno modo directe, alio modo indirecte. Directe
quidem per actualem Dei contemptum, sicut accidit in illis qui dicunt Deo, Iob XXI, 14 : Recede a nobis; scientiam viarum tuarum nolumus sicut dicitur Iob XII, 14. Alio modo indirecte; sicut non cogitans de Deo,
propter aliquam passionem timoris vel concupiscentiae consentit in aliquid
quod est contra Dei praeceptum, et sic per consequens caritatem amittit.
Intendit ergo Bernardus dicere, quod caritas non fuit extincta in Petro per
modum primum, sed amisit eam per modum secundum, et hoc nominat soporem. Et
similiter sunt intelligenda verba Leonis Papae : quod patet ex hoc quod
subiungit : Non tardatum est remedium
ablutionis, ubi non fuit iudicium voluntatis; magis enim negatio Petri
fuit extorta ex terrore, quam ipse negaverit ex iudicio deliberatae
voluntatis.
2. La charitй est perdue de deux maniиres
: d’une maniиre directement, d’une autre indirectement. Directement
par le mйpris actuel envers Dieu, comme cela arrive а ceux qui disent а Dieu
(Jb 21, 14) : « Йloigne-toi de nous, nous ne voulons pas
connaоtre tes voies », comme il est en Job[67]). D’une autre maniиre, indirectement, comme celui qui ne
pense pas а Dieu, parce qu’il souffre de crainte ou de concupiscence, il
consent а quelque chose qui est contre le prйcepte de Dieu et ainsi par
consйquence, il perd la charitй. Donc Bernard vise а dire que la charitй n’a
pas йtй йteinte en Pierre de la premiиre maniиre, mais il l’a perdue de la
seconde, et cela il l’appelle la torpeur. Et de la mкme maniиre les paroles
du Pape Lйon sont а penser ainsi : ce qui paraоt du fait qu’il ajoute :
« Le remиde de la purification n’a
pas йtй retardй, lа oщ il n’y a pas eu jugement de la volontй » : car
le reniementde Pierre a йtй obtenu
plus par l’йpouvante, [reniement] que lui-mкme aurait niй par un jugement
d’une volontй dйlibйrйe.
[66416]
De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.
3. Ainsi apparaоt la solution а la
troisiиme objection.
[66417] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod virtus acquisita habet causam in subiecto, et non
totaliter ab extrinseco, sicut caritas; et ideo non est similis ratio.
4. La vertu acquise a une cause dans le
sujet, et non totalement par l’extйrieur, comme la charitй, et c'est pourquoi
ce n’est pas la mкme raison.
[66418] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod in contrariis potest expelli unum contrarium, sine hoc
quod alterum adveniat. Habitus autem virtutis et vitii sunt contraria
mediata; unde philosophus dicit in Praedicamentis,
[in postpraedic., cap. de oppositis]
quod inter bonum et malum est medium; unde non oportet quod solum tunc
amittat homo habitum unius virtutis, quando generatur in eo habitus contrarii
vitii.
5. Dans les contraires un seul peut кtre
chassй ; sans qu’il en arrive un autre. Mais l’habitus de la vertu et
celui du vice sont directement contraires ; c'est pourquoi le philosophe
dit dans Les catйgories, (les opposйs, 10, 12 a 10) qu’entre le
bien et le mal il y a un intermйdiaire ; c'est pourquoi il n’est pas
nйcessaire que l’homme perde seulement l’habitus d’une vertu, quand est engendrй
en lui un habitus du vice contraire.
[66419] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod habitus respicit, per se, formalem rationem obiecti
magis quam ipsum obiectum materialiter; et ideo, si formalis ratio obiecti
tollatur, species habitus non manet. Formalis autem ratio obiecti in fide est
veritas prima, per doctrinam Ecclesiae manifestata, sicut formalis ratio
scientiae est medium demonstrationis : et ideo, sicut aliquis memorialiter
tenens conclusiones geometricas, non habet geometriae scientiam, si non
propter media geometriae eis assentiatur, sed habebit conclusiones illas
tamquam opinatas : ita, qui tenet ea quae sunt fidei, et non assentit eis
propter auctoritatem Catholicae doctrinae, non habet habitum fidei. Qui autem
propter doctrinam Catholicam alicui assentit, omnibus assentit quae doctrina
Catholica habet : alioquin magis credit sibi quam Ecclesiae doctrinae. Ex quo
patet, quod qui deficit in uno articulo pertinaciter, non habet fidem de
aliis articulis : illam dico fidem quae est habitus infusus; sed oportet quod
teneat ea quae sunt fidei, quasi opinata.
6. L’habitus concerne par soi la raison
formelle de l’objet plus que, matйriellement l’objet mкme ; et c’est
pourquoi si on enlиve la raison formelle de l’objet, la forme de l’habitus ne
demeure pas. Mais la raison formelle de l’objet dans la foi est la vйritй
premiиre, manifestйe par la doctrine de l’Йglise, comme la raison formelle de
la science est l’intermйdiaire de la dйmonstration : et c'est pourquoi
quelqu’un qui tient en mйmoire les conclusions gйomйtriques, n’a pas la
science de la gйomйtrie, si ce n’est pas а cause des intermйdiaires [de
dйmonstration] de la gйomйtrie а qui il donne son assentiment, mais il aura
ces conclusions comme conjecturйes : de la mкme maniиre, celui qui tient ce
qui concerne la foi et n’y donne pas son assentiment а cause de l’autoritй de
la doctrine catholique, n’a pas l’habitus de la foi. Mais celui qui а cause
de la doctrine catholique donne son assentiment а un article la donne а tous
les articles que la doctrine catholique possиde, autrement il croit plus en
lui qu’а la doctrine catholique. D’oщ on voit que celui qui se dйtache avec
pertinacitй d’un seul article, n’a pas la foi pour les autres : je dis que
cette foi qui est un habitus infusй ; mais il est nйcessaire qu’il
tienne ce qui concerne la foi comme objet de croyance.
[66424] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 1 Praecepta
enim divina non sunt sibi contraria. Sed invenitur praeceptum divinum de non
arguendo peccatorem; dicitur enim Proverb. IX, 8 : Noli arguere derisorem,
ne oderit te. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.
1. Les prйceptes divins, en effet, ne s’opposent pas entre eux.
Mais on trouve un prйcepte divin qui dit de ne pas faire de reproches au
pйcheur ; car il est dit en Pr 9, 8 :« Ne fais pas de reproche au railleur, de
peur qu’il ne te haпsse[70] ! »
Donc, la correction fraternelle ne tombe pas
sous le prйcepte.
[66425]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod ibi prohibetur redargui
derisor qui correctionem contemnit, et sic ex ea deterior efficitur.- Sed contra, peccatum est infirmitas
animae, secundum illud Psal. VI, 3
: Miserere mei, domine, quoniam infirmus sum. Sed ille cui imponitur
cura infirmi, etiam propter eius contradictionem vel contemptum non debet
praetermittere : quia tunc est maius periculum quando medicinam contemnit;
unde medicus furiosum satagit curare. Ergo multo magis, si homo
tenetur curare fratrem delinquentem corripiendo, quantumcumque contemneret,
non esset correctio praetermittenda.
2. Maisil faut dire
qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur, qui mйprise la
correction et par lа il devient pire. Mais
en sens contraire, le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette
parole du Ps 6, 4 : « Aie
pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose le soin d’un faible
ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son mйpris : parce
qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le remиde ; c’est
pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment. Donc, d’autant plus, si
l’homme est tenu d’avoir soin de son frиre fautif en le rйprimendant, quelque
grand que soit son mйpris, il ne faudrait pas renoncer а la correction.
[66426]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, praeceptum divinum non est praetermittendum propter
alterius contemptum : veritas enim vitae non est dimittenda propter
scandalum, ut per Hieronymum patet. Si igitur correctio fraterna caderet sub
praecepto, non esset praetermittenda propter contemptum alterius.
3. En outre, il ne
faut pas renoncer au prйcepte divin а cause du mйpris de l’autre : car la
rйalitй de la vie ne doit pas кtre abandonnйe, а cause du scandale, comme on
le voit chez Jйrфme. Si donc la correction fraternelle tombait sous le
prйcepte, il ne faudrait pas y renoncer а cause du mйpris de l’autre.
[66427] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, non sunt facienda mala ut veniant
bona, ut patet per apostolum, Rm c.
III. Ergo, pari ratione, non sunt praetermittenda bona ne veniant mala. Si
ergo correctio fraterna esset bonum sub praecepto cadens, non esset
praetermittenda propter malum scandali, vel contemptum eius qui corrigitur.
4. En outre il ne
faut pas faire le mal pour qu’il en vienne du bien, comme on le voit chez
l’Apфtre (Rm 3, 8[71]).
Donc, а raison йgale, il ne faut pas renoncer aux biens, afin qu’ils ne
deviennent pas des maux. Si donc la correction fraternelle йtait un bien
tombant sous le prйcepte, il ne faudrait pas renoncer, а cause du mal du
scandale ou du mйpris de celui qui est rйprimendй.
[66428]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, in nostris operibus, quantum possumus debemus Deum
imitari; secundum illud Ephes., 5,
1 : Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed Deus non
praetermittit bonum, scilicet infusionem animae rationalis, quamvis sequatur
inde infectio damnabilis originalis peccati. Ergo similiter homo non debet
praetermittere bonum correctionis, quamvis sequatur inde contemptus vel
deterioratio eius, si caderet sub praecepto.
5.En outre, dans nos њuvres, nous devons autant que
nous le pouvons imiter Dieu ; selon cette parole d’Eph 5, 1 : « Soyez des imitateurs de Dieu comme des
enfants trиs aimйs ». Mais
Dieu ne renonce pas au bien, c’est-а-dire а infuser une вme raisonnable, bien
qu’il en dйcoule la souillure funeste du pйchй originel. Donc, de la mкme
maniиre, il ne faut pas que l’homme renonce au bien de la correction, encore
qu’il en dйcoule du mйpris ou qu’il la supprime si elle tombait sous le
prйcepte.
[66429] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dominus dicit Ezech. III, v. 19 : Si annuntiaveris impio, et ille non fuerit
conversus ab impietate sua, ipse quidem in iniquitate morietur; tu autem
animam tuam liberasti. Ergo non est praetermittenda correctio, etiam si
ille qui corripiendus est, per correctionem non emendetur.
6. En outre, le
Seigneur dit (Ez 3, 19) : « Si
tu as averti l’impie et qu’il ne se soit pas converti de son impiйtй,
lui-mкme mourra dans son iniquitй ; mais toi, tu auras libйrй ton вme ». Donc, il ne faut
pas renoncer а la correction, mкme si celui qui doit кtre rйprimendй n’est
pas corrigй.
[66430]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, utilior est correctio delinquentis quam eius punitio.
Sed iudex non dimittit punire delinquentem propter hoc quod ex poena non
emendatur. Ergo, etiam si correctio fraterna caderet sub praecepto, non
deberet aliquis praetermittere correctionem propter contemptum vel scandalum
eius qui corrigitur. Non ergo videtur quod correctio fraterna cadat sub
praecepto.
7. La correction du
coupable est plus utile que sa punition. Mais le juge ne renonce pas а punir
le coupable, parce qu’il n’est pas purifiй par sa peine. Donc, mкme si la
correction fraternelle tombait sous le prйcepte, personne ne devrait renoncer
а la correction en raison du mйpris ou du scandale de celui qui est corrigй.
Donc, il ne semble pas que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.
[66431]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, praeceptum divinum non obligat ad impossibile. Sed
corrigere omnes delinquentes est impossibile : quia stultorum infinitus est numerus, ut dicitur Eccle. I, 15. Ergo
correctio fraterna non cadit sub praecepto.
8.Le
prйcepte divin n’oblige pas а l’impossible. Mais corriger tous les coupables
est impossible : « Parce que le
nombre des sots est infini », comme il est dit (Si 22, 15). Donc la correction fraternelle ne tombe pas sous le
prйcepte.
[66432] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 9 Sed
dicendum, quod non tenetur homo corrigere nisi illos qui sibi occurrunt
corrigendi. Sed contra,
si correctio fraterna est in praecepto, sequitur quod ex tali praecepto homo
constituatur debitor fratris, ut eum corripiat. Sed homo qui debet alicui
aliquod debitum corporale, non debet expectare quod sibi occurrat, sed debet
eum quaerere, ut ei reddat quod debet. Ergo multo magis, si correctio
fraterna esset in praecepto, deberet homo quaerere eum quem corrigeret, et
non expectare ut ei occurreret.
9.Mais il faut dire que l’homme n’est tenu de corriger que ceux qui
viennent а lui pour кtre corrigй. En sens
contraire, si la correction fraternelle est dans le prйcepte, il
s’ensuit que, par un tel prйcepte, l’homme devient le dйbiteur de son frиre,
pour le corriger. Mais l’homme qui doit а quelqu’un du bien matйriel, ne doit
pas attendre qu’il vienne а sa rencontre, mais il doit aller le trouver pour
lui rendre ce qu’il lui doit. Donc, d’autant plus, si la correction
fraternelle йtait dans le prйcepte, l’homme devrait rechercher celui qui le
corrigerait et non attendre qu’il vienne а lui.
[66433]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 10 Praeterea, si correctio fraterna esset in praecepto, ergo omissio
correctionis indebita esset peccatum mortale. Hoc autem est falsum, cum talis
negligentia etiam in sanctis viris interdum inveniatur : dicit enim
Augustinus in I de Civit. Dei,
(cap. IX) quod (2) Non solum inferiores, verum etiam qui
superiorem vitae gradum tenent, ab aliorum reprehensione se abstinent propter
quaedam potestatis vel cupiditatis vincula, non propter officia caritatis : (3) non itaque mihi videtur parva esse
haec causa, quare cum malis flagellantur et boni. Non ergo
correctio fraterna est in praecepto.
10.Si la
correction fraternelle йtait dans le prйcepte, son omission indue serait un
pйchй mortel. Mais c’est faux, puisque une telle nйgligence se trouve parfois
mкme chez les saints : en effet, Augustin dit (La Citй de Dieu I, 9, 2-3) : « Non seulement les classes
infйrieures, mais mкme ceux qui sont fidиles а un degrй de vie chrйtienne
plus йlevй, s’abstiennent de reprendre les autres en raison de certains liens
de pouvoir ou de dйsir, non а cause du devoir de charitй ; c’est pourquoi,
il ne me semble pas que ce n’est pas une petite cause pourquoi les bons sont
flagellйs avec les mйchants ».
Donc la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.
[66434] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 11 Praeterea, aliquis praeceptum transgrediens
mortaliter peccat, licet non immediate contra caritatem faciat; sicut
Bernardus [de dignitate Divini amoris,
cap. V] dicit, quod in Petro negante Christum non fuit caritas extincta. Si
ergo correctio fraterna esset in praecepto, praetermittens correctionem
mortaliter peccaret, etiam si non ex contemptu hoc faceret; quasi immediate
contra praeceptum agens
11.Qui transgresse un
prйcepte pиche mortellement, bien qu’il n’agisse pas directement contre la
charitй ; ainsi Bernard (La
dignitй de l’amour divin 5) dit que, dans le cas de Pierre reniant le
Christ, sa charitй ne s’est pas йteinte. Si donc la correction fraternelle
йtait dans le prйcepte, celui qui renonзant а la correction pиcherait
mortellement, mкme s’il ne le faisait pas par mйpris, comme agissant sans
intermйdiaire contre le prйcepte.
[66435] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 12 Praeterea,
omnia praecepta legis divinae ad praecepta Decalogi reducuntur. Sed correctio
fraterna non cadit sub aliquo praecepto Decalogi, ut patet discurrenti per
singula. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.
12.Tous
les prйceptes de la Loi divine sont ramenйs а ceux du Dйcalogue. Mais la
correction fraternelle ne tombe pas sous un prйcepte du Dйcalogue, comme cela
apparaоt а celui qui en examine [les articles] un а un. Donc la correction
fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.
[66436] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 13 Praeterea,
ea quae cadunt sub praeceptis divinis, sunt efficacia ad finem consequendum.
Sed admonitio fraterna non est alicui sufficiens ad emendationem eius; neque
sermo admonitorius est efficax ad hoc, ut philosophus dicit in X Ethic. [cap.
Ult.], et Eccle. VII,
14, dicitur : considera opera Dei, quod nemo possit corrigere quem ille
despexerit. Ergo fraterna correctio non est in praecepto.
13.Ce qui
tombe sous les prйceptes divins est efficace pour parvenir а la fin. Mais
l’avertissement fraternel n’est pas suffisant а quelqu'un pour sa
correction ; et la parole d’avertissement n’en est pas efficace pour
cela comme le dit le philosophe (Ethique
X, 10) et Qo 7, 13 : « Regarde les њuvres de Dieu, personne ne
pourrait redresser ce qu’il a courbй ? »Donc, la correction fraternelle n’est pas dans
le prйcepte.
[66437]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 14 Praeterea, nemo debet se intromittere de illis quae non sunt sui
arbitrii. Sed si peccaverit homo in Deum, non est nostri arbitrii, ut
Hieronymus dicit Super Matth. Ergo
in talibus non debet homo se intromittere; et ita corripere fratrem non cadit
generaliter sub praecepto.
14.Personne
ne doit s’introduire dans ce qui ne concerne pas sa libre dйcision. Mais si
l’homme a pйchй contre Dieu cela ne dйpend pas de notre libre dйcision, comme
le dit Jйrфme dans son Commentaire sur Matthieu. Donc, l’homme ne doit
pas se mкler de telles affaires ; et ainsi, reprimander son frиre, ne
tombe pas en gйnйral sous le prйcepte.
[66438] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 15 Praeterea, nullus excusatur ab observantia
praecepti propter peccatum. Sed homo peccator non debet alium corrigere;
dicit enim Isidorus in Lib. de summo
Bono, Lib. III, (cap. XXXII) quod non debet vitia aliorum corrigere qui
est vitiis subiectus. Ergo admonitio fraterna non cadit sub praecepto.
15. Personne n’est
dispensй de l’observance du prйcepte а cause du pйchй. Mais un homme pйcheur
ne doit pas en corriger un autre ; en effet, Isidore dans le livre Du
bien suprкme, III, dit que celui qui est soumis а des vices ne
doit pas corriger les vices des autres. Donc, l’avertissement fraternel ne
tombe pas sous le prйcepte.
[66439]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, nullus acquirit sibi damnationem ex observantia divini
praecepti. Sed quidam acquirunt sibi damnationem, alios corripiendo; secundum
illud Rm II, 1 : In quo alios
iudicas, teipsum condemnas. Ergo correctio fraterna non est in
praecepto.
16. Nul n’acquiert sa
propre damnation en observant le prйcepte divin. Mais certains se damnent en
rйprimandant les autres ; d’aprиs ce passage (Rm 2, 1) : « En jugeant les autres, tu te condamnes
toi-mкme ». Donc,
la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.
[66440] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 17 Praeterea, nullus debet sibi usurpare quod non
est sui officii, secundum illud 2 Co
X, 13 : Nos autem non in immensum gloriamur, sed secundum regulam mensurae
qua mensus est nobis Deus. Sed corripere delinquentes videtur esse
superioris officium : quia etiam in corpore humano superiora membra movent
inferiora; et in universo superiora corpora, inferiora. Ergo alii, qui non sunt
praelati, non tenentur ad correctionem fraternam.
17. Nul ne doit se
charger de ce qui n’est pas de son devoir, selon cette parole 2 Co 10, 13 : « Pour nous,
nous n’irons pas nous glorifier hors mesure, mais nous prendrons comme
mesure, la rиgle que Dieu a mesurй pour nous ». Mais rйprimander les pйcheurs paraоt кtre le
devoir du Supйrieur ; parce que mкme dans le corps humain, les membres
supйrieurs mettent en mouvement les membres infйrieurs ; et dans
l’univers, les corps supйrieurs [mettent en mouvement] les corps infйrieurs.
Donc, les autres, ceux qui ne sont pas des prйlats, ne sont pas tenus а la
correction fraternelle.
[66441]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 18 Praeterea, illud quod debemus impendere proximis ex debito
caritatis, omnibus est impendendum. Sed correctio non est omnibus impendenda
: dicitur enim I ad Tm 5, v. 1 : seniorem ne increpaveris, ubi dicit
Glossa : ne, indigne ferens se a minori corripi, exasperetur, unde et
Dionysius Demophilum monachum reprehendit, quod sacerdotem correxerit. Non
ergo correctio fraterna cadit sub debito caritatis.
18. En outre, ce que nous
devons consacrer а nos proches, selon le devoir de la charitй, doit aussi
кtre consacrй а tous. Mais la correction ne doit pas кtre imposйe а tous, car
il est dit en 1 Tm 5, 1 :« Ne rudoie pas un vieillard »
lа oщ la glose prйcise : « De peur que, supportant mal d’кtre
corrigй de maniиre indigne par un plus jeuneil ne soit exaspйrй », c’est ainsi
que Denys reprend le moine Dйmophile qui avait corrigй un prкtre. Donc la
correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.
[66442] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 19 Praeterea,
praecepta divina ordinantur ad caritatem et pacem, secundum illud I ad
Timoth., I, 5 : Finis praecepti caritas est. Sed per correctionem
fraternam frequenter perturbatur caritas et pax, secundum illud Terentii : veritas
odium parit. Ergo correctio fraterna non est in praecepto.
19. En outre, les
prйceptes divins sont ordonnйs а la charitй et а la paix, selon cette parole
de 1 Tm 1, 5 : « La fin du
prйcepte est la charitй ».
Mais, la charitй et la paix sont frйquemment troublйes par la correction
fraternelle, comme le dit cette parole de Tйrence : « La vйritй engendre la haine ». Donc, la
correction fraternelle ne tombe pas dans le prйcepte.
En sens contraire :
[66443] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed
contra. Est quod
Augustinus dicit in Lib. de Verb.
Domini : Si neglexeris corrigere, peior eo factus es qui peccavit.
Sed ille qui peccavit, facit contra praeceptum. Ergo ille qui negligit
corrigere facit contra praeceptum; et ita correctio fraterna cadit sub
praecepto.
1. Il y a ce que dit
Augustin dans son livre Les paroles du Seigneur : « Si tu as nйgligй de corriger, tu
deviens pire que celui qui a commis le pйchй ». Mais,
celui qui a pйchй agit contre le prйcepte. Donc celui qui nйglige de corriger
agit contre le prйcepte ; et ainsi la correction fraternelle tombe sous
le prйcepte.
[66444]
De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth.,
XVIII, 15, super illud : Corripe illum inter te et ipsum dicit Glossa
: Ita peccat qui videns fratrem suum peccasse, tacet, sicut si peccanti non
indulget. Sed ille qui peccanti non indulget, facit contra praeceptum.
Ergo ille qui non corrigit, facit contra praeceptum.
2. En outre, sur
cette parole de Mt 18, 15 : « Reprends-le seul а seul »,
la Glose dit : « De mкme que pиche celui qui voyant son frиre pйcher,
se tait, de mкme s’il n’est pas indulgent envers le pйcheur ». Mais celui qui n’a
pas d’indulgence pour le pйcheur agit contre le prйcepte. Donc, celui qui ne
corrige pas agit contre le prйcepte.
[66445] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in impletione
praecepti caritatis debemus Deo conformari, secundum illud Ephes. 5, 1 : Estote imitatores Dei, sicut filii
carissimi. Sed, sicut dicitur Pr.
c. III, 12.Quos
diligit dominus, corripit. Ergo, cum nos teneamur ex praecepto domini
diligere, videtur quod ex praecepto debemus fratres corrigere.
3.Dans
l’accomplissement du prйcepte de charitй, nous devons nous conformer а Dieu,
selon cette parole d’Eph 5, 1 :
« Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien aimйs ».
Mais comme il est dit en Pr 3, 12 :
« Ceux que le Seigneur aime, il les corrige ». Donc, bien que nous
soyons tenus d’aimer selon le prйcepte du Seigneur, il semble que d’aprиs ce
prйcepte, nous devons corriger nos frиres.
[66446] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 4 Praeterea,
Eccli. XVII, 12, dicitur, quod
unicuique mandavit Deus de proximo suo, curam habere. Ergo sub praecepto cadit ut homo curam apponat ad salutem proximi,
corrigendo ipsum.
4.Par
ailleurs (Si 17, 14), il est dit
que Dieu a chargй chacun d’avoir soin de son prochain. Donc, il tombe sous le
prйcepte que l’homme prenne soin du salut de son prochain en le rйprimandant.
Rйponse :
[66447] De virtutibus, q. 3 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod correctio
fraterna cadit sub praecepto. Cuius ratio est, quia ex praecepto tenemur ad
dilectionem proximi. Dilectio autem in se includit ut homo velit ei bonum
quem diligit; hoc est enim amare aliquem, velle ei bonum, ut dicit
philosophus in II Metaph. [in lib.
II Rhet., cap. IX]. Et quia carere
malo habet rationem boni, ut dicitur in V
Ethic., inde est, quod ad rationem pertinet dilectionis, ut etiam velimus
mala dilectis nostris non inesse. Voluntas autem efficax non est, nec vera,
si opere non comprobetur; unde etiam ad rationem dilectionis pertinet, ut ad
amicos bona operemur, et mala eorum impediamus, ut dicitur in IX Ethic. [cap. 1] Et IIoan. III, 18, dicitur : Non
diligamus verbo neque lingua, sed opere et veritate.
Triplex autem est hominis
bonum, et triplex malum ei oppositum.
Est enim quoddam bonum hominis in exterioribus rebus consistens, quod est
minimum bonum; et in hoc bono tenetur homo subvenire proximo per eleemosynae
corporalis largitionem. Dicitur enim I
Ioan. III, 17 : Qui substantiam huius mundi habuerit, et viderit
fratrem suum necessitatem habere et clauserit viscera sua ab eo : quomodo
caritas Dei manet in illo? Et pari ratione tenetur homo proximo auxilium
ferre contra damna temporalium rerum. Unde praecipitur Deuter. XXII, 1 : Non
videbis bovem et ovem fratris tui errantem, et praeteribis, sed reduces
fratri tuo.
Aliud bonum hominis est bonum corporis, in quo debet etiam homo homini
auxiliari, et contra contrarium malum auxilium ferre. Dicitur enim Pr. XXIV,
11 : Erue eos qui ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum,
liberare ne cesses.
Tertium autem bonum est bonum virtutis, quod est bonum animae, cui
contrariatur malum peccati.
Ad hoc autem bonum
consequendum, vel malum vitandum, tanto magis tenetur homo ex caritate
proximo auxilium ferre, quanto magis pertinet ad rationem quare aliquis ex
caritate diligitur. Unde et philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. III],
quod tanto magis debet homo ferre auxilium amico ad vitandum peccata quam ad
vitandum damnum pecuniae, quanto virtus affinior est amicitiae. Et ideo
tenetur homo ex praecepto dilectionis ut proximo auxilium ferat ad virtutem
consequendam dando ei consilium et auxilium ad bene agendum, secundum illud Is., XXXV, vv. 3-4 : Confortate
manus dissolutas, et genua debilia roborate, dicite : pusillanimes
confortamini, et nolite timere. Et propter hoc ex praecepto dilectionis
tenetur homo fratrem in peccato existentem a peccato retrahere corrigendo,
secundum illud I Thess. 5, v. 14 : Corripite
inquietos confortamini pusillanimes. Et hinc est quod dominus, Matth.
cap. XVIII, 15, mandavit : si peccaverit in te frater tuus, corripe eum.
Sic
ergo correctio fraterna cadit sub praecepto.
Sed
notandum est quod per praecepta affirmativa praecipiuntur actus virtutum; per
praecepta autem negativa prohibentur actus vitiorum. Illud autem quod est
secundum se vitiosum et peccatum, qualitercumque fiat, est malum, quia
contingit ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit in IV cap. de
divinis Nomin. Et ideo, illud quod prohibetur praecepto negativo, a nullo,
nec aliquo modo faciendum est. Praecepto autem affirmativo praecipitur actus
virtutis, ad cuius rectitudinem multae circumstantiae concurrunt, quia bonum
consurgit ex una et tota causa, sicut Dionysius dicit, IV cap. de divinis Nomin.
Unde
illud quod cadit sub praecepto affirmativo, non est pro omni tempore et
quolibet modo observandum, sed servatis debitis conditionibus et personarum,
et locorum, et causarum, et temporum; sicut honor parentibus non est
exhibendus quolibet tempore aut loco, aut quolibet modo, sed servatis debitis
circumstantiis; ita etiam correctio fraterna sub praecepto cadit secundum
debitas circumstantias, secundum quod est actus virtutis.
Has
autem circumstantias determinare sermone, non est possibile, eo quod eorum
iudicium in singularibus consistit; et pertinet ad prudentiam, vel
experimento et tempore acquisitam, vel magis infusam; secundum illud I Ioan. XXI, 27 : unctio docebit vos de omnibus.
Il faut
dire que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte. La raison en est
que nous sommes tenus par le prйcepte а l’amour du prochain. Mais cet l’amour
inclut en soi que l’homme veuille du bien а celui qu’il aime ; en effet,
c’est cela aimer quelqu’un : lui vouloir du bien, comme le dit le philosophe
en Mйtaphysique II (Rhйtorique 9). Et puisque le manque de
mal a nature de bien, comme on le lit en Ethique
V, 7, de lа, il convient а la nature de l’amour, que nous voulions qu’il n’y
ait pas de mal chez ceux que nous aimons. Mais la volontй n’est ni efficace,
ni vйritable, si elle n’est pas confirmйe par l’action ; c’est pourquoi,
il convient а la nature de l’amour, que nous fassions du bien pour nos amis
et que nous empкchions leurs maux, comme il est dit (Ethique IX, 1). Et en 1 Jn 3, 17 : « N’aimons
pas seulement en paroles ni des lиvres. Mais en acte et en
vйritй ».
Mais le bien de
l’homme est triple et triple le mal qui lui est opposй.
1. Il y a, en effet, un certain bien de l’homme qui
consiste dans ce qui lui est extйrieur, ce qui est le plus petit bien; et en
ce bien, l’homme est tenu de subvenir а son prochain par les largesses d’une
aumфne concrиte. En effet, on lit dans 1Jn 2, 18 : « Celui qui aura les biens de ce monde et qui aura vu son
frиre dans la nйcessitй et qui lui aura fermй ses entrailles : comment
l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? »Et а raison
йgale, l’homme est tenu de porter secours а son prochain en cas de perte des
biens temporels. Ainsi est-il ordonnй en Dt
22, 1 :« Tu ne
verras pas le bњuf ni la brebis de ton frиre en train de vagabonder et tu ne
te dйroberas pas, mais tu les ramйneras а ton frиre ».
Un autre bien de l’homme est celui de son corps ; en quoi
aussi, l’homme doit prкter assistance а un homme et lui prкter secours contre
un mal contraire. On lit en effet dans Pr
24, 11 : « Dйlivre ceux qui sont conduits а la mort, ceux qui
sont traоnйs au trйpas, n’aie de cesse de les libйrer.
Le troisiиme bien est celui de la vertu, qui est le bien de l’вme, а
qui s’oppose le mal du pйchй.
Donc, pour
atteindre ce bien ou йviter le mal, l’homme est d’autant plus tenu par la
charitй de porter secours а son prochain, qu’il correspond plus а la nature
par quoi on aime quelqu'un par charitй. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique
IX, 3), que l’homme doit porter secours а un ami autant pour йviter le
pйchй que pour йviter la perte d’argent, qu’autant que la vertu est plus
proche de l’amitiй. Et c’est pourquoi, l’homme est tenu, par le prйcepte de
l’amour, de porter secours а son prochain pour atteindre la vertu, en lui
donnant conseil et aide pour bien agir, selon cette parole en Is 35, 3-4 : « Fortifiez les
mains fatiguйes et affermissez les genoux chancelants, dites : consolez les
pusillanimes et n’ayez pas peur ».
Et en raison de ce prйcepte d’amour, l’homme est tenu de retirer
du pйchй, en le corrigeant, son frиre qui est dans le pйchй, selon 1 Th 5, 14 : « Rйprimandez les
dйsordonnйs, soutenez les faibles ».
Et le Seigneur recommande en Mt
18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi, corrige-le ».
Ainsi la
correction fraternelle tombe sous le prйcepte.
Mais il faut noter
que les actes de vertu sont enseignйs par des prйceptes affirmatifs, mais les
actes des vices sont йcartйs par des prйceptes nйgatifs. Donc, ce qui, en
soi, est vice et pйchй, de quelque maniиre qu’il soit fait, est un mal, parce
que cela arrive а partir de manquements particuliиrs, comme le dit Denys, (Les
noms divins, IV). Et c’est pourquoi ce qui est interdit par un prйcepte
nйgatif ne doit кtre fait par personne en aucune maniиre. Mais, l’acte de
vertu est prescrit par un prйcepte positif, а la droiture duquel concourrent
de nombreuses circonstances, parce que le bien surgit d’une cause unique et
entiиre, comme le dit Denys, Les noms divins, IV.
C'est pourquoi, ce
qui tombe sous le prйcepte affirmatif n’est pas pour tout le temps а observer
de queque maniиre mais une fois prйservйes les conditions nйcessaires des
personnes, des lieux, des temps et des causes ; de mкme que l’honneur dы
aux parents ne doit pas кtre montrй en n’importe quel temps, en n’importe
quel lieu ou de n’importe quelle maniиre, mais une fois prйservйes les
circonstances qui conviennent ; ainsi, la correction fraternelle tombe
sous le prйcepte, selon les circonstances qui conviennent, selon qu’il s’agit
d’acte de vertu.
Mais il n’est pas
possible de dйterminer ces circonstances en parole, du fait que leur jugement
dйpend de cas particuliers ; et cela convient а la prudence acquise par
l’expйrience et le temps, ou plutфt infuse ; 1 Jn 2, 20 : « L’onction[72] vous instruira а
propos de tout. »
Solutions
:
[66448]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inter alias circumstantias quae
requiruntur ad actum virtutis, ista videtur esse praecipua, ut actus sit
proportionatus fini quem virtus intendit. Caritas autem intendit in
corrigendo delinquentem, emendationem; unde actus non esset virtuosus, si
homo sic corrigeretur, ut inde efficeretur deterior : et ideo Sapiens dicit :
Noli arguere derisorem. Non enim est timendum, ut Glossa [ordin.
Ibid.] dicit, ne tibi derisor, cum arguitur, contumelias inferat; sed hoc
potius providendum, ne tractus ad odium, inde fiat peior.
1.Parmi les autres circonstances, qui sont requises
pour un acte de vertu, celle-ci semble la principale pour que l’acte soit
proportionnй а la fin que poursuit la vertu. La charitй vise а la correction,
en corrigeant le pйcheur ; c'est pourquoi l’acte ne serait pas vertueux,
si l’homme йtait ainsi corrigй, de sorte qu’il en devienne pire ; et
c’est pourquoi le sage dit (Pr
9, 8) : « Ne fais pas de reproches au railleur ». En effet, il ne
faut pas craindre, comme le dit la Glose (glose ordinaire), que le railleur
ne te porte des injures, quand on lui fait des reproches ; mais il faut
plutфt veiller а ce qu’en йtant entraоnй а la haine, il ne devienne pire.
[66449] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est correctio
delinquentis :
una
quidem per simplicem admonitionem; et haec est fraterna quibus praesumitur
quod propria voluntate admonitioni consentiant;
alia vero
est correctio habens vim coactivam per inflictionem poenarum, ut philosophus
dicit in X Ethic.[cap. ult.] ;
et talis correctio pertinet ad praelatos, qui etiam contemnentes a periculo
peccati studere debent ut liberent, sicut medicus furiosum studet sanare,
ligando et verberando eum.
2. La correction du
pйcheur est double :
L’une par un simple avertissement ; et cette
correction est fraternelle pour ceux envers qui on prйsume qu’ils consentent
а l’avertissement par leur propre volontй ; mais l’autre est la correction qui a une force coercitive par le fait
d’infliger une peine, comme le dit le philosophe en Ethique X,
10 ; et une telle correction concerne les prйlats qui, doivent
s’appliquer а libйrer du danger du pйchй, mкme ceux qui le mйprisent, comme
le mйdecin s’attache а soigner le fou furieux, en le liant et le frappant.
[66450]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeceptum divinum non est
praetermittendum propter scandalum alterius; sed ipsa correctio fraterna non
cadit sub praecepto divino nisi secundum quod est emendativa fratris; ad quod
requiritur ut sit sine scandalo eius, ratione iam dicta in corp. art.
3.Il ne faut pas renoncer au prйcepte divin, а cause
du scandale d’un autre ; mais la correction fraternelle elle-mкme ne
tombe sous le prйcepte divin, que selon qu’elle corrige un frиre ; pour
cela, il est requis qu’elle soit sans scandale, pour la raison dйjа exprimйe
dans le corps de l’article.
[66451] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut iam dictum est,
mala sunt omnibus modis vitanda; et ideo nullo modo sunt mala facienda ad hoc
quod aliqua bona proveniant. Sed bona non sunt omnibus modis facienda; et
ideo interdum sunt aliqua bona intermittenda, ut aliqua magna mala vitentur.
Et tamen correctio proximi non est simpliciter bonum, nisi adhibitis debitis
circumstantiis, ut dictum est, in corp. art.
4. Comme il a dйjа
йtй dit, il faut йviter les maux de toutes les maniиres ; et ainsi, on
ne doit faire le mal en aucune maniиre pour qu’il en ressorte quelque bien.
Mais les biens ne doivent pas кtre faits de toutes les maniиres ; et
ainsi il faut parfois abandonner certains biens pour йviter de plus grands
maux. Et cependant, la correction du prochain n’est simplement un bien,
qu’employйe dans les circonstances qui conviennent, comme il a йtй dit dans
le corps de l’article.
[66452]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalia praesupponuntur moralibus; et
ideo infusio animae, quae est quoddam bonum naturae, non debuit praetermitti
a Deo ad vitandum defectionem culpae; sicut nec homo debet se privare
sustentamento vitae, ut vitet peccatum. Sed aliquod bonum morale debet
interdum omitti ad vitandum aliud gravius malum morale.
5. Ce qui est naturel
est prйsuppposй en ce qui est moral ; et ainsi l’infusion de l’вme, qui
est un bien de nature, ne doit pas кtre abandonnйe par Dieu pour йviter la
dйfaillance de la faute ; de mкme que l’homme ne doit pas se priver de
nourriture essentielle а la vie, pour йviter le pйchй. Mais on doit parfois
omettre un bien moral pour йviter un autre mal moral plus grave.
[66453]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini : Longe graviorem
habent poenam Ecclesiarum praepositi, qui in Ecclesiis constituti sunt, ut
non parcant obiurgando peccata; quia ad eos pertinet non solum caritativa correctio,
sed etiam continua. Et ad tales dominus ibi loquitur per prophetam; unde
parum ante praemittit : fili hominis, speculatorem dedi te domui Israel.
6.Il y a
ce que dit Augustin dans le livre Les Paroles du Seigneur : « Ils
ont un chвtiment bien trop lourd, les prйlats des Йglises, qui ont йtй placйs
dans les йglises pour ne pas йpargner les pйchйs en les chвtiant ; parce
que non seulement la correction caritative leur convient, mais encore la
correction continue ». Et
de telles personnes, le Seigneur en parle ainsi par le prophиte (Ez 3, 4) : « Fils de
l’homme, je t’ai donnй comme guide а la maison d’Israлl ».
[66454]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iudex in puniendo intendit
principaliter bonum commune, quod provenit multitudini ex punitione illius,
etiam si ille non emendetur, secundum illud Pr. XIX, 25 : pestilente
flagellato, stultus sapientior erit. Sed fraternae correctionis finis est
emendatio eius qui corripitur; unde non est simile.
7. Le juge en
punissant tend essentiellement au bien commun, qui parvient а la multitude
par sa punition, mкme s’il ne se corrige pas, selon Pr 19, 25 : « Si on frappe le pernicieux, le sot sera
plus sage. Mais le but de la correction fraternelle est l’amendement de
celui qui est corrigй ; donc, ce n’est pas la mкme chose.
[66455] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod sicut dictum est, in
corp. art., correctio fraterna cadit sub praecepto, servatis debitis
circumstantiis personarum, locorum et temporum; sicut etiam et corporalis
eleemosyna. Beneficia autem, spiritualia seu corporalia, sunt proximis
impendenda ordine quodam : ut scilicet primo impendantur his qui magis nobis
coniuncti sunt, ac si in sortem nobis eveniret eis providere; ut Augustinus
dicit in Enchir. [lib. I. de Doctrina christ.,cap. XXVIII deinde
providendum est aliis secundum quod opportunitas occurrit. Et sic patet quod
praeceptum de correctione fraterna non obligat ad impossibile, sicut nec
praeceptum de eleemosynis corporalibus dandis.
8.Comme il a йtй dit dans le corps de l’article, la
charitй fraternelle tombe sous le prйcepte, une fois prйservйes les
circontances dues des personnes, des lieux et des temps, comme aussi l’aumфne
corporelle. Les bienfaits, spirituels et temporels, doivent кtre accordйs au
prochain en un certain ordre ; et d’abord, comme en premier ils sont
accordйs а ceux qui nous sont plus unis, comme s’il nous arrivait de veiller
sur eux par sort, comme Augustin le dit dans l’Enchiridion (La Doctrine chrйtienne 1, 28) :
ensuite, il faut veiller sur les autres selon que l’occasion se prйsente. Et
ainsi, il est clair que le prйcepte de la correction fraternelle ne contraint
pas а l’impossible, comme s’il nous revenait par sort de veiller sur eux le
prйcepte de faire l’aumфne destinйe au corps.
[66456]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod, sicut Augustinus dicit in lib. de verbis Domini, admonet nos
dominus noster, non negligere invicem peccata nostra; non quaerendo quid
reprehendas, sed videndo quid corrigas. Unde ex praecepto correctionis
fraternae non tenemur inquirere peccata aliorum, ut possimus ea corrigere,
alioquin efficeremur exploratores vitae aliorum, contra illud quod dicitur Proverb. XXIV, 15 : Ne quaeras
impietatem in domo iusti, et non vastes requiem eius. Nec est similis
ratio de debito corporali, quia hoc est quiddam determinatum, quod debetur
certae personae, et certo tempore; quod non accidit circa correctionem
fraternam, ut dictum est, in corp. art.
9. Comme Augustin le
dit dans son livre Des paroles du Seigneur (Sermon 16) : « Notre Seigneur
nous avertit de ne pas nйgliger mutuellement nos pйchйs, non pas en
recherchant ce que tu reproches, mais en voyant ce que tu corriges ».
C'est pourquoi par le prйcepte de la correction fraternelle, nous ne sommes pas
tenus de rechercher les pйchйs des autres pour pouvoir les corriger,
autrement nous deviendrions espions de la vie des autres, contre ce qui est
dit en Pr 24, 15 : « Ne
recherche pas l’impiйtй dans la demeure du juste et ne ruine pas son repos ». Et ce n’est pas une
raison semblable pour ce qui est dы au corps, parce que c’est quelque chose
de limitй, qui est dы а une personne prйcise et а un moment prйcis, ce qui ne
se produit pas dans le cas de la correction fraternelle, comme il a йtй dit
dans le corps de l’article.
[66457] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod aliquis potest omittere, correctionem fraternam tripliciter. Uno quidem modo absque omni peccato : quia, ut
Augustinus dicit in I de Civit. Dei,
[cap. IX] : si propterea quisque obiurgandis et corripiendis male
agentibus parcit, quia opportunum tempus inquirit, vel eisdem ipsis metuit ne
deteriores ex hoc efficiantur, vel ad bonam vitam et patientiam erudientes
impediant alios infirmos, et premant atque avertant a fide; non videtur esse
cupiditatis occasio, sed consilium caritatis.
Alio modo, sicut
cum delectat lingua blandiens, et humanus dies, et formidatur vulgi iudicium
et carnis excruciatio vel peremptio : quae quidem si sic teneantur in animo,
ut praeponantur caritati fratris, est peccatum mortale.
Tertio modo potest
esse cum peccato veniali; puta, cum ista moverent animum, non quidem ut
praeponantur proximi caritati, sed ut negligentes reddantur ad considerandas
circumstantias et opportunitates in quibus corrigere tenentur.
10.Il faut dire que
quelqu’un peut abandonner la correction fraternelle de trois maniиres :
D’une premiиre maniиre, sans aucun pйchй
: parce que, comme Augustin le dit dans la Citй de Dieu, I, 9 :
« Si quelqu'un йpargne ceux qui agissent mal qu’il faut rйprimender
et blвmer, qu’il cherche le moment opportun, ou bien parce qu’il a craint
pour ces mкmes personnes qu’elles ne deviennent pires, ou bien instruit pour
une bonne vie et pour la patience empиchent ceux qui sont faibles et ils les
pressent et les dйtournent de la foi ; il ne semble pas que ce soit une
occasion de cupiditй, mais un conseil de charitй. »
D’une autre maniиre : de mкme, quand
la langue flatteuse et le jour humain charment, on redoute le jugement de la
foule, le tourment de la chair et sa destruction : si on garde cela dans son
вme pour les placer avant la charitй pourun frиre c’est un pйchй mortel.
D’une troisiиme maniиre : il existe avec
un pйchй vйniel ; par exemple, comme ces choses incitant l’вme, non pour
les placer avant la charitй du prochain, mais pour que les nйgligents soient
ramenйs а considйrer les ciconstances et les conditions en lesquelles ils ont
tenus de corriger.
[66458]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quicumque mortaliter peccat, immediate
contra caritatem peccat, quia facit illud quod est contrarium caritati.
Tamen, proprie loquendo, non semper directe contra caritatem peccat; sed
solum tunc quando intendit contra caritatem agere, ut contingit in his qui ex
malitia peccant.
11. Quiconque
pиche mortellement, pиche directement contre la charitй, parce qu’il fait ce
qui lui est contraire. Cependant, а
proprement parler il ne pиche pas toujours directement contre la charitй,
mais seulement quand il tend а agir contre elle, comme cela arrive а ceux qui
pиchent par malice.
[66459] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad praeceptum de
honore parentum reducuntur praecepta de beneficiis impendendis quibuscumque
proximis : ponitur autem expresse de honore parentum, quia hoc cadit statim
in ratione cuiuslibet; non autem sic de aliis beneficiis.
12. En ce qui concerne
le prйcepte du respect dы aux parents, les prйceptes sont ramenйs а ce qui
concerne les bienfaits а accomplir а chacun des proches. On pense
expressйment au respect dы aux parents parce que cela tombe aussitфt dans la
nature de chacun, il n’en est pas de mкme pour les autres bienfaits.
[66460]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sermo admonitorius non est
sufficiens secundum philosophum [X Ethic.,
cap. IV] quantum ad eos qui sunt duri et servilis animi; et hi sunt qui
ex admonitione fiunt deteriores; qui sunt compescendi per correctionem
coactivam praelatorum, quae etiam correctio non sufficit sine divino auxilio.
13. Une parole d’avertissement
n’est pas suffisante, selon le philosophe (Ethique 10, 4) pour ceux dont l’вme est dure et servile ; et
ce sont ceux qui deviennent pires а la suite d’un avertissement ; et
ceux qui doivent кtre repris par une correction forcйe de leurs prйlats, mкme
cette correction ne suffit pas sans l’aide divine.
[66461] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod peccata in Deum
non sunt nostri arbitrii ad dimittendum; sunt autem nostri arbitrii ad
arguendum.
14. Les pйchйs contre
Dieu ne doivent pas кtre laissйs а notre libre dйcision. Mais c’est de notre
libre dйcision de les dйnoncer.
[66462]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo propter peccatum suum non
absolvitur a debito correctionis; sed redditur indignus ad alium corrigendum
qui seipsum non corrigit. Nec tamen est perplexus; quia debet peccata
dimittere, et sic corrigere, secundum illud Matth. VII, 5 : Eiice primum trabem de oculo
tuo, et tunc videbis eiicere festucam de oculo fratris tui.
15. L’homme, en raison
de son pйchй, n’est pas dйliй de l’obligation d’une correction ; mais
celui qui ne se corrige pas lui-mкme, est rendu indigne d’en corriger un
autre. Et cependant, il n’est pas embarrassй ; parce qu’il doit renoncer
а ses pйchйs et les corriger, selon cette parole de Mt 7, 5 : « Enlиve d’abord la poutre de ton њil et alors,
tu verras clair pour enlever la paille dans l’њil de ton frиre ».
[66463] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod semper ille qui
corripit alium in peccato existens, quodammodo condemnat seipsum, id est
damnationem suam pronuntiat; non tamen semper sibi damnationem accumulat,
puta, cum est in minori peccato, et arguit de maiori, vel cum est in occulto,
et arguit de publico, et se simul et illum arguit, non contemnendo, sed se
simul reprehendendo : dicit enim Gregorius in V Moral., [in cap. XXXIII] quod cum homo debeat diligere proximum
sicut seipsum, ita tenetur aliena peccata corrigere, et contra ea irasci,
sicut sua. Si vero cum superbia arguat, quasi sua peccata non recognoscens,
tunc sibi damnationem acquirit; unde dicitur Matth., VII, 3 : Quia vides festucam in oculo fratris tui, et
trabem in oculo tuo non vides? Sed etiam quando ex correctione sequitur
scandalum propter manifestationem sui peccati, sic etiam correctio non erit
actus virtuosus.
16. Toujours celui
qui corrige un autre tout en vivant dans le pйchй, se condamne de quelque
maniиre lui-mкme, c'est-а-dire qu’il prononce sa condamnation ; et
cependant, il ne l’augmente pas pour lui, а savoir, quand il est dans un
moindre pйchй et qu’il accuse d’un pйchй plus grave ou quand il est cachй et
qu’il accuse publiquement, et qu’il s’accuse lui-mкme en mкme temps, non pas
en condamnant, mais en se faisant en mкme temps des reproches : Grйgoire le
Grand dit dans ses Morales V, 33, que, comme l’homme doit aimer son
prochain comme lui-mкme, il est tenu de corriger les pйchйs d’autrui et de
s’emporter contre eux, comme contre les siens. Mais s’il dйnonce avec
orgueil, comme s’il ne reconnaissait pas ses propres pйchйs, alors, il
acquiert sa propre damnation ; c'est pourquoi il est dit en Mt 7, 3 : Parce que tu vois la
paille dans l’њil de ton voisin, ne vois-tu pas la poutre dans le tien ?
Mais aussi quand le scandale dйcoule de la correction en raison de la
manifestation de son pйchй, ainsi, la correction ne sera pas non plus un acte
de vertu.
[66464] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod correctio coactiva est officium
superiorum, sed correctio caritativa est officium omnium.
17. La correction
forcйe est le devoir des supйrieurs, mais la correction de charitй est le
devoir de tous.
[66465] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum superiores sint proximi, eos
corrigere debemus, sed humiliter et reverenter, non proterve, ne
exasperentur; et ideo ibidem dicit Apostolus : Seniorem obsecra ut patrem.
Et propter hoc
reprehenditur Demophilus monachus, qui sacerdotem peccantem iniuriosis verbis
et factis correxit, eum verberans, et de Ecclesia eiiciens.
18. Quand les supйrieurs sont des proches, nous devons
les reprendre, mais avec humilitй et respect et non sans retenue, pour ne pas
les fвcher ; et c’est pourquoi l’Apфtre dit ici mкme (1 Tm 5, 1) : « Vйnиre le
vieillard comme un pиre ».
Pour ce motif, le moine Dйmophile a fait l’objet d’une rйprimande, lui qui
avait corrigй un prкtre en йtat de pйchй, par des paroles et des gestes
injurieux en le frappant et en le rejetant de l’Йglise.
[66466] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod si correctio secundum debitas circumstantias
fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis
discordiarum causis.
19. Si la correction
se passe selon les circonstances convenables, il ne doit pas en dйcouler de
trouble, mais plutфt un rйtablissement de la paix, une fois que les causes de
discorde ont йtй йloignйes.
[66469] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 1 Dicitur enim I ad Timoth.
VI, 20 : peccantem coram omnibus argue. Sed, Matth. c. XVIII, 15, dicitur : argue eum inter te et ipsum
solum, quod est secrete admonere. Cum ergo dictum apostoli non
contrarietur praecepto Christi, videtur quod non cadat sub praecepto ut
frater sit prius secreto admonendus, et postea publice denuntiandus
Ecclesiae.
1.Il est
dit en 1 Tm 5, 20 : « Reprends
le pйcheur en prйsence de tous ».
Par contre, en Mt 18, 15, il est
dit : « Reprends-le seul а seul », ce qui est avertir en secret. Donc comme la
parole de l’Apфtre n’est pas contredite par le prйcepte du Christ, il semble
qu’il ne tombe pas sous le prйcepte que le frиre doit d’abord кtre averti en
privй et ensuite dйnoncй publiquement а l’Йglise.
[66470] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod verbum apostoli
intelligitur de peccatis manifestis, quae publice arguenda sunt; verbum autem
domini de peccatis occultis.-Sed contra, peccata occulta nullus debet publicare : sic enim esset magis
proditor criminis quam corrector fratris. Sed Dominus mandat, Matth. XVIII, [v. 16-17] quod si
frater monentem in secreto non audiat, adducat unum vel duos testes, et
tandem dicat Ecclesiae; quod est peccatum publicare. Ergo videtur quod
praeceptum Domini non sit intelligendum in peccatis occultis.
2. Mais il faut dire que la parole de
l’Apфtre se comprend des pйchйs йvidents qui doivent кtre rйprimandйs en
public, mais la parole du Seigneur se comprend des pйchйs cachйs. En sens contraire, nul ne doit rendre publics les
pйchйs cachйs ; en effet, il dйnoncerait la faute plutфt qu’il ne
corrigerait son frиre. Mais le Seigneur recommande en Mt 18, 16-17, que, si un frиre n’йcoute pas celui qui l’avertit
en secret, qu’il amиne un ou deux tйmoins et enfin qu’il le dise а
l’Йglise ; ce qui est rendre le pйchй public. Donc, il semble qu’il ne
faut pas comprendre le prйcepte du Seigneur pour les pйchйs cachйs.
[66471]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut Augustinus dicit, VIII de Trinitate [ cap. I et III], omnes regulae veritatis derivantur
a lege veritatis aeternae. Sed lex veritatis aeternae hoc habet, quod Deus
non solum punit hominem de peccato occulto, sed etiam punit interdum nulla
secreta admonitione praecedente. Ergo videtur quod etiam homo, qui divinae
veritatis debet imitator existere, possit publice aliquem denuntiare, secreta
etiam monitione non praecedente.
3.
Comme le dit Augustin, (La Trinitй, VIII, 1 et 3) : Toutes les rиgles de la vйritй dйrivent de
la loi de la vйritй йternelle. Mais celle-ci a que Dieu non
seulement punit l’homme du pйchй cachй, mais encore il le punit parfois, sans
aucun avertissement prйalable. Donc, il semble que l’homme aussi qui doit
кtre l’imitateur de la vйritй divine, puisse dйnoncer publiquement quelqu’un,
sans un avertissement secret qui prйcиde.
[66472] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. Contra mendacium, ex gestis sanctorum intelligi potest qualiter sunt praecepta sacrae
Scripturae intelligenda. Sed in gestis sanctorum invenitur, quod facta
est aliquando publica denuntiatio peccati occulti, nulla secreta admonitione
praecedente; ut legitur Act. 5,
quod Petrus Ananiam et Saphiram occulte defraudantes de pretio agri publice
denuntiavit, nulla secreta admonitione praemissa. Ergo non
obligamur ex praecepto Christi ut secreta admonitio praecedat publicam
denuntiationem.
4.Comme
le dit Augustin dans son livre Contre
le mensonge, (ch. 15), on peut comprendre « A partir des actions des saints comment il faut penser les
prйceptes de l’Ecriture sainte ». Mais on dйcouvre dans les actions
des saints que parfois, il a йtй fait une dйnonciation publique des pйchйs
cachйs, sans admonition secrиte prйlable ; comme on lit dans les Ac 5, 8 que Pierre a dйnoncй
publiquement Ananie et Saphire qui fraudaient en secret sur le prix d’un
terrain, sans admonition secrиte prйalable. Donc, nous ne sommes pas obligйs,
par le prйcepte du Christ, а ce qu’un avertissement secret prйcиde une
dйnonciation publique.
[66473]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnis Christi actio, nostra est instructio : ipse enim
dicit, Ioan. XIII, 15 : Exemplum
dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. Sed Christus non legitur admonuisse Iudam secreto antequam eum
denuntiaret. Ergo videtur quod etiam nos possumus publice denuntiare peccatum
fratris, antequam eum occulte admoneamus.
5.Tout
acte du Christ est un enseignement pour nous : car il a dit lui-mкme, Jn 13, 15 : « Je vous ai donnй
l’exemple pour que vous fassiez vous aussicomme moi je l’ai fait ». Or, on ne lit
pas que le Christ a averti Judas en secret, avant qu’il ne le dйnonce. Donc,
il semble que, nous aussi, nous pouvons dйnoncer publiquement le pйchй d’un
frиre, avant de le dйnoncer en secret.
[66474] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea,
sicut denuntiatio fit in publico, ita etiam et accusatio. Sed aliquis potest
ad accusationem procedere, nulla admonitione prius facta : quia ad
accusationem praeexigitur sola inscriptio, ut Decretalis [2 quaest., can. Quisque]
dicit. Ergo videtur, quod etiam denuntiare publice possit
aliquis, nulla monitione secreta praecedente.
6. La dйnonciation se fait en public, l’accusation aussi. Mais
quelqu'un peut procйder а l’accusation, sans aucune admonition
prйalable, parce que seule l’inscription est exigйe au prйalable pour
l’accusation, comme il est dans la Dйcrйtale
(qu. 2, can. Quisque[74](Chacun). Donc, il semble que l’on
puisse dйnoncer publiquement, sans avertissement secret prйalable.
[66475] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea,
illud quod in omni casu praeterire licet, nullo modo cadit sub praecepto. Sed
in quolibet casu videtur quod liceat praeterire admonitionem secretam; quia
in quolibet peccato potest aliquis intendere commune bonum iustitiae, et sic
ad accusationem procedere, admonitione secreta non praemissa. Ergo videtur quod secreta admonitio non debeat praemitti ex
necessitate praecepti.
7. Ce qu’il est permis en tout cas de passer sous silence, ne tombe en
aucune maniиre sous le prйcepte. Mais en n’importe quel cas, il semble qu’il
serait permis d’omettre une admonition secrиte ; parce que, en n’importe
quel pйchй, quelqu'un peut tendre au bien commun de la justice et ainsi,
procйder а une accusation, sans admonition prйalable. Donc il semble que
l’admonition secrиte ne doit кtre employйe au prйalable par nйcessitй du
prйcepte.
[66476] De virtutibus,
q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, non videtur esse probabile, quod ea quae sunt in
communi consuetudine religiosorum, sint contra praecepta Christi. Sed in
religionibus hoc est consuetum, quod in capitulis aliqui proclamantur de
aliquibus peccatis, nulla secreta monitione praemissa. Ergo videtur quod non
sit de necessitate praecepti secretam admonitionem praemittere publicae
denuntiationi.
8. Il
ne semble pas probable que ce qui est de l’usage commun des religieux, soit
contre les prйceptes du Christ. Mais dans les pratiques religieuses, c’est
l’habitude que, lors des chapitres, certains dйnoncent des pйchйs, sans
avertissement prйalable. Donc, il semble qu’il ne relиve pas de la nйcessitй
du prйcepte de faire passer l’avertissement secret avant une dйnonciation
publique.
[66477]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in IV de doctrina Christ., quod sicut eadem rotunditas est in magno
disco et parvo, ita eadem ratio iustitiae est in magnis rebus et parvis. Si
igitur in parvis peccatis non exigitur secreta admonitio publicae
denuntiationis, ut dicebatur, videtur quod nec in magnis.
9.
Augustin dit (De la doctrine chrйtienne, IV, XVIII, 35) que, de mкme
qu’un grand disque et un petit disque prйsentent la mкme rondeur, ainsi, la
mкme nature de justice est dans les grandes choses comme dans les petites. Si
donc, dans les petits pйchйs, on n’exige pas un avertissement secret de la
dйnonciation publique, comme on le disait, il semble qu’on ne doit pas
l’exiger pour les pйchйs graves.
[66478] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 10 Praeterea, si secreta admonitio debet
praecedere publicam denuntiationem, necesse est aliquam moram intervenire
inter reprehensionem peccati, et publicam eiusdem denuntiationem. Sed
quandoque talis mora est in tantum periculosa, quod postmodum non potest
sufficiens remedium adhiberi; puta, si aliquis tractaverit de proditione
civitatis cum hostibus, vel si sit haereticus in grege seducens homines a
fide. Non videtur ergo quod debeat praecedere secreta admonitio.
10. Si
une admonition secrиte doit prйcйder la dйnonciation publique, il est
nйcessaire qu’intervienne un dйlai entre le blвme du pйchй et sa dйnonciation
publique. Mais parfois un pareil dйlai est tellement dangereux que, par la
suite, on ne peut avoir recours а un remиde suffisant ; par exemple, si
quelqu’un a traitй de la trahison de la citй avec les ennemis, ou bien si
quelque hйrйtique sйpare dans la comunautй les hommes de foi. Donc, il ne
semble pas qu’une admonition secrиte doit prйcйder.
[66479]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 11 Praeterea, triplex est agens; scilicet naturale, artificiale, et
agens per gratiam sive per caritatem, scilicet caritative corripiens fratrem.
Sed agens naturale unumquodque facit quanto melius potest; et similiter agens
artificiale. Ergo etiam corripiens
fratrem ex caritate debet hoc facere quanto melius potest. Sed melius est
quod hoc faciat publice : sic enim magis prodest multitudini; bonum autem
multorum est melius quam bonum unius. Ergo videtur quod melius sit quod
statim publice frater arguatur, nulla secreta admonitione praecedente.
11. L’agent est triple : а savoir selon la nature, selon l’art et
selon la grвce ou la charitй, c'est-а-dire en rйprimandant charitablement son
frиre. Mais l’agent naturel fait chaque chose du mieux qu’il peut ; et
de la mкme maniиre l’agent selon l’art. Donc, en rйprimandant son frиre par
charitй, il doit le faire du mieux qu’il peut. Mais il est meilleur de le
faire publiquement ; ainsi en effet, cela est profitable au grand
nombre, et le bien de beaucoup est meilleur que le bien d’un seul. Donc, il
semble qu’il est meilleur de dйnoncer son frиre en public sans un
avertissement secret prйalable.
[66480] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 12 Praeterea, ita se habet peccator in Ecclesia,
sicut membrum putridum in corpore naturali. Sed non refert qualiter medicus
membrum putridum abscindat, ut vitetur totius corporis corruptio. Ergo
videtur quod non referat qualiter frater peccans corripiatur, sive publice,
sive secreto.
12. Le
pйcheur se comporte dans l’Йglise comme un membre gangrйnй dans un corps
naturel. Mais il n’est pas important de savoir comment un mйdecin coupe le
membre gangrйnй, pour йviter la corruption а tout le corps. Donc il semble
que de la mкme maniиre, il n’est pas important de savoir comment un frиre
pйcheur est rйprimandй soit en public, soit en privй.
[66481]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 13 Praeterea, subditi tenentur obedire suis praelatis. Sed quandoque
praelati praecipiunt ut eis dicatur a subditis quidquid de alienis peccatis
sciunt. Ergo etiam si peccata sunt occulta, tenentur subditi
revelare, nulla monitione secreta praemissa.
13. Les
sujets sont tenus d’obйir а leurs prйlats. Mais parfois, ceux-ci leur
ordonnent de dire ce qu’ils savent des pйchйs d’autrui. Donc, mкme si les pйchйs
sont cachйs, les sujets sont tenus de les rйvйler, sans aucun avertissement
secret.
[66482] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 14 Praeterea, Matth.XVIII, 15, super illud : Si peccaverit in te
frater tuus, dicit Glossa, quod frater arguendus est ex zelo iustitiae;
ex quo videtur quod correctio fraterna sit actus iustitiae. Sed iustitia
debet in publico fieri; dicit enim philosophus in V Ethic. [cap. I], quod
iustitia est virtus praeclara magis quam Lucifer aut Hesperus. Ergo
correctio fraterna debet fieri in publico, non in secreto.
14. A
propos de Mt 18, 15 : « Si
ton frиre a pйchй contre toi »,
la Glose dit que le frиre doit кtre rйprimandй par zиle de
justice, d’oщ il semble que la correction fraternelle est un acte de justice.
Mais la justice doit кtre rendue en public ; en effet, on lit chez le
philosophe (Ethique, V, 3, 1129 b 27) que la justice est une vertu
plus йclatante que Lucifer ou l’Etoile du soir. Donc la correction
fraternelle doit кtre faite en public et non en secret.
[66483] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 15 Praeterea, ad iustitiam pertinet retribuere pro meritis. Sed ille qui peccavit, ex ipso
factus est inglorius apud Deum. Ergo videtur quod sicut
meruit, sit auferenda ei fama coram hominibus per publicam correctionem.
15.
Rйtribuer les mйrites convient а la justice. Mais celui qui a pйchй, par ce
fait mкme, est devenu sans gloire devant Dieu. Donc, il semble que de mкme il
a mйritй, que sa rйputation doit lui кtre enlevйe devant les hommes par une
correction publique.
[66484] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 16 Praeterea,
nullum praeceptum Dei contrariatur consilio vel praecepto. Sed Dominus dicit Luc. VI, 30 : Qui aufert quae tua
sunt, ne repetas; quod necesse est ut sit vel per consilium vel
praeceptum. Ergo videtur, cum admonitio fieri non possit sine repetitione
suorum, praecipue in casu in quo aliquis asportavit alicui sua, quod non sit
in praecepto, secreto admonere.
16.
Aucun prйcepte divin n’est contraire au conseil ni au prйcepte. Mais le
Seigneur dit en Lc 6, 30 : « A
qui te prend ton bien, ne le rйclame pas », ce qui est nйcessaire pour qu’il soit, par conseil,
ou par ordre. Donc, il semble, puisque l’admonition ne peut pas кtre faite
sans revendication de ses biens, surtout au cas oщ quelqu’un a emmenй ses
biens chez un autre, ce qui n’est pas dans le prйcepte d’admonester en
secret.
[66485]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 17 Praeterea, licet omni tempore et omni modo reddere bonum pro
malo. Sed Augustinus dicit in Lib. III de libero Arbitr., quod cum corripiuntur inquieti, redditur eis
bonum pro malo. Ergo videtur quod omni tempore liceat eos corripere publice
ante secretam admonitionem.
17. Il
est permis en tout temps et en toute maniиre de rendre le bien pour le mal.
Mais Augustin, (Le libre arbitre III), dit que quand ceux qui sont troublйs sont
rйprimandйs, on leur rend le bien pour le mal. Donc, il semble
qu’en tout temps, il est permis de rйprimander publiquement avant un
avertissement secret.
[66486] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 18 Praeterea,
leges feruntur ad ea quae saepe fiunt, non ad ea quae raro accidunt. Sed raro
contingit quod aliquis propter hoc quod fama sibi auferatur, peior
efficiatur; plures autem propter detectionem a peccato homines corripiuntur.
Ergo videtur quod non sit praeceptum legis divinae de hoc quod aliquis prius
secreto admoneatur quam publice denuntietur.
18.Les
lois sont йtablies pour ce qui se produit souvent, non pour ce qui arrive
rarement. Mais il arrive rarement que quelqu’un devienne pire, parce que sa
bonne rйputation lui aurait йtй enlevйe ; plusieurs hommes sont
corrumpus par leur pйchй, а cause de sa manifestion. Donc, il semble que cela
ne relиve pas du prйcepte de la loi divine que quelqu’un soit d’abord
admonestй secrиtement avant d’кtre dйnoncй publiquement.
[66487] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 19 Praeterea, in ordine fraternae correctionis continetur quod peccatum
non denuntietur Ecclesiae sive praelato, nisi quando frater arguentem audire
noluerit. Sed si unus peccatum aliquod committat alio sciente, et
correctionem promittat, videtur ex hoc ipso fratrem arguentem audisse; et
tamen videtur nihilominus peccatum eius esse denuntiandum praelato, ne pereat
iustitiae disciplina. Ergo videtur quod ordo correctionis fraternae quem dominus ponit,
non cadat sub praecepto.
19.Dans
l’ordre de la correction fraternelle, il est ajoutй que le pйchй ne doit кtre
dйnoncй ni а l’Йglise ni au prйlat, sauf quand le frиre n’a pas voulu йcouter
celui qui le dйnonce. Mais si quelqu’un a commis un pйchй alors qu’un autre
le sait et qu’il promet de s’amender, il semble, par ce fait mкme avoir
йcoutй le frиre qui le dйnonce ; et cependant, il semble nйanmoins que
son pйchй doive кtre dйnoncй au prйlat, pour que ne disparaisse pas la
discipline de la justice. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle
que le Seigneur йtablit, ne tombe pas sous ce prйcepte.
[66488] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 20 Praeterea, super illud Matth.
XVIII, 15 : Si
peccaverit in te frater tuus, dicit Hieronymus : Si autem in Deum
peccaverit, non est nostri arbitrii. Ergo videtur quod iste modus non se
extendat ad omnia peccata.
20. A
propos de Mt 18, 15 : « Si
ton frиre a pйchй contre toi »,
Jйrфme explique : « Si donc, il a pйchй contre Dieu, ce n’est pas de
notre jugement ». Donc,
il semble que cette faзon de voir ne s’йtende pas а tous les pйchйs.
[66489]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 21 Praeterea, dominus dicit, Matth.
XVIII, v. 15 : Si te audierit, lucratus es fratrem tuum. Sed non
propterea aliquis fratrem suum est lucratus, si solum audiat arguentem a
peccato desistens post gravia peccata commissa; sed multa alia requiruntur ad
hoc quod ad salutem perveniat, quod est fratrem esse lucratum. Ergo videtur
quod iste ordo correctionis fraternae non se extendat ad peccata gravia.
21. Le
Seigneur dit en Mt 18, 15 : « Si
ton frиre t’йcoute, tu l’auras gagnй ». Mais ce n’est pas а cause de cela que
quelqu'un a gagnй son frиre, s’il йcoute celui qui le dйnonce, renonзant au
pйchй aprиs avoir commis des pйchйs graves ; mais on recherche beaucoup
d’autres choses pour qu’il parvienne au salut, en quoi consiste gagner son
frиre. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle ne s’йtende
pas aux pйchйs graves.
[66490] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 22 Praeterea,
Eccli. XIX, 10, dicitur : Audisti
verbum adversus proximum tuum? Commoriatur in te, fidens quoniam non te
disrumpet. Non ergo oportet ut eum ad alios deferamus si eius peccatum
deprehendimus.
22. On
lit en Si 19, 10 : « As-tu
entendu une parole contre ton prochain ? Qu’elle demeure en toi,
confiance elle ne te brisera pas ».
Donc, il n’est pas nйcessaire que nous l’annoncions aux autres si
nous surprenons son pйchй.
[66491] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 23 Praeterea, minus est agendum circa fratrem in
aliis peccatis quam in peccato haereticae pravitatis. Sed in haeretica
pravitate debet aliquis admoneri bis vel ter, secundum illud ad Titum III, 10 : Haereticum hominem
post primam et secundam correctionem devita. Ergo videtur quod non
sufficiat semel corripere, sicut in verbis Domini videtur innui, ante
denuntiationem.
23.Il faut moins agir pour un frиre dans
tous les autres pйchйs que dans celui de la perversion hйrйtique. Mais dans
cette derniиre, on doit кtre averti deux ou trois fois, selon cette parole de
Tt 3, 10 : « Dйtourne-toi
de l’homme hйrйtique aprиs une premiиre et deuxiиme correction ». Donc, il semble
qu’il ne suffirait pas de corriger une fois, comme cela paraоt indiquй dans
les paroles du Seigneur, avant la dйnonciation.
[66492] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 24 Praeterea,
iste ordo correctionis, secundum Augustinum in Lib. de verbis Domini X [serm. XVI], attenditur in peccatis occultis.
Sed in talibus non videtur aliquid posse probari per testes. Ergo
inconvenienter continetur in hoc correctionis ordine quod testes adhibeantur.
24.En
outre, cet ordre de la correction, selon Augustin, LesParoles du Seigneur, (10, sermon 16) est atteint dans
les pйchйs cachйs. Mais en de tels pйchйs, il ne semble pas qu’un acte puisse
кtre prouvй par des tйmoins. Donc, il est contenu de maniиre inconvenante
dans cet ordre de correction qu’on y joigne des tйmoins.
[66493] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 25 Praeterea, homo debet diligere proximum suum sicut seipsum. Sed nullus
ad publicationem sui criminis tenetur testes inducere. Ergo neque etiam ad
manifestationem criminis fratris.
25.En
outre, l’homme doit aimer son prochain comme lui-mкme. Mais nul n’est tenu de
produire des tйmoins pour la publication de sa faute. Pas plus pour la
divulgation de la faute d’un frиre.
[66494] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 26 Praeterea, Augustinus dicit in Regula,
quod prius praeposito debet ostendi, quam testibus. Sed ostendere praeposito,
sive praelato, est ostendere Ecclesiae. Ergo non prius debent testes adduci quam dicatur; et sic videtur
quod ordo quem dominus ponit, non sit in praecepto.
26.Par
ailleurs, Augustin dit, dans La Rиgle[75], qu’il faut
d’abord le montrer au chef de l’йglise avant de le montrer aux tйmoins. Mais
le montrer au chef ou au prйlat, c’est le montrer а l’йglise. Donc, il ne
faut pas amener les tйmoins avant que cela soit dit, et ainsi, il semble que
l’ordre que le Seigneur a йtabli n’est pas dans le prйcepte.
En
sens contraire :
[66495] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed
contra. Est quod
Augustinus dicit in Lib. de verbis
Domini [sermo XVIexponens illud : corripe inter te et ipsum solum.] : Studens correctionem, parcens
pudori. Forte enim prae verecundia incipiet defendere peccatum suum; et quem
vis facere meliorem, facis peiorem. Haec est igitur ratio
huiusmodi ordinis servandi in correctione fraterna, ut parcatur pudori
fratris, ne deterior efficiatur. Sed ad hoc tenemur per
praeceptum caritatis. Ergo ordo correctionis fraternae cadit sub praecepto.
1. Il y
a ce que dit Augustin dans le livre des Paroles du Seigneur (Sermon
16, quand il expose ceci : « Reprends-le seul а seul). Applique-toi а la correction,
йpargne son honneur. Car peut-кtre, en raison de sa rйserve, commencera-t-il
par dйfendre son pйchй ; et celui que tu veux rendre meilleur, tu le
rends pire ». C’est donc la raison de l’ordre de ce
genre а conserver dans la correction fraternelle, pour йpargner la honte du
frиre, pour qu’il ne devienne pas pire. Mais nous y sommes tenus en raison du
prйcepte de la charitй. Donc l’ordre de la correction fraternelle tombe sous
ce prйcepte.
[66496] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII,
15, super illud : Si peccaverit in te etc., dicit Glossa ordin.] : Hoc
ordine scandala vitare debemus. Sed vitare scandala cadit sub praecepto, ut patet Rom. XIV. Ergo ordo correctionis
fraternae cadit sub praecepto.
2.En
outre, Mt 18, 15, [sur ce passage :
Si l’on a pйchй contre toi, etc., la Glose dit] : « Par cet
ordre, nous devons йviter le scandale ». Mais йviter le scandale tombe sous le
prйcepte, comme il ressort de Rm
14, 13. Donc, la rиgle de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.
Rйponse :
[66497]
De virtutibus, q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, art. 1, dictum est,
correctio fraterna cadit sub praecepto, secundum quod est actus virtutis. Est
autem actus virtutis, secundum quod debitis circumstantiis vestitur; inter
quas praecipue videtur esse ordo ad finem, quem oportet communem regulam
habere in omnibus operabilibus. Finis autem correctionis fraternae est
emendatio fratris, sicut dictum est; et ideo hoc ordine Dominus voluit fieri
correctionem fraternam, secundum quod congruit ad fratris emendationem, quem
volumus a peccato liberare.
Comme
il a йtй dit (art. 1), la correction fraternelle tombe sous le prйcepte,
selon que c’est un acte de vertu. C’en est un selon qu’il se revкt des
circonstances nйcessaires ; parmi celles-ci il semble surtout qu’il y a
un rapport а la fin qu’il est nйcessaire d’avoir comme rиgle commune dans
tout ce qui est peut кtre opйrй. Et le but de la correction fraternelle est
la rйforme du frиre, comme il a йtй dit ; et ainsi, par cet ordre, le
Seigneur a voulu que la correction fraternelle se fasse selon qu’elle
convient а la rйforme du frиre que nous voulons libйrer du pйchй.
Duplex autem
periculum imminet homini ex peccato; scilicet periculum conscientiae et
famae.
Haec autem duo, scilicet
conscientia et fama, hoc modo se habent ad invicem, quod conscientia est
praeferenda famae; quia testimonium conscientiae est in conspectu Dei, sed
testimonium famae pertinet ad officium humanum. Differunt etiam quantum ad
hoc quod conscientia est necessaria homini propter seipsum; fama autem
propter se, et propter proximum.
Hoc igitur ordine dominus
voluit correctionem fraternam fieri, ut primo quidem, si possibile sit, ita
provideatur conscientiae, quod in nullo fama laedatur; et hoc per secretam
admonitionem. Deinde, quia conscientia est famae praeferenda; si aliter
frater emendari non potest quam cum dispendio famae, finaliter ordinavit
Dominus ut publice denuntietur, ut obiurgatio quae fit a pluribus, ei sit
remedium salutare.
Un
double danger par le pйchй menace l’homme ; а savoir celui de sa
conscience et celui de sa rйputation.
Or, ces deux
йlйments а savoir la conscience et la rйputation, se comportent entre elles
de cette maniиre que la conscience doit se porter au devant de la renommйs,
parce que le tйmoignage de la conscience est sous le regard de Dieu, mais le
tйmoignage de la rйputation concerne le devoir humain. Ils diffиrent aussi du
fait que la conscience est nйcessaire а l’homme а cause de lui-mкme, et la
rйputation а cause de lui et а cause du prochain.
Donc, par cette
rиgle, le Seigneur a voulu йtablir la correction fraternelle, pour que,
d’abord, si c’йtait possible, elle prenne soin de la conscience, quand la
rйputation ne serait lйsйe en rien, et cela, par un avertissement secret.
Ensuite, parce qu’il faut prйfйrer la conscience а la rйputation, si le frиre
ne peut кtre corrigй autrement qu’avec la perte de la rйputation ;
finalement le Seigneur a ordonnй qu’il soit dйnoncй publiquement, pour que le
reproche qui est fait par plusieurs soit pour lui un remиde salutaire.
Si autem statim ad
publicam pronuntiationem procederetur, pateretur frater dispendium famae
suae; quod quidem vitandum est et propter ipsum, et propter alios, propter
quos est sibi necessaria fama.
Propter ipsum quidem, duplici
ratione.
Si donc
on procиde tout de suite а une annonce publique, le frиre perdrait sa
rйputation, ce qu’il faut йviter et pour lui-mкme et pour les autres,
vis-а-vis desquels la rйputation lui est nйcessaire.
En raison de
lui-mкme et pour un double motif.
Primo
quidem, quia bona fama est praecipuum inter exteriora bona, secundum illud Prov. XXII, 1 : Melius est nomen
bonum quam divitiae multae. Et hoc ideo, quia bonitas famae reddit
hominem idoneum ad humana officia exequenda in conversatione humana; et ideo
dicitur Eccli., XLI, 15 : Curam
habe de bono nomine; hoc enim magis permanebit tibi quam multi thesauri magni
et pretiosi. Sicut igitur peccaret qui absque necessitate ingereret
alicui divitiarum dispendium; ita, et multo amplius, peccat si aliquis absque
necessitate proximo ingereret dispendium famae, absque necessitate eius
peccatum publicando.
a/ Premiиrement, parce qu’une bonne
renommйe est chose importante parmi les biens extйrieurs, selon Pr 22, 1 : « Mieux vaut un nom
honorable que de grandes richesses ».
Et ainsi, parce que la bontй de la renommйe rend l’homme apte а
remplir ses devoirs humains, dans une maniиre de vivre humaine ; et
ainsi lit-on en Si 41, 15 : « Aie
soin de ton bon renom, cela demeurera plus pour toi qu’une foule de grands
trйsors prйcieux ». Donc,
de mкme qu’il pйcherait celui qui imposerait sans nйcessitй а quelqu’un la
perte de ses richesses, et il pиche beaucoup plus, si, sans nйcessitй, il
poussait son prochain а la perte de sa rйputation et sans nйcessitй, en
rendant public son pйchй.
Secundo,
quia propter conservationem famae homo multoties abstinet a peccatis. Et
ideo, quando aliquis videt se iam famam amisisse, pro nihilo ducit peccare
secundum illud Ieremiae III, 3 : Facies
meretricis facta est tibi, erubescere nescisti; unde et Hieronymus dicit super Matth. : Corripiendus est
seorsum frater, ne si semel pudorem aut verecundiam amiserit, permaneat in
peccato.
b/ Deuxiиmement, parce que, pour
sauvegarder sa rйputation, l’homme s’abstient souvent des pйchйs. Et ainsi,
quand quelqu’un voit que dйsormais il a perdu sa rйputation, cela le conduit
pour rien au pйchй, selon ce qu’on lit en Jr
3, 3 : « Tu montrais l’apparence de la prostituйe, mais tu n’as pas
su rougir[76] », d’oщ aussi Jйrфme (SurMatthieu) : « Il faut reprendre son
frиre а l’йcart, de peur que, s’il a perdu sa rйserve et sa discrйtion, il ne
demeure dans le pйchй ».
Similiter etiam ex parte aliorum est periculosum dupliciter.
Primo
quidem, quia homines peccatum alicuius audientes scandalizantur, et
contemnunt quandoque non solum peccantem, sed et multos alios innocentes.
Unde Augustinus dicit in Epistola ad
plebem Hipponensem : Cum de aliquibus qui sanctum nomen profitentur,
aliquid criminis vel falsi sonuerit, vel veri patuerit, instanter satagunt,
ambiunt, ut de omnibus hoc credatur.
De la
mкme maniиre, du cфtй des autres, le danger est double.
a/ Premiиrement, parce que les hommes
sont scandalisйs en entendant parler du pйchй d’autrui et qu’ils mйprisent
parfois non seulement le pйcheur, mais aussi beaucoup d’autres innocents.
C’est pourquoi Augustin dit dans une Lettre
au peuple d’Hippone : « Comme pour certains qui ont profйrй le
saint nom, quelque chose du crime ou du mensonge aurait retenti ou que quelque
chose de vrai aura йtй dйcouvert, ils se donnent du mal tout de suite et font
en sorte que cela soit cru de tous ».
Secundo,
quia ex peccato nimis publico multi provocantur ad peccandum; secundum illud
I ad Cor. 5, 6 : Nescitis
quia modicum fermentum totam massam corrumpit?Et ideo sub praecepto cadit ut non prius aliquis ad denuntiationem
publicam procedat quam secreto correxerit. Sed quia de extremo ad extremum
pervenitur per medium, interposuit dominus quemdam medium gradum; ut post
secretam admonitionem nunquam publice omnibus denuntietur nisi unus vel duo
testes adhibeantur, ut possit secretius correctus non innotescere ceteris, ut
Augustinus dicit in Regula. Sic
igitur ordo fraternae correctionis sub praecepto cadit, sicut et ipsa
fraterna correctio; hac tamen discretione servata in utroque, ut debito loco,
tempore, et aliis debitis circumstantiis observatis, omnia fiant secundum
quod quis utile esse prospexerit ad emendationem fratris, quae est finis et
regula correctionis fraternae.
b/ Deuxiиmement, parce qu’en raison d’un
pйchй trop public, beaucoup sont tentйs de pйcher, selon 1 Co 5, 6 : « Ne
voyez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute une pвte ? »
C’est pourquoi, cela tombe sous le prйcepte qu’on ne procиde pas а la
dйnonciation publique avant d’avoir corrigй en secret. Mais parce qu’on passe
d’un extrкme а un autre par un intermйdiaire, le Seigneur a йtabli un degrй
intermйdiaire, de telle sorte qu’aprиs l’avertissement en privй, il n’y ait
jamais de dйnonciation publique pour tous, si ce n’est en employant un ou
deux tйmoins, de maniиre а ce que celui qui a йtй corrigй d’une maniиre assez
secrиte, ne puisse se faire connaоtre а tous les autres, comme le dit
Augustin dans la Rиgle 7[77].
Ainsi donc, l’ordre de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte,
comme la correction elle-mкme ; cependant, une fois la discrйtion
observйe dans l’un et l’autre cas, comme l’exigent le lieu, le temps et
l’observation des circonstances normales, qu’ils fassent tout selon ce que
quelqu'un aura discernй d’utile pour l’amendement du frиre qui est la fin et
la rиgle de la correction fraternelle.
Solutions :
[66498] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus solvit in Lib. de verbis Domini, verbum apostoli est
intelligendum in publicis peccatis; sed verbum Domini est intelligendum in
peccatis occultis, ut ex ipso modo loquendi apparet. Dicit enim Dominus : Si
peccaverit in te frater tuus. Si enim publice peccat, non solum in te
peccat, cui contumeliam vel iniuriam infert, sed etiam in omnes videntes, ut
significatur in parabola quam dominus ponit, Matth. XVIII, 31, de servo nequam, qui cum alium conservum
affligeret, videntes conservi eius quae fiebant contristati sunt valde.
Et II Petri II, 8, dicitur, quod animam
iusti iniquis operibus cruciabant.
1.Il
faut donc d’abord dire, de mкme qu’Augustin le rйsoud dans Les Paroles
du Seigneur, qu’il faut penser que la parole de l’Apфtre concerne
les pйchйs publics, mais la parole du Seigneur est а comprendre des pйchйs
secrets, comme cela apparaоt dans la maniиre mкme de s’exprimer. En effet, le
Seigneur dit (Mt 18, 15) :
« Si ton frиre a pйchй contre toi… ». Si, en effet, il pиche publiquement, non seulement, il
pиche contre toi, а qui il fait un affront ou une injure, mais aussi, contre
tous ceux qui le voient, comme le montre la parabole du Seigneur en Mt 18, 31, а propos du mauvais
serviteur, comme il avait agressй un autre compagnon : « Ses
compagnons, voyant ce qui se passait йtaient bien navrйs ». Et dans 2 P 2, 8 : « Ils torturaient l’вme du juste par leurs
њuvres injustes[78] ».
[66499]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam sic intellexerunt ordinem
correctionis fraternae esse servandum, ut primo frater sit in secreto
corripiendus; et si audierit, bene quidem; si autem non audierit, dicebant
esse distinguendum : quia aut est omnino occultum, et tunc non est
procedendum ulterius; aut incipit iam ad plerorumque notitiam pervenire, et
tunc debet ulterius procedi, secundum quod Dominus mandat. Sed hoc non
videtur bene dictum; dicit enim Augustinus in Regula : Si frater tuus vulnus habet in corpore quod vult
occultari, dum timet secari, nonne a te crudeliter sileretur, et
misericorditer indicaretur? Quanto ergo magis non debet occultari, ne
deterius putrescat in corde?
Et ideo alia distinctione opus
est. Si enim probabiliter possumus existimare quod ulterius
procedendo ad eius emendationem proficiamus, debemus ulterius procedere
adhibendo testes, et denuntiando. Si vero probabiliter existimemus quod ex
tali publicatione fiat deterior, non est ulterius procedendum; sed propter
hanc causam a tota correctione fraterna est desistendum, ut supra dictum est.
2.Certains
ont ainsi pensй qu’il fallait conserver l’ordre de la correction fraternelle,
pour que le frиre soit d’abord rйprimandй en secret ; et s’il a йcoutй,
c’est bien ainsi ; mais s’il n’a pas йcoutй, ils disaient qu’il fallait
opйrer une distinction : parce que, ou bien c’est tout а fait secret et
alors, il ne faut pas aller plus loin oщ bien il commence dйjа а parvenir а
la connaissance de la plupart, et alors, il faut aller plus loin, selon que
le Seigneur l’ordonne. Mais ceci ne semble pas avoir йtй bien dit : en effet,
Augustin dit dans La Rиgle (7)
: « Si ton frиre a une
blessure en son corps qu’il veut cacher, dans la crainte qu’on y porte le
fer, ne serait-ce pas cruautй de vous taire et misйricorde de l’annoncer
publiquement ? Combien plus on ne doit pas le cacher pour empкcher dans
son cњur des ravages plus redoutable.»
Et
ainsi il y a besoin d’une autre distinction. Si, en effet, nous pouvons
estimer probablement, qu’en procйdant plus avant, nous parvenion а le
corriger, nous devons aller plus loin en ayant recours а des tйmoins et en le
dйnonзant. Mais si nous pensons que probablement il deviendrait pire а la
suite d’une pareille annonce, il ne faut pas aller plus avant, mais а cause
de cela il faut renoncer а toute correction fraternelle comme on l’a dit
ci-dessus.
[66500] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod omnis veritas humanae iustitiae regulatur a veritate divina.
Sed hominum facta non eodem modo comparantur ad iudicium divinum et ad
iudicium humanum, quia secundum iudicium humanum quaedam peccata sunt
occulta, in quibus non est statim procedendum ad publicum. Et hoc modo non
comparantur omnia peccata ad iudicium divinum, quia omnia nuda et aperta
sunt oculis eius, ut dicitur ad Hebr. IV, v. 13. Et ideo quantum ad
iudicium divinum non requiritur quod secreta admonitio praecedat et tamen
plerumque peccatores quasi secreta admonitione a Deo arguuntur per interiorem
remorsum conscientiae et interiorem inspirationem, vel in vigilando, vel in
dormiendo. Dicitur enim Iob XXXIII,
15-17 : Per somnum in visione nocturna, quando irruit sopor super homines,
tunc operit aures virorum, et erudiens eos instruit disciplina, ut avertat
hominem ab his quae fecit.
3.
Toute la vйritй de la justice humaine est rйglйe par la vйritй divine. Mais
les actes des hommes ne sont pas comparйs de la mкme maniиre pour le jugement
divin et pour le jugement humain, parce que, selon le jugement humain,
certains pйchйs sont cachйs et il ne faut pas aller tout de suite devant le
public. Et de cette maniиre, tous les pйchйs ne sont pas comparйs au jugement
divin, parce que tout est nu et dйcouvert а ses yeux, comme il est dit
en He 4, 13. Et ainsi, quant au
jugement divin il n’est pas requis qu’une admonition secrиte prйcиde et
cependant, la plupart du temps, les pйcheurs sont accusйs comme par un
avertissement secret de Dieu, par un remord intйrieur de la conscience et une
inspiration intйrieure, soit en veillant, soit en dormant. En effet, il est
dit en Jb (33, 15-17) : « Par
un songe, par une vision nocturne, quand une torpeur s’abat sur les hommes,
alors, il ouvre leurs oreilles et en les instruisant, il les enrichit par son
enseignement pour dйtourner l’homme de ce qu’il a fait ».
[66501] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum Ananiae et Saphirae non devenerat
ad notitiam Petri modo humano, sed per revelationem divinam; et ideo in
peccato illo processit non secundum formam humani iudicii, sed secundum
formam divini iudicii, tamquam in hoc executor Dei existens.
4. Le
pйchй d’Ananie et de Saphire n’йtait pas venu а la connaissance de Pierre de
maniиre humaine, mais par une rйvйlation divine et donc, ainsi il s’est
avancй dans ce pйchй, non sous forme d’un jugement humain, mais sous forme
d’un jugement divin en cela, comme l’exйcutant de Dieu en cela.
[66502] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam Dominus peccatum Iudae scivit virtute
divina, in quantum erat cognitor absconditorum; et ideo, in quantum Deus,
procedere poterat statim ad publicandum peccatum. Et tamen ipse non publicavit,
sed obscuris verbis eum de peccato admonuit.
5. Le
Seigneur aussi a connu le pйchй de Judas de science divine, en tant qu’il
connaissait ce qui йtait cachй, et ainsi, Dieu pouvait passer aussitфt а la
divulgation du pйchй. Et pourtant, lui-mкme ne l’a pas rendu public, mais il
l’a averti du pйchй par des paroles obscures.
[66503] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod alia ratio est in accusatione et in denuntiatione; quia in
denuntiatione intenditur correctio fratris : et ideo tali ordine debet
denuntiatio fieri qui sit conveniens ad emendationem fratris; sed in
accusatione intenditur bonum Ecclesiae, ut scilicet conservetur communitas
pura ab infectione peccati, et ideo in accusatione non oportet quod praecedat
denuntiatio.
6. Il y
a une autre raison dans l’accusation et la dйnonciation, parce que la correction
fraternelle est atteinte dans la dйnonciation et doit кtre faite dans un tel
ordre qui conviendrait а la purification du frиre, mais le bien de l’Йglise
est atteint dans l’accusation, pour prйserver la communautй exempte de la
contagion du pйchй et ainsi dans l’accusation, il n’est pas nйcessaire que la
dйnonciation prйcиde.
[66504]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non in omni peccato debet homo
procedere ad accusationem; sed solum in illis peccatis ex quibus in promptu
est ut proveniat periculum multitudini, vel spirituale, vel corporale. Tunc
enim potest homo ad accusationem procedere, monitione non praecedente, si hoc
exigat utilitas communis; quia bonum commune praeferendum est bono privato.
7.L’homme
ne doit pas avoir recours а l’accusation pour tous les pйchйs, mais seulement
ces pйchйs desquels visiblement, provient pour la multitude un danger, soit
spirituel, soit corporel. Alors, en effet, l’homme peut procйder а
l’accusation sans avertissement prйalable, si l’intйrкt commun le requiert,
parce qu’il faut prйfйrer le bien commun au bien privй.
[66505] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod proclamationes quae fiunt in capitulis
religiosorum, magis sunt quaedam commonitiones quam accusationes vel denuntiationes.
Reducitur enim fratri ad memoriam culpa de qua purgare se debet, quod famae
eius detrimentum non facit; fiunt enim huiusmodi proclamationes de levibus
culpis. Si autem proclamaretur aliquis in publico de aliqua gravi culpa, ex
qua infamari posset, monitione non praecedente, hoc esset illicitum et contra
praeceptum Christi.
8. Les
proclamations qui se font dans les chapitres des religieux, sont plus des
exhortations que des accusations ou des dйnonciations. Car est ramenйe а la
mйmoire du frиre la faute dont il doit se purifier, ce qui n’enlиve pas sa
renommйe ; car des proclamations de ce genre se font pour les fautes
lйgиres. Mais si quelqu'un signale en public pour une faute grave, il
pourrait par cela avoir une mauvaise rйputation ; sans avertissement
prйcйdant, cela serait illйgal et contre le prйcepte du Christ.
[66506]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ex levibus peccatis non consurgit
infamia, sicut consurgit ex gravibus; ideo non est eadem ratio de utriusque.
9.
L’infamie ne surgit pas des petits pйchйs, comme elle surgit des pйchйs
graves : ainsi ce n’est pas la mкme raison pour les uns et les autres.
[66507] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in talibus in quibus
mora denuntiationis est periculosa, non oportet expectare admonitionem, sed
statim procedere ad denuntiationem; nec hoc est contra praeceptum Christi,
propter duo. Primo quidem, quia peccatum istud, quod vergit in periculum
multorum, non est solum in te, sed est in multos; dominus autem dicit : si
peccaverit in te frater tuus.
Secundo,
quia dominus non loquitur de culpa futura cavenda, sed de culpa praeterita
iam praecommissa.
10. En
de tels [pйcheurs] en qui le retard de la dйnonciation est pйrilleux, il
n’est pas nйcessaire d’attendre l’avertissement, mais de procйder aussitфt а
la dйnonciation ; et cela n’est pas contre le prйcepte du Christ, pour
deux raisons :
a/ Premiиrement parce que ce pйchй, qui
tend au pйril de beaucoup, n’est pas seulement en toi, mais en
beaucoup ; le Seigneur dit « Si
ton frиre a pйchй contre toi… »
b/ Deuxiиmement, parce que le Seigneur ne
parle pas de faute future а йviter, mais d’une faute passйe dйjа commise.
[66508] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod multo melius est et quantum ad fratrem,
cuius emendationi intenditur, et quantum ad multitudinem, si fieri potest, ut
secretius emendetur, ut patet ex dictis. Et ideo
ille qui corrigit secundum caritatem, isto modo debet procedere.
11. Il
est beaucoup mieux quant au frиre, dont la purification est atteinte, et
quant а la multitude, s’il est possible qu’il soit amendй plus en secret,
comme on le voit par ce qui a йtй dit. Et ainsi celui qui corrige selon la
charitй doit procйder de cette maniиre.
[66509]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod si medicus procederet statim ad
praecisionem membri corrupti, incaute ageret, et multoties praecideret membra
quae sanari possunt; sed si sit sapiens, a levioribus remediis incipiet. Tunc
demum praecidit membrum, quando experitur illud esse insanabile; et ita
quidem est faciendum in correctione fraterna.
12. Si
le mйdecin coupait aussitфt le membre gangrйnй, il agirait imprudemment et de
nombreuses fois il couperait des membres qui peuvent кtre soignйs ; mais
s’il est sage, il commencera par des remиdes plus lйgers. Alors finalement il
coupe le membre, quand il sait expйrimentalement qu’il ne peut pas кtre
soignй. Et il faut agir ainsi dans la correction fraternelle.
[66510] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praelato non est
obediendum contra praeceptum Christi, secundum illud Act. 5, 29 : obedire
oportet Deo magis quam hominibus. Sed et ille praelatus qui praecipit
contra mandatum Christi a peccato non excusatur. Et ideo, si praelatus
praecipiat quod aliquis dicat quod sciverit corrigendum, vel quod sciverit de
peccatis alterius, intelligendum est praeceptum eius sane, in casu in quo
ipse hoc potest praecipere, secundum ordinem institutum a Christo. Quod si
expresse contra hunc ordinem praeceperit, non est ei obediendum. In quibusdam
tamen casibus saecularis vel ecclesiasticus iudex potest iuramentum exigere,
sive in via denuntiationis, sive in via inquisitionis, sive in via
accusationis; in istis etiam casibus potest praelatus in religionibus per
praeceptum obedientiae suos subditos obligare.
13. Il
ne faut pas obйir au prйlat contre le prйcepte du Christ ; selon cette
parole de Ac 5, 29 : « Il est nйcessaire d’obйir plus а Dieu
qu’aux hommes ». Mais ce prйlat aussi qui ordonne un prйcepte contre
le commandement du Christ n’est pas excusй de son pйchй. Et ainsi, si le
prйlat avait ordonnй que quelqu'un dise ce qu’il a su devoir кtre corrigй ou
ce qu’il a connu des pйchйs d’un autre, il faut penser que son prйcepte est
dans le cas oщ lui-mкme peut l’ordonner selon l’ordre donnй par le Christ.
Que s’il l’a ordonnй expressemment contre cet ordre, il ne faut pas lui
obйir. En certains cas cependant, le juge du siиcle ou le juge ecclйsiatique
peut exiger un serment, soit au cours de son enquкte ou au cours de l’accusation
: en ces cas-lа, le prйlat peut obliger dans les rйunions religieuses ses
sujets soumis а l’obйissance.
[66511]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod iustitia dicitur esse
praeclarissima virtutum, propter decorem sui ordinis; ad quam etiam pertinet
ut occultanda occultet.
14. On
dit que la justice est la plus illustre des vertus en raison de la beautй de
son ordre ; et il lui convient de cacher ce qui doit кtre cachй.
[66512]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ille qui occulte peccat meretur
amittere famam suam; sed pro isto merito non potest ei poena recompensari,
nisi ab illo qui est iudex occultorum, scilicet Deus, de quo dicitur I ad
Cor., IV, 5 : qui illuminabit abscondita tenebrarum, et manifestabit
consilia cordium.
15.Celui
qui pиche en secret, mйrite de perdre sa rйputation, mais le chвtiment ne
peut pas contrebalancer le mйrite, а moins que ce soit par celui qui est le
juge des choses cachйes, c’est-а-dire Dieu duquel il est dit (1 Co 4, 5) :
« Celui qui illuminera les secrets dans les tйnиbres et rendra
claires les dйcisions des cњurs ».
[66513] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod non repetere sua
est praeceptum, secundum quod intelligitur in praeparatione animi ut
Augustinus exponit. Tenetur enim homo esse paratus sua non repetere in casu
in quo hoc exigeret necessitas fidei vel caritatis; in quo etiam casu dare de
novo teneretur. Sed quod ultra hunc casum homo sua non repetat, potest esse
consilium debitis circumstantiis servatis, sicut et consilium est quod homo
det sua quibus debet. Admonitio autem fraterna non contrariatur
nec consilio nec praecepto praedicto. Potest enim aliquis fratrem admonere
qui alienum accepit, ut de peccato poeniteat, et sit satisfacere paratus,
etiam si ipse velit ei remittere quod debet, cum hoc viderit expedire.
16.Ne
pas rйclamer ses biens est un prйcepte selon qu’il est connu dans une bonne
disposition de l’вme, comme l’expose Augustin. En effet, l’homme est tenu de
se montrer prкt а ne pas aller chercher ses biens dans le cas oщ l’exigerait
la nйcessitй de la foi ou de la charitй ; dans ce cas aussi il serait
mкme tenu de les donner de nouveau. Mais outre ce cas oщ l’homme n’a pas а
aller chercher ses biens, il peut y avoir une dйcision, une fois observй le
conseil que l’homme donne ses biens а qui il les doit. L’avertissement
fraternel n’est contrariй ni par un ordre ni par un prйcepte dйjа dit. En
effet, quelqu’un peut donner un avertissement а un frиre qui a reзu un bien
йtranger, afin de le punir de son pйchй et qu’il soit prкt а donner
satisfaction, mкme si lui-mкme voulait lui remettre ce qu’il doit quand il a
vu que c’йtait utile.
[66514]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ille qui corripit delinquentem
modo et ordine debito, reddit bonum pro malo; sed ille qui debitum modum et
ordinem praetermittit corripiendo in publico quae sunt occulta, non reddit
bonum, sed malum.
17.Celui
qui corrige un dйlinquant d’une maniиre et d’un ordre obligatoire, rend le
bien pour le mal, mais celui qui nйglige le mode et la rиgle obligatoires, en
corrigeant en public ce qui est cachй, ne rend pas le bien mais le mal.
[66515]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod raro contingit quod peccata
occulta publicentur; et ideo ex hoc, periculum rarius accidit. Si
vero frequenter publicarentur peccata occulta, experimento perpenderetur quod
pericula ex hoc sequerentur.
18.Il arrive rarement que les pйchйs
cachйs soient dйvoilйs et ainsi par lа ce danger se manifeste assez rarement.
Mais si les pйchйs cachйs sont frйquemment divulguйs, l’expйrience dйmontre
tout au long que des dangers en dйcouleraient.
[66516]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod ex quo peccatum est occultum, et
non apparet quare in promptu debeat publicari, et ille qui peccavit
emendationem promittit, contra praeceptum Dei ageret qui socium peccantem vel
ad praelatum vel ad alium deferret.
19. Du fait que le pйchй est cachй et
qu’il n’apparaоt pas pourquoi il devrait кtre rendu public visiblement et que
celui qui a pйchй promet de s’amender, il agirait contre le prйcepte de Dieu,
celui qui rйvиlerait un frиre pйcheur soit au prйlat soit а un autre.
[66517] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod peccata quae in Deum
committuntur, non est nostri arbitrii ea dimittere in poenitentia; est tamen
nostri arbitrii in eis corrigendis ordinem servare quem Christus instituit.
20.
Pour ce qui concerne les pйchйs qui sont commis contre Dieu, il ne dйpend pas
de nous de les envoyer en pйnitence, mais il dйpend de nous, pour ceux qui
doivent кtre corrigйs, de conserver l’ordre que le Christ a instituй.
[66518]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod intelligitur ille qui peccat
corripientem audire, quando et cessat ab opere et facit alia quae sunt
facienda pro salute, confitendo et satisfaciendo. Et tunc, quantumcumque sit
grave peccatum, aliquis lucratur fratrem sic audientem.
21.On pense que celui qui pиche а
йcouter celui qui le corrompt quand il cesse son acte et fait d’autres choses
qui sont а faire pour son salut, par la confession et la satisfaction. Et
alors, si grave que soit le pйchй, quelqu'un gagne son frиre qui l’йcoute
ainsi.
[66519]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod verbum quod adversus fratrem
audimus, sic debet in nobis commorari, ut a nobis non procedat ad fratris
infamiam; non tamen prohibetur quin procedat ulterius ad fratris
emendationem.
22.La parole que nous entendons contre
un frиre, ne doit pas demeurer en nous ; pour que par nous-mкmes elle en
vienne а l’infamie du frиre, cependant, il n’est pas interdit d’aller plus
loin pour la correction.
[66520]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod cum dominus dicit, Corripe
inter te et ipsum solum, non intelligendum est quod semel corripiatur sed
bis et ter, aut etiam pluries, quamdiu probabiliter spes maneat quod
secretius corripi possit. Cum vero probabiliter praesumitur quod sic corrigi
non possit, tunc intelligitur non audire.
23.Quand
le Seigneur dit : « Rйprimende le
seul а seul », on ne doit pas le comprendre dans le sens qu’il est
reprimendй une seule fois, mais deux et trois fois ou mкme plus, aussi
longtemps que demeure avec vraisemblance l’espoir qu’il puisse кtre corrigй
plus secrиtement. Quand on prйsume avec vraisemblance qu’il ne pourrait se
corriger ainsi, on pense qu’il n’йcoute pas.
[66521]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod testes inducuntur vel ad
ostendendum quod hoc sit peccatum de quo aliquis arguitur, ut Hieronymus
dicit; vel ad convincendum de actu, si actus iteretur, ut Augustinus dicit;
vel ad testificandum quod frater admonens fecit quod in se fuit, ut
Chrysostomus dicit.
24.On
amиne des tйmoins ou bien pour dйvoiler le pйchй de celui qui est accusй,
comme le dit Jйrфme ; ou bien pour le convaincre de son acte s’il
rйcidive, comme le dit Augustin, ou bien pour tйmoigner de ce que le frиre
qui l’avertit a fait ce qui a йtй en lui, comme le dit Jean Chrysostome.
[66522] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod homo non
indiget testibus ad emendationem sui peccati; potest tamen indigere testibus
ad emendationem alterius secundum tres modos praedictos. Et ideo non est
similis ratio de peccato proprio, et de peccato fratris.
25.L’homme
n’a pas besoin de tйmoins pour se corriger de son pйchй ; il peut
cependant avoir besoin de tйmoins pour la correction d’un autre selon les
trois modes prйcitйs. Et c’est pourquoi, ce n’est pas la mкme raison dans le
cas du pйchй personnel ou de celui du frиre.
[66523]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod Augustinus intelligit quod
prius dicatur praelato quam testibus, secundum quod prelatus est quaedam
singularis persona, quae potest prodesse etiam magis quam alii. Sic
autem dicere praelato, non est dicere Ecclesiae; sed quando dicitur in
publico, quasi in loco iudicii residenti.
26.Augustin
pense qu’on le dit au prйlat avant de le dire aux tйmoins, dans la mesure oщ
ce dernier est une personne particuliиre qui peut кtre plus utile que les
autres. Ainsi, le dire au prйlat, ce n’est pas le dire а l’Йglise, mais quand
c’est dit en public, c’est comme dans le lieu oщ rйside le juge.
[66530] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 1 Virtus enim non se habet ad bonum et malum, sed ad bonum tantum;
unde Augustinus dicit in libro de libero Arbit., quod virtute nullus male
utitur. Sed spes se habet ad bonum et malum : quidam enim habent bonam,
quidam malam spem. Ergo spes non est virtus.
1. En effet, la vertu ne porte pas sur le bien
et sur le mal, mais seulement sur le bien. Aussi Augustin dit-il dans le
livre Sur le libre arbitre, que personne n’utilise mal la vertu. Or,
l’espйrance porte sur le bien et sur le mal : en effet, certains ont une
bonne espйrance, et d’autres une mauvaise. L’espйrance n’est donc pas une
vertu.
[66531] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
2 Praeterea, virtutem Deus operatur in nobis sine
nobis, ut supra dictum est; et sic patet quod nulla virtus est ex meritis,
sed praecedit merita. Sed spes est ex meritis : est enim spes certa expectatio
futurae beatitudinis ex gratia et meritis proveniens, ut Magister dicit 26
dist., Lib. III Sent. Ergo spes non est virtus.
2. Dieu
rйalise en nous sans nous la vertu, comme on l’a dit plus haut ; il est
ainsi clair qu’aucune vertu ne provient du mйrite, mais prйcиde les mйrites.
Or, «l’espйrance se fonde sur les mйrites : en effet, l’espйrance est une
attente certaine de la bйatitude future provenant de la grвce et des
mйrites», comme le dit le Maоtre, Sentences, III, d. 26. L’espйrance
n’est donc pas une vertu.
[66532] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
3 Sed dicendum, quod spes praesupponit merita non
in actu, sed in habitu.- Sed contra, habitus qui est principium merendi, est
caritas. Sed spes non
praesupponit caritatem, sed praecedit eam : dicitur enim Matth., I, in
Glossa, quod spes generat caritatem. Ergo spes non praesupponit merita in
habitu.
3.
L’espйrance prйsuppose des mйrites, non pas en acte, mais en habitus. – En sens contraire, l’habitus qui est le principe
du mйrite est la charitй. Or, l’espйrance ne prйsuppose pas la charitй, mais
la prйcиde. En effet, il est dit dans la Glose sur Mt 1, que
«l’espйrance engendre la charitй». L’espйrance ne prйsuppose donc pas de
mйrites en habitus.
[66533] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
4 Praeterea, virtus est dispositio perfecti,
secundum philosophum in VI Physic.; unde et in IV Ethicor. probat, quod
verecundia non est virtus, quia est imperfecti. Sed spes est dispositio
imperfecti, quia est distantis a bono. Ergo spes non est virtus.
4. La
vertu est une disposition de celui qui est parfait, selon le Philosophe, Physique,
VI. Aussi dйmontre-t-il, dans Йthique, IV, que la pudeur n’est pas
une vertu, parce qu’elle est le fait de celui qui est imparfait. Or,
l’espйrance est une disposition de celui qui est imparfait, car elle est le
fait de celui qui est йloignй du bien. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66534] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
5 Praeterea, nulla passio est virtus : quia
passionibus nec laudamur nec vituperamur, ut dicitur in II Ethicor. Sed spes
est una de quatuor principalibus passionibus. Ergo spes non est virtus.
5.
Aucune passion n’est une vertu, car nous ne sommes ni louangйs ni rйprimandйs
pour nos passions, comme il est dit dans Йthique, II. Or, l’espoir est
une des quatre principales passions. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66535] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
6 Sed dicendum, quod spes quae est passio, non est
virtus, sed aliquid ad mentem pertinens.- Sed contra, omnes passiones
appetitus sensitivi habent aliquid simile in mente : sicut enim est spes et
amor appetitus sensitivi et intellectivi, ita etiam et desiderium, et
delectatio, et alia huiusmodi. Sed in aliis passionibus praeter amorem non
sumuntur nomina virtutum. Ergo neque aliqua virtus debet dici spes.
6.
L’espoir, qui est une passion, n’est pas une vertu, mais quelque chose qui
relиve de l’esprit. – En sens contraire,
toutes les passions de l’appйtit sensible ont quelque chose de semblable dans
l’esprit : en effet, de mкme qu’il y a espoir et amour dans l’appйtit sensible
et intellectif, de mкme y a-t-il dйsir, plaisir, et d’autres choses de ce
genre. Mais, pour les autres passions que l’amour on n’utilise pas les noms
des vertus. On ne doit donc pas donner le nom de vertu а l’espoir.
[66536] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
7 Praeterea, tria sunt genera virtutum : sunt enim
quaedam virtutes morales, quaedam intellectuales, quaedam theologicae. Sed
spes non est virtus moralis, quia non reducitur ad aliquam cardinalium
virtutum; nec etiam virtus intellectualis, quia non pertinet ad vim
cognitivam, sed appetitivam; nec etiam est virtus theologica, quia
theologicae virtutis non est esse in medio, sed in extremo, secundum illud
Deut., VI, 5 : diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Spes autem medium tenet inter praesumptionem
et desperationem.
7. Il
existe trois genres de vertus : les vertus morales, les vertus
intellectuelles et les vertus thйologales. Or, l’espйrance n’est pas une
vertu morale, parce qu’elle ne se ramиne а aucune des vertus cardinales. Elle
n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne relиve pas de la
puissance cognitive, mais de la puissance appйtitive. Elle n’est pas non plus
une vertu thйologale, car les vertus thйologales ne se situent pas dans un
milieu, mais dans un extrкme, selon ce que dit Dt 6, 5 : Tu
aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cњur. Or, l’espйrance occupe
le milieu entre la prйsomption et le dйsespoir.
[66537] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, virtus, maxime theologica, est quoddam donum
supernaturale divinitus nobis infusum. Sed ad sperandum beatitudinem aeternam
non indigemus aliquo dono supernaturali : quia, cum bonum naturaliter moveat
appetitum, summum bonum, quod est beatitudo, maxime naturaliter appetitum
movebit. Ergo spes non est virtus.
8. La
vertu, surtout la vertu thйologale, est un don surnaturel infusй en nous par
Dieu. Or, pour espйrer la bйatitude йternelle, nous n’avons pas besoin d’un
don surnaturel, car, puisque le bien meut naturellement l'appйtit, le bien
suprкme qu’est la bйatitude mouvra naturellement l’appйtit au plus haut
point. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66538] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
9 Praeterea, actus caritatis est perfectior quam
actus spei. Sed ad actum caritatis potest natura creata absque dono gratiae,
secundum illorum opinionem qui dicunt, quod homo et Angelus in naturalibus
creati Deum supra se et supra omnia dilexerunt; quod videtur esse actus
caritatis. Ergo multo magis potest aliquis in actum spei sine dono gratiae.
Ergo spes non est virtus.
9.
L’acte de charitй est plus parfait que l’acte d’espйrance. Or, la nature
crййe est capable d’un acte de charitй sans le don de la grвce, selon
l’opinion de ceux qui disent que l’homme et l’ange, crййs avec leurs
attributs naturels, ont aimй Dieu plus qu’eux-mкmes et que toutes choses, ce
qui semble кtre un acte de charitй. А bien plus forte raison, donc, quelqu’un
est-il capable d’un acte d’espйrance sans le don de la grвce. L’espйrance
n’est donc pas une vertu.
[66539] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
10 Praeterea, virtus, secundum philosophum in I
Ethic., est omni arte certior. Sed hoc non competit spei : causatur enim ex
gratia et meritis, quae sunt incerta, secundum illud Eccle., IX, 1 : nemo
scit utrum sit dignus odio, vel amore. Ergo spes non est virtus.
10.
Selon le Philosophe, dans Йthique, I, la vertu est plus certaine que
tout art. Or, cela ne convient pas а l’espйrance : en effet, elle est causйe
par la grвce et les mйrites, selon Si 9, 1 : Personne ne sait
s’il est digne de haine ou d’amour. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66540] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
11 Praeterea, omnis virtus potest esse in caritate.
Spes autem importat distantiam, caritas autem unionem, secundum illud quod
Dionysius dicit in IV cap. de divinis nominibus, quod amor est vis unitiva.
Ergo spes non est virtus.
11.
Toute vertu peut exister dans la charitй. Or, l’espйrance comporte une
distance, mais la charitй, l’union, selon ce que dit Denys, Les noms
divins, IV, que l’amour est une force unitive. L’espйrance est donc une
vertu.
[66541] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
12 Praeterea, omnis plenitudo gratiarum et virtutum
fuit in Christo, secundum illud Ioan., cap. I, 14 : vidimus eum (...) plenum
gratiae et veritatis. Sed spes non fuit in Christo : qui enim videt, non
sperat, ut habetur Rom., cap. VIII, 24. Ergo spes non est virtus.
12.
Toute la plйnitude des grвces et des vertus se trouvait dans le Christ, selon
Jn 1, 14 : Nous l’avons vu…, plein de grвce et de vйritй. Or,
l’espйrance n’existait pas chez le Christ : en effet, celui qui voit n’espиre
pas, comme on le lit dans Rm 8, 24. L’espйrance n’est donc pas une
vertu.
[66542] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
13 Praeterea, virtus causat delectationem in actu.
Sed spes e contrario causat afflictionem, secundum illud Proverb., XIII, 12 :
spes quae differtur, affligit animam. Ergo spes non est virtus.
13. La
vertu produit un plaisir dans son acte. Or, l’espйrance cause au contraire
une affliction, selon ce que dit Pr 13, 12 : L’espйrance qui est
reportйe afflige l’вme. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66543] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
14 Praeterea, virtus per se habet delectationem, ut
dicitur in I Ethicorum. Spes autem et memoria non sunt delectabilia secundum
se, ut dicitur in II Metaph. Ergo spes non est virtus.
14. La
vertu comporte par elle-mкme une dйlectation, comme il est dit dans Йthique,
I. Or, l’espйrance et la mйmoire ne sont pas dйlectables par elles-mкmes,
comme il est dit dans Mйtaphysique, II. L’espйrance n’est donc pas une
vertu.
[66544] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 15 Praeterea, nulla virtus facit actum malum. Sed
spes facit actum malum, quia facit actum difficilem. Ergo spes non est
virtus.
15.
Aucune vertu ne rend un acte mauvais. Or, l’espйrance rend un acte mauvais,
parce qu’elle fait un acte difficile. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66545] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
16 Praeterea, spes est expectatio quaedam, ut dictum
est. Expectatio autem importat
distantiam. Ergo maxima spes importat maximam distantiam a bono sperato, quod
est beatitudo. Sed maxima virtus non habet maximam distantiam a beatitudine,
immo facit maximam propinquitatem ad ipsam. Ergo spes non est
virtus.
16.
L’espйrance est une certaine attente, comme on l’a dit. Or, l’attente
comporte une distance. Une trиs grande espйrance comporte donc une trиs
grande distance par rapport au bien espйrй, qui est la bйatitude. Or, une
trиs grande vertu n’a pas une trиs grande distance par rapport а la
bйatitude, bien plus, elle rйalise un trиs grand rapprochement par rapport а
elle. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66546] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
17 Praeterea, sicut est spes futurorum, ita est
memoria praeteritorum. Sed memoria praeteritorum non est virtus. Ergo nec
spes futurorum.
17. De
mкme que l’espйrance porte sur des choses а venir, de mкme la mйmoire porte
sur des choses passйes. Or, la mйmoire des choses passйes n’est pas une
vertu. Donc, ni l’espйrance de choses а venir.
Cependant :
[66547] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Per virtutes
in beatitudinem introducimur : nam felicitas virtutis est praemium, ut
dicitur in I Ethic. Sed spes introducit in beatitudinem : dicitur enim ad
Hebr., VI, 18-19, quod habemus spem incedentem, et incedere facientem ad
interiora velaminis, id est ad beatitudinem caelestem, ut Glossa ibidem
exponit. Ergo spes est virtus.
1. Nous
sommes introduits dans la bйatitude par les vertus, car la fйlicitй est la
rйcompense des vertus, comme il est dit dans Йthique, I. Or,
l’espйrance introduit dans la bйatitude. En effet, il est dit dans
He 6, 18‑19 : Nous avons une espйrance qui progresse, et
qui nous fait entrer а l’intйrieur du voile, c’est-а-dire, «dans la
bйatitude йternelle», comme l’explique la Glose а cet endroit. L’espйrance
est donc une vertu.
[66548] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c.
2 Praeterea, I ad Cor., XIII, 13 : nunc autem
manent fides, spes, caritas, tria haec. Sed fides et caritas sunt virtutes.
Ergo et spes.
2. De
plus, 1 Co 13, 13 dit : Maintenant, demeurent la foi,
l’espйrance et la charitй, ces trois choses. Or, la foi et la charitй
sont des vertus. Donc, l’espйrance aussi.
[66549] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius in I Mor. dicit, quod per
tres filias Iob significantur hae tres virtutes : fides, spes et caritas. Ergo
est virtus.
3.
Grйgoire dit, dans Morales, I, que ces trois vertus sont signifiйes
par les trois filles de Job : la foi, l’espйrance et la charitй.
[L’espйrance] est donc une vertu.
[66550] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, praecepta legis dantur de actibus virtutum. Sed multa
praecepta dantur de actu spei; dicitur enim in Psal. XXXVI, 3 : spera in Deo, et fac bonitatem. Ergo
spes est virtus.
4. Les
commandements de la loi portent sur des actes des vertus. Or, plusieurs
commandements portent sur l’acte de l’espйrance. En effet, il est dit dans
Ps 36, 3 : Espиre en Dieu et fais le bien. L’espйrance est
donc une vertu.
Rйponse :
[66551] De
virtutibus, q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quia habitus
cognoscuntur per actus, et actus per obiecta, ad cognoscendum an spes sit
virtus, oportet considerare de ratione actus eius. Manifestum autem est quod
sperare importat motum quemdam appetitivae virtutis tendentem in bonum, non
quidem ut iam habitum, sicut gaudium et delectatio, sed tamquam assequendum,
sicut etiam desiderium et cupiditas. Differt tamen spes a desiderio in
duobus. Primo quidem, quia desiderium est communiter cuiuscumque boni, et
ideo attribuitur concupiscibili : spes autem est boni ardui, quod difficile
est assequi, et ideo attribuitur irascibili. Secundo, quia desiderium est
alicuius boni absolute, absque consideratione possibilitatis et
impossibilitatis illius; sed spes tendit in aliquod bonum, sicut in id quod
est possibile adipisci : importat enim in sui ratione quamdam securitatem
adipiscendi. Ergo sic in
obiecto spei quatuor considerantur. Primo quidem, quod sit bonum; per quod
differt a timore. Secundo, quod sit boni futuri; per quod differt a gaudio
vel delectatione. Tertio, quod sit boni ardui; per quod differt a desiderio.
Quarto, quod sit boni possibilis; per quod differt a desperatione. Est autem
possibile aliquod haberi ab aliquo dupliciter : uno modo per propriam
potestatem; alio modo per auxilium alterius : nam quae per amicos sunt
possibilia, aliqualiter possibilia dicimus, ut patet per philosophum in III
Ethic. Sic igitur quandoque sperat homo aliquid adipisci per propriam
potestatem, quandoque vero per auxilium alienum; et talis spes expectationem
habet, in quantum homo respicit in auxilium alterius. Et tunc necesse est
quod motus spei feratur in duo obiecta : scilicet in bonum adipiscendum, et
in eum cuius auxilio innititur. Summum autem bonum, quod est beatitudo
aeterna, homo adipisci non potest nisi per auxilium divinum, secundum illud
Rom., VI, v. 23 : gratia Dei vita aeterna. Et ideo spes adipiscendi vitam
aeternam habet duo obiecta, scilicet ipsam vitam aeternam, quam quis sperat,
et auxilium divinum, a quo sperat; sicut etiam fides habet duo obiecta :
scilicet rem quam credit, et veritatem primam, cui correspondet. Fides autem
non habet rationem virtutis, nisi in quantum inhaeret testimonio veritatis
primae, ut ei credat quod ab ea manifestatur, secundum illud Genes., XV, 6 :
credidit Abraham Deo, et reputatum est ei ad iustitiam; unde et spes habet
rationem virtutis ex hoc ipso quod homo inhaeret auxilio divinae potestatis
ad consequendum vitam aeternam. Si enim aliquis inniteretur humano auxilio,
vel suo vel alterius, ad consequendum perfectum bonum absque auxilio divino,
esset hoc vitiosum, secundum illud Ierem., cap. XVII, 5 : maledictus homo qui
confidit in homine, et ponit carnem brachium suum. Sic igitur, sicut formale
obiectum fidei est veritas prima, per quam sicut per quoddam medium assentit
his quae creduntur, quae sunt materiale obiectum fidei; ita etiam formale
obiectum spei est auxilium divinae potestatis et pietatis, propter quod
tendit motus spei in bona sperata, quae sunt materiale obiectum spei. Sicut
ergo ea quae creduntur materialiter, omnia referuntur ad Deum, quamvis aliqua
eorum sint creata : sicut quod credimus omnes creaturas esse a Deo, et corpus
Christi esse a filio Dei assumptum in unitate personae; ita etiam omnia quae
materialiter sperantur, ordinantur in unum finale speratum, quod est fruitio
Dei. In ordine enim ad hanc fruitionem speramus adiuvari a Deo non solum
spiritualibus, sed etiam corporalibus beneficiis.
Parce
que les habitus sont connus par leurs actes, et leurs actes par les objets de
ceux-ci, pour savoir si l’espйrance est une vertu, il est nйcessaire
d’examiner la raison mкme de son acte. Or, il est clair qu’espйrer comporte
un certain mouvement de la puissance appйtitive tendant vers un bien, non pas
dйjа possйdй, comme c’est le cas pour la joie et la dйlectation, mais
recherchй, comme c’est aussi le cas du dйsir et de la cupiditй. Toutefois,
l’espoir diffиre du dйsir sur deux points. Premiиrement, le dйsir porte d’une
maniиre gйnйrale sur tous les biens : c’est pourquoi il est attribuй au
concupiscible. Mais l’espoir porte sur un bien difficile, qu’il est difficile
d’atteindre : c’est pourquoi il est attribuй а l’irascible. Deuxiиmement, le
dйsir porte sur un bien de maniиre absolue, sans considйration de sa
possibilitй ou de son impossibilitй. Mais l’espoir tend vers un bien comme
vers quelque chose qu’il est possible d’obtenir : en effet, il comporte dans
sa raison mкme une certaine assurance de l’obtenir. Dans l’objet de l’espoir,
quatre choses doivent donc кtre relevйes. Premiиrement, il s’agit d’un bien :
il diffиre en cela de la crainte. Deuxiиmement, il porte sur un bien futur :
il diffиre en cela de la joie ou de la dйlectation. Troisiиmement, il porte
sur un bien difficile : il diffиre en cela du dйsir. Quatriиmement, il porte
sur un bien possible : il diffиre en cela du dйsespoir. Or, quelque chose
peut кtre obtenu par quelqu’un de deux maniиres : d’une maniиre, par sa
propre puissance; d’une autre maniиre, par l’aide d’un autre, car nous disons
qu’est possible d’une certaine maniиre ce qui est possible par
l’intermйdiaire d’amis, comme cela ressort clairement de ce que dit le
Philosophe dans Йthique, III. Ainsi donc, parfois l’homme espиre
atteindre quelque chose par sa propre puissance, mais parfois par l’aide d’un
autre, et un tel espoir comporte une attente dans la mesure oщ l’homme compte
sur l’aide d’autrui. Il est alors nйcessaire que le mouvement de l’espoir se
porte sur deux objets : sur le bien а atteindre, et sur celui sur l’aide de
qui il s’appuie. Or, l’homme ne peut atteindre le bien suprкme, qui est la
bйatitude йternelle, qu’avec l’aide de Dieu, selon Rm 6, 23 : La
vie йternelle par la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance
d’atteindre la vie йternelle a deux objets : la vie йternelle elle-mкme, que
quelqu’un espиre, et l’aide divine, par laquelle il espиre, de mкme que la
foi a deux objets : la chose qui est crue, et la Vйritй premiиre, а laquelle
elle correspond. Or, la foi n’a raison de vertu que si elle adhиre au
tйmoignage de la Vйritй premiиre, de sorte que soit cru ce qui est manifestй
par elle, selon Gn 15, 6 : Abraham crut en Dieu, et cela lui fut
comptй comme justice. Aussi l’espйrance a-t-elle raison de vertu du fait
mкme que l’homme adhиre а l’aide de la puissance divine en vue d’obtenir la
vie йternelle. En effet, si quelqu’un adhйrait а une aide humaine, la sienne
ou celle d’un autre, afin d’obtenir le bien parfait sans l’aide divine, cela
serait vicieux, selon Jr 17, 5 : Maudit soit l’homme qui a mis
sa confiance dans l’homme et fait de la chair sa puissance. Ainsi donc,
de mкme que l’objet formel de la foi est la Vйritй premiиre, par laquelle il
donne son assentiment comme par un moyen aux rйalitйs qui sont crues, qui
sont l’objet matйriel de la foi, de mкme l’objet formel de l’espйrance est-il
l’aide de la puissance et de la bienveillance divines, en raison de laquelle
le mouvement de l’espйrance tend vers les biens espйrйs, qui sont l’objet
matйriel de l’espйrance. De mкme donc que ce qui est cru matйriellement se
rapporte entiиrement а Dieu, bien que certains de ses йlйments soient crййs
(ainsi, nous croyons que toutes les crйatures tirent leur кtre de Dieu, et
que le corps du Christ a йtй assumй par le Fils de Dieu dans l’unitй de sa
personne), de mкme tout ce qui est espйrй est-il entiиrement ordonnй а une
seule rйalitй espйrйe а titre de fin, qui est la jouissance de Dieu. En
effet, en regard de cette jouissance, nous espйrons кtre aidйs par Dieu, non
seulement par des bienfaits spirituels, mais aussi par des bienfaits
corporels.
Solutions :
[66552] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes secundum quod
inhaeret divino auxilio, non potest se ad malum habere; nullus enim potest
nimis de Deo sperare. Sed quod aliquis male speret, hoc contingit quia non
inhaeret Deo, sed suae virtuti, vel falsae opinioni; puta cum praesumit se
salvandum etiam in peccatis perseverans.
1.
L’espйrance, dans la mesure oщ elle adhиre а l’aide divine, ne peut pas se
comporter mal : en effet, personne ne peut trop espйrer de Dieu. Mais que
quelqu’un espиre mal, cela arrive parce qu’il n’adhиre pas а Dieu, mais а sa
propre puissance ou а une fausse opinion, par exemple, parce qu’il prйsume
qu’il sera sauvй mкme s’il persйvиre dans les pйchйs.
[66553] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod cum dicitur spes esse expectatio futurae
beatitudinis, ex gratia et meritis proveniens, dupliciter potest intelligi. Uno modo ut expectatio intelligatur ex meritis
provenire ex parte expectantis; ut scilicet, expectatio talis causetur in
homine ex praecedentibus meritis. Et in hoc sensu procedit obiectio, qui
falsus est. Alio modo potest intelligi expectatio esse ex meritis ex parte rei
expectatae; et hic est sensus verus : expectamus enim quod per gratiam Dei et
bona merita beatitudinem consequamur.
2.
Lorsqu’on dit que l’espйrance est une attente de la bйatitude а venir
provenant de la grвce et des mйrites, cela peut s’entendre de deux maniиres.
D’une maniиre, en comprenant que l’attente provient des mйrites du point de
vue de celui qui attend, а savoir, qu’une telle attente soit causйe dans
l’homme par des mйrites qui prйcиdent. C’est le sens de l’objection, qui est
faux. D’une autre maniиres, on peut comprendre que l’attente vient des
mйrites du point de vue de la chose espйrйe, et ce sens est vrai : en effet,
nous espйrons que, par la grвce de Dieu et des mйrites bons, nous obtenions
la bйatitude.
[66554] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum hunc sensum,
merita non praecedunt ex necessitate spem nec actu nec habitu; sed praecedunt
rem speratam scilicet beatitudinem : unde potest esse quod sperans non habeat
merita nec actu nec habitu, sed solum in proposito.
3. En
ce sens, les mйrites ne prйcиdent pas nйcessairement l’espйrance, ni en acte,
ni par l’habitus. Mais ils prйcиdent la chose espйrйe, а savoir, la
bйatitude. Aussi peut-il arriver que celui qui espиre n’ait pas de mйrites,
ni en acte, ni par en habitus, mais seulement par l’intention.
[66555] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spes secundum quod
refertur ad materiale obiectum, est dispositio imperfecti, quia quod
speratur, nondum habetur; sed secundum quod respicit obiectum formale,
scilicet auxilium divinum sic est dispositio perfecti; in hoc enim consistit
perfectio hominis ut Deo inhaereat. Et simile etiam est de fide, quae
habet imperfectionem, eo quod nondum videt ea quae credit; habet autem
perfectionem ex eo quod inhaeret testimonio primae veritatis, et ex hoc est
virtus.
4.
L’espйrance, selon qu’elle se rapporte а son objet matйriel, est une
disposition de quelqu’un d’imparfait, car ce qui est espйrй n’est pas encore
possйdй. Mais, selon qu’elle porte sur son objet formel, а savoir, l’aide
divine, elle est alors une disposition de quelqu’un de parfait : en effet, la
perfection de l’homme consiste en ce qu’il adhиre а Dieu. Et il en est aussi
de mкme de la foi, qui comporte une imperfection du fait qu’elle ne voit pas
encore ce qu’elle croit; mais elle possиde une perfection du fait qu’elle
adhиre au tйmoignage de la Vйritй premiиre, et, pour autant, elle est une
vertu.
[66556] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod spes est passio, secundum quod est motus appetitus
sensitivi, cuius obiectum Deus esse non potest; et ideo talis spes virtus non
dicitur, sed illa quae est motus mentis, quae est capax Dei.
5. L’espoir est une passion selon qu’elle
est un mouvement de l’appйtit sensible, dont l’objet ne peut pas кtre Dieu.
C’est pourquoi un tel espoir n’est pas appelй une vertu, mais celui qui est
un mouvement de l’esprit, qui est capable de Dieu.
[66557] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod nulla virtus potest denominari proprie ab aliqua passione,
nisi theologica. Nam virtutes intellectuales pertinent ad vim cognitivam;
passiones autem animae sunt in vi appetitiva. Virtutes autem morales
consistunt medium in passionibus; unde virtus moralis non nominatur ab aliqua
passione absolute, sed a moderatione passionum, sicut temperantia, fortitudo,
et similia. Sed motus humanae mentis qualitercumque Deum attingeret, ad
virtutem pertinet; et ideo nomina simplicium motuum, sive passionum,
adaptantur virtutibus theologicis. Et quia virtutum theologicarum obiectum
est Deus, quod est summum bonum, manifestum est quod passiones quarum
obiectum est malum, non possunt nominare virtutes theologicas. Similiter
etiam, cum virtus theologica pertineat ad statum viae ante iudicium tantum,
passiones quarum obiectum est bonum praesens, ut delectatio et gaudium, non
sunt nomina aliquarum virtutum, sed magis pertinent ad beatitudinem; unde
delectatio ponitur una de dotibus beatitudinis. Desiderium autem importat quidem motum in
futurum, sed sine aliqua praesenti inhaesione vel spirituali contactu ipsius
Dei; unde nec desiderium nominat virtutem aliquam. Unde relinquitur quod
solum spes et amor nominant theologicas virtutes.
6. Aucune vertu ne peut кtre nommйe au
sens propre а partir d’une passion, si ce n’est une vertu thйologale. Car les
vertus intellectuelles se rapportent а la puissance cognitive, et les
passions de l’вme sont dans la puissance appйtitive. Mais les vertus morales
se situent dans un milieu entre des passions ; aussi la vertu morale
n’est-elle pas nommйe а partir d’une passion prise isolйment, mais а partir
de la modйration des passions, comme la tempйrance, la force et les choses
semblables. Mais le mouvement de l’esprit humain, quelle que soit la maniиre
dont il atteint Dieu, se rapporte а la vertu. C’est pourquoi les noms des
mouvements simples ou des passions sont adaptйs aux vertus thйologales. Et
parce que l’objet des vertus thйologales est Dieu, qui est le Bien suprкme,
il est clair que les passions dont l’objet est un mal ne peuvent donner leur
nom aux vertus thйologales. De mкme aussi, puisque la vertu thйologale ne
concerne que l’йtat de la vie antйrieur au jugement, les passions dont
l’objet est un bien prйsent, comme la dйlectation et la joie, ne sont pas des
noms de vertus, mais se rapportent plutфt а la bйatitude ; aussi la
dйlectation est-elle donnйe comme un des ornements de la bйatitude. Or, le
dйsir comporte un certain mouvement vers le futur, mais sans une adhйsion
actuelle ou un contact spirituel avec Dieu lui-mкme ; aussi le dйsir ne
donne-t-il pas non plus son nom а une vertu. Il reste donc que seuls l’espoir
et l’amour donnent leur nom а des vertus thйologales.
[66558] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ideo virtutes morales consistunt in medio, quia ad
virtutem moralem pertinet attingere regulam rationis circa proprium et per se
obiectum, scilicet circa passiones et operationes humanas. Omne autem
regulatum, in quantum est huiusmodi, habet rationem medii; quod autem a
regula discedit, aut superfluum aut diminutum est. Dicitur etiam, quod virtus
intellectualis consistit in hoc quod attingat verum, quod est bonum
intellectus. Veritas autem intellectus humani regulatur et mensuratur ab
essentia rei; ex eo enim quod res est vel non est, opinio vera est vel falsa.
Et ideo etiam virtus intellectualis circa proprium obiectum, in medio
consistit, ut scilicet hoc apprehendat homo de re quod est, non plus nec
minus. Sed virtus theologica habet pro obiecto ipsam primam regulam non
regulatam. Et ideo sufficit qualitercumque attingere regulam ad rationem
virtutis; propter quod secundum operationem ad proprium et formale obiectum
virtus theologica in medio non consistit. Sed ex parte materialis obiecti
potest consistere in medio, et hoc accidit ei, sicut fides Catholica in divinis
procedit inter haeresim Sabellii confundentis personas, et haeresim Arii
substantiam separantis. Et eodem modo ex parte eius quod est materiale,
obiectum spei consistit in medio, in quantum scilicet aliquis sperat se
adipisci beatitudinem sic vel aliter : sed ex parte formalis obiecti, quod
est auxilium divinum, non consistit in medio; nullus enim potest nimis divino
auxilio inniti.
7. Les vertus morales se situent а ce
point dans un milieu parce qu’il appartient а la vertu morale d’atteindre la
rиgle de la raison а propos de ce qui est par soi son objet propre, а savoir,
а propos des passions et des opйrations humaines. Or, tout ce qui soumis а
une rиgle, en tant que tel, a raison de milieu ; mais ce qui s’йloigne
de la rиgle est un excиs ou un manque. On dit aussi que la vertu
intellectuelle consiste en ce qu’elle atteingne le vrai, qui est le bien de
l’intelligence. Or, la vйritй de l’intellect humain est rйglйe et mesurйe par
l’essence d’une chose : en effet, une opinion est vraie ou fausse du fait qu’une
chose est ou n’est pas. C’est pourquoi la vertu intellectuelle aussi se situe
dans un milieu par rapport а son objet propre, а savoir, que l’homme
apprйhende d’une chose ce qu’elle est, ni plus ni moins. Mais la vertu
thйologale a comme objet la rиgle elle-mкme, non soumise а une rиgle. C’est
pourquoi il suffit pour la raison de la vertu [thйologale] qu’elle atteigne
la rиgle de n’importe quelle maniиre. C’est la raison pour laquelle la vertu
thйologale ne se situe pas dans un milieu selon son opйration par rapport а
son objet propre et formel. Mais, du point de vue de l’objet matйriel, elle
peut se situer dans un milieu, et cela lui arrive, comme la foi catholique, а
propos des rйalitйs divines, avance entre l’hйrйsie de Sabellius qui confond
les personnes, et l’hйrйsie d’Arius, qui sйpare la substance. Et, de la mкme
maniиre, du point de vue de ce qui est matйriel, l’objet de l’espйrance se
situe dans un milieu, dans la mesure oщ quelqu’un espиre possйder la
bйatitude de telle ou telle maniиre. Mais, du point de vue de l’objet formel,
qui est l’aide divine, elle ne se situe pas dans un milieu. En effet,
personne ne peut trop s’appuyer sur l’aide divine.
[66559] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod bonum proportionatum movet appetitum; non enim
naturaliter appetuntur ea quae non sunt proportionata. Quod autem beatitudo
aeterna sit bonum proportionatum nobis, hoc est ex gratia Dei; et ideo spes,
quae tendit in hoc bonum sicut proportionatum homini ad habendum, est donum
divinitus infusum.
8. Le bien proportionnй meut l’appйtit :
en effet, ce qui n’est pas proportionnй n’est pas dйsirй naturellement. Mais
que la bйatitude йternelle soit pour nous un bien proportionnй, cela vient de
la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance, qui tend vers ce bien en tant
que sa possession est proportionnйe а l’homme, est un don infus de Dieu.
[66560] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod diligere Deum super omnia, potest intelligi dupliciter.
Uno modo secundum quod bonum divinum est principium et finis totius esse
naturalis; et sic amant Deum super omnia non solum rationalia, sed et bruta
animalia et inanimata in quantum amare possunt, quia unicuique parti
amabilius est bonum totius quam proprium bonum; unde naturaliter manus se
exponit ictui pro salute totius corporis. Sed iste naturalis amor Dei
pervertitur ab hominibus per peccatum; unde in statu naturae integrae poterat
homo Deum diligere super omnia secundum modum praedictum. Alio modo potest
aliquis diligere Deum super omnia, secundum quod Deus est obiectum
beatitudinis, et secundum quod fit quaedam societas rationalis mentis ad Deum
quadam spirituali unitate; et talis dilectio est actus caritatis, in quem
nulla creatura potest sine gratia.
9. Aimer Dieu par-dessus tout peut
s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, pour autant que le bien divin est
le principe et la fin de tout l’кtre naturel ; et ainsi, ce ne sont pas
seulement les кtres raisonnables qui aiment Dieu par-dessus tout, mais aussi
les animaux sans raison et les choses inanimйes, pour autant qu’elles peuvent
aimer, car le bien du tout est plus aimable а une partie que son propre bien.
C’est pourquoi la main s’expose naturellement а un coup pour sauver tout le
corps. Mais cet amour naturel de Dieu est perverti chez les hommes par le
pйchй. Aussi, dans l’йtat de nature intиgre, l’homme pouvait-il aimer Dieu
par-dessus tout de la maniиre indiquйe. D’une autre maniиre, quelqu’un peut
aimer Dieu par-dessus tout selon que Dieu est l’objet de la bйatitude ;
et, de cette maniиre, s’йtablit une certaine communion de l’esprit avec Dieu
par une certaine unitй spirituelle. L’acte de charitй est un tel amour,
auquel aucune crйature ne peut parvenir sans la grвce.
[66561] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 10
Ad decimum dicendum, quod virtus inclinat in
proprium actum per moderationem, sicut Tullius dicit; et ideo certitudo spei
et aliarum virtutum non est referenda ad cognitionem obiecti vel principiorum
propriorum, sed ad infallibilem inclinationem in actu.
10. La vertu incline а son acte propre par
la modйration, comme le dit Tullius [Cicйron]. C’est pourquoi la certitude de
l’espйrance et des autres vertus ne doit pas кtre mise en rapport avec la
connaissance de l’objet ou de ses principes propres, mais avec l’inclination
infaillible de son acte.
[66562] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 11
Ad undecimum dicendum, quod caritas facit unionem
in affectu, ut scilicet amans reputet amicum quasi se alterum, et Deum plus
quam se; potest tamen esse cum distantia reali rei amatae. Et ita caritas
potest esse cum spe.
11. La charitй rйalise une union
affective, de sorte que celui qui aime considиre son ami comme un autre
lui-mкme, et Dieu plus que lui-mкme. Cependant,
cela peut exister avec une distance rйelle par rapport а la chose aimйe. Et
ainsi, la charitй peut exister avec l’espйrance.
[66563] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod spes habet
perfectionem quamdam cum imperfectione. Et ex illa parte qua habet
perfectionem, habet perfectam rationem virtutis : et ex hac parte plenissime
fuit in Christo; ipse enim plenissime inhaesit divino auxilio. Et
ex parte eius quod est imperfectionis, defuit ei spes, sicut et fides.
12. L’espйrance possиde une certaine
perfection comportant une certaine imperfection. Pour autant qu’elle possиde
une perfection, elle possиde la raison parfaite de vertu ; de ce point
de vue, elle a existй en toute plйnitudde chez le Christ, car il a adhйrй а
l’aide divine en toute plйnitude. Mais du point de ce qui est imperfection
[dans l’espйrance], l’espйrance lui a fait dйfaut, de mкme que la foi.
[66564] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 13
Ad decimumtertium dicendum, quod spes non
affligit animam, sed magis est causa delectationis, in quantum facit rem
separatam quodammodo esse praesentem secundum fiduciam adipiscendi; unde et
apostolus dicit Roman., XII, 12 : spe gaudentes. Sed dilatio rei speratae est
quae quandoque affligit.
13. L’espйrance n’afflige pas l’вme, mais
elle est plutфt cause de dйlectation pour autant qu’elle rend la chose
sйparйe prйsente d’une certaine maniиre par la confiance de la possйder.
Aussi l’Apфtre dit-il, Rm 12, 12 : Nous rйjouissant dans
l’espйrance. Mais c’est l’йloignement de la chose espйrйe qui provoque
parfois l’affliction.
[66565] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod duplex est delectatio : una quidem de obiecto
actus; alia vero de ipso actu. Prima autem delectatio non est propria
virtutis, quia est aliqua virtus ad quam pertinet dolere de suo obiecto,
scilicet poenitentia. Sed secunda delectatio, quae est de actu, est propria
virtutis, quia unicuique habenti virtutem est delectabilis operatio quae est
secundum proprium habitum; unde etiam poenitens de dolore gaudet. Sic igitur
spes, in quantum causat delectationem de re sperata, non causat delectationem
per se, sed per aliud, id est in quantum facit eam existimare ut praesentem. Sed
secundum quod causat delectationem de proprio actu, sic per se delectationem
causat.
14. Il existe une double dйlectation :
l’une dans l’objet de l’acte ; l’autre dans l’acte lui-mкme. La premiиre
dйlectation n’est pas propre а la vertu, car il existe une vertu а laquelle
il appartient d’кtre affligйe de son objet, а savoir, la pйnitence. Mais la
seconde dйlectation, qui porte sur l’acte, est propre а la vertu, car la mise
en њuvre d’une vertu selon son objet propre est dйlectable pour quiconque la
possиde. C’est ainsi que mкme le pйnitent se rйjouit de sa douleur. Ainsi
donc, l’espйrance, pour autant qu’elle cause une dйlectation а propos de la
chose espйrйe, ne cause pas de dйlectation par soi, mais par quelque chose
d’autre, c’est-а-dire pour autant qu’elle la lui fait estimer pour ainsi dire
prйsente. Mais pour autant qu’elle cause une dйlectation portant sur son
propre acte, elle cause par elle-mкme une dйlectation.
[66566] De virtutibus,
q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum
dicendum, quod facere actum difficilem potest intelligi dupliciter. Uno modo
quod faciat difficultatem in actu; et hoc sensu procedebat obiectio. Sic
autem spes non facit actum difficilem, quia non adhibet difficultatem actui,
sed magis minuit. Alio modo potest intelligi facere actum difficilem, quia
propter spem homines aggrediuntur difficilia.
15. Faire un acte difficile peut
s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, selon qu’un acte est rendu
difficile, et l’objection venait de ce sens. Mais l’espйrance ne rend pas
ainsi l’acte difficile, car elle n’apporte pas de difficultй а l’acte, mais
plutфt lui en enlиve. D’une autre maniиre, on peut entendre rendre un acte
difficile du fait que les hommes entreprennent des choses difficiles а cause
de l’espйrance.
[66567] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 16
Ad decimumsextum dicendum, quod distantia a
termino ad quem vel a termino a quo, invenitur in quolibet motu; non tamen ex
ea motus specificatur, sed potius ex termino. Et ideo non sequitur, quod si
motus est distantis, maior motus magis sit distans : haec enim scientia
arguendi tenet solum in his quae sunt per se. Videmus autem quod motus
naturalis quanto magis appropinquat ad terminum, tanto magis intenditur. Et
similiter etiam est de spe.
16. La distance par rapport au point de
dйpart ou au point d’arrivйe se rencontre en tout mouvement ; cependant,
le mouvement n’en reзoit pas son espиce, mais il la reзoit plutфt du terme.
C’est pourquoi il n’en dйcoule pas que si le mouvement porte sur quelque
chose de distant, le mouvement sera d’autant plus grand qu’il porte sur
quelque de plus йloignй, car cette maniиre de raisonner ne vaut que pour les
choses qui existent en elles-mкmes. Or, nous voyons que plus le mouvement
naturel approche de son terme, plus il y tend. Et il en est de mкme pour
l’espйrance.
[66568] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 17
Ad decimumseptimum dicendum, quod memoria non
importat aliquam inhaesionem, unde possit habere rationem virtutis, sicut
habet spes; et ideo non est simile.
17. La mйmoire ne comporte pas d’adhйsion
qui pourrait lui donner raison de vertu, comme c’est le cas de l’espйrance.
Ce n’est donc pas la mкme chose.
[66571] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 1 Obiectum enim spei est bonum
arduum. Sed arduum est obiectum irascibilis. Ergo spes est in irascibili, et
non in voluntate.
1.
L’objet de l’espйrance est une bien difficile. Or, ce qui est difficile est
l’objet de l’irascible. L’espйrance se trouve donc dans l’irascible, et non
dans la volontй.
[66572] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, caritas est
perfectissima virtutum. Ergo sufficit ad perficiendam unam
potentiam. Sed caritas est in voluntate. Non
ergo in voluntate est spes.
2. La
charitй est la plus parfaite des vertus. Elle suffit donc а perfectionner une
seule puissance. Or, la charitй est dans la volontй. L’espйrance ne se trouve
donc pas dans la volontй.
[66573] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, ideo non possumus plura intelligere simul, quia intellectus
non potest simul informari diversis speciebus intelligibilibus, sicut nec
corpus diversis figuris, ut Algazel dicit. Ergo, pari ratione, una potentia
non potest simul informari in actu secundum diversos habitus, ut scilicet
secundum utrumque actu operetur. Sed simul potest esse actus spei cum actu caritatis. Ergo caritas
et spes non possunt esse simul in una potentia. Sed caritas est in voluntate.
Spes ergo non est in voluntate.
3. Nous
ne pouvons pas intelliger plusieurs choses en mкme temps parce que
l’intellect ne peut pas recevoir en mкme temps les formes d’espиces
intelligibles diffйrentes, de mкme que le corps ne le peut pour des figures
diverses, comme le dit Algazel. Pour la mкme raison, donc, une puissance ne
peut pas recevoir en acte la forme de divers habitus, de sorte que les deux
puissent кtre exercйs en acte. Or, un acte d’espйrance peut exister en mкme
temps qu’un acte de charitй. La charitй et l’espйrance ne peuvent donc pas se
trouver en mкme temps dans une seule puissance. L’espйrance ne se trouve donc
pas dans la volontй.
[66574] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, spes est certa
expectatio. Sed certitudo pertinet ad vim cognitivam. Ergo spes est in vi
cognitiva, et non in voluntate.
4.
L’espйrance est une attente certaine. Or, la certitude relиve de la puissance
cognitive. L’espйrance se trouve donc dans la puissance cognitive, et non
dans la volontй.
L’espйrance
provient des mйrites. Or, les mйrites se rapportent а la volontй. L’espйrance
se trouve donc dans la volontй.
Rйponse :
[66576] De virtutibus, q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut dictum est, spes est virtus theologica,
unde eius obiectum est Deus. Nulla autem vis sensitiva potest se extendere ad
hoc obiectum quod est Deus, quia sensus corporalia non transcendit; et ideo
spes non potest esse in aliqua vi sensitiva. Manifestum autem est quod spes
ad vim appetitivam pertinet, eo quod obiectum eius est bonum, ut supra, art.
praeced., dictum est; unde oportet quod sit in vi appetitiva rationis, quae
est voluntas, secundum philosophum in III de anima. Unde spes est in
voluntate sicut in subiecto. Huiusmodi autem appetitus rationalis non
dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut quidam posuerunt : quia
obiectum voluntatis est bonum, secundum communem boni rationem, quam potest
intellectus apprehendere, non autem sensus. Et ideo appetitus sensitivus,
cuius obiectum est bonum secundum rationem particularem, dividitur in
irascibilem et concupiscibilem, secundum diversas rationes boni sensibilis,
quod vel est delectabile secundum sensum ad quod ordinatur concupiscibilis;
vel est altitudinem propriam habens supra impedimenta delectationis, et hoc
est obiectum irascibilis. Unde in appetitu superiori irascibilis et
concupiscibilis non ponuntur. Sic ergo subiectum spei non est irascibilis,
sed voluntas.
Comme on l’a dit, l’espйrance est une
vertu thйologale ; son objet est donc Dieu. Or, aucune puissance
sensible ne peut aller jusqu’а avoir Dieu pour objet, car les sens de
dйpassent pas les rйalitйs corporelles. C’est pourquoi l’espйrance ne peut se
trouver dans une puissance sensible. Or, il est clair que l’espйrance
appartient а une puissance appйtitive, du fait que son objet est le bien,
comme on l’a dit plus haut, dans l’article prйcйdent. Il faut donc qu’elle se
trouve dans la puissance appйtitive de la raison, qui est la volontй, selon
le Philosophe, dans Sur l’вme, III. L’espйrance se trouve donc dans la
volontй comme dans son sujet. Or, cet appйtit raisonnable ne se divise pas en
irascible et en concupiscible, comme certains l’ont affirmй, car l’objet de
la volontй est le bien, selon la raison commune de bien, que l’intellect peut
apprйhender mais non le sens. C’est pourquoi l’appйtit sensible, dont l’objet
est le bien selon une raison particuliиre, se divise en irascible et
concupiscible, selon les diverses raisons du bien sensible, qui est dйlectable
selon le sens, а quoi est ordonnй le concupiscible, ou qui possиde une
certaine йlйvation par rapport aux obstacles а la dйlectation, et cela est
l’objet de l’irascible. C’est la raison pour laquelle on ne distingue pas
l’irascible et le concupiscible dans l’appйtit supйrieur. Ainsi donc, le
sujet de l’espйrance n’est pas l’irascible, mais la volontй.
Solutions :
[66577] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
spes de qua loquimur, est ardui intelligibilis, quod non est obiectum
alicuius specialis potentiae; sed voluntas in ipsum tendit secundum rationem
universalem boni.
1. L’espйrance dont nous parlons porte sur
un intelligible difficile, qui n’est l’objet d’aucune puissance spйciale.
Mais la volontй y tend selon la raison universelle de bien.
[66578] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
caritas perficit voluntatem perfecte quantum ad unum motum eius, qui est
amare; sed indiget alia perfectione quantum ad alium motum eius qui est
sperare.
2. La charitй perfectionne la volontй
selon un seul de ses mouvements, aimer. Mais elle a besoin d’une autre
perfection par rapport а un autre de ses mouvements qui est d’espйrer.
[66579] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quando sunt multa ordinata ad unum, possunt simul intelligi : similiter etiam
motus spei simul potest esse cum motu caritatis, quia ad se invicem
ordinantur.
3. Lorsque plusieurs choses sont ordonnйes
а une seule, elles peuvent кtre intelligйes en mкme temps. De la mкme maniиre
aussi, un mouvement de l’espйrance peut exister avec un mouvement de charitй,
car ils sont ordonnйs l’un а l’autre rйciproquement.
[66580] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
certitudo spei derivatur a certitudine fidei : in quantum enim motus
appetitivae virtutis dirigitur a virtute cognoscitiva, participat aliquid de
eius certitudine.
4. La certitude de l’espйrance dйcoule de
la certitude de la foi : en effet, le mouvememnt de la puissance appйtitive
participe а la certitude dans la mesure oщ il est dirigй par la puissance
cognitive.
[66583] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 1 Ambrosius enim super illud
Luc., XVII, 6 : si habueritis fidem sicut granum sinapis etc., dicit :
ex fide est caritas, ex caritate spes. Sed fides est prior caritate.
Ergo caritas est prior spe.
1. Ambroise dit, а propos de
Lc 17, 6 : Si vous aviez une foi grosse comme un grain de
senevй, etc. : «La charitй vient de la foi, et l’espйrance de la
charitй.» Or, la foi prйcиde la charitй. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66584] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in
Enchirid., quod fides sine caritate non prodest; spes autem sine caritate
esse non potest. Sed si spes esset prior caritate, posset esse sine ea, sicut
et fides, licet non prodesset. Ergo spes non est prior caritate.
2. Augustin dit, dans l’Enchiridion,
que la foi sans la charitй n’est pas utile, mais que l’espйrance ne peut
exister sans la charitй. Or, si l’espйrance prйcйdait la charitй, elle
pourrait exister sans elle, comme la foi, bien qu’elle ne serait pas utile.
L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.
[66585] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit,
XII de civitate Dei, quod boni motus atque affectus, ex amore et ex sancta
caritate veniunt. Sed sperare, secundum quod est actus spei, est quidam motus
et affectus laudabilis. Ergo derivatur a sancta caritate. Sic ergo caritas
est prior spe.
3. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XII,
que les mouvements et les sentiments bons viennent de l’amour et d’une sainte
charitй. Or, espйrer, en tant qu’acte de l’espйrance, est un certain
mouvement et un certain sentiment louable. Il dйcoule donc d’une sainte
charitй. Ainsi donc, la charitй prйcиde l’espйrance.
[66586] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, spes est cum
desiderio, ut supra dictum est. Sed desiderium non est nisi boni amati. Ergo
spes praesupponit amorem : ergo est posterior caritate.
4. L’espйrance est accompagnйe de dйsir.
Or, il ne peut y avoir de dйsir que d’un bien aimй. L’espйrance prйsuppose
donc l’amour. Elle suit donc la charitй.
[66587] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 5 Praeterea, inter affectiones
animae, prima est amor; ex eo enim omnes actiones et affectiones animae
derivantur, ut patet per Dionysium. Sed spes importat quamdam animae affectionem.
Ergo caritas, quae est amor, est prior spe.
5. Parmi les sentiments de l’вme, l’amour
est premier : en effet, tous les actions et sentiments de l’вme en dйcoulent,
comme cela ressort clairement de Denys. Or, l’espйrance comporte un certain
sentiment de l’вme. La charitй, qui est amour, prйcиde donc l’espйrance.
[66588] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 6 Praeterea, spes, vel
desiderium, non est nisi proprii boni. Sed
bonum aliquod fit proprium appetenti per amorem; sic enim redditur
conveniens. Ergo
spes et desiderium praesupponit amorem.
6. Il n’y a d’espйrance ou de dйsir que de
son bien propre. Or, а qui dйsire, un bien devient propre par l’amour : en
effet, c’est ainsi qu’il s’en rapproche. L’espйrance et le dйsir prйsupposent
donc l’amour.
[66589] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 7 Praeterea, Augustinus dicit,
XIV de Civit. Dei, quod recta voluntas est caritatis. Sed recta voluntas
praecedit spem. Ergo caritas praecedit spem.
7. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XIV,
que la volontй droite relиve de la charitй. Or, la volontй droite prйcиde
l’espйrance. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66590] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 8 Praeterea, eorum quae sunt
simul, unum non est prius altero. Sed fides, spes et caritas sunt simul :
quia, sicut Gregorius dicit super Ezech., aequaliter ab homine habentur. Ergo
spes non est prior caritate.
8. Dans les choses simultanйes, l’une ne
prйcиde pas l’autre. Or, la foi, l’espйrance et la charitй sont simultanйes,
car, comme le dit Grйgoire dans son commentaire sur Йzйchiel, elles sont
possйdйes йgalement par l’homme. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.
[66591] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 9 Praeterea, idem non est prius
seipso. Sed idem videtur esse spes caritati; cum utriusque sit unum obiectum,
scilicet summum bonum. Ergo spes non est prior caritate.
9. Une mкme chose n’est pas antйrieure а
elle-mкme. Or, l’espйrance semble кtre la mкme chose que la charitй, puisque
les deux n’ont qu’un seul objet, le Bien suprкme. L’espйrance ne prйcиde donc
pas la charitй.
[66592] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 10 Praeterea, Magister dicit, 26
dist. Lib. III sententiarum, quod spes ex meritis provenit, quae praecedunt
non solum rem speratam, sed spem quam praeit caritas. Ergo spes non est prior
caritate.
10. Le Maоtre dit, dans Sentences, III,
d. 26, que l’espйrance vient des mйrites, qui prйcиdent non seulement la
chose espйrйe, mais l’espйrance que la charitй prйcиde. L’espйrance ne
prйcиde donc pas la charitй.
[66593] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 11 Praeterea, spei opponitur
desperatio; caritati autem opponitur quodlibet peccatum mortale. Sed prius est quod homo incidat in peccatum mortale quam quod incidat
in desperationem. Ergo caritas est prior spe.
11. Le dйsespoir s’oppose а
l’espйrance ; mais tout pйchй mortel s’oppose а la charitй. Or, le fait
pour un homme de tomber dans le pйchй mortel prйcиde le fait qu’il tombe dans
le dйsespoir. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66594] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo habituum et actuum est secundum ordinem obiectorum.
Sed bonum, quod
est obiectum caritatis, est prius quam arduum, quod est obiectum spei, quia
arduum se habet ex additione ad bonum. Ergo
caritas est prior spe.
12. L’ordre entre les habitus et les actes
suit l’ordre entre les objets. Or, le bien, qui est l’objet de la charitй,
prйcиde ce qui est difficile, qui est l’objet de l’espйrance, car le fait
d’кtre difficile s’ajoute au bien. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66595] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 13 Praeterea,
quidquid nobilitatis convenit alicui incompleto in aliquo genere, convenit
etiam completo in genere illo. Sed manifestum est quod aliquis amor
incompletus praecedit spem. Ergo multo magis amor completus, qui est caritas,
spem praecedit.
13. Toute la noblesse qui convient а quelque
chose d’incomplet dans un genre, convient aussi а ce qui est complet dans ce
genre. Or, il est clair qu’un amour incomplet prйcиde l’espйrance. А bien
plus forte raison donc, l’amour complet, qui est la charitй, prйcиde-t-il
l’espйrance.
Cependant
:
[66596] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 1 Sed
contra. Est quod dicitur Matth. I, v. 2 : Abraham genuit Isaac; Isaac
autem genuit Iacob; Glossa : id est, fides genuit spem, spes caritatem.
Sed generans est
prius genito. Ergo spes est prior caritate.
1. La Glose dit а propos de
Mt 1, 2 : Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob :
«C’est-а-dire, la foi engendra l’espйrance, et l’espйrance la charitй. Or, ce
qui engendre est antйrieur а ce qui est engendrй. L’espйrance est donc
antйrieure а la charitй.
[66597] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea,
super illud Psal. XXXVI,
spera in Deo, et fac bonitatem, dicit Glossa : spes est introitus
ad fidem, et initium humanae salutis. Et sic videtur quod spes sit prior
fide. Sed prior est fides caritate. Ergo et spes.
2. La Glose dit, а propos de Ps 36 :
Espиre en Dieu et fais le bien : «L’espйrance est l’entrйe vers la foi et
le commencement du salut de l’homme.»Il semble ainsi que l’espйrance
prйcиde la foi. Or, la foi prйcиde la charitй. Donc, l’espйrance aussi.
[66598] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 3 Praeterea, apostolus dicit, I ad Timoth., cap. I, 5 : finis praecepti
caritas est de corde puro et conscientia bona; Glossa : id est spes.
Et sic videtur quod caritas procedat ex spe. Spes ergo est prior caritate.
3. L’apфtre dit en 1 Tm 1, 5 : La
fin du commandement est la charitй qui vient d’un cњur pur et d’une
conscience bonne. La Glose dit : «C’est-а-dire, l’espйrance.» Il semble
ainsi que la charitй vienne de l’espйrance. L’espйrance est donc antйrieure а
la charitй.
[66599] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Augustinus dicit X
de Trinit., quod nullus amat nisi id ad quod se sperat posse pervenire; et id
quod quis non sperat, aut non amat, aut tepide amat. Ergo amor praesupponit
spem.
4. Augustin dit, dans La Trinitй, X,
que «personne n’aime que ce а quoi il espиre parvenir, et ce que quelqu’un
n’espиre pas, il ne l’aime pas, ou bien il l’aime avec tiйdeur». L’amour
prйsuppose donc l’espйrance.
[66600] De
virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 5 Praeterea, prius est a quo non convertitur consequentia
subsistendi. Sed spes est huiusmodi; in statu enim viae quicumque habet
caritatem, habet spem; sed non convertitur. Ergo spes est prior caritate.
5. Est antйrieur ce а quoi une consйquence
ne peut pas кtre convertie. Or, l’espйrance est de cet ordre : en effet, dans
l’йtat de cheminement, quiconque possиde la charitй possиde l’espйrance, mais
non pas l’inverse. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.
Rйponse
:
[66601] De virtutibus, q. 4 a. 3 co. Respondeo.
Dicendum, quod prius dicitur aliquid, vel secundum rationem alicuius
principii, vel quia principio propinquius est. Sunt autem duo principia
intrinseca rei : materia, et forma; et secundum horum differentiam aliquid
dicitur dupliciter prius. Uno quidem modo est aliquid prius altero
perfectione, sicut actus potentia, et perfectum imperfecto : quae quidem
prioritas respondet principio formali. Alio vero modo est aliquid prius in
via generationis et temporis; et sic potentia est prior actu in eodem, et imperfectum
perfecto. Simpliciter autem et universaliter etiam tempore perfectum est
prius, quia imperfectum non movetur nisi ab aliquo praeexistenti perfecto;
hoc autem respondet materiali principio. Secundum igitur primum prioritatis
modum caritas est prior naturaliter spe; secundum autem modum secundum spes
in uno homine praecedit caritatem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omnes affectiones animae,
quae sunt quidam appetitivi motus, proportionantur motibus naturalibus, eo
quod motus naturalis ex inclinatione naturali procedit, quae dicitur
appetitus naturalis; et similiter motus affectionum animalium procedunt ex
inclinatione animalis, quae est appetitus animalis. In motibus autem
naturalibus invenimus, primo quidem, principium ipsius motus, quod est informatio
mobilis per suam formam non animalem, sicut cum generatur grave aut leve.
Secundo est motus naturalis, proveniens ex tali forma; sicut cum corpus
ascendit et descendit. Tertio vero est quies in proprio loco. Et similiter in
appetitu animali, primo quidem est informatio quaedam ipsius appetitus per
bonum; et hoc est amor, qui unit amatum amanti. Ex hoc autem secundo
sequitur, si bonum amatum sit distans, quod appetitus tendat in illud motu
desiderii vel spei. Tertio autem sequitur gaudium vel delectatio, quando
aliquis pertingit ad rem amatam. Sicut igitur motus et quies naturalis
provenit ex forma, ita omnis affectio animae provenit ex amore. Oportet
igitur quod secundum differentiam amoris attendatur differentia in caeteris
affectionibus animae. Est autem duplex amor : unus quidem imperfectus, alius
autem perfectus. Imperfectus quidem amor alicuius rei est, quando aliquis rem
aliquam amat non ut ei bonum in seipsa velit, sed ut bonum illius sibi velit;
et hic nominatur a quibusdam concupiscentia, sicut cum amamus vinum, volentes
eius dulcedine uti; vel cum amamus aliquem hominem propter nostram utilitatem
vel delectationem. Alius autem est amor perfectus, quo bonum alicuius in
seipso diligitur, sicut cum amando aliquem, volo quod ipse bonum habeat,
etiam si nihil inde mihi accedat; et hic dicitur esse amor amicitiae, quo
aliquis secundum seipsum diligitur; unde ista est perfecta amicitia, ut
dicitur in VIII Ethic. Caritas autem est non quicumque amor Dei, sed amor
perfectus, quo Deus in seipso diligitur. Ad hoc autem quod aliquis bonum
divinum secundum se diligat, inducitur ex bonis a Deo provenientibus, quae
sibi quis vult, et ex malis quae, Deo inhaerendo, vitat. Quantum ad
vitationem malorum, pertinet ad hunc amorem timor; quantum vero ad consecutionem
bonorum, pertinet ad sui amorem spes, quae est motus tendens in aliquid
adipiscendum, sicut dictum est. Unde utrumque horum secundum propriam
rationem derivatur ex imperfecto Dei amore. Et propter hoc in via
generationis et temporis sicut timor praecedit caritatem, et introducit ad
ipsam, ut Augustinus dicit super canonicam Ioan. : ita etiam et spes
introducit ad caritatem : dum aliquis per hoc quod sperat se aliquod bonum a
Deo consequi, ad hoc deducitur ut Deum propter se amet.
On dit qu’une chose est antйrieure soit
selon la raison d’un principe, soit en raison de sa proximitй par rapport au
principe. Or, il existe deux principes intrinsиques d’une chose : la matiиre
et la forme. Et, selon la diffйrence de ces deux [principes], on peut dire
qu’une chose est antйrieure de deux maniиres. D’une maniиre, on peut dire
qu’une chose est antйrieure а une autre par la perfection : cette perfection
rйpond au principe formel. D’une autre maniиre, une chose est antйrieure sur
la voie de la gйnйration et du temps : et ainsi, la puissance est antйrieure
а l’acte dans une mкme chose, et l’imparfait au parfait. Or, ce qui est
parfait est tout simplement et universellement antйrieur, mкme dans le temps,
car ce qui est imparfait n’est mы que par quelque chose d’antйrieur qui est
parfait : cela rйpond au principe matйriel. Selon le premier mode de
prioritй, la charitй est donc naturellement antйrieure а l’espйrance ;
selon le second mode, l’espйrance prйcиde la charitй chez un homme. Pour le
montrer, il faut savoir que tous les sentiments de l’вme, qui sont des
mouvements appйtitifs, sont proportionnйs aux mouvements naturels, du fait
que le mouvement naturel vient d’une inclination naturelle, qui est appelйe
appйtit naturel. De mкme, les mouvements affectifs des animaux procиdent-ils
d’une inclination de l’animal, qui est l’appйtit animal. Or, dans les
mouvements naturels, nous trouvons, en premier lieu, le principe du mouvement
mкme, qui est la forme donnйe а ce qui est mы par sa forme non animale, comme
lorsque quelque chose de lourd ou de lйger est engendrй. Deuxiиmement, il y a
le mouvement naturel provenant d’une telle forme, comme lorsque qu’un corps
monte et descend. Troisiиmement, il y a le repos dans son lieu propre. De la
mкme faзon, dans l’appйtit animal, il y a, premiиrement, la forme donnйe
а l’appйtit par un bien : et cela est l’amour, qui unit ce qui est aimй а ce
qui aime. De cela dйcoule, si le bien aimй est distant, que l’appйtit tend
vers lui par un mouvement de dйsir et d’espoir. Troisiиmement, il en dйcoule
une joie ou une dйlectation, lorsque quelqu’un parvient а la chose aimйe.
Ainsi donc, de mкme que le mouvement et le repos naturels viennent de la
forme, de mкme toute affection de l’вme provient de l’amour. Il est donc
nйcessaire que, selon la diffйrence de l’amour, on relиve une diffйrence dans
les autres affections de l’вme. Or, il existe un double amour : l’un
imparfait, l’autre parfait. L’amour imparfait d’une chose se produit lorsque
quelqu’un aime une chose, non pas parce qu’il lui veut du bien, mais parce
qu’il veut son bien pour lui-mкme. Certains l’appellent «concupiscence»,
comme lorsque nous aimons le vin, en voulant utiliser sa douceur, ou lorsque
nous aimons un homme pour notre utilitй ou notre plaisir. Il existe un autre
amour parfait, par lequel le bien de quelqu’un est aimй en lui-mкme, comme
lorsque j’aime quelqu’un, je veux qu’il ait un bien, mкme si rien ne m’en est
ajoutй. Cet amour s’appelle amour d’amitiй, par lequel quelqu’un est aimй
pour lui-mкme. C’est lа l’amitiй parfaite, comme il est dit dans Йthique,
VIII. Or, la charitй n’est pas un amour quelconque de Dieu, mais un amour
parfait, par lequel Dieu est aimй en lui-mкme. Mais pour que quelqu’un aime
le bien divin en lui-mкme, il est conduit par des biens qui viennent de Dieu,
que l’on aime pour soi-mкme, et par des maux que l’on йvite en adhйrant а
Dieu. Pour ce qui est de l’йvitement de maux, la crainte est en rapport avec
cet amour ; pour ce qui est de l’obtention de biens, l’espйrance se
rapporte а l’amour de soi, elle qui est un mouvement tendant vers l’obtention
de quelque chose, comme on l’a dit. Aussi ces deux choses, selon leur raison
propre, dйcoulent-elles d’un amour imparfait de Dieu. Pour cette raison, en
cours de gйnйration ou selon le temps, la crainte prйcиde-t-elle la charitй
et y fait-elle entrer, comme Augustin le dit en commentant la lettre
canonique de Jean ; de mкme, l’espйrance fait-elle entrer dans la
charitй, lorsque quelqu’un, du fait qu’il espиre obtenir de Dieu un bien, est
conduit а aimer Dieu pour lui-mкme.
Solutions :
[66602] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
sicut Ambrosius ibidem subdit, rursus in se quodam sancto circuitu
refunduntur, quia scilicet, cum aliquis ex spe iam ad caritatem introductus
fuerit, tunc etiam perfectius sperat, et castius timet, sicut etiam et
firmius credit. Et ideo quod dicit quod ex caritate est spes, non loquitur
quantum ad primam caritatis generationem, sed quantum ad secundam caritatis
refusionem; secundum quod iam nobis indita, facit nos et perfectius sperare
et credere.
1. Comme Ambroise l’ajoute plus loin au
mкme endroit, elles rejaillissent l’une sur l’autre comme en saint retour,
car lorsque quelqu’un est dйjа entrй dans la charitй а partir de l’espйrance,
il espиre alors encore plus parfaitement, et il craint avec plus de pudeur,
comme il croit aussi plus fermement. C’est pourquoi lorsqu’il dit que
l’espйrance vient de la charitй, il ne parle pas du premier engendrement de
la charitй, mais du second influx de charitй, selon que, dйjа infuse en nous,
elle nous fait espйrer et croire plus parfaitement.
[66603] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes
quae est ex meritis praecedentibus, non potest esse sine caritate, quae est
merendi principium. Sed spes informis, quae est sine meritis in actu, sed ex
meritis in proposito, est quidem sine caritate in actu, sed non sine caritate
in proposito.
2. L’espйrance qui se fonde sur des
mйrites antйrieurs ne peut exister sans la charitй, qui est le principe du
mйrite. Mais l’espйrance informe, qui ne produit pas de mйrites en acte, mais
s’appuie sur des mйrites en intention, existe sans la charitй en acte, mais
non sans la charitй en intention.
[66604] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
Augustinus ibi loquitur de bonis motibus et affectibus meritoriis; huiusmodi
enim ex caritate causantur.
3. Augustin parle en cet endroit des bons
mouvements et sentiments mйritoires. En effet, ceux-lа sont causйs par la
charitй.
[66605] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio
illa probat quod spes praesupponat aliquem amorem. Non tamen oportet quod
praesupponat amorem caritatis, sed amorem sui ipsius, quo quis optat bonum
divinum.
4. Cet argument prouve que l’espйrance
prйsuppose un certain amour. Toutefois, il n’est pas nйcessaire qu’elle
prйsuppose l’amour de charitй, mais l’amour de soi, par lequel quelqu’un se
souhaite а lui-mкme un bien divin.
5. Par lа ressort clairement la solution
aux cinquiиme et sixiиme arguments.
[66607] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
recta voluntas dicitur caritas causaliter; quia scilicet perfecta rectitudo
voluntatis non potest esse nisi ex caritate. Sed talis perfectio voluntatis
non praecedit spem informem.
7. La volontй droite s’appelle charitй par
maniиre de cause, car la parfaite rectitude de la volontй ne peut exister que
par la charitй. Mais une telle perfection de la volontй ne prйcиde pas
l’espйrance informe.
[66608] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
auctoritas Gregorii intelligitur de fide, spe et caritate secundum quod sunt
virtutes, quod non convenit fidei et spei nisi secundum quod formantur
caritate. Sed secundum quod sunt informes, quandoque praecedunt caritatem
tempore.
8. L’autoritй de Grйgoire s’entend de la
foi, de l’espйrance et de la charitй selon qu’elles sont des vertus, ce qui
ne convient а la foi et а l’espйrance que si elles reзoivent leur forme de la
charitй. Mais, selon qu’elles sont informes, elles prйcиdent parfois la
charitй dans le temps.
[66609] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod bonum
divinum, ut secundum se dilectum, est obiectum caritatis; sed sicut
adipiscendum, est obiectum spei : et propter hoc caritas a spe differt.
9. Le bien divin, selon qu’il est aimй en
lui-mкme, est l’objet de la charitй ; mais [aimй] pour кtre obtenu, il
est l’objet de l’espйrance. Pour cette raison, la charitй diffиre de
l’espйrance.
[66610] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si
spes sit informis, merita non praecedunt spem, sed rem speratam. Si autem
spes sit formata, sic merita praecedunt etiam spem; et hoc modo naturaliter
praecedit ipsam caritas.
10. Si l’espйrance est informe, les
mйrites ne prйcиdent pas l’espйrance, mais la chose espйrйe. Mais si
l’espйrance est formйe, alors les mйrites prйcиdent aussi l’espйrance. De
cette maniиre, la charitй la prйcиde-t-elle par nature.
[66611] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ea
quae sunt posteriora in compositione, sunt priora in resolutione; et ideo,
quia in via generationis spes praecedit caritatem, in via resolutionis, e
converso, culpa per quam amittitur caritas, praecedit desperationem, per quam
amittitur spes.
11. Ce qui est postйrieur par la
composition est antйrieur selon la rйsolution. C’est pourquoi, parce que
l’espйrance prйcиde la charitй en cours de gйnйration, en cours de
rйsolution, la faute par laquelle la charitй est enlevйe prйcиde le
dйsespoir, par lequel l’espйrance est enlevйe.
[66612] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
ratio illa concludit, quod amor universaliter sit prius quam spes, quia bonum
communiter sumptum, est obiectum amoris; non autem oportet quod caritas sit
prior spe.
12. Cet argument conclut que l’amour,
considйrй universellement, est antйrieur а l’espйrance, parce que le bien,
considйrй d’une maniиre gйnйrale, est l’objet de l’amour. Mais il n’est pas
nйcessaire que la charitй prйcиde l’espйrance.
[66613] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum,
quod praecedere in via generationis, non pertinet ad perfectionem; quia
secundum hanc viam imperfecta sunt perfectis priora.
13. Prйcйder en cours de gйnйration
n’appartient pas а la perfection, car, dans ce processus, ce qui est
imparfait prйcиde ce qui est parfait.
[66616] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 1 Sicut enim
spes est rei non habitae, quod videtur repugnare statui beatorum; ita etiam
desiderium est rei non habitae. Sed desiderium est in beatis, secundum illud
I Petri I, 12 : in quem desiderant Angeli prospicere. Ergo etiam spes
potest esse in beatis.
1. En effet, de mкme que l’espйrance porte
sur une chose non possйdйe, ce qui semble s’opposer а l’йtat des bienheureux,
de mкme le dйsir porte-t-il sur une chose non possйdйe. Or, il existe un
dйsir chez les bienheureux, selon ce que dit 1 P 1, 12 : Lui
que les anges dйsirent voir. L’espйrance peut donc exister chez les
bienheureux.
[66617] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea,
spes, cuius obiectum est bonum, est aliquid perfectius timore, cuius obiectum
est malum. Sed aliquis timor est in beatis, secundum illud Ps. XVIII, 10 : timor
domini sanctus permanet in saeculum. Ergo aliqua spes est etiam in
beatis.
2. L’espйrance, dont l’objet est un bien,
est quelque chose de plus parfait que la crainte, dont l’objet est un mal.
Or, il existe une crainte chez les bienheureux, selon ce passage de
Ps 18, 10 : La crainte du Seigneur demeure pour l’йternitй. Il
existe donc une espйrance chez les bienheureux.
[66618] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut adeptio
beatitudinis est quoddam bonum arduum, ita etiam et eius continuatio. Sed
antequam beatitudinem aliqui adipiscantur, sperant beatitudinis adeptionem.
Ergo etiam postquam sunt beatitudinem adepti, possunt sperare beatitudinis
continuationem.
3. De mкme que l’obtention de la bйatitude
est quelque chose de difficile, de mкme aussi sa continuation. Or, avant que
certains n’obtiennent la bйatitude, ils espиrent l’obtention de la bйatitude.
Mкme aprиs avoir obtenu la bйatitude, ils peuvent donc espйrer la
continuation de la bйatitude.
[66619] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 4 Praeterea, spes et desperatio
sunt in eodem. Sed desperatio potest esse de alio; unde mandatur nobis de
nemine esse desperandum in via. Ergo etiam spes potest esse de aliquo alio;
et ita, sancti qui sunt in patria, possunt sperare de aliis qui sunt in via,
quod ad beatitudinem perveniant.
4. L’espйrance et le dйsespoir portent sur
la mкme chose. Or, le dйsespoir peut porter sur quelqu’un d’autre : c’est
pourquoi il nous est ordonnй de ne dйsespйrer de personne aussi longtemps
qu’il est en route. Mкme l’espйrance peut donc porter sur quelqu’un d’autre.
Et ainsi, les saints qui sont dans la patrie peuvent espйrer que les autres
qui sont en route [in via]parviennent а la bйatitude.
[66620] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod sperare beatitudinem alterius, non pertinet ad
virtutem spei. – Sed
contra, sicut spes est virtus theologica, ita et caritas. Sed eadem virtute
caritatis, homo diligit se et proximum. Ergo eadem virtute spei sperat homo
vitam aeternam sibi et aliis; et sic, cum boni sperent vitam aeternam aliis,
videtur quod in eis sit virtus spei.
5. Espйrer la bйatitude d’un autre ne
relиve pas de la vertu d’espйrance. – Mais, en sens contraire, de mкme que
l’espйrance est une vertu thйologale, de mкme en est-il de la charitй. Or,
l’homme s’aime lui-mкme et son prochain par la mкme vertu de charitй. L’homme
espиre donc par la mкme vertu d’espйrance la vie йternelle pour lui et pour
les autres. Et ainsi, lorsque les bons espиrent la vie йternelle pour les
autres, il semble qu’existe chez eux la vertu d’espйrance.
[66621] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 6 Praeterea,
oratio ex virtute spei procedit, secundum illud Ps. XXXVI, 5 : revela domino
viam tuam, et spera in eo; et ipse faciet. Sed sanctis qui sunt in patria
convenit orare; et de hoc rogamus eos dicentes orate pro nobis, omnes
sancti Dei. Ergo in eis potest esse etiam spes.
6. La priиre vient de la vertu
d’espйrance, selon ce que dit Ps 36, 5 : Montre au Seigneur ta
voie et espиre en lui : lui-mкme agira. Or, il convient aux saints qui
sont dans la patrie de prier, et nous le leur demandons en disant : «Priez
pour nous, tous les saints de Dieu.» L’espйrance peut donc aussi exister en
eux.
[66622] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 7 Praeterea, idem est principium
movendi ad terminum, et quiescendi in termino. Sed
spes est principium motus in beatitudinem, secundum illud Hebr. VI, 19 : qui
spem habemus incedentem, id est incedere facientem, usque ad interiora
velaminis. Ergo etiam spes est principium quiescendi in beatitudine; et
ita oportet quod beatis insit spes.
7. C’est le mкme principe qui meut vers un
terme et qui se repose dans le terme. Or, l’espйrance est le principe du
mouvement vers la bйatitude, selon ce passage de He 6, 19 : Qui
nous donne l’espйrance d’avancer, c’est-а-dire qui nous fait avancer, jusqu’а
l’intйrieur du voile. L’espйrance est donc aussi le principe du repos
dans la bйatitude. Et ainsi, il est nйcessaire que l’espйrance existe chez
les bienheureux.
[66623] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 8 Praeterea, Isidorus dicit, quod
spe et fide nitet iustitia; et Augustinus dicit in Enchiridion, quod qui
recte vivit, recte credit et recte sperat. Sed iustitia est in patria, et
vitae rectitudo; secundum illud Is., LX, v. 21 : populus tuus omnes iusti.
Ergo etiam in patria est fides et spes.
8. Isidore dit que la justice repose sur
l’espйrance et la foi ; et Augustin dit, dans l’Enchiridion, que
«celui qui vit correctement, croit correctement et espиre correctement». Or,
la justice se trouve dans la patrie, ainsi que la rectitude de la vie, selon
ce que dit Is 60, 21 : Ton peuple, tous les justes. La foi
et l’espйrance existent donc aussi dans la patrie.
[66624] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 9 Praeterea, certitudo perpetuae
permansionis in beatitudine requiritur ad beatitudinem. Et quia haec defuit
Angelis ante confirmationem vel lapsum, non fuerunt perfecte beati, ut Augustinus
dicit. Sed certitudo expectationis beatitudinis pertinet ad
virtutem spei. Ergo in beatis est spes.
9. La certitude de toujours demeurer dans
la bйatitude est une exigence de la bйatitude. Et parce que cela manquait aux
anges avant leur confirmation ou leur chute, ils n’йtaient pas parfaitement
bienheureux, comme le dit Augustin. Or, la certitude de la bйatitude relиve
de la vertu d’espйrance. L’espйrance existe donc chez les bienheureux.
[66625] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 10 Praeterea, quae corrupta sunt bona, ipsa sunt mala, secundum
philosophum. Si igitur spes quae est in viatoribus, corrumpatur per
beatitudinem, quae est summum bonum hominis, videtur quod spes sit malum;
quod est inconveniens, cum spes sit virtus, ut dictum est art. 1 huius quaest.
10. Les biens qui ont йtй corrompus sont
des maux, selon le Philosophe. Si donc l’espйrance qui existe chez ceux qui
sont en route est corrompue par la bйatitude, qui est le bien suprкme de
l’homme, il semble que l’espйrance soit un mal, ce qui ne convient pas
puisque l’espйrance est une vertu, comme on l’a dit dans l’article 1 de la
prйsente question.
[66626] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 11 Praeterea, actus virtutis videtur esse non solum facere vel velle
facere, quod ad virtutem pertinet, quando facultas adest; sed etiam velle
facere, si facultas adesset. Actus enim iustitiae est velle reddere pecuniam debitam, etiam si
eam quis non possit habere. Sed sancti qui sunt in patria, sic sunt
dispositi, quod vellent beatitudinem expectare, etiam si eam non haberent.
Ergo in eis est actus spei. Sed actus procedit ab habitu. Ergo in eis est
virtus spei.
11. L’acte de la vertu ne consiste pas
seulement а faire ou а vouloir faire ce qui relиve de la vertu, lorsque cela
est possible, mais aussi а vouloir le faire si cela йtait possible. En effet,
l’acte de justice consiste а vouloir rendre l’argent dы, mкme si quelqu’un ne
peut l’avoir. Or, les saints dans la patrie sont ainsi disposйs qu’ils
voudraient attendre la bйatitude, mкme s’ils ne la possйdaient pas. Il existe
donc aussi en eux un acte d’espйrance. Or, l’acte procиde de l’habitus. La
vertu d’espйrance existe donc chez eux.
[66627] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 12 Praeterea, Anselmus dicit in
libro de similitudinibus, quod in sanctis post resurrectionem erit tanta
fortitudo, quod poterunt terram movere; non quod eam sint moturi, vel aliquid
huiusmodi, omnibus optime collocatis, sed propter eorum perfectionem. Ergo, a
simili, habitus spei, quae est quaedam perfectio animae, poterit esse in
beatis, quamvis actus spei ibi locum non habeat.
12. Anselme dit, dans le livre Sur les
similitudes, qu’il y aura chez les saints aprиs la rйsurrection une telle
force qu’ils pourront dйplacer la terre : non pas qu’ils la dйplaceront ou
quelque chose de ce genre, toutes choses йtant bien placйes, mais en raison
de leur perfection. Par un raisonnement semblable, l’habitus d’espйrance, qui
est une perfection de l’вme, pourra donc exister chez les bienheureux, bien
que l’acte d’espйrance n’y ait pas sa place.
[66628] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 13 Praeterea,
divina bonitas non est maior quam divina maiestas. Sed caritas, cuius
obiectum est divina bonitas, manet in patria. Ergo et spes, cuius obiectum est divina maiestas.
13. La bontй divine n’est pas plus grande
que la majestй divine. Or, la charitй, dont l’objet est la bontй divine,
demeure dans la patrie. C’est donc aussi le cas de l’espйrance, dont l’objet
est la majestй divine.
[66629] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 14 Praeterea, destructo fundamento
et pariete, destruitur tectum. Sed in aedificio spirituali fides se habet ut
fundamentum; spes autem quae erigit, se habet per modum parietis. Si ergo a
beatis abstrahatur fides et spes, non poterit remanere caritas, quae operit
per modum tecti; quod est inconveniens, quia caritas nunquam excidit,
ut apostolus dicit, 1 Cor., XIII, 8.
14. Si l’on dйtruit le fondement et le
mur, le toit est dйtruit. Or, dans l’йdifice spirituel, la foi est comme le
fondement ; mais l’espйrance qui йlиve est comme le mur. Si donc la foi
et l’espйrance sont soustraites aux bienheureux, la charitй, qui couvre а la
maniиre d’un toit, ne pourra pas demeurer, ce qui est inaccpetable, car la
charitй ne disparaоt jamais, comme le dit l’Apфtre en
1 Co 13, 8.
[66630] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 15 Praeterea, quicumque expectat
aliquid per quod, cum habitum fuerit, eius appetitus quietatur, videtur
sperare illud. Sed animae beatorum expectant gloriam corporis, qua habita,
eorum appetitus quietatur, ut Augustinus dicit XII super Genes. ad Litt. Ergo
in eis est virtus spei.
15. Quiconque attend quelque chose qui
apaisera son appйtit lorsqu’il le possйdera, semble l’espйrer. Or, les вmes
des bienheureux attendent la gloire du corps ; lorsqu’elle sera
possйdйe, leur appйtit sera apaisй, comme Augustin le dit dans le Commentaire
littйral de la Genиse, XII. La vertu d’espйrance existe donc chez eux.
[66631] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 16 Praeterea, Christus a primo
instanti suae conceptionis fuit perfectus comprehensor. Sed Christus habuit
spem : ex eius enim persona dicitur in Psalm. LXX, 1 : in te, domine,
speravi ut Glossa exponit. Ergo in beatis potest esse spes.
16. Le Christ, dиs le premier instant de
sa conception, a йtй un parfait comprehensor [voir IIIa, q.
15, a. 10, c, et Trois opuscules sur la vie religieuse mendiante, notes
43-44]. Or, le Christ avait l’espйrance : en effet, il est dit de lui dans
Ps 70, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espйrй, comme la Glose
l’explique. L’espйrance peut donc exister chez les bienheureux.
Cependant
:
[66632] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 1 Sed
contra. Est quod
dicitur Roman., cap. VIII, 24 : quod videt quis, quid sperat? Sed
sancti fruuntur plena Dei visione, ergo in eis non est spes.
1. Il est dit en Rm 8, 24 : Ce
qu’on voit, est-ce qu’on l’espиre ? Or, les saints jouissent de la
pleine vision de Dieu. Il n’y a donc pas d’espйrance en eux.
[66633] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus, I ad
Cor., XIII, 13, probat caritatem esse maiorem fide et spe : quia caritas non
excidit; fides autem et spes evacuabuntur, cum venerit quod perfectum est.
Sed illud perfectum est status beatitudinis. Ergo fides et spes non remanent
in statu beatitudinis.
2. En 1 Co 13, 13, l’Apфtre
montre que la charitй est plus grande que la foi et l’espйrance, car la
charitй ne meurt pas, mais la foi et l’espйrance disparaissent, lorsque ce
qui est parfait arrive. Or, ce qui est parfait est l’йtat de la bйatitude. La
foi et l’espйrance ne demeurent donc pas dans l’йtat de bйatitude.
[66634] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Augustinus dicit in
Lib. de bono coniugali : habitus est quo aliquid agitur cum opus est; et
si non agitur, potest agi. Ex quo accipitur, quod ubi non potest esse
actus, ibi non est habitus. Sed in patria non potest esse actus spei, qui
respicit beatitudinem non habitam. Ergo ibi non potest esse habitus spei.
3. Augustin dit, dans le livre Sur le
bien conjugal : «L’habitus est ce par quoi on fait quelque chose, lorsque
cela est nйcessaire ; et si on ne le fait pas, on peut le faire.» On
comprend par cela que lа oщ ne peut exister l’acte, lа n’existe pas
l’habitus. Or, dans la patrie, il ne peut exister d’acte d’espйrance, qui a
pour objet la bйatitude non acquise. Il ne peut donc y exister d’habitus de
l’espйrance.
Rйponse :
[66635] De virtutibus, q. 4 a. 4 co. Respondeo.
Dicendum, quod remoto eo a quo res aliqua habet speciem, consequens est ut
species rei solvatur; sicut remota forma substantiali a corporibus
naturalibus, non remanent specie eadem. Sicut autem forma in rebus
naturalibus dat speciem, ita et in moralibus obiectum dat speciem actui, et
per consequens habitui; et ideo sublato principali obiecto alicuius habitus,
non potest remanere habitus. Spei autem obiectum, si spes absolute consideratur, est bonum
arduum futurum possibile, ut supra, art. 1 huius quaest., dictum est. Unde si
cesset aliquid esse bonum, vel esse futurum, vel esse arduum, vel esse
possibile, cessabit spes secundum communem rationem spei. Spei autem,
secundum quod est virtus theologica, obiectum formale est auxilium divinum, cui
inhaeret : et quamvis sub hoc formali obiecto multa materialia sperata
comprehendantur, unum tamen est principale, et alia sunt secundaria vel
adiuncta. Quod quidem potest accipi dupliciter. Uno modo ex parte
rei speratae : alio modo ex parte hominis sperantis. Ex parte quidem rei
speratae principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica, est
plena Dei fruitio, quae beatum facit : alia vero sub spe cadunt in ordine ad
hunc finem, sive sint spiritualia, sive temporalia bona. Ex parte vero sperantis,
principale obiectum est quod aliquis beatitudinem speret sibi; secundarium
vero est quod speret eam aliis in quantum sunt quodam modo unum cum ipso, et
bonum eorum desiderat et sperat sicut et suum. Manente igitur obiecto
principali, scilicet quod bonum arduum, quod est beatitudo, sit futurum, et
possibile haberi respectu eius qui sperat, manet virtus spei; et per hanc
virtutem spei sperat aliquis non solum futuram beatitudinem, sed etiam alia
ad hoc ordinata; et per eamdem spei virtutem sperat aliquis beatitudinem
aliis, et quaecumque in beatitudinem ordinantur. Sed si subtrahatur
principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica; ita, scilicet,
quod beatitudo aeterna iam non sit futura, sed habita, cessat species huius
virtutis; unde non est in beatis spes quae est virtus theologica. Possunt
autem sancti aliqua sperare inhaerendo divino auxilio, vel ad se vel ad alios
pertinentia, secundum communem rationem spei; non autem secundum propriam
rationem spei quae est theologica virtus. Et huius exemplum e contrario in
malis accipi potest. Caritatis enim principale obiectum est Deus : unde,
quamdiu aliquis diligit Deum, per eamdem virtutem caritatis diligit etiam
proximum in Deo. Sed si desinat diligere Deum, poterit quidem diligere
proximum secundum naturam, non tamen per virtutem caritatis, cuius species
solvitur remoto principali obiecto.
Si l’on enlиve ce par quoi une chose a son
espиce, il en dйcoule que l’espиce de la chose disparaоt : ainsi, si la forme
substantielle est enlevйe des corps naturels, ils ne demeurent pas de la mкme
spиce. Or, de mкme que la forme, dans les choses naturelles, donne l’espиce,
de mкme, dans les choses morales, l’objet donne son espиce а l’acte et, par
consйquent, а l’habitus. C’est pourquoi un habitus ne peut pas demeurer si
l’objet principal de l’habitus est enlevй. Or, l’objet de l’espйrance, si
l’on envisage l’espйrance d’une maniиre absolue, est un bien difficile futur
possible, comme on l’a dit plus haut, dans l’article 1 de la prйsente
question. Si quelque chose cesse d’кtre bon, difficile ou possible,
l’espйrance cesse donc, selon la raison commune d’espйrance. Or, selon
qu’elle est une vertu thйologale, l’objet formel de l’espйrance est l’aide
divine а laquelle elle adhиre : et bien que, sous cet objet formel, beaucoup
de choses espйrйes а titre de matiиre soient comprises, une seule est
cependant principale, et les autres sont secondaires ou associйes. Mais cela
peut s’entendre de deux maniиres : d’une maniиre, du point de vue de la chose
espйrйe; d’une autre maniиre, du point de l’homme qui espиre. Du point de vue
de la chose espйrйe, l’objet principal de l’espйrance, selon qu’elle est une
vertu thйologale, est la pleine jouissance de Dieu, qui fait le bienheureux;
les autres choses relиvent de l’espйrance selon leur ordre а cette fin, qu’il
s’agisse de biens spirituels ou qu’il s’agisse de biens temporels. Du point
de vue de celui qui espиre, l’objet principal est que quelqu’un espиre pour
lui-mкme la bйatitude; mais l’objet secondaire est qu’il l’espиre pour les
autres dans la mesure oщ ils ne forment de quelque faзon qu’un avec lui-mкme,
et il dйsire et espиre leur bien comme le sien. Si l’objet principal demeure,
а savoir que l’objet difficile qu’est la bйatitude soit а venir et soit
possible du point de vue de celui qui espиre, la vertu d’espйrance demeure
et, par cette vertu d’espйrance, quelqu’un espиre non seulement la bйatitude
а venir, mais aussi les autres choses qui lui sont ordonnйes. Et, par la mкme
vertu d’espйrance, quelqu’un espиre la bйatitude pour les autres et tout ce
qui est ordonnй а la bйatitude. Mais si on enlиve l’objet principal de
l’espйrance, selon qu’elle est une vertu thйologale, de telle sorte que la
bйatitude йternelle ne soit plus а venir, mais possйdйe, l’espиce de cette vertu
cesse. En consйquence, l’espйrance qui est une vertu thйologale n’existe pas
chez les bienheureux. Mais les saints peuvent espйrer certaines choses en
adhйrant а l’aide divine, qu’elles les concernent ou en concernent d’autres,
selon la raison commune d’espйrance, mais non selon la raison propre de
l’espйrance qui est une vertu thйologale. L’exemple peut en кtre saisi en
sens contraire chez les mйchants. En effet, l’objet principal de la charitй
est Dieu; aussi longtemps que quelqu’un aime Dieu, il aime donc aussi son
prochain en Dieu par la mкme vertu de charitй. Mais s’il cesse d’aimer Dieu,
il pourra aimer son prochain selon la nature, non pas cependant par la vertu
de charitй, dont l’espиce est dissoute par la disparition de son objet
principal.
Solutions
:
[66636] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod desiderium ibi ponitur non quidem proprie,
secundum quod est rei futurae, sed secundum quod excludit fastidium; per
modum quo Eccli. XXIV,
v. 29, dicitur : qui edunt me, adhuc esurient.
1. Il est ici question de dйsir non pas au
sens propre, selon qu’il porte sur une chose а venir, mais selon qu’il йcarte
le dйgoыt, а la maniиre dont parle Si 24, 29 : Ceux me mangent
auront encore faim.
[66637] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
timor est respectu mali. Sub malo autem comprehendi potest omnis defectus.
Est autem triplex hominis defectus. Unus quidem poenae; et hunc quidem
principaliter respicit timor servilis. Alius autem est defectus culpae; et
hunc defectum respicit timor filialis vel castus, secundum quod est in statu
viae, in quo peccare possumus. Neutro autem modo erit timor in patria,
sublata potestate culpae et poenae; secundum illud Prov., I, 33 : abundantia
perfruetur, malorum timore sublato. Est autem tertius defectus naturalis,
secundum quod quaelibet creatura in infinitum distat a Deo; qui defectus
nunquam tolletur; et hunc defectum respicit timor reverentialis qui erit in
patria : qui reverentiam exhibebit suo creatori ex consideratione maiestatis eius,
in propriam desiliens parvitatem. Sed obiectum spei, quod est beatitudinem
esse futuram, tolletur, ea superveniente, et ideo spes non remanebit.
2. La crainte porte sur le mal, Or, sous
le mal, on peut inclure toute carence. Or, il y a un triple carence chez
l’homme. L’une, celle de la peine : c’est sur celle-ci que porte
principalement la crainte servile. La deuxiиme est la carence de la faute :
c’est sur cette carence que porte la crainte filiale ou pure, selon qu’elle
existe dans l’йtat de cheminement, oщ nous pouvons pйcher. La crainte
n’existera d’aucune de ces deux faзons dans la patrie, puisque la capacitй de
pйcher ou celle de subir une peine seront йcartйes, selon ce que dit
Pr 1, 33 : On jouira de l’abondance, alors que la crainte du mal
sera йcartйe. Mais il existe une troisiиme carence naturelle, selon
laquelle toute crйature diffиre infiniment de Dieu, carence qui ne sera
jamais enlevйe. C’est sur cette carence que porte la crainte rйvйrentielle
qui existera dans la patrie : elle manifestera de la rйvйrence а son crйateur
en raison de sa majestй, en reconnaissant sa propre petitesse. Mais l’objet
de l’espйrance, qui consiste en ce que la bйatitude soit а venir, sera йcartй
lorsque celle-ci surviendra. C’est pourquoi l’espйrance ne demeurera pas.
[66638] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod continuatio beatitudinis non habet rationem futuri :
quia in quantum aliquis homo fit beatus, aeternitatem participat, in qua non
est praeteritum et futurum; unde in beatitudine illa dicitur vita aeterna.
Dato etiam quod haberet rationem futuri, non habet rationem ardui respectu
eius qui iam beatitudinem obtinet. Ex hoc enim ipso accepit non solum
facultatem, sed etiam necessitatem quamdam nunquam peccandi, sed semper
permanendi. Et ideo totaliter tollitur ratio spei.
3. La continuation de la bйatitude n’a pas
raison d’а venir, car, pour autant qu’un homme devient bienheureux, il
participe а l’йternitй, dans laquelle il n’y a ni passй ni futur. Aussi
dit-on que cette bйatitude sera la vie йternelle. Mais en supposant qu’elle
aurait raison d’а venir, elle n’a pas raison de difficile du point de vue de
celui qui possиde dйjа la bйatitude. En effet, par le fait mкme, il n’a pas
reзu seulement la capacitй, mais aussi une certaine nйcessitй de ne jamais
pйcher, mais de toujours persйvйrer. C’est pourquoi la raison d’espйrance est
totalement йcartйe.
4. Cet argument vient de ce qui relиve de
l’espйrance non pas principalement, mais de maniиre secondaire.
[66640] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
quamdiu remanet principale obiectum spei, eadem virtute spei sperat aliquis
bona sibi et aliis; sed remoto principali obiecto, potest quidem aliis
sperare aliquo modo, sed non secundum virtutem spei.
5. Aussi longtemps que demeure l’objet
principal de l’espйrance, c’est par la mкme vertu d’espйrance que quelqu’un
espиre des biens pour lui-mкme et pour d’autres. Mais, une fois йcйartй
l’objet principal, il peut espйrer pour les autres d’une certaine maniиre,
mais non selon la vertu d’espйrance.
[66641] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod eo
modo convenit sanctis orare sicut et sperare; non quidem per virtutem spei,
quae ponitur theologica virtus.
6. Il convient aux sasints de prier comme
il leur convient d’espйrer, mais non en raison de la vertu d’espйrance, dont
on affirme qu’elle est une vertu thйologale.
[66642] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si
accipiatur primum principium movens ad terminum, verum est idem esse
principium motus ad terminum, et quietis in termino. Sed si accipiatur
aliquid secundarium et instrumentale; quaedam sunt principia motus, quae
cessant, cum perventum fuerit ad terminum, sicut navis cessat, et impulsio
venti, cum perventum fuerit ad portum. Et hoc modo caritas, quae est primum
movens, manet in termino beatitudinis, non autem spes, quae est secundarium
principium appropriatum motui.
7. Si l’on prend le premier principe qui
meut vers le terme, il est vrai que le principe du mouvement vers le terme et
du repos dans le terme est le mкme. Mais si l’on prend un principe secondaire
et instrumental, certains sont principes du mouvement, qui cessent lorsque
qu’on sera parvenu au terme, comme le navire s’arrкte et la poussйe du vent,
lorsqu’on est parvenu au port. De cette maniиre, la charitй, qui est un
moteur premier, demeure dans la bйatitude, mais non pas l’espйrance, qui est
un principe secondaire rattachй au mouvement.
[66643] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
auctoritates illae loquuntur de iustitia et rectitudine vitae, secundum
statum praesentis vitae, quo moventur ad rectitudinem.
8. Ces autoritйs parlent de la justice et
de la rectitude de la vie selon l’йtat de la vie prйsente, par quoi ils sont
mus а la rectitude.
[66644] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod
certitudo quae est in beatis de perpetua stabilitate, non est per aliquid quod
expectetur futurum, sed per id quod iam acceperunt; unde non pertinet ad
rationem spei.
9. La certitude qui existe chez les
bienheureux а propos de leur stabilitй perpйtuelle ne vient pas de quelque
chose qui est attendu dans l’avenir, mais du fait qu’ils l’ont dйjа reзu.
Elle ne relиve donc pas de la raison de l’espйrance.
[66645] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod,
sicut philosophus dicit in III Physic., in motibus accipiuntur magis et minus
loco contrariorum, ut magis et minus album loco albi et nigri; et similiter
magis et minus bonum loco boni et mali. Sic igitur beatitudo superveniens
evacuat spem, non sicut bonum malum, sed minus bonum; sicut iuventus
pueritiam.
10. Comme le Philosophe le dit dans Physique,
III, dans les mouvements, on prend le plus et le moins а la place des
contraires, comme le plus ou moins blanc а la place du blanc et du noir. De
mкme en est-il pour le plus ou moins bon а la place de ce qui est bon et de
ce qui est mauvais. De mкme, lorsqu’elle survient, la bйatitude йvacue
l’espйrance, non pas comme un bien mauvais, mais comme quelque chose de moins
bon, comme la jeunesse йvacue l’enfance.
[66646] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod
obiectum alicuius virtutis potest deesse dupliciter. Uno modo, cum
possibilitate habendi; et sic etiam obiecto non habito potest esse actus
virtutis et virtus, sub hac conditione, si facultas adesset. Alio modo, cum
impossibilitate habendi : et sic nec habitus nec actus manet : frustra enim
remaneret. Et hoc modo tollitur obiectum spei in patria; quia nunquam de
cetero erit possibile beatitudinem esse futuram.
11. L’objet d’une vertu peut faire dйfaut
de deux maniиres. D’une maniиre, lorsque demeure la possibilitй de le
possйder : et ainsi, alors que l’objet n’est pas possйdй, il peut y avoir un
acte de vertu et une vertu, а la condition que la possibilitй existe. D’une
autre maniиre, lorsqu’il y a impossibilitй de le possйder : et ainsi, ni
l’habitus ni l’acte ne demeurent, car ils demeureraient en vain. Et de cette
maniиre, l’objet de l’espйrance est йcartй dans la patrie, car il ne sera
plus jamais possible que la bйatitude soit а venir.
[66647] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
fortitudo illa quae erit in sanctis, non erit consequens ex principio
praeexistenti, id est ex perfecta inhaesione ad omnipotentem Deum; non autem
erit ordinata ut ad finem, sed magis finem consequens, ut dictum est. Et ideo
non est similis ratio de spe, quae non datur nisi propter motum in finem.
12. Cette force qui existera chez les
saints ne dйcoulera pas d’un principe prйexistant, а savoir, de la parfaite
adhйsion au Dieu tout-puissant : elle ne sera pas ordonnйe а la fin, mais
plutфt а ce qui dйcoule de la fin, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’en
va pas de mкme pour l’espйrance, qui n’est donnйe qu’en vue du mouvement vers
la fin.
[66648] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum,
quod maiestas Dei non est minor quam eius bonitas. Sed caritas alio modo, se
habet ad bonitatem quam spes ad maiestatem; quia caritas de sui ratione
importat unionem, et ideo perficitur in patria. Spes autem importat
distantiam, quae repugnat statui patriae.
13. La majestй de Dieu n’est pas moindre
que sa bontй. Mais le rapport de la charitй а sa bontй est diffйrent de celui
de l’espйrance а sa majestй, car la charitй comporte par elle-mкme l’union;
aussi s’accomplit-elle dans la patrie. Mais l’espйrance comporte une
distance, qui s’oppose а l’йtat de la patrie.
[66649] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod fides et spes habent rationem fundamenti vel parietis ex parte eius quod
est perfectionis in eis : scilicet ex eo quod fides inhaeret primae veritati,
spes autem summae maiestati; non autem ex hoc quod est imperfectionis in utraque
: in quantum, scilicet, fides est non apparentium, et spes non habitorum. Et
ideo in statu perfectae beatitudinis, quando caritas, quae nihil de sui
ratione imperfectionis importat, perficietur, fidei succedet perfectius
fundamentum, scilicet visio aperta; et spei perfectior paries, scilicet
comprehensio plena, secundum illud 1 Cor. IX, 24 : sic currite ut
comprehendatis.
14. La foi et l’espйrance ont raison de
fondement ou de mur du point de vue de ce qui relиve en elles de la
perfection, а savoir, du fait que la foi adhиre а la vйritй premiиre, et
l’espйrance а la majestй suprкme; mais non en raison de ce qu’il y
d’imperfection dans les deux, pour autant que la foi porte sur des choses qui
ne sont pas йvidentes et l’espйrance sur des choses qui ne sont pas
possйdйes. C’est pourquoi, dans l’йtat de bйatitude parfaite, alors que la
charitй, qui ne comporte rien d’imparfait selon sa raison propre, sera
perfectionnйe, succйdera а la foi un fondement plus parfait, а savoir, la
claire vision, et а l’espйrance un mur plus parfait, а savoir, la pleine
saisie, selon ce que dit 1 Co 9, 24 : Courez afin de
saisir!
[66650] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum,
quod gloria corporis derivatur in sanctis a gloria animae; et ideo habentibus
gloriam animae, quae est potior, gloria corporis non habet rationem ardui.
15. La gloire du corps dйcoule chez les
saints de la gloire de l’вme. C’est pourquoi, pour ceux qui possиdent la
gloire de l’вme, qui est plus puissante, la gloire du corps n’est pas difficile.
[66651] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod
Christus speravit secundum communem rationem spei, non autem habuit spem quae
est virtus theologica, quia beatitudo non erat ei futura, sed praesens.
16. Le Christ a espйrй selon la raison
commune d’espйrance, mais il n’a pas possdй l’espйrance qui est une vertu
thйologale, car la bйatitude n’йtait pas pour lui а venir, mais prйsente.
Article 1 – La justice, la prudence, la
force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?
Article
2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les
possйderait toutes ?
Article 3 – Toutes les vertus sont-elles
йgales dans l’homme ?
Article
4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ?
Articulus 1 –
[66656] De virtutibus, q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum istae
sint quatuor virtutes cardinales, scilicet iustitia, prudentia, fortitudo et
temperantia
[66658] De virtutibus, q.
5 a. 1 arg. 1 Ea enim
quae non distinguuntur ad invicem, non debent ad invicem connumerari; quia
distinctio est causa numeri, ut dicit Damascenus. Sed praedictae virtutes non
distinguuntur ad invicem; dicit enim Gregorius in XXII Moral. : prudentia
vera non est, quae iusta et temperans et fortis non est; nec perfecta
temperantia, quae fortis, iusta et prudens non est; neque fortitudo integra,
quae prudens, temperans et iusta non est; nec vera iustitia, quae prudens,
fortis et temperans non est. Ergo non debent dici hae quatuor virtutes
cardinales.
Il semble que non.
1. Les choses qui ne sont pas mutuellement
distinctes ne doivent pas кtre comptйes sйparйment l’une de l’autre, parce
que la distinction est cause du nombre, comme le dit [saint Jean] Damascиne.
Or, les vertus mentionnйes ne se distinguent pas l’une de l’autre. En effet,
Grйgoire dit, au livre XXII des Morales
sur Job : « La prudence n’est pas vraie si elle n’est pas juste,
tempйrante et forte ; ni la tempйrance parfaite si elle n’est pas forte,
juste et prudente ; ni la force complиte si elle n’est pas prudente,
tempйrante et juste ; ni la justice vraie si elle n’est pas prudente,
forte et tempйrante. » Ces quatre vertus ne doivent donc pas кtre
appelйes cardinales.
[66659]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes videntur dici cardinales, ex eo
quod sunt aliis principaliores; unde quas quidam cardinales, aliquando
principales vocant, ut patet per Gregorium, XXII Moralium. Sed cum finis
principalior sit his quae sunt ad finem; principaliores esse videntur
virtutes theologicae, quae habent ultimum finem pro obiecto, quam praedictae
virtutes, quae sunt circa ea quae sunt ad finem. Ergo non debent dici
praedictae quatuor virtutes cardinales.
2. Les vertus
semblent кtre appelйes cardinales parce qu’elles l’emportent sur les autres.
C’est pourquoi certains les appellent cardinales, parfois principales, comme
l’йcrit Grйgoire au livre XXII des Morales
sur Job. Mais comme la fin l’emporte sur ce qui tend vers la fin, les
vertus thйologales, qui ont pour objet la fin ultime, semblent l’emporter sur
les vertus mentionnйes, qui concernent ce qui tend vers la fin. Les quatre
vertus mentionnйes ne doivent donc pas кtre appelйes cardinales.
[66660] De virtutibus, q.
5 a. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt diversorum generum, non debent poni in
una coordinatione. Sed prudentia est in genere virtutum intellectualium, ut
patet in VI Ethic. : aliae vero tres sunt virtutes morales. Ergo inconvenienter ponuntur praedictae quatuor virtutes cardinales.
3. Les choses
qui appartiennent а des genres divers ne doivent pas кtre mises en
coordination. Mais la prudence appartient au genre des vertus
intellectuelles, comme il est dit au livre VI de l’Йthique; quant aux trois autres, ce sont des
vertus morales. Il ne convient donc pas de faire des quatre vertus
mentionnйes des [vertus] cardinales.
[66661]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, inter intellectuales virtutes sapientia
est principalior quam prudentia, ut philosophus probat in VI Ethic.; quia
sapientia est de divinis, prudentia autem est de humanis. Si igitur debuit aliqua virtus intellectualis poni inter virtutes
cardinales, potius debuit poni sapientia quasi principalior.
4. Parmi les
vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte sur la prudence, comme le
dйmontre le Philosophe au livre VI de l’Йthique, parce que la sagesse
porte sur les choses divines, alors que la prudence porte sur les choses
humaines. Si donc l’on avait dы placer une vertu intellectuelle parmi les
vertus cardinales, c’est la sagesse que l’on aurait dы plutфt placer, vu
qu’elle est supйrieure.
[66662] De virtutibus, q.
5 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad virtutes cardinales aliae debent reduci. Sed
philosophus in II Ethic. condividit quasdam alias virtutes fortitudini et
temperantiae; scilicet liberalitatem et magnanimitatem et huiusmodi, quae sic
non reducuntur. Non ergo praedictae virtutes sunt cardinales.
5. Les autres
[vertus] doivent кtre ramenйes aux vertus cardinales. Or, le Philosophe, au
livre II de l’Йthique, a
distinguй d’autres vertus que celles de force et de tempйrance : la
libйralitй et la magnanimitй, et celles de ce genre, qui ne sont pas ainsi
ramenйes [aux vertus cardinales]. Les vertus mentionnйes ne sont donc pas
cardinales.
[66663]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod non est virtus, non debet poni
inter virtutes cardinales. Sed temperantia non videtur esse virtus. Non enim
habetur aliis virtutibus habitis; ut patet in Paulo, qui habebat omnes alias
virtutes, et tamen temperantiam non habebat : inerat enim adhuc in membris
eius concupiscentia, secundum illud Rom., VII, 23 : video aliam legem in
membris meis repugnantem legi mentis meae. Temperatus autem differt in
hoc a continente, quod temperatus non habet concupiscentias pravas; continens
autem habet, sed non sequitur eas; ut patet per philosophum in VII Ethic.
Ergo inconvenienter enumerantur praedictae quatuor cardinales virtutes.
6. On ne doit
pas mettre au nombre des vertus cardinales ce qui n’est pas vertu. Or, la
tempйrance ne semble pas кtre une vertu. En effet, on ne la possиde pas alors
que les autres vertus sont possйdйes, comme l’йcrit Paul, qui possйdait
toutes les autres vertus, sans possйder cependant la tempйrance. Car la
concupiscence continuait d’exister dans ses membres, d’aprиs cette phrase : Je
vois une autre loi dans mon corps, luttant contre la loi de mon esprit,
Rm 7, 23.Or, l’homme tempйrй
diffиre de l’homme continent, en ceci que l’homme tempйrй n’a pas de
concupiscences mauvaises, alors que l’homme continent en a mais ne les suit
pas, comme l’йcrit le Philosophe, au livre VII de l’Йthique.C’est donc incorrectement que l’on
йnumиre les vertus mentionnйes comme quatre vertus cardinales.
[66664] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut per virtutem
homo ordinatur ad seipsum, ita et ad proximum. Sed duae virtutes ponuntur,
quibus homo ordinatur ad seipsum; scilicet fortitudo et temperantia. Ergo
etiam duae virtutes debent poni quibus aliquis ordinatur ad proximum; et non
solum iustitia.
7. De mкme
que l’homme est ordonnй а lui-mкme par la vertu, de mкme il l’est aussi au
prochain. Mais l’on йtablit deux vertus par lesquelles l’homme est ordonnй а
lui-mкme : la force et la tempйrance. On doit donc aussi йtablir deux vertus
par lesquelles il est ordonnй au prochain, et pas seulement la justice.
[66665]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus
Eccles., quod virtus est ordo amoris. Sed amor gratiae comprehenditur sub
duobus praeceptis; scilicet dilectionis Dei et proximi. Ergo non debent esse
nisi duae virtutes cardinales.
8. Augustin
dit, dans Le livre sur le comportement de l’Йglise, que la vertu est
l’ordre de l’amour. Mais l’amour est embrassй par la grвce sous deux
prйceptes : l’amour de Dieu et du prochain. Il ne doit donc y avoir que deux
vertus cardinales.
[66666]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 9 Praeterea, diversitas materiae quae est secundum
extensionem, facit solum diversitatem secundum numerum; diversitas autem
materiae quae est secundum diversas acceptiones formae, facit differentiam
secundum genus : propter quod corruptibile et incorruptibile differunt
genere, ut dicitur X Metaph. Sed praedictae virtutes differunt secundum
diversitatem materiae habentis rationem diversam recipiendi formam. Nam modus
rationis circa materiam temperantiae ponitur secundum refrenationem
passionum; circa materiam autem fortitudinis secundum quemdam conatum ad id a
quo passio retrahit. Ergo praedictae virtutes differunt genere; non
ergo debent coniungi in una ordinatione virtutum cardinalium.
9. La
diversitй de matiиre qui se prend de l’extensiondonne seulement
la diversitй par le nombre. Or, la diversitй de matiиre, qui est se trouve
dans les diverses rйceptions de forme, donne la diffйrence par le genre, du
fait que le corruptible et l’incorruptible diffиrent par le genre, comme il
est dit au livre X de la Mйtaphysique. Or, les vertus mentionnйes
diffиrent par la diversitй de matiиre, qui possиde une maniиre diffйrente de
recevoir la forme. En effet, le mode de la raison concernant la matiиre de la
tempйrance est йtabli par la rйpression des passions, mais celui qui concerne
la matiиre de la force, par un certain effort vers ce dont la passion
йloigne. Les vertus mentionnйes diffиrent donc par le genre ; on ne doit
donc pas les rйunir dans un seul ordre de vertus cardinales.
[66667] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 10 Praeterea, ratio virtutis moralis sumitur secundum quod attingit
rationem, ut patet per philosophum in II Ethicor., qui definit virtutem per
hoc, quod est secundum rationem rectam. Sed
ratio recta est regula regulata a prima regula quae est Deus; a qua etiam
virtutem regulandi habet. Ergo virtutes morales praecipue habent rationem
virtutis ex eo quod attingunt primam regulam, scilicet Deum. Sed virtutes
theologicae, quae sunt circa Deum, non dicuntur cardinales. Ergo neque
virtutes morales debent dici cardinales.
10. La
dйfinition de la vertu morale est fondйe sur le fait qu’elle concerne la
raison, comme l’йcrit le Philosophe au livre II de l’Йthique,qui dйfinit la vertu par « ce qui est selon la droite
raison ». Or, la droite raison est une rиgle rйglйe par une rиgle
premiиre : Dieu, par laquelle elle possиde aussi la vertu de rйgler. Les
vertus morales possиdent donc surtout ce qui fait la vertu parce qu’elles
atteignent la rиgle premiиre : Dieu. Or, les vertus thйologales, qui portent
sur Dieu, ne sont pas appelйes cardinales. Les vertus morales ne doivent donc
pas non plus кtre appelйes cardinales.
[66668]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 11 Praeterea, principalis pars animae est ratio. Sed temperantia et fortitudo non sunt in ratione, sed sunt
irrationabilium partium, ut philosophus dicit in III Ethic. Ergo non debent
poni virtutes cardinales.
11. La partie
principale de l’вme est la raison. Or, la tempйrance et la force ne sont pas
dans la raison mais appartiennent aux parties irrationnelles, comme le dit le
Philosophe au livre III de l’Йthique. On ne doit donc pas les йtablir
comme vertus cardinales.
[66669]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 12 Praeterea, laudabilius est dare de suo quam reddere
vel non auferre alienum. Sed primum pertinet ad liberalitatem, secundum ad
iustitiam. Ergo liberalitas magis debet poni virtus
cardinalis quam iustitia.
12. Il est
plus louable de donner de son propre bien que de rendre ou de ne pas prendre
celui d’autrui. Or, le premier cas relиve de la libйralitй, le second, de la
justice. On doit donc йtablir comme vertu cardinale la libйralitй plutфt que
la justice.
[66670]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 13 Praeterea, illud maxime videtur esse virtus
cardinalis quod est firmamentum aliorum. Sed huiusmodi est humilitas; dicit
enim Gregorius, quod qui ceteras virtutes sine humilitate congregat, quasi
pulveres in ventum portat. Ergo humilitas debuit poni inter virtutes
cardinales.
13. Il semble
surtout qu’une vertu cardinale est le point d’appui des autres. Or,
l’humilitй est de ce genre. Grйgoire dit en effet que « celui qui
regroupe toutes les autres vertus sans l’humilitй, c’est comme s’il
transportait de la poussiиre dans le vent». On aurait donc dы йtablir
l’humilitй parmi les vertus cardinales.
[66671]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus est perfectio quaedam, ut patet per
philosophum in VI Phys. Sed, sicut dicitur Iac., I, 4, patientia perfectum
opus habet. Ergo patientia tamquam perfectio, poni debuit inter virtutes
cardinales.
14. La vertu
est une certaine perfection, comme l’йcrit le Philosophe au livre VI de la Physique. Mais, comme il est dit dans
Jc 1, 4 : « La patience s’accompagne d’une њuvre
parfaite. » On aurait donc dы йtablir la patience, plus parfaite, parmi
les vertus cardinales.
[66672]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod
magnanimitas operatur magnum in virtutibus, et est velut ornamentum aliis
virtutibus. Sed hoc maxime videtur pertinere ad principalitatem virtutis.
Ergo magnanimitas videtur esse virtus cardinalis. Inconvenienter igitur
annumerantur praedictae quatuor virtutes cardinales.
15. Le
Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que la magnanimitй rйalise
ce qui est grand dans les vertus et est comme une parure pour les autres
vertus. Or, ceci semble surtout relever de la primautй d’une vertu. Il semble
donc que la magnanimitй soit une vertu cardinale. Les quatre vertus
mentioncardinales mentionnйes ne sont donc pas convenablement йnumйrйes.
Cependant
:
[66673]
De virtutibus, q. 5 a. 1 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius dicit super illud
Lucae, cap. VI : beati pauperes spiritu : scimus virtutes esse quatuor
cardinales : temperantiam, iustitiam, prudentiam, fortitudinem.
Ambroise dit, а propos de Lc 6 : Heureux
les pauvres en esprit : « Nous savons bien qu’il y a quatre vertus
cardinales : la tempйrance, la justice, la prudence, la force. »
Rйponse :
[66674] De virtutibus, q. 5 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod cardinalis a cardine dicitur, in quo ostium
vertitur, secundum illud Proverb., XXVI, 14 : sicut ostium vertitur in
cardine suo, ita piger in lectulo suo. Unde virtutes cardinales dicuntur in quibus
fundatur vita humana, per quam in ostium introitur; vita autem humana est
quae est homini proportionata. In hoc homine autem invenitur primo quidem
natura sensitiva, in qua convenit cum brutis; ratio practica, quae est homini
propria secundum suum gradum; et intellectus speculativus, qui non perfecte
in homine invenitur sicut invenitur in Angelis, sed secundum quamdam
participationem animae. Ideo vita contemplativa non est proprie humana, sed
superhumana; vita autem voluptuosa, quae inhaeret sensibilibus bonis, non est
humana, sed bestialis. Vita ergo proprie humana est vita activa, quae
consistit in exercitio virtutum moralium : et ideo proprie virtutes
cardinales dicuntur in quibus quodammodo vertitur et fundatur vita moralis,
sicut in quibusdam principiis talis vitae; propter quod et huiusmodi virtutes
principales dicuntur. Considerandum est autem, quod de ratione actus virtuosi
quatuor existunt. Quorum unum est, ut substantia ipsius actus sit in se modificata;
et ex hoc actus dicitur bonus, quasi circa debitam materiam existens, vel
debitis circumstantiis vestitus. Secundum autem est, ut
actus sit debito modo se habens ad subiectum, ex quo firmiter subiecto
inhaereat. Tertium autem est, ut actus sit debito modo
proportionatus ad aliquid extrinsecum sicut ad finem. Et haec quidem tria sunt
ex parte eius quod per rationem dirigitur. Quartum autem ex parte ipsius
rationis dirigentis, scilicet cognitio. Et haec quatuor philosophus tangit in
II Ethic., ubi dicit, quod non sufficit ad virtutem quod aliqua sint iuste
vel temperate comparata, quod pertinet ad modificationem actus. Sed alia tria
requiruntur ex parte operantis. Primum quidem, ut sit sciens; quod pertinet
ad cognitionem dirigentem. Deinde, quod sit eligens et reeligens propter hoc,
id est propter debitum finem; quod pertinet ad rectitudinem actus in ordine
ad aliquid extrinsecum. Tertium est, si firme et immobiliter adhaereat et
operetur. Haec igitur quatuor scilicet cognitio dirigens, rectitudo, firmitas
et moderatio, etsi in omnibus virtuosis actibus requirantur; singula tamen
horum principalitatem quamdam habent in specialibus quibusdam materiis et
actibus. Ex parte cognitionis practicae tria requiruntur. Quorum primum est
consilium : secundum est iudicium de consiliatis; sicut etiam in ratione
speculativa invenitur inventio vel inquisitio, et iudicium. Sed quia
intellectus practicus praecipit fugere vel prosequi, quod non facit
speculativus intellectus, ut dicitur in III de anima; ideo tertio ad rationem
practicam pertinet praemeditari de agendis; et hoc est praecipuum ad quod
alia duo ordinantur. Circa primum autem perficitur homo per virtutem
eubuliae, quae est bene consiliativa. Circa secundum autem perficitur homo
per synesim et gnomen, quibus homo fit bene iudicativus, ut dicitur in VI
Ethic. Sed per prudentiam fit ratio bene praeceptiva, ut
ibidem dicitur. Unde manifestum est quod ad prudentiam pertinet id quod est
praecipuum in cognitione dirigente; et ideo ex hac parte ponitur prudentia
virtus cardinalis. Similiter rectitudo actus per comparationem ad aliquid
extrinsecum, habet quidem rationem boni et laudabilis etiam in his quae
pertinent ad unum secundum seipsum, sed maxime laudatur in his quae sunt ad
alterum; quando scilicet homo actum suum rectificat non solum in his quae ad
ipsum pertinent, sed etiam in his in quibus cum aliis communicat. Dicit enim
philosophus in V Ethic., quod multi in propriis quidem virtute uti possunt,
in his autem quae sunt ad alterum, non possunt. Et ideo iustitia ex hac parte
ponitur virtus principalis, per quam homo debito modo coaptatur et adaequatur
aliis, cum quibus communicare habet; unde et vulgariter dicuntur iusta illa
quae sunt debito modo coaptata. Moderatio autem, sive refrenatio, ibi
praecipue laudem habet et rationem boni, ubi praecipue passio impellit, quam
ratio refrenare debet, ut ad medium virtutis perveniatur. Impellit autem
passio maxima ad prosequendas delectationes maximas, quae sunt delectationes
tactus; et ideo ex hac parte ponitur cardinalis virtus temperantia, quae
reprimit concupiscentias delectabilium secundum tactum. Firmitas autem
praecipue laudem habet et rationem boni in illis in quibus passio maxime
movet ad fugam : et hoc praecipue est in maximis periculis, quae sunt
pericula mortis; et ideo ex hac parte fortitudo ponitur virtus cardinalis,
per quam homo circa mortis pericula intrepide se habet. Harum autem quatuor
virtutum prudentia quidem est in ratione, iustitia autem est in voluntate,
fortitudo autem in irascibili, temperantia autem in concupiscibili; quae
solae potentiae possunt esse principia actus humani, id est voluntarii. Unde
patet ratio virtutum cardinalium, tum ex parte modorum virtutis, quae sunt
quasi rationes formales, tum etiam ex parte materiae, tum etiam ex parte subiecti.
« Cardinal » tire son origine du gond sur lequel
une porte tourne, selon cette phrase de Pr 26, 14 : La porte
tourne sur ses gonds, tout comme le paresseux sur son lit. Ainsi, on
appelle cardinales les vertus sur lesquelles est fondйe la vie humaine, qui
fait entrer par la porte. Or, la vie humaine est celle qui est proportionnйe
а l’homme. Dans cet homme, on trouve d’abord une nature sensitive, qu’il a en
commun avec les animaux sans raison, la raison pratique, qui est propre а
l’homme selon son degrй, et une intelligence spйculative, que l’on ne trouve
pas parfaitement en l’homme comme on la trouve chez les anges, mais selon une
certaine participation de l’вme. C’est pourquoi la vie contemplative n’est
pas proprement humaine, mais surhumaine; et une vie de voluptй, qui est
attachйe aux biens sensibles, n’est pas humaine mais bestiale. La vie
proprement humaine est donc une vie active qui repose sur l’exercice des
vertus morales. C’est pourquoi l’on appelle proprement cardinales les vertus
sur lesquelles tourne en quelque sorte et est fondйe la vie morale, en tant
que principes d’une telle vie, raison pour laquelle l’on appelle aussi
principales des vertus de ce genre. Or, il faut considйrer nйanmoins que
quatre йlйments font partie de ce qui rend un acte vertueux. Le premier
d’entre eux est que la substance de l’acte lui-mкme soit rйglйe en elle-mкme;
c’est la raison pour laquelle l’acte est dit bon, en tant qu’il porte sur la
matiиre appropriйe ou est revкtu des circonstances appropriйes. Le deuxiиme :
que l’acte soit en rapport avec le sujet de faзon appropriйe ; il est
ainsi fermement enracinй dans le sujet. Le troisiиme : que l’acte soit
proportionnй de faзon appropriйe а quelque chose d’extйrieur comme а sa fin.
Ces trois йlйments relиvent de ce qui est dirigй par la raison. Et le
quatriиme relиve de la raison qui dirige elle-mкme : la connaissance. Le
Philosophe aborde ces quatre йlйments au livre II de l’Йthique, oщ il
dit qu’il ne suffit pas pour la vertu que certains actes soient rйglйs avec
justice ou tempйrance, ce qui relиve de la disposition rйglйe de l’acte. Mais
trois autres йlйments sont requis du cфtй de l’agent. D’abord, qu’il
connaisse, ce qui se rapporte а la connaissance qui dirige. Ensuite, qu’il
choisisse et choisisse de nouveau, а savoir, en raison de la fin qui
convient; ce qui relиve de la rectitude de l’acte ordonnй vers quelque chose
d’extйrieur. Troisiиmement, que l’agent soit fixй et agisse avec fermetй et
de maniиre immuable. Mкme s’ils sont exigйs de tous les actes vertueux,
chacun de ces quatre йlйments : la connaissance qui dirige, la rectitude, la
fermetй et la modйration, a la primautй dans certains actes et matiиres
particuliers. Pour ce qui est de la connaissance pratique, trois choses sont
requises. La premiиre est le conseil ; la deuxiиme est le jugement sur
les choses conseillйes, de mкme que, dans la raison spйculative, on trouve la
dйcouverte ou la recherche, et le jugement. Mais parce que l’intelligence
pratique prescrit de fuir ou de poursuivre, ce que ne fait pas l’intelligence
spйculative, comme il est dit au livre III du traitй De l’Вme, un troisiиme йlйment relиve de la raison pratique :
rйflйchir а l’avance sur les actes а poser; et ceci est le principal, а quoi
sont ordonnйs les deux autres. Pour le premier, l’homme est perfectionnй par
l’eubulia, qui est bonne
conseillиre; pour le deuxiиme, il est perfectionnй par la synesis et la gnфmи, qui permettent а l’homme de bien juger, comme il est dit
au livre VI de l’Йthique. Mais, par la prudence, la raison commande
bien, comme il est dit au mкme endroit. Dиs lors, il est clair que c’est de
la prudence que relиve ce qui est le principal dans la connaissance qui
dirige. C’est pourquoi la prudence est
йtablie comme vertu cardinale. De mкme, la rectitude de l’acte par comparaison
avec quelque chose d’extйrieur possиde assurйment le caractиre de bien et de
louable, mкme dans ce qui relиve de la personne elle-mкme, mais elle est
surtout louйe pour ce qui se rapporte а autrui, а savoir, quand l’homme rend
droit son acte, non seulement а son йgard, mais aussi dans ce qu’il partage
avec d’autres. Le Philosophe dit en effet, au livre V de l’Йthique,
que beaucoup peuvent faire usage de la vertu dans ce qui leur est propre,
mais ne le peuvent pas dans celles qui concernent autrui. C’est pourquoi la justice est йtablie comme vertu
principale, par laquelle l’homme est ajustй et rendu йgal aux autres, avec
lesquels il doit partager. Ainsi, l’on appelle communйment juste ce qui est
agencй de maniиre appropriйe. Or, la modйration ou la retenue appellent la
louange et ont le caractиre de bien, surtout lа oщ la passion entraоne, que
la raison doit rйfrйner pour qu’on parvienne au milieu de la vertu. Or, la
plus grande passion pousse а poursuivre les plus grands plaisirs : les
plaisirs du toucher. C’est pourquoi la tempйrance est
йtablie comme vertu cardinale, qui rйprime les concupiscences dйlectables au
toucher. Mais la fermetй appelle la louange et a le caractиre de bien, lа oщ
la passion pousse surtout а fuir; et cela arrive principalement dans les plus
grands dangers : les dangers de mort. C’est pourquoi la force est йtablie comme vertu
cardinale, par laquelle l’homme est intrйpide face aux dangers de mort. Parmi
ces quatre vertus, la prudence
se trouve assurйment dans la raison, la justice dans la volontй, la force dans l’irascible, la tempйrance dans le concupiscible, les seules puissances qui
peuvent кtre principes d’un acte humain, c’est-а-dire volontaire. Ainsi
ressort clairement le caractиre des vertus cardinales, tant du cфtй des modes
de la vertu, qui sont pour ainsi dire des raisons formelles, que du cфtй de
la matiиre, et aussi du cфtй du sujet.
Solutions
:
[66675]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de praedictis quatuor
virtutibus cardinalibus aliqui dupliciter loquuntur. Quidam enim utuntur
praedictis quatuor nominibus ad significandum generales modos virtutum : puta
omnem cognitionem dirigentem vocantes prudentiam; omnem rectitudinem
adaequantem actus humanos vocantes iustitiam; omnem moderationem refrenantem
appetitum hominis a temporalibus bonis vocantes temperantiam; omnem
firmitatem animi stabilientem hominem in bono contra insultum quorumcumque
malorum, fortitudinem appellantes. Et ita videtur uti his nominibus
Augustinus in Lib. de moribus Eccles.; et secundum hoc potest intelligi
praedictum verbum Gregorii : quia una harum conditionum ad veram virtutis
rationem non sufficit nisi omnes praedictae conditiones concurrant. Secundum hoc ergo praedicta quatuor dicuntur quatuor virtutes non
propter diversas species habituum quae attenduntur secundum diversa obiecta,
sed secundum diversas rationes formales. Alii vero, sicut Aristoteles in Lib.
Ethic., loquuntur de praedictis quatuor virtutibus secundum quod sunt
speciales virtutes determinatae ad proprias materias; et secundum hoc etiam
potest verificari dictum Gregorii : per modum enim cuiusdam redundantiae,
praedictae virtutes sunt circa illas materias in quibus potissime
commendantur praedictae generales quatuor virtutis conditiones. Unde secundum
hoc fortitudo temperans est, et temperantia fortis, quia qui potest refrenare
appetitum suum ne consequatur concupiscentias delectationum, quod pertinet ad
temperantiam, multo magis poterit refrenare motum audaciae in periculis; et
similiter qui potest stare firmus contra pericula mortis, multo magis potest
stare firmus contra illecebras voluptatum. Et secundum hoc, id quod est principaliter
temperantiae, transit ad fortitudinem, et e converso; et eadem ratio est in
aliis.
1. Certains
parlent de deux faзons des quatre vertus cardinales mentionnйes. Certains, en
effet, utilisent ces quatre noms pour signifier des modes gйnйraux des
vertus, par exemple, en appelant prudence toute connaissance qui dirige, en
appelant justice toute rectitude qui ajuste les actes humains, en appelant
tempйrance toute modйration qui rйfrиne l’appйtit de l’homme pour les biens
temporels, en appelant force toute fermetй de l’вme qui maintient solidement
l’homme dans le bien contre l’assaut de n’importe quel mal. Augustin semble
utiliser ces noms de cette maniиre dans le Livre sur le comportement de
l’Йglise. L’on peut comprendre ainsi la parole citйe de Grйgoire, qu’une
de ces conditions ne suffit pas au vйritable caractиre de vertu, si toutes
les conditions mentionnйes ne sont pas satisfaites. Dиs lors, les quatre
dispositions citйes sont quatre vertus, non par les diverses espиces
d’habitus en rapport avec des objets divers, mais selon diverses raisons
formelles. Mais d’autres, comme Aristote dans l’Йthique, parlent des
quatre vertus mentionnйes comme de vertus spйciales, dйterminйes selon leurs
matiиres propres. Ainsi se vйrifie aussi ce qu’a dit Grйgoire : en effet, par
mode d’une certaine redondance, les vertus mentionnйes portent sur les
matiиres dans lesquelles sont louйes au plus haut point les quatre conditions
gйnйrales de la vertu indiquйes. Dиs lors, la force est tempйrante et la
tempйrance, forte, parce que celui qui peut rйfrйner son appйtit, afin de ne
pas rechercher la concupiscence des plaisirs, tвche qui relиve de la tempйrance,
pourra bien davantage rйfrйner le mouvement d’audace dans les dangers; et de
mкme, celui qui peut demeurer ferme contre les dangers de mort peut bien
davantage rester ferme contre les sйductions des plaisirs. Ainsi, ce qui
relиve principalement de la tempйrance passe du cфtй de la force, et
inversement. Et c’est la mкme chose pour les autres.
[66676]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in fine appetitus hominis
quiescit; et ideo virtutum theologicarum, quae sunt circa finem ultimum,
principalitas non comparatur cardini, qui movetur, sed magis fundamento et
radici, quae sunt stantia et quiescentia, secundum illud ad Ephes., III, 17 :
in caritate radicati et fundati.
2. L’appйtit
humain trouve son repos dans la fin. Ainsi la supйrioritй des vertus
thйologales, qui concernent la fin ultime, n’est pas comparйe au gond qui est
mis en mouvement, mais plutфt а la fondation et а la racine, qui sont stables
et en repos, selon ce que dit Ep 3, 17 : Enracinйs et fondйs
dans l’amour.
[66677] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in VI Ethic., prudentia
est recta ratio agibilium. Agibilia autem dicuntur moralia opera, ut ex his
quae ibi dicuntur, apparet. Et ideo prudentia convenit cum moralibus virtutibus
quantum ad sui materiam; et propter hoc connumeratur eis, licet quantum ad
suam essentiam vel subiectum sit intellectualis.
3. Selon le
Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison
dans les actions а poser. Or, les actes moraux sont des actions а poser,
comme le montrent celles dont on parle lа. Ainsi la prudence a quelque chose
en commun avec les vertus morales du fait de sa propre matiиre; c’est
pourquoi elle est comptйe parmi elles, bien qu’elle soit [une vertu]
intellectuelle pour ce qui est de son essence ou son sujet.
[66678]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, ex hoc ipso
quod non est circa humana, sed circa divina, non communicat cum virtutibus
moralibus in materia : unde non connumeratur virtutibus moralibus, ut simul
cum eis dicatur cardinalis virtus, quia ipsa ratio cardinis repugnat
contemplationi, quia non est sicut ostium, quo intratur ad aliquid aliud; sed
magis actio moralis est ostium, per quod ad contemplationem sapientiae intratur.
4. La
sagesse, parce qu’elle ne concerne pas l’humain mais le divin, n’a rien en
commun avec les vertus morales pour ce qui est de la matiиre. Ainsi, elle
n’est pas comptйe parmi les vertus morales, de sorte qu’on ne l’appelle pas
vertu cardinale, comme elles, parce que la notion mкme de cardinal est
incompatible avec la contemplation, qui n’est pas comme une porte par
laquelle on pйnиtre dans quelque chose d’autre; mais l’action morale est
plutфt une entrйe par laquelle on pйnиtre dans la contemplation de la
sagesse.
[66679]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si praedictae quatuor
virtutes accipiantur secundum quod significant generales conditiones
virtutum, secundum hoc omnes virtutes speciales, de quibus philosophus
tractat in Lib. Ethic., reducuntur ad has quatuor virtutes
sicut species ad genus. Si vero accipiantur secundum quod sunt speciales
virtutes circa quasdam materias principales, sic aliae reducuntur ad eas
sicut secundarium ad principale ut eutrapelia quae moderatur delectationem
ludi, potest reduci ad temperantiam, quae moderatur delectationes tactus;
unde et Tullius in II rhetoricae, ponit alias virtutes esse partes harum
quatuor. Quod potest intelligi dupliciter : uno modo quod sint partes
subiectivae secundum primum modum sumendi has virtutes; alio modo quod sint
partes potentiales, si sumantur secundo modo virtutes praedictae; sic sensus
est pars potentialis, quia non nominat totam virtutem animae, sed aliquid
eius.
5. Si l’on
considиre les quatre vertus mentionnйes selon qu’elles indiquent les
conditions gйnйrales des vertus, toutes les vertus spйciales dont traite le
Philosophe dans l’Йthique se ramиnent alors а ces quatre vertus, comme
les espиces au genre. Mais si on les considиre selon qu’elles sont des vertus
spйciales qui concernent certaines matiиres principales, alors les autres se
ramиnent а celles-ci comme le secondaire au principal, comme l’eutrapelia, qui rиgle le plaisir du
jeu, peut кtre ramenйe а la tempйrance, qui rиgle les plaisirs du toucher.
Ainsi Cicйron, au livre II de La
Rhйtorique, йtablit que les autres vertus sont des parties de ces quatre
vertus. Ce que l’on peut comprendre de deux faзons : d’une permiиre faзon,
elles sont des parties subjectives, selon la premiиre maniиre de considйrer
ces vertus; d’une seconde faзon, elles sont des parties potentielles, si l’on
considиre les vertus mentionnйes de la seconde maniиre. Ainsi le sens est une
partie potentielle, parce qu’il ne dйsigne pas toute la puissance de l’вme,
mais une partie de celle-ci.
[66680]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est de ratione
temperantiae quod omnes pravas concupiscentias excludat, sed quod temperatus
non patiatur aliquas tales concupiscentias vehementes et fortes, sicut
patiuntur illi qui non studuerunt concupiscentias refrenare. Paulus igitur
patiebatur concupiscentias inordinatas propter fomitis corruptionem : non
tamen fortes neque vehementes, quia studebat eas reprimere castigando corpus
suum, et in servitutem redigendo; unde vere temperatus erat.
6. Le fait
d’exclure toutes les mauvaises concupiscences ne fait pas partie de la notion
de tempйrance, mais le fait que l’homme tempйrй ne subissent pas de telles
concupiscences fortes et violentes, comme en subissent ceux qui n’ont pas
appris а rйfrйner leurs concupiscences. Paul subissait donc des
concupiscences dйsordonnйes en raison de la corruption qui l’enflammait;
elles n’йtaient cependant ni fortes ni violentes, parce qu’il s’efforзait de
les rйprimer en chвtiant son corps et en l’asservissant. C’est pourquoi il
йtait vraiment tempйrй.
[66681]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iustitia, per quam
ordinamur ad alterum, non est circa passiones proprias, sed circa operationes
quibus communicamus cum aliis, sicut sunt emptio et venditio, et alia
huiusmodi : temperantia autem et fortitudo sunt circa proprias passiones. Et
ideo, sicut in homine est una vis appetitiva sine passione id est voluntas,
duae autem cum passione, id est concupiscibilis et irascibilis : ita est una
virtus cardinalis ordinans ad proximum, duae autem ordinantes hominem ad
seipsum.
7. La
justice, qui nous ordonne а autrui, ne concerne pas les passions qui nous
sont propres mais les opйrations par lesquelles nous partageons avec les
autres, comme l’achat et la vente, et d’autres de ce genre. Or, la tempйrance
et la force concernent les passions propres. Ainsi, de mкme qu’il y a en
l’homme une seule force appйtitive sans passion, la volontй, mais deux avec
passion, le concupiscible et l’irascible, de mкme il y a une vertu cardinale
qui ordonne l’homme au prochain, mais deux qui l’ordonnent а lui-mкme.
[66682]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas dicitur esse omnis
virtus non essentialiter, sed causaliter, quia scilicet caritas est mater
omnium virtutum. Semper autem effectus magis multiplicatur quam causa; et
ideo oportet aliarum virtutum esse maiorem multiplicitatem quam caritatis.
8. On dit que
la charitй est toute vertu, non essentiellement mais en tant que cause, parce
que la charitй est mиre de toutes les vertus. Or, l’effet est toujours plus
multipliй que la cause. Il faut donc que la multiplicitй des autres vertus
soit plus grande que celle de la charitй.
[66683]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diversa ratio receptionis
potest esse vel ex parte materiae, quae receptiva est formae; et talis
diversitas facit diversitatem generis; vel ex parte formae, quae diversimode
receptibilis est in materia : et talis diversitas facit diversitatem speciei.
Et ita est in proposito.
9. La
rйception peut se faire de maniиre diverse : soit dans la matiиre, qui reзoit
la forme – et une telle diversitй fait la diversitй du genre –, soit dans la
forme, qui peut кtre reзue de diverses maniиres dans la matiиre – et une
telle diversitй fait la diversitй de l’espиce. Il en va de mкme dans le sujet
traitй.
[66684] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes morales attingunt rationem sicut
regulam proximam, Deum autem sicut regulam primam. Res autem specificantur secundum
propria et proxima principia, non secundum principia prima.
10. Les
vertus morales ont un rapport avec la raison comme la rиgle seconde, mais
avec Dieu comme la rиgle premiиre. Or, les choses sont spйcifiйes par leurs
principes propres et prochains, non par les principes premiers.
[66685]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod principalis pars hominis
est pars rationalis. Sed rationale est duplex : scilicet per essentiam et per
participationem; et sicut ipsa ratio est principalior quam vires
participantes ratione, ita etiam prudentia est principalior quam aliae
virtutes.
11. La partie
principale de l’homme est la partie rationnelle. Mais le rationnel est double
: par essence et par participation. De mкme que la raison elle-mкme l’emporte
sur les forces qui participent а la raison, de mкme la prudence l’emporte
aussi sur les autres vertus.
[66686]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtutes cardinales
dicuntur principaliores omnibus aliis, non quia sunt omnibus aliis
perfectiores, sed quia in eis principalius versatur humana vita, et super eas
aliae virtutes fundantur. Manifestum est autem quod humana vita magis
versatur circa iustitiam, quam circa liberalitatem : utimur enim iustitia ad
omnes, liberalitate autem ad paucos. Ipsa autem liberalitas supra iustitiam
fundatur : non enim esset liberalis donatio, nisi aliquis daret de suo; per
iustitiam autem distinguuntur propria ab alienis.
12. On dit
que les vertus cardinales l’emportent sur toutes les autres, non parce
qu’elles sont plus parfaites que toutes les autres, mais parce que la vie
humaine repose surtout sur elles et que les autres vertus sont fondйes sur
elles. Or, il est clair que la vie humaine repose plus sur la justice que sur
la libйralitй, car nous faisons usage de la justice pour tous, mais de la
libйralitй pour un petit nombre. Or, la libйralitй elle-mкme est fondйe sur
la justice, car il n’y aurait pas de don libйral si on ne donnait pas de ce
qui est а soi. Et c’est par la justice qu’on distingue ses biens propres de
ceux d’autrui.
[66687]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humilitas firmat
omnes virtutes indirecte, removendo quae bonis virtutum operibus insidiantur,
ut pereant; sed in virtutibus cardinalibus firmantur aliae virtutes directe.
13.
L’humilitй affermit indirectement toutes les vertus, en йloignant ce qui tend
des embыches aux actions bonnes des vertus en vue de les dйtruire. Mais dans
les vertus cardinales, les autres vertus sont affermies directement.
[66688]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod patientia
includitur in fortitudine : nam fortis habet id quod est patientis, ut
scilicet non conturbetur ex imminentibus malis; et etiam addit amplius, ut
scilicet in mala imminentia exiliat secundum quod oportet.
14. La
patience est contenue dans la force. L’homme fort, en effet, a les
caractйristiques de l’homme patient : il ne se laisse pas troubler par des
maux imminents. Et il en ajouteajoute encore plus : il s’йlance mкme vers les
maux imminents, comme il convient.
[66689]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ex hoc ipso quod
magnanimitas est ornatus aliarum virtutum, manifestatur quod alias virtutes
praesupponit, in quibus fundatur; et ex hoc apparet quod aliae sunt magis
principales quam ipsa.
15. Parce que
la magnanimitй est la parure des autres vertus, il est clair qu’elle
prйsuppose les autres vertus sur lesquelles elle est fondйe. Dиs lors, il
apparaоt que celles-ci l’emportent sur elle.
[66691]
De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non. [66692] De virtutibus, q. 5 a.
2 arg. 1 Dicit enim Beda super Lucam, quod sancti magis humiliantur de
virtutibus quas non habent, quam extollantur de virtutibus quas habent. Ergo
quasdam habent, et quasdam non habent; non ergo virtutes sunt connexae.
Il semble que non.
1. Bиde dit en effet, en commentant Luc, que
les saints sont plus humiliйs des vertus qu’ils ne possиdent pas qu’ils ne
s’enorgueillissent des vertus qu’ils possиdent. Ils en possиdent donc
certaines mais n’en possиdent pas d’autres. Les vertus ne sont donc pas
connexes.
[66693]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, homo post poenitentiam est in statu
caritatis : de his autem patitur difficultatem operandi propter consuetudinem
praecedentem, ut dicit Augustinus contra Iulianum; et sic huiusmodi
difficultas videtur provenire ex habitu contrario virtuti, per malam
consuetudinem acquisitam, cum quo non potest simul esse virtus ei contraria.
Ergo aliquis potest habere unam virtutem, scilicet caritatem, et carebit
aliis.
2. Aprиs le
repentir, l’homme est en йtat de charitй. Or, il a de la difficultй а agir en
raison d’une habitude prйcйdente, comme le dit Augustin contre Julien. Ainsi,
une difficultй de ce genre semble provenir d’un habitus contraire а la vertu,
acquis par une mauvaise habitude, qui ne peut pas exister en mкme temps que
la vertu qui lui est contraire. On peut donc possйder une vertu, la charitй,
et кtre privй des autres.
[66694] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea in omnibus
baptizatis caritas invenitur. Sed quidam baptizati non habent prudentiam, ut
patet maxime in morionibus et phreneticis, qui non possunt esse prudentes,
secundum philosophum; et etiam in quibusdam adultis simplicibus, qui non bene
videntur esse prudentes, cum non sint bene consiliativi, quod est opus
prudentiae. Non ergo qui habet unam virtutem, scilicet caritatem habet omnes
alias.
3. Chez tous
les baptisйs se trouve la charitй. Mais certains baptisйs ne possиdent pas la
prudence, comme on le voit surtout chez les idiots et les frйnйtiques, qui ne
peuvent pas кtre prudents, selon le Philosophe; et aussi chez certains
adultes ingйnus, qui ne semblent pas кtre bien prudents, vu qu’ils ne sont
pas bons conseillers, ce qui est l’њuvre de la prudence. Donc, celui qui
possиde une seule vertu, la charitй, ne possиde pas toutes les autres.
[66695]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum in VI Ethic.,
prudentia est recta ratio agibilium, sicut ars est recta ratio factibilium. Sed homo potest habere rectam rationem circa unum genus factibilium
puta circa fabrilia, et non habebit rectam rationem circa alia artificialia.
Ergo etiam potest habere prudentiam circa unum genus agibilium, puta circa
iusta, et non habebit circa aliud genus, puta circa fortia; et ita poterit
habere unam virtutem absque alia.
4. Selon le
Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison
dans la conduite а tenir, comme l’art est la droite raison dans les choses а
faire. Mais l’homme peut possйder la droite raison qui concerne un seul genre
de choses а faire, par exemple, les objets а forger, mais il ne possйdera pas
la droite raison qui concerne d’autres choses qui relиve de l’art. Il peut
donc aussi possйder la prudence qui concerne un seul genre d’actions, par
exemple, ce qui est juste, mais il ne la possйdera pas dans un autre genre,
par exemple, ce qui est fort. Ainsi il pourra possйder une seule vertu sans
les autres.
[66696]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod non
omnis liberalis est magnificus, et tamen utrumque est virtus, scilicet
liberalitas et magnificentia; et similiter dicit, quod aliqui sunt moderati,
non tamen magnanimi. Non ergo quicumque habet unam virtutem, habet omnes.
5. Le
Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que tout homme libйral ne
fait pas de grandes choses, alors que les deux sont des vertus : la
libйralitй et la magnificence. Il dit de mкme que certains hommes sont
modйrйs mais non magnanimes. Celui qui possиde une vertu ne les possиde donc
pas toutes.
[66697] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 6 Praeterea, apostolus dicit I ad Corinth., cap. XII, 4 : divisiones
gratiarum sunt; et postea subdit : alii datur per spiritum
sermo sapientiae, alii sermo scientiae, quae sunt intellectuales
virtutes, alii fides, quae est virtus theologica. Ergo aliquis habet unam
virtutem, et non habet aliam.
6. L’Apфtre
dit, dans 1 Co 12, 4 : Il y a diversitй des grвces,
puis il ajoute : А l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnйe par
l’Esprit, а l’autre, une parole de science – qui sont des vertus
intellectuelles –, а un autre, la foi – qui est une vertu thйologale.
On possиde donc une vertu sans en possйder une autre.
[66698]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 7 Praeterea, virginitas est quaedam virtus, ut
Cyprianus dicit. Sed multi habent alias virtutes qui non habent virginitatem.
Ergo non quicumque habet unam virtutem, habet omnes.
7. La
virginitй est une vertu, comme le dit Cyprien. Or, beaucoup de ceux qui ne
possиdent pas la virginitй possиdent d’autres vertus. Celui qui possиde une
vertu ne les possиde donc pas toutes.
[66699]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VI Ethic., quod
Anaxagoram et Thaletem sapientes quidem dicimus, non autem prudentes. Sed
sapientia et prudentia sunt quaedam virtutes intellectuales. Ergo aliquis
potest habere unam virtutem sine aliis.
8. Le
Philosophe dit, au livre VI de l’Йthique, que nous disons d’Anaxagore
et de Thalиs qu’ils sont sages, mais non pas prudents. Or, la sagesse et la
prudence sont des vertus intellectuelles. On peut donc possйder une vertu
sans les autres.
[66700] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 9 Praeterea, philosophus in eodem Lib. dicit, quod quidam habent
inclinationem ad unam virtutem, et non ad aliam. Potest ergo contingere
quod aliquis exercitetur in actibus unius virtutis, et non in actibus
alterius. Sed ex exercitio actuum acquiruntur quaedam virtutes, ut patet per
philosophum in II Ethic. Ergo, saltem, virtutes acquisitae non sunt connexae.
9. Le
Philosophe dit, au mкme livre, que certains ont une inclination pour une
vertu, et non pour une autre. Il peut donc arriver que l’on s’exerce dans les
actes d’une vertu, et non dans les actes d’une autre. Or, l’on acquiert
certaines vertus par l’exercice de leurs actes, comme cela ressort clairement
de ce que dit le Philosophe au livre II de l’Йthique. Les vertus
acquises, du moins, ne sont donc pas connexes.
[66701]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus etsi secundum aptitudinem sit a
natura, tamen secundum esse perfectum non est a natura, ut dicitur in II
Ethic. Manifestum est etiam quod non est a fortuna, quia quae sunt a fortuna,
sunt praeter electionem. Relinquitur ergo quod virtus acquiratur in nobis vel
a proposito vel a Deo. Sed a proposito (ut videtur) potest acquiri una virtus
sine alia : quia unus potest habere intentionem ad acquirendum unam virtutem,
et non aliam. Similiter etiam et a Deo : quia aliquis potest petere a Deo
unam virtutem, et non aliam. Ergo omnibus modis una virtus potest esse sine alia.
10. La vertu,
bien qu’elle vienne de la nature pour ce qui est de l’aptitude, ne reзoit
cependant pas son кtre parfait de la nature, comme il est dit au livre II de l’Йthique.
Il est aussi clair qu’elle ne vient pas de la fortune, parce que ce qui vient
de la fortune est au-delа du choix. Il reste donc que la vertu est acquise en
nous soit par dessein, soit par Dieu. Mais par dessein (а ce qu’il semble),
on peut acquйrir une vertu sans les autres, parce qu’un homme peut vouloir
acquйrir une vertu et non une autre. Il en va de mкme pour Dieu, parce que
l’on peut demander а Dieu une vertu, et non une autre. De toutes les faзons,
une vertu peut donc exister sans une autre.
[66702] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 11 Praeterea, finis in moralibus comparatur ad actus virtutum in
moralibus, sicut in demonstrativis principia ad conclusiones. Sed homo potest
habere unam conclusionem sine alia. Ergo potest habere unam virtutem sine
alia.
11. La fin
dans les rйalitйs morales se compare aux actes des vertus dans les rйalitйs
morales, comme les principes le font aux conclusions dans les dйmonstrations.
Or, l’homme peut possйder une conclusion sans une autre. Il peut donc
possйder une vertu sans une autre.
[66703]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit in quadam Epist. de
sententia Iacobi, quod non est divina sententia, qua dicitur : qui habet unam
virtutem, habet omnes; et quod homo potest habere unam virtutem sine alia,
puta misericordiam, et non continentiam; sicut et in membris corporis unum potest
esse illuminatum, sive decorum aut sanum, sine alio. Ergo virtutes non sunt
connexae.
12. Augustin
dit, dans une lettre а propos d’une position de Jacques, que ce n’est pas une
position divine par laquelle on dit : « Celui qui possиde une vertu les
possиde toutes », et que l’homme peut possйder une vertu sans une autre,
par exemple, la misйricorde et non la continence. De mкme aussi, dans les
membres du corps, l’un peut кtre mis en valeur, ou parй ou en santй, sans un
autre. Les vertus ne sont donc pas connexes.
[66704]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 13 Praeterea, ea quae sunt connexa, aut hoc est ratione
principii, aut ratione subiecti, aut ratione obiecti. Sed non ratione
principii, quod est Deus, quia, secundum hoc, omnia bona quae sunt a Deo,
essent connexa; nec etiam ratione subiecti, quod est anima, quia secundum hoc
omnes non essent connexae; nec iterum ratione obiecti, quia per obiecta
distinguuntur : non est autem idem principium distinctionis et connexionis.
Ergo et cetera.
13. Ce qui
est connexe l’est soit en raison du principe, soit en raison du sujet, soit
en raison de l’objet. Or, ce n’est pas en raison du principe, qui est Dieu,
parce que, de cette maniиre, tous les biens qui viennent de Dieu seraient
connexes; ni en raison du sujet, qui est l’вme, parce que, de cette maniиre,
toutes les vertus ne sont pas connexes; ni en raison de l’objet, parce que ce
sont les objets qui distinguent les vertus. Or, les principes de distinction
et de connexion ne sont pas les mкmes. Donc, etc.
[66705]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 14 Praeterea, intellectuales virtutes non habent
connexionem cum moralibus; sicut patet maxime de intellectu principiorum, qui
potest haberi sine moralibus virtutibus. Sed prudentia est virtus
intellectualis, quae ponitur una cardinalium. Ergo non habet connexionem cum
aliis cardinalibus, quae sunt virtutes morales.
14. Les
vertus intellectuelles n’ont pas de connexion avec les vertus morales, comme
le montre surtout la comprйhension des principes, qui peut кtre possйdйe sans
les vertus morales. Or, la prudence est une vertu intellectuelle qui est
donnйe comme une des vertus cardinales. Elle n’a donc pas de connexion avec
les autres vertus cardinales, qui sont des vertus morales.
[66706]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 15 Praeterea, in patria non erit fides et spes, sed
tantum erit ibi caritas. Ergo etiam in statu perfectissimo virtutes non erunt
connexae.
15. Dans la
patrie, il n’y aura pas de foi ni d’espйrance, mais il y aura seulement la
charitй. Mкme dans l’йtat le plus parfait, les vertus ne seront donc pas
connexes.
[66707]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 16 Praeterea, Angeli, in quibus non sunt virtutes
sensitivae, et similiter animae separatae, habent caritatem et iustitiam,
quae est perpetua et immortalis; non autem habent temperantiam et
fortitudinem, quia hae virtutes sunt irrationabilium partium, ut dicitur in
III Ethic. Ergo virtutes non sunt connexae.
16. Les
anges, qui ne possиdent pas de puissances sensitives, ainsi que les вmes
sйparйes [du corps], possиdent la charitй et la justice, qui est йternelle et
immortelle, mais ils ne possиdent pas la tempйrance ni la force, parce que
ces vertus appartiennent aux parties irrationnelles, comme il est dit au
livre III de l’Йthique. Les vertus ne sont donc pas connexes.
[66708]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 17 Praeterea, sicut sunt virtutes quaedam animae, sunt
etiam quaedam virtutes corporales. Sed in virtutibus corporalibus non est
connexio, quia aliquis habet visum qui non habet auditum. Ergo neque etiam in
virtutibus animae.
17. De mкme
qu’il y a des puissances spirituelles, de mкme il y a des puissances
corporelles. Mais dans les puissances corporelles, il n’y a pas de connexion,
parce que l’on peut possйder la vue et ne pas possйder l’ouпe. Il n’y en a
donc pas non plus dans les puissances spirituelles.
[66709]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 18 Praeterea, dicit Gregorius super Ezechielem, quod
nemo repente fit summus; et in Psalm. LXXXIII, 8, dicitur, quod ibunt de
virtute in virtutem. Non ergo simul acquirit homo virtutes, sed
successive; et ita virtutes non sunt connexae.
18. Grйgoire
dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel,
que personne n’atteint soudainement le degrй le plus йlevй; et dans le Psaume 83, 8, il est dit qu’ils
iront de vertu en vertu. L’homme n’acquiert donc pas les vertus en mкme
temps, mais successivement. Ainsi les vertus ne sont pas connexes.
Cependant
:
[66710] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod Ambrosius dicit super Luc. : connexae sunt et concatenatae : ut qui
unam habuerit, omnes habere videatur.
1. Ambroise dit, dans le Traitй sur l’Йvangile de Luc :
« Elles sont connexes et enchaоnйes, de sorte que celui qui en
possйderait une semblerait les possйder toutes. »
[66711]
De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit XXII Moral., quod si una
virtus sine alia habeatur, aut virtus non est, aut perfecta non est. Sed
perfectio est de ratione virtutis : virtus enim est perfectio quaedam, ut
dicitur in VII Physic. Ergo virtutes sunt connexae.
2. Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job, que, si l’on possиde
une vertu sans une autre, c’est soit qu’elle n’est pas une vertu, soit
qu’elle n’est pas parfaite. Or, la perfection fait partie de la notion de
vertu, car la vertu est une certaine perfection, comme il est dit au livre VII
de la Physique. Les vertus sont
donc connexes.
[66712] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 3 Praeterea, super illud
Ezech., I, 11 : duae pennae singulorum iungebantur, Glossa dicit, quod
virtutes sunt coniunctae; ut qui una caruerit, alia careat.
3. Au sujet de cette phrase
d’Ez 1, 11 : Leurs ailes йtaient jointes l’une а l’autre,
la Glose dit que les vertus sont unies, de sorte que celui qui serait privй
de l’une serait privй de l’autre.
Rйponse
:
[66713] De virtutibus, q. 5 a. 2 co. Respondeo.
Dicendum, quod de virtutibus dupliciter possumus loqui : uno modo de
virtutibus perfectis; alio modo de virtutibus imperfectis. Perfectae quidem virtutes
connexae sibi sunt; imperfectae autem virtutes non sunt ex necessitate
connexae. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum virtus sit quae hominem
bonum facit, et opus eius bonum reddit, illa est virtus perfecta quae
perfecte opus hominis bonum reddit, et ipsum bonum facit; illa autem est
imperfecta, quae hominem et opus eius reddit bonum non simpliciter, sed quantum
ad aliquid. Bonum autem simpliciter in actibus humanis invenitur per hoc quod
pertingitur ad regulam humanorum actuum; quae quidem est una quasi homogenea
et propria homini, scilicet ratio recta, alia autem est sicut prima mensura
transcendens, quod est Deus. Ad rationem autem rectam attingit homo per
prudentiam, quae est recta ratio agibilium, ut philosophus dicit in VI Ethic.
Ad Deum autem attingit homo per caritatem, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui
manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo. Sic igitur est triplex
gradus virtutum. Sunt enim quaedam virtutes omnino imperfectae, quae sine
prudentia existunt, non attingentes rationem rectam, sicut sunt inclinationes
quas aliqui habent ad aliqua virtutum opera etiam ab ipsa nativitate, secundum
illud Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero
egressa est mecum. Huiusmodi autem inclinationes non simul insunt
omnibus, sed quidam habent inclinationem ad unum, quidam ad aliud. Hae autem
inclinationes non habent rationem virtutis, quia virtute nullus male utitur,
secundum Augustinum; huiusmodi autem inclinationibus potest aliquis male uti
et nocive, si sine discretione utatur; sicut equus, si visu careret, tanto
fortius impingeret, quanto fortius curreret. Unde Gregorius dicit in XXII
Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant,
virtutes esse nequaquam possunt; unde ibi inclinationes quae sunt sine
prudentia, non habent perfecte rationem virtutis. Secundus autem gradus
virtutum est illarum quae attingunt rationem rectam, non tamen attingunt ad
ipsum Deum per caritatem. Hae quidem aliqualiter sunt perfectae per
comparationem ad bonum humanum, non tamen sunt simpliciter perfectae, quia
non attingunt ad primam regulam, quae est ultimus finis, ut Augustinus dicit
contra Iulianum. Unde et deficiunt a vera ratione virtutis; sicut et morales
inclinationes absque prudentia deficiunt a vera ratione virtutis. Tertius
gradus est virtutum simpliciter perfectarum, quae sunt simul cum caritate;
hae enim virtutes faciunt actum hominis simpliciter bonum, quasi attingentem
usque ad ultimum finem. Est autem considerandum ulterius, quod, sicut
virtutes morales esse non possunt absque prudentia, ratione iam dicta, ita
nec prudentia potest esse sine virtutibus moralibus; est enim prudentia recta
ratio agibilium. Ad ipsam autem rectam rationem in quolibet genere requiritur
quod aliquis habeat aestimationem et iudicium de principiis, ex quibus ratio
illa procedit; sicut in geometricalibus non potest aliquis habere
aestimationem rectam, nisi habeat rectam rationem circa principia
geometricalia. Principia autem agibilium sunt fines; ex his
enim sumitur ratio agendorum. De fine autem habet aliquis rectam
existimationem per habitum virtutis moralis; quia, ut philosophus dicit in
III Ethic., qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei; sicut virtuoso
videtur appetibile, ut finis, bonum quod est secundum virtutem; et vitioso
illud quod pertinet ad illud vitium; et est simile de gustu infecto et sano. Unde necesse est quod
quicumque habet prudentiam, habeat etiam virtutes morales. Similiter etiam
quicumque habet caritatem, oportet quod habeat omnes alias virtutes. Caritas
enim est in homine ex infusione divina, secundum illud Rom. V, 5 : caritas
Dei diffusa est in cordibus nostris per spiritum sanctum, qui datus est nobis.
Deus autem ad quaecumque dat inclinationem, dat etiam formas aliquas, quae
sunt principia operationum et motuum, ad quos res inclinatur a Deo; sicut
igni dat levitatem, per quam prompte et faciliter sursum tendit; unde, ut
dicitur Sap. VIII, 1, disponit omnia suaviter. Oportet igitur quod
similiter cum caritate infundantur habituales formae expedite producentes
actus ad quos caritas inclinat. Inclinat autem caritas ad omnes actus
virtutum, quia cum sit circa finem ultimum, importat omnes actus virtutum.
Quaelibet enim ars vel virtus ad quam pertinet finis, imperat his quae sunt
circa finem, sicut militaris equestri, et equestris frenorum factrici, ut
dicitur in I Ethicor. Unde secundum decentiam divinae sapientiae et bonitatis,
ad caritatem simul habitus omnium virtutum infunduntur; et ideo dicitur I ad
Corinth. XII, v. 4 : caritas patiens est, benigna est, et cetera. Sic
ergo, si accipiamus virtutes simpliciter perfectas, connectuntur propter
caritatem; quia nulla virtus talis sine caritate haberi potest, et caritate
habita omnes habentur. Si autem accipiamus virtutes perfectas in secundo
gradu, respectu boni humani, sic connectuntur per prudentiam; quia sine
prudentia nulla virtus moralis esse potest, nec prudentia haberi potest, si
cui deficiat moralis virtus. Si tamen accipiamus quatuor cardinales virtutes,
secundum quod important quasdam generales conditiones virtutum, secundum hoc
habent connexionem, ex hoc quod non sufficit ad aliquem actum virtutis quod
adsit una harum conditionum, nisi omnes adsint; et secundum hoc videtur
assignare causas connexionis Gregorius, in Lib. XXI Moralium
Nous pouvons parler des vertus de deux
maniиres : d’une maniиre, de vertus parfaites; d’une autre maniиre, de vertus
imparfaites. Or, les vertus parfaites sont connexes, alors que les vertus
imparfaites ne sont pas nйcessairement connexes. Pour le montrer, il faut
savoir ceci : comme c’est la vertu qui rend l’homme bon et rend son њuvre
bonne, c’est une vertu parfaite qui rend parfaitement bonne l’њuvre de
l’homme et le rend lui-mкme bon; mais elle est imparfaite celle qui rend bons
l’homme et son њuvre, non pas simplement, mais de maniиre relative. Or, on
trouve ce qui est simplement bon dans les actes humains dans ce qui atteint
la rиgle des actes humains. Or, une [rиgle] est pour ainsi dire homogиne et
propre а l’homme, а savoir, la droite raison, alors qu’une autre est comme la
premiиre mesure transcendante : Dieu. Or, l’homme atteint la droite raison
par la prudence, qui est la droite raison dans les actes а poser, comme le
dit le Philosophe au livre VI de l’Йthique. Et l’homme atteint Dieu
par la charitй, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui qui
demeure dans la charitй demeure en Dieu et Dieu en lui. Ainsi donc, il y
a un triple degrй des vertus. En effet, il y a des vertus tout а fait
imparfaites, qui existent sans la prudence, et n’atteignent pas la droite
raison, comme le sont les inclinations de certains pour certains actes des
vertus, mкme depuis leur naissance, selon ce que dit Jb 31, 18 : Dиs
l’enfance, la misйricorde a grandi avec moi, et elle est sortie du sein
maternel en mкme temps que moi. Or, les inclinations de ce genre
n’existent pas en mкme temps chez tous, mais les uns ont une inclination pour
une chose, les autres pour autre chose. Mais ces inclinations n’ont pas le
caractиre de vertu, parce que personne ne fait usage de la vertu de faзon
mauvaise, selon Augustin [livre I des Rйtractations]. Mais l’on peut faire usage
d’inclinations de ce genre de faзon mauvaise et nuisible si on en fait usage
sans discernement, comme un cheval, s’il йtait privй de la vue, se cognerait
d’autant plus fort qu’il courrait avec plus d’йnergie. Ainsi Grйgoire dit, au
livre XXII des Morales sur Job, que
toutes les autres vertus, а moins qu’elles n’accomplissent avec prudence ce
qu’elles dйsirent, ne peuvent en aucun cas кtre des vertus. Dиs lors, les
inclinations qui sont dйpourvues de prudence ne possиdent pas parfaitement le
caractиre de vertu. Le deuxiиme degrй des vertus est constituй de celles qui
atteignent la droite raison, mais n’atteignent pas Dieu lui-mкme par la
charitй. Elles sont en quelque sorte parfaites, comparйes au bien humain,
mais ne sont pas simplement parfaites, parce qu’elles n’atteignent pas la
rиgle premiиre, qui est la fin ultime, comme le dit Augustin contre Julien.
Dиs lors, le vйritable caractиre de vertu leur fait dйfaut, comme le
vйritable caractиre de vertu fait dйfaut aux inclinations morales dйpourvues
de prudence. Le troisiиme degrй des vertus est constituй des vertus
simplement parfaites, qui existent en mкme temps que la charitй. Ces vertus,
en effet, rendent tout simplement bon l’acte humain, comme s’il atteignait
mкme la fin ultime. Nйanmoins, il faut aussi observer que, de mкme que les
vertus morales ne peuvent pas exister sans la prudence, pour la raison dйjа
mentionnйe, de mкme la prudence ne peut pas exister sans les vertus morales,
car la prudence est la droite raison dans la conduite а tenir. Or, pour la
droite raison mкme, dans n’importe quel genre, il est exigй que l’on possиde
l’йvaluation et le jugement des principes d’oщ provient cette raison, comme
en gйomйtrie, on ne peut pas avoir une juste йvaluation si on ne possиde pas
la droite raison qui porte sur les principes de gйomйtrie. Or, les principes dans
la conduite а tenir sont les fins, car c’est d’elles que provient la raison
de ce qui doit кtre fait. Or, l’on possиde une juste йvaluation de la fin par
l’habitus de la vertu morale, parce que, comme le dit le Philosophe au livre
III de l’Йthique, tel est chacun, telle lui semble aussi la fin.
Ainsi, а l’homme vertueux, c’est le bien conforme а la vertu qui semble
dйsirable comme fin, alors qu’а l’homme vicieux, c’est ce qui relиve du vice.
Cela ressemble au goыt malade ou en santй. Dиs lors, il est nйcessaire que
celui qui possиde la prudence possиde aussi les vertus morales; et de mкme,
il faut que celui qui possиde la charitй possиde aussi toutes les autres
vertus. Car la charitй qui existe en l’homme provient d’une infusion divine,
selon ce que dit Rm 5, 5 : L’amour de Dieu a йtй rйpandu dans
nos cњurs par le Saint Esprit qui nous a йtй donnй. Or, Dieu donne
l’inclination pour tout; il donne aussi des formes, qui sont les principes
des actions et des mouvements vers lesquels une chose est inclinйe par Dieu,
comme il donne au feu la lйgиretй par laquelle il s’йlиve avec promptitude et
facilitй. Dиs lors, comme il est dit dans Sg 8, 1, il dispose de
tout avec douceur. Il faut donc qu’en mкme temps que la charitй, soient
rйpandues les formes habituelles qui produisent aisйment les actes auxquels
incline la charitй. Or, la charitй incline а tous les actes des vertus, parce
que, comme elle porte sur la fin ultime, elle entraоne tous les actes des
vertus. En effet, n’importe quel art ou vertu dont relиve la fin, commande
dans les choses qui portent sur la fin, comme la science militaire [commande]
а l’йquitation et l’йquitation а la fabrication des mors, ainsi qu’il est dit
au livre I de l’Йthique. Dиs lors, comme il convient а la sagesse et а
la bontй divines, les habitus de toutes les vertus sont rйpandus en mкme
temps que la charitй. Ainsi il est dit dans 1 Co 12, 4 : La
charitй est patiente, elle est pleine de bontй, etc. Ainsi donc, si nous
considйrons les vertus tout simplement parfaites, elles sont connexes grвce а
la charitй, parce que l’on ne peut possйder aucune vertu de ce genre sans la
charitй, et qu’en possйdant la charitй, on les possиde toutes. Mais si nous
considйrons des vertus parfaites du deuxiиme degrй, en rapport avec le bien
humain, alors elles sont connexes par la prudence, parce qu’aucune vertu
morale ne peut exister sans la prudence, et que quelqu’un ne peut pas
possйder la prudence s’il lui manque une vertu morale. Si nous considйrons
cependant les quatre vertus cardinales selon qu’elles comportent certaines
conditions gйnйrales des vertus, alors elles ont une connexion du fait qu’il
ne suffit pas pour un acte de vertu qu’il y ait une seule de ces conditions,
si elles n’y sont pas toutes. C’est ainsi que Grйgoire semble expliquer les
causes de la connexion dans le livre XXI des Morales sur Job.
Solutions :
[66714]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propter inclinationem
quae est ex natura, vel ex aliquo dono gratiae, quam habet aliquis magis ad
opus unius virtutis quam alterius contingit quod aliquis promptior est ad
actum unius virtutis quam alterius; et secundum hoc dicuntur sancti aliquas
virtutes habere, ad quarum actus magis sunt prompti, et aliquas non habere,
ad quas sunt minus prompti.
1. Par
l’inclination, issue de la nature ou d’un don de la grвce, que quelqu’un
possиde а l’acte d’une vertu plutфt qu’а l’acte d’une autre, il arrive qu’il
soit plus portй а l’acte d’une vertu qu’а celui d’une autre. C’est pourquoi
l’on dit que les saints possиdent certaines vertus а l’acte desquelles ils
sont plus portйs, et n’en possиdent pas certaines autres, auxquelles ils sont
moins portйs.
[66715]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum habitus secundum se
facit prompte et delectabiliter operari, potest tamen hoc impediri per
aliquid superveniens; sicut habens habitum scientiae interdum impeditur ad
eius usum per somnolentiam vel ebrietatem, vel aliquid huiusmodi. Sic ergo
iste qui poenitet, consequitur cum gratia gratum faciente, caritatem, et omnes
alios habitus virtutum, sed propter dispositiones ex actibus priorum
peccatorum relictas patitur difficultatem in executione virtutum quas
habitualiter recipit; quod quidem non contingit in virtutibus acquisitis per
exercitium actuum, per quos simul et contrariae dispositiones tolluntur, et
habitus virtutum generantur.
2. Alors que
l’habitus fait de soi њuvrer de maniиre prompte et agrйable, il se peut que
cela soit empкchй par quelque chose qui survient, comme celui qui a l’habitus
de la science est parfois empкchй d’en faire usage par la somnolence,
l’ivresse ou quelque chose de ce genre. Ainsi donc, celui qui se repent
obtient, avec la grвce qui sanctifie, la charitй et tous les autres habitus
des vertus. Mais, а cause des dispositions laissйes par les actes des pйchйs
prйcйdents, il йprouve de la difficultй а mettre en њuvre les vertus qu’il
reзoit de maniиre habituelle, ce qui toutefois ne se produit pas pour les
vertus acquises par l’exercice des actes par lesquels les dispositions
contraires sont aussi enlevйes et par lesquels sont engendrйs les habitus des
vertus.
[66716]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui baptizatur, simul
cum caritate recipit et prudentiam, et omnes alias virtutes; sed de
necessitate prudentiae non est ut homo sit bene consiliativus in omnibus,
puta in mercationibus et rebus bellicis et huiusmodi, sed in his quae sunt
necessaria ad salutem : quod non deest omnibus in gratia existentibus,
quantumcumque sint simplices, secundum illud I Ioan. II, 27 : unctio
docebit vos de omnibus; nisi forte in aliquibus baptizatis impediatur
actus prudentiae propter corporalem defectum aetatis, sicut in pueris, vel
pravae dispositionis, sicut in morionibus et phreneticis.
3. Celui qui
est baptisй reзoit, en mкme temps que la charitй, la prudence et toutes les
autres vertus. Mais il ne relиve pas nйcessairement de la prudence qu’un
homme soit bon conseiller en tout, par exemple, dans le commerce, les
affaires militaires et les choses de ce genre, mais dans ce qui est nйcessaire
а son salut, ce qui ne manque pas а tous ceux qui vivent dans la grвce, aussi
ingйnus soient-ils, selon ce que dit Jn 3, 27 : L’onction vous
enseignera tout, а moins que, chez certains baptisйs, l’acte de prudence
ne soit entravй par une dйfaillance corporelle due а l’вge, comme chez les
enfants, ou par une mauvaise disposition, comme chez les idiots et les
frйnйtiques.
[66717]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod artificialia diversorum
generum habent principia omnino disparata : et ideo nihil prohibet habere
artem circa unum genus eorum, et non circa aliud. Sed principia moralium sunt
ordinata ad invicem, ita quod per defectum unius sequeretur etiam defectus in
aliis; puta, si quis deficeret ab hoc principio quod est concupiscentias non
esse sequendas, quod pertinet ad concupiscentiam, sequeretur interdum quod
sequendo concupiscentiam faceret iniuriam, et sic violaretur iustitia; sicut
etiam in una et eadem arte vel scientia, puta in geometria, error unius
principii inducit errorem in totam scientiam. Et inde est quod non potest
esse aliquis sufficienter prudens circa materiam unius virtutis, nisi sit
prudens circa omnes.
4. Les
principes de l’art de divers genres ont des principes totalement disparates.
Ainsi, rien n’empкche de possйder l’art qui concerne l’un de ces genres et
non un autre. Mais les principes des rйalitйs morales sont ordonnйs les uns
par rapport aux autres, si bien que la dйfaillance de l’un entraоne aussi la
dйfaillance des autres. Par exemple, si l’on s’йloigne du principe qu’il ne
faut pas suivre les concupiscences, qui porte sur la concupiscence, il en
dйcoulerait parfois qu’on commettrait un dommage en suivant la concupiscence,
et ainsi on violerait la justice. De mкme aussi, dans un seul et mкme art ou
science, par exemple en gйomйtrie, l’erreur d’un seul principe introduit
l’erreur dans la science tout entiиre. Dиs lors, il s’ensuit que l’on ne peut
pas кtre suffisamment prudent dans la matiиre d’une seule vertu, si l’on
n’est pas prudent dans toutes.
[66718]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potest dici quod contingit
esse aliquem liberalem, sed non magnificum quantum ad actus : quia aliquis
parum habens, potest in usu eius quod habet, exercere actum liberalitatis,
non autem magnificentiae; quamvis aliquis habeat habitum, per quem etiam
magnificentiae actum exerceret, si materia adesset. Et similiter dicendum est
de moderantia et magnanimitate. Ista responsio tenenda est omnino in
virtutibus infusis. In virtutibus etiam acquisitis per actum, potest dici,
quod ille qui acquisivit habitum liberalitatis in usu parvae substantiae,
nondum acquisito habitu magnificentiae, sed habito liberalitatis actu, est in
proxima dispositione ut acquirat habitum magnificentiae per modicum actum.
Quia igitur in propinquo est ut habeatur, idem videtur ac si haberetur, quia
quod parum deest, quasi nihil deesse videtur, ut dicitur in II Physic.
5. On peut
dire qu’il arrive qu’un homme soit libйral mais ne fasse pas de grandes
choses au niveau de l’acte, parce que quelqu’un qui possиde peu de choses
peut, dans l’usage de ce qu’il possиde, exercer un acte de libйralitй mais
non de magnificence, bien qu’il possиde l’habitus par lequel il exercerait
aussi un acte de magnificence s’il en avait la matiиre. Et il faut parler de
mкme de la modйration et de la magnanimitй. Et cette rйponse doit кtre
absolument maintenue pour les vertus infuses. Aussi pour les vertus acquises
par l’acte, l’on peut dire que celui qui a acquis l’habitus de la libйralitй
dans l’usage d’une petite fortune, alors qu’il n’a pas encore acquis
l’habitus de la magnificence mais possиde l’acte de la libйralitй, est tout
prиs d’acquйrir l’habitus de la magnificence par un acte modeste. Parce qu’il
est prиs d’кtre possйdй, ce semble donc кtre la mкme chose que s’il йtait
possйdй, parce que lorsqu’il manque peu de chose, il semble qu’il ne manque
pour ainsi dire rien, comme il est dit au livre II de la Physique.
[66719]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sapientia et scientia non
accipiuntur in illis verbis apostoli neque secundum quod sunt virtutes
intellectuales, quae tamen connexionem non habent, ut infra dicetur, neque
secundum quod sunt dona spiritus sancti, quae connexionem habent secundum
caritatem; sed secundum quod sunt gratiae gratis datae : prout scilicet
aliquis abundat scientia et sapientia, ut possit aedificare alios ad finem et
Dei cognitionem, et contradicentes arguere; unde et apostolus non dicit :
alii datur sapientia, alii scientia; sed : alii datur sermo sapientiae,
alii sermo scientiae. Unde Augustinus dicit in XIV de Trinitate, quod huiusmodi
scientia, non pollent fideles plurimi, quamvis ipsa fide polleant. Fides
etiam non accipitur ibi pro fide informi, ut quidam dicunt, quia donum fidei
commune est omnibus; sed accipitur pro quadam fidei constantia, seu
certitudine, quae interdum abundat etiam in peccatoribus.
6. La sagesse
et la science ne sont pas entendues dans ces mots de l’Apфtre ni selon
qu’elles sont des vertus intellectuelles, qui ne sont cependant pas connexes,
comme on le dira plus loin, ni selon qu’elles sont des dons de l’Esprit
Saint, qui sont connexes par la charitй, mais selon qu’elles sont des
charismes (gratiae gratis datae), dans la mesure oщ l’on possиde en
abondance la science et la sagesse afin de pouvoir йdifier autrui en vue de
la fin et de la connaissance de Dieu, et de convaincre les adversaires. C’est
pourquoi l’Apфtre ne dit pas : «А l’un est donnйe la sagesse, а l’autre la
science», mais а l’un est donnйe une parole de sagesse, а l’autre une
parole de science. Ainsi Augustin dit-il, au livre XIV de La Trinitй, qu’«un grand nombre de
fidиles ne possиdent pas cette science, bien qu’ils possиdent la foi
elle-mкme ». En cet endroit, on n’entend pas non plus la foi comme la
foi informe, comme certains le disent, parce que le don de la foi est commun
а tous, mais on l’entend d’une certaine constance ou certitude de la foi, qui
abonde aussi parfois chez les pйcheurs.
[66720] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod virginitas secundum quosdam non nominat virtutem, sed quemdam
perfectiorem statum virtutis. Non autem oportet quod quicumque habet
virtutem, habeat eam secundum gradum perfectum. Et ideo sine virginitate,
castitas et aliae virtutes haberi possunt. Vel, si detur quod virginitas sit
virtus, hoc erit secundum quod importat habitum mentis, ex quo aliquis eligit
virginitatem conservare propter Christum. Et hic quidem habitus esse potest
etiam in his qui carnis integritate carent; sicut et habitus magnificentiae
potest esse sine magnitudine divitiarum.
7. La
virginitй, selon certains, ne dйsigne pas une vertu mais un йtat plus parfait
de vertu. Or, il n’est pas nйcessaire que celui qui possиde une vertu la
possиde а un degrй parfait. Ainsi l’on peut possйder la chastetй et d’autres
vertus sans la virginitй. Ou bien, si l’on concиde que la virginitй est une
vertu, ce sera selon qu’elle comporte un habitus de l’esprit par lequel on
choisit de garder la virginitй а cause du Christ. Or, cet habitus peut aussi
se trouver chez ceux qui n’ont plus une chair intиgre, comme l’habitus de la
magnificence peut exister sans que l’on possиde de grandes richesses.
[66721] De virtutibus, q.
5 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtutes intellectuales non sunt
connexae ad invicem; et hoc propter tria. Primo quidem, quia quae sunt circa
rerum diversa genera, non sunt coordinata ad invicem, sicut et de artibus
dictum est. Secundo, quia in scientiis non convertibiliter se habent
principia et conclusiones; ita scilicet quod quicumque habet principia,
habeat conclusiones, sicut in moralibus dictum est. Tertio,
quia virtus intellectualis non habet respectum ad caritatem, per quam
ordinatur homo ad ultimum finem. Et ideo huiusmodi
virtutes ordinantur ad aliqua particularia bona : puta geometria ad dimetiendum
circa abstracta quaedam, physica circa mobilia, et sic de aliis. Unde eadem
ratione non sunt connexae qua nec virtutes imperfectae, ut supra, in corp.
art., dictum est.
8. Les vertus
intellectuelles ne sont pas connexes les unes par rapport aux autres pour
trois raisons. Premiиrement, parce qu’elles concernent divers genres de
choses, elles ne sont pas coordonnйes les unes par rapport aux autres, comme
on vient de le dire а propos des arts. Deuxiиmement, parce que, dans les
sciences, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles, de telle
sorte que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme on
l’a dit pour les rйalitйs morales. Troisiиmement, parce que la vertu
intellectuelle n’a pas de rapport avec la charitй, qui ordonne l’homme а la
fin ultime. Ainsi les vertus de ce genre sont ordonnйes а certains biens
particuliers : par exemple, la gйomйtrie, а la mesure des йlйments abstraits,
la physique, а celle des йlйments mobiles, et ainsi des autres. Dиs lors,
pour la mкme raison, elles ne sont pas connexes pour la raison que les vertus
imparfaites [ne le sont pas], comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de cet
article.
[66722]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quaedam virtutes sunt quae
ordinant hominem in his quae occurrunt in vita humana : sicut temperantia,
iustitia, mansuetudo et huiusmodi; et in talibus necesse est quod homo, dum
exercitatur in actu huius virtutis, vel simul etiam exerceatur in actibus
aliarum virtutum, et tunc acquiret omnes habitus, virtutum simul; vel oportet
quod bene se habeat in uno et male in aliis, et tunc acquiret habitum
contrarium alteri virtuti, et per consequens corruptionem prudentiae, sine
qua nec dispositio, quam acquisivit per actus alicuius virtutis, habet proprie
rationem virtutis, ut supra, in corp. art., dictum est. Huiusmodi autem
habitibus acquisitis circa ea quae communiter in vita occurrunt, virtualiter
iam habentur quasi in propinqua dispositione si qui alii habitus virtutum
sunt, quorum actus occurrant frequenter in conversatione humana; sicut de
magnificentia et magnanimitate dictum est, in solutione ad 5 argumentum.
9. Il y a des
vertus qui ordonnent l’homme а ce qui survient dans la vie humaine, comme la
tempйrance, la justice, la mansuйtude et d’autres du mкme genre. Et pour de
telles vertus, il est nйcessaire que l’homme, quand il s’exerce dans l’acte
de cette vertu, s’exerce aussi en mкme temps aux actes des autres vertus, et
alors il acquiert tous les habitus des vertus en mкme temps ; ou bien qu’il
se comporte bien dans l’une et mal dans les autres, et alors il acquiert un
habitus contraire а une autre vertu, et par consйquent la corruption de la
prudence, sans laquelle la disposition qu’il a acquise par l’acte d’une vertu
n’a plus а proprement parler le caractиre de vertu, comme on l’a dit
ci-dessus dans le corps de l’article. Or, aprиs avoir acquis des habitus de
ce genre, qui concernent ce qui arrive communйment dans la vie, on les
possиde dйjа virtuellement, comme par une disposition proche, s’il y d’autres
habitus de vertus, dont les actes se prйsentent frйquemment dans le comportement
humain, comme on l’a dit а propos de la magnificence et de la magnanimitй
dans la solution au cinquiиme argument.
[66723] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod
virtutes acquisitae causantur a proposito; et necesse est quod simul
causentur in homine qui sibi proponit acquirere unam virtutem; et non
acquiret, nisi simul acquirat prudentiam, cum qua omnes habentur, ut dictum
est in corp. art. Virtutes autem infusae causantur immediate a Deo, quae
etiam causantur ex caritate, sicut ex communi radice, ut dictum est in corp.
art.
10. Les
vertus acquises sont causйes par dessein. Il est ainsi nйcessaire qu’elles
soient causйes en mкme temps dans l’homme qui se propose d’acquйrir une
vertu, et il ne l’acquiert pas s’il n’acquiert pas en mкme temps la prudence,
avec laquelle toutes sont possйdйes, comme il a йtй dit dans le corps de
l’article. Mais les vertus infuses sont causйes immйdiatement par Dieu ;
elles sont aussi causйes par la charitй en tant que racine commune, comme il
a йtй dit dans le corps de l’article.
[66724]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in scientiis
speculativis non se habent principia convertibiliter ad conclusiones, sicut
accidit in moralibus, ut dictum est in corp. art., et ideo qui habet unam
conclusionem, non necesse est quod habeat aliam. Esset autem necesse, si
oporteret, quod quicumque habet principia, haberet conclusiones, sicut est in
proposito.
11. Dans les
sciences spйculatives, les principes et les conclusions ne sont pas
convertibles, comme il arrive dans les rйalitйs morales, comme on l’a dit
dans le corps de l’article. C’est pourquoi celui qui possиde une conclusion
n’en possиde pas nйcessairement une autre. Or, cela serait nйcessaire s’il
fallait que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme
c’est le cas dans le sujet en cause.
[66725]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Augustinus loquitur ibi
de virtutibus imperfectis, quae sunt dispositiones quaedam ad actus virtutum;
unde et ipsemet probat in VI de Trinitate, connexionem.
12. Augustin
parle lа des vertus imparfaites, qui sont des dispositions en vue des actes
des vertus. Aussi prouve-t-il lui-mкme la connexion dans le livre VI de La Trinitй.
[66726]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtutes habent
connexionem ratione principii proximi, id est sui generis, quod est prudentia
vel caritas; non autem ratione principii remoti et communis, quod est Deus.
13. Les
vertus sont connexes en raison du principe rapprochй de leur genre, qui est
la prudence ou la charitй, mais non en raison du principe йloignй et commun,
qui est Dieu.
[66727]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod prudentia
specialiter inter virtutes intellectuales habet connexionem cum virtutibus
ratione materiae circa quam est; est enim circa mobilia.
14. Parmi les
vertus intellectuelles, la prudence a une connexion particuliиre avec les vertus,
en raison de la matiиre sur laquelle elle porte : des йlйments changeants.
[66728]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in patria,
deficiente spe et fide, succedent quaedam perfectiora, scilicet visio et
comprehensio, quae connectentur caritati.
15. Dans la
patrie, alors que seront absentes l’espйrance et la foi, succйderont des
rйalitйs plus parfaites : la vision et la comprйhension, connexes а la
charitй.
[66729]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in Angelis et
animabus separatis non est temperantia et fortitudo ad hos actus ad quos sunt
in hac vita, scilicet ad moderandum passiones sensibilis partis; sed ad
quosdam alios actus, ut patet per Augustinum in XIV de Trinitate.
16. Chez les
anges et les вmes sйparйes du corps, il n’y a ni tempйrance ni force pour les
actes pour lesquels elles existent dans cette vie : modйrer les passions de
la partie sensible ; mais pour d’autres actes, comme cela ressort
clairement de ce qu’йcrit Augustin au livre XIV de La Trinitй.
[66730]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod potentiae animae
non se habent convertibiliter cum essentia; quamvis enim nulla potentia
animae possit esse sine essentia, tamen essentia animae potest esse sine
quibusdam potentiis; puta sine visu et auditu, propter corruptionem organorum
quorum huiusmodi potentiae proprie sunt actus.
17. Les
puissances de l’вme et son essence ne sont pas convertibles. En effet,
quoique aucune puissance de l’вme ne puisse exister sans l’essence, l’essence
de l’вme peut cependant exister sans certaines puissances, par exemple, sans
la vue ni l’ouпe, en raison de la corruption des organes qui exercent les
actes propres de cette puissance.
[66731]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non propter hoc
homo est summus, quod habet omnes virtutes, sed propter hoc quod habet eas in
summo.
18. L’homme
atteint le degrй le plus йlevй, non parce qu’il possиde toutes les vertus,
mais parce qu’il les possиde au plus haut degrй.
[66734] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 1 Dicitur enim I ad Cor. XIII, 13 : nunc autem manent fides, spes et
caritas, tria haec; maior autem horum est caritas. Sed maioritas excludit aequalitatem. Ergo virtutes in uno homine non
sunt aequales.
Il semble que non.
1. En effet, il est dit en
1 Co 13, 13 : Maintenant la foi, l’espйrance et la
charitй demeurent toutes les trois; mais la plus grande d’entre elles, c’est
la charitй. (XIII, 13). Or, le fait d’кtre plus grand exclut l’йgalitй.
Les vertus ne sont donc pas йgales chez un seul homme.
[66735] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 2 Sed dicendum, quod caritas est maior secundum actum, sed non secundum
habitum. Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de Trinit., quod in his quae
non mole magna sunt, idem est esse maius quod melius. Sed habitus caritatis
est melior quam habitus aliarum virtutum, quia magis attingit ad Deum,
secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet. Ergo caritas secundum habitum, maior est quam aliae virtutes.
2. Mais il
faut dire que la charitй est plus grande par l’acte, et non par l’habitus. – En sens contraire, Augustin dit cependant, au
livre VI de La Trinitй, que
« pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la
mкme chose d’кtre plus grand et d’кtre meilleur ». Or, l’habitus de la
charitй est meilleur que les habitus des autres vertus parce qu’il atteint
davantage Dieu, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui
qui demeure dans la charitй demeure en Dieu. La charitй, par l’habitus,
est donc plus grande que les autres vertus.
[66736]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, perfectio praecedit suum perfectibile. Sed caritas est
perfectio aliarum virtutum, secundum illud Coloss. III, 14 : super omnia
autem haec caritatem habete, quod est vinculum perfectionis; et I ad Tim.
I, 5, dicitur : finis autem praecepti caritas. Ergo est maior aliis
virtutibus.
3. La
perfection l’emporte sur ce qu’elle perfectionne. Or, la charitй est la
perfection des autres vertus, selon ce que dit Col 3, 14 : Et
puis, par-dessus tout, ayez la charitй, qui est le lien de la perfection.
Et il est dit en 1 Tm 1, 5 : Mais la fin du
commandement est la charitй. Elle est donc plus grande que les autres
vertus.
[66737] De virtutibus, q.
5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod nihil imperfectionis habet annexum, est
perfectius et maius; quia albius est quod est nigro impermixtius. Sed habitus
caritatis nihil habet imperfectionis admixtum; quia fides est de non
apparentibus, et spes de non habitis. Ergo caritas, etiam secundum habitum,
est perfectior et maior quam fides et spes.
4. Ce qui
n’est mкlй а aucune imperfection est plus parfait et plus grand, car ce qui
est plus blanc est ce qui est le moins mкlй au noir. Or, l’habitus de la
charitй n’est mкlй а aucune imperfection, car la foi concerne ce qui n’est
pas visible, et l’espйrance, ce qui n’est pas possйdй. La charitй, mкme en
habitus, est donc plus parfaite et plus grande que la foi et l’espйrance.
[66738]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit in XIX de civitate Dei :
virtutes nisi ad Deum referantur, vitia sunt. Ex quo potest accipi,
quod ratio virtutis perficitur ex ordine ad Deum. Sed caritas propinquius
ordinat hominem ad Deum quam aliae virtutes; quia unit hominem Deo, secundum
illud I ad Cor. cap. VI, 17 : qui adhaeret Deo, unus spiritus est.
Ergo caritas est maior virtus quam aliae.
5. Augustin
dit, au livre XIX de La Citй de Dieu
: « Les vertus, si on ne les rapporte pas а Dieu, sont des
vices. » Dиs lors, on peut comprendre que la perfection de ce qui fait
la vertu vient de l’ordre а Dieu. Or, la charitй ordonne l’homme а Dieu d’une
maniиre plus rapprochйe que les autres vertus, parce qu’elle unit l’homme а
Dieu, selon ce que dit 1 Co 6, 17 : Celui qui est uni
а Dieu ne forme avec lui qu’un seul esprit. La charitй est donc une vertu
plus grande que les autres.
[66739]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, virtutes infusae originem habent ex
gratia, quae est earum perfectio. Sed caritas perfectius participat gratiam
quam aliae virtutes : gratia enim et caritas inseparabiliter se
concomitantur; fides autem et spes possunt esse sine gratia. Ergo caritas est
maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales.
6. Les vertus
infuses tirent leur origine de la grвce, qui est leur perfection. Or, la
charitй participe а la grвce de faзon plus parfaite que les autres vertus,
car la grвce et la charitй s’accompagnent de maniиre insйparable, alors que
la foi et l’espйrance peuvent exister sans la grвce. La charitй est donc plus
grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
[66740]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 7 Praeterea, Bernardus dicit in I de consideratione,
quod prudentia est materia fortitudinis, quia sine prudentia fortitudo
praecipitat. Sed id quod est principium et causa alicuius, est maius et
potius eo. Ergo prudentia est maior fortitudine; non ergo omnes virtutes sunt
aequales.
7. Bernard
dit, au livre I de La Considйration,
que la prudence est la matiиre de la force, parce que, sans la prudence, la
force va а sa ruine. Or, ce qui est le principe et la cause de quelque chose
est plus grand et plus puissant que lui. La prudence est donc plus grande que
la force. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
[66741]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in V Ethic., quod
iustitia est tota virtus; aliae autem virtutes sunt secundum partem. Sed
totum est maius parte. Ergo iustitia est maior aliis virtutibus; non ergo
omnes virtutes sunt aequales.
8. Le
Philosophe dit, au livre V de l’Йthique, que la justice est une vertu
complиte, et que les autres vertus sont partielles. Or, le tout est plus
grand que la partie. La justice est donc plus grande que les autres vertus.
Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
[66742]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea, Augustinus probat in XI super Genes. ad
Litt. quod si omnia in universo essent aequalia, non essent omnia. Sed
virtutes omnes habentur simul, quia sunt connexae, ut supra, art. praec.,
ostensum est. Non ergo omnes virtutes sunt aequales.
9. Augustin
montre, au livre XI de La Genиse au
sens littйral, que, si toutes les rйalitйs йtaient йgales dans l’univers,
elles n’existeraient pas toutes. Or, l’on possиde toutes les vertus en mкme
temps parce qu’elles sont connexes, comme on l’a montrй ci-dessus, dans
l’article prйcйdent. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
10. Les vices
sont opposйs aux vertus. Or, tous les vices ne sont pas йgaux. Toutes les
vertus ne sont donc pas йgales.
[66744]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 11 Praeterea, laus debetur actibus virtutum. Sed quidam
magis laudantur de una virtute quam de alia; unde Cassianus dicit in V de
institutione Coenob. : alius scientiae floribus exornatur; alius
discretionis ratione robustius communitur; alter patientiae gravitate
fundatur; alius humilitatis, alius continentiae virtute praefertur. Non
ergo omnes virtutes in uno homine sunt aequales.
11. On doit
louer les actes des vertus. Or, certains louent plus ceux d’une vertu que
ceux d’une autre. C’est pourquoi Cassien dit, au livre V des Institutions cйnobitiques
: « L’un est ornй des fleurs de la science, l’autre possиde un
discernement plus solide ; un autre s’appuie sur la pondйration de la
patience ; un autre l’emporte par la vertu d’humilitй, un autre par
celle de continence. » Toutes les vertus ne sont donc pas йgales chez un
seul homme.
[66745]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 12 Sed dicendum, quod ista inaequalitas est secundum
actus, non secundum habitus. Sed contra, secundum philosophum in I Poster.,
ea quae ad aliquid sunt, simul intenduntur. Sed
habitus secundum propriam rationem dicitur ad actum. Est enim habitus quo
quis agit cum tempus fuerit, ut Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali.
Si ergo actus unius virtutis in aliquo homine est maior quam actus alterius,
sequitur quod etiam habitus sint inaequales.
12. Mais il
faut dire que cette inйgalitй relиve des actes, non des habitus. – Cependant, en sens contraire, selon le Philosophe
au livre I des Seconds Analytiques,
les rйalitйs qui sont tournйes vers quelque chose sont visйes en mкme temps.
Or, selon sa raison, l’habitus est tournй vers l’acte, car l’habitus est ce
qui fait agir au moment opportun, comme le dit Augustin dans le Livre sur
le bien conjugal. Si l’acte d’une vertu est plus grand chez un homme que
l’acte d’une autre, il en dйcoule donc que les habitus aussi sont inйgaux.
[66746] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 13 Praeterea, Hugo de s. Victore dicit, quod actus augent habitus. Si
ergo actus virtutum sunt inaequales; et habitus virtutum inaequales erunt.
13. Hugues de
Saint-Victor dit que les actes dйveloppent les habitus. Si les actes des
vertus sont inйgaux, les habitus des vertus aussi seront inйgaux.
[66747]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 14 Praeterea, ita se habet in moralibus habitus
virtutis ad actum proprium, sicut in naturalibus forma ad proprium motum vel
actionem. Sed in naturalibus, quanto aliquis magis habet
de forma, tanto magis habet de operatione vel motu, quia quod est gravius,
velocius tendit deorsum, et quod est calidius, magis calefacit. Ergo etiam in moralibus actus virtutum inaequales esse non possunt,
nisi habitus virtutum fuerint inaequales.
14. De mкme
que, dans le domaine moral, l’habitus d’une vertu est tournй vers son acte
propre, de mкme, dans la nature, la forme est tournйe vers son mouvement ou
son action propres. Or, dans la nature, plus l’on possиde la forme, plus l’on
possиde l’opйration ou le mouvement, car ce qui est plus lourd tend plus
rapidement vers le bas, et ce qui est plus chaud chauffe davantage. Dans le
domaine moral aussi les actes des vertus ne peuvent donc pas кtre inйgaux, а
moins que les habitus des vertus ne soient pas inйgaux.
[66748]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 15 Praeterea, perfectiones sunt proportionabiles
perfectibilibus. Virtutes autem sunt perfectiones potentiarum animae, quae
sunt inaequales, quia ratio excedit inferiores vires, quibus imperat. Ergo etiam virtutes sunt inaequales.
15. Les
perfections sont proportionnйes а ce qui est perfectible. Or, les vertus sont
des perfections des puissances de l’вme, qui sont inйgales, parce que la
raison dйpasse les puissances infйrieures qu’elle commande. Les vertus sont
donc aussi inйgales.
[66749]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, XXII Moral. et Homil. XV
in Ezech., beatus Iob incrementa virtutum, quia distincte hominibus
superno munere tribui conspexit, gradus vocavit; quoniam per ipsos ascenditur,
et ad caelestia obtinenda venitur. Sed ubi est incrementum et gradus, non
est aequalitas. Ergo virtutes non sunt aequales.
16. Grйgoire
dit, au livre XXII des Morales sur Job
: « Le bienheureux Job a appelй degrйs les dйveloppements des
vertus, parce qu’il a observй qu’elles sont donnйes aux hommes de maniиre
diffйrente par la faveur divine ; car c’est par eux qu’on monte et qu’on
parvient а obtenir les rйalitйs cйlestes.» Mais lа oщ il y a dйveloppement et
degrй, il n’y a pas йgalitй. Les vertus ne sont donc pas йgales.
[66750] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 17 Praeterea,
quaecumque ita se habent quod uno crescente aliud decrescit, oportet quod
sint inaequalia. Sed videtur quod caritate crescente aliud decrescat : quia
status patriae, in quo perficietur caritas, opponitur statui viae, in quo
habet locum fides; uno autem oppositorum crescente, alterum decrescit. Ergo caritas et fides non
possunt esse aequales; non ergo omnes virtutes sunt aequales.
17. Il est
inйvitable que soit inйgal tout ce qui est tel que l’un dйcroоt alors que
l’autre croоt. Or, il semble que, alors que la charitй croоt, autre chose
dйcroоt, car l’йtat de la patrie [status patriae], dans lequel la
charitй atteindra sa perfection, est opposй а l’йtat de la route [status
viae], dans lequel la foi prend place. L’un des opposйs croissant,
l’autre dйcroоt. La charitй et la foi ne peuvent donc pas кtre йgales. Toutes
les vertus ne sont donc pas йgales.
Cependant
:
[66751] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed
contra. Apocal. XXI, 16 dicitur : quod latera civitatis sunt aequalia; per
quae latera signantur virtutes, secundum Glossam. Ergo virtutes sunt
aequales.
1. Il est
dit, au chapitre XXI de l’Apocalypse,
que les cфtйs de la citй sont йgaux, cфtйs qui dйsignent les vertus, selon la
Glose. Les vertus sont donc йgales.
[66752] De virtutibus, q.
5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus in VI de Trinit. : quicumque
sunt aequales in fortitudine, aequales sunt in prudentia et temperantia. Si
enim dixeris aequales esse istos fortitudine, sed illum praestare prudentia;
sequitur quod huius fortitudo minus prudens sit. Ac per hoc nec fortitudine
aequales erunt; quando est illius fortitudo prudentior. Atque ita de ceteris
virtutibus invenies, si omnes eadem consideratione percurras. Non autem oporteret
eos qui sunt aequales in una virtute, esse aequales in aliis, nisi omnes
virtutes in uno homine sint aequales.
2. Augustin
dit, au livre VI de La Trinitй : « Tous
ceux qui sont йgaux en force, sont йgaux en prudence et en tempйrance. En
effet, si tu prйtends que ces hommes sont йgaux en force mais que celui-lа
l’emporte en prudence, il s’ensuit que la force de celui-ci est moins
prudente. Et par consйquent, ils ne seront pas йgaux en force, alors que la
force de celui-lа est plus prudente. Et tu feras la mкme observation pour les
autres vertus si tu les passes toutes en revue de la mкme faзon. ». Or,
il ne serait pas nйcessaire que ceux qui sont йgaux pour une vertu soient
йgaux dans les autres, si toutes les vertus n’йtaient pas йgales chez un seul
homme.
[66753]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit super Ezech. quod fides,
spes, caritas et operatio sunt aequales. Ergo pari ratione omnes aliae
virtutes sunt aequales.
3. Grйgoire
dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel,
que la foi, l’espйrance, la charitй et l’action sont йgales. Pour la mкme
raison, toutes les autres vertus sont donc йgales.
[66754] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea,
Ezech. XLVI, 22, dicitur : mensurae unius quatuor erant; Glossa : quibus
proficimus ad virtutem. Sed quae unius mensurae, sunt aequalia. Ergo
omnes sunt aequales.
4. Il est dit
dans Ez 46, 22 : Les quatre avaient les mкmes dimensions,et dans la Glose : « Par lesquelles nous avanзons vers la
vertu ». Or, ce qui a les mкmes dimensions est йgal. Elles sont donc
toutes йgales.
[66755]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 5 Praeterea, Damascenus dicit : naturales sunt
virtutes, et aequaliter insunt omnibus secundum esse accidentis. Ergo
virtutes secundum suum esse accidentis sunt aequales.
5. [Jean] Damascиne
dit : « Les vertus sont naturelles et existent йgalement en tous
selon leur caractиre accidentel ». Les vertus sont donc йgales selon leur
caractиre accidentel.
[66756]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 6 Praeterea, maioris virtutis actui debetur maius
praemium. Si ergo in homine esset una virtus maior quam alia, sequeretur quod
eidem homini deberetur maius et minus praemium; quod est inconveniens.
6. On doit а
l’acte d’une vertu plus grande une rйcompense plus grande. Si donc une vertu
йtait plus grande qu’une autre chez un homme, il s’ensuivrait que l’on
devrait au mкme homme une rйcompense plus grande et une moins grande, ce qui
est incorrect.
[66757]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 7 Praeterea, si simpliciter sequitur ad simpliciter,
et magis sequitur ad magis. Sed ad hoc quod una virtus habeatur, sequitur
quod omnes habeantur, quia virtutes sunt connexae, ut supra, art. praeced.,
dictum est. Ergo ad hoc quod una magis habeatur, sequitur quod omnes magis
habeantur; oportet ergo omnes virtutes esse aequales.
7. Si le
simple suit le simple, le plus suit le plus. Or, pour possйder une vertu il
faut les possйder toutes, parce que les vertus sont connexes, comme il a йtй
dit ci-dessus, dans l’article prйcйdent. Pour en possйder une davantage, il
dйcoule donc que toutes doivent кtre davantage possйdйes. Il faut donc que
toutes les vertus soient йgales.
Rйponse
:
[66758]
De virtutibus, q. 5 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod aequale et inaequale
dicuntur secundum quantitatem; unum enim in quantitate aequale dicitur, sicut
in qualitate simile, et in substantia idem, ut patet in V Metaph. Quantitas
autem importat rationem mensurae, quae primo quidem invenitur in numeris;
secundario autem in magnitudinibus; et quodam alio modo in omnibus aliis
generibus, ut patet in IX Metaph. In quolibet enim genere id quod est
simplicissimum et perfectissimum, est mensura omnium aliorum, ut in coloribus
albedo, et in motibus motus diurnus; eo quod unaquaeque res tanto perfectior
est, quanto magis accedit ad primum sui generis principium. Ex quo patet quod
perfectio uniuscuiusque rei secundum quam attenditur mensuratio eius, est a
primo principio; similiter quantitas eius; et hoc est quod Augustinus dicit
in VIII de Trinit., quod in his quae non mole magna sunt, idem est melius
quod maius. Cum autem cuiuslibet formae non subsistentis esse consistat in eo
quod subiecto vel materiae inest, dupliciter potest eius quantitas seu
perfectio considerari : uno modo, secundum rationem propriae speciei; alio
modo, secundum esse quod habet in materia seu subiecto. Secundum quidem
rationem propriae speciei, formae diversarum specierum sunt inaequales; sed
formae unius speciei quaedam quidem possunt esse aequales, quaedam autem non.
Oportet enim principium specificum accipi in aliquo indivisibili. Differentia
enim huiusmodi principii speciem variat, et ideo, si hoc principio esset
additio vel subtractio, ex necessitate species variaretur. Unde et philosophus dicit in VIII Metaph., quod species rerum sunt
sicut numeri, in quibus unitas addita vel subtracta variat speciem. Quaedam
vero formae sunt quae sortiuntur speciem per aliquid suae essentiae, sicut
omnes formae absolutae, sive sint substantiales sive accidentales; et in
talibus impossibile est quod in eadem specie secundum hunc modum una forma
maior alia inveniatur, non enim est una albedo secundum se considerata, magis
albedo quam alia. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem ex aliquo
extrinseco ad quod ordinantur, sicut motus sortitur speciem ex termino. Unde unus motus est maior alio, secundum propinquitatem vel distantiam
a termino. Et similiter inveniuntur quaedam qualitates quae sunt
dispositiones in ordine ad aliquid; sicut sanitas est quaedam commensuratio
humorum in ordine ad naturam animalis, quod dicitur sanum : et ideo aliquis
gradus commensurationis humorum in leone est sanitas, qui in homine esset
infirmitas. Quia ergo secundum gradum commensurationis sanitas non recipit
speciem, sed secundum naturam animalis ad quam ordinatur, contingit etiam
quod in eodem animali una sanitas est maior quam alia, ut dicitur X Ethicorum
: in quantum, scilicet, diversi gradus commensurationis humorum possunt esse,
in quibus salvatur convenientia humanae naturae. Et eodem modo se habet in
scientia, quae recipit unitatem ex unitate subiecti; unde in uno potest esse
geometria maior quam in alio, in quantum novit plures conclusiones ordinatas
ad cognitionem subiecti geometriae, quod est magnitudo. Similiter etiam
secundum quantitatem perfectionis quam habent huiusmodi formae secundum quod
insunt materiae vel subiecto, quaedam formae unius speciei inaequales esse
possunt, in quantum insunt secundum magis et minus; quaedam vero magis et
minus inesse non possunt. Non enim quaecumque forma dat speciem subiecto cui
inest, potest inesse magis et minus : quia, sicut dictum est, principium
specificum oportet in indivisibili consistere; quod inde est, quia nulla
forma substantialis recipit magis et minus. Similiter etiam si qua forma speciem sortiatur
secundum aliquid quod secundum suam rationem est indivisibile, non dicitur
secundum magis et minus. Et inde est quod binarius, et quaelibet alia species
numeri quae specificatur secundum unitatem additam, non recipit magis et
minus; et eadem ratio est in figuris quae secundum numerum specificantur, ut
triangulus et quadratum; et in quantitatibus determinatis, ut bicubitum et
tricubitum; et in relationibus numeralibus, sicut duplum et triplum. Formae
vero quae neque dant speciem subiecto, neque sortiuntur speciem ex aliquo
quod secundum rationem suam sit indivisibile, possunt inesse secundum magis
et minus, ut albedo et nigredo, et alia huiusmodi. Ex his igitur patet, quod
dupliciter potest aliquid se ad diversas formas habere circa aequalitatem et
inaequalitatem. Quaedam enim formae sunt quae in eadem specie inaequalitatem
non recipiunt neque secundum se, ut una earum sit maior quam alia eiusdem
speciei, neque secundum esse, ut scilicet magis insit subiecto; et huiusmodi
sunt omnes formae substantiales. Quaedam vero inaequalitatem non recipiunt
secundum se, sed solum secundum quod insunt subiecto, sicut albedo et
nigredo. Quaedam vero inaequalitatem recipiunt secundum se, non tamen
secundum quod insunt subiecto, sicut triangulus dicitur maior triangulo, eo
quod lineae unius trianguli sunt maiores quam alterius, quamvis ordinentur ad
aliquid unum specificans; non tamen una superficies est magis triangula quam
alia. Quaedam vero sunt quae recipiunt inaequalitatem et secundum se, et
secundum quod insunt subiecto; sicut sanitas, et scientia, et motus. Est enim
motus inaequalis, vel quia maius spatium pertransit, vel quia mobile velocius
movetur. Similiter etiam scientia est maior unius quam alterius, vel quia
conclusiones plures novit, vel quia easdem res melius scit. Similiter potest
esse sanitas inaequaliter, vel quia gradus commensurationis in uno est
propinquior debitae et perfectae aequalitati quam in alio, vel quia circa
eumdem gradum commensurationis unus firmius se habet quam alius, et melius.
His igitur visis, circa aequalitatem et inaequalitatem virtutum dicendum est,
quod si loquamur de inaequalitate virtutum quae attenditur secundum seipsas,
sic virtutes diversarum specierum possunt esse inaequales. Cum enim virtus
sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Ethic., illa virtus
perfectior et maior est quae ad maius bonum ordinatur. Et secundum hoc
virtutes theologicae, quarum obiectum est Deus, sunt aliis potiores; inter
quas tamen caritas est maior, quia propinquius Deo coniungit; et spes maior
quam fides, quia scilicet spes aliqualiter movet affectum in Deum, fides
autem facit Deum in homine esse per modum cognitionis. Inter alias autem
virtutes prudentia est maxima, quia est moderatrix aliarum; et post hanc
iustitia, per quam homo bene se habet non solum in seipso, sed ad alium; et
post hanc fortitudo, per quam homo propter bonum contemnit pericula mortis;
et post hanc temperantia, per quam homo propter bonum contemnit maximas
delectationes corporalium. Sed in eadem specie virtutis non potest huiusmodi
inaequalitas inveniri sicut invenitur in eadem specie scientiae, quia non est
de ratione scientiae, quod habens aliquam scientiam sciat omnes conclusiones
illius scientiae; est autem de ratione virtutis, ut habens aliquam, bene se
habeat in omnibus quae ad virtutem illam pertinent. Secundum vero perfectionem
vel quantitatem virtutis ex parte illa qua inest subiecto, potest esse
inaequalitas etiam in eadem specie virtutis : in quantum unus habentium
virtutem melius se habet ad ea quae sunt illius virtutis quam alius; vel
propter meliorem dispositionem naturalem, vel propter maius exercitium, vel
propter melius iudicium rationis, vel propter gratiae donum; quia virtus
neque dat speciem subiecto, neque habet aliquid indivisibile in sui ratione,
nisi secundum Stoicos, qui dicebant nullum habere virtutem nisi eam haberet
in summo; et secundum hoc omnes sunt habentes eamdem virtutem aequaliter. Sed
hoc non videtur esse de ratione alicuius virtutis, quia talis diversitas in
modo participandi virtutem attenditur secundum praedicta, quae non pertinent
ad rationem alicuius particularis virtutis, puta castitatis, vel similium.
Sic igitur in diversis, virtutes inaequales esse possunt, et quantum ad
diversas species virtutum, et etiam secundum quod insunt subiecto, quantum
etiam ad unam speciem virtutis. Sed in uno et in eodem homine sunt quidem
virtutes inaequales secundum quantitatem vel perfectionem, quam virtus
secundum se habet; secundum vero illam quantitatem et perfectionem quam habet
virtus secundum quod inest subiecto, simpliciter quidem oportet omnes virtutes
esse aequales, eadem ratione qua et sunt connexae, quia aequalitas est
quaedam connexio in quantitate. Unde et aequalitatis rationem aliqui
assignant secundum quod per quatuor virtutes cardinales intelliguntur quidam
generales modi virtutum; et huiusmodi est ratio Augustini in VI de Trinit.
Aliter vero assignari potest secundum dependentiam virtutum moralium a
prudentia, et omnium virtutum a caritate; unde ubi est aequaliter caritas,
oportet omnes virtutes esse aequales secundum formalem perfectionem virtutis;
et eadem ratione de prudentia per comparationem ad virtutes morales. Secundum
quid vero possunt virtutes esse inaequales in uno et eodem, sicut et non
connexae, secundum inclinationem potentiae ad actum, quae est ex natura, vel
ex quacumque alia causa. Et propter hoc quidam dicunt, quod sunt inaequales
secundum actum; sed hoc non est intelligendum nisi secundum inaequalitatem
inclinationis ad actum.
On parle d’йgal et d’inйgal selon la
quantitй, car on parle d’une chose йgale selon la quantitй. En effet, on dit
qu’une chose est йgale en quantitй, comme [on dit] qu’une chose est semblable
par la qualitй et la mкme par la substance, comme cela ressort clairement du
livre V de la Mйtaphysique. Or, la
quantitй comporte la notion de mesure, que l’on trouve d’abord dans les
nombres, puis dans les grandeurs, et, d’une autre maniиre, dans tous les
autres genres, comme cela ressort clairement du livre IX de la Mйtaphysique. Dans n’importe quel
genre, en effet, ce qui est le plus simple et le plus parfait est la mesure
de tout le reste, comme le blanc dans les couleurs et le mouvement quotidien
dans les mouvements, parce que chaque rйalitй est d’autant plus parfaite
qu’elle s’approche du principe premier de son genre. Dиs lors, il est clair
que la perfection d’une rйalitй selon laquelle on envisage de la mesurer se
prend de son premier principe. De mкme en est-il pour sa quantitй. C’est ce
que dit Augustin au livre VIII de La
Trinitй : « Pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas
quantitative, c’est la mкme chose d’кtre meilleures et d’кtre plus grandes.
». Or, comme l’кtre de n’importe quelle forme non subsistante consiste en ce
qu’elle existe dans un sujet ou dans une matiиre, on peut considйrer de deux
faзons sa quantitй ou sa perfection : d’une faзon, selon
le caractиre de sa propre espиce; d’une autre faзon, selon l’кtre
qu’elle a dans la matiиre ou dans le sujet. Selon le caractиre de leur propre
espиce, les formes des diverses espиces sont inйgales, mais certaines formes
d’une seule espиce peuvent кtre йgales, et certaines non. En effet, il faut
qu’un principe spйcifique soit reзu dans quelque chose d’indivisible. Car la
diffйrence d’un principe de ce genre diversifie l’espиce, et ainsi, s’il y
avait addition ou soustraction а ce principe, l’espиce serait nйcessairement
diffйrente. Aussi le Philosophe dit-il, au livre VIII de la Mйtaphysique, que les espиces des
choses sont comme les nombres, dans lesquels une unitй ajoutйe ou soustraite
diversifie l’espиce. Mais il y a des formes qui reзoivent leur espиce par
quelque chose de leur essence, comme toutes les formes absolues, qu’elles
soient substantielles ou accidentelles. Et dans de telles formes, il est
impossible que l’on trouve de cette maniиre dans la mкme espиce une forme
plus grande qu’une autre : en effet, considйrйe en elle-mкme, une blancheur
n’est pas davantage blancheur qu’une autre. Mais il y a des formes qui
reзoivent leur espиce de quelque chose d’extйrieur а quoi elles sont
ordonnйes, comme le mouvement tire son espиce du terme. Dиs lors, un mouvement
est plus grand qu’un autre, selon la proximitй ou la distance par rapport au
terme. Et l’on trouve de mкme des qualitйs qui sont des dispositions
ordonnйes а quelque chose, comme la santй est une mesure proportionnйe des
humeurs du corps, ordonnйe а la nature d’un animal ; c’est pourquoi un
certain degrй de mesure des humeurs chez le lion est la santй, qui, chez
l’homme, serait une maladie. Donc, parce que la santй ne reзoit pas son
espиce du degrй de la mesure, mais de la nature de l’animal а laquelle elle
est ordonnйe, il arrive aussi que, chez le mкme animal, une santй soit plus
grande qu’une autre, comme il est dit au livre X de l’Йthique, dans la
mesure oщ il peut exister des degrйs dans la mesure des humeurs, qui
maintiennent l’harmonie de la nature humaine. Et il en va de mкme pour la
science, qui reзoit l’unitй de l’unitй du sujet. Dиs lors, la gйomйtrie peut
кtre plus grande chez l’un que chez l’autre, dans la mesure oщ il connaоt
plus de conclusions ordonnйes а la connaissance du sujet de la gйomйtrie, qui
est la grandeur. De mкme aussi selon la quantitй de perfection que possиdent
les formes de ce genre, selon qu’elles sont dans la matiиre ou dans le sujet,
certaines formes d’une seule espиce peuvent кtre inйgales, dans la mesure oщ
elles s’y trouvent plus ou moins. Mais certaines ne peuvent pas s’y trouver
plus ou moins. En effet, toutes les formes qui donnent l’espиce au sujet dans
lequel elles existent ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins, parce que,
comme on vient de le dire, un principe spйcifique doit consister en quelque
d’indivisible ; de lа dйcoule qu’aucune forme substantielle ne reзoit du
plus ou du moins. De mкme aussi, si une forme partage une espиce selon
quelque chose qui est spйcifiquement indivisible, on n’en parle pas comme de
quelque chose de plus ou de moins. C’est pourquoi le double, et n’importe
quelle autre espиce de nombre, qui reзoit son espиce d’une unitй ajoutйe, ne
reзoit pas plus ou moins. Et la mкme raison vaut pour les figures qui
reзoivent leur espиce du nombre, comme le triangle et le carrй ; et pour
les quantitйs dйterminйes, comme deux coudйes et trois coudйes, et pour les
relations entre les nombres, comme double et triple. Mais les formes qui ne
donnent pas son espиce au sujet et ne reзoivent pas leur espиce de quelque
chose qui est spйcifiquement indivisible, peuvent y exister en plus ou en
moins, comme la blancheur ou le noir, et les autres choses du mкme genre. Il
ressort donc clairement de cela que quelque chose peut avoir un rapport а
diverses formes selon l’йgalitй et l’inйgalitй. En effet, il y a des formes
qui, а l’intйrieur d’une mкme espиce, ne reзoivent pas l’inйgalitй ni par
elles-mкmes, de sorte que l’une d’elles soit plus grande qu’une autre de
cette espиce, ni selon l’кtre, de sorte qu’elle existe davantage dans un
sujet : et toutes les formes substantielles sont de ce genre. Mais certaines
ne reзoivent pas l’inйgalitй par elles-mкmes, mais seulement selon qu’elles
existent dans un sujet, comme la blancheur et le noir. Mais certaines
reзoivent l’inйgalitй par elles-mкmes, mais non selon qu’elles existent dans
un sujet, comme un triangle est dit plus grand qu’un autre triangle, parce
que les lignes d’un triangle sont plus grandes que celles d’un autre, bien
qu’elles soient ordonnйes а une seule chose qui leur donne leur espиce;
cependant, une surface n’est pas plus triangulaire qu’une autre. Mais il y en
a qui reзoivent l’inйgalitй et par elles-mкmes, et selon qu’elles existent
dans un sujet, comme la santй, la science et le mouvement. En effet, le mouvement
est inйgal, soit parce qu’il traverse un espace plus grand, soit parce que le
mobile est mы plus rapidement. De mкme aussi la science de l’un est plus
grande que celle d’un autre, soit parce qu’il connaоt un plus grand nombe de
conclusions, soit parce qu’il sait mieux les mкmes choses. De mкme la santй
peut кtre inйgale, soit parce que le degrй de la mesure [des humeurs] est
plus proche de l’йgalitй convenable et parfaite chez l’un que chez l’autre,
soit parce que l’un se trouve а un degrй de mesure de faзon plus ferme et
meilleure que l’autre. Aprиs avoir vu cela, il faut dire, а propos de
l’йgalitй et de l’inйgalitй des vertus, que, si nous parlons de l’inйgalitй
des vertus tirйe d’elles-mкmes, ainsi les vertus d’espиces diverses peuvent
кtre inйgales. En effet, comme la vertu est la disposition de ce qui est
parfait а ce qui est meilleur, comme il est dit au livre VII de l’Йthique,
la vertu plus parfaite et plus grande est celle qui est ordonnйe au bien plus
grand. Ainsi les vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, sont plus
puissantes que les autres ; toutefois, parmi elles, la charitй est plus
grande, parce qu’elle unit de maniиre plus proche а Dieu ; et
l’espйrance est plus grande que la foi, parce que l’espйrance meut d’une
certaine faзon l’affectivitй vers Dieu, alors que la foi fait que Dieu se
trouve dans l’homme par mode de connaissance. Mais, parmi les autres vertus,
la prudence est la plus grande, parce qu’elle rиgle les autres; et aprиs
elle, la justice, qui permet а l’homme de bien se comporter, non seulement en
lui-mкme, mais envers autrui; et aprиs elle, la force, qui fait que l’homme
mйprise les dangers mortels pour le bien ; et aprиs elle, la tempйrance,
qui fait que l’homme mйprise les plus grands plaisirs du corps pour le bien.
Mais dans une mкme espиce de vertu, on ne peut pas trouver une inйgalitй de
ce genre, comme on en trouve dans une mкme espиce de science, parce qu’il
n’est pas de la raison de la science que celui qui possиde une science
connaisse toutes les conclusions qui relиvent de cette science. Mais, selon
la perfection ou la quantiй de la vertu, pour autant qu’elle existe dans un
sujet, il peut exister une inйgalitй mкme а l’intйrieur de la mкme espиce de
vertu, dans la mesure oщ l’un entretient un meilleur rapport qu’un autre avec
ce qui relиve de cette vertu, soit par une meilleure disposition naturelle,
soit par un plus grand exercice, soit par un meilleur jugement de la raison,
soit par un don de la grвce, parce que la vertu ne donne pas l’espиce au
sujet et ne possиde pas non plus quelque chose d’indivisible dans ce qu’elle
a de spйcifique, sauf selon les Stoпciens, qui disaient que personne ne
possйdait la vertu s’il ne la possйdait pas au plus haut point, et qu’ainsi
tous possиdaient la mкme vertu de maniиre йgale. Mais il ne semble pas que
cela fasse partie de la raison de vertu, parce qu’une telle diversitй dans le
mode de participation а la vertu est tirйe de ce qui a йtй dit, qui
n’appartient pas а la raison d’une vertu particuliиre, par exemple, la
chastetй, ou de vertus semblables. Ainsi donc, les vertus peuvent кtre
inйgales chez divers individus, tant par rapport aux diverses espиces de
vertus, que par leur maniиre d’exister dans un sujet, mкme par rapport а une
seule espиce de vertu. Mais chez un seul et mкme homme, les vertus sont
effectivement inйgales selon la quantitй ou la perfection que la vertu
possиde par elle-mкme. Mais selon cette quantitй et perfection que la vertu
possиde pour autant qu’elle existe dans un sujet, il faut, а parler
simplement, que toutes les vertus soient йgales, pour la mкme raison qu’elles
sont aussi connexes, parce que l’йgalitй est une certaine connexion dans la
quantitй. Dиs lors, certains attribuent aussi la notion d’йgalitй au fait
que, par les quatre vertus cardinales, l’on entend certains modes gйnйraux
des vertus. C’est la raison que donne Augustin, au livre VI de La Trinitй. Mais on peut l’attribuer
autrement а la dйpendance des vertus morales par rapport а la prudence, et de
toutes les vertus par rapport а la charitй. Dиs lors, lа oщ la charitй se
trouve de maniиre йgale, il faut que toutes les vertus soient йgales selon la
perfection formelle de la vertu; et de mкme pour la prudence, comparйe aux
vertus morales. Mais, а parler relativement, les vertus peuvent кtre inйgales
chez un seul et mкme homme, si elles ne sont pas connexes, selon
l’inclination de la puissance а l’acte qui provient de la nature, ou pour
n’importe quelle autre cause. C’est pourquoi certains disent qu’elles sont
inйgales selon l’acte, mais cela ne doit кtre entendu que selon l’inйgalitй
de l’inclination а l’acte.
Solutions
:
[66759]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de
inaequalitate quae est et attenditur secundum ipsas virtutes, non de
inaequalitate quae est secundum inesse ipsarum, de qua nunc loquimur. Caritas
enim, ut dictum est, secundum se est maior omnibus aliis virtutibus; sed
tamen, ea crescente, etiam proportionaliter crescunt omnes aliae virtutes in
uno et eodem homine, sicut digiti manus secundum se sunt inaequales, tamen
proportionaliter crescunt.
1. Cet
argument procиde de l’inйgalitй tirйe des vertus elles-mкmes, non de
l’inйgalitй qui existe et qui est envisagйe selon les vertus elles-mкmes, et
non de l’inйgalitй qui vient de leur existence dans quelque chose, dont nous
parlons maintenant. En effet, la charitй, comme on l’a dit, est en elle-mкme
plus grande que toutes les autres vertus. Mais cependant, alors qu’elle
croоt, toutes les autres vertus croissent aussi proportionnellement dans un
seul et mкme homme, de mкme que les doigts de la main sont inйgaux en
eux-mкmes, mais croissent proportionnellement.
[66760]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, tertium,
quartum, quintum et sextum; et etiam ad septimum, quod secundum eumdem modum
probabat, aliis virtutibus esse fortitudinem maiorem.
2.3. 4. 5. 6.
Il faut dire la mкme chose. Et aussi pour 7, qui dйmontrait de la mкme maniиre que la force йtait plus grande
que les autres vertus.
[66761] De virtutibus, q.
5 a. 3 ad 8 Similiter etiam ad octavum, quod eodem modo procedit de iustitia,
licet iustitia, quae est tota virtus, non sit illa iustitia quae ponitur
virtus cardinalis.
8. Cer
argument s’adresse de la mкme faзon а la justice, bien que la justice, qui
est une vertu complиte, ne soit pas la justice йtablie comme vertu cardinale.
[66762]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 9 Et similiter etiam dicendum ad nonum; quia in hoc
omnes virtutes homini insunt, quod distinguuntur secundum maiorem et minorem
perfectionem speciei.
9. Il en va
de mкme, parce que toutes les vertus existent en l’homme selon qu’elles se
distinguent par une plus ou moins grande perfection de leur espиce.
11. L’un est
plus louй pour une vertu que pour une autre, en raison d’une plus grande
promptitude а l’acte.
[66765]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ubi est maior habitus,
oportet quod sit maior actus secundum inclinationem habitus. Potest tamen
esse in homine aliquid vel impediens vel disponens ad actum, quod per
accidens se habet ad habitum; sicut habitus scientiae impeditur ne ad actum
prodeat, propter ebrietatem. Et ideo secundum huiusmodi impedimenta vel
auxilia ad agendum, potest quandoque esse augmentum in actu, non existente
augmento circa habitum.
12. Lа oщ
l’habitus est plus grand, il faut que l’acte soit plus grand selon
l’inclination de l’habitus. Il peut cependant y avoir quelque chose en
l’homme qui empкche l’action ou y dispose, qui a un rapport accidentel avec
l’habitus, comme l’habitus de science est empкchй d’кtre mis en acte par
l’ivresse. Ainsi, par des empкchements ou des aides а l’action de ce genre,
il peut y avoir parfois une augmentation dans l’acte, alors que
l’augmentation n’existe pas pour l’habitus.
[66766] De virtutibus, q.
5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in habitibus acquisitis maius
exercitium causat maiorem habitum; tamen per accidens potest impediri habitus
iam ex pluribus actibus acquisitus, ut non magis possit in actum procedere;
sicut dictum est in corp. art.
13. Dans les
habitus acquis, un exercice plus grand engendre un habitus plus grand. Cependant un habitus dйjа acquis par plusieurs
actes peut кtre empкchй par accident, de sorte qu’il ne peut plus кtre mis en
acte, comme on l’a dit dans le corps de cet article.
[66767]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod in rebus
naturalibus, ubi est aequalis forma, potest esse inaequalitas actus propter
aliquod impedimentum accidentale.
14. Dans les
choses naturelles, oщ la forme est йgale, il peut exister une inйgalitй de
l’acte en raison d’un empкchement accidentel.
[66768]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod potentiae sunt
inaequales secundum seipsas : in quantum, scilicet, una potentia secundum
propriam rationem est perfectior alia. Et hoc etiam modo dictum est, quod
virtutes sint inaequales.
15. Les
puissances sont inйgales en elles-mкmes, dans la mesure oщ une puissance est
plus parfaite qu’une autre selon sa propre raison. Et, de cette maniиre
aussi, on a dit que les vertus sont inйgales.
[66769]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod virtutes insunt
proportionaliter, ut dictum est; unde ex hoc non sequitur quod inaequaliter
habeantur.
16. Les
vertus existent [dans un sujet] de maniиre proportionnelle, comme on vient de
le dire. Dиs lors, il ne s’ensuit pas qu’elles sont possйdйes de maniиre
inйgale.
[66770]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod status patriae
opponitur fidei, ratione apertae visionis, quam non consequitur aliquis per
augmentum caritatis; unde non oportet quod crescente caritate fides minuatur.
17. L’йtat de
la patrie est opposй а la foi, en raison de la pleine vision, que l’on
obtient pas par l’augmentation de la charitй. Dиs lors, il n’est pas
nйcessaire que la foi diminue alors que la charitй croоt.
5. [Jean]
Damascиne comprend que les vertus existent de maniиre йgale en tous.
[66773]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod praemium essentiale
respondet radici caritatis; et ideo, si etiam detur quod virtutes non sint
aequales, tamen idem praemium debebitur uni homini propter identitatem
caritatis.
6. La
rйcompense essentielle correspond а la racine de la charitй. Ainsi, mкme si
l’on admet que les vertus ne sont pas йgales, la mкme rйcompense sera
cependant donnйe а un seul homme, en raison de l’identitй de la charitй.
[66777] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 1 Dicit enim Gregorius, XVI Moral., quod accidentia
vitae comparata cum corpore transeunt. Non ergo manent in patria.
Il semble que non.
1. Grйgoire dit en effet, au livre XVI des Morales sur Job, que les accidents de
la vie, comparйs au corps, passent. Ils ne demeurent donc pas dans la patrie.
[66778] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 2 Praeterea, habito fine non sunt necessaria ea quae sunt ad finem;
sicut postquam pervenitur ad portum, non necessaria est navis. Sed virtutes
cardinales in hoc distinguuntur a theologicis, quod theologicae habent
ultimum finem pro obiecto, cardinales autem sunt circa ea quae sunt ad finem.
Ergo quando perventum fuerit ad ultimum finem in patria, non erit necessaria
virtus cardinalis.
2. Une fois
que l’on possиde la fin, ce qui est ordonnй а la fin n’est plus nйcessaire,
de mкme que, aprиs кtre arrivй au port, le navire n’est plus nйcessaire. Or,
les vertus cardinales se distinguent des vertus thйologales en ceci que les
thйologales ont la fin ultime pour objet, alors que les cardinales portent
sur ce qui est ordonnй a la fin. Quand on sera parvenu а la fin ultime dans
la patrie, les vertus cardinales ne seront donc plus nйcessaires.
[66779] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 3 Praeterea, sublato fine cessat id quod est ad finem. Sed virtutes
cardinales ordinantur ad bonum civile, quod non erit in patria. Ergo neque virtutes
cardinales erunt in patria.
3. La fin
enlevйe, ce qui est ordonnй а la fin s’arrкte. Or, les vertus cardinales sont
ordonnйes au bien civil, qui n’existera plus dans la patrie. Les vertus cardinales
n’existeront donc plus dans la patrie.
[66780]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 4 Praeterea, id non dicitur manere in patria, sed
magis evacuari, quod non manet secundum propriam speciem, sed solum secundum
communem generis rationem; sicut fides dicitur evacuari, quamvis maneat
cognitio, quae est genus eius. Sed virtutes cardinales non remanent in patria
secundum proprias species, secundum quas distinguuntur : dicit enim
Augustinus, XII super Genes. ad Litt., quod una ibi et tota virtus est amare
quod videris. Ergo virtutes cardinales non manent in patria, sed evacuantur.
4. On ne dit
pas que demeure dans la patrie, mais plutфt en est йcartй, ce qui ne demeure
pas selon sa propre espиce, mais seulement selon la raison commune du
genre ; comme l’on dit que la foi est йcartйe, bien que demeure la
connaissance, qui en est le genre. Or, les vertus cardinales ne demeurent pas
dans la patrie selon leurs espиces propres, qui les distinguent : en effet,
Augustin dit, au livre XII de La Genиse
ausens littйral, que lа-bas,
la vertu complиte consiste а aimer ce que l’on verra. Les vertus cardinales
ne demeurent donc pas dans la patrie, mais sont йcartйes.
[66781] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 5 Praeterea, virtutes habent
speciem ex obiectis. Sed obiecta virtutum cardinalium non manent in patria :
nam prudentia est circa dubia, de quibus est consilium; iustitia autem est
circa contractus et iudicia; fortitudo autem est circa pericula mortis;
temperantia autem circa concupiscentias ciborum et venereorum, quae omnia non
erunt in patria.
5. L’espиce
des vertus provient des objets. Or, les objets des vertus cardinales ne
demeurent pas dans la patrie : la prudence, en effet, concerne les doutes,
sur lesquels porte le conseil ; la justice concerne les contrats et les
jugements ; la force concerne les dangers mortels, et la tempйrance
concerne les concupiscences dans la nourriture et les plaisirs sexuels, tout
ce qui n’existera pas dans la patrie.
[66782]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 6 Sed dicendum, quod in patria habebunt alios actus.-
Sed contra, diversitas eius quod cadit in definitione alicuius rei,
diversificat speciem eius. Sed actus cadit in definitione habitus : dicit
enim Augustinus in libro de bono Coniug., quod habitus est quo quis agit cum
tempus affuerit. Ergo si sunt diversi actus, erunt et habitus specie
differentes.
6. Mais il
faut dire que, dans la patrie, elles auront d’autres actes. – Cependant, la diversitй de ce qui dйfinit une
chose diversifie son espиce. Or, l’acte dйfinit l’habitus. En effet, Augustin
dit, dans le livre Sur le bien conjugal,
que l’habitus est ce qui nous fait agir au moment opportun. Si les actes sont
divers, les habitus seront donc aussi diffйrents en espиce.
[66783] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 7 Praeterea, secundum Plotinum, ut Macrobius refert, aliae sunt
virtutes purgati animi, et aliae virtutes politicae. Sed virtutes purgati
animi maxime videntur esse virtutes quae sunt in patria; virtutes autem quae
sunt hic, sunt virtutes politicae. Ergo virtutes quae sunt hic, non manent, sed
evacuantur.
7. Selon
Plotin, comme le rapporte Macrobe, autres sont les vertus de l’вme purifiйe,
et autres sont les vertus politiques. Or, les vertus de l’вme purifiйe
semblent кtre surtout les vertus qui existent dans la patrie, alors que les
vertus qui existent ici-bas sont les vertus politiques. Les vertus qui
existent ici-bas ne demeurent donc pas, mais sont йcartйes.
[66784]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 8 Praeterea, plus distant status beatorum et viatorum,
quam status domini et servi, aut viri et mulieris in vita praesenti. Sed
secundum philosophum in I Politic., alia est virtus domini et alia est virtus
servi, et similiter alia viri et alia mulieris. Ergo multo magis aliae sunt
virtutes viatorum et beatorum.
8. Les йtats
des bienheureux et de ceux qui sont en route sont plus йloignйs que les йtats
du maоtre et de l’esclave, ou de l’homme et de la femme dans la vie prйsente.
Or, selon le Philosophe, au livre I de La
Politique, autre est la vertu du maоtre, et autre la vertu de l’esclave,
et de mкme autre celle de l’homme, et autre celle de la femme. Les vertus de
ceux qui sont en route et des bienheureux sont donc bien plus diffйrentes.
[66785] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 9 Praeterea, habitus virtutum
sunt necessarii ad habilitandum possibilitatem ad actum. Sed huiusmodi habilitatio
sufficienter fiet ibi per gloriam. Non ergo erunt necessarii habitus
virtutum.
9. Les
habitus des vertus sont nйcessaires pour rendre apte la possibilitй de
l’acte. Or, une habilitation de ce genre se rйalisera suffisamment lа-bas par
la gloire. Les habitus des vertus ne seront donc pas nйcessaires.
[66786] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 10 Praeterea, apostolus probat, I ad Corinth. XIII, 8, quod caritas est
excellentior aliis, quia non evacuatur. Sed fides et spes, quae evacuantur,
sunt nobiliores virtutibus cardinalibus, quia habent nobilius obiectum,
scilicet Deum. Ergo
virtutes cardinales evacuantur.
10. L’Apфtre montre, dans 1 Co 13,
8, que la charitй est bien supйrieure aux autres, parce qu’elle ne sera pas
йcartйe. Or, la foi et l’espйrance, qui sont йcartйes, sont plus nobles que
les vertus cardinales, parce qu’elles ont un objet plus noble : Dieu. Les
vertus cardinales sont donc йcartйes.
[66787] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 11 Praeterea, virtutes intellectuales sunt nobiliores moralibus,
ut patet in VI Ethic. Sed virtutes intellectuales non manent, quia scientia
destruetur, ut dicitur I ad Corinth. cap. XIII, 8. Ergo nec virtutes
cardinales manebunt in patria.
11. Les
vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, comme cela
est clair d’aprиs le livre VI de l’Йthique. Or, les vertus
intellectuelles ne demeurent pas, parce que « la science sera
dйtruite », comme il est dit dans 1 Co 13, 8. Les vertus
cardinales ne demeureront donc pas dans la patrie.
[66788]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut Iac. I, 4, dicitur, patientia
opus perfectum habet. Sed patientia non manet in patria nisi secundum
praemium, ut dicit Augustinus XIV de Civit. Dei. Ergo multo minus aliae
virtutes morales.
12. Comme il
est dit dans Jc 1, 4 : La patience s’accompagne d’une њuvre
parfaite. Or, la patience ne demeure pas dans la patrie, si ce n’est par
la rйcompense, comme le dit Augustin au livre XIV de La Citй de Dieu. Donc, les autres vertus morales encore bien
moins.
[66789] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 13 Praeterea, quaedam virtutes cardinales, scilicet temperantia
et fortitudo, sunt in potentiis animae sensitivis : sunt enim irrationabilium
partium animae, ut patet per philosophum in III Ethic. Sed partes animae
sensitivae neque sunt in Angelis, neque possunt esse in anima separata. Ergo
huiusmodi virtutes non sunt in patria neque in Angelis, neque in animabus
separatis.
13. Certaines
vertus cardinales, la tempйrance et la force, sont dans les puissances sensitives
de l’вme, car elles appartiennent aux parties irrationnelles de l’вme, comme
le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique. Or, les parties
sensitives de l’вme n’existent pas chez les anges et ne peuvent pas se
trouver dans l’вme sйparйe [du corps]. Les vertus de ce genre n’existent donc
pas dans la patrie, ni chez les anges, ni dans les вmes sйparйes [du corps].
[66790]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, XIII de Civit. Dei,
quod in patria vacabimus, videbimus, amabimus, laudabimus. Sed vacare est
actus sapientiae : videre actus intellectus : amare actus caritatis : laudare
actus latriae. Ergo ista sola erunt in patria, non autem
virtutes cardinales.
14. Augustin
dit, au livre XIII de La Citй de Dieu,
que dans la patrie nous serons libres d’occupations, nous verrons, nous
aimerons, nous louerons. Or, кtre libre d’occupations est un acte de la
sagesse, voir, un acte de l’intelligence, aimer, un acte de la charitй, et
louer, un acte de latrie. Ceux-lа seuls existeront donc dans la patrie, mais
non les vertus cardinales.
[66791] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 15 Praeterea, in patria erunt homines similes Angelis, ut dicitur
Matth. XXII, 30. Sed secundum sobrietatem homines non assimilantur Angelis,
ad quos non pertinet cibis et potibus uti. Ergo sobrietas non erit in patria,
et pari ratione nec aliae huiusmodi virtutes.
15. Dans la
patrie, les hommes seront semblables aux anges, comme le dit Mt 22, 30.
Or, par la sobriйtй, les hommes ne sont pas assimilйs aux anges, а qui il ne
revient pas de consommer nourritures et boissons. La sobriйtй n’existera donc
pas dans la patrie, et les autres vertus du mкme genre non plus, pour la mкme
raison.
1. Il est dit dans Sg 1, 15 : La
justice est йternelle et immortelle.
[66793] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 2 Praeterea,
Sap. VIII, 7, dicitur de divina sapientia quod sobrietatem et prudentiam
docet, iustitiam et virtutem, quibus in vita nihil utilius est hominibus.
Sed in patria erit plenissima participatio sapientiae. Ergo huiusmodi
virtutes plenius erunt in patria.
2. En Sg 8, 7, il est dit de la
sagesse divine qu’elle enseigne la tempйrance et la prudence, la justice
et la force : il n’y a rien de plus utile pour les hommes dans la vie.
Or, dans la patrie, la participation а la sagesse se rйalisera plus
pleinement. Les vertus de ce genre existeront donc plus pleinement dans la
patrie.
[66794] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt divitiae spirituales. Sed spiritualium
divitiarum maior copia est in patria quam in via. Ergo huiusmodi virtutes
plenius in patria abundabunt.
3. Les vertus sont des richesses
spirituelles. Or, l’abondance des richesses spirituelles est plus grande dans
la patrie que pendant le voyage. Les vertus de ce genre abonderont donc plus
pleinement dans la patrie.
Rйponse :
[66795] De virtutibus, q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in patria manent virtutes cardinales, et habebunt ibi alios
actus quam hic, ut Augustinus dicit, XIII de Trinit. : quod nunc agit
iustitia in subveniendo miseris, quod prudentia in praecavendis insidiis,
quod fortitudo in perferendis molestiis, quod temperantia in coercendis
delectationibus pravis, non ibi erit, ubi nihil omnino mali erit; sed
iustitiae erit regenti Deo subditum esse; prudentiae, nullum bonum Deum
praeponere vel aequare; fortitudinis, ei firmissime cohaerere; temperantiae,
nullo affectu noxio delectari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod
sicut philosophus dicit in I de caelo, virtus importat ultimum potentiae.
Manifestum est autem, quod in diversis naturis diversum est potentiae
ultimum, quia altioris naturae est maior potentia, ad plura et maiora se
extendens. Et ideo illud quod est virtus uni, non est virtus alteri; puta,
hominis virtus determinatur ad ea quae sunt praecipua in humana vita; sicut
temperantia humana est, quod a ratione homo non discedat propter maximas
delectationes, sed eas magis secundum rationem moderetur; fortitudo autem
humana est, ut propter bonum rationis firmiter stet contra maxima pericula,
quae sunt pericula mortis. Sed quia divinae potentiae ultimum non attenditur
secundum ista, sed secundum aliquid altius pertinens ad infinitatem potentiae
eius; ideo fortitudo divina est eius immobilitas; temperantia erit conversio
mentis divinae ad seipsam; prudentia autem est ipsa mens divina; iustitia
autem Dei ipsa lex eius perennis. Est autem considerandum, quod diversa
ultima dupliciter accipi possunt : uno modo secundum quod accipiuntur in
eadem serie motus; alio modo secundum quod accipiuntur ut omnino disparata,
et ad invicem non ordinata. Si igitur accipiantur diversa ultima quae sub una
serie motus ordinantur, esse diversa ultima, faciunt diversas species motus;
non autem diversificant speciem principii motivi, eo quod idem est principium
motus quod movet a principio usque ad finem. Et huius exemplum accipere
possumus in aedificatione, in qua ultimus terminus est forma domus completa;
possunt tamen alia ultima accipi secundum complexionem singularum partium
domus; unde, ut philosophus dicit in X Ethic., alius specie motus est
fundatio domus, quae terminatur ad fundamentum, et alia columnarum erectio,
et alia completa aedificatio; sed tamen ars aedificatoria est una et eadem,
quae est horum trium motuum principium; et idem est in aliis motibus. Si vero
accipiantur diversa ultima disparata, quae non sunt in una serie motus, sed
sunt omnino disparata : tunc et motus specie differunt, et principia motiva;
sicut alia ars est quae est principium aedificationis, et constructionis
navis. Sic ergo ubi est idem ultimum specie, est et eadem virtus secundum
speciem, idem actus, sive motus virtutis; sicut patet quod idem ultimum
specie est quod attingit temperantia in me et in te, scilicet moderantia
circa delectationes tactus; unde nec temperantia nec actus eius specie
differt in me et in te. Ubi vero ultimum quod attingit virtus, nec est in
eadem specie, nec sub eadem serie motus continetur, oportet quod sit differentia
secundum speciem non solum in actu virtutis, sed etiam in ipsa virtute; sicut
patet de istis virtutibus secundum quod dicuntur de Deo et de homine. Ubi
vero ultimum virtutis differt specie (si tamen sub eadem serie motus
continetur, ut scilicet ab uno perveniatur in aliud), est quidem actus
differens specie, sed virtus est eadem; sicut fortitudinis actus ad aliud
ultimum derivatur ante praelium, et ad aliud in ipso praelio, et ad aliud in
triumpho : unde alius specie actus est accedere ad bellum, et alius in
praelio fortiter stare, et alius iterum de adepta victoria gaudere; et eadem
fortitudo est; sicut etiam eiusdem potentiae actus est amare, desiderare et
gaudere. Manifestum est igitur ex praedictis, in istomet artic., quod cum
status patriae sit altior quam status viae, pertingat ad perfectius ultimum.
Si igitur ultimum illud ad quod pertingit virtus viae, ordinetur ad ultimum
illud ad quod pertingit virtus patriae, necesse est quod sit eadem virtus
secundum speciem; sed actus erunt differentes. Si autem non accipiatur unum
in ordine ad aliud, tunc non erunt eaedem virtutes nec secundum actum nec
secundum habitum. Manifestum est autem quod virtutes acquisitae, de quibus
locuti sunt philosophi, ordinantur tantum ad perficiendum homines in vita civili,
non secundum quod ordinantur ad caelestem gloriam consequendam. Et ideo
posuerunt, quod huiusmodi virtutes non manent post hanc vitam, sicut de
Tullio Augustinus narrat. Sed virtutes cardinales, secundum quod sunt
gratuitae et infusae, prout de eis nunc loquimur, perficiunt hominem in vita
praesenti in ordine ad caelestem gloriam. Et ideo necesse est dicere, quod
sit idem habitus harum virtutum hic et ibi; sed quod actus sunt differentes :
nam hic habent actus qui competunt tendentibus in finem ultimum; illic autem
habent actus qui competunt iam in fine ultimo quiescentibus.
Les vertus cardinales demeurent dans la
patrie, et elles y auront d’autres actes qu’ici-bas, comme le dit Augustin au
livre XIII de La Trinitй
: « Le rфle que joue maintenant la justice en venant en aide aux
malheureux, la prudence en prenant des prйcautions contre les embыches, la
force en persйvйrant dans les difficultйs, la tempйrance en rйfrйnant les
plaisirs mauvais, n’aura plus de raison d’кtre lа-bas, oщ il n’y aura absolument
aucun mal. Mais le propre de la justice sera d’кtre soumis au pouvoir de
Dieu; de la prudence, de ne prйfйrer ou йgaler aucun bien а Dieu; de la
force, d’кtre attachй а lui de la maniиre la plus ferme; de la tempйrance, de
ne se plaire en aucun sentiment nuisible. » Pour montrer cela, il faut
savoir que, comme le dit le Philosophe au livre I Du Ciel, la vertu conduit au point ultime d’une puissance. Or, il
est clair que, dans les diverses natures, le point ultime de la puissance est
diffйrent, parce que la puissance d’une nature plus йlevйe est plus grande,
s’йtend а plus de choses et а des choses plus grandes. Ainsi, ce qui est
vertu pour l’un n’est pas vertu pour l’autre. Par exemple, la vertu de
l’homme est tournйe vers ce qui est le principal dans la vie humaine : ainsi,
la tempйrance humaine consiste en ce que l’homme ne s’йloigne pas de la
raison а cause des plus grands plaisirs, mais les modиre plutфt par la
raison ; la force humaine consiste en ce que, en vue du bien de la
raison, il demeure ferme contre les plus grands dangers, qui sont les dangers
mortels. Mais parce que le point ultime de la puissance divine ne se prend
pas de ces choses, mais de quelque chose de plus йlevй qui relиve de
l’infinitй de sa puissance, la force divine est ainsi son immobilitй, la
tempйrance sera la conversion de l’esprit divin vers lui-mкme, la prudence
est l’esprit divin lui-mкme, et la justice de Dieu, sa propre loi йternelle.
Mais il faut observer que l’on peut concevoir de deux faзons les divers
points ultimes : d’une premiиre faзon, selon qu’ils sont reзus dans une mкme
sйrie de mouvements; d’une seconde faзon, selon qu’ils sont reзus comme tout
а fait sйparйs et non ordonnйs les uns aux autres. Si donc l’on conзoit les
divers points ultimes selon qu’ils sont ordonnйs en une seule sйrie de
mouvements, le fait qu’ils sont des points ultimes rend diverses les espиces
de mouvement, mais ils ne rendent pas diverse l’espиce du principe qui meut,
parce que c’est le mкme principe de mouvement qui meut du dйbut а la fin. Et
nous pouvons en voir l’exemple dans la construction, oщ la forme achevйe de
la maison est le terme ultime ; toutefois, l’on peut voir d’autres
points ultimes dans l’assemblage de chacune des parties de la maison. Ainsi,
comme le dit le Philosophe au livre X de l’Йthique, la mise en place
du fondement de la maison est une espиce de mouvement, une autre est
l’йrection de colonnes, et une autre, la construction achevйe. Mais pourtant,
il y a un seul et mкme art de la construction, qui est le principe de ces trois
mouvements ; et il en est de mкme des autres mouvements. Mais si l’on
conзoit les divers points ultimes comme sйparйs, qui ne sont pas en une sйrie
de mouvements mais sont tout а fait sйparйs, alors les mouvements diffиrent
en espиce, ainsi que les principes qui meuvent, de mкme que sont diffйrents
les arts qui sont les principes de la construction et ceux de la rйalisation
d’un navire. Ainsi donc, lа oщ le point ultime est le mкme selon l’espиce, lа
existe une mкme vertu selon l’espиce, un mкme acte ou mouvement de la vertu,
comme il est clair que c’est la mкme fin selon espиce qu’atteint la
tempйrance en moi et en toi : la modйration qui concerne les plaisirs du
toucher. Dиs lors, ni la tempйrance ni son acte ne diffиrent en espиce en moi
et en toi. Mais lа oщ le point ultime qu’atteint la vertu n’est pas dans la
mкme espиce et n’est pas contenu dans la mкme sйrie de mouvements, il faut
qu’il y ait une diffйrence selon l’espиce, non seulement dans l’acte de la
vertu, mais encore dans la vertu elle-mкme, comme on le voit bien dans les
vertus dont on dit qu’elles viennent de Dieu et de l’homme. Mais lа oщ le
point ultime de la vertu diffиre en espиce (s’il est cependant contenu en une
mкme sйrie de mouvements, pour parvenir naturellement de l’un а l’autre),
l’acte est diffйrent en espиce, mais la vertu est la mкme. Ainsi l’acte de la
force se tourne vers un autre point ultime avant le combat, vers un autre
pendant le combat, et encore vers un autre lors du triomphe. Dиs lors, autre
est l’espиce de l’acte de se prйparer а combattre, autre celle de rйsister
vaillamment dans le combat, et autre encore celle de se rйjouir de la
victoire acquise. Et c’est la mкme force. De mкme aussi qu’aimer, dйsirer et
se rйjouir sont l’acte de la mкme puissance. Il est donc clair par ce qu’on
vient de dire dans cet article mкme que, puisque l’йtat de la patrie est plus
йlevй que l’йtat du voyage, il atteint un point ultime plus parfait. Si donc
le point ultime qu’atteint la vertu du voyage est ordonnй а celui qu’atteint
la vertu de la patrie, il est nйcessaire qu’il s’agisse de la mкme vertu par
l’espиce, mais les actes seront diffйrents. Mais si l’on ne conзoit pas un
point ultime comme ordonnй а un autre, alors ce ne seront pas les mкmes
vertus, ni selon l’acte ni selon l’habitus. Or, il est clair que les vertus
acquises, dont ont parlй les philosophes, sont ordonnйes seulement а la
perfection des hommes dans la vie civile, et non а obtenir la gloire cйleste.
Ainsi ils ont йtabli que les vertus de ce genre ne demeurent pas aprиs cette
vie, comme le raconte Augustin а propos de Cicйron. Mais les vertus
cardinales, parce qu’elles sont gratuites et infuses, pour autant que nous
parlons maintenant d’elles, perfectionnent l’homme dans la vie prйsente en
vue de la gloire cйleste. Ainsi, il est nйcessaire de dire que l’habitus de
ces vertus est le mкme ici-bas que lа-bas, mais que les actes sont
diffйrents. Ici-bas, en effet, elles ont des actes qui s’accordent avec ce
qui tend а la fin ultime, alors que lа-bas, elles ont des actes qui
conviennent а ceux qui se reposent dйjа dans la fin ultime.
Solutions
:
[66796]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi virtutes
perficiunt hominem in vita activa, sicut in quadam via qua pervenitur ad
terminum contemplationis patriae; et ideo in patria manent secundum actus
consummatos in fine.
1. Les vertus
de ce genre perfectionnent l’homme dans la vie active, comme dans un voyage
qui le fait parvenir au but de la contemplation dans la patrie. Ainsi, elles
demeurent dans la patrie selon leurs actes finalement achevйs.
[66797]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes cardinales sunt
circa ea quae sunt ad finem, non quasi in his sit ultimus eorum terminus,
sicut ultimus terminus navis est navigatio; sed in quantum, per ea quae sunt
ad finem, habent ordinem ad finem ultimum; sicut temperantia gratuita non
habet pro finali ultimo moderari concupiscentias tactus, sed hoc facit
propter similitudinem caelestem.
2. Les vertus
cardinales concernent ce qui est tournй vers la fin, non pas comme si leur
terme se trouvait dans cela, comme la navigation est la fin ultime du navire,
mais dans la mesure oщ, par ce qui est tournй vers la fin, elles sont
ordonnйes а la fin ultime. Ainsi la tempйrance gratuite n’a pas pour fin
ultime de modйrer les concupiscences du toucher, mais elle le fait en raison
de la similitude cйleste.
[66798]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum civile non est finis
ultimus virtutum cardinalium infusarum, de quibus loquimur, sed virtutum
acquisitarum de quibus philosophi sunt locuti, sicut dictum est in corp. art.
3. Le bien
civil n’est pas la fin ultime des vertus cardinales infuses, dont nous
parlons, mais des vertus acquises dont ont parlй les philosophes, comme on
l’a dit dans le corps de cet article.
[66799]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet unam et
eamdem rem esse finem diversarum virtutum vel artium; sicut conservatio boni
civilis est finis et terminus militaris et legis positivae : unde utraque ars
vel virtus habet actum suum circa hoc sicut circa finale bonum; sed
militaris, in quantum providet de conservatione boni civilis, secundum quod
per fortia certamina ad hoc pervenitur; sed lex positiva gaudet de eodem,
secundum quod per ordinationem legum bonum civile conservatur. Sic igitur
fruitio Dei in patria est finis omnium cardinalium virtutum; et unaquaeque
gaudet ibi de ea, secundum quod est finis suorum actuum. Et ideo dicitur quod
in patria erit una virtus, in quantum erit in subiecto, de qua omnes virtutes
gaudebunt; tamen erunt differentes actus et differentes virtutes secundum
diversam rationem gaudendi.
4. Rien
n’empкche qu’une seule et mкme chose soit la fin de divers arts ou vertus,
comme la conservation du bien civil est la fin et le terme du soldat et de la
loi positive. Dиs lors, l’acte des deux art ou vertu porte sur cela comme sur
son bien final : mais, pour le soldat, dans la mesure oщ il s’occupe de la
conservation du bien civil en y parvenant par de durs combats, alors que la
loi positive s’en rйjouit en conservant le bien civil par l’ordonnance des
lois. Ainsi donc, la jouissance de Dieu dans la patrie est la fin de toutes
les vertus cardinales, et chacune s’en rйjouit lа-bas, selon qu’elle est la
fin de ses actes. C’est pourquoi l’on dit que, dans la patrie, il y aura une
seule vertu, selon qu’elle existera dans un sujet, dont se rйjouiront toutes
les vertus ; cependant les actes seront diffйrents des vertus selon des
raisons diverses de se rйjouir.
[66800]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse
obiectum virtutum dupliciter. Uno modo sicut illud ad quod virtus ordinatur
sicut ad finem; sicut summum bonum est obiectum caritatis, et beatitudo
aeterna obiectum spei. Alio modo sicut materia circa quam operatur, ut ab ea
in aliud tendens; et hoc modo delectationes coitus sunt obiectum
temperantiae, non enim temperantia intendit huiusmodi delectationibus
inhaerere, sed istas delectationes compescendo, tendere in bonum rationis. Similiter
fortitudo non intendit inhaerere periculis superando pericula, sed consequi
bonum rationis; et idem est de prudentia respectu dubitationum, et de
iustitia respectu necessitatum huius vitae. Et ideo quanto longius ab his
fuerit recessum, secundum profectum spiritualis vitae, tanto erunt
perfectiores actus harum virtutum, quia praedicta verba magis se habent ad
has virtutes per modum termini a quo quam per modum termini ad quem, qui dat
speciem.
5. Quelque
chose est dit objet des vertus de deux faзons : d’une faзon, comme ce а quoi
est ordonnйe la vertu comme а sa fin : ainsi le plus grand bien est l’objet
de la charitй, et la bйatitude йternelle, l’objet de l’espйrance; d’une
seconde faзon, comme la matiиre sur laquelle elle agit, de sorte qu’elle passe
de celle-ci а autre chose. De cette maniиre, les plaisirs de l’accouplement
sont l’objet de la tempйrance, car la tempйrance ne vise pas а s’attacher а
des plaisirs de ce genre, mais, en rйprimant ces plaisirs, а tendre vers le
bien de la raison. De mкme, la force ne vise pas а s’attacher aux dangers en
surmontant les dangers, mais а poursuivre le bien de la raison. Et il en va
de mкme pour la prudence par rapport aux doutes, et pour la justice, par
rapport а ce qui est nйcessaire а cette vie. Ainsi, plus l’on s’en sera
йloignй, selon l’avancement de la vie spirituelle, plus les actes de ces
vertus seront parfaits, parce que ce que l’on vient de dire concerne plus ces
vertus par mode de point de dйpart (terminus
a quo)que par mode de point d’arrivйe (terminus ad quem), qui donne l’espиce.
[66801]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non omnis differentia
actuum demonstrat diversitatem habituum, sicut iam dictum est in corp. Art.
6. Toute
diffйrence des actes ne dйmontre pas la diversitй des habitus, comme il a
dйjа йtй dit dans le corps de cet article.
[66802]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtutes purgati animi,
quas Plotinus definiebat, possunt convenire beatis : nam prudentiae ibi est
sola divina intueri; temperantiae, cupiditates oblivisci; fortitudinis,
passiones ignorare; iustitiae, perpetuum foedus cum Deo habere. Sed virtutes
politicae de quibus ipse loquitur, ordinantur tantum ad bonum civile
praesentis vitae ut dictum est in corp. art.
7. Les vertus
de l’вme purifiйe, dйfinies par Plotin, peuvent convenir aux bienheureux :
lа-bas, en effet, le propre de la prudence est de fixer ses regards sur les
seules choses divines ; le propre de la tempйrance, d’oublier les
dйsirs ; le propre de la force, d’ignorer les passions ; le propre
de la justice, d’avoir une alliance йternelle avec Dieu. Mais les vertus
politiques dont il parle lui-mкme sont ordonnйes seulement au bien civil de
la vie prйsente, comme on vient de le dire dans le corps de cet article.
[66803]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ultima virtutum servi et
domini, mulieris et viri non ordinantur in invicem, ut sic ex uno transeatur
in aliud; et ideo non est similis ratio.
8. Les points
ultimes des vertus de l’esclave et du maоtre, de la femme et de l’homme, ne
sont pas ordonnйs les uns aux autres, de sorte qu’on passe de l’un а l’autre.
Ainsi, ce n’est pas le mкme raisonnement.
[66804]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipsa habilitatio gloriae ad
opera virtutum, quae fiet vel perficietur per gloriam, pertinet ad ipsos
habitus virtutum.
9.
L’habilitation mкme de la gloire aux њuvres des vertus, qui se fera ou sera
rйalisйe par la gloire, relиve des habitus mкmes des vertus.
[66805] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod fides ordinatur ad veritatem non apparentem,
et spes ad arduum non habitum sicut a quo speciem habent. Et ideo, quamvis
excellentiores sint virtutibus cardinalibus propter altius obiectum, tamen
evacuantur, propter hoc quod habent speciem ab eo quod non manet.
10. La foi
est ordonnйe а une vйritй non йvidente et l’espйrance, а quelque chose de
difficile non possйdй, dont elles reзoivent leur espиce. Ainsi, bien qu’elles
soient meilleures que les vertus cardinales en raison de leur objet plus
йlevй, elles sont cependant йcartйes parce que leur espиce provient de ce qui
ne demeure pas.
11. La
science non plus ne sera pas dйtruite selon l’habitus, mais elle aura un
autre acte.
[66807]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod patientia non manebit
in patria secundum actum quem habet in via, tolerando scilicet tribulationes;
manebit tamen secundum actum convenientem fini, sicut et de aliis virtutibus
dictum est in corp. art.
12. La
constance ne demeurera pas dans la patrie selon l’acte qu’elle a pendant le
voyage : supporter les tourments ; mais elle demeurera dans l’acte qui
convient а la fin, comme on l’a dit aussi pour les autres vertus dans le
corps de cet article.
[66808]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quidam dicunt quod
irascibilis et concupiscibilis, in quibus sunt temperantia et fortitudo, sunt
in parte superiori, non autem in parte sensitiva. Sed hoc est contra
philosophum in III Ethic., ubi dicit, quod virtutes sunt irrationabilium
partium. Quidam autem dicunt, quod vires sensitivae partis manent in anima
separata vel secundum potentiam tantum, vel secundum actum. Sed hoc non
potest esse, quia actus potentiae sensitivae non est sine corpore; alioquin
anima sensitiva brutorum esset etiam incorruptibilis, quod est erroneum.
Cuius autem est actio, eius est etiam potentia; unde oportet quod potentiae
huiusmodi sint coniunctae; et ita post mortem non remanent in anima separata
actu, sed virtute, sicut in radice in quantum scilicet potentiae animae
fluunt ab essentia eius. Virtutes autem istae sunt quidem in irascibili
quantum ad eorum derivationem; sed secundum originem et inchoationem sunt in
ratione et in voluntate, quia principalis actus virtutis moralis est electio,
quae est actus appetitus rationalis. Sed ista electio per quamdam
applicationem terminatur ad passiones irascibilis et concupiscibilis secundum
temperantiam et fortitudinem.
13. Certains
disent que l’irascible et le concupiscible, oщ existent la tempйrance et la
force, se trouvent dans la partie supйrieure, mais non dans la partie
sensitive. Mais cela va contre le Philosophe qui dit, au livre III de l’Йthique,
que les vertus appartiennent aux parties irrationnelles. Or, certains disent
que les forces de la partie sensitive demeurent dans l’вme sйparйe du corps,
soit selon la seule puissance, soit selon l’acte. Mais cela ne peut pas кtre
le cas, parce que l’acte d’une puissance sensitive n’existe pas sans le
corps, sans quoi l’вme sensitive des animaux sans raison serait aussi
incorruptible, ce qui est une erreur. Or, acte et puissance relиvent de la
mкme chose. Dиs lors, il faut que des puissances de ce genre soient unies [au
corps]. Ainsi, aprиs la mort, elles ne demeurent pas dans l’вme sйparйe du
corps selon l’acte, mais selon selon la puissance, comme dans leur racine,
dans la mesure oщ les puissances de l’вme dйcoulent naturellement de son
essence. Mais ces vertus se trouvent assurйment dans l’irascible quant а ce
dont elles dйcoulent, mais, selon leur origine et leur amorce, elles existent
dans la raison et dans la volontй, parce que l’acte principal de la vertu
morale est le choix, qui est l’acte de l’appйtit rationnel. Mais ce choix,
par une certaine application, a son terme dans les passions de l’irascible et
du concupiscible, suivant la tempйrance et la force.
[66809]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnia illa quatuor
pertinent ad unumquemque actum virtutum cardinalium per modum finis, in
quantum in eis consistit beatitudo caelestis.
14. Ces
quatre actes relиvent tous de chaque acte des vertus cardinales par mode de
fin, dans la mesure oщ la bйatitude йternelle consiste en eux.
[66810]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sobrietas non
assimilat nos Angelis secundum actum viae quem habet circa materiam ciborum
et potuum; sed secundum actum patriae, quem habet circa ultimum finem, sicut
et aliae virtutes.
15. La
sobriйtй ne nous assimile pas aux anges selon l’acte du voyage qu’elle
possиde en matiиre de nourritures et de boissons, mais selon l’acte de la
patrie, qu’elle possиde pour ce qui est de la fin ultime, comme les autres
vertus.
[1]
Le pиre Maxime Allard est dominicain et professeur de philosophie et de
thйologie au Collиge Universitaire Dominicain а Ottawa (Canada). Il est Docteur
en thйologie de l'Universitй de Laval. Il est titulaire d'une maоtrise en philosophie
а l'Universitй d'Ottawa (1997). Il a йgalement obtenu une maоtrise et une
licence en thйologie au Collиge dominicain (1991). Ses champs d'intйrкt et de
recherche sont concentrйs sur les sujets suivants : Thomas d'Aquin; le
rationalisme au XVIIe siиcle (Descartes et Spinoza); l'hermйneutique et les
philosophies « post-modernes »; la philosophie de la religion; la
philosophie politique.
[2] Philippa Foot, Virtue and
Vices and other Essays in Moral Philosophy, Oxford University Press, 2003,
232p.; Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory,
University of Notre Dame Press, 3e йdition, 2007, 321p.; S.L.
Danwall (ed.), Virtue Ethics, Basil Blackwell Pubs., coll. “Blackwell
Readings in Philosophy”, 2002, 272p.; J. Oakley, “Varieties of Virtue Ethics”,
in Ratio, 9\2 (1996), p. 128-152; M. Alvarez Mauri, “Perspectivas
actuales sobre la virdud. Estudio bibliografico”, in Pensamiento, 198\48
(1992), p. 459-485; S.M. Gardiner (ed.), Virtue Ethics Old and New,
Ithaca, Cornell University Press, 2005; G.E. Pence, « Recent Works on
virtue », in American Philosophical Quarterly 21 (1984), p.
281-298; K.M. Staley, “Thomas Aquinas and Contemporary Ethics of Virtue”, in The
Modern Schoolman, 66 (1989), p. 285-300; L Sentis, De l'utilitй des
vertus. Ethique et
alliance, Paris,
Beauchesne, 2004, 404p;
[3]
L.E. Corso de Estrada, « Antropologia en la Q.d. de virtutibus in
commun de Santo Tomбs », Sapientia, 46 (1991), p. 99-110; M.F.
Johnson, « St. Thomas, Obediential Potency, and the Infused Virtues :
De Virtutibus in Communi, a. 10 ad 13”, in Recherches de thйologie
ancienne et mйdiйvale, supplementa I, 1995; J. Leirens, La thйorie des
vertus dans la Question Disputйe De virtutibus in communi de saint Thomas
d’Aquin, Rome, Pontificia Universitas Santa Crucis, Facultas Filosofia,
2002, 322p.; J Inglis « Aquinas’s Replication of the Acquired moral
virtues: Rethinking the Standard Philosophical Interpretation of Moral Virtue
in Aquinas”, in Journal of Religious Ethics 27\1 (1999), 3-27. Un
mйmoire de maоtrise au Centre Pierre Abйlard, par Marie-Alix Vandevoorde a
proposй une « Traduction et commentaire des articles 10, 11 et 13 du De
virtutibus in communi de Thomas d’Aquin » en 2005 sous la direction de
R. Imbach. La traduction d’un monumental « On the virtues » de J.
Capreolus en 2001, prйfacй par Pinckaers et traduit par K. White et R. Cessario
(Catholic University of America Press, xxxv + 395p.) serait aussi а mettre au
compte de cet intйrкt pour la vertu parmi les thomistes.
[4]
Il faudra attendre l’йdition critique de la Commission lйonine pour savoir ce
qu'il en est de cet « ajout » de ce dominicain.
[5]8E. Wйber, La controverse de 1270 а
l’Universitй de Paris et son retentissement sur la pensйe de S. Thomas d’Aquin,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque
thomiste » 40, 1970 et id., La Personne humaine au XIIIe siиcle,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque
thomiste » 46, 1991; Thomas d’Aquin, Contre Averroиs, traduit,
prйsentй et annotй par Alain de Libera, Paris, Garnier-Flammarion, coll.
« Philosophie », 1999, 713p.; A. de Libera, L’Unitй de
l’intellect : commentaire du De Unitate Intellectu contra averroistas de
Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.
« Йtudes et commentaires », 2004, 558p.
[6]
J.-P. Torrell, Saint Thomas d’Aquin : sa personne et son oeuvre,
Paris & Fribourg, Йditions du Cerf et Йditions universitaires de Fribourg,
coll. « Vestigia. Pensйe antique et mйdiйvale. Initiation. 13 » 2e
йditions, 2002, 654p. oщ il affine les donnйes des PP. Synave, Mandonnet et
Weisheipl et les travaux de P. Glorieux; J.A. Weisheipl, Frиre Thomas
d’Aquin. Sa viem sa pensйe, son oeuvre, traduit de l’anglais par C. Lotte
et J. Hoffmann, Paris, Cerf, coll. « Cerf Histoire », 1993, p.
143-148, 283.
[7]
Cela mйrite attention car ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la
question 1 du De veritate sera certes scindйe en deux dans la Summa
theologiae Ia, q. 16-17 mais l’ordre des articles sera globalement respectй
bien que le contenu soit trиs modifiй а l’intйrieur de chaque respondeo,
surtout а propos de la dйfinition de la vйritй (cf. L. Dewan, « St
Thomas’s Successive Discussions on the Nature of Truth », in D. Ols (ed.), Sanctus
Thomas de Aquino : Doctor Hodiernae Humanitatis, Vatican City, Libreria
Editrice Vaticana, 1995, p. 153-168. D’autres cas pourraient кtre recensйs.
[8]
« Mais il faut dire qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur,
qui mйprise la correction et par lа il devient pire. Mais en sens contraire,
le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie
pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose
le soin d’un faible ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son
mйpris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le
remиde ; c’est pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment…. »
(nos italiques). La mкme chose se produit aussi, par exemple, en q. 1, a. 4,
obj. 5 et 8; q. 1, a. 8, obj, 10; q. 1. a. 9, obj. 14; q. 2, a. 12, obj. 9, etc.
On trouve mкme un cas oщ aucun sedcontra n’apparaоt ce qui, dans
la Summa theologiae est presque exclusivement rйservй а des questions oщ
il va de valider une liste (v.g., Summa theologiae, IIaIIae, q.
80).
[9]
Sur toute cette question, cf. B. Bazan , G. Fransen, JF Wippel, D
Jacquart, Les questions disputйes et les questions quodlibйtiques dans les
facultйs de thйologie, de droit et de mйdecine, Turnhout, coll.
« Typologie des sources du moyen вge occidental 44-45 » , 1985, p.
13-149. On pourra relire aussi avec profit le neuviиme chapitre de M.-D. Chenu,
Introduction а l’йtude de saint Thomas d’Aquin, Publication de
l’Institut d’йtudes mйdiйvales 11, Montrйal-Paris, 1954 ainsi que le long
article de P. Glorieux, « L’enseignement au Moyen вge. Techniques et
mйthodes en usage а la Facultй de Thйologie de Paris au XIIIe siиcle », in
Archives d’histoire doctrinale et littйraire du Moyen Age, 35 (1968), p.
65-186.
[10]
S. Thomas d’Aquin, Questiones disputatae, tome 2, Marietti, 1949, p.
703. Que penser par ailleurs de l’attente soutenue par le dйsir d’une
prйsentation oщ il en irait de la cohйrence parfaite et complиte de la nature
de la « vertu »? C’est lа une question pour un autre travail car je
ne crois guиre possible de trouver un lieu thomasien oщ ce dйsir et cette attente
trouveraient satisfaction!
[11]
D’ailleurs, la correctio avait fait deux brиves apparitions dans le
traitement des questions antйrieures duDe
virtutibus in communi en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10.
[12]
Il est intйressant de voir le P. Bernard, dans les notes doctrinales thomistes
expliciter le texte de la Somme thйologique comme si l’importation
avouйe et rйpйtйe de cet йlйment de la question disputйe allait de soi (Sommethйologique, Lavertu, tome premier, Paris, Йditions de la
Revue des jeunes, 1933, p. 382-384) et qu’il ne se pose pas la question de
l’absence de ces traits dans la nйgociation thйologique propre а la Somme
thйologique.
[13] Q. 1, a. 1, ad 13; q. 1, a.
4, ad 2; q. 2, a. 6, ad 15; q. 2, a. 13, ad 1; q. 5, a. 4,
ad 13.
[15] Q. 3, a. 1, ad19 : « si correctio secundum debitas
circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis
stabilimentum, remotis discordiarum causis.”
[17]
Nй en en 1935, Jacques Mйnard a йtй professeur d'histoire du Moyen Вge а
l'Universitй de Montrйal (Canada) pendant une trentaine d'annйes. Il a enseignй
en particulier l'histoire des rapports entre religion et politique au Moyen
Вge; Il a йtй aussi chargй pendant plusieurs annйes des cours sur l'histoire du
latin mйdiйval. Il est actuellement le plus efficace collaborateur du projet http://docteurangelique.free.fr pour la traduction et l’йdition des њuvres complиtes de
saint Thomas d’Aquin.
[18]
Actuellement en retraite, Raymond Berton est titulaire d'un Doctorat d’Йtat
franзais, consacrй а Abraham dans la littйrature patristique latine. Il
a rйalisй deux traductions du De potentia de saint thomas d’Aquin. Il
travaille en ce moment sur le Commentaire
des Sentences. Le 1er septembre 2005, il nous
annonce son projet de prendre en main tout le livre 1 pour le projet
http://docteurangelique.free.fr .
[19] I Sent. d. 17,q. 1, a. 1. IIa//IIж q. 23, a. 2 ;
[20]les paroles de l’Apфtre, Sermon 18 et
28 (161 et 180).
[21]
Le texte d’Augustin La Trinitй, VIII,
VIII, 12 : Diligat fratrem, et diliget
eamdem dilectionem. Trad. BA p. 63 : « Qu’il aime son frиre, il aimera
ce mкme amour. Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime, que son frиre
qu’il aime».
[22]
Augustin, mкme rйfйrence : «Apertissime enim in eadem Epistula …dicit ……
Ista contextio satis aperteque declarat, eamdem ipsam fraternem dilectionem…(nam
fraterna dilectio est, qua diligimus invicem) non solum ex Deo, sed etiam Deum
esse tanta auctoritate praedicari ». Trad. BA (p65) : « Ce contexte
est assez clair. Il montre que cette charitй fraternelle… non seulement vient
de Dieu, mais qu’elle est Dieu…
[23]La Trinitй, XV, XVII, 27.
: « Nous n’irons pas dire en effet que, si Dieu est appelй charitй,
c’est non pas que la charitй elle-mкme soit une substance qui mйrite le nom de
Dieu, mais c’est qu’elle est un don de Dieu, au sens par exemple oщ le psalmiste
dit а Dieu : « Tu es ma patience. »… Mais il n’est pas dit :
« Seigneur, ma charitй », ou « Dieu ma charitй ». Il est
dit : « Dieu est charitй », comme il est dit : « Dieu est
Esprit ». (Jn 4, 24). (Trad. BA
16, p. 27-28).
[24]
Augustin la Trinitй, VIII, VIII, 12
:« Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime que son frиre qu’il
aime. Et voilа dиs lors que Dieu lui est mieux connu que son frиre ;
beacoup mieux connu, par que prйsent…Embrasse le Dieu amour et tu embrasseras
Dieu par amour » Trad. BA 16 p. 63.
[25]
L’expression se trouve en Ia//IIж 49, a. 1 sc. C’est Aristote qui le dit Catйgories 8, 9 a 5.
[26]
Les quatre dйfinitions de la nature donnйe par Boиce (Contre Eutychиs et Nestorius, ou la Personne du Christ, 1) ;
1. Les
choses corporelles ou incorporelles, ce qui peut кtre saisi par
l’intellect. ». Le terme nature s’applique а des choses qui, puisqu’elles
sont, peuvent кtre saisies de quelque maniиre. Accident et substance sont donc
compris dans cette dйfinition, car tous peuvent кtre saisis.
2.
« Est une nature ce qui peut ou agir ou pвtir.
3.
« La nature est le principe du mouvement par soi et non par
accident » (Cf. Physique, 192 b)
4.
« La nature est la diffйrence spйcifique qui donne sa forme а chaque
chose ». (Trad. H. Merle)
J. Maritain
nous invite a considйrer en plus de ce que nous appelons nature « la
nature de tout кtre ». C’est dans ce sens qu’il faut comprend l’emploi du
mot dans ce qui suit.
[27]
Il s’agit des dix catйgories (Catйgories,
4, 1 b 25).
[28]
La pйlagianisme est une hйrйsie en matiиre de thйologie de la grвce, promue par
le moine Pйlage (dйbut du Ve siиcle). Sa doctrine se rйsume ainsi :
« L’homme peut accomplir les commandements de Dieu par ses propres forces
sans qu’il ait besoin pour cela d’un concours divin intйrieur а la
volontй ». (Ch Baumgartner, La grвce
du Christ, p. 14. Cette opinion a йtй ombattue par Augustin.
On
trouve en I Sent. d. 17, q. 1, a. 1,
arg. 8 le mкme raisonnement mais plus clair. Le syllogisme consiste а dire : 1.
Le crйй est une nature – 2. Si la charitй est crййe elle est une nature, qui
apporte des mйrites – 3. Donc en conclusion une nature apporte du mйrite, ce
qui est la doctrine de Pйlage.
[29]
Cf. I Sent. D. 17,q. 1,a.2 :
« La charitй est-elle un accident ? »
[30]
Comprendre un кtre naturel, sans apport de la grвce.
[31]
« Le Maоtre… affirme que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans
l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme habitant notre вme » (IIa IIж, q. 23, a. 1, c.
[32]
« D’autres actes vertueux procиdent de l’Esprit saint par la mйdiation des
habitus d’autres vertus. » Il cite l’espйrance et la foi (IIa IIж, q. 23, a. 2 c.).
[33]
Thomas distingue intrinsиque et interne. Ce qui est intrinsиque appartient а la
nature et en dйpend, opposй а un mouvement intйrieur.
[34]
« …parce que le pйchй ne corrompt pas entiиrement la nature humaine…il
reste que l’homme dans cet йtat peut, par son pouvoir naturel, rйaliser les
biens particulier, comme bвtir une maison et planter des vignes » Ia, IIж q. 109, a. 2, c.
[35]Parall. IIaIIж, q. 23, a. 3. II
Sent. d. 27, q. 2, a. 2.
[36]
Le texte dit diligere vel amare. Les
deux mots se traduisent pour nous par « aimer », (Ia IIж, q. 26, a. 3) : « L’amour
est-il la mкme chose que la dilection ». « L'amour est le plus
commun; car toute dilection ou charitй est amour; mais l'inverse n'est pas
vrai. Car la dilection, comme le mot l'indique, ajoute а l'amour l'idйe d'un
choix, d'une "йlection" antйcйdente. Ce qui fait que la dilection ne
se trouve pas dans le concupiscible mais seulement dans la volontй, et dans la
seule nature rationnelle. Enfin la charitй ajoute а l'amour une certaine
perfection, car ce qu'on aime de charitй est estimй d'un grand prix, comme
l'indique le nom mкme de charitй ».
[38]
L‘amitiй ne concerne que les individus entre eux et non la vie de la citй.
[39]
La mйdiйtй de la vertu selon Aristote : « J’entends par moyen dans la
chose ce qui s’йcarte а йgale distance de chacun des deux extrкmes ». (Ethique ; II, 5 1106 a 27). Sur
« nos њuvres bien rйussies… il est impossible de rien retrancher ni de
rien ajouter. Voulant signifier par lа que l’excиs et le dйfaut dйtruisent la
perfection tant que la mйdiйtй la prйserve… ». (Ibid. 1106 b 10).(Trad. J. Tricot).
[40]
Cf. IIaIIж q. 23, a. 2, arg. 2 :
« Mais la charitй n’est pas le dernier degrй (ultimum) mais c’est plus la joie et la paix. Donc il semble que la
charitй n’est pas une vertu, mais c’est la joie et la paix qui en sont
une ».
[41]
En IIaIIж, q. 23, a. 1, sc., il cite Jn 15, 15 : « Je ne vous
appeler plus serviteur, mais mes amis ».
[42]
Thomas йtudie trois cas oщ s’exerce la vertu d’amour : l’acte de raison,
l’opйration de l’artisan et celle de l’homme en tant que citoyen, appliquйe en
parallиle а la citoyennetй de la Jйrusalem cйleste.
[43]Parall. :IIaIIж, q. 23, a. 8 – II
Sent., d. 26, a. 4, ad 5. – III Sent.,
d. 23, q. 3, a. 1, q. 1 – d. 27, q. 2, a. 4 ; qa. 3 – Q. de verit., q. 11, a. 5, - De
malo, q. 7, a. 2.
[51]
La liste des dйfauts et vices citйs par saint Paul est bien plus longue.
[52]Parall. : IIa IIж, q. 25, a. 8,
q. 83, a. 8 – III Sent. , d. 30,
a ; 1 – De duobus Praecept, cap.
De dilect, prox. – de Perf. Vitae spir., cap. XIV, Ad Rm 12, lectio 3.
[53]
Mais saint Jean ajoute aussitфt : « Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos
ennemis… (5, 44).
[56]Parall.
:IIa IIж, q. 26, a. 1 – III Sent. d. 29, a. 1.
[57]
« Il m’a menйe au cellier et la banniиre qu’il dresse sur moi est
l’amour » (BJ.).
[58]Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 8, - q. 184, a. 2 – II Sent. d. 27, q. 3, a ; 4 – De perf. vit spir., cap. III, sq. Ad Philipp., c. 3, lect. 2 -
[59]
« Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que demeurer dans
ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi,
non dans la claire vision... » (BJ).
[62]
« Qui fait jamais campagne а ses propres frais ? » (BJ).
[63]Parall.
:IIa IIж, q. 24, a. 11 — CG.
IV, 70 — Ad Rom., c. 8, lect. 7 — Ad cor., c. 13, lect. 3. Cet article est souvent la reprise,
parfois mot а mot, de l’art. 11 de IIa
IIж, q. 24.
[64]Homйlie sur la Pentecфtes (cf. IIa
IIж, q. 24, a ; 11, arg. 3).
[68]Le prйcepte est un
terme technique, opposй au conseil.Le prйcepte s’impose а tous (exemple : la charitй), le conseil а
certains (pauvretй, chastetй, etc.).
[69]Parall. : IIaIIж, qu. 33, a. 2 – IV
Sent., d. 19, qu. 2, a. 2, q.a 1.
[70]
Proverbes 9, 8 « Ne reprends pas le railleur, il te haпrait, reprends le
sage, il t'aimera ». B.J.
[71]
« … comme certains nous accusent outrageusement de le dire, devrions-nous
faire le mal pour qu'en sorte le bien? Ceux-lа mйritent leur
condamnation » (Rm 3, 8).
[73]Parall.
: IIa, IIж, q. 33, a. 3 — IV Sent., dist. 11, q. 2, a. 3 q. a 1
— Quodl., I, q. 7, a. 2 — XI, q. 10,
a. 1, 2, In Matth., c. 40.
[74]
« CORRECTION FRATERNELLE, 7. Et si dans quelqu'un de vos frиres vous
remarquez ce regard immodeste dont je parle, avertissez-le de suite, afin que
sa faute ne se prolonge point, mais qu'il s'en corrige au plus tфt. Si, aprиs
votre avis, et en quelque jour que ce soit, vous le voyez retomber, celui qui
aura pu l'observer doit le dйcouvrir comme un blessй qu'il faut guйrir.
Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а un
troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou trois
tйmoins (2) et retenu par une crainte salutaire. Mais ne croyez pas кtre
malveillants en le faisant connaоtre; vous кtes coupables au contraire quand
vous laissez pйrir par votre silence des frиres que vous pouvez corriger en
parlant ».
[75]
« …devant ceux qui doivent le convaincre s'il nie , le signaler au
supйrieur, dans la crainte qu'une correction trop secrиte ne lui permette de
dissimuler devant les autres ».
[76]
« Tu conservais un front de prostituйe, refusant de rougir ». (BJ).
[77]
« Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а
un troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou
trois tйmoins et retenu par une crainte salutaire ».
[79]
Nйe en 1980, Anne Michel a suivi des йtudes classiques, jusqu'а l'obtention
d'une maоtrise de lettres classiques (Le livre IV de la Johannide de
Corippe: introduction, traduction et notes), d'une maоtrise de philosophie (Les
vertus cardinales chez saint Thomas d'Aquin: une
question disputйe, introduction et traduction) et d'un DEA de papyrologie (Edfou а l'йpoque byzantine :
des ostraca grecs inйdits de l'IFAO).
Question 3 : la correction fraternelle
Saint
Thomas d’Aquin
Les
cinq questions disputйes sur les vertus
De
virtutibus
Traduction professeur Jacques
Mйnard, pиre Dominique Dupont osb, Anne Michel Marie-Louis Evrard
Une
prйface possиde une fonction d’exposition. Encadrant un texte, du coup, elle
l’expose. Elle offre une perspective pour le regarder, assigne un point de vue
au lecteur. А tout le moins, elle en dйsigne un parmi d’autres possibles. Pour
ce faire, elle doit jouer de contrastes et de lumiиres. Pour un texte ancien,
il importe qu’elle fasse surgir quelque chose du contexte de rйdaction et de
rйflexion. Mais cela ne suffit pas. Elle signale aussi l’actualitй de ce qui se
joue dans le texte.
Vertus а la mode
Les « vertus »
reviennent а la mode. Dans le monde philosophique anglophone, certainement,
depuis les travaux de Philippa Foot il y a prиs de quarante ans et ceux plus
rйcent de Alasdair MacIntyre, les « йthiques de la vertu » (virtueethics) se sont multipliйes[2]. Et, grвce
а des traductions, ces discussions rйcentes nourrissent dйsormais des
discussions dans le monde francophone. Pour diffйrentes raisons, dans divers
milieux catholiques, le mot « vertu » et ce а quoi il ferait
rйfйrence reviennent aussi en force sur le devant de la scиne. Dans plusieurs
de ces cas, le nom de Thomas d’Aquin est utilisй comme garant, comme autoritй.
Il aurait structurй une de ces йthiques de la vertu ou des vertus.
J’йcris ceci au conditionnel car l’йcart me semble parfois tel entre la
nйgociation thйologique thomasienne et les entreprises actuelles que son
patronage risque fort de porter а faux ou d’entraоner dans des quiproquos
malheureux.
Retour donc а une doctrine
thomiste, а l’autoritй du docteur commun. Mais attention, les pensйes du
« retour » sont souvent dangereuses et les retours plus imaginaires
et fantasmйs qu’autre chose. Il serait peut-кtre mieux et а long terme plus
fructueux encore, de parler d’un tour par les textes signйs « Thomas
d’Aquin » pour les dйcouvrir : d’un tour de leur diversitй, de leurs
parallиles, d’une dйcouverte de leurs йcarts, voire de leurs tensions, selon la
diversitй possible des hermйneutiques inventйes pour ces lectures.
La prйsente traduction des
questions disputйes De virtutibus in communi participe de ce mouvement
car elle offre la premiиre traduction complиte de ces questions peu
frйquentйes. Elle facilitera la tвche de qui voudra plonger dans les dynamiques
des nйgociations et traitements, philosophiques et thйologiques, du thиme
thomasien de la vertu et de sa place importante dans l’йconomie de l’agir
humain tendu par Dieu vers Dieu pour que l’кtre humain, contemplant Dieu,
jouisse de Dieu.
Il faut l’avouer, ces questions
disputйes avaient йtй peu prйsentes explicitement dans la discussion, mкme
entre thomistes, jusqu’а prйsent dans les lieux classiques francophones,
pourtant elles les hantaient. Ainsi, par exemple, le P. Bernard leur faisait
une belle place dans ces notes explicatives et dans ses notes
« doctrinales » а la fin des deux volumes sur la vertu dans l’Йdition
dite de la « Revue des jeunes » de 1933-1934. Mais alors, s’agissant
d’йclaircir ou de prolonger des aperзus de la Summatheologiae,
ces questions disputйes n’йtaient pas travaillйes en et pour elles-mкmes; leurs
йconomies propres n’йtaient pas nйcessairement respectйes et la mise en
discours particuliиre de leurs dйterminations aisйment escamotйes. On les
pillait pour construire une « doctrine », pour produire un systиme,
jamais йnoncй et impensable а l’йpoque de la rйdaction des questions disputйes
et de la Summa theologiae. Heureusement, on remarque un lent changement
dans cette pratique grвce а quelques publications rйcentes sur un point ou
l’autre de ces questions elles-mкmes[3].
Une
collection de questions
De virtutibus in communi est un assemblage relativement
bref de questions thйologiques parmi les « questions disputйes » signйes
Thomas d’Aquin. Seulement cinq questions pour un total de trente-six articles.
Par contraste, le De malo, par exemple, en compte 15 avec un total de 96
articles ou le De veritatae avec ses vingt-sept questions et deux cents
cinquante-trois articles, dans un contexte historique particulier, ou le De
potentia, avec dix questions. Mais plus long que le De Anima avec
son unique question de vingt-et-un articles ou du De unione verbi incarnati
avec seulement cinq article en une question. Pour expliquer ces diffйrences, il
faut recourir, entre autre, а la distinction entre les disputes
« privйes » et les « publiques » et а la distinction entre
la dispute ayant eu lieu effectivement et la « rйdaction » а laquelle
elle donna lieu par la suite. De plus, а propos de certaines piиces du texte de
la premiиre question disputйe portant sur les vertus en gйnйral, les йditions
existantes signalent un « ajout » signй de « Vincent de Castel
novo », dominicain, qui s’йtend de l’ad 9 jusqu’а la fin du
deuxiиme article[4].
Tous les catalogues anciens les
situent explicitement а l’йpoque du second enseignement parisien de Thomas
d’Aquin, dont on pourra lire les enjeux philosophiques et thйologiques ainsi
que leur complexitй dans les ouvrages du P. Wйber sur l’« homme » et
la « personne » et dans les mises en contexte par Alain de Libera de
la querelle anti-averroпste sur l’unitй de l’intellect а cette pйriode[5]. Les
recherches les plus rйcentes, en attendant la publication de l’йdition critique
par la Commission lйonine, les datent de la fin de ce second sйjour, soit entre
1271 et 1272[6].
Ces recherches tablent sur des critиres externes car rien dans le texte comme
tel des questions disputйes en cause n’offre de prise pour une datation
prйcise. Ces questions auraient donc eu lieu et auraient йtй rйdigйes de
maniиre parallиle а la nйgociation de la Prima Secundae de la Summa
theologiae.
Une
organisation diffйrente
Et, pourtant, les questions sont
regroupйes et posйes autrement. De plus, l’йquilibre des autoritйs
patristiques, philosophiques, bibliques et ecclйsiastiques n’est pas le mкme.[7] Une prйface
n’est pas lа pour analyser tous les enjeux de ces dйplacements et diffйrences.
Un bref tableau, pour la premiиre question sur la vertu en gйnйral,
indique clairement l’ampleur des transformations et transmutations:
De virtutibus in communi
Summa Theologiae, Prima Secundae
Article 1
q. 55, a. 1
Article 2
q. 55, a. 4
Article 3
q. 56, a. 1
Article 4
q. 56, a. 3
Article 5
q. 56. a. 6
Article 6
q. 57, a. 5 (plus ou moins
parallиle)
Article 7
q. 56, a. 3 et q. 57, a. 1
Article 8
q. 63, a. 1
Article 9
q. 63, a. 2
Article 10
q. 63, a. 3
Article 11
q. 63, a. 3 et 4 (plus ou
moins parallиle) mais aussi q. 52, a. 1 et 66, a. 1
Article 12
q. 57, a. 2, 4 et 6 et q. 58,
a. 2 (plus ou moins parallиle)
Article 13
q. 64, a. 1 quant а la
question йnoncйe; incluant des parties des articles 2, 3 et 4 quant au
contenu
Un rйamйnagement de l’ordre aussi radical a lieu а propos des
vertus cardinales :
De virtutibus in communi q. 5
Summa Theologiae, Prima Secundae
Article 1
q. 61, a. 4
Article 2
q. 65
Article 3
q. 66, a. 2
Article 4
q. 67, a. 1
De plus, comme presque toujours,
lа oщ la Summa theologiae se contente de trois ou quatre
« objections », les questions disputйes en regorgent : jusqu’а
vingt-sept pour l’article 12 de la question sur les vertus en gйnйral avec un sed
contra de quatre objections pour l’article septiиme! De plus, les
objections elles-mкmes peuvent кtre complexifiйes par des sed contra internes
aux objections elles-mкmes comme on le voit pour la question 3, a. 1, obj. 2, а
propos de la correction fraternelle[8]. La
multiplication et la complication de ces perspectives irrйductibles
construisent un espace plus en tension pour le respondeo et la determinatio
magistrale qui s’y nйgocie et s’y configure. Du point de vue de la
reconstitution historique du contexte des « disputes », cela
requerrait une enquкte fine sur les manuscrits de l’йpoque et des maоtres
parisiens et autres pour identifier les tenants possibles de ces positions,
mais aussi pour la reconstruction des enjeux philosophiques et thйologiques
soulevйs. Cette multiplication a trait а la nature mкme de la question disputйe
et а son mode de rйalisation concrиte dans le cadre universitaire de l’йpoque[9].
Logique de la suite des
questions
Difficile de
dйterminer, enfin, une logique faisant tenir ensemble un traitement des vertus
en gйnйral, de la charitй de la correction fraternelle, de l’espйrance et des
vertus cardinales. Les rйdacteurs des introductions aux diverses йditions
Marietti dйclarent : « Manifesto, hoc non est commentarium de
virtutibus ad modum integrum, perfectum et natura sua cohaerens.[10] »
Aucune logique n’est йnoncйe dans le texte. L’ordre d’ailleurs ne reproduit pas
celui de la Prima Secundae ou de la Secunda Secundae. Si on
voulait y voir la sйquence suivante : vertus en gйnйral, vertus
thйologales, vertus cardinales, d’une part, l’absence de la « foi »
dans le groupe surprendrait; d’autre part, la prйsence de la brиve question sur
la « correction fraternelle » pourrait йtonner. Mais, sur ce point,
il est possible d’offrir une explication. D’une part, la vertu thйologale de
« foi » avait fait l’objet dйjа d’une question (la douziиme) dans les
questions disputйes De veritate lors du premier enseignement parisien;
d’autre part, une nйgociation sur la charitй appelle le traitement de la
« correctiofraterna » comme il s’agit, selon la
structure de la Secunda secundae et ce qui est indiquй dans le corps de
cette question, d’un acte de la charitй (S.T., IIaIIae, q. 33)[11]. Pour sa
part la prioritй de la charitй sur l’espйrance йtant l’objet d’un traitement
propre а propos de l’espйrance (DVC, q. 4, a. 3 : « Utrum spes sit
prior caritate »), l’ordre suivi est cohйrent avec le contenu de la
discussion bien que cela entraоne un renversement de l’ordre habituel.
Mais alors rebondit la
question : pourquoi privilйgier la « correction fraternelle »
sur l’ensemble des autres actes de la charitй? Quelque chose dans la question
antйcйdente sur la charitй ou dans les deux articles qui en traitent
offrent-ils quelques йlйments de rйponse? Pas vraiment car les brиves
apparitions de la correctio dans le traitement des questions
antйrieures, soit en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10 ne
constituent guиre des appels ou des impйratifs а un traitement ultйrieur.
Cependant, ici, le parallиle avec la Summa theologiae peut encore
s’avйrer prйcieux. Sur les sept aumфnes spirituelles йnumйrйes en IIaIIae, q.
32, a. 2 а la suite des sept aumфnes corporelles, seule la correction fraternelle
reзoit comme telle un traitement explicite et dйveloppй dans le cadre du traitй
de la charitй. Ce traitement est dйployй sur huit articles divisйs en deux
groupes (qui corrige qui [articles 1 а 5] et comment corriger [article 6 а 8]);
la question disputйe ne retient que la premiиre question et en nйgocie une
autre qui n’a pas d’йquivalent en tant que question dans la Summa theologiae,
ce qui n’empкche pas les respondeo et les rйponses aux diverses
objections de couvrir une part du matйriel mis en discours dans les articles de
la question de la Summa theologiae.
Des
traitements originaux
Mais plus encore, sans parler de
transformation profonde de la pensйe dans le cas des questions qui nous
occupent – comme, а la mкme йpoque cela arrive avec la question 6 du De Malo
– il faut cependant reconnaоtre que le traitement varie ici. Je n’en veux
donner que deux exemples mais la comparaison vaudrait pour bien d’autres
questions ou articles du recueil De virtutibus in communi. Comparons
l’article premier du De virtutibus in communi а l’article premier de son
йquivalent dans la Summa theologiae, soit la question 55 de la Prima
Secundae. Au lieu des 15 objections du De virtutibus in communi nous
n’en retrouvons que cinq dans la Prima Secundae; et de ces cinq, seulement
trois se retrouvent dans la question disputйe correspondante et, encore, pas
tout а fait. De plus, le respondeo de la question 55ne
reprйsente que 14.2% du total du respondeo correspondant. Une partie du respondeo
de la question disputйe prend du matйriel dйjа nйgociй dans les questions
49, article 2 et surtout 51 article 2 de la Prima Secundae. Pourtant, ce
n’est que dans le respondeo de la question disputйe que l’on trouve
explicitйs et argumentйs les trois йlйments sur lesquels une certaine dйfinition
traditionnelle de la vertu thomasienne s’enracinera :
Premiиrement, afin qu’il y ait uniformitй dans son opйration : en
effet, ce qui dйpend de la seule opйration est facilement changй, а moins
d’кtre affermi par une inclination habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une
opйration parfaite soit toujours prкte. En effet, а moins que la puissance
raisonnable ne soit d’une certaine faзon inclinйe а une seule chose, il faudra
toujours que prйcиde une recherche sur une opйration, alors qu’il est
nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut examiner, alors qu’il
n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui veut agir selon la
vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la vertu. (…) Troisiиmement, afin
que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En effet, ce qui est
accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon une certaine nature,
rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et par consйquent
dйlectable.[12]
Le second exemple est tirй de la
derniиre question, celle portant sur les vertus cardinales. L’йconomie de la
nйgociation esttrиs diffйrente entre
les deux questions : les questions ne sont pas les mкmes (ce qui est
uni dans la question disputйe est dissйminй sur plusieurs questions dans la Summa
theologiae); le dйsйquilibre dans la longueur de le respondeo de la
question disputйe et celle de la Summa theologiae est encore plus
accentuй que dans l’exemple prйcйdent; le vocabulaire ne se recoupe guиre; la
problйmatique de la vertu « gйnйrale » ainsi que la tension entre la
perspective des vertus « principales » et celle des vertus
« cardinales » qui sous-tend la dйfinition de la vertu cardinale dans
la Summa theologiae n’apparaоt pas structurante dans la question
disputйe; enfin, la mйtaphore а laquelle on recourt trиs souvent, celle du
gond, n’est pas mise en scиne dans les questions gйnйrales sur les vertus
cardinales dans la Summa theologiae alors qu’elle ouvre la discussion de
la question disputйe et avait йtй utilisйe dиs la question sur la vertu en gйnйral
(q. 1, a. 12, ad 24).
Un
enjeu
Au
point nйvralgique de l’йthique se love l’acte de choisir, d’йlire[13], de choisir d’кtre
heureux, avec Dieu. Les nйgociations de questions disputйes sur les vertus en
gйnйral, sur la charitй, la correction fraternelle, l’espйrance et les vertus
cardinales, selon diverses perspectives, constituent l’йclaircissement des
conditions pour rendre possible l’acte de choisir de maniиre rapide, ferme et
plaisante. Elles signalent, le travail d’habituation nйcessaire de l’acteur humain
dans toutes ses dimensions. Elles tйmoignent de ce que travail passe par
l’engagement tant par soi-mкme que par l’intervention de Dieu qui vient se
rendre prйsent et dйsirable, dйjа aimant cet acteur pour qu’il choisisse de
l’aimer et espйrer en lui, puisse parvenir а choisir de vivre et de jouir
d’кtre а l’image de Dieu et d’кtre en route vers une contemplation dйjа amorcйe
mais encore en attente de complйtion qui dйpasse les limite des capacitйs
humaines. Mieux que le registre thйologal est comme une « porte »
pour la moralitй[14].
Sur ce chemin, la communautй des « prochains » joue un rфle et
l’acteur a une responsabilitй envers autrui : celle de l’aider а
s’habituer а choisir Dieu comme fin et ce qui mиne а Dieu et, du coup, а la
paix[15].
Mais
cet enjeu et l’йlaboration des rйponses se heurtent а plusieurs objections
liйes soit а des comprйhensions diffйrentes de la nature humaine et des aspects
constitutifs de l’agir et de la psychologie humains, soit de lectures et
d’interprйtations divergentes de l’Йcriture ou de la Tradition, soit encore
d’options thйologiques autorisйes а l’йcart des options nйgociйes par Thomas
d’Aquin. Parfois, aussi, des йlйments d’un respondeo servent
d’objections lors d’une mise а la question subsйquente. En ce sens, plus encore
que pour la Summa theologiae les objections et les rйponses aux
objections s’avиrent ici structurantes de la « doctrine » mise en
discours patiemment par Thomas d’Aquin. Ainsi,
il est possible de montrer que les objections sont massivement en provenance de
l’orbite augustinienne : sur 168 occurrences du nom de saint Augustin et
de ses oeuvres, 118 se retrouvent dans les objections; dans les respondeo,
on trouve seulement 23 recours а l’autoritй d’Augustin et 27 dans les rйponses
aux objections mкmes. Divers arguments sont aussi objectйs en provenance du
corpus aristotйlicien; mais lа le rapport est plus йquilibrй : pour
97 occurrences en positions d’objections, on trouve un total de 75 rйfйrences а
ce corpus dans les respondeo et les solutions aux objections. Un patient
travail pourrait кtre fait pour voir d’une part comment se nouent dans ces
questions disputйes ces deux grand fils conducteurs de la pensйe et comment,
d’autre part les rйfйrences bibliques trиs nombreuses (67 pour l’Ancien
Testament et 147 pour le Nouveau) sont tressйes avec ceux-ci.
Cette situation
invite а кtre attentif а la polysйmie des termes utilisйs au Moyen Вge et aussi
la plasticitй des concepts. Cela signale aussi qu’il n’existe pas une йconomie
discursive unique, unifiйe ou unifiante qui pourrait accorder toutes les
options ouvertes, surtout lorsque sont injectйs dans la discussion des йlйments
en provenance de la Parole de Dieu. Certaines des positions avec et contre
lesquelles la nйgociation thomasienne compose sont encore en circulation de nos
jours.
Conclusion
Dйsormais, le
lecteur est prкt а plonger dans le texte, а ce laisser surprendre par l’univers
de sens dont il est porteur, а s’y laisser questionner, а le soumettre
charitablement а la question. Surtout а lire lentement, а prendre son temps et
de fonctionner comme un patient orfиvre des mots et des arguments, pour faire
йcho au Nietzsche d’Aurore[16]. Reste а y dйcouvrir la
finesse philosophique et thйologique des analyses, certes, mais aussi ce
qu’elles offrent pour penser et mettre en discours, non loin de la
phйnomйnologie ou d’une psychologie, une anthropologie fondamentale. Reste а
repйrer les complйments, les йcarts par rapport aux textes plus connus de
Thomas d’Aquin et aux attentes qu’ils ont dйjа suscitйes et de construire pour
lui-mкme et en lui-mкme la cohйrence du discours thomasien oщ il y va pour le
lecteur de s’ajuster lа oщ il n’attendait peut-кtre pas de se retrouver. Reste
enfin et surtout peut-кtre а trouver les guйs et а inventer des protocoles pour
faire entrer ces riches analyses dans la discussion contemporaine.
1. En l’absence d’une йdition critique des questions
disputйes sur les vertus par saint Thomas d’Aquin, la prйsente traduction
franзaise se fonde sur l’йdition йlectronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, rйalisйe par Enrique Alarcуn, dans
le cadre du Corpus thomisticum
(Universitй de Navarre, 2006) : http://www.corpusthomisticum.org/.
2. Dans le texte latin du commentaire,
seules les rйfйrences aux chapitres de la Bible sont indiquйes, puisque que
tel йtait l’usage au XIIIe siиcle. Toutefois, pour la commoditй du
lecteur, les rйfйrences aux versets ont йtй ajoutйes dans la prйsente traduction,
chaque fois que ceux-ci ont pu кtre identifiйs. De mкme, les rйfйrences exactes
ont йtй rйtablies en cas d’erreur. Les abrйviations des livres bibliques sont
celles de La Bible de Jйrusalem, Paris,
1998. En cas de diffйrence de numйrotation des versets entre la version latine
de la Bible et La Bible de Jйrusalem, la numйrotation de La Bible de Jйrusalem a йtй retenue. La traduction
franзaise des textes bibliques suit d’aussi prиs que possible la version latine
de la Bible utilisйe par Thomas d’Aquin. On ne s’йtonnera donc pas de certains
йcarts par rapport а la version latine de la Bible reзue depuis le XVIe
siиcle ou par rapport а une traduction moderne de la Bible.
3. Les passages bibliques commentйs
par Thomas d’Aquin sont citйs en majuscules dans le corps du texte. Nous
indiquons aussi en majuscules et entre crochets le contexte des mots commentйs
par Thomas d’Aquin, lorsque cela semble nйcessaire pour la comprйhension du
commentaire. Les autres citations bibliques sont donnйes en italiques. Afin de
faciliter le repйrage des passages commentйs, la rйfйrence au chapitre et au
verset est donnйe en caractиres gras entre crochets а l’endroit oщ dйbute le
commentaire de Thomas d’Aquin sur chaque verset. Les citations autres que les
citations bibliques sont placйes entre guillemets.
4. La traduction a йtй rйalisйe en
2003 et en 2007 par Jacques Mйnard (question 1 et 4), Anne Michel (question 5),
Raymond Berton (Question 2 et 3), avec la collaboration du R.P. Dominique
Dupont, abbй de Solesmes et de Marie-Louise Evrard. Raymond Berton a unifiй la
traduction. Madame Dominique Pillet a assurй la relecture de l’ensemble. Le
professeur Maxime Allard op a rйdigй la prйsentation de l’oeuvre. La
coordination des travaux et la mise en forme de l’йdition йlectronique ont йtй
assurйs par Arnaud Dumouch, pour le projet http://docteurangelique.free.fr
Il semble que non, mais qu’elles sont plutфt
des actes.
[65478] De virtutibus, q.
1 a. 1 arg. 1 Augustinus
enim dicit in Lib. Retract., quod bonus usus liberi arbitrii est virtus. Sed
usus liberi arbitrii est actus. Ergo virtus est actus.
1. En effet, Augustin dit, dans le livre des Rйtractations, que le bon usage du
libre arbitre est la vertu. Or, l’usage du libre arbitre est un acte. La
vertu est donc un acte.
[65479] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, praemium non
debetur alicui nisi ratione actus. Debetur autem omni habenti virtutem; quia
quicumque in caritate decedit, ad beatitudinem perveniet. Ergo virtus est
meritum. Meritum autem est actus. Ergo virtus est actus.
2. Une rйcompense n’est due а quelqu’un qu’en
raison d’un acte. Or, elle est due а tous ceux qui possиdent la vertu, car
tous ceux qui meurent avec la charitй parviennent а la bйatitude. La vertu
est donc un mйrite. Or, le mйrite est un acte. La vertu est donc un acte.
[65480] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid
est in nobis Deo similius, tanto est melius. Sed maxime Deo similamur
secundum quod sumus in actu, quia est actus purus. Ergo
actus est optimum eorum quae sunt in nobis. Sed virtutes sunt maxima bona
quae sunt in nobis, ut Augustinus dicit in libro de libero arbitrio. Ergo virtutes sunt actus.
3. Plus ce qui est en nous est semblable а
Dieu, meilleur cela est. Or, nous sommes semblables а Dieu selon que nous
sommes en acte, car il est acte pur. L’acte est donc ce qu’il ce qu’il y a de
meilleur en nous. Or, les vertus sont les plus grands biens qui sont en nous,
comme le dit Augustin dans le livre Sur
le libre arbitre. Les vertus sont donc des actes.
[65481] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea,
perfectio viae respondet perfectioni patriae. Sed perfectio patriae est
actus, scilicet felicitas, quae in actu consistit, secundum philosophum. Ergo et perfectio viae,
scilicet virtus, actus est.
4. La perfection de la route [perfectio
viae]correspond la perfecton de la patrie [perfectio patriae].
Or, la perfection de la patrie est un acte, а savoir, la fйlicitй, qui
consiste dans un acte, selon le Philosophe. La perfection de la route, а
savoir, la vertu, est donc aussi un acte.
[65482] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea,
contraria sunt quae in eodem genere ponuntur, et mutuo se expellunt. Sed
actus peccati expellit virtutem ratione oppositionis quam habet ad ipsam. Ergo virtus est in genere
actus.
5. Les contraires se situent dans un mкme
genre et se repoussent mutuellement. Or, l’acte du pйchй repousse la vertu en
raison de son opposition qu’il a par rapport а elle. La vertu se situe donc dans
le genre de l’acte.
[65483] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophus
dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum de potentia : ultimum
potentiae est actus. Ergo virtus est actus.
6. Le Philosophe dit, dans Sur le ciel et le monde, I, que la
vertu est le point ultime d’une puissance. Or, le point ultime d’une
puissance est l’acte. La vertu est donc un acte.
[65484]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, pars rationalis est nobilior et
perfectior quam pars sensitiva. Sed vis sensitiva habet suam operationem nullo
habitu vel qualitate mediante. Ergo nec in parte intellectiva oportet ponere
habitus, quibus mediantibus pars intellectiva perfectam operationem habeat.
7. La partie raisonnable est plus noble et
plus parfaite que la partie sensible. Or, la puissance sensible exerce son
opйration sans l’intermйdiaire d’un habitus ou d’une qualitй. Il n’est donc
pas nйcessaire de situer dans la partie intellective les habitus, par
l’intermйdiaire desquels celle-ci exerce une opйration parfaite.
[65485] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, philosophus
dicit in VII Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Optimum
autem est actus; dispositio autem est eiusdem generis cum eo ad quod
disponit. Ergo virtus est actus.
8. Le Philosophe dit, dans Physique, VII, que la vertu est une
disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur. Or, ce qui est le
meilleur est un acte ; mais la disposition fait partie du mкme genre que
ce а quoi elle dispose. La vertu est donc un acte.
[65486]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus
Ecclesiae, quod virtus est ordo amoris : ordo autem, ut ipse dicit in XIX de
Civit. Dei, est parium dispariumque sua cuique tribuens loca dispositio.
Virtus ergo est dispositio : non ergo habitus.
9. Augustin dit, dans le livre Sur le comportement de l’Йglise, que
la vertu est l’ordre de l’amour. Or, l’ordre, comme il le dit lui-mкme dans La citй de Dieu, XIX, est une
disposition qui donne leur place а des choses йgales et inйgales. La vertu
est donc une disposition. Elle n’est donc pas un habitus.
[65487] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 10 Praeterea, habitus est
qualitas de difficili mobilis. Sed virtus est facile mobilis, quia per unum
actum peccati mortalis amittitur. Ergo virtus non est habitus.
10. L’habitus est une qualitй difficilement
changeable. Or, la vertu peut changer facilement, car elle est enlevйe par un
seul acte de pйchй mortel. La vertu n’est donc pas un habitus.
[65488] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, si habitibus
aliquibus indigemus, qui sint virtutes, aut indigemus ad operationes
naturales, aut meritorias, quae sunt quasi supernaturales. Non autem ad
naturales : quia si quaelibet natura, etiam sensibilis et insensibilis,
potest suam operationem perficere absque habitu, multo fortius hoc poterit
rationalis natura. Similiter nec ad operationes meritorias, quia
has Deus in nobis operatur : Philipp. II, 13. Qui
operatur in nobis velle et perficere, pro bona voluntate. Ergo nullo modo
virtutes sunt habitus.
11. Si nous avons besoin d’habitus, qui
seraient les vertus, ou bien nous en avons besoin pour des opйrations
naturelles, ou bien pour [des opйrations] mйritoires, qui sont pour ainsi
dire surnaturelles. Or, [nous n’en avons pas besoin] pour des [opйrations]
naturelles, car, si toute nature, mкme la sensible et l’insensible, peut
accomplir son opйration sans habitus, а bien plus forte raison la nature
raisonnable le pourra-t-elle. De mкme, [nous n’en avons pas besoin] pour les
opйrations mйritoires, car Dieu les accomplit en nous, Ph 2, 13 : Lui qui accomplit en nous le vouloir et
l’opйration, pour une bonne volontй. Les vertus ne sont donc d’aucune
maniиre des habitus.
[65489]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne agens secundum formam, semper agit
secundum exigentiam illius formae, sicut calidum agit semper calefaciendo. Si
ergo in mente sit aliqua habitualis forma quae virtus dicatur, oportebit quod
habens virtutem, secundum virtutem operetur; quod est falsum : quia sic quilibet
habens virtutem esset confirmatus. Ergo virtutes non sunt
habitus.
12. Tout ce qui agit selon une forme agit
toujours selon que l’exige cette forme, comme le chaud agit toujours en
rйchauffant. Si donc il existe dans l’esprit une forme habituelle appelйe
vertu, il sera nйcessaire que celui qui possиde la vertu agisse selon la
vertu, ce qui est faux, car ainsi quiconque possиde la vertu serait confirmй
[dans la vertu]. Les vertus ne sont donc pas des habitus.
[65490]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 13 Praeterea, habitus
ad hoc
insunt potentiis, ut tribuant eis facilitatem operandi. Sed ad actus virtutum
non indigemus aliquo facilitatem faciente, ut videtur. Consistunt enim
principaliter in electione et voluntate : nihil autem est facilius eo quod
est in voluntate constitutum. Ergo virtutes non sunt habitus.
13. Les habitus sont inhйrents aux puissances
afin de leur donner une facilitй d’agir. Or, pour les actes des vertus, nous
n’avons pas besoin de quelque chose qui assure la facilitй, semble-t-il. En
effet, ils consistent principalement dans le choix et la volontй. Or, rien
n’est plus facile que ce qui est dйterminй par la volontй. Les vertus ne sont
donc pas des habitus.
[65491] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 14 Praeterea, effectus non
potest esse nobilior quam sua causa. Sed si virtus est habitus, erit causa
actus, qui est habitu nobilior. Ergo non videtur conveniens quod virtus sit
habitus.
14. L’effet ne peut pas кtre plus noble que la
cause. Or, si la vertu est un habitus, la cause de l’acte, qui est plus noble
que l’habitus, en sera aussi un. Il ne semble donc pas appropriй que la vertu
soit un habitus.
[65492]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt unius generis. Sed
virtus moralis est medium inter passiones; passiones autem sunt de genere
actuum. Ergo, et cetera.
15. Le milieu et les extrкmes appartiennent au
mкme genre. Or, la vertu morale est un milieu entre des passions. Or, les
passions font partie du genre des actes. Donc, etc.
Cependant :
[65493] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra. Virtus,
secundum Augustinum, est bona qualitas mentis. Non autem potest esse in
aliqua specie nisi in prima, quae est habitus. Ergo virtus est habitus.
1. La vertu, selon Augutin, est une bonne
qualitй de l’esprit. Or, elle ne peut кtre dans une autre espиce que la
premiиre, qui est l’habitus. La vertu est donc un habitus.
2. Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu un habitus
йlectif йtabli dans l’esprit.
[65495]
De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt in dormientibus; quia non
amittuntur nisi per peccatum mortale. Non sunt autem in eis
actus virtutum, quia non habent usum liberi arbitrii. Ergo virtutes non sunt actus.
3. Les vertus existent chez ceux qui dorment,
car elles ne sont enlevйes que par le pйchй mortel. Or, il n’existe pas chez
eux d’actes des vertus, car ils n’ont pas l’usage du libre arbitre. Les
vertus ne sont donc pas des actes.
Rйponse
:
[65496]
De virtutibus, q. 1 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod virtus, secundum sui
nominis rationem, potentiae complementum designat; unde et vis dicitur,
secundum quod res aliqua per potestatem completam quam habet, potest sequi
suum impetum vel motum. Virtus enim, secundum suum nomen, potestatis
perfectionem demonstrat; unde philosophus dicit in I caeli et mundi, quod
virtus est ultimum in re de potentia. Quia
vero potentia ad actum dicitur, complementum potentiae attenditur penes hoc
quod completam operationem suscipit. Quia vero operatio est finis operantis,
cum omnis res, secundum philosophum in I caeli et mundi, sit propter suam
operationem, sicut propter finem proximum; unumquodque est bonum, secundum
quod habet completum ordinem ad suum finem. Inde est quod virtus bonum facit
habentem, et opus eius reddit bonum, ut dicitur in II Ethic.; et per hunc
etiam modum patet quod est dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII
Metaph. Et haec
omnia conveniunt virtuti cuiuscumque rei. Nam virtus equi est quae facit
ipsum bonum, et opus ipsius; similiter virtus lapidis, vel hominis, vel
cuiuscumque alterius. Secundum autem diversam conditionem potentiarum,
diversus est modus complexionis ipsius. Est enim aliqua potentia tantum
agens; aliqua tantum acta vel mota; alia vero agens et acta. Potentia igitur
quae est tantum agens, non indiget, ad hoc quod sit principium actus, aliquo
inducto; unde virtus talis potentiae nihil est aliud quam ipsa potentia.
Talis autem potentia est divina, intellectus agens, et potentiae naturales;
unde harum potentiarum virtutes non sunt aliqui habitus, sed ipsae potentiae
in seipsis completae. Illae vero potentiae sunt tantum actae quae non agunt
nisi ab aliis motae; nec est in eis agere vel non agere, sed secundum impetum
virtutis moventis agunt; et tales sunt vires sensitivae secundum se
consideratae; unde in III Ethic. dicitur, quod sensus nullius actus est
principium : et hae potentiae perficiuntur ad suos actus per aliquid
superinductum; quod tamen non inest eis sicut aliqua forma manens in
subiecto, sed solum per modum passionis, sicut species in pupilla. Unde nec
harum potentiarum virtutes sunt habitus, sed magis ipsae potentiae, secundum
quod sunt actu passae a suis activis. Potentiae vero illae sunt agentes et
actae quae ita moventur a suis activis, quod tamen per eas non determinantur
ad unum; sed in eis est agere, sicut vires aliquo modo rationales; et hae
potentiae complentur ad agendum per aliquid superinductum, quod non est in eis
per modum passionis tantum, sed per modum formae quiescentis, et manentis in
subiecto; ita tamen quod per eas non de necessitate potentia ad unum cogatur;
quia sic potentia non esset domina sui actus. Harum potentiarum virtutes non
sunt ipsae potentiae; neque passiones, sicut est in sensitivis potentiis;
neque qualitates de necessitate agentes, sicut sunt qualitates rerum
naturalium; sed sunt habitus, secundum quos potest quis agere cum voluerit ut
dicit Commentator in III de anima. Et Augustinus in Lib. de bono coniugali
dicit, quod habitus est quo quis agit, cum tempus affuerit. Sic ergo patet
quod virtutes sunt habitus. Et qualiter habitus distent a secunda et tertia
specie qualitatis, qualiter autem a quarta differant, in promptu est : nam
figura non dicit ordinem ad actum quantum in se est. Ex his etiam potest
patere quod habitus virtutum ad tria indigemus. Primo ut sit uniformitas in
sua operatione; ea enim quae ex sola operatione dependent, facile immutantur,
nisi secundum aliquam inclinationem habitualem fuerint stabilita. Secundo ut operatio perfecta in promptu habeatur. Nisi enim potentia
rationalis per habitum aliquo modo inclinetur ad unum, oportebit semper, cum
necesse fuerit operari, praecedere inquisitionem de operatione; sicut patet
de eo qui vult considerare nondum habens scientiae habitum, et qui vult
secundum virtutem agere habitu virtutis carens. Unde philosophus dicit in V
Ethic., quod repentina sunt ab habitu. Tertio ut delectabiliter perfecta
operatio compleatur. Quod quidem fit per habitum; qui cum sit per modum
cuiusdam naturae, operationem sibi propriam quasi naturalem reddit, et per
consequens delectabilem. Nam convenientia est delectationis causa; unde
philosophus, in II Ethic., ponit signum habitus, delectationem in opere
existentem.
Il faut dire que la vertu, selon le sens du
mot, dйsigne l’achиvement d’une puissance. Aussi est-elle appelйe une force,
selon laquelle une chose, en vertu de la puissance achevйe qu’elle possиde,
peut suivre son йlan ou son mouvement. En effet, la vertu, selon le sens du
mot, exprime la perfection d’une puissance. Aussi le Philosophe dit-il, dans Le ciel et le monde, I, que la vertu
est le point ultime de la puissance dans une chose. Or, comme la puissance se
dit par rapport а l’acte, l’achиvement d’une puissance se prend du fait
qu’elle reзoit une opйration achevйe. Mais comme l’opйration est la fin de
celui qui agit, et comme toute chose, selon le Philosophe, dans Le ciel et le monde, I, existe pour
son opйration comme pour sa fin prochaine, toute chose est bonne selon
qu’elle possиde un ordre achevй а sa fin. De lа vient que la vertu rend bon
celui qui la possиde et rend bonne son action, comme il est dit dans Йthique, II. De cette maniиre aussi,
il ressort clairement qu’elle est une disposition de ce qui est parfait а ce
qui est le meilleur, comme il est dit dans Mйtaphysique, VII. Et tout cela convient а la vertu de n’importe
quelle chose. Car la vertu du cheval est ce qui le rend bon, ainsi que son
opйration ; de la mкme maniиre, la vertu de la pierre, de l’homme ou de
n’importe quelle autre chose. Or, selon la condition diverse des puissances,
divers est le mode de sa complexion. En effet, il existe une puissance qui
est seulement active ; une autre est seulement passive ou mue ;
mais une autre est active et passive. La puissance qui est seulement active
n’a donc pas besoin, pour кtre le principe d’un acte, de quelque chose
d’ajoutй ; aussi la vertu d’une telle puissance n’est-elle rien d’autre
que la puissance elle-mкme. Or, une telle puissance est [la puissance]
divine, l’intellect agent et les puissances naturelles. Aussi, les vertus de
ces puissances ne sont-elles pas des habitus, mais les puissances elles-mкmes
en tant qu’elles sont achevйes en elles-mкmes. Mais les puissances seulement
passives sont celles qui n’agissent que si elles sont mues par quelque chose
d’autre ; elles n’ont pas non plus en elles-mкmes le pouvoir d’agir ou
de ne pas agir, mais elles agissent sous l’impulsion de la puissance qui
meut. Telles sont les puissances sensibles considйrйes en elles-mкmes. Aussi
est-il dit dans Йthique, III, que
le sens n’est le principe d’aucun acte. Et ces puissances sont perfectionnйes
en vue de leurs actes par quelque chose d’ajoutй, qui n’existe cependant pas
en elles comme une forme demeure dans un sujet, mais seulement par mode de
passion, comme l’espиce dans la pupille. Il dйcoule de cela que les vertus de
ces puissances ne sont pas non plus des habitus, mais plutфt les puissances
elles-mкmes, selon qu’elles subissent l’action de ce qui les active. Mais les
puissances qui sont а la fois actives et passives sont mues par ce qui les
active de telle maniиre qu’elles ne sont cependant pas dйterminйes а une
seule chose, mais qu’il leur est possible d’agir, comme des puissances en
quelque sorte raisonnables. Et ces puissances sont achevйes en vue d’agir par
quelque chose d’ajoutй, qui n’existe pas en elles seulement par mode de
passion, mais par mode d’une forme qui repose et demeure dans un sujet, de
telle maniиre, cependant, que, par elles, une puissance n’est pas
nйcessairement forcйe а une seule chose, car ainsi cette puissance ne serait
pas maоtresse de son acte. Les vertus de ces puissances ne sont pas les
puissances elles-mкmes ; elles ne sont pas non plus des passions, comme
c’est le cas pour les puissances sensibles ; elles ne sont pas non plus
des qualitйs qui agissent par nйcessitй, comme les qualitйs des choses
naturelles. Mais elles sont des habitus par lesquels quelqu’un peut agir
lorsqu’il le veut, comme le dit le Commentateur, dans Sur l’вme, III. Et Augustin dit, dans le livre Le bien conjugal, que l’habitus est ce
par quoi quelqu’un agit, lorsque le moment est venu. Il est donc clair que
les vertus sont des habitus. Comment les habitus s’йloignent de la deuxiиme
et de la troisiиme espиce de qualitй et comment ils diffиrent de la
quatriиme, cela est йvident, car la figure ne comporte pas en elle-mкme
d’ordre а l’acte. А partir de cela, on peut voir clairement que nous avons
besoin des habitus des vertus pour trois choses. Premiиrement, afin qu’il y
ait uniformitй dans son opйration : en effet, ce qui dйpend de la seule
opйration est facilement changй, а moins d’кtre affermi par une inclinaton
habituelle. Deuxiиmement, afin qu’une opйration parfaite soit toujours prкte.
En effet, а moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine faзon
inclinйe а une seule chose, il faudra toujours que prйcиde une recherche sur
une opйration, alors qu’il est nйcessaire d’agir, comme c’est le cas de celui
qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de
celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privй de l’habitus de la
vertu. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Йthique, V, que ce qui vient de la vertu est subit.
Troisiиmement, afin que l’opйration parfaite soit accomplie avec plaisir. En
effet, ce qui est accompli par habitus, йtant pour ainsi dire accompli selon
une certaine nature, rend comme naturelle l’opйration qui lui est propre, et
par consйquent dйlectable. Car l’adйquation est la cause du plaisir. Aussi,
dans Йthique, II, le Philosophe
donne-t-il comme signe d’un habitus le fait qu’il y a plaisir dans
l’opйration.
Solutions :
[65497]
De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut potestas, ita et
virtus accipitur dupliciter. Uno modo materialiter, prout dicimus, id quod
possumus, esse nostram potentiam; et sic Augustinus bonum usum liberi
arbitrii dicit esse virtutem. Alio modo essentialiter; et sic neque potentia
neque virtus est actus.
1.
Comme la puissance, la vertu s’entend de deux maniиres. D’une maniиre,
matйriellement, comme lorsque nous disons que ce que nous pouvons est notre
puissance; et ainsi, Augustin dit que l’usage du libre arbitre est la vertu.
D’une autre maniиre, essentiellement; et ainsi, ni la puissance ni la vertu
ne sont des actes.
[65498]
De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mereri dupliciter
accipitur. Uno modo proprie; et sic nihil aliud est quam facere aliquam
actionem unde aliquis sibi iuste acquirat mercedem. Alio modo improprie; et
sic quaelibet conditio quae facit hominem aliquo modo dignum, meritum
dicitur; ut si dicamus, quod species Priami meruit imperium, quia digna
imperio fuit. Praemium ergo cum merito debeatur, debetur quodammodo et
qualitati habituali, per quam aliquis redditur idoneus ad praemium : et sic
debetur parvulis baptizatis. Et iterum debetur merito actuali; et sic non
debetur virtuti, sed actui virtutis. Et tamen etiam parvulis quodammodo
redditur ratione meriti actualis, in quantum ex merito Christi sacramentum efficaciam
habet, quo regenerantur ad vitam.
2.
Mйriter s’entend de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre; et ainsi,
ce n’est rien d’autre que de faire une action par laquelle on acquiert une
rйcompense pour soi-mкme. D’une autre maniиre, en un sens impropre; et ainsi,
toute condition qui rend l’homme digne d’une certaine faзon est appelйe
mйrite, comme si nous disions que l’espиce de Priam mйritait le pouvoir parce
qu’elle йtait digne du pouvoir. Puisque la rйcompense est due au mйrite, elle
est donc aussi due d’une certaine faзon а la qualitй habituelle par laquelle
quelqu’un est rendu apte а la rйcompense. Et ainsi est-elle due aux petits
enfants baptisйs. Elle est aussi due au mйrite actuel; et ainsi, elle n’est
pas due а la vertu, mais а l’acte de la vertu. Cependant,
la rйcompense est d’une certaine faзon donnйe aux petits enfants en raison
d’un mйrite actuel, pour autant que le sacrement par lequel ils sont
rйgйnйrйs pour la vie tire son efficacitй du mйrite du Christ.
[65499] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus dicit, virtutes esse maxima bona,
non simpliciter, sed in genere; sicut et ignis dicitur subtilissimum
corporum. Unde
non sequitur quod nihil sit in nobis ipsis virtutibus melius; sed quod sint
de numero eorum quae sunt maxima bona secundum genus suum.
3.
Augustin dit que les vertus sont les plus grands biens, non pas tout
simplement, mais d’une maniиre gйnйrale, comme le feu est le plus subtil
parmi les corps. Il n’en dйcoule donc pas que rien ne soit meilleur en nous
que les vertus, mais qu’elles font partie des biens qui sont les plus grands
selon leur genre.
[65500] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in vita est perfectio habitualis quae
est virtus, et perfectio actualis quae est virtutis actus; ita etiam in ipsa
patria felicitas est perfectio actualis, procedens ex aliquo habitu
consummato. Unde etiam philosophus in I Ethic. dicit, quod
felicitas est operatio secundum virtutem perfectam.
4.
De mкme que, durant la vie, il existe une perfection habituelle qui est la
vertu, et une perfection actuelle, qui est l’acte de la vertu, de mкme aussi,
dans la patrie, existe-t-il une perfection actuelle, provenant d’un habitus
consommй. Aussi, mкme le Philosophe dit-il, dans Йthique, I, que la fйlicitй est une opйration conforme а la vertu
parfaite.
[65501] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus vitiosus directe tollit actum virtutis
per modum contrarietatis; ipsum vero virtutis habitum tollit per accidens, in
quantum separatur a causa virtutis infusae, scilicet a Deo. Unde Is., LIX, 2 : peccata
vestra diviserunt inter vos et Deum vestrum. Et propter hoc virtutes
acquisitae, per unum actum vitiosum non tolluntur.
5.
L’acte vicieux enlиve directement l’acte de la vertu parce qu’il lui est
contraire, mais il enlиve l’habitus lui-mкme par accident, pour autant qu’il
est sйparй de la cause de la vertu infuse, а savoir, de Dieu. Aussi Isaпe
dit-il, 49, 2 : Vos pйchйs ont mis
une sйparation entre vous et votre Dieu. Pour cette raison, les vertus
acquises ne sont pas enlevйes par un seul acte vicieux.
[65502]
De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa definitio philosophi
potest dupliciter intelligi. Uno modo materialiter, ut per virtutem
intelligamus id in quod virtus potest, quod est ultimum inter ea in quae
potentia potest; sicut virtus eius qui potest ferre centum libras, est in eo
in quantum potest ferre centum libras non in quantum ferre potest sexaginta.
Alio modo potest intelligi essentialiter; et sic virtus dicitur ultimum
potentiae, quia designat potentiae complementum; sive id per quod potentia
completur, sit aliud a potentia, sive non.
6.
Cette dйfinition du Philosophe peut s’entendre de deux faзons. D’une faзon,
matйriellement, de sorte que nous entendions par vertu ce sur quoi porte la
vertu, qui est le point ultime de ce dont une puissance est capable, comme la
vertu de celui qui peut porter cent livres est en lui pour autant qu’il peut
porter cent livres, et non pour autant qu’il peut en porter soixante. D’une
autre faзon, on peut l’entendre essentiellement; et ainsi, on appelle vertu
le point ultime d’une puissance, parce qu’elle dйsigne l’achиvement de la
puissance, que cela soit diffйrent de la puissance ou non.
7. Il n’en va pas de mкme des puissances
sensibles et raisonnables, comme on l’a dit.
[65504] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dispositio ad aliquid dicitur id per quod
aliquid movetur in illud consequendum. Motus autem habet quandoque terminum
in eodem genere, sicut motus alterationis est qualitas; unde dispositio ad
hunc terminum semper est eiusdem generis cum termino. Quandoque vero habet
terminum alterius generis, sicut alterationis terminus est forma
substantialis; et sic dispositio non est semper eiusdem generis cum eo ad
quod disponit; sicut calor est dispositio ad formam substantialem ignis.
8.
On dit que la disposition а quelque chose est ce par quoi quelque chose est
mы pour l’atteindre. Or, le mouvement a parfois un terme du mкme genre, comme
lorsque [le terme] d’une altйration est une qualitй; aussi la disposition а
ce terme est-elle toujours du mкme genre que le terme. Mais parfois, [le
mouvement] a un terme d’un autre genre, comme lorsque le terme de
l’altйration est une forme substantielle. Ainsi, la disposition n’est pas
toujours du mкme genre que ce а quoi elle dispose, comme lorsque la chaleur
est une disposition а la forme substantielle du feu.
[65505] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod dispositio dicitur tribus modis. Uno modo per
quam materia disponitur ad formae receptionem, sicut calor est dispositio ad
formam ignis. Alio modo per quam aliquod agens disponitur ad agendum, sicut
velocitas est dispositio ad cursum. Tertio modo dispositio dicitur ipsa
ordinatio aliquorum ad invicem; et hoc modo dispositio ab Augustino sumitur. Dispositio vero contra habitum dividitur primo modo; ipsa vero virtus,
dispositio est secundo modo.
9.
On parle de disposition de trois maniиres. D’une maniиre, selon laquelle la
matiиre est disposйe а la rйception de la forme, comme la chaleur est une
disposition а la forme du feu. D’une autre maniиre, selon laquelle un agent
est disposй а agir, comme la rapiditй est une disposition а la course. D’une
troisiиme maniиre, on appelle disposition l’ordre mкme de certanes choses les
unes par rapport aux autres. Et Augustin entend la disposition de cette
maniиre. Mais, la disposition s’oppose а l’habitus de la premiиre maniиre;
mais la vertu elle-mкme est une disposition selon la deuxiиme maniиre.
[65506] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod nulla res est adeo stabilis, quae non statim
ex se deficiat, sua causa deficiente. Unde non est mirum, si deficiente
coniunctione ad Deum per peccatum mortale, deficiat virtus infusa. Nec hoc
repugnat suae immobilitati, quae intelligi non potest nisi sua causa manente.
10.
Aucune chose n’est а ce point stable qu’elle ne disparaisse d’elle-mкme, si
sa cause disparaоt. Aussi n’est-il pas йtonnant que, l’union а Dieu faisant
dйfaut par le pйchй mortel, la vertu infuse disparaisse. Cela ne s’oppose pas
non plus а son immobilitй, qu’on ne peut entendre que si sa cause demeure.
[65507] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ad utrasque operationes habitu indigemus;
ad naturales quidem tribus rationibus superius positis; ad meritorias autem
insuper, ut naturalis potentia elevetur ad id quod est supra naturam ex
habitu infuso. Nec hoc removetur ex hoc quod Deus in nobis operatur; quia ita
agit in nobis, quod et nos agimus; unde habitu indigemus, quo sufficienter
agere possimus.
11.
Nous avons besoin d’un habitus pour les deux opйrations. Pour les
[opйrations] naturelles, pour les trois raisons indiquйes plus haut; et en
plus, pour les [opйrations] mйritoires, afin que la puissance naturelle soit
йlevйe а ce qui est supйrieure а la nature par un habitus infus. Et cela
n’est pas enlevй par le fait que Dieu agit en nous, car il agit en nous de la
maniиre dont nous agissons. Aussi avons-nous besoin d’un habitus par lequel
nous puissions agir d’une maniиre suffisante.
[65508] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod omnis forma recipitur in suo supposito
secundum modum recipientis. Proprietas autem rationalis potentiae est ut
in opposita possit, et ut sit domina sui actus. Unde
nunquam per formam habitualem receptam cogitur potentia rationalis ad
similiter agendum; sed potest agere vel non agere.
12.
Toute forme est reзue dans son suppфt selon le mode de celui qui reзoit. Or,
le propre d’une puissance raisonnable est qu’elle peut se porter vers des
choses opposйes, et qu’elle soit maоtresse de son acte. Aussi la puissance
raisonnable n’est-elle jamais contrainte par une forme habituelle а agir de
maniиre semblable, mais elle peut agir ou ne pas agir.
[65509] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa quae in sola electione
consistunt facile est quod qualitercumque fiant; sed quod debito modo fiant,
scilicet expedite, firmiter, et delectabiliter, hoc non est facile; unde ad
hoc habitibus virtutum indigemus.
13.
Il est facile de faire n’importe comment ce qui relиve du simple choix; mais
le faire de la maniиre appropriйe, а savoir, rapidement, fermement et avec
plaisir, cela n’est pas facile. Aussi avons-nous besoin des habitus des
vertus pour cela.
[65510] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnes motus animalium vel hominum,
qui de novo incipiunt, sunt ab aliquo movente moto, et dependent ab aliquo
priori actu existente; et sic habitus de se actum non elicit, nisi ab aliquo
agente excitatus.
14.
Tous les mouvements des animaux ou des hommes, а leur dйbut, viennent d’un
agent qui est mы, et ils dйpendent de quelque chose d’antйrieur qui existe en
acte. Et ainsi, l’habitus n’amиne pas de lui-mкme а l’acte, а moins qu’il ne
soit rйveillй par un agent.
[65511] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus est medium inter passiones,
non quasi aliqua passio media; sed actio, quae in passionibus medium
constituit.
15.
La vertu est un milieu entre les passions, non comme une passion moyenne,
mais comme une action qui instaure un milieu entre les passions.
[La dйfinition communйment reзue, attribuйe а
Augustin, йtait la suivante : Virtus est bona qualitas mentis, qua recte
vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur :
«La vertu est une bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit
correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en
nous sans nous.» Voir plus loin, article 9, arg. 1; aussi II-II, q.
55, a. 4, arg. 1.]
Objections
:
[65514]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 1 Virtus enim est bonitas quaedam. Si ergo ipsa est bona : aut ergo sua bonitate, aut alia. Si alia, procedetur
in infinitum : si seipsa, ergo virtus est bonitas prima quia sola bonitas
prima est bona per seipsam.
1.
En effet, la vertu est une certaine bontй. Si donc elle est bonne, elle l’est
soit par sa propre bontй, soit par une autre. Si elle l’est par une autre, il
faudrait remonter а l’infini; si elle l’est par elle-mкme, la vertu est donc
la bontй premiиre, car seule la bontй premiиre est bonne par elle-mкme.
[65515] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est commune omni enti, non debet poni in
definitione alicuius. Sed bonum, quod convertitur cum ente, est commune omni
enti. Ergo non debet poni in definitione virtutis.
2.
Ce qui est commun а tout кtre ne doit pas кtre placй dans la dйfinition de
l’un d’entre eux. Or, le bien, qui est convertible avec l’кtre, est commun а
tout кtre. Il ne doit donc pas кtre placй dans la dйfinition de la vertu.
[65516]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut bonum est in moralibus, ita et in
naturalibus. Sed bonum et malum in naturalibus non diversificant speciem. Ergo nec in definitione virtutis debet poni bona, quasi differentia
specifica ipsius virtutis.
3.
De mкme que le bien existe dans le domaine moral, de mкme existe-t-il dans le
domaine naturel. Or, le bien et le mal dans le domaine naturel ne donnent pas
des espиces diffйrentes. Il ne faut donc pas indiquer dans la dйfinition de
la vertu le fait qu’elle est bonne, comme s’il s’agissait d’une diffйrence
spйcifique de la vertu.
[65517] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, differentia non includitur in ratione generis. Sed bonum includitur in
ratione qualitatis, sicut et ens. Ergo non debet addi in definitione
virtutis, ut dicatur : virtus est bona qualitas mentis et cetera.
4.
La diffйrence ne fait pas partie de la raison du genre. Or, le bien fait
partie de la raison de la qualitй, de mкme que l’кtre. Il ne doit donc pas
кtre ajoutй dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «La vertu
est une bonne qualitй de l’esprit, etc.»
[65518]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, malum et bonum sunt opposita. Sed malum
non constituit aliquam speciem, cum sit privatio. Ergo nec bonum; ergo non
debet poni in definitione virtutis tamquam differentia constitutiva.
5.
Le mal et le bien sont des contraires. Or, le mal ne constitue pas une
espиce, puisqu’il est une privation. Il en est donc de mкme pour le bien. Il
ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu comme diffйrence
constitutive.
[65519] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 6 Praeterea, bonum est in plus quam qualitas. Ergo per bonum non
differt una qualitas ab alia; ergo non debet poni in definitione virtutis
bonum, sicut differentia qualitatis vel virtutis.
6.
Le bien s’ajoute а la qualitй. Une qualitй ne diffиre donc pas d’une autre
par le bien. Le bien ne doit donc pas кtre mis dans la dйfinition de la vertu
en tant que diffйrence de la qualitй ou de la vertu.
[65520]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, ex duobus actibus nihil fit. Sed bonum
importat actum quemdam, et qualitas similiter. Ergo male dicitur, quod virtus
sit bona qualitas.
7.
Rien n’est fait а partir de deux actes. Or, le bien comporte un certain acte;
de mкme en est-il de la qualitй. C’est donc а tort qu’on dit de la vertu
qu’elle est une bonne qualitй.
[65521] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, quod praedicatur in abstracto, non praedicatur in concreto;
sicut albedo est color, non tamen colorata. Sed
bonitas praedicatur de virtute in abstracto. Ergo non praedicatur in
concreto; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.
8.
Ce qui est prйdiquй dans l’abstrait n’est pas prйdiquй dans le concret :
ainsi la blancheur est une couleur, mais non ce qui est colorй. Or, la bontй
est prйdiquйe de la vertu dans l’abstrait. Elle n’en est donc pas prйdiquйe
dans le concret. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne
qualitй.»
[65522] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla differentia praedicatur in abstracto de specie unde
dicit Avicenna, quod homo non est rationalitas, sed rationale. Sed virtus est bonitas. Ergo bonitas non est differentia virtutis;
ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas.
9.
Aucune diffйrence n’est prйdiquйe de l’espиce dans l’abstrait; aussi Avicenne
dit-il que l’homme n’est pas la rationalitй, mais raisonnable. Or, la vertu
est bontй. La bontй n’est donc pas une diffйrence de la vertu. On ne dit donc
pas correctement : «La vertu est une bonne qualitй.»
[65523]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, malum moris idem est quod vitium. Ergo
bonum moris idem est quod virtus; ergo bonum non debet poni in definitione
virtutis, quia sic idem definiret seipsum.
10.
Le mal du comportement est la mкme chose que le vice. Le bien du comportement
est donc la mкme chose que la vertu. Le bien ne doit pas кtre mis dans la
dйfinition de la vertu, car ainsi le mкme dйfinirait le mкme.
[65524] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea, mens ad
intellectum pertinet. Sed virtus magis respicit affectum. Ergo male dicitur,
quod virtus sit bona qualitas mentis.
11.
L’esprit se rapporte а l’intellect. Or, la vertu concerne plutфt
l’affectivitй. On dit donc incorrectement que la vertu est une bonne qualitй
de l’esprit.
[65525] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 12 Praeterea, secundum Augustinum, mens nominat superiorem partem animae.
Sed aliquae virtutes sunt in inferioribus potentiis. Ergo
male ponitur in definitione virtutis bona qualitas mentis.
12.
Selon Augustin, l’esprit dйsigne la partie supйrieure de l’вme. Or, certaines
vertus se situent dans les puissances infйrieures. On met donc incorrectement
dans la dйfinition de la vertu : «Une bonne qualitй de l’esprit.»
[65526] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 13 Praeterea, subiectum virtutis nominat potentiam, non
essentiam. Sed mens videtur nominare essentiam animae; quia dicit Augustinus,
quod in mente est intelligentia, memoria et voluntas. Ergo non debet poni
mens in definitione virtutis.
13.
Le sujet de la vertu dйsigne une puissance, non une essence. Or, l’esprit
semble dйsigner l’essence de l’вme, car Augustin dit que, dans l’esprit, se
trouvent l’intelligence, la mйmoire et la volontй. L’esprit ne doit donc pas
кtre mis dans la dйfinition de la vertu.
[65527] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 14 Praeterea, illud quod est proprium speciei, non debet poni in
definitione generis. Sed rectitudo est proprium iustitiae. Ergo non debet poni
rectitudo in definitione virtutis, ut dicatur bona qualitas mentis, qua
recte vivitur.
14.
Ce qui est le propre d’une espиce ne doit pas кtre mis dans la dйfinition du
genre. Or, la rectitude est le propre de la justice. La rectitude ne doit
donc pas кtre mise dans la dйfinition de la vertu, de sorte qu’on dise : «Une
bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit correctement.»
[65528] De virtutibus, q.
1 a. 2 arg. 15 Praeterea, vivere viventibus est esse. Sed virtus non perficit ad esse, sed ad opera. Ergo male dicitur, qua recte vivitur.
15.
Vivre, c’est кtre pour les vivants. Or, la vertu ne rend pas parfait pour
l’кtre, mais pour les actions. On dit donc incorrectement : «Par laquelle on
vit correctememnt.»
[65529] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 16 Praeterea, quicumque superbit
de aliqua re, male utitur ea. Sed de virtutibus aliquis superbit. Ergo virtutibus aliquis male utitur.
16.
Quiconque s’enorgueillit d’une chose en fait un mauvais usage. Or, on
s’enorgueillit des vertus. On fait donc un mauvais usage des vertus.
[65530] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 17 Praeterea,
Augustinus in libro de Lib. Arbit. dicit, quod solum maximis bonis nullus
male utitur. Sed virtus non est de maximis bonis; quia maxima bona sunt quae
propter se appetuntur; quod non convenit virtutibus, cum propter aliud
appetantur, quia propter felicitatem. Ergo male ponitur qua nullus male
utitur.
17.
Augustin, dans le livre sur Le libre arbitre, dit que personne
n’utilise mal que les plus grands biens. Or, la vertu ne porte pas sur les
plus grands biens, car les plus grands biens sont ceux qui sont dйsirйs pour
eux-mкmes, ce qui ne convient pas aux vertus, puisqu’elles sont dйsirйes pour
autre chose, а savoir, pour la fйlicitй. On ne dit donc pas correctement que «personne
n’en fait un mauvais usage».
[65531] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 18 Praeterea, ab eodem aliquid generatur et nutritur et augetur. Sed virtus per actus
nostros nutritur et augetur; quia diminutio cupiditatis est augmentum
caritatis. Ergo per actus nostros virtus generatur; ergo male ponitur in
definitione, quam Deus in nobis sine nobis operatur.
18.
Quelque chose est engendrй, entretenu et accru par la mкme chose. Or, la
vertu est entretenue et accrue par nos actes, car la diminution de la convoitise
est l’accroissement de la charitй. La vertu est donc engendrйe par nos actes.
On met donc incorrectement dans sa dйfinition : «Que Dieu rйalise en nous
sans nous.»
[65532]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 19 Praeterea, removens prohibens ponitur movens et
causa. Sed liberum arbitrium est quodammodo removens prohibens virtutis. Ergo
est quodammodo causa; ergo non bene ponitur, quod sine nobis Deus virtutem
operetur.
19.
Celui qui йcarte un obstacle est un agent et une cause. Or, le libre arbitre
enlиve d’une certaine maniиre l’obstacle а la vertu. Il en est donc cause
d’une certaine maniиre. On ne dit donc pas correctement que «Dieu rйalise en
nous la vertu sans nous».
20.
Augustin dit : «Celui t’a crйй sans toi ne te justifiera pas sans toi.» Donc,
etc.
[65534] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 21 Praeterea,
ista definitio convenit gratiae, ut videtur. Sed virtus et gratia non sunt
unum et idem. Ergo non bene definitur per hanc definitionem virtus.
21.
Cette dйfinition convient а la grвce, semble-t-il. Or, la vertu et la grвce
ne sont pas une seule et mкme chose. La vertu n’est donc pas bien dйfinie par
cette dйfinition.
Rйponse :
[65535] De virtutibus, q. 1 a. 2 co. Respondeo.
Dicendum, quod ista definitio complectitur definitionem virtutis, etiam si
ultima particula omittatur; et convenit omni virtuti humanae. Sicut enim
dictum est, virtus perficit potentiam in comparatione ad actum perfectum;
actus autem perfectus est finis potentiae vel operantis; unde virtus facit et
potentiam bonam et operantem, ut prius dictum est. Et ideo in definitione
virtutis aliquid ponitur quod pertinet ad perfectionem actus, et aliquid quod
pertinet ad perfectionem potentiae vel operantis. Ad perfectionem autem actus
duo requiruntur. Requiritur autem quod actus sit rectus, et quod habitus non
possit esse principium contrarii actus. Illud enim quod est principium boni et mali actus,
non potest esse, quantum est de se, principium perfectum boni actus; quia
habitus est perfectio potentiae. Oportet ergo quod ita sit principium actus
boni, quod nullo modo mali; propter quod philosophus dicit in VI Ethic., quod
opinio, quae potest esse vera et falsa, non est virtus; sed scientia, quae
non est nisi de vero. Primum designatur in hoc quod dicitur, qua recte
vivitur : secundum, in hoc quod dicitur, qua nemo male utitur. Ad
hoc vero quod virtus facit subiectum bonum, tria sunt ibi consideranda.
Subiectum ipsum : et hoc determinatur cum dicitur mentis; quia virtus
humana non potest esse nisi in eo quod est hominis in quantum est homo. Perfectio vero intellectus designatur in hoc quod dicitur bona;
quia bonum dicitur secundum ordinem ad finem. Modus autem inhaerendi designatur in hoc quod
dicitur qualitas; quia virtus non inest per modum passionis, sed per
modum habitus; ut supra dictum est. Haec autem omnia conveniunt tam virtuti
morali quam intellectuali, quam theologicae, quam acquisitae, quam infusae.
Hoc vero quod Augustinus addit quam in nobis sine nobis Deus operatur,
convenit solum virtuti infusae.
Cette
dйfinition exprime la dйfinition de la vertu, mкme si l’on omet la derniиre
partie, et elle convient а toute vertu humaine. En effet, comme on l’a dit,
la vertu perfectionne une puissance par rapport а son acte parfait. Or,
l’acte parfait est la fin d’une puissance ou d’un agent. Aussi la vertu
rend-elle bons а la fois la puissance et l’agent, comme on l’a dйjа dit.
C’est pourquoi, dans la dйfinition de la vertu, quelque chose est mis qui se
rapporte а la perfection de l’acte, et quelque chose qui se rapporte а la
perfection de la puissance ou de l’agent. Or, deux choses sont nйcessaires
pour la perfection de l’acte : il est nйcessaire que l’acte soit droit, et
que l’habitus ne puisse кtre le principe d’un acte contraire. En effet, ce
qui est le principe d’un acte bon et mauvais ne peut кtre de soi le principe
parfait d’un acte bon, car l’habitus est la perfection de la puissance. Il
faut donc que ce soit le principe d’un acte bon, qui ne soit d’aucune maniиre
[principe d’un acte] mauvais. C’est la raison pour laquelle le Philosophe
dit, dans Йthique, VI, que l’opinion, qui peut кtre vraie ou fausse,
n’est pas une vertu, mais la science, qui ne porte que sur ce qui est vrai.
Le premier point est indiquй lorsqu’on dit : «par laquelle on vit
correctement»; le second, lorsqu’on dit : «dont personne ne fait un mauvais
usage». Or, pour que la vertu rende un sujet bon, il faut y relever trois
choses. Le sujet lui-mкme : et cela est prйcisй lorsqu’on dit : «de
l’esprit», car la vertu humaine ne peut rйsider que dans ce appartient а
l’homme en tant qu’il est homme. Mais la perfection de l’intelligence est
dйsignйe par le fait qu’on dit : «bonne», car on parle de bien selon l’ordre
а la fin. La maniиre d’adhйrer est dйsignйe lorsqu’on dit : «une qualitй»,
car la vertu n’est pas prйsente par mode de passion, mais par mode d’habitus,
comme on l’a dit plus haut. Or, tout cela convient autant а la vertu morale,
а la vertu thйologale, а la vertu acquise ou а la vertu infuse. Mais ce que
Augustin ajoute : «Que Dieu rйalise en nous sans nous», convient seulement а
la vertu infuse.
Solutions :
[65536] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidentia sicut non dicuntur entia quia
subsistant, sed quia aliquid eis est; ita virtus non dicitur bona quod ipsa
sit bona, sed qua aliquid est bonum. Unde
non oportet quod virtus sit bona alia bonitate, quasi informetur alia
bonitate.
1.
De mкme que les accidents ne sont pas appelйs des кtres parce qu’ils
subsisteraient, mais parce que quelque chose existe en eux, de mкme la vertu
n’est pas appelйe bonne parce qu’elle est elle-mкme bonne, mais parce que
quelque chose est bon. Il n’est donc pas nйcessaire que la vertu soit bonne
par une autre bontй, comme si elle recevait la forme d’une autre bontй.
[65537] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum quod convertitur cum ente, non
ponitur hic in definitione virtutis; sed bonum quod determinatur ad actum
moralem.
2.
Le bien qui est convertible avec l’кtre n’est pas mis ici dans la dйfinition
de la vertu, mais le bien qui est concerne un acte moral.
[65538] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actiones diversificantur secundum formam
agentis, ut calefacere et infrigidare. Bonum autem et malum sunt quasi forma
et obiectum voluntatis; quia semper agens imprimit formam suam in patientem,
et movens in motum. Et ideo actus morales, quorum principium est voluntas,
diversificantur specie secundum bonum et malum. Principium autem naturalium
operationum non est finis, sed forma; et ideo non diversificantur in
naturalibus species secundum bonum et malum; sed in moralibus sic.
3.
Les actions se diversifient selon la forme de l’agent, comme chauffer et
refroidir. Or, le bien et le mal sont comme la forme et l’objet de la
volontй, car l’agent imprime toujours sa forme dans le patient, et ce qui
meut dans ce qui est mы. C’est pourquoi les actes moraux, dont le principe
est la volontй, se diversifient selon l’espиce par le bien et le mal. Or, le
principe des opйrations naturelles n’est pas la fin, mais la forme. C’est
pourquoi, dans les choses naturelles, les espиces ne se diversifient pas
selon le bien et le mal, mais il en est ainsi dans les choses morales.
[65539] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonitas moralis non includitur in intellectu
qualitatis; et ideo ratio non est ad propositum.
4.
La bontй morale ne fait pas partie de la notion de qualitй. C’est pourquoi
l’argument est hors de propos.
[65540] De
virtutibus, q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod malum non constituit speciem ratione privationis, sed ratione
eius quod privationi substernitur, quia non compatitur secum rationem boni;
et ex hoc habet quod constituit speciem.
5.
Le mal ne constitue pas une espиce en raison de la privation, mais en raison
de ce qui est sous-jacent а la privation, parce que cela ne supporte pas la
raison de bien. Et c’est ainsi qu’il a ce par quoi il constitue une espиce.
[65541] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod obiectio illa procedit de bono naturae, non
de bono moris, quod ponitur in definitione virtutis.
6.
Cette objection vient du bien naturel, et non du bien moral, qui est mis dans
la dйfinition de la vertu.
[65542] De
virtutibus, q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod bonitas non importat aliam bonitatem quam ipsam virtutem, ut
ex dictis patet. Ipsa
enim virtus per essentiam suam est qualitas; unde manifestum est quod bona et
qualitas non dicunt diversos actus, sed unum.
7.
La bontй ne comporte pas d’autre bontй que la vertu elle-mкme, comme cela
ressort clairement de ce qui a йtй dit. En effet, la vertu elle-mкme est par
son essence une qualitй. Il est donc clair que «bonne» et «qualitй»
n’expriment pas des actes diffйrents, mais un seul acte.
[65543]
De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod istud fallit in
transcendentibus, quae circumeunt omne ens. Nam essentia est ens, et bonitas
bona, et unitas una, non autem sic potest dici albedo alba. Cuius ratio est,
quia quidquid cadit in intellectu, oportet quod cadat sub ratione entis, et
per consequens sub ratione boni et unius; unde essentia et bonitas et unitas
non possunt intelligi, nisi intelligantur sub ratione boni et unius et entis.
Propter hoc potest dici bonitas bona, et unitas una.
8.
Ceci est le cas pour les transcendentaux, qui englobent tout кtre. Car
l’essence est кtre, la bontй est bonne et l’unitй est une; mais on ne peut
dire de cette faзon que la blancheur est blanche. La raison en est qu’il est
nйcessaire que tout ce qui tombe sous l’intelligence tombe sous la raison
d’кtre, et par consйquent, sous la raison de bon et d’un. Aussi l’essence, la
bontй et l’unitй ne peuvent-elles кtre comprises que si elles sont comprises
sous la raison de bien, d’un et d’кtre. Pour cette raison, la bontй peut кtre
dite bonne, et l’unitй une.
1. Selon Augustin, la vertu est ce par quoi l’on vit bien. Or, on ne
vit pas pas une puissance, mais par son essence. Une puissance de l’вme n’est
donc pas le sujet de la vertu.
[65547]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nobilius est esse gratiae quam naturae.
Esse autem naturae est per essentiam animae, quae est nobilior suis
potentiis, utpote earum principium. Ergo esse gratiae, quod est per virtutes,
non est per potentias : et sic potentia non est virtutis subiectum.
2.
L’кtre de la grвce est plus noble que l’кtre de la nature. Or, l’кtre de la
nature vient de l’essence de l’вme, qui est plus noble que ses puissances en
tant qu’elle est leur principe. L’кtre de la grвce, qui vient des vertus, ne
vient donc pas des puissances. Et ainsi, une puissance n’est pas le sujet de
la vertu.
[65548] De virtutibus, q.
1 a. 3 arg. 3 Praeterea, accidens subiectum esse non potest. Sed potentia
animae est de genere accidentium; potentia enim et impotentia naturalis
pertinent ad secundam speciem qualitatis. Ergo potentia animae non potest
esse virtutis subiectum.
3.
Un accident ne peut кtre un sujet. Or, la puissance de l’вme fait partie du
genre des accidents : en effet, la puissance et l’impuissance naturelles
relиvent de la deuxiиme espиce de la qualitй. La puissance de l’вme ne peut
donc кtre le sujet de la vertu.
[65549] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si aliqua potentia animae est virtutis subiectum, et
quaelibet; cum quaelibet potentia animae vitiis impugnetur, contra quae
virtutes ordinantur, sed non quaelibet potentia animae potest esse virtutis
subiectum, ut post patebit. Ergo virtutis subiectum potentia esse non potest.
4.
Si une puissance de l’вme est le sujet d’une vertu, toutes [le seront],
puisque toutes les puissances de l’вme sont combattues par les vices, contre
lesquels les vertus sont ordonnйs, mais que toutes les puissances de l’вme ne
peuvent кtre le sujet de la vertu, comme ce sera clair par la suite. La
puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.
[65550]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, principia activa in naturis aliorum
agentium subiecta non sunt, ut calor et frigus. Sed potentiae animae sunt
quaedam activa principia; sunt enim principia operationum animae. Ergo
aliorum accidentium subiecta esse non possunt.
5.
Les principes actifs dans les natures des autres agents ne sont pas des
sujets, tels la chaleur et le froid. Or, les puissances de l’вme sont des
principes actifs : en effet, elles sont les principes des opйrations de
l’вme. Elles ne peuvent donc pas кtre les sujets d’autres accidents.
[65551]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, anima subiectum est potentiae. Si ergo
potentia subiectum est alterius accidentis, pari ratione illud accidens erit
subiectum alterius accidentis; et ita ibitur in infinitum; quod est
inconveniens. Non ergo potentia animae est subiectum virtutis.
6.
L’вme est le sujet de la puissance. Si donc la puissance est le sujet d’un
autre accident, pour la mкme raison cet accident sera le sujet d’un autre
accident; et ainsi, on remontera а l’infini, ce qui ne convient pas. La
puissance de l’вme n’est donc pas le sujet de la vertu.
[65552]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, in Lib. I Poster. dicitur quod qualitatis
non est qualitas. Sed potentia animae quaedam qualitas est in secunda specie
qualitatis; virtus autem in prima specie qualitatis est. Ergo potentia animae
non potest esse subiectum virtutis.
7.
Dans les Seconds analytiques, I, il est dit qu’il n’y a pas de qualitй
de la qualitй. Or, la puissance de l’вme est une certaine qualitй de la
deuxiиme espиce de qualitй; mais la vertu fait partie de la premiиre espиce
de qualitй. La puissance de l’вme ne peut donc pas кtre le sujet de la vertu.
Cependant
:
[65553] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed
contra. Cuius
est actio, eius est principium actionis. Sed
actiones virtutum sunt potentiarum animae. Ergo
et ipsae virtutes.
1.
Le principe de l’action appartient а ce dont elle est l’action. Or, les
actions des vertus appartiennent aux puissances de l’вme. Il en va donc de
mкme pour les vertus.
[65554] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit
in I Ethic., quod virtutes intelligibiles sunt rationales per essentiam,
virtutes autem morales sunt rationales per participationem. Sed rationale per
essentiam et per participationem nominat quasdam animae potentias. Ergo
potentiae animae sunt subiecta virtutum.
2.
Le Philosophe dit, dans Йthiques, I, que les vertus intellectuelles
sont raisonnables par essence, mais que les vertus morales sont raisonnables
par participation. Or, кtre raisonnable par essence et [кtre raisonnable] par
participation dйsignent des puissances de l’вme. Les puissances de l’вme sont
donc les sujets des vertus.
Rйponse
:
[65555]
De virtutibus, q. 1 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod subiectum tripliciter
comparatur ad accidens. Uno modo sicut praebens ei sustentamentum; nam
accidens per se non subsistit, fulcitur vero per subiectum. Alio modo sicut
potentia ad actum; nam subiectum accidenti subiicitur, sicut quaedam potentia
activi; unde et accidens forma dicitur. Tertio modo sicut causa ad effectum;
nam principia subiecta sunt principia per se accidentis. Quantum igitur ad
primum, unum accidens alterius subiectum esse non potest. Nam, cum nullum
accidens per se subsistat, non potest alteri sustentamentum praebere : nisi
fortasse dicatur, quod in quantum est a subiecto sustentatum, aliud accidens
sustentat. Sed quantum ad alia duo, unum accidens se
habet ad aliud per modum subiecti : nam unum accidens est in potentia ad
alterum, sicut diaphanum ad lucem, et superficies ad colorem. Unum etiam accidens
potest esse causa alterius, ut humor saporis; et per hunc modum dicitur unum
accidens alterius accidentis esse subiectum. Non quod unum accidens possit
alteri accidenti sustentamentum praebere; sed quia subiectum est receptivum
unius accidentis altero mediante. Et per hunc modum dicitur potentia animae
esse habitus subiectum. Nam habitus ad potentiam animae comparatur ut actus
ad potentiam; cum potentia sit indeterminata quantum est de se, et per
habitum determinetur ad hoc vel illud. Ex principiis etiam potentiarum
habitus acquisiti causantur. Sic ergo dicendum est, potentias esse virtutum
subiecta; quia virtus animae inest, potentia mediante.
Le
sujet se compare а l’accident d’une triple maniиre. D’une premiиre maniиre,
comme ce qui lui prкte un support, car l’accident ne subsiste pas par
lui-mкme, mais il est soutenu par le sujet. D’une autre maniиre, comme la
puissance а l’acte, car le sujet est sujet de l’accident comme une puissance
а un principe actif; aussi l’accident est-il appelй une forme. D’une
troisiиme maniиre, comme la cause а l’effet, car les principes sous-jacents
sont par eux-mкmes [les principes] de l’accident. Pour ce qui est du premier
point, un accident ne peut pas кtre le sujet d’un autre [accident], car,
puisqu’aucun accident ne subsiste par lui-mкme, il ne peut fournir d’appui а
un autre, а moins qu’on ne dise que, pour autant qu’il est soutenu par un
sujet, il soutient un autre accident. Mais, pour ce qui est des autres
points, un accident joue le rфle de sujet pour quelque chose d’autre, car un
accident est en puissance а un autre, comme ce qui est diaphane par rapport а
la lumiиre, et la surface par rapport а la couleur. Un accident peut aussi
кtre la cause d’un autre, comme l’humiditй l’est pour le goыt. Et, de cette
maniиre, on dit qu’un accident est le sujet d’un autre accident. Non pas
qu’un accident puisse fournir appui а un autre accident, mais parce que le
sujet reзoit un accident par l’intermйdiaire d’un autre [accident]. C’est
ainsi qu’on dit que la puissance de l’вme est le sujet d’un habitus. Car
l’habitus entretient avec l’вme le rapport de l’acte avec la puissance,
puisque la puissance est indйterminйe pour ce qui relиve d’elle-mкme, et
qu’elle est dйterminйe а ceci ou а cela par l’habitus. C’est aussi а partir
des principes des puissances que les habitus acquis sont causйs. Il faut donc
dire que des puissances sont sujets de vertus, parce que la vertu est
prйsente dans l’вme par l’intermйdiaire de la puissance.
1.
Le mot «vivre», mis dans la dйfinition de la vertu, se rapporte а l’action,
comme on l’a dit plus haut.
[65557] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse
spirituale non per virtutes est, sed per gratiam. Nam gratia est principium
spiritualiter essendi, virtus vero spiritualiter operandi.
2.
L’кtre spirituel n’existe pas par les vertus, mais par la grвce, car la grвce
est le principe de l’existence spirituelle, mais la vertu [est le principe]
de l’opйration spirituelle.
3.
La puissance n’est pas sujet par elle-mкme, mais pour autant qu’elle est soutenue
par l’вme.
[65559] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nunc
loquimur de virtutibus humanis; et ideo illae potentiae quae nullo modo
possunt esse humanae, ad quas nullo modo se extendit imperium rationis, sicut
sunt vires animae vegetabilis, non possunt esse subiecta virtutum. Omnis autem impugnatio
quae ex his viribus provenit, fit mediante appetitu sensitivo, ad quem
pertingit imperium rationis, ut possit dici humanus, et virtutis humanae
subiectum.
4.
Nous parlons maintenant des vertus humaines. C’est pourquoi les puissances
qui ne peuvent кtre humaines d’aucune maniиre, sur lesquelles le commandement
de la raison ne s’йtend aucunement, comme c’est le cas des puissances de
l’вme vйgйtative, ne peuvent pas кtre les sujets de vertus. Mais tout combat
qui vient de ces puissances se fait par l’intermйdiaire de l’appйtit
sensible, sur lequel la raison exerce son commandement, de sorte qu’il puisse
кtre appelй humain et sujet de la vertu humaine.
[65560]
De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inter potentias animae non
sunt activae nisi intellectus agens, et vires animae vegetabilis, quae non
sunt aliquorum habituum subiecta. Aliae autem potentiae animae sunt passivae
: principia tamen actionum animae existentes secundum quod sunt motae a suis
activis.
5.
Parmi les puissances de l’вme, ne sont actives que l’intellect agent et les
puissances de l’вme vйgйtative, qui ne sont pas les sujets d’habitus. Les
autres puissances de l’вme sont passives, mais elles sont cependant les
principes des actions de l’вme qui sont mues par ce qui les active.
[65561] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non
oportet in infinitum abire, quia pervenietur ad aliquod accidens quod non est
in potentia respectu alterius accidentis.
6.
Il n’est pas nйcessaire de remonter а l’infini, car on parviendra а un
accident qui n’est pas en puissance par rapport а un autre accident.
[65562]
De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qualitatis non dicitur
esse qualitas, ita quod per se sit qualitas qualitatis subiectum; quod in
proposito non accidit, ut supra dictum est.
7. On ne dit pas de la qualitй qu’elle est une
qualitй, de telle maniиre que la qualitй soit le sujet d’une qualitй, ce qui
n’est pas en cause, comme on l’a dit plus haut.
[65565] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 1 Quia contraria nata sunt fieri
circa idem. Virtuti
autem contrarium est peccatum mortale, quod non potest esse in sensualitate,
cuius partes sunt irascibilis et concupiscibilis. Ergo irascibilis et
concupiscibilis subiectum virtutis esse non possunt.
1.
Les contraires portent de soi sur la mкme chose. Or, le contraire de la vertu
est le pйchй mortel, qui ne peut exister dans l’appйtit sensibe, dont les
parties sont l’irascible et le concupiscible. L’irascible et le concupiscible
ne peuvent donc pas кtre sujets de la vertu.
[65566] De virtutibus, q.
1 a. 4 arg. 2 Praeterea, eiusdem potentiae sunt habitus et actus. Sed
principalis actus virtutis est electio, secundum philosophum in Lib. Ethic.,
quae non potest esse actus irascibilis et concupiscibilis. Ergo nec habitus
virtutum possunt esse in irascibili et concupiscibili.
2.
Les habitus et les actes relиvent de la mкme puissance. Or, l’acte principal
de la vertu est le choix, selon le Philosophe, dans l’Йthique, lequel
ne peut кtre un acte de l’irascible et du concupiscible. Les habitus des
vertus ne peuvent donc pas se trouver dans l’irascible et le concupiscible.
[65567]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullum corruptibile est subiectum
perpetui; unde Augustinus probat animam esse perpetuam, quia est subiectum
veritatis, quae est perpetua. Sed irascibilis et concupiscibilis, sicut et
ceterae potentiae sensitivae, non remanent post corpus, ut quibusdam videtur;
virtutes autem manent. Nam iustitia est perpetua et immortalis, ut dicitur
Sapient. I, v. 15; quod pari ratione de omnibus dici potest. Ergo irascibilis
et concupiscibilis virtutum subiectum esse non possunt.
3.
Aucun chose corruptible ne peut кtre le sujet de ce qui est perpйtuel. Ainsi
Augustin prouve-t-il que l’вme est perpйtuelle, parce qu’elle est le sujet de
la vйritй, qui est perpйtuelle. Or, l’irascible et le concupiscible, comme
les autres puissances sensibles, ne demeurent pas aprиs que le corps [a
disparu], comme il semble а certains, mais les vertus demeurent, car la
justice est perpйtuelle et immortelle, comme il est dit dans
Sg 1, 15, ce qui peut кtre dit de toutes les [vertus] pour la mкme
raison. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas кtre le sujet des
vertus.
[65568] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, irascibilis et
concupiscibilis habent organum corporale. Si ergo virtutes sunt in irascibili
et concupiscibili, sunt in organo corporali. Ergo possunt apprehendi per
imaginationem vel phantasiam; et sic non sunt sola mente perceptibiles; ut
Augustinus dicit de iustitia, quod est rectitudo sola mente perceptibilis.
4.
L’irascible et le concupiscible ont un organe corporel. Si donc les vertus
sont dans l’irascible et le concupiscible, elles existent dans un organe
corporel. Elles peuvent donc кtre saisies par l’imagination ou la
«fantaisie». Et ainsi, elles ne sont pas perceptibles par la seule raison,
comme Augustin dit de la justice qu’«elle est une rectitude perceptible par
l’esprit seul».
[65569]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis
possunt esse subiectum virtutis, in quantum participant aliqualiter,
ratione.- Sed contra, irascibilis et concupiscibilis dicuntur ratione
participare, in quantum a ratione ordinantur. Sed ordo rationis non potest
virtuti sustentamentum praebere, cum non sit quid subsistens. Ergo nec in
quantum ratione participant, possunt irascibilis et concupiscibilis esse
virtutis subiectum.
5.
L’irascible et le concupiscible peuvent кtre sujets de la vertu pour autant
qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison. – Mais, en sens
contraire, on dit que l’irascible et le concupiscible participent а la raison
pour autant qu’ils sont commandйs par la raison. Or, l’ordre de la raison ne
peut fournir de support а la vertu, puisqu’il n’est pas quelque chose de
subsistant. Ni l’irascible ni le concupiscible ne peuvent donc pas non plus
кtre sujets de la vertu pour autant qu’ils participent а la raison.
[65570]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, sicuti irascibilis et concupiscibilis,
quae pertinent ad sensibilem appetitum, subserviunt rationi; ita et potentiae
apprehensivae et sensitivae. Sed in nulla apprehensiva potentiarum sensitivarum
potest esse virtus. Ergo nec in irascibili et concupiscibili.
6.
De mкme que l’irascible et le concupiscible, qui relиvent de l’appйtit
sensible, obйissent а la raison, de mкme les puissances cognitives et
sensibles. Or, il n’y a de vertu dans aucune puissance cognitive parmi les
puissances sensibles. Il n’y en a donc pas non plus dans l’irascible et le
concupiscible.
[65571] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, si ordo
rationis participari potest in irascibili et concupiscibili, poterit minui
rebellio sensualitatis, quae has duas vires continet ad rationem. Sed
rebellio praedicta non est infinita, cum sensualitas sit virtus finita, et
virtutis finitae non possit esse actio infinita. Ergo
poterit totaliter tolli praedicta rebellio; omne enim finitum consumitur
multoties ablato quodam, ut patet per philosophum in I Physic.; et sic
sensualitas in hac vita possit totaliter curari. Quod est impossibile.
7.
Si l’irascible et le concupiscible peuvent participer а l’ordre de la raison,
la rйbellion de la sensualitй sera diminuйe, qui comprend ces deux puissances
en rapport avec la raison. Or, la rйbellion dont il a йtй question n’est pas
infinie, puisque la sensualitй est une puissance finie, et qu’il ne peut
exister d’action infinie d’une puissance finie. Ladite rйbellion pourra donc
кtre entiиrement abolie : en effet, tout ce qui est fini disparaоt, si on en
enlиve souvent quelque chose, comme cela ressort clairement de ce que dit le
Philosophe dans Physique, I. Et ainsi, en cette vie, la sensualitй
pourra кtre totalement guйrie. Ce qui est impossible.
[65572] De virtutibus, q.
1 a. 4 arg. 8 Sed dicendum, quod Deus, qui virtutem infundit, posset
totaliter praedictam rebellionem auferre; sed ex parte nostra est quod non
totaliter auferatur.- Sed contra, homo est id quod est in quantum est
rationalis; cum ex hoc speciem sortiatur. Quanto igitur id quod est in
homine, magis rationi subiicitur; tanto magis competit humanae naturae.
Maxime autem subiicerentur inferiores vires animae rationi si praedicta rebellio
totaliter tolleretur. Ergo hoc esset competens maxime humanae naturae; et ita
ex parte nostra non est impedimentum quin praedicta rebellio totaliter
tollatur.
8.
Mais Dieu, qui infuse la vertu, pourrait йcarter complиtement cette
rйbellion; cependant, cela vient de nous qu’elle ne soit pas totalement
йcartйe. – Mais, en sens contraire, l’homme est ce qu’il est pour autant
qu’il est raisonnable, puisqu’il tire de cela son espиce. Plus ce qui est
dans l’homme est soumis а la raison, plus cela relиve donc de la nature
humaine. Or, les puissances infйrieures seraient soumises а la raison au plus
haut point si ladite rйbellion йtait totalement йcartйe. Cela conviendrait
donc au plus haut point а la nature humaine. Et ainsi, il n’y a pas
d’empкchement de notre part а ce que ladite rйbellion soit totalement
йcartйe.
[65573] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, ad rationem virtutis non sufficit quod peccatum vitetur.
Perfectio enim iustitiae in hoc consistit quod in Psal. XXXIII, v. 15, dicitur : declina
a malo, et fac bonum. Sed ad irascibilem pertinet detestari malum, ut
dicitur in Lib. de spiritu et anima. Ergo in irascibili ad minus non potest
esse virtus.
9.
Il ne suffit pas а la raison de vertu que le pйchй soit йvitй. En effet, la
perfection de la justice consiste en ce que dit le Ps 38, 15 : Dйtourne-toi
du mal et fais le bien. Or, il appartient а l’irascible de dйtester le
mal, comme il est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’вme. Dans
l’irascible au moins, il ne peut donc y avoir de vertu.
[65574]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, in eodem libro dicitur, quod in ratione
est desiderium virtutum, in irascibili odium vitiorum. Sed in eodem est
desiderium virtutis et virtus, cum quaelibet res suam perfectionem desideret.
Ergo omnis virtus est in ratione, et non in irascibili et concupiscibili.
10.
Dans le mкme livre, on dit qu’il existe un dйsir des vertus dans la raison,
et une haine des vices dans l’irascible. Or, le dйsir de la vertu et la vertu
se trouvent dans le mкme [sujet], puisque toute chose dйsire sa perfection.
Toute vertu se trouve donc dans la raison, et non dans l’irascible et le
concupiscible.
[65575] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 11 Praeterea, in nulla
potentia potest esse habitus quae agitur tantum et non agit; eo quod habitus
est id quo quis agit cum voluerit, ut dicit Commentator in III de anima. Sed
irascibilis et concupiscibilis non agunt, sed aguntur : quia ut dicitur in
III Ethic., sensus nullius actus dominus est. Ergo non potest esse habitus
virtutis in irascibili et concupiscibili.
11.
Dans aucune puissance ne peut exister un habitus qui est seulement mы et qui
n’agit pas, йtant donnй que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit
lorsqu’il le veut, comme le dit le Commantateur dans Sur l’вme, III.
Or, l’irascible et le concupiscible n’agissent pas mais sont mus, car, comme
on le dit dans Йthique, III, le sens n’est maоtre d’aucun acte. Il ne
peut donc y avoir de vertu dans l’irascible et le concupiscible.
[65576] De virtutibus, q.
1 a. 4 arg. 12 Praeterea, proprium subiectum parificatur propriae passioni.
Virtus autem parificatur rationi, non autem irascibili et concupiscibili,
quae sunt nobis et brutis communes. Virtus ergo est in hominibus tantum,
sicut et ratio; ergo omnis virtus est in ratione, non autem in irascibili et
concupiscibili.
12.
Le sujet propre est assimilй а la passion propre. Or, la vertu est assimilйe
а la raison, et non а l’irascible et au concupiscible, qui sont communs а
nous et aux animaux sans raison. La vertu se trouve donc dans l’homme seulement,
comme la raison. Toute vertu est donc dans la raison, et non dans l’irascible
et le concupiscible.
[65577] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 13 Praeterea, Rom. VII,
dicit Glossa : bona est lex, quae dum concupiscentiam prohibet, omne malum
prohibet. Omnia ergo vitia ad concupiscibilem pertinent, cuius est
concupiscentia. Sed in eodem, sunt virtutes et vitia. Ergo virtutes non sunt
in irascibili, sed in concupiscibili ad minus.
13.
А propos de Rm 7, la Glose dit : «La loi est bonne, puisqu’elle interdit
la convoitise et empкche tout mal.» Tous les vices se rapportent donc au
concupiscible, dont relиve la convoitise. Or, les vertus et les vices se
trouvent dans le mкme [sujet]. Les vertus ne sont donc pas dans l’irascible,
mais au moins dans le concupiscible.
Cependant
:
[65578] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod philosophus, dicit de temperantia et fortitudine, quod sunt
irrationabilium partium. Partes autem irrationabiles, id est sensibilis
appetitus, sunt irascibilis et concupiscibilis, ut habetur in III de anima.
Ergo in irascibili et concupiscibili possunt esse virtutes.
1.
Il y a ce que le Philosophe dit de la tempйrance et de la force, qui
appartiennent aux parties non raisonnables. Or, les parties non raisonnables,
а savoir, l’appйtit sensible, sont l’irascible et le concupiscible, comme on
le trouve dans Sur l’вme, III. Les vertus peuvent donc exister dans
l’irascible et le concupiscible.
[65579] De virtutibus, q.
1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, peccatum veniale est dispositio ad mortale.
Perfectio autem et dispositio sunt in eodem. Cum igitur veniale peccatum sit
in irascibili et concupiscibili (prius enim motus est actus sensualitatis, ut
ponitur in Glossa ad Rom. VIII); ergo et mortale peccatum ibi esse poterit;
et sic etiam virtus, quae est peccato mortali contraria.
2.
Le pйchй vйniel est une disposition au pйchй mortel. Or, la perfection et la
disposition existent dans le mкme [sujet]. Comme le pйchй vйniel existe dans
l’irascible et le concupiscible (en effet, il y a d’abord un mouvement de la
sensualitй, comme on le trouve dans la Glose а propos de Rm 8), le pйchй
mortel peut donc aussi y exister, et donc aussi la vertu, qui est contraire
au pйchй mortel.
[65580]
De virtuoses, q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem. Sed
virtus aliqua est medium inter contrarias passiones; sicut fortitudo inter
timorem et audaciam, et temperantia inter superfluum et diminutum in
concupiscentiis. Cum igitur huiusmodi passiones sint in irascibili et
concupiscibili, videtur etiam quod in eisdem sit virtus.
3.
Le milieu et les extrкmes existent dans le mкme [sujet]. Or, une vertu est le
milieu entre des passions contraires, comme la force entre la crainte et
l’audace, et la tempйrance entre l’excиs et la carence dans les dйsirs.
Puisque ces passions sont dans l’irascible et le concupiscible, il semble
donc aussi que la vertu existe en eux.
Rйponse
:
[65581] De virtutibus, q.
1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod circa quaestionem istam partim ab
omnibus convenitur, et partim opiniones sibi invicem repugnant. Ab omnibus
enim conceditur aliquas virtutes in irascibili et concupiscibili esse, sicut
temperantiam in concupiscibili et fortitudinem in irascibili; sed in hoc est
differentia. Quidam enim distinguunt duplicem irascibilem et concupiscibilem
esse; in superiori parte animae, et iterum in inferiori. Dicunt enim, quod
irascibilis et concupiscibilis quae sunt in superiori parte animae, cum ad
naturam rationalem pertineant, possunt esse subiectum virtutis; non tamen
illae quae sunt in inferiori parte ad naturam sensualem et brutalem
pertinentes. Sed hoc quidem in alia quaestione discussum est; utrum scilicet
in superiori parte animae possint distingui duae vires, quarum una sit
irascibilis et alia concupiscibilis, proprie loquendo. Sed, quidquid de hoc
dicatur, nihilominus in irascibili et concupiscibili quae sunt in inferiori
appetitu, secundum philosophum in III Ethic., oportet ponere esse aliquas
virtutes, ut etiam alii dicunt : quod quidem sic patet. Cum enim virtus, ut
supra dictum est, nominet quoddam potentiae complementum, potentia autem ad
actum respiciat; oportet humanam virtutem in illa potentia ponere quae est
principium actus humani. Actus autem humanus dicitur qui non quocumque modo
in homine vel per hominem exercetur; cum in quibusdam etiam plantae, bruta et
homines conveniant; sed qui hominis proprius est. Inter cetera vero hoc habet
homo proprium in suo actu, quod sui actus est dominus. Quilibet igitur actus
cuius homo dominus est, est proprie actus humanus; non autem illi quorum homo
non est dominus, licet in homine fiant, ut digerere, et augeri, et alia
huiusmodi. In eo igitur quod est principium talis actus cuius homo dominus
est, potest poni virtus humana. Sciendum tamen est, quod huiusmodi actus
contingit esse triplex principium. Unum sicut primum movens et imperans, per
hoc quod homo sui actus sit dominus; et hoc est ratio vel voluntas. Aliud est
movens motum, sicut appetitus sensibilis, qui etiam movetur ab appetitu
superiori in quantum ei obedit, et tunc iterum movet membra exteriora per sui
imperium. Tertium autem est quod est motum tantum, scilicet membrum exterius.
Cum autem utrumque, scilicet membrum exterius et appetitus inferior a
superiori parte animae moveantur; tamen aliter, et aliter. Nam membrum exterius
ad nutum obedit superiori imperanti absque ulla repugnantia secundum naturae
ordinem, nisi sit impedimentum aliquod; ut patet in manu et pede. Appetitus
autem inferior habet propriam inclinationem ex natura sua, unde non obedit
superiori appetitui ad nutum, sed interdum repugnat; unde Aristoteles dicit
in politica sua, quod anima dominatur corpori dispotico principatu, sicut
dominus servo, qui non habet facultatem resistendi in aliquo imperio domini;
ratio vero dominatur inferioribus animae partibus regali et politico
principatu, id est sicut reges et principes civitatum dominantur liberis, qui
habent ius et facultatem repugnandi quantum ad aliqua praecepta regis vel
principis. In membro igitur exteriori non est necessarium aliquid perfectivum
actus humani, nisi naturalis eius dispositio, per quam natum est moveri a
ratione; sed in appetitu inferiori, qui rationi repugnare potest, est
necessarium aliquid quo operationem quam ratio imperat, absque repugnantia
prosequatur. Si enim immediatum operationis principium sit imperfectum,
oportet operationem esse imperfectam, quantacumque perfectio adsit superiori
principio. Et ideo, si appetitus inferior non esset in perfecta dispositione
ad sequendum imperium rationis, operatio, quae est appetitus inferioris, sicut
proximi principii, non esset in bonitate perfecta; esset enim cum quadam
repugnantia sensibilis appetitus; ex quo quaedam tristitia consequeretur
appetitui inferiori per quamdam violentiam a superiori moto; sicut accidit in
eo qui habet fortes concupiscentias, quas tamen non sequitur, ratione
prohibente. Quando igitur oportet operationem hominis esse circa ea quae sunt
obiecta sensibilis appetitus, requiritur ad bonitatem operationis quod sit in
appetitu sensibili aliqua dispositio, vel perfectio, per quam appetitus
praedictus de facili obediat rationi; et hanc virtutem vocamus. Quando igitur
aliqua virtus est circa illa quae proprie ad vim irascibilem pertinent, sicut
fortitudo circa timores et audacias, magnanimitas circa ardua sperata,
mansuetudo circa iras : talis virtus dicitur esse etiam in irascibili sicut
in subiecto. Quando autem est circa ea quae sunt proprie concupiscibilis,
dicitur esse in concupiscibili sicut in subiecto; sicut castitas, quae est
circa delectationes venereas, et sobrietas et abstinentia, quae sunt circa
delectationes in cibis et potibus.
А
propos de cette question, tous sont d’accord en partie, et les opinions
s’opposent les unes aux autres en partie. Tous concиdent en effet qu’il
existe certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible, comme la
tempйrance dans le concupiscible et la force dans l’irascible. Mais il y a
sur ce point une divergence. En effet, certains font une distinction selon
laquelle il existe une double irascible et concupiscible : dans la partie
supйrieure de l’вme, et aussi dans [la partie] infйrieure. En effet, ils
disent que l’irascible et le concupiscible qui existent dans la partie
supйreure de l’вme, puisqu’ils relиvent de la nature raisonnable, peuvent
кtre le sujet de la vertu, mais que ce n’est cependant pas le cas de ceux qui
existent dans la partie infйrieure, qui se rapporte а la nature sensible et
sans raison. Mais cela a йtй discutй dans une autre question, а savoir, si
l’on peut distinguer deux puissances dans la partie supйrieure de l’вme, dont
l’une est l’irascible et l’autre le concupiscible au sens propre. Mais quoi
qu’on dise а ce sujet, il est nйanmoins nйcessaire de situer certaines vertus
dans l’irascible et le concupiscible qui se trouvent dans l’appйtit
infйrieur, selon le Philosophe, dans Йthique, II, et comme d’autres
aussi le disent. Et cela peut s’expliquer ainsi. En effet, puisque la vertu,
comme on l’a dit, dйsigne un achиvement de la puissance et que la puissance
concerne l’acte, il est nйcessaire de situer la vertu humaine dans la
puissance qui est le principe de l’acte humain. Or, on appelle acte humain
non pas celui qui existe dans l’homme ou est exercй par l’homme de n’importe
quelle maniиre, puisque les plantes, les animaux sans raison et les hommes
ont certaines choses en commun, mais [l’acte] qui est propre а l’homme. Or,
parmi les autres choses, l’homme a en propre dans son acte d’кtre maоtre de
son acte. Tout acte dont l’homme est maоtre est donc humain au sens propre,
mais non ceux dont l’homme n’est pas maоtre, bien qu’ils s’accomplissent chez
l’homme, comme digйrer, grandir et les autres choses de ce genre. C’est donc
dans ce qui est le principe de l’acte dont l’homme est maоtre qu’on peut
situer la vertu humaine. Il faut cependant savoir qu’il se fait que le principe
d’un tel acte est triple. L’un, comme premier agent et commandant, par lequel
l’homme est maоtre de son acte : et cela est la raison ou la volontй. Un
autre est l’agent qui est mы, comme l’appйtit sensible, qui est aussi mы par
un appйtit supйrieur dans la mesure oщ il lui obйit, et par le commandement
duquel aussi [l’homme] meut ses membres extйrieurs. Le troisiиme est celui
qui est mы seulement, а savoir, le membre extйrieur, bien que les deux, а
savoir, le membre infйrieur et l’appйtit infйrieur, soient mus par la partie
supйrieure de l’вme, mais cependant d’une maniиre diffйrente. Car le membre
extйrieur obйit au moindre commandement de la [partie] supйrieure qui le
commande, sans aucune rйsistance, selon l’ordre de la nature, а moins qu’il y
ait un empкchement, comme cela est manifeste pour la main et le pied. Mais
l’appйtit infйrieur a sa propre inclination par sa nature; aussi n’obйit-il
pas au moindre commendemenet de l’appйtit supйrieur, mais parfois lui
rйsiste. C’est ainsi qu’Aristote dit, dans sa Politique, que l’вme
commande au corps par un pouvoir despotique, comme le maоtre а l’esclave, qui
n’a la capacitй de rйsister а aucun commandement du maоtre; mais la raison
s’impose aux parties infйrieures de l’вme par un pouvoir royal et politique,
c’est-а-dire comme les rois et les dirigeants des villes s’imposent aux
hommes libres, qui ont le droit et la capacitй de rйsister а certains ordres
du roi ou du dirigeant. Il n’est donc pas nйcessaire qu’existe dans le membre
extйrieur quelque chose qui perfectionne l’acte humain, sinon sa disposition
naturelle, par laquelle il est disposй а кtre mы par la raison. Mais, dans
l’appйtit infйrieur, qui peut rйsister а la raison, quelque chose est
nйcessaire pour que suive sans rйsistance l’opйration que commande la raison.
En effet, si le principe immйdiat de l’opйration est imparfait, l’opйration
sera nйcessairement imparfaite, quelle que soit la perfection du principe
supйrieur. C’est pourquoi, si l’appйtit infйrieur n’est pas parfaitement
disposй а suivre le commandement de la raison, l’opйration, qui relиve de
l’appйtit infйrieur comme de son principe rapprochй, ne sera pas d’une bontй
parfaite. En effet, elle se ferait avec une certaine rйsistance de l’appйtit
sensible, d’oщ viendrait une tristesse de l’appйtit infйrieur mы selon une
certaine violence par l’appйtit supйrieur, comme il arrive chez celui qui a
de fortes convoitises, qu’il ne suit cependant pas parce que la raison l’en
empкche. Ainsi donc, lorsque l’opйration de l’homme doit porter sur les choses
qui sont les objets de l’appйtit sensible, il est nйcessaire pour la bontй de
l’opйration qu’il y ait dans l’appйtit sensible une certaine disposition ou
perfection, par laquelle ledit appйtit puisse obйir facilement а la raison.
Et c’est cette disposition que nous appelons vertu. Lors donc qu’une vertu
porte sur ce qui relиve en propre de la puissance irascible, comme la force
pour les craintes et les audaces, la magnanimitй pour les choses difficiles
qu’on espиre, la douceur pour les colиres, on dit qu’une telle vertu rйside
dans l’irascible comme dans son sujet. Mais lorsqu’elle porte sur ce qui
relиve en propre du concupiscible, on dit qu’elle rйside dans le
concupiscible comme dans son sujet, comme la chastetй, qui porte sur les
plaisirs sexuels, la sobriйtй et l’abstinence, qui portent sur les plaisirs
associйs а la nourriture et aux boissons.
Solutions :
[65582]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus et peccatum
mortale dupliciter considerari possunt; scilicet secundum actum et secundum
habitum. Sicut autem actio concupiscibilis et irascibilis si secundum se
consideratur, non est peccatum mortale, concurrit tamen in actu peccati
mortalis, quando ratione movente vel consentiente tendit in contrarium legis
divinae; ita actus eorumdem, si per se accipiantur, non possunt esse actus
virtutis, sed solum quando concurrunt ad consequendum imperium rationis. Et
sic actus peccati mortalis et virtutis pertinet aliquo modo ad irascibilem et
concupiscibilem; unde et habitus utriusque in irascibili et concupiscibili
esse possunt. Hoc tamen in re est, quod sicut actus virtutis consistit in hoc
quod irascibilis et concupiscibilis sequuntur rationem, ita actus peccati
consistit in hoc quod ratio trahitur ad sequendum inclinationem irascibilis
et concupiscibilis. Unde et peccatum consuevit frequentius rationi attribui
tamquam proximae causae; et eadem ratione virtus irascibilis et
concupiscibilis.
1.
La vertu et le pйchй mortel peuvent кtre abordйs de deux faзons : selon
l’acte et selon l’habitus. De mкme que l’action du concupiscible et de
l’irascible, considйrйe en elle-mкme, n’est pas un pйchй mortel, mais
concourt cependant а l’acte du pйchй mortel lorsque, malgrй le mouvement ou
le consentement de la raison, elle tend а ce qui est contraire а la loi
divine, de mкme leurs actes, considйrйs en eux-mкmes, ne peuvent-ils кtre
considйrйs comme des actes de vertu, mais seulement lorsqu’ils parviennent а
se conformer au commandement de la raison. Et ainsi, l’acte du pйchй mortel
et de la vertu se rapportent-ils d’une certaine maniиre а l’irascible et au
concupiscible; l’habitus de chacun peut donc rйsider dans l’irascible et le
concupiscible. En rйalitй, de mкme que l’acte de la vertu consiste en ce que
l’irascible et le concupiscible suivent la raison, de mкme l’acte du pйchй
consiste-t-il en ce que la raison soit entraоnйe а suivre l’inclination de
l’irascible et du concupiscible. Aussi a-t-on l’habitude d’attribuer plus
frйquemment le pйchй а la raison comme а sa cause prochaine et, pour la mкme
raison, la vertu de l’irascible et du concupuscible.
[65583] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod, sicut iam dictum est, actus virtutis non potest esse irascibilis vel
concupiscibilis tantum, sine ratione. Id tamen quod est in actu virtutis,
principalius est rationis, scilicet electio; sicut et in qualibet operatione
principalior est agentis actio quam passio patientis. Ratio enim imperat
irascibili et concupiscibili. Non ergo pro tanto dicitur esse virtus in
irascibili vel concupiscibili, quasi per eas totus actus virtutis vel
principalior pars expleatur; sed in quantum, per virtutis habitum, ultimum
complementum bonitatis actui virtutis confertur : in hoc scilicet quod
irascibilis et concupiscibilis absque difficultate sequantur ordinem
rationis.
2.
Comme on l’a dйjа dit, l’acte de la vertu ne peut relever de l’irascible et
du concupiscible seulement, sans la raison. Cependant,
ce qui constitue l’acte de la vertu relиve principalement de la raison, а
savoir, le choix, comme dans toute action, l’action de l’agent est plus
importante que la passion de ce qui reзoit l’action. En effet, la raison
commande а l’irascible et au concupiscible. Pour autant, on ne dit donc pas
qu’existe une vertu dans l’irascible ou dans le concupiscible, comme si
s’accomplissait par eux tout l’acte ou la partie principale de la vertu, mais
pour autant que, par l’habitus de la vertu, l’ultime achиvement de la bontй
est apportй а l’acte de la vertu, а savoir, par le fait que l’irascible et le
concupiscible suivent l’ordre de la raison.
[65584] De virtutibus, q.
1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposito quod irascibilis et
concupiscibilis non remaneant actu in anima separata, manent tamen in ea
sicut in radice : nam essentia animae est radix potentiarum. Et similiter
virtutes quae ascribuntur irascibili et concupiscibili, manent in ratione
sicut in radice. Nam ratio est radix omnium virtutum, ut postea ostendetur.
3.
А supposer que l’irascible et le concupiscible ne demeurent pas en acte dans
l’вme sйparйe, ils demeurent cependant en elle comme en leur racine, car
l’essence de l’вme est la racine des puissances. De mкme, les vertus qui sont
attribuйes а l’irascible et au concupiscible demeurent dans la raison comme
en leur racine. Car la raison est la racine de toutes les vertus, comme on le
montrera plus loin.
[65585]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in formis invenitur quidam
gradus. Sunt enim quaedam formae et virtutes totaliter ad materiam depressae,
quarum omnis actio materialis est; ut patet in formis elementaribus.
Intellectus vero est totaliter a materia liber; unde et eius operatio est
absque corporis communione. Irascibilis autem et concupiscibilis medio modo
se habent. Quod enim organo corporali utantur, ostendit corporalis transmutatio,
quae earum actibus adiungitur; quod iterum sint aliquo modo a materia
elevatae, ostenditur per hoc quod per imperium moventur et quod obediunt
rationi. Et sic in eis est virtus, id est in quantum elevatae sunt a materia,
et rationi obediunt.
4.
Il existe une certaine gradation dans les formes. En effet, certaines formes
et puissances sont entiиrement immergйes dans la matiиre : toute leur action
est matйrielle, comme cela ressort clairement dans les formes йlйmentaires.
Mais l’intellect est entiиrement libre par rapport а la matiиre; aussi son
opйration se rйalise-t-elle sans communion avec le corps. Cependant, l’irascible et le concupiscible
occupent une position intermйdiaire. En effet, qu’ils utilisent un organe
corporel, la transformation corporelle qui est associйe а leurs actes le
montre; mais qu’ils soient d’une certaine maniиre йlevйs au-dessus de la
matiиre, cela est montrй par le fait qu’ils sont mus par un commandement et
qu’ils obйissent а la raison. Et ainsi rйside en eux la vertu, а savoir, pour
autant qu’elles sont йlevйes au-dessus de la matiиre et obйissent а la
raison.
[65586] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
licet ordo rationis quo irascibilis et concupiscibilis participant, non sit
aliquid subsistens, nec per se possit esse subiectum; potest tamen esse ratio
quare aliquid sit subiectum.
5. Bien que l’ordre de la raison auquel
l’irascible et le concupiscible participent ne soit pas quelque chose de
subsistant et ne puisse par lui-mкme кtre un sujet, il peut cependant кtre la
raison pour laquelle quelque chose est un sujet.
[65587]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtutes sensitivae
cognitivae sunt naturaliter praeviae rationi, cum ab eis ratio accipiat;
appetitivae autem sequuntur naturaliter ordinem rationis cum naturaliter
appetitus inferior superiori obediat; et ideo non est simile.
6. Les puissances sensibles cognitives
prйcиdent naturellement la raison, puisque la raison reзoit d’elles ;
mais les puissances appйtitives suivent naturellement l’ordre de la raison,
puisque l’appйtit infйrieur obйit naturellement а [l’appйtit] supйrieur. Ce
n’est donc pas la mкme chose.
[65588]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod tota rebellio irascibilis
et concupiscibilis ad rationem tolli non potest per virtutem; cum ex ipsa sui
natura irascibilis et concupiscibilis in id quod est bonum secundum sensum,
quandoque rationi repugnet; licet hoc possit fieri divina virtute, quae
potens est etiam naturas immutare. Nihilominus tamen per virtutem minuitur
illa rebellio, in quantum praedictae vires assuefiunt ut rationi subdantur;
ut sic ex extrinseco habeant id quod ad virtutem pertinet, scilicet ex
dominio rationis super eas; ex seipsis autem retineant aliquid de motibus
propriis, qui quandoque sunt contrarii rationi.
7. Toute la rйbellion de l’irascible et du
concupiscible contre la raison ne peut pas кtre enlevйe par la vertu,
puisque, par sa nature mкme, [le mouvement de] l’irascible et du
concupiscible vers ce qui est bon selon le sens est parfois contraire а la
raison ; cela peut cependant кtre accompli par la puissance divine, qui
a le pouvoir de changer mкme les natures. Toutefois, cette rйbellion est
diminuйe par la vertu, pour autant que lesdites puissances sont habituйes а se
soumettre а la raison, de sorte qu’elles reзoivent de l’extйrieur ce qui
relиve de la vertu, а savoir, du pouvoir de la raison sur elles, et qu’elles
gardent par elles-mкmes quelque chose de leurs propres mouvements, qui sont
parfois contraires а la raison.
[65589] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
licet quandoque in homine principium sit quod est rationis; tamen ad
integritatem humanae naturae requiritur non solum ratio, sed inferiores
animae vires, et ipsum corpus. Et ideo ex conditione humanae naturae sibi
relictae provenit ut in inferioribus animae viribus aliquid sit rationi
rebellans, dum inferiores vires animae proprios motus habent. Secus autem est
in statu innocentiae et gloriae, cum ex coniunctione ad Deum ratio sortitur
vim totaliter sub se inferiores vires continendi.
8. Bien que parfois, chez l’homme, ce qui
relиve de la raison soit principe, toutefois, non seulement la raison
est-elle nйcessaire pour l’intйgritй de la nature humaine, mais aussi les
puissances infйrieures de l’вme, et le corps lui-mкme. C’est pourquoi vient
de la condition de la nature humaine laissйe а elle-mкme que quelque chose se
rebelle contre la raison, lorsque les puissances infйrieures de l’вme
exercent leurs propres mouvements. Il en est autrement dans l’йtat
d’innocence et de gloire, puisque, par suite de l’union а Dieu, la raison
possиde la force de maintenir sous sous son contrфle les puissances
infйrieures.
[65590]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod detestari malum, secundum
quod ad irascibilem pertinere dicitur, non solum importat declinationem a
malo, sed quemdam motum irascibilis ad mali destructionem; sicut accidit illi
qui non solum malum refugit, sed ad mala extirpanda per vindictam movetur. Hoc autem est aliquod bonum facere. Licet autem sic malum detestari,
ad irascibilem et concupiscibilem pertineat, non tamen solum habet actum
hunc; nam et insurgere ad arduum bonum consequendum ad irascibilem pertinet;
in qua non solum est passio irae et audaciae, sed etiam spei.
9. Dйtester le mal, pour autant qu’on le dit
relever de l’irascible, ne comporte pas seulement un йloignement du mal, mais
un certain mouvement de l’irascible pour dйtruire le mal, comme cela arrive
chez celui qui, non seulement fuit le mal, mais est mы par la vengeance а
extirper le mal. Or, c’est lа accomplir un certain bien. Bien que dйtester
ainsi le mal relиve de l’irascible et du concupiscible, cela ne comporte donc
pas seulement cet acte, car entreprendre d’atteindre un bien difficile relиve
aussi de l’irascible, dans lequel n’existent pas seulement les passions de
colиre et d’audace, mais aussi d’espoir.
[65591] De virtutibus, q.
1 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa verba sunt accipienda per quamdam
adaptationem, et non per proprietatem. Nam in qualibet potentia animae est
desiderium boni proprii; unde et irascibilis appetit victoriam, sicut et
concupiscibilis delectationem. Sed quia concupiscibilis fertur in id quod est
bonum toti animali simpliciter sive absolute; ideo omne desiderium boni
appropriatur sibi.
10. Ces paroles doivent кtre interprйtйes
selon une certaine adaptation, et non au sens propre. Car, en toute puissance
de l’вme, existe le dйsir de son bien propre. Ainsi, l’irascible dйsire la
victoire, comme le concupiscible dйsire le plaisir. Mais parce que le
concupiscible se porte vers ce qui est bon pour tout animal purement et
absolument, c’est la raison pour laquelle tout dйsir du bien lui est
appropriй.
[65592]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet irascibilis et
concupiscibilis secundum se consideratae agantur, et non agant : tamen in
homine secundum quod participant aliqualiter rationem, etiam quodam modo
agunt; non tamen totaliter aguntur. Unde etiam in politicis dicit
philosophus, quod dominium rationis super has vires est politicum; quia
huiusmodi vires aliquid habent de proprio motu, ubi non totaliter obediunt
rationi. Dominium autem animae ad corpus non est
regale, sed dispoticum; quia membra corporis ad nutum obediunt animae quantum
ad motum.
11. Bien que l’irascible et le concupiscible,
considйrйs en eux-mкmes, soient mus et ne meuvent pas, cependant, chez
l’homme, pour autant qu’ils participent d’une certaine maniиre а la raison,
ils meuvent aussi d’une certaine faзon, et ne sont pas totalement mus. Aussi
le Philosophe dit-il, dans la Politique, que le pouvoir de la raison
sur ces autres puissances est politique, car ces puissances ont quelque chose
de leur propre mouvement, en quoi elles n’obйissent pas totalement а la
raison. Mais le pouvoir de l’вme sur le corps n’est pas royal, mais
despotique, car les membres du corps obйissent au moindre commandement de
l’вme pour ce qui est de se mouvoir.
[65593] De virtutibus, q.
1 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet istae vires sint in brutis,
non tamen in eis participant aliquid rationis; et ideo virtutes morales
habere non possunt.
12. Bien que ces puissances existent chez les
animaux sans raison, elles ne participent cependant pas chez eux а quelque
chose de la raison. C’est pourquoi ils ne peuvent avoir de vertus morales.
[65594] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod omnia mala ad concupiscentiam
pertinent, sicut ad primam radicem, et non sicut ad proximum principium. Nam omnes passiones ex
irascibili et concupiscibili oriuntur, ut ostensum est, cum de passionibus
animae ageretur. Perversitas vero rationis et voluntatis ut plurimum ex
passionibus accidit. Vel potest dici quod per concupiscentiam intelligit non
solum id quod est proprium vis concupiscibilis, sed quod est commune toti
appetitivae potentiae; in cuius unaquaque particula invenitur alicuius
concupiscentia, circa quam contingit esse peccatum. Nec aliter peccari potest
nisi aliquid concupiscendo vel appetendo.
13. Tous les maux relиvent de la concupiscence
comme de leur racine premiиre, et non selon leur principe propre. Car toutes
les passions sont issues de l’irascible et du concupiscible, comme on l’a
montrй, lorsqu’il a йtй question des passions de l’вme. Mais la perversitй de
la raison et de la volontй vient la plupart du temps des passions. Ou l’on
peut dire que, par concupiscence, on entend non seulement ce qui est propre а
la puissance concupiscible, mais ce qui est commun а toute puissance
appйtitive : en chaque petite parcelle de celle-ci, se rencontre la concupiscence
de quelque chose, dans laquelle il arrive que se trouve le pйchй. Et l’on ne
peut pйcher autrement qu’en convoitant ou en dйsirant quelque chose.
[65597] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 1 Maior enim perfectio
requiritur in imperante ad hoc quod recte imperet, quam in exequente ad hoc
quod recte exequatur; quia ex imperante procedit ordinatio exequentis. Sed ad actum virtutis se
habet voluntas sicut imperans, irascibilis autem et concupiscibilis sicut
obedientes et exequentes. Cum igitur in irascibili et concupiscibili sit
virtus sicut in subiecto, videtur quod multo fortius debeat esse in
voluntate.
1. En effet, une plus grande perfection est
requise chez celui qui commande pour qu’il commande correctement, que chez
celui qui exйcute pour qu’il exйcute correctememnt, car la mise en ordre de
celui qui exйcute vient de celui qui commande. Or, la volontй joue le rфle de
commandant par rapport а l’acte de la vertu, mais l’irascible et le
concupiscible obйissent et exйcutent. Puisque la vertu rйside dans
l’irascible et le concupuscible comme dans un sujet, il semble qu’elle doive
а bien plus forte raison rйsider dans la volontй.
[65598] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 2 Sed diceretur, quod naturalis inclinatio voluntatis ad bonum sufficit
ad eius rectitudinem. Nam finem naturaliter desideramus; unde non requiritur
quod rectificetur per habitum virtutis superadditum.- Sed contra, voluntas
non solum est finis ultimi, sed etiam finium aliorum. Sed circa appetitum
aliorum finium contingit voluntatem et recte et non recte se habere. Nam boni
praestituunt sibi bonos fines, mali vero malos, ut dicitur in III Ethic. : qualis
unusquisque est, talis finis videtur ei. Ergo
requiritur ad rectitudinem voluntatis, quod sit in ea aliquis habitus
virtutis ipsam perficiens.
2. Mais on pourrait dire que l’inclination
naturelle de la volontй au bien suffit а sa rectitude. Car nous dйsirons
naturellement la fin. Aussi n’a-t-elle pas besoin d’кtre rectifiйe par un
habitus de vertu surajoutй. – Par contre, la volontй n’a pas seulement pour
objet la fin ultime, mais aussi les autres fins. Or, il arrive qu’а propos
des autres fins, la volontй soit et ne soit pas droite, car les bons se
donnent des fins bonnes, et les mйchants, [des fins] mauvaises, comme il est
dit dans Йthique, III : «Tel est chacun, telle lui paraоt la fin.» Il
est donc nйcessaire pour la rectitude la volontй qu’il existe en elle un
habitus de vertu qui la perfectionne.
[65599] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, etiam inest
animae cognoscitivae aliqua cognitio naturalis, quae est primorum
principiorum; et tamen respectu huius cognitionis est aliqua virtus
intellectualis in nobis, scilicet intellectus, qui est habitus principiorum.
Ergo et in voluntate debet esse aliqua virtus respectu eius ad quod
naturaliter inclinatur.
3. Il existe aussi dans l’вme cognitive une
connaissance naturelle, qui porte sur les premiers principes. Et cependant,
par rapport а cette connaissance, il existe en nous une vertu intellectuelle,
а savoir, l’intellect, qui est l’habitus des principes. Il doit donc aussi
exister dans la volontй une vertu pour ce а quoi elle est naturellement
inclinйe.
[65600]
De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, sicut circa passiones est aliqua virtus
moralis, ut temperantia et fortitudo; ita etiam est aliqua virtus circa
operationes, ut iustitia. Operari autem sine passione est voluntatis, sicut
operari ex passione est irascibilis et concupiscibilis. Ergo sicut aliqua
virtus moralis est in irascibili et concupiscibili, ita aliqua est in voluntate.
4. De mкme qu’il existe une vertu morale par
rapport aux passions, comme la tempйrance et la force, de mкme aussi
existe-t-il une vertu par rapport aux actions, comme la justice. Or, agir
sans passion relиve de la volontй, comme agir par passion relиve de
l’irascible et du concupiscible. De mкme qu’il existe une vertu morale dans
l’irascible et dans le concupiscible, de mкme en existe-t-il donc une dans la
volontй.
[65601] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, philosophus in
IV Ethic. dicit, quod amor sive amicitia est ex passione. Amicitia autem est
ex electione. Dilectio autem quae est sine passione, est actus voluntatis.
Cum igitur amicitia sit vel virtus, vel non sine virtute, ut dicitur in VIII
Ethic.; videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.
5. L’amour ou l’amitiй vient d’une passion.
Or, l’amitiй vient d’un choix. Mais l’amour qui existe sans passion est un
acte de la volontй. Puisque l’amitiй est une vertu ou n’existe pas sans
vertu, comme il est dit dans Йthique, VIII, il semble donc que la
vertu rйside dans la volontй comme dans son sujet.
[65602] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, caritas est
potissima inter virtutes, ut probat apostolus, I ad Cor. XIII. Sed caritatis
subiectum esse non potest nisi voluntas; non enim est eius subiectum
concupiscibilis inferior, quae solum ad bona sensibilia se extendit. Ergo
voluntas est subiectum virtutis.
6. La charitй est la plus importante des
vertus, comme le montre l’Apфtre en 1 Co 13. Or, le sujet de la
charitй ne peut кtre que la volontй : en effet, le concupiscible infйrieur,
qui ne porte que sur les biens sensibles, n’est pas son sujet. La volontй est
donc le sujet de la vertu.
[65603] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, secundum
Augustinum, per voluntatem immediatius Deo coniungimur. Sed id quod coniungit
nos Deo, est virtus. Ergo videtur quod virtus sit in voluntate sicut in
subiecto.
7. Selon Augustin, c’est par la volontй que
nous sommes unis а Dieu de maniиre plus immйdiate. Or, ce qui nous unit а
Dieu, c’est la vertu. Il semble donc que la vertu rйside dans la volontй
comme dans son sujet.
[65604] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea,
felicitas, secundum Hugonem de s. Victore, in voluntate est. Virtutes autem sunt
dispositiones quaedam ad felicitatem. Cum igitur dispositio et perfectio sint
in eodem, videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto.
8. La fйlicitй, selon Hugues de Saint-Victor,
se trouve dans la volontй. Or, les vertus sont des dispositions а la
fйlicitй. Puisque la disposition et l’accomplissement se trouvent dans la
mкme chose, il semble que la vertu rйside dans la volontй comme dans son
sujet.
[65605] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum
Augustinum, voluntas est qua peccatur et recte vivitur. Rectitudo autem vitae
pertinet ad virtutem; unde Augustinus dicit, quod virtus est bona qualitas
mentis, qua recte vivitur. Ergo virtus est in voluntate.
9. Selon Augustin, c’est par la volontй que
l’on pиche ou que l’on vit correctement. Or, la rectitude de la vie relиve de
la vertu. Aussi Augustin dit-il que «la vertu est une bonne qualitй de
l’esprit, par laquelle on vit correctement». La vertu est donc dans la
volontй.
[65606] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea,
contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem peccatum contrariatur.
Cum igitur omne peccatum sit in voluntate, ut Augustinus dicit, videtur quod
virtus sit in eadem.
10. Par nature, les contraires portent sur la
mкme chose. Or, le pйchй est le contraire de la vertu. Puisque tout pйchй est
dans la volontй, comme le dit Augustin, il semble donc que la vertu y soit
aussi.
[65607] De virtutibus, q.
1 a. 5 arg. 11 Praeterea, virtus humana in illa parte animae debet esse quae
est propria hominis. Sed voluntas est propria hominis, sicut et ratio; utpote
magis propinqua rationi quam irascibilis et concupiscibilis. Cum igitur
irascibilis et concupiscibilis sint subiecta virtutum, videtur quod multo
fortius voluntas.
11.
La vertu humaine doit exister dans cette partie de l’вme qui est propre а
l’homme. Or, la volontй est propre а l’homme, comme la raison, car elle est
plus rapprochйe de la raison que l’irascible et le concupiscible. Puisque
l’irascible et le concupiscible sont des sujets de vertus, il semble donc
qu’а bien plus forte raison la volontй le soit.
Cependant
:
[65608] De virtutibus, q. 1 a.
5 s. c. 1 Sed contra. Omnis virtus aut est
intellectualis, aut moralis, ut patet per philosophum in fine I Ethic. Virtus
autem moralis est sicut in subiecto in eo quod est rationale non per
essentiam, sed per participationem; virtus vero intellectualis habet pro
subiecto id quod est rationale per essentiam. Cum igitur voluntas in neutra
parte possit computari; quia nec est cognoscitiva potentia, quod pertinet ad
rationalem per essentiam; neque pertinet ad irrationalem animae partem quae
pertinet ad rationalem per participationem; videtur quod voluntas nullo modo
subiectum virtutis esse possit.
1.
Toute vertu est ou bien intellectuelle, ou morale, comme le dit clairement le
Philosophe а la fin du premier livre de l’Йthique. Or, la vertu morale
a comme sujet ce qui est raisonnable, non pas par essence, mais par
participation; mais la vertu intellectuelle a comme sujet ce qui est
raisonnable par essence. Puisque la volontй ne peut кtre situйe dans aucune
des deux parties, car elle n’est pas une puissance cognitive, ce qui relиve
de la raison par essence, et elle ne relиve pas de la partie non raisonnable
de l’вme, laquelle relиve de la partie raisonnable par participation, il
semble donc que la volontй ne puisse кtre d’aucune maniиre le sujet d’une
vertu.
[65609]
De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, ad eumdem actum non debent ordinari
plures virtutes. Hoc autem sequeretur, si voluntas virtutis esset subiectum;
quia ostensum est, quod in irascibili et concupiscibili sunt aliquae
virtutes; et cum ad actus illarum virtutum se habeat quodammodo voluntas,
oporteret quod ad eosdem actus essent aliquae virtutes in voluntate. Ergo non
est dicendum, quod voluntas sit subiectum virtutis.
2.
Plusieurs vertus ne doivent pas кtre ordonnйes а un mкme acte. Or, telle
serait la consйquence, si la volontй йtait le sujet d’une vertu, car on a
montrй qu’il existe des vertus dans l’irascible et dans le concupiscible et,
comme la volontй a un rapport avec les actes de ces vertus, il serait
nйcessaire qu’il existe des vertus de la volontй pour les mкmes actes. Il ne
faut donc pas dire que la volontй est le sujet de la vertu.
Rйponse
:
[65610] De virtutibus, q.
1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod per habitum virtutis potentia quae ei
subiicitur, respectu sui actus complementum acquirit. Unde ad id ad quod
potentia aliqua se extendit ex ipsa ratione potentiae, non est necessarius
habitus virtutis. Virtus autem ordinat potentias ad bonum; ipsa enim est quae
bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Voluntas autem hoc quod
virtus facit circa alias potentias, habet ex ipsa ratione suae potentiae :
nam eius obiectum est bonum. Unde tendere in bonum hoc modo se habet ad
voluntatem sicut tendere in delectabile ad concupiscibilem, et sicut ordinari
ad sonum se habet ad auditum. Unde voluntas non indiget aliquo habitu
virtutis inclinante ipsam ad bonum quod est sibi proportionatum, quia in hoc
ex ipsa ratione potentiae tendit; sed ad bonum quod transcendit proportionem
potentiae, indiget habitu virtutis. Cum autem uniuscuiusque appetitus tendat
in proprium bonum appetentis; dupliciter aliquod bonum potest excedere
voluntatis proportionem. Uno modo ratione speciei; alio modo ratione
individui. Ratione quidem speciei, ut voluntas elevetur ad aliquod bonum quod
excedit limites humani boni : et dico humanum id quod ex viribus naturae homo
potest. Sed supra humanum bonum est bonum divinum, id quod voluntatem hominis
caritas elevat, et similiter spes. Ratione autem individui, hoc modo quod aliquis
quaerat id quod est alterius bonum, licet voluntas extra limites boni humani
non feratur; et sic voluntatem perficit iustitia, et omnes virtutes in aliud
tendentes, ut liberalitas, et alia huiusmodi. Nam iustitia est alterius
bonum, ut philosophus dicit in V Ethic. Sic ergo duae virtutes sunt in
voluntate sicut in subiecto; scilicet caritas et iustitia. Cuius signum est,
quod istae virtutes quamvis ad appetitivam pertineant, tamen non circa
passiones consistunt, sicut temperantia et fortitudo : unde patet quod non
sunt in sensibili appetitu, in quo sunt passiones, sed in appetitu rationali,
qui est voluntas, in quo passiones non sunt. Nam omnis passio est in parte
animae sensitiva, ut probatur in VII Physic. Illae autem virtutes quae circa
passiones consistunt, sicut fortitudo circa timores et audacias, et
temperantia circa concupiscentias, oportet eadem ratione esse in appetitu
sensitivo. Nec oportet quod ratione istarum passionum sit aliqua virtus in
voluntate quia bonum in istis passionibus est quod est secundum rationem. Et ad hoc naturaliter se
habet voluntas ex ratione ipsius potentiae, cum sit proprium obiectum
voluntatis.
Par
l’habitus de la vertu, la puissance qui en est le sujet acquiert un
complement par rapport а son acte. Aussi un habitus de vertu n’est-il pas
nйcessaire pour ce sur quoi porte une puissance en raison mкme de sa
puissance. Cependant, la vertu ordonne les
puissances au bien. En effet, c’est elle qui rend bon celui qui la possиde et
rend son acte bon. Or, la volontй possиde par sa propre puissance ce qui fait
une vertu dans les autres puissances, car son objet est le bien. Aussi tendre
vers le bien de cette maniиre est-il а la volontй ce que tendre vers ce qui
est dйlectable est au concupiscible, et comme кtre ordonnй au son l’est pour
l’ouпe. De sorte que la volontй n’a pas besoin d’un habitus de vertu qui
l’incline vers le bien qui lui est proportionnй, car elle tend vers lui en
raison mкme de sa puissance; mais, pour le bien qui dйpasse la proportion de
sa puissance, elle a besoin d’un habitus de vertu. Or, puisque l’appйtit de
toute chose tend vers le bien propre de ce qui dйsire, un bien peut dйpasser
la proportion de la volontй de deux maniиres : d’une maniиre, en raison de
l’espиce; d’une autre maniиre, en raison de l’individu. En raison de
l’espиce, afin que la volontй soit йlevйe а un bien qui dйpasse les limites
du bien humain, et j’entends par humain ce que l’homme peut par les
puissances de sa nature. Or, au-dessus du bien humain, existe le bien divin,
auquel la charitй йlиve la volontй de l’homme, de mкme que l’espйrance. En
raison de l’individu, de telle sorte que quelqu’un recherche ce qui est le
bien d’un autre, bien que la volontй ne soit pas portйe hors des limites du
bien humain; et ainsi, la justice perfectionne la volontй, et toutes les
vertus quit tendent vers quelque chose d’autre, comme la libйralitй et les
choses de ce genre. Car la justice porte sur le bien d’un autre, comme le dit
le Philosophe dans Йthique, V. Il y a ainsi deux vertus qui existent
dans la volontй comme dans leur sujet : la charitй et la justice. Le signe en
est que ces vertus, bien qu’elles se rapportent а l’appйtit, ne portent
cependant pas sur les passions, comme la tempйrance et la force. Il est donc
clair qu’elles ne rйsident pas dans l’appйtit sensible, dans lequel sont les
passions, mais dans l’appйtit raisonnable, qui est la volontй, dans lequel il
n’y a pas de passions. Car toute passion se trouve dans la partie sensible de
l’вme, comme cela est dйmontrй dans Physique, VII. Il faut donc que
les vertus qui portent sur les passions, comme la force par rapport aux
craintes et aux audaces, et la tempйrance par rapport aux concupiscences, se
trouvent pour la mкme raison dans l’appйtit sensible. Et il n’est pas
nйcessaire qu’en raison de ces passions, existe dans la volontй une vertu,
car le bien de ces vertus est ce qui est conforme а la raison. Et la volontй
a un rapport naturel avec cela en raison mкme de sa puissance, puisque c’est
l’objet propre de la volontй.
Solutions :
[65611]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad imperandum sufficit
voluntati iudicium rationis; nam voluntas appetit naturaliter quod est bonum
secundum rationem, sicut concupiscibilis quod est delectabile secundum
sensum.
1. Le jugement de la raison suffit а la
volontй pour commander, car la volontй dйsire naturellement ce qui est bien
selon la raison, comme le concupiscible ce qui est dйlectable selon le sens.
[65612]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inclinatio naturalis
voluntatis non solum est in ultimum finem, sed in id bonum quod sibi a
ratione demonstratur. Nam bonum intellectum est obiectum voluntatis, ad quod
naturaliter ordinatur voluntas, sicut et quaelibet potentia in suum obiectum,
dummodo hoc sit proprium bonum, ut supra dictum est. Tamen circa hoc aliquis
peccat, in quantum iudicium rationis intercipitur passione.
2.
L’inclination naturelle de la volontй ne porte pas seulement sur la fin
ultime, mais sur ce qui lui est montrй comme bien par la raison. Car le bien
intelligй est l’objet de la volontй, auquel est naturellement ordonnйe la
volontй, comme toute puissance а son objet, pourvu que ce soit son bien
propre, comme on l’a dit plus haut. Toutefois, quelqu’un pиche а ce sujet
pour autant que le jugement de la raison est surpris par la passion.
[65613] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fit per aliquam speciem; nec ad
cognoscendum potentia intellectus sufficit per seipsam, nisi species a
sensibilibus accipiat. Et ideo oportet in his etiam quae naturaliter
cognoscimus, esse quemdam habitum, qui etiam quodammodo principium a sensibus
sumit, ut dicitur in fine Poster. Sed voluntas ad volendum non indiget aliqua specie;
unde non est simile.
3.
La connaissance se rйalise par une certaines espиce, et la puissance de
l’intelligence ne suffit pas par elle-mкme, а moins qu’elle ne reзoive une
espиce а partir des choses sensibles. C’est pourquoi il est nйcessaire pour
cela mкme que nous connaissons naturellement qu’il existe un habitus, qui,
lui aussi, tire son principe des sens, comme il est dit а la fin des Postйrieurs
[analytiques]. Mais la volontй n’a pas besoin d’une espиce pour vouloir.
Ce n’est donc pas la mкme chose.
[65614] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa
passiones virtutes sunt in appetitu inferiori; nec ad huiusmodi requiritur
alia virtus in appetitu superiori, ratione iam dicta.
4.
Pour ce qui est des passions, les vertus se trouvent dans l’appйtit
infйrieur, et une autre vertu n’est pas nйcessaire pour ces choses dans
l’appйtit supйrieur, pour la raison dйjа donnйe.
[65615] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amicitia proprie non est virtus, sed
consequens virtutem. Nam ex hoc ipso quod aliquis est virtuosus, sequitur
quod diligat sibi similes. Secus autem est de caritate, quae est quaedam
amicitia ad Deum, elevans hominem in id quod metam naturae excedit; unde
caritas in voluntate est, ut diximus.
5.
А proprement parler, l’amitiй n’est pas une vertu, mais la consйquence de la
vertu, car du fait mкme que quelqu’un est vertueux, dйcoule qu’il aime ses
semblables. Mais il en est autrement de la charitй, qui est une certaine
amitiй envers Dieu, qui йlиve l’homme а ce qui dйpasse la mesure de la
nature. C’est pourquoi la charitй existe dans la volontй, comme nous l’avons
dit.
6. La rйponse а la sixiиme et а la septiиme
objection est ainsi claire, car la vertu qui unit la volontй а Dieu est la
charitй.
Ad 7 : absent.
7.
[Absente]
[65617] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad felicitatem quaedam praeexiguntur sicut
dispositiones, sicuti actus virtutum moralium, per quos removentur
impedimenta felicitatis; scilicet inquietudo mentis a passionibus, et ab
exterioribus perturbationibus. Aliquis autem actus est virtutis qui est
essentialiter ipsa felicitas quando est completus; scilicet actus rationis
vel intellectus. Nam felicitas contemplativa nihil aliud est quam perfecta
contemplatio summae veritatis; felicitas autem activa est actus prudentiae,
quo homo et se et alios gubernat. Aliquid autem est in felicitate sicut
perfectivum felicitatis; scilicet delectatio, quae perficit felicitatem,
sicut decor iuventutem, ut dicitur in X Ethic. : et hoc pertinet ad
voluntatem; et in ordine ad hoc perficit voluntatem caritas, si loquamur de
felicitate caelesti, quae sanctis repromittitur. Si autem loquamur de
felicitate contemplativa, de qua philosophi tractaverunt, ad huiusmodi
delectationem voluntas naturali desiderio ordinatur. Et sic patet quod non
oportet omnes virtutes esse in voluntate.
8.
Certaines choses sont prйrequises а la fйlicitй comme des dispositions, tels
les actes des vertus morales, par lesquels sont enlevйs les empкchements а la
fйlicitй, а savoir, l’agitation de l’esprit par les passions et par les
troubles extйrieurs. Mais il existe un acte de vertu qui est par essence la
fйlicitй elle-mкme, lorsqu’il se rйalise : l’acte de la raison ou de
l’intellect. Car la fйlicitй contemplative n’est rien d’autre que la
contemplation parfaite de la vйritй suprкme; mais la fйlicitй active est
l’acte de la prudence, par lequel l’homme se gouverne ainsi que les autres.
Or, il existe quelque chose dans la fйlicitй qui parfait la fйlicitй : la
dйlectation, qui parfait la fйlicitй, comme la beautй le fait pour la
jeunesse, comme il est dit dans Йthique, X. Et cela relиve de la
volontй, et, par rapport а cela, la charitй perfectionne la volontй, si nous
parlons de la fйlicitй cйleste, qui est promise aux saints. Mais si nous
parlons de la fйlicitй contemplative, dont ont traitй les philosophes, la
volontй est ordonnйe а une telle dйlectation par un dйsir naturel. Il ressort
ainsi clairement qu’il n’est pas nйcessaire que toutes les vertus se trouvent
dans la volontй.
[65618]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod voluntate recte vivitur et
peccatur sicut imperante omnes actus virtutum et vitiorum; non autem sicut
eliciente; unde non oportet quod voluntas sit proximum subiectum cuiuslibet
virtutis.
9.
On vit correctemement ou l’on pиche par la volontй pour autant qu’elle
commande tous les actes des vertus et des vices, et non parce qu’elle les
accomplit. Aussi n’est-il pas nйcessaire que la volontй soit le sujet
prochain de toutes les vertus.
[65619]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod peccatum omne est in
voluntate sicut in causa, in quantum omne peccatum fit ex consensu
voluntatis; non tamen oportet quod omne peccatum sit in voluntate sicut in
subiecto; sed sicut gula et luxuria sunt in concupiscibili, ita et superbia
in irascibili.
10. Tout pйchй se trouve dans la volontй comme
dans sa cause, pour autant que tout pйchй est fait par consentement de la
volontй. Il n’est cependant pas nйcessaire que tout pйchй soit dans la
volontй comme dans son sujet ; mais de mкme que la gourmandise et la
luxure se trouvent dans le concupiscible, de mкme l’orgueil se trouve-t-il
dans l’irascible.
[65620] De virtutibus, q.
1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ex propinquitate voluntatis ad
rationem contingit quod voluntas secundum ipsam rationem potentiae consonet
rationi; et ideo non indiget ad hoc habitu virtutis super inducto, sicut
inferiores potentiae, scilicet irascibilis et concupiscibilis.
11. А cause de la proximitй de la volontй par
rapport а la raison, il se fait que la volontй soit d’accord avec la raison
selon la raison mкme de sa puissance. C’est pourquoi elle n’a pas besoin que
lui soit ajoutй un habitus de vertu, comme c’est le cas des puissances
infйrieures, l’irascible et le concupiscible.
[65621]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur,
dicendum, quod caritas et spes, quae sunt in voluntate, non continentur sub
ista philosophi divisione; sunt enim aliud genus virtutum, et dicuntur
virtutes theologicae. Iustitia vero inter morales continetur; voluntas enim
sicut et alii appetitus, ratione participat, in quantum dirigitur a ratione. Licet enim voluntas ad eamdem naturam intellectivae partis pertineat,
non tamen ad ipsam potentiam rationis.
Rйponse au premier argument en sens contraire. La charitй et
l’espйrance, qui existent dans la volontй, ne sont pas contenues dans cette
division du Philosophe : en effet, elles sont un autre genre de vertus, qu’on
appelle vertus thйologales. Mais la justice est comprise parmi les vertus
morales : en effet, la volontй, comme les autres appйtits, participe а la
raison, pour autant qu’elle est dirigйe par la raison. Bien que la volontй relиve
de la mкme nature que la partie intellectuelle, elle ne relиve cependant pas
de la puissance mкme de la raison.
[65622]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod respectu illorum ad quae
habetur virtus in irascibili et concupiscibili, non oportet esse virtutem in
voluntate, ratione prius dicta.
Rйponse au deuxiиme
argument en sens contraire. Par rapport а ce qui est l’objet de la vertu dans
l’irascible et dans le concupiscible, il n’est pas nйcessaire qu’il y ait une
vertu dans la volontй, pour la raison donnйe auparavant.
[65625] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 1 Quia secundum philosophum
in II Ethic., scire, parum vel nihil prodest ad virtutem. Loquitur autem ibi
de scientia practica; quod patet ex hoc quod subiungit, quod multi non
operantur ea quorum habent scientiam; scientia enim ordinata ad opus est
practici intellectus. Ergo practicus intellectus non poterit esse subiectum
virtutis.
1. Selon le Philosophe, dans Йthique, II,
connaоtre est peu utile ou pas du tout а la vertu. Or, il est question lа de
science pratique, ce qui ressort clairement de ce qu’il ajoute, que beaucoup
ne pratiquent pas ce dont ils ont la science. Or, la science ordonnйe а
l’action relиve de l’intellect pratique. L’intellect pratique ne pourra donc
pas кtre le sujet d’une vertu.
[65626]
De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, sine virtute non potest aliquis recte
agere. Sed sine perfectione practici intellectus potest aliquis recte agere,
eo quod potest instrui ab alio de agendis. Ergo perfectio practici
intellectus non est virtus.
2. Quelqu’un ne peut agir correctement sans la
vertu. Or, quelqu’un peut agir correctement sans une perfection de
l’intellect pratique, du fait qu’il peut кtre instruit par un autre de ce
qu’il faut faire. Une perfection de l’intellect pratique n’est donc pas une
vertu.
[65627] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, tanto aliquid magis
peccat, quanto magis recedit a virtute. Sed recessus a perfectione practici
intellectus diminuit peccatum; ignorantia enim excusat vel a tanto, vel a
toto. Ergo perfectio practici intellectus non potest esse virtus.
3.
Plus quelqu’un pиche, plus il s’йloigne de la vertu. Or, l’йloignement de la
perfection de l’intellect pratique diminue le pйchй : en effet, l’ignorance
excuse en partie ou en totalitй. La perfection de l’intellect pratique ne
peut donc pas кtre une vertu.
[65628] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, virtus
secundum Tullium, agit in modum naturae. Sed modus agendi naturae opponitur
contra modum agendi rationis, sive practici intellectus; quod patet in II
Physic., ubi dividitur agens a natura contra agens a proposito. Ergo videtur
quod in practico intellectu non sit virtus.
4.
Selon Tullius [Cicйron], la vertu agit а la maniиre de la nature. Or, le mode
d’agir de la nature s’oppose au mode d’agir de la raison ou de l’intellect
pratique, comme cela ressort clairement de Physique, II, oщ l’agent
naturel est opposй а l’agent qui dйcide. Il semble donc qu’il n’y ait pas de
vertu dans l’intellect pratique.
[65629]
De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, bonum et verum formaliter differunt
secundum proprias rationes. Sed differentia formalis obiectorum diversificat
habitus. Cum igitur virtutis obiectum sit bonum, practici autem intellectus
perfectio sit verum, tamen ordinatum ad opus; videtur quod perfectio practici
intellectus non sit virtus.
5.
Le bien et le vrai diffиrent formellement selon leurs raisons propres. Or, la
diffйrence formelle des objets diffйrencie les habitus. Puisque que l’objet
de la vertu est le bien et que la perfection de l’intellect pratique est le
vrai, mais ordonnй а l’action, il semble donc que la perfection de
l’intellect pratique ne soit pas une vertu.
[65630] De virtutibus, q.
1 a. 6 arg. 6 Praeterea, virtus, secundum philosophum in II Ethic., est
habitus voluntarius. Sed habitus intellectus practici differunt ab habitibus
voluntatis vel appetitivae partis. Ergo habitus qui sunt in intellectu
practico, non sunt virtutes; et sic intellectus practicus non potest esse
subiectum virtutis.
6.
Selon le Philosophe, dans Йthique, II, la vertu est un habitus
volontaire. Or, les habitus de l’intellect pratique diffиrent des habitus de
la volontй ou partie appйtitive. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect
pratique ne sont donc pas des vertus. Et ainsi, l’intellect pratique ne peut
pas кtre le sujet de la vertu.
Cependant
:
[65631] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod prudentia ponitur una quatuor virtutum principalium; et tamen eius
subiectum est practicus intellectus. Ergo intellectus practicus potest esse
subiectum virtutis.
1.
La prudence est prйsentйe comme une des quatre vertus principales, et
cependant, son sujet est l’intellect pratique. L’intellect pratique peut donc
кtre le sujet d’une vertu.
[65632]
De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, virtus humana est cuius subiectum est
potentia humana. Sed potentia humana magis est intellectus practicus quam
irascibilis et concupiscibilis; sicut quod est per essentiam tale, magis est
eo quod est per participationem. Ergo intellectus practicus potest esse
subiectum virtutis humanae.
2.
La vertu humaine est celle dont le sujet est une puissance humaine. Or,
l’intellect pratique est davantage une puissance humaine que l’irascible et
le concupiscible, de la mкme faзon que ce qui est une chose par essence l’est
davantage que ce qui l’est par participation. L’intellect pratique peut donc
кtre le sujet d’une vertu humaine.
[65633]
De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, propter quod unumquodque, et illud magis.
Sed in parte affectiva est virtus propter rationem; quia ad hoc quod obediat
rationi vis affectiva, in ea ponitur virtus. Ergo
multo fortius in ratione practica debet esse virtus.
3.
Ce pour quoi une chose existe en est davantage la raison d’кtre. Or, la vertu
dans la partie affective existe en vue de la raison, car une vertu existe en
elle afin qu’elle obйisse а la raison. А bien plus forte raison doit-il donc
y avoir une vertu dans la raison pratique.
Rйponse
:
[65634] De virtutibus, q.
1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod inter virtutes naturales et rationales
haec differentia assignatur; quod naturalis virtus est determinata ad unum,
virtus autem rationalis ad multa se habet. Oportet autem ut appetitus
animalis vel rationalis inclinetur in suum appetibile ex aliqua apprehensione
praeexistente; inclinatio enim in finem absque praeexistente cognitione ad
appetitum pertinet naturalem, sicut grave inclinatur ad medium. Sed quia
aliquod bonum apprehensum oportet esse obiectum appetitus animalis et
rationalis; ubi ergo istud bonum uniformiter se habet, potest esse inclinatio
naturalis in appetitu, et iudicium naturale in vi cognitiva, sicut accidit in
brutis. Cum enim sint paucarum operationum propter debilitatem principii activi
quod ad pauca se extendit; est in omnibus unius speciei bonum uniformiter se
habens. Unde per appetitum naturalem inclinationem habent in id, et per vim
cognitivam naturale iudicium habent de illo proprio bono uniformiter se
habente. Et ex hoc naturali iudicio et naturali appetitu provenit quod omnis
hirundo uniformiter facit nidum, et quod omnis aranea uniformiter facit
telam; et sic est in omnibus aliis brutis considerare. Homo autem est
multarum operationum et diversarum; et hoc propter nobilitatem sui principii
activi, scilicet animae, cuius virtus ad infinita quodammodo se extendit. Et
ideo non sufficeret homini naturalis appetitus boni, nec naturale iudicium ad
recte agendum, nisi amplius determinetur et perficiatur. Per naturalem
siquidem appetitum homo inclinatur ad appetendum proprium bonum; sed cum hoc
multipliciter varietur, et in multis bonum hominis consistat; non potuit
homini inesse naturalis appetitus huius boni determinati, secundum
conditiones omnes quae requiruntur ad hoc quod sit ei bonum; cum hoc
multipliciter varietur secundum diversas conditiones personarum et temporum
et locorum, et huiusmodi. Et eadem ratione naturale iudicium; quod est
uniforme, et ad huiusmodi bonum quaerendum non sufficit; unde oportuit in
homine per rationem, cuius est inter diversa conferre, invenire et diiudicare
proprium bonum, secundum omnes conditiones determinatum, prout est nunc et
hic quaerendum. Et ad hoc faciendum ratio absque habitu perficiente hoc modo
se habet sicut et in speculativo se habet ratio absque habitu scientiae ad
diiudicandum de aliqua conclusione alicuius scientiae; quod quidem non potest
nisi imperfecte et cum difficultate agere. Sicut igitur oportet rationem
speculativam habitu scientiae perfici ad hoc quod recte diiudicet de
scibilibus ad scientiam aliquam pertinentibus; ita oportet quod ratio
practica perficiatur aliquo habitu ad hoc quod recte diiudicet de bono humano
secundum singula agenda. Et haec virtus dicitur prudentia, cuius subiectum
est ratio practica; et est perfectiva omnium virtutum moralium quae sunt in
parte appetitiva, quarum unaquaeque facit inclinationem appetitus in aliquod
genus humani boni : sicut iustitia facit inclinationem in bonum quod est
aequalitas pertinentium ad communicationem vitae; temperantia in bonum quod
est refrenari a concupiscentiis; et sic de singulis virtutibus. Unumquodque
autem horum contingit multipliciter fieri, et non eodem modo in omnibus; unde
ad hoc quod rectus modus statuatur, requiritur iudicii prudentia. Et ita ab
ipsa est rectitudo et complementum bonitatis in omnibus aliis virtutibus;
unde philosophus dicit quod medium in virtute morali determinatur secundum
rationem rectam. Et quia ex hac rectitudine et bonitatis complemento omnes
habitus appetitivi virtutis rationem sortiuntur, inde est quod prudentia est
causa omnium virtutum appetitivae partis, quae dicuntur morales in quantum
sunt virtutes; et propterea dicit Gregorius in XXII Moral., quod ceterae
virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam
possunt.
Entre
les puissances naturelles et raisonnables, il existe cette diffйrence que la
puissance naturelle est dйterminйe а une seule chose, alors que puissance
raisonnable se rapporte а plusieurs choses. Or, il est nйcessaire que
l’appйtit animal ou raisonnable soit inclinй vers ce qui est l’objet de son
dйsir en vertu d’une saisie antйrieure : en effet, l’inclination vers la fin
sans connaissance antйrieure relиve de l’appйtit naturel, comme ce qui est
lourd est inclinй vers le milieu. Mais parce qu’il est nйcessaire qu’un bien
connu soit l’objet de l’appйtit animal et raisonnable, lа oщ ce bien se
trouve de maniиre uniforme, il peut exister une inclination naturelle dans
l’appйtit et un jugement naturel dans la puissance cognitive, comme cela se
produit chez les animaux sans raison. En effet, comme ils ont peu
d’opйrations en raison de la faiblesse du principe actif qui s’йtend а peu de
choses, il existe chez tous un bien d’une seule espиce qui se trouve de
maniиre uniforme. Aussi, par l’appйtit naturel, tendent-ils vers celui-ci,
et, par la connaissance naturelle, jugent-ils de ce bien propre qui existe de
maniиre uniforme. Et de ce jugement naturel vient le fait que toutes les
hirondelles font leur nid de maniиre uniforme, et que toutes les araignйes
tissent leur toile de maniиre uniforme. Et il faut penser la la mкme chose
pour tous les animaux sans raison. Mais l’homme possиde des opйrations
multiples et diverses, et cela, en raison de son principe actif, а savoir,
l’вme, dont la puissance s’йtend pour ainsi dire а l’infini. C’est pourquoi
ne suffirait pas а l’homme un appйtit naturel du bien, ni un jugement naturel
pour agir correctement, а moins qu’il ne soit davantage dйterminй et
perfectionnй. Car, par l’appйtit naturel, l’homme est inclinй а dйsirer son
propre bien; mais puisque celui-ci se diversifie de multiples maniиres et que
le bien de l’homme consiste dans plusieurs choses, il ne pouvait pas exister
chez l’homme un appйtit naturel de tel bien dйterminй, selon toutes les
conditions qui sont requises pour que cela soit bon, puisque cela se
diversifie de multiples faзons selon les diverses conditions de personnes, de
temps, de lieux et de choses de ce genre. Et il en est de mкme pour le
jugement naturel, qui est uniforme, et qui ne suffit pas pour rechercher un
bien de ce genre. Aussi fallait-il que, par la raison, а qui il appartient de
rapprocher les choses diverses, l’homme trouve son propre bien et en juge,
tel qu’il est dйterminй selon toutes les conditions, en tant qu’il doit кtre
recherchй ici et maintenant. Et pour faire cela, la raison sans un habitus
qui la perfectionne se trouve dans la mкme condition que la raison en matiиre
spйculative, sans l’habitus de la science, pour juger de la conclusion d’une
science, ce qu’elle ne peut faire qu’imparfaitement et avec difficultй.
Puisqu’il faut que la raison spйculative soit perfectionnйe par l’habitus de
la science pour juger correctement des objets connaissables qui relиvent de
cette science, de mкme est-il donc nйcessaire que la raison pratique soit perfectionnйe
par un habitus afin de juger correctement du bien humain pour chaque action а
poser. Et cette vertu s’appelle la prudence, dont le sujet est la raison
pratique, et elle perfectionne toutes les vertus morales qui existent dans la
partie appйtitive, dont chacune incline l’appйtit vers un certain genre de
bien humain, comme la justice incline vers le bien qui est l’йgalitй dans ce
qui se rapporte а la vie sociale, la tempйrance, vers le bien qui consiste se
retenir des dйsirs dйsordonnйs, et ainsi pour toutes les vertus. Or, chacune
de ces choses peut кtre accomplie de multiples faзons, et non de la mкme
faзon chez tous. Aussi, pour que la bonne mesure soit dйterminйe, la prudence
du jugement est-elle nйcessaire. Et ainsi, une rectitude et un complйment de
bontй viennent-ils de [la prudence] pour toutes les autres vertus. C’est
pourquoi le Philosophe dit que le milieu de la vertu morale est dйterminйe
selon la raison droite. Et parce que toutes les vertus de la puissance
appйtitive tirent leur raison de vertu de cette rectitude et de ce complйment
de bontй, de lа vient que la prudence est la cause de toutes les vertus de la
partie appйtitive, qui sont appelйes morales pour autant qu’elles sont des
vertus. Et c’est pourquoi Grйgoire dit, dans les Morales, XXII, que
les autres vertus, si elles ne font pas prudemment ce qu’elles dйsirent, ne
peuvent jamais кtre des vertus.
Solutions :
[65635]
De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus ibi
loquitur de scientia practica; sed prudentia plus importat quam scientia
practica : nam ad scientiam practicam pertinet universale iudicium de
agendis; sicut fornicationem esse malam, furtum non esse faciendum, et
huiusmodi. Qua quidem scientia existente, in particulari actu contingit
iudicium rationis intercipi, ut non recte diiudicet; et propter hoc dicitur
parum valere ad virtutem, quia ea existente contingit hominem contra virtutem
peccare. Sed ad prudentiam pertinet recte iudicare de singulis agibilibus,
prout sint nunc agenda : quod quidem iudicium corrumpitur per quodlibet
peccatum. Et ideo prudentia manente, homo non peccat; unde ipsa non parum sed
multum confert ad virtutem; immo ipsam virtutem causat, ut dictum est.
1.
Le Philosophe parle lа de la science pratique. Mais la prudence comporte plus
que la science pratique, car il relиve de la science pratique de porter un
jugement universel sur ce qu’il faut faire, comme le fait que la fornication
est mauvaise, qu’il ne faut pas voler, et les choses de ce genre. Alors que
cette science existe, il arrive cependant que, dans les actes particuliers,
le jugement de la raison soit pris par surprise, de sorte qu’il ne juge par
correctement. C’est pour cette raison que l’on dit que [la science pratique]
contribue peu а la vertu, parce que, alors qu’elle existe, il arrive que
l’homme pиche contre la vertu. Mais il relиve de la prudence de juger
correctement de chaque action а poser, pour autant qu’elle doit кtre
accomplie maintenant; c’est ce jugement est corrompu par n’importe quel
pйchй. C’est pourquoi, lorsque la prudence demeure, l’homme ne pиche pas.
Aussi celle-ci n’apporte-t-elle pas peu, mais beaucoup а la vertu, bien plus,
elle cause la vertu elle-mкme, comme on l’a dit.
[65636] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod homo ab alio potest accipere consilium in universali de agendis; sed
quod iudicium recte servet in ipso actu contra omnes passiones, hoc solum ex
rectitudine prudentiae provenit; et sine hoc virtus esse non potest.
2. Un homme peut recevoir un conseil dans l’universel
sur les actes а poser. Mais qu’il maintienne dans l’acte mкme un jugement
droit contre toutes les passions, cela provient seulement de la rectitude de
la prudence. Et sans cela, il ne peut y avoir de vertu.
[65637] De virtutibus, q.
1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignorantia quae opponitur prudentiae,
est ignorantia electionis, secundum quam omnis malus est ignorans; quae
provenit ex eo quod iudicium rationis intercipitur per appetitus
inclinationem : et hoc non excusat peccatum, sed constituit. Sed ignorantia
quae opponitur scientiae practicae, excusat vel diminuit peccatum.
3. L’ignorance qui s’oppose а la prudence est
l’ignorance dans le choix, selon laquelle tout mйchant est ignorant. Celle-ci
vient du fait que le jugement de la raison est surpris par l’inclination de
l’appйtit. Et cela n’excuse pas le pйchй, mais le constitue. Mais l’ignorance
qui s’oppose а la science pratique excuse ou diminue le pйchй.
[65638] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
verbum Tullii intelligitur quantum ad inclinationem appetitus tendentis in
aliquod bonum commune, sicut in fortiter agere, vel aliquid huiusmodi. Sed
nisi rationis iudicio dirigeretur, talis inclinatio frequenter duceretur in
praecipitium; et tanto magis, quanto esset vehementior; sicut ponit
philosophus exemplum de caeco, in VI Ethic., qui tanto magis laeditur ad
parietem impingens, quanto fortius currit.
4. La parole de Tullius [Cicйron] s’entend de
l’inclination de l’appйtit qui tend vers un bien gйnйral, comme agir avec force,
ou quelque chose du genre. Mais si elle n’йtait pas dirigйe par le jugement
de la raison, une telle inclination mиnerait souvent au prйcipice, et
d’autant plus qu’elle serait plus impйtueuse, comme le Philosophe le dit en
prйsentant, dans Йthique, VI, l’exemple de l’aveugle qui se blesse
d’autant plus, en heurtant un mur, qu’il court plus vite.
[65639]
De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum et verum sunt
obiecta duarum partium animae, scilicet intellectivae et appetitivae : quae
quidem duo hoc modo se habent, quod utraque ad actum alterius operatur; sicut
voluntas vult intellectum intelligere, et intellectus intelligit voluntatem
velle. Et ideo haec duo, bonum et verum, se invicem includunt : nam bonum est
quoddam verum, in quantum est ab intellectu apprehensum; prout scilicet
intellectus intelligit voluntatem velle bonum, vel etiam in quantum
intelligit aliquid esse bonum; similiter etiam et ipsum verum est quoddam
bonum intellectus, quod etiam sub voluntate cadit, in quantum homo vult
intelligere verum. Nihilominus tamen verum intellectus practici est bonum,
quod et finis operationis : bonum enim non movet appetitum, nisi in quantum
est apprehensum. Ideo nihil prohibet in intellectu practico esse virtutem.
5. Le bien et le vrai sont les objets de deux
parties de l’вme, а savoir, de l’intellective et l’appйtitive. Ces deux
[parties] se comportent de maniиre telle que chacune opиre en vue de l’acte
de l’autre, comme la volontй veut que l’intellect comprenne, et l’intellect
comprend que la volontй veut. C’est pourquoi ces deux choses, le bien et le
vrai, s’incluent l’une l’autre. Car le bien est quelque chose de vrai en tant
qu’il est saisi par l’intellect, pour autant que l’intellect comprend que la
volontй veut le bien, ou encore qu’il comprend que quelque chose est bon.
Semblablement, le vrai lui-mкme est un certain bien de l’intellect, qui
relиve aussi de la volontй, pour autant que l’homme veut comprendre ce qui
est vrai. Toutefois, le vrai qui est l’objet de l’intellect pratique est le
bien qui est la fin de l’opйration : en effet, le bien ne meut l’appйtit que
dans la mesure oщ il est compris. C’est pourquoi rien n’empкche qu’il y ait
une vertu dans l’intellect pratique.
[65640] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus in II Ethic., definit virtutem
moralem : de virtute enim intellectuali determinat in VI Ethic. Virtus autem
quae est in intellectu practico, non est moralis, sed intellectualis : nam
etiam prudentiam inter virtutes intellectuales philosophus ponit, ut patet in
II Ethic.
6. Dans Йthique, II, le Philosophe
dйfinit la vertu morale : en effet, il prйcise ce qu’est la vertu
intellectuelle dans Йthique, VI. Or, la vertu qui est dans l’intellect
pratique n’est pas une vertu morale, mais intellectuelle, car le Philosophe
range aussi la prudence parmi les vertus intellectuelles, comme cela ressort
clairement d’Йthique, II.
[65643] De virtutibus, q.
1 a. 7 arg. 1 Virtus enim omnis ordinatur ad actum : virtus enim est quae
opus bonum reddit. Intellectus autem speculativus non ordinatur ad actum :
nihil enim dicit de imitando vel fugiendo, ut patet in III de anima. Ergo in
intellectu speculativo non potest esse virtus.
1. En effet, toute vertu est ordonnйe а
l’acte, car la vertu est ce qui rend un acte bon. Or, l’intellect spйculatif
n’est pas ordonnй а l’acte, car il ne dit rien de l’imitation ou de la fuite,
comme cela ressort clairement de Sur l’вme, III. Il ne peut donc pas y
avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.
[65644]
De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, virtus est quae bonum facit habentem, ut
dicitur in II Ethic. Sed habitus intellectus speculativi non faciunt bonum
habentem; non enim dicitur propter hoc bonus homo, quia habet scientiam. Ergo
habitus qui sunt in intellectu speculativo, non sunt virtutes.
2. La vertu est ce qui rend bon celui qui la
possиde, comme il est dit dans Йthique, II. Or, les habitus de
l’intellect spйculatif ne rendent pas bon celui qui les possиdent, car on ne
dit pas qu’un homme est bon parce qu’il possиde la science. Les habitus qui
se trouvent dans l’intellect spйculatif ne sont donc pas des vertus.
[65645] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, intellectus
speculativus praecipue perficitur habitu scientiae. Scientia autem non est
virtus; quod ex hoc patet, quia contra virtutes dividitur : dicitur enim in
prima specie qualitatis esse habitus et dispositio; et habitus dicitur
scientiae et virtutis. Ergo in intellectu speculativo non est virtus.
3. L’intellect spйculatif est principalement
perfectionnй par l’habitus de science. Or, la science n’est pas une vertu, ce
qui ressort clairement du fait qu’elle est distinguйe des vertus : en effet,
on dit que l’habitus et la disposition se trouvent dans la premiиre espиce de
qualitй, et on parle d’habitus de la science et de la vertu. Il n’y a donc
pas de vertu dans l’intellect spйculatif.
[65646] De virtutibus, q.
1 a. 7 arg. 4 Praeterea, omnis virtus ordinatur ad aliquid, quia ad
felicitatem quae est finis virtutis. Sed intellectus speculativus non
ordinatur ad aliquid : non enim scientiae speculativae propter utilitatem
quaeruntur, sed propter seipsas, ut dicitur in I Metaph. Ergo in intellectu
speculativo non potest esse virtus.
4. Toute vertu est ordonnйe а quelque chose,
parce qu’elle est ordonnйe а la fйlicitй qui est la fin de la vertu. Or,
l’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose : en effet, les
sciences spйculatives ne sont pas recherchйes pour leur utilitй, mais pour
elles-mкmes, comme il est dit dans Mйtaphysique, I. Il ne peut donc
pas y avoir de vertu dans l’intellect spйculatif.
[65647]
De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, actus virtutis est meritorius. Sed
intelligere non sufficit ad meritum; immo scienti bonum, et non facienti
peccatum est illi, ut dicit Iacobus, IV, 17. Ergo in intellectu
speculativo non est virtus.
5. L’acte de la vertu est mйritoire. Or,
comprendre ne suffit pas pour le mйrite ; bien plus, c’est pйchй de
connaоtre le bien, et de ne pas l’accomplir, comme il est dit en
Jc 4, 17. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect spйculatif.
Cependant
:
[65648] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed
contra. Fides
est in intellectu speculativo, cum sit eius obiectum veritas prima. Sed fides
est virtus. Ergo intellectus speculativus potest esse subiectum virtutis.
1. La foi se trouve dans l’intellect
spйculatif, puisque son objet est la Vйritй premiиre, Or, la foi est une
vertu. L’intellect spйculatif peut donc кtre le sujet d’une vertu.
[65649] De virtutibus, q.
1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, verum et bonum sunt aeque nobilia. Nam se invicem
circumeunt; nam verum est quoddam bonum, et bonum est quoddam verum : et
utrumque commune omni enti. Si igitur in voluntate, cuius obiectum est bonum,
potest esse virtus; ergo et in intellectu speculativo, cuius obiectum est
verum, poterit esse virtus.
2. Le vrai et le bien sont йgalement nobles.
En effet, ils s’englobent rйciproquement, car le vrai est un certain bien, et
le bien est quelque chose de vrai, et les deux sont communs а tout кtre. Si
donc il peut exister une vertu dans la volontй, dont l’objet est le bien, il
pourra aussi exister une vertu dans l’intellect spйculatif, dont l’objet est
le vrai.
Rйponse
:
[65650]
De virtutibus, q. 1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod virtus in unaquaque re
dicitur per respectum ad bonum; eo quod uniuscuiusque virtus est, ut
philosophus dicit, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit;
sicut virtus equi quae facit equum esse bonum, et bene ire, et bene ferre
sessorem, quod est opus equi. Ex hoc quidem igitur aliquis habitus habebit
rationem virtutis, quia ordinatur ad bonum. Hoc
autem contingit dupliciter : uno modo formaliter, alio modo materialiter. Formaliter quidem, quando
aliquis habitus ordinatur ad bonum sub ratione boni; materialiter vero,
quando ordinatur ad id quod est bonum, non tamen sub ratione boni. Bonum
autem sub ratione boni est obiectum solius appetitivae partis; nam bonum est
quod omnia appetunt. Illi igitur habitus qui vel sunt in parte appetitiva,
vel a parte appetitiva dependent, ordinantur formaliter ad bonum; unde
potissime habent rationem virtutis. Illi vero habitus qui nec sunt in
appetitiva parte, nec ab eadem dependent, possunt quidem ordinari
materialiter in id quod est bonum, non tamen formaliter sub ratione boni;
unde et possunt aliquo modo dici virtutes, non tamen ita proprie sicut primi
habitus. Sciendum est autem, quod intellectus tam speculativus quam practicus
potest perfici dupliciter aliquo habitu. Uno modo absolute et secundum se,
prout praecedit voluntatem, quasi eam movens; alio modo prout sequitur
voluntatem, quasi ad imperium actum suum eliciens : quia, ut dictum est,
istae duae potentiae, scilicet intellectus et voluntas, se invicem
circumeunt. Illi igitur habitus qui sunt in intellectu practico vel
speculativo, primo modo, possunt dici aliquo modo virtutes, licet non ita
secundum perfectam rationem; et hoc modo intellectus scientia et sapientia,
sunt in intellectu speculativo, ars vero in intellectu practico. Dicitur enim
aliquis intelligens vel sciens secundum quod eius intellectus perfectus est
ad cognoscendum verum; quod quidem est bonum intellectus. Et licet istud
verum possit esse volitum, prout homo vult intelligere verum; non tamen
quantum ad hoc perficiuntur habitus praedicti. Non enim ex hoc quod homo
habet scientiam, efficitur volens considerare verum, sed solummodo potens;
unde et ipsa veri consideratio non est scientia in quantum est volita, sed
secundum quod directe tendit in obiectum. Et similiter est de arte respectu
intellectus practici; unde ars non perficit hominem ex hoc quod bene velit
operari secundum artem, sed solummodo ad hoc quod sciat et possit. Habitus
vero qui sunt in intellectu speculativo vel practico secundum quod
intellectus sequitur voluntatem, habent verius rationem virtutis; in quantum
per eos homo efficitur non solum potens vel sciens recte agere, sed volens.
Quod quidem ostenditur in fide et prudentia, sed diversimode. Fides enim
perficit intellectum speculativum, secundum quod imperatur ei a voluntate;
quod ex actu patet : homo enim ad ea quae sunt supra rationem humanam, non
assentit per intellectum nisi quia vult; sicut Augustinus dicit, quod credere
non potest homo nisi volens. Ita et similiter erit fides in intellectu
speculativo, secundum quod subiacet imperio voluntatis; sicut temperantia est
in concupiscibili secundum quod subiacet imperio rationis. Unde voluntas
imperat intellectui, credendo, non solum quantum ad actum exequendum, sed
quantum ad determinationem obiecti : quia ex imperio voluntatis in
determinatum creditum intellectus assentit; sicut et in determinatum medium a
ratione, concupiscibilis, per temperantiam tendit. Prudentia vero est in
intellectu sive ratione practica, ut dictum est : non quidem ita quod ex
voluntate determinetur obiectum prudentiae, sed solum finis; obiectum autem
ipsa perquirit : praesupposito enim a voluntate fine boni, prudentia
perquirit vias per quas hoc bonum et perficiatur et conservetur. Sic igitur
patet quod habitus in intellectu existentes diversimode se habent ad
voluntatem. Nam quidam in nullo a voluntate dependent, nisi quantum ad eorum
usum; et hoc quidem per accidens, cum huiusmodi usus habituum aliter a
voluntate dependeat, et aliter ab habitibus praedictis, sicut sunt scientia
et sapientia et ars. Non enim per hos habitus homo ad hoc perficitur,
ut homo eis bene velit uti; sed solum ut ad hoc sit potens. Aliquis vero habitus intellectus dependet a voluntate sicut a qua
accipit principium suum : nam finis in operativis principium est; et sic se
habet prudentia. Aliquis
vero habitus etiam determinationem obiecti a voluntate accipit, sicut est in
fide. Et licet omnes quoquo modo possint dici virtutes; tamen perfectius et
magis proprie hi duo ultimi habent rationem virtutis; licet ex hoc non
sequatur quod sint nobiliores habitus aut perfectiores.
En toute chose, on parle de vertu par rapport
au bien, du fait que la vertu, comme le dit le Philosophe, est, chez chacun,
ce qui le rend bon et rend son acte bon, comme la vertu du cheval est ce qui
rend le cheval bon, et le fait bien aller et porter celui qui le monte, ce
qui est l’action du cheval. Et donc, un habitus aura la raison de vertu parce
qu’il est ordonnй au bien. Or, cela se produit de deux maniиres : d’une
maniиre, formellement ; d’une autre maniиre, matйriellement.
Formellement, lorsqu’un habitus est ordonnй au bien sous la raison de
bien ; mais matйriellement lorsqu’il est ordonnй а ce qui est bon, mais
non sous la raison de bien. Or, le bien sous la raison de bien est l’objet de
la seule partie appйtitive, car le bien est ce que toutes choses dйsirent.
Les habitus qui se trouvent dans la partie appйtitive ou dйpendent de la
partie appйtitive sont donc formellement ordonnйs au bien. C’est pourquoi
ils ont principalement raison de vertu. Mais les habitus qui ne se trouvent
pas dans la partie appйtitive ni n’en dйpendent peuvent toutefois кtre
ordonnйs matйriellement а ce qui est bon, mais non pas formellement sous la
raison de bien. C’est pourquoi ils peuvent кtre appelйs d’une certaine faзon
des vertus, mais non pas aussi proprement que les premiers habitus. Or, il
faut savoir que l’intellect aussi bien spйculatif que pratique peut кtre
perfectionnй par un habitus de deux faзons. D’une faзon, tout simplement et
par soi, en tant qu’il prйcиde la volontй en la mouvant ; d’une autre
faзon, en tant qu’il suit la volontй, comme s’il exйcutait son acte au commandement
[de la volontй], car, ainsi qu’on l’a dit, ces deux puissances, l’intellect
et la volontй, s’englobent l’une l’autre. Les habitus qui se trouvent dans
l’intellect pratique ou spйculatif de la premiиre faзon peuvent кtre appelйs
vertus d’une certaine maniиre, bien que ce ne soit pas selon une parfaite
raison. Et de cette maniиre, la science et la sagesse de l’intellect se
trouvent dans l’intellect spйculatif, et l’art, dans l’intellect pratique. En
effet, on dit de quelqu’un qu’il comprend ou sait selon que son intellect a
йtй perfectionnй pour connaоtre le vrai, qui est le bien de l’intellect. Et
bien que ce vrai puisse кtre voulu, pour autant que l’homme veut comprendre
le bien, toutefois les habitus mentionnйs ne sont pas mis en њuvre pour cette
raison. En effet, ce n’est pas parce que l’homme a la science qu’il veut en
acte considйrer ce qui est vrai, mais il en est rendu seulement capable.
Aussi la considйration du vrai elle-mкme n’est-elle pas la science en tant
que celle-ci est voulue, mais selon qu’elle tend directement а son sujet. Et
de mкme en est-il pour l’art par rapport а l’intellect pratique. Aussi l’art
ne perfectionne-t-il pas l’homme du fait qu’il veut bien agir selon l’art,
mais seulement afin qu’il le sache et le puisse. Mais les habitus qui se
trouvent dans l’intellect spйculatif ou pratique selon que l’intellect suit
la volontй possиdent la raison de vertu avec plus de vйritй, dans la mesure
oщ, par eux, l’homme est rendu non seulement capable ou sait agir
correctement, mais le veut. Ce qui apparaоt dans la foi et la prudence, mais
de maniиre diffйrente. En effet, la foi parfait l’intellect spйculatif en
tant qu’il est commandй par la volontй, ce qui ressort clairement de son
acte : en effet, l’homme ne donne son assentiment а ce qui dйpasse la raison
humaine par l’intellect que parce qu’il le veut. Ainsi Augustin dit-il que
l’homme ne peut croire que s’il le veut. Semblablement, la foi se trouvera
dans l’intellect spйculatif selon qu’il est soumis а la volontй, comme la
tempйrance se trouve dans le concupiscible selon qu’il est soumis au
commandement de la raison. Aussi la volontй commande-t-elle а l’intellect en
croyant, non seulement pour l’accomplissement de l’acte, mais pour la
dйtermination de l’objet, car l’intellect consent а ce qui est cru de maniиre
dйterminйe sous le commandement de la volontй, de la mкme maniиre qu’il tend
par la tempйrance vers un milieu dйterminй du concupiscible par la raison. Or,
la prudence se trouve dans l’intellect ou la raison pratique, comme on l’a
dit : non pas que l’objet de la prudence soit dйterminй par la volontй, mais
seulement la fin. Elle recherche elle-mкme l’objet : en effet, йtant
prйsupposйe le fin du bien par la volontй, la prudence recherche les moyens
par lesquels ce bien est accompli et conservй. Il ressort donc clairement que
les habitus qui existent dans l’intellect ont divers rapports avec la
volontй. Certains ne dйpendant aucunement de la volontй, si ce n’est pour
leur usage, et cela, par accident, puisque cette usage des habitus depend de
la volontй d’une autre maniиre que les habitus mentionnйs, tels que la
science, la sagesse et l’art. En effet, par ces habitus, l’homme n’est pas
perfectionnй de telle maniиre que l’homme veuille les bien utiliser, mais
seulement qu’il en soit capable. Mais un certain habitus de l’intellect
dйpend de la volontй en tant que celui-ci reзoit d’elle son principe, car la
fin est le principe pour les actions : il en va ainsi pour la prudence. Un
autre habitus reзoit aussi de la volontй la dйtermination de son objet, comme
c’est le cas de la foi. Et bien que tous puissent кtre appelйs des vertus
d’une certaine maniиre, ces deux derniиres possиdent cependant plus
parfaitement et а parler plus proprement la raison de vertu, bien qu’il n’en
dйcoule pas qu’elles soient des habitus plus nobles ou plus parfaits.
Solutions :
[65651]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habitus intellectus
speculativi ordinatur ad actum proprium, quem perfectum reddit, qui est veri
consideratio : non autem ordinatur sicut in finem in aliquem exteriorem
actum, sed finem habet in suo actu proprio. Intellectus autem practicus
ordinatur sicut in finem in alium exteriorem actum : non enim consideratio de
agendis vel faciendis pertinet ad intellectum practicum nisi propter agere
vel facere. Et sic habitus intellectus speculativi reddit actum suum
nobiliori modo bonum quam habitus intellectus practici : quia ille ut finem,
hic ut ad finem; licet habitus intellectus practici, ex eo quod ordinat ad
bonum sub ratione boni, prout praesupponitur voluntati, magis proprie habeat
rationem virtutis.
1. L’habitus de l’intellect spйculatif est
ordonnй а son acte propre qu’il rend parfait : c’est la considйration de la
vйritй. Mais il n’est pas ordonnй comme а sa fin а un acte extйrieur, car il
a sa fin dans son acte propre. Mais l’intellect pratique est ordonnй comme а
sa fin а un acte extйrieur : en effet, la considйration des actes а poser ou
des choses а faire ne relиve de l’intellect pratique qu’en raison de l’action
ou de la rйalisation. Et ainsi, l’habitus de l’intellect spйculatif rend son
acte bon d’une maniиre plus noble que l’habitus de l’intellect pratique, car
celui-lа en tant que fin, celui-ci en tant qu’ordonnй а une fin, bien que
l’habitus de l’intellect pratique, du fait qu’il ordonne au bien sous la
raison de bien, en tant qu’il est prйsupposй а la volontй, ait davantage la
raison de vertu.
[65652] De virtutibus, q.
1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non dicitur bonus simpliciter ex
eo quod est in parte bonus, sed ex eo quod secundum totum est bonus : quod
quidem contingit per bonitatem voluntatis. Nam voluntas imperat actibus
omnium potentiarum humanarum. Quod provenit ex hoc quod quilibet actus est
bonum suae potentiae; unde solus ille dicitur esse bonus homo simpliciter qui
habet bonam voluntatem. Ille autem qui habet bonitatem secundum aliquam
potentiam, non praesupposita bona voluntate, dicitur bonus secundum quod
habet bonum visum et auditum, aut est bene videns et audiens. Et sic patet,
quod ex eo quod homo habet scientiam, non dicitur bonus simpliciter, sed
bonus secundum intellectum, vel bene intelligens; et similiter est de arte,
et de aliis huiusmodi habitibus.
2. On ne dit pas que l’homme est tout
simplement bon du fait qu’il est bon en partie, mais parce qu’il est
entiиrement bon, ce qui se produit par la bontй de la volontй, car la volontй
commande aux actes de toutes les puissances humaines. Cela vient de ce que tout
acte est le bien de sa puissance ; aussi dit-on qu’un homme est tout
simplement bon lorsqu’il a une volontй bonne. Mais celui qui possиde la bontй
selon quelque puissance, sans que prйexiste une volontй bonne, est appelй bon
selon qu’il a une bonne vue ou une bonne ouпe, ou qu’il voit et entend bien.
Ainsi ressort-il clairement que, du fait qu’un homme possиde la science, il
n’est pas appelй bon tout simplement, mais bon selon l’intellect, et comme
ayant une bonne intelligence. Et il en va de mкme pour l’art, et pour les
autres habitus de ce genre.
[65653]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod scientia dividitur contra
moralem virtutem, et tamen ipsa est virtus intellectualis; vel etiam
dividitur contra virtutem propriissime dictam : sic enim ipsa non est virtus,
ut supra dictum est.
3. La science se distingue de la vertu morale,
et cependant elle est elle-mкme une vertu intellectuelle. Ou bien, elle se
distingue de la vertu entendue au sens le plus propre : ainsi n’est-elle pas
elle-mкme une vertu, comme on l’a dit plus haut.
[65654] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus speculativus non ordinatur ad
aliquid extra se; ordinatur autem ad proprium actum sicut ad finem. Felicitas autem ultima,
scilicet contemplativa, in eius actu consistit. Unde actus speculativi
intellectus sunt propinquiores felicitati ultimae per modum similitudinis,
quam habitus practici intellectus; licet habitus intellectus practici
fortasse sint propinquiores per modum praeparationis, vel per modum meriti.
4.
L’intellect spйculatif n’est pas ordonnй а quelque chose qui lui est
extйrieur, mais il est ordonnй а son acte propre comme а sa fin. Or, la
fйlicitй ultime, а savoir, la [fйlicitй] contemplative, consiste dans son
acte. Aussi les actes de l’intellect spйculatif sont-ils plus proches de la
fйlicitй ultime par mode de ressemblance, que les habitus de l’intellect
pratique, bien que les habitus de l’intellect pratique puissent peut-кtre en
кtre plus proches par mode de prйparation ou par mode de mйrite.
[65655]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per actum scientiae, aut
alicuius talis habitus, potest homo mereri, secundum quod imperatur a
voluntate, sine qua nullum est meritum. Tamen scientia non ad hoc perficit
intellectum ut dictum est. Non enim ex eo quod homo habet scientiam,
efficitur bene volens considerare, sed solummodo bene potens; et ideo mala
voluntas non opponitur scientiae vel arti, sicut prudentiae, vel fidei, aut
temperantiae. Et inde est quod philosophus dicit, quod ille qui peccat
voluntarius in agibilibus, est minus prudens; licet e contrario sit in
scientia et arte. Nam grammaticus qui involuntarie soloecizat, apparet esse
minus sciens grammaticam.
5.
Par l’acte de la science ou d’un habitus semblable, l’homme peut mйriter
selon que [l’acte] est commandй par la volontй, sans laquelle il n’existe
aucun mйrite. Toutefois, la science ne perfectionne pas l’intellect pour
cela, comme on l’a dit. En effet, du fait que l’homme a la science, il n’est
pas rendu bien disposй а examiner, mais seulement capable de le faire. C’est
pourquoi la volontй mauvaise ne s’oppose pas а la science ou а l’art, comme а
la prudence, а la foi ou а la tempйrance. De lа vient que le Philosophe dit
que celui qui pиche volontairement pour les actes а poser est moins prudent,
bien que ce soit le contraire dans le cas de la science et de l’art. Car le
grammairien qui commet involontairement un solйcisme montre qu’il connaоt
moins la grammaire.
[65658] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 1 Dicit enim Damascenus, III Lib. : naturales sunt virtutes,
et naturaliter et aequaliter insunt nobis.
1. En effet, [Jean] Damascиne dit, au livre
III : «Les vertus sont naturelles, et existent en nous naturellement et
йgalement.»
[65659]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea, Matth., IV, 23, dicit Glossa : docet
naturales iustitias : scilicet castitatem, iustitiam, humilitatem, quales
naturaliter habet homo.
2. De plus, а propos de Mt 4, 23, la
Glose dit : «Il enseigne les justice naturelles, а savoir, la chastetй, la
justice, l’humilitй, que l’homme possиde naturellement.»
[65660]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea, Rom. II, 14, dicitur quod homines non
habentes legem, naturaliter ea quae legis sunt, faciunt. Sed lex praecipit
actum virtutis. Ergo actum virtutis naturaliter homo facit; et ita videtur
quod virtus sit a natura.
3.
De plus, en Rm 2, 14, il est dit que les hommes qui n’ont pas de
loi font naturellement ce qui se trouve dans la loi. Or, la loi prescrit
l’acte de la vertu. L’homme accomplit donc naturellement l’acte de la vertu,
et ainsi il semble que la vertu vienne de la nature.
[65661] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea,
Antonius dicit in sermone ad monachos : si naturam voluntas mutaverit,
perversitas est. Conditio servetur, et virtus est. Et in eodem sermone
dicitur, quod sufficit homini naturalis ornatus. Hoc autem non esset, si
virtutes non essent naturales. Ergo virtutes sunt
naturales.
4.
Antoine dit, dans un sermon adressй aux moines : «Si la volontй a changй la nature,
cela est mauvais. Si la condition [naturelle] est maintenue, cela est vertu.»
Et il est dit dans le mкme sermon que la beautй naturelle suffit а l’homme.
Or, cela ne serait pas le cas si les vertus n’йtaient pas naturelles. Les
vertus sont donc naturelles.
[65662]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea, Tullius dicit, quod celsitudo animi est
nobis a natura. Sed hoc videtur ad magnanimitatem pertinere. Ergo magnanimitas inest
nobis a natura; et eadem ratione aliae virtutes.
5.
Tullius [Cicйron] dit que la grandeur d’вme existe en nous par nature. Or,
cela semble relever de la magnanimitй. La magnanimitй existe donc en nous par
nature et, pour la mкme raison, les autres vertus.
[65663] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 6 Praeterea, ad faciendum opus virtutis non requiritur nisi posse
bonum, et velle, et nosse. Sed notio boni inest nobis a natura, ut dicit
Augustinus in II de libero arbitrio. Velle etiam bonum inest homini a natura,
ut idem dicit super Genes. ad litteram. Posse etiam bonum inest homini naturaliter,
cum voluntas sit domina sui actus. Ergo ad opus virtutis sufficit natura.
Virtus igitur est homini naturalis, quantum ad sui inchoationem.
6.
Pour accomplir un acte de vertu, il n’est nйcessaire que de pouvoir faire le
bien, de le vouloir et de le connaоtre. Or, la connaissance du bien existe en
nous par nature, comme le dit Augustin dans le livre II de Sur le libre
arbitre. Vouloir le bien existe aussi en l’homme par nature, comme le dit
le mкme dans le Commentaire littйral de la Genиse. Pouvoir le bien
existe aussi dans l’homme par nature, puisque la volontй est maоtresse de son
acte. La nature suffit donc а l’acte de vertu. La vertu est donc naturelle а
l’homme, quant а son amorce.
[65664]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 7 Sed diceretur, quod virtus est homini naturalis
quantum ad sui inchoationem, sed perfectio virtutis non est a natura.- Sed
contra est quod Damascenus dicit in III Lib. : manentes in eo quod
secundum naturam, in virtute sumus; declinantes autem ab eo quod est secundum
naturam, ex virtute, ad id quod est praeter naturam devenimus et in malitia
sumus. Ex quo patet, quod secundum naturam inest a malitia declinare. Sed
hoc est perfectae virtutis. Ergo et perfectio virtutis est a natura.
7.
Mais on pourrait dire que la vertu est naturelle а l’homme pour ce qui est de
son amorce, mais que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature. –
Toutefois, ce que dit Damascиne, dans le livre III, va en sens contraire :
«En demeurant dans ce qui est conforme а la nature, nous sommes dans la
vertu; mais en nous йcartant de ce qui est conforme а la nature, nous sortons
de la vertu, nous parvenons а ce qui est au-delа de la nature et nous sommes
dans le mal.» Il ressort clairement de cela qu’il est conforme а la nature de
s’йcarter du mal. Or, ceci est le fait d’une vertu parfaite. La perfection de
la vertu vient donc de la nature.
[65665] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 8 Praeterea, virtus, cum
sit forma, est quoddam simplex, et partibus carens. Si igitur secundum
aliquid sui est a natura videtur quod totaliter sit a natura.
8.
La vertu, puisqu’elle est une forme, est quelque chose de simple, qui n’a pas
de parties. Si donc quelque chose d’elle vient de la nature, il semble
qu’elle vienne entiиrement de la nature.
[65666]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 9 Praeterea, homo dignior est et perfectior aliis
creaturis irrationalibus. Sed aliae creaturae sufficienter habent a natura ea
quae pertinent ad suam perfectionem. Cum igitur virtutes sint quaedam
perfectiones hominis, videtur quod insint homini a natura.
9.
L’homme est plus digne et plus parfait que les crйatures non raisonnables.
Or, les autres crйatures possиdent suffisamment par nature ce qui se rapporte
а leur perfection. Puis que les vertus sont des perfections de l’homme, il
semble donc qu’elles sont dans l’homme par nature.
[65667]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 10 Sed diceretur, quod hoc non potest esse, quia
perfectio hominis consistit in multis et diversis; natura autem ordinatur ad
unum. Sed contra est, quod virtutis inclinatio est etiam ad unum, sicut et
naturae : dicit enim Tullius, quod virtus est habitus in modum naturae,
rationi consentaneus. Ergo nihil prohibet virtutes inesse homini a
natura.
10.
Mais on pourrait dire que cela est impossible, car la perfection de l’homme
consiste dans des choses nombreuses et diverses. Or, la nature est ordonnйe а
une seule chose. En sens contraire,
l’inclination de la vertu va aussi vers une seule chose, comme celle de la
nature. En effet, Tullius [Cicйron] dit que la vertu est un habitus par mode
de nature, conforme а la raison. Rien n’empкche donc que les vertus soient
dans l’homme par nature.
[65668] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 11 Praeterea, virtus in medio
consistit. Medium autem est unum determinatum. Ergo nihil prohibet
inclinationem naturae esse ad id quod est virtutis.
11.
La vertu se situe dans un milieu. Or, le milieu est quelque chose de
dйterminй. Rien n’empкche donc que l’inclination de la nature aille dans le
sens de la vertu.
[65669] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 12 Praeterea, peccatum est privatio modi, speciei et ordinis. Sed
peccatum est privatio virtutis. Ergo virtus consistit in modo, specie et
ordine. Sed modus, species et ordo sunt homini naturalia. Ergo virtus est
homini naturalis.
12.
Le pйchй est une privation de mesure, de beautй et d’ordre. Or, le pйchй est
la privation de la vertu. La vertu consiste donc dans la mesure, la beautй et
l’ordre. Mais la mesure, la beautй et l’ordre sont naturels а l’homme. La
vertu est donc naturelle а l’homme.
[65670] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 13 Praeterea, pars appetitiva in anima sequitur partem cognitivam. Sed in parte cognitiva
est aliquis habitus naturalis, scilicet intellectus principiorum. Ergo et in
parte appetitiva et affectiva, quae est subiectum virtutis, est aliquis
habitus naturalis; et ita videtur quod aliqua virtus sit naturalis.
13.
La partie appйtitive de l’вme suit la partie cognitive. Or, dans la partie
cognitive, il existe un habitus naturel, а savoir, l’intelligence des
principes. Dans la partie appйtitive et affective, qui est le sujet de la
vertu, il existe donc aussi un habitus naturel. Et ainsi, il semble qu’une
vertu soit naturelle.
[65671]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 14 Praeterea, naturale est cuius principium est intra;
sicut ferri sursum est naturale igni, quia principium huius motus est in eo
quod movetur. Sed principium virtutis est in homine. Ergo virtus est homini
naturalis.
14.
Est naturel ce dont le principe est interne, comme d’кtre portй vers le haut
est naturel au feu, parce que le principe de ce mouvement se trouve а
l’intйrieur de ce qui est mы. Or, le principe de la vertu existe а
l’intйrieur de l’homme. La vertu est donc naturelle а l’homme.
[65672] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 15 Praeterea, cuius est semen naturale, ipsum quoque est naturale.
Sed semen virtutis est naturale; dicit enim quaedam Glossa, Hebr., I, quod
voluit Deus inseminare omni animae initia sapientiae et intellectus. Ergo videtur quod virtutes sint naturales.
15.
Ce dont la semence est naturelle est naturel. Or, la semence de la vertu est
naturelle. En effet, une glose dit, а propos de He 1, que Dieu a voulu
semer en toute вme des amorces de sagesse et d’intelligence. Il semble donc
que les vertus soient naturelles.
[65673] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 16 Praeterea,
contraria sunt eiusdem generis. Sed virtuti contrariatur malitia. Malitia
autem est naturalis; dicitur enim Sap., XII, v. 10 : erat enim naturalis
malitia eius; et Ephes., II, 3, dicitur : eramus natura filii irae.
Ergo videtur quod virtus sit naturalis.
16.
Les contraires appartiennent au mкme genre. Or, la malice est contraire а la
vertu. En effet, il est dit en Sg 12, 10 : Car, sa malice lui
йtait naturelle; et en Ep 2, 3 : Nous йtions par nature fils
de la colиre. Il semble donc que la vertu soit naturelle.
[65674] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 17 Praeterea, naturale est quod vires inferiores rationi
subdantur; dicit enim philosophus in III de anima, quod appetitus superioris,
qui est rationis, movet inferiorem, qui est partis sensitivae; sicut sphaera
superior movet inferiorem sphaeram. Virtus autem moralis
in hoc consistit quod inferiores vires rationi subdantur. Ergo huiusmodi
virtutes sunt naturales.
17.
Il est naturel que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. En
effet, le Philosophe dit, dans Sur l’вme, III, que l’appйtit
supйrieur, qui est celui de la raison, meut l’infйrieur, qui est la partie
sensible, comme la sphиre supйrieure meut la sphиre infйrieure. Or, la vertu
morale consiste en ce que les puissances infйrieures soient soumises а la
raison. Les vertus de ce genre sont donc naturelles.
[65675] De virtutibus, q.
1 a. 8 arg. 18 Praeterea, ad hoc quod aliquis motus sit naturalis, sufficit
naturalis aptitudo interioris principii passivi. Sic enim generatio
simplicium corporum dicitur naturalis, et etiam motus caelestium corporum;
nam principium activum caelestium corporum non est natura, sed intellectus;
principium etiam generationis simplicium corporum est extrinsecus. Sed ad
virtutem inest homini aptitudo naturalis; dicit enim philosophus in II
Ethicor. : innatis quidem nobis a natura suscipere, perfectis autem ab
assuetudine. Ergo videtur quod virtus est naturalis.
18.
Pour qu’un mouvement soit naturel, une aptitude naturelle du principe passif
intйrieur suffit. En effet, la gйnйration des corps simples est ainsi appelйe
naturelle, et mкme le mouvement des corps cйlestes, car le principe actif des
corps cйlestes n’est pas la nature, mais l’intelligence, et le principe de la
gйnйration des corps simples est aussi extйrieur. Or, une aptitude naturelle
а la vertu existe dans l’homme. En effet, le Philosophe dit, dans Йthique,
II : «Les choses innйes, nous les recevons de la nature; les choses
parfaites, de l’habitus.» Il semble donc que la vertu soit naturelle.
[65676]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 19 Praeterea, illud quod inest homini a nativitate, est
naturale. Sed secundum philosophum in VI Ethic., quidam confestim a
nativitate videntur esse fortes et temperati, et secundum alias virtutes
dispositi; et Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de
utero egressa est mecum. Ergo virtutes sunt homini naturales.
19.
Ce que l’homme possиde par naissance est naturel. Or, selon le Philosophe,
dans Йthique, VI, certains semblent кtre immйdiatement а la naissance
forts et modйrйs, et disposйs а d’autres vertus. Et [il est dit] en
Jb 31, 18 : La compassion s’est dйveloppйe en moi depuis la
naissance, et elle est sortie du sein en mкme temps que moi. Des vertus
sont donc naturelles а l’homme.
[65677] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 20 Praeterea, natura non deficit in necessariis. Sed virtutes sunt homini
necessariae ad finem ad quem naturaliter ordinatur, scilicet ad felicitatem,
quae est actus virtutis perfectae. Ergo virtutes habet
homo a natura.
20.
La nature ne fait pas dйfaut pour les choses nйcessaires. Or, les vertus sont
nйcessaires а l’homme pour la fin а laquelle il est naturellement ordonnй, а
savoir, la fйlicitй, qui est un acte de la vertu parfaite. L’homme possиde
donc les vertus par nature.
Cependant
:
[65678] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed
contra. Naturalia per peccatum non amittuntur; unde Dionysius dicit, quod
data naturalia in Daemonibus permanent. Sed virtutes per peccatum amittuntur.
Ergo non sunt naturales.
1.
Les choses naturelles ne sont pas enlevйes par le pйchй. Aussi Denys dit-il
que les dons naturels demeurent chez les dйmons. Or, les vertus sont enlevйes
par le pйchй. Elles ne sont donc pas naturelles.
[65679] De virtutibus, q.
1 a. 8 s. c. 2 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, et ea quae sunt a natura,
neque assuescimus neque dissuescimus. Sed ea quae sunt virtutis, possumus
assuescere et dissuescere. Ergo virtutes non sunt naturales.
2.
Ce qui existe en nous naturellement et ce qui vient de la nature, nous ne
nous y habituons pas et nous n’en perdons pas l’habitude. Or, nous pouvons
nous habituer et nous dйshabituer de ce qui relиve de la vertu. Les vertus
sont donc naturelles.
[65680]
De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 3 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, communiter
insunt omnibus. Sed virtutes non insunt communiter omnibus, cum quibusdam
insint vitia contraria virtutibus.
3.
Ce qui existe naturellement existe chez tous d’une maniиre commune. Or, les
vertus n’existent pas chez tous d’une maniиre commune, puisqu’il existe chez
certains des vices contraires aux vertus.
[65681] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 4 Praeterea, naturalibus neque meremur neque demeremur, quia sunt in
nobis. Sed
virtutibus meremur, sicut et vitiis demeremur. Ergo virtutes et vitia non
sunt naturalia.
4.
Nous ne mйritons pas ni ne perdons le mйrite en raison des choses naturelles,
car elles existent en nous. Or, nous mйritons par les vertus, comme nous
dйmйritons par les vices. Les vertus et les vices ne sont donc pas naturels.
Rйponse
:
[65682] De virtutibus, q.
1 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum quod diversificati sunt aliqui
circa productionem formarum naturalium, ita diversificati sunt circa
adeptionem scientiarum et virtutum. Fuerunt enim aliqui qui posuerunt formas
praeexistere in materia secundum actum, latenter autem; et quod per agens
naturale reducuntur de occulto in manifestum. Et haec fuit opinio Anaxagorae
qui posuit omnia esse in omnibus, ut ex omnibus omnia generari possent. Alii
autem dixerunt, formas esse totaliter ab extrinseco, vel participatione idearum,
ut posuit Plato, vel intelligentia agente, ut posuit Avicenna; et quod
agentia naturalia disponunt solummodo materiam ad formam. Tertia est via
Aristotelis media, quae ponit, quod formae praeexistunt in potentia materiae,
sed reducuntur in actum per agens exterius naturale. Similiter etiam et circa
scientias et virtutes aliqui dixerunt, quod scientiae et virtutes insunt
nobis a natura, et quod per studium solummodo tolluntur impedimenta scientiae
et virtutis : et hoc videtur Plato posuisse; qui posuit scientias et virtutes
causari in nobis per participationem formarum separatarum; sed anima
impediebatur ab earum usu per unionem ad corpus; quod impedimentum tolli
oportebat per studium scientiarum, et exercitium virtutum. Alii vero
dixerunt, quod scientiae et virtutes sunt in nobis ex influxu intelligentiae
agentis, ad cuius influentiam recipiendam homo disponitur per studium et
exercitium. Tertia est opinio media, quod scientiae et virtutes secundum
aptitudinem insunt nobis a natura; sed earum perfectio non est nobis a
natura. Et haec opinio melior est, quia sicut circa formas naturales nihil
derogat virtus naturalium agentium; ita circa adeptionem scientiae et
virtutis studio et exercitio suam efficaciam conservat. Sciendum tamen est,
quod aptitudo perfectionis et formae in aliquo subiecto potest esse
dupliciter. Uno modo secundum potentiam passivam tantum;
sicut in materia aeris est aptitudo ad formam ignis. Alio modo secundum
potentiam passivam et activam simul : sicut in corpore sanabili est aptitudo
ad sanitatem, quia corpus est susceptivum sanitatis. Et hoc modo in homine
est aptitudo naturalis ad virtutem; partim quidem secundum naturam speciei,
prout aptitudo ad virtutem est communis omnibus hominibus, et partim secundum
naturam individui, secundum quod quidam prae aliis sunt apti ad virtutem. Ad cuius evidentiam
sciendum est, quod in homine triplex potest esse subiectum virtutis, sicut ex
superioribus patet; scilicet intellectus, voluntas et appetitus inferior, qui
in concupiscibilem et irascibilem dividitur. In unoquoque autem est
considerare aliquo modo et susceptibilitatem virtutis et principium activum
virtutis. Manifestum est enim quod in parte intellectiva est intellectus
possibilis, qui est in potentia ad omnia intelligibilia, in quorum cognitione
consistit intellectualis virtus; et intellectus agens, cuius lumine
intelligibilia fiunt actu; quorum quaedam statim a principio naturaliter
homini innotescunt absque studio et inquisitione : et huiusmodi sunt
principia prima, non solum in speculativis, ut : omne totum est maius sua
parte, et similia; sed etiam in operativis, ut : malum esse fugiendum, et
huiusmodi. Haec autem naturaliter nota, sunt principia totius cognitionis
sequentis, quae per studium acquiritur; sive sit practica, sive sit speculativa.
Similiter autem circa voluntatem manifestum est quod est aliquod principium
activum naturale. Nam voluntas naturaliter inclinatur in ultimum finem. Finis
autem in operativis habet rationem principii naturalis. Ergo inclinatio
voluntatis est quoddam principium activum respectu omnis dispositionis, quae
per exercitium in parte affectiva acquiritur. Manifestum autem est quod ipsa
voluntas, in quantum est potentia ad utrumlibet se habens, in his quae sunt
ad finem, est susceptiva habitualis inclinationis in haec vel in illa.
Irascibilis autem et concupiscibilis naturaliter sunt obaudibiles rationi :
unde naturaliter sunt susceptivae virtutis, quae in eis perficitur, secundum
quod disponuntur ad bonum rationis sequendum. Et omnes praedictae
inchoationes virtutum consequuntur naturam speciei humanae unde et omnibus
sunt communes. Est autem aliqua inchoatio virtutis, quae consequitur naturam
individui, secundum quod aliquis homo ex naturali complexione vel caelesti
impressione inclinatur ad actum alicuius virtutis. Et haec quidem inclinatio
est quaedam virtutis inchoatio; non tamen est virtus perfecta; quia ad
virtutem perfectam requiritur moderatio rationis : unde et in definitione
virtutis ponitur, quod est electiva medii secundum rationem rectam. Si enim aliquis
absque rationis discretione inclinationem huiusmodi sequeretur, frequenter
peccaret. Et sicut haec virtutis inchoatio absque rationis opere, perfectae
virtutis rationem non habet, ita nec aliqua praemissarum. Nam ex
universalibus principiis in specialia pervenitur per inquisitionem rationis.
Rationis etiam officio ex appetitu ultimi finis homo deducitur in ea quae
sunt convenientia illi fini. Ipsa etiam ratio imperando irascibilem et
concupiscibilem facit sibi esse subiectas. Unde manifestum est quod ad
consummationem virtutis requiritur opus rationis; sive virtus sit in
intellectu, sive sit in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Haec
tamen est consummatio : quod ad virtutem inferioris partis ordinatur
inchoatio virtutis quae est in superiori; sicut ad virtutem quae est in
voluntate, aptus redditur homo et per inchoationem virtutis quae est in
voluntate, et per eam quae est in intellectu. Ad virtutem vero quae est in
irascibili et concupiscibili, per inchoationem virtutis quae est in eis, et
per eam quae est in superioribus; sed non e converso. Unde etiam manifestum
est, quod ratio, quae est superior, operatur ad completionem omnis virtutis.
Dividitur autem principium operativum quod est ratio, contra principium
operativum quod est natura, ut patet in II Phys.; eo quod rationalis potestas
est ad opposita, natura autem ordinatur ad unum. Unde manifestum est quod
perfectio virtutis non est a natura, sed a ratione.
De
mкme que certains ont des positions diffйrentes а propos de la production
des formes naturelles, de mкme diffиrent-ils а propos de l’acquisition des
sciences et des vertus. En effet, certains ont soutenu que les formes
prйexistent dans la matiиre selon l’acte, mais de maniиre cachйe, et qu’elles
sont ramenйes de l’йtat occulte а l’йtat manifeste par un agent naturel.
Telle fut l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que tout йtait en tout, de
sorte que tout pouvait кtre engendrй а partir de tout. Mais d’autres ont dit
que les formes viennent entiиrement de l’extйrieur, soit par la participation
aux idйes, comme l’affirmait Platon, soit par l’intellect agent, comme
l’affirmait Avicenne, et que les agents naturels ne font que disposer la
matiиre en vue de la forme. La troisiиme voie, celle d’Aristote, se situe au
milieu : elle affirme que les formes prйexistent dans la puissance de la
matiиre, mais qu’elles sont amenйs а l’acte par un agent extйrieur naturel.
De mкme, а propos des sciences et des vertus, certains ont-ils dit qu’elles
existent en nous par nature et que, par l’effort, sont seulement enlevйs les
obstacles а la science et а la vertu. Platon semble avoir affirmй cela, en
affirmant que les sciences et les vertus sont causйes en nous par la
participation aux formes sйparйes, mais que l’вme йtait empкchйe d’en faire
usage par l’union au corps, empкchement qu’il fallait йcarter par l’йtude
des sciences et par l’application aux vertus. Mais d’autres ont dit que les
sciences et les vertus existent en nous sous l’influence de l’intellect
agent, que l’homme se dispose а recevoir par l’йtude et l’application. La
troisiиme opinion se situe au centre : les sciences et les vertus existent
en nous par nature par l’aptitude, mais leur perfection ne nous vient pas de
la nature. Et cette opinion est meilleure, car, de mкme que la puissance des
agents naturels ne fait en rien dйfaut pour ce qui est des formes naturelles,
de mкme, pour l’acquisition de la science et l’application а la vertu et pour
sa pratique, elle conserve son efficacitй. Toutefois, il faut savoir que
l’aptitude а la perfection et а la forme chez un sujet peut exister de deux
maniиres. D’une maniиre, selon une puissance passive seulement, comme il
existe une aptitude а la forme du feu dans la matiиre de l’air. D’une autre
maniиre, selon une puissance passive et active en mкme temps, comme dans un
corps susceptible d’кtre guйri, il existe une aptitude а la santй, parce que
le corps est rйceptif par rapport а la santй. Et c’est de cette maniиre qu’il
existe dans l’homme une aptitude naturelle а la vertu, en partie selon la
nature de l’espиce, pour autant que l’aptitude а la vertu est commune а tous
les hommes, et en partie selon la nature de l’individu, pour autant que
certains sont plus aptes que d’autres а la vertu. Pour йclairer cela, il faut
savoir que, dans l’homme, peut exister un triple sujet de la vertu, comme
cela ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut : l’intellect, la
volontй et l’appйtit infйrieur, qui se divise en concupiscible et en
irascible. Or, dans chacun, il faut d’une certaine faзon prendre en compte а
la fois la rйceptivitй а la vertu et le principe actif de la vertu. En effet,
il est clair que, dans la partie intellective, existe l’intellect possible,
qui est en puissance а tous les intelligibles, dans la connaissance desquels
consiste la vertu intellectuelle; et l’intellect agent, par la lumiиre duquel
les intelligibles le deviennent en acte. Certains [de ces intelligibles]
sont connus naturellement par l’homme immйdiatement et dиs le dйbut, sans
йtude ni recherche. Ce sont les principes premiers, non seulement en matiиre
spйculative, comme : le tout est plus grand que la partie, et les choses
semblables, mais aussi en matiиre d’action, comme : il faut fuir le mal, et
les choses de ce genre. Or, ces connaissances naturelles sont les principes
de toute la connaissance ultйrieure, qui est acquise par l’йtude, qu’elle
soit pratique ou spйculative. De mкme, а propos de la volontй, il est clair
qu’il existe un principe actif naturel, car la volontй est naturellement inclinйe
а la fin ultime. Or, dans le domaine des actions, la fin a raison de principe
naturel. L’inclination de la volontй est donc un principe actif par rapport
а toute disposition, qui est acquise dans la partie affective par la
pratique. Or, il est clair que la volontй elle-mкme, pour autant qu’elle se
trouve en puissance а n’importe quelle chose parmi celles qui concernent la
fin, est rйceptive а une inclination habituelle а telle ou telle chose. Mais
l’irascible et le concupiscible, pour leur part, sont naturellement rйceptifs
а la raison; aussi sont-ils naturellement rйceptifs а la vertu qui
s’accomplit en eux, selon qu’ils sont disposйs а suivre le bien de la raison.
Et toutes ces amorces de vertus dйcoulent de la nature de l’espиce humaine :
elles sont donc communes а tous. Mais il y a une amorce de vertu qui dйcoule
de la nature d’un individu, selon qu’un homme, en raison de sa complexion ou
d’une influence cйleste, est inclinй а l’acte d’une vertu. Et cette
inclination est une amorce de vertu; elle n’est cependant pas une vertu
parfaite, car la modйration de la raison est nйcessaire pour la vertu
parfaite. Aussi met-on dans la dйfinition de la vertu qu’elle choisit le
milieu selon la raison droite. En effet, si quelqu’un suivait cette
inclination sans le jugement de la raison, il pйcherait souvent. Et de mкme
que cette amorce de vertu sans intervention de la raison ne possиde pas la
raison de vertu parfaite, de mкme aucune de celles mentionnйes plus haut.
Car l’on parvient aux choses particuliиres а partir de principes universels
par la recherche de la raison. C’est aussi par la fonction de la raison que
l’homme est conduit de l’appйtit de la fin ultime а ce qui convient а cette
fin. C’est encore par le commandement de la raison que celle-ci se soumet
l’irascible et le concupiscible. Ainsi ressort-il clairement que, pour
l’achиvement de la vertu, l’action de la raison est nйcessaire, que la vertu
soit dans l’intellect, qu’elle soit dans la volontй ou qu’elle soit dans
l’irascible et le concupiscible. Cependant
tel est l’achиvement : que l’amorce de vertu qui est dans la partie
supйrieure soit ordonnйe а la vertu de la partie infйrieure, comme l’homme
est rendu apte а la vertu qui est dans la volontй а la fois par l’amorce de
vertu qui se trouve dans la volontй et par celle qui se trouve dans
l’intellect; mais а la vertu qui se trouve dans l’irascible et le
concupiscible, par l’amorce de vertu qui est en eux, et par celle qui se
trouve dans les [puissances] supйrieures. Mais il n’en va pas de mкme en sens
inverse. Aussi est-il clair que la raison, qui est supйrieure, agit en vue de
l’achиvement de toute vertu. Or, le principe opйratif qu’est la raison se
distingue du principe opйratif qu’est la nature, comme cela ressort
clairement de Physique, II, du fait que la puissance rationnelle porte
sur des choses opposйes, alors que la nature est ordonnйe а une seule chose.
Il est donc clair que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature,
mais de la raison.
Solutions :
[65683]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes dicuntur
naturales quantum ad naturales inchoationes virtutum quae insunt homini, non
quantum ad earum perfectionem.
1. Les vertus sont appelйes naturelles quant
aux amorces de vertus qui sont innйes chez l’homme, et non quant а leur perfection.
2-5. Il faut dire la mкme chose pour les
deuxiиme, troisiиme, qautriиme et cinquiиme arguments.
[65685]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod posse bonum simpliciter
inest nobis a natura, eo quod potentiae sunt naturales; velle autem et scire
est nobis aliquo modo a natura, scilicet secundum quamdam inchoationem in
universali. Sed hoc non sufficit ad virtutem. Requiritur autem ad bonam
operationem, quae est effectus virtutis, quod homo prompte et infallibiliter
ut in pluribus bonum attingat; quod non potest aliquis facere sine habitu
virtutis : sicut etiam manifestum est quod aliquis in universali scit opus
artis facere, ut puta argumentari, vel secare, aut aliquid huiusmodi facere;
sed ad hoc quod prompte et sine errore faciat, requiritur quod habeat artem;
et similiter est in virtute.
6. Pouvoir faire le bien est tout simplement
innй chez nous par nature, du fait que les puissances sont naturelles ;
mais vouloir et savoir nous viennent d’une certaine maniиre de la nature, а
savoir, dans leur amorce d’une maniиre gйnйrale. Mais cela n’est pas
suffisant pour la vertu. Il est nйcessaire pour une opйration bonne, qui est
l’effet de la vertu, que l’homme atteigne le bien rapidement et sans se
tromper dans la plupart des cas, ce que quelqu’un ne peut faire sans
l’habitus de la vertu, de mкme qu’il est clair que quelqu’un sait accomplir
de maniиre universelle l’acte d’un art, par exemple, argumenter ou couper, ou
faire quelque chose de ce genre ; mais pour qu’il fasse cela rapidement
et sans erreur, il est nйcessaire qu’il en possиde l’art. Et de mкme en
est-il pour la vertu.
[65686]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex natura habet homo
aliqualiter quod declinet malitiam; sed ad hoc quod hoc prompte faciat et
infallibiliter, requiritur habitus virtutis.
7. L’homme a d’une certaine maniиre par nature
ce qu’il faut pour s’йcarter de la mйchancetй; mais pour qu’il le fasse
promptement et infailliblement, un habitus de vertu est nйcessaire.
[65687] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus non dicitur partim a natura
esse, eo quod aliqua pars eius sit a natura et aliqua non, sed quia secundum
aliquem modum essendi imperfectum est a natura; scilicet secundum potentiam
et aptitudinem.
8. On ne dit pas que la vertu vient en partie
de la nature parce qu’une partie d’elle vient de la nature et une autre n’[en
vient] pas, mais parce qu’elle vient de la nature selon un mode d’exister
imparfait, а savoir, selon la puissance et l’aptitude.
[65688] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus est per se perfectus in bonitate; unde
nullo indiget ad bonitatem consequendam. Substantiae autem superiores et ei
propinquae, paucis indigent ad consequendam perfectionem bonitatis ab ipso.
Homo autem, qui est magis remotus, pluribus indiget ad assecutionem perfectae
bonitatis, quia est capax beatitudinis. Quae
autem creaturae non sunt capaces beatitudinis, paucioribus indigent quam
homo. Unde homo est dignior eis licet pluribus indigeat; sicut ille qui
potest consequi perfectam sanitatem multis exercitiis, est melius dispositus
quam ille qui non potest consequi nisi parvam, sed per modica exercitia.
9.
Dieu est par lui-mкme parfait en bontй : aussi n’a-t-il besoin de rien pour
atteindre la bontй. Les substances supйrieures et qui lui sont proches ont
besoin de peu de choses pour obtenir de lui la bontй. Mais l’homme, qui en
est plus йloignй, a besoin de plus de choses pour atteindre la bontй
parfaite, car il est capable de la bйatitude. Les crйatures qui ne sont pas
capables de la bйatitude ont besoin de moins de choses que l’homme. Aussi
l’homme est-il plus digne qu’elles, bien qu’il ait besoin de plus de choses,
comme celui qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux exercices est
mieux disposй que celui qui ne peut en obtenir qu’une petite, mais par peu
d’exercices.
[65689] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad ea quae sunt
unius virtutis, posset esse inclinatio naturalis. Sed ad ea quae sunt omnium
virtutum, non posset esse inclinatio a natura; quia dispositio naturalis quae
inclinat ad unam virtutem, inclinat ad contrarium alterius virtutis : puta,
qui est dispositus secundum naturam ad fortitudinem, quae est in prosequendo
ardua, est minus dispositus ad mansuetudinem, quae consistit in refrenando
passiones irascibilis. Unde videmus quod animalia quae naturaliter
inclinantur ad actum alicuius virtutis, inclinantur ad vitium contrarium
alteri virtuti; sicut leo, qui naturaliter est audax est etiam naturaliter
crudelis. Et haec quidem naturalis inclinatio ad hanc vel illam virtutem
sufficit aliis animalibus, quae non possunt consequi perfectum bonum secundum
virtutem, sed consequuntur qualecumque determinatum bonum. Homines autem nati
sunt pervenire ad perfectum bonum secundum virtutem; et ideo oportet quod
habeant inclinationem ad omnes actus virtutum : quod cum non possit esse a
natura, oportet quod sit secundum rationem, in qua existunt semina omnium
virtutum.
10.
Il pourrait exister une inclination naturelle а ce qui ne relиve que d’une
seule vertu. Mais il ne peut exister d’inclination venant de la nature а ce
qui relиve de toutes les vertus, car la disposition naturelle qui incline а
une seule vertu incline а ce qui est contraire а une autre vertu, par
exemple, celui qui est disposй par nature а la force, qui consiste а
poursuivre les choses difficiles, est moins disposй а la douceur, qui
consiste а rйfrйner les passions de l’irascible. Ainsi voyons-nous que les
animaux qui sont naturellement inclinйs а l’acte d’une vertu sont inclinйs au
vice contraire а une autre vertu, comme le lion, qui est naturellement
audacieux, est aussi naturellement cruel. Et cette inclination naturelle а
telle ou telle vertu suffit aux autres animaux, qui ne peuvent obtenir le
bien parfait selon la vertu, mais poursuivent tel bien dйterminй. Mais les
hommes sont destinйs а parvenir au bien parfait selon la vertu. C’est
pourquoi il est nйcessaire qu’ils aient une inclination а tous les actes des
vertus. Comme cela ne peut venir de la nature, il est nйcessaire que cela
soit selon la raison, dans laquelle existent les semences de toutes les
vertus.
[65690]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod medium virtutis non est
determinatum secundum naturam, sicut est determinatum medium mundi in quod
tendunt gravia; sed oportet quod medium virtutis determinetur secundum
rationem rectam, ut dicitur in II Ethic. Quia quod est mediocre uni, est parum
vel multum alteri.
11.
Le milieu de la vertu n’est pas dйterminй selon la nature, comme est
dйterminй le milieu du monde vers lequel tendent tous les objets lourds, mais
il est nйcessaire que le milieu de la vertu soit dйterminй selon la raison
droite, comme il est dit dans Йthique, II. Car ce qui est milieu pour
l’un est peu ou beaucoup pour un autre.
[65692]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod voluntas non exit
in actum suum per aliquas species ipsam informantes, sicut intellectus
possibilis; et ideo non requiritur aliquis naturalis habitus in voluntate ad
naturale desiderium; et praecipue cum ex habitu naturali intellectus moveatur
voluntas, in quantum bonum intellectum est obiectum voluntatis.
13. La volontй ne va pas vers son action par
des espиces qui lui donnent forme, comme l’intellect possible. C’est pourquoi
un habitus naturel n’est pas nйcessaire dans la volontй pour son dйsir
naturel, et surtout lorsque la volontй est mue par un habitus naturel de
l’intellect, dans la mesure oщ le bien intelligй est l’objet de la volontй.
[65693] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet principium virtutis sit
intra hominem, scilicet ratio; tamen hoc principium non agit per modum
naturae; et ideo quod ab ea est, non dicitur naturale.
14. Bien que le principe de la vertu soit
intйrieur а l’homme, а savoir, la raison, ce principe n’agit cependant pas
par mode de nature. C’est pourquoi ce qui vient d’elle n’est pas appelй
naturel.
15. Il faut dire la mкme chose en rйponse а la
quinziиme objection.
[65695]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod malitia eorum erat
naturalis, in quantum erat in consuetudinem reducta, prout consuetudo est
altera natura. Nos autem eramus natura filii irae propter peccatum originale,
quod est peccatum naturae.
16.
Leur malice йtait naturelle dans la mesure oщ elle йtait devenue coutumiиre,
pour autant que la coutume est une seconde nature. Mais nous йtions fils de
la colиre en raison du pйchй originel, qui est un pйchй de nature.
[65696] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod naturale est quod vires
inferiores sint subiicibiles rationi, non tamen quod sint secundum habitum
subiectae.
17. Il est naturel que les puissances
infйrieures soient susceptibles de se soumettre а la raison, mais non
qu’elles lui soient soumises selon un habitus.
[65697]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod motus dicitur esse
naturalis propter aptitudinem naturalem mobilis, quando movens movet ad unum
determinate per modum naturae; sicut generans in elementis, et motor corporum
caelestium. Sic autem non est in proposito; unde ratio non sequitur.
18. Un mouvement est appelй naturel en raison
de l’aptitude naturelle de ce qui est mы, lorsque l’agent meut prйcisйment а
une seule chose par mode de nature, comme c’est le cas pour ce qui engendre
dans les йlйments et pour ce qui meut les corps cйlestes. Mais ce n’est pas
ce qui est en cause ici. L’argument ne vaut donc pas.
[65698] De virtutibus, q.
1 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa inclinatio naturalis ad
virtutem, secundum quam quidam mox a nativitate sunt fortes et temperati, non
sufficit ad perfectam virtutem, ut dictum est.
19.
L’inclination naturelle а la vertu, selon laquelle certains sont forts et
tempйrйs peu aprиs leur naissance, ne suffit pas pour la vertu parfaite,
comme on l’a dit.
[65699] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura non deficit homini in necessariis;
licet enim non det omnia quae sunt ei necessaria, tamen dat ei unde possit
omnia necessaria acquirere secundum rationem, et quae ei deserviunt.
20.
La nature ne fait pas dйfaut а l’homme pour les choses nйcessaires : en
effet, bien qu’elle ne lui donne pas tout ce qui lui est nйcessaire, elle lui
donne cependant les moyens de pouvoir acquйrir tout ce qui est nйcessaire
selon la raison, et qui est а son service.
[65702] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis,
qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis
operatur. Sed illud quod fit ex actibus nostris, non operatur Deus in nobis.
Ergo virtus non causatur ex actibus nostris.
1. En effet, Augustin dit que «la vertu est une
bonne qualitй de l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne
fait un mauvais usage, que Dieu rйalise en nous sans nous.» Or, ce qui est
fait par nos actes, Dieu ne le rйalise pas en nous. La vertu n’est donc pas
causйe par nos actes.
[65703]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit : omnium infidelium
vita peccatum est, et nihil est bonum sine summo bono, ubi deest cognitio
veritatis, falsa est virtus etiam in optimis moribus. Ex quo habetur quod
virtus non potest esse sine fide. Fides autem non est ex operibus nostris,
sed ex gratia, ut patet Ephes. cap. II, 8 : gratia estis salvati per
fidem, et non ex vobis : nec quis glorietur; Dei enim donum est. Ergo
virtus non potest causari ex actibus nostris.
2. Augustin dit aussi : «La vie de tous les
infidиles est pйchй, et rien n’est bon sans le bien suprкme ; lа oщ fait
dйfaut la connaissance de la vйritй, la vertu est fausse, mкme lorsque le
comportement est le meilleur.» On conclut de cela que la vertu ne peut
exister sans la foi. Or, la foi ne compte pas parmi nos њuvres, mais elle
vient de la grвce, comme cela ressort clairement de Ep 2, 8 : C’est
par grвce que vous avez йtй sauvйs par la foi, et non par vous-mкmes. Que
personne donc ne se glorifie, car elle est un don de Dieu. La vertu ne
peut donc кtre causйe par nos actes.
[65704] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 3 Praeterea, Bernardus dicit, quod incassum quis ad virtutem
laborat, nisi a domino eam sperandam putet. Quod autem speratur obtinendum a
Deo, non causatur ex actibus nostris. Virtus ergo non causatur ex actibus
nostris.
3. Bernard dit que c’est en vain que quelqu’un
travaille pour la vertu, а moins qu’il ne pense pouvoir l’espйrer du
Seigneur. Or, ce que nous espйrons obtenir de Dieu n’est pas causй par nos
actes. La vertu n’est donc pas causйe par nos actes.
[65705]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 4 Praeterea, continentia est minus virtute, ut patet
per philosophum in VII Ethic. Sed continentia non est in nobis nisi ex divino
munere; dicitur enim Sapient. cap. VIII, 21 : scio quod non possum esse
continens, nisi Deus det. Ergo nec virtutes possumus acquirere ex nostris
actibus, sed solum ex dono Dei.
4. La continence est moins que la vertu, comme
cela ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Йthique, VII.
Or, la continence n’existe en nous que par un don divin. En effet, il est dit
dans Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis кtre continent, а moins
que Dieu ne m’en fasse le don. Nous ne pouvons donc pas non plus acquйrir
les vertus par nos actes, mais seulement par un don de Dieu.
[65706] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo non potest vitare
peccatum sine gratia. Sed per virtutem vitatur peccatum; non enim potest esse
homo simul vitiosus et virtuosus. Ergo virtus non potest esse sine gratia;
non ergo potest acquiri ex actibus.
5. Augustin dit que l’homme ne peut йviter le
pйchй sans la grвce. Or, le pйchй est йvitй par la vertu : en effet, un homme
ne peut кtre en mкme temps vicieux et vertueux. La vertu ne peut donc exister
sans la grвce. Elle ne peut donc кtre acquise par nos actes.
[65707] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 6 Praeterea, per virtutem pervenitur ad felicitatem. Nam felicitas
virtutis est praemium, ut philosophus dicit in I Ethic. Si ergo ex actibus
nostris acquiratur virtus, ex actibus nostris possumus pervenire ad vitam
aeternam, quae est hominis ultima felicitas, sine gratia; quod est contra
apostolum, Rom. VI, 23 : gratia Dei vita aeterna.
6. C’est par la vertu que l’on parvient а la
fйlicitй, car la fйlicitй est la rйcompense de la vertu, comme le Philosophe
le dit dans Йthique, I. Si donc la vertu est acquise par nos actes,
nous pouvons parvenir par nos actes et sans la grвce а la vie йternelle, qui
est l’ultime fйlicitй de l’homme. Ce qui est contraire а ce que dit l’Apфtre,
Rm 6, 23 : La vie йternelle est une grвce de Dieu.
[65708] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 7 Praeterea,
virtus computatur inter maxima bona, secundum Augustinum, Lib. de libero
arbitrio, quia virtute nullus male utitur. Sed maxima bona sunt a Deo,
secundum illud Iacob. I, 17 : omne datum optimum et omne donum perfectum
de sursum est, descendens a patre luminum. Ergo videtur quod virtus non
sit in nobis nisi ex dono Dei.
7.
La vertu compte parmi les plus grands biens, selon Augustin, Sur le libre
arbitre, car personne n’utilise mal la vertu. Or, les plus grands biens
viennent de Dieu, selon ce passage de Jc 1, 17 : Tout don
excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Pиre des
lumiиres. Il semble donc que la vertu n’existe en nous que par un don de
Dieu.
[65709] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. de libero arbitrio,
nihil potest formare seipsum. Sed virtus est quaedam forma animae. Ergo homo non potest in se per suos actus causare virtutem.
8.
Comme Augustin le dit, dans Sur le libre arbitre, rien ne peut se
former soi-mкme. Or, la vertu est une certaine forme de l’вme. L’homme ne
peut donc pas causer en lui-mкme la vertu par ses actes.
[65710] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 9 Praeterea, sicut intellectus a principio est in potentia essentiali ad
scientiam, ita vis affectiva ad virtutem. Sed intellectus in potentia
essentiali existens, ad hoc ut reducatur in actum scientiae, indiget motore
extrinseco, scilicet doctore ad hoc quod scientiam acquirat in actu. Ergo similiter ad hoc quod homo virtutem acquirat, indiget aliquo
agente exteriori, et non sufficiunt ad hoc actus proprii.
9.
De mкme que l’intellect est au dйpart en puissance essentielle par rapport а
la science, de mкme la puissance affective par rapport а la vertu. Or,
l’intellect qui est en puissance essentielle, pour кtre amenй а l’acte de la
science, a besoin d’un moteur extйrieur, а savoir, un enseignant, pour
acquйrir la science en acte. De la mкme maniиre, pour que l’homme acquiиre la
vertu, il a donc besoin d’un agent extйrieur, et ses propres actes ne
suffisent pas.
[65711] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 10 Praeterea, acquisitio fit per receptionem. Actio autem non fit
per receptionem, sed magis per emissionem vel exitum actionis ab agente. Ergo per hoc quod aliquid agimus, non acquiritur virtus in nobis.
10.
L’acquisition se fait par rйception. Or, l’action ne se fait pas par
rйception, mais plutфt par йmission ou par sortie de l’action de l’agent. Par
le fait que nous faisons quelque chose, la vertu n’est donc pas acquise par
nous.
[65712]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 11 Praeterea, si per actum nostrum virtus in nobis
acquiritur; aut acquiritur per unum, aut per plures. Non per unum; quia ex
uno non efficitur aliquis studiosus, ut dicitur II Ethic.; similiter etiam
nec ex multis; quia multi actus, cum non sint simul, non possunt simul
aliquem effectum inducere. Ergo videtur quod nullo modo virtus in nobis
causetur ex actibus nostris.
11.
Si la vertu est acquise en nous par notre acte, ou bien elle est acquise par
un seul, ou bien [elle est acquise] par plusieurs. [Elle n’est pas acquise]
par un seul, car quelqu’un ne devient pas studieux par un seul acte, comme il
est dit dans Йthique, II. De mкme, [elle n’est pas acquise] par
plusieurs, car plusieurs actes, lorsqu’ils ne sont pas simultanйs, ne peuvent
produire un effet simultanйment. Il semble donc que la vertu ne soit d’aucune
maniиre causйe en nous par nos actes.
[65713] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 12 Praeterea, Avicenna dicit, quod virtus est potentia
essentialiter rebus attributa ad suas peragendas operationes. Sed id quod
essentialiter attribuitur rei, non causatur ex actu eius. Ergo virtus non causatur ex actu habentis virtutem.
12.
Avicenne dit que la vertu est une puissance attribuйe essentiellement aux
choses en vue d’accomplir leurs actions. Or, ce qui est attribuй
essentiellement а une chose n’est pas causй par son acte. La vertu n’est donc
pas causйe par l’acte de celui qui possиde la vertu.
[65714]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 13 Praeterea, si virtus causatur ex actibus nostris :
aut ex actibus virtuosis, aut ex actibus vitiosis. Non ex vitiosis quia illi
magis destruunt virtutem; similiter nec ex virtuosis, quia illi praesupponunt
virtutem. Ergo nullo modo causatur ex actibus nostris virtus in nobis.
13.
Si la vertu est causйe par nos actes, ou bien c’est par les actes vertueux,
ou bien par les actes vicieux. [Ce n’est pas par les actes] vicieux, car ceux-ci
dйtruisent plutфt la vertu; de mкme, [ce n’est pas par les actes] vertueux,
car ceux-ci prйsupposent la vertu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre
causйe en nous par nos actes.
[65715] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 14 Sed
dicendum, quod virtus causatur ex actibus virtuosis imperfectis.- Sed contra
nihil agit ultra suam speciem. Si ergo actus praecedentes virtutem sunt
imperfecti, videtur quod non possunt causare virtutem perfectam.
14.
Mais on dira que la vertu est causйe par des actes vertueux imparfaits. – En sens contraire, rien n’agit au-delа de son
espиce. Si donc les actes prйcйdant la vertu sont imparfaits, il semble
qu’ils ne peuvent pas cause une vertu parfaite.
[65716] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 15 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in I caeli
et mundi. Sed potentia est naturalis. Ergo virtus est naturalis, et non ex
operibus acquisita.
15.
La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Du
ciel et du monde, I. Or, la puissance est naturelle. La vertu est donc
naturelle, et elle n’est pas acquise par des actes.
[65717]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 16 Praeterea, ut dicitur in II Ethic., virtus est quae
bonum reddit habentem. Sed homo est bonus secundum suam naturam. Ergo virtus
hominis est ei a natura, et non ex actibus acquisita.
16.
Comme il est dit dans Йthique, II, la vertu est ce qui rend bon celui
qui la possиde. Or, l’homme est bon par sa nature. La vertu de l’homme lui
vient donc de sa nature, et elle n’est pas acquise par ses actes.
[65718] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 17 Praeterea, ex frequentia actus naturalis non acquiritur novus
habitus.
17.
Par la rйpйtition d’un acte naturel un nouvel habitus n’est pas acquis.
[65719] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 18 Praeterea,
omnia habent esse a sua forma. Sed gratia est forma virtutum : nam sine
gratia virtutes dicuntur esse informes. Ergo virtutes sunt a gratia, et non
ab actibus.
18.
Toutes choses reзoivent leur кtre de leur forme. Or, la grвce est la forme
des vertus, car, sans la grвce, les vertus sont appelйes informes. Les vertus
viennent donc de la grвce, et non des actes.
[65720] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 19 Praeterea, secundum
apostolum, 2 Cor. XII, 9, virtus in infirmitate perficitur. Sed
infirmitas magis est passio quam actio. Ergo virtus magis causatur ex
passione quam ex actibus.
19.
Selon l’Apфtre, 2 Co 12, 9, la vertu se rйalise dans la
faiblesse. Or, la faiblesse est plutфt une passion qu’une action. La
vertu est donc plutфt causйe par une passion que par des actes.
[65721]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 20 Praeterea, cum virtus sit qualitas, mutatio quae est
secundum virtutem, videtur esse alteratio : nam alteratio est motus in
qualitate. Sed alteratio passio tantum est in parte
animae sensitivae, ut patet per philosophum in VII Physic. Si ergo virtus acquiritur
ex actibus nostris per quamdam passionem et alterationem; sequetur quod
virtus sit in parte sensitiva : quod est contra Augustinum, qui dicit, quod
est bona qualitas mentis.
20.
Puisque la vertu est une qualitй, le changement qui se rйalise selon la vertu
semble кtre une altйration, car l’altйration est un mouvement dans la
qualitй. Or, l’altйration est une passion seulement dans la partie sensible
de l’вme, comme cela ressort clairement du Philosophe, Physique, VII.
Si donc la vertu est acquise par nos actes en vertu d’une certaine passion et
altйration, il en dйcoulera que la vertu se situe dans la partie sensible, ce
qui est contraire а Augustin, qui dit qu’elle est une bonne qualitй de
l’esprit.
[65722]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 21 Praeterea, per virtutem habet aliquis rectam
electionem de fine, ut dicitur X Ethicorum. Sed habere rectam electionem de
fine, non videtur esse in potestate nostra : quia qualis unusquisque est,
talis finis ei videtur, ut dicitur III Ethic. Hoc autem contingit nobis ex
naturali complexione, vel ex impressione corporis caelestis. Ergo non est in
potestate nostra acquirere virtutes : non ergo causantur ex actibus nostris.
21.
Par la vertu, quelqu’un fait un choix droit а propos de la fin, comme il est
dit dans Йthique, X. Or, faire un choix droit а propos de la fin ne
semble pas кtre en notre pouvoir, car tel est chacun, telle la fin lui
apparaоt, comme il est dit dans Йthique, III. Or, cela nous arrive en
raison d’une complexion naturelle, ou par l’influence d’un corps cйleste. Il
n’est donc pas en notre pouvoir d’acquйrir les vertus. Elles ne sont donc pas
causйes par nos actes.
[65723] De virtutibus, q.
1 a. 9 arg. 22 Praeterea, ea quae sunt naturalia, neque assuescimus neque
dissuescimus. Sed quibusdam hominibus insunt naturales inclinationes ad
aliqua vitia, sicut et ad virtutes. Ergo huiusmodi inclinationes non possunt
tolli per assuetudinem actuum. Eis autem manentibus non possunt in nobis esse
virtutes. Ergo virtutes non possunt in nobis acquiri per actus.
22.
Nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel, ni ne nous en
dйshabituons. Or, certains hommes possиdent des inclinations naturelles
innйes envers certains vices, de mкme qu’а des vertus. Les inclinations de ce
genre ne peuvent donc pas кtre enlevйes par l’accoutumance aux actes. Aussi
longtemps que [ces inclinations] demeurent, il ne peut donc y avoir de vertus
en nous. Les vertus ne peuvent donc pas кtre causйes en nous par des actes.
Cependant
:
[65724] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 1 Sed
contra. Dionysius dicit, quod bonum est virtuosius quam malum. Sed ex malis
actibus causantur in nobis habitus vitiorum. Ergo ex bonis actibus causantur
in nobis habitus virtutum.
1.
Denys dit que le bien est plus vertueux que le mal. Or, les habitus des vices
sont causйs en nous par des mauvaises actions. Les habitus des vertus sont
donc causйs en nous par des actes bons.
[65725] De virtutibus, q.
1 a. 9 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in II Ethic., operationes sunt
causae eius quod est nos studiosos esse. Hoc
autem est per virtutem. Ergo virtus causatur in nobis ex actibus.
2.
Selon le Philosophe, Йthique, II, des actions sont les causes du fait
que nous sommes studieux. Or, cela est le fait de la vertu. La vertu est donc
causйe en nous par des actes.
[65726] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 3 Praeterea, ex
contrariis sunt generationes et corruptiones. Sed virtus corrumpitur ex malis
actibus. Ergo ex bonis actibus generatur.
3.
Les gйnйrations et les corruptions viennent des contraires. Or, la vertu est
corrompue par les actes mauvais. Elle est donc engendrйe par les actes bons.
Rйponse
:
[65727] De virtutibus, q. 1 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod cum virtus sit
ultimum potentiae, ad quod quaelibet potentia se extendit ut faciat
operationem, quod est operationem esse bonam; manifestum est quod virtus
uniuscuiusque rei est per quam operationem bonam producit. Quia vero omnis
res est propter suam operationem; unumquodque autem bonum est secundum quod
bene se habet ad suum finem; oportet quod per virtutem propriam unaquaeque
res sit bona, et bene operetur. Bonum autem proprium uniuscuiusque rei est
aliud ab eo quod est proprium alterius : diversorum enim perfectibilium sunt
diversae perfectiones; unde et bonum hominis est aliud a bono equi et a bono
lapidis. Ipsius etiam hominis secundum diversas sui considerationes accipitur
diversimode bonum. Non enim idem est bonum hominis in quantum est homo, et in
quantum est civis. Nam bonum hominis in quantum est homo, est ut ratio sit
perfecta in cognitione veritatis, et inferiores appetitus regulentur secundum
regulam rationis : nam homo habet quod sit homo per hoc quod sit rationalis.
Bonum autem hominis in quantum est civis, est ut ordinetur secundum civitatem
quantum ad omnes : et propter hoc philosophus dicit, III Politic., quod non
est eadem virtus hominis in quantum est bonus et hominis in quantum est bonus
civis. Homo autem non solum est civis terrenae civitatis, sed est particeps
civitatis caelestis Ierusalem, cuius rector est dominus, et cives Angeli et
sancti omnes, sive regnent in gloria et quiescant in patria, sive adhuc
peregrinentur in terris, secundum illud apostoli, Ephes. II, 19 : estis
cives sanctorum, et domestici Dei, et cetera. Ad hoc autem quod homo
huius civitatis sit particeps, non sufficit sua natura, sed ad hoc elevatur
per gratiam Dei. Nam manifestum est quod virtutes illae quae sunt hominis in
quantum est huius civitatis particeps, non possunt ab eo acquiri per sua
naturalia; unde non causantur ab actibus nostris, sed ex divino munere nobis
infunduntur. Virtutes autem quae sunt hominis in eo quod est homo, vel in eo
quod est terrenae civitatis particeps, non excedunt facultatem humanae
naturae; unde eas per sua naturalia homo potest acquirere, ex actibus
propriis : quod sic patet. Dum enim aliquis habet naturalem aptitudinem ad
perfectionem aliquam; si haec aptitudo sit secundum principium passivum
tantum, potest eam acquirere; sed non ex actu proprio, sed ex actione
alicuius exterioris naturalis agentis; sicut aer recipit lumen a sole. Si
vero habeat aptitudinem naturalem ad perfectionem aliquam secundum activum
principium et passivum simul; tunc per actum proprium potest ad illam
pervenire; sicut corpus hominis infirmi habet naturalem aptitudinem ad
sanitatem. Et quia subiectum est naturaliter receptivum sanitatis, propter
virtutem naturalem activam quae inest ad sanandum, ideo absque actione
exterioris agentis infirmus interdum sanatur. Ostensum est autem in
praecedenti quaestione, quod aptitudo naturalis ad virtutem quam habet homo,
est secundum principia activa et passiva; quod quidem ex ipso ordine
potentiarum apparet. Nam in parte intellectiva est principium quasi passivum
intellectus possibilis, qui reducitur in suam perfectionem per intellectum
agentem. Intellectus autem in actu movet voluntatem : nam bonum intellectus
est finis qui movet appetitum; voluntas autem mota a ratione, nata est movere
appetitum sensitivum, scilicet irascibilem et concupiscibilem, quae natae
sunt obedire rationi. Unde etiam manifestum est, quod quaelibet virtus
faciens operationem hominis bonam, habet proprium actum in homine, qui sui
actione potest ipsam reducere in actum; sive sit in intellectu, sive in
voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Diversimode tamen reducitur
in actum virtus quae est in parte intellectiva, et quae est in parte
appetitiva. Nam actio intellectus, et cuiuslibet cognoscitivae virtutis, est
secundum quod aliqualiter assimilatur cognoscibili; unde virtus
intellectualis fit in parte intellectiva, secundum quod per intellectum
agentem fiunt species intellectae in ipsa vel actu vel habitu. Actio autem virtutis appetitivae consistit in quadam inclinatione ad
appetibile; unde ad hoc quod fiat virtus in parte appetitiva, oportet quod
detur ei inclinatio ad aliquid determinatum. Sciendum est autem, quod inclinatio rerum
naturalium consequitur formam; et ideo est ad unum, secundum exigentiam
formae : qua remanente, talis inclinatio tolli non potest, nec contraria
induci. Et propter hoc, res naturales neque assuescunt aliquid neque
dissuescunt; quantumcumque enim lapis sursum feratur nunquam hoc assuescet,
sed semper inclinatur ad motum deorsum. Sed ea quae sunt ad utrumlibet, non
habent aliquam formam ex qua declinent ad unum determinate; sed a proprio
movente determinantur ad aliquid unum; et hoc ipso quod determinantur ad
ipsum, quodammodo disponuntur in idem; et cum multoties inclinantur,
determinantur ad idem a proprio movente, et firmatur in eis inclinatio
determinata in illud, ita quod ista dispositio superinducta, est quasi
quaedam forma per modum naturae tendens in unum. Et propter hoc dicitur, quod
consuetudo est altera natura. Quia igitur vis appetitiva se habet ad
utrumlibet; non tendit in unum nisi secundum quod a ratione determinatur in
illud. Cum igitur ratio multoties inclinet virtutem appetitivam in aliquid
unum, fit quaedam dispositio firmata in vi appetitiva, per quam inclinatur in
unum quod consuevit; et ista dispositio sic firmata est habitus virtutis.
Unde, si recte consideretur, virtus appetitivae partis nihil est aliud quam
quaedam dispositio, sive forma, sigillata et impressa in vi appetitiva a
ratione. Et propter hoc, quantumcumque sit fortis dispositio in vi appetitiva
ad aliquid, non potest habere rationem virtutis, nisi sit ibi id quod est
rationis. Unde et in definitione virtutis ponitur ratio : dicit enim
philosophus, II Ethicorum, quod virtus est habitus electivus in mente
consistens determinata specie, prout sapiens determinabit.
Puisque
la vertu est le point ultime d’une puissance, vers lequel tend toute
puissance pour accomplir son opйration, ce qui rend une action bonne, il est
clair que la vertu de toute chose est celle par laquelle elle produit une
bonne opйration. Comme toute chose chose existe en vue de son opйration, et
que toute chose est bonne selon qu’elle a un bon rapport а sa fin, il est
donc nйcessaire que toute chose soit bonne et agisse bien par sa propre
vertu. Or, le bien propre de toute chose est diffйrent de celui qui est
propre а une autre chose : en effet, les perfections des diverses choses
perfectibles sont diverses. Le bien de l’homme est donc diffйrent de celui du
cheval et du bien de la pierre. Et le bien de l’homme est aussi conзu
diversement selon les maniиres diffйrentes de l’envisager. En effet, le bien
de l’homme en tant qu’homme n’est pas le mкme que [celui de l’homme] en tant
que citoyen. Car le bien de l’homme en tant qu’homme est que sa raison soit
parfaite dans la connaissance de la vйritй et que ses appйtits infйrieurs
soient dirigйs selon la rиgle de la raison, car l’homme est homme par le fait
qu’il est raisonnable. Or, le bien de l’homme en tant que citoyen consiste en
ce qu’il soit ordonnй par rapport а ce qui concerne tous selon la citй. C’est
la raison pour laquelle le Philosophe dit, Politique, III, que la
vertu de l’homme en tant qu’il est bon n’est pas la mкme que celle de l’homme
en tant qu’il est un bon citoyen. Or, l’homme n’est pas seulement citoyen de
la citй terrestre, mais il est membre de la citй cйleste de Jйrusalem, dont
le dirigeant est le Seigneur, et les citoyens, les anges et tous les saints,
soit qu’ils rиgnent dans la gloire et se reposent dans la patrie, soit qu’ils
cheminent encore sur terre, selon ce que dit l’Apфtre, Ep 2, 19 : Vous
кtes les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu, etc. Or, pour
que l’homme soit membre de cette citй, sa nature ne suffit pas, mais il y est
йlevй par la grвce de Dieu. Car il est clair que les vertus qui appartiennent
а l’homme en tant qu’il est membre de cette citй ne peuvent pas кtre acquises
par lui par ce qui relиve de sa nature. Elles ne sont donc pas causйes par
nos actes, mais elles sont infusйes en nous par un don divin. Mais les vertus
qui sont le fait de l’homme en tant qu’il est homme ou en tant qu’il est
membre de la citй terrestre, ne dйpassent pas la capacitй de la nature
humaine. L’homme peut donc les acquйrir par ce qui relиve de sa nature, par
ses propres actes. Voici comment on le montre. En effet, lorsque quelqu’un
possиde une aptitude naturelle а une certaine perfection, si cette aptitude
n’existe que selon un principe passif seulement, il peut l’acquйrir, non par
son acte, mais par l’action d’un agent extйrieur, comme l’air reзoit du
soleil la lumiиre. Mais s’il a une aptitude naturelle а une perfection selon
un principe а la fois actif et passif, il peut alors l’atteindre, comme le
corps d’un homme malade possиde une aptitude naturelle а la santй. Et parce
que le sujet est naturellement rйceptif par rapport а la santй, en raison de
la puissance active qu’il possиde pour la guйrison, c’est pourquoi le malade
est parfois guйri sans action d’un agent extйrieur. Or, on a montrй, dans la
question prйcйdente, que l’aptitude naturelle а la vertu que possиde l’homme
existe selon des principes actifs et passifs, ce qui se rйvиle par l’ordre
mкme des puissances. Car, dans la partie intellective, existe le principe
pour ainsi dire passif de l’intellect possible, qui est amenй а sa perfection
par l’intellect agent. Or, l’intellect en acte meut la volontй, car le bien
de l’intellect est la fin qui meut l’appйtit, et la volontй mue par la raison
est naturellement disposйe а mouvoir l’appйtit sensible, а savoir,
l’irascible et le concupiscible, qui sont naturellement disposйs а obйir а la
raison. Il est donc aussi clair que toute vertu qui rend bonne l’opйration de
l’homme a son acte propre а l’intйrieur de l’homme, qui peut l’amener а
l’acte par sa propre action, qu’elle soit dans l’intellect, dans la volontй
ou dans l’irascible et le concupiscible. Toutefois, la vertu qui se trouve
dans la partie intellective est amenйe diffйremment а l’acte que celle qui se
trouve dans la partie appйtitive. Car l’action de l’intellect et de toute
puissance cognitive se rйalise par une certaine assimilation а ce qui est
connaissable; aussi la vertu intellectuelle se rйalise-t-elle dans la partie
intellective selon que, par l’intellect agent, les espиces deviennent
intelligйes en elle, soit en acte, soit par habitus. Mais l’action de la
puissance appйtitive consiste dans une certaine inclination а ce qui est appйtible;
aussi, pour que se produise une vertu dans la partie appйtitive, est-il
nйcessaire que lui soit donnйe une inclination а quelque chose de dйterminй.
Or, il faut savoir que l’inclination des choses naturelles suit sa forme :
c’est pourquoi elle n’est orientйe qu’а une seule chose, selon ce qu’exige la
forme; aussi longtemps que celle-ci demeure, une telle inclination ne peut
кtre йcartйe, ni une forme contraire кtre amenйe. C’est pourquoi les choses
naturelles ne s’accoutument pas а une chose ni ne s’en dйsaccoutument : en
effet, aussi souvent qu’une pierre sera lancйe en l’air, elle ne s’y
accoutumera pas, mais elle sera toujours inclinйe а se mouvoir vers le bas.
Mais les choses qui peuvent aller dans un sens ou l’autre ne possиdent pas de
forme qui les inclinent а une seule chose de maniиre dйterminйe, mais elles
sont mues par leur propre agent vers une seule chose, et par le fait qu’elles
sont dйterminйes par rapport а celle-ci, elles y sont en quelque sorte
disposйes. Et lorsqu’elles y sont inclinйes а plusieurs reprises, elles sont
dйterminйes а la mкme chose par leur propre agent et l’inclination vers cette
chose est affermie en elles, de telle sorte que cette disposition ajoutйe est
comme une forme qui ressemble а une nature, qui tend а une seule chose. Pour
cette raison, on dit que l’habitude est une seconde nature. Puisque la
puissance appйtitive peut aller dans un sens ou l’autre, elle ne tend donc а
une seule chose que selon qu’elle y est dйterminйe par la raison. Lorsque la
raison incline а plusieurs reprises la puissance appйtitive а une seule
chose, il se produit donc une certaine disposition affermie dans la puissance
appйtitive, par laquelle elle est inclinйe а la seule chose а laquelle elle
s’est habituйe, et cette disposition affermie est l’habitus de la vertu.
Aussi, si on examine [la chose] correctement, la vertu de la partie
appйtitive n’est rien d’autre qu’une certaine disposition ou forme, scellйe
et imprimйe par la raison dans la puissance appйtitive. C’est pourquoi, aussi
forte que soit une dispostion а quelque chose dans la puissance appйtitive,
cela ne peut avoir raison de vertu, а moins que ne s’y trouve ce qui relиve
de la raison. Aussi la raison est-elle mise dans la dйfinition de la vertu.
En effet, le Philosophe dit, dans Йthique, II, que la vertu est un
habitus йlectif rйsidant dans l’esprit selon une espиce dйterminйe, selon que
le sage en aura dйterminй.
Solutions :
[65728]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de
virtutibus secundum quod ordinantur ad aeternam beatitudinem.
1. Augustin parle des vertus selon qu’elles
sont ordonnйes а la bйatitude йternelle.
2-4. Il faut dire la mкme chose pour la
deuxiиme, la troisiиme et la quatriиme objection.
[65730] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus acquisita facit declinare a
peccato non semper, sed ut in pluribus : quia et ea quae naturaliter
accidunt, ut in pluribus eveniunt. Nec propter hoc sequitur, quod simul
aliquis sit virtuosus et vitiosus; quia unus actus potentiae neque habitum
vitii neque habitum virtutis acquisitae tollit; et non potest per virtutem
acquisitam declinare ab omni peccato. Non enim per eas vitatur peccatum
infidelitatis; et alia peccata quae virtutibus infusis opponuntur.
5. La vertu acquise fait s’йcarter du pйchй
non pas toujours, mais dans la plupart des cas, car mкme ce qui se produit
naturellement arrive dans la plupart des cas. Il n’en dйcoule pas que
quelqu’un soit en mкme temps vertueux et vicieux, car un seul acte d’une
puissance n’enlиve ni l’habitus du vice ni l’habitus de la vertu acquise, et
l’on ne peut s’йcarter de tout pйchй par la vertu acquise. En effet, le pйchй
d’infidйlitй n’est pas йvitй par elles, ainsi que les autres pйchйs qui
s’opposent aux vertus infuses.
[65731]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod per virtutes acquisitas non
pervenitur ad felicitatem caelestem, sed ad quamdam felicitatem quam homo
natus est acquirere per propria naturalia in hac vita secundum actum
perfectae virtutis, de qua Aristoteles tractat in X Metaph.
6. On ne parvient pas а la fйlicitй йternelle
par les vertus acquises, mais а une certaine fйlicitй que l’homme est destinй
а acquйrir dans cette vie par ce qui lui naturellement propre, selon l’acte
de la vertu parfaite, dont Aristote traite dans Mйtaphysique, X.
[65732] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus acquisita non est maximum bonum
simpliciter, sed maximum in genere humanorum bonorum; virtus autem infusa est
maximum bonum simpliciter, in quantum per eam homo ad summum bonum ordinatur,
quod est Deus.
7. La vertu acquise n’est pas le plus grand
bien tout simplement, mais le plus grand dans le genre des biens humains.
Mais la vertu infuse est le plus grand bien tout simplement, dans la mesure
oщ, par elle, l’homme est ordonnйe au bien suprкme qu’est Dieu.
[65733]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod idem secundum idem non
potest seipsum formare. Sed quando in aliquo uno est aliquod principium
activum et aliud passivum, seipsum formare potest secundum partes : ita
scilicet quod una pars eius sit formans, et alia formata; sicut aliquid movet
seipsum, ita quod una pars eius est movens, et alia mota, ut dicitur VIII
Phys. Sic autem est in generatione virtutis ut ostensum est.
8. Une mкme chose ne peut se donner forme а
elle-mкme selon une mкme chose. Mais lorsqu’il y a un principe actif et un
autre passif, elle peut se donner forme selon ses parties, de telle sorte
qu’une de ses parties donne la forme, et l’autre reзoive la forme, comme
quelque chose se meut soi-mкme, de telle sorte qu’une de ses parties meut et
une autre est mue, comme il est dit dans Physique, VIII. Il en est de
mкme dans la gйnйration de la vertu, comme on l’a montrй.
[65734] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut in intellectu scientia acquiritur non solum per
inventionem, sed etiam per doctrinam, quae est ab alio; ita etiam in
acquisitione virtutis homo iuvatur per correctionem et disciplinam, quae est
ab alio; qua aliquis tanto minus indiget, quanto de se est magis dispositus
ad virtutem; sicut et aliquis quanto perspicacioris est ingenii, tanto minus
indiget exteriori doctrina.
9. De mкme que, dans l’intellect, la science
est acquise non seulement par l’invention, mais aussi par l’enseignement, qui
vient d’un autre, de mкme, pour l’acquisition de la vertu, l’homme est aidй
par la correction et l’йducation, qui vient d’un autre. Quelqu’un en a
d’autant moins besoin qu’il est davantage disposй а la vertu, de mкme que
plus quelqu’un a un esprit perspicace, moins il a besoin d’enseignement
extйrieur.
[65735]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ad actionem hominis
concurrunt virtutes activae et passivae; et licet a virtutibus, in quantum
activae, fiat emissio, et in eis nihil recipiatur; tamen passivis in quantum
passivae, competit acquirere aliquid per receptionem. Unde in potentia quae
est tantum activa, ut in intellectu agente, non acquiritur aliquis habitus
per actionem.
10. Les puissances actives et passives
concourent а l’action de l’homme. Et bien que, par les puissances actives, en
tant qu’elles sont passives, se produise une йmission et que rien ne soit
reзue en elles, il convient cependant aux puissances passives, en tant
qu’elles sont passives, d’acquйrir quelque chose par rйception. Aussi, dans
la puissance qui est seulement active, comme c’est le cas pour l’intellect
agent, un habitus n’est-il pas acquis par l’action.
[65736] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod quanto actio agentis est efficacior, tanto velocius
inducit formam. Et ideo videmus in intellectualibus, quod per unam
demonstrationem, quae est efficax, causatur in nobis scientia; opinio autem,
licet sit minor scientia, non causatur in nobis per unum syllogismum
dialecticum; sed requiruntur plures propter eorum debilitatem. Unde et in
agibilibus, quia operationes animae non sunt efficaces sicut in
demonstrationibus, propter hoc quod agibilia sunt contingentia et probabilia,
ideo unus actus non sufficit ad causandum virtutem, sed requiruntur plures.
Et licet illi plures non sint simul, tamen habitum virtutis causare possunt :
quia primus actus facit aliquam dispositionem, et secundus actus inveniens materiam
dispositam adhuc eam magis disponit, et tertius adhuc amplius; et sic ultimus
actus agens in virtute omnium praecedentium complet generationem virtutis,
sicut accidit de multis guttis cavantibus lapidem.
11. Plus l’action d’un agent est efficace, plus
rapidement elle mиne а la forme. C’est pourquoi nous voyons, en matiиre
intellectuelle, que, par une seule dйmonstration qui est efficace, la science
est causйe en nous ; mais l’opinion, bien qu’elle soit une science
infйrieure, n’est pas causйe en nous par un seul syllogisme dialectique : en
effet, plusieurs sont nйcessaires en raison de leur faiblesse. Aussi, en
matiиre d’actions а poser, comme les opйrations de l’вme ne sont pas aussi
efficaces que pour les dйmonstrations parce que les actes а poser sont
contingents et probables, un seul acte ne suffit-il pas pour causer la vertu,
mais plusieurs sont nйcessaires. Et bien que ces nombreux actes ne soient pas
simultanйs, ils peuvent cependant causer un habitus de vertu, car le premier
acte produit une certaine disposition, et le deuxiиme acte, trouvant une
matiиre dйjа disposйe, la dispose encore davantage, et le troisiиme encore
davantage. Et ainsi, le dernier acte, posй en vertu de tous les prйcйdents,
achиve la gйnйration de la vertu, comme il arrive que de nombreuses gouttes
creusent la pierre.
[65737] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Avicenna intendit definire virtutem
naturalem, quae sequitur formam quae est principium essentiale; unde illa
definitio non est ad propositum.
12. Avicenne entend dйfinir la vertu
naturelle, qui dйcoule de la forme qui est un principe essentiel. Aussi cette
dйfinition est-elle hors de propos.
[65738]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtus generatur ex
actibus quodammodo virtuosis et quodammodo non virtuosis. Actus enim
praecedentes virtutem, sunt quidem virtuosi quantum ad id quod agitur, in
quantum scilicet homo agit fortia et iusta; non autem quantum ad modum agendi
: quia ante habitum virtutis acquisitum non agit homo opera virtutis eo modo
quo virtuosus agit, scilicet prompte absque dubitatione et delectabiliter
absque difficultate.
13. La vertu est engendrйe par des actes qui
sont vertueux d’une certaine maniиre et non vertueux d’une autre. En effet,
les actes qui prйcиdent la vertu sont vertueux quant а l’action posйe, а
savoir, pour autant que l’homme accomplit des actes forts et justes ;
mais non quant au mode d’agir, car, avant que l’habitus de vertu ne soit
acquis, l’homme n’accomplit pas les actes de vertu de la maniиre dont le
vertueux les accomplit, а savoir, promptement, sans hйsitation, avec plaisir
et sans difficultй.
[65739] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio est nobilior virtute
generata in parte appetitiva, cum talis virtutis non sit nisi quaedam
participatio rationis. Actus igitur qui virtutem praecedit, potest causare
virtutem, in quantum est a ratione, a qua habet id quod perfectionis in ea
est. Imperfectio enim eius est in potentia appetitiva, in qua nondum est
causatus habitus, per quem homo delectabiliter et expedite id quod est ex
imperio rationis consequatur.
14. La raison est plus noble que la vertu
engendrйe dans la partie appйtitive, puisqu’une telle vertu n’est qu’une
participation а la raison. L’acte qui prйcиde la vertu peut donc causer la
vertu pour autant qu’il vient de la raison, de laquelle il tient ce qu’il y a
de perfection en elle. En effet, son imperfection se trouve dans la puissance
appйtitive oщ il n’y a pas encore d’habitus causй, par lequel l’homme suit
avec plaisir et rapidement ce qui vient du commandemenet de la raison.
[65740]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus dicitur esse
ultimum potentiae, non quia semper sit aliquid de essentia potentiae; sed
quia inclinat ad id quod ultimo potentia potest.
15. On dit que la vertu est le point ultime de
la puissance, non pas parce qu’elle est quelque chose de l’essence de la
puissance, mais parce qu’elle incline а ce qui est ultimement possible а la
puissance.
[65741] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod homo secundum naturam suam est
bonus secundum quid, non autem simpliciter. Ad hoc autem quod aliquid sit
bonum simpliciter, requiritur quod sit totaliter perfectum; sicut ad hoc quod
aliquid sit pulchrum simpliciter requiritur quod in nulla parte sit aliqua
deformitas vel turpitudo. Simpliciter autem et totaliter bonus dicitur
aliquis ex hoc quod habet voluntatem bonam, quia per voluntatem homo utitur
omnibus aliis potentiis. Et ideo bona voluntas facit hominem bonum
simpliciter; et propter hoc virtus appetitivae partis secundum quam voluntas
fit bona, est quae simpliciter bonum facit habentem.
16. L’homme est bon selon sa nature d’une
maniиre relative, et non pas absolue. Pour que quelque chose soit bon de
maniиre absolue, il est nйcessaire que cela soit entiиrement parfait, comme
pour que quelque chose soit beau de maniиre absolue, il est nйcessaire qu’il
n’y ait de difformitй ou de laideur dans aucune partie. On dit que quelqu’un
est bon de maniиre absolue et totale du fait qu’il a une volontй bonne, car
l’homme utilise toutes ses autres puissances par la volontй. C’est pourquoi
la volontй bonne rend l’homme bon de maniиre absolue. Et, pour cette raison,
la vertu de la partie appйtitive par laquelle la volontй est rendue bonne est
celle qui rend l’homme bon de maniиre absolue.
[65742]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod actus qui sunt
ante virtutem, possunt quidem dici naturales, secundum quod a naturali
ratione procedunt, prout naturale dividitur contra acquisitum; non autem
possunt naturales dici, prout naturale dividitur contra id quod est ex
ratione. Sic autem dicitur quod naturalia non dissuescimus neque assuescimus,
secundum quod natura contra rationem dividitur.
17. On peuet dire que les actes qui existent
avant la vertu sont naturels selon qu’ils procиdent de la raison naturelle,
selon que «naturel» est opposй а «acquis» ; mais on ne peut les appeler
naturels selon que «naturel» s’oppose а ce qui vient de la raison. On dit
ainsi que nous ne nous accoutumons pas а ce qui est naturel ni ne nous en
dйsaccoutumons, selon que «naturel» est opposй а la raison.
[65743] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod gratia dicitur esse forma virtutis
infusae; non tamen ita quod ei det esse specificum; sed in quantum per eam
informatur aliqualiter actus eius. Unde non oportet quod virtus politica sit
per infusionem gratiae.
18. On dit que la grвce est la forme de la
vertu infuse, non pas cependant parce qu’elle lui donne son кtre spйcifique,
mais pour autant que son acte reзoit d’elle sa forme. Aussi n’est-il pas
nйcessaire que la vertu politique exige l’infusion de la grвce.
[65744]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod virtus perficitur in
infirmitate, non quia infirmitas causat virtutem, sed quia dat occasionem
alicui virtuti, scilicet humilitati. Est etiam materia alicuius virtutis,
scilicet patientiae, et etiam caritatis, in quantum aliquis infirmitati
proximi subvenit. Et naturaliter est signum virtutis, quia tanto anima
virtuosior demonstratur, quanto infirmius corpus ad actum virtutis movet.
19.
La vertu se rйalise dans la faiblesse, non pas parce que la faiblesse cause
la vertu, mais parce qu’elle fournit l’occasion а une vertu, а savoir,
l’humilitй. Elle est aussi la matiиre d’une vertu, а savoir, la patience et
aussi la charitй, dans la mesure oщ quelqu’un vient au secours de la
faiblesse du prochain. Et elle est naturellement un signe de vertu parce que
plus une вme se montre vertueuse, plus elle meut а l’acte de vertu un corps
plus faible.
[65745] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod proprie loquendo non dicitur aliquid
alterari secundum quod adipiscitur propriam perfectionem. Unde, cum virtus sit
propria perfectio hominis, non dicitur homo alterari secundum quod acquirit
virtutem; nisi forte per accidens secundum quod immutatio sensibilis partis
animae in qua sunt animae passiones, pertinet ad virtutem.
20.
А proprement parler, on ne dit pas qu’une chose est altйrйe du fait qu’elle
obtient sa perfection propre. Puisque la vertu est la perfection propre de
l’homme, on ne dit donc pas que l’homme est altйrй du fait qu’il acquiert une
vertu, si ce n’est peut-кtre par accident, selon que le changement de la
partie sensible de l’вme, dans laquelle se trouvent les passions de l’вme,
relиve de la vertu.
[65746]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod homo potest dici
qualis vel secundum qualitatem quae est in parte intellectiva : et sic non
dicitur qualis ex naturali complexione corporis, neque ex impressione
corporis caelestis, cum pars intellectiva sit absoluta ab omni corpore; vel
potest dici homo qualis secundum dispositionem quae est in parte sensitiva :
quae quidem potest esse ex naturali complexione corporis, vel ex impressione
corporis caelestis. Tamen quia haec pars naturaliter obedit rationi, ideo
potest per assuetudinem diminui, vel totaliter tolli.
21.
On peut dire d’un homme qu’il est tel ou tel selon la qualitй qui se trouve
dans la partie intellective : ainsi, on ne dit pas qu’il est tel en raison de
la complexion de son corps, ni de l’influence d’un corps cйleste, puisque la
partie intellective est indйpendante de tout corps. Ou bien l’on peut dire
que l’homme est tel selon une disposition qui se trouve dans la partie
sensible, ce qui peut arriver en raison de la complexion de son corps ou de
l’influence d’un corps cйleste. Toutefois, puisque cette partie obйit
naturellement а la raison, c’est pourquoi elle peut кtre diminuйe ou
totalement enlevйe par l’habitude.
[65747] De virtutibus, q.
1 a. 9 ad 22 Et per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum; nam secundum
hanc dispositionem quae est in parte sensitiva, dicuntur aliqui habere
naturalem inclinationem ad vitium vel virtutem et cetera.
22. Par cela, la rйponse а la vingt-deuxiиme
objection ressort clairement, car selon la disposition qui se trouve dans la
partie sensible, on dit de certains qu’ils ont une inclination naturelle au
vice ou а la vertu, etc.
[65750] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 1 Quia in VII Physic. dicitur : unumquodque perfectum est
quando attingit propriam virtutem. Propria autem virtus uniuscuiusque est
eius naturalis perfectio. Ergo ad perfectionem hominis sufficit sibi virtus
connaturalis. Haec autem est quae per principia naturalia causari potest. Non
igitur requiritur ad perfectionem hominis quod habeat aliquam virtutem ex
infusione.
1. Car il est dit, dans Physique, VII :
«Chaque chose est parfaite lorsqu’elle atteint sa propre vertu.» Or, la vertu
propre de chaque chose est sa perfection naturelle. Une vertu qui lui est
connaturelle suffit donc а l’homme. Or, celle-ci est celle qui est causйe par
ses principes naturels. Il n’est donc pas nйcessaire pour la perfection de
l’homme qu’il reзoive quelque vertu par infusion.
[65751] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 2 Sed dicebatur, quod oportet hominem perfici per virtutem non solum in
ordine ad connaturalem finem, sed etiam in ordine ad supernaturalem, qui est
beatitudo vitae aeternae, ad quam ordinatur homo per virtutes infusas.- Sed
contra, natura non deficit in necessariis. Sed illud quo indiget homo ad
consecutionem ultimi finis, est sibi necessarium. Ergo hoc potest habere per
principia naturalia; non ergo indiget ad hoc infusione virtutis.
2. Mais on disait qu’il est nйcessaire que
l’homme soit perfectionnй par la vertu, non seulement par rapport а sa fin
connaturelle, mais aussi par rapport а [sa fin] surnaturelle, qui est la
bйatitude de la vie йternelle, а laquelle l’homme est ordonnйe par les vertus
infuses. – En sens contraire : : la nature
ne laisse pas dйpourvu pour les choses nйcessaires. Or, ce dont l’homme a
besoin pour obtenir sa fin ultime lui est nйcessaire. Il peut donc l’avoir
par ses principes naturels. L’homme n’a donc pas besoin pour cela de
l’infusion d’une vertu.
[65752] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 3 Praeterea, semen agit in virtute eius a quo emittitur. Aliter
enim semen animalis cum sit imperfectum, non posset sua actione perducere ad
speciem perfectam. Sed semina virtutum sunt nobis immissa a Deo; ut enim
dicitur in Glossa, Deus inseminavit omni animae initia intellectus et
sapientiae. Ergo huiusmodi semina agunt in virtute Dei. Cum igitur ex
huiusmodi seminibus causetur virtus acquisita, videtur quod virtus acquisita
possit ducere ad fruitionem Dei, in qua consistit beatitudo vitae aeternae.
3. La semence agit par la puissance de celui
dont elle provient. Autrement, la semence d’un animal, puisqu’elle est
imparfaite, ne pourrait conduire par son action а une espиce parfaite. Or,
les semences des vertus sont mises en nous par Dieu, comme il est dit dans la
Glose : «Dieu a semй en toute вme les commencements de l’intelligence et de
la sagesse.» Puisque la vertu acquise est causйe par les semences de ce
genre, il semble que la vertu acquise puisse mener а la jouissance de Dieu,
dans laquelle consiste la bйatitude de la vie йternelle.
[65753]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 4 Praeterea, virtus ordinat hominem ad beatitudinem
vitae aeternae, in quantum est actus meritorius. Sed actus virtutis
acquisitae potest esse meritorius vitae aeternae, si sit gratia informatus. Ergo ad beatitudinem vitae aeternae non est necessarium habere
virtutes infusas.
4. La vertu ordonne l’homme а la bйatitude de
la vie йternelle, pour autant qu’il s’agit d’un acte mйritoire. Or, l’acte de
la vertu acquise peut кtre mйritoire de la vie йternelle, s’il reзoit forme
de la grвce. Pour la bйatitude de la vie йternelle, il n’est donc pas
nйcessaire qu’il y ait des vertus infuses.
[65754] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 5 Praeterea, radix merendi
caritas est. Si igitur necessarium esset habere virtutes infusas ad merendum vitam
aeternam, videtur quod sola caritas sufficeret; et ita non oportet habere
aliquas alias virtutes infusas.
5. La racine du mйrite est la grвce. Si donc
il est nйcessaire de possйder des vertus infuses pour mйriter la vie
йternelle, il semble que seule la charitй suffirait. Et ainsi, il n’est pas
nйcessaire d’avoir d’autres vertus infuses.
[65755] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 6 Praeterea, virtutes morales necessariae sunt ad hoc quod inferiores
vires rationi subdantur. Sed per virtutes acquisitas sufficienter rationi
subduntur. Non ergo necessarium est quod sint aliquae virtutes infusae
morales ad hoc quod ratio ordinetur ad aliquem specialem finem; sed sufficit
quod ratio hominis in illum supernaturalem finem dirigatur. Hoc autem
sufficienter fit per fidem. Ergo non oportet habere aliquas alias virtutes
infusas.
6. Les vertus morales sont nйcessaires pour
que les puissances infйrieures soient soumises а la raison. Or, elles sont
suffisamment soumises а la raison par les vertus acquises. Il n’est donc pas
nйcessaire qu’il y ait des vertus morales infuses pour que la raison soit
ordonnйe а une fin particuliиre, mais la raison de l’homme suffit pour qu’il
soit orientй vers cette fin surnaturelle. Or, cela se rйalise suffisamment
par la foi. Il n’est donc pas nйcessaire de possйder d’autres vertus infuses.
[65756]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 7 Praeterea, id quod fit virtute divina, non differt
specie ab eo quod fit operatione naturae. Eadem enim specie est sanitas quam
aliquis miraculose recuperat, et quam natura operatur. Si igitur sit aliqua
virtus infusa, quae a Deo esset in nobis, et aliqua acquisita per actus
nostros, non propter hoc specie differrent; puta, si sit temperantia
acquisita, et temperantia infusa. Duae autem formae quae sunt unius speciei,
non possunt simul esse in eodem subiecto. Ergo non potest esse quod ille qui
habet temperantiam acquisitam, habeat temperantiam infusam.
7. Ce qui est rйalisй par la puissance divine
ne diffиre pas par l’espиce de ce qui est rйalisй par l’opйration de la
nature. En effet, la santй que quelqu’un retrouve miraculeusement est de mкme
espиce que celle que la nature rйalise. Si donc il existe une vertu infuse,
qui serait en nous par l’intervention de Dieu, et une [vertu] acquise par nos
actes, elles ne diffйreraient pas pour autant par l’espиce, par exemple, s’il
existe une tempйrance acquise et une tempйrance infuse. Or, deux formes d’une
seule espиce ne peuvent exister en mкme temps dans le mкme sujet. Il ne peut
donc pas se faire que celui qui possиde la tempйrance acquise possиde la
tempйrance infuse.
[65757]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 8 Praeterea, species virtutis ex actibus cognoscitur.
Sed sunt idem specie actus temperantiae infusae et acquisitae. Ergo et
virtutes specie eaedem. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in materia et
forma, sunt unius speciei. Sed actus temperantiae infusae et acquisitae conveniunt
in materia : uterque enim est circa delectabilia tactus; conveniunt etiam in
forma, quia uterque in medietate consistit. Ergo
actus temperantiae infusae et actus temperantiae acquisitae sunt eiusdem
speciei.
8.
L’espиce d’une vertu se reconnaоt а ses actes. Or, les actes de la tempйrance
infuse et de [la tempйrance] acquise sont identiques par leur espиce. Les
vertus sont donc les mкmes selon leur espиce. Dйmonstration de la mineure :
tout ce qui a les mкmes matiиre et forme est d’une mкme espиce. Or, les actes
de la tempйrance infuse et de [la tempйrance] acquise ont la mкme matiиre :
en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Ils ont aussi la mкme
forme, car les deux consistent dans un milieu. Les actes de la tempйrance
infuse et les actes de la tempйrance acquise sont donc de la mкme espиce.
[65758] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 9 Sed dicendum, quod differunt
specie, eo quod ordinantur ad alium et ad alium finem : ex fine enim sumuntur
species in moralibus. Sed contra, secundum id aliqua possunt specie differre
a quo sumitur species rei. Sed species in moralibus non sumitur a fine
ultimo, sed a fine proximo : aliter enim omnes virtutes essent unius speciei,
cum omnes ad beatitudinem ordinentur sicut ad ultimum finem. Ergo ex ordine
ad ultimum finem non possunt dici in moralibus aliqua esse eiusdem speciei,
vel specie differre; et ita temperantia infusa non differt specie a
temperantia acquisita, ex hoc quod ordinat hominem in beatitudinem altiorem.
9.
Mais elles diffиrent par l’espиce du fait qu’elles sont ordonnйes а une fin
diffйrente : en effet, l’espиce se prend de la fin en matiиre morale. En sens contraire : : certaines choses peuvent
diffйrer par l’espиce en raison de ce dont est tirйe l’espиce de la chose.
Or, l’espиce en matiиre morale n’est pas tirйe de la fin ultime, mais de la
fin prochaine, autrement, toutes les vertus auraient la mкme espиce, puisque
toutes sont ordonnйes а la bйatitude comme а la fin ultime. On ne peut donc
pas dire qu’en matiиre morale, certaines choses sont de la mкme espиce ou
diffиrent par l’espиce selon leur rapport а la fin ultime. Et ainsi, la
tempйrance infuse ne diffиre pas spйcifiquement de la tempйrance acquise par
le fait qu’elle ordonne l’homme а une bйatitude plus йlevйe.
[65759]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 10 Praeterea, nullus habitus moralis consequitur
speciem ex hoc quod ab aliquo habitu movetur. Contingit enim unum habitum
moralem moveri vel imperari a diversis secundum speciem; sicut habitus
intemperantiae movetur ab habitu avaritiae, cum quis moechatur ut furetur; ab
habitu autem crudelitatis, cum quis moechatur ut occidat. Et e converso
diversi habitus secundum speciem ab eodem habitu imperantur; puta cum unus
moechatur ut furetur, alter vero occidit ut furetur. Sed temperantia vel fortitudo,
aut aliqua aliarum virtutum moralium non habet actum ordinatum ad
beatitudinem vitae aeternae, nisi in quantum imperatur a virtute quae ultimum
finem habet pro obiecto. Ergo ex hoc non consequitur speciem; et ita per hoc
virtus infusa moralis non differt specie a virtute acquisita per hoc quod
ordinatur ad finem vitae aeternae.
10.
Aucun habitus moral n’obtient son espиce par le fait qu’il est mы par un
autre habitus. En effet, il arrive qu’un habitus moral soit mы ou commandй
par des [habitus] diffйrents selon leur espиce, comme l’habitus
d’intempйrance est mы par l’habitus d’avarice, lorsque quelqu’un commet
l’adultиre en vue de voler; et par l’habitus de la cruautй, lorsque quelqu’un
commet l’adultиre en vue de tuer. En sens inverse, des habitus diffйrents
selon l’espиce sont commandйs par le mкme habitus, par exemple, lorsqu’un
homme commet l’adultиre pour voler, et qu’un autre tue pour voler. Or, l’acte
de la tempйrance ou de la force, ou d’aucune autre vertu morale, n’est
ordonnй а la bйatitude de la vie йternelle que dans la mesure oщ il est
commandй par la vertu qui a pour objet la vie йternelle. Il ne reзoit donc
pas par lа son espиce. Et ainsi, la vertu morale infuse ne diffиre pas
spйcifiquement de la vertu acquise par le fait qu’elle est ordonnйe а la fin
de la vie йternelle.
[65760] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 11 Praeterea, virtus infusa est in mente sicut in subiecto :
dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis, quam Deus in
nobis sine nobis operatur. Sed virtutes morales non sunt in mente sicut in
subiecto : nam temperantia et fortitudo sunt irrationabilium partium, ut
philosophus dicit III Ethic. Ergo virtutes morales non sunt infusae.
11.
La vertu infuse se trouve dans l’esprit comme dans son sujet. En effet,
Augustin dit que la vertu est une bonne qualitй de l’esprit, que Dieu rйalise
en nous sans nous. Or, les vertus morales ne se trouvent pas dans l’esprit
comme dans leur sujet, car la tempйrance et la force appartiennent aux
parties non raisonnables, comme le dit le Philosophe dans Йthique, III.
Les vertus morales ne sont donc pas infuses.
[65761] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 12 Praeterea,
contraria sunt unius rationis. Sed vitium quod est contrarium virtuti,
nunquam infunditur, sed solum ex actibus nostris causatur. Ergo nec virtutes
infunduntur, sed solum ex actibus nostris causantur.
12.
Les contraires relиvent d’une seule raison. Or, le vice, qui est le contraire
de la vertu, n’est jamais infus, mais est causй par nos actes seulement. Les
vertus ne sont donc pas non plus infuses, mais sont causйes par nos seuls
actes.
[65762] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 13 Praeterea, homo ante acquisitionem virtutis est in potentia
ad virtutes. Sed potentia et actus sunt unius generis : omne enim genus
dividitur per potentiam et actum, ut patet in III Physic. Cum ergo potentia ad virtutem non sit ex infusione, videtur quod nec
virtus ex infusione sit.
13.
Avant l’acquisition de la vertu, l’homme est en puissance par rapport а la
vertu. Or, la puissance et l’acte appartiennent au mкme genre : en effet,
tout genre se divise en puissance et en acte, comme cela ressort clairement
de Physique, III. Puisque la puissance а la vertu ne vient pas d’une
infusion, il semble donc que la vertu non plus ne vienne pas d’une infusion.
[65763]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 14 Praeterea, si virtutes infunduntur, oportet quod
simul infunduntur. Cum gratia autem infunditur homini qui in peccato fuit, in
actu; tunc non infunduntur sibi habitus virtutum moralium : adhuc enim post
contritionem patitur passionum molestias; quod non est virtuosi, sed forte
continentis : differt enim continens a temperato per hoc quod continens
patitur quidem, sed non deducitur; temperatus autem non patitur, ut dicitur
in VII Ethic. Ergo videtur quod virtutes non sint nobis ex infusione gratiae.
14.
Si les vertus sont infusйes, il est nйcessaire qu’elles soient infusйes en
mкme temps. Or, lorsque la grвce est infusйe dans l’homme qui йtait pйcheur
en acte, les habitus des vertus morales ne sont pas infusйes en lui : en effet,
aprиs la contrition, il souffre encore des tiraillements des passions, ce qui
n’est pas le fait de l’homme vertueux, mais peut-кtre de celui qui est
continent. En effet, l’homme continent diffиre de celui qui est tempйrant par
le fait que l’homme continent souffre, mais ne cиde pas, alors que celui qui
est tempйrant ne souffre pas, comme il est dit dans Йthique, VII. Il
semble donc que les vertus ne se trouvent pas en nous par infusion de la
grвce.
[65764] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 15 Praeterea, dicit philosophus
II Ethic., quod signum generati habitus oportet accipere fientem in
operatione delectationem. Sed post contritionem non statim delectabiliter
aliquis operatur ea quae sunt virtutum moralium. Ergo nondum habet habitum
virtutum; non ergo virtutes morales causantur in nobis ex infusione gratiae.
15.
Le Philosophe dit, dans Йthique, II, que le signe de l’habitus
engendrй est que celui qui agit trouve plaisir dans l’action. Or, aprиs la
contrition, quelqu’un n’accomplit pas aussitфt avec plaisir ce qui relиve des
vertus morales. Il ne possиde donc pas encore l’habitus des vertus. Les
vertus morales ne sont donc pas causйes en nous par l’infusion de la grвce.
[65765]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 16 Praeterea, ponamus quod in aliquo ex multis actibus
malis causatus sit aliquis habitus vitiosus : manifestum est quod in uno actu
contritionis dimittuntur sibi peccata et infunditur gratia. Per unum autem
actum non destruitur habitus acquisitus, sicut nec per unum generatur. Cum
igitur cum gratia simul infundantur virtutes morales, sequitur quod habitus
virtutis moralis simul sit cum habitu vitii oppositi; quod est impossibile.
16.
Supposons que, chez quelqu’un, ait йtй causй par de nombreux actes mauvais un
habitus vicieux. Il est clair que, par un acte de contrition, ses pйchйs lui
sont remis et que la grвce est infusйe. Or, l’habitus acquis n’est pas
dйtruit par un seul acte, de mкme qu’il n’est pas engendrй par un seul.
Puisque les vertus morales sont infusйes en mкme temps que la grвce, il en dйcoule
que l’habitus d’une vertu morale existe en mкme temps que l’habitus du vice
opposй, ce qui est impossible.
[65766] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 17 Praeterea, ex eodem generatur virtus et corrumpitur, ut
dicitur III Ethic. Si igitur virtus non causetur in nobis ex actibus nostris,
videtur sequi quod neque ex actibus nostris corrumpatur; et ita sequitur quod
aliquis peccando mortaliter non amittat virtutem : quod est inconveniens.
17.
La vertu est engendrйe et corrompue par la mкme chose, comme il est dit dans Йthique,
III. Si donc la vertu n’est pas causйe en nous par nos actes, il semble
en dйcouler qu’elle n’est pas non plus corrompue par nos actes. Il en dйcoule
ainsi que quelqu’un ne perd pas la vertu en pйchant mortellement, ce qui est
incorrect.
[65767]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 18 Praeterea, idem videtur esse mos et consuetudo. Ergo
et eadem est virtus moralis et consuetudinalis. Sed virtus consuetudinalis
dicitur ex consuetudine; causatur enim ex frequenti bene agere. Ergo omnis
virtus moralis causatur ex actibus, et non ex infusione gratiae.
18.
La coutume [mos, moris] et l’habitude semblent кtre la mкme
chose. Et donc aussi, la vertu morale et l’habitude. Or, la vertu est dite
habituelle а partir de l’habitude : en effet, elle est causйe par le fait de
bien agir frйquemment. Toute vertu morale est donc causйe par nos actes, et
non par l’infusion de la grвce.
[65768] De virtutibus, q.
1 a. 10 arg. 19 Praeterea, si aliquae virtutes sunt infusae, oportet quod
earum actus sint efficaciores quam actus hominis non habentis virtutes. Sed
ex huiusmodi actibus causatur aliquis habitus virtutis in nobis. Ergo et ex
actibus virtutum infusarum, si aliquae sunt tales. Sed sicut dicitur II
Ethic., quales sunt habitus, tales actus reddunt; et quales sunt actus, tales
habitus causant. Habitus igitur causati ex actibus virtutum infusarum, sunt
eiusdem speciei cum virtutibus infusis. Sequitur igitur quod duae formae
eiusdem speciei sunt simul in eodem subiecto. Hoc est autem impossibile. Ergo
impossibile videtur quod sint in nobis aliquae virtutes infusae.
19.
Si certaines vertus sont infuses, il est nйcessaire que leurs actes soient
plus efficaces que les actes d’un homme qui n’a pas [ces] vertus. Or, un
habitus de vertu est causй en nous par les actes de ce genre, et donc aussi
par les actes des vertus infuses, s’il en existe. Or, il est dit dans Йthique,
II, que tels sont les habitus, tels ils rendent les actes; et que tels
sont les actes, tels habitus ils causent. Les habitus causйs par les actes
des vertus infuses sont donc de la mкme espиce que les vertus infuses. Il en
dйcoule donc que deux formes de mкme espиce existent en mкme temps dans le
mкme sujet. Or, cela est impossible. Il semble donc impossible qu’il existe
en nous des vertus infuses.
1.
Il est dit en Lc 24, 49 : Demeurez ici dans la ville, jusqu’а ce
que vous soyez revкtus d’une vertu venue d’en haut.
[65770]
De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Sap., VIII, 7, de divina sapientia
dicitur, quod sobrietatem et iustitiam docet, et cetera. Docet autem spiritus sapientiae virtutem, eam causando. Ergo videtur quod
virtutes morales sint nobis infusae a Deo.
2.
Il est dit de la sagesse divine, dans Sg 8, 7, qu’elle enseigne la
sobriйtй et la justice, etc. Or, l’Esprit de sagesse enseigne la vertu en la
causant. Il semble donc que les vertus morales soient infusйes en nous par
Dieu.
[65771] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 3 Praeterea, actus virtutum
quarumlibet debent esse meritorii, ad hoc quod per eas in beatitudinem
ducamur. Sed
meritum non potest esse nisi ex gratia. Ergo videtur quod virtutes causantur
in nobis ex infusione gratiae.
3.
Les actes de toutes les vertus doivent кtre mйritoires pour que nous soyons
conduits par elles а la bйatitude. Or, le mйrite ne peut venir que de la
grвce. Il semble donc que les vertus soient causйes en nous par l’infusion de
la grвce.
Rйponse
:
[65772]
De virtutibus, q. 1 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod praeter virtutes
acquisitas ex actibus nostris, sicut iam dictum est, oportet ponere alias
virtutes in homine a Deo infusas. Cuius ratio hinc accipi potest, quod
virtus, ut dicit philosophus, est quae bonum facit habentem, et opus eius
bonum reddit. Secundum igitur quod bonum diversificatur in homine, oportet
etiam quod et virtus diversificetur; sicut patet quod aliud est bonum hominis
in quantum et homo, et aliud in quantum civis. Et manifestum est quod aliquae
operationes possent esse convenientes homini in quantum est homo, quae non
essent convenientes ei secundum quod est civis. Et propter hoc philosophus
dicit in III Politic., quod alia est virtus quae facit hominem bonum, et alia
quae facit civem bonum. Considerandum est autem, quod est duplex hominis
bonum; unum quidem quod est proportionatum suae naturae; aliud autem quod
suae naturae facultatem excedit. Cuius ratio est, quia oportet quod passivum
consequatur perfectiones ab agente diversimode secundum diversitatem virtutis
agentis; unde videmus quod perfectiones et formae quae causantur ex actione
naturalis agentis, non excedunt naturalem facultatem recipientis : potentiae
enim passivae naturali proportionatur virtus activa naturalis. Sed perfectiones
et formae quae proveniunt ab agente supernaturali infinitae virtutis, quod
Deus est, excedunt facultatem naturae recipientis. Unde anima rationalis,
quae immediate a Deo causatur, excedit capacitatem suae materiae, ita quod
materia corporalis non totaliter potest comprehendere et includere ipsam; sed
remanet aliqua virtus eius et operatio in qua non communicat materia
corporalis; quod non contingit de aliqua aliarum formarum quae causantur ab
agentibus naturalibus. Sicut autem homo suam primam perfectionem, scilicet
animam, acquirit ex actione Dei; ita et ultimam suam perfectionem, quae est
perfecta hominis felicitas, immediate habet a Deo, et in ipso quiescit : quod
quidem ex hoc patet quod naturale hominis desiderium in ullo alio quietari
potest, nisi in solo Deo. Innatum est enim homini ut ex causatis desiderio
quodam moveatur ad inquirendum causas; nec quiescit istud desiderium quousque
perventum fuerit ad primam causam, quae Deus est. Oportet igitur quod, sicut
prima perfectio hominis, quae est anima rationalis, excedit facultatem
materiae corporalis; ita ultima perfectio ad quam homo potest pervenire, quae
est beatitudo vitae aeternae, excedat facultatem totius humanae naturae. Et
quia unumquodque ordinatur ad finem per operationem aliquam; et ea quae sunt
ad finem, oportet esse aliqualiter fini proportionata; necessarium est esse
aliquas hominis perfectiones quibus ordinetur ad finem supernaturalem, quae
excedant facultatem principiorum naturalium hominis. Hoc autem esse non
posset, nisi supra principia naturalia aliqua supernaturalia operationum
principia homini infundantur a Deo. Naturalia autem operationum principia
sunt essentia animae, et potentiae eius, scilicet intellectus et voluntas,
quae sunt principia operationum hominis, in quantum huiusmodi; nec hoc esse
posset, nisi intellectus haberet cognitionem principiorum per quae in aliis
dirigeretur, et nisi voluntas haberet naturalem inclinationem ad bonum
naturae sibi proportionatum; sicut in praecedenti quaestione dictum est.
Infunditur igitur divinitus homini ad peragendas actiones ordinatas in finem
vitae aeternae primo quidem gratia, per quam habet anima quoddam spirituale
esse, et deinde fides, spes et caritas; ut per fidem intellectus illuminetur
de aliquibus supernaturalibus cognoscendis, quae se habent in isto ordine
sicut principia naturaliter cognita in ordine connaturalium operationum; per
spem autem et caritatem acquirit voluntas quamdam inclinationem in illud
bonum supernaturale ad quod voluntas humana per naturalem inclinationem non sufficienter
ordinatur. Et sicut praeter ista principia naturalia requiruntur habitus
virtutum ad perfectionem hominis secundum modum sibi connaturalem, ut supra
dictum est; ita ex divina influentia consequitur homo, praeter praemissa
supernaturalia principia, aliquas virtutes infusas, quibus perficitur ad
operationes ordinandas in finem vitae aeternae.
En
plus des vertus acquises par nos actes, comme on l’a dйjа dit, il est
nйcessaire d’admettre d’autres vertus infusйes dans l’homme par Dieu. La
raison peut en кtre saisie а partir du fait que, comme le dit le Philosophe,
c’est la vertu qui rend bon celui qui la possиde et qui rend bon son acte.
Selon que le bien se diffйrencie dans l’homme, il est donc nйcessaire que la
vertu aussi se diffйrencie, comme il est clair qu’il existe un bien de
l’homme en tant qu’homme, et un autre en tant qu’il est citoyen. Et il est
clair que certaines opйrations peuvent convenir а l’homme en tant qu’il est
homme, qui ne lui conviendraient pas en tant qu’il est citoyen. Pour cette
raison, le Philosophe dit, dans Politique, III, qu’autre est la vertu
qui rend l’homme bon, et autre celle qui fait le bon citoyen. Or, il faut
observer qu’il existe un double bien de l’homme : l’un qui est proportionnй а
sa nature; l’autre qui dйpasse la capacitй de sa nature. La raison en est
qu’il est nйcessaire que ce qui reзoit reзoive les perfections de l’agent de
maniиre diffйrente selon la diversitй de la puissance de l’agent. Ainsi
voyons-nous que les perfections et les formes qui sont causйes par l’action
d’un agent naturel ne dйpassent pas la capacitй naturelle de ce qui reзoit :
en effet, la puissance active naturelle est proportionnйe а la puissance
passive naturelle. Or, les perfections et les formes qui viennent d’un agent
surnaturel d’une puissance infinie, qui est Dieu, dйpassent la capacitй de la
nature de celui qui reзoit. Aussi l’вme raisonnable, qui est immйdiatement
causйe par Dieu, dйpasse-t-elle la capacitй de sa matiиre, de telle sorte que
la matiиre corporelle ne peut l’embrasser et l’enclore totalement, mais qu’il
demeure en elle une certaine puissance et opйration que ne partage pas la
matiиre corporelle; ce qui ne se produit pas pour l’une des autres formes qui
sont causйes par les agents naturels. De mкme donc que l’homme reзoit sa
premiиre perfection, а savoir, son вme, par l’action de Dieu, de mкme,
tient-il immйdiatement de Dieu et se repose-t-il en lui pour sa perfection
ultime, qui est la parfaite fйlicitй de l’homme. Pour sыr, cela ressort
clairement dans le fait que le dйsir naturel de l’homme ne peut se reposer en
personne d’autre qu’en Dieu seul. En effet, il est innй а l’homme d’кtre mы
par un certain dйsir а rechercher la cause а partir des choses causйes, et ce
dйsir ne se repose pas avant d’кtre parvenu а la cause premiиre, qui est
Dieu. Il est donc nйcessaire que, de mкme que la premiиre perfection de
l’homme, qui est l’вme raisonnable, dйpasse la capacitй de la matiиre
corporelle, de mкme, la perfection ultime а la quelle l’homme peut parvenir,
et qui est la bйatitude de la vie йternelle, dйpasse la capacitй de toute la
nature humaine. Et parce que toute chose est ordonnйe а sa fin par une
opйration, et que ce qui est ordonnй а une fin doit d’une certaine maniиre
кtre proportionnй а la fin, il est nйcessaire qu’il existe certaines
perfections de l’homme par lesquelles il est sera ordonnй а sa fin
surnaturelle, [perfections] qui dйpassent la capacitй des principes naturels
de l’homme. Or, cela ne peut se faire que si, en plus des principes naturels,
certains principes surnaturels de ses opйrations sont infusйs dans l’homme
par Dieu. Or, les principes naturels des opйrations sont l’essence de l’вme
et ses puissances, а savoir, l’intellect et la volontй, qui sont les
principes des opйrations de l’homme en tant que tel; et cela ne pourrait pas
non plus exister si l’intellect n’avait une connaissance des principes par
lesquels elle sera dirigйe vers d’autres choses, et si la volontй n’avait une
inclination naturelle au bien naturel qui lui est proportionnй, comme on l’a
dit dans la question prйcйdente. Premiиrement, Dieu infuse donc dans l’homme,
pour qu’il accomplise les actions ordonnйes а la fin de la vie йternelle, la
grвce, par laquelle l’вme obtient, en quelque sorte, d’exister
spirituellement; puis la foi, l’espйrance et la charitй, afin que, par la
foi, l’intellect soit йclairй sur certaines rйalitйs surnaturelles qu’il doit
connaоtre, qui jouent dans cet ordre le rфle des principes connus
naturellement dans l’ordre des opйrations connaturelles; par l’espйrance et
par la charitй, la volontй acquiert une certaine inclination vers ce bien
surnaturel auquel la volontй humaine n’est pas suffisamment ordonnйe par
inclination naturelle. Et de mкme qu’en plus de ces principes naturels, sont
requis les habitus des vertus pour la perfection de l’homme selon un mode qui
lui est connaturel, comme on l’a dit plus haut, de mкme, par une imprйgnation
[influentia] divine, l’homme obtient-il, en plus des principes
surnaturels dйjа mentionnйs, des vertus infuses, par lesquelles il est perfectionnй
en vue d’ordonner ses opйrations vers la fin de la vie йternelle.
Solutions :
[65773]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut secundum primam
perfectionem homo est perfectus dupliciter; uno modo secundum nutritivam et
sensitivam, quae quidem perfectio non excedit capacitatem materiae
corporalis; alio modo secundum partem intellectivam, quae naturalem et
corporalem excedit : et secundum hanc simpliciter est homo perfectus, primo
autem modo secundum quid; ita et quantum ad perfectionem finis, dupliciter
homo potest esse perfectus : uno modo secundum capacitatem suae naturae, alio
modo secundum quamdam supernaturalem perfectionem : et sic dicitur homo
perfectus esse simpliciter; primo autem modo secundum quid. Unde duplex competit
virtus homini; una quae respondet primae perfectioni, quae non est completa
virtus; alia quae respondet suae perfectioni ultimae : et haec est vera et
perfecta hominis virtus.
1.
Selon la premiиre perfection de l’homme, l’homme est parfait de deux maniиres
: l’une, selon [les parties] nutritive et sensible, perfection qui ne dйpasse
pas la capacitй de la matiиre corporelle; l’autre, selon la partie
intellective, qui dйpasse [la partie] naturelle et corporelle, l’homme йtant,
selon celle-ci, tout simplement parfait, alors que, selon le premier mode,
[il ne l’est que] de maniиre relative. De mкme, quant а la perfection de la
fin, l’homme peut кtre parfait de deux maniиres : l’une, selon la capacitй de
sa nature; l’autre, selon une certaine perfection surnaturelle. De cette
[seconde] maniиre, l’homme est appelй tout simplement parfait, mais de la
premiиre maniиre, de maniиre relative. Aussi une double vertu se
rencontre-t-elle chez l’homme : l’une, qui rйpond а la premiиre perfection,
qui n’est pas un vertu complиte; l’autre, qui rйpond а sa perfection ultime,
et celle-ci est la vйritable et parfaite vertu de l’homme.
[65774]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura providit homini in
necessariis secundum suam virtutem; unde respectu eorum quae facultatem
naturae non excedunt, habet homo a natura non solum principia receptiva, sed
etiam principia activa. Respectu autem eorum quae facultatem naturae
excedunt, habet homo a natura aptitudinem ad recipiendum.
2.
La nature pourvoit l’homme du nйcessaire selon sa nature. Aussi, par rapport
а ce qui ne dйpasse pas la capacitй de la nature, l’homme possиde-t-il par
nature, non seulement des principes rйceptifs, mais aussi des principes
actifs. Mais par rapport а ce qui dйpasse la capacitй de la nature, l’homme
reзoit de la nature une aptitude а recevoir.
[65775] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod semen
hominis agit secundum totam virtutem hominis. Semina autem virtutum animae
humanae naturaliter indita non agunt secundum totam virtutem Dei; unde non
sequitur quod ex eis possit causari quidquid potest causare Deus.
3.
La semence de l’homme agit selon toute la puissance de l’homme. Mais les
semences naturellement innйes des vertus de l’вme humaine n’agissent pas
selon toute la puissance de Dieu. Aussi n’en dйcoule-t-il pas que puisse кtre
causй par elles tout ce que Dieu peut causer.
[65776]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum nullum meritum sit
sine caritate, actus virtutis acquisitae, non potest esse meritorius sine
caritate. Cum caritate autem simul infunduntur aliae virtutes; unde actus
virtutis acquisitae non potest esse meritorius nisi mediante virtute infusa.
Nam virtus ordinata in finem inferiorem non facit actus ordinatum ad finem
superiorem, nisi mediante virtute superiori; sicut fortitudo, quae est virtus
hominis qua homo, non ordinat actum suum ad bonum politicum, nisi mediante
fortitudine quae est virtus hominis in quantum est civis.
4.
Comme il n’existe aucun mйrite sans la charitй, l’acte de la vertu acquise ne
peut кtre mйritoire sans la charitй. Mais, avec la charitй, sont infusйes les
autres vertus; aussi l’acte de la vertu acquise ne peut-il кtre mйritoire que
par l’intermйdiaire de la vertu infuse. Car la vertu ordonnйe а une fin
infйrieure ne produit pas un acte ordonnй а une fin supйrieure, si ce n’est
par l’intermйdiaire d’une vertu supйrieure, comme la force, qui est une vertu
de l’homme en tant qu’homme, n’ordonne son acte au bien politique que par
l’intermйdiaire de la force qui une vertu de l’homme en tant que citoyen.
[65777] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando aliqua actio procedit ex
pluribus agentibus ad invicem ordinatis, eius perfectio et bonitas impediri
potest per impedimentum unius agentium, etiam si aliud fuerit perfectum :
quantumcumque enim artifex sit perfectus, non faciet operationem perfectam,
si instrumentum fuerit defectivum. In operationibus autem hominis quas
oportet bonas fieri per virtutem, hoc considerandum est : quod actio superioris
potentiae non dependet ab inferiori potentia; sed actio inferioris dependet a
superiori. Et ideo ad hoc quod actus inferiorum virium sint perfecti,
scilicet irascibilis et concupiscibilis, requiritur quod non solum
intellectus sit ordinatus in finem ultimum per fidem, et voluntas per
caritatem; sed etiam quod inferiores vires, scilicet irascibilis et
concupiscibilis, habeant proprias operationes, ad hoc quod earum actus sint
boni, et ordinabiles in finem ultimum.
5. Lorsqu’une action est issue de plusieurs
agents ordonnйs les uns aux autres, sa perfection et sa bontй peuvent кtre
empкchйes par l’empкchement d’un seul des agents, mкme si un autre est
parfait : en effet, aussi parfait que soit l’artisan, il ne fera pas une
opйration parfaite si l’instrument est dйficient. Or, dans les opйrations de
l’homme qui peuvent кtre rendues bonnes par la vertu, il faut observer que
l’action de la puissance supйrieure ne dйpend pas d’une puissance infйrieure,
mais que l’action d’une [puissance] infйrieure dйpend d’une [puissance]
supйrieure. C’est pourquoi, pour que les actes des puissances infйrieures, а
savoir, l’irascible et le concupiscible, soient parfaits, il est nйcessaire,
non seulement que la foi soit ordonnйe а la fin ultime par la foi et la
volontй par la charitй, mais aussi que les puissances infйrieures, а savoir
l’irascible et le concupiscible, aient leurs opйrations propres, pour que
leurs actes soient bons et puissent кtre ordonnйs а la fin ultime.
6. La solution а la sixiиme objection est
ainsi claire.
[65779] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod omnem formam quam operatur natura, potest etiam eamdem specie Deus
operari per seipsum sine operatione naturae : et secundum hoc, sanitas quae a
Deo miraculose perficitur, est eiusdem speciei cum sanitate quam facit
natura. Unde non sequitur quod omnem formam quam Deus potest facere, possit
etiam natura perficere; unde non oportet quod virtus infusa, quae est immediate
a Deo, sit eiusdem speciei cum virtute acquisita.
7.
Dieu peut rйaliser par lui-mкme, sans opйration de la nature, toute forme que
la nature rйalise. Et ainsi, la santй qui est miraculeusement rйalisйe par
Dieu est de la mкme espиce que la santй que rйalise la nature. Aussi n’en
dйcoule-t-il pas que la nature puisse rйaliser toute forme que Dieu peut
faire. Il n’est pas nйcessaire que la vertu infuse, qui vient immйdiatement
de Dieu, soit de la mкme espиce que la vertu acquise.
[65780] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod temperantia infusa et acquisita
conveniunt in materia, utraque enim est circa delectabilia tactus; sed non
conveniunt in forma effectus vel actus : licet enim utraque quaerat medium,
tamen alia ratione requirit medium temperantia infusa quam temperantia
acquisita. Nam temperantia infusa exquirit medium
secundum rationes legis divinae, quae accipiuntur ex ordine ad ultimum finem;
temperantia autem acquisita accipit medium secundum inferiores rationes, in
ordine ad bonum praesentis vitae.
8.
La temperance infuse et [la tempйrance] acquise ont en commun une matiиre :
en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Mais elles n’ont pas
en commun la forme de l’effet ou de l’acte. En effet, bien que les deux recherchent
un milieu, la tempйrance infuse recherche un milieu pour une autre raison que
la tempйrance acquise. Car la tempйrance infuse recherche un milieu selon les
raisons de la loi divine, qui sont prises de l’ordre а la fin ultime; mais la
tempйrance acquise reзoit un milieu selon des raison infйrieures, par rapport
au bien de la vie prйsente.
[65781]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ultimus finis non dat
speciem in moralibus nisi quatenus in fine proximo est debita proportio ad ultimum
finem; oportet enim ea quae sunt ad finem, esse proportionata fini. Et hoc
etiam bonitas consilii requirit, ut quis convenienti medio finem sortiatur,
ut patet per philosophum VI Metaph.
9.
La fin ultime ne donne pas l’espиce en matiиre morale si ce n’est dans la
mesure oщ, dans la fin prochaine, existe une proportion adйquate а la fin
ultime : en effet, il est nйcessaire que ce qui est ordonnй а la fin soit
proportionnй а la fin. Et la bontй du conseil exige aussi cela, afin que
quelqu’un atteigne la fin par un moyen convenable, comme cela ressort
clairement de ce que dit le Philosophe dans Mйtaphysique, VI.
[65782]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod actus alicuius habitus,
prout imperatur ab illo habitu, accipit quidem speciem moralem, formaliter
loquendo, de ipso actu; unde cum quis fornicatur ut furetur, actus iste licet
materialiter sit intemperantiae, tamen formaliter est avaritiae. Sed licet
actus intemperantiae accipiat aliqualiter speciem, prout imperatur ab
avaritia; non tamen ex hoc intemperantia speciem accipit secundum quod actus
est ab avaritia imperatus. Ex hoc ergo quod actus temperantiae vel
fortitudinis imperantur a caritate ordinante eos in ultimum finem; ipsi
quidem actus formaliter speciem sortiuntur : nam formaliter loquendo fiunt
actus caritatis; non tamen ex hoc sequeretur quod temperantia vel fortitudo
speciem sortiantur. Non igitur temperantia et fortitudo infusae differunt
specie ab acquisitis ex hoc quod imperantur a caritate earum actus; sed ex
hoc quod earum actus secundum eam rationem sunt in medio constituti, prout
ordinabiles ad ultimum finem qui est caritatis obiectum.
10.
L’acte d’un habitus, pour autant qu’il est commandй par cet habitus, reзoit
son espиce morale, а parler formellement, de l’acte lui-mкme. Aussi, lorsque
quelqu’un fornique en vue de voler, cet acte, bien qu’il soit matйriellement
un acte d’intempйrance, est cependant formellement un acte d’avarice. Mais
bien que l’acte d’intempйrance reзoive d’une certaine faзon son espиce pour autant
qu’il est commandй par l’avarice, l’intempйrance ne reзoit cependant pas son
espиce par le fait que l’acte est commandй par l’avarice. Du fait qu’un acte
de tempйrance ou de force est commandй par la charitй qui les ordonne а la
fin ultime, ces actes mкmes reзoivent formellement leur espаce, car, а parler
formellement, ils deviennent des actes de charitй; toutefois il n’en
dйcoulerait pas que la tempйrance ou la force en reзoivent leur espиce. La
tempйrance et la force infuses ne diffиrent donc pas spйcifiquement de [la
tempйrance et de la force] acquises par le fait que leurs actes sont
commandйs par la charitй, mais par le fait que leurs actes sont йtablis selon
la raison dans un milieu, consitant en ce qu’ils peuvent кtre ordonnйs а la
fin ultime qui est l’objet de la charitй.
[65783] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod temperantia infusa est in
irascibili, irascibilis autem et concupiscibilis sic accipiunt nomen rationis
vel rationalis, in quantum participant aliqualiter ratione, in quantum
obediunt ei. Illa ergo secundum eumdem modum accipiunt nomen mentis, prout
obediunt menti; ut verum sit quod Augustinus dicit, quod virtus infusa est
bona qualitas mentis.
11.
La tempйrance infuse se trouve dans l’irascible, mais l’irascible et le
concupiscible prennent le nom de raison ou de raisonnable pour autant qu’ils
participant d’une certaine maniиre а la raison, dans la mesure oщ ils lui
obйissent. De la mкme maniиre, les choses qui obйissent а l’esprit prennent
le nom d’esprit, de sorte que ce que dit Augustin est vrai, que la vertu
infuse est une bonne qualitй de l’esprit.
[65784] De
virtutibus, q. 1 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod vitium hominis est per hoc quod ad
inferiora reducitur; sed virtus eius est per hoc quod in superiora elevatur;
et ideo vitium non potest esse ex infusione, sed solum virtus.
12. Le vice de l’homme consiste en ce qu’il
soit ramenй aux choses infйrieures. Mais sa vertu consiste en ce par quoi il
est йlevй aux choses supйrieures. C’est pourquoi il ne peut y avoir de vice
par infusion, mais seulement une vertu.
[65785]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quando aliquod
passivum natum est consequi diversas perfectiones a diversis agentibus
ordinatis, secundum differentiam et ordinem potentiarum activarum in
agentibus, est differentia et ordo potentiarum passivarum in passivo; quia
potentiae passivae respondet potentia activa : sicut patet quod aqua vel
terra habet aliquam potentiam secundum quam nata est moveri ab igne; et aliam
secundum quam nata est moveri a corpore caelesti; et ulterius aliam secundum
quam nata est moveri a Deo. Sicut enim ex aqua vel terra potest aliquid fieri
virtute corporis caelestis, quod non potest fieri virtute ignis; ita ex eis
potest aliquid fieri virtute supernaturalis agentis quod non potest fieri
virtute alicuius naturalis agentis; et secundum hoc dicimus, quod in tota
creatura est quaedam obedientialis potentia, prout tota creatura obedit Deo
ad suscipiendum in se quidquid Deus voluerit. Sic igitur et in anima est
aliquid in potentia, quod natum est reduci in actum ab agente connaturali; et
hoc modo sunt in potentia in ipsa virtutes acquisitae. Alio modo aliquid est in potentia in anima quod non est natum educi in
actum nisi per virtutem divinam; et sic sunt in potentia in anima virtutes
infusae.
13.
Lorsque ce qui est passif est destinй а recevoir diverses perfections de
divers agents ordonnйs, il existe dans ce qui est passif une diffйrence et un
ordre entre les puissances passives, conforme а la diffйrence et а l’ordre
des puissances actives, car la puissance active correspond а la puissance
passive. Ainsi, il est clair que l’eau ou la terre possиdent une certaine
puissance qui les destine а кtre mues par le feu, une autre selon laquelle elles
sont destinйes а кtre mues par un corps cйleste, et une autre encore selon
laquelle elles sont destinйes а кtre mues par Dieu. En effet, de mкme que
quelque chose peut кtre fait а partir de l’eau ou de la terre par la
puissance d’un corps cйleste, qui ne peut кtre rйalisй par la puissance du
feu, de mкme quelque chose peut кtre rйalisй par la puissance d’un agent
surnaturel, qui ne peut кtre accompli par la puissance d’un agent naturel.
Pour cette raison, nous disons qu’en toute crйature, existe une certaine
puissance obйdientielle, au sens oщ toute crйature obйit а Dieu pour recevoir
en elle tout ce que Dieu voudra. Ainsi donc, il existe aussi dans l’вme
quelque chose en puissance, qui est destinй а кtre amenй а l’acte par un
agent connaturel, et, de cette maniиre, les vertus acquises existent en
puissance en elle. D’une autre maniиre, il existe dans l’вme quelque chose
qui n’est destinй а кtre amenй а l’acte que par la puissance divine, et ainsi
existent dans l’вme les vertus infuses.
[65786] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod passiones ad malum inclinantes
non totaliter tolluntur neque per virtutem acquisitam neque per virtutem
infusam, nisi forte miraculose; quia semper remanet colluctatio carnis contra
spiritum, etiam post moralem virtutem; de qua dicit apostolus, Gal., V, 17,
quod caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem.
Sed tam per virtutem acquisitam quam infusam
huiusmodi passiones modificantur, ut ab his homo non effrenate moveatur. Sed quantum ad aliquid
praevalet in hoc virtus acquisita, et quantum ad aliquid virtus infusa.
Virtus enim acquisita praevalet quantum ad hoc quod talis impugnatio minus
sentitur. Et hoc habet ex causa sua : quia per frequentes actus quibus homo
est assuefactus ad virtutem, homo iam dissuevit talibus passionibus obedire,
cum consuevit eis resistere; ex quo sequitur quod minus earum molestias
sentiat. Sed praevalet virtus infusa quantum ad hoc quod facit quod huiusmodi
passiones etsi sentiantur, nullo tamen modo dominentur. Virtus enim infusa
facit quod nullo modo obediatur concupiscentiis peccati; et facit hoc
infallibiliter ipsa manente. Sed virtus acquisita deficit in hoc, licet in
paucioribus, sicut et aliae inclinationes naturales deficiunt in minori
parte; unde apostolus, Rom., VII, 5 : cum essemus in carne, passiones
peccatorum quae per legem erant, operabantur in membris nostris, ut
fructificarent morti; nunc autem soluti sumus a lege mortis in qua
detinebamur, ita ut serviamus in novitate spiritus, et non in vetustate
litterae.
14.
Les passions qui inclinent au mal ne sont totalement enlevйes ni par la vertu
acquise, ni par la vertu infuse, si ce n’est par miracle; car la lutte de la
chair contre l’esprit demeure toujours, mкme aprиs la vertu morale. L’Apфtre Paul
en parle dans Ga 5, 17 : La chair convoite а l’encontre de
l’esprit, mais l’esprit contre la chair. Mais ces passions sont rйglйes
tant par la vertu acquise que par [la vertu] infuse, de sorte que l’homme ne
soit pas mы par elles de maniиre effrйnйe. Mais, sur un point, la vertu
acquise l’emporte, et sur un autre, la vertu infuse. En effet, la vertu
acquise l’emporte parce qu’elle fait en sorte que ce combat est moins
ressenti. Et elle tient cela de sa cause, car par les actes frйquents par
lesquels l’homme s’est accoutumй а la vertu, l’homme a ainsi perdu l’habitude
d’obйir а ces passions, puisqu’il a pris l’habitude de leur rйsister, d’oщ il
dйcoule qu’il ressent moins leurs tourments. Mais la vertu infuse l’emporte
parce qu’elle fait en sorte que mкme si ces passions sont ressenties,
toutefois elles ne l’emportent aucunement. En effet, la vertu infuse fait
qu’on n’obйit aucunement aux convoitises du pйchй, et elle fait cela d’une
maniиre infaillible aussi longtemps qu’elle demeure. Mais la vertu acquise
est dйficiente sur ce point, bien que chez un plus petit nombre, comme sont
dйficientes les autres inclinations naturelles chez une minoritй. Aussi
l’Apфtre dit-il en Rm 7, 5 : Lorsque nous йtions dans la chair,
les passions des pйchйs, qui existaient en raison de la loi, agissaient dans
nos membres pour porter un fruit de mort. Mais maintenant, nous sommes
libйrйs de la loi de mort par laquelle nous йtions dйtenus, afin de servir
dans la nouveautй de l’esprit, et non dans la vйtustй de la lettre.
[65787]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod quia a principio
virtus infusa non semper ita tollit sensum passionum sicut virtus acquisita,
propter hoc a principio non ita delectabiliter operatur. Non tamen hoc est
contra rationem virtutis, quia quandoque ad virtutem sufficit sine tristitia
operari; nec requiritur quod delectabiliter operetur propter molestias quae
sentiuntur; sicut philosophus dicit III Ethic., quod forti sufficit sine
tristitia operari.
15.
Parce qu’au dйbut, la vertu infuse n’enlиve pas autant la perception des
passions que la vertu acquise, pour cette raison, elle n’est pas accomplie
aussi agrйablement au dйbut. Toutefois, cela ne va pas а l’encontre de la
raison de vertu, car il suffit parfois pour la vertu d’agir sans tristesse,
et il n’est pas nйcessaire d’agir avec plaisir, en raison des dйsagrйments
qui sont йprouvйs. Ainsi, le Philosophe dit, dans Йthique, III, qu’il
suffit pour le fort d’agir sans tristesse.
[65788] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet per actum unum simplicem
non corrumpatur habitus acquisitus, tamen actus contritionis habet quod
corrumpat habitum vitii generatum ex virtute gratiae; unde in eo qui habuit
habitum intemperantiae, cum conteritur, non remanet cum virtute temperantiae
infusa habitus intemperantiae in ratione habitus, sed in via corruptionis,
quasi dispositio quaedam. Dispositio autem non contrariatur habitui perfecto.
16.
Bien que l’habitus acquis ne soit pas corrompu par un seul acte propre,
l’acte de contrition fait cependant en sorte de corrompre, par la puissance
de la grвce, l’habitus du vice engendrй. Aussi, chez celui qui avait
l’habitus d’intempйrance, lorsqu’il est contrit, l’habitus d’intempйrance ne
reste-t-elle pas selon la raison d’habitus avec la vertu infuse de
tempйrance, mais comme tendance а la corruption, comme une certaine
disposition. Or, une disposition n’est pas contraire а un habitus parfait.
[65789]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet virtus
infusa non causetur ex actibus, tamen actus possunt ad eam disponere; unde
non est inconveniens quod per actus corrumpatur; quia per indispositionem
materiae tollitur forma, sicut propter indispositionem corporis anima
separatur.
17. Bien que la vertu infuse ne soit pas
causйe par des actes, toutefois des actes peuvent y disposer. Aussi n’est-il
pas inconvenant qu’elle soit corrompue par des actes, car la forme est
enlevйe par l’indisposition de la matiиre, de mкme qu’en raison de
l’indisposition du corps, l’вme est sйparйe.
[65790] De virtutibus, q.
1 a. 10 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod virtus moralis non dicitur a
more secundum quod mos non significat consuetudinem appetitivae virtutis;
secundum hoc enim virtutes infusae possent dici morales, licet non causentur
ex consuetudine.
18. Une vertu n’est pas appelйe morale а
partir de mos [habitude], au sens oщ mos ne signifie pas une
habitude de la puissance appйtitive. En effet, si tel йtait le cas, les
vertus infuses pourraient кtre dites morales, bien qu’elles ne soient pas
causйes par une habitude.
[65791]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod actus virtutis
infusae non causant aliquem habitum, sed per eos augetur habitus praeexistens
: quia nec ex actibus virtutis acquisitae aliquis habitus generatur; alias
multiplicarentur habitus in infinitum.
19. Les actes de la vertu infuse ne causent
pas d’habitus, mais l’habitus prйexistant est augmentй par eux, car un
habitus n’est pas non plus engendrй par les actes de la vertu acquise.
Autrement, les habitus seraient multipliйs а l’infini.
1. Rien n’est augmentй qui ne soit une
quantitй. Or, la vertu n’est pas une quantitй, mais une qualitй. Elle n’est
donc pas augmentйe.
[65795] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 2 Praeterea, virtus est
forma accidentalis. Sed forma est simplicissima et invariabili essentia
consistens. Ergo virtus non variatur secundum suam essentiam; ergo nec
secundum essentiam augetur.
2. La vertu est une forme accidentelle. Or, la
forme a une essence trиs simple et invariable. La vertu ne varie donc pas
selon son essence. Elle n’est donc pas augmentйe pas non plus selon son essence.
[65796] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 3 Praeterea, quod augetur
movetur. Quod igitur secundum essentiam augetur, secundum essentiam movetur.
Sed quod mutatur secundum suam essentiam, corrumpitur vel generatur. Sed
generatio et corruptio sunt mutationes in substantia. Ergo caritas non augetur per essentiam, nisi cum corrumpitur vel
generatur.
3. Ce qui est augmentй est mы. Ce qui est
augmentй selon son essence est donc mы selon son essence. Or, ce qui est
changй selon son essence est corrompu ou engendrй. Or, la gйnйration et la
corruption sont des changements de substance. La charitй n’est donc pas
augmentйe selon son essence, si ce n’est lorsqu’elle est corrompue ou
engendrйe.
[65797] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 4 Praeterea, essentialia
non augentur nec minuuntur. Manifestum est autem quod essentia virtutis est
essentialis. Ergo virtus secundum essentiam non augetur.
4. Les йlйments essentiels ne sont ni
augmentйs ni diminuйs. Or, il est clair que l’essence de la vertu est
essentielle. La vertu n’est donc pas augmentйe selon son essence.
[65798] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 5 Praeterea,
contraria nata sunt fieri circa idem. Augmentum autem et diminutio sunt
contraria. Ergo nata sunt fieri circa idem. Virtus autem infusa non
diminuitur : quia neque diminuitur per actum virtutis, quia per eum magis
roboratur; neque per actum peccati venialis, quia sic multa peccata venialia
tollerent totaliter caritatem et alias virtutes infusas, quod est
impossibile; sic enim multa venialia aequipollerent uni peccato mortali;
neque etiam minuitur per peccatum mortale : quia mortale peccatum tollit
caritatem et alias virtutes infusas. Ergo virtus infusa non augetur.
5.
Les contraires sont destinйs а se produire а propos de la mкme chose. Or,
l’augmentation et la diminution sont des contraires. Ils sont donc destinйs а
se produire а propos de la mкme chose. Or, la vertu infuse n’est pas
diminuйe, car elle n’est pas diminuйe par un acte de vertu, puisque, par
celui-ci, elle est plutфt renforcйe; ni par un acte de pйchй vйniel, car
ainsi de multiples pйchйs vйniels enlиveraient totalement la charitй et les
autres vertus infuses, ce qui est impossible, car de multiples pйchйs vйniels
йquivaudraient а un seul pйchй mortel, puisque le pйchй mortel enlиve la
charitй et les autres vertus infuses. La vertu infuse n’augmente donc pas.
[65799] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 6 Praeterea, simile simili augetur, ut dicitur in II de anima.
Si ergo virtus infusa augetur, oportet quod augeatur per additionem virtutis.
Sed hoc non potest esse, quia virtus simplex est. Simplex autem simplici
additum non facit maius; sicut punctum additum puncto non facit lineam
maiorem. Ergo virtus infusa augeri non potest.
6.
Le semblable est augmentй par le semblable, comme il est dit dans Sur
l’вme, II. Si la vertu infuse est augmentйe, il faut donc qu’elle soit
augmentйe par l’addition d’une vertu. Mais cela ne peut pas кtre, car la
vertu est simple. Or, le simple ajoutй au simple ne rend pas plus grand,
comme le point ajoutй au point ne rend pas une ligne plus grande. La vertu
infuse ne peut donc pas кtre augmentйe.
[65800]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 7 Praeterea, I de generatione dicitur, quod augmentum
est praeexistentis magnitudinis additamentum. Si ergo virtus augetur, oportet
quod aliquid sibi addatur; et sic erit magis composita, et magis recedens a
divina similitudine, et per consequens minus bona; quod est inconveniens.
Relinquitur ergo quod virtus non augetur.
7.
Il est dit, dans Sur la gйnйration, I, que l’augmentation est une
addition а une grandeur prйexistante. Si la vertu est augmentйe, il est donc
nйcessaire que quelque chose lui soit ajoutй; elle sera ainsi composйe,
s’йloignera davantage de la ressemblance divine et, par consйquent, sera
moins bonne, ce qui est inacceptable. Il reste donc que la vertu n’est pas
augmentйe.
[65801] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 8 Praeterea, omne quod augetur, movetur; omne quod movetur, est
corpus; virtus non est corpus. Ergo non augetur.
8.
Tout ce qui est augmentй est mы. Or, tout ce qui est mы est un corps, et la
vertu n’est pas un corps. Elle n’est donc pas augmentйe.
[65802]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 9 Praeterea, cuius causa est invariabilis, et ipsum
est invariabile. Sed causa virtutis infusae, quae est Deus, invariabilis est.
Ergo virtus infusa est invariabilis; ergo non recipit magis et minus; et ita
non augetur.
9.
Ce dont la cause est invariable est lui aussi invariable. Or, la cause de la
vertu infuse, qui est Dieu, est invariable. La vertu infuse est donc
invariable. Elle ne reзoit donc pas du plus et du moins, et ainsi elle n’est
pas augmentйe.
[65803] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 10 Praeterea, virtus est in genere habitus, sicut et scientia.
Si ergo virtus augetur, oportet quod augeatur sicut et scientia augetur.
Scientia autem augetur per multiplicationem obiectorum, prout scilicet ad
plura se extendit. Sic autem non augetur virtus, ut patet in caritate : quia
minima caritas se extendit ad omnia diligenda secundum caritatem. Ergo virtus nullo modo augetur.
10.
La vertu se situe dans le genre habitus, comme la science. Si la vertu est
augmentйe, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe comme la science.
Or, la science est augmentйe par la multiplication des objets, dans la mesure
oщ elle s’йtend а un plus grand nombre de choses. Or, la vertu n’est pas
augmentйe de cette maniиre, comme cela ressort clairement pour la charitй,
car la moindre charitй s’йtend а tout ce qui doit кtre aimй selon la charitй.
La vertu n’est donc augmentйe d’aucune faзon.
[65804]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 11 Praeterea, si virtus augetur, oportet quod ad
aliquam speciem motus, eius augmentum reducatur. Sed non potest reduci nisi
ad alterationem, quae est motus in qualitate. Alteratio autem, secundum
philosophum, VII Physic., non est in anima nisi secundum partem sensitivam :
in qua non est caritas, neque plures aliarum virtutum infusarum. Ergo non
omnis virtus infusa augetur.
11.
Si la vertu est augmentйe, il est nйcessaire que son augmentation soit
ramenйe а une espиce. Or, elle ne peut кtre ramenйe qu’а l’altйration, qui
est un mouvement а l’intйrieur de la qualitй. Or, l’altйration, selon le
Philosophe, dans Physique, VII, n’existe dans l’вme que selon la
partie sensible, dans laquelle ne se trouvent pas la charitй, ni plusieurs
des autres vertus infuses. Toute vertu infuse n’est donc pas augmentйe.
[65805]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 12 Praeterea, si virtus infusa augetur, oportet quod
augeatur a Deo, qui eam causat. Si autem Deus eam auget, oportet quod hoc
fiat per alium eius influxum. Sed novus influxus non potest esse, nisi sit
nova virtus infusa. Ergo virtus infusa non potest augeri nisi per additionem
novae virtutis. Sic autem non potest augeri, ut supra ostensum est. Ergo virtus infusa nullo modo augetur.
12.
Si la vertu infuse est augmentйe, il est nйcessaire qu’elle soit augmentйe
par Dieu, qui en est la cause. Or, si Dieu l’augmente, il est nйcessaire que
cela se rйalise par une autre intervention de sa part. Or, il ne peut y avoir
d’autre intervention sans qu’il n’y ait une autre vertu infuse. La vertu
infuse ne peut donc кtre augmentйe que par l’addition d’une autre vertu. Or,
elle ne peut кtre augmentйe de cette maniиre, comme on l’a montrй plus haut.
La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe d’aucune faзon.
[65806] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 13 Praeterea, habitus maxime augentur ex actibus. Cum igitur
virtus sit habitus; si augetur, maxime augetur per suum actum. Sed hoc non potest esse, ut videtur; cum actus egrediatur ab habitu. Nihil autem augetur per hoc quod aliquid ab eo egreditur, sed per hoc
quod aliquid in eo recipitur. Ergo virtus nullo modo augetur.
13.
Les habitus sont augmentйs principalement par les actes. Puisque la vertu est
un habitus, si elle est augmentйe, elle sera augmentйe par son acte. Or, cela
n’est pas possible, semble-t-il, puisque l’acte est issu de l’habitus. Or,
rien n’est augmentй par le fait que quelque chose en est issu, mais par le
fait que quelque chose y est reзu. La vertu n’est donc d’aucune maniиre
augmentйe.
[65807]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 14 Praeterea, omnes actus virtutis unius sunt rationis.
Si igitur aliqua virtus per suum actum augetur, oportet quod per quemlibet
actum augeatur; quod videtur esse falsum ex experimento : non enim experimur
quod virtus in quolibet actu crescat.
14.
Tous les actes de vertu ont une seule raison. Si une vertu est augmentйe par
son acte, il est donc nйcessaire qu’elle soit augmentйe par n’importe quel
acte, ce qui semble кtre faux d’aprиs l’expйrience : en effet, nous ne
faisons pas l’expйrience qu’une vertu soit augmentйe par n’importe quel acte.
[65808] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 15 Praeterea, illud cuius ratio in superlativo consistit, non
potest augeri : optimo enim non est aliquid melius, nec albissimo est aliquid
albius. Sed ratio virtutis in superlatione consistit : est enim virtus
ultimum potentiae. Ergo virtus non potest augeri.
15.
Ce dont la raison consiste dans le superlatif ne peut кtre augmentй : en
effet, rien n’est meilleur que ce qui est le meilleur, et rien n’est plus
blanc que ce qui est le plus blanc. Or, la raison de vertu consiste dans le
superlatif : en effet, la vertu est le point ultime d’une puissance. La vertu
ne peut donc кtre augmentйe.
[65809]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 16 Praeterea, omne illud cuius ratio consistit in
aliquo indivisibili, caret intensione et remissione; sicut forma
substantialis, et numerus, et figura. Sed ratio virtutis consistit in quodam
indivisibili : est enim in medietate consistens. Ergo virtus non intenditur
neque remittitur.
16.
L’intensitй et la diminution font dйfaut а tout ce dont la raison consiste
dans quelque chose d’indivisible, tels une forme substantielle, un nombre et
une figure. Or, la raison de vertu consiste dans quelque chose d’indivisible
: en effet, elle consiste dans un milieu. La vertu n’a donc ni intensitй ni
diminution.
[65810] De virtutibus, q.
1 a. 11 arg. 17 Praeterea, nullum infinitum potest augeri; quia infinito non
est aliquid magis. Sed virtus infusa est infinita, quia per eam meretur homo
infinitum bonum, scilicet Deum. Ergo virtus infusa augeri non potest.
17.
Aucun infini ne peut кtre augmentй, car il n’y a rien de plus que l’infini.
Or, la vertu infuse est infinie, car l’homme mйrite par elle un bien infini,
а savoir, Dieu. La vertu infuse ne peut donc кtre augmentйe.
[65811] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 18 Praeterea,
nulla res procedit ultra suam perfectionem, quia perfectio est terminus rei.
Sed virtus est perfectio habentis eam; dicitur enim VII Physic., quod virtus
est dispositio perfecti ad optimum. Ergo virtus non augetur.
18.
Aucune chose ne va au-delа de sa perfection, car la perfection est le terme
d’une chose. Or, la vertu est la perfection de celui qui la possиde. En
effet, il est dit dans Physique, VII, que la vertu est une disposition
du parfait а ce qu’il y a de meilleur. La vertu n’est donc pas augmentйe.
Cependant :
[65812] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod dicitur I Petr., II, v. 2 : sicut modo geniti infantes, rationabiles
et sine dolo, lac concupiscite, ut in eo crescatis in salutem. Non autem
crescit aliquis in salutem nisi per augmentum virtutis, per quam homo in
salutem ordinatur. Ergo virtus augetur.
1.
Il est dit en 1 P 2, 2 : Comme des enfants nouveau-nйs,
sans hypocrisie et sans ruse, dйsirez le lait afin de grandir par lui en vue
du salut. Or, personne ne grandit en vue du salut que par l’augmentation
de la vertu, par laquelle l’homme est ordonnй au salut. La vertu est donc
augmentйe.
2. Augustin dit que la charitй est augmentйe,
afin que, par son accroissement, nous mйritions de devenir parfaits.
Rйponse :
[65814] De virtutibus, q.
1 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod multis error accidit circa formas ex
hoc quod de eis iudicant sicut de substantiis iudicatur. Quod quidem ex hoc
contingere videtur, quod formae per modum substantiarum signantur in
abstracto, ut albedo, vel virtus, aut aliquid huiusmodi; unde aliqui modum
loquendi sequentes, sic de eis iudicant ac si essent substantiae. Et ex hinc
processit error tam eorum qui posuerunt latitationem formarum, quam eorum qui
posuerunt formas esse a creatione. Aestimaverunt enim quod formis competeret
fieri sicut competit substantiis; et ideo non invenientes ex quo formae
generentur, posuerunt eas vel creari, vel praeexistere in materia; non
attendentes, quod sicut esse non est formae, sed subiecti per formam, ita nec
fieri, quod terminatur ad esse, est formae, sed subiecti. Sicut enim forma ens
dicitur, non quia ipsa sit, si proprie loquamur, sed quia aliquid ea est; ita
et forma fieri dicitur, non quia ipsa fiat, sed quia ea aliquid fit : dum
scilicet subiectum reducitur de potentia in actum. Sic autem et circa
augmentum qualitatum accidit; de quo aliqui locuti sunt ac si qualitates et
formae substantiae essent. Substantia autem augeri dicitur, in quantum ipsa
est subiectum motus quo pervenitur de minori quantitate in maiorem, qui motus
augmenti dicitur. Et quia augmentum substantiae fit per additionem
substantiae ad substantiam; quidam aestimaverunt, quod hoc modo caritas, sive
quaelibet virtus infusa, augeatur per additionem caritatis ad caritatem, vel
virtutis ad virtutem, aut albedinis ad albedinem : quod omnino stare non
potest. Nam non potest intelligi additio unius ad alterum nisi praeintellecta
dualitate. Dualitas autem in formis unius speciei non potest intelligi nisi
per alietatem subiecti. Formae enim unius speciei non diversificantur numero
nisi per subiectum. Si igitur qualitas additur qualitati, oportet alterum
duorum esse : vel quod subiectum addatur subiecto, ut puta quod unum album
addatur alteri albo; aut quod aliquid in subiecto fiat album, quod prius non
fuit album, ut quidam posuerunt circa qualitates corporeas; quod etiam improbat
philosophus in IV physicorum. Cum enim aliquid fit magis curvum, non curvatur
aliquid quod prius curvum non fuit, sed totum fit magis curvum. Circa
qualitates autem spirituales, quarum subiectum est anima, vel pars animae
impossibile est etiam hoc fingere. Unde quidam alii dixerunt caritatem, et
alias virtutes infusas, non augeri essentialiter; sed quod dicuntur augeri,
vel in quantum radicantur fortius in subiecto, vel in quantum ferventius vel
intensius operantur. Sed hoc quidem dictum aliquam rationem haberet, si
caritas esset quaedam substantia habens per se esse absque substantia; unde
et Magister sententiarum, aestimans caritatem esse aliquam substantiam,
scilicet ipsum spiritum sanctum, non irrationabiliter hunc modum augmenti
posuisse videtur. Sed alii, aestimantes caritatem esse qualitatem quamdam,
penitus irrationabiliter sunt locuti. Nihil enim est aliud qualitatem aliquam
augeri, quam subiectum magis participare qualitatem; non enim est aliquod
esse qualitatis nisi quod habet in subiecto. Ex hoc autem ipso quod subiectum
magis participat qualitatem, vehementius operatur; quia unumquodque agit in
quantum est actu; unde quod magis est reductum in actum, perfectius agit.
Ponere igitur quod aliqua qualitas non augeatur secundum essentiam, sed augeatur
secundum radicationem in subiecto, vel secundum intensionem actus, est ponere
contradictoria esse simul. Et ideo considerandum restat quomodo aliquae
qualitates et formae augeri dicuntur; et quae sunt quae augeri possunt.
Sciendum est ergo, quod cum nomina sint signa intellectuum, ut dicitur I
Periher.; sicut ex magis notis cognoscimus minus nota, ita etiam ex magis
notis minus nota nominamus. Et inde est quod, quia motus localis est notior
inter omnes motus, ex contrarietate secundum locum derivatur nomen distantiae
ad omnia contraria inter quae potest esse aliquis motus; ut dicit philosophus
X Metaph. Et similiter, quia motus substantiae secundum quantitatem est
sensibilior quam motus secundum alterationem; inde est quod nomina
convenientia motui secundum quantitatem derivantur ad alterationem. Et inde
est quod, sicut corpus quod movetur ad quantitatem perfectam dicitur augeri,
et ipsa quantitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae; ita illud quod
movetur de qualitate imperfecta ad perfectam, dicitur augeri secundum
qualitatem; et ipsa qualitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae. Et
quia perfectio uniuscuiusque rei est eius bonitas; ideo Augustinus dicit,
quod in his quae non magna mole sunt, idem est esse maius quod melius. Moveri
autem de forma imperfecta ad perfectam, nihil est aliud quam subiectum magis
reduci in actum : nam forma actus est; unde subiectum magis percipere formam,
nihil aliud est quam ipsum reduci magis in actum illius formae. Et sicut ab
agente reducitur aliquid de pura potentia in actum formae; ita etiam per
actionem agentis reducitur de actu imperfecto in actum perfectum. Sed hoc non
contingit in omnibus formis, propter duo. Primo quidem ex ipsa ratione
formae; eo scilicet quod id quod perficit rationem formae, est aliquid
indivisibile, puta numerus. Nam unitas addita constituit speciem : unde
binarius aut trinarius non dicitur secundum magis et minus; et per consequens
non invenitur magis et minus neque in quantitatibus quae denominantur a
numeris, puta bicubitum vel tricubitum, neque in figuris, puta triangulare et
quadratum; et in proportionibus, puta duplum et triplum. Alio modo ex comparatione formae ad subiectum; quia inhaeret ei modo
indivisibili. Et propter hoc forma substantialis non recipit intensionem vel
remissionem, quia dat esse substantiale, quod est uno modo : ubi enim est
aliud esse substantiale, est alia res; et propter hoc philosophus, VIII
Metaphys., assimilat definitiones numeris. Et inde est etiam quod nihil quod
substantialiter de altero praedicatur, etiam si sit in genere accidentis,
praedicatur secundum magis et minus; non enim dicitur albedo magis et minus
color. Et propter hoc etiam qualitates in abstracto signatae, quia signantur
per modum substantiae, nec intenduntur nec remittuntur; non enim dicitur
albedo magis et minus, sed album. Neutra autem istarum causarum est in
caritate et in aliis virtutibus infusis, quare non intendantur et
remittantur; quia neque earum ratio in indivisibili consistit, sicut ratio
numeri; neque dant esse substantiale subiecto, sicut formae substantiales; et
ideo intenduntur et remittuntur, in quantum subiectum reducitur magis in
actum ipsarum per actionem agentis causantis eas. Unde sicut virtutes
acquisitae augentur ex actibus per quos causantur, ita virtutes infusae
augentur per actionem Dei, a quo causantur. Actus autem nostri comparantur ad
augmentum caritatis et virtutum infusarum, ut disponentes, sicut ad caritatem
a principio obtinendam; homo enim faciens quod in se est, praeparat se, ut a
Deo recipiat caritatem. Ulterius autem actus nostri possunt esse meritorii
respectu augmenti caritatis; quia praesupponunt caritatem, quae est
principium merendi. Sed nullus potest mereri, quin a principio obtineat
caritatem; quia meritum sine caritate esse non potest. Sic igitur caritatem
augeri per intensionem dicimus.
Beaucoup commettent une erreur а propos des
formes parce qu’ils en jugent comme on juge des substances. Cela semble
provenir du fait que les formes sont exprimйes dans l’abstrait par mode de
substances, comme la blancheur ou la vertu, ou quelque chose de ce genre.
Aussi certains, en suivant cette maniиre de parler, en jugent-ils comme si
elles йtaient des substances. Et de cela vient l’erreur aussi bien de ceux
qui ont affirmй le caractиre cachй des formes, que de ceux qui ont affirmй
que les formes existent par crйation. En effet, ils ont estimй qu’il
convenait aux formes de devenir а la maniиre des substances ; c’est
pourquoi, ne trouvant pas comment les formes йtaient engendrйes, ils ont
affirmй qu’elles йtaient crййes ou qu’elles prйexistaient dans la matiиre, en
ne remarquant pas que, de mкme de l’acte d’кtre n’appartient pas а la forme
mais au sujet par la forme, de mкme le devenir, qui se termine а l’acte
d’кtre, n’appartient-il pas а la forme mais au sujet. En effet, de mкme qu’on
dit que la forme est un кtre, non pas parce qu’elle-mкme existe, а parler
proprement, mais parce que quelque chose existe par elle, de mкme dit-on
qu’une forme devient, non pas parce qu’elle-mкme devient, mais parce que
quelque chose devient par elle, а savoir, lorsque le sujet est amenй de la
puissance а l’acte. Il en est de mкme pour l’augmentation des qualitйs, dont
certains ont parlй comme si les qualitйs et les formes йtaient des
substances. Or, on dit qu’une substance augmente pour autant qu’elle est le
sujet d’un mouvement par lequel on passe d’une quantitй moindre а une
quantitй plus grande, ce qu’on appelle le mouvement d’augmentation. Et parce
que l’augmentation de la substance se fait par l’ajout d’une substance а une
substance, certains ont estimй que la charitй, ou n’importe quelle vertu
infuse, йtait augmentйe par l’addition de la charitй а la charitй, ou de la
vertu а la vertu, ou de la blancheur а la blancheur, ce qui ne peut кtre
soutenu. Car on ne peut comprendre l’addition d’une chose а une autre que si
on a d’abord compris la dualitй. Or, la dualitй pour les formes d’une mкme
espиce ne peut se comprendre que par l’altйritй du sujet. En effet, les
formes d’une espиce ne se diffйrencient en nombre que par le sujet. Si donc
la qualitй est ajoutйe а la qualitй, il est nйcessaire qu’une de deux choses
se produise : ou bien qu’un sujet soit ajoutй а un sujet, par exemple, que
quelque chose de blanc soit ajoutй а une autre chose blanche ; ou bien
que quelque chose devienne blanc dans le sujet, alors que ce n’йtait pas
blanc auparavant, comme certains l’ont affirmй а propos des formes
corporelles, ce que rejette aussi le Philosophe, dans Physique, IV. En
effet, lorsqu’une chose devient davantage courbйe, quelque chose n’est pas
courbй qui n’йtait pas courbй auparavant, mais l’ensemble devient plus
courbй. Or, а propos des qualitйs spirituelles, dont le sujet est l’вme ou
une partie de l’вme, il est impossible mкme de se reprйsenter cela. Aussi
d’autres ont-ils dit que la charitй et les autres vertus infuses n’йtaient
pas augmentйes essentiellement, mais qu’on disait qu’elles йtaient augmentйes
soit parce qu’elles йtaient plus fortement enracinйes dans le sujet, soit
parce qu’elles agissaient avec plus de ferveur ou d’intensitй. Mais cela
aurait quelque fondement si la charitй йtait une substance pouvant exister
par elle-mкme sans une substance. Ainsi, le Maоtre des Sentences,
estimant que la charitй est une certaine substance, а savoir, l’Esprit Saint,
semble avoir affirmй ce mode d’augmentation d’une maniиre qui n’est pas
dйraisonnable. Mais d’autres, estimant que la charitй est une certaine
qualitй, ont parlй d’une maniиre tout а fait dйraisonnable. En effet, кtre
augmentйe, pour une qualitй, n’est rien d’autre que le fait pour le sujet d’y
participer davantage : en effet, la qualitй n’a pas d’autre кtre que celui
qu’elle a dans le sujet. Or, par le fait que le sujet participe davantage а
une qualitй, il agit avec plus de vigueur, car chacun agit dans la mesure oщ
il est en acte. Aussi ce qui a йtй davantage amenй а l’acte agit-il plus
parfaitement. Affirmer qu’une qualitй n’est pas augmentйe selon son essence,
mais qu’elle est augmentйe selon son enracinement dans le sujet ou selon
l’intensitй de son acte, c’est affirmer en mкme temps des contraires. C’est
pourquoi il reste а examiner comment on dit que certaines qualitйs et formes
sont augmentйes, et quelles sont celles qui peuvent кtre augmentйes. Il faut
donc savoir que, puisque les mots sont des signes des choses comprises, comme
il est dit dans Sur l’interprйtation, I, de mкme que nous connaissons
les choses moins connues а partir des plus connues, de mкme aussi
nommons-nous les moins connues а partir des plus connues. De lа vient que,
parce que le mouvement local est plus connu que tous les autres mouvements,
le mot «distance» est dйrivй de ce qui est contraire selon le lieu а tous les
contraires entre lesquels peut exister un mouvement, comme le dit le
Philosophe dans Mйtaphysique, X. De la mкme faзon, parce que le
mouvement de la substance selon la quantitй est plus perceptible que le
mouvement selon l’altйration, de lа vient que les mots convenant au mouvement
selon la quantitй sont appliquйs а l’altйration. Et de lа vient que, de mкme
qu’on dit qu’un corps qui est mы vers une quantitй parfaite est augmentй, et
que la quantitй parfaite est appelйe grande par rapport а l’imparfaite, de
mкme dit-on que ce qui est mы d’une qualitй imparfaite а une [qualitй]
parfaite est augmentй selon la qualitй, et que la qualitй parfaite elle-mкme
est dite grande par rapport а l’imparfaite. Et parce que la perfection de
toute chose est sa bontй, c’est la raison pour laquelle Augustin dit que,
dans les choses qui n’ont pas beaucoup d’importance, c’est la mкme chose
d’кtre plus grand que meilleur. Or, кtre mы d’une forme imparfaite а [une
forme] parfaite n’est rien d’autre que le fait pour un sujet d’кtre amenй
davantage а l’acte, car la forme est un acte. Ainsi, qu’un sujet reзoive
davantage une forme, cela n’est rien d’autre que le fait pour lui d’кtre
davantage amenй а l’acte de cette forme. Et de mкme qu’une chose est amenйe
de la puissance pure а l’acte de la forme, de mкme aussi est-elle amenйe d’un
acte imparfait а un acte parfait par l’action de l’agent. Mais cela ne se
produit pas dans toutes les formes pour deux raisons. Premiиrement, en raison
mкme de la forme, а savoir que ce qui rйalise la raison de la forme est
quelque chose d’indivisible, par exemple, un nombre. Car l’unitй ajoutйe
constitue une espиce : aussi ne parle-t-on pas de ce qui est double ou triple
en termes de plus ou de moins ; par consйquent, on ne trouve pas non
plus de plus ou de moins dans les quantitйs qui sont dйsignйes а partir des
nombres, par exemple, ce qui a deux coudйes ou trois coudйes, ni dans les
figures, par exemple, ce qui est triangulaire ou carrй, ni dans les
proportions, par exemple, ce qui est double ou triple. D’une autre maniиre,
par comparaison de la forme au sujet, car elle existe en lui de maniиre
indivisible. Pour cette raison, la forme substantielle ne reзoit-elle pas
d’intensitй ou de diminution, car elle donne l’кtre substantiel, qui existe
d’une seule maniиre : en effet, lа oщ il y a un autre кtre substantiel, il y
a une autre chose. Pour cette raison, le Philosophe, dans Mйtaphysique, VIII,
assimile les dйfinitions aux nombres. Et de lа vient aussi que rien de ce qui
est attribuй а quelque chose d’autre а titre de substance, mкme si cela fait
partie du genre de l’accident, ne lui est attribuй en plus ou en moins : en
effet, on ne dit pas que la blancheur est plus ou moins une couleur. Et pour
cette raison, les qualitйs dйsignйes dans l’abstrait, parce qu’elles sont
dйsignйes par mode de substance, ne sont-elles pas intensifiйes ni diminuйes
: en effet, on n’attribue pas de plus ou de moins а la blancheur, mais а ce
qui est blanc. Or, aucune de ces causes n’existe dans la charitй et dans les
autres vertus infuses, pour lesquelles elles ne seraient pas intensifiйes et
diminuйes, car leur raison ne consiste pas en quelque chose d’indivisible,
comme la raison de nombre ; elles ne donnent pas non plus l’кtre
substantiel а leur sujet, comme les formes substantielles. Et c’est la raison
pour laquelle elles sont intensifiйes et diminuйes dans la mesure oщ leur
sujet est davantage amenй а leur acte par l’action de l’agent qui les cause.
Aussi, de mкme que les vertus acquises sont augmentйes par les actes par
lesquels elles sont causйes, de mкme les vertus infuses sont-elles augmentйes
par l’action de Dieu, par qui elles sont causйes. Mais nos actes se comparent
а l’augmentation de la charitй et des vertus infuses en tant qu’ils y
disposent, comme c’est le cas au dйpart pour l’obtention de la charitй. En
effet, l’homme, en faisant ce qui relиve de lui, se prйpare а recevoir de
Dieu la charitй. Davantage encore, nos actes peuvent кtre mйritoires par
rapport а l’augmentation de la charitй, car ils prйsupposent la charitй, qui
est le principe du mйrite. Mais personne ne peut mйriter au dйpart d’obtenir
la charitй, car le mйrite ne peut exister sans la charitй. Ainsi disons-nous
donc que la charitй est augmentйe en intensitй.
Solutions
:
[65815]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in caritate et
aliis qualitatibus dicitur augmentum per similitudinem, ita et quantitas, ut
ex dictis, in corp. art., patet.
1. Comme pour la charitй et les autres
qualitйs, on parle d’augmentation par similitude. Il en va de mкme pour la
quantitй, comme cela ressort clairement de ce qui a йtй dit dans le corps de
l’article.
[65816] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma est invariabilis, quia non est
variationis subiectum; potest tamen dici variabilis, prout subiectum secundum
eam variatum, plus et minus eam participat.
2. La forme est invariable parce qu’elle n’est
pas le sujet de la variation. Toutefois, elle peut кtre dite variable pour
autant que le sujet, qui varie selon elle, y participe plus ou moins.
[65817]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus alicuius rei potest
intelligi secundum essentiam dupliciter. Uno modo quantum ad id quod est
proprium, esse scilicet essentialis, vel non esse; et sic motus secundum
essentiam non est nisi motus secundum esse et non esse, qui est generatio et
corruptio. Alio modo, potest intelligi motus secundum essentiam, si sit motus
secundum quodcumque adhaerens essentiae; sicut dicimus corpus essentialiter
moveri quando movetur secundum locum, quia de loco ad locum eius subiectum
transfertur; sicut etiam et aliqua qualitas dicitur suo modo moveri
essentialiter, prout variatur secundum perfectum et imperfectum, vel magis
subiectum secundum eam ut ex dictis, in corp. art., patet.
3. On peut entendre le mouvement d’une chose
selon son essence de deux maniиres. D’une maniиre, au sens propre, а savoir,
l’кtre de ce qui est essentiel ou le non-кtre. Et ainsi, le mouvement selon
l’essence n’est que le mouvement selon l’кtre et le non-кtre, qui est la
gйnйration et la corruption. D’une autre maniиre, on peut l’entendre selon le
mouvement de l’essence, s’il s’agit du mouvement de quoi que ce soit qui est
associй а l’essence, comme nous disons qu’un corps est mы essentiellement
lorsqu’il est mы selon le lieu, parce que son sujet passe d’un lieu а un
autre. Comme on dit aussi qu’une qualitй est mue а sa faзon selon son
essence, pour autant qu’elle varie selon le parfait et l’imparfait, ou qu’une
chose lui est davantage soumise, comme cela ressort clairement de ce qui a
йtй dit dans le corps de l’artice.
[65818] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod praedicatur essentialiter de
caritate, non praedicatur de ea secundum magis et minus : non enim dicitur
magis vel minus virtus; sed maior caritas dicitur magis virtus propter modum
significandi, quia significatur ut substantia. Sed quia ipsa non praedicatur
essentialiter de suo subiecto, subiectum secundum eam recipit magis et minus
: ut dicatur subiectum habens magis caritatis vel minus; et quod est habens
magis caritatem est magis virtuosum.
4. Ce qui est attribuй de maniиre essentielle
а la charitй ne lui est pas attribuй en plus ou en moins : en effet, on ne
dit pas qu’elle est plus ou moins une vertu. Mais on dit d’une charitй plus
grande qu’elle est davantage vertu selon la maniиre de la signifier, car elle
est signifiйe comme une substance. Mais parce qu’elle n’est pas elle-mкme
attribuйe de maniиre essentielle а son sujet, son sujet reзoit d’elle plus ou
moins, de sorte qu’on parle d’un sujet qui a plus ou moins de charitй, et que
celui qui a plus de charitй est plus vertueux.
[65819]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non diminuitur,
quia non habet causam diminutionis, ut Ambrosius probat; habet autem causam
augmenti, scilicet Deum.
5. La charitй n’est pas diminuйe parce qu’elle
n’a pas de cause de diminution, comme le montre Ambroise. Mais elle a une
cause d’augmentation, а savoir, Dieu.
[65820] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod augmentum quod fit per additionem, est
augmentum substantiae quantae. Sic autem caritas non augetur, ut dictum est
in corp. art.
6.
L’augmentation qui se fait par addition est une augmentation d’une substance
quantifiйe. Mais la charitй n’est pas augmentйe de cette maniиre, comme on
l’a dit dans le corps de l’article.
7.
La solution de la septiиme objection ressort ainsi clairement.
[65822] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
caritas dicitur augeri vel moveri, non quia ipsa sit subiectum motus, sed
quia eius subiectum secundum ipsam movetur et augetur.
8. On dit que la charitй est augmentйe ou est
mue, non parce que la charitй est elle-mкme le sujet du mouvement, mais parce
que le sujet est mы et augmentй selon elle.
[65823]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus sit invariabilis,
tamen absque sua variatione variat res; non enim est necessarium ut omne
movens moveatur, ut probatur in Lib. Physic.
Et hoc praecipue Deo competit, quia non agit per necessitatem naturae, sed
per voluntatem.
9. Bien que Dieu ne change pas, cependant une
chose change sans qu’il change. En effet, il n’est pas nйcessaire que tout ce
qui meut soit mы, comme il est dйmontrй dans Physique. Et cela
convient principalement а Dieu, parce qu’il n’agit pas par nйcessitй de
nature, mais par volontй.
[65824] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod omnibus qualitatibus et formis est
communis ratio magnitudinis quae dicta est, scilicet perfectio earum in
subiecto. Aliquae tamen qualitates, praeter istam magnitudinem seu
quantitatem quae competit eis per se, habent aliam magnitudinem vel
quantitatem quae competit eis per accidens; et hoc dupliciter. Uno modo
ratione subiecti; sicut albedo dicitur quanta per accidens, quia subiectum
eius est quantum; unde augmentato subiecto, augmentatur albedo per accidens.
Sed secundum hoc augmentum, non dicitur aliquid magis album, sed maior
albedo, sicut et dicitur aliquid maius album : non enim aliter praedicantur
ea quae pertinent ad hoc augmentum, de albedine, et de subiecto ratione cuius
albedo per accidens augeri dicitur. Sed hic modus quantitatis et augmenti non
competit qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Alio modo
quantitas et augmentum attribuitur alicui qualitati per accidens, ex parte
obiecti in quod agit : et haec dicitur quantitas virtutis; quae magis dicitur
propter quantitatem obiecti vel continentiam; sicut dicitur magnae virtutis
qui magnum pondus potest ferre, vel qualitercumque potest magnam rem facere,
sive magnitudine dimensiva, sive magnitudine perfectionis, vel secundum
quantitatem discretam; sicut dicitur aliquis magnae virtutis qui potest multa
facere. Et hoc modo quantitas per accidens potest attribui qualitatibus
animae, scilicet scientiis et virtutibus. Sed tamen hoc interest inter
scientiam et virtutem : quia de ratione scientiae non est quod se extendat in
actum respectu omnium obiectorum : non enim est necesse quod sciens omnia
scibilia cognoscat. Sed de ratione virtutis est quod in omnibus virtuose se
agat. Unde scientia potest augeri vel secundum numerum obiectorum, vel
secundum intensionem eius in subiecto; virtus autem uno modo tantum. Sed
considerandum est, quod eiusdem rationis est quod aliqua qualitas in aliquid
magnum possit, et quod ipsa sit magna, sicut ex supradictis patet; unde etiam
magnitudo perfectionis potest dici magnitudo virtutis.
10. Toutes les qualitйs et formes ont la
commune raison de grandeur qui a йtй dite, а savoir, leur perfection dans le
sujet. Cependant, certaines qualitйs, en
plus de cette grandeur ou quantitй qui leur convient en elles-mкmes, ont une
autre grandeur ou quantitй qui leur convient par accident, et cela, de deux
maniиres. D’une maniиre, en raison du sujet, comme on dit que la blancheur
est grande par accident, parce que son sujet est ce qui quantifiй ; aussi,
si le sujet est augmentй, la blancheur est-elle augmentйe par accident. Mais,
selon cette augmentation, on ne dit pas qu’une chose est davantage blanche,
mais qu’il y a une blancheur plus grande, comme on dit que quelque chose est
plus blanc. En effet, on attribue de maniиre diffйrente ce qui se rapporte а
l’augmentation а la blancheur et au sujet, en raison duquel on dit que la
blancheur est augmentйe par accident. Mais ce mode de quantitй et
d’augmentation ne convient pas aux qualitйs de l’вme, а savoir, les sciences
et les vertus. D’une autre maniиre, la quantitй et l’augmentation sont
attribuйes а une qualitй par accident du point de vue de l’objet oщ elle agit
: et c’est celle-lа qu’on appelle quantitй de la vertu, qui est attribuйe
davantage en raison de la quantitй de l’objet ou de ce qu’il peut contenir,
comme on dit que celui qui peut porter un plus grand poids a une plus grande
force, ou pour n’importe qu’elle grande chose qu’il peut faire, soit pour la
grandeur selon la dimension, soit pour la grandeur selon la perfection, soit
pour la quantitй discrиte, comme on dit de quelqu’un qui peut faire beaucoup
de choses qu’il a une grande vertu. De cette maniиre, la quantitй peut кtre
attribuйe par accident aux qualitйs de l’вme, а savoir, aux sciences et aux vertus.
Toutefois, il y a une diffйrence entre la science et la vertu, car il ne fait
pas partie de la raison de la science que quelqu’un se porte en acte vers
tous les objets : en effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui connaоt
connaisse tout ce qui peut кtre connu. Mais il est de la raison de la vertu
qu’il se comporte vertueusement en tout. Aussi la science peut-elle кtre
augmentйe soit par le nombre des objets, soit par son intensitй dans le
sujet ; mais la vertu [ne peut кtre augmentйe] que d’une seule faзon.
Mais il faut observer qu’il relиve de la mкme raison qu’une qualitй puisse
faire quelque chose de grand, et qu’elle soit elle-mкme grande, comme cela
ressort clairement de ce qui a йtй dit. En consйquence, mкme la grandeur de
la perfection peut кtre dite grandeur de la vertu.
[65825]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod motus augmenti caritatis
reducitur ad alterationem, non secundum quod alteratio est inter contraria,
prout est tantum in sensibilibus, et in sensibili parte animae; sed prout
alteratio et passio dicitur secundum receptionem et perfectionem; sicut
sentire et intelligere est quoddam pati et alterari. Et sic distinguit
philosophus alterationem et passionem in II de anima.
11. Le mouvement d’augmentation de la charitй
se ramиne а l’altйration, non pas selon que l’altйration se rйalise entre des
contraires, pour autant qu’elle existe dans les choses sensibles et dans la
partie sensible de l’вme, mais selon qu’on parle d’altйration et de passion
selon la rйception et la perfection, comme sentir et comprendre sont d’une
certaine maniиre une passion et une altйration. C’est ainsi que le Philosophe
fait une distinction entre l’altйration et la passion, dans Sur l’вme, II.
[65826] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus auget caritatem, non novam caritatem
infundendo, sed eam quae praeexistebat, perficiendo.
12.
Dieu augmente la charitй, non pas en infusant une nouvelle charitй, mais en
perfectionnant celle qui prйexistait.
[65827]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sicut actus
egrediens ab agente potest causare virtutem acquisitam propter impressionem
virtutum activarum in passivis, ut supra dictum est; ita et potest eam
augere.
13. De mкme que l’acte issu d’un agent peut
causer la vertu acquise en raison de l’impression des puissances actives sur
les [puissances] passives, comme on l’a dit plus haut, de mкme peut-il
l’augmenter.
[65828] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas et aliae virtutes
infusae non augentur active ex actibus, sed tantum dispositive et meritorie,
ut dictum est. Nec tamen oportet quod quilibet actus perfectus correspondeat
quantitati virtutis : non enim oportet quod habens caritatem, semper operetur
secundum totum posse caritatis; usus enim habituum subiacet voluntati.
14. La charitй et les autres vertus infuses ne
sont pas augmentйes de maniиre active par les actes, mais seulement par mode
de disposition et de mйrite, comme on l’a dit. Toutefois, il n’est pas
nйcessaire que tout acte parfait corresponde а la quantitй de la vertu : en
effet, il n’est pas nйcessaire que celui qui a la charitй agisse toujours
selon tout ce que peut la charitй, car l’usage des habitus est soumis а la
volontй.
[65829]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ratio virtutis non
consistit in superlatione quantum ad se, sed quantum ad suum obiectum : quia
per virtutem ordinatur homo ad ultimum potentiae, quod est bene operari; unde
philosophus dicit, VII Phys., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum.
Tamen ad hoc optimum aliquis potest esse magis, vel minus dispositus; et
secundum hoc, virtus recipit magis vel minus. Vel dicendum, quod ultimum non
dicitur simpliciter, sed ultimum specie; sicut ignis est specie subtilissimum
corporum, et homo dignissima creaturarum; et tamen unus homo est dignior
altero.
15. La raison de vertu ne consiste pas par
elle-mкme dans le superlatif, mais elle se prend de son objet, car, par la
vertu, l’homme est ordonnй au point le plus йlevй de sa puissance, ce qui est
bien agir. Aussi le Philosophe dit-il, dans Physique, VII, que la
vertu est une disposition de ce qui est parfait а ce qui est le meilleur.
Toutefois, quelqu’un peut кtre plus ou moins bien disposй а ce qui est le
meilleur : de ce point de vue, la vertu reзoit plus ou moins. Ou bien il faut
dire qu’on ne parle pas de point le plus йlevй tout simplement, mais du point
le plus йlevй selon l’espиce, comme le feu est, selon son espиce, le plus
subtil des corps, et l’homme la plus digne des crйatures. Et cependant, un
homme est plus digne qu’un autre.
[65830] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in
indivisibili secundum se, sed ratione sui subiecti, in quantum quaerit medium
: ad quod quaerendum potest aliquis diversimode se habere, vel peius vel
melius. Et tamen ipsum medium non est omnino indivisibile; habet enim aliquam
latitudinem : sufficit enim ad virtutem quod appropinquet ad medium, ut
dicitur II Ethic.; et propter hoc unus actus altero virtuosior dicitur.
16. La raison de vertu ne consiste pas en
quelque chose d’indivisible en soi, mais en raison de son sujet, pour autant
qu’elle cherche un milieu, envers la recherche duquel quelqu’un peut se
comporter de diverses maniиres, pire ou meilleure. Cependant,
le milieu lui-mкme n’est pas du tout indivisible. En effet, il comporte une
certaine йtendue, puisqu’il suffit que la vertu s’approche du milieu, comme
il est dit dans Йthique, II. Pour cette raison, on dit qu’un acte est
plus vertueux qu’un autre.
[65831]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod virtus caritatis
est infinita ex parte Dei, vel finis; sed ad illum infinitum caritas finite
disponit; unde potest magis vel minus esse.
17. La vertu de charitй est infinie de la part
de Dieu ou de sa fin ; mais la charitй dispose а cet infini de maniиre
finie. Aussi peut-elle exister en plus ou en moins.
[65832] De virtutibus, q.
1 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non omne perfectum est
perfectissimum, sed solum illud quod est in ultimo actualitatis; et ideo
nihil prohibet, quod est perfectum secundum virtutem, adhuc magis perfici.
18. Tout ce qui est parfait n’est pas le plus
parfait, mais seulement ce qui atteint le plus haut point de mise en acte.
C’est pourquoi rien n’empкche que ce qui est parfait selon la vertu soit
rendu encore plus parfait.
Il semble que les vertus ne sont pas
correctement distinguйes.
[65835] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 1 Moralia enim recipiunt speciem ex fine. Si igitur virtutes
distinguantur secundum speciem, oportet quod hoc sit ex parte finis. Sed non ex parte finis proximi : quia sic essent infinitae virtutes
secundum speciem. Ergo ex parte finis ultimi. Sed finis ultimus virtutum est unus tantum,
scilicet Deus, sive felicitas. Ergo est una tantum virtus.
1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce
de la fin. Si donc les vertus sont distinguйes selon leur espиce, il est
nйcessaire que cela vienne de la fin. Or, cela ne vient pas de la fin
prochaine, car alors les vertus seraient infinies selon l’espиce. Cela vient
donc de la fin ultime. Or, la fin ultime des vertus est unique, а savoir,
Dieu, ou la fйlicitй. Il n’y a donc qu’une seule vertu.
[65836] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 2 Praeterea,
ad unum finem pervenitur una operatione. Una autem operatio est ex una forma.
Ergo ad unum finem ordinatur homo per unam formam. Finis autem hominis est
unus : scilicet felicitas. Ergo et virtus, quae est forma per quam homo
ordinatur ad felicitatem, est una tantum.
2. On parvient а une seule fin par une seule
opйration. Or, l’opйration unique vient d’une seule forme. L’homme est donc
ordonnй а une seule fin par une seule forme. Or, la fin de l’homme est
unique, а savoir, la fйlicitй. La vertu aussi est donc unique, elle qui est
la forme par laquelle l’homme est ordonnй а la fйlicitй.
[65837] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 3 Praeterea, formae et accidentia
recipiunt numerum secundum materiam vel subiectum. Subiectum autem virtutis
est anima, vel potentia animae. Ergo videtur quod virtus sit una tantum, quia
anima est una; vel saltem quod virtutes non excedant numerum potentiarum
animae.
3. Les formes et les accidents reзoivent leur
nombre de la matiиre ou du sujet. Or, le sujet de la vertu est l’вme ou une
puissance de l’вme. Il semble donc que la vertu soit unique, car l’вme est
unique ; ou tout au moins, que les vertus ne sont pas plus nombreuses que
les puissances de l’вme.
[65838]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 4 Praeterea, habitus distinguuntur per obiecta, sicut
et potentiae. Cum ergo virtutes sint quidam habitus : videtur quod eadem sit
ratio distinctionis virtutum et potentiarum animae; et sic, virtutes non
excedunt numerum potentiarum animae.
4. Les habitus se distinguent par leurs
objets, de mкme que les puissances. Puisque les vertus sont des habitus, il
semble donc que la raison de distinguer les vertus soit la mкme que celle de
distinguer les puissances de l’вme. Et ainsi, les vertus ne sont pas plus
nombreuses que les puissances de l’вme.
[65839] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 5 Sed dicendum, quod habitus distinguuntur per actus, et non per
potentias.- Sed contra, principiata distinguuntur secundum principia, et non
e converso; quia ab eodem res habent esse et unitatem. Sed habitus sunt
principia actuum. Ergo magis distinguuntur actus penes habitus quam e
converso.
5.
Mais les habitus se distinguent par leurs actes, et non par les puissances. –
En sens contraire, les rйalitйs qui jouent
le rфle de principes se distinguent selon les principes, et non l’inverse,
car les choses reзoivent leur кtre et leur unitй de la mкme rйalitй. Or, les
habitus sont les principes des actes. Les actes se distinguent donc plutфt
selon les habitus que l’inverse.
[65840]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 6 Praeterea, virtus necessaria est ad hoc quod homo
inclinetur ad id quod est virtutis per modum naturae : est enim virtus, ut
Tullius dicit, habitus in modum naturae rationi consentaneus. Ad id igitur ad quod ipsa potentia naturaliter inclinatur, non indiget
homo virtute. Sed voluntas hominis naturaliter inclinatur ad ultimum finem. Ergo circa ultimum finem non est necessarius homini aliquis habitus
virtutis; propter quod nec philosophi posuerunt aliquas virtutes quarum
obiectum esset felicitas. Nec ergo nos debemus ponere aliquas virtutes
theologicas, cuius obiectum sit Deus, qui est ultimus finis.
6.
La vertu est nйcessaire pour que l’homme soit inclinй par mode de nature а ce
qui relиve de la vertu. En effet, comme le dit Tullius [Cicйron], la vertu
est un habitus qui se plie а la raison par mode de nature. Pour qu’une
puissance elle-mкme soit inclinйe naturellement, l’homme n’a donc pas besoin
de vertu. Or, la volontй de l’homme est naturellement inclinйe vers la fin
ultime. Un habitus vertueux n’est donc pas nйcessaire а l’homme pour la fin
ultime; c’est la raison pour laquelle mкme les philosophes n’ont pas proposй
de vertus dont l’objet serait la fйlicitй. Nous ne devons donc pas nous aussi
proposer des vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, qui est la fin
ultime.
[65841] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 7 Praeterea, virtus est
dispositio perfecti ad optimum. Sed fides et spes imperfectionem quamdam important;
quia fides est de non visis, spes de non habitis, propter quod, cum
venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, ut dicitur 1
Cor. XIII, v. 10. Ergo fides et spes non debent poni virtutes.
7.
La vertu est une disposition de celui qui est parfait а ce qui est le
meilleur. Or, la foi et l’espйrance comportent une certaine imperfection, car
la foi porte sur des rйalitйs non vues, et l’espйrance, sur des rйalitйs non
possйdйes. C’est la raison pour laquelle, lorsque ce qui est parfait sera
venu, ce qui est partiel disparaоtra, 1 Co 13, 10. Il ne
faut donc pas proposer la foi et l’espйrance comme des vertus.
[65842]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 8 Praeterea, ad Deum non potest aliquis ordinari nisi
per intellectum et affectum. Sed fides sufficienter ordinat intellectum
hominis in Deum, caritas autem affectum. Ergo praeter fidem et caritatem non
debet poni spes virtus theologica.
8.
On ne peut кtre ordonnй а Dieu que par l’intellect et la volontй. Or, la foi
ordonne suffisamment l’intellect de l’homme vers Dieu, et la charitй, la
volontй. On ne doit donc pas proposer l’espйrance comme certu thйologale en
plus de la foi et de la charitй.
[65843] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 9 Praeterea, id quod est generale omni virtuti, non debet poni
specialis virtus. Sed caritas videtur esse communis omnibus virtutibus; quia
ut dicit Augustinus in Lib. de moribus Ecclesiae, nihil aliud est virtus quam
ordo amoris : ipsa etiam caritas dicitur esse forma omnium virtutum. Ergo non
debet poni una specialis virtus inter theologicas.
9.
Ce qui est commun а toute vertu ne doit pas кtre proposй comme une vertu
spйciale. Or, la charitй semble кtre commune а toutes les vertus, car, comme
le dit Augustin dans le Livre sur le comportement de l’Йglise, la
vertu n’est rien d’autre que l’ordre de l’amour. La charitй elle-mкme est
aussi appelйe la forme de toutes les vertus. Elle ne doit pas кtre mise comme
une vertu spйciale parmi les vertus thйologales.
[65844]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 10 Praeterea, in Deo non solum consideratur veritas
quam respicit fides, vel sublimitas quam respicit spes, vel bonitas quam
respicit caritas; sed sunt plura alia quae Deo attribuuntur : ut sapientia,
potentia et huiusmodi. Ergo videtur quod sit vel una tantum virtus
theologica, quia omnia illa unum sunt in Deo; vel quod sint tot virtutes
theologicae, quot sunt quae attribuuntur Deo.
10. En Dieu, on ne relиve pas seulement la
vйritй, qui est l’objet de la foi considиre, ni l’йlйvation, qui est l’objet
de l’espйrance, ni la bontй, qui est l’objet de la charitй, mais il existe
plusieurs autres choses qui sont attribuйes а Dieu, comme la sagesse, la
puissance et les choses de ce genre. Il semble donc qu’il y ait ou bien une
seule vertu thйologale, car toutes ces choses n’en sont qu’une en Dieu, ou
bien qu’il y ait autant de vertus thйologales qu’il y a de choses attribuйes
а Dieu.
[65845]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 11 Praeterea, virtus theologica est cuius actus
immediate ordinatur in Deum. Sed plura alia sunt talia : sicut sapientia quae
contemplatur Deum, timor qui reveretur ipsum, religio quae colit eum. Ergo non sunt tantum tres virtutes theologicae.
11.
La vertu thйologale est celle dont l’acte est immйdiatement ordonnй а Dieu.
Or, il existe plusieurs autres choses de ce genre, comme la sagesse, qui
contemple Dieu, la crainte, qui le rйvиre, la religion, qui lui rend un
culte. Il n’y a donc pas seulement trois vertus thйologales.
[65846] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 12 Praeterea, finis est ratio eorum quae sunt ad finem. Habitis
igitur virtutibus theologicis, quibus homo recte ordinatur ad Deum, videtur
superfluum ponere alias virtutes.
12.
La fin est la raison de ce qui est ordonnй а la fin. Une fois possйdйes les
vertus thйologales, par lesquelles l’homme est correctement ordonnй а Dieu,
il semble superflu de proposer d’autres vertus.
[65847]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 13 Praeterea, virtus ordinatur ad bonum : est enim
virtus quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est
tantum in voluntate et in appetitiva parte; et sic videtur quod non sint
aliquae virtutes intellectuales.
13.
La vertu est ordonnйe au bien : en effet, la vertu est ce qui rend bon celui
qui la possиde et rend bonne son action. Or, le bien ne se trouve que dans la
volontй et dans la partie appйtitive. Et ainsi, il semble qu’il n’y a pas de
vertus intellectuelles.
[65848] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 14 Praeterea, prudentia est quaedam virtus intellectualis. Ipsa
autem ponitur inter morales. Ergo videtur quod morales virtutes non
distinguantur ab intellectualibus.
14.
La prudence est une vertu intellectuelle. Or, elle est placйe parmi les
vertus morales. Il semble donc que les vertus morales ne se distinguent pas
des vertus intellectuelles.
[65849]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 15 Praeterea, scientia moralis non tractat nisi
moralia. Tractat autem scientia moralis de virtutibus intellectualibus. Ergo
virtutes intellectuales sunt morales.
15.
La science morale ne traite que des rйalitйs morales. Or, la science morale
traite des vertus intellectuelles. Les vertus intellectuelles sont donc [des
vertus] morales.
[65850] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 16 Praeterea, id quod ponitur in definitione alicuius, non
distinguitur ab eo. Sed prudentia ponitur in definitione virtutis moralis :
est enim virtus moralis, habitus electivus in medietate consistens
determinata secundum rectam rationem, ut dicitur II Ethic. : ratio enim
agibilium est prudentia, ut dicitur VI Ethic. Ergo morales virtutes non
distinguuntur a prudentia.
16.
Ce qui est mis dans la dйfinition d’une chose ne s’en distingue pas. Or, la
prudence est mise dans la dйfinition de la vertu morale : en effet, la vertu
morale est un habitus qui choisit ce en quoi consiste le milieu dйterminй
selon la raison droite, comme il est dit dans Йthique, II. En effet,
la raison des actes а poser est la prudence, comme il est dit dans Йthique,
VI. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence.
[65851] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut prudentia pertinet ad cognitionem practicam, ita et
ars. Sed praeter artem non sunt aliqui habitus in appetitiva parte ordinati
ad operandum artificialia. Ergo pari ratione nec praeter prudentiam sunt
aliqui habitus virtuosi in appetitu ad operandum agibilia; et ita videtur
quod non sint aliquae virtutes morales distinctae a prudentia.
17.
De mкme que la prudence se rapporte а la connaissance pratique, de mкme en
est-il de l’art. Or, il n’existe pas dans la partie appйtitive, en plus de
l’art, d’habitus ordonnйs а rйaliser des њuvres d’art. Pour la mкme raison,
il n’existe pas dans l’appйtit, pour poser les actes qui doivent l’кtre,
d’habitus vertueux, en plus de la prudence. Et ainsi, il semble qu’il
n’existe pas de vertus morales distinctes de la prudence.
[65852] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 18 Sed dicendum, quod ideo arti non respondet aliqua virtus in
appetitu, quia appetitus est singularium, ars autem universalium.- Sed
contra, Aristoteles dicit II Ethic., quod ira semper est circa singularia :
sed odium est etiam universalium; habemus enim odio omne latronum genus. Odium autem ad appetitum pertinet. Ergo appetitus est respectu universalium.
18.
Mais la raison pour laquelle il n’y a pas de vertu dans l’appйtit est que
l’appйtit porte sur des rйalitйs singuliиres, et l’art sur des rйalitйs universelles.
– En sens contraire, Aristote dit, dans Йthique,
II, que la colиre porte toujours sur des rйalitйs singuliиres, mais que
la haine porte aussi sur des rйalitйs universelles : en effet, nous haпssons
tous les genres de brigands. Or, la haine relиve de l’appйtit. L’appйtit
porte donc sur des rйalitйs universelles.
[65853] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 19 Praeterea, unaquaeque potentia naturaliter tendit in suum
obiectum. Obiectum autem appetitus est bonum apprehensum. Ergo appetitus
naturaliter tendit in bonum ex quo est apprehensum. Sed
ad apprehendendum bonum sufficienter nos perficit prudentia. Ergo praeter
prudentiam non est necessarium nos habere aliquam virtutem aliam moralem in
appetitu, cum ad hoc sufficiat inclinatio naturalis.
19.
Toute puissance tend naturellement vers son objet. Or, l’objet de l’appйtit
est le bien apprйhendй. L’appйtit tend donc naturellement vers le bien du
fait qu’il est apprйhendй. Or, pour apprйhender le bien, la prudence nous
perfectionne suffisamment. En plus de la prudence, il n’est donc pas
nйcessaire que nous ayons une autre vertu morale dans l’appйtit, puisque
l’inclination naturelle suffit а cela.
[65854] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 20 Praeterea, ad virtutem sufficit cognitio et operatio. Sed utrumque horum
habetur per prudentiam. Ergo praeter prudentiam non oportet ponere
alias virtutes morales.
20.
La connaissance et l’action suffisent pour la vertu. Or, on a ces deux deux
choses par la prudence. Il n’est donc pas nйcessaire de proposer d’autres
vertus morales en plus de la prudence.
[65855] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 21 Praeterea, sicut appetitivi
habitus distinguuntur penes obiecta, ita et habitus cognoscitivi. Sed de
omnibus moralibus est unus habitus cognoscitivus, vel scientia moralis circa
omnia moralia, vel etiam prudentia. Ergo et una tantum
est in appetitu virtus moralis.
21.
De mкme que les habitus appйtitifs se distinguent selon leurs objets, de mкme
en est-il aussi des habitus cognitifs. Or, il n’existe qu’un seul habitus
cognitif pour toutes les rйalitйs morales : soit la science morale pour
toutes les rйalitйs morales, soit aussi la prudence. Il n’existe donc qu’une
seule vertu morale dans l’appйtit.
[65856]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 22 Praeterea, ea quae conveniunt in forma, et differunt
solum in materia, sunt unum specie. Sed omnes virtutes morales conveniunt
secundum id quod est formale in eis, quia in omnibus est medium acceptum
secundum rationem rectam; non autem differunt nisi penes materias. Ergo non differunt specie, sed numero tantum.
22.
Les choses qui ont en commun une forme et qui ne diffиrent que par la
matiиre, font partie d’une seule espиce. Or, toutes les vertus morales ont en
commun ce qui a valeur de forme en elles, car, chez toutes, il existe un
milieu saisi selon la raison droite, et elles ne diffиrent que selon les
matiиres. Elles ne diffиrent donc pas selon l’espиce, mais selon le nombre
seulement.
[65857] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 23 Praeterea, ea quae differunt specie, non denominantur ad
invicem. Sed virtutes morales denominant se ad invicem : quia, ut Augustinus
dicit, oportet quod iustitia sit fortis et temperata, et temperantia iusta et
fortis, et sic de aliis. Ergo virtutes non distinguuntur ad invicem.
23.
Les choses qui diffиrent par l’espиce ne reзoivent pas leur nom les unes des
autres. Or, les vertus morales reзoivent leur nom les unes des autres, car,
comme le dit Augustin, il est nйcessaire que la justice soit forte et
tempйrйe, et que la tempйrance soit juste et forte, et ainsi de suite pour les
autres. Les vertus ne se distinguent donc pas les unes des autres.
[65858]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 24 Praeterea, virtutes theologicae et cardinales, sunt
principaliores quam morales. Sed virtutes intellectuales non dicuntur
cardinales, neque theologicae. Ergo nec morales debent dici cardinales, quasi
principales.
24.
Les vertus thйologales et les [vertus] cardinales sont supйrieures aux vertus
morales. Or, les vertus intellectuelles ne sont appelйes ni cardinales ni
thйologales. Des vertus morales ne doivent donc pas, elles non plus, кtre
appelйes cardinales, comme si elles йtaient supйrieures.
[65859] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 25 Praeterea, tres ponuntur animae partes; scilicet rationalis,
irascibilis et concupiscibilis. Ergo si sunt aliquae virtutes principales,
videtur quod sint tres tantum.
25.
On admet qu’il existe trois parties de l’вme : la partie raisonnable, la
[partie] irascible et la [partie] concupiscible. S’il existe des vertus
principales, il semble donc qu’il y en ait trois.
[65860]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 26 Praeterea, aliae virtutes videntur istis
principaliores; sicut est magnanimitas, quae operatur magnum in omnibus
virtutibus, ut dicitur IV Ethic.; et humilitas, quae est custos virtutum;
mansuetudo etiam videtur esse principalior quam fortitudo, cum sit circa
iram, a qua denominatur irascibilis; liberalitas et magnificentia, quae dant
de suo, videntur esse principaliores quam iustitia quae reddit alteri
debitum. Ergo istae non sunt virtutes cardinales, sed magis aliae.
26.
D’autres vertus semblent supйrieures а celles-ci, comme la maganimitй, qui
accomplit ce qui est grand dans toutes les vertus, comme il est dit dans Йthique,
IV, et l’humilitй, qui est la gardienne des vertus; la douceur aussi
semble кtre supйrieure а la force, puisqu’elle porte sur la colиre, dont
l’irascible tire son nom; la libйralitй et la magnificence, qui donnent de
leur bien propre, semblent кtre supйrieures а la justice, qui rend а autrui
ce qui lui est dы. Ces vertus ne sont donc pas des vertus cardinales, mais
d’autres le sont plutфt.
[65861] De virtutibus, q.
1 a. 12 arg. 27 Praeterea, pars non distinguitur a suo toto. Sed aliae
virtutes ponuntur a Tullio, partes istarum quatuor : scilicet prudentiae,
iustitiae, fortitudinis, et temperantiae. Ergo saltem aliae virtutes morales
non distinguuntur ab istis; et sic videntur virtutes non recte distingui.
27.
La partie ne se distingue du tout dont elle fait partie. Or, d’autres vertus
sont donnйes par Tullius [Cicйron] comme parties de ces quatre : la prudence,
la justice, la force et la tempйrance. D’autres vertus morales ne sont donc
pas distinctes de celles-ci. Et ainsi, il semble que les vertus ne soient pas
correctement distinguйes.
Cependant :
[65862]
De virtutibus, q. 1 a. 12 s. c. Sed contra, est quod 1 Cor. XIII, 13, dicitur : nunc
autem manent fides, spes, caritas, tria haec; et Sap. VIII, 7 : sobrietatem
et prudentiam docet, et iustitiam, et virtutem.
Il
est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant donc demeurent la foi,
l’espйrance et la charitй, ces trois choses; et en Sg 8, 7 : [La
Sagesse] enseigne tempйrance et prudence, justice et force.
Rйponse :
[65863] De virtutibus, q.
1 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod unumquodque diversificatur secundum
speciem secundum id quod est formale in ipso. Formale autem in unoquoque est
id quod est completivum definitionis eius. Ultima enim differentia constituit
speciem : unde per eam differt definitum secundum speciem ab aliis; et si
ipsa sit multiplicabilis formaliter secundum diversas rationes, definitum in
species diversas dividitur secundum ipsius diversitatem. Illud autem quod est
completivum et ultimum formale in definitione virtutis, est bonum : nam
virtus universaliter accepta sic definitur : virtus est, quae bonum facit
habentem, et opus eius bonum reddit : ut patet in Lib. Ethic. Unde et
virtus hominis, de qua loquimur, oportet quod diversificetur secundum
speciem, secundum quod bonum ratione diversificatur. Cum autem homo sit homo
in quantum rationalis est; oportet hominis bonum esse eius quod est
aliqualiter rationale. Rationalis autem pars, sive intellectiva, comprehendit
et cognitivam et appetitivam. Pertinet autem ad rationalem partem non solum
appetitus, qui est in ipsa parte rationali, consequens apprehensionem
intellectus, qui dicitur voluntas : sed etiam appetitus qui est in parte
sensitiva hominis, et dividitur per irascibilem et concupiscibilem. Nam etiam
hic appetitus in homine sequitur apprehensionem rationis, in quantum imperio
rationis obedit; unde et participare dicitur aliqualiter rationem. Bonum
igitur hominis est et bonum cognitivae et bonum appetitivae partis. Non autem
secundum eamdem rationem utrique parti bonum attribuitur. Nam bonum
appetitivae parti attribuitur formaliter, ipsum enim bonum est appetitivae
partis obiectum : sed intellectivae parti attribuitur bonum non formaliter,
sed materialiter tantum. Nam cognoscere verum, est quoddam bonum cognitivae
partis; licet sub ratione boni non comparetur ad cognitivam, sed magis ad
appetitivam : nam ipsa cognitio veri est quoddam appetibile. Oportet igitur
alterius rationis esse virtutem quae perficit partem cognoscitivam ad
cognoscendum verum, et quae perficit rationem appetitivam ad apprehendendum
bonum; et propter hoc philosophus in Lib. Ethic., distinguit virtutes
intellectuales a moralibus : et intellectuales dicuntur quae perficiunt
partem intellectualem ad cognoscendum verum, morales autem quae perficiunt
partem appetitivam ad appetendum bonum. Et quia bonum magis congrue competit
parti appetitivae quam intellectivae, propter hoc, nomen virtutis
convenientius et magis proprie competit virtutibus appetitivae partis quam
virtutibus intellectivae; licet virtutes intellectivae sint nobiliores
perfectiones quam virtutes morales, ut probatur VI Ethic. Cognitio autem veri
non est respectu omnium unius rationis. Alia enim ratione cognoscitur verum
necessarium, et verum contingens : et iterum verum necessarium alia ratione
cognoscitur si sit per se notum, sicut intellectu cognoscuntur prima
principia; alia ratione si fiat notum ex alio, sicut fiunt notae conclusiones
per scientiam vel sapientiam circa altissima : in quibus etiam est alia ratio
cognoscendi, eo quod ex hac homo dirigitur in aliis cognoscendis. Et
similiter circa contingentia operabilia non est eadem ratio cognoscendi ea quae
sunt in nobis, quae dicuntur agibilia, ut sunt operationes nostrae, circa
quas frequenter contingit errare, propter aliquam passionem; quarum est
prudentia : et ea quae sunt extra nos a nobis factibilia, in quibus dirigit
ars aliqua; quorum rectam aestimationem passiones animae non corrumpunt. Et
ideo philosophus ponit VI Ethic., virtutes intellectuales, scilicet
sapientiam, et scientiam et intellectum, prudentiam et artem. Similiter etiam
bonum appetitivae partis non secundum eamdem rationem se habet in omnibus
rebus humanis. Huiusmodi autem bonum in tripartita materia quaeritur;
scilicet in passionibus irascibilis et in passionibus concupiscibilis, et in
operationibus nostris quae sunt circa res exteriores quae veniunt in usum
nostrum, sicut est emptio et venditio, locatio et conductio, et huiusmodi
alia. Bonum enim hominis in passionibus est, ut sic homo in eis se habeat,
quod per earum impetum a rationis iudicio non declinet; unde si aliquae
passiones sunt quae bonum rationis natae sint impedire per modum incitationis
ad agendum vel prosequendum, bonum virtutis praecipue consistit in quadam
refrenatione et retractione; sicut patet de temperantia, quae refrenat et
compescit concupiscentias. Si autem passio nata sit praecipue bonum rationis
impedire in retrahendo, sicut timor, bonum virtutis circa huiusmodi passionem
erit in sustinendo; quod facit fortitudo. Circa res vero exteriores bonum
rationis consistit in hoc quod debitam proportionem suscipiant, secundum quod
pertinent ad communicationem humanae vitae; et ex hoc imponitur nomen
iustitiae, cuius est dirigere, et aequalitatem in huiusmodi invenire. Sed
considerandum est, quod tam bonum intellectivae partis quam appetitivae est
duplex : scilicet bonum quod est ultimus finis, et bonum quod est propter finem;
nec est eadem ratio utriusque. Et ideo praeter omnes virtutes praedictas,
secundum quas homo bonum consequitur in his quae sunt ad finem, oportet esse
alias virtutes secundum quas homo bene se habet circa ultimum finem, qui Deus
est; unde et theologicae dicuntur, quia Deum habent non solum pro fine, sed
etiam pro obiecto. Ad hoc autem quod moveamur recte in finem, oportet finem
esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem finis duo exigit : scilicet
fiduciam de fine obtinendo, quia nullus sapiens movetur ad id quod consequi
non potest; et amorem finis, quia non desideratur nisi amatum. Et ideo
virtutes theologicae sunt tres : scilicet fides, qua Deum cognoscimus; spes,
qua ipsum nos obtenturos esse speramus; et caritas, qua eum diligimus. Sic ergo
patet quod sunt tria genera virtutum : theologicae, intellectuales et morales
et quodlibet genus sub se plures species habet.
Toute
chose se diversifie selon l’espиce d’aprиs ce qui joue le rфle de forme en
elle. Or, joue le rфle de forme en toute chose ce qui complиte sa dйfinition.
En effet, la diffйrence ultime constitue l’espиce : c’est donc par elle que
ce qui est dйfini diffиre des autres choses selon l’espиce, et si elle est
multipliable selon la forme en diverses raisons, ce qui est dйfini en espиces
diverses se divise selon sa diversitй. Or, ce qui est le complйment et joue
ultimement le rфle de forme dans la dйfinition de la vertu, c’est le bien,
car la vertu, entendue d’une maniиre universelle, se dйfinit ainsi : «La
vertu est ce qui rend bon celui qui la possиde et rend bone son action»,
comme cela ressort clairement de l’Йthique. Aussi est-il nйcessaire
que la vertu de l’homme, dont nous parlons, se diversifie selon l’espиce
selon que le bien se diversifie d’aprиs la raison. Or, puisque l’homme est
homme pour autant qu’il est raisonnable, il est nйcessaire que le bien de
l’homme soit le bien de ce qui est raisonnable d’une certaine maniиre. Or, la
partie raisonnable, ou intellective, comprend la [partie] cognitive et la
[partie] appйtitive. Relиvent donc de la partie raisonnable, non seulement
l’appйtit qui existe dans la partie raisonnable elle-mкme, qui suit
l’apprйhension de l’intellect et qu’on appelle volontй, mais aussi l’appйtit
qui est dans la partie sensible de l’homme, et qui se divise en irascible et
en concupiscible. Car mкme cet appйtit chez l’homme suit l’apprйhension de la
raison, pour autant qu’il obйit au commandement de la raison. C’est pourquoi
on dit qu’il participe d’une certaine maniиre а la raison. Le bien de l’homme
est donc tant le bien de la partie cognitive que le bien de la partie
appйtitive. Mais le bien n’est pas attribuй aux deux parties pour la mкme
raison. Car le bien de la partie appйtitive est attribuй а titre de forme :
en effet, le bien est l’objet de la partie appйtitive; mais le bien est
attribuй а la partie intellective non pas а titre de forme, mais а titre de
matiиre seulement. Car connaоtre le vrai est un certain bien de la partie
cognitive, bien que, sous la raison de bien, il ne se rapporte pas а la partie
cognitive, mais plutфt а la partie appйtitive, car la connaissance du vrai
elle-mкme est un objet de l’appйtit. Il est donc nйcessaire que la vertu qui
parfait la partie cognitive pour connaоtre le vrai et celle qui parfait la
partie appйtitive pour apprйhender le bien aient une autre raison. C’est
pourquoi, dans le livre de l’Йthique, le Philosophe distingue les
vertus intellectuelles des vertus morales : sont appelйes intellectuelles
celles qui perfectionnent la partie intellectuelle pour connaоtre le vrai,
mais [sont appelйes] morales celles qui perfectionnent la partie appйtitive
pour dйsirer le bien. Et parce que le bien relиve plutфt de la partie
appйtitive que de la partie intellective, le nom de vertu appartient avec
plus de convenance et en un sens plus propre aux vertus de la partie
appйtitive plutфt qu’aux vertus de la partie intellective, bien que les
vertus intellectives soient des perfections plus nobles que les vertus
morales, comme on le dйmontre dans Йthique, VI. Or, la connaissance du
vrai ne s’йtend pas а toutes choses selon une seule raison. En effet, le vrai
nйcessaire est connu selon selon une raison, et le vrai contingent selon une
autre; de plus, le vrai nйcessaire est connu selon une autre raison s’il est
connu par lui-mкme, comme les premiers principes sont connus par l’intellect,
et selon une autre raison s’il devient connu par autre chose, comme les
conclusions deviennent connues par la science ou la sagesse portant sur les
rйalitйs les plus йlevйes, pour lesquelles il y a encore une autre raison de
les connaоtre, du fait que l’homme est orientй vers la connaissance des
autres choses а partir d’elle. De la mкme maniиre, а propos des actes а poser
qui sont contingents, autre est la raison de connaоtre ce qui est en nous,
qu’on appelle les actes а poser, comme sont nos opйrations, а propos
desquelles il [nous] arrive souvent d’errer en raison de quelque passion, et
sur lesquelles porte la prudence; et [autre est la raison de connaоtre] les
choses extйrieures а nous, mais rйalisables par nous, pour lesquelles un
certain art assure la direction, et dont les passions de l’вme ne pas
corrompent le jugement droit. C’est pourquoi, dans Йthique, VI, le
Philosophe met de l’avant des vertus intellectuelles, а savoir, la sagesse,
la science et l’intellect, la prudence et l’art. De la mкme maniиre aussi, le
bien de la partie appйtitive ne se trouve pas selon la mкme raison dans
toutes les choses humaines. Le bien de ce genre est cherchй dans une matiиre
qui se divise en trois : dans les passions de l’irascible et dans les
passions du concupiscible, et dans nos opйrations qui portent sur les choses
extйrieures qui viennent en notre usage, comme l’achat et la vente, la
location et le contrat, et les autres choses de ce genre. En effet, le bien
de l’homme, pour ce qui est des passions, consiste en ce que l’homme se
comporte а leur йgard de telle sorte qu’il ne s’йcarte pas du jugement de la
raison sous leur impulsion. Ainsi, s’il existe certaines passions qui ont
tendance а faire obstacle au bien de la raison par mode d’incitation а agir
ou а obtenir, le bien de la vertu consiste principalement а se retenir et а
se retirer, comme cela est clair pour la tempйrance, qui rйfrиne et rйprime
les convoitises. Mais si une passion a tendance а faire obstacle au bien de
la vertu principament en se retirant, comme c’est le cas de la crainte, le
bien de la vertu а propos de cette passion consistera а supporter, ce que
fait la force. Mais, en ce qui concerne les choses extйrieures, le bien de la
raison consiste en ce qu’ils reзoivent la proportion appropriйe pour les
rapports de la vie humaine; de lа vient de nom de justice, а qui il
appartient de redresser et de trouver l’йgalitй dans les choses de ce genre.
Mais il faut observer que le bien de la partie intellective, comme celui de
la partie appйtitive, est double : le bien qui est la fin ultime, et le bien
qui existe en vue de la fin, et la raison des deux n’est pas la mкme. Et
c’est pourquoi, en plus de toutes les vertus dйjа mentionnйes, par lesquelles
l’homme obtient le bien pour ce qui est ordonnй а la fin, il est nйcessaire
qu’existent d’autres vertus, par lesquelles l’homme se situe bien par rapport
а la fin ultime, qui est Dieu. De lа vient qu’elles sont appelйes
thйologales, parce qu’elles ont Dieu non seulement comme fin, mais aussi
comme objet. Or, pour que nous soyons correctement mus vers la fin, il est
nйcessaire que la fin soit а la fois connue et dйsirйe. Or, le dйsir de la
fin exige deux choses : la confiance d’obtenir la fin, car aucun sage n’est
mы vers ce qu’il ne peut pas obtenir; et l’amour de la fin, car elle n’est
pas dйsirйe а moins d’кtre aimйe. C’est pourquoi il y a trois vertus
thйologales : la foi, par laquelle nous connaissons Dieu; l’espйrance, par
laquelle nous espйrons l’obtenir; la charitй, par laquelle nous l’aimons. Il
ressort ainsi clairement qu’il y a trois genres de vertus : les vertus
thйologales, intellectuelles et morales, et chaque genre comporte plusieurs
espиces.
Solutions
:
[65864]
De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod moralia recipiunt
speciem a finibus proximis; qui tamen non sunt infiniti, si in eis sola
differentia formalis consideretur : nam finis proximus uniuscuiusque virtutis
est bonum quod ipsa operatur, quod differt ratione, ut ostensum est in corp.
art.
1. Les rйalitйs morales reзoivent leur espиce
des fins prochaines, qui ne sont cependant pas infinies, si l’on considиre en
elles la seule diffйrence formelle, car la fin prochaine de toutes les vertus
est le bien qu’elle accomplit, qui diffиre par sa raison, comme on l’a montrй
dans le corps de l’article.
[65865] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
ratio illa procedit in his quae agunt per necessitatem naturae, quia ea
consequuntur finem una actione et una forma : homo autem ideo habet rationem,
quia per plura et diversa oportet quod ad finem suum perveniat; unde sunt ei
necessariae plures virtutes.
2.
Cet argument s’applique aux choses qui agissent par nйcessitй de nature, car
celles-ci obtiennent leur fin par une seule action et une seule forme. Mais
l’homme a la raison parce qu’il doit parvenir а sa fin par plusieurs choses
diverses. Aussi plusieurs vertus lui sont-elles nйcessaires.
[65866] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidentia non multiplicantur in uno
secundum numerum, sed tantum secundum speciem; unde non oportet unitatem vel
multitudinem in virtutibus considerari secundum subiectum, quod est anima,
vel potentiae eius, nisi quatenus diversitatem potentiarum consequitur
diversa ratio boni, secundum quam distinguuntur virtutes, ut dictum est.
3.
Les accidents ne sont pas multipliйs dans une chose selon le nombre, mais
seulement selon l’espиce. Il n’est donc pas nйcessaire que l’unitй et la
multitude soient envisagйes pour les vertus selon leur sujet, qui est l’вme
ou ses puissances, si ce n’est pour autant qu’une raison de bien diffйrente
entraоne la diversitй des puissances, [raison] selon laquelle les vertus sont
distinguйes, comme on l’a dit.
[65867]
De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem
rationem est aliquid obiectum potentiae et habitus. Nam potentia est secundum
quam simpliciter possumus aliquid, puta irasci vel confidere; habitus autem
est secundum quem aliquid possumus bene vel male, ut dicitur in Ethic. Et
ideo ubi est alia ratio boni, est alia ratio obiecti quantum ad habitum, sed
non quantum ad potentiam; propter quod contingit in una potentia multos
habitus esse.
4.
Une chose n’est pas l’objet d’une puissance et d’un habitus selon la mкme raison.
Car la puissance est ce par quoi nous pouvons tout simplement quelque chose,
par exemple, кtre en colиre ou avoir confiance; mais l’habitus est ce selon
quoi nous le pouvons bien ou mal, comme il est dit dans Йthique. C’est
pourquoi lа oщ il y a une autre raison de bien, il y a une autre raison
d’objet quant а l’habitus, mais non quant а la puissance. C’est la raison
pour laquelle plusieurs habitus peuvent se trouvent dans une seule puissance.
[65868] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nihil
prohibet aliquid esse causam effectivam alterius, quod tamen est causa
finalis illius; sicut medicina est causa effectiva sanitatis, quae est finis
medicinae, ut philosophus dicit I Ethic. Habitus igitur sunt causae effectivae actuum;
sed actus sunt fines habituum; et ideo habitus formaliter secundum actus
distinguuntur.
5.
Rien n’empкche que quelque chose soit la cause efficiente d’une autre chose,
tout en йtant sa cause finale, comme le mйdicament est la cause efficiente de
la santй, qui est la fin du mйdicament, comme le Philosophe le dit dans Йthique,
I. Les habitus sont donc causes efficientes des actes, mais les actes
sont fins des habitus; c’est pourquoi les habitus se distinguent formellement
selon les actes.
[65869] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod respectu finis qui est naturae humanae
proportionatus, sufficit homini ad bene se habendum naturalis inclinatio; et
ideo philosophi posuerunt aliquas virtutes, quarum obiectum esset felicitas,
de qua ipsi tractabant. Sed finis in quo beatitudinem speramus, Deus, est
naturae nostrae excedens proportionem; et ideo supra naturalem inclinationem
necessariae sunt nobis virtutes, quibus in finem ultimum elevemur.
6.
Par rapport а la fin qui est proportionnйe а la nature humaine, l’inclination
naturelle suffit а l’homme pour se bien comporter. C’est pourquoi les
philosophes ont mis de l’avant certaines vertus, dont l’objet serait la
fйlicitй, dont eux-mкmes traitaient. Mais la fin que nous espйrons, Dieu,
dйpasse la proportion de notre nature. C’est pourquoi, en plus de
l’inclination naturelle, nous sont nйcessaires des vertus par lesquelles nous
sommes йlevйs vers la fin ultime.
[65870] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
attingere ad Deum qualitercumque et imperfecte, maioris perfectionis est quam
perfecte alia attingere; unde philosophus dicit de proprietatibus animalium,
et in II de Cael. et Mund. : quod de sublimioribus rebus percipimus, est
dignius, quam quod de aliis rebus multum cognoscimus. Et ideo nihil prohibet et
fidem et spem esse virtutes, quamvis per eas imperfecte attingamus ad Deum.
7.
Atteindre Dieu d’une maniиre quelconque et imparfaitement est plus parfait
que d’atteindre parfaitement les autres rйalitйs. C’est ainsi que le
Philosophe dit, а propos des propriйtйs des animaux, dans Sur le ciel et
le monde, II : «Ce que nous percevons des rйalitйs plus йlevйes est plus
digne que la connaissance approfondie que nous avons des autres choses.»
C’est pourquoi rien n’empкche que la foi et l’espйrance soient des vertus,
bien que nous approchions Dieu imparfaitement par elles.
[65871] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod affectus in Deum ordinatur et per spem in
quantum confidit de Deo, et per caritatem in quantum diligit ipsum.
8.
L’orientation de la volontй vers Dieu se rйalise par l’espйrance, pour autant
qu’elle a confiance а propos de Dieu, et par la charitй, pour autant qu’elle
l’aime.
[65872] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor
est principium et radix omnium affectuum : non enim gaudemus de praesentia
boni nisi in quantum est amatum; et similiter patet in omnibus aliis
affectionibus. Sic
igitur omnis virtus quae est ordinativa alicuius passionis, est etiam
ordinativa amoris. Nec etiam sequitur quod caritas, quae est amor, non sit
virtus specialis; sed oportet quod sit principium quodammodo omnium virtutum,
in quantum omnes movet ad suum finem.
9.
L’amour est le principe et la racine de tous les autres sentiments. En effet,
nous ne nous rйjouissons de la prйsence du bien que pour autant qu’il est
aimй; de mкme en est-il clairement pour tous les autres sentiments. Ainsi
donc, toute vertu qui ordonne une passion ordonne aussi l’amour. Il n’en
dйcoule cependant pas que la charitй, qui est un amour, ne soit pas une vertu
spйciale, mais il est nйcessaire qu’il soit d’une certaine maniиre le
principe de toutes les vertus, pour autant qu’il les meut toutes vers sa fin.
[65873] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet secundum omnia attributa divina
accipi virtutes theologicas, sed solum secundum illa secundum quae appetitum
nostrum movet ut finis; et secundum hoc sunt tres virtutes theologicae, ut
dictum est art. 10 huius quaestionis.
10.
Il n’est pas nйcessaire de concevoir des vertus thйologales pour tous les
attributs divins, mais seulement pour ceux selon lesquels il meut notre
appйtit en tant que fin. Et ainsi, il y a trois vertus thйologales, comme on
l’a dit dans l’article 10 de la prйsente question.
[65874] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod religio habet Deum pro fine, non autem pro
obiecto, sed ea quae offert colendo ipsum; et ideo non est virtus theologica.
Similiter etiam sapientia, qua nunc contemplamur Deum, non immediate respicit
ipsum Deum, sed effectus ex quibus ipsum in praesenti contemplamur. Timor etiam respicit pro obiecto aliquid aliud quam Deum; vel poenas
vel propriam parvitatem, ex cuius consideratione homo Deo reverenter se
subiicit.
11.
La religion a Dieu comme fin, non pas en tant qu’objet, mais pour lui rendre
un culte par ce qu’elle offre. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu
thйologale. De mкme, la sagesse, par laquelle nous contemplons Dieu
maintenant, ne porte pas sur Dieu lui-mкme, mais sur les effets а partir
desquels nous le contemplons dans la vie prйsente. La crainte aussi porte sur
quelque chose d’autre que Dieu : soit les peines, soit sa propre petitesse,
dont la considйration pousse l’homme а se soumettre а Dieu avec respect.
[65875] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
sicut in speculativis sunt principia et conclusiones : ita et in operativis
sunt fines et ea quae sunt ad finem. Sicut
igitur ad perfectam cognitionem et expeditam non sufficit quod homo bene se
habeat circa principia per intellectum, sed ulterius requiritur scientia ad
conclusiones; ita in operativis praeter virtutes theologicas, quibus bene nos
habemus ad ultimum finem, sunt necessariae virtutes aliae, quibus bene
ordinemur ad ea quae sunt ad finem.
12.
De mкme que, dans le domaine spйculatif, il existe des principes et des
conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, il existe des fins et ce
qui est ordonnй а la fin. De mкme que, pour la connaissance parfaite et
rapide, il ne suffit pas que l’homme se comporte bien par rapport aux
principes par l’intellect, mais qu’est aussi nйcessaire la science pour les
conclusions, de mкme, dans le domaine des actions, en plus des vertus
thйologales par lesquelles nous nous comportons bien vis-а-vis de la fin,
d’autres vertus sont-elles nйcessaires, par lesquelles nous sommes bien
ordonnйs par rapport а ce qui se rapporte а la fin.
[65876] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet bonum, in quantum huiusmodi,
sit obiectum appetitivae virtutis et non intellectivae; tamen id quod est
bonum, potest inveniri etiam in intellectiva. Nam cognoscere verum, quoddam
bonum est; et sic habitus perficiens intellectum ad verum cognoscendum, habet
virtutis rationem.
13.
Quoique le bien, en tant que tel, soit l’objet de la puissance appйtitive, et
non de la puissance intellective, ce qui est bien peut cependant se trouver
mкme dans la partie intellective. Car connaоtre le vrai est un certain bien.
Et ainsi, l’habitus perfectionnant l’intellect pour connaоtre le vrai a raison
de vertu.
[65877] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod prudentia secundum essentiam suam intellectualis est, sed habet materiam
moralem; et ideo quandoque cum moralibus numeratur, quodammodo media existens
inter intellectuales et morales.
14.
La prudence est intellectuelle selon son essence, mais elle a une matiиre
morale. C’est pourquoi elle est parfois comptйe parmi les vertus morales, en
occupant d’une certaine faзon une position mйdiane entre les vertus
intellectuelles et les vertus morales.
[65878] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtutes intellectuales licet
distinguantur a moralibus, pertinent tamen ad scientiam moralem in quantum
actus earum voluntati subduntur : utimur enim scientia cum volumus, et aliis
virtutibus intellectualibus. Ex hoc autem aliquid morale dicitur, quod se
habet aliquo modo ad voluntatem.
15.
Bien que les intellectuelles soient distinctes des vertus morales, elles se
rapportent cependant а la science morale pour autant que leurs actes sont
soumis а la volontй. En effet, nous faisons usage de la science lorsque nous
le voulons, ainsi que des autres vertus intellectuelles. Car on dit de
quelque chose que cela est moral lorsque cela a un certain rapport avec la
volontй.
[65879] De virtutibus, q. 1 a.
12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio recta prudentiae non ponitur
in definitione virtutis moralis, quasi aliquid de essentia eius existens; sed
sicut causa quodammodo effectiva ipsius, vel per participationem. Nam virtus moralis nihil aliud est quam participatio quaedam rationis
rectae in parte appetitiva, ut in superioribus dictum est.
16.
La raison droite de la prudence n’est pas placйe dans la dйfinition de la
vertu morale comme si elle faisait partie de son essence, mais comme une
cause qui la rйalise d’une certaine maniиre ou en raison d’une participation.
Car la vertu morale n’est rien d’autre qu’une certaine participation а la
raison droite dans la partie appйtitive, comme on l’a dit plus haut.
[65880] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod materia artis sunt exteriora
factibilia; materia autem prudentiae sunt agibilia in nobis existentia. Sicut
igitur ars requirit rectitudinem quamdam in rebus exterioribus, quae ars
disponit secundum aliquam formam; ita prudentia requirit rectam dispositionem
in passionibus et affectionibus nostris; et propter hoc prudentia requirit
aliquos habitus morales in parte appetitiva, non autem ars.
17.
Les rйalisations extйrieures sont la matiиre de l’art, mais les actions а
poser qui existent en nous sont la matiиre de la prudence. De mкme donc que
l’art requiert une certaine rectitude dans les choses extйrieures, que l’art
dispose selon une certaine forme, de mкme la prudence requiert-elle une
disposition droite dans nos affections et nos passions. Pour cette raison, la
prudence requiert certains habitus dans la partie appйtitive, mais non l’art.
[65881] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum concedimus. Appetitus enim
intellectivae partis, qui est voluntas, potest esse universalis boni, quod
per intellectum apprehenditur; non autem appetitus qui est in parte
sensitiva, quia nec sensus universale apprehendit.
18.
En effet, l’appйtit de la partie intellective, qui est la volontй, peut
porter sur le bien universel, qui est apprйhendй par l’intellect, mais non
l’appйtit qui se trouve dans la partie sensible, parce que le sens
n’apprйhende pas non plus l’universel.
[65882] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet appetitus naturaliter moveatur in
bonum apprehensum; ad hoc tamen quod faciliter inclinetur in hoc bonum, quod
ratio consequitur per prudentiam perfectam, requiritur in parte appetitiva
aliquis habitus virtutis; et praecipue vera ratio deliberans et demonstrans aliquod
bonum, in cuius contrarium appetitus natus est ferri absolute; sicut
concupiscibilis nata est moveri in delectabile sensus, et irascibilis in
vindictam, quae tamen interdum ratio prohibet per suam deliberationem. Similiter etiam voluntas,
ea quae in usum hominis veniunt, nata est appetere sibi ad necessitatem
vitae, sed ratio deliberans aliquando praecipit alteri communicanda. Et ideo in parte appetitiva necessarium est ponere habitus virtutum ad
hoc quod faciliter obediat rationi.
19.
Bien que l’appйtit soit naturellement mы vers le bien apprйhendй, pour qu’il
soit facilement inclinй vers ce bien, que la raison poursuit par la prudence
parfaite, un habitus de vertu est nйcessaire dans la partie appйtitive, et
surtout, une raison vraie dйlibйrant et montrant un certain bien, alors que
l’appйtit, laissй а lui-mкme, est naturellement poussй vers son contraire :
ainsi, le concupiscible est naturellement poussй а кtre mы vers un plaisir du
sens, et l’irascible, vers la vengeance, que la raison interdit cependant par
sa dйlibйration. De la mкme faзon, la volontй est naturellement poussйe а
dйsirer pour elle-mкme, pour ce qui est nйcessaire а la vie, les choses qui
viennent а l’usage de l’homme, mais la raison qui dйlibиre ordonne parfois de
les partager avec un autre. C’est pourquoi il est nйcessaire de mettre dans
la partie appйtitive les habitus des vertus afin qu’elle obйisse facilement а
la raison.
[65883] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum est, quod cognitio ad prudentiam immediate pertinet;
sed operatio pertinet ad eam mediante appetitiva virtute; et ideo debent in
appetitiva etiam virtute esse aliqui habitus, qui dicuntur virtutes morales.
20.
La connaissance relиve immйdiatement de la prudence, mais l’opйration en
relиve par l’intermйdiaire de la puissance appйtitive. C’est pourquoi il doit
y avoir des habitus dans la partie appйtitive, qu’on appelle les vertus
morales.
[65884] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod in omnibus moralibus est una ratio
veri : in omnibus enim moralibus est verum contingens agibile; non tamen in
eis est una ratio boni, quod est obiectum virtutis. Et ideo respectu omnium
moralium est unus habitus cognoscitivus, sed non una virtus moralis.
21.
Dans toutes les rйalitйs morales, n’existe qu’une seule raison de vrai : en
effet, dans toutes les rйalitйs morales, existe le vrai contingent qui peut
кtre accompli. Cependant, il n’y a pas en
elles une seule raison de bien, qui est l’objet de la vertu. C’est pourquoi,
pour toutes les rйalitйs morales, il n’y a qu’un seul habitus cognitif, mais
non pas une seule vertu morale.
[65885] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum,
quod medium in diversis materiis diversimode invenitur; et ideo diversitas
materiae in virtutibus moralibus causat diversitatem formalem secundum quam
virtutes morales specie differunt.
22.
Le milieu se trouve diffйremment selon les diverses matiиres. C’est pourquoi
la diversitй de matiиre dans les vertus morales cause une diversitй formelle,
selon laquelle les vertus morales diffиrent selon l’espиce.
[65886] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod quaedam virtutes morales speciales,
et circa materiam specialem existentes, appropriant sibi illud quod est
commune omni virtuti, et ab eo denominantur : propterea quod illud quod est
omnibus commune in aliqua speciali materia, praecipue difficultatem et laudem
habet. Manifestum
est enim quod ad quamlibet virtutem requiritur quod actus eius sit
modificatus secundum debitas circumstantias, quibus in medio constituitur, et
quod sit directus in ordine ad finem, vel ad quodcumque aliud exterius; et
iterum quod habeat firmitatem. Immobiliter enim operari est una de
conditionibus virtutis, ut patet III Ethic.; persistere autem firmiter praecipue
habet difficultatem et laudem in periculis mortis, et ideo virtus quae est
circa hanc materiam, nomen sibi fortitudinis vindicat. Continere autem,
specialiter habet difficultatem et laudem in delectabilibus tactus; unde
virtus quae est circa hanc materiam, temperantia nominatur. In usu autem
rerum exteriorum praecipue requiritur et laudatur rectitudo, quia in
huiusmodi bonis homines sibi communicant; et ideo hoc est bonum virtutis in
eis, quia quantum ad ea homo directe secundum aequalitatem quamdam se habet
ad alios; et ab hoc denominatur iustitia. Quandoque ergo homines de
virtutibus loquentes, utuntur nomine fortitudinis et temperantiae et
iustitiae, non secundum quod sunt virtutes speciales in determinata materia,
sed secundum conditiones generales a quibus denominantur. Et per hoc dicitur
quod temperantia debet esse fortis, id est firmitatem habere; et fortitudo
debet esse temperata, id est modum servare, et eadem ratio est in aliis. De
prudentia vero manifestum est quod quodammodo est generalis, in quantum habet
pro materia omnia moralia, et in quantum omnes virtutes morales quodammodo
eam participant, ut ostensum est in isto art. ad 16 arg., et hac ratione
dicitur quod omnis virtus moralis debet esse prudens.
23.
Certaines vertus morales particuliиres, portant sur une matiиre particuliиre,
s’approprient ce qui est commun а toute vertu et en portent le nom, parce que
ce qui est commun comporte, dans une matiиre particuliиre, une difficultй et
une louange particuliиres. En effet, il est clair qu’il est nйcessaire pour
toute vertu que ses actes soient rйglйs selon les circonstances appropriйes,
en fonction desquelles elle dйtermine un milieu, et qu’elle soit orientйe
selon l’ordre а la fin ou vers quelque chose d’extйrieur, et aussi, qu’elle
possиde une fermetй. En effet, agir immuablement est une condition de la
vertu, comme cela ressort clairement de l’Йthique, III; et persister
fermement comporte une difficultй et une louange, surtout dans les dangers de
mort. C’est pourquoi la vertu qui porte sur cette matiиre revendique le nom
de force. Mais se contenir comporte une difficultй et une louange spйciales
dans les plaisirs du toucher. Aussi la vertu qui porte sur cette matiиre
est-elle appelйe tempйrance. Pour ce qui est de l’usage des choses extйrieures,
la droiture surtout est exigйe et louйe, car les hommes йchangent ce genre de
biens entre eux. C’est pourquoi lа se trouve le bien de la vertu en cette
matiиre, car, pour ce qui concerne ces choses, l’homme se comporte
correctement envers les autres par une certaine йgalitй. Pour cette raison,
elle est appelйe justice. Parfois donc, lorsqu’ils parlent des vertus, les
hommes utilisent le nom de force, de tempйrance et de justice, non pas selon
qu’elles sont des vertus spйciales portant sur une matiиre dйterminйe, mais
selon les conditions gйnйrales d’aprиs lesquelles elles sont nommйes. C’est
ainsi qu’on dit que la tempйrance doit кtre forte, c’est-а-dire possйder une
fermetй; et que la force doit кtre tempйrйe, c’est-а-dire respecter une
mesure. Et la mкme raison vaut pour les autres. Mais il est clair que
prudence est, d’une certaine maniиre, gйnйrale, pour autant qu’elle a comme
matiиre toutes les rйalitйs morales, et pour autant que toutes les vertus
morales y participent, comme on l’a montrй dans le prйsent article, а
l’argument 16. Pour cette raison, on dit que toute vertu doit кtre prudente.
[65887] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod virtus aliqua dicitur cardinalis,
quasi principalis, quia super eam aliae virtutes firmantur sicut ostium in
cardine. Et quia
ostium est per quod introitur in domum, ratio cardinalis virtutis non
competit virtutibus theologicis, quae sunt circa ultimum finem, ex quo non
est introitus vel motus ad aliquid interius. Convenit enim virtutibus theologicis
quod super eas aliae virtutes firmentur, sicut supra aliquid immobile; et
ideo fides dicitur fundamentum, 1 Corinth., III, 11 : fundamentum enim
aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est; spes ancora, Heb.
VI, 19 : sicut anima ancoram etc.; caritas radix, Ephes. III, 17 : in
caritate radicati et fundati. Similiter etiam intellectuales non dicuntur
cardinales, quia perficiunt in vita contemplativa quaedam earum, scilicet
sapientia, scientia, et intellectus : vita autem contemplativa est finis,
unde non habet rationem ostii. Sed vita activa, in qua perficiuntur morales,
est ut ostium ad contemplativam. Ars autem non habet virtutes sibi
cohaerentes, ut cardinalis dici possit. Sed
prudentia, quae dirigit in vita activa, inter cardinales virtutes computatur.
24.
Une vertu est appelйe cardinale, ou principale, parce que d’autres vertus
s’appuient sur elle comme une porte sur un gond (in cardine). Et parce
que la porte est ce par oщ l’on entre dans la maison, la raison de vertu
cardinale ne convient pas aux vertus thйologales, qui portent sur la fin
ultime, а partir de laquelle il n’y a pas d’entrйe ou de mouvement vers
quelque chose а l’intйrieur. En effet, il convient aux vertus thйologales que
d’autres vertus s’appuient sur elles comme sur quelque chose d’immuable.
C’est pourquoi on dit que la foi est le fondement, 1 Co 3, 11
: Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a йtй
opposй ; que l’espйrance est une ancre, He 6, 19 : [Nous
avons] comme ancre de notre вme, etc.; que la charitй est la racine,
Ep 3, 17 : Enracinйs et appuyйs sur la charitй. De la mкme
faзon aussi, les vertus intellectuelles ne sont pas appelйes cardinales,
parce qu’elles rйalisent dans la contemplation certaines choses qui leur
appartiennent, а savoir, la sagesse, la science et l’intelligence. Mais la
vie contemplative est la fin; elle n’a donc pas raison de porte. Toutefois,
la vie active, dans laquelle sont accomplies les vertus morales, est comme la
porte de la vie contemplative. L’art n’a pas de vertus qui lui soient
associйes au point qu’il soit appelй cardinal. Mais la prudence, qui assure
la direction dans la vie active, est comptйe au nombre des vertus cardinales.
[65888] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum,
quod in parte rationali sunt duae virtutes, scilicet appetitiva, quae vocatur
voluntas; et apprehensiva, quae vocatur ratio. Unde
in parte rationali sunt duae virtutes cardinales : prudentia quantum ad
rationem, iustitia quantum ad voluntatem. In
concupiscibili autem temperantia; sed in irascibili fortitudo.
25.
Dans la partie raisonnable, il existe deux puissances : la puissance
appйtitive, qui est appelйe volontй; et la puissance apprйhensive, qui est
appelйe raison. Aussi y a –t-il dans la partie raisonnable deux vertus cardinales
: la prudence, pour ce qui est de la raison, et la justice, pour ce qui est
de la volontй. Dans le concupiscible, il y a la tempйrane, mais, dans
l’irascible, la force.
[65889] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod in unaquaque materia oportet esse
cardinalem virtutem circa id quod est principalius in materia illa. Virtutes autem quae sunt circa alia quae pertinent ad illam materiam,
dicuntur secundariae vel adiectae. Sicut in passionibus concupiscibilis,
principaliores sunt concupiscentiae et delectationes quae sunt secundum
tactum, circa quas est temperantia; et ideo in materia ista temperantia
ponitur cardinalis; eutrapelia vero, quae est circa delectationes quae sunt
in ludis, potest poni secundaria vel adiuncta. Similiter inter passiones
irascibilis, praecipuum est quod pertinet ad timores et audacias circa
pericula mortis, circa quae est fortitudo : unde fortitudo ponitur virtus
cardinalis in irascibili; non mansuetudo, quae est circa iras, licet ab ira
denominetur, irascibilis propter hoc quod est ultima inter passiones
irascibilis; nec etiam magnanimitas et humilitas, quae quodammodo se habent
ad spem vel fiduciam alicuius magni : non enim ita movent hominem ira et
spes, sicut timor mortis. In actionibus autem quae sunt respectu exteriorum
quae veniunt in usum vitae, primum et praecipuum est quod unicuique quod suum
est, reddatur : quod facit iustitia. Hoc enim subtracto, neque liberalitas
neque magnificentia locum habet, et ideo iustitia est cardinalis virtus, et aliae
sunt adiunctae. In actibus etiam rationis praecipuum est praecipere, sive
eligere, quod facit prudentia : ad hoc enim ordinatur et consultiva, in quo
dirigit eubulia, et iudicium de consiliatis, in quo dirigit synesis. Unde prudentia est cardinalis, aliae vero virtutes sunt adiunctae.
26.
En chaque matiиre, il est nйcessaire qu’existe une vertu cardinale portant
sur ce qui esst plus important dans cette matiиre. Les vertus qui portent sur
d’autres choses appartenant а cette matiиre sont appelйes secondaires ou
associйes. Ainsi, dans les passions du concupiscible, les principales
[passions] sont les dйsirs et les plaisirs qui concernent le toucher, sur
lesquels porte la tempйrance. C’est pourquoi, dans cette matiиre, la
tempйrance est cardinale. Mais l’eutrapйlie, qui porte sur les plaisirs des
jeux, peut кtre mise comme secondaire ou associйe. De mкme, dans les passions
de l’irascible, est principal ce qui concerne les craintes et les audaces en
rapport avec les dangers de morts, sur lesquelles porte la force. C’est
pourquoi la force est mise comme vertu cardinale de l’irascible, et non pas
la douceur, qui porte sur les colиres, bien que l’irascible tire son nom de
la colиre, parce que c’est la colиre qui occupe le point le plus йlevй des
passions de l’irascible. Ni la magnanimitй ni l’humilitй, qui se rapportent
d’une certaine maniиre а l’espoir ou а la confiance en quelque chose de grand
: en effet, la colиre et l’espoir ne meuvent pas autant l’homme que la
crainte de la mort. Parmi les actions qui portent sur les rйalitйs
extйrieures qui sont utilisйes pour vivre, la premiиre et la principale
consiste en ce que soit rendu а chacun ce qui lui appartient, ce que fait la
justice. Si cela est enlevй, ni la libйralitй ni la magnificence n’ont de
place. C’est pourquoi la justice est une vertu cardinale et les autres, des
[vertus] associйes. Parmi les actions de la raison, la principale consiste а
commander ou а choisir, ce que fait la prudence : en effet, c’est а cela que
sont ordonnйs la consultation, que dirige l’eubolia, et le jugement
sur ce qui est conseillй, que dirige la synesis. Ainsi, la prudence
est une [vertu] cardinale, mais les autres vertus sont associйes.
[65890] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum,
quod aliae virtutes adiunctae vel secundariae ponuntur partes cardinalium,
non integrales vel subiectivae, cum habeant materiam determinatam et actum
proprium; sed quasi partes potentiales, in quantum particulariter
participant, et deficienter medium quod principaliter et perfectius convenit
virtuti cardinali.
27.
Les autres vertus associйs ou secondaires sont donnйes comme des parties des
vertus cardinales, non pas intйgrales ou subjectives, puisqu’elles ont une
matiиre dйterminйe et un acte propre, mais comme des parties potentielles,
pour autant qu’elles y participent d’une maniиre particuliиre et dйfinissent
le milieu, qui convient principalement et plus parfaitement а une vertu
cardinale.
[65893] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 1 Quia, ut dicitur in I de caelo, virtus est ultimum potentiae. Sed ultimum non est medium, sed magis extremum. Ergo virtus non est in
medio, sed in extremo.
1. Comme il est dit dans Sur le ciel, I,
la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, ce qui est le point ultime
n’est pas un milieu, mais plutфt un extrкme. La vertu ne se situe donc pas au
milieu, mais а l’extrкme.
[65894]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 2 Praeterea, virtus habet rationem boni; est enim bona
qualitas, ut Augustinus dicit. Bonum autem habet rationem finis, quod est
ultimum, et ita extremum. Ergo magis virtus est in extremo quam in medio.
2. La vertu a raison de bien : en effet, elle
est une bonne qualitй, comme le dit Augustin. Or, le bien a raison de fin, ce
qui est le point ultime, et ainsi extrкme. La vertu se situe donc davantage
dans un extrкme que dans un milieu.
[65895] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 3 Praeterea, bonum est contrarium malo, inter quae nullum est
medium, quod neque bonum neque malum est, ut dicitur in postpraedicamentis.
Ergo bonum habet rationem extremi; et sic virtus, quae bonum facit habentem,
et opus eius bonum reddit, ut dicitur in II Ethic., non est in medio sed in
extremo.
3.
Le bien est contraire au mal : entre les deux, il n’y a aucun milieu, qui ne
soit ni bien ni mal, comme il est dit dans les Postprйdicaments. Le
bien a donc raison d’extrкme, et ainsi la vertu, qui «rend bon celui qui la
possиde et rend son acte bon», comme il est dit dans Йthique, II, ne
se situe pas dans un milieu mais dans un extrкme.
[65896]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 4 Praeterea virtus est bonum rationis; hoc enim est
virtuosum quod secundum rationem est. Ratio autem in homine non se habet ut
medium, sed ut supremum. Ergo ratio medii non competit virtuti.
4.
La vertu est le bien de la raison : en effet, est vertueux ce qui est
conforme а la raison. Or, la raison chez l’homme ne se prйsente pas chez
l’homme comme un milieu, mais comme quelque chose de suprкme. La raison de
milieu ne convient donc pas а la vertu.
[65897] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 5 Praeterea, omnis virtus, aut est theologica, aut
intellectualis, aut moralis, ut ex superioribus patet. Sed virtus theologica
non est in medio; quia Bernardus dicit quod modus caritatis est non habere
modum. Caritas autem praecipua est inter alias virtutes theologicas, et radix
earum. Similiter etiam nec intellectualibus virtutibus videtur competere
ratio medii : quia medium est inter contraria; res autem, prout sunt in
intellectu non sunt contrariae, nec intellectus corrumpitur ex excellenti
intelligibili, ut dicitur in III de anima. Similiter etiam nec virtutes
morales videntur esse in medio : quia quaedam virtutes consistunt in maximo :
sicut fortitudo est circa maxima pericula, quae sunt pericula mortis; et
magnanimitas circa magnum in honoribus; et magnificentia circa magnum in
sumptibus; et pietas circa maximam reverentiam quae debetur parentibus,
quibus nihil aequivalens reddere possumus; et simile est de religione, quae
circa magnum est in cultu divino, cui non possumus sufficienter servire. Ergo virtus non est in medio.
5.
Toute vertu est soit thйologale, soit intellectuelle, soit morale, comme cela
ressort clairement de ce qui a йtй dit plus haut. Or, la vertu thйologale ne
se situe pas dans un milieu, car Bernard dit que la mesure de la charitй
consiste en ce qu’elle n’ait pas de mesure. Or, la charitй est la principale
des vertus thйologales et leur racine. De mкme aussi, la raison de milieu ne
semble pas convenir aux vertus intellectuelles, car le milieu se situe entre
des contraires. Or, les choses, en tant qu’elles sont dans l’intellect, ne
sont pas contraires, et l’intellect n’est pas corrompu par un objet
intelligible excellent, comme il est dit dans Sur l’вme, III. De mкme
encore, les vertus morales ne semblent pas se situer dans un milieu, car
certaines vertus portent sur ce qui est le plus grand, comme la force porte
sur les dangers les plus grands, qui sont les dangers de mort, la magnanimitй
sur les plus grands honneurs, la magnificence sur les plus grandes dйpenses,
la piйtй sur le plus grand respect qui est dы aux parents, auxquels nous ne
pouvons rendre rien d’йquivalent. Et il en est de mкme pour la religion, qui
porte sur ce qui est grand dans le culte de Dieu, que nous ne pouvons
suffisamment servir. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
[65898] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 6 Praeterea,
si perfectio virtutis consistit in medio, oportet quod perfectiores virtutes
magis in medio consistant. Sed virginitas et paupertas sunt perfectiores
virtutes, quia cadunt sub consilio, quod non est nisi de meliori bono. Ergo
virginitas et paupertas essent in medio : quod videtur esse falsum; quia
virginitas in materia venereorum abstinet ab omni venereo, et ita tenet
extremum; et similiter in possessionibus paupertas, quia renuntiat omnibus. Non ergo videtur quod ratio virtutis sit consistere in medio.
6.
Si la perfection de la vertu se situe dans un milieu, il est nйcessaire que
les vertus plus parfaites se situent plutфt dans un milieu. Or, la virginitй
et la pauvretй sont des vertus plus parfaites parce qu’elles sont l’objet
d’un conseil, qui ne porte que sur un bien meilleur. La virginitй et la
pauvretй se situeraient donc dans un milieu, ce qui semble кtre faux, car la
virginitй s’abstient de tout plaisir sexuel en matiиre de plaisirs sexuels,
et se situe ainsi а un extrкme. De mкme en est-il de la pauvretй pour les
possessions, car elle renonce а toutes. Il ne semble donc pas que la raison
de vertu se situe dans un milieu.
[65899] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 7 Praeterea, Boetius in arithmetica assignat triplex medium :
scilicet arithmeticum, ut 6 inter 4 et 8, quia secundum aequalem quantitatem
distat ab utroque; et medium geometricum, sicut 6 inter 9 et 4, quia secundum
eamdem proportionem, scilicet sesquialteram, ab utroque extremo distat, licet
non secundum eamdem quantitatem; et medium harmonicum, sive musicum, sicut 3
est medium inter 6 et 2, quia quae proportio est unius extremi ad alterum,
scilicet 6 ad 2, eadem est proportio 3 (quod est differentia inter 6 et 3) ad
1, quod est differentia inter 2 et 3. Nullum autem istorum mediorum salvatur
in virtute; quia non oportet quod medium virtutis aequaliter se habeat ad
extremum neque secundum quantitatem, neque secundum proportionem et
terminorum et differentiarum. Ergo virtus non est
in medio.
7.
Boиce, dans Arithmйtique, signale trois milieux : le [milieu]
arithmйtique, comme 6 entre 4 et 8, car il est а йgale distance des deux par
une quantitй йgale; le milieu gйomйtrique, comme 6 entre 9 et 4, car il est
йgale distance des deux selon une mкme proportion, а savoir, sesquialtиre
[une fois et demie], bien qu’il ne le soit pas selon une quantitй йgale; le
milieu harmonique ou musical, comme 3 est le milieu entre 6 et 2, parce que
la proportion d’un extrкme а l’autre, а savoir, de 6 а 2, est la mкme proportion
de 3 (qui est la diffйrence entre 6 et 3) а 1, qui est la diffйrence entre 2
et 3. Or, aucun de ces milieux n’est respectй dans la vertu, car il n’est pas
nйcessaire que le milieu de la vertu se situe йgalement par rapport aux
extrкmes selon la quantitй, ni selon une proportion des termes et des
diffйrences. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
[65900]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 8 Sed dicendum, quod virtus consistit in medio
rationis, et non in medio rei, de quo dicit Boetius.- Sed contra, virtus,
secundum Augustinum, computatur inter maxima bona, quibus nullus male utitur.
Si ergo bonum virtutis est in medio, oportet quod medium virtutis maxime
habeat rationem medii. Sed medium rei perfectius habet rationem medii
quam medium rationis. Ergo medium virtutis magis est medium rei quam medium
rationis.
8.
La vertu consiste dans un milieu selon la raison, et non dans le milieu d’une
chose, dont parle Boиce. – En sens contraire,
la vertu, selon Augustin, compte parmi les plus grands biens, que personne
n’utilise mal. Si donc le bien de la vertu se trouve dans un milieu, il est
nйcessaire que le milieu de la vertu possиde au plus haut point la raison de
milieu. Or, le milieu d’une chose possиde plus parfaitement la raison de
milieu que le milieu selon la raison. Le milieu de la vertu est donc
davantage le milieu d’une chose qu’un milieu selon la raison.
[65901] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 9 Praeterea, virtus moralis est circa passiones et operationes
animae, quae sunt indivisibiles. In indivisibili autem non est accipere
medium et extrema. Ergo virtus non consistit in medio.
9.
La vertu morale porte sur les passions et les opйrations de l’вme, qui sont
indivisibles. Or, dans l’indivisible, on ne peut dйterminer de milieu ni
d’extrкmes. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
[65902]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 10 Praeterea, philosophus dicit in Lib. topicorum, quod
in voluptatibus melius est facere quam fecisse, vel fieri quam factum esse.
Sed virtus aliqua est circa voluptates, scilicet temperantia. Ergo, cum
virtus semper quaerat quod melius est; semper temperantia quaeret voluptates
fieri, quod est tenere extremum, et non medium. Non ergo virtus moralis
consistit in medio.
10.
Le Philosophe dit, dans le livre des Topiques, que, pour les plaisirs,
mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, ou les rechercher que de les avoir
eus. Or, une vertu porte sur les plaisirs, а savoir, la tempйrance. Puisque
la vertu cherche toujours ce qui est meilleur, la tempйrance vise donc
toujours а rechercher les plaisirs, ce qui est se situer а un extrкme, et non
dans un milieu. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.
[65903] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 11 Praeterea, ubi est invenire magis et minus, ibi est invenire
medium. Sed in vitiis est invenire magis et minus; est enim aliquis magis vel
minus luxuriosus vel gulosus. Ergo in gula et luxuria, et in aliis vitiis,
est invenire medium. Si ergo ratio virtutis est esse in medio, videtur quod
in vitiis sit invenire virtutem.
11.
Lа oщ l’on trouve du plus et du moins, lа on trouve un milieu. Or, on trouve
du plus et eu moins dans les vices : en effet, quelqu’un est plus ou moins
luxurieux ou gourmand. On trouve donc un milieu dans la gourmandise et la
luxure, et dans les autres vices. Si donc la raison de vertu consiste а se
situer dans un milieu, il semble qu’on trouve de la vertu dans les vices.
[65904] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 12 Praeterea,
si virtus consistit in medio, non nisi in medio duorum vitiorum. Hoc autem
non convenit omni virtuti morali; iustitia enim non est inter duo vitia, sed
habet unum tantum vitium oppositum : accipere enim plus quam suum est, hoc
vitiosum est; sed quod auferatur alicui de eo quod suum est, absque suo vitio
est. Ergo
ratio virtutis moralis non est ut in medio consistat.
12.
Si la vertu se situe dans un milieu, ce n’est que dans un milieu entre deux
vices. Or, cela ne convient pas а toutes les vertus morales. En effet, la
justice ne se situe pas entre deux vices, mais n’a qu’un vice opposй, car
prendre plus que ce qui vous appartient, cela est vicieux, mais enlever а
quelqu’un ce qui vous appartient est accompli sans vice. La raison de vertu
morale ne consiste donc pas а se situer dans un milieu.
[65905] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 13 Praeterea, medium aequaliter
distat ab extremis. Sed virtus non aequaliter distat ab extremis. Fortis
enim propinquior est audaci quam timido, et liberalis prodigo quam tenaci; et
similiter patet in aliis. Ergo virtus moralis non consistit in medio.
13.
Le milieu est а йgale distance des extrкmes. Or, la vertu n’est pas а йgale
distance des extrкmes. En effet, le fort est plus proche de l’audacieux que
du timide, et celui qui est libйral [est plus proche] du prodigue que de
l’avare. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu.
[65906]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 14 Praeterea, de extremo in extremum non transitur nisi
per medium. Si ergo virtus sit in medio, non erit de uno vitio opposito in
aliud transitus nisi per virtutem; quod patet esse falsum.
14.
On ne va d’un extrкme а l’autre qu’en passant par le milieu. Si donc la vertu
se situe dans un milieu, il n’y aura passage d’un vice opposй а un autre
qu’en passant par la vertu. Ce qui est manifestement faux.
[65907] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 15 Praeterea, medium et extrema sunt in eodem genere. Sed
fortitudo et timiditas et audacia non sunt in eodem genere : nam fortitudo
est in genere virtutis; timiditas et audacia in genere vitii. Ergo fortitudo
non est medium inter ea. Et similiter potest obiici de aliis virtutibus.
15.
Le milieu et les extrкmes appartiennent au mкme genre. Or, la force, la
timiditй et l’audace ne font pas partie du mкme genre, car la force est dans
le genre de la vertu, et la timiditй et l’audace dans le genre du vice. La
force n’est donc pas un milieu entre celles-ci. Et on peut faire la mкme
objection а propos des autres vertus.
[65908]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 16 Praeterea, in quantitatibus sicut extrema sunt
indivisibilia, ita et medium; nam punctum est et medium et terminus lineae. Si
ergo virtus consistit in medio, consistit in indivisibili. Et hoc etiam
videtur per hoc quod philosophus dicit in II Ethic., quod difficile est esse
virtuosum; sicut difficile est attingere signum, vel invenire centrum in
circulo. Si ergo virtus in indivisibili consistit, videtur quod virtus non
augeatur et minuatur; quod est manifeste falsum.
16.
Dans les quantitйs, de mкme que les extrкmes sont indivisibles, de mкme en
est-il du milieu, car le point est а la fois le milieu et le terme de la
ligne. Si donc la vertu se situe dans un milieu, elle consiste dans un
indivisible. C’est aussi ce que semble dire le Philosophe dans Йthique, II,
qu’кtre vertueux est difficile, comme il est difficile d’atteindre un repиre
ou de trouver le centre dans un cercle. Si donc la vertu se situe dans un
milieu, il semble que la vertu n’augmente pas ni ne diminue. Ce qui est
manifestement faux.
[65909]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 17 Praeterea, in indivisibili non est aliqua
diversitas. Si ergo virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur
quod in virtute non sit aliqua diversitas, ita quod id quod est virtuosum
uni, sit virtuosum alteri; quod est manifeste falsum : nam aliquis laudatur
in uno, qui vituperatur in altero.
17.
Il n’y a pas de diversitй dans ce qui est indivisible. Si donc la vertu se
situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il semble qu’il
n’y aura aucune diversitй dans la vertu, de sorte que ce qui est vertueux
pour l’un sera vertueux pour l’autre, ce qui est manifestement faux, car
quelqu’un est louangй pour une chose qui est blвmйe chez un autre.
[65910] De virtutibus, q.
1 a. 13 arg. 18 Praeterea, quidquid vel ad modicum elongatur ab indivisibili,
puta a centro, est extra indivisibile, et extra centrum. Si igitur virtus sit
in medio sicut in quodam indivisibili, videtur quod quodcumque vel ad modicum
declinet ab eo quod est rectum fieri, sit extra virtutem; et sic rarissime
homo operatur secundum virtutem. Non ergo virtus est in medio.
18.
Tout ce qui s’йloigne ne serait-ce qu’un peu de ce qui est indivisible, par
exemple, du centre, se trouve en dehors de l’indivisible et en dehors du
centre. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose
d’indivisible, il semble que tout ce s’йcarte un peu de ce qui est bien agir
soit en dehors de la vertu. Et ainsi, ce n’est que trиs rarement que l’homme
agit selon la vertu. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu.
Cependant :
[65911]
De virtutibus, q. 1 a. 13 s. c. Sed contra, est quod omnis virtus vel est moralis, vel
intellectualis, vel theologica. Virtus autem moralis est in medio; nam virtus
moralis, secundum philosophum in VII Ethic., est habitus electivus in
medietate consistens. Virtus etiam intellectualis videtur esse in
medio, propter id quod apostolus dicit, Rom., XII, 3 : non plus sapere
quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem. Similiter etiam virtus
theologica videtur esse in medio; nam fides incedit media inter duas
haereses, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis; spes etiam est media
inter praesumptionem et desperationem. Ergo omnis virtus est
in medio.
Toute
vertu est soit morale, soit intellectuelle, soit thйologale. Or, la vertu
morale se situe dans un milieu, car la vertu morale, selon le Philosophe dans
Йthique, VI, est un habitus йlectif qui se situe dans un milieu. La
vertu intellectuelle aussi semble se situer dans un milieu en raison de ce
que l’Apфtre dit, Rm 12, 3 : Ne pas savoir plus qu’il faut en
savoir, mais savoir avec modйration. De mкme, la vertu thйologale semble
se situer dans un milieu, car la foi chemine entre deux hйrйsies, comme le
dit Boиce dans le Livre sur les deux natures; l’espйrance aussi se
situe entre la prйsomption et le dйsespoir. Toute vertu se situe donc dans un
milieu.
Rйponse
:
[65912] De virtutibus, q.
1 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod virtutes morales et intellectuales sunt
in medio, licet aliter et aliter; virtutes autem theologicae non sunt in
medio, nisi forte per accidens. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod
cuiuslibet habentis regulam et mensuram bonum consistit in hoc quod est
adaequari suae regulae vel mensurae; unde dicimus illud bonum esse quod neque
plus neque minus habet quam debet habere. Considerandum autem est quod
materia virtutum moralium sunt passiones et operationes humanae, sicut factibilia
sunt materia artis. Sicut igitur bonum in his quae fiunt per artem, consistit
in hoc quod artificiata accipiant mensuram secundum quod exigit ars, quae est
regula artificiatorum; ita bonum in passionibus et operationibus humanis est
quod attingatur modus rationis, qui est mensura et regula omnium passionum et
operationum humanarum. Nam cum homo sit homo per hoc quod rationem habet,
oportet quod bonum hominis sit secundum rationem esse. Quod autem in
passionibus et operationibus humanis aliquis excedat modum rationis vel
deficiat ab eo, hoc est malum. Cum igitur bonum hominis sit virtus humana,
consequens est quod virtus moralis consistat in medio inter superabundantiam
et defectum; ut superabundantia et defectus et medium accipiantur secundum
respectum ad regulam rationis. Virtutum autem intellectualium, quae sunt in
ipsa ratione, quaedam sunt practicae, ut prudentia et ars; quaedam
speculativae, ut sapientia, scientia et intellectus. Et
practicarum quidem virtutum materia sunt passiones et operationes humanae,
vel ipsa artificialia; materia autem virtutum speculativarum sunt res ipsae
necessariae. Aliter autem se habet ratio ad utraque. Nam ad ea circa quae
ratio operatur, se habet ratio ut regula et mensura, sicut iam dictum est; ad
ea vero quae speculatur, se habet ratio sicut mensuratum et regulatum ad
regulam et mensuram : bonum enim intellectus nostri est verum, quod quidem
sequitur intellectus noster quando adaequatur rei. Sicut igitur virtutes
morales consistunt in medio determinato per rationem; ita ad prudentiam, quae
est virtus intellectualis practica circa moralia, pertinet idem medium in
quantum ponit ipsum circa actiones et passiones. Et hoc patet per
definitionem virtutis moralis, quae, ut in II Ethic. dicitur, est habitus
electivus, in medietate consistens, ut sapiens determinabit. Idem ergo est medium
prudentiae et virtutis moralis; sed prudentiae est sicut imprimentis,
virtutis moralis sicut impressi; sicut eadem est rectitudo artis ut
rectificantis, et artificiati ut rectificati. In
virtutibus autem intellectualibus speculativis medium erit ipsum verum, quod
consideratur in eo secundum quod attingit suam mensuram. Quod quidem non est
medium inter aliquam contrarietatem quae sit ex parte rei : contraria enim
inter quae accipitur medium virtutis, non sunt ex parte mensurae, sed ex
parte mensurati, secundum quod excedit vel deficit a mensura; sicut patet ex
hoc quod dictum est de virtutibus moralibus. Oportet
igitur contraria inter quae est hoc medium virtutum intellectualium, accipere
ex parte ipsius intellectus. Contraria autem intellectus sunt opposita
secundum affirmationem et negationem, ut patet in II Periher. Inter
affirmationes ergo et negationes oppositas accipitur medium virtutum
intellectualium speculativarum, quod est verum : ut puta, quia verum est cum
dicitur esse quod est, et non esse quod non est; falsum autem secundum
excessum erit, ut dicitur esse quod non est; secundum defectum vero, cum
dicitur non esse quod est. Si igitur in intellectu non esset aliqua propria
contrarietas praeter contrarietatem rerum, non esset accipere in virtutibus
intellectualibus medium et extrema. Manifestum est autem, quod in voluntate
non est accipere aliquam contrarietatem propriam, sed solum secundum ordinem
ad res volitas contrarias : quia intellectus cognoscit aliquid secundum quod
est in ipso; voluntas autem movetur ad rem secundum quod in se est. Unde si
aliqua virtus sit in voluntate secundum comparationem ad eius mensuram et
regulam, talis virtus non consistet in medio : non enim est accipere extrema
ex parte mensurae, sed ex parte mensurati tantum, prout excedit vel
diminuitur a mensura. Virtutes autem theologicae ordinantur ad suam
materiam vel obiectum, quod est Deus, mediante voluntate. Et quod de caritate et
spe manifestum est, hoc circa fidem similiter dicitur. Nam licet fides sit in
intellectu, est tamen in eo secundum quod imperatur a voluntate : nullus enim
credit nisi volens. Unde, cum Deus sit regula et mensura voluntatis humanae,
manifestum est quod virtutes theologicae non sunt in medio, per se loquendo;
etsi contingat quandoque aliquam earum esse in medio per accidens, ut postea
exponetur.
Les
vertus morales et intellectuelles se situent dans un milieu, bien que de
maniиre diffйrente; mais les vertus thйologales ne situent pas dans un
milieu, si ce n’est par accident. Pour clarifier cela, il faut savoir que le
bien de tous ceux qui ont une rиgle ou une mesure consiste а йgaler leur
rиgle ou mesure. Ainsi disons-nous qu’est bon ce qui n’a ni plus ni moins que
cela doit avoir. Or, il faut observer que les passions et les opйrations
humaines sont la matiиre des vertus morales, comme les choses а rйaliser sont
la matiиre de l’art. De mкme donc que le bien, dans ce qui est fait par
l’art, consiste en ce que les choses rйalisйes reзoivent la mesure qu’exige
l’art, qui est la rиgle des choses rйalisйes, de mкme le bien, pour les
passions et les opйrations humaines, consiste-t-il en ce que la mesure de la
raison soit atteinte, qui est la mesure et la rиgle de toutes les passions et
opйrations humaines. En effet, puisque l’homme est homme par le fait de
possйder la raison, il est nйcessaire que le bien de l’homme consiste а
exister selon la raison. Mais ce qui, pour les passions et les opйrations
humaines, dйpasse la mesure de la raison ou n’y atteint pas, cela est mal.
Puisque le bien de l’homme est la vertu humaine, il en dйcoule donc que la
vertu morale se situe dans un milieu entre l’excиs et le manque, de telle
sorte que l’excиs et le manque soient entendus par rapport а la rиgle de la raison.
Or, parmi les vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la raison
elle-mкme, certaines sont pratiques, comme la prudence et l’art, et certains
spйculatives, comme la sagesse, la science et l’intelligence. Les passions et
les opйrations humaines sont la matiиre des vertus pratiques, alors que les
choses elles-mкmes qui ont un caractиre nйcessaire sont la matiиre des vertus
spйculatives. Or, la raison a un rapport diffйrent avec les deux. Car le
rapport de la raison avec ce qu’elle accomplit en est un de rиgle et de
mesure, comme on l’a dйjа dit; mais le rapport de la raison avec ce sur quoi
elle spйcule est celui de ce qui est mesurй et rйglй par rapport а la rиgle
et а la mesure : en effet, le bien de notre intelligence est le vrai,
qu’atteint notre intellect lorsqu’il est йgal а une rйalitй. Comme les vertus
morales se situent dans un milieu dйterminй par la raison, ainsi le mкme
milieu relиve-t-il de la prudence, qui est une vertu intellectuelle pratique
portant sur les rйalitйs morales, pour autant qu’elle l’йtablit pour les
actions et les passions. Et cela ressort clairement de la dйfinition de la
vertu morale qui, comme le dit Йthique, II, est un habitus йlectif se
situant dans un milieu que la sagesse dйterminera. Le milieu de la prudence
est donc le mкme que celui de la vertu morale, mais celui de la prudence
l’est en tant qu’elle imprиgne, et celui de la vertu morale en tant qu’elle
est imprйgnйe, comme la rectitude de l’art, en tant qu’йtablissant une
rectitude, est la mкme que ce qui est le rйsultat de l’art, en tant qu’une
rectitude y est йtablie. Mais, dans les vertus intellectuelles spйculatives,
le milieu serait le vrai lui-mкme, qui est observй par le fait qu’il atteint
sa mesure, ce qui n’est pas un milieu entre des contraires qui viendraient de
la chose : en effet, les contraires entre lesquels le milieu de la vertu est
conзu ne viennent pas de la mesure, mais de ce qui est mesurй, selon que cela
dйpasse ou fait dйfaut а la mesure, comme cela ressort clairement de ce qui a
йtй dit des vertus morales. Il faut donc concevoir les contraires entre
lesquels se situe ce milieu des vertus intellectuelles du cфtй de
l’intelligence elle-mкme. Or, les contraires dans l’intelligence s’opposent
selon l’affirmation et la nйgation, comme cela ressort clairement du Perihermeneias,
II. Le milieu des vertus intellectuelles spйculatives se situe donc entre
les affirmations et les nйgations opposйes, ce qui est le vrai : par exemple,
il est vrai de dire que ce qui est est, et que ce qui n’est pas n’est pas; mais
il sera faux par excиs de dire que ce qui n’est pas est, mais par dйfaut, que
ce qui est n’est pas. S’il n’existait donc pas dans l’intelligence quelque
contrariйtй propre au-delа de la contrariйtй dans les choses, il n’y aurait
pas lieu de reconnaоtre un milieu et des extrкmes dans les vertus
intellectuelles. Or, il est clair que, dans la volontй, il n’y a pas lieu de
reconnaоtre une contrariйtй propre, mais seulement selon l’ordre par rapport
а des choses voulues contraires, car l’intellect connaоt une chose selon
qu’elle existe en lui, mais la volontй est mue vers une chose selon qu’elle
est en elle-mкme. De sorte que s’il y a une vertu dans la volontй selon la
comparaison а sa mesure et rиgle, une telle vertu ne se situera pas dans un
milieu : en effet, on ne peut concevoir d’extrкmes par rapport а la mesure,
mais seulement par rapport а ce qui est mesurй, pour autant que cela dйpasse
ou manque а la mesure. Or, les vertus thйologales sont ordonnйes а leurs
matiиre ou objet, qui est Dieu, par l’intermйdiaire de la volontй. Et ce qui
est clair pour la charitй et l’espйrance, se dit de la mкme maniиre de la
foi. Car, bien que la foi soit dans l’intelligence, elle est cependant en
elle selon qu’elle est commandйe par la volontй : en effet, personne ne croit
que s’il le veut. Aussi, puisque Dieu est la rиgle et la mesure de la volontй
humaine, il est clair que les vertus thйologales ne se situent pas dans un
milieu, а proprement parler, mкme s’il arrive parfois que l’une d’elles se
situe dans un milieu par accident, comme on l’exposera plus loin.
Solutions :
[65913]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ultimum potentiae
dicitur in quod ultimo potentia extenditur, et hoc est difficillimum : quia
difficillimum est invenire medium, facile autem est divertere ab eo. Et ex
hoc ipso virtus est ultimum potentiae, quod est in medio.
1.
Le point ultime de la puissance se dit du point ultime auquel la puissance
s’йtend, et cela est trиs difficile, car il est trиs difficile de trouver le
milieu, mais il est facile de s’en йloigner. La vertu est donc le point
ultime d’une puissance par le fait mкme qu’elle se situe dans un milieu.
[65914] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum habet rationem ultimi per
comparationem ad motum appetitus, non autem per comparationem ad materiam in
qua aliquod bonum constituitur; quod oportet esse in medio materiae, ut neque
excedat, neque excedatur a debita regula et mensura.
2. Le bien a raison de point ultime si on le
compare au mouvement de l’appйtit, mais non pas si on le compare а la matiиre
dans laquelle se situe un certain bien ; il est nйcessaire que celui-ci
se situe au milieu de la matiиre, de sorte qu’il ne dйpasse pas ni ne soit
dйpassй par la rиgle et la mesure requises.
[65915]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus quantum ad formam
quam a sua mensura sortitur, habet rationem extremi; et sic opponitur malo ut
formatum informi, et commensuratum incommensurato. Sed secundum materiam in
qua talis mensura imprimitur, sic virtus est in medio.
3. La vertu, pour ce qui est de la forme
qu’elle reзoit de sa mesure, a raison d’extrкme ; et ainsi, elle
s’oppose au mal comme ce qui a une forme а ce qui n’en a pas, et comme ce qui
est mesurй а ce qui ne l’est pas. Mais, selon la matiиre dans laquelle une
telle mesure est imprimйe, la vertu se trouve ainsi dans un milieu.
[65916] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa accipit supremum et medium,
secundum ordinem potentiarum animae, non secundum materiam in qua ponitur
modus virtutis quasi medium quoddam.
4. Cet argument conзoit ce qui est suprкme et
ce qui est au milieu selon l’ordre des puissances de l’вme, et non selon la
matiиre dans laquelle est placйe la mesure de la vertu comme un certain
milieu.
[65917]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in virtutibus theologicis
non est medium ut dictum est : sed in virtutibus intellectualibus est medium
non inter contrarietatem rerum, prout sunt in intellectu, sed inter contrarietatem
affirmationis et negationis, ut dictum est. In
virtutibus autem moralibus omnibus commune invenitur quod sunt in medio. Et
hoc ipsum quod quaedam attingunt ad maximum, pertinet in eis ad rationem
medii, in quantum maximum attingunt secundum regulam rationis; sicut fortis
attingit maxima pericula secundum rationem, scilicet quando debet, ut debet,
et propter quod debet. Superfluum autem et diminutum accipitur non
secundum quantitatem rei, sed per comparationem ad regulam rationis; ut puta
superfluum esset, si quando non debet, vel propter quod non debet, periculis
se ingereret; diminutum autem si se non ingereret quando et qualiter deberet.
5. Dans les vertus thйologales, il n’y a pas
de milieu, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus intellectuelles, le milieu
se trouve, non pas entre des choses contraires, telle qu’elles existent dans
l’intelligence, mais entre des affirmations et des nйgations contraires,
comme on l’a dit. Mais, dans les vertus morales, il se trouve qu’elles ont en
commun de se situer dans un milieu. Et le fait mкme que certaines parviennent
au plus haut point relиve en elles de la raison de milieu, pour autant
qu’elles parviennent au plus haut point selon la rиgle de la raison, comme le
fort aborde selon la raison les plus grands dangers, а savoir, lorsqu’il le
doit, comme il le doit et pour la raison qu’il le doit. Ce qui dйpasse et ce
qui manque sont conзus, non pas selon la quantitй de la chose, mais par
comparaison avec la rиgle de la raison. Par exemple, cela serait superflu s’il
s’exposait aux dangers lorsqu’il ne le doit pas, ou pour une raison qui n’est
pas nйcessaire ; mais ce serait un manque s’il ne s’y exposait pas quand
il le faut et de la maniиre dont il le faut.
[65918] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virginitas et paupertas licet sint in
extremo rei, sunt tamen in medio rationis : quia virgo abstinet a venereis
omnibus propter quod debet et secundum quod debet; quia propter Deum, et
delectabiliter. Si autem abstineret propter quod non deberet, utpote quia
esset ei odiosum secundum se vel filios generare, vel mulierem habere, esset
vitium insensibilitatis. Sed abstinere omnino a venereis propter debitum
finem, est virtuosum : quia etiam qui abstinent ab huiusmodi, ut se
exercitiis bellicis dent ad utilitatem reipublicae, secundum politicam
virtutem laudantur.
6. La virginitй et la pauvretй, bien qu’elles
portent sur des rйalitйs extrкmes, se situent cependant dans un milieu
[dйterminй] par la raison, car celui qui est vierge s’abstient de tous les
plaisirs sexuels pour une raison juste et selon qu’il le doit, car il le fait
pour Dieu et avec joie. Mais s’il s’abstenait pour une raison qui n’est pas
juste, par exemple, parce qu’il dйtesterait en soi-mкme engendrer des fils ou
avoir une femme, il s’agirait du vice d’insensibilitй. Mais s’abstenir
complиtement des plaisirs sexuels pour une fin juste est vertueux, car mкme
ceux qui s’en abstiennent pour s’adonner а l’entraоnement militaire pour le
bien de la communautй sont louangйs pour leur vertu politique.
[65919]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 7 Ad septimum dicendum, quod media illa quae Boetius
ponit, sunt media rei; et ideo non conveniunt medio virtutis, quod est
secundum rationem; nisi forte in iustitia, in qua est simul medium rei et
medium rationis, cui competit medium rationis arithmeticum in
commutationibus, et medium geometricum in distributionibus, ut patet in V
Ethicorum.
7. Les milieux que Boиce propose sont des
milieux dans les choses. C’est pourquoi ils ne conviennent pas au milieu de
la vertu, qui se prend selon la raison, sauf peut-кtre pour la justice, dans
laquelle existent en mкme temps un milieu dans les choses et un milieu de la
raison : lui conviennent un milieu arithmйtique pour les йchanges, et un
milieu gйomйtrique pour les distributions, comme cela ressort clairement d’Йthique,
V.
[65920] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 8 Ad octavum dicendum, quod medium competit virtuti non in quantum
medium, sed in quantum medium rationis : quia virtus est bonum hominis, quod
est secundum rationem esse. Unde non oportet quod id quod plus habet de
ratione medii, magis pertineat ad virtutem, sed quod est medium rationis.
8. Un milieu convient а la vertu non pas en
tant que milieu, mais en tant que milieu de la raison, car la vertu est le
bien de l’homme, qui consiste а vivre selon la raison. Il n’est donc pas
nйcessaire que ce qui dйpasse la raison de milieu relиve davantage de la
vertu, mais ce qui est le milieu de la raison.
[65921]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 9 Ad nonum dicendum, quod passiones et operationes
animae sunt indivisibiles per se sed divisibiles per accidens, in quantum est
in eis invenire magis et minus secundum diversas circumstantias; et sic
virtus in eis medium tenet.
9. Les passions et les opйrations de l’вme
sont indivisibles en elles-mкmes, mais divisibles par accident, pour autant
qu’on peut trouver en elles du plus ou du moins selon les diverses
circonstances. Et ainsi, la vertu occupe un milieu en elles.
[65922] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in voluptatibus est melius fieri quam
factum esse, ut per melius non intelligatur operatio boni honesti, quod
pertinet ad virtutem, sed boni delectabilis, quod pertinet ad voluptatem :
voluptas enim est in fieri. Quorum autem esse est in fieri, quando facta sunt,
non sunt; unde bonum voluptatis magis consistit in fieri quam in factum esse.
10. Pour les plaisirs, mieux vaut en jouir que
d’en avoir joui, de telle maniиre que, par mieux, on n’entende pas l’action
portant sur un bien honnкte, ce qui relиve de la vertu, mais sur un bien
dйlectable, ce qui relиve de la voluptй : en effet, la voluptй consiste dans
l’accomplissement actuel. Or, ce dont l’кtre se trouve dans l’accomplissement
actuel n’existe plus, lorsqu’on l’a fait. Aussi le bien de la voluptй consiste-t-il
davantage dans l’accomplissement que dans le fait que l’avoir accompli.
[65923]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non quodcumque medium
competit virtuti, sed medium rationis : quod quidem medium non contingit
invenire in vitiis, quia secundum propriam rationem non oportet quod in
vitiis sit virtus.
11. Ce n’est pas tout milieu qui convient а la
vertu, mais le milieu de la raison, milieu qu’on ne trouve pas dans les
vices, car, selon leur raison propre, il n’est pas nйcessaire que la vertu
existe dans les vices.
[65924] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod iustitia non attingit medium in
rebus exterioribus, in quibus homo plus sibi accipit ex inordinatione
voluntatis; unde vitiosum est. Sed quod de suis rebus aliquid ab eo
auferatur, hoc praeter bonitatem eius est; unde inordinationem vitiosam in
ipso non importat. Sed passiones animae, circa quas sunt aliae virtutes, in
nobis sunt; unde et earum superfluitas et diminutio in vitium homini cedit. Et ideo aliae virtutes morales sunt inter duo vitia; non autem
iustitia, quae tamen medium in propria materia tenet, quod per se pertinet ad
virtutem.
12. La justice ne parvient pas au milieu dans
les choses extйrieures que l’homme accapare pour lui-mкme en raison d’un
dйsordre de sa volontй. Aussi cela est-il vicieux. Mais que quelqu’un se voit
enlever ce qui lui appartient, cela dйpasse sa bontй ; aussi cela ne
comporte-t-il pas de dйsordre vicieux. Or, les passions de l’вme, sur
lesquelles portent les autres vertus, existent en nous ; aussi leurs
excиs ou leurs manques aboutissent-ils а un vice chez l’homme. C’est pourquoi
les autres vertus morales se situent entre deux vices, mais non la justice,
qui maintient cependant le milieu dans sa propre matiиre, ce qui relиve en
soi de la vertu.
[65925]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod medium virtutis est
medium rationis, et non medium rei; et ideo non oportet quod aequaliter
distet ab utroque extremo, sed secundum quod ratio habet. Unde in quibus
bonum rationis praecipue consistit in refrenando passionem, virtus
propinquior est diminuto quam superfluo; sicut patet in temperantia et
mansuetudine. In quibus autem bonum est inducere ad id quod passio impellit,
virtus similior est superfluo, ut patet in fortitudine..
13.
Le milieu de la vertu est un milieu de la raison, et non un milieu des
choses. C’est pourquoi il n’est pas nйcessaire qu’il soit а йgale distance
des deux extrкmes, mais selon que la raison le dйtermine. Aussi, dans les
choses oщ le bien de la raison consiste principalement а rйfrйner une
passion, la vertu est plus proche du manque que de l’excиs, comme cela
ressort clairement pour la tempйrance et la douceur. Mais dans les choses oщ
le bien consiste а aller dans le sens de la passion, la vertu ressemble
davantage а l’excиs, comme cela ressort clairement dans la force.
[65926] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod sicut dicit philosophus in V Physic., medium est in quod continue mutans
primum mutat, in quod mutat ultimo; unde solum in motu continuo requiritur
quod de extremo ad extremum non transeatur nisi per medium. Motus autem qui
est de vitio in vitium, non est motus continuus, sicut nec motus voluntatis
aut intellectus, secundum quod fertur in diversa; unde non oportet quod de
vitio in vitium transeatur per virtutem.
14. Comme le dit le Philosophe dans Physique,
V, le milieu se trouve dans ce qui, changeant de maniиre continue, meut
ce qui est premier vers ce qu’il meut en dernier lieu. Aussi n’est-il
nйcessaire que dans le mouvement continu que l’on ne puisse passer d’un
extrкme а l’autre qu’en passant par un milieu. Or, le mouvement qui consiste
а passer de vice en vice n’est pas un mouvement continu, comme ne l’est pas
le mouvement de la volontй ou de l’intelligence, lorsqu’elles sont portйes
vers diverses choses. Il n’est donc pas nйcessaire que l’on passe de vice en
vice en passant par la vertu.
[65927]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus etsi sit
medium quantum ad materiam in qua invenit medium; tamen secundum formam suam,
prout collocatur in genere boni, est extremum, ut philosophus dicit in II
Ethicor.
15. La vertu, mкme si elle est un milieu pour
la matiиre dans laquelle elle trouve un milieu, est cependant un extrкme
selon sa forme, selon qu’elle est situйe dans le genre du bien, comme le dit
le Philosophe dans Йthique, II.
[65928] De virtutibus, q.
1 a. 13 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet medium in quo consistit
virtus, sit quodammodo indivisibile, tamen virtus intendi et remitti potest,
secundum quod homo magis vel minus disponitur ad attingendum indivisibile;
sicut et arcus minus vel magis extenditur ad percutiendum signum
indivisibile.
16. Bien que le milieu dans lequel se situe la
vertu soit indivisible d’une certaine maniиre, toutefois la vertu peut кtre
plus intense ou plus relвchйe, selon que l’homme est plus ou moins disposй а
parvenir а ce qui est indivisible, comme l’arc est plus ou moins tendu afin
d’atteindre une cible indivisible.
[65929]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod medium virtutis
non est medium rei, sed rationis, ut dictum est. Et hoc quidem medium
consistit in proportione sive mensuratione rerum et passionum ad hominem.
Quae quidem commensuratio diversificatur secundum diversos homines : quia
aliquid est multum uni quod est parum alteri. Et
ideo non eodem modo sumitur virtuosum in omnibus hominibus.
17. Le milieu de la vertu n’est pas un milieu
dans les choses, mais [un milieu] de la raison, comme on l’a dit. Et ce
milieu consiste dans la proportion ou la mesure des choses et des passions
par rapport а l’homme. Or, cette application d’une mesure se diversifie selon
les diffйrents hommes, car quelque chose est beaucoup pour l’un, qui est peu
pour un autre. C’est pourquoi ce qui est vertueux n’est pas dйterminй de la
mкme maniиre pour tous les hommes.
[65930]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum medium virtutis
sit medium rationis, accipienda est indivisibilitas huius medii secundum
rationem. Accipitur autem indivisibile secundum rationem quod imperceptibilem
distantiam habet, et quod errorem facere non potest; sicut totum corpus
terrae accipitur loco puncti indivisibilis per comparationem ad totum caelum.
Et ideo medium virtutis aliquam latitudinem habet.
18.
Puisque le milieu de la vertu est un milieu de la raison, l’indivisiblitй de
ce milieu doit кtre conзu selon la raison. Or, ce qui est indivisible selon
la raison est pris selon qu’il a une distance imperceptible et qu’il ne peut
causer d’erreur, comme l’ensemble du corps de la terre est pris comme point
indivisible par rapport а l’ensemble du ciel. C’est pourquoi le milieu de la
vertu comporte une certaine latitude.
Rйponse а l’argument en sens
contraire :
[65931] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad s. c. Quod vero in contrarium obiicitur, concedendum et quantum ad virtutem
moralem et intellectualem, sed non quantum ad theologicam. Accidit enim fidei
quod sit in medio duarum haeresum, at non est per se in quantum est virtus.
Et sic dicendum est de spe, quod est inter duo extrema, non secundum quod
comparatur ad suum obiectum, sed secundum dispositionem subiecti ad sperandum
superna.
Il
faut le concйder pour la vertu morale et la vertu intellectuelle, mais non
pour la vertu thйologale. En effet, il arrive que la foi ne se trouve pas
entre deux hйrйsies, et qu’elle ne l’est pas en tant que vertu. Et il faut
dire la mкme chose de l’espйrance, qu’elle se trouve entre deux extrкmes, non
pas selon qu’on la compare а son objet, mais selon la disposition du sujet а
espйrer les choses d’en haut.
[65932] De virtutibus, q. 2 pr. 1 Et primo
enim quaeritur, utrum caritas sit aliquid creatum in anima, vel sit ipse
spiritus sanctus.
1. La charitй est-elle quelque chose de
crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?
[65933] De
virtutibus, q. 2 pr. 2 Secundo utrum caritas sit virtus.
2. La charitй est-elle une vertu ?
[65934] De
virtutibus, q. 2 pr. 3 Tertio utrum caritas sit forma virtutum.
3. La charitй est-elle la forme des
vertus ?
[65935] De virtutibus, q. 2 pr. 4 Quarto
utrum caritas sit una virtus.
4. La charitй est-elle une seule
vertu ?
[65936] De virtutibus, q. 2 pr. 5 Quinto
utrum caritas sit virtus specialis.
5. La charitй est-elle une vertu
spйciale ?
[65937] De virtutibus, q. 2 pr. 6 Sexto
utrum caritas possit esse cum peccato mortali.
6. La charitй peut-elle exister avec le
pйchй mortel ?
[65938] De virtutibus, q. 2 pr. 7 Septimo
utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura.
7. Est-ce que l’objet qui peut кtre aimй
par charitй est la nature raisonnable ?
[65939] De virtutibus, q. 2 pr. 8 Octavo
utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii.
8. Aimer ses ennemis est-ce la perfection
du conseil ?
[65940] De virtutibus, q. 2 pr. 9 Nono
utrum ordo aliquis sit in caritate.
9. Y a-t-il un certain ordre dans la
charitй ?
[65941] De virtutibus, q. 2 pr. 10 Decimo
utrum sit possibile caritatem esse perfectam in hac vita.
10. Est-il possible que la charitй soit
parfaite en cette vie ?
[65942] De virtutibus, q. 2 pr. 11
Undecimo utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem.
11. Tous les hommes sont-ils tenus а la
charitй parfaite ?
[65943] De virtutibus, q. 2 pr. 12
Duodecimo utrum caritas semel habita possit amitti.
12. La charitй une fois acquise peut-elle
кtre perdue ?
[65944] De virtutibus, q. 2 pr. 13
Tertiodecimo utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur.
13. La charitй se perd-elle par un seul
acte de pйchй mortel ?
Articulus 1 : [65945] De virtutibus, q. 2 a. 1
tit. 1 Et primo quaeritur utrum caritas sit aliquid creatum in anima vel sit
ipse spiritus sanctus
Article
1 – La charitй est-elle quelque
chose de crйй dans l’вme ou est-elle l’Esprit saint lui-mкme ?
[Le sujet de
l’article 1 est traitй principalement trois fois. Dans le livre 1 des
Sentences, d. 17, a. 1 en 1252-1254. Quand il йcrit la Somme thйologique
IIaIIж, q. 109 sur la charitй а Paris vers 1271-1272 et а la mкme йpoque dans
les questions disputйes sur les Vertus, question 2 (De caritate) a. 1. P.
Lombard (I Sent, d. 17) dit que la charitй n’est pas quelque chose de crйй
dans l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme qui habite notre вme. Thomas apporte
cependant des nuances (IIaIIж, q. 23, a. 1 ; c.) : « Il ne
veut pas dire que le mouvement d’amour de l’Esprit saint par lequel nous
aimons Dieu est l’Esprit saint lui-mкme, mais qu’il procиde de l’Esprit saint
sans intermйdiaire d’aucun habitus ».]
[65946] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 2 Et
videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima.
Et il semble que la charitй n’est pas
quelque chose de crйй dans l’вme.
[65947] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 1
Sicut enim dicit Augustinus, sicut anima est vita corporis, ita Deus est vita
animae. Sed anima est vita corporis sine medio. Ergo et Deus est vita animae
sine medio. Cum igitur vita animae sit ex hoc quod est in caritate : quia qui non diligit, manet in morte, ut
dicitur I Ioan. III, 14, homo non
est in caritate per aliquid quod sit medium inter Deum et hominem, sed per
ipsum Deum. Caritas ergo non est aliquid creatum in anima, sed ipse Deus.
1. Car Augustin[20] dit que de mкme que l’вme
est la vie du corps, Dieu est la vie de l’вme. Mais l’вme est la vie du corps
sans intermйdiaire. Donc Dieu est la vie de l’вme sans intermйdiaire. Donc du
fait que la vie de l’вme est dans la charitй, parce que : « Qui n’aime
pas demeure dans la mort », comme il est dit en I Jn 3, 14, l’homme n’est pas dans la charitй par un intermйdiaire
entre Dieu et lui, mais par Dieu lui-mкme. Donc la charitй n’est pas quelque
chose de crйй dans l’вme, mais Dieu lui-mкme.
[65948] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 2 Sed dicebatur, quod similitudo illa
attenditur quantum ad hoc quod anima est vita corporis hominis ut motor, non
quantum ad hoc quod est vita corporis ut forma.- Sed contra, quanto aliquod agens est virtuosius, tanto minorem
dispositionem requirit in patiente : ignis enim magnus sufficiens est etiam
ligna minus desiccata comburere. Sed Deus est agens infinitae virtutis. Ergo
si est vita animae, sicut movens ipsam ad diligendum; videtur quod non
requiratur aliqua dispositio creata ex parte ipsius animae.
2. Mais
on pourrait dire que cette ressemblance est atteinte du fait que l’вme
est la vie du corps de l’homme comme moteur, non du fait qu’elle est vie du
corps comme forme. En sens contraire, plus
un agent est puissant, plus la disposition qu’il requiert dans le patient est
petite ; en effet un grand feu suffit а consumer mкme un bois moins sec.
Mais Dieu est un agent d’un pouvoir infini. Donc s’il est la vie de l’вme en
la poussant pour ainsi dire а aimer, il semble qu’une disposition crййe n’est
pas requise du cфtй de l’вme.
[65949] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 3
Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit medium. Sed anima diligens Deum
est idem cum Deo : quia, ut dicitur I
ad Corinth. cap. VI, 17, qui
adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo non cadit aliqua caritas creata
media inter animam diligentem et Deum dilectum.
3. En
outre, entre deux choses identiques, il n’y a pas d’intermйdiaire. Mais l’вme
qui aime Dieu est identique а Dieu car, comme il est dit (1 Co 6, 17, « Qui s’attache а Dieu est un seul esprit [avec
lui]. » Donc il n’y a pas
de charitй crййe, intermйdiaire entre l’вme qui aime et Dieu qui est
aimй.
[65950] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, dilectio qua diligimus proximum caritas est. Sed dilectio qua
diligimus proximum, ipse Deus est; dicit enim Augustinus in VIII de Trinit.[cap. VIII] : Qui proximum diligit, consequens est ut
ipsam dilectionem diligat. Deus autem dilectio est. Consequens ergo est
ut praecipue Deum diligat. Ergo caritas non est aliquid creatum, sed ipse
Deus.
4.
L’amour par lequel nous aimons notre prochain est la charitй. Or l’amour par
lequel nous l’aimons est Dieu lui-mкme ; en effet Augustin dйclare (La
Trinitй, VIII, VIII, 12) : « Qui
aime son prochain, aime en consйquence l’amour lui-mкme[21]. »
Mais Dieu est amour. La consйquence en est donc qu’il aime surtout Dieu. Donc
la charitй n’est pas quelque chose de crйй mais elle est Dieu lui-mкme.
[65951] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 5 Sed dicebatur, quod Deus est dilectio
qua diligimus proximum causaliter.— Sed
contra, Augustinus in eodem dicit, quod cum testimonio verborum Ioannis
aperte declarat, ipsam supernam dilectionem, qua nos diligimus invicem, non
solum ex Deo esse, sed etiam Deum esse. Non solum ergo causaliter, sed
essentialiter dilectio Deus est.
5. Mais on pourrait dire que Dieu est
l’amour par lequel nous aimons notre prochain а la maniиre d’une cause. En sens contraire, Augustin dit au mкme endroit[22]
qu’avec le tйmoignage des paroles de Jean, il dйclare ouvertement que l’amour
suprкme mкme, par lequel nous nous aimons les uns les autres, non seulement
vient de Dieu, mais est aussi Dieu. Donc Dieu est amour, non seulement en
tant que cause mais en tant qu’essence.
[65952] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 6
Praeterea, Augustinus dicit in V de
Trinitate [cap. XVII] : Non dicturi
sumus caritatem non propterea esse dictam Deum, quod ipsa caritas sit ipsa
substantia quae Dei digna sit nomine; sed quod donum sit Dei, sicut dictum
est de eo : tu es patientia mea; quia ab ipso nobis est. Non autem sic dictum
est : domine, tu caritas mea; sed ita dictum est : Deus caritas est; sicut
dictum est : Deus spiritus est. Videtur ergo quod Deus dicatur caritas
non solum causaliter, sed essentialiter.
6.
Augustin dit (La Trinitй, XV, XVII,
27)[23] :
« Nous ne voulons pas dire que la
charitй est appelйe Dieu non pas parce qu’elle est la substance mкme digne du
nom de Dieu mais parce qu’elle est un don de Dieu, comme on a dit de lui :
« Tu es ma patience » parce que nous la possйdons de lui. On n’a
pas dit : Seigneur, tu es ma charitй, mais on a dit : Dieu est charitй, de
mкme qu’on a dit : « Dieu est esprit. » Il semble donc bien que
Dieu soit appelй charitй non seulement en tant que cause mais aussi en tant
qu’essence.
[65953] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 7
Praeterea, cognito effectu Dei, non propter hoc ipse Deus cognoscitur. Sed per
cognitionem dilectionis supernae ipse Deus cognoscitur. Dicit enim Augustinus, VIII de Trinit.
[cap. VIII] : Magis quis novit
dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Ecce iam potest notiorem Deum habere quam fratrem. Amplectere
dilectionem, et dilectione amplectere Deum. Non igitur Deus dicitur dilectio fraterna solum per causam.
7. De
plus, mкme si l’on connaоt l’effet produit par Dieu, ce n’est pas pour cela
qu’il est lui-mкme connu. Mais Dieu est lui-mкme connu par la connaissance de
l’amour suprкme. Augustin, en effet, dit La Trinitй, VIII, VIII, 12[24]) :
« Quelqu’un connaоt davantage
l’amour par lequel il aime que le frиre qu’il aime. Et voilа que Dieu lui est
mieux connu que son frиre. Embrasse l’amour et embrasse Dieu ton amour. »
Donc Dieu n’est pas appelй amour fraternel uniquement en tant que cause.
[65954] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 8 Sed dicebatur, quod fraterna
dilectione cognita, cognoscitur Deus sicut in sua similitudine. Sed contra, homo secundum ipsam
substantiam animae factus est ad imaginem et similitudinem Dei. Sed
similitudo ista obscuratur per peccatum. Ad hoc igitur quod Deus possit in
anima sicut in sua similitudine cognosci, requiritur solum quod peccatum
tollatur; et non quod aliquid creatum animae superaddatur.
8. Mais on pourrait dire que, si on
connaоt l’amour fraternel, on connaоt Dieu comme dans sa ressemblance. Mais en sens contraire, selon la
substance mкme de l’вme, l’homme a йtй crйй а l’image et а la ressemblance de
Dieu. Cependant cette ressemblance est
obscurcie par le pйchй. Donc, du fait que Dieu pourrait кtre connu dans l’вme
comme dans sa ressemblance, il est seulement requis que le pйchй soit enlevй
et que rien de crйй ne soit surajoutй а l’вme.
[65955] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 9
Praeterea, omne quod est in anima, vel
est potentia, vel passio, vel habitus, ut dicitur in III Ethic. [cap. V]. Sed caritas non est
potentia animae, quia esset naturalis; nec est passio, quia non est in
potentia sensitiva, in qua sunt omnes passiones; nec est habitus, quia
habitus est difficile mobilis; caritas autem de facili amittitur, quia per
unum actum peccati mortalis. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima.
9. De plus, tout ce qui est dans l’вme est soit puissance, soit
passion, soit habitus, comme dit in Ethique,
III, 5. Or la charitй n’est pas puissance de l’вme, parce qu’elle serait
naturelle ; elle n’est pas passion, car elle n’est pas dans la puissance
sensitive, oщ se situent toutes les passions ; elle n’est pas non plus
un habitus parce que un habitus ne change pas facilement[25]; mais
la charitй se perd facilement, par le pйchй mortel. Donc la charitй n’est pas
quelque chose de crйй dans l’вme.
[65956]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, nullum creatum habet virtutem
infinitam. Sed caritas habet virtutem infinitam, quia coniungit infinite
distantia, scilicet animam Deo, et meretur bonum infinitum. Ergo caritas non
est aliquid creatum in anima.
10. De
plus, aucune crйature n’a de pouvoir infini. Mais la charitй possиde un pouvoir
infini.car elle unit ce qui est infiniment distant, а savoir l’вme а Dieu et
elle mйrite un bien infini. La charitй n’est donc pas quelque chose de crйй
dans l’вme.
[65957] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 11
Praeterea, omnis creatura vanitas est, ut patet Eccle. I, [2]. Vanitas autem non coniungit veritati. Cum ergo
caritas coniungat nos primae veritati, videtur quod caritas non sit creatura.
11. En
outre, toute crйature est vanitй comme l’atteste l’Eccle., (Qo.) 1, 2. Or
la vanitй n’unit pas а la vйritй. Donc, comme la charitй ne nous unit а la
vйritй premiиre, il semble qu’elle nest pas une crйature.
[65958]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne creatum est natura quaedam,
cum sit in aliquo decem generum. Si
igitur caritas est aliquid creatum in anima, videtur quod sit natura quaedam.
Cum igitur caritate mereamur : si caritas est aliquid creatum, sequetur quod
natura sit principium merendi; quod est erroneum secundum sententiam Pelagii.
12. De
plus, toute crйature est une certaine nature[26] puisqu’elle
se classe dans un des dix genres[27]. Si
donc la charitй est quelque chose de crйй dans l’вme, il semble qu’elle est
une nature. Donc, puisque nous mйritons par la charitй, si elle est quelque
chose de crйй, il s’ensuivra que une nature sera principe de mйrite, ce qui
est faux selon l’opinion de Pйlage[28].
[65959] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 13
Praeterea, homo secundum esse gratiae est propinquior Deo quam secundum esse
naturae. Sed Deus creavit hominem secundum esse naturae sine medio. Ergo nec
in esse gratiae utitur medio, scilicet caritate creata.
13. En
outre, l’homme, selon l’кtre de grвce, est plus proche de Dieu que selon
l’кtre de nature. Or Dieu a crйй l’homme, selon l’кtre de nature, sans
intermйdiaire. Donc, il ne se sert pas dans l’кtre de grвce, d’intermйdiaire,
а savoir une charitй crййe.
[65960] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 14
Praeterea, agens quod agit sine medio, est perfectius quam agens quod agit
cum medio. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo agit sine medio : non ergo
iustificat animam mediante aliquo creato.
14. De plus, l’agent qui opиre sans intermйdiaire est plus parfait que
celui qui agit avec un intermйdiaire. Or Dieu est l’agent le plus parfait.
Donc, il agit sans intermйdiaire : donc il ne justifie pas l’вme par l’intermйdiaire
de quelque chose de crййe.
[65961]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, creatura rationalis est nobilior
aliis creaturis. Sed aliae creaturae consequuntur suum finem absque aliquo
alio superaddito. Multo magis igitur creatura rationalis movetur a Deo ad
suum finem absque aliquo creato ei superaddito.
15. En outre, la crйature raisonnable est plus noble que les autres
crйatures. Mais ces autres crйatures poursuivent leur fin sans rien de
surajoutй. Donc la crйature raisonnable est beaucoup plus mise en mouvement
par Dieu vers sa fin, sans rien de crйй qui lui serait surajoutйe.
[65962] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 16 Sed dicebatur, quod creatura
rationalis non est proportionata ad suum finem per sua naturalia; et ideo
indiget aliquo superaddito. Sed contra,
finis hominis est bonum infinitum. Sed nullum creatum est proportionatum
bono infinito. Ergo id per quod homo ordinatur in suum finem, non est bonum
creatum in anima.
16. Mais on pourrait dire que la crйature
raisonnable n’est pas proportionnйe а sa fin par ce qui lui est naturel et
c’est pourquoi elle a besoin de quelque chose de surajoutй. En sens contraire, la fin de l’homme est le bien
infini. Mais rien de ce qui est crйй n’est proportionnй а un bien infini.
Donc, ce par quoi l’homme est ordonnй а sa fin n’est pas un bien crйй dans
l’вme.
[65963] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 17
Praeterea, sicut Deus est lumen primum, ita est et bonum summum. Sed lumen
quod Deus est, praesens est animae; quia de eo dicitur, Psal. XXXV, 10 : In lumine tuo videbimus lumen. Ergo et summum bonum, quod Deus est,
praesens est animae. Sed bonum est quo aliquid diligimus. Ergo id quo
diligimus, est Deus.
17. De
mкme que Dieu est la lumiиre premiиre, il est aussi le bien suprкme. Mais la
lumiиre qu’est Dieu est prйsente а l’вme, parce que, а son sujet, il est dit
(Ps 35, 10) : En ta lumiиre, nous verrons la lumiиre. Donc le bien suprкme,
qu’est Dieu, est lui aussi prйsent а l’вme. Mais le bien est ce par quoi nous
aimons quelque chose. Donc, ce par quoi nous aimons, c’est Dieu.
[65964] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 18 Sed dicebatur, quod bonum quod Deus
est, est praesens animae non formaliter, sed effective.- Sed contra, Deus est pura forma. Ergo formaliter
adest his quibus adest.
18.
Mais on pourrait dire que le bien qui est Dieu est prйsent а l’вme non pas
formellement mais effectivement. En sens contraire,
Dieu est forme pure. C’est donc selon la forme qu’il est prйsent lа oщ il est
prйsent.
[65965] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 19
Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus, X de Trinitate. Ergo secundum hoc
aliquid est diligibile secundum quod est cognoscibile. Sed Deus est per
seipsum cognoscibilis, sicut primum principium cognoscendi. Ergo est per
seipsum diligibilis : non ergo per aliquam caritatem creatam.
19. On
aime rien sans le connaоtre, comme le dit Augustin, La Trinitй, X, I, 3. Donc, selon cela, une chose ne peut кtre
aimйe que dans la mesure oщ elle peut кtre connue. Mais Dieu est connaissable
par lui-mкme en tant que premier principe de connaissance. Il est donc
aimable par lui-mкme ; donc non, par une charitй crййe.
[65966] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 20
Praeterea unumquodque, secundum hoc est diligibile, secundum quod est bonum.
Sed Deus est infinitum bonum. Ergo est in infinitum diligibilis. Sed nullus amor creatus est infinitus.
Ergo cum aliqui qui sunt in caritate, diligant eum secundum quod diligibilis
est; videtur quod dilectio qua diligimus Deum, non sit aliquid creatum.
20.
Chaque chose peut кtre aimйe dans la mesure oщ elle est un bien. Or Dieu est
le bien infini. Il est donc aimable а l’infini. Mais aucun amour crйй n’est
infini. Donc, puisque certains, qui sont dans la charitй, l’aiment du fait
qu’il est aimable, il semble que l’amour par lequel nous aimons Dieu ne soit
pas quelque chose de crйй.
[65967] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 21
Praeterea, Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient. XI, 25. Sed non diligit creaturas irrationales per
aliquid eis superadditum. Ergo nec creaturas rationales. Et ita videtur quod
caritas et gratia propter quas homines diliguntur a Deo, non sint aliquid
creatum superadditum animae nostrae.
21. En
outre, Dieu aime tout ce qui existe, comme il est dit en Sg 11, 25. Mais il n’aime pas les crйatures sans raison par
quelque chose qui leur serait ajoutй. Donc il n’aime pas non plus les
crйatures raisonnables. Et ainsi, il semble que la charitй et la grвce, par
lesquelles Dieu aime les hommes, ne sont pas quelque chose de crйй surajoutй
а notre вme.
[65968] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 22
Praeterea, si caritas sit aliquid creatum, oportet quod sit accidens. Sed
caritas non est accidens : quia nullum accidens est dignius suo subiecto;
caritas autem est dignior quam natura. Ergo caritas non est aliquid creatum
in anima.
22. En
outre, si la charitй йtait quelque chose de crйй, il faudrait qu’elle soit un
accident[29].
Mais elle n’est pas un accident car aucun accident n’est plus noble que son
sujet ; or la charitй est plus noble qu’une nature[30]. Donc
la charitй n’est pas quelque chose crйй dans l’вme.
[65969] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 23
Praeterea, sicut Bernardus dicit [Sermo IX de coena Domini], eadem lege diligimus Deum et proximum qua Pater
et Filius se diligunt. Sed Pater et Filius se diligunt dilectione increata.
Ergo nos diligimus Deum dilectione increata.
23. De
plus, comme le dit saint Bernard (Sermon 9, sur la Cиne du Seigneur), nous aimons Dieu et notre prochain par
la mкme loi par laquelle le Pиre et le Fils s’aiment. Or le Pиre et le Fils
s’aiment d’un amour incrйй. Donc, nous, nous aimons Dieu d’un amour incrйй.
[65970] De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 24
Praeterea, illud quod suscitat a morte, est infinitae virtutis. Sed caritas
suscitat a morte; dicitur enim I Ioan.
III, 14 : Nos scimus quoniam translati
sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Ergo caritas est
virtutis infinitae; ergo non est aliquid creatum.
24. En
outre, ce qui ressuscite de la mort est d’un pouvoir infini. Or la charitй
ressuscite de la mort. Car il est dit I
Jn 3, 14 : « Nous savons que
nous sommes passйs de la mort а la vie, parce que nous aimons nos
frиres ». Donc la charitй est d’une valeur infinie ; donc elle
n’est rien de crйй.
En sens contraire :
[65971]
De virtutibus, q. 2 a. 1 s. c. Sed contra, omne quod recipitur in aliquo,
recipitur in eo per modum recipientis. Si ergo caritas recipitur in nobis a
Deo, oportet quod recipiatur a nobis finite secundum modum nostrum. Omne
autem finitum est creatum. Ergo caritas est aliquid creatum in nobis.
Tout ce
qui est reзu en quelqu’un, y est reзu par le mode de celui qui reзoit. Si
donc la charitй est reзue de Dieu en nous, il faut qu’elle le soit notre mode
limitй. Or tout ce qui est limitй est crйй. Donc, la charitй est quelque
chose crйй en nous.
Rйponse
:
[65972] De virtutibus, q. 2 a. 1 co. Respondeo.
Dicendum, quod quidam posuerunt,
quod caritas in nobis, qua diligimus Deum et proximum, non sit aliud quam
spiritus sanctus, ut patet per Magistrum in 17 dist. I Sent.
Il faut
dire que certains ont pensй que la
charitй, en nous, par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain, ne serait
autre que l’Esprit Saint, comme on le voit par le Maоtre I sent. dist. 17[31].
Et ut huius opinionis intellectus plenius
habeatur, sciendum est, quod actum dilectionis quo Deum et proximum
diligimus, Magister posuit quoddam creatum in nobis, sicut et actus ceterarum
virtutum; sed ponebat differentiam inter actus caritatis et actus aliarum
virtutum : quod spiritus sanctus ad actus aliarum virtutum movet animam
mediantibus quibusdam habitibus, qui virtutes dicuntur; sed ad actum
dilectionis movet voluntatem immediate per seipsum absque aliquo habitu, ut
patet in 17 dist. I Lib. Et ad hoc ponendum movet ipsum excellentia
caritatis, et verba Augustini in obiiciendo inducta, et quaedam similia.
Ridiculum autem fuisset dicere, quod ipse actus dilectionis, quem experimur
dum diligimus Deum et proximum, sit ipse Spiritus sanctus.
Et pour
mieux comprendre cette opinion, il faut savoir que le Maоtre a considйrй que
l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu et notre prochain йtait quelque
chose de crйй en nous, tout comme les actes des autres vertus ; mais il
plaзait une diffйrence entre les actes de charitй et ceux des autres vertus :
а savoir que l’Esprit Saint met en mouvement l’вme pour les autres vertus par
l’intermйdiaire de certains habitus appelйs vertus[32], mais
qu’il met en mouvement la volontй pour l’acte d’amour, immйdiatement,
lui-mкme, sans aucun habitus, comme on le voit en I sent. d. 17. Et pour le poser, l’excellence de la charitй le
met en mouvement. Et les paroles d’Augustin donnйes comme objection et
d’autres arguments semblables. Mais il aurait йtй ridicule de dire que l’acte
mкme d’aimer, que nous expйrimentons quand nous aimons Dieu et notre
prochain, soit l’Esprit Saint lui-mкme.
Sed haec opinio omnino stare non potest.
Sicut enim naturales actiones et motus a quodam principio intrinseco
procedunt, quod est natura; ita et actiones voluntariae oportet quod a
principio intrinseco procedant. Nam sicut inclinatio naturalis in rebus
naturalibus appetitus naturalis nominatur, ita in rationalibus inclinatio
apprehensionem intellectus sequens, actus voluntatis est.
Cette
opinion ne peut absolument pas tenir. De mкme, en effet, que les actions
naturelles et les mouvements procиdent d’un principe intrinsиque[33] qui
est la nature, de mкme les actions volontaires doivent-elles procйder d’un
principe intrinsиque. Car, de mкme que le penchant naturel, dans ce qui
naturel s’appelle l’appйtit naturel, de mкme dans ce qui est rationnel, le
penchant qui suit la saisie de l’intellectuel est l’acte de la volontй.
Possibile autem est quod res naturalis ab
aliquo exteriori agente ad aliquid moveatur non a principio intrinseco, puta
cum lapis proiicitur sursum. Sed quod talis motus vel actio non a principio
intrinseco procedens, naturalis sit, hoc omnino est impossibile, quia in se
contradictionem implicat. Unde, cum contradictoria esse simul non subsit
divinae potentiae; nec hoc a Deo fieri potest, ut motus lapidis sursum, qui
non est a principio intrinseco, sit ei naturalis. Potest quidem lapidi dare
virtutem, ex qua sicut ex principio extrinseco sursum naturaliter moveatur;
non autem ut motus iste sit ei naturalis, nisi ei alia natura detur.
Or, il
est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par un agent
extйrieur, non par un principe intrinsиque : par exemple la pierre projetйe
vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou une telle action qui ne procйde pas
d’un principe intrinsиque soit naturel est tout а fait impossible, parce
qu’en soi il implique une contradiction. C'est pourquoi, puisque ce qui est
contradictoire ne se trouve pas en mкme temps dans la puissance divine, Dieu
ne peut pas faire que le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient
pas d’un principe intrinsиque, lui soit naturel. Il peut donner а la pierre
un pouvoir par lequel elle est est mue vers le haut naturellement par un
pouvoir extrinsиque, mais [il ne peut pas faire] que ce mouvement lui soit
naturel, а moins de lui donner une autre nature..
Et similiter non potest hoc divinitus
fieri ut aliquis motus hominis vel interior vel exterior qui sit a principio
extrinseco, sit voluntarius; unde omnes actus voluntatis reducuntur, sicut in
primam radicem, in id quod homo naturaliter vult, quod est ultimus finis.
Quae enim sunt ad finem, propter finem volumus.
Et de
la mкme maniиre, Dieu ne peut faire qu’un mouvement humain intйrieur ou
extйrieur, qui serait d’un principe extrinsиque, soit volontaire ; c'est
pourquoi, tous les actes de la volontй se ramиnent comme а une premiиre
racine, en ce que l’homme veut naturellement et qui est sa fin derniиre. Car
ce qui concerne la fin, nous le voulons а cause de la fin.
Actus igitur qui excedit totam facultatem
naturae humanae, non potest esse homini voluntarius, nisi superaddatur
naturae humanae aliquid intrinsecum voluntatem perficiens, ut talis actus a
principio intrinseco proveniat.
Donc
l’acte qui dйpasse toute la facultй de la nature humaine ne peut кtre
volontaire pour l’homme que s’il est ajoutй а la nature humaine quelque chose
d’intrinsиque qui perfectionne la volontй, pour qu’un tel acte provienne d’un
principe intrinsиque.
Si igitur actus caritatis in homine non ex
aliquo habitu interiori procedat naturali potentiae superaddito, sed ex
motione Spiritus sancti, sequetur alterum duorum
:
vel quod actus caritatis non sit voluntarius;
quod est impossibile, quia hoc ipsum diligere est quoddam velle;
aut quod non excedat facultatem naturae, et
hoc est haereticum.
Si donc
l’acte de charitй dans l’homme ne procиde pas d’un habitus interne surajoutйe
а sa puissance naturelle, mais par la motion de l’Esprit Saint, il s’ensuivra
une de ces deux consйquences :
a. Ou l’acte de charitй n’est pas
volontaire, ce qui est impossible car le fait mкme d’aimer est un certain
vouloir.
b. ou l’acte de charitй ne dйpasse pas la
facultй de la nature et cela est hйrйtique.
Hoc igitur remoto, sequetur primo quidem,
quod actus caritatis sit actus voluntatis; secundo, dato quod actus
voluntatis possit esse totaliter ab extrinseco, sicut actus manus vel pedis,
sequetur etiam, si actus caritatis est solum a principio exteriori movente,
quod non sit meritorius. Omne enim agens quod non agit secundum formam
propriam, sed solum secundum quod est motum ab altero, est agens
instrumentaliter tantum; sicut securis agit prout est mota ab artifice.
Ceci
йtant donc йcartй, il s’ensuivra en premier que l’acte de charitй est un acte
volontaire ; deuxiиmement, une fois donnй que l’acte volontaire pourrait
кtre totalement issu d’un principe extrinsиque, comme l’acte de la main ou du
pied, il s’ensuivrait aussi que, si l’acte de charitй vient seulement d’un
principe extйrieur qui le meut, il ne serait pas mйritoire. Car tout agent
qui n’agit pas selon sa forme propre, mais seulement mы par un autre n’est
qu’un instrument en tant qu’agent, tout comme une hache n’agit que dans la
mesure oщ elle est mue par l’artisan.
Sic igitur si anima non agit actum
caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab
exteriori agente, scilicet spiritu sancto; sequetur quod ad hunc actum se
habeat sicut instrumentum tantum. Non ergo in homine est hunc actum agere vel
non agere; et ita non poterit esse meritorius. Haec enim solum meritoria sunt
quae in nobis aliquo modo sunt; et sic totaliter tollitur meritum humanum,
cum dilectio sit radix merendi.
Ainsi
donc, si l’вme ne fait pas un acte de charitй par une forme propre mais
uniquement selon qu’elle y est poussйe par un agent extйrieur, а savoir
l’Esprit Saint, il en dйcoulera que, pour cet acte, elle se comporte
seulement comme un instrument. Donc il n’est pas dans l’homme de faire cet
acte ou pas; et ainsi il ne pourra pas кtre mйritoire. Car est mйritoire
seulement ce qui est de quelque maniиre en nous ; et ainsi est enlevй
totalement le mйrite humain, puisque l’amour est la racine du mйrite.
Tertium inconveniens est, quia sequeretur quod
homo qui est in caritate, ad actum caritatis non sit promptus, neque ipsum
delectabiliter agat. Ex hoc enim actus virtutum sunt nobis delectabiles, quod
secundum habitus conformamur ad illos, et inclinamur in illos per modum
inclinationis naturalis. Et tamen actus caritatis est maxime delectabilis et
maxime promptus existenti in caritate; et per eumdem omnia quae agimus vel
patimur, delectabilia redduntur. Relinquitur igitur quod oporteat esse
quemdam habitum caritatis in nobis creatum, qui sit formale principium actus
dilectionis.
Nec
tamen per hoc excluditur quin spiritus sanctus, qui est caritas increata, sit
in homine caritatem creatam habente, movens animam ad actum dilectionis,
sicut Deus movet omnia ad suas actiones, ad quas tamen inclinantur ex
propriis formis. Et inde est quod omnia disponit suaviter, quia omnibus dat
formas et virtutes inclinantes in id ad quod ipse movet, ut in illud tendant
non coacte, sed quasi sponte.
Il
existe un troisiиme inconvйnient :
parce qu’il s’ensuivrait que l’homme qui est dans la charitй ne serait pas
prкt pour un acte de charitй et ne le ferait pas avec plaisir. Car du fait
que les actes des vertus nous sont agrйables parce qu’en raison de nos
habitus, elles nous y rendent conformes et nous y inclinent et а nous tourner
vers eux par un penchant naturel. Et cependant l’acte de charitй est trиs
agrйable et trиs prкt pour qui est dans la charitй, et par ce mкme [acte]
rend plus agrйable tout ce que nous faisons ou supportons. Et il reste donc
qu’il faut qu’il y ait un certain habitus de charitй, crйй en nous, qui soit
le principe formel de l’acte d’aimer.
Et cependant, il
n’est pas exclu par lа que l’Esprit Saint, qui est charitй incrййe, soit dans
l’homme qui possиde une charitй crййe, mettant ne mouvement l’вme pour l’acte
d’amour, comme Dieu meut tout choses pour ses actions, pour lesquelles nous
sommes inclinйs par leurs formes propres. De lа vient qu’il dispose tout de
maniиre agrйable, parce qu’il donne а tout, les formes et les pouvoirs qui
les inclinent а ce vers quoi lui-mкme les meut, pour que tout y tende non
sous la contrainte mais quasi spontanйment.
Solutions :
[65973] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Deus est vita animae per modum moventis, et non
per modum formalis principii.
1. Dieu
est la vie de l’вme а la maniиre d’un moteur et non а la maniиre d’un
principe formel.
[65974] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod licet ad efficaciam moventis pertineat ut dispositionem
non praeexigat in subiecto; tamen efficaciam eius demonstrat, si
dispositionem fortem imprimat in passo vel moto. Fortis enim ignis non solum
formam substantialem, sed et fortem dispositionem inducit. Unde fortius est
agens quod sic ad agendum movet, quod etiam formam imprimit per quam agat,
quam id movens quod sic movet ad agendum, ut tamen nullam imprimat formam.
Unde cum spiritus sanctus sit virtuosissimum movens; sic movet ad diligendum,
quod etiam habitum caritatis inducit.
2. Bien
qu’il convienne а l’efficacitй du moteur de ne pas prйexiger de disposition
dans le sujet, cependant, il montre son efficacitй, s’il imprime une forte
disposition dans ce qui est subi ou mы. En effet, un grand feu induit non
seulement la forme substantielle mais aussi une disposition forte. C'est
pourquoi, plus fort est l’agent qui pousse ainsi а agir, qui imprime aussi la
forme par laquelle il agit que ce moteur qui met en mouvement pour agir sans
lui induire aucune forme. C'est pourquoi, comme l’Esprit Saint est un moteur
tout puissant, il pousse а aimer et cela induit aussi un habitus de la
charitй.
[65975] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod cum dicitur, Qui
adhaeret Deo, unus spiritus est; non designatur unitas substantiae; sed
unitas affectus, quae est inter amantem et amatum. In qua quidem unione
habitus caritatis magis se habet ut principium amationis quam ut medium inter
amantem et amatum; nam actus dilectionis immediate transit in Deum ut in
amatum, non autem immediate in habitum caritatis.
3.
Lorsqu’on dit « Qui s’attache а
Dieu forme [avec lui] un seul esprit », on ne dйsigne pas une unitй
de substance mais l’unitй de volontй qui existe entre celui qui aime et celui
qui est aimй. Certes, dans cette union, l’habitus de la charitй se comporte
plus comme principe de la mnaifestation de l’amour qu’en intermйdiaire entre
celui qui aime et celui qui est aimй ; en effet, l’acte d’amour passe
immйdiatement en Dieu comme dans l’кtre aimй mais pas immйdiatement dans
l’habitus de charitй.
[65976] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod licet dilectio qua diligimus proximum, sit Deus; non
tamen excluditur quin praeter hanc dilectionem increatam, sit etiam in nobis
dilectio creata, qua formaliter amamus, ut dictum est.
4. Bien
que l’amour, par lequel nous aimons notre prochain, soit Dieu, il n’est
cependant pas exclu qu’au-delа de cet amour incrйй, il y ait aussi en nous un
amour crйй, par lequel nous aimons formellement, comme cela a йtй dit.
[65977] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Deus non solum causaliter dicitur dilectio vel caritas, sicut
causaliter tantum dicitur spes vel patientia; sed etiam essentialiter. Non
tamen excluditur quin praeter illam dilectionem quae essentialiter Deus est,
sit etiam in nobis dilectio creata.
5. Dieu
est appelй amour ou charitй non seulement en tant que cause comme on parle
seulement en tant que cause de l’espйrance ou de la patience ; mais
aussi en tant qu’essence. Cependant, il
n’est pas exclu qu’au delа de cet amour qui est Dieu par essence, il y ait
aussi en nous un amour crйй.
[65978]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 6 Et per hoc etiam patet solutio ad sextum.
6. Et
par ce raisonnement apparaоt aussi la solution а donner au sixiиme argument.
[65979] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod auctoritas illa eamdem difficultatem habet, sive
ponatur creatus habitus caritatis in nobis, sive non. Cum enim dicit
Augustinus, quod qui diligit proximum, magis cognoscit dilectionem qua
diligit, quam proximum quem diligit, intelligere videtur de ipso actu
dilectionis. Quem quidem actum nullus ponit esse aliquid increatum; unde ex
hoc concludi non potest quod ipsa dilectio sic nota, sit Deus; sed quod in
hoc quod percipimus actum dilectionis in nobis, sentimus in nobis ipsis quamdam
Dei participationem, quia ipse Deus dilectio est; non quod sit ipse actus
dilectionis quem percipimus.
7.
Cette autoritй prйsente la mкme difficultй, soit qu’on place en nous un
habitus de charitй crййe ou pas. En effet, quand Augustin dit que celui qui
aime son prochain connaоt mieux l’amour par lequel il aime que le prochain
qu’il aime, il semble [le] comprendre а partir de l’acte d’aimer mкme.
Certes, personne ne pense que cet acte soit incrйй ; c'est pourquoi, on
ne peut pas en conclure que l’amour mкme, ainsi connu, est Dieu ; mais
parce que du fait que nous percevons l’action de l’amour en nous, nous
sentons en nous-mкmes une certaine participation de Dieu parce qu’il est
lui-mкme l’amour, sans en кtre l’acte que nous percevons.
[65980]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura secundum
quod magis perficitur, magis ad similitudinem Dei accedit. Unde, licet
quaelibet creatura habeat quamdam Dei similitudinem in eo quod est et bona
est; creatura tamen rationalis superaddit aliquam rationem similitudinis in
eo quod intellectualis est; et adhuc aliam in hoc quod facta est : et sic in
actu caritatis expressius percipitur Deus sicut in propinquiori similitudine.
8. La
crйature selon qu’elle est plus accomplie s’approche davantage de la
ressemblance а Dieu. C'est pourquoi, bien que n’importe quelle crйature ait
une certaine ressemblance а Dieu dans le fait qu’elle est et qu’elle est
bonne, cependant la crйature douйe de raison surajoute une autre raison de
ressemblance dans le fait qu’elle est intellectuelle; elle y surajoute encore
une autre raison dans le fait qu’elle a йtй crййe ; ainsi, dans l’acte
de charitй, Dieu est perзu plus expressйment comme dans une ressemblance plus
proche.
[65981] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod caritas habitus est; et difficile mobilis; quia non de
facili, qui habet caritatem, inclinatur ad peccandum; licet ex peccato
caritas amittatur.
9. La
charitй est un habitus, qui change difficilement, car ce n’est pas facilement
que celui qui possиde la charitй se laisse aller а pйcher, bien que celle-ci
soit perdue par le pйchй.
[65982] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod caritas coniungit bono infinito, non effective, sed
formaliter; unde virtus infinita non competit caritati, sed caritatis
auctori. Competeret autem caritati virtus infinita, si homo ad infinitum
bonum per caritatem infinite ordinaretur : quod patet esse falsum. Modus enim
sequitur formam rei.
10.
La charitй unit au bien infini non effectivement mais formellement ;
c'est pourquoi, la puissance infinie ne convient pas а la charitй mais а son
auteur. Mais le pouvoir infini conviendrait а la charitй si l’homme йtait
ordonnй de maniиre infinie par la charitй au bien infini, ce qui se rйvиle
faux. En effet, le mode suit la forme d’une chose.
[65983] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod creatura est vanitas in quantum est ex nihilo, non
autem in quantum est similitudo Dei; et ex hac parte est quod caritas creata
veritati primae coniungit.
11. La
crйature est vanitй en tant qu’elle vient du nйant, mais non en tant qu’elle
est ressemblance а Dieu ; et c’est de ce cфtй que la charitй crййe unit
а la vйritй premiиre.
[65984]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad haeresim
Pelagianam pertinet quod principia naturalia hominis sufficiant ad merendum
vitam aeternam. Non est autem hoc haereticum, quod aliquo creato, quod est
natura quaedam in aliquo praedicamento, mereamur. Manifestum est enim quod
actibus meremur; et tamen actus, cum sint quaedam creata, in genere aliquo
sunt, et natura quaedam sunt.
12. Il
appartient а l’hйrйsie pйlagienne que les principes naturels de l’homme
suffisent а mйriter la vie йternelle. Cependant,
ce n’est pas hйrйtique de mйriter par quelque chose de crйй qui est une
certaine nature, dans une certaine catйgorie. En effet, il est clair que nous
mйritons par nos actes ; et cependant, comme certains sont crййs, ils
sont dans un genre et ils sont une nature[34].
[65985] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod Deus esse naturale creavit sine medio
efficiente, non tamen sine medio formali. Nam unicuique dedit formam per quam
esset. Et similiter dat esse gratiae per aliquam formam superadditam. Et
tamen non est omnino simile; quia, ut dicit Augustinus super Ioan., [Sermo XV
de verbis Apostoli] qui creavit te sine te, non iustificabit
te sine te. In iustificatione ergo requiritur aliqua operatio
iustificantis; et ideo requiritur quod sit ibi principium activum formale :
quod non habet locum in creatione.
13.
Dieu a crйй l’кtre naturel sans intermйdiaire [d’une cause] efficiente, mais
pas sans intermйdiaire formel. En effet, il a donnй а chaque chose une forme
par laquelle elle serait. Et de la mкme faзon, il donne l’кtre de grвce par
une forme surajoutйe. Et cependant, ce n’est pas tout а fait pareil car,
comme le dit Augustin (Homйlies sur
l’йvangile de Jean sermon XV sur les paroles de l’Apфtre) : « Celui qui t’a crйй sans toi, ne te
justifiera pas sans toi ». Donc, dans la justification, est requise
une opйration de celui qui justifie ; c’est pourquoi il est requis qu’il
y ait un principe actif formel qui n’a pas place dans la crйation.
[65986]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod agens per
medium est minus efficax in agendo, si utatur medio propter suam
necessitatem. Sic autem non utitur Deus medio in agendo, quia nullius
creaturae auxilio indiget; sed utitur mediis agentibus, ut servetur ordo in
rebus. Sed si loquamur de medio formali, manifestum est quod quanto agens est
perfectius, tanto magis formam inducit. Nam agens imperfectum non inducit
formam, sed dispositionem tantum; et tanto debiliorem quanto est debilius.
14.
L’agent par intermйdiaire est moins efficace pour agir s’il se sert d’un
intermйdiaire а cause de sa nйcessitй. C’est ainsi que Dieu ne se sert pas
d’intermйdiaire pour agir car il n’a besoin de l’aide d’aucune
crйature ; mais il se sert d’agents intermйdiaires pour prйserver
l’ordre des choses. Mais si nous parlons d’intermйdiaire formel, il est
йvident que plus l’agent est parfait, plus il induit de forme. En effet, un
agent imparfait n’induit pas de forme mais une disposition seulement,
d’autant plus faible qu’il est plus faible.
[65987] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod homo et aliae rationales creaturae consequi
possunt altiorem finem quam aliae creaturae; unde, licet ad hunc finem
consequendum pluribus indigeant, nihilominus perfectiores sunt : sicut homo
est melius dispositus qui potest consequi perfectam sanitatem per plures
medicinas, quam ille qui non potest sanari perfecte, et ideo non indiget nisi
paucis medicinis.
15.
L’homme et les autres crйatures raisonnables peuvent poursuivre une fin plus
haute que les autres crйatures ; c'est pourquoi, bien qu’elles aient
plus de besoin pour atteindre leur fin, elles sont nйanmoins plus parfaites :
de mкme que l’homme qui peut obtenir une santй parfaite par de nombreux
remиdes, est mieux disposй que celui qui ne peut кtre soignй parfaitement et
c'est pourquoi il n’a besoin que de peu de remиdes.
[65988] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod per caritatem creatam elevatur anima supra posse
naturae, ut perfectius ordinetur ad finem, quam habeat facultas naturae; sed
tamen non sic ordinatur ad consequendum Deum perfecte, sicut ipse perfecte se
fruitur. Et hoc contingit ex hoc quod nihil creatum sit Deo proportionatum.
16.
L’вme s’йlиve au-dessus des pouvoirs de la nature par la charitй crййe pour
кtre de maniиre plus parfaite ordonnйe а la fin que sa facultй naturelle n’en
a ; mais cependant, elle n’est pas ordonnйe pour atteindre Dieu
parfaitement, comme il jouit de lui-mкme. Cela provient du fait que rien de
crйй n’est proportionnй а Dieu.
[65989] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod licet bonum quod est Deus, sit praesens animae
per seipsum; tamen requiritur medium formale ad hoc, quod anima perfecte
ordinetur in ipsum ex parte animae, non autem ex parte ipsius Dei.
17.
Quoique le bien, qui est Dieu, soit prйsent а l’вme par lui-mкme, cependant
il requiert un intermйdiaire formel pour que l’вme est parfaitement ordonnйe
а lui, de son cфtй et non du cфtй de Dieu lui-mкme.
[65990] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod Deus est forma per se subsistens; non autem ita
quod formaliter alicui coniungatur.
18. Dieu est une forme qui subsiste par soi, mais pas de sorte а lui
кtre uni formellement.
[65991] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod dato quod Deus per seipsum cognoscatur ab anima
quia hoc aliam quaestionem habet; eodem modo per seipsum diligitur, sicut per
seipsum cognoscitur; ut hoc quod dico per se accipiatur ex parte diligibilis,
non autem ex parte diligentis. Non enim Deus propter aliquid aliud diligitur
ab anima, sed propter seipsum; et tamen anima indiget aliquo formali
principio ad perfecte diligendum Deum.
19.
Une fois donnй que Dieu serait connu par lui-mкme, par l’вme, parce que ceci
comporte une autre question, c’est, par lui-mкme, qu’il s’aime de la mкme
maniиre par lui-mкme de mкme c’est par lui-mкme qu’il se connaоt, de mкme que
ce que je dis serait reзu par soi du cфtй de celui qui est aimable mais pas
de celui qui aime. Car, Dieu n’est pas aimй par l’вme pour une autre raison
mais pour lui-mкme ; cependant, l’вme a besoin d’un principe formel pour
l’aimer parfaitement.
[65992] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod Deus non potest tantum diligi a nobis quantum
diligibilis est; unde non sequitur quod amor caritatis qua diligimus Deum
infinitus sit. Hoc enim non minus sequeretur de actu quam de habitu; et tamen
nullus dicere potest actum dilectionis, quo diligimus Deum, esse aliquid
increatum.
20.
Nous ne pouvons aimer Dieu qu’autant qu’il est aimable ; c'est pourquoi
il n’en dйcoule pas que l’amour de charitй, par lequel nous aimons Dieu, soit
infini. Car ceci rйsulterait moins de l’acte que de l’habitus ; et
cependant, personne ne peut dire que l’acte d’amour par lequel nous aimons
Dieu est quelque chose d’incrйй.
[65993] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod habitus caritatis requiritur in nobis in
quantum diligimus Deum; quod aliis creaturis non convenit, licet omnes
creaturae diligantur a Deo.
21.
L’habitus de la charitй est requis en nous dans la mesure oщ nous aimons
Dieu, ce qui ne convient pas aux autres crйatures, bien qu’elles soient
toutes aimйes par Dieu.
[65994] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod nullum accidens est dignius subiecto quantum
ad modum essendi; quia substantia est ens per se, accidens vero ens in alio.
Sed in quantum accidens est actus et forma substantiae, nihil prohibet
accidens esse dignius substantia; sic enim comparatur ad ipsam ut actus ad
potentiam, et perfectio ad perfectibile; et sic est caritas dignior anima.
22.
Aucun accident n’est plus noble que le sujet quant а son mode
d’existence ; parce que la substance est йtant par soi, mais l’accident
est йtant par un autre. Mais dans la mesure oщ l’accident est acte et forme
de la substance, rien n’empкche l’accident d’кtre plus noble que la
substance ; car ainsi il se compare а elle comme l’acte а la puissance
et comme la perfection au perfectible ; car ainsi la charitй est-elle
plus noble que l’вme.
[65995] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 23 Ad vicesimumtertium
dicendum, quod licet lex qua diligimus Deum et proximum, sit increata; tamen
id quo formaliter Deum et proximum diligimus, est aliquid creatum. Lex enim
increata est prima mensura et regula nostrae dilectionis.
23.
Bien que la loi par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain soit incrййe,
cependant ce par quoi nous aimons formellement Dieu et notre prochain est
quelque chose de crйй. En effet, une loi incrййe est la premiиre mesure et la
premiиre rиgle de notre amour.
[65996] De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 24 Ad
vicesimumquartum dicendum, quod caritas resuscitat spiritualiter mortuos,
formaliter, sed non effective; unde non oportet quod sit virtutis infinitae;
sicut nec anima Lazari, quae formaliter Lazarum resuscitavit, in quantum, per
unionem eius ad corpus, Lazarus est resuscitatus.
24.
La charitй ressuscite les morts spirituellement, formellement, mais pas
effectivement ; il ne faut donc pas qu’elle soit d’un pouvoir
infini ; ainsi ce n’йtait pas l’вme de Lazare qui l’a ressuscitй formellement,
c’est dans la mesure de son union а son corps, que Lazare est ressuscitй.
[65997] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum caritas sit virtus
[65998] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 2 Et
videtur quod non.
Il semble que non.
[65999] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 1
Virtus enim est circa difficile, secundum philosophum in VI Ethic. Sed
caritas non est circa difficile, quinimmo, ut Augustinus dicit in Lib. de verbis domini [Sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope
nulla facit amor. Ergo caritas non est virtus.
1. Car la vertu concerne ce qui est
difficile, selon le philosophe (Йthique,
VI) mais la charitй ne concerne pas ce qui est difficile, bien plus, comme
Augustin le dit dans Les paroles du
Seigneur : « L’amour rend tout
ce qui est lourd et monstrueux facile [et le rйduit] а presque rien. Donc
la charitй n’est pas une vertu.
[66000] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 2 Sed dicebatur, quod illud quod est
virtutis, est difficile in principio, sed facile est in fine.- Sed contra, in principio nondum est
virtus. Si igitur solum in principio sit difficile, virtus non erit circa
difficile.
2. Mais on pourrait dire que ce qui concerne la vertu est difficile
en son commencement mais facile en sa fin. En sens
contraire, au commencement, il n’y pas encore de vertu. Donc si
c’йtait difficile seulement au commencement, la vertu ne sera pas pour ce qui
est difficile.
[66001] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 3
Praeterea, difficultas in virtutibus accidit ex contrarietate; inde enim fit
difficile temperantiam servare propter contrarias concupiscentias. Sed
caritas est circa summum bonum, cui non est aliquid contrarium. Ergo id quod
est caritatis, non est difficile neque in fine neque in principio.
3. La difficultй dans les vertus vient de
la contrariйtй ; de lа il devient en effet difficile de conserver la
tempйrance а cause des consupiscences contraires. Mais la charitй concerne le
bien suprкme, pour laequelle il n’y a rien de contraire. Donc ce qui concerne
la charitй, n’est pas difficile, ni dans la fin, ni au commencement.
[66002] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 4
Praeterea, diligere vel amare quoddam velle est. Sed apostolus
dicit, Rom. VII, 18 : Velle adiacet mihi. Ergo diligere adiacet
nobis; non ergo ad hoc aliqua virtus caritatis requiritur.
4. Aimer[36] est un certain vouloir.
Mais l’apфtre dit (Rm 7, 18) :
« Vouloir est а ma portйe ».
Donc aimer est а notre portйe; donc ce n’est pas pour cela qu’une vertu de
charitй est requise.
[66003] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 5
Praeterea, in mente nostra non est nisi intellectus et appetitus. Sed
intellectus elevatur in Deum per fidem, affectus per spem. Non ergo oportet
ponere tertiam virtutem caritatis ad elevandum mentem in Deum.
5. Dans notre esprit il n’y a que
l’intellect et l’appйtit. Mais l’intellect est йlevй en Dieu par la foi,
l’affection par l’espйrance. Donc il ne faut pas placer en troisiиme la vertu
de charitй pour йlever l’esprit en Dieu.
[66004] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 6 Sed dicendum, quod spes elevat, sed
non coniungit; unde necessaria est caritas, quae coniungat.- Sed contra, spes, quia non coniungit,
semper distantis est; unde illis qui per beatitudinis fruitionem coniunguntur
Deo, non congruit spes. Si ergo caritas coniungit, pari ratione non competit
illis qui nondum sunt coniuncti, scilicet existentibus in via. Sed virtus
perficit nos in via; est enim dispositio perfecti ad optimum. Ergo caritas
non est virtus.
6. Mais
il faut dire que l’espйrance йlиve, mais n’unit pas pas, c'est pourquoi
la charitй source d’union est nйcessaire. Mais en sens contraire,l’espйrance,parce qu’elle n’unit pas, est
toujours йloignйe, c'est pourquoi chez ceux qui sont unis а Dieu par la
fruition de la bйatitude, l’espйrance ne se rencontre pas. Donc si la charitй
unit, а raison йgale, elle ne convient pas а ceux qui ne sont pas encore
unis, а savoir а ceux qui existent dans la voie. Mais la vertu nous rend
parfait dans la voie, car c’est la disposition du parfait pour le meilleur.
Donc la charitй n’est pas une vertu.
[66005] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 7
Praeterea, gratia sufficienter coniungit nos Deo. Non igitur
requiritur virtus caritatis ad hoc quod per ipsam Deo coniungamur.
7. La grвce nous unit suffisamment а Dieu.
Donc la vertu de charitй n’est pas requise pour que nous soyons unis а Dieu
par elle.
[66006] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 8
Praeterea, caritas est quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed
amicitia hominis ad hominem non numeratur a philosophis inter virtutes
politicas. Ergo nec caritas
Dei debet numerari inter virtutes theologicas.
8. La charitй est une amitй de l’homme
pour Dieu[37].
Mais l’amitiй de l’homme pour l’homme n’est pas comptйe par les philosophes
parmi les vertus politiques[38]. Donc la charitй non plus
ne doit pas кtre comptйe parmi les vertus thйologiques.
[66007] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 9
Praeterea, nulla passio est virtus. Amor est passio. Ergo non est virtus.
9. Aucune passion n’est une vertu. Mais
l’amour est une passion. Donc ce n’est pas une vertu.
[66008] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 10
Praeterea, virtus est in medio secundum philosophum. Sed caritas non est in
medio; quia in amore Dei non potest esse aliquid superfluum. Ergo caritas non
est virtus.
10. La vertu est dans l’intermйdiaire
selon le philosophe[39]. Mais la charitй n’est pas
dans l’intermйdiaire; parce que dans l’amour de Dieu il ne peut pas y avoir
rien de superflu. Donc la charitй n’est pas une vertu.
[66009] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 11
Praeterea, affectus est magis corruptus per peccatum quam intellectus; quia
peccatum in voluntate est, ut Augustinus dicit De duabus animabus, cap. X et XI,. Sed intellectus noster non
potest Deum videre immediate per seipsum in statu viae. Ergo nec affectus
noster potest diligere Deum immediate per seipsum in statu viae. Sed diligere
Deum per seipsum attribuitur caritati. Ergo caritas non debet inter virtutes
quae perficiunt nos in via numerari.
11. L’affection est plus corrompue par le
pйchй que l’intellect ; parce que la pйchй est dans la volontй, comme le
dit Augustin (Les deux вmes, X et
XI). Mais notre intellect ne peut pas voir Dieu sans intermйdiaire par
lui-mкme dans le statut de la voie. Donc notre affection ne peut pas aimer
Dieu sans intermйdiaire par lui-mкme dans le statut de la voie. Mais aimer
Dieu par lui-mкme est attribuй а la charitй. Donc la charitй ne doit pas
d’кtre comptйe parmi les vertus qui nous perfectionnent dans la voie.
[66010] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 12
Praeterea, virtus est ultimum de potentia rei, ut dicitur in I de Caelo [III,c. 2]. Sed
delectatio est ultimum quod pertinet ad affectum. Ergo magis delectatio debet esse virtus
quam amor.
12. La vertu est le dernier degrй de la
puissance, comme il est dit (Le ciel,
1, 3, 281 a 25). Mais le plaisir est le dernier degrй qui convient а
l’affection. Donc la vertu doit кtre plus le plaisir que l’amour[40].
[66011] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 13
Praeterea, omnis virtus habet debitum modum; unde dicit Augustinus [in lib. de natura Boni, cependant. III et
IV], quod peccatum, quod opponitur virtuti, est privatio modi, speciei et
ordinis. Sed caritas non habet modum; quia, sicut dicit Bernardus [in lib. de diligendo Deo], modus caritatis est
sine modo diligere. Ergo caritas non est virtus.
13. Toute vertu a une mesure obligйe; c'est
pourquoi Augustin (La nature du Bien,
3 et 4) dit que le pйchй qui est opposй а la vertu, est la privation de
mesure, d’espиce et d’ordre. Mais la charitй n’a pas de mesure ; parce
que, comme le dit saint Bernard (L’amour
de Dieu), le mesure de la charitй c’est aimer sans mesure. Donc la
charitй n’est pas une vertu.
[66012] De
virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 14 Praeterea, una virtus non denominatur ab alia;
quia omnes species eiusdem generis ex opposito dividuntur. Sed
caritas denominatur ab aliis virtutibus; dicitur enim I ad Corinth. XIII,
4 : Patiens est, benigna caritas est.
Ergo caritas non est virtus.
14. Une vertu ne tire pas son nom d’une
autre ; parce que toutes les espиces d’un mкme genre sont sйparйes par
opposition. Mais la charitй est dйnommйe par les autres vertus ; car il
est dit 1 Co13, 4 : « La charitй est patiente,
bienveillante ». Donc la charitй n’est pas une vertu.
[66013] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 15
Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic. [cap. VIII], amicitia in
quadam aequalitate consistit. Sed Dei ad nos est maxima inaequalitas, sicut
infinite distantium. Ergo non potest esse amicitia Dei ad nos, vel nostri ad
Deum; et ita caritas, quae huiusmodi amicitiam designat, non videtur esse
virtus.
15. Selon le philosophe (Йthique, VIII, 1055 a 32) l’amitiй
consiste en une certaine йgalitй. Mais de Dieu а nous l’inйgalitй est trиs
grande, pour ainsi dire de distance infinie. Donc il ne peut pas y avoir
d’amitй de Dieu pour nous[41], ou de nous pour
Dieu ; et ainsi la charitй qui dйsigne une amitiй de ce genre ne semble
pas кtre une vertu.
[66015] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 17
Praeterea, amor est excellentius timore. Sed timor, propter sui excellentiam,
non est virtus, sed donum, quod est excellentius virtute. Ergo neque caritas est
virtus, sed donum.
17. L’amour est bien meilleur que la
crainte. Mais celle-ci а cause de son excellence n’est pas une vertu, mais un
don meilleur que la vertu. Donc la charitй n’est pas une vertu mais un don.
En
sens contraire :
[66016] De
virtutibus, q. 2 a. 2 s. c. Sed contra, praecepta legis sunt de actibus
virtutum. Sed actus caritatis praecipitur in lege; dicitur enim Matth. XXII,
37, quod primum et maximum mandatum est : Dilige
Dominum Deum tuum. Ergo
caritas est virtus.
Les
prйceptes de la loi concernent les actes de vertu. Mais l’acte de charitй est
ordonnй dans la loi; car en Mt 22,
37, il est dit qu’il est le premier et le plus grand des commandements :
« Aime le Seigneur ton Dieu ».
Donc la charitй est une vertu.
Rйponse
:
[66017] De virtutibus, q. 2 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum, quod caritas absque dubio virtus est. Cum enim virtus
sit quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; manifestum est quod
secundum propriam virtutem homo ordinatur ad proprium bonum. Proprium autem
bonum hominis oportet diversimode accipi,
secundum quod homo diversimode accipitur.
Nam proprium bonum hominis in quantum homo, est bonum rationis, eo quod
homini esse est rationale esse. Bonum autem hominis secundum quod est
artifex, est bonum artis; et sic etiam secundum quod est politicus, est bonum
eius bonum commune civitatis.
A cela il n’y a aucun doute. En effet
comme la vertu rend bon celui qui la possиde et rend son oeuvre bonne, il est
йvident que c’est par sa propre vertu que l’homme est ordonnй а son bien
propre. Or le bien propre de l’homme doit кtre entendu de diffйrentes
maniиres selon que l’homme est compris de diffйrentes maniиres.
Car le bien
propre de l’homme, en tant que tel, est le bien de la raison, du fait que
l’кtre de l’homme est un кtre raisonnable.
Le
bien de l’homme selon qu’il est artisan est le bien de son art ;
et
aussi selon qu’il est homme politique c’est le bien commun de la citй[42].
Cum ergo virtus operetur ad bonum; ad
virtutem cuiuslibet requiritur quod sic se habeat quod ad bonum bene
operetur, id est voluntarie et prompte et delectabiliter, et etiam firmiter :
hae enim sunt conditiones operationis virtuosae, quae non possunt convenire
alicui operationi, nisi operans amet bonum propter quod operatur, eo quod
amor est principium omnium voluntariarum affectionum. Quod enim amatur,
desideratur dum non habetur, et delectationem infert quando habetur et
tristitiam ingerunt ea quae ad habendo amatum impediunt. Ea etiam quae ex
amore fiunt, et firmiter et prompte et delectabiliter fiunt. Ad
virtutem igitur requiritur amor boni ad quod virtus operatur. Bonum
autem ad quod operatur virtus quae est hominis in quantum homo, est homini
connaturale; unde voluntati eius naturaliter inest huius boni amor, quod est
bonum rationis. Sed si accipiamus virtutem hominis secundum aliquam aliam
considerationem non naturalem homini, oportebit ad huiusmodi virtutem amorem
illius boni, ad quod talis virtus ordinatur, esse aliquid superadditum circa
naturalem voluntatem. Non enim artifex bene operatur nisi superveniat ei amor
boni quod per operationem artis intenditur; unde philosophus dicit in VIII
Polit.[cap. 1], quod ad hoc quod aliquis sit bonus politicus, requiritur quod
amet bonum civitatis.
Donc puisque la vertu opиre pour le bien,
il est requis pour la vertu de n’importe qui de se comporter de maniиre а
parfaitement opйrer pour le bien, c’est-а-dire volontairement, promptement et
avec plaisir, et aussi avec fermetй. Ce sont en effet lа les conditions de
l’opйration vertueuse qui ne peuvent convenir а quelque opйration que si
celui qui opиre aime le bien pour lequel il agit, parce que l’amour est le
principe de toutes les affections volontaires. En effet ce qu’on aime, on le
dйsire quand on ne l’a pas et il apporte le plaisir quand on l’a et ce qui en
empкche la possession engendre la tristesse. Aussi ce qui est fait par amour
se fait avec fermetй, promptitude et plaisir. Donc est requis pour la vertu
l’amour du bien pour lequel la vertu agit. Or le bien pour lequel opиre la
vertu qui est de l’homme en tant que tel lui est connaturel; c'est pourquoi
l’amour de ce bien qui est le bien de la raison est naturellement en sa
volontй. Mais si nous concevons la vertu de l’homme selon une autre
considйration non naturelle а l’homme il faudra pour une vertu de ce genre
que l’amour de ce bien auquel cette vertu est ordonnйe soit quelque chose de
surajoutй а la volontй naturelle. En effet l’artisan n’opиre bien que si lui
arrive l’amour du bien qu’il poursuit par l’opйration de son art. C'est
pourquoi le philosophe (Politique VIII,
1) dit que pour кtre un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la
citй.
Si autem homo, in quantum admittitur ad
participandum bonum alicuius civitatis, et efficitur civis illius civitatis;
competunt ei virtutes quaedam ad operandum ea quae sunt civium, et ad amandum
bonum civitatis; ita cum homo per divinam gratiam admittatur in
participationem caelestis beatitudinis, quae in visione et fruitione Dei
consistit, fit quasi civis et socius illius beatae societatis, quae vocatur
caelestis Ierusalem secundum illud, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum et domestici Dei.
Si
donc l’homme, en tant qu’il est admis а prendre part au bien d’une citй, est
йtabli citoyen de cette citй, des vertus lui incombent pour accomplir des
actes de citoyens et pour aimer le bien de la citй. Ainsi lorsque l’homme par
la grвce divine est admis а participer а la bйatitude cйleste qui consiste en
la vision et en la jouissance de Dieu, il devient comme le concitoyen et le
compagnon de cette bienheureuse sociйtй qui est appelйe la Jйrusalem cйleste,
selon ce qui est йcrit (Eph 2,
19) : « Vous кtes les concitoyens des saints et de ceux qui font
partie de la maison de Dieu ».
Unde homini sic ad caelestia adscripto
competunt quaedam virtutes gratuitae, quae sunt virtutes infusae; ad quarum
debitam operationem praeexigitur amor boni communis toti societati, quod est
bonum divinum, prout est beatitudinis obiectum. Amare autem bonum
alicuius civitatis contingit dupliciter : uno modo ut habeatur; alio modo ut
conservetur.
C'est
pourquoi certaines vertus gratuites qui sont des vertus infuses sont ainsi
propres а l’homme inscrit sur la liste pour les cieux; pour bien s’en
acquitter l’amour du bien commun est prйexigй pour toute la sociйtй, qui est
le bien divin, dans la mesure oщ il est l’objet de la bйatitude. Mais aimer
le bien d’une citй arrive de deux maniиres : a. Pour le possйder, b. d’une
autre maniиre pout le conserver.
Amare autem bonum alicuius civitatis ut
habeatur et possideatur, non facit bonum politicum; quia sic etiam aliquis
tyrannus amat bonum alicuius civitatis ut ei dominetur : quod est amare
seipsum magis quam civitatem; sibi enim ipsi hoc bonum concupiscit, non
civitati. Sed amare bonum civitatis ut conservetur et defendatur, hoc est
vere amare civitatem; quod bonum politicum facit : in tantum quod aliqui
propter bonum civitatis conservandum vel ampliandum, se periculis mortis
exponant et negligant privatum bonum.
Mais aimer le bien d’une citй pour avoir ou
possйder ne fait pas le bien politique : parce qu’ainsi un tyran aussi aime
le bien de la citй pour la dominer; ce qui est s’aimer soi-mкme plus que la
citй ; car il convoite ce bien pour lui et non pour la Citй. Mais aimer le
bien de la citй pour le conserver et le dйfendre c’est lа vraiment aimer la
citй ; ce que fait le bon politique ; en tant que certains s’exposent
aux pйrils de la mort pour conserver le bien de la citй et le dйvelopper et
ils nйgligent leur bien privй.
Sic igitur amare bonum quod a beatis
participatur ut habeatur vel possideatur, non facit hominem bene se habentem
ad beatitudinem, quia etiam mali illud bonum concupiscunt; sed amare illud
bonum secundum se, ut permaneat et diffundatur, et ut nihil contra illud
bonum agatur, hoc facit hominem bene se habentem ad illam societatem
beatorum. Et haec est caritas, quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt
capaces beatitudinis, sicut seipsos; et quae repugnat omnibus impedimentis et
in se et in aliis; unde nunquam potest esse cum peccato mortali, quod est
beatitudinis impedimentum. Sic igitur patet quod caritas non solum est
virtus, sed potissima virtutum.
Ainsi donc aimer le bien auquel les
bienheureux participent pour l’avoir et le possйder ne rend pas l’homme bien
disposй pour la bйatitude, parce que les mйchants aussi convoitent ce bien;
mais l’aimer selon ce qu’il est, pour qu’il demeure et soit rйpandu, et pour
que rien ne soit fait contre lui, c’est ce qui rend l’homme bien disposй pour
cette sociйtй de bienheureux. Et telle est la charitй qui aime Dieu par soi
et le prochain, qui est capable [d’obtenir] de bйatitude, pour eux-mкmes; et
elle s’oppose а tous les obstacles et en soi-mкme et dans les autres. C'est
pourquoi elle ne peut jamais exister avec le pйchй mortel qui est une
empкchement pour la bйatitude. Ainsi donc la charitй est non seulement une
vertu mais la plus grande des vertus.
Solutions :
[66018] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtus est circa illud quod in se difficile est,
sed tamen habenti virtutem fit facile.
1. La vertu est pour ce qui est en soi
difficile, mais seulement pour celui qui la possиde elle devient facile.
[66019]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. Non enim probat : manet enim, quantum in
se est, difficile illud circa quod est virtus, adveniente virtute, sed quod
facile fiat virtuoso, hoc est ex perfectione virtutis.
2. Par lа paraоt la solution а la seconde
objection. Car elle ne prouve pas ; en effet pour ce qui concerne la
vertu demeure difficile en tant qu’elle est en soi, quand arrive la vertu,
mais qui devient facile au vertueux, vient de la perfection de la vertu.
[66020] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod difficultas non solum est ex contrarietate, sed etiam
est ex excellentia obiecti; sic enim aliquid dicitur esse difficile ad
intelligendum quoad nos propter excellentiam intelligibilis, non propter
aliquam contrarietatem.
3. La difficultй ne vient pas seulement de
la contrariйtй, mais aussi de l’excellence de l’objet ; car on dit aussi
que quelque chose est difficile а comprendre, selon nous а cause de
supйrioritй de l’intelligibilitй, non а cause d’un empкchement.
[66021] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illud velle quod adiacet nobis a natura, est
imperfectum et infirmum quantum ad spiritualia et gratuita; unde et apostolus
ibidem subdit : Non enim quod volo
bonum, hoc ago; et ideo requiritur auxilium gratuiti doni.
4. Ce vouloir qui se situe prиs de nous
par nature est imparfait et faible, pour ce qui est spirituel et gratuit ;
c'est pourquoi l’apфtre lа-mкme ajoute : « En effet ce que je veux de bien, je ne le fait pas » et
c'est pourquoi l’aide d’un don gratuit est requis.
[66022] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod spes elevat affectum hominis in summum bonum ut
adipiscendum; sed super hoc requiritur quod illud bonum ametur ad bonum esse
hominis, ut supra, in corp. art., dictum est.
5. L’espйrance elиve l’affection de
l’homme au souverain bien pour l’obtenir, mais au-dessus de cela il est
requis que ce bien soit aimй pour le bien de l’кtre de l’homme, comme on l’a
dit dans le corps de l’article.
[66023] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod de ratione caritatis seu amoris est, quod coniungat
secundum affectum; quae scilicet coniunctio intelligitur quantum ad hoc quod
homo amicum reputat quasi alterum se, et vult ei bonum sicut et sibi. Sed
coniungere secundum rem, non est de ratione caritatis, et ideo potest esse et
habiti et non habiti. Sed non habitum facit desiderare; in habito vero, facit
delectari.
6. Il est de la nature de la charitй ou de
l’amour d’unir selon l’affection ; la quelle union est comprise quant а
ce que l’homme considиre l’ami comme un autre lui-mкme et il lui veut du bien
comme а lui-mкme. Mais unir en rйalitй n’est pas de la nature de la charitй,
et c'est pourquoi ce peut кtre pour celui qui la possиde ou non. Mais ce
qu’on ne possиde pas provoque le dйsir, mais dans ce qu’on possиde, on trouve
la plaisir.
[66024] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod gratia coniungit nos Deo per modum assimilationis;
sed requiritur quod uniamur ei per operationem intellectus et affectus, quod
fit per caritatem.
7. La grвce nous unit а Dieu par mode de
ressemblance, mais il est requis que nous soyons unis а lui par une opйration
de l’esprit et de l’affection, ce qui se fait par charitй.
[66025] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod amicitia non ponitur virtus, sed consequens virtutem;
quia ex hoc ipso quod aliquis habet virtutem et amat bonum rationis,
consequitur ex ipsa inclinatione virtutis quod diligat sibi similes, scilicet
virtuosos, in quibus bonum rationis viget. Sed amicitia quae est ad Deum, in
quantum est beatus et beatitudinis auctor, oportet praestitui ad virtutes
quae in illam beatitudinem ordinant; et ideo, cum non sit consequens ad alias
virtutes, sed praeambulum, ut ostensum est, oportet quod ipsa sit per se
virtus.
8. L’amitiй n’est pas considйrйe comme
vertu mais comme ce qui l’accompagne ; parce que du fait que quelqu’un a
la vertu et aime le bien de raison il en dйcoule par l’inclination de la
vertu qu’il aime ses semblables, c'est-а-dire les vertueux, en qui le bien de
raison a de la force. Mais l’amitiй qui est pour Dieu en tant qu’il est
bienheureux et auteur de la bйatitude, doit кtre fixйe d’avance pour les
vertus qui mette en rapport а cette bйatitude ; et c'est pourquoi comme
elle n’accompagne pas les autres vertu, mais elle est le prйambule, comme on
l’a montrй, il faut qu’elle soit vertu par soi.
[66026] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod amor, secundum quod est in sensitiva parte, est passio :
qui quidem amor est boni secundum sensum. Talis autem amor non est amor
caritatis; unde ratio non sequitur.
9. L’amour, selon qu’il est dans la partie
sensitive, est une passion ; c’est amour du bien selon la sensation.
Mais tel amour n’est pas l’amour de charitй ; c'est pourquoi la raison
n’est pas valable.
[66027] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod hoc quod dicit philosophus, virtutem esse in medio;
intelligitur de virtutibus moralibus; non autem est verum de virtutibus
theologicis, inter quas est caritas, ut alibi, quaest. praeced., art. 10,
ostensum est.
10. Ce que dit le philosophe, que la vertu
est en intermйdiaire, est compris des vertus morales, mais ce n’est pas vrai
des vertus thйologiques parmi lesquelles il y a la charitй, comme ailleurs,
(question prйcйdente, a. 10), on l’a montrй.
[66028] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod bonum intellectum movet voluntatem; et ideo licet
intellectus per aliqua media Deum intelligat ut summum bonum, ex hoc ipso
movet voluntatem, ut sic possit immediate amari, licet per media cognoscatur
: quia hoc ipsum quo determinatur cognitio intellectus, movet affectum.
11. La bien intellectuel meut
la volontй, et ainsi, bien que l’intellect comprenne Dieu comme le souverain
bien, par des intermйdiaires, de ce fait qu’il meut la volontй pour ainsi
pouvoir кtre aimй sans intermйdiaire, bien qu’il soit connu par des
intermйdiaires, parce que ce par quoi est limitй la connaissance
intellectuelle, met en mouvement l’affection.
[66029]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod delectatio non
importat operationem, sed aliquid consequens ad operationem; unde, cum virtus
sit operationis principium, delectatio non ponitur inter virtutes, sed inter
fructus, ut patet Galat. V, 22 : Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax, patientia.
12. Le plaisir n’apporte pas d’opйration,
mais quelque chose qui accompagne l’opйration ; c'est pourquoi comme la
vertu est le principe de l’opйration, le plaisir n’est pas placй parmi les
vertus, mais parmi les fruits ; comme on le voit dans Gal 5, 22 : « Le fruit de l’esprit c’est la charitй, la
joie, la paix, la patience ».
[66030] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod obiectum caritatis transcendit omnem facultatem
humanam, scilicet Deus; unde quantumcumque voluntas humana conetur ad amandum
Deum, non potest attingere ut amet eum quantum est amandus. Et ideo dicitur
non habere modum caritas, quia non est aliquis terminus fixus divinae
dilectionis ultra quem, si diligatur, sit contra rationem virtutis, sicut
accidit in virtutibus moralibus, quae consistunt in medio; hoc enim ipsum
quod est non habere sic modum, est caritatis modus. Ex hoc igitur non potest
concludi quod caritas non sit virtus; sed quod non consistat in medio, sicut
virtutes morales.
13. L’objet de la charitй, а
savoir Dieu, transcende toute facultй humaine; c'est pourquoi chaque fois que
la volontй humaine s’efforce d’aimer Dieu, elle ne peut pas parvenir а
l’aimer autant qu’il doit l’кtre. Et c'est pourquoi on dit que la charitй n’a
pas de mesure, parce qu’il n’y a pas un terme fixe de l’amour divin au delа
duquel, s’il est aimй, c’est contre la nature de la vertu, comme il arrive
dans les vertus morales, qui s’йtablissent dans l’intermйdiaire ; car
cela mкme qui consiste а ne pas avoir de mesure, est le mesure de la charitй.
Par cela donc, on ne peut pas conclure que la charitй n’est pas une vertu ;
mais qu’elle ne consiste pas en un intermйdiaire comme les vertu morales.
[66031] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod caritas dicitur patiens et benigna, quasi
denominata ab aliis virtutibus, in quantum producit actus omnium virtutum.
14. On dit que la charitй est patiente et
bienveillante, comme dйnommйe а partir des autres vertus en tant qu’elle
produit les actes de toutes les vertus.
[66032] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod caritas non est virtus hominis in quantum est
homo, sed in quantum per participationem gratiae fit Deus et filius Dei,
secundum illud I Ioan. III, 1 : Videte
qualem caritatem dedit nobis pater, ut filii Dei nominemur et simus.
15. La charitй n’est pas la vertu de
l’homme en tant qu’homme, mais en tant que par la participation de la grвce,
il devient Dieu et fils de Dieu, selon cette parole de 1 Jn 3, 1 : « Voyez
quelle charitй le Pиre nous a donnй, pour que nous soyons appelйs et fils de
Dieu et nous le sommes ».
[66033] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod amor summi boni, prout est principium esse
naturalis, inest nobis a natura; sed prout est obiectum illius beatitudinis
quae totam capacitatem naturae creatae excedit, non inest nobis a natura, sed
est supra naturam.
16 L’amour du souverain bien est le
principe de l’кtre naturel, dans la mesure oщ il est en nous par nature, mais
dans la mesure oщ il est l’objet de cette bйatitude qui dйpasse toute la
capacitй de la nature, il n’est pas en nous par nature mais il est au-dessus
de la nature.
[66034] De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod dona perficiunt virtutes elevando eas supra
modum humanum, sicut donum intellectus virtutem fidei, et donum timoris
virtutem temperantiae in recedendo a delectabilibus ultra humanum modum. Sed
circa amorem Dei non inest aliqua imperfectio, quam oporteat per aliquod
donum perfici; unde caritas non ponitur donum virtutis, quae tamen
excellentior est omnibus donis.
17. Les dons rendent parfaites les vertus
en les йlevant au-dessus du mode humain, comme le don d’intelligence, la
vertu de foi, et le don de crainte, la vertu de tempйrance, en йloignant de
ce qui est dйlectable au-delа de la mesure humaine. Mais pour l’amour de
Dieu, il n’y a aucune imperfection, qu’il faudrait achever par un don ;
c'est pourquoi la charitй n’est pas placйe comme don de vertu, elle qui
cependant est plus excellente que tous les dons.
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[66035] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum caritas
sit forma virtutum
Article 3 – La
charitй est-elle la forme des vertus ?
[66036] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 2 Et
videtur quod non.
[66037]
De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 1 Forma enim dat esse et speciem ei cuius est
forma. Sed caritas non dat esse et speciem cuilibet virtuti. Ergo caritas non
est forma aliarum virtutum.
1. Car la forme donne l’кtre et l’espиce а
ce dont elle est la forme. Mais la charitй ne donne а n’importe quelle vertu
ni l’кtre ni l’espиce. Donc la charitй n’est pas la forme des autres vertus.
[66038] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 2
Praeterea, formae non est forma. Sed omnes virtutes sunt formae; sunt enim
perfectiones quaedam. Ergo caritas non est forma virtutum.
2. La forme ne vient pas d’une forme. Mais
toutes les vertus sont des formes, car elles sont des perfections. Donc la
charitй n’est pas la forme des vertus.
[66039] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 3
Praeterea, forma cadit in definitione eius cuius est forma. Sed caritas non
cadit in definitione virtutum. Ergo caritas non est forma virtutum.
3. La forme tombe dans la dйfinition de ce
dont elle est la forme. Mais La charitй ne tombe pas dans la dйfinition des
vertus. Donc la charitй n’est pas la forme des vertus.
[66040]
De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ea quae dividuntur ex opposito,
non ita se habent, quod unum sit forma alterius. Sed caritas ex
opposito dividitur aliis virtutibus, ut patet I ad Cor. XIII, 13 : Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo caritas
non est forma virtutum.
4. Ce qui est sйparй par un contraire ne
se comporte pas de sorte que l’un soit la forme de l’autre. Mais la charitй
est sйparйe des autres vertus par opposй, comme on le voit en 1 Co 13, 13 : « Mais maintenant demeurent la foi,
l’espйrance et la charitй, ces trois lа ». Donc la charitй n’est pas
la forme des vertus.
[66041] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 5 Sed dicendum, quod caritas non est
forma intrinseca virtutum, sed exemplaris.- Sed contra, exemplatum trahit speciem ab exemplari. Si igitur
caritas est forma exemplaris omnium virtutum, omnes virtutes trahunt speciem
ab ipsa. Ergo omnes virtutes essent unius speciei; quod est falsum.
5. Il
faut dire que la charitй n’est pas la forme intrinsиque des vertus, mais
leur forme exemplaire. – En sens contraire,l’image tire son espиce de
l’exemplaire. Si donc la charitй est la forme exemplaire de toutes les
vertus, elles tirent leur espиce d’elle. Donc toutes les vertus sont d’une
seule espиce, ce qui est faux.
[66042] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 6
Praeterea, forma exemplaris est ad quam aliquid fit. Non ergo est necessaria
nisi ad hoc quod res fiat. Si ergo caritas est forma exemplaris virtutum, non
erit necessaria caritas nisi ad generationem virtutum. Et ideo virtutibus
habitis, non erit necessarium habere caritatem; quod patet esse falsum.
6. La forme exemplaire est pour celle а laquelle
quelque chose est fait. Donc elle n’est nйcessaire que pour que la chose soit
faite. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, la charitй ne
sera nйcessaire que pour la gйnйration des vertus. Et ainsi une fois les
vertus possйdйes, il ne sera pas nйcessaire d’avoir la charitй, ce qui
apparaоt comme faux.
[66043] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 7
Praeterea, exemplar est necessarium facienti, non autem utenti iam facto;
sicut exemplar est necessarium ad transcribendum librum, non autem ad utendum
libro iam scripto. Si igitur caritas est forma exemplaris virtutum, non
competit nobis, qui virtutibus utimur, sed Deo, qui in nobis virtutes
operatur.
7. L’exemplaire est nйcessaire а celui qui
fait, mais pas а celui qui se sert de ce qui est fait. De mкme l’exemplaire
est nйcessaire pour transcrire un livre, mais non pour se servir du livre
dйjа йcrit. Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, elles ne
nous convient pas, а nous qui utilisons les vertus mais а Dieu qui les opиre
en nous.
[66044] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 8
Praeterea, exemplar potest esse sine exemplato. Si igitur caritas sit forma
exemplaris virtutum, sequitur quod possit esse sine aliis virtutibus; quod
est falsum.
8. L’exemplaire peut exister sans image.
Si donc la charitй est la forme exemplaire des vertus, il en dйcoule qu’elle
pourrait кtre sans les autres vertus ; ce qui est faux.
[66045] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 9
Praeterea, quaelibet virtus habet formam a suo fine et obiecto. Quod autem
est per se formatum, non indiget formari ab alio; et ita caritas non est
forma virtutum.
9. N’importe quelle vertu tient sa forme
de sa fin et son objet. Mais ce qui est mis en forme par soi, n’a pas besoin
d’кtre mis en forme par un autre, et ainsi la charitй n’est la forme des
vertus.
[66046] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 10
Praeterea, natura semper facit quod melius est. Multo igitur magis Deus. Sed
melius est aliquid esse formatum quam informe. Cum igitur virtutes in nobis
operetur Deus, videtur quod faciat eas formatas; et ita non indigent formari
a caritate.
10. La nature fait toujours ce qui est
meilleur. Donc beaucoup plus Dieu. Mais est meilleur un кtre en forme qu’un
кtre sans forme. Donc comme Dieu opиre en nous les vertus, il semble qu’il
les met en forme, et ainsi ils n’ont pas besoin d’кtre mis en forme par la
charitй.
[66047] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 11
Praeterea, fides est quoddam spirituale lumen. Sed lumen est forma eorum quae
videntur in lumine. Ergo, sicut lux corporalis est forma colorum, sic fides
est forma caritatis et aliarum virtutum; non autem caritas.
11. La foi est une certaine lumiиre
spirituelle. Mais la lumiиre est la forme de ce qui est vu dans la lumiиre.
Donc de mкme que la lumiиre corporelle est la forme des couleurs, la foi est
la forme de la charitй et des autres vertus, mais pas la charitй.
[66048] De
virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo perfectionum est secundum
ordinem perfectibilium. Sed virtutes sunt perfectiones potentiarum animae.
Ergo secundum ordinem potentiarum est ordo virtutum. Sed inter alias
potentias animae altior est intellectus ipsa voluntate. Ergo et fides
est altior caritate; et ita fides magis est forma caritatis quam e converso.
12. L’ordre des perfections dйpend de la
l’ordre des perfectibles. Mais les vertus sont les perfections des puissances
de l’вme. Donc l’ordre des vertus dйpend de l’ordre des puissances. Mais
parmi les autres puissances de l’вme, l’intellect est plus haut que la
volontй. Donc la foi aussi est plus haute que la charitй, et ainsi la foi est
plus la forme de la charitй que le contraire.
[66049] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 13
Praeterea, sicut se habent virtutes morales ad invicem, ita et theologicae.
Sed prudentia, quae est in vi cognitiva, informat alias virtutes quae sunt in
vi appetitiva, scilicet iustitiam, fortitudinem, temperantiam et huiusmodi.
Ergo et fides, quae in cognitiva est, informat caritatem, quae est in
appetitiva, et non e converso.
13. De la mкme maniиre que les vertus
morales se comportent entre elles; se comportent les vertus thйologiques.
Mais la prudence, qui est dans la force cognitive, met en forme les autres
vertus qui sont dans la force appйtitive, а savoir la justice, la force, la
tempйrance etc. Donc la foi aussi qui est dans la partie cognitive, met en forme
la charitй, qui est dans la partie appйtitive, et non а l’inverse.
[66050] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 14
Praeterea, forma virtutis est modus eius. Sed rationis est imponere modum
appetitui, et non e converso. Ergo fides, quae est in ratione, magis est
forma caritatis, quae est in parte appetitiva, quam e converso.
14. La forme de la vertu est son mode.
Mais c’est le propre de la raison d’imposer un mode а l’appйtit, et non le
contraire. Donc la foi, qui est dans la raison, est plus une forme de la charitй,
qui est dans la partie appйtitive, que le contraire.
[66051] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 15 Praeterea, Matth. I, 2, super
illud, Abraham genuit Isaac, Isaac
genuit Iacob, dicit Glossa, quod fides genuit spem et spes caritatem. Sed
omne genitum recipit formam a generante. Ergo caritas recipit formam a fide et spe,
et non e converso.
15. Mt
1, 2, sur ce verset : « Abraham
a enfantй Isaac, Isaac a enfantй Jacob », la glose dit que la foi a
engendrй l’espйrance et l’espйrance la charitй. Mais tout ce qui est engendrй
reзoit sa forme de celui qui l’engendre. Donc la charitй reзoit la forme de
la foi et de l’espйrance, et non le contraire.
[66052] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 16
Praeterea, in uno et eodem, potentia praecedit actum tempore. Si igitur caritas
comparetur ad alias virtutes ut actus et forma, sequetur quod aliae virtutes
prius tempore sint in homine quam caritas; quod est falsum.
16. Dans un seul et mкme objet la
puissance prйcиde temporellement l’acte. Si donc la charitй est comparйe aux
autres vertus comme l’acte et la forme il en dйcoule que les autres vertus
sont temporellement dans l’homme avant la charitй ; ce qui est faux.
[66053] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 17
Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes ordinantur,
sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut Augustinus
dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam recipiunt ex
fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis quam e
converso.
17. La mise en forme dans le domaine moral
provient de sa fin. Mais toutes les vertus sont ordonnйes comme а leur fin
ultime а la vision de Dieu, qui est la rйcompense totale, comme Augustin le
dit, et qui succиde а la foi. Donc toutes les autres vertus reзoivent une forme
de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi est la forme de la
charitй plus que le contraire.
[66054] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 18
Praeterea, finis efficiens et forma non incidunt in idem numero, secundum
philosophum in II Phys., text. 70. Sed caritas est finis virtutum et motor
earum. Ergo non est forma ipsarum.
18. La fin efficiente et la forme ne
tombent pas dans le mкme en nombre, selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 24). Mais la charitй est la fin des vertus
et leur moteur. Donc elle n’est pas leur forme.
[66055] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 19
Praeterea, illud a quo est principium essendi, est forma. Sed principium esse
spiritualis est gratia, secundum illud 1 Corinth. c. XV, 10 : Gratia Dei sum id quod sum. Ergo
gratia Dei est forma virtutum, et non caritas.
19. Ce d’oщ vient le principe d’кtre est
un forme. Mais le principe d’кtre spirituel est la grвce, selon cette parole
de 1 Co 15, 10 : « Je suis ce que je suis par la grвce de
Dieu ». Donc la grвce de Dieu est la forme des vertus, et non la
charitй.
En
sens contraire :
[66056] De virtutibus, q. 2 a. 3 s. c. Sed
contra, est quod Ambrosius, lib. II In
Lucam, dicit, quod caritas est forma et mater virtutum.
Il y a ce qu’Ambroise (Luc. II) dit : la charitй est la forme
et la mиre des vertus.
Rйponse
:
[66057] De virtutibus, q. 2 a. 3 co.
Respondeo. Dicendum, quod caritas est forma virtutum, motor et radix.
La charitй est la forme des vertus, leur
moteur et leur racine.
Ad cuius evidentiam sciendum est, quod de
habitibus oportet nos secundum actus iudicare; unde quando id quod est unius
habitus, est ut formale in actu alterius habitus, oportet quod unus habitus
se habeat ad alium ut forma. In omnibus autem actibus voluntariis id quod est
ex parte finis, est formale : quod ideo est, quia unusquisque actus formam et
speciem recipit secundum formam agentis, ut calefactio secundum calorem.
Pour йclaircir cette question il faut savoir
qu’il est nйcessaire que nous jugions des habitus selon leurs actes ; c'est
pourquoi lorsque ce qui est d’un seul habitus est comme formel dans l’acte
d’un autre habitus, il est nйcessaire que l’un se comporte vis-а-vis de
l’autre comme une forme. Or dans tous les actes volontaires ce qui est du
cфtй de la fin est formel ; la raison en est que chaque acte reзoit sa forme
et son espиce selon la forme de l’agent, comme l’йchauffement vient de la
chaleur.
Forma autem voluntatis est obiectum
ipsius, quod est bonum et finis, sicut intelligibile est forma intellectus;
unde oportet quod id quod est ex parte finis, sit formale in actu voluntatis.
Unde idem specie actus, secundum quod ordinatur ad unum finem, cadit sub
forma virtutis; et secundum quod ordinatur ad alium finem, cadit sub forma
vitii; ut patet de eo qui dat eleemosynam vel propter Deum, vel propter
inanem gloriam. Actus enim unius vitii, secundum quod ordinatur ad finem
alterius vitii, recipit formam eius; utpote qui furatur ut fornicetur,
materialiter quidem fur est, formaliter vero intemperatus.
Mais la forme de la volontй est son objet
parce qu’il est le bien et la fin, comme l’intelligible est la forme de
l’intellect. C'est pourquoi il est nйcessaire que ce qui est du cфtй de la
fin soit formel dans l’acte de la volontй. C'est pourquoi l’acte identique en
espиce selon qu’il est ordonnй а une seule fin tombe sous la forme de la
vertu; et selon qu’il est ordonnй а une autre fin, il tombe sous la forme du
vice, comme on le voit de celui qui fait l’aumфne ou pour Dieu ou par vaine
gloire. Car l’acte d’un seul vice selon qu’il est ordonnй а la fin d’un autre
vice endosse sa forme ; par exemple celui qui vole pour forniquer est
matйriellement voleur et formellement intempйrant.
Manifestum est autem quod actus omnium
aliarum virtutum ordinatur ad finem proprium caritatis, quod est eius
obiectum, scilicet summum bonum. Et de virtutibus quidem moralibus manifestum
est : nam huiusmodi virtutes sunt circa quaedam bona creata quae ordinantur
ad bonum increatum sicut ad ultimum finem. Sed de virtutibus aliis
theologicis idem manifestum est : nam ens increatum est quidem obiectum
fidei, ut verum; et in quantum est appetibile, habet rationem boni. Et sic
tendit fides in ipsum, in quantum est appetibile, cum nullus credat nisi
volens. Spei autem obiectum licet sit ens increatum, in quantum est bonum,
tamen dependet ab obiecto caritatis : est enim bonum, obiectum spei, in
quantum est desiderabile et consequibile : nullus enim desiderat consequi
aliquod bonum nisi per hoc quod amat ipsum.
Or
il est йvident que l’acte de toutes les autres vertus est ordonnй а la fin
propre de la charitй qui est son objet, а savoir le bien suprкme. Et c’est
йvident pour les vertus morales; car les vertus de ce genre sont pour des
biens crййs qui sont ordonnйs au bien incrйй comme а leur fin derniиre. Mais
pour les autres vertus thйologales la mкme chose est йvidente ; car l’йtant
incrйй est l’objet de la foi, comme vrai et en tant qu’il est dйsirable il a
nature de bien. Et ainsi la foi tend en lui en tant que dйsirable puisque
personne ne croit que s’il veut. Bien que l’objet de l’espйrance soit l’йtant
incrйй en tant qu’il est bon, cependant il dйpend de l’objet de la charitй ;
en effet il est le bien, objet d’espйrance en tant que dйsirable et qu’il
peut кtre atteint ; personne en effet ne dйsire obtenir un bien, sinon parce
qu’il l’aime.
Unde manifestum est quod in actibus omnium
virtutum est formale id quod est ex parte caritatis; et pro tanto dicitur
forma omnium virtutum, in quantum scilicet omnes actus omnium virtutum
ordinantur in summum bonum amatum, ut ostensum est. Et quia praecepta legis
sunt de actibus virtutum; inde est quod apostolus dicit, I Timoth. cap. I, 5,
quod finis praecepti est caritas.
C'est pourquoi il est йvident que dans les
actes de toutes les vertus est formel ce qui vient du cфtй de la charitй et
pour autant elle est dite la forme de toutes les vertus en tant que tous les
actes de toutes les vertus sont ordonnйs vers le bien suprкme aimй, comme on
l’a montrй. Et parce que les prйceptes de la loi concernent les actes des
vertus, il y ace que dit l’Apфtre (1 Tm
1, 5) : « La fin du prйcepte est
la charitй ».
Et hinc etiam apparet, quomodo caritas sit
motor omnium virtutum; in quantum scilicet importat actus omnium aliarum
virtutum. Omnis enim virtus vel potentia superior dicitur movere per imperium
inferiorem, ex eo quod actus inferioris ordinatur ad finem superioris; sicut
aedificativa imperat caementariae, eo quod actus caementariae artis ordinatur
ad formam domus, quae est finis aedificativae. Unde cum omnes aliae virtutes
ordinentur ad finem caritatis, ipsa imperat actus omnium virtutum, et ex hoc
dicitur motor earum.
Et de lа aussi apparaоt comment la charitй
est le moteur de toutes les vertus, en tant qu’elle en suscite les actes. En
effet on dit que toute vertu ou puissance supйrieure meut par un pouvoir
infйrieur, du fait que l’acte de l’infйrieur est ordonnй а la fin du
supйrieur; comme le pouvoir de bвtir commande au maзon, parce que l’art de
celui-ci est ordonnй а la forme de la maison qui est le but du pouvoir de
bвtir. C'est pourquoi comme toutes les autres vertus sont ordonnйes а la fin
de la charitй celle-ci commande les actes de toutes les vertus et par lа on
dit qu’elle est leur moteur.
Et quia mater dicitur quae in se accipit
et concipit; ideo dicitur caritas mater omnium virtutum, in quantum ex
conceptione sui finis producitur actus omnium virtutum; et eadem etiam
ratione dicitur radix virtutum.
Et parce qu’on dit qu’une mиre reзoit en
soi et conзoit, on dit aussi que la charitй est la mиre de toutes les vertus,
en tant que par la conception de sa fin, elle produit les actes de toutes les
vertus ; et pour la mкme raison on dit qu’elle est la racine des vertus.
Solutions :
[66058] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet caritas non det unicuique virtuti propriam
speciem, dat tamen unicuique virtuti communem speciem virtutis, secundum quod
loquimur de virtute prout est principium merendi.
1. Bien que la charitй ne donne pas а
chaque vertu une espиce propre, elle donne cependant а chacune une espиce
commune, selon qu’on parle de la vertu en tant qu’elle est le principe du
mйrite.
[66059] De
virtutibus, q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae non est forma,
ita quod una forma praestet subiectum alteri. Nihil tamen prohibet plures
formas in eodem subiecto esse secundum quemdam ordinem; scilicet ut una sit
formalis respectu alterius, sicut color est formalis respectu superficiei. Et hoc modo
caritas potest esse forma aliarum virtutum.
2. La forme ne vient pas de la forme, de
sorte qu’une forme procure le sujet а un autre. Cependant
rien n’empкche plusieurs formes d’кtre dans le mкme sujet selon un certain
ordre ; а savoir que l’une soit formelle en rapport avec l’autre, comme
la couleur est formelle en rapport а la surface. Et de cette maniиre, la
charitй peut кtre la forme des autres vertus.
[66060] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod caritas cadit in definitione virtutis meritoriae, ut
patet per definitionem Augustini, dicentis [lib. V1 Contra Iulianum, cap. VI], quod virtus
est bona qualitas mentis, qua recte vivitur : non enim recte vivitur nisi per
hoc quod vita nostra ordinatur in Deum; quod caritas facit.
3. La charitй tombe dans la dйfinition de
la vertu mйritante, comme on le voit par la dйfinition d’Augustin (Contre Julien VI, 6), qui dit que la
vertu est une bonne qualitй de l’esprit par laquelle on vit avec
rectitude ; car on ne vit ainsi que par le fait que notre vie est
ordonnйe а Dieu, ce que fait la charitй.
[66061] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ratio illa procedit de forma quae intrat
constitutionem rei. Sic autem caritas non dicitur forma virtutum, sed alio
modo; ut supra dictum est.
4. Cette raison procиde de la forme qui
pйnиtre la constitution de la chose. Mais ainsi on ne dit pas que la charitй
est la forme des vertus, mais [on parle] d’une autre maniиre, comme il a йtй
dit ci-dessus.
[66062] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod caritas, cum sit communis forma virtutum, trahit
quidem virtutes in unam speciem communem, non autem in unam speciem propriam,
quae dicitur species specialissima.
5. Comme la charitй est la forme commune
des vertus, elle tire les vertus dans une espиce commune, mais non dans une
espиce propre, qui est dite une espиce trиs particuliиre.
[66063] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod caritas potest dici forma exemplaris virtutum, non ad
cuius similitudinem virtutes generentur, sed in quantum ad eius similitudinem
quodammodo operantur; et ideo, quamdiu necesse est operari secundum virtutem,
necessaria est caritas.
6. On peut dire que la charitй est la
forme exemplaire des vertus, non que les vertus soient engendrйes а sa
ressemblance, mais en tant qu’elles opиrent d’une certaine maniиre а sa
ressemblance et c'est pourquoi aussi longtemps qu’il est nйcessaire d’opйrer
selon la vertu, la charitй est nйcessaire.
[66064] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet
creare virtutes sit Dei tantum, tamen operari secundum virtutem, est etiam
hominis habentis virtutem; et ideo indiget caritate.
7. Bien que crйer les vertus vienne de
Dieu seulement, cependant opйrer selon la vertu est aussi la vertu de l’homme
qui la possиde, et c'est pourquoi il a besoin de la charitй.
[66065] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod caritas quantum ad actum non solum habet
exemplaritatem, sed etiam virtutem motivam et effectivam. Exemplar autem
effectivum non est sine exemplato, quia producit illud in esse; et sic
caritas non est sine aliis virtutibus.
8. La charitй, quant а l’acte non seulement
a l’exemplaritй, mais un pouvoir qui concerne le mouvement et l’exйcution et
effective. Mais l’exemplaire qui concerne l’exйcution n’est pas sans son
image ; parce qu’il le produit dans l’кtre ; et ainsi la charitй
n’est pas sans les autres vertus.
[66066] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod a proprio fine et a proprio obiecto quaelibet virtus
habet formam specialem, per quam est haec virtus; sed a caritate habet
quamdam formam communem, secundum quam est meritoria vitae aeternae.
9. Par sa propre fin et par son objet
propre n’importe quelle vertu a une forme spйciale, par laquelle elle est
cette vertu ; mais par la charitй elle a une forme commune, selon
qu’elle permet de mйriter la vie йternelle.
[66067] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod Deus facit in nobis virtutes formatas speciali forma
et generali : speciali quidem ex obiecto et fine, generali autem ex caritate.
10. Dieu forme en nous les vertus d’une
forme spйciale et gйnйrale ; spйciale par l’objet et la fin, mais
gйnйrale par la charitй.
[66068] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod lumen est forma colorum, in quantum sunt visibiles
actu per lucem, et similiter fides est forma virtutum, in quantum sunt a
nobis cognoscibiles : quod enim est virtuosum vel contra virtutem per fidem
cognoscimus. Sed in quantum virtutes
sunt operativae, per caritatem informantur.
11. La lumiиre est la forme des couleurs,
en tant que par elle, elles sont visibles en acte, et de la mкme maniиre la
foi est la forme des vertus en tant qu’elles nous sont connaissables, car
nous connaissons par la foi ce qui concerne les vertus ou est contre elles.
Mais en tant que les vertus sont opйratives, elles sont mises en forme par la
charitй.
[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior voluntate, quia
bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in operando et movendo prior est voluntas. Non enim
intellectus intelligit et movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum
intellectum movet voluntas, in quantum est operativus : utimur enim
intellectu quando volumus. Unde, cum credere sit intellectus a voluntate moti
(credimus enim aliquid quia volumus); sequitur quod magis caritas det formam
fidei quam e converso.
12. L’intellect est absolument avant la
volontй, parce que le bien intellectuel est l’objet de la volontй. Mais
cependant pour opйrer et mettre en mouvement, la volontй est avant. Car
l’intellect ne pense et ne meut que par une volontй qui s’y ajoute; c'est
pourquoi aussi la volontй meut l’intellect lui-mкme en tant qu’il est
opйratif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons.
C'est pourquoi, comme croire est pensй par la volontй qui est mue (car nous
croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en dйcoule que la
charitй donne plus la forme а la foi qu’а l’inverse.
[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem volentis
ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum quod res
intellectae sunt in intelligente : unde quando res sunt infra intelligentem,
intellectus illarum est dignior voluntate : quia tunc altiori modo sunt in
intellectu res quam in seipsis, cum omne quod est in altero, sit in eo per
modum eius in quo est; sed quando res sunt altiores intelligente, tunc
voluntas altius ascendit quam possit pertingere intellectus. Et inde est quod
in moralibus quae sunt infra hominem, virtus cognoscitiva informat virtutes
appetitivas, sicut prudentia alias virtutes morales; in virtutibus autem
theologicis, quae sunt circa Deum, virtus voluntatis, scilicet caritas,
informat virtutem intellectus scilicet fidem.
13. L’acte de la volontй dйpend de l’ordre
de celui qui veut aux choses mкme dans la mesure oщ elles sont en elles. Mais
l’acte de l’intellect dйpend du fait que ce qui est pensй est en celui qui
pense ; c'est pourquoi quand les choses sont sous celui qui pense, leur
conception est plus digne que la volontй ; parce qu’alors les choses
sont dans l’intellect d’une maniиre plus haute qu’en elles-mкmes, puisque
tout ce qui est dans un autre est en lui par le mode de celui en qui il
est ; mais quand les choses sont plus hautes que celui qui pense, alors
la volontй monte plus haut que ce que l’intellect pourrait atteindre. Et de
lа vient que dans les [actes] moraux qui sont sous l’homme, la vertu
cognitive informe les vertus appйtitives comme la prudence les autres vertus
morales ; mais dans les vertus thйologales qui concernent Dieu, la vertu
de la volontй, а savoir la charitй met en forme la vertu de l’intellect,
c'est-а-dire la foi.
[66071] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod rationalis vis dat modum appetitivae in his
quae sunt infra nos, non autem in his quae sunt supra nos, ut dictum est art.
1 huius quaest., et quaest. praeced. art. 10 et 11.
14. La force rationnelle donne le mode de
la vertu appйtitive en ce qui est sous nous, mais non en ce qui est au-dessus
de nous, comme il a йtй dit dans l’art. 1 de cette question et dans la q.
prйcйdente, art. 10 et 11.
[66072] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod fides praecedit spem, et spes caritatem, ordine
generationis, sicut imperfectum praecedit perfectum; sed caritas in ordine
perfectionis praecedit et fidem et spem; et propter hoc dicitur esse forma
earum, sicut perfectum imperfecti.
15. La foi prйcиde l’espйrance et
l’espйrance la charitй dans l’ordre de leur gйnйration, comme l’imparfait
prйcиde la parfait, mais la charitй dans l’ordre de la perfection prйcиde et
la foi et l’espйrance, et а cause de cela on dit qu’elle est leur forme,
comme le parfait [est la forme] de l’imparfait.
[66073] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod caritas non est forma virtutum quae sit pars
essentiae virtutum, ut oporteat eam sequi tempore virtutes, vel aliquam
materiam virtutum, sicut in formis rerum generatarum : sed est forma quasi
informans; unde oportet esse naturaliter priorem aliis virtutibus.
16. La charitй n’est pas la forme des vertu
qui serait une partie de leur essence, pour qu’il soit nйcessaire qu’elle
suive temporellement les vertus, ou une matiиre des vertus, comme dans les
formes des choses engendrйe, mais elle est la forme qui met pour ainsi dire
en forme ; c'est pourquoi il est nйcessaire qu’elle soit naturellement
avant les autres vertus.
[66074] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut bonum
quoddam, est obiectum caritatis.
17. La vision mкme en tant qu’elle est la
fin comme un bien est l’objet de la charitй.
[66075] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod forma intrinseca non potest esse finis rei,
licet sit finis generationis rei. Caritas autem non est forma intrinseca, ut
dictum est, sed ex hoc ipso quod trahit alias virtutes ad suum finem, format
virtutes, ut ex dictis patet.
18. La forme intrinsиque ne peut pas кtre
la fin d’une chose, bien qu’elle soit la fin de sa gйnйration. Mais la
charitй n’est pas une forme intrinsиque, comme il a йtй dit, mais du fait
mкme qu’elle attire les autres vertus а leurs fins, elle met en forme les
vertus, comme on le voit dans ce qui a йtй dit.
[66076] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod gratia Dei dicitur esse forma virtutum, in
quantum dat esse spirituale animae, ut sit susceptiva virtutum; sed caritas
est forma virtutum in quantum format operationes earum ut dictum est in
corpore articuli.
19. On dit que la grвce de Dieu est la
forme des vertus, en tant qu’elle donne l’кtre spirituel а l’вme, pour
qu’elle soit susceptible des vertus ; mais charitй est la forme des
vertus en tant qu’elle donne forme а leurs opйrations, comme il a йtй dit
dans le corps de l’article.
Articulus
4 : [66077] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum
caritas sit una virtus
Article 4 – La charitй est-elle une vertu unique ?[44]
[66078]
De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non.
Il semble que non.
Objections
:
[66079] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 1 Habitus enim distinguuntur per actus, et actus
per obiecta. Sed caritas habet duo obiecta : Deum et proximum. Ergo non est
una virtus, sed duae.
1. En
effet, les habitus se distinguent d'aprиs les actes, et les actes d'aprиs les
objets. Mais la charitй a deux objets : Dieu et le prochain. Par consйquent,
il n'y a pas qu'une seule vertu, mais deux.
[66080] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 2 Sed
dicebatur, quod unum illorum obiectorum est principalius, scilicet Deus;
non enim diligit caritas proximum nisi propter Deum.- Sed contra, philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. VIII], quod
amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad
seipsum. Sed id quod est principium et causa, est potissimum in unoquoque
genere. Ergo
homo ex caritate diligit seipsum tamquam principale obiectum, et non Deum.
2.
Mais on pourrait dire que l’un de ces objets est plus important, а savoir Dieu ; en effet, la charitй n'aime
le prochain qu'а cause de Dieu. Au
contraire, Aristote affirme (Ethique IX, 8) que les motifs d'aimer
le prochain proviennent des motifs de s'aimer soi-mкme. Or ce qui est
principe et cause est premier en chaque genre. Donc l'homme s'aime lui-mкme
de charitй comme objet principal, et non pas Dieu.
[66081] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, I Ioan., IV, 20, dicitur : Qui fratrem suum, quem videt, non diligit;
Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Magis ergo videtur quod
debeat diligere proximum quam Deum. Proximus ergo est magis diligibilis quam
Deus; et ita videtur esse principalius obiectum caritatis.
3. En
outre, saint Jean (1 Jn 4, 20)
affirme : "Celui qui n'aime pas
son frиre qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?[45]" Il
semble donc qu'on doive plus aimer son prochain que Dieu. Le prochain est
donc plus aimable que Dieu ; et ainsi il est considйrй comme l’objet
principal de la charitй.
[66082] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, nihil amatur nisi cognitum, ut
Augustinus dicit in Lib. de Trin.
[lib. X]. Sed proximus magis cognoscitur quam Deus. Ergo etiam magis
diligitur; et sic videtur quod caritas non sit una virtus.
4. En
outre, on n'aime que ce qui est connu, selon saint Augustin (Trinitй,
X). Or, le prochain est mieux connu que Dieu. Il est donc plus aimй ; et
ainsi il semble que la charitй n'est pas une vertu unique.
[66083] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnis virtus habet proprium modum
quem in suis actibus ponit : iustus enim est qui non solum iusta, sed iuste
operatur. Sed caritas ponit duos modos in suis actibus; nam caritate diligit
Deum aliquis ex toto corde, proximum autem sicut seipsum. Ergo caritas non
est una virtus.
5. En
outre, toute vertu a un mode propre qu'elle fait passer dans ses actes : en
effet, le juste ne fait pas seulement des choses justes, mais il les fait de
faзon juste. Or, la charitй semble faire passer deux modes dans ses
actes ; en effet, on aime Dieu de charitй de tout son cњur, et le
prochain comme soi-mкme. La charitй n'est donc pas une vertu unique.
[66084] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, praecepta legis ordinantur ad
virtutes, quia intentio legislatoris est facere homines virtuosos, ut dicitur
in II Ethicor. [cap. XIII]. Sed de caritate dantur duo praecepta, scilicet : diliges dominum Deum tuum, et diliges proximum tuum. Ergo caritas
non est una virtus.
6. En
outre, les prйceptes de la Loi sont ordonnйs aux vertus, car l'intention du
lйgislateur est de rendre les hommes vertueux, comme le dit Aristote (Ethique, II, 13[46]). Or, au
sujet de la charitй on a deux prйceptes : "Tu
aimeras ton Dieu, et tu aimeras ton prochain". La charitй n'est donc
pas une vertu unique.
[66085] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 7 Praeterea, sicut diligimus Deum et proximum, ita
et honorare debemus. Sed alio honore honoramus Deum et proximum, nam Deum
honoramus latria, proximum dulia sola. Ergo alia est caritas qua diligimus
Deum, et alia qua diligimus proximum.
7. En
outre, de la maniиre dont nous aimons Dieu et le prochain, de cette maniиre
aussi nous devons les honorer. Or, nous les honorons de maniиre diffйrente :
Dieu par un culte de lвtrie, le prochain seulement par un culte de dulie. La
charitй par laquelle nous aimons Dieu diffиre donc de celle par laquelle nous
aimons le prochain.
[66086] De
virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 8 Praeterea, virtus est qua recte vivitur. Sed ad aliam vitam pertinet diligere Deum, et ad
aliam diligere proximum; nam diligere Deum videtur ad contemplativam vitam
pertinere, diligere proximum ad activam. Ergo caritas Dei et proximi non est una
virtus.
8. En
outre, la vertu est ce qui fait vivre de faзon droite. Or, aimer Dieu
appartient а un genre de vie, et а un autre aimer le prochain ; en
effet, aimer Dieu appartient а la vie contemplative, aimer le prochain а la
vie active. La charitй envers Dieu et la charitй envers le prochain ne sont
donc pas une vertu unique.
[66087] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 9
Praeterea, secundum philosophum in I Physic., [com. 16] unum dicitur tripliciter : continuitate,
indivisibilitate et ratione. Sed caritas non est una continuitate, quia neque est corpus, neque forma corporis; neque
est una indivisibilitate quia sic
neque finita neque infinita esset; nec ratione,
quia sic synonyma sunt unum, ut vestis et indumentum. Ergo caritas non est
una.
9. En
outre, selon Aristote (Physique
I, 2, 185 b 5), ce qui est un l'est de trois faзons : par la continuitй, par l'indivisibilitй, par la
notion. Mais la charitй n'est pas une par la continuitй, car elle n'est ni un corps, ni la forme d’un
corps ; elle n'est pas une non plus par l'indivisibilitй, car alors elle ne serait ni finie, ni
infinie ; elle n'est pas non plus une par la notion, car ce sont les
synonymes qui sont un de cette maniиre, comme le vкtement et l'habit. La
charitй n'est donc pas une vertu unique.
[66088] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 10
Praeterea, minime habent de ratione unius quae sunt unum proportione tantum :
unde quae non sunt proportione unum, neque sunt unum specie neque genere
neque numero, ut dicitur in V Metaph. [com. 15]. Sed caritas est circa
aeternum, scilicet Deum et proximum; quae sunt improportionalia. Ergo caritas
nullo modo est una virtus.
10. En
outre, les choses qui sont unies seulement par proportion, ne le sont pas en
raison de l'unitй ; ainsi les choses qui ne sont pas unies par proportion, ne
le sont ni par l'espиce, ni par le genre, ni par le nombre, comme le dit Aristote
(Mйtaphysique, V, 6, 1015 b 15 sq.). Or, la charitй concerne ce qui est йternel :
Dieu et le prochain, qui n'ont aucune proportion entre eux. La charitй n'est
donc pas une vertu unique.
[66089] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 11
Praeterea, secundum philosophum in VIII Ethic., amicitia perfecta non habetur
ad multos. Sed caritas qua diligitur Deus et proximus, est perfectissima
amicitia. Ergo non habetur ad multos; et ita non eadem caritate diligitur
Deus et proximus.
11.
En outre, selon Aristote (Йthique,
VII, 5, 1156 b 10), l’amitiй parfaite ne s'adresse pas а plusieurs.
Mais la charitй qui aime Dieu et le prochain est l’amitiй la plus parfaite.
Donc, elle ne s'adresse pas а beaucoup ; et ainsi, on n'aime pas Dieu et
le prochain de la mкme charitй.
[66090] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 12
Praeterea, virtus in cuius actu sufficit non tristari, est alia a virtute
quae delectabiliter operatur, sicut fortitudo a iustitia. Sed in actu
caritatis quantum ad aliqua obiecta sufficit non tristari, sicut cum diligimus
inimicos : in aliquibus etiam oportet delectari, sicut cum diligimus Deum et
amicos. Ergo caritas non est una virtus, sed
alia et alia.
12. En
outre, la vertu dans l’acte de laquelle il suffit de ne pas кtre triste
diffиre de la vertu qui produit son acte de faзon dйlectable, comme la force
diffиre de la justice. Mais dans l'acte de la charitй, par rapport а certains
objets, il suffit de ne pas кtre triste : ainsi lorsque nous aimons des
ennemis ; dans d’autres, il faut encore йprouver de la joie, comme
lorsque nous aimons Dieu et des amis. La charitй n’est donc pas une vertu
unique, mais elle diffиre suivant les objets.
En
sens contraire :
[66091] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Quaecumque ita se
habent quod unum intelligitur in alio, illa sunt unum. Sed in dilectione
proximi intelligitur dilectio Dei, et e converso, ut dicit Augustinus, VII de
Trinit.[cap. VII
et VIII]. Ergo est eadem caritas qua diligimus Deum et proximum.
1. Au
contraire, bien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet, la charitй est une ;
car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve en l’autre, elles sont
une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement,
comme le dit saint Augustin (Trinitй,
VII). C’est donc la mкme charitй par laquelle
nous aimons Dieu et le prochain.
[66092] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 2
Praeterea, in quolibet genere est unum primum movens. Sed caritas est motor
omnium virtutum. Ergo est una.
2. De
plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais la charitй
est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une.
Rйponse
:
[66093] De virtutibus, q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas
est una virtus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod unitas cuiuslibet
potentiae vel habitus ex obiecto consideranda est; et hoc ideo, quia potentia
hoc ipsum quod est, dicitur in ordine ad possibile, quod est obiectum. Et sic ratio et
species potentiae ex obiecto accipitur; et similiter est de habitu, qui nihil
est aliud quam dispositio potentiae perfectae ad suum obiectum.
La
charitй est une seule vertu. Pour en йtablir l'йvidence, il faut savoir que
l’unitй de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du cфtй de
son objet ; et cela parce que ce qui fait une puissance, c’est sa
relation avec ce qui est possible, ce qui est l’objet. Et ainsi la raison et
l’espиce de la puissance se prennent du cфtй de son objet et il en va de mкme
pour l’habitus qui n’est rien autre que la disposition qui perfectionne la
puissance vis-а-vis de son objet.
Sed in objecto consideratur aliquid ut
formale et aliquid ut materiale. Formale autem in obiecto est id secundum
quod obiectum refertur ad potentiam vel habitum; materiale autem id in quo
hoc fundatur : ut si loquamur de obiecto potentiae visivae, obiectum eius formale
est color, vel aliquid huiusmodi, in quantum enim aliquid coloratum est, in
tantum visibile est; sed materiale in obiecto est corpus cui accidit color.
Or dans
un objet on considиre quelque chose de formel et quelque chose de matйriel.
Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte а la puissance
ou habitus ; le matйriel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme
exemple l’objet de la puissance visuelle : l’objet formel est la couleur ou
quelque chose de semblable - en tant en effet que quelque chose est
colorй il est visible ; mais ce qui est matйriel c’est le corps qui a la
couleur.
Ex quo patet quod potentia vel habitus
refertur ad formalem rationem obiecti per se; ad id autem quod est materiale
in obiecto, per accidens. Et ea quae sunt per accidens non variant rem, sed
solum ea quae sunt per se : ideo materialis diversitas obiecti non
diversificat potentiam vel habitum, sed solum formalis. Una est enim potentia
visiva, qua videmus et lapides et homines et caelum, quia ista diversitas
obiectorum est materialis, et non secundum formalem rationem visibilis. Sed
gustus differt ab olfactu secundum differentiam saporis et odoris, quae sunt
per se sensibilia. `
D’oщ il
ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte а la raison formelle de
l’objet, en soi, et а ce qui est matйriel dans l’objet, par accident. Et ce
n’est pas ce qui est par accident qui fait varier pas la chose mais seulement
ce qui y est en soi. Donc la diversitй matйrielle de l’objet ne diversifie
pas la puissance ou l’habitus, mais la diversitй formelle. Une est en effet
la puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes
et le ciel, parce que cette diversitй est matйrielle et non selon la raison
formelle du visible. Mais le goыt diffиre de l’odorat selon la diffйrence
qu’il y a dans la saveur et dans l’odeur, qui sont des sensibles en soi.
Et hoc etiam oportet in caritate
considerare. Manifestum est enim quod aliquem possumus diligere dupliciter :
uno modo ratione sui ipsius, alio modo ratione alterius. Ratione autem sui
ipsius aliquem diligimus, quando cum ratione boni proprii diligimus, utpote
quia est in se honestus, vel nobis delectabilis, aut utilis. Ratione autem
alterius diligimus aliquem quando diligimus ipsum quia attinet alii quem
diligimus. Ex hoc enim ipso quod diligimus aliquem secundum se, diligimus
omnes et familiares et consanguineos et amicos ipsius, in quantum ei
attinent; sed tamen in omnibus illis est una ratio formalis dilectionis,
scilicet bonum illius, quem ratione sui diligimus, et ipsum quodammodo in
omnibus aliis diligimus.
4. Et
cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charitй. Il est йvident en
effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux maniиres : ou en raison de
lui-mкme ou en raison d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-mкme
quand nous l’aimons en raison de son propre bien, d’aprиs qu’il est en soi
honnкte, ou pour nous dйsirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison
d’un autre quand nous l’aimons parce qu’il tient а un autre que nous aimons.
De ce qu’en effet nous aimons quelqu’un en lui-mкme nous aimons tous ses
familiers, ses parents et ses amis en tant qu’ils tiennent а lui. Cependant en tous ceux-lа il n'y a qu’une seule
raison de dilection, а savoir son propre bien que nous aimons en raison de
lui-mкme et c’est lui que nous aimons en quelque sorte dans les autres.
Sic
igitur dicendum, quod caritas diligit Deum ratione sui ipsius; et ratione
eius diligit omnes alios in quantum ordinantur ad Deum : unde quodammodo Deum
diligit in omnibus proximis; sic enim proximus caritate diligitur, quia in eo
est Deus, vel ut in eo sit Deus. Unde manifestum est quod est idem habitus
caritatis quo Deum et proximum diligimus
5. Il
faut donc dire que la charitй aime Dieu en raison de lui-mкme et les autres
en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnйs а Dieu ; d’oщ en quelque
sorte elle aime Dieu dans tous ses proches ; ainsi en effet nous aimons
le prochain par charitй parce que Dieu est en lui ou pour que Dieu soit en
lui. D’oщ il est йvident que c’est par le mкme habitus de charitй que nous
aimons Dieu et le prochain.
Sed
si diligeremus proximum ratione sui ipsius, et non ratione Dei, hoc ad aliam
dilectionem pertineret : puta ad dilectionem naturalem, vel politicam, vel ad
aliquam aliarum quas philosophus tangit in VIII Ethic.
6. Mais
si nous aimions le prochain en raison de lui-mкme et non en raison de Dieu,
cela ressortirait а une autre dilection par exemple une dilection naturelle
ou politique ou а quelqu’une des autres que le philosophe touche au ch. 8 (Йthique,
VIII, 3).
Solutions :
[66094]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non
diligitur nisi ratione Dei; unde ambo sunt unum obiectum dilectionis,
formaliter loquendo, licet materialiter sint duo.
1. Le
prochain n'est aimй qu'en raison de Dieu ; de lа il dйcoule que les deux
forment un seul objet, en parlant selon la forme, alors que matйriellement
ils sont deux.
[66095] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum amor respiciat
bonum, secundum diversitatem boni est diversitas amoris.
2.
Puisque l'amour regarde le bien, il y a diversitй d'amour d'aprиs la
diversitй des biens.
Est autem
quoddam bonum proprium alicuius hominis in quantum est singularis persona; et
quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, unusquisque est sibi
principale obiectum dilectionis. Est autem quoddam bonum commune quod
pertinet ad hunc vel ad illum in quantum est pars alicuius totius, sicut ad
militem, in quantum est pars exercitus, et ad civem, in quantum est civitatis;
et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, principale obiectum
dilectionis est illud in quo principaliter illum bonum consistit, sicut bonum
exercitus in duce, et bonum civitatis in rege; unde ad officium boni militis
pertinet ut etiam salutem suam negligat ad conservandum bonum ducis; sicut
etiam homo naturaliter ad conservandum caput, brachium exponit.
Mais il
existe un bien propre d'un homme en tant qu'il est une personne
singuliиre ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, chacun est а
soi-mкme principal objet de l'amour. Mais il y a un bien commun qui
appartient а tel ou tel en tant qu'il est partie d'un tout, comme au soldat
en tant qu'il est partie de l'armйe, ou au citoyen en tant qu'il est partie
de la citй ; et quant а l'amour qui regarde ce bien, l'objet principal
de l'amour est ce en quoi consiste principalement ce bien comme le bien de
l'armйe est dans le chef, celui de la citй dans le roi ; de lа il
dйcoule qu'а l'office du bien du soldat appartient de sacrifier sa vie pour
conserver le bien du chef ; tout comme l'homme expose naturellement son
bras pour prйserver sa tкte.
Et hoc modo caritas respicit sicut
principale obiectum, bonum divinum, quod pertinet ad unumquemque, secundum
quod esse potest particeps beatitudinis; unde ea sola ex caritate diligimus
quae nobiscum beatitudinem participare possunt, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana.
De cette
maniиre, la charitй regarde comme son objet principal le bien divin qui
appartient а chacun selon qu'il peut participer а la bйatitude. De lа, nous
aimons d'une seule charitй tout ce qui peut participer avec nous а cette
bйatitude, comme le dit saint Augustin dans le livre de la Doctrine
chrйtienne.
[66096] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Ioannes argumentatur a
maiori, negando, non quod proximus magis debeat diligi; sed quia magis est in
promptu ut diligatur, quia homines proniores sunt ad diligendum visibilia
quam invisibilia.
3.
Jean argumente а partir du plus grand, ne disant pas que le prochain doive кtre
plus aimй, mais parce qu'il est plus facile de l'aimer, car les hommes sont
plus enclins а aimer le visible que l'invisible.
[66097] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet cognitum
diligatur, tamen non sequitur quod magis cognitum magis diligatur. Non enim
ea ratione aliquid diligitur quia cognoscitur, sed quia est bonum; unde quod
est magis bonum, magis est diligibile, licet non sit magis cognitum; sicut
homo minus diligit aliquem servum, vel etiam equum, quem in continuo usu habet,
quam aliquem bonum hominem quem tantum fama cognoscit.
4. Bien
qu'on aime ce qui est connu, cependant il ne s'ensuit pas qu'est plus aimй ce
qui est plus connu. En effet, on aime un objet non parce qu’il est connu,
mais parce qu'il est bon ; de lа, il dйcoule que l'on aime davantage ce
qui est meilleur, mкme s'il n'est pas mieux connu ; comme un homme aime
moins un esclave ou un cheval dont il a l'usage continuel qu'un homme de bien
qu'il ne connaоt que de rйputation.
[66098] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas respicit ut
formale obiectum, bonum divinum, sicut dictum est, art. praec. et in corp.
huius art., quod quidem bonum diversimode se habet ad ipsum Deum et ad
proximum, et ideo oportet quod habeat diversum modum circa principale
obiectum et secundarium; unde circa principale obiectum habet unum modum
tantum.
5. la
charitй regarde le bien divin comme son objet formel, comme on l'a dit а
l'article prйcйdent et dans le corps de cet article. Mais ce bien se rapporte
diffйremment а Dieu lui-mкme et au prochain ; et c’est pourquoi il faut
qu’il y ait diversitй de mode suivant l’objet principal et l'objet
secondaire ; de lа, il dйcoule que selon l'objet principal il n'y a
qu'un seul mode.
[66099] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod praecepta legis sunt de
actibus virtutum, et non de habitibus; unde ex diversitate praeceptorum non
potest concludi diversitas habituum, sed diversitas actuum; qui tamen
pertinent ad unum habitum, propter rationem formalem.
6. Les prйceptes
de la Loi sont d'aprиs les actes des vertus et non d'aprиs les habitus ;
de lа, il dйcoule qu'on ne peut conclure, а partir de la diversitй des
prйceptes а la diversitй des habitus, mais а celle des actes ; ces
derniers cependant appartiennent а un seul habitus, а cause de la raison
formelle.
[66100] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 7Ad septimum dicendum, quod in proximo honoratur
etiam bonum proprium ipsius; et ideo alius honor debetur proximo, et alius
Deo.
7. On
honore dans le prochain mкme son bien propre ; ainsi on doit au prochain
un honneur et а Dieu un autre.
[66101] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod tam dilectio proximi
quam dilectio Dei continetur sub contemplativa vita, ut Gregorius dicit super Ezechiel [homil. XIV]. Nam oratio, quae maxime ad contemplativam
vitam pertinere videtur, ad Deum pro proximis fit. Sed tamen
principium vitae activae praecipue est amor Dei in seipso. Nec tamen
sequitur, si caritas est principium diversorum, quod caritas non sit una.
8. Tant
l’amour du prochain que l’amour de Dieu appartiennent а la vie contemplative,
comme le dit saint Grйgoire en commentant le prophиte Йzйchiel (Homйlie XIV).
En effet, la priиre qui semble appartenir davantage а la vie contemplative
est faite а Dieu pour le prochain. Mais cependant le principe premier de la
vie active est l’amour de Dieu en lui-mкme. Il ne s’ensuit pas pour autant
que, si la charitй est principe de choses diverses, elle ne soit pas unique.
[66102] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas non est una
continuitate; sed potest dici una indivisibilitate, in quantum est una forma
simplex. Non enim dicitur finita vel infinita secundum quantitatem
dimensivam, sed secundum quantitatem virtutis. Sed sic non agimus hic de
virtute caritatis, sed secundum quod est una ratione : non quidem una numero,
ut tunica et vestis; sed ratione speciei, sicut Socrates et Plato sunt unum
in ratione hominis.
9. La
charitй n’est pas une par la continuitй ; mais on peut le dire une par
l’indivisibilitй, en tant qu’elle est une unique forme simple. En effet, on
ne la dit pas finie ou infinie selon une quantitй mesurable, mais selon la
mesure de sa vertu. Mais ce n’est pas de cette maniиre que nous traitons ici
de la vertu de charitй, mais selon qu’elle est une par la raison ; elle
n’est pas une par le nombre, comme la tunique et le vкtement, mais en raison
de l’espиce, comme Socrate et Platon sont un par la notion d’homme.
[66103] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod ratio illa procederet, si temporale ratione sui esset
obiectum caritatis, et non ratione aeterni, ut dictum est.
10. Cet
argument porterait si l’objet de la charitй йtait temporel en raison de
lui-mкme et non en raison de l’йternitй, comme il a йtй dit.
[66104] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod amicitia perfecta non
habetur ad multos, ita quod ad unumquemque sit ratione sui ipsius; sed quanto
amicitia est perfectior ad unum ratione eius, tanto ad plures se posset
extendere ratione ipsius. Et sic caritas, quia perfectissima amicitia est, ad
Deum se extendit, et ad omnes qui possunt percipere Deum; et non solum ad
notos, sed etiam ad inimicos.
11.
L’amitiй parfaite ne s’adresse pas а de nombreuses personnes, tant elle
s’adresse а chacun en raison de chacun ; mais plus la charitй s’adresse
parfaite а un seul en raison de celui-lа, plus elle peut s’йtendre а
plusieurs en raison de cette mкme personne. Ainsi, la charitй, qui est
l’amitiй la plus parfaite, s’йtend а Dieu et а tous ceux qui peuvent percevoir
Dieu, non seulement aux amis, mais aussi aux ennemis.
[66105] De
virtutibus, q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtus quae
delectabiliter operatur circa principale obiectum, potest eadem circa aliquod
accessorium non delectabiliter, sed sine tristitia, operari; et hoc modo
caritas delectabiliter operatur in principali obiecto, licet difficultatem
patiatur in aliquo secundario obiecto, ita ut sufficiat sine tristitia
operari.
12. La
vertu qui agit de faзon dйlectable vis-а-vis de son objet principal, peut
agir de faзon non dйlectable mais sans tristesse vis-а-vis de quelque chose
d’accessoire. De cette maniиre, la charitй agit de faзon dйlectable vis-а-vis
de son objet principal, bien qu’elle subisse des difficultйs face а un objet
secondaire, de sorte qu’il lui suffise d’agir sans tristesse.
Articulus 5 : [66106] De virtutibus, q.
2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum caritas sit virtus specialis distincta
ab aliis virtutibus vel non
Article 5 – La
charitй est-elle une vertu spйciale, diffйrente de autres vertus ou
pas ?
[66107]
De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 2 Et videtur quod non.
[66108] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 1
Illud enim quod ponitur in definitione cuiuslibet virtutis, non est virtus
specialis : quia virtus generalis ponitur in definitione cuiuslibet specialis
virtutis. Sed caritas ponitur in definitione cuiuslibet virtutis : dicit enim
Hieronymus : Ut breviter communem
definitionem virtutis complectar; virtus est caritas, qua diligimus Deum et
proximum. Ergo caritas non est virtus specialis, ab aliis distincta.
1. Car ce qui est placй dans la dйfinition
de n’importe quelle vertu, n’est pas une vertu spйciale ; parce que la
vertu gйnйrale n’est pas placйe dans la dйfinition de n’importe quelle vertu
spйciale. Mais la charitй est placйe dans la dйfinition de n’importe quelle
vertu : car Jйrфme dit : « Pour
embrasser briиvement une dйfinition commune de la vertu : la charitй est la
vertu par laquelle nous aimons Dieu et le prochain ». Donc la
charitй n’est pas une vertu spйciale, distincte des autres
[66109]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, caritas qua diligimus proximum,
non est virtus distincta a caritate qua diligimus Deum, quia caritas diligit
proximum propter Deum. Sed omnis virtus diligit proximum propter Deum. Ergo
nulla virtus distinguitur a caritate.
2. La charitй par laquelle nous aimons le
prochain n’est pas une vertu diffйrente de la charitй par laquelle nous
aimons Dieu, parce que la charitй aime le prochain а cause de Dieu. Mais tout
vertu aime le prochain а cause de Dieu. Donc aucune vertu ne se distingue de
la charitй.
[66110]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, distinctiones habituum attenduntur
secundum actus virtutum. Sed caritas operatur actus omnium aliarum virtutum :
caritas est patiens, est benigna,
ut dicitur I ad Corinth., XIII, 4. Ergo caritas non est virtus ab aliis
distincta.
3. Les distinctions des habitus dйpendent
des actes des vertus. Mais la charitй accomplit les actes de toutes les
autres vertus : « La charitй est
patiente, elle est bienveillante » comme il est dit en 1 Co 13, 4. Donc la charitй n’est pas
une vertu distincte des autres.
[66111] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 4
Praeterea, bonum est obiectum generale omnium virtutum : nam virtus est quae
bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est obiectum
caritatis. Ergo caritas habet obiectum generale; et ita est generalis virtus.
4. Le bien est l’objet gйnйral de toutes
les vertus ; car la vertu est ce qui fait qu’on possиde le bien, et son
њuvre amйliore. Mais le bien est l’objet de la charitй. Donc la charitй a un
objet gйnйral, et ainsi elle est une vertu gйnйrale.
[66112] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, una
perfectio est unius perfectibilis. Sed caritas est perfectio multorum
perfectibilium, id est omnium virtutum. Ergo non est una.
5. Une seule perfection est d’un seul
perfectible. Mais la charitй est la perfection de nombreux perfectibles,
c'est-а-dire de toutes les vertus. Donc elle n’est pas une.
[66113]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, idem habitus non potest esse in
diversis subiectis. Sed caritas est in diversis subiectis : iubemur enim Deum
diligere ex tota mente, ex tota anima, ex toto corde, ex tota fortitudine.
Ergo caritas non est virtus una.
6. Un mкme habitus ne peut pas кtre dans
des sujets diffйrents. Mais la charitй est en des sujets diffйrents : car on
nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre esprit, de toute notre вme et de tout
notre cњur, de toute notre force. Donc la charitй est une vertu unique.
[66114] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea,
virtus ad tollenda peccata ordinatur. Sed caritas sufficit ad tollenda omnia
peccata; quia minima caritas resistere potest cuilibet tentationi. Ergo
caritas facit id quod est omnium virtutum; et ita non videtur esse virtus
specialis.
7. La vertu est destinйe а enlever les
pйchйs. Mais la charitй suffit pour les enlever tous ; parce que la plus
petite charitй peut rйsister а n’importe quelle tentation. Donc la charitй
fait ce qui concerne toutes les vertus et ainsi il ne semble pas qu’elle soit
une vertu spйciale.
[66115]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, unicuique virtuti speciali
opponitur aliquod peccatum speciale. Sed caritati contrariantur omnia peccata
: quia per quodlibet peccatum mortale perditur caritas. Ergo caritas non est
virtus specialis.
8. A chaque vertu particuliиre est opposй
un pйchй particulier. Mais tous les pйchйs sont contraires а la charitй :
parce que par n’importe quel pйchй mortel la charitй est perdue. Donc la
charitй n’est pas une vertu particuliиre.
[66116]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 9 Praeterea, nulla virtus est necessaria nisi
ad recte operandum. Sed sola caritas sufficienter nos dirigit ad recte
operandum; dicit enim Augustinus : Habe
caritatem, et fac quidquid vis. Ergo praeter caritatem non est aliqua
alia virtus; et ita non est virtus specialis distincta ab aliis.
9. Aucune vertu n’est nйcessaire sinon
pour agir avec rectitude. Mais la charitй seule nous dirige suffisamment pour
opйrer avec rectitude ; car Augustin dit : « Aie la charitй et fais ce que tu veux ». Donc au delа de la
charitй il n’y a pas d’autre vertu ; et ainsi ce n’est pas une vertu
spйciale diffйrente des autres.
[66117]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 10 Praeterea, habitus virtutum necessarii sunt
ad hoc quod homo prompte et delectabiliter operetur : nullus enim est iustus
qui non gaudet iusta operatione, ut dicitur in I Ethic. [cap. VII] Sed ad omnia prompte et delectabiliter operanda
sufficit caritas : quia dicit Augustinus in Lib. de verbis Domini [sermo IX]
: Omnia gravia et immania, facilia et
prope nulla facit amor. Ergo praeter caritatem non est necessaria aliqua
alia virtus.
10. Les habitus des vertus sont
nйcessaires pour que l’homme opиre promptement et avec plaisir : car aucun
n’est juste qui ne se rйjouit pas d’une juste opйration, comme il est dit en Йthique, I, 7. Mais la charitй suffit
pour opйrer tout promptement et avec plaisir ; parce qu’Augustin dit
dans le livre des Parole du Seigneur :
«Elle [la charitй] rend tout ce qui
est lourd et cruel, facile et elle le rйduit а presque rien ». Donc
au delа de la charitй il n’y a pas d’autre vertu nйcessaire.
[66118]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 11 Praeterea, ea quae sunt distincta ad
invicem, habent distinctam generationem et corruptionem. Sed caritas et aliae
virtutes non habent distinctam generationem et corruptionem; quia simul cum
caritate et infunduntur et perduntur aliae virtutes. Ergo caritas non est
specialis virtus.
11. Les choses diffйrentes entre elles,
ont une gйnйration et une corruption distinctes. Mais la charitй et les
autres vertu n’ont pas de gйnйration ni de corruption distinctes ; parce
que les autres vertus sont infusйes et sont perdues en mкme temps que la
charitй. Donc la charitй n’est pas une vertu spйciale.
En sens
contraire :
[66119]
De virtutibus, q. 2 a. 5 s. c. Sed contra, est quod apostolus, 1 Cor., cap. XIII, 13, condividit eam
aliis virtutibus, dicens : Nunc autem
manent fides, spes, caritas, tria haec.
1. Il y a ce que l’Apфtre dit, 1 Co 13, 13 ; il l’a sйparйe des
autres vertus en disant : « Maintenant
demeurent le foi, l’espйrance et charitй, ces trois vertus ».
Rйponse
:
[66120]
De virtutibus, q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est quaedam
virtus specialis, distincta ab aliis virtutibus. Ad cuius evidentiam
considerandum est, quod quandocumque aliquis actus dependet a pluribus
principiis, secundum ordinem se habentibus, ad perfectionem illius actus
requiritur quod quodlibet illorum principiorum sit perfectum. Si enim sit imperfectio in primo, sive in medio, vel in
ultimo, sequitur actus imperfectus; sicut, si desit peritia artis artifici,
sive recta dispositio in instrumento, opus sequitur imperfectum.
La charitй est une vertu spйciale,
distincte des autres vertus. Pour le mettre en йvidence il faut considйrer
que toutes les fois qu’un acte dйpend de plusieurs principes ordonnйs entre
eux, il est requis pour la perfection de cet acte que chacun de ces principes
soit parfait. Si en effet l’imperfection se trouve dans le premier ou dans celui
qui est intermйdiaire ou dans le dernier, il en dйcoule un acte imparfait,
ainsi si la connaissance de l’art manque а l’artisan ou le bon йtat а
l’instrument, l’њuvre est imparfaite.
Et
hoc etiam in ipsis potentiis animae considerari potest. Si enim sit recta
ratio, quae est motiva inferiorum potentiarum, et concupiscibilis sit
indisposita, operabitur quidem aliquis secundum rationem, sed operatio erit
imperfecta, quia habebit impedimentum ex concupiscibili indisposita ad
contrarium trahente; sicut circa continentem apparet : et ideo praeter
prudentiam, quae perficit rationem, necesse est, ad hoc quod homo recte se
habeat circa concupiscibilia, quod habeat temperantiam, ad hoc quod prompte
operetur et sine impedimento.
Et sicut est in
diversis potentiis, quarum una movet aliam; idem est etiam considerare
secundum diversa obiecta quorum unum ordinatur ad alterum sicut ad finem :
una enim et eadem potentia, secundum quod est finis, non solum aliam
potentiam, sed etiam seipsam, movet in ea quae sunt ad finem.
Et ideo ad rectam
operationem, aliquem non solum oportet bene dispositum esse ad finem, sed
etiam bene dispositum ad ea quae sunt ad finem : alias sequitur operatio
impedita; ut patet in eo qui bene est dispositus ad bene appetendam
sanitatem, sed male est dispositus ad sumendum ea quae sunt sanativa.
Et on peut aussi
considйrer cela dans les puissances mкmes de l’вme. Car si la raison qui est
moteur des puissances infйrieures est droite et si le concupiscible est mal
disposй, quelqu’un opйrera selon la raison mais son opйration sera
imparfaite, parce qu’il aura un empкchement par la concupiscence mal disposйe
qui le tire en sens contraire ; de mкme on voit cela а propos de l’homme
continent et c'est pourquoi, outre la prudence qui parfait la raison, il est
nйcessaire pour que l’homme se comporte avec rectitude vis-а-vis du
concupiscible, qu’il possиde la tempйrance pour opйrer avec promptitude et
sans empкchement.
Et c’est
comme dans les diffйrentes puissances, dont l’une met l’autre en
mouvement ; c’est le mкme de considйrer selon les diffйrentes objets
dont l’un est ordonnй а l’autre comme а sa fin ; car une seule et mкme
puissance, en tant que fin, met en mouvement non seulement une autre
puissance mais se met aussi elle-mкme en mouvement vers ce qui concerne sa
fin.
Et
donc pour une action droite il est nйcessaire, non seulement d’кtre bien
disposй en vue la fin, mais aussi pour ce qui ne concerne ; autrement il
en dйcoule que l’opйration est empкchйe, comme on le voit dans celui qui est
bien disposй pour cherche la santй et est mal disposй pour prendre ce qui
peut le guйrir.
Et sic manifestum est quod, cum per
caritatem homo disponatur ut bene se habeat ad ultimum finem, necesse est ut
habeat alias virtutes, quibus bene disponatur ad ea quae sunt ad finem. Est
ergo caritas alia ab his quae ordinantur ad ea quae sunt ad finem, licet illa
quae ordinatur ad finem, sit principalior, et architectonica, respectu earum
quae ordinantur in ea quae sunt ad finem; sicut medicinalis respectu
pigmentariae, et militaris respectu equestris. Unde manifestum fit quod
necesse est caritatem esse quamdam virtutem specialem distinctam ab aliis
virtutibus, sed principalem et motivam respectu earum.
Et ainsi il est йvident que, puisque par
la charitй l’homme est disposй а se bien comporter vis-а-vis de la fin
derniиre, il est nйcessaire qu’il y ait les autres vertus qui le dispose а ce
qui concerne la fin. Donc il y a une charitй autre que celles qui sont
ordonnйes а ce qui concerne la fin, bien qu’elle soit plus importante et
comme maоtresse par rapport а ce qui est ordonnй а ce qui concerne la fin;
comme l’art mйdical par rapport а la pharmacie et l’art militaire par rapport
а l’art йquestre. C'est pourquoi il devient йvident qu’il est nйcessaire que
la charitй soit une vertu particuliиre distincte des autres, mais elle est
importante et elle met en mouvement par rapport а elles.
Solutions :
[66121]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa definitio
datur per causam, in quantum caritas est causa omnium aliarum virtutum.
1. Cette dйfinition est donnйe par la
cause, en tant que la charitй est la cause de toutes les autres vertus.
[66122]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum est, quod caritas in
diligendo proximum habet Deum ut rationem formalem obiecti, et non solum ut
finem ultimum, ut ex supradictis, art. praec., patet : sed aliae virtutes
habent Deum non ut rationem formalem obiecti, sed ut ultimum finem. Et ideo,
cum dicitur quod caritas diligit proximum propter Deum, illud propter denotat
non solum causam materialem, sed quodammodo formalem. Cum autem dicitur de
aliis virtutibus quod operantur propter Deum, illud propter denotat causam
finalem tantum.
2. La charitй en aimant le prochain
possиde Dieu comme raison formelle d’objet, et non seulement comme fin
ultime, comme on le voit par ce qui a йtй dit ci-dessus, art.
prйcйdant ; mais les autres vertus ont Dieu non pas comme raison
formelle d’objet, mais comme fin ultime. Et c'est pourquoi quand on dit que
la charitй aime le prochain а cause de Dieu, ce ‘а cause’ signale non
seulement une cause matйrielle, mais une cause formelle d’une certain
maniиre. Mais quand on dit а propos des autres vertus, qu'elles opиrent а
cause de Dieu, ce ‘а cause’ ajoute une cause finale seulement.
[66123] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod caritas non producit actus aliarum virtutum elicitive, sed
imperative tantum. Elicit enim virtus illos actus tantum qui sunt secundum
rationem propriae formae, sicut iustitia recte facere, et temperantia
temperanter; sed imperare dicitur omnes actus quos ad finem suum advocat.
3. La charitй ne produit pas les actes des
autres vertus de maniиre efficace, mais seulement de maniиre impйrative. Car
la vertu produit seulement ces actes qui dйpendent de la nature de la forme
propre, comme agir avec rectitude par justice et avec tempйrance par
tempйrance, mais on dit qu’elle commande tous les actes qu’elle fait parvenir
а leur fin.
[66124]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum commune non est
obiectum caritatis, sed summum bonum; et ideo non sequitur quod caritas sit
generalis virtus sed quod sit summa virtutum.
4. Le bien commun n’est pas objet de
charitй mais c’est le bien suprкme, et c'est pourquoi il n’en dйcoule pas que
la charitй est une vertu gйnйrale mais qu’elle est la plus haute des vertus.
[66125]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non est
perfectio intrinseca aliarum virtutum, sed extrinseca, ut supra, art. 3 huius
quaest., dictum est; unde ratio non sequitur.
5. La charitй n’est pas la perfection
intrinsиque des autres vertus, mais la perfection extrinsиque, comme, cela a
йtй dit ci-dessus a. 3 de cette question, c'est pourquoi cette raison ne suit
pas.
[66126]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas est, sicut in
subiecto, in una tantum potentia, scilicet in voluntate, quae per imperium
movet alias potentias; et secundum hoc Deum iubemur ex tota mente et anima
diligere, ut omnes vires animae nostrae advocentur in obsequium divini
amoris.
6. La charitй est, comme dans un sujet, en
une puissance seulement, а savoir dans la volontй, qui par son pouvoir met en
mouvement les autres puissances, et selon cela nous sommes obligйs d’aimer
Dieu de tout notre esprit et de toute notre вme, pour que toutes les forces
de notre вme soient appelйes en dйfйrence а l’amour divin.
[66127]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut caritas
imperat aliarum virtutum actus, ita per modum imperii excludit peccata eis
contraria; et secundum hunc modum caritas resistit tentationibus; sed tamen
necesse est esse alias virtutes, quae directe et elicitive peccata excludant.
7. La charitй commande les actes des
autres vertus, de mкme par mode de pouvoir elle exclut les pйchйs qui lui sont
contraires ; et de cette maniиre la charitй rйsiste aux tentations, mais
cependant il est nйcessaire qu’il y ait d’autres vertus qui excluent les
pйchйs directement et de maniиre efficace.
[66128]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod sicut actus
aliarum virtutum ordinantur ad finem quod est obiectum caritatis; ita et
peccata quae sunt contra alias virtutes, habent oppositionem ad finem, qui
est obiectum caritatis : et ex hoc contingit quod contraria aliarum virtutum,
scilicet peccata, caritatem expellant.
8. De mкme que les actes des autres vertus
sont ordonnйs а la fin qui est l’objet de la charitй, de mкme les pйchйs
aussi qui sont contre les autres vertus, s’opposent а la fin, qui est l’objet
de la charitй, et par lа il arrive que les contraires des autres vertus, а
savoir les pйchйs, chassent la charitй.
[66129]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet caritas
sufficienter per modum imperii in omnibus nos dirigat quae ad rectam vitam
pertinent; tamen requiruntur aliae virtutes quae eliciendo actus exequantur
imperium caritatis, ad hoc quod homo prompte et sine impedimento operetur.
9. Bien que la charitй nous dirige
suffisamment par mode de pouvoir dans tout ce qui convient а une vie droite,
cependant d’autres vertus sont requises qui en choisissant les actes suivent
le pouvoir de la charitй, pour que l’homme opиre promptement et sans
empкchement.
[66130]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod contingit aliquid
esse propter finem quod tamen secundum se est difficile et triste; sicut cum
aliquis accipit medicinam amaram libenter propter sanitatem, licet in ipsa
sumptione multum affligatur. Caritas igitur facit
omnia esse delectabilia ex fine; sed requiruntur aliae virtutes, quae faciant
ea quae sunt virtuosa secundum se delectabilia, ad hoc quod facilius
operemur.
10. Il arrive que quelque chose est en vue
de la fin qui cependant en soi est difficile et triste, comme quant quelqu'un
reзoit une mйdecine amиre, librement pour sa santй, bien qu’en cette prise,
il йprouve beaucoup de gкne. Donc la charitй fait que tout soit dйlectable
par sa fin ; mais d’autres vertus sont requises qui font que ce qui est
vertueux soit dйlectable en soi, pour que nous opйrions plus facilement.
[66131]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas simul
habet generationem cum aliis virtutibus, non quia sit indistincta ab aliis,
sed quia Dei perfecta sunt opera; unde infundens caritatem simul infundit
omnia illa quae sunt necessaria ad salutem. Corrumpitur autem simul cum
omnibus virtutibus : quia quaecumque contrariantur aliis virtutibus,
contrariantur caritati, ut dictum est.
11. La charitй possиde la gйnйration en
mкme temps que les autres vertus, non parce qu’elle indistincte des autres,
mais parce que les њuvres de Dieu sont parfaites ; c'est pourquoi en
infusant la charitй, en mкme temps, il infuse tout ce qui est nйcessaire au
salut. Mais elle est corrompue en mкme temps que toutes les vertus ;
parce que tout ce qui est contraire aux autres vertus est contraire а la
charitй, comme on l’a dit.
Articulus
6 : [66132] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum
caritas possit esse cum peccato mortali
Article 6 – La
charitй peut-elle exister avec le pйchй originel ?
[66133]
De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 2 Et videtur quod sic.
[66134]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 1 Dicit enim Origenes in I Periarchon [cap. III] : non
arbitror quod aliquis ex his qui in summo perfectoque perstiterunt gradu, ad
subitum evacuetur ac decidat; sed per partes et paulatim eum diffluere
necesse est. Subito autem aliquis committit peccatum mortale per solum
consensum. Ergo qui est in perfecto statu per caritatem, non decidit a
caritate per unum actum peccati mortalis; et sic caritas potest esse cum
peccato mortali.
1. Car Origиne dit (Peri archфn 1, 3) : « Je ne pense pas que quelqu'un de ceux qui
sont demeurйs dans un degrй trиs йlevй de perfection, soit anйanti subitement
et dйchoit ; mais il est nйcessaire qu’il s’en йcarte par parties et peu
а peu ». Mais quelqu'un commet а l’improviste un pйchй mortel, par
le seul consentement. Donc celui qui est dans un йtat parfait par charitй, ne
dйchoit pas d’elle par un seul pйchй mortel, et ainsi la charitй peut exister
avec le pйchй mortel.
[66135]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit [in lib. De dignitate div. Amoris, cap. VI]
quod caritas in Petro, quando Christum negavit, non fuit extincta, sed
sopita. Sed Petrus negando Christum peccavit mortaliter. Ergo caritas potest
remanere cum peccato mortali.
2. Bernard (La dignitй de l’Amour divin, VI) dit que la charitй en Pierre,
quand il a reniй le Christ, ne s’est pas йteinte, mais endormie. Mais Pierre,
en reniant le Christ a pйchй mortellement. Donc la charitй peut demeurer avec
le pйchй mortel.
[66136]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas est fortior quam habitus
virtutis moralis. Sed habitus virtutis non tollitur per unum actum vitiosum,
cum non per unum actum generetur : ex eisdem enim contrario modo factis
generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur in II Ethic. Ergo multo minus habitus caritatis tollitur per unum
peccatum mortale.
3. La charitй est plus forte que l’habitus
d’une vertu morale. Mais celui-ci n’est pas enlevй par un seul acte vicieux,
puisqu’il n’est pas gйnйrй par un seul acte ; car par les mкmes faits,
la vertu est gйnйrйe et corrompue d’une maniиre contraire, comme il est dit
en Йthique, II, 1, 1103 b 6. Donc
l’habitus de la charitй est beaucoup moins enlevй par un seul pйchй mortel.
[66137]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, unum uni opponitur. Sed caritas
est una virtus specialis, ut ostensum est. Ergo sibi opponitur unum vitium
speciale. Non ergo per alia peccata mortalia tollitur; et sic videtur quod
possit peccatum mortale simul esse cum caritate.
4. L’un s’oppose а l’un. Mais
la charitй est une vertu particuliиre, comme on l’a montrй. Donc un vice
particulier s’oppose а elle. Donc elle n’est pas enlevйe par d’autres pйchйs
mortels, et ainsi il semble que le pйchй mortel puisse coexister avec la
charitй.
[66138]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 5 Praeterea, opposita non se expellunt nisi
circa idem subiectum. Sed quaedam peccata non sunt in eodem subiecto cum
caritate : nam caritas est in superiori parte rationis, quae convertitur ad
Deum; potest autem peccatum mortale esse etiam in inferiori parte rationis,
ut dicit Augustinus in Lib. de Trinit.
Ergo non omne peccatum mortale excludit caritatem.
5. Les opposйs ne s’excluent que pour un
mкme substrat. Mais certains pйchйs ne sont pas dans le mкme substrat que la
charitй ; car elle est dans la partie supйrieure de la raison, qui est
tournйe vers Dieu : mais le pйchй mortel peut кtre aussi dans la partie
infйrieure de la raison, comme le dit Augustin dans La Trinitй. Donc tout pйchй mortel n’exclut pas la charitй.
[66139]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est fortissimum, non
potest expelli a debilissimo. Sed caritas est fortissima : Fortis enim est ut mors dilectio, ut dicitur Cantic., VII, 6 : peccatum autem est debilissimum, quia malum est
infirmum et impotens, ut Dionysius dicit [V cap. de divin. Nomin.] Ergo peccatum mortale non expellit caritatem;
et sic potest esse simul cum ea.
6. Le plus fort ne peut pas кtre chassй
par le plus faible. Mais la charitй est la plus forte ; car « L’amour est fort comme le mort », comme il est dit (Ct 7, 6) : mais le pйchй est trиs
faible ; parce que le mal est sans force et sans puissance, comme Denys
le dit (Les noms divins, 5). Donc
le pйchй mortel ne chasse pas la charitй, et ainsi il peut cohabiter avec
elle.
[66140] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 7 Praeterea,
habitus secundum actus cognoscuntur. Sed actus caritatis potest esse cum
peccato mortali : homo enim peccans diligit Deum et proximum. Ergo caritas
potest esse cum peccato mortali.
7. Les habitus sont reconnus а leurs
actes. Mais celui de la charitй peut exister avec le pйchй mortel : car
l’homme qui pиche aime Dieu et son prochain. Donc la charitй peut exister
avec le pйchй mortel.
[66141]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 8 Praeterea, caritas praecipue facit delectari
in contemplatione Dei. Sed delectationi quae est in considerando, nihil est
contrarium, ut dicit philosophus in I Topic.
Ergo caritati nihil est contrarium : et ita non potest expelli per peccatum mortale.
8. La charitй fait surtout qu’on йprouve
du plaisir dans la contemplation de Dieu. Mais au plaisir qu’on trouve en le
considйrant, rien n’est contraire, comme le dit le philosophe (Topique, 1, 15, 106 b 4). Donc rien
n’est contraire а la charitй ; et ainsi elle ne peut pas кtre chassйe
par le pйchй mortel.
[66142]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 9 Praeterea, universale movens potest impediri
in uno mobili, et non impediri in alio. Sed caritas est universalis motor
omnium virtutum, ut supra, art. 3, dictum est. Ergo non oportet quod sic
impediatur in una virtute in quantum alias movet : potest igitur cum peccato
opposito temperantiae caritas remanere, prout est motiva aliarum virtutum.
9. Le moteur universel peut кtre empкchй
dans un mobile, et pas dans un autre. Mais la charitй est le moteur universel
de toutes les vertus, comme il a йtй dit ci-dessus, a. 3. Donc il n’est pas
nйcessaire qu’elle soit ainsi empкchйe dans une seule vertu en tant qu’elle
meut les autres ; donc la charitй peut demeurer avec un pйchй opposй а
la tempйrance, , dans la mesure oщ elle meut les autres vertus.
[66143]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 10 Praeterea, sicut caritas habet Deum pro
obiecto, ita fides et spes. Sed fides et spes possunt esse informes. Ergo
eadem ratione et caritas; et sic potest esse cum peccato mortali.
10. La charitй a Dieu pour objet, la foi
et l’espйrance aussi. Mais la foi et l’espйrance peuvent кtre imparfait. Donc
pour la mкme raison, la charitй aussi. Et ainsi elle peut exister avec un
pйchй mortel.
[66144]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 11 Praeterea, omne illud quod non habet
perfectionem quam natum est habere, est informe. Sed caritas non habet
perfectionem hic in via quam nata est habere in patria. Ergo est informis; et
sic videtur quod possit esse cum peccato mortali.
11. Tout ce qui n’a pas la perfection
qu’il est destinй а avoir, est imparfait. Mais la charitй n’a pas de
perfection dans la voie qu’elle est destinйe а avoir dans la patrie. Donc
elle est imparfaite, et ainsi il semble qu’elle pourrait exister avec le
pйchй mortel.
[66145] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 12 Praeterea,
habitus cognoscuntur per actus. Sed aliqui actus habentium caritatem possunt
esse imperfecti : nam multoties aliqui caritatem habentes moventur aliquo
motu impatientiae, vel inanis gloriae. Ergo et habitum caritatis contingit esse
imperfectum et informem; et sic videtur quod cum caritate possit esse
peccatum mortale.
12. Les habitus sont connus par les actes.
Mais certains actes de ceux qui possиdent la charitй peuvent кtre imparfaits,
car frйquemment ils sont poussйs par un mouvement d’impatience, ou de vaine
gloire. Donc il arrive que l’habitus de la charitй soit imparfait, et ainsi
il semble qu’il pourrait y avoir un pйchй mortel avec la charitй.
[66146]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 13 Praeterea, sicut virtuti opponitur peccatum,
ita ignorantia opponitur scientiae. Sed non quaelibet ignorantia tollit totam
scientiam. Ergo nec quodlibet peccatum mortale tollit totam virtutem; unde,
cum caritas sit radix virtutum, non videtur quod quodlibet peccatum mortale
tollat caritatem.
13. De mкme que le pйchй est opposй а la
vertu, de mкme l’ignorance est opposйe а la science. Mais ce n’est pas
n’importe quelle ignorance qui enlиve toute la science. Donc ni n’importe
quel pйchй mortel qui enlиve toute la vertu ; c'est pourquoi, comme la
charitй est la racine des vertus, il ne semble pas que n’importe que pйchй
mortel enlиve la charitй.
[66147]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 14 Praeterea, caritas est amor Dei. Sed manente
amore ad rem aliquam, aliquis propter incontinentiam operatur contra illam;
sicut aliquis amans seipsum, contra bonum agit per incontinentiam; et
similiter aliquis amans aliquam communitatem, contra eam agit propter
incontinentiam, ut philosophus dicit in V Politic.
Ergo aliquis potest peccando contra Deum agere, manente caritate.
14. La charitй est l’amour de Dieu. Mais
si l’amour pour quelque chose demeure, quelqu’un а cause de son incontinene
opиre contre elle, de mкme quelqu'un qui s’aime lui-mкme agit contre le bien
par son incontinence, et de la mкme maniиre quelqu’un qui aime une communautй
agit contre elle а cause de son incontinence, comme le philosophe le dit (Politique, V). Donc quelqu’un peut en
pйchant agir contre Dieu, et sa charitй demeure.
[66148]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 15 Praeterea, aliquis habet se bene in
universali, qui tamen deficit in particulari, sicut incontinens rectam
rationem habet circa universalia, utpote quod fornicari est malum, et tamen
in singulari eligit nunc fornicari, ut bonum, ut dicit philosophus in VI Ethic. Sed caritas facit hominem bene se habere circa universalem finem. Ergo manente
caritate, potest aliquis peccare circa aliquod particulare; et sic caritas
potest esse cum peccato mortali.
15. Quelqu’un se comporte bien
dans l’universel qui cependant est dйfaillant dans le particulier, comme
l’incontinent a la droite raison pour ce qui est universel, de sorte que
forniquer est un mal et cependant dans le particulier il choisit maintenant
de forniquer comme un bien, comme le dit le philosophe (Ethique, VII, 2, 1145 b 12). Mais la charitй fait que l’homme se
comporte bien pour la fin universelle. Donc encore que la charitй demeure,
quelqu'un peut pйcher sur quelque chose de particulier, et ainsi la charitй
peut exister avec le pйchй mortel.
[66149]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 16 Praeterea, contraria sunt in eodem genere.
Sed peccatum est in genere actus : quia peccatum est dictum vel factum vel
concupitum contra legem Dei : caritas autem est in genere habitus. Ergo
peccatum non contrariatur caritati; et sic non expellit ipsam : potest ergo
simul esse cum ea.
16. Les contraires sont dans
un mкme genre. Mais le pйchй est dans le genre de l’acte, parce qu’il est dit
ou fait ou dйsirй contre la loi de Dieu ; mais la charitй est dans le
genre de l’habitus. Donc le pйchй n’est pas contraire а la charitй, et ainsi
il ne la chasse pas : donc il peut кtre en mкme temps avec elle.
En sens contraire :
[66150] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur
Sap., I, 5 : Spiritus sanctus disciplinae effugiet fictum, et avertet se a
cogitationibus quae sunt sine intellectu, et corripietur, id est
expelletur, a superveniente iniquitate.
Sed Spiritus sanctus est in homine quamdiu habet caritatem; quia per
caritatem habitat in nobis Spiritus Dei. Ergo a superveniente iniquitate
expellitur caritas; et sic non potest esse simul cum peccato mortali.
1. Au Livre de la Sagesse (1,
5) il est dit : « L’Esprit Saint
notre йducateur fuit la fourberie et il se dйtourne des pensйes sans intelligence
et il s’offusque quand survient l’iniquitй. » Mais l’Esprit Saint
est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charitй; car l’Esprit de Dieu
habite en nous par la charitй. Donc elle est repoussйe par l’iniquitй qui
survient et ainsi elle ne peut coexister avec le pйchй mortel.
[66151]
De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque habet caritatem, dignus
est vita aeterna, secundum illud apostoli, II Tim., IV, 8 : In reliquo
reposita est mihi corona iustitiae, quam reddet mihi dominus in illa die,
iustus iudex; non solum autem mihi, sed et his qui diligunt adventum eius.
Quicumque autem peccat mortaliter, dignus est poena aeterna, secundum illud Rom., cap. VI, 23. Stipendia peccati mors. Sed aliquis
non potest esse simul dignus vita aeterna et poena aeterna. Ergo non potest
simul caritas cum peccato mortali haberi.
2. De plus, quiconque a la charitй est
digne de la vie йternelle, selon ce que dit l’Apфtre а Timothйe (II Tm 4, 8) :
« Il ne me reste plus qu’а
recevoir la couronne de justice que le Seigneur me donnera en retour en ces
jours, lui le juste juge ; non seulement а moi mais а ceux qui aiment sa
venue. » Or quiconque pиche mortellement est digne de la peine
йternelle : selon Rm 6, 23 :
« Le salaire du pйchй est la
mort ». Mais on ne peut pas кtre en mкme temps digne de la vie
йternelle et de la peine йternelle. Donc on ne peut pas avoir la charitй en
mкme temps que le pйchй mortel.
Rйponse :
[66152] De virtutibus, q. 2 a. 6 co. Respondeo.
Dicendum, quod caritas nullo modo potest simul esse cum peccato mortali.
Ad cuius
evidentiam primo considerandum est, quod omne peccatum mortale directe
opponitur caritati. Quicumque enim praeeligit aliquid alteri, illud quod
praeeligit, magis amat; unde quia homo magis amat propriam vitam et sui consistentiam
quam voluptatem, quantumcumque sit magna voluptas, homo retraheretur ab ea,
si eam existimaret esse suae vitae infallibiliter peremptivam; propter quod
dicit Augustinus in Lib. LXXXIII
quaestionum [quaest. 36], quod Nemo est qui non magis dolorem metuat quam
appetat voluptatem; quandoquidem videmus etiam immanissimas bestias a maximis
voluptatibus abstinere dolorum metu.
La charitй ne peut en aucune maniиre
coexister avec le pйchй mortel.
Pour
le mettre en йvidence, il faut considйrer que tout pйchй mortel est
directement opposй а la charitй. Car quiconque prйfиre une chose а une autre
aime davantage ce qu’il a choisi d’abord ; c'est pourquoi, parce qu’un
homme aime plus sa propre vie et sa prйservation que la voluptй ; quelle
grande que soit celle-ci, l’homme s’en йchapperait s’il pensait qu’elle est
de maniиre infaillible dommageable а sa vie ; а cause de cela saint
Augustin dit. (Les 83 Questions, q.
36) : « Il n’y a personne qui
ne craigne pas plus la douleur qui ne dйsire la voluptй : puisque nous voyons
aussi les animaux les plus sauvages s’йcarter des plus grandes voluptйs par
crainte de la douleur».
Ex
hoc autem aliquis mortaliter peccat quod aliquid magis eligit quam vivere
secundum Deum, et ei inhaerere. Unde manifestum est quod quicumque mortaliter
peccat, ex hoc ipso magis amat aliud bonum quam Deum. Si enim amaret magis
Deum, praeeligeret vivere secundum Deum quam quocumque temporali bono potiri.
Hoc autem est de ratione caritatis quod Deus super omnia diligatur, ut ex
superioribus patet; unde omne peccatum mortale caritati contrariatur.
Pиche mortellement celui qui choisit
plutфt une chose que de vivre selon Dieu et s’attacher а lui. C'est pourquoi
il est йvident que n’importe qui pиche mortellement du fait mкme qu’il aime
un autre bien que Dieu. Si en effet il aimait Dieu davantage il choisirait
avant de vivre selon Dieu plutфt que de s’emparer de quelque bien temporel.
Or il est de la nature de la charitй d’aimer Dieu par-dessus tout, comme il
ressort de ce qu’on a dit plus haut; c'est pourquoi tout pйchй mortel est
contraire а la charitй.
Caritas enim hominibus a Deo infunditur. Quae autem ex
infusione divina causantur, non solum indigent actione divina in sui
principio, ut esse incipiant, sed in tota sui duratione, ut conserventur in
esse; sicut illuminatio aeris indiget praesentia solis, non solum cum primo
aer illuminatur, sed quamdiu illuminatus manet : et propter hoc, si aliquod
obstaculum interponatur intercipiens directum aspectum ad solem, desinit esse
lumen in aere; et similiter quando peccatum mortale advenit, quod impedit
directum aspectum animae ad Deum, per hoc quod aliquid aliud praefert Deo,
intercipitur influxus caritatis, et desinit esse caritas in homine, secundum
illud Is., LIX, 2 : Peccata nostra
diviserunt inter nos et Deum nostrum.
Sed cum rursus mens hominis redit ut recte in Deum aspiciat, eum super
omnia diligendo (quod tamen sine divina gratia esse non potest), iterato ad
statum caritatis redit.
En effet la charitй est rйpandue par Dieu
dans les hommes. Or ce qui est causй par infusion divine, non seulement n’a
pas besoin de l’action divine en son principe pour commencer а кtre, mais
pendant toute sa durйe pour y кtre conservй, comme la lumiиre de l’air a
besoin de la prйsence du soleil non seulement lorsque l’air est йclairй mais
aussi longtemps qu’il demeure йclairй. Et а cause de cela, si un obstacle
s’interpose, interceptant la vision directe du soleil, la lumiиre cesse
d’кtre dans l’air ; et de la mкme maniиre quand le pйchй mortel advient qui
empкche le regard direct de l’вme vers Dieu, par cela qu’elle lui prйfиre
autre chose, l’influx de la charitй est interrompu et elle cesse d’exister en
l’homme, selon ce que dit Is 69, 2
: « Nos pйchйs nous ont sйparйs de
notre Dieu ».
Mais
lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter avec rectitude ses
regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne peut pas se faire
sans la grвce), il revient de nouveau а l’йtat de charitй.
Solutions
:
[66153]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Origenis
non sic est intelligendum, quod homo peccans mortaliter, quantumcumque
perfectus, non subito caritatem amittat sed quia non contingit de facile quod
homo perfectus statim a principio mortaliter peccet, sed per negligentiam et
diversa peccata venialia, disponitur ut tandem labatur in peccatum mortale.
1. La parole d’Origиne n’est pas а penser
ainsi : l’homme qui pиche mortellement, quelque parfait qu’il soit, ne perd
pas la charitй subitement, mais parce qu’il n’arrive pas facilement que
l’homme parfait pиche mortellement aussitфt au commencement, mais par
nйgligence et par diffйrents pйchйs vйniels, il se dispose а la fin а glisser
dans le pйchй mortel.
[66154]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Bernardi non
videtur sustinendum, nisi intelligatur caritas in Petro non fuisse extincta,
quia cito resurrexit; ea enim quae parum distant, quasi nihil distare
videntur, ut dicitur in II Physic.
[com. 56].
2. La parole de saint Bernard ne semble
pas devoir кtre soutenue, sauf si on pense que la charitй en Pierre n’a pas
йtй йteinte, parce qu’aussitфt elle a ressuscitй ; car ce qui est un peu
йloignй, semble pour ainsi dire en rien йloignй, comme il est dit en Physique II, 5, 197 a 28).
[66155]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus moralis, quae
acquiritur ex actibus, consistit in inclinatione potentiae ad actum; quae
quidem inclinatio non tollitur totaliter per unum actum. Sed influentia
caritatis a Deo intercipitur per unum actum; et ideo unus actus peccati
tollit caritatem.
3. La vertu morale, qui est acquise par
les actes consiste dans l’inclination de la puissance а l’acte ; cette
inclination n’est pas enlevйe totalement par un seul acte. Mais l’influence
de la charitй est coupйe de Dieu par un seul acte, et c'est pourquoi un seul
acte de pйchй enlиve la charitй.
[66156]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritatis oppositum
generale est odium; sed indirecte omnia peccata caritati opponuntur, in
quantum pertinent ad Dei contemptum, qui est super omnia diligendus.
4. L’opposй universel de la charitй c’est
la haine, mais indirectement tous les pйchйs sont opposйs а la charitй, en
tant qu’ils aboutissent au mйpris pour Dieu, qui doit кtre aimй par-dessus
tout.
[66157]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superior ratio, in
qua est caritas, movet inferiorem; unde peccatum, in quantum in inferiori
parte opponitur motui caritatis, caritatem excludit. Vel dicendum, quod
peccatum mortale non est sine consensu, qui attribuitur superiori parti
rationis, in qua est caritas.
5. La raison supйrieure, en laquelle se
trouve la charitй, meut la raison infйrieure ; c’est pourquoi le pйchй,
en tant qu’il est opposй dans la partie infйrieure au mouvement de la
charitй, l’exclut. Ou bien il faut dire que le pйchй mortel n’est pas sans
consentement ; il est attribuй а la partie supйrieure de la raison en
qui se trouve la charitй.
[66158]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod peccatum non expellit
caritatem ex sua virtute; sed ex eo quod homo voluntarie se peccato subiicit.
6. Le pйchй ne chasse pas la charitй par
son pouvoir, mais parce que l’homme se soumet volontairement au pйchй.
[66159]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod homo qui peccat
mortaliter, non diligit Deum super omnia, sicut diligendus est ex caritate;
sed est aliquid aliud quod praefert amori Dei, propter quod Dei mandatum
contemnit.
7. L’homme qui pиche mortellement n’aime
pas Dieu par-dessus tout, comme il doit кtre aimй par charitй, mais il y a
quelque chose d’autre qu’il prйfиre а l’amour de Dieu, а cause de quoi il
mйprise son commandement.
[66160]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod delectatio quae est
in considerando, non habet contrarium in eodem genere, ut scilicet aliqua
alia consideratio sit ei contraria; et hoc ideo quia species contrariorum in
intellectu non sunt contrariae; unde delectationi quae est in considerando
album, non contrariatur delectatio quae est in considerando nigrum. Sed quia
actus voluntatis consistit in motu animae ad rem, sicut res in seipsis sunt
contrariae, ita motus voluntatis in contraria sunt contrarii : desiderium
enim dulcis contrariatur desiderio amari. Et secundum hoc amor Dei
contrariatur amori peccati, quod excludit a Deo. Consideratio autem in qua
non est contrarietas, non est proprius actus caritatis, qui ab ipsa elicitur,
sed solum ab ipsa imperatur quasi eius effectus.
8. Le plaisir qu’on йprouve dans la
considйration [de Dieu] n’a pas de contraire dans un mкme genre, а savoir
qu’une autre considйration lui est contraire, et cela parce que les espиces
des contraires dans l’intellect ne sont pas contraires, et c'est pourquoi
celui йprouvй dans la considйration du blanc, n’est pas contraire au plaisir
йprouvй dans la considйration du noir. Mais parce que l’acte de la volontй
consiste dans le mouvement de l’вme vers la rйalitй, de mкme que les choses
en elles-mкmes sont contraires ; de mкme les mouvements de la volontй
dans les contraires sont contraires : car le dйsir du doux est contraire а
celui de l’amer. Et selon cela l’amour de Dieu est contraire а l’amour du
pйchй, qui йloigne de Dieu. Mais la considйration en laquelle il n’y a pas de
contrariйtй, n’est pas l’acte propre de la charitй, qui est choisi par elle,
mais seulement elle est commandйe comme son effet.
[66161]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas quae est
universalis motor virtutum, cum impeditur in his quae pertinent ad unam
virtutem, per peccatum mortale, impeditur in suo universali obiecto; et ob
hoc universaliter in omnibus impeditur. Non est autem sic cum universale
mobile sic impeditur in particulari effectu, quod non impeditur in his quae
pertinent ad universalem virtutem.
9. Quand la charitй qui est le moteur
universel des vertus, est empкchйe en ce qui convient а une seule vertu, par
le pйchй mortel, elle est empкchйe en son objet universel et а cause de cela
elle est universellement empкchйe en tout. Mais ce n’est pas ainsi quand le
mobile universel est ainsi empкchй dans l’effet particulier, qui n’est pas
empкchй en ce qui convient а la vertu universelle.
[66162]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet spes et fides
habeant Deum pro obiecto, non tamen eis competit quod sint forma aliarum
virtutum, sicut competit caritati ratione supradicta, art. 3; et ideo, licet
caritas non sit informis, spes tamen et fides esse possunt informes.
10. Bien que l’espйrance et la foi aient
Dieu pour objet, il ne leur convient pas d’кtre la forme des autres vertus,
comme il convient а la charitй par la raison susdite, art. 3 ; et ainsi,
bien que la charitй ne soit pas imparfaite, l’espйrance cependant et la foi
peuvent l’кtre.
[66163]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non facit virtutem
informem defectus cuiuscumque perfectionis, sed ille tantum defectus qui
tollit ordinem ultimi finis; qui quidem ordo existit in caritate viae, licet
caritas viae non habeat perfectionem patriae, quae est secundum fruitionem
propriam et perfectam.
11. La dйfaillance de n’importe quelle
perfection ne rend pas la vertu imparfaite, mais cette dйfaillance seulement
qui enlиve le rapport а la fin ultime, lequel rapport existe dans la charitй
de la voie, bien que celle-ci n’ait pas la perfection de la patrie, qui
concerne la fruition propre et parfaite.
[66164]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod actus imperfecti
possunt esse habentis caritatem, sed non sunt caritatis; non enim quilibet
actus agentis est actus cuiuslibet formae in agente existentis, et praecipue
in rationali natura, quae habet libertatem ad hoc quod utatur habitu in ea
existente.
12. Les actes imparfaits peuvent кtre de
celui qui possиde la charitй, mais ne sont pas de la charitй ; car
n’importe quel acte de l’agent n’est pas l’acte de n’importe quelle forme qui
existe dans l’agent, et surtout dans la nature raisonnable qui a la libertй
pour utiliser l’habitus qui existe en elle.
[66165]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet non quaelibet
ignorantia propriorum principiorum excludat scientiam, tamen ignorantia
principiorum communium tollit scientiam; eis enim ignoratis, necesse est
ignorare artem, ut dicitur in I Elench. Ultimus autem finis se habet sicut
principium communissimum; et ideo huius deordinatio ab ultimo fine per
peccatum mortale, tollit totaliter caritatem; non autem quaelibet deordinatio
particularis, ut patet in peccatis venialibus.
13 Bien que n’importe quelle ignorance des
principes particuliers exclut la science, cependant l’ignorance des principes
communs prive de la science, car pour ceux qui les ignorent, il est
nйcessaire d’ignorer l’art, comme il est dit en Elenchus I. Mais la fin
ultime se comporte comme le principe le plus commun, et c'est pourquoi son
manque de rapport а la fin ultime par le pйchй mortel, enlиve totalement la
charitй, mais non n’importe quel manque d’ordre particulier, comme on le voit
dans les pйchйs vйniels.
[66166]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quicumque per
incontinentiam agit contra bonum quod amat, existimat bonum non totaliter
perdi per hoc quod incontinenter agit. Si enim aliquis amans civitatem
aliquam, vel proprii corporis salutem, existimaret se alterum horum perdere
per hoc quod agit : vel totaliter abstineret, vel illud quod ageret, plus
diligeret quam propriam salutem vel civitatis. Unde cum aliquis sciens se
amittere Deum per peccatum mortale (quod est scire se peccare mortaliter),
nihilominus hoc incontinenter agit : convincitur plus amare quod agit quam
Deum.
14. Quiconque agit par
incontinence contre le bien qu’il aime, pense que le bien n’est pas perdu
complиtement par le fait qu’il agit avec incontinence. Car si quelqu'un qui
aime une citй, ou le salut de son propre corps, pensait qu’il en perd un
autre par le fait qu’il agit, ou il s’en abstiendrait totalement, ou il
aimerait ce qu’il ferait plus que son propre salut ou celui de la citй. C'est
pourquoi comme quelqu'un qui sait qu’il perd Dieu par le pйchй mortel (ce qui
est savoir qu’il pиche mortellement), et cependant qui agit avec
incontinence; il est convaincu plus aimer ce qu’il fait que Dieu.
[66167]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non
solum requirit hoc haberi in universali acceptione, quod Deus sit super omnia
diligendus; sed quod etiam in hoc actus electionis et voluntatis tendat sicut
in quoddam aliud particulare eligibile. Et haec particularis electio
excluditur per electionem contrarii, scilicet peccati excludentis a Deo.
15. La charitй ne requiert pas seulement
qu’on la possиde dans son acception universelle, c'est-а-dire que Dieu doit
кtre aimй au-dessus de tout, mais parce qu’aussi dans cet acte d’йlection et
de volontй elle tend comme dans une autre chose particuliиre а choisir. Cette
йlection particuliиre est exclue par l’йlection du contraire, а savoir du
pйchй qui exclut de Dieu.
[66168]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet actus
directe contrarientur actibus, sicut et habitus habitibus; tamen indirecte etiam
actus contrariantur habitibus secundum conformitatem quam habent contrariis
habitibus; nam actus similes ex similibus habitibus generantur, et similes
etiam actus causant, licet non omnes habitus causentur ex actibus.
16. Bien que les actes soient directement
contrariйs par des actes, comme les habitus par les habitus, cependant
indirectement aussi les actes sont contraires aux habitus, selon la
conformitй qu’ils ont avec des habitus contraires ; car les actes
senblables sont engendrйs par des habitus semblables ; et aussi les
actes semblables sont leur cause, bien que tous les habitus ne soient pas
causйs par les actes.
[66169] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 1 Septimo
quaeritur utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura
[66171] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 1 Quia propter quod unumquodque, et illud magis.
Sed homo ex caritate diligitur propter virtutem et propter beatitudinem. Ergo
virtus et beatitudo, quae non sunt creaturae rationales, sunt magis ex
caritate diligendae et sic creatura rationalis non est proprium obiectum
caritatis.
1. Parce qu’а
cause de cela, il y a chaque chose et ceci plus. Mais l’homme est aimй par
charitй а cause de sa vertu et de sa bйatitude. Donc la vertu et la bйatitude
qui ne sont pas des crйatures raisonnables doivent кtre plus aimйes par
charitй et ainsi les crйatures raisonnables n’est pas l’objet propre de la
charitй.
[66172] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 2
Praeterea, per caritatem maxime conformamur Deo in diligendo. Sed Deus
diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient.,
XI, 25, ex caritate diligendo seipsum, qui est caritas. Ergo omnia sunt
diligenda ex caritate, et non solum rationalis natura.
2. Nous sommes tout а fait adaptйs а Dieu
par la charitй en l’aimant. Mais Dieu aime tout ce qui existe, comme il est
dit en Sg 11, 25, en s’aimant par
charitй lui-mкme qui est la charitй. Donc tout doit кtre aimй par charitй, et
pas seulement la nature raisonnable.
[66173] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 3
Praeterea, Origenes dicit Super Cantica,
quod unum est diligere Deum et quaecumque bona. Sed Deus diligitur ex
caritate. Ergo, cum omnes creaturae sint bonae, omnes sunt diligendae ex
caritate, et non solum rationalis natura.
3. Origиne dit (Sur le Cantique), que c’est une (mкme) chose d’aimer Dieu et tout
ce qui est bon. Mais Dieu est aimй par charitй. Donc, comme toutes les crйatures
sont bonnes, toutes doivent кtre aimйes par charitй, et pas seulement la
nature raisonnable.
[66174] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 4
Praeterea, sola dilectio caritatis est meritoria. Sed in dilectione
cuiuslibet rei possumus mereri. Ergo quamlibet rem possumus diligere ex
caritate.
4. Le seul amour de charitй est mйritoire.
Mais en aimant n’importe quoi nous pouvons mйriter. Donc nous pouvons aimer
n’importe quoi par charitй.
[66175] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 5
Praeterea, Deus ex caritate diligitur. Ergo oportet magis ex caritate diligi
quod ab eo maxime diligitur. Sed inter omnia
creata maxime diligitur a Deo bonum universi, in quo omnia comprehenduntur.
Ergo omnia sunt ex caritate diligenda.
5. Dieu est aimй par charitй. Donc il est
nйcessaire de aimer par charitй davantage ce qu’il aime le plus. Mais parmi
toutes les crйatures le bien de l’univers est le plus aimй de Dieu, en quoi
tout est saisi. Donc tout doit кtre aimй par charitй.
[66176] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 6 Praeterea, diligere magis
pertinet ad caritatem quam credere. Sed caritas omnia credit, ut dicitur I ad Cor., XIII, 8. Ergo multo magis
omnia diligit.
6. Aimer convient plus а la charitй que
croire. Mais la charitй croit tout, comme il est dit en 1 Co 13, 8. Donc elle aime tout beaucoup plus.
[66177] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 7
Praeterea, natura rationalis perfectissime invenitur in Deo. Si igitur natura
rationalis sit obiectum caritatis, oporteret quod Deum ex caritate
diligeremus. Sed hoc videtur esse impossibile, quia amor caritatis est amor
perfectus; deinde, quia Deum perfecte in hac vita diligere non possumus, quia
in hac vita ipsum perfecte non cognoscimus : non enim cognoscimus de Deo quid
est, sed solum quid non est. Dilectio autem praesupponit cognitionem, cum nihil
diligatur nisi cognitum. Ergo rationalis vel intellectualis natura non est
proprium obiectum caritatis.
7. La nature raisonnable se trouve de
maniиre tout а fait parfaite en Dieu. Si donc elle йtait l’objet de la
charitй il serait nйcessaire que nous aimions Dieu par charitй. Mais cela
semble impossible, parce que l’amour de charitй est un amour parfait ;
ensuite, parce que nous pouvons pas l’aimer parfaitement en cette vie,
puisque nous ne le connaissons pas parfaitement : car nous ne savons pas de
Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas. Mais l’amour prйsuppose
la connaissance, puisque rien n’est aimй que ce qui est connu. Donc la nature
raisonnable ou intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй.
[66178] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 8
Praeterea, plus distat ab homine Deus quam quaelibet alia creatura. Si ergo
aliquas creaturas non diligimus ex caritate, multo minus Deum ex caritate
diligere possumus.
8. Dieu est plus distant de l’homme que
n’importe quelle autre crйature. Si donc nous n’aimons pas des crйatures par
charitй, nous pouvons beaucoup moins aimer Dieu par charitй.
[66179] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 9
Praeterea, in Angelis etiam est intellectualis natura. Sed Angeli non sunt ex
caritate diligendi, ut videtur. Ergo intellectualis natura non est proprium
obiectum caritatis. Probatio mediae.
Amicitia in aliqua communicatione vitae consistit; nam convivere est proprium
amicorum, secundum philosophum in Lib. Ethicor.
[lib. IX, cap. XIX] Sed non videtur esse aliqua communicatio vitae nobis et
Angelis; non enim communicamus in vita naturae cum Angelis, cum sint multo
praestantioris naturae quam homo; neque iterum in vita gloriae, quia dona
gratiae et gloriae dantur a Deo secundum virtutem recipientis, secundum illud
Matth., XXV, 15 : Dedit unicuique secundum propriam virtutem;
virtus autem Angeli est multo maior quam hominis. Ergo Angeli non communicant
in aliqua vita cum hominibus.
9. Dans les anges aussi il y a une nature
intellectuelle. Mais ils ne doivent pas кtre aimйs par charitй, а ce qu’il
semble. Donc la nature intellectuelle n’est pas l’objet propre de la charitй.
Preuve intermйdiaire : L’amitiй
consiste dans une communication de vie ; car vivre ensemble est le
propre des amis, selon le philosophe (Ethique,
VIII, 15, 1162 b 14). Mais il ne semble pas qu’il y ait un rapport de vie
pour nous et les anges ; car nous n’avons pas de rapport dans la vie de
nature avec eux, puisqu’ils sont d’une nature supйrieure а l’homme, et en
plus dans la vie de gloire, non plus parce que les dons de grвce et de gloire
sont donnйs par Dieu selon la capacitй de celui qui les reзoit, selon cette
parole de Matthieu 25, 15 : « Il a donnй а chacun selon sa propre
capacitй[50] » ; mais celle de l’ange
est beaucoup plus grande que celle de l’homme. Donc les anges ne communiquent
pas dans la vie avec les hommes.
[66180] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 10 Praeterea, natura rationalis invenitur etiam in ipso homine ex
caritate diligente. Sed homo seipsum non debet ex caritate diligere ut
videtur. Ergo caritatis obiectum non est rationalis natura. Probatio mediae. De actibus virtutum
dantur praecepta legis. Sed non datur aliquod praeceptum legis de hoc quod
aliquis diligat seipsum. Ergo diligere non est actus caritatis.
10. La nature raisonnable se trouve aussi
dans l’homme qui aime par charitй. Mais l’homme ne doit pas s’aimer lui-mкme
par charitй а ce qu’il semble. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet
de la charitй. Preuve intermйdiaire :
les prйceptes de la loi sont donnйs au sujet des actes des vertus. Mais le
prйcepte de la loi n’est pas donnй pour que quelqu’un s’aime lui-mкme. Donc
aimer n’est pas un acte de charitй.
[66181] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 11 Praeterea, Gregorius dicit in quadam Homil., quod caritas minus quam inter duos haberi non
potest. Non potest ergo quis seipsum ex caritate diligere.
11. Grйgoire dit dans une Homйlie que la charitй ne peut pas кtre possйdйe
qu’entre deux. Donc quelqu’un ne peut pas s’aimer lui-mкme par charitй.
[66182] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 12 Praeterea, sicut iustitia consistit in communicatione, ita et
amicitia, secundum philosophum in IV Ethic.
Sed iustitia, proprie loquendo, non est hominis ad seipsum ut dicitur in V Ethic. Ergo neque amicitia, et ita
neque caritas.
12. De mкme que le justice consiste dans
la communication, l’amitiй aussi selon le philosophe, (Йthique, VIII, 1, 1155 a 23). Mais la justice а proprement parler
ne vient pas de l’homme pour lui-mкme, comme il est dit (Йthique, V). Donc l’amitiй non plus et ainsi la charitй non plus.
[66183] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 13 Praeterea, nihil quod computatur in vitium, est actus caritatis.
Sed amare seipsum computatur homini in vitium secundum illud II Timoth., III, 1 : Instabunt tempora periculosa, et erunt
homines seipsos amantes. Ergo diligere seipsum non est actus caritatis;
et ita natura rationalis non est proprium obiectum caritatis.
13. Rien de ce qui comptй dans le vice,
n’est un acte de charitй. Mais s’aimer soi-mкme est comptй а l’homme comme un
vice selon cette parole de 2 Tm 3,
1 : « Les [derniers] temps seront pйrilleux …… et les hommes
s’aimeront eux-mкmes[51] ». Donc s’aimer soi-mкme n’est pas un acte de
charitй ; et ainsi la nature raisonnable n’est pas un objet propre de la
charitй.
[66184] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 14 Praeterea, corpus humanum est pars rationalis naturae, scilicet
humanae. Sed corpus humanum non videtur esse diligendum ex caritate; quia
secundum philosophum in IX Ethic.,
vituperantur qui amant seipsos secundum exteriorem naturam. Ergo natura
rationalis non est obiectum caritatis.
14. Le corps humain est une partie de la
nature raisonnable, c'est-а-dire de la nature humaine. Mais le corps humain
ne semble pas devoir кtre aimй par charitй ; parce que selon le
philosophe (Йthique, IX, 8, 1169 a
15) sont critiquйs ceux qui s’aiment eux-mкmes quant а leur nature
extйrieure. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charitй.
[66185] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 15 Praeterea, nullus habens caritatem refugit illud quod ex caritate
diligit. Sed sancti habentes caritatem refugiunt corpus, secundum illud Roman., VII, 24 : Quis me liberabit de corpore mortis huius? Et sic corpus non est
diligendum ex caritate; et sic idem quod prius.
15. Aucun de ceux qui ont la charitй
n’йcarte ce qu’il aime par charitй. Mais les saints qui ont la charitй йcarte
le corps, selon cette parole de Rm 7,
24 : « Qui me libйrera de ce corps
de mort ». Et ainsi le corps ne doit pas кtre aimй par
charitй ; et ainsi de mкme que ci-dessus.
[66186] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 16 Praeterea, nullus tenetur ad implendum quod non potest. Sed nullus
potest scire se habere caritatem. Ergo nullus tenetur ad diligendum creaturam
rationalem ex caritate.
16. Personne n’est tenu d’accomplir ce
qu’il ne peut pas accomplir. Mais personne ne peut savoir qu’il a la charitй.
Donc personnes n’est tenu d’aimer la crйature raisonnable par charitй.
[66187] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 17 Praeterea, cum dicitur : creatura rationalis diligitur ex caritate;
haec praepositio ex designat
habitudinem alicuius causae. Sed non potest designare habitudinem causae materialis, quia caritas non est
aliquid materiale, sed spirituale; neque iterum habitudinem causae finalis, quia finis diligendi ex
caritate est Deus, non autem caritas; similiter etiam neque habitudinem
causae efficientis, quia Spiritus
sanctus est qui nos ad diligendum movet, secundum illud Rom., V, 5 : Caritas Dei
diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis;
neque iterum habitudinem causae formalis,
quia caritas nec est forma intrinseca, cum non sit de essentia rei; neque est
forma extrinseca exemplaris, quia sic omnia quae diliguntur ex caritate,
traherentur in speciem caritatis, sicut exemplata trahuntur ad speciem
exemplaris. Ergo creaturae
rationales non sunt diligendae ex caritate.
17. Quand on dit : la crйature raisonnable
est aimй par charitй ; cette prйposition par (ex) dйsigne le
relation d’une cause. Mais elle ne peut pas dйsigner la relation а une cause matйrielle, parce que la charitй n’est
pas quelque chose de matйriel, mais de spirituel, ni non plus la relation а
la cause finale parce que Dieu est
le but а aimer par charitй ; mais pas la charitй ; de la mкme
maniиre aussi une relation а la cause efficiente
non plus, parce que l’Esprit saint est celui qui nous pousse а aimer, selon
cette parole de Rm 5, 5 : « La charitй de Dieu est diffusйe en nos
cњur par l’Esprit saint qui nous a йtй donnй » ; elle n’est pas
non plus la relation а la cause formelle,
parce que la charitй n’est pas une forme intrinsиque, puisqu’elle n’est pas
de l’essence de la chose, et elle n’est pas une forme extrinsиque exemplaire,
parce qu’ainsi tout ce qui est aimй par charitй serait attirй dans l’espиce
de charitй, comme les images sont tirйes а la forme de l’exemplaire. Donc les
crйatures raisonnables ne doivent pas кtre aimйes par charitй.
[66188] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 18 Praeterea, Augustinus dicit in I de Doctr. Christ., [cap.XXX], quod proximus est ille a quo nobis
beneficium impenditur. Sed a Deo nobis beneficia impenduntur. Ergo
Deus est proximus nobis; et ita inconvenienter ponitur ab Augustino Deus
aliud diligibile ex caritate, et aliud proximus.
18. En plus Augustin dit dans la Doctrine chrйtienne I, 30, que le
prochain est celui qui nous accorde un bienfait. Mais Dieu nous accorde ses
bienfaits. Donc Dieu est le prochain pour nous, et ainsi de maniиre
inconvenante, Augustin pense que Dieu est quelque chose digne d’кtre aimй
diffйrent du prochain.
[66189] De virtutibus, q. 2 a.
7 arg. 19 Praeterea, cum Christus sit mediator inter Deum et hominem, videtur
quod debeat poni aliud diligibile quam Deus et quam proximus; et sic sunt
quinque in caritate diligibilia, et non tantum quatuor, ut Augustinus dicit.
19. Comme le Christ est le mйdiateur entre
Dieu et l’homme, il semble qu’on devrait placer une autre chose aimable que
Dieu et le prochain et ainsi il y a cinq choses aimables en charitй et non
seulement quatre comme le dit Augustin.
En
sens contraire :
[66190] De virtutibus, q. 2 a.
7 s. c. Sed contra, est quod dicitur Levit.,
XIX, 18 : Diliges proximum tuum sicut
teipsum. Glossa : Proximum non
tantum propinquitate sanguinis, sed societate rationis. Ergo secundum
quod aliquid habet societatem nobiscum in natura rationali, sic est
diligibile ex caritate. Natura ergo rationalis est obiectum caritatis.
7. Il y a ce qui est dit en Lv 19, 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mкme. La glose dit : « Non seulement le prochain par proximitй de
sang, mais par communautй de nature ». Donc selon que quelque chose
a une communautй avec nous dans la nature raisonnable, il peut ainsi кtre
aimй par charitй. Donc la nature raisonnable est objet de charitй.
Rйponse
:
[66191] De virtutibus, q. 2 a.
7 co. Respondeo. Dicendum, quod cum quaeritur de his quae subiiciuntur actui
alicuius potentiae vel habitus, oportet considerare formalem rationem obiecti
illius potentiae vel habitus. Secundum enim quod aliqua se habent ad illam
rationem, sic se habent ad hoc quod subiiciantur illi potentiae vel habitui :
sicut visibilia secundum quod se habent ad rationem visibilis, secundum
eamdem rationem habent visibilia quod sint visibilia per se vel per accidens.
Quand on fait une recherche sur ce qui est
soumis а l’acte d’une puissance ou d’un habitus, il est nйcessaire de
considйrer la raison formelle de l’objet de cette puissance ou de cet
habitus. Car selon comment se comportent certaines choses vis-а-vis de cette
nature, elles se comportent pour les soumettre а cette puissance ou а cet
habitus : de mкme que ce qui est visible selon qu’il se comporte vis-а-vis de
la raison du visible, selon une mкme raison ce qui est visible a qu’il est
visible par soi ou par accident.
Cum autem amoris universaliter
sumpti obiectum sit bonum communiter sumptum, necesse est quod cuiuslibet
specialis amoris sit aliquod speciale bonum obiectum : sicut amicitiae
naturalis, quae est ad consanguineos, proprium obiectum est bonum naturale,
secundum quod trahitur a parentibus; in amicitia autem politica obiectum est
bonum civitatis. Unde et caritas habet quoddam speciale bonum ut proprium
obiectum, scilicet bonum beatitudinis divinae, ut supra, art. 4 huius
quaest., dictum est. Secundum igitur quod aliqua se habent ad hoc bonum, sic
se habent ad hoc quod sint diligibilia ex caritate.
Mais comme l’objet de l’amour pris
universellement est un bien pris communйment, il est nйcessaire que de
n’importe quelle amour particulier, il y ait un bien particulier comme objet;
de mкme que de l’amitiй naturelle, qui concerne les consanguins, l’objet
propre est le bien naturel, selon qu’il vient des parents, mais dans l’amitiй
politique, l’objet est le bien de la citй. C’est pourquoi la charitй aussi a
un bien particulier comme objet propre, а savoir le bien de la bйatitude
divine, comme il a йtй dit ci-dessus, article 4 de cette question. Donc selon
que certains se comportent vis-а-vis de ce bien, ainsi il se comportent
vis-а-vis de ce qui peut кtre aimй par charitй
Sed considerandum est, quod cum
amare sit velle bonum alicui, dupliciter
dicitur aliquid amari : aut sicut id cui volumus bonum, aut sicut bonum quod
volumus alicui.
Primo ergo modo illa
tantum possunt ex caritate amari quibus possumus velle bonum beatitudinis
aeternae; haec autem sunt quae nata sunt huiusmodi bonum habere. Unde, cum
sola intellectualis natura sit nata habere bonum beatitudinis aeternae; sola
intellectualis natura est ex caritate diligibilis, secundum quod diligi
dicuntur ea quibus volumus bonum.
Mais il faut considйrer que comme aimer
c’est vouloir du bien а quelqu'un, on dit de deux maniиres qu’on aime quelque chose : ou bien comme ce а quoi
nous voulons du bien, ou bien comme le bien que nous voulons а quelqu'un.
a.
De la premiиre maniиre donc peuvent
кtre aimйs par charitй seulement ceux а qui nous pouvons vouloir le bien de
la bйatitude йternelle. ; ce sont ceux qui sont destinйs а avoir un bien
de ce genre. C'est pourquoi comme seule la nature intellectuelle est destinйe
а avoir le bien de la bйatitude йternelle, seule elle peut кtre aimйe par
charitй, selon qu’on dit que sont aimйs ceux а quoi nous voulons du bien.
Et propter hoc, secundum quod diversimode
aliqua possunt habere beatitudinem aeternam, secundum hoc distinguuntur ab
Augustino [lib. 1 de Doct. Christ., c.
XXIII quatuor diligenda ex
caritate.
Est
enim aliquid habens beatitudinem aeternam per suam essentiam, et hoc est
Deus; et aliquid habens per participationem, et hoc est creatura rationalis;
tam illa quae diligit, quam aliae creaturae, quae ei associari possunt in
participatione beatitudinis. Aliquid autem est ad quod pertinet habere
beatitudinem aeternam per solam redundantiam quamdam, sicut corpus nostrum,
quod glorificatur per redundantiam gloriae ab anima in ipsum.
Et а cause de cela selon que diverses
maniиres certaines peuvent avoir la bйatitude йternelle, sous ce rapport
Augustin (La doctrine chrйtienne,
I, 23) en distingue quatre qui
doivent кtre aimйs par charitй.
Car
il y a quelque chose qui a la bйatitude eternelle par son essence et qui est
Dieu ; et quelque chose qui l’a par participation c’est la crйature
raisonnable ; tant cell qui aime que les autres crйatures, qui peuvent
lui кtre associйes dans la participation de la bйatitude. Mais il y a quelque
chose а quoi il convient d’avoir la bйatitude йternelle par un seul excиs, de
mкme que notre corps, qui est glorifiй par l’excиs de la gloire de l’вme en
lui-mкme.
Unde diligendus est ex caritate Deus ut
radix beatitudinis; quilibet autem homo debet seipsum ex caritate diligere,
ut participet beatitudinem; proximum autem ut socium in participatione
beatitudinis; corpus autem proprium secundum quod ad ipsum redundat
beatitudo.
Secundo vero modo, prout scilicet dicuntur diligi
illa bona quae volumus aliis, diligi possunt ex caritate omnia bona, in
quantum sunt quaedam bona eorum qui possunt habere beatitudinem.
C'est pourquoi il faut aimer Dieu par
charitй comme la racine de la bйatitude ; mais n’importe quel homme doit
aimer lui-mкme par charitй, pour participer а la bйatitude, mais le prochain
comme associй а la participation de la bйatitude, mais le propre corps selon
que la bйatitude dйborde en lui.
b. Deuxiиme maniиre, dans la mesure oщ on dit que ces
biens que nous voulons pour les autres sont aimйs, tous ces biens peuvent
кtre aimйs par charitй dans la mesure oщ ils sont les biens de ceux qui
peuvent possйder la bйatitude.
Omnes enim creaturae sunt homini via ad
tendendum in beatitudinem; et iterum omnes creaturae ordinantur ad gloriam
Dei, in quantum in eis divina bonitas manifestatur. Nunc igitur omnia ex
caritate diligere possumus, ordinando tamen ea in illa quae beatitudinem habent,
vel habere possunt.
Considerandum
etiam est, quod sic se habent dilectiones ad invicem, sicut et bona quae sunt
earum obiecta. Unde, cum omnia bona humana ordinentur in beatitudinem
aeternam sicut in ultimum finem, dilectio caritatis sub se comprehendit omnes
dilectiones humanas, nisi tantum illas quae fundantur super peccatum, quod
non est ordinabile in beatitudinem. Unde quod aliqui consanguinei diligant se
invicem, vel aliqui concives, vel simul peregrinantes, vel quicumque tales,
potest esse meritorium et ex caritate; sed quod aliqui ament se invicem
propter communicationem in rapina vel adulterio, hoc non potest esse
meritorium neque ex caritate.
Car toutes les crйatures sont chemin pour
l’homme pour tendre а la bйatitude et en plus toutes les crйatures sont
ordonnйes а la gloire de Dieu dans la mesure oщ la bontй divine se manifeste
en eux. Donc maintenant nous pouvons tout aimer par charitй, en ordonnant
cependant en elle ce qui a la bйatitude ou qui peut l’avoir.
Mais
il faut considйrer qu’ainsi se comportent les amours entre eux, comme les
biens qui sont leurs objets. C'est pourquoi comme tous les biens humains sont
ordonnйs а la bйatitude йternelle, comme а leur fin ultime, l’amour de
charitй comprend sous lui tous les amours humains, sauf seulement ceux qui
sont fondйs sur le pйchй, qui ne peut pas кtre ordonnй а la bйatitude. C'est
pourquoi le fait que certains parents s’aiment entre eux, ou certains
concitoyens, ou ceux qui marchent ensemble, ou quiconque de tel, peut кtre
mйritoire et par charitй, mais que certains s’aiment entre eux pour
s’associerer dans le vol ou l’adultиre, cela ne peut pas кtre mйritoire mкme
par charitй non plus.
Solutions :
[66192] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtutem et beatitudinem diligimus ex caritate, in
quantum hoc volumus his quibus competit habere beatitudinem.
1. Nous aimons la vertu et la bйatitude
par charitй, en tant que nous le voulons pour ceux а qui il convient de la
possйder.
[66193] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Deus diligit omnia ex caritate, non ita quod velit
eis beatitudinem, sed ordinans ea ad seipsum, et ad alia quae beatitudinem
habere possunt.
2. Dieu aime tout par charitй, non de
sorte qu’il veuille pour toutes choses la bйatitude, mais en les ordonnant а
lui-mкme et а d’autres qui peuvent possйder la bйatitude.
[66194] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod omnia bona sunt in Deo sicut in primo principio; et
sic Origenes intellexit, quod unum est diligere Deum et quaecumque bona.
3. Tous les biens sont en Dieu comme dans
le premier principe, et Origиne a pensй ainsi que c’est une seule (et mкme)
chose d’aimer Dieu et n’importe quels biens.
[66195] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod omnia diligere possumus meritorie, ordinando ea in
illa quae sunt capacia beatitudinis, non autem volendo eis beatitudinem.
4. Nous pouvons aimer toutes choses de
maniиre mйritoire, en les ordonnant en ce qui est capable de bйatitude, mais
pas en voulant la bйatitude pour eux.
[66196] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod in bono universi sicut principium continetur
rationalis natura, quae est capax beatitudinis, ad quam omnes aliae creaturae
ordinantur; et secundum hoc competit et Deo et nobis bonum universi maxime ex
caritate diligere.
5. Dans le bien universel la nature
raisonnable est contenue comme principe, elle qui est capable de bйatitude, а
laquelle toutes les autres crйatures sont ordonnйes, et selon cela il
convient а Dieu et а nous d’aimer surtout par charitй le bien de l’univers.
[66197] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut
caritas credit omnia credibilia, ita diligit omnia secundum quod sunt ex
caritate diligibilia.
6. De mкme que la charitй croit tous de
qui est crйdible, de mкme elle aime toutes choses selon qu’elles sont dignes
d’кtre aimйes par charitй.
[66198] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deum non possumus hic illa perfectione diligere qua
diligemus eum in patria, per essentiam videntes.
7. Nous ne pouvons aimer Dieu avec cette
perfection par laquelle nous l’aimerons dans la patrie, en le voyant par son
essence.
[66199] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod distantia creaturarum aliquarum non est causa cur non diligantur
ex caritate, sed quia non sunt capaces beatitudinis.
8. L’йloignement de certaines crйatures
n’est pas la cause pour laquelle elles ne sont pas aimйes par charitй, mais
parce qu’elles ne sont pas capables de bйatitude.
[66200] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod Angeli non communicant nobiscum in vita naturae quantum
ad speciem, sed solum quantum ad genus rationalis naturae; sed possumus cum
eis communicare in vita gloriae. Quod autem dicitur : Dedit unicuique secundum propriam virtutem, non est referendum
tantum ad virtutem naturae : erroneum est enim dicere, quod dona gratiae et
gloriae dentur secundum mensuram naturalium; sed intelligenda est virtus quae
est etiam per gratiam, per quam datur hominibus ut possint mereri aequalem
gloriam Angelis.
9. Les anges n’ont pas de rapport avec
nous dans la vie de la nature, pour ce qui concerne l’espиce, mais seulement
pour ce qui concerne le genre de nature douйe de raison ; mais nous
pouvons avoir des rapports avec eux dans la vie de gloire. Ce qui est dit (Mt 25, 15) : « Il a donnй а chacun selon sa propre
capacitй », ne doit pas кtre rapportй seulement au pouvoir de la
nature, car il est faux de dire que les dons de la grвce et de la gloire sont
donnйs selon la mesure de ce qui est naturel, mais il faut penser la vertu
qui est aussi par grвce, par laquelle il est donnй aux hommes de pouvoir
mйriter une gloire йgale а celle des anges.
[66201] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod lex scripta data est in auxilium legis naturae quae
erat obtenebrata per peccatum. Non autem erat sic
obtenebrata quin moveret ad diligendum, ad hoc quod homo diligeret seipsum et
corpus suum; sed erat obtenebrata quantum ad hoc quod non movebat in
dilectionem Dei et proximi. Et ideo in lege scripta danda fuerunt praecepta
de dilectione Dei et proximi, in quibus tamen comprehenditur etiam quod
aliquis diligat seipsum : quia cum inducimur ad diligendum Deum, inducimur ad
desiderandum Deum, per quod maxime nos ipsos amamus, volentes nobis summum
bonum. In praecepto autem de dilectione proximi dicitur : Diliges proximum tuum sicut teipsum;
in quo includitur dilectio sui ipsius.
10. La loi йcrite a йtй donnйe en aide а
la loi de nature qui йtait obscurcie par le pйchй. Mais elle n’йtait pas
obscurcie au point de pousser а aimer, а ce que l’homme s’aime lui-mкme et
aime son corps ; mais elle est obscurcie quant au fait qu’elle ne
poussait pas а l’amour de Dieu et du prochain. Et c'est pourquoi dans la loi
йcrite il a fallu donner des prйceptes d’amour de Dieu et du prochain, en qui
cependant il est inclus aussi que chacun s’aime lui-mкme ; parce que,
comme nous sommes amenйs а aimer Dieu, nous sommes amenйs а le dйsirer, du
fait que nous nous aimons le plus nous-mкmes, en voulant pour nous le bien
suprкme. Mais dans le prйcepte sur l’amour du prochain il est dit : « Tu aimeras ton prochain comme
toi-mкme » ; en quoi est inclus l’amour de soi.
[66202] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod licet amicitia non possit haberi ad seipsum, proprie
loquendo; tamen amor ad seipsum habetur : ut enim dicitur in IX Ethic.,
amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad
seipsum. Secundum vero quod caritas significat amorem, sic aliquis seipsum ex
caritate diligere potest. Sed Gregorius loquitur de caritate secundum quod
includit rationem amicitiae.
11. Bien que l’amitiй ne puisse pas кtre
possйdйe pour elle-mкme, а proprement parler, cependant l’amour est possйdй
pour lui-mкme ; en effet, comme il est dit en Йthique, IX, 4, 1166 a ) ; ce qui est amical pour un autre,
vient de ce qui est amical pour soi. Mais selon que la charitй signifie
l’amour, quelqu’un peut s’aimer lui-mкme par charitй. Mais Grйgoire parle de
charitй selon qu’elle inclut la nature de l’amitiй.
[66203] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod licet amicitia sit in communicatione ad alterum,
sicut et iustitia, tamen amor non de necessitate est ad alterum, qui sufficit
ad rationem caritatis.
12. Bien que l’amitiй soit en rapport avec
un autre, comme la justice aussi, cependant l’amour n’est pas nйcessairement
pour un autre, pour suffire а la nature de la charitй.
[66204] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod amantes seipsos vituperantur, in quantum plus
debito seipsos diligunt : quod quidem non contingit quantum ad bona
spiritualia, quia nullus potest nimis amare virtutes; sed quantum ad bona
exteriora et corporalia potest aliquis nimis amare seipsum.
13. Ceux qui s’aiment eux-mкmes sont
blвmйs en tant qu'ils s'aiment plus que ce qui est dы ; ce qui n’arrive
pas pour les biens spirituels, parce que personne ne peut trop aimer les
vertus, mais pour ce qui concerne les biens extйrieurs et les biens corporels
quelqu’un peut s’aimer trop lui-mкme.
[66205] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quicumque amat seipsum secundum
exteriorem naturam, culpatur, sed qui exteriora bona quaerit ultra modum
virtutis; et sic ex caritate corpus nostrum diligere possumus.
14. Ce n’est pas n’importe qui qui s’aime
lui-mкme selon sa nature extйrieure qui est blвmй, mais celui qui cherche les
biens extйrieurs, au-delа de la mesure de sa capacitй, et ainsi nous pouvons
aimer notre corps par charitй.
[66206] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non refugit corpus, sed
corporis corruptionem, in quantum corpus,
quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapientiae IX, 15; et propter hoc apostolus significanter dixit, De corpore mortis huius.
15. La charitй ne s’йcarte pas du corps
mais de sa corruption, en tant que le
corps qui est corrompu, alourdit l’вme », comme il est dit en Sg. 9, 15 ; et а cause de cela
l’apфtre dit de maniиre significative, « Ce corps de mort ».
[66207] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ex hoc quod homo nescit pro certo se
habere caritatem, non sequitur quod non possit ex caritate diligere, sed quod
non possit iudicare an ex caritate diligat. Unde a nobis requiri potest quod
ex caritate diligamus, non autem quod iudicemus nos ex caritate diligere.
Unde apostolus dicit, I ad Cor. cap. IV, 3 : Neque meipsum iudico; sed qui iudicat me, dominus est.
16. Du fait que l’homme ignore en
certitude qu’il possиde la charitй, il n’en dйcoule pas qu’il ne puisse pas
aimer par charitй, mais qu’il ne peut pas juger s’il aime par charitй. C'est
pourquoi il peut кtre requis de nous d’aimer par charitй, mais non de juger
que nous aimons par charitй. C'est pourquoi l’apфtre dit (1 Co 4, 3) : « Et je ne me juge pas moi-mкme, mais celui
qui me juge, c’est le Seigneur ».
[66208] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod cum dicitur aliquis diligere
proximum ex caritate, haec praepositio ex potest designare habitudinem causae
finalis, efficientis et formalis. Finalis quidem, in quantum
dilectio proximi ordinatur ad dilectionem Dei sicut ad finem; unde dicitur I
ad Timoth. I, 5 : Finis praecepti est caritas, quia
scilicet dilectio Dei est finis observationis praeceptorum. In habitudine
autem causae efficientis, in quantum caritas est habitus inclinans ad
diligendum, sic se habens ad actum dilectionis, sicut calor ad calefactionem.
In habitudine autem causae formalis, in quantum actus recipit speciem ab
habitu, sicut et calefactio a calore.
17. Quand on dit que quelqu'un aime son
prochain par charitй, cette prйposition par
(ex) peut dйsigner une relation
de la cause finale, efficiente et formelle. La cause finale, en tant que
l’amour du prochain est ordonnй а l’amour de Dieu comme а une fin ;
c'est pourquoi il est dit (1 Tm 1, 5)
: « La fin du prйcepte est la
charitй », parce que l’amour de Dieu est le but de l’observation des
prйceptes. Mais dans une relation de la cause efficiente, en tant que la
charitй est un habitus qui incline а aimer, il se comporte ainsi pour un acte
d’amour, comme la chaleur pour le rйchauffement. Dans la relation de la cause
formelle, en tant que l’acte reзoit la forme de l’habitus, comme le
rйchauffement de la chaleur.
[66209] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio proximi salvatur et in eo qui
dat beneficia, et in eo qui recipit, non tamen quod quicumque dat beneficia,
sit proximus; sed requiritur quod inter proximos sint communicantia in aliquo
ordine; unde Deus licet det beneficia, non tamen potest dici nobis proximus;
sed Christus, in quantum est homo, dicitur nobis proximus, prout nobis dat
beneficia.
18. La nature de prochain est conservйe en
celui qui donne les bienfaits et en celui qui les reзoit, non cependant que
chacun de ceux qui donne des bienfaits soit le prochain ; mais il est
requis que parmi les proches il y ait ce qui communique en un certain
ordre ; c'est pourquoi, bien que Dieu donne des bienfaits, on ne peut
pas dire qu’il est notre prochain, mais on dit que le Christ, en tant
qu’homme, est notre prochain, dans la mesure oщ il nous donne des bienfaits.
[66210] De virtutibus, q. 2 a.
7 ad 19 Unde patet responsio ad ultimum.
19. C'est pourquoi on voit la rйponse а la
derniиre objection.
[66213]De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 1 Quod enim cadit sub
praecepto, non est de perfectione consilii. Sed diligere inimicum cadit sub
praecepto illo, videlicet : Diliges proximum tuum sicut
teipsum : nam nomine proximi intelligitur
omnis homo, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina
Christiana, cap. XXX. Ergo diligere inimicum non
est de perfectione consilii.
1. En effet ce qui tombe sous le prйcepte
ne concerne pas la perfection du conseil. Mais aimer son ennemi tombe sous ce
prйcepte « Tu aimeras ton prochain
comme toi-mкme ». Car sous le nom de prochain, on comprend tout
homme, comme dit Augustin dans La
Doctrine chrйtienne, 30. Donc aimer son ennemi n'est pas de la perfection
du conseil.
[66214] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 2 Sed
dicendum, quod est de
perfectione consilii dilectio inimicorum quantum ad exhibitionem
familiaritatis, et aliorum effectuum caritatis.- Sed contra, omnem proximum tenemur ex caritate diligere. Sed
dilectio caritatis non est tantum in corde, sed etiam in opere : dicitur enim
I Ioan. III, 18 : Non diligamus verbo, neque lingua, sed
opere et veritate. Ergo etiam quantum ad effectus caritatis dilectio
inimicorum cadit sub praecepto.
2. Mais il faut dire que l'amour des ennemis concerne la perfection du
conseil pour reprйsenter l’amitiй et les autres effets de la charitй. Mais en sens contraire nous sommes tenus
d'aimer tout le prochain par charitй. Mais l'amour de charitй n'est pas
seulement dans le cњur mais aussi en acte, car il est dit en 1 Jn 3, 18 : « N'aimons pas en parole ni en langue, mais
en acte et en vйritй». Donc c'est aussi quant aux effets de la charitй
que l'amour des ennemis tombe sous le prйcepte.
[66215] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 3 Praeterea, Matth. V, 44, similiter dicitur : Diligite inimicos vestros, et benefacite his qui oderunt vos. Si
igitur diligere inimicos cadit sub praecepto, et benefacere eis cadit sub
praecepto; quod pertinet ad effectus caritatis.
3. En outre, en Mt 5, 44, il est dit pareillement : "Aimez vos ennemis, et faites du bien а ceux qui vous haпssent".
Si donc aimer les ennemis tombe sous le prйcepte, leur faire du bien aussi
tombe sous le prйcepte ; ce qui va avec les effets de la charitй.
[66216] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 4 Praeterea, ea quae pertinent ad
perfectionem consiliorum, non fuerunt in veteri lege tradita : quia, ut
dicitur Hebr. VII, 19, Nihil perfectum adduxit lex. Sed in
veteri lege fuit traditum quod ad inimicos non solum affectus dilectionis
haberetur, sed etiam effectus dilectionis eis impenderetur; dicitur enim Exod. XXIII, 4 : Si occurreris bovi inimici tui aut asino erranti, reduc ad eum;- Levit. XIX, 17 : Ne oderis fratrem tuum in corde tuo; sed publice argue eum, ne habeas
super illo peccatum;- et Iob
XXXI, vv. 29-30 : Si gavisus sum ad
ruinam eius qui me oderat, et exultavi, quod invenisset eum malum : non enim
dedi ad peccandum guttur meum;- et Prov.
XXV, 21 : Si esurierit inimicus tuus,
ciba illum; si sitiverit, da ei aquam bibere. Ergo diligere inimicum
etiam quantum ad exibitionem effectuum caritatis, non est de perfectione
consilii.
4. En outre, ce qui convient а la
perfection des conseils ne fut pas transmis dans l'Ancienne Loi, car, comme
il est dit Hb 7, 19, « La loi n'a rien amenй а la perfection ».
Mais dans l'Ancienne Loi, il est rapportй qu’il y avait un sentiment d’amour
pour les ennemis, mais aussi qu’il йtait mis en pratique, car il est dit en Ex 23, 4 : « Si tu rencontres le bњuf de ton ennemi ou son вne errant, ramиne-le
lui » ; en Lv 19, 17 :
« Ne hais pas ton frиre dans ton
cњur, mais publiquement convainc-le d'erreur, afin de ne pas avoir de pйchй а
son sujet » ; en Jb 41,
29-30 : « Me suis-je rйjoui de la
ruine de celui qui me haпssait, ai-je exultй parce que le malheur l'avait
atteint : je n'ai pas permis en effet а mon gosier de pйcher » ; et
en Pv 25, 21 : « Si ton ennemi a faim, nourris-le. S'il a
soif, donne-lui de l'eau а boire ». Donc aimer l'ennemi aussi en
montrant les effets de la charitй, ce n'est pas de la perfection du conseil.
[66217] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 5 Praeterea, consilium non contrariatur
legis praecepto; unde dominus, perfectionem novae legis traditurus, praemisit
Matth.V, v. 17 : Non veni solvere legem, sed adimplere.
Diligere autem inimicos videtur contrariari praecepto legis : quia dicitur Matth. cap. V, 43 : Diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. Ergo dilectio
inimicorum non cadit sub perfectione consilii.
5. En outre, le conseil ne contredit pas
le prйcepte de la Loi ; c'est pourquoi le Seigneur, s'apprкtant а transmettre
la perfection de la Loi nouvelle, commenзa par annoncer (Mt 5, 17) : "Je ne
suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir". Or aimer les ennemis
paraоt s’opposer au prйcepte de la Loi, car il est dit en Mt 5, 43 : "Tu aimeras ton ami et tu haпras ton ennemi[53] ». Donc l'amour des
ennemis ne tombe pas sous la perfection du conseil.
[66218] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 6 Praeterea, dilectio habet
proprium obiectum in quod inclinat, quia, sicut dicit Augustinus, De Doctrina christ., [cap. XXX] : Pondus meum est amor meus. Sed
proprium obiectum dilectionis non videtur esse inimicus, sed magis dilectioni
repugnans. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat
inimicum.
6. En outre, l'amour a un objet propre
vers lequel il incline, car comme le dit Augustin,(La Doctrine chrйtienne,
I, 30[54]) : "Ma lourde charge c'est l’amour".
Mais l'ennemi ne semble pas кtre l’objet propre de l'amour, mais plutфt il
s’y oppose. Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un
ennemi.
7. En outre, la perfection de
la vertu n’est pas opposйe а l'inclination naturelle, mais plutфt
l'inclination naturelle est accomplie grвce а la vertu. Or la nature incite а
haпr son ennemi, car tout ce qui est naturel repousse son contraire. Donc ce
n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer un ennemi.
[66220] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 8 Praeterea, perfectio caritatis et
cuiuslibet virtutis consistit in assimilatione ad Deum. Sed Deus amicos
diligit, et inimicos odit, secundum illud Malach.
I, 2 : Iacob dilexi, Esau odio habui.
Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis diligat inimicos, sed
magis quod eos odio habeat.
8. En outre, la perfection de la charitй -
et de n'importe quelle vertu - consiste а devenir semblable а Dieu. Mais Dieu
aime ses amis et hait ses ennemis, selon cette [parole] de Malachie 1, 2 : « J'ai aimй Jacob, j'ai haп Esaь ».
Donc il n'est pas de la perfection de la charitй d’aimer ses ennemis, mais
plutфt de les haпr.
[66221] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 9 Praeterea, dilectio caritatis directe
respicit bonum vitae aeternae. Sed aliquibus inimicis nostris non debemus
velle bonum vitae aeternae; quia vel sunt damnati in inferno, vel adhuc
viventes sunt reprobati a Deo. Ergo diligere inimicos non pertinet ad perfectionem
caritatis.
9. En outre, l'amour de charitй regarde
directement le bien de la vie йternelle. Mais nous ne devons pas le vouloir
pour nos ennemis, car soit ils ont йtй damnйs en enfer, soit encore vivants
ils sont rйprouvйs par Dieu. Donc aimer ses ennemis ne convient pas а la
perfection de la charitй.
[66222] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 10 Praeterea, eum quem tenemur ex caritate
diligere, non possumus licite occidere, nec velle eius mortem, aut quodcumque
malum : quia de ratione amicitiae est quod amicos velimus esse et vivere. Sed nos
licite possumus aliquos occidere; quia, secundum apostolum, Rom. XIII, 4 : Potestas
saecularis Dei minister est, vindex in iram ei qui male agit. Non ergo
tenemur inimicos diligere.
10. En outre, celui que nous sommes tenus
d'aimer par charitй, nous ne pouvons lйgalement le tuer, ni vouloir sa mort
ou un mal quelconque, car il est de la nature de l'amitiй de vouloir que nos
amis existent et vivent. Mais nous pouvons lйgalement en tuer certains, car
selon l'apфtre, Rm 13, 4, "L’autoritй du siиcle[55] est l’instrument de Dieu, celui qui punit dans la colиre celui qui
agit mal". Donc nous ne sommes pas tenus d'aimer nos ennemis.
[66223] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 11 Praeterea, philosophus in Lib. Topicorum [ lib. II, cap. III] docet sic
argumentari in contrariis. Si diligere amicos est bonum et eis benefacere;
diligere inimicos et eis benefacere malum est. Sed nullum malum perfectionem
habet caritatis, nec cadit sub consilio. Ergo diligere inimicum non pertinet ad perfectionem consilii.
11. En outre, le Philosophe (Les Topiques II, 3, cf. 110 a 33) enseigne
а argumenter ainsi dans les contradictions : Si aimer ses amis et leur rendre
service est un bien, aimer ses ennemis et leur rendre service est un mal.
Mais aucun mal n'a la perfection de la charitй ni ne tombe sous le conseil.
Donc aimer un ennemi ne convient pas а la perfection du conseil.
[66224] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 12 Praeterea, amicus et inimicus sunt
contraria. Ergo et diligere amicum et diligere inimicum sunt contraria.
Contraria autem non possunt esse simul. Cum igitur teneamur ex caritate
diligere amicos, non potest cadere sub consilio quod inimicos diligamus.
12. En outre, l'ami et
l'ennemi sont des contraires. Donc aimer un ami et aimer un ennemi sont des
contraires. Or les contraires ne peuvent exister en mкme temps. Donc puisque
nous sommes tenus d'aimer nos amis par charitй, il ne peut tomber sous le
conseil que nous aimions nos ennemis.
[66225] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 13 Praeterea, consilium non potest esse sub
impossibili. Sed diligere inimicum videtur impossibile, cum sit contra
inclinationem naturae. Ergo diligere inimicum non cadit sub consilio.
13. En outre, le conseil ne peut concerner
l'impossible. Or aimer un ennemi paraоt impossible, puisque c'est contre
l'inclination naturelle. Donc aimer l'ennemi ne tombe pas sous le conseil.
[66226] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 14 Praeterea, implere consilia perfectorum
est. Perfecti autem maxime fuerunt apostoli, qui tamen non dilexerunt inimicos
quantum ad affectum et effectum : legitur enim de beato Thoma apostolo, quod
imprecatus fuit illi qui manu alapam ei dederat, ut manus eius in convivio a
canibus deportaretur. Ergo
diligere inimicos quantum ad affectum et effectum non cadit sub perfectione
consilii.
14. En outre, accomplir les conseils
appartient aux parfaits. Or les parfaits furent surtout les apфtres, qui
pourtant n'ont pas aimй leurs ennemis affectivement ni effectivement. En
effet on lit du bienheureux Thomas apфtre, qu'il souhaita а celui qui lui
avait donnй une gifle de sa main, que dans un banquet scelle-ci soit emportйe
par les chiens. Donc aimer ses ennemis affectivement et effectivement ne
tombe pas sous la perfection du conseil.
[66227] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 15 Praeterea, imprecari mala, praecipue
damnationis aeternae opponitur dilectioni et quantum ad affectum, et quantum
ad effectum. Sed prophetae imprecati sunt mala suis adversariis : dicitur
enim in Psalm. LXVIII, 29 : Deleantur de libro vitae, cum iustis non
scribantur; et iterum Psalm.
LIV, 16 : Veniat mors super illos, et
descendant in infernum viventes. Ergo diligere inimicos non est de
perfectione caritatis.
15. En outre, souhaiter du mal,
principalement celui de la damnation йternelle, s'oppose а l'amour affectivement
et effectivement. Mais les prophиtes ont souhaitй des maux а leurs
adversaires ; en effet il est dit dans le Ps
68, 29 : "Qu'ils soient effacйs du
livre de vie, qu'ils ne soient pas inscrits avec les justes", et
encore dans le Ps 54, 16 : "Que la mort vienne sur eux, et qu'ils
descendent vivants en enfer". Donc aimer les ennemis n'est pas de la
perfection de la charitй.
[66228] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 16 Praeterea, de ratione amicitiae verae est
ut aliquis propter seipsum diligatur : caritas autem includit amicitiam sicut
perfectum minus perfectum. Diligere autem inimicum propter seipsum,
contrariatur caritati; quia solus Deus propter seipsum diligitur. Non ergo
cadit sub consilii perfectione ut inimicus diligatur.
16. En outre, il est dans la nature de la
vraie amitiй d’кtre aimй pour soi-mкme. Mais la charitй inclut l'amitiй,
comme le parfait inclut le moins parfait. Or aimer un ennemi pour lui-mкme
est contraire а la charitй, car seul Dieu est aimй pour lui-mкme. Donc il ne
tombe pas sous la perfection du conseil d’aimer un ennemi.
[66229] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 17 Praeterea, id quod cadit sub perfectione
consilii, melius est et magis meritorium quam id quod sub necessitate
praecepti. Sed diligere inimicum non est melius neque melioris meriti quam
diligere amicum, quod manifeste cadit sub necessitate praecepti : quia si
bonum est diligere aliquod bonum, melius est et magis meritorium diligere
quod melius est. Melior autem est amicus inimico. Non ergo diligere inimicum
est de perfectione consilii.
17. En outre, ce
qui tombe sous la perfection du conseil est meilleur et plus mйritoire que ce
qui [tombe] sous la nйcessitй du prйcepte. Mais aimer un ennemi n'est pas
meilleur ni de de plus gran mйrite que d'aimer un ami, ce qui manifestement
tombe sous la nйcessitй du prйcepte ; parce que, s'il est bon d'aimer un
bien, il est meilleur et plus mйritoire d'aimer ce qui est meilleur. Or l'ami
est meilleur que l'ennemi. Donc aimer l'ennemi n'est pas de la perfection du
conseil.
[66230] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 18 Sed
dicebatur, quod diligere
inimicum maioris meriti est, quia est difficilius.- Sed contra, diligere inimicum est difficilius quam diligere Deum.
Ergo eadem ratione, maioris meriti esset diligere inimicum quam Deum.
18. Mais
on pourrait dire qu'aimer un ennemi est plus mйritoire, parce que c'est
plus difficile. Mais en sens contraire
: aimer un ennemi est plus difficile qu'aimer Dieu. Donc pour cette mкme
raison il serait plus mйritoire d'aimer un ennemi que [d'aimer] Dieu.
[66231] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 19 Praeterea, signum generati habitus est
delectatio operis, ut dicit philosophum in II Ethic. [cap. III]. Sed diligere amicum est delectabilius quam
diligere inimicum. Ergo etiam magis virtuosum, et, per consequens, magis meritorium;
et sic diligere inimicum non cadit sub perfectione consilii.
19. En outre, le signe de l'habitus
engendrй est la dйlectation de l'њuvre, comme dit le Philosophe en Ethique II, 3. Mais aimer un ami est
plus agrйable qu'aimer un ennemi. C’est donc aussi plus vertueux, et par
consйquent plus mйritoire ; et ainsi aimer l'ennemi ne tombe pas sous la
perfection du conseil.
En
sens contraire :
[66232] De virtutibus, q. 2 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit in
Enchir. [LXXXIII] : Perfectorum
filiorum Dei est diligere inimicos : in quo quidem se quilibet debet fidelem
ostendere.
Il y a ce qu'Augustin dit dans l’Enchiridion, 83 : « Il appartient aux fils parfaits de Dieu
d'aimer leurs ennemis, en quoi n'importe qui doit se montrer fidиle ».
Rйponse
:
[66233] De
virtutibus, q. 2 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod diligere inimicos aliquo modo
cadit sub necessitate praecepti, et aliquo modo sub consilii perfectione. Ad
cuius evidentiam sciendum est, quod sicut supra, art. 4 huius quaest., dictum
est, proprium et per se obiectum caritatis est Deus; et quidquid ex caritate
diligitur, ea ratione diligitur qua ad Deum pertinet, sicut si diligimus
aliquem hominem, diligimus per consequens omnes ei attinentes, etiam si sint
nobis inimici. Constat autem quod omnes homines ad Deum pertinent, in quantum
sunt ab ipso creati, et capaces beatitudinis, quae in fruitione ipsius
consistit. Manifestum est ergo, quod ista ratio dilectionis quam respicit
caritas in omnibus hominibus invenitur
Sic ergo, in eo qui contra nos inimicitiam exercet, est duo invenire :
unum quod est ratio dilectionis, scilicet quod ad Deum pertinet; et aliud
quod est ratio odii, scilicet quod nobis adversatur. In quocumque autem
invenitur ratio dilectionis et ratio odii si praetermissa dilectione in odium
convertamur, manifestum est quod id quod est ratio odii praeponderat in corde
nostro ei quod est ratio dilectionis. ritas, in omnibus hominibus invenitur.
Il faut dire
qu'aimer ses ennemis tombe en quelque faзon sous la nйcessitй du prйcepte, et
en quelque faзon sous la perfection du conseil. Pour en montrer l'йvidence,
il faut savoir que comme il est dit ci-dessus (article 4 de cette question)
l'objet propre et par soi de la charitй, c'est Dieu ; et tout ce qui est aimй
par charitй est aimй pour cette raison que cela concerne Dieu, de mкme que si
nous aimons un homme, nous aimons par consйquent tous ceux qui lui sont
proches, mкme si pour nous ce sont des ennemis. Or il est certain que tous
les hommes concernent Dieu, en tant que crййs par Lui et en tant qu’aptes а
la bйatitude, qui consiste dans sa fruition. Donc il est йvident que ce motif
d'aimer, que la charitй considиre, se trouve dans tous les hommes.
Ainsi donc, en celui qui marque de
l'inimitiй contre nous, il y a deux raisons а trouver : une qui est une
raison d'aimer, selon qu’il dйpend de Dieu, et l’autre qui est une raison de
haine, c'est-а-dire ce qu’il s'oppose а nous. En quiconque se trouvent une
raison d'amour et une raison de haine ; si, nйgligeant l'amour, nous nous tournons
vers la haine, il est йvident que ce qui est la raison de la haine l'emporte
dans notre cњur sur ce qui est la raison de l’amour.
Sic
ergo, si aliquis inimicum suum odio habeat, inimicitia illius praeponderat in
corde suo amori divino. Magis ergo odit amicitiam illius quam diligat Deum.
Tantum autem odimus aliquid, quantum diligimus bonum quod nobis per inimicum
subtrahitur. Relinquitur ergo quod quicumque inimicum odit, aliquod bonum
creatum diligit plus quam Deum; quod est contra praeceptum caritatis.
Ainsi donc, si quelqu'un hait son ennemi,
son inimitiй l'emporte dans son cњur sur l'amour divin. Donc il hait plus son
amitiй qu'il n'aime Dieu. Nous haпssons quelque chose en tant que nous aimons
le bien qui nous est soustrait par un ennemi. Donc il reste que quiconque
hait son ennemi aime un bien crйй plus que Dieu, ce qui est contre le
prйcepte de charitй.
Habere
igitur odio inimicum est contrarium caritati; unde necesse est quod si ex
praecepto caritatis tenemur quod dilectio Dei praeponderet in nobis
dilectioni cuiuslibet alterius rei, et per consequens odio contrarii.
Sequitur ergo quod ex necessitate praecepti teneamur diligere inimicos.
Donc haпr un ennemi est contraire а la
charitй ; c'est pourquoi il est nйcessaire que si nous sommes tenus, par le
prйcepte de charitй, а ce que l'amour de Dieu l'emporte en nous sur l'amour
de n'importe quelle autre chose, par consйquent aussi sur la haine de ce qui
nous est contraire. Donc il s'ensuit que nous sommes tenus, а cause de la
nйcessitй du prйcepte, d'aimer nos ennemis.
Sed
tunc considerandum, quod cum ex praecepto caritatis teneamur proximos
diligere, non se extendit ad hoc praeceptum quod quemlibet proximum actu
diligamus in speciali, aut unicuique specialiter bene faciamus : quia nullus
sufficeret ad cogitandum de omnibus hominibus, ut specialiter unumquemque
actu diligeret; nec etiam aliquis sufficeret ad benefaciendum vel serviendum
singulariter unicuique.
Mais alors il faut considйrer que puisque
nous sommes tenus par le prйcepte de charitй d'aimer le prochain, le prйcepte
ne s'йtend pas jusqu’а aimer n'importe quel homme proche en acte et en
particulier, ou faire du bien а chacun en particulier, car personne ne
suffirait pour penser а tous les hommes, de faзon а aimer chacun en
particulier et en acte, et personne non plus ne suffirait pour faire du bien
ou rendre service а chacun en particulier.
Tenemur
tamen etiam in speciali aliquos diligere, et eis prodesse, qui nobis aliqua
alia amicitiae ratione coniuncti sunt : nam omnes aliae licitae dilectiones
sub caritate comprehenduntur, ut supra dictum est; unde dicit Augustinus
[lib. I de Doctr. christ., cap.
XXVIII] :Cum omnibus prodesse non possis; his potissimum consulendum est, qui
pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius
tibi quasi quadam sorte iunguntur; pro sorte enim habendum est prout quisque
tibi temporaliter colligatius adhaeret, ex quo eligis potius illi dandum esse.
Cependant nous sommes tenus aussi d'aimer certains
en particulier, et d'кtre utiles а ceux qui nous sont unis par quelque autre
raison d'amitiй ; car toutes les autres amours licites sont comprises dans la
charitй, comme il a йtй dit plus haut, ainsi Augustin (La Doctrine chrйtienne, I, 28),
dit : " Comme tu ne peux кtre
utile а tous, il te faut dйcider [de l'кtre] plutфt а ceux qui, en raison du
lieu, du temps ou de n'importe quelles circonstances, te sont unis par un
certain hasard; en effet il faut considйrer que c'est par hasard dans la
mesure oщ chacun s’attache а toi plus йtroitement selon le temps, а partir de
quoi tu choisis que c'est plutфt а lui qu'il faut donner".
Ex
quo patet quod non tenemur ex caritatis praecepto ut dilectionis affectu vel
operis effectu moveamur in speciali ad eum qui nulla alia constrictione nobis
coniungitur, nisi forte pro loco et tempore; utpote si videremus eum in
aliqua necessitate per quam sine nobis ei succurri non posset. Tenemur tamen
affectu et effectu caritatis, quo omnes proximos diligimus, et pro omnibus
oramus, non excludere etiam illos qui nulla nobis speciali constrictione
coniunguntur, ut puta illos qui sunt in India vel in Aethiopia.
D'oщ il est clair que nous ne sommes pas
tenus, par le prйcepte de charitй, d'кtre poussйs par l'affection d'amour ou
l'effet de l'њuvre, en particulier, vers celui qui ne nous est uni par aucun
autre lien sinon par le hasard du lieu et du temps, au cas oщ nous le voyons
dans quelque nйcessitй dans laquelle sans nous il ne pourrait pas lui кtre
portй secours. Cependant nous sommes tenus,
par la charitй affective et effective dont nous aimons tous nos proches et
nous prions pour tous, de ne pas mкme exclure ceux qui ne nous sont unis par
aucun lien spйcial, par exemple ceux qui sont en Inde ou en Ethiopie.
Cum
etiam ad inimicum nulla alia unio nobis remaneat nisi sola unio caritatis; ex
necessitate praecepti teneremur diligere eos in communi, et affectu et
effectu, et in speciali, quando necessitatis articulus immineret; sed quod
homo specialem affectum et effectum dilectionis, quem ad alios sibi
coniunctos impendit, inimicis exhibeat propter Deum, hoc perfectae caritatis
est, et sub consilio cadit. Ex perfectione enim caritatis procedit quod sola
caritas sic moveat ad inimicum, sicut ad amicum movet et caritas et specialis
dilectio.
Puisqu’aussi avec un ennemi aucun autre
lien ne nous reste sinon le seul lien de la charitй, nous serions tenus, par
la nйcessitй du prйcepte, de les aimer en gйnйral, affectivement et
effectivement, et en particulier, quand un besoin impйrieux les menacerait ;
mais montrer а des ennemis, а cause de Dieu, le mкme sentiment particulier et
effet de l'amour qu'aux autres qui sont unis а soi, cela est d'une parfaite
charitй, et tombe sous le conseil. En effet il procиde de la perfection de la
charitй qu’elle seule pousse ainsi vers l'ennemi, de mкme que la charitй et
l'amour particulier pousse vers l'ami.
Manifestum
est autem quod ex perfectione activae virtutis procedit quod actio agentis ad
remota procedat. Perfectior enim est ignis virtus per quam non solum
propinqua sed remota calefiunt. Ita et perfectior est caritas, per quam non
solum ad propinquos, sed etiam ad extraneos, et ulterius ad inimicos, non
solum generaliter, sed etiam specialiter, et diligendo et benefaciendo
movetur.
Or il est йvident qu'il
procиde de la perfection de la vertu active que l'action de l'agent s'avance
vers ce qui est йloignй. En effet, plus parfait est le pouvoir du feu par
lequel est rйchauffй non seulement ce qui est proche, mais aussi ce qui est
йloignй. De mкme aussi, plus parfaite est la charitй par laquelle on est
poussй non seulement vers les proches mais aussi vers les йtrangers, et
encore plus loin vers les ennemis, non seulement en gйnйral mais aussi en
particulier, en aimant et en leur rendant service.
2. De mкme qu'affectivement, de mкme aussi
effectivement nous devons aimer les ennemis, comme il a йtй dit.
[66236] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 3 Unde
etiam patet responsio ad tertium.
3. Par lа apparaоt la rйponse а l’argument
trois.
[66237] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illae
auctoritates veteris testamenti loquuntur in casu necessitatis, quando ex
praecepto tenemur benefacere inimicis, ut dictum est in corp. art.
4. Ces autoritйs de l'Ancien Testament
parlent en cas de nйcessitй, quand nous sommes tenus par le prйcepte de
rendre service aux ennemis, comme il a йtй dit dans le corps de l'article.
[66238] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod
dicitur, Odio habebis inimicum tuum,
in toto veteri testamento non invenitur; sed hoc erat ex traditione Scribarum
quibus visum fuit hoc esse addendum, quia dominus praecepit filiis Israel
persequi inimicos suos. Vel dicendum est, quod haec vox, Odio habebis inimicum tuum, non est accipienda ut iubentis iusto,
sed ut permittentis infirmo, ut Augustinus dicit in Lib. de sermone Domini in monte [lib. I, cap. XLI]. Vel,
sicut etiam Augustinus dicit contra
Faustum, non debent homines inimicos odire, sed vitium.
5. Ce qui est dit, "Tu haпras ton ennemi", ne se
trouve nulle part dans l'Ancien Testament, mais que cela venait d'une
Tradition des scribes qui ont jugй bon d'ajouter cela, parce que le Seigneur
a prescrit aux fils d'Israлl de persйcuter leurs ennemis. Ou il faut dire que
cette parole "Tu haпras ton ennemi"
ne doit pas кtre prise comme un ordre donnй au juste mais comme une
permission donnйe au faible, comme dit Augustin dans le Sermondu Seigneursur la montagne, I, 41. Ou bien, comme
dit encore Augustin dans le ContreFauste, "les hommes ne doivent
pas haпr les ennemis mais le vice".
[66239] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inimicus, ut
inimicus, non est obiectum dilectionis, sed in quantum pertinet ad Deum; unde
hoc debemus in inimico odire quod ipse nos odit, et desiderare quod nos
diligat.
6. L'ennemi n'est pas objet d'amour en
tant qu'ennemi, mais en tant qu'il concerne Dieu ; c'est pourquoi nous
devons haпr dans l'ennemi le fait que lui-mкme nous hait, et dйsirer qu'il
nous aime.
[66240] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod, ex natura,
homo omnem hominem diligit, ut etiam philosophus dicit in VIII Ethic. Sed quod aliquis sit inimicus,
est ex aliquo quod naturae superadditur, ex quo non debet tolli naturae inclinatio.
Caritas ergo, dum ad dilectionem inimicorum movet, perficit naturalem
inclinationem; secus autem est de illis quae habent contrarietatem ex sua
natura, sicut ignis et aqua, lupus et ovis.
7. L’homme aime naturellement tout homme,
comme le dit le Philosophe aussi (Йthique
VIII). Mais que quelqu'un soit un ennemi, vient de quelque chose qui s'ajoute
а la nature, qui ne doit pas enlever l'inclination de la nature. Donc la
charitй, tant qu'elle incite а l'amour des ennemis, parachиve l'inclination
naturelle ; il en est autrement de ce qui a une contradiction par nature,
comme le feu et l'eau, le loup et le mouton.
[66241] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Deus non odit in
aliquo quod suum est, scilicet bonum naturale vel quodcumque aliud, sed solum
illud quod suum non est, scilicet peccatum; et sic etiam nos in hominibus
debemus diligere quod Dei est, et odire quod est alienum a Deo; et secundum
hoc dicitur in Psalm. CXXXVIII, 22
: Perfecto odio oderam illos.
8. Dieu ne hait pas dans quelqu'un ce qui
est а lui, а savoir le bien naturel ou n'importe quoi d’autre, mais seulement
ce qui n'est pas а lui, а savoir le pйchй ; et ainsi, nous aussi devons aimer
dans les hommes ce qui vient de Dieu, et haпr ce qui est йtranger а Dieu ; et
selon cela il est dit dans le Ps
138, 22 : "D'une haine parfaite je
les haпssais".
[66242] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod praescitos et
damnatos non debemus diligere ad habendum vitam aeternam, quia iam sunt
totaliter per divinam sententiam ab ea exclusi; possumus tamen eos diligere
ut opera Dei, in quibus divina iustitia manifestatur; sic enim eos Deus
diligit. Praescitos autem nondum damnatos debemus diligere ad vitam aeternam
habendam; quia hoc nobis non constat, et praescientia divina ab eis non
excludit possibilitatem perveniendi ad vitam aeternam.
9. Nous ne devons pas aimer
les prйdestinйs, ni les damnйs, pour qu’ils aient la vie йternelle, car ils
en sont dйjа totalement exclus, par une sentence divine ; nous pouvons
cependant les aimer comme des њuvres de Dieu en lesquelles se manifeste la
justice divine, car c'est ainsi que Dieu les aime. Nous devons aimer les
prйdestinйs non encore damnйs pour qu’ils aient la vie йternelle, car cela ne
nous est pas connu, et la prescience divine n'exclut pas d'eux la possibilitй
de parvenir а la vie йternelle.
[66243] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licite potest
ille ad quem ex officio pertinet, malefactores punire, vel etiam occidere,
eos ex caritate diligendo. Dicit enim Gregorius in quadam homilia, quod iusti
persecutionem commovent, sed amantes : quia si foris increpationes per
disciplinam exaggerant, intus tamen dulcedinem per caritatem servant.
10. Celui qui est concernй par
sa profession peut licitement punir les malfaiteurs, ou mкme les tuer, tout
en les aimant de charitй. En effet Grйgoire dit dans une homйlie que les
justes suscitent les poursuites, mais en aimant ; car si extйrieurement ils
accumulent les reproches, intйrieurement cependant ils conservent la douceur
par charitй.
Possumus
enim illis quod ex caritate diligimus, velle aut inferre aliquod malum
temporale, propter tria.
Primo
quidem, propter eorum correctionem. Secundo,
in quantum aliquorum temporalis prosperitas est in detrimentum alicuius multitudinis,
vel etiam totius Ecclesiae; unde dicit Gregorius, XXII Moral. [cap. II] : Evenire
plerumque solet, ut, non amissa caritate, inimici nos ruina laetificet; et
rursus eius gloria, sine invidiae culpa, contristet; dum, corruente eo,
quosdam bene erigi credimus; et, proficiente illo, plerosque iniuste opprimi
formidamus.-
Tertio, ad
servandum ordinem divinae iustitiae, secundum illud Ps. LVII, 11 : Laetabitur iustus, cum viderit vindictam.
En effet nous pouvons pour eux vouloir et
infliger quelque mal temporel parce que nous aimons par charitй
Premiиrement pour leur correction. Deuxiиmement en tant que la prospйritй
temporelle de certains est au dйtriment de la multitude, ou encore de toute
l'Eglise, c'est pourquoi Grйgoire dit, (Morales
sur Job XXII, 2) : « La
plupart du temps il arrive par habitude que sans perdre la charitй, la ruine
de l'ennemi nous rйjouisse ; et inversement sa gloire, sans faute d'envie,
[nous] attriste ; ainsi, quand il йchoue, nous croyons que certains sont
heureusement redressйs ; et,quand
il progresse, nous redoutons que la plupart soient injustement accablйs ».
Troisiиmement, pour garder l'ordre de la justice
divine, selon cette parole (Ps 57,
11) : « Le juste se rйjouira,
quand il aura vu la vengeance ».
[66244] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod huiusmodi
propositiones, ex quibus argumentatur philosophus, sunt accipiendae per se.
Sicut enim diligere amicum, in quantum amicus est, bonum est; ita malum est
diligere inimicum, quia inimicus est; sed bonum est diligere inimicum, in
quantum ad Deum pertinet.
11. Les propositions de cette sorte, par
lesquelles le Philosophe argumente, doivent кtre prises en elles-mкmes. Car
de mкme qu'aimer un ami, en tant que tel, est un bien ; de mкme c’est un
mal d'aimer un ennemi parce qu'il est ennemi ; mais c’est un bien
d'aimer un ennemi en tant qu'il concerne Dieu.
[66245] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod diligere
amicum, in quantum amicus, et inimicum, in quantum inimicus, esset contrarium;
sed diligere amicum et inimicum, in quantum uterque est Dei, non est
contrarium, sicut nec videre album et videre nigrum, in quantum est
coloratum.
12. Aimer un ami en tant que
tel, et un ennemi que tel, serait contradictoire ; mais aimer un ami et un
ennemi, en tant que l'un et l'autre appartiennent а Dieu, n'est pas
contradictoire, comme ne pas voir le blanc et voir le noir, en tant qu'il est
colorй.
[66246] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod diligere
inimicum, in quantum inimicus est, est difficile, vel etiam impossibile; sed
diligere inimicum propter aliquid magis amatum, est facile; et sic id quod in
se videtur impossibile, caritas Dei facit facile.
13. Aimer un ennemi, en tant que tel, est
difficile ou mкme impossible ; mais aimer un ennemi а cause de quelque chose
de plus aimй, c'est facile ; et ainsi ce qui en soi paraоt impossible,
l'amour de Dieu le rend facile.
[66247] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod beatus
Thomas non expetiit poenam sui percussoris zelo vindictae, sed propter
manifestationem divinae iustitiae et virtutis.
14. Le Bienheureux Thomas n'a pas rйclamй
le chвtiment de son agresseur par zиle de vengeance, mais pour la
manifestation de la justice et de la puissance divines.
[66248] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod
imprecationes quae inveniuntur in prophetis, sunt intelligendae per
praenuntiationes, ut exponatur deleantur, id est delebuntur. Utuntur autem
tali modo loquendi, quia conformant voluntatem suam divinae iustitiae eis
revelatae.
15. Les imprйcations qui se
trouvent dans les prophиtes sont а comprendre comme des prйdictions, pour
rйvйler la destruction de ce qui sera dйtruit. Ils utilisent une telle faзon
de parler parce qu'ils conforment leur volontй а la justice divine qui leur a
йtй rйvйlйe.
[66249] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod diligere
aliquem propter se potest intelligi dupliciter.
Uno modo, ita quod aliquid
diligatur sicut ultimus finis; et sic solus Deus est propter se diligendus.
Alio modo,
ut diligamus ipsum cui volumus bonum, ut contingit in amicitia honesta; non
autem sicut bonum quod volumus nobis, ut contingit in amicitia delectabili
vel utili, in qua amicum diligimus ut bonum nostrum : non quia utilitatem vel
delectationem appetamus amico, sed quia ex amico appetimus utilitatem et
delectationem nobis; sicut et diligimus alia delectabilia nobis et utilia, ut
cibum aut vestimentum. Sed cum diligimus aliquem propter virtutem, volumus ei
bonum, non ipsum nobis; et hoc maxime contingit in amicitia caritatis.
16. Aimer quelqu'un pour lui-mкme peut
кtre compris de deux faзons.
D'une premiиre maniиre : aimer quelque chose comme une fin ultime
; et Dieu seul doit кtre ainsi aimй pour lui-mкme.
D’une autre maniиre : aimer celui а qui nous voulons du bien,
comme il arrive dans une amitiй honnкte ; mais pas comme un bien que nous
voulons pour nous, comme il arrive dans une amitiй qui cherche le plaisir ou
l'intйrкt, et dans laquelle nous aimons l'ami comme notre bien, non parce que
nous recherchons le plaisir ou l'intйrкt de l'ami, mais parce que nous
recherchons dans l'ami notre intйrкt et notre plaisir ; de mкme que nous
aimons aussi les autres choses qui nous sont agrйables et utiles, comme la
nourriture ou le vкtement. Mais quand nous aimons quelqu'un а cause de sa
vertu, nous lui voulons du bien, nous ne le [voulons] pas lui-mкme pour nous
; et cela arrive surtout dans l'amitiй de charitй.
[66250] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod diligere
inimicum melius est quam diligere amicum tantum, quia perfectiorem caritatem
demonstrat, ut supra, in corp. art., dictum est. Sed si consideremus istos
duos absolute, melius est diligere amicum quam inimicum; et melius diligere
Deum quam amicum. Non enim difficultas quae est in dilectione inimici, facit
ad rationem meriti, nisi in quantum per hoc demonstratur perfectio caritatis,
quae hanc difficultatem vincit; unde si esset tam perfecta caritas quae totam
difficultatem tolleret, adhuc esset magis meritorium. Loquimur autem in eo
qui diligit amicum ex tam perfecta caritate, quae etiam se extendat ad
dilectionem inimici, sed intensius operatur in dilectione amici; nisi forte
per accidens, in quantum contra repugnans aliquid cum maiori conatu operatur;
sicut et in rebus naturalibus aqua calefacta intensius congelatur.
17. Aimer un ennemi est
meilleur qu'aimer seulement un ami, parce que cela rйvиle une charitй plus
parfaite, comme il a йtй dit ci-dessus dans le corps de l'article. Mais si
nous considйrons ces deux aspects dans l'absolu, il est meilleur d'aimer un
ami qu’un ennemi, et il est meilleur d'aimer Dieu qu’un ami. Car ce n’est pas
la difficultй qui est dans l’amour de l’ennemi qui fait le mйrite, sauf en
tant que cela dйmontre la perfection de charitй qui vainc cette
difficultй ; c'est pourquoi s'il y avait une charitй si parfaite pour
фter toute la difficultй, elle serait encore plus mйritoire. Nous parlons de
celui qui aime un ami d’une charitй si parfaite qu'elle s'йtend mкme jusqu'а
l'amour de l'ennemi, mais elle agit plus intensйment dans l'amour de l'ami ;
sauf par hasard par accident, en tant qu’elle agit avec un plus grand effort
contre ce qui s’oppose а elle ; de mкme aussi dans ce qui est naturel, l'eau
chauffйe se congиle plus intensйment.
[66254] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 1 Quia sicut fides se habet ad credita, ita
caritas ad diligenda. Sed fides aequaliter credit omnia credenda. Ergo
caritas aequaliter diligit omnia diligenda.
1. Parce que de la mкme maniиre que la foi
se comporte vis-а-vis de ce qu’il faut croire, la charitй se comporte
vis-а-vis de ce qu’il faut aimer. Mais la foi croit de maniиre йgale tout ce
qui doit кtre cru. Donc la charitй aime de maniиre йgale tout ce qui doit
кtre aimй.
[66255] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 2 Praeterea, ordo ad rationem pertinet. Caritas
autem non est in ratione, sed in voluntate. Ergo ordo non pertinet ad
caritatem.
2. L’ordre appartient а la raison. Mais la
charitй n’est pas dans la raison, mais dans la volontй. Donc l’ordre n’appartient
pas а la charitй.
[66256]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 3 Praeterea, ubicumque est ordo, ibi est
aliquis gradus. Sed secundum Bernardum [serm. LXXIX in Cantica], Caritas gradum
nescit, dignitatem non considerat. Ergo ordo non est in caritate.
3. Partout oщ il y a de l’ordre, il y a un
degrй. Mais selon Bernard (Cant. Sermon
79) : « La charitй ignore le
degrй, elle ne considиre pas la dignitй ». Donc il n’y a pas d’ordre
dans la charitй.
[66257]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 4 Praeterea, obiectum caritatis est Deus, ut
Augustinus dicit in Lib. de Doctr.
Christ. [capit. XXVIII] : in proximo enim nihil diligit caritas nisi
Deum. Deus autem non est maior in seipso quam in proximo, nec maior in uno
proximo quam in alio. Ergo caritas non magis diligit Deum quam proximum, vel
unum proximum quam alium.
4. Dieu est l’objet de la charitй, comme
Augustin le dit dans La Doctrine
chrйtienne, (1, 28), car la charitй dans le prochain n’aime rien que
Dieu. Mais Dieu n’est pas plus grand en lui-mкme que dans le prochain, ni
plus grand dans un proche que dans un autre. Donc la charitй n’aime pas plus
Dieu que le prochain, ni un proche plus qu’un autre.
[66258]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 5 Praeterea, similitudo est ratio dilectionis,
secundum illud Eccl. XIII, 19 : Omne animal diligit simile sibi. Sed
maior est similitudo hominis ad proximum suum quam ad Deum. Ergo non est iste
ordo in caritate, ut primo diligatur Deus, sicut Ambrosius dicit.
5. La ressemblance est la raison de
l’amour, selon cette parole de l’Eccl 13,
19 : « Tout animal aime son
semblable ». Mais plus grande est la ressemblance de l’homme avec
son prochain qu’avec Dieu. Donc il n’y a pas dans la charitй cet ordre pour
aimer en premier Dieu, comme Ambroise le dit.
[66259] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 6 Praeterea,
I Ioan. IV, 20, dicitur :
Qui non diligit fratrem suum, quem
videt; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Arguit autem a
dilectione proximi ad dilectionem Dei negando. Argumentum autem negativum non
sumitur a minori, sed a maiori. Ergo magis diligendus est proximus quam Deus.
6. En 1
Jn 4, 20, il est dit : « Celui
qui n’aime pas son frиre qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit
pas ? » Mais il a raisonnй de l’amour du prochain а celui de
Dieu en se servant d’une nйgation. Mais on ne prend pas un argument nйgatif
d’un plus petit, mais d’un plus grand. Donc il faut plus aimer le prochain
que Dieu.
[66260]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 7 Praeterea, amor est vis unitiva, ut Dionysius
dicit [IV cap. de divin. Nomin.].
Sed nihil est magis unum alicui quam ipsemet. Ergo homo ex caritate non debet
magis diligere Deum quam seipsum.
7. L’amour est une force d’union, comme
Denys (Les Noms divins, 4) le dit.
Mais rien n’est plus uni а quelqu’un que lui-mкme. Donc l’homme ne doit pas
plus aimer par charitй Dieu que lui-mкme.
[66261]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in I De Doctrina Christ.[cap. XXVIII], quod
omnes homines aeque diligendi sunt. Ergo unus proximus non debet magis diligi
quam alius.
8. Augustin dit (La doctrine chrйtienne, 1, 28) que tous les hommes doivent кtre
aimйs de maniиre йgale. Donc un proche ne doit pas кtre plus aimй qu’un
autre.
[66262]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 9 Praeterea, proximum praecipitur alicui
diligere sicut seipsum. Ergo omnes proximi sunt aequaliter diligendi.
9. Il est prescrit d’aimer le prochain
comme soi-mкme. Donc tous les proches doivent кtre aimйs de maniиre йgale.
[66263]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 10 Praeterea, illum magis diligimus cui maius
bonum volumus. Sed omnibus proximis volumus ex caritate unum bonum, quod est
vita aeterna. Ergo unum proximum non debemus plus diligere quam alium.
10. Nous aimons plus celui а qui nous
voulons un bien plus grand. Mais nous voulons par charitй pour tous nos
proches un seul bien qui est la vie йternelle. Donc nous ne devons pas aimer
un proche plus qu’un autre.
[66264]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 11 Praeterea, si ordo est conditio caritatis,
oportet quod cadat sub praecepto. Sed non videtur sub praecepto cadere; quia
dummodo aliquem diligamus quem debemus, non videmur peccare, si alium
quemcumque diligamus plus. Ergo ordo non est conditio caritatis.
11. Si l’ordre est la condition de la
charitй, il est nйcessaire qu’il tombe sous le prйcepte. Mais il ne semble
pas y tomber ; parce que pendant que nous aimons quelqu'un que nous
devons aimer, nous ne semblons pas pйcher, si nous en aimons plus un autre
quelconque. Donc l’ordre n’est pas la condition de la charitй.
[66265] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 12
Praeterea, caritas viae imitatur caritatem patriae. Sed in patria magis
amantur meliores, non autem propinquiores. Ergo videtur, si est aliquis ordo
caritatis, quod etiam in via magis amandi sint meliores, et non
propinquiores; quod est contra Ambrosium, qui dicit, quod primo diligendus
est Deus, secundo parentes, deinde filii, post domestici.
12. La charitй de la voie imite celle de
la patrie. Mais dans la patrie les meilleurs sont plus aimйs mais pas les
plus proches. Donc il semble, s’il y a un ordre de charitй qu’aussi dans la
voie les meilleurs doivent кtre plus aimйs, et non les plus proches ; ce
qui est contre Ambroise, qui dit, que Dieu doit кtre aimй en premier, les
parents en second, ensuite les enfants et aprиs les serviteurs.
[66266]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 13 Praeterea, ratio diligendi aliquem ex
caritate, est Deus. Sed aliquando extranei magis sunt coniuncti Deo quam
propinqui, vel etiam parentes. Ergo sunt magis ex caritate diligendi.
13. La raison d’aimer quelqu'un par
charitй, c’est Dieu. Mais quelquefois les йtrangers sont plus unis а Dieu que
nos proches, ou mкme que nos parents. Donc ils doivent plus кtre aimйs par
charitй.
[66267]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 14 Praeterea, sicut dicit Gregorius in quadam
homilia, Probatio dilectionis est
exhibitio operis. Sed aliquando effectus dilectionis, qui est
beneficentia, magis exhibetur extraneo, quam proximo, ut patet in collatione
ecclesiasticorum beneficiorum. Ergo non videtur quod propinqui sint magis
diligendi ex caritate.
14. Comme le dit Grйgoire en une Homйlie :
« La preuve de l’amour est de
montrer l’њuvre ». Mais quelquefois l’effet de l’amour qui est
bienfaisance, se montre plus а un йtranger qu’au prochain, comme on le voit
dans l’attribution des privilиges ecclйsiastiques. Donc il ne semble pas que
les proches doivent кtre plus aimйs par charitй.
[66268]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 15 Praeterea, I Ioan., III, 18, dicitur : Non
diligamus ore neque lingua, sed opere et veritate. Sed aliquando plus de
opere dilectionis exhibemus aliis quam parentibus; puta, miles plus obedit
duci exercitus quam patri; et plus debet reddere benefactori quam patri, si
in aequali necessitate existat. Ergo non sunt parentes plus diligendi.
15. En I
Jn., 3, 18, il est dit : « Nous
n’aimons ni de mots ni de langue, mais en acte et en vйritй ». Mais
quelquefois nous montrons plus une њuvre d’amour, aux autres qu’а nos
parents ; par exemple, le soldat obйit plus au gйnйral de l’armйe qu’а
son pиre ; et il doit rendre plus а son bienfaiteur qu’а son pиre, s’il
cela arrive dans une йgale nйcessitй. Donc ce ne sont pas les parents qui
doivent le plus кtre aimйs.
[66269]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, quod illi quos
ex sacro fonte suscepimus, magis sunt a nobis diligendi quam illi quos ex
carne nostra genuimus. Ergo extranei magis sunt diligendi quam propinqui.
16. Grйgoire dit que nous devons plus
aimer ceux que nous recevons par la source sacrйe, que ceux que nous engendrons de
notre chair. Donc les йtrangers doivent кtre plus aimйs que les proches.
[66270]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 17 Praeterea, ille est magis diligendus, cuius
amicitia vituperabilius rescinditur. Sed vituperabilius videtur rescindi
amicitia aliorum amicorum quos sponte eligimus, quam propinquorum, qui nobis
non ex nostra electione, sed sorte naturae provenerunt. Ergo magis sunt
diligendi alii amici quam propinqui.
17. Doit кtre le plus aimй, celui dont
l’amitiй est rompue de maniиre plus blвmable. Mais il semble plus blвmable de
rompre l’amitiй des autres amis que nous choisissons spontanйment, que celle
de nos proches, qui ne nous proviennent pas de notre choix, mais par le
hasard de la nature. Donc doivent кtre plus aimйs les autres amis que les
proches.
[66271]
De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 18 Praeterea, si ratione propinquitatis maioris
est aliquis magis diligendus; cum uxor sit magis propinqua, quae est unum
corpus, et filii, qui sunt aliquid generantis, sint magis propinqui quam
parentes, videtur quod sint magis diligendi filii et uxor quam parentes. Non
ergo parentes sunt maxime diligendi. Sic igitur non videtur esse ordo in
caritate qui a sanctis assignatur.
18. Ainsi quelqu’un doit кtre plus aimй en
raison d’une plus grande proximitй ; comme l’йpouse est plus proche qui
est un seul corps, et les enfants, qui sont une part de celui qui les
engendre ils sont plus proches que les parents, et il semble que les enfants
et l’йpouse doivent кtre plus aimйs que les parents. Donc les parents ne sont
pas а aimer au plus haut point. Donc ainsi il ne semble pas qu’il y ait un ordre
dans la charitй que les saints nous rйvиlent.
En sens contraire :
[66272]
De virtutibus, q. 2 a. 9 s. c. Sed contra, est quod dicitur Cantic. II, v. 4 : Introduxit me rex in cellam vinariam,
ordinavit in me caritatem.
Il y a ce qui est dit dans Ct 2, 4 : « Le roi m’a introduit dans le cellier а vin, il a mis l’amour en ordre
en moi[57]».
Rйponse :
[66273] De virtutibus, q. 2 a. 9 co.
Respondeo. Dicendum, quod secundum omnem sententiam et auctoritatem
Scripturae, indubitanter iste ordo in caritate significandus est, ut Deus
affectu et effectu super omnia diligatur.
Selon toute locution et autoritй de
l’Йcriture, il faut signaler de maniиre indubitable cet ordre dans la
charitй, de sorte que Dieu soit aimй par-dessus tout affectivement et
effectivement.
Sed quantum ad dilectionem proximorum,
fuit quorumdam opinio, ut ordo caritatis attendatur secundum effectum, et non
secundum affectum; et fuerunt moti ex dicto Augustini, qui dicit [lib. I de Doct. Christ. Cap. XXVIII], quod
omnes homines aeque diligendi sunt; Sed
cum omnibus prodesse non possis, his potissime consulendum est qui pro
locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi
quasi quadam sorte coniunguntur.
Mais au sujet de l’amour des proches, il y
a eu l’opinion de certains qu’on atteint l’ordre de la charitй effectivement,
et non affectivement et ils y ont йtй poussйs par les paroles d’Augustin (La doctrine chrйtienne, I, 28) qui dit
que tous les hommes doivent кtre йgalement aimйs : « Mais comme tu ne pourrais pas кtre utile
pour tous, il faut rйflйchir de prйfйrence, а ce qui t’est plus liй selon les
lieux, les temps ou par certaines opportunitйs, comme s’ils йtaient unis par
quelque hasard ».
Sed ista positio
irrationabilis videtur. Sic enim Deus providet unicuique secundum quod
conditio eius requirit; unde tendentibus in finem naturae imprimitur a Deo
amor et appetitus finis, secundum quod exigit sua conditio ut tendat in
finem; unde quorum est vehementior motus secundum naturam in aliquem finem,
eorum etiam est maior inclinatio in illum, quae est appetitus naturalis, ut
patet in gravibus et levibus. Sicut autem appetitus vel amor naturalis est
inclinatio quaedam, indita rebus naturalibus ad fines connaturales, ita
dilectio caritatis est inclinatio quaedam infusa rationali naturae ad
tendendum in Deum. Secundum
igitur quod necesse est alicui tendere in Deum, secundum hoc ex caritate
inclinatur.
Mais cette position semble hors de raison.
Car ainsi Dieu pourvoit а chacun selon que sa condition le demande ;
c'est pourquoi а ceux qui tendent а la fin de la nature l’amour et l’appйtit
de la fin est induit par Dieu, selon ce qu’exige leur condition pour tendre а
la fin ; c'est pourquoi de ceux dont le mouvement est plus fort selon la
nature pour une certaine fin, de ceux-lа aussi il y a une plus grande
inclination vers lui, qui est l’appйtit naturel, comme on le voit dans ce qui
est lourd et lйger. De mкme aussi que l’appйtit ou l’amour naturels sont une
inclination, induite dans les choses naturelles, pour des fins naturelles, de
mкme l’amour de charitй est une inclination infusйe dans la nature
raisonnable pour tendre а Dieu. Donc selon qu’il est nйcessaire а quelqu'un
de tendre а Dieu, il y est ainsi inclinй par la charitй.
Tendituris autem in Deum sicut in finem,
id quod maxime necessarium est,
divinum auxilium est; secundo autem
auxilium quod est a seipso; tertio
autem cooperatio, quae est a proximo : et in hoc est gradus. Nam quidam cooperantur tantum in generali; alii vero, qui sunt magis
coniuncti, in speciali; non enim
omnes omnibus in specialibus cooperari possent. Qui autem impediunt, in
quantum huiusmodi, sunt odiendi, quicumque sunt; unde Dominus dicit, Luc., XIV, 26 : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem (...) non
potest esse meus discipulus. Ultimo autem diligendum est corpus nostrum.
Sic etiam secundum actum quem caritas elicit, attendendus est ordo secundum
affectum in dilectione proximorum.
Mais а ceux qui veulent tendre а Dieu
comme а leur fin, ce qui est tout а
fait nйcessaire, il y a une aide divine ; deuxiиmement une aide qui vient de soi-mкme ; troisiиmement une coopйration qui
vient du prochain, et c’est en cela qu’il y a un degrй. Car certains coopиrent seulement en ce qui
est gйnйral, mais d’autres, qui
sont plus unis, en ce qui est particulier ;
car ce ne sont pas tous qui pourraient coopйrer dans le particulier. Mais
ceux qui apportent des empкchements, en tant que tels, sont а haпr, quels
qu’ils soient ; c'est pourquoi le Seigneur dit (Lc 14, 26) : « Si
quelqu'un vient а moi et ne hait pas son pиre et sa mиre (…) il ne peut pas
кtre mon disciple ». Mais en dernier il faut aimer notre corps. Mais
ainsi selon l’acte que la charitй choisit, il faut atteindre un ordre selon
l’affection dans l’amour des proches.
Sed etiam considerandum est, quod sicut
supra, art. 7 et 8, diximus, etiam aliae dilectiones licitae et honestae,
quae sunt ex aliquibus aliis causis, ordinari possunt ad caritatem; et sic
caritas illarum dilectionum actus imperare potest; et sic quod magis secundum
aliquam illarum dilectionum diligitur, magis diligitur ex caritate imperante.
Mais il faut considйrer aussi, que comme
ci-dessus art. 7, et 8, nous l’avons dit qu’aussi les autres amours licites
et honnкtes, qui dйpendent de certaines autres causes, peuvent кtre ordonnйs
а la charitй, et ainsi la charitй peut commander les actes d’amour, et ainsi
ce qui est plus aimй selon l’un de ces amours, est plus aimй quand la charitй
le commande.
Manifestum est autem quod secundum
dilectionem naturalem propinqui plus diliguntur etiam secundum affectum, et
secundum dilectionem socialem plus coniuncti, et sic de aliis dilectionibus.
Unde
manifestum fit, quod etiam secundum affectum unus proximorum magis est
diligendus quam alius, et ex caritate imperante actus aliarum amicitiarum licitarum.
Mais il est йvident que selon l’amour
naturel les proches sont plus aimйs aussi selon l’affection et plus unis
selon l’amour social, et ainsi des autres amours.
C'est
pourquoi il devient йvident qu’aussi selon l’affection l’un des proches doit
кtre plus aimй qu’un autre, et avec la charitй qui commande les actes des
autres amitiйs permises.
Solutions
:
[66274]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectum fidei
est verum; unde secundum quod contingit esse aliquid magis verum, sic etiam
contingit aliquid magis credere. Cum autem veritas constet in adaequatione
intellectus et rei, si consideretur veritas secundum rationem aequalitatis,
quae non recipit magis et minus, sic non contingit esse aliquid magis et
minus verum; sed si consideretur ipsum esse rei, quod est ratio veritatis,
sicut dicitur in II Metaphys.,
[comm. 4] eadem est dispositio rerum in esse et veritate : unde quae sunt
magis entia, sunt magis vera; et propter hoc etiam in scientiis
demonstrativis magis creduntur principia quam conclusiones. Et sic
etiam contingit in his quae sunt fidei. Unde apostolus, I ad Corinth., XV, probat resurrectionem mortuorum futuram per
resurrectionem Christi.
1. L’objet de la foi est la vйritй ;
c'est pourquoi selon qu’il arrive qu’il y ait quelque chose de plus vrai, il
arrive aussi de le croire plus. Mais comme la vйritй existe dans l’adйquation
de l’intellect et de la chose, si on considиre la vйritй selon la nature
d’йgalitй, qui ne reзoit ni plus ni moins, il n’arrive pas qu’il y ait
quelque chose de plus ou moins vrai, mais si on considйrait que l’кtre mкme
de la chose, qui est la raison de la vйritй, comme il est dit en Mйtaphysique, II, (comm. 4), la
disposition des choses est la mкme dans l’кtre et la vйritй ; c'est
pourquoi ce qui est plus йtant est plus vrai, et а cause de cela aussi dans
les sciences dйmonstratives on croit plus aux principes qu’aux conclusions.
Et cela arrive aussi en ce qui concerne la foi. C'est pourquoi l’apфtre, (1 Co 15) ; prouve la rйsurrection
future des morts, par la rйsurrection du Christ.
[66275]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo rationis est ut
ordinantis; sed voluntatis ut ordinatae; et sic convenit ordo caritati.
2. L’ordre de la raison est comme de celui
qui met en ordre, mais celui de la volontй comme de ce qui est ordonnй, et
ainsi l’ordre convient а la charitй.
[66276]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas gradum nescit
amantis ad amatum, quia unit utrumque; sed duorum diligibilium, non ignorat.
3. La charitй ne connaоt pas de degrй de
l’amant а l’aimй, parce qu’elle unit l’un et l’autre ; mais elle
n’ignore pas [le degrй] entre de deux choses а aimer.
[66277]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet Deus non sit maior
in uno quam in alio, tamen magis et perfectius est in seipso quam in
creatura; et in una creatura quam in alia.
4. Bien que Dieu ne soit pas plus grand en
l’un qu’en un autre, cependant il est plus et plus parfait en lui-mкme que
dans la crйature et ainsi [plus] dans une crйature que dans une autre.
[66278]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in dilectione, cuius
principale obiectum est ipse diligens, necesse est quod magis diligatur id
quod est diligenti similius, sicut accidit in dilectione naturali. Sed in
dilectione caritatis principale obiectum est ipse Deus; unde magis diligendum
est ex caritate quod magis est unum cum Deo, ceteris paribus.
5. Dans l’amour dont l’objet principal est
celui qui aime, il est nйcessaire que soit plus aimй ce qui est plus
semblable а celui qui aime, comme il arrive dans l’amour naturel. Mais dans
l’amour de charitй l’objet principal est Dieu lui-mкme. C'est pourquoi doit
кtre plus aimй par charitй ce qui est plus un avec Dieu, les autres conditions
йtant йgales.
[66279]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod apostolus argumentatur
secundum eos qui visibilibus praecipue inhaerent, a quibus visibilia
invisibilibus magis diliguntur.
6. L’apфtre argumente selon ceux qui
adhиrent principalement а ce qui est visible, ils aiment plus ce qui est
visible que ce qui est invisible.
[66280]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod unitate naturae
nihil est magis unum quam nos; sed unitate affectus, cuius obiectum est
bonum, summe bonum debet esse magis unum quam nos.
7. Par l’unitй de la nature rien n’est
plus un que nous, mais par l’unitй de l’affection dont l’objet est le bien,
le bien suprкme doit кtre plus un que nous.
[66281]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnes homines sunt
aeque diligendi, in quantum omnibus aequale bonum velle debemus, scilicet
vitam aeternam.
8. Tous les hommes doivent кtre aimйs а
йgalitй, en tant que pour tous nous devons vouloir un bien йgal, а savoir la
vie йternelle.
[66282]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod proximum tenetur
aliquis diligere sicut seipsum, non tamen quantum seipsum; propter quod non
sequitur quod omnes proximi sint aequaliter diligendi.
9. On est tenu d’aimer son prochain comme
soi-mкme, non cependant pas autant que soi-mкme ; c’est pourquoi il n’en
dйcoule pas que tous les proches doivent кtre aimйs йgalement.
[66283]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquem dicimus
magis diligere, non solum quia maius bonum ei volumus, sed etiam quia
intensiori affectu idem bonum ei optamus; et sic, licet omnibus optemus unum
bonum, quod est vita aeterna, non tamen omnes aequaliter diligimus.
10. Nous disons que nous aimons plus
quelqu'un, non seulement parce que nous lui voulons un plus grand bien, mais
aussi parce que nous souhaitons pour lui un mкme bien, mais avec une
affection plus intense ; et ainsi, bien que nous souhaitons un seul bien
pour tous, qui est la vie йternelle, cependant nous ne les aimons pas tous de
maniиre йgale.
[66284]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non potest esse
quod alicui impendamus de dilectione quod debemus, si alium quem minus
diligere debemus, amplius diligamus; potest enim contingere quod in
necessitatis articulo amplius subveniatur alteri, in derogationem eius quem
plus amare debemus.
11. Il n’est pas possible que nous
consacrions а quelqu'un de l’amour que nous lui devons, si nous aimons plus
un autre que nous devons moins aimer ; car il peut arriver quand c’est
nйcessaire, qu’on vienne en aide plus а un autre, en dйrogation de celui que
nous devons aimer davantage.
[66285]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod illi qui
sunt in patria, sunt coniuncti ultimo fini : et ideo solum illorum dilectio
regulatur ex ipso fine; unde ordo caritatis in eis non attenditur nisi
secundum propinquitatem ad Deum : et propter hoc Deo propinquiores magis
amantur. Sed in via nobis est necessarium tendere in finem; et ideo ordo
dilectionis attenditur etiam secundum mensuram auxilii, quod ex aliis
consequitur ad tendendum in finem; et sic non semper meliores magis amantur,
sed attenditur etiam ratio propinquitatis, ut ex utroque coniunctim sumatur
ratio maioris dilectionis.
12. Ceux qui sont dans la patrie, sont
unis а leur fin ultime ; et ainsi seulement leur amour est rйgulй par la
fin elle-mкme ; c'est pourquoi l’ordre de la charitй en eux n’est
atteinte que selon la proximitй а Dieu : et а cause de cela les plus proches
de Dieu sont plus aimйs. Mais en cette voie, il nous est nйcessaire de tendre
а la fin, et c'est pourquoi l’ordre de l’amour est atteint aussi selon la
mesure de l’aide, qui dйcoule des autres pour tendre а la fin ; et ainsi
ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont les plus aimйs, mais aussi on
atteint la raison de la proximitй, pour que de l’un et l’autre en commun on
choisisse la raison d’un plus grand amour.
[66286] De
virtutibus, q. 2 a. 9 ad 13 Et per hoc etiam patet responsio ad
decimumtertium.
13 Et ainsi paraоt la rйponse а la
treiziиme objection.
[66287]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod praelatus
aliquis non potest conferre beneficia in quantum est Petrus vel Martinus, sed
in quantum est magister Ecclesiae; et ideo in collatione ecclesiasticorum
beneficiorum non debet attendere propinquitatem ad se, sed propinquitatem ad
Deum, et utilitatem Ecclesiae : sicut dispensator alicuius familiae attendere
debet, in dispensando res domini sui, servitium quod exhibetur domino suo, et
non servitium quod exhibetur sibi. In rebus autem propriis, sicut
patrimonialibus bonis, vel quae ex industria suae personae acquirit ut
propria, debet attendi in benefaciendo ordo propinquitatis ad ipsum
beneficium.
14 Un prйlat ne peut pas confйrer des
bйnйfices en tant que c’est Pierre ou Martin, mais en tant que maоtre de
l’Йglise ; et c'est pourquoi dans l’attribution des privilиges
ecclesiastiques, il ne doit pas tendre а ce qui est proche pour lui-mкme,
mais proche pour Dieu, et l’utilitй de l’Йglise : de mкme que le rйgisseur
d’une famille doit tendre, en dispensant les choses de son maоtre, au service
qu’il effectue pour son maоtre et non pour lui-mкme. Mais dans les biens
propres, comme dans les biens patrimoniaux, ou ce qu’il acquiert par
l’activitй de sa personne comme biens particuliиrs, l’ordre de proximitй au
bienfait doit кtre atteint en l’accordant.
[66288]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum ea
quae pertinent proprie ad propriam personam alicuius, plus debet exhibere
dilectionis effectum parentibus quam extraneis; nisi forte in quantum in bono
alicuius extranei penderet bonum commune, quod etiam sibi ipsi imponere
quisque debet : ut cum aliquis seipsum periculo mortis exponit, ad salvandum
in bello ducem exercitus, vel in civitate principem civitatis, in quantum ex
eis dependet salus totius communitatis. Sed secundum ea quae pertinent ad
aliquid ratione alicuius adiuncti, utpote in quantum est civis vel miles,
plus debet obedire rectori civitatis, vel duci, quam patri.
15. Selon ce qui concerne au sens propre
la personne particuliиre, elle doit montrer un effet d’amour pour ses parents
plus que pour les йtrangers ; а moins que par hasard, le bien commun se
trouve dans le bien d’un йtranger, ce que aussi chacun doit appliquer pour lui-mкme ;
comme quand quelqu'un s’expose au pйril de la mort, pour sauver а la guerre
le gйnйral de l’armйe ou dans la citй son prince, en tant que dйpend d’eux le
salut de toute la communautй. Mais selon ce qui convient а quelque chose en
raison de ce qui lui est joint, en tant qu’il est citoyen ou soldat, il doit
obйir davantage au gouverneur de la citй, ou au gйnйral qu’а son pиre.
[66289]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod auctoritas
Gregorii est intelligenda quantum ad illa qua ad regenerationem spiritualem
pertinent, in quibus tenemur his quos ex sacro fonte suscepimus.
16. L’autoritй de Grйgoire est а penser
pour ce qui convient а la rйgйnйration spirituelle, en ceux en qui nous
sommes tenus par ceux que nous recevons de la source sacrйe.
[66290]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ratio illa
procedit quantum ad illa quae pertinent ad socialem vitam, in qua fundatur
amicitia extraneorum.
17. Cette raison est valable pour ce qui
concerne la vie sociale, en laquelle est fondйe l’amitiй des йtrangers.
[66291]
De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod secundum
illam dilectionem qua aliquis diligit seipsum, plus diligit uxorem et filios,
quam parentes, quia uxor est aliquid viri, et filius patris; unde dilectio
quae habetur ad uxorem et filium magis includitur in dilectione qua aliquis
diligit seipsum, quam dilectio quae habetur ad patrem. Sed hoc non est
diligere filium ratione eius, sed ratione sui ipsius. Sed secundum modum dilectionis
qua diligimus aliquem ratione eius, plus diligendus est pater quam filius, in
quantum ex patre maius beneficium suscepimus, et in quantum honor filii magis
dependet ex honore patris quam e converso; et ideo in exhibitione
reverentiae, et in obediendo, et in satisfaciendo voluntati eius, et in
similibus, tenetur homo magis patri quam filio; sed in subventione
necessariorum plus tenetur homo filio quam parenti, quia parentes debent
thesaurizare filiis, et non e converso, ut dicitur 1 Corinth., IV.
18. Selon cet amour par lequel quelqu'un
s’aime lui-mкme, il aime plus son йpouse et ses enfants que ses parents,
parce que l’йpouse appartient а son mari, et le fils а son pиre ; c'est
pourquoi l’amour qu’on a pour l’йpouse et le fils est plus inclus dans l’amour
par lequel quelqu'un s’aime lui-mкme, que l’amour qu’il a pour son pиre. Mais
cela ce n’est pas aimer le fils en sa raison, mais en raison de soi-mкme.
Mais selon le mode d’amour par laquel nous aimons quelqu'un selon son
interкt, le pиre doit кtre plus aimй que le fils, en tant que nous recevons
de lui plus de bienfait, et en tant que l’honneur du fils dйpend davantage de
l’honneur du pиre que l’inverse ; et c'est pourquoi quand on montre du
respect, et en obйissant, et en satisfaisant а sa volontй ; et en autres
choses semblables, l’homme est tenu plus а son pиre qu’а son fils, mais dans
l’aide pour ce qui est nйcessaire, l’homme est plus tenu а son fils qu’а son
pиre parce que les parents doivent amasser pour leur fils et non le
contraire, comme il est dit en 1 Co 4.
Articulus 10 : [66292] De virtutibus, q. 2 a.
10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum possibile sit caritatem esse perfectam in
hac vita
Article 10 – Est-il
possible que la charitй soit parfaite en cette vie ?
[66293] De virtutibus, q. 2 a.
10 tit. 2 Et videtur quod sic.
[66294] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 1 Quia Deus nihil impossibile homini praecipit, ut Hieronymus dicit.
Sed perfectio caritatis ponitur in praecepto, ut patet Deuter., VI, 5 : Diliges dominum
Deum tuum ex toto corde tuo; totum enim et perfectum idem sunt. Ergo
possibile est caritatem esse perfectam in hac vita.
1. Dieu ne commande rien d’impossible а
l’homme, comme le dit Jйrфme. Mais la perfection de la charitй est placйe
dans le prйcepte, comme on le voit en Deut.,
6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu, de tout ton cњur » ; car le tout et le parfait sont
indentiques. Donc il est possible que la charitй soit parfaite en cette vie
[66295] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [in lib. De vera Relig., cap. XLVII], quod perfecta caritas est ut meliora
magis diligantur. Sed hoc est possibile in hac vita. Ergo caritas potest esse
in hac vita perfecta.
2. Augustin (La vraie Religion, 47) dit que la charitй est parfaite pour aimer
plus ce qui est meilleur. Mais cela est possible en cette vie. Donc la
charitй peut кtre parfaite en cette vie.
[66296] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 3 Praeterea, ratio amoris in quadam unione consistit. Sed caritas in
hac vita maxime potest esse unum; quia qui
adhaeret Deo, unus spiritus est, ut dicitur 1 Corinth., VI, 17. Ergo caritas in hac vita potest esse
perfecta.
3. La nature de l’amour consiste dans une
certaine union. Mais la charitй en cette vie peut кtre au plus haut point
quelque chose d’unique : parce que « qui
adhиre а Dieu est un seul esprit [avec lui] », comme il est dit (1 Co 6, 17). Donc la charitй en cette
vie peut кtre parfaite.
[66297] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 4 Praeterea, perfectum est aliquid quod maxime recedit a contrario.
Sed caritas in hac vita potest resistere omni peccato et tentationi. Ergo
caritas in hac vita potest esse perfecta.
Le parfait est ce qui s’йloigne le plus du
contraire. Mais la charitй en cette vie peut rйsister а tout pйchй et а toute
tentation. Donc la charitй en cette vie peut кtre parfaite.
[66298] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 5 Praeterea,
affectus noster in hac vita immediate fertur in Deum per dilectionem. Sed
quando intellectus immediate ferretur in Deum, perfecte et totaliter ipsum cognosceremus.
Ergo nunc perfecte et totaliter Deum diligimus : est ergo in hac vita caritas
perfecta.
5. Notre affection en cette vie est
immйdiatement portйe en Dieu, par l’amour. Mais quand l’intellect sera
immйdiatement portй en Dieu, nous le connaоtrons parfaitement et totalement.
Donc maintenant nous aimons Dieu parfaitement et totalement : donc la charitй
est parfaite en cette vie.
[66299] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 6 Praeterea, voluntas est domina sui actus. Sed diligere Deum, est
actus voluntatis. Ergo voluntas humana potest totaliter et perfecte ferri in
Deum.
6. La volontй est maоtresse de son acte.
Mais aimer Dieu est un acte de volontй. Donc la volontй humaine peut кtre
portйe totalement et parfaitement en Dieu.
[66300] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 7 Praeterea, obiectum caritatis est divina bonitas, quae est
delectabilissima. Sed in eo quod est delectabile, non est difficile continue
perseverare, et sine intermissione. Ergo videtur quod in hac vita de facili
possit perfectio caritatis haberi.
7. L’objet de la charitй est la bontй
divine, qui est tout а fait dйlectable. Mais en ce qui est dйlectable, il
n’est pas difficile de persйvйrer continuellement, et sans interruption. Donc
il semble qu’en cette vie on pourrait avoir facilement la perfection de la
charitй.
[66301] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 8 Praeterea, quod simplex est et indivisibile, si aliquo modo
habetur, totum habetur. Sed amor caritatis est simplex et indivisibilis, et
ex parte animae diligentis, et ex parte obiecti diligibilis, quod est Deus.
Ergo, si quis habet in hac vita caritatem, totaliter et perfecte habet.
8. Ce qui est simple et indivisible, si on
le possиde de quelque maniиre, on le possиde tout entier. Mais l’amour de
charitй est simple et indivisible et du cфtй de l’вme de celui qui aime et du
cфtй de l’objet а aimer qui est Dieu. Donc si quelqu'un a la charitй en cette
vie, il l’a totalement et parfaitement.
[66302] De virtutibus, q. 2 a.
10 arg. 9 Praeterea, caritas est nobilissima virtutum, secundum illud 1 Cor., XII, 31 : Adhuc excellentiorem viam vobis demonstro, scilicet caritatis. Sed aliae virtutes possunt esse perfectae in
hac vita. Ergo et caritas.
9. La charitй est la plus noble des vertus
selon cette parole de 1 Co 12, 31 :
« Je vous rйvиle une voie bien
meilleure», а savoir celle de la charitй. Mais les autres vertus peuvent
кtre parfaites en cette vie. Donc la charitй aussi.
En sens contraire :
[66303] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 1 Sed contra.
Cum caritati repugnet omne peccatum, ut dictum est, perfectio caritatis
requirit quod homo sit omnino absque peccato. Sed hoc non potest esse in hac
vita, secundum illud I Ioan., I, 8
: Si dixerimus quia peccatum non
habemus, nos ipsos seducimus. Ergo perfecta caritas in hac
vita haberi non potest.
1. Comme tout pйchй s’oppose а la charitй,
comme il a йtй dit, la perfection de la charitй requiert que l’homme soit
tout а fait sans pйchй. Mais cela n’est pas possible en cette vie, selon
cette parole de I Jn 1, 8 : « Si nous avons dit que nous n’avons pas de pйchй,
nous nous trompons nous-mкmes ». Donc on ne peut pas avoir la
charitй parfaite en cette vie.
[66304] De virtutibus, q. 2 a.
10 s. c. 2 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in
Lib. de Trinit. [lib. X]. Sed in hac vita Deus perfecte non potest
cognosci, secundum illud 1 Cor.,
XIII, 9 : Nunc ex parte cognoscimus.
Ergo nec etiam potest perfecte diligi.
2. Rien n’est aimй que s’il est connu,
comme le dit Augustin dans La Trinitй, X. Mais en cette vie Dieu ne peut pas
кtre connu parfaitement, selon cette parole de 1 Co 13, 9 : « Maintenant,
nous connaissons partiellement». Donc il ne peut pas non plus кtre aimй
parfaitement.
[66305] De virtutibus, q. 2 a.
10 s. c. 3 Praeterea, illud quod semper potest proficere, non est perfectum. Sed caritas in hac vita semper potest
proficere, ut dicitur in sermone. Ergo
caritas in hac vita semper perfecta esse non potest.
3. Ce qui peut toujours progresser n’est
pas parfait. Mais la charitй en cette vie peut toujours progresser, comme il
est dit dans un sermon. Donc la charitй en cette vie ne peut pas toujours
кtre parfaite.
[66306] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 4 Praeterea,
Perfecta caritas foras mittit timorem,
ut dicitur I Ioan., IV, 18. Sed in
hac vita non potest homo esse sine timore. Ergo non potest aliquis habere
caritatem perfectam.
4. « La charitй parfaite chasse au loin la crainte », comme il
est dit en 1 Jn 4, 18. Mais en
cette vie, l’homme ne peut pas кtre sans crainte. Donc personne ne peut avoir
la charitй parfaite.
Rйponse
:
[66307] De virtutibus, q. 2 a. 10 co. Respondeo.
Dicendum, quod perfectum tripliciter
dicitur.
Uno modo perfectum simpliciter :
alio modo perfectum
secundum naturam;
tertio
modo secundum tempus.
On parle du parfait de trois maniиres :
D’une premiиre maniиre, le parfait absolu.
D’une autre maniиre, le parfait selon la nature.
D’une troisiиme maniиre, selon le temps.
Perfectum quidem dicitur simpliciter quod omnibus modis
perfectum est, et cui nulla perfectio deest.
Perfectum autem secundum naturam dicitur, cui non
deest aliquid eorum quae nata sunt haberi a natura illa : sicut intellectum
hominis dicimus perfectum, non quod nihil ei intelligibilium desit, sed quia
nihil ei deest eorum per quae homo natus est intelligere.
On appelle
parfait dans l’absolu ce qui est
parfait de toutes les maniиres, et а quoi aucune perfection ne manque.
On
appelle parfait selon la nature, ce
а quoi rien de ce qui est destinй а кtre possйdй par cette nature ne
manque ; comme nous disons que l’intellect de l’homme est parfait, non
parce que rien de ce qui est intelligible pour lui ne lui manque mais parce
que rien ne lui manque de ce que par quoi l’homme est destinй а penser.
Perfectum
secundum tempus dicimus quando
nihil deest alicui eorum quae natum est habere secundum tempus illud : sicut
dicimus puerum perfectum, quia habet ea quae requiruntur ad hominem secundum
aetatem illam.
Nous disons que le parfait est selon le temps quand rien ne manque а
chacun de ce qu’il est destinй а avoir selon ce temps ; comme nous
disons que l’enfant est parfait parce qu’il possиde ce qui est requis pour un
homme а cet вge.
Sic igitur dicendum, quod caritas perfecta simpliciter a solo Deo habetur.
Caritas autem perfecta secundum naturam
haberi quidem potest ab homine, sed non in hac vita. Caritas autem perfecta secundum tempus, etiam in hac vita
haberi potest.
Ad cuius
evidentiam sciendum est, quod cum actus et habitus speciem habeant ex
obiecto, oportet quod ex eodem ratio perfectionis ipsius sumatur. Obiectum
autem caritatis est summum bonum. Caritas ergo est perfecta simpliciter quae
in summum bonum fertur in tantum quantum diligibile est. Summum autem bonum diligibile est in
infinitum, cum sit bonum infinitum. Unde nulla caritas creaturae, cum sit
finita, potest esse simpliciter perfecta, sed sic perfecta dici potest sola
caritas Dei, qua diligit seipsum.
Ainsi donc il faut dire que la charitй
parfaite est possйdйe absolument
par Dieu seul. Mais la charitй parfaite selon
la nature est possйdйe par l’homme, mais pas en cette vie. Mais la charitй
parfaite selon le temps aussi peut
aussi кtre possйdйe en cette vie.
Pour
le montrer, il faut savoir que comme l’acte et l’habitus tirent leur espиce
de l’objet, il est nйcessaire que la nature de sa perfection soit prise par
un mкme objet. Mais celui de la charitй est le bien suprкme. Donc la charitй
est absolument parfaite, qui est portйe au bien suprкme en tant qu’il est
aimable. Mais le bien suprкme peut кtre aimй а l’infini, puisqu’il est le
bien infini. C'est pourquoi puisqu’aucune charitй de la crйature, comme elle
est finie, ne peut кtre absolument parfaite, mais on peut dire parfaite la
seule charitй de Dieu par laquelle il s’aime lui-mкme.
Sed
tunc secundum naturam rationalis creaturae, caritas dicitur esse perfecta,
quando rationalis creatura secundum suum posse ad Deum diligendum
convertitur.
Mais alors selon la nature de la crйature
raisonnable on dit que la charitй est parfaite, quant la crйature raisonnable
selon son pouvoir se tourne pour aimer Dieu.
Impeditur
autem homo in hac vita, ne totaliter mens eius in Deum feratur, ex tribus.
Primo
quidem ex contraria inclinatione mentis; quando scilicet mens per peccatum
conversa ad commutabile bonum sicut ad finem, avertitur ab incommutabili
bono. Secundo per occupationem
saecularium rerum; quia, ut dicit apostolus, I ad Cor., VII, 33 : Qui cum uxore est, sollicitus est quae
sunt mundi quomodo placeat uxori, et divisus est; id est, cor eius non
movetur tantum in Deum.
Mais l’homme est empкchй en cette vie, de
tourner totalement son esprit vers Dieu pour trois raisons : icic
1. Premiиrement, par une inclination contraire de l’esprit ;
quand l’esprit, attirй par le pйchй vers un bien changeant, comme а se fin,
se dйtourne du bien immuable.
2.
Deuxiиmement, par l’occupation des
affaires du siиcle ; parce que comme le dit l’Apфtre (1 Co 7, 33) : « Celui qui est avec une йpouse est sollicitй par ce qui est du monde,
comment lui plaire et il est divisй ». c'est-а-dire, son cњur n’est
pas seulement poussй en Dieu.
Tertio vero
ex infirmitate praesentis vitae, cuius necessitatibus oportet aliquatenus
hominem occupari, et retrahi, ne actualiter mens feratur in Deum; dormiendo,
comedendo, et alia huiusmodi faciendo, sine quibus praesens vita duci non
potest : et ulterius ex ipsa corporis gravitate anima deprimitur, ne divinam
lucem in sui essentia videre possit, ut ex tali visione caritas perficiatur;
secundum illud apostoli, II ad Cor.,
V, 6 : Quamdiu sumus in corpore,
peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus, et non per speciem.
3. Troisiиmement,
par la faiblesse de la vie prйsente par les nйcessitйs desquelles il est
nйcessaire jusqu’а un certain point que l’homme s’occupe, et se soustrait а
ce que l’esprit soit portй de faзon actuelle en Dieu ; en dormant, en
mangeant, et en faisant d’autres choses de ce genre ; sans lesquels la
vie prйsente ne peut кtre кtre menйe ; et en plus l’вme est abattue par
la lourdeur du corps, de sorte а ne pas pouvoir voir la lumiиre divine en son
essence, pour parachever la charitй en une telle vision, selon cette parole
de l’Apфtre (2 Co 5, 6[59]) : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous
marchons loin du Seigneur, car nous avanзons par la foi et non ‘dans une
claire vision’ ».
Homo
autem in hac vita potest esse sine peccato mortali avertente ipsum a Deo; et
iterum potest esse sine occupatione temporalium rerum, sicut apostolus dicit,
I ad Cor., c. VII, 33 : Qui sine uxore est, sollicitus est de his
quae sunt domini, quomodo placeat Deo. Sed ab onere corruptibilis carnis
in hac vita liber esse non potest. Unde quantum ad remotionem primorum duorum
impedimentorum, caritas potest esse perfecta in hac vita; non autem quantum
ad remotionem tertii impedimenti; et ideo illam perfectionem caritatis quae
erit post hanc vitam, nullus in hac vita habere potest, nisi sit viator et
comprehensor simul; quod est proprium Christi.
Mais l’homme en cette vie peut exister
sans pйchй mortel qui le dйtourne de Dieu, et а nouveau il peut exister sans
s’occuper de ce qui est temporel, comme l’Apфtre le dit, (1 Co 7, 33) : « Celui qui est sans йpouse, est sollicitй par ce qui concerne le
Seigneur : comment plaire а Dieu ». Mais par le poids de la chair
corruptible en cette vie il n’est pas possible d’кtre libre. C'est pourquoi
si on s’йcarte des deux premiers empкchements, la charitй peut кtre parfaite
en cette vie ; mais pas si on s’йcarte du troisiиme, et c'est pourquoi
cette perfection de la charitй qui existera aprиs cette vie, personne ne peut
la possйder en cette vie, а moins qu’il ne soit cheminant et comprйhenseur[60] en mкme temps, ce qui est
le propre du Christ.
Solutions :
[66308] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dicitur, Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, intelligitur esse
praeceptum, secundum quod totalitas excludit omne illud quod impedit
perfectam Dei inhaesionem; et hoc non est praeceptum, sed finis praecepti :
indicatur enim nobis per hoc non quid faciendum sit, sed potius quo tendendum
sit, ut dicit Augustinus.
1. Ce qui est dit que : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout
ton cњur », est compris comme un prйcepte selon que la totalitй
exclut tout ce qui empкche une adhйsion parfaite а Dieu ; et ce n’est
pas un prйcepte, mais son but; car il nous est indiquй par cela non ce qui
doit кtre fait, mais plutфt ce а quoi il faut tendre, comme le dit Augustin.
[66309] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diligere meliora tanto plus quanto eorum
bonitas exigit, sic non potest homo, sicut non potest perfectam caritatem
habere, ut dictum est.
2. Aimer les choses les meilleures
d’autant plus que leur bontй l’exige, l’homme ne le peut pas, de mкme qu’il
ne peut pas avoir une charitй parfaite comme il a йtй dit.
[66310] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in hoc ipso quod est facere unum amantem cum amato, multiplex
gradus inveniri potest. Tunc vero perfecte mens nostra erit unum cum Deo,
quando semper actualiter feretur in ipsum; quod non est possibile in hac
vita.
3. Dans le fait d’unir l’amant а l’aimй,
on peut trouver de nombreux degrйs. Mais alors notre esprit sera parfaitement
un avec Dieu, quand toujours de maniиre actuelle il sera portй en lui, ce qui
n’est pas possible en cette vie.
[66311] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perfectio quae convenit alicui rei secundum
suam speciem, secundum quodcumque tempus ei convenit; sicut homo quolibet
tempore et qualibet aetate est perfectus anima rationali. Unde perfectio
caritatis quae est secundum quodcumque tempus, est perfectio quae competit
caritati secundum eius speciem. Est autem de ratione caritatis ut Deus super
omnia diligatur, et ut nullum creatum ei praeferatur in amore. Unde, cum
omnis tentatio ex amore alicuius boni creati proveniat, vel ex timore mali
contrarii, quod etiam ex amore derivatur; ex sua specie hoc habet caritas in
quolibet statu, quod cuilibet tentationi resistere possit, ita etiam,
scilicet, quod in peccatum mortale per eam homo non inducatur, non autem quod
nullo modo tentatione afficiatur : hoc enim pertinet ad perfectionem patriae.
4. La perfection, qui convient а une chose
selon son espиce, lui convient selon n’importe quel temps ; de mкme que
l’homme en n’importe quel temps et en n’importe quel вge est parfait par son
вme douйe de raison. C'est pourquoi la perfection de la charitй qui concerne
n’importe quel temps, est une perfection qui convient а la charitй selon son
espиce. C’est aussi de la nature de la charitй que Dieu soit aimй par dessus
tout, et qu’aucune crйature ne lui soit prйfйrйe en amour. C'est pourquoi
comme tout tentation provient de l’amour d’un bien crйй, ou de la crainte
d’un mal contraire, ce qui est aussi se dйtourner de l’amour, par sa nature
la charitй possиde en n’importe quel йtat, de pouvoir rйsister а n’importe
quelle tentation, de sorte aussi que l’homme ne soit pas amenй par elle au
pйchй mortel mais pas qu’il ne soit affectй par la tentation en aucune
maniиre, car cela convient а la perfection de la patrie.
[66312] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eodem modo Deus in patria et totaliter
videbitur et totaliter diligetur;
secundum, scilicet, quod ly totaliter se tenet ex parte diligentis et
videntis; quia, scilicet, totum posse creaturae applicabitur ad videndum et
diligendum Deum. Similiter etiam potest intelligi, quod Deus totaliter
videbitur et diligetur, quia non est aliqua pars eius quae non videatur et
diligatur, cum ipse non sit compositus, sed simplex. Sed tamen secundum alium
intellectum non totaliter diligetur, nec totaliter videbitur; quia, scilicet,
non tantum videbitur, nec tantum ab aliqua creatura diligetur, sicut
visibilis est et diligibilis. Sed in vita ista nec etiam secundum primum aut
secundum modum Deus totaliter videri aut diligi potest : quia nec ipse per
essentiam suam videtur, nec est possibile homini, in hac vita viventi, ut
absque intermissione eius affectus actualiter feratur in Deum. Sed tamen
quodammodo totaliter diligitur Deus ab homine in hac vita, in quantum nihil
est in affectu eius contrarium dilectioni divinae.
5. De la mкme maniиre Dieu sera vu
totalement et totalement aimй dans la patrie ; selon que le totalement se tient du cфtй de celui
qui aime et qui voit ; parce que tout le pouvoir de la crйature sera
appliquй а voir et а aimer Dieu. De la mкme maniиre aussi on peut penser que
Dieu sera vu et aimй totalement, parce qu’il n’y a aucune partie de lui qui
ne soit vue et aimйe, puisque lui-mкme n’est pas composй, mais simple. Mais
cependant selon un autre concept, il ne sera pas totalement aimй ni
totalement vu, parce qu’il ne sera pas aussi vu ni aussi aimй par une crйature,
qu’il est visible et digne d’amour. Mais en cette vie, ni selon le premier
mode, ni selon le second, Dieu ne peut кtre vu ni aimй : parce qu’il n’est vu
lui-mкme par son essence, et il n’est pas possible а l’homme, vivant en cette
vie, que son affection se porte en Dieu sans arrкt de maniиre active. Mais
cependant d’une certaine maniиre Dieu est aimй totalement par l’homme en
cette vie en tant qu’il n’y a rien dans son affection de contraire а l’amour
divin.
[66313] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntas est domina sui actus quantum ad hoc
quod agat, non quantum ad hoc quod continue in uno actu perseveret; cum
conditio huius vitae requirat ut actus et voluntas ferantur ad multa. Vel
potest dici, quod voluntas est domina sui actus in his quae sunt homini
connaturalia; sed perfectio caritatis, maxime quae erit in patria, est super
hominem, et praecipue si consideretur homo secundum statum praesentis vitae.
6. La volontй est maоtresse de son acte
pour ce qu’elle fait, non quant au fait qu’elle persiste continuellement dans
un acte ; puisque la condition de cette vie requiert que l’acte et la
volontй se portent а de nombreux objets. Ou bien on peut dire que la volontй
est maоtresse de son acte en qui est naturel а l’homme, mais la perfection de
la charitй, surtout celle qui sera dans la patrie est au-dessus de l’homme et
principalement si on considиre l’homme selon l’йtat de la vie prйsente.
[66314] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliqua actio desinit esse delectabilis non
solum ex parte obiecti, sed etiam ex parte agentis quod deficit in virtute
agendi. Sic igitur dicendum est, quod actualiter semper ferri in Deum,
delectabile est ex parte obiecti; sed ex parte in hac vita constituti non
potest esse talis delectatio continua, quia contemplatio mentis humanae non
est sine actione virtutis imaginativae, et aliarum virium corporalium, quas
necesse est laxari diuturnitate actionis, propter corporis infirmitatem, unde
impeditur delectatio; et propter hoc dicitur Eccle., XII, 12 : Frequentis meditatio, carnis est afflictio.
7. Une action cesse d’кtre agrйable non
seulement du cфtй de son objet, mais aussi du cфtй de l’agent, parce qu’il
dйfaille dans son pouvoir d’agir. Ainsi donc il faut dire qu’кtre
actuellement portй en Dieu est agrйable, du cфtй de l’objet, mais du cфtй en
cette vie ne peut кtre constituй un tel plaisir continu, parce que la
contemplation de l’esprit humain n’est pas sans l’action du pouvoir de
l’image, et des autres forces corporelles, qu’il est nйcessaire de relвcher
dans la durйe de l’action, а cause de la faiblesse du corps, c'est pourquoi
le plaisir est empкchй et а cause de cela il est dit (Eccl. 12, 12 ?) : « La
mйditation de ce qui est frйquent est une affliction de la chair ».
[66315] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod perfectio caritatis non attenditur secundum
augmentum quantitatis, sed secundum intensionem qualitatis; quae quidem
intensio simplicitati caritatis non repugnat.
8. La perfection de la charitй n’est pas
atteinte selon une augmentation de la quantitй, mais selon l’intensitй de la
qualitй, qui ne s’oppose а la simplicitй de la charitй.
[66316] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod aliarum virtutum moralium obiecta sunt bona humana, quae non
excedunt vires hominis; et ideo ad omnimodam earum perfectionem potest homo
in hac vita pervenire. Sed obiectum caritatis est bonum
increatum quod vires hominis excedit; et ideo non est ratio similis.
9. Les objets des autres vertus morales
sont les biens humains, qui ne dйpassent pas les forces des hommes, et c'est
pourquoi l’homme peut parvenir а leur perfection de toutes sortes de
maniиres. Mais l’objet de la charitй est le bien incrйй qui dйpasse les
forces de l’homme, et c'est pourquoi ce n’est pas la mкme raison.
Solutions aux objections en
sens contraire :
[66317] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum
est, quod sine peccato mortali aliquis esse potest in hac vita, non autem
sine peccato veniali : quod quidem non repugnat perfectioni viae, sed
perfectioni patriae, quae est ut semper actu feratur in Deum; peccatum autem
veniale non tollit habitum caritatis, sed impedit actum eius.
1. Pour ce qui est objectй en sens
contraire, il faut dire que quelqu'un peut кtre sans pйchй mortel en cette
vie, mais pas sans pйchй vйniel ; ce qui ne s’oppose pas а la perfection
de la voie, mais а la perfection de la patrie, qui consiste а кtre portйe
toujours en acte en Dieu ; mais le pйchй vйniel n’enlиve pas l’habitus
de la charitй, mais empкche son action.
[66318] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod Deum in hac vita non possumus
perfecte cognoscere, ut sciamus de eo quid sit; possumus tamen cognoscere de
eo quid non sit, ut Augustinus dicit [VIII de Trinit., cap. II] ; et in hoc consistit perfectio
cognitionis viae. Et similiter in hac vita non possumus perfecte diligere
Deum, ut semper actu in ipsum feramur; sed ita quod nunquam in contrarium
eius feratur mens.
2. Nous ne pouvons pas connaоtre
parfaitement Dieu en cette vie, pour savoir ce qu’il est ; cependant
nous pouvons connaоtre ce qu’il n’est pas, comme Augustin le dit (la Trinitй, VIII, 2) ; et en cela
consiste la perfection de la connaissance de la voie. Et de la mкme maniиre
en cette vie, nous ne pouvons pas parfaitement aimer Dieu pour кtre toujours
portй en acte en lui, mais de sorte que jamais l’esprit soit portй dans son
contraire.
[66319] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod in hac vita non est caritas perfecta
nec simpliciter, nec secundum humanam naturam : sed solum secundum tempus. Ea vero quae sic perfecta sunt, habent quo
crescant, ut de pueris patet; et ideo caritas in hac vita semper habet quo
crescat.
3. En cette vie la charitй n’est parfaite
ni dans l’absolu, ni selon la nature humaine, mais selon le temps seulement.
Ce qui est ainsi parfait a ce par quoi il s’accroоt, comme on le voit pour
l’enfant, et c'est pourquoi la charitй en cette vie a toujours ce par quoi
elle s’accroоt.
[66320] De virtutibus, q. 2 a.
10 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod perfecta caritas foras mittit timorem
servilem et initialem; non tamen timorem castum vel filialem, nec etiam
timorem naturalem.
4. La charitй parfaite йloigne au-dehors
la crainte servile et premiиre ; non cependant la crainte chaste ou
filiale, ni aussi la crainte naturelle.
Articulus
11 : [66321] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum
omnes teneantur ad perfectam caritatem habendam
Article 11 – Tous
les hommes sont-ils tenus de possйder une charitй parfaite ?
[66322] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 2
Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
[66323] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 1
Ad id enim quod est in praecepto, omnes tenentur. Sed perfectio caritatis est
in praecepto; dicitur enim Deuter.,
VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex
toto corde. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.
1. Car tous les hommes sont tenus а ce qui
est dans le prйcepte. Mais la perfection de la charitй est dans le prйcepte ;
car il est dit (Dt 6, 5)
: « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton cњur ». Donc tous sont tenus а la perfection de
la charitй.
[66324] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 2
Praeterea, hoc videtur esse de perfectione caritatis, quod homo omnes actus
suos referat in Deum. Sed ad hoc omnes homines tenentur; dicitur enim I ad Cor., X, 31 : Sive manducatis, sive bibitis, vel aliud
quid facitis; omnia in gloriam Dei facite. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis.
2. Que l’homme rapporte tous ses actes а
Dieu semble concerner la perfection de la charitй. Mais tous les hommes y
sont tenus ; car il est dit en 1
Co 10, 31 : « Que vous
mangiez, ou que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites
tout pour la gloire de Dieu ». Donc tous sont tenus а la perfection
de la charitй.
[66325] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 3 Sed dicendum, quod praeceptum illud
Apostoli ad hoc se extendit ut omnia habitu referantur in Deum, sed non
actu.- Sed contra, praecepta legis
sunt de actibus virtutum; habitus autem non cadit sub praecepto. Non ergo
praeceptum Apostoli intelligitur de habituali resolutione nostrorum actuum in
Deo, sed de actuali.
3. Mais il faut dire que ce prйcepte de l’Apфtre s’йtend а tout rapporter
а Dieu par un habitus, mais non par un acte. — En
sens contraire,les
prйceptes de la loi concernent les actes des vertus, mais l’habitus ne tombe
pas sous le prйcepte. Donc le prйcepte de l’Apфtre ne tient pas compte du
relвchement habituel de nos actes en Dieu, maisdu relвchement actuel.
[66326] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 4
Praeterea, dominus, Matth., V, 17,
praecepta veteris legis adimplevit, secundum illud : Non veni solvere (legem),
sed adimplere. Haec autem adimpletio est de necessitate salutis, ut patet
per illud quod subditur Matth.,
cap. V 20 : Nisi abundaverit iustitia
vestra plusquam Scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum.
Ad ea autem quae sunt de necessitate salutis, omnes tenentur. Ergo et ad
praedictam adimpletionem servandam. Sed praedicta adimpletio ad perfectionem
pertinet; unde Dominus in fine concludit Matth.,
V, 48 : Estote perfecti, sicut Pater
vester caelestis perfectus est. Ergo ad perfectionem caritatis omnes
tenentur.
4. Le Seigneur, (Mt 5, 17) a accompli les prйceptes de la loi ancienne, selon cette
parole : « Je ne suis pas venu
pour abolir la loi mais pour
l’accomplir ». Mais cet accomplissement concerne la nйcessitй du
salut, comme on le voit par ce qui est ajoutй (Mt 5, 20) : « Si notre
justice ne dйpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez
pas dans le royaume des cieux. » Tous sont tenus а ce qui concerne
la nйcessitй du salut. Donc pour conserver l’accomplissement annoncй aussi.
Mais celui-ci convient а la perfection, c’est pourquoi le Seigneur conclut а
la fin (Mt 5, 48) : « Soyez parfaits comme votre Pиre du ciel
est parfait. ». Donc nous sommes tenus а la perfection de la
charitй.
[66327] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 5
Praeterea, ad consilia solum non omnes tenentur. Perfectio autem vitae
aeternae, aut caritatis, non attenditur secundum consilia : datur enim
consilium de paupertate, nec tamen sequitur quod qui magis est pauper, sit
perfectior; datur etiam consilium de virginitate, et tamen multi virgines
sunt aliis imperfectiores in caritate; et sic videtur quod perfectio
caritatis non consistat in consiliis. Nullus ergo excusatur a perfectione
caritatis.
5. Tous ne sont pas tenus aux conseils
seulement. Mais on n’atteint pas la perfection de la vie йternelle ou de la
charitй selon les conseils ; car un conseil est donnй concernant la
pauvretй, et cependant il n’en dйcoule pas que celui qui est plus pauvre,
soit plus parfait ; il est donnй aussi un conseil concernant la
virginitй, et cependant beaucoup de vierges sont plus imparfaites que
d’autres dans la charitй, et ainsi il semble que la perfection de la charitй
ne consiste pas dans les conseils. Donc personne n’est dispensй de la
perfection de la charitй.
[66328]
De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 6 Praeterea, status episcoporum est perfectior
quam status religiosorum; alioquin non posset aliquis licite de statu
religionis ad statum praelationis se transferre : unde et Dionysius dicit in Eccles. Hierarchia [cap. V], quod
episcopi sunt perfectiores; monachi autem sunt perfectius eorum virtutibus
traditi, et quod debent se sursum agere ad perfectiones quas in episcopis
vident. Nec tamen episcopi tenentur ad observandum huiusmodi consilium
paupertatis, et alia huiusmodi. Ergo in his non consistit perfectio
caritatis.
6. L’йtat des йvкques est plus parfait que
celui des religieux ; autrement quelqu’un ne pourrait pas lйgalement
passer de l’йtat de religion а celui de prйlat ; c'est pourquoi Denys
dit dans La Hiйrarchie ecclйsiastique, 5,
que les йvкques sont plus parfaits ; mais les ermites s’adonnent plus
parfaitement а leurs vertus, et ils doivent s’йlever aux perfections qu’ils
voient chez les йvкques. Et cependant les йvкques ne sont pas tenus
d’observer un conseil du genre de celui de la pauvretй ou autres. Donc ce
n’est pas en cela que la perfection de la charitй consiste
[66329] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 7
Praeterea, Dominus apostolis multa imposuit quae sunt de perfectione vitae :
ut quod non portarent duas tunicas, neque calceamenta, neque virgam, neque
aliquod huiusmodi. Sed quod iniunxit apostolis, omnibus iniunxit, secundum
illud Marc., XIII, 37 : Quod vobis dico, omnibus dico. Ergo
omnes tenentur ad perfectionem vitae.
7. Le Seigneur a imposй aux apфtres
beaucoup de prйceptes qui concernent la perfection de la vie, comme de ne pas
porter deux tuniques, porter ni sandales, ni bвton, ni rien de ce genre. Mais
ce qu’il a enjoint aux apфtres, il l’a enjoint а tous, selon cette parole de
Marc (12, 37) : « Ce que je vous
dis, je le dis а tous. » Donc tous sont tenus а la perfection de la
vie.
[66330] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 8
Praeterea, quicumque habet caritatem, plus amat vitam aeternam quam vitam
temporalem. Sed quilibet homo tenetur ad actum caritatis. Ergo quilibet homo
tenetur ad hoc quod vitam aeternam praeeligat vitae corporali. Sed, sicut
Augustinus dicit, caritas cum ad perfectionem venerit, dicit : Cupio dissolvi, et esse cum Christo.
Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem.
8. Quiconque a la charitй, prйfиre la vie
йternelle а la vie temporelle. Mais n’importe quel homme est tenu а l’acte de
charitй. Donc n’importe quel homme est tenu prйfйrer la vie йternelle а la
vie corporelle. Mais, comme Augustin le dit, quand la charitй est parvenue а
sa perfection, il dit : « Je
dйsire кtre dissout et кtre avec le Christ ». Donc n’importe qui est
tenu d’avoir une charitй parfaite.
[66331] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 9
Praeterea, Augustinus dicit, quod perfecta caritas est ut quis paratus sit
pro fratribus etiam mori. Sed ad hoc omnes tenentur, dicitur enim I Ioan., III, 16 : In hoc cognoscimus caritatem Dei, quoniam
ille pro nobis animam suam posuit; et nos debemus pro fratribus animas ponere.
Ergo quilibet tenetur ad perfectionem caritatis.
9. Augustin dit que la charitй parfaite
est que quelqu’un soit prкt а mourir aussi pour ses frиres. Mais tous y sont
tenus, car il est dit en 1 Jn 3, 16
: « Nous connaissons la charitй de
Dieu, parce qu’il a donnй son вme pour nous ; et nous devons donner nos
вmes pour nos frиres ». Donc n’importe qui est tenu а la perfection
de la charitй.
[66332] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 10
Praeterea, quilibet tenetur vitare peccatum. Sed qui est sine peccato, habet
fiduciam in die iudicii : quia in hoc
perfecta est caritas Dei nobiscum, ut fiduciam habeamus in die iudicii,
ut dicitur I Ioan., IV, 17. Ergo
omnes tenentur ad perfectionem caritatis.
10. N’importe qui est tenu d’йviter le
pйchй. Mais celui qui est sans pйchй, a confiance au jour du jugement :
« Parce que la charitй de Dieu est
parfaite en nous, pour que nous ayons confiance au jour du jugement. »
comme il est dit en 1 Jn 4, 17.
Donc tous sont tenus а la perfection de la charitй.
[66333] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 11
Praeterea, philosophus dicit in VIII Ethic.
: Deo et parentibus non possumus
reddere aequivalens; sed sufficit ut quilibet eis reddat quod potest. Sed
perfectio caritatis in hoc consistit ut aliquis faciat pro Deo quod potest,
quia nullus facit ultra posse. Ergo quilibet tenetur habere perfectam
caritatem.
11. Le philosophe dit (Йthique, VIII, 16, 1163 b 15) :
« Nous ne pouvons rendre l’йquivalent
а Dieu ni а nos parents ; mais il suffit que n’importe qui leur rende ce
qu’il peut ». Mais la perfection de la charitй consiste en ce que
quelqu'un fasse pour Dieu ce qu’il peut, parce que personne ne fait qu’il
puisse aller au-delа. Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charitй
parfaite.
[66334] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 12
Praeterea, religiosi profitentur perfectionem vitae. Ergo ipsi videntur
teneri ad habendam perfectionem caritatis, et ad omnia quae ad perfectionem
vitae pertinent.
12. Les religieux s’engagent а la
perfection de la vie. Donc ils semblent кtre tenus d’avoir la perfection de
la charitй, et tout ce qui convient а cette perfection.
En sens contraire :
[66335] De virtutibus, q. 2 a. 11 s. c.
Sed contra, est quod nullus tenetur ad id quod non est in ipso. Sed habere
perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo. Non ergo potest esse in
praecepto.
Nul n’est tenu а ce qui n’est pas en
lui-mкme. Mais avoir le charitй parfaite ne vient pas de nous, mais de Dieu.
Donc cela ne peut pas кtre dans le prйcepte.
Rйponse :
[66336] De virtutibus, q. 2 a. 11 co.
Respondeo. Dicendum, quod huius quaestionis solutio ex praemissis accipi
potest.
On peut tirer la solution de cette
question de ce qui a йtй dit auparavant.
Ostensum est enim supra, quod aliqua
perfectio est quae ipsam speciem caritatis consequitur, utpote quae consistit
in remotione cuiuslibet inclinationis in contrarium caritatis. Quaedam autem perfectio est, sine qua
caritas esse potest, quae pertinet ad bene esse caritatis; quae scilicet
consistit in remotione occupationum saecularium, quibus affectus humanus
retardatur ne libere progrediatur in Deum. Est autem et quaedam alia perfectio caritatis, quae non est possibilis homini
in hac vita, et quaedam ad quam
nulla natura creata pertingere potest; ut ex supradictis apparet.
On a en effet montrй ci-dessus qu’il
existe une perfection qui dйcoule de la nature de la charitй, celle qui
consiste а йcarter tout penchant а ce qui est contraire а la charitй. Or il y
a une perfection, sans laquelle la
charitй ne peut pas exister, qui aboutit а son bien-кtre; c’est-а-dire qui
consiste а s’йcarter des occupations du siиcle, qui empкchent la disposition
de l’homme de progresser librement vers Dieu. Et il y a une autre perfection de la charitй qui
n’est pas possible pour l’homme en cette vie, et une а laquelle aucune nature crййe ne peut parvenir, comme on le
voit par ce qui a йtй dit plus haut.
Manifestum est autem, quod ad illud omnes
teneri dicuntur, sine quo salutem consequi non possunt. Sine caritate autem
nullus potest salutem aeternam consequi, et ea habita ad salutem aeternam
pervenitur.
Il est йvident qu’on dit que tous sont
tenus а ce sans quoi le salut ne peut кtre obtenu. Or sans la charitй
personne ne peut obtenir le salut йternel et un fois qu’on l’a, on y
parvient.
Unde ad
primam perfectionem caritatis omnes tenentur sicut ad ipsam caritatem. Ad
secundam vero perfectionem, sine qua caritas esse potest, homines non
tenentur, cum quaelibet caritas sufficiat ad salutem. Multo etiam minus
tenentur ad tertiam vel quartam perfectionem, cum nullus ad impossibile
teneatur.
C'est pourquoi tous sont tenus а la
premiиre perfection de la charitй comme а la charitй elle-mкme. A la seconde
perfection sans laquelle la charitй ne peut exister, les hommes n’y sont pas
tenus, puisque n’importe quelle charitй suffit au salut. Encore beaucoup
moins sont-ils tenus а la troisiиme ou а la quatriиme perfection puisque
personne n’est tenu а l’impossible.
Solutions
:
[66337] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod totalitas illa, secundum quod cadit sub praecepto
caritatis, pertinet ad perfectionem sine qua caritas esse non potest.
1. Cette totalitй selon qu’elle tombe sous
le prйcepte de la charitй, tend а la perfection sans laquelle la charitй ne
peut pas exister
[66338] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod omnia actu referre in Deum, non est possibile in hac
vita, sicut non est possibile quod semper de Deo cogitetur; hoc enim pertinet
ad perfectionem patriae. Sed quod omnia virtute referantur in Deum, hoc
pertinet ad perfectionem caritatis ad quam omnes tenentur. Ad cuius
evidentiam considerandum est, quod, sicut in causis efficientibus virtus
primae causae manet in omnibus causis sequentibus, ita etiam intentio
principalis finis virtute manet in omnibus finibus secundariis; unde
quicumque actu intendit aliquem finem secundarium, virtute intendit finem
principalem; sicut medicus, dum colligit herbas actu, intendit conficere
potionem, nihil fortassis de sanitate cogitans, virtualiter tamen intendit
sanitatem, propter quam potionem dat. Sic igitur, aliquis seipsum ordinat in
Deum, sicut in finem, in omnibus quae propter seipsum facit manet virtute
intentio ultimi finis, qui Deus est : unde in omnibus mereri potest, si
caritatem habeat. Hoc igitur modo Apostolus praecipit quod omnia in Dei
gloriam referantur.
2. Rapporter tout en acte а
Dieu n’est pas possible en cette vie, de mкme qu’il n’est pas possible de
penser toujours а Dieu, car cela convient а la perfection de la patrie. Mais
que tout soit rapportй en puissance а Dieu, cela convient а la perfection de
la charitй а laquelle tous sont tenus. Pour le montrer il faut considйrer
que, de mкme que dans les causes efficientes le pouvoir de la cause premiиre
demeure dans toutes les causes suivantes, de mкme aussi tendre а la fin
principale demeure en pouvoir dans toutes les fins secondaires ; c'est
pourquoi quiconque atteint en acte une fin secondaire, atteint la fin
principale ; ainsi pendant que le mйdecin est en train de ramasser des
herbes, il cherche а achever la potion, peut-кtre sans penser en rien а la
santй, cependant potentiellement il cherche la santй, pour laquelle il donne
cette potion. Ainsi donc, quelqu'un s’ordonne lui-mкme а Dieu, comme а sa
fin, dans tout ce qu’il fait pour lui, sa recherche de la fin ultime qui est
Dieu, demeure en puissance : c'est pourquoi il peut mйriter en tout, s’il a
la charitй. Donc de cette maniиre l’Apфtre recommande que tout soit rapportй
а la gloire de Dieu.
[66339]
De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliud est habitualiter referre in Deum, et aliud virtualiter. Habitualiter enim refert in Deum et qui
nihil agit, nec aliquid actualiter intendit, ut dormiens; sed virtualiter
aliquid referre in Deum, est agentis propter finem ordinantis in Deum. Unde
habitualiter referre in Deum, non cadit sub praecepto; sed virtualiter
referre omnia in Deum, cadit sub praecepto caritatis : cum hoc nihil aliud
sit quam habere Deum ultimum finem.
3. Rapporter [tout] habituellement а Dieu
est diffйrent que de rapporter [tout] virtuellement. Car celui qui ne fait
rien, rapporte [tout] а Dieu habituellement et il n’atteint rien en acte,
comme quand il dort : mais rapporter quelque chose а Dieu virtuellement c’est
le propre de l’agent qui le dispose а Dieu en vue de la fin. C’est pourquoi
habituellement rapporter [tout] а Dieu ne tombe pas sous le prйcepte ;
mais lui rapporter tout virtuellement tombe sous le prйcepte de la charitй :
puisque ce n’est rien d’autre qu’avoir Dieu comme fin ultime.
[66340] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illud quod dicitur, Estote perfecti etc., videtur esse referendum ad dilectionem
inimicorum, quae quodammodo est de perfectione consilii, et quodammodo est de
necessitate praecepti, ut supra, art. 8, expositum est.
4. Ce qui est dit : « Soyez parfaits, etc. » semble
devoir кtre reportй а l’amour des ennemis, qui d’une certain maniиre concerne
la perfection du conseil, et d’une autre la nйcessitй du prйcepte, comme, on
l’a exposй ci-dessus, art. 8.
[66341] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod perfectio vitae aeternae in quibusdam quidem consistit principaliter et per se; in quibusdam autem secundario, et quasi
per accidens. Principaliter quidem
et per se consistit perfectio in
his quae pertinent ad interiorem mentis dispositionem, et praecipue in actu
caritatis, quae est radix omnium virtutum; secundario vero et per
accidens consistit etiam in quibusdam exterioribus, ut puta in
virginitate, paupertate, et huiusmodi.
5. La perfection de la vie йternelle en certains s’йtablit principalement et
par soi, mais en certains
secondairement, et comme par accident. La perfection s’йtablit principalement et par soi en ce qui vise а la disposition intйrieure de l’esprit, et
surtout dans l’acte de charitй, qui est la racine de toutes les vertus ;
mais elle s’йtablit secondairement et par accident aussi en certaines [vertus] extйrieures, comme la virginitй, la
pauvretй etc.
Haec
enim ad perfectionem pertinere dicuntur tripliciter.
Primo quidem, in quantum per ea subtrahuntur homini
impedimenta occupationum, quibus remotis mens liberius fertur in Deum; unde
et dominus cum dixisset, Matth.XIX, 21 : Si vis perfectus esse, vade, et vende omnia quae habes, et da
pauperibus, consequenter adiecit : Et
veni, et sequere me; ut ostenderet, quod paupertas ad perfectionem non
pertineret, nisi in quantum disponit ad sequendum Christum. Quem quidem
sequimur non passibus corporis, sed affectibus mentis. Similiter Apostolus, I ad Cor., VII, 34, consilium dat de
non nubendo; quia quae virgo est,
cogitat quae Dei sunt, quomodo placeat Deo; et eadem ratio est de aliis
similibus.
Car on dit que ces vertus conviennent de trois maniиres :
a.
Premiиrement en tant qu’elles
enlиvent de l’homme les embarras causйs par les occupations, lesquels une
fois enlevйs l’esprit est portй plus librement en Dieu : c'est pourquoi comme
le Seigneur l’avait dit (Mt 19, 21)
: « Si tu veux кtre parfait, va et
vend tout ce que tu as et donne-le aux pauvres » en consйquence il
ajoute : « Et viens et suis-moi » ;
pour montrer que la pauvretй ne conviendrait а la perfection qu’en tant
qu’elle dispose а suivre le Christ. Nous le suivons non pas а pas avec le
corps, mais par les dispositions de l’esprit. De la mкme maniиre, l’Apфtre (1 Co 7, 34) donne le conseil de ne pas
se marier ; parce que « Celle
qui est vierge, pense а ce qui concerne Dieu, comment lui plaire » ;
et c’est la mкme raison pour d’autres vertus semblables.
Secundo pertinent ad perfectionem, in quantum sunt
quidam perfectae caritatis effectus qui enim perfecte diligit Deum, ab his se
retrahit quae eum retrahere possunt ne Deo vacet.
b. Deuxiиmement,
elles visent а la perfection en tant qu’elles sont des dipositions de la
charitй parfaite, qui en effet aime Dieu parfaitement, et s’йloigne de ce qui
peut l’empкcher de s’occuper de Dieu.
Tertio pertinent ad perfectionem poenitentiae;
quia nulla satisfactio pro peccatis adaequari potest votis religionis, quibus
homo se Deo consecrat, et animam per votum obedientiae, et corpus per votum
continentiae, et res omnes per votum paupertatis.
Sic igitur in his quae principaliter et
per se ad perfectionem pertinent, sequitur quod sit maior perfectio ubi haec
inveniuntur magis, sicut quod perfectior est qui maioris est caritatis. In
his autem quae ex consequenti et quasi per accidens, ad perfectionem
pertinent, non sequitur magis simpliciter ubi magis inveniuntur. Unde non
sequitur quod magis pauper sit magis perfectus; sed mensuranda est in talibus
perfectio per comparationem ad illa in quibus consistit perfectio
simpliciter; ut scilicet ille dicatur perfectior, cuius paupertas magis
sequestrat hominem a terrenis occupationibus, et facit liberius Deo vacare.
c. Troisiиmement,
elles disposent а la perfection de la pйnitence, parce qu’aucune
satisfaction pour les pйchйs ne peut кtre йquivalent а des vњux de religion,
par lesquels l’homme se consacre а Dieu, et [consacre] son вme par un vњu
d’obйissance, son corps par un vњu de continence et toutes choses par un vњu
de pauvretй.
Ainsi
donc en ces vertus qui conviennent principalement et par soi а la perfection,
il rйsulte que la perfection est plus grande lа oщ on les trouve davantage,
de la mкme maniиre qu’est parfait celle qui est d’une plus grande charitй.
Mais en ceux qui visent а la perfection, par consйquence et comme par
accident, il n’y rйsulte absolument pas plus de consйquences quand lа on les
trouve davantage. C'est pourquoi il ne rйsulte pas qu’un plus pauvre est plus
parfait ; mais en de tels cas, la perfection doit кtre mesurйe par
comparaison а ce en quoi consiste absolument la perfection ; pour dire
par exemple celui-ci est plus parfait dont la pauvretй sйpare plus l’homme
des occupations terrestres et le rend plus libre pour s’occuper de Dieu.
[66342] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod haec est differentia inter amicitiam honesti et
delectabilis : quia in amicitia delectabilis, amicus diligitur propter
delectationem; in amicitia autem honesti amicus diligitur propter seipsum,
sed delectatio provenit ex consequenti. Ad perfectionem igitur amicitiae
honesti pertinet ut aliquis propter amicum interdum abstineat etiam a
delectatione quam in eius praesentia habet, in eius servitiis occupatus.
Secundum igitur hanc amicitiam plus amat aliquem qui ab eo se absentat
propter amicum, quam qui a praesentia amici discedere non vult etiam propter
amicum. Sed si quis libenter vel faciliter a praesentia amici divellitur et
in aliis magis delectatur, vel nihil vel parum comprobatur amicum diligere.
6. C’est la diffйrence entre
l’amitiй de l’honnкte et celle de l’agrйable; parce que dans l’amitiй
agrйable, l’ami est aimй pour le plaisir, mais dans l’amitiй de l’honnкte
l’ami est aimй pour lui-mкme, mais le plaisir en dйcoule par consйquence.
Donc pour la perfection de l’amitiй de l’honnкte il vise а ce que quelqu'un а
cause de son ami parfois s’abstienne aussi du plaisir qu’il trouve en sa
prйsence, dans ses occupations domestiques. Donc selon cette amitiй il aime
plus quelqu'un qui s’йloigne de lui а cause de son ami que celui qui ne veut
pas se sйparer de la prйsence de l’ami aussi а cause de lui. Mais si
quelqu'un se dйtache volontiers ou facilement de la prйsence de son ami et se
dйlecte plus en d’autres, aimer un ami n’est prouvй en rien ou en bien peu.
Hos
igitur tres gradus considerare possumus in caritate. Deus autem maxime
propter seipsum est diligendus. Sunt enim quidam
qui libenter, vel sine magna molestia, separantur a vacatione divinae
contemplationis, ut terrenis negotiis implicentur, et in his vel nihil vel
modicum caritatis apparet. Quidam verum
in tantum delectantur in vacatione divinae contemplationis, quod eam deserere
nolunt, etiam ut divinis obsequiis mancipentur ad salutem proximorum. Quidam vero ad tantum culmen caritatis
ascendunt, quod etiam divinam contemplationem, licet in ea maxime
delectentur, praetermittunt, ut Deo serviant in salutem proximorum; et haec
perfectio in Paulo apparet, qui dicebat Rom., IX, 3 : Optabam ego ipse anathema, id est separatus, esse a Christo pro fratribus meis;- et ad Philipp., I, 23-24 : Desiderium habens dissolvi, et esse cum
Christo; permanere autem in carne necessarium propter vos. Et haec
perfectio est proprie praelatorum, et praedicatorum, et quorumcumque aliorum,
qui procurandae saluti aliorum insistunt; unde significantur per Angelos in
scala Iacob ascendentes quidem per contemplationem, descendentes vero per
sollicitudinem quam de salute proximorum gerunt. Nec derogare potest
perfectioni status praelatorum, quod aliqui statu praelatorum abutuntur quaerentes
praelationem propter temporalia bona, quasi dulcedine contemplationis non
allecti; sicut nec incredulitas multorum, fidem Dei evacuat, ut dicitur Rom.,
III.
Donc nous pouvons considйrer ces trois
degrйs dans la charitй. Mais Dieu surtout doit кtre aimй а cause de lui-mкme.
Car il y en a certains, qui
librement ou sans grand embarras s’abstiennent de laisser libre court а la
contemplation divine, pour s’impliquer dans des affaires terrestres, et en
eux ou rien ou peu de charitй n’apparaоt. Mais certains dans la mesure oщ ils sont charmйs dans ce libre cours
de la contemplation divine, qu’ils ne veulent pas abandonner, s’abandonnent
aux complaisances divines pour le salut de leurs proches. Mais certains montent а un tel sommet de
charitй, que bien qu’ils en soient tout а fait charmйs, ils l’abandonnent
pour se consacrer au salut de leurs proches ; et cette perfection
apparaоt chez Paul, qui disait (Rm
9, 3) : « Je souhaiterais кtre moi-mкme
anathиme », c'est-а-dire sйparй, « sйparй du Christ pour mes frиres »et aux Ph 1, 23-24 : « Ayant
le dйsir d’кtre dissout, et d’кtre avec le Christ, mais demeurer dans ma
chair est nйcessaire а cause de vous ». Et cette perfection est
particuliиrement celle des prйlats, et des prйdicateurs et de certains
autres, qui s’attachent а procurer le salut aux autres ; c'est pourquoi
ils sont reprйsentйs par les anges qui montent sur l’йchelle de Jacob par la
contemplation, mais descendent par la sollicitude qu’ils portent au salut de
leurs proches. Et l’йtat des prйlats ne peut pas dйroger а la perfection
parce que certains abusent de l’йtat de prйlat prйfйrant les biens temporels,
comme non attirйs par le douceur de la contemplation ; de mкme que non
plus l’incrйdulitй de beaucoup n’anйantit pas la foi en Dieu, comme il est dit
en Rm 3.
[66343] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod in doctrina evangelica quaedam dicta sunt apostolis
in persona omnium fidelium, ea scilicet quae pertinent ad necessitatem
salutis; unde et Marc., XIII, 37,
dicit : Quod vobis dico, omnibus dico :
Vigilate; nam in vigilantia ibi intelligitur sollicitudo quam homo debet
habere, ne imparatus inveniatur a Christo. Quaedam vero dicuntur apostolis
quae pertinent ad perfectionem vitae, et ad praelati officium; et ad hoc
extendi non potest, Quod vobis dico,
omnibus dico.
Sciendum tamen, quod illa quae dixit
Dominus discipulis Luc., IX, 3 : Nihil in via tuleritis etc., secundum
quod Augustinus exponit in Lib. de
consen. Evangelist., non pertinent ad perfectionem vitae, sed ad
potestatem dignitatis apostolicae, per quam poterant, nihil secum ferentes,
vivere de his quae ministrabantur ab his quibus Evangelium praedicabant :
unde ibidem dicitur, quod dignus est
operarius mercede sua, vel cibo suo, unde nec praeceptum fuit, nec
consilium, sed concessio. Et propter hoc Paulus, qui secum necessaria
deferebat, non utens hac concessione, supererogabat, quasi propriis
stipendiis militans, ut patet I ad Cor.,
IX 7.
7. Dans la doctrine йvangйlique, certaines
(paroles) ont йtй dites aux apфtres dans la personne de tous les fidиles, ce
qui convient а la nйcessitй du salut : c'est pourquoi Marc dit (13, 37) :
« Ce que je vous dis, je le dis а
tous : Veillez » ; car dans la vigilance ici on pense la
sollicitude que l’homme doit avoir, pour ne pas кtre trouvй par le Christ
sans кtre prйparй. Mais certaines (paroles) sont dites aux apфtres qui
appartiennent а la perfection de la vie et au devoir du prйlat ; et on
ne peut pas l’йtendre а cela : « Ce
que je vous dis, je le dis а tous ».
Cependant il
faut savoir que ces paroles que le Seigneur a dites aux disciples, Luc (9, 3) : « N’emportez rien pour le chemin »,
etc. selon ce qu’Augustin expose dans (L’accorddes Йvangйlistes), ne vise pas а la
perfection de la vie, mais а la puissance de la dignitй apostolique, par
laquelle, ils ne pourrons, en emportant rien avec eux, vivre de ce que leur
servait ceux auxquels ils annonзaient l’Йvangile ; c'est pourquoi il est
dit lа mкme que « Celui qui
travaille est digne de sa rйcompense, ou de sa nourriture », c'est
pourquoi cela n’a pas йtй un prйcepte, ni un conseil, mais une concession. Et
а cause de cela Paul qui portait avec lui son nйcessaire, sans utiliser cette
concession donnait en sus se servant pour ainsi dire de son propre salaire,
comme on le voit en 1 Co 9, 7[62].
[66344] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod in homine sunt duo
affectus; unus caritatis, quo anima desiderat esse cum Christo; alius autem naturalis, quo anima
refugit separationem a corpore, qui adeo est homini naturalis, quod nec etiam
Petro senectus abstulit, ut Augustinus dicit super Ioan. Ex coniunctione ergo horum duorum affectuum vellet
anima sic coniungi Deo, quod non separaretur a corpore; secundum illud
Apostoli, II ad Corinth., V, 4 : Nolumus expoliari, sed supervestiri; ut
absorbeatur quod mortale est a vita. Sed quia hoc est impossibile (quamdiu enim sumus in corpore,
peregrinamur a Domino [ut ibidem 6, subditur]; insurgit quaedam
contrarietas inter praedictos affectus, et quanto caritas est perfectior,
tanto sensibilius affectus caritatis vincit affectum naturae; et hoc ad
perfectionem caritatis pertinet. Unde et Apostolus ibidem subdit : Audemus autem, et bonam voluntatem
habemus, magis peregrinari a corpore; et praesentes esse ad dominum.
8. Dans l’homme il y a deux dispositions de l’вme : l’une de
la charitй, par laquelle elle dйsire кtre avec le Christ, l’autre, naturelle par laquelle elle
fuit la sйparation du corps, qui est si naturelle а l’homme, que la
vieillesse ne l’a pas enlevйe а Pierre, comme Augustin le dit (Sur Jn). Donc par l’union de ces deux
dispositions, l’вme voudrait кtre unie а Dieu, sans se sйparer du corps,
selon cette parole de l’Apфtre (2 Co 5,
4) : « Nous ne voulons pas nous
dйvкtir mais nous revкtir par dessus ; afin que ce qui est mortel soit
englouti par la vie ». Mais parce que cela est impossible : (« En effet tant que nous sommes dans ce
corps, nous marchons loin du Seigneur », comme c’est ajoutй au
verset 6) ; il se lиve une contrariйtй entre les dispositions dont on a
parlй, et plus la charitй est parfaite, plus la disposition sensible de la
charitй vainc celle de la nature. C'est pourquoi l’Apфtre а ce mкme endroit
ajoute : « Mais nous avons de
l’audace, et nous avons de la bonne volontй, plus de quitter ce corps, et
demeurer auprиs du Seigneur » (verset 8).
Sed in his in quibus est caritas
imperfecta, si tantum affectus caritatis vincat, ex repugnantia tamen
naturalis affectus redditur insensibilis victoria caritatis. Quod ergo aperte
et indubitanter, sive audacter, Apostolus dicit : cupio dissolvi, et esse cum Christo, hoc perfectae caritatis est;
sed quod qualitercumque, licet insensibiliter, praeferat anima fruitionem Dei
unioni corporis, est de necessitate caritatis.
Mais en ce en quoi la charitй est
imparfaite, si seulement la disposition de la charitй est vainqueur,
cependant par la rйpugnance de la disposition naturelle, la victoire de la
charitй est rendue insensible. Donc ce que l’Apфtre dit ouvertement et sans
aucun doute, ou mкme avec audace : « Je
dйsire кtre dissout, et кtre avec le Christ », cela est d’une
parfaite charitй ; mais que de quelque maniиre, bien qu’insensiblement,
l’вme prйfиre la fruition de Dieu а l’union du corps, concerne la nйcessitй
de la charitй.
[66345] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod ponere animam, id est, vitam praesentem, pro fratribus
quodammodo est de necessitate caritatis, et quodammodo est de perfectione
ipsius. Plus enim homo debet diligere proximum quam corpus proprium; unde in
eo casu quo aliquis tenetur procurare proximi salutem, tenetur etiam pro
ipsius salute periculis corporalem vitam exponere. Sed hoc perfectae
caritatis est ut etiam pro his in quibus proximo non tenetur, pro eo
corporalem suam vitam periculis quis exponat.
9. Poser son вme, c'est-а-dire [donner] sa
vie prйsente, pour ses frиres, concerne d’une certaine maniиre la nйcessitй
de la charitй, et d’une certaine maniиre sa perfection.Car un homme doit
aimer son prochain plus que son propre corps. C'est pourquoi en ce cas oщ
quelqu'un est tenu de procurer la salut а son prochain, il est tenu aussi
pour son propre salut d’exposer sa vie corporelle aux dangers. Mais c’est le
propre d’une charitй parfaite que quelqu'un expose sa vie aux dangers pour
ceux en qui on n’est pas tenu comme au prochain.
[66346] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet quilibet teneatur esse sine peccato mortali, non
tamen omnium est huiusmodi rei securitatem habere; sed perfectorum, qui
peccata totaliter subiugaverunt.
10. Bien que n’importe qui soit tenu
d’кtre sans pйchй mortel, cependant tous ne sont pas assurйs d’une telle
rйalitй; mais c’est le propre des parfaits qui ont soumis totalement les
pйchйs.
[66347] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod et parentibus, et multo magis Deo, tenetur homo
rependere totum quod potest; tamen secundum communem modum humanae vitae,
supra quem potest aliquis aliquid erogare, ad quod tamen ex necessitate
praecepti non tenetur.
11. Pour les parents et beaucoup plus pour
Dieu, l’homme est tenu de payer en йchange tout ce qu’il peut, cependant
selon le mode commun de la vie humaine, au-dessus duquel quelqu'un peut payer
quelque chose, a quoi cependant il n’est pas tenu par la nйcessitй de
prйcepte.
[66348]
De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod perfectionem
caritatis nullus profitetur; sed profitentur aliqui statum perfectionis, qui
consistit in his quae organice ordinantur ad perfectionem caritatis, ut
paupertas et ieiunia; qui tamen nec ad omnia huiusmodi tenentur, sed ad illa
solum quae profitentur. Unde perfectio caritatis non cadit eis sub voto, sed
est eis ut finis, ad quem pervenire conantur per ea quae vovent.
12. Personne n’offre la perfection de la
charitй ; mais certains offrent un йtat de perfection qui consiste en ce
qui est organiquement ordonnй а la perfection de la charitй, comme la
pauvretй et le jeыne ; qui cependant ne sont pas tenus а tout ce qui est
de ce genre, mais seulement а ce qu’ils offrent. C'est pourquoi la perfection
de la charitй ne tombe pour eux sous un vњu, mais c’est pour eux comme une
fin а laquelle ils essayent de parvenir par ce qu’ils promettent par un vњu.
D/05/YY
Articulus 12 : [66349] De virtutibus, q. 2 a.
12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum caritas semel habita possit amitti
Article 12 – La
charitй, une fois acquise, peut-elle se perdre ?
[66350] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 2
Et videtur quod non.
Il semble que non.
[66351] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 1
Dicitur enim I Ioan., III, 9 : omnis qui natus est ex Deo, peccatum non
facit, quoniam semen ipsius in eo manet; et non potest peccare, quoniam ex
Deo natus est. Sed caritatem non habent nisi filii Dei; ipsa enim est
quae distinguit inter filios regni et filios perditionis, ut Augustinus dicit
in XV de Trinit. [cap. XVIII]. Ergo
ille qui habet caritatem, non potest eam amittere peccando.
1. Car il est dit en Jn 3, 9 : « Tout homme
qui est nй de Dieu ne pйche pas, puisque sa semence demeure en lui ; et
il ne peut pas pйcher, puisqu’il est nй de Dieu ». Mais n’ont la
charitй que les fils de Dieu, car elle est ce qui a distinguй entre les fils
du royaume et les fils de la perdition, comme Augustin le dit (Trinitй, XV, 18). Donc celui qui a la
charitй ne peut pas la perdre en pйchant.
[66352] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 2
Praeterea, omnis virtus quae peccando amittitur, per peccatum arescit, ut
Augustinus dicit : Unctio invisibilis
caritas est, quae in quocumque fuerit, radix illi erit, quae arescere non
potest, et nutritur calore solis, ut non arescat. Ergo caritas per
peccatum amitti non potest.
2. Toute vertu qui se perd en pйchant se
dйssиche par le pйchй, comme le dit Augustin : « L’onction invisible est la charitй qui aura йtй en n’importe qui,
sera une racine pour lui qui ne peut pas se dйssйcher et se nourrit de la
chaleur du soleil, pour ne pas se dessйcher ». Donc la charitй ne
peut pas кtre perdue.
[66353] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 3
Praeterea, Augustinus dicit, in VIII de
Trin., quod dilectio si non est vera, dilectio dicenda non est. Sed,
sicut Augustinus dicit in epistola ad
Iulianum comitem, caritas quae deleri potest, nunquam vera fuit. Ergo
neque caritas fuit. Qui igitur habet caritatem, non potest eam peccando
deserere.
3. Augustin dit (la Trinitй, VIII) que si l’amour n’est pas vrai, il ne faut pas
l’appeler amour. Mais Augustin le dit dans sa lettre au Comte Julien, la charitй qui peut кtre dйtruite, n’a jamais
йtй vraie. Donc la charitй non plus n’a pas existй. Celui donc qui a la
charitй ne peut pas la perdre en pйchant.
[66354] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 4
Praeterea, Prosper dicit in Lib. de
contemplatione : caritas est recta
voluntas Deo inseparabiliter iuncta, inquinationis extranea, corruptionis
nescia, nulli vitio mutabilitatis obnoxia; cum qua nec potuit aliquis peccare,
nec poterit. Ergo caritas semel habita, per peccatum amitti non potest.
4. Prosper (d’Aquitaine) dit dans le Livre de la contemplation : « La charitй est une volontй droite, unie
insйparablement а Dieu, йtrangиre а la souillure, ignorant la corruption,
liйe а aucun dйfaut d’inconstance ; avec laquelle personne n’a pas pu
pйcher ni ne le pourra ». Donc la charitй, une fois possйdйe ne peut
pas кtre perdue par le pйchй.
[66355] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 5
Praeterea, Gregorius dicit in quadam hom., quod amor Dei magna operatur, si
est. Sed nullus magna operando amittit caritatem. Ergo si caritas inest,
amitti non potest.
5. Grйgoire dit dans une homйlie[64] que l’amour de Dieu opиre
de grandes choses s’il existe. Mais personne ne perd la charitй en opйrant de
grandes choses. Donc si la charitй est en lui, elle ne peut pas кtre perdue.
[66356]
De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 6 Praeterea, plus homo per caritatem amat Deum
quam per naturalem amorem amet seipsum. Sed
amor sui ipsius nunquam amittitur per peccatum. Ergo nec etiam caritas.
6. L’homme aime Dieu par charitй plus que
par l’amour naturel dont il s’aime lui-mкme. Mais l’amour de soi ne se perd
jamais par pйchй. Donc la charitй non plus.
[66357] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 7
Praeterea, liberum arbitrium non inclinatur in peccatum nisi per aliquod
motivum ad peccandum. Motivum autem ad omnia peccata est amor sui, qui, ut
Augustinus dicit, in XIV de civit. Dei,
[cap. ult.] facit civitatem Babylonis. Sed hunc caritas excludit; quia, sicut
Dionysius dicit [IV cap. de divin
Nomin.] : Est extasim faciens
divinus amor, non sinens sui ipsorum amantes esse. Similiter etiam radix
omnium malorum ponitur cupiditas, ut apostolus dicit I ad Timoth., cap. VI. Sed hunc etiam caritas excludit, ut
Augustinus dicit in l. LXXXIII quaestionum[quaest.
36). Ergo ille qui habet caritatem, non potest peccando eam amittere.
7. Le libre arbitre n’incline au pйchй que
par un motif qui y pousse. Et le motif de tous les pйchйs est l’amour de soi,
qui, comme Augustin le dit, (La citй de
Dieu, XIV, 28) constitue la citй de Babylone. Mais la charitй
l’exclut ; parce que, comme Denys le dit (Les Noms divins, IV, § 13 712A) : «L’amour divin est extatique, sans permettre ceux qui s’aiment
eux-mкmes. » De la mкme maniиre aussi, la cupiditй est placйe comme
la racine de tous les maux, comme l’Apфtre le dit (1 Tm 6). Mais la charitй l’exclut aussi, comme Augustin le dit
dans les 83 questions (q. 36). Donc celui qui a la charitй ne peut
pas la perdre en pйchant.
[66358] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 8
Praeterea, quicumque habet caritatem, spiritu Dei ducitur, secundum illud Galat. V, v. 18 : Si spiritu ducimini, non estis sub lege. Sed Spiritus sanctus,
cum sit infinitae virtutis, non potest in sua actione deficere. Ergo videtur
quod homo habens caritatem peccare non possit.
8. Quiconque a la charitй, est conduit par
l’esprit de Dieu, selon ce verset de Gal.
5, 18 : « Si vous кtes conduits
par l’esprit, vous n’кtes pas sous la loi ». Mais comme l’Esprit
saint est d’une puissance infinie, il ne peut pas dйfaillir dans son action.
Donc il semble que celui qui a la charitй ne pourrait pas pйcher.
[66359] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 9
Praeterea, contra nullum habitum cuius esse est in operari, contingit
peccare; dicit enim philosophus in VII Ethic.,
quod non peccatur contra scientiam in actu, sed contra scientiam in habitu.
Sed caritas semper consistit in operari : dicit enim Gregorius in quadam
homil., quod amor Dei nunquam est otiosus. Ergo contra caritatem aliquis
peccare non potest, ut sic per peccatum possit amitti.
9. Il arrive qu’on ne pиche contre aucun
habitus dont l’кtre concerne une opйration ; car le philosophe dit (Йthique, VII, 3, 1145 b 22), on ne
pиche pas contre la science en acte, mais contre la science en habitus. Mais
la charitй consiste toujours а opйrer : car Grйgoire dit en une homйlie, que
l’amour de Dieu n’est jamais oisif. Donc personne ne peut pйcher contre la
charitй de sorte qu’elle puisse кtre perdue par ce pйchй.
[66360] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 10
Praeterea, si aliquis caritatem amittit, aut amittit eam dum habet, aut dum
non habet. Sed dum habet, non amittit eam per peccatum, quia simul esset
peccatum cum caritate. Neque etiam amittit eam cum non habet, quia quod non
habet, amitti non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti.
10. Si quelqu'un perd la charitй, ou bien
il la perd pendant qu’il l’a, ou pendant qu’il ne l’a pas. Mais pendant qu’il
l’a, il ne la perd pas par le pйcher parce que le pйchй coexisterait avec la
charitй. Il ne la perd quand il ne l’a pas, parce qu’il peut pas perdre ce
qu’il n’a pas. Donc la charitй ne peut кtre perdue en aucune maniиre.
[66361] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 11
Praeterea, caritas accidens est quoddam in anima. Accidens autem quatuor modis potest deficere. Uno quidem modo per corruptionem subiecti; sed per hunc modum caritas
deficere non potest; cum anima humana, quae est subiectum eius, sit
incorruptibilis. Secundo deficit
aliquod accidens per defectum causae, sicut lumen deficit ab aere per
absentiam solis; sed hoc modo caritas deficere non potest, quia causa eius
est indeficiens, scilicet Deus. Tertio
modo deficit accidens aliquod deficiente obiecto; sicut paternitas
deficit per mortem filii : sed nec hoc modo deficit caritas, quia eius
obiectum est bonum aeternum, quod est Deus. Quarto modo deficit aliquod accidens per actionem contrarii
agentis, sicut frigiditas aquae deficit per actionem caloris : sed nec hoc
modo caritas deficere potest, cum sit fortior peccato, quod videtur in
contrarium agere : secundum illud Cantic.,
VIII, 6 : Fortis est ut mors dilectio;
et iterum : aquae quae multae non
possunt extinguere caritatem. Ergo
caritas nullo modo potest deficere in habente eam.
11. La charitй est un accident dans l’вme.
Mais l’accident peut faire dйfaut de quatre
maniиres. d’une premiиre maniиre
par la corruption du sujet ; mais de cette maniиre la charitй ne peut
pas faire dйfaut; puisque l’вme humaine qui est son substrat est
incorruptible. D’une deuxiиme maniиre un
accident fait dйfaut par dйfaillance de la cause, de mкme que la lumiиre
disparaоt de l’air par absence de soleil ; mais de cette maniиre la
charitй ne peut pas se perdre, parce que la cause, c'est-а-dire Dieu, est
sans dйfaillance. D’une troisiиme
maniиre un accident faire dйfaut par dйfaillance de l’objet, comme la
paternitй faire dйfaut par la mort de l’enfant, mais la charitй ne fait pas
dйfaut de cette maniиre, parce que son objet est le bien йternel, qui est
Dieu. D’une quatriиme maniиre, un
accident fait dйfaut par l’action d’un agent contraire, comme le froid de
l’eau faire dйfaut par l’action de la chaleur ; mais de cette maniиre la
charitй ne peut pas faire dйfaut, puisqu’elle est plus forte que le pйchй,
qui semble agir dans le contraire ; selon cette parole du Ct 8, 6 : « L’amour est fort comme la mort » ; et en plus : « Les eaux nombreuses ne peuvent йteindre la
charitй ». Donc la charitй ne peut se perdre d’aucune maniиre en
celui qui la possиde.
[66362] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 12
Praeterea, peccatum est malum quoddam rationalis naturae. Sed malum non agit
nisi virtute boni, ut dicit Dionysius, IV cap. de divin. Nomin — Bonum autem non contrariatur bono, ut dicitur
in Praedicamentis; et ita non
potest ipsum corrumpere, cum unumquodque corrumpatur a suo contrario. Caritas
ergo per peccatum non potest corrumpi.
12. Le pйchй est un mal de la nature
raisonnable. Mais le mal n’agit que dans le pouvoir du bien, comme le dit
Denys, (Les noms divins, 4). Et le
bien ne s’oppose pas au bien, comme il est dit dans les Catйgories ; et ainsi il ne peut pas le corrompre, puisque
chaque chose est corrompue par son contraire. Donc la charitй ne peut pas
кtre corrompue par le pйchй.
[66363] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 13
Praeterea, si caritas a peccato corrumpitur; aut a peccato existente, aut a
non existente. Sed non a peccato existente; quia sic peccatum mortale simul
esset cum caritate. Neque iterum a peccato non existente; quia non ens agere
non potest. Ergo caritas nullo modo potest amitti per peccatum.
13. Si la charitй est corrompue par le
pйchй, ou c’est par un pйchй qui existe ou par un pйchй qui n’existe
pas ; parce qu’ainsi le pйchй mortel coexisterait avec la charitй. Ni
non plus par un pйchй qui n’existe pas ; parce que le non йtant ne peut
pas agir. Donc la charitй en aucune maniиre ne peut кtre perdue par le pйchй.
[66364] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 14
Praeterea, si caritas per peccatum amittitur; aut caritas et peccatum sunt in
eodem instanti in anima, aut in alio. Sed non in eodem, quia tunc simul
essent : neque iterum in alio et alio, quia oporteret quod esset tempus
medium in quo homo neque peccatum neque caritatem haberet, quod est
inconveniens. Non ergo potest caritas per peccatum amitti.
14. La charitй est perdue par le pйchй, ou
bien la charitй et le pйchй sont dans un mкme instant dans l’вme ou dans un
autre instant. Mais ce n’est pas dans le mкme, parce qu’alors ils seraient
ensemble ; et de plus par dans l’un et l’autre, parce qu’il serait
nйcessaire que ce soit un temps intermйdiaire en lequel l’homme n’aurait ni
pйchй, ni charitй, ce qui ne convient pas. Donc la charitй ne peut pas кtre
perdue par le pйchй.
[66365] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 15
Praeterea, Magister dicit, 31 dist. III Lib. Sentent., quod perfecta caritas per peccatum amitti non potest.
15. le Maоtre dit, (III sent. d. 31,) que la charitй parfaite ne peut pas кtre perdue
par le pйchй.
[66366] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 16
Praeterea, sicut se habet intellectus ad cognitionem veri, ita et voluntas ad
amorem boni. Sed intellectus cognoscendo quodcumque verum, cognoscit primam
veritatem. Ergo amando quodcumque bonum, amat summam bonitatem. Sed nunquam
peccat qui amat, nisi convertendo se per amorem ad bonum commutabile. Ergo in
omni peccato homo amat summam bonitatem, cuius amor est caritas. Numquam
igitur caritas per peccatum amitti potest.
16. Comme l’intellect se comporte
vis-а-vis de la connaissance de la vйritй, de la mкme maniиre la volontй se
comporte vis-а-vis de l’amour du bien. Mais l’intellect en connaissant
quelque chose de vrai, connaоt la vйritй premiиre. Donc en aimant quelque
bien, il aime la bontй suprкme. Mais celui qui aime ne pиche jamais sinon en
se dйtournant par amour vers un bien changeant. Donc dans tout pйchй, l’homme
aime la bontй suprкme, dont l’amour est la charitй. Jamais donc la charitй ne
peut кtre perdue par le pйchй.
[66367] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 17
Praeterea, sicut in genere causae efficientis est agens universale et
proprium, ita et in genere causae finalis. Sed agens proprium
semper agit in virtute universalis agentis. Ergo finis proprius semper movet
voluntatem in virtute finis ultimi. Sed
finis ultimus est Deus; et sic idem quod prius.
17. Dans le genre de la cause efficiente
il y a l’agent universel et l’agent particulier, il en est de mкme dans le
genre de la cause finale. Mais l’agent particulier agit toujours dans le
pouvoir de l’agent universel. Donc la fin particuliиre meut toujours la
volontй dans le pouvoir de la fin ultime. Mais la fin ultime est Dieu, et
ainsi de mкme que plus haut.
[66368] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 18
Praeterea, caritas est signum quod aliquis sit verus Christi discipulus,
secundum illud Ioan., XIII, 35 : In hoc cognoscent omnes quia mei estis
discipuli, si dilectionem habueritis ad invicem. Sed non est Christi
verus discipulus qui non semper est eius discipulus unde Augustinus [tract.
XXVII in Ioan. VI, 67] exponens
illud Ioan., VI : Multi ex discipulis eius abierunt
retrorsum, dicit, quod illi non fuerunt Christi veri discipuli; et
dominus dicit, Ioan. VIII, 31 : Si manseritis in sermone meo, veri
discipuli mei eritis. Ergo ille qui non permanet in caritate nunquam
habuit caritatem.
18. La charitй est le signe que quelqu'un
est vrai disciple du Christ, selon cette parole de Jn 13, 35 : « En cela
tous reconnaitront que vous кtes mes disciples, si vous avez de l’amour entre
vous ». Mais n’est pas vйritable disciple du Christ celui qui n’est
pas toujours son disciple c'est pourquoi Augustin, exposant cette parole de Jn 6 : « Beaucoup de ses disciples d’en allиrent » , dit que ceux-lа
ne furent pas de vrais disciples et le Seigneur dit (Jn 8, 31) : « Si vous
demeurez en ma parole, nous serez mes vrais disciples ». Donc celui
qui ne demeure pas dans la charitй ne l’a jamais eue.
[66369] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 19
Praeterea, omnis motus est secundum exigentiam praedominantis. Sed caritas
praedominatur in corde caritatem habentis, quia totum cor sibi occupat,
secundum illud quod mandatur Deuter.
VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex
toto corde tuo. Ergo motus omnis habentis caritatem est secundum
caritatem; non ergo per peccatum amitti potest.
19. Tout mouvement dйpend de l’exigence de
celui qui domine. Mais la charitй domine dans le cњur de celui qui la
possиde, parce que tout le cњur s’occupe de lui selon ce commandement de Dt 6, 5 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cњur ». Donc
tout mouvement de celui qui possиde la charitй dйpend d’elle, donc elle ne
peut pas кtre perdue pas le pйchй.
[66370] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 20
Praeterea, differentiae diversificantes genus vel speciem non possunt
convenire eidem secundum numerum. Sed corruptibile et incorruptibile
diversificant genus, ut dicitur in X Metaph.[comm. 26]. Cum igitur caritas
viae et patriae sit eadem numero, videtur quod sicut caritas patriae corrumpi
non potest, ita nec caritas viae.
20. Les diffйrences qui diversifient le
genre ou l’espиce ne peuvent pas convenir а un mкme chose en nombre. Mais le
corruptible et l’incorruptible diversifient le genre, comme il est dit en Mйtaphysique X, 10, 1059 a. Donc comme
la charitй de la voie et la patrie est la mкme en nombre, la charitй de la
patrie ne peut pas кtre corrompue, de mкme celle de la voie non plus.
[66371] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 21
Praeterea, si caritas corrumpitur : aut corrumpitur in aliquid, aut in nihil.
Sed non in aliquid; quia hoc est solum formarum quae educuntur de potentia
materiae. In nihil autem corrumpi non potest : quia Deus nunquam caritatem
corrumpit, qui solus potest ex aliquo facere nihil, sicut ipse solus potest
facere ex nihilo aliquid : aequalis enim est utraque distantia. Ergo videtur
quod caritas corrumpi non possit.
21. Si la charitй est corrompue, ou bien
elle l’est en quelque chose ou en rien. Mais pas en quelque chose, parce que
cela vient seulement des formes qui sont йduites de la puissance de la
matiиre. Mais en rien elle ne peut кtre dйtruite : parce que Dieu ne dйtruit
jamais la charitй, lui qui peut seul faire rien de quelque chose, comme il
peut seul faire quelque chose de rien ; car l’une et l’autre distance sont
йgales. Donc il semble que la charitй ne pourrait pas кtre corrompue.
[66372] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 22
Praeterea, illud per quod peccatum tollitur, a peccato corrumpi non potest.
Sed peccatum tollitur per caritatem, secundum illud I Pet., IV, 8 : Caritas
operit multitudinem peccatorum. Ergo caritas per peccatum amitti non
potest.
22. Ce par quoi le pйchй est enlevй, ne
peut pas кtre corrompu par lui. Mais le pйchй est enlevй par la charitй,
selon cette parole de 1 P 4, 8 :
« La charitй couvre de nombreux
pйcheurs ». Donc la charitй ne peut pas кtre perdue par le pйchй.
[66373] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 23
Praeterea, super illud Ps. XXVI, 2
: Deum appropiant super me nocentes, ut
edant carnes meas dicit Glossa Augustini : Si aufertur donum, dator vincitur. Sed Deus, qui est dator
caritatis, vinci non potest. Ergo caritas non potest auferri per peccatum.
23. Sur ce Ps 26, 2 : « Les
mйchants s’approchent de moi pour manger mes chairs », la glose
d’Augustin dit : « Si le don est
enlevй, le donneur est vaincu ». Mais Dieu qui est le donneur de la
charitй, ne peut pas кtre vaincu. Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe
par le pйche.
[66374] De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 24
Praeterea, per caritatem anima unitur Deo ut sponsa, secundum quoddam
spirituale matrimonium. Sed matrimonium carnale non potest separari per
dissensum supervenientem matrimonio. Ergo caritas non potest tolli per
peccatum quo mens dissentit ab iis quae sunt Dei.
24. Par la charitй l’вme s’unit а Dieu
comme une йpouse, selon un certain mariage spirituel. Mais le mariage charnel
ne peut pas кtre enlevйй par un dissentiment qui survient dans le mariage.
Donc la charitй ne peut pas кtre enlevйe par le pйchй par lequel l’esprit
n’est pas d’accord а ce qui est de Dieu.
En
sens contraire :
[66375] De
virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. II, v. 4 : Habeo adversus te pauca, quod caritatem
tuam primam reliquisti.
1. On lit dans Ap 2, 4 : « Ce peut
que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonnй ton premier amour. ».
[66376] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 2
Praeterea, Gregorius dicit in homilia [XXX in Eang.] : in quorumdam
corda venit Deus, et mansionem non facit; quia per compunctionem respectum
Dei percipiunt, sed tentationis tempore sic ad perpetranda peccata redeunt,
ac si haec minime planxissent. Sed Deus non venit in corda fidelium nisi
per caritatem. Ergo aliquis post habitam caritatem potest eam amittere per
sequens peccatum.
2 Saint Grйgoire le Grand dit dans une
homйlie (Sur l’Йvangile, homйlie
30) : « Dans les coeurs de
certains, Dieu vient mais n’y йtablit pas sa demeure, parce que par
componction ils conзoivent du respect pour Dieu, mais au temps de la
tentation ils retournent exйcuter leur pйchйs comme si ceux-ci les avaient
fort peu frappйs ». Mais Dieu ne vient dans le cњur des fidиles que
par charitй. Donc quelqu’un aprиs avoir possйde la charitй peut la perdre par
un pйchй qui suit.
[66377] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 3
Praeterea, I Reg., XVI, dicitur de
David, quod dominus erat cum eo. Sed postmodum peccavit, faciendo adulterium
et homicidium. Deus autem est in homine per caritatem. Ergo post habitam
caritatem aliquis potest eam amittere peccando mortaliter.
3. Au premier livre des Rois 16, 13 il est dit de David que
le Seigneur йtait avec lui. Mais par la suite il pйcha en commettant un
adultиre et un homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charitй. Donc aprиs
avoir eu la charitй on peut la perdre en pйchant mortellement.
[66378] De
virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 4 Praeterea, caritas est vita animae, secundum
illud I Ioan.III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam
diligimus fratres. Sed vita naturalis potest amitti per mortem naturalem.
Ergo et vita caritatis per mortem peccati mortalis.
4. La charitй est la vie de l’вme selon ce
que dit 1 Jn 3, 14 : « Nous savons que nous sommes passйs de la
mort а la vie parce que nous aimons nos frиres ». Mais la vie
naturelle peut se perdre par la mort naturelle. Donc aussi la vie de charitй
par la mort du pйchй mortel.
Rйponse
:
[66379] De virtutibus, q. 2 a. 12 co.
Respondeo. Dicendum, quod Magister in 17 dist., I Lib., posuit, quod caritas
in nobis sit Spiritus sanctus. Non autem fuit sua intentio dicere, quod ipse
actus dilectionis nostrae sit Spiritus sanctus; sed quod Spiritus sanctus
movet animam nostram ad diligendum Deum et proximum, sicut etiam ad actus
aliarum virtutum : sed ad actus aliarum virtutum movet animam per quosdam
habitus virtutum infusarum; ad actum autem dilectionis Dei et proximi movet
absque alio habitu mediante. Unde eius opinio vera fuit quidem quantum ad hoc
quod posuit animam moveri a spiritu sancto ad diligendum Deum et proximum;
sed imperfecta fuit quantum ad hoc, quia non posuit in nobis habitum, quid
creatum, quo perficeretur voluntas humana ad huiusmodi dilectionis actum.
Oportet enim huiusmodi habitum in anima poni, ut supra, art. 1 huius quaest.,
habitum est.
Le Maоtre (Pierre Lombard I Sent. d. 17[65]) a pensй que la charitй en
nous est l’Esprit Saint. Or зa n’a pas йtй son intention de dire que notre
acte d’amour soit l’Esprit Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre вme а
aimer Dieu et le prochain, comme aussi pour les actes des autres vertus; mais
pour les actes des autres vertus il meut l’вme par les habitus de vertus
infuses ; pour les actes d’amour de Dieu et du prochain il meut sans aucun
autre habitus intermйdiaire. C'est pourquoi ce qu’il a pensй a йtй vrai du
fait que l’Esprit Saint incite l’вme а aimer Dieu et le prochain ; mais elle
a йtй imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus, quelque chose
de crйй, par lequel la volontй humaine serait accomplie en vue d’un tel acte
d’amour. Il faut en effet mettre dans l’вme un tel habitus, comme on l’a vu
au premier article.
Potest igitur quadruplex consideratio de caritate haberi.
Prima quidem ex parte Spiritus sancti moventis
animam ad dilectionem Dei et proximi; et quantum ad hoc, necesse est dicere,
quod motio Spiritus sancti semper est efficax secundum suam intentionem.
Operatur enim in anima Spiritus sanctus dividens
singulis prout vult, ut dicitur 1
Cor., XII; et ideo quibus spiritus sanctus pro suo arbitrio vult dare
perseverantem divinae dilectionis motum, in his peccatum caritatem excludens
esse non potest. Dico non posse ex parte virtutis motivae, quamvis possit ex
parte vertibilitatis liberi arbitrii. Ista enim sunt beneficia Dei, quibus
certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit in Lib. de Praedest. Sanctor. Quibusdam autem
Spiritus sanctus, pro suo arbitrio, dat quidem ut ad tempus moveantur motu
dilectionis in Deum, non autem dat eis ut in hoc perseverent usque in finem,
ut patet per Augustinum in Lib. de
Corrept. et gratia.
On peut avoir quatre considйrations sur la charitй.
Premiиre
considйration : du cфtй
de l’Esprit Saint qui incite l’вme а l’amour de Dieu et а ce sujet il est
nйcessaire de dire que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace
selon son intention. En effet il opиre dans l’вme « distribuant а chacun comme il le veut », comme il est dit 1 Co 12, 11; et donc chez ceux
auxquels selon son bon plaisir il veut donner le mouvement de persйvйrance
dans la divine charitй il ne peut y avoir chez eux de pйchй excluant la
charitй. Je dis que ce n’est pas possible du cфtй de la vertu qui y incite,
bien que cela le soit du cфtй de la versatilitй du libre arbitre. Ce sont lа
en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement libйrйs
tous ceux qui sont libйrйs, comme saint Augustin le dit au Livre de la Prйdestination des saints. Or а
certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir donne d’кtre mыs, pour un
temps, du mouvement d’amour de Dieu mais il ne leur donne pas d’y persйvйrer
jusqu’а la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de la Correction et de la Grвce.
Secunda
consideratio est de
caritate secundum potestatem ipsius caritatis; et quantum ad hoc, nullus
habens caritatem potest peccare, quantum est ex vi ipsius caritatis, sicut
neque aliquis habens aliquam formam, ex vi illius formae potest operari
contra formam illam; sicut calidum ex vi calidi non potest infrigidare, vel
frigidum esse; potest tamen amittere calorem et infrigidari. Et secundum hoc
loquitur Augustinus in Lib. de sermone
Domini in monte [lib. II, cap. XXXVII], exponens illud quod habetur Matth., VII, 18 : Non potest arbor bona fructus malos facere. Dicit enim, quod
sicut potest fieri ut quod fuit nix, non sit, non autem ut nix sit calida;
sic potest fieri ut qui malus fuit non sit malus, non tamen fieri potest ut
malus bene faciat : et eadem ratio est de bono secundum quamcumque virtutem,
quia nulla virtute aliquis male utitur.
La
secondeconsidйration concerne la charitй du
cфtй de son pouvoir et quant а cela personne n’ayant la charitй ne peut
pйcher en vertu mкme de la force de la charitй, comme celui qui a une
certaine forme ne peut opйrer contre elle en vertu de cette mкme forme, comme
ce qui est chaud ne peut pas refroidir ou кtre froid par la force du chaud,
mais il peut cependant perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’aprиs cela
saint Augustin (Le sermon du Seigneur
sur la montagne, II, 37) expose ce qui est dit en Mt 7, 18 : « Un bon
arbre ne peut pas porter de mauvais fruits ». Il dit en effet que de
mкme qu’il peut se faire que ce qui a йtй neige ne le soit plus, mais pas que
la neige soit chaude, ainsi il peut se faire que celui qui fut mйchant ne le
soit plus, non cependant qu’il soit fait que le mйchant fasse bien ; et c’est
la mкme raison pour le bien en ce qui concerne n’importe quelle vertu, parce
qu’on ne se sert mal d’aucune vertu.
Tertia consideratio est de caritate ex
parte voluntatis, in quantum ei subiicitur ut materia formae. Ubi attendendum
est, quod quando forma implet totam potentialitatem materiae, non potest
remanere in materia potentia ad aliam formam; unde illam formam
inamissibiliter habet, sicut patet de materia caelesti. Quaedam vero forma
est quae non replet totam potentialitatem materiae, sed remanet potentia ad
aliam formam; et tunc illa forma amissibiliter habetur ex parte materiae vel
subiecti, sicut patet in formis elementarium corporum. Caritas autem implet
potentialitatem sui subiecti, secundum quod suum subiectum reducit in actum
dilectionis : et ideo in patria, ubi actu creatura rationalis diligit Deum ex
toto corde suo, et nihil aliud diligit nisi actualiter referendo in Deum,
caritas inamissibiliter habetur; in statu autem viae caritas non implet totam
potentialitatem animae, quae non semper actualiter movetur in Deum, omnia in
ipsum actuali intentione referens; et ideo caritas viae amissibiliter
habetur, quantum est ex parte subiecti.
La troisiиmeconsidйration sur la charitй du cфtй de la volontй en tant que
celle-ci lui est soumise comme la matiиre а la forme. Oщ il faut remarquer
que quand la forme remplit toute la potentialitй de la matiиre, la puissance
ne peut plus demeurer dans la matiиre pour une autre forme ; c'est pourquoi
elle a cette forme sans pouvoir la perdre, comme on le voit dans la matiиre
cйleste. Il y a une forme qui ne remplit pas toute la potentialitй de la
matiиre, mais la puissance demeure pour une autre forme et donc cette forme
est peut кtre perdue du cфtй de la matiиre ou du sujet comme on le voit dans
les formes des corps йlйmentaires. Mais la charitй comble la potentialitй de
son sujet qu’elle ramиne а l’acte d’amour et ainsi c’est dans la patrie oщ la
crйature raisonnable aime Dieu de tout son coeur et actuellement et n’aime
rien d’autre sinon qu’en le rapportant actuellement а Dieu c’est lа que la
charitй est possйdйe sans pouvoir кtre perdue. Dans l’йtat de voie la charitй
ne comble pas toute la potentialitй de l’вme qui n’est pas constamment
poussйe en Dieu en acte, rapportant tout а lui par une intention actuelle, et
ainsi la charitй de la voie est peut кtre perdue du cфtй du sujet.
Quarta
consideratio est de
caritate ex parte subiecti, prout comparatur specialiter ad ipsam caritatem
sicut potentia ad habitum. Ubi considerandum est, quod habitus virtutis
inclinat hominem ad recte agendum, secundum quod per ipsam homo habet rectam
aestimationem de fine; quia, ut dicitur in III Ethic. [cap. V], qualis unusquisque est, talis et finis videtur
ei. Sicut enim gustus iudicat de sapore, secundum quod est affectus aliqua
bona vel mala dispositione, ita id quod est conveniens homini secundum
habitualem dispositionem sibi inhaerentem, bonam vel malam, aestimatur ab eo
ut bonum; quod autem ab hoc discordat, aestimatur ut malum et repugnans; unde
et apostolus dicit, I ad Cor., cap.
II, 14, quod animalis homo non percipit
ea quae sunt Spiritus Dei.
La quatriиme considйration concerne la
charitй du cфtй du sujet dans la mesure oщ il est comparй spйcialement а la
charitй elle-mкme, comme la puissance а l’habitus. Il faut ici considйrer que
l’habitus de la vertu incline l’homme а agir avec droiture selon que par elle
il a une juste estimation de la fin ; car comme il est dit (Йthiques III, 5) : « Tel est chacun et telle aussi lui semble
la fin ». De mкme en effet que le goыt juge la saveur selon qu’il
est affectй d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient а
l’homme selon la disposition habituelle adhйrente, qui est bonne ou mauvaise,
est estimй par lui comme un bien; ce qui n’est pas en accord avec cela est
estimй mauvais et rйpugnant; d’oщ ce que dit l’Apфtre 1 Co 2, 14 « L’homme
charnel ne perзoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ».
Contingit tamen quandoque, quod id quod
videtur alicui secundum inclinationem habitus, non videatur ei secundum
aliquid aliud; sicut luxurioso secundum inclinationem proprii habitus videtur
bonum delectatio carnis, sed secundum rationis deliberationem, vel
auctoritatem Scripturae, videtur ei contrarium; et ideo habens habitum
luxuriae, ex hac aestimatione contra habitum quandoque agit, et similiter
habens habitum virtutis quandoque agit contra inclinationem proprii habitus;
quia aliquid ei aliter videtur secundum aliquem alium modum, puta per
passionem, vel aliquam seductionem.
Il arrive parfois cependant
que ce qui paraоt а quelqu’un en accord avec la tendance de l’habitus ne lui
paraоt en accord а autre chose; comme au luxurieux selon la tendance de son
propre habitus la tendance de la chair lui paraоt un bien, mais selon la
dйlibйration de la raison ou l’autoritй de l’Ecriture elle lui paraоt
contraire. Et ainsi celui qui a l’habitus de la luxure agit quelquefois selon
cette estimation contre l’habitus, et de la mкme maniиre celui qui l’habitus
de la vertu agit quelquefois contre la tendance de son propre habitus, parce
que quelque chose d’autre lui semble d’une autre maniиre, par exemple par
passion ou par une sйduction.
Tunc
ergo contra habitum caritatis nullus agere poterit, quia nullus potest habere
aliam aestimationem de fine et obiecto caritatis quam secundum inclinationem
caritatis; hoc autem erit in patria, ubi ipsa Dei essentia videbitur, quae
est ipsa essentia bonitatis. Unde sicut nunc nullus potest aliquid velle nisi
sub communi ratione boni, nec bonum sub ratione boni potest non amari, ita et
tunc hoc bonum, quod est Deus, nullus poterit non amare. Et propter hoc,
nullus videns Deum per essentiam, potest contra caritatem agere. Et inde est
quod caritas patriae est inamissibilis.
Alors donc personne ne pourra agir contre
l’habitus de la charitй parce que personne ne peut avoir une autre estimation
de la fin et de l’objet de la charitй que selon la tendance de la charitй
cela existera dans la patrie oщ l’essence mкme de Dieu et qui est l’essence
mкme de la bontй sera vue. C'est pourquoi que de mкme que personne ne peut
vouloir une chose que sous la commune raison de bien, et que le bien ne peut
ne pas кtre aimй sous sa raison de bien, de mкme aussi alors ce bien qui est
Dieu personne ne pourra pas ne pas l’aimer. Et а cause de cela personne
voyant Dieu par son essence ne peut agir contre а la charitй. Et de lа vient
que la charitй de la patrie est inamissible.
Sed nunc mens nostra non videt ipsam
essentiam bonitatis divinae, sed aliquem effectum eius, qui potest videri
bonus et non bonus, secundum diversas considerationes; sicut bonum spirituale
aliquibus videtur non bonum, in quantum contrariatur delectationi carnali, in
cuius concupiscentia sunt. Ideo caritas viae potest amitti per peccatum
mortale.
Mais maintenant notre esprit ne voit pas
l’essence mкme de la bontй de Dieu, mais un effet qui peut paraоtre bon ou
non selon diffйrentes considйrations ; de mкme que le bien spirituel ne
paraоt pas bon а certains en tant qu’il s’oppose а la dйlectation charnelle
en la concupiscence duquel ils sont. Ainsi la charitй de la voie peut se
perdre par le pйchй mortel.
Solutions :
[66380] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod verbum illum Ioannis est intelligendum secundum
potestatem Spiritus sancti moventis animam, qui indeficienter operatur quod
vult.
1. Cette parole de Jean est а penser selon
le pouvoir de l’Esprit saint qui meut l’вme, qui opиre ce qu’il veut sans
dйfaillance.
[66381] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de caritate secundum
potestatem ipsius caritatis : de se enim habet sufficienter unde nunquam
arescat; sed quod amittatur, est propter vertibilitatem subiecti, ut dictum
est.
2. Augustin parle lа de charitй selon sa
puissance mкme : car de soi elle a suffisamment de quoi ne jamais se
dйssиcher ; mais qu’elle soit perdue est а cause de la mutabilitй du
sujet, comme il a йtй dit.
[66382] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod vera dilectio de sua ratione habet quod nunquam
amittatur; qui enim vere diligit hominem, hoc in animo suo proponit, ut
nunquam dilectionem dimittat. Sed quandoque illud propositum mutatur, et sic
dilectio quae vera fuit, amittitur. Si autem hoc aliquis habuisset in
proposito, ut a diligendo quandoque desisteret, vera dilectio non fuisset.
Unde patet, quod caritas inamissibilis est secundum potestatem propriam;
amitti tamen potest secundum potestatem subiecti vertibilis.
3. L’amour vrai de sa nature a qu’il n’est
jamais perdu ; car qui aime vraiment un homme, place cela en son вme de
ne jamais perdre son amour. Mais quelquefois ce dessin change, et ainsi
l’amour qui a йtй vrai est changй. Et ainsi l’amour qui a йtй vrai est
abandonnй. Mais si quelqu’un l’avait eu dans son dessin, pour cesser
quelquefois d’aimer, l’amour vrai n’aurait pas existй. C'est pourquoi il est
clair que la charitй est inamissible, selon une puissance propre, cependant
elle peut кtre abandonnйe selon la puissance d’un sujet changeant (?)
[66383] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illa etiam auctoritas prosperi loquitur de caritate
secundum potestatem ipsius, et non secundum potestatem subiecti.
4. Cette autoritй de Prosper (d’Aquitaine)
parle de la charitй selon sa puissance et non selon la puissance du sujet.
[66384] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod caritas, dum est, habet inclinationem ad magna
operandum; et hoc vult et proponit, secundum rationem suae virtutis; sed
quandoque ab hoc deficit propter vertibilitatem subiecti.
5. Tant que la charitй existe, elle a une
tendance а opйrer de grandes њuvres ; et elle le veut et le propose
selon la nature de sa pouvoir, mais quelquefois elle fait dйfaut а cause du
changement du sujet.
[66385] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod cum in homine sit duplex natura, scilicet intellectiva,
quae principalior est, et sensitiva, quae minor est, ille vere seipsum
diligit qui se amat ad bonum rationis : qui autem se amat ad bonum
sensualitatis contra bonum rationis, magis se odit quam amat, proprie
loquendo, secundum illud Psalm. X,
5 : Qui diligit iniquitatem, odit
animam suam; et hoc etiam philosophus dicit in IX Ethic. [cap. IV]. Et secundum hoc amor verus sui ipsius amittitur
per peccatum contrarium, sicut et amor Dei.
6. Comme dans l’homme il y a une double
nature, а savoir intellectuelle qui plus importante et une nature sensitive,
qui l’est moins, s’aime vraiment celui qui s’aime pour le bien de la raison,
mais celui qu’il s’aime pour le bien de la sensualitй, contre le bien de la
raison, se hait plus qu’il ne s’aime, а proprement parler, selon cette parole
du Ps (10, 5) : «Qui aime l’iniquitй hait son вme ».
Et cela aussi le philosophe le dit (Йthique,
IX, 4, 1166 b 19). Et selon cela l’amour vrai de soi-mкme est perdu par
le pйchй contraire, comme l’amour de Dieu.
[66386] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod caritas excludit omne motivum peccati secundum suum
propositum : pertinet enim hoc ad rationem caritatis, ut velit non
concupiscere, nec inordinate se amare. Sed quandoque accidit contrarium,
propter vertibilitatem et corruptionem naturae; secundum illud Apostoli ad Roman. cap. VII, 19 : Non enim quod volo bonum, hoc ago; sed
quod odi malum, id facio.
7. La charitй exclut tout motif de pйchй
enson dessein ; car il appartient а la nature de la charitй, de vouloir
ne pas dйsirer, ni s’aimer contre l’ordre. Mais quelquefois il arrive le
contraire, а cause du changement et de la corruption de la nature ; selon
cette parole de l’Apфtre (Rm 7, 19)
: « Car je ne fais pas le bien que je
veux, mais je fais le mal que je hais ».
[66387] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod quamdiu aliquis sequitur motionem Spiritus sancti, non
peccat; sed quando resistit, tunc peccat.
8. Aussi lontemps que quelqu’un suit la
motion du Esprit saint, il ne pиche pas, mais quand il rйsiste, alors il
pиche.
[66388] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod esse caritatis non semper est in operari; alioquin
dormientes non haberent caritatem. Dicitur autem quod amor Dei nunquam est
otiosus secundum caritatis propositum, quod ad hoc est ut totum se homo det
Deo.
9. L’кtre de la charitй n’est pas toujours
pour opйrer, autrement ceux qui dorment n’auraient pas la charitй. Mais on
dit que l’amour de Dieu n’est jamais oisif, selon le dessein de la charitй,
pour que l’homme se donne tout entier а Dieu.
[66389] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod amissio ita se habet ad rem habitam sicut corruptio ad
rem existentem. Unde sicut corruptio incipit a re existente, et terminatur in
eius non esse, quia eius mutatio est de esse in non esse; ita etiam amissio,
cum sit etiam mutatio de habere in non habere, incipit in habere, et
terminatur in non habere, et ideo principium amissionis caritatis est quando
caritas habetur; finis autem quando non habetur.
10. La perte se comporte vis-а-vis de ce
qu’on possиde comme la corruption vis-а-vis de ce qui existe. C'est pourquoi,
de mкme que la corruption commence а ce qui existe et se termine а son non
кtre, parce que son changement passe de l’кtre au non кtre, de mкme aussi
comme la perte est aussi un changement de la possession а la non possession,
elle commence dans le possession et se termine dans la non possession, et
c'est pourquoi le commencement de la perte de la charitй est quand on a la
charitй, mais la fin quand on ne l’a pas.
[66390] De
virtutibus, q. 2 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas aliquo modo
desinit esse in anima secundum illa quatuor.
Subiectum enim caritatis quamvis
sit incorruptibile secundum substantiam, fit tamen indispositum ad hanc
formam per contrariam dispositionem peccati. Similiter, quamvis causa caritatis sit incorruptibilis,
tamen influxio huiusmodi causae impeditur per peccatum, quod dividit inter
nos et Deum. Et ex hac etiam ratione ex parte obiecti deficit caritas, in quantum voluntas se avertit a bono
incommutabili. Desinit etiam per contrarium motivum ad peccandum : quod licet, simpliciter loquendo, sit
debilius quam caritas, tamen in casu potest esse fortius; quando scilicet
caritas in actu non operatur, et motivum peccati movet in aliquo particulari
opere, sicut etiam philosophus ostendit in VII Ethic. [cap. XI], quod a passione potest vinci scientia, quamvis
sit fortissima; in quantum non est in actu agens, sed in habitu ligato per
passionem : et sicut scientia est fortissima in universali, passio autem in
particulari operabili, ita caritas est fortissima circa finem ultimum; et
motivum peccati habet fortitudinem in aliquo particulari opere.
11. La charitй d’une certaine maniиre
cesse d’кtre dans l’вme selon quatre
points de vue. Car bien que le sujet de
la charitй soit incorruptible en substance, elle devient cependant
indisponible pour cette forme par une disposition contraire du pйchй. De la
mкme maniиre, bien que la cause de
la charitй soit incorruptible, cependant l’йcoulement de cette cause est
empкchй par le pйchй, qui nous sйpare de Dieu. Et aussi par cette raison du
cфtй de l’objet la charitй fait
dйfaut, en tant que la volontй se dйtourne du bien immuable. Elle cesse aussi
par un motif contraire pour
pйcher ; ce qui а simplement parler, bien qu’il soit plus fragile que la
charitй, cependant en cette occasion, il peut кtre plus fort ; quand la
charitй en acte n’opиre pas, que le mouvement du pйchй pousse а une њuvre
particuliиre, comme aussi le philosophe le montre en Ethique, VII, 11, que par la passion la science peut кtre
vaincue, bien qu’elle soit trиs forte ; en tant que ce n’est pas un
agent en acte, mais dans un habitus liй par la passion, et de mкme que la
science est trиs forte dans l’universel, la passion aussi dans ce qui peut
кtre opйrй en particulier, de mкme la charitй est trиs forte pour la fin
ultime, et le motif du pйchй a une force dans une њuvre particuliиre.
[66391] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod philosophus dicit, quod bonum unius virtutis non
contrariatur bono alterius virtutis; et hoc intendit philosophus dicere in Praedicamentis [in postpraedic., cap. de oppositis] et in II Ethic. Sed in
naturis bonum contrariatur bono; utrumque enim contrariorum est quoddam bonum
naturae. Bonum ergo quod movet appetitum ad peccandum, contrariatur bono
divino quod est obiectum caritatis, in quantum in eo constituitur finis. Sic
enim non est possibile esse nisi unum finem ultimum : sicut et in regno, in
quo non potest esse nisi unus rex, contrariatur regi qui se regem facit
secundum illud Ioan., XIX, 12 : Omnis qui se regem facit, contradicit
Caesari.
12. Le philosophe dit, que le bien d’une
seule vertu ne s’oppose pas au bien d’une autre vertu, et le philosophe tend
а le dire dans les Catйgories, les opposйs et en Ethique II. Mais dans les natures, le bien s’oppose au
bien ; car l’un et l’autre des contraires est une bien de la nature. Donc
le bien qui pousse l’appйtit а pйcher, est contraire au bien divin qui est
l’objet de la charitй, en tant que la fin est constituйe en lui. Car ainsi il
n’est possible qu’il n’y ait qu’une fin ultime : de mкme que dans un royaume,
en lequel il ne peut y avoir qu’un roi, s’oppose а lui celui qui se proclame
roi selon cette parole de Jn 19, 12
: « Tout homme qui se fait roi
s’oppose а Cйsar »/
[66392] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod caritas non expellitur a peccato sicut ab
agente, sed sicut a contrario; unde ipsa superventio peccati est expulsio
caritatis, sicut adventio lucis expulsio est tenebrarum : lux enim expellit
tenebras in ipso suo fieri; sed motivum ad peccatum expellit secundum quod
praeexistit in apprehensione animae.
13. La charitй n’est pas chassйe par le
pйchй comme par un agent, mais comme par un contraire ; c'est pourquoi
la survenue du pйchй est l’expulsion de la charitй, comme l’arrivйe de la
lumiиre est l’expulsion des tйnиbres : car la lumiиre chasse les tйnиbres en
leur devenir, mais ce qui pousse au pйchй chasse selon ce qui prйexiste dans
l’apprйhension de l’вme.
[66393] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod quando homo in peccato mortali consistit, hoc
quadam deliberatione rationis agitur, quia sine deliberato consensu non est
peccatum mortale. Deliberatio autem quidam motus est tempore mensuratus, in
cuius temporis ultimo instanti inest peccatum animae; sed ante illud ultimum
instans, non est dare proximum in quo caritas insit; quia instantia non se
habent consequenter, sed tempus est continuum; et ideo in toto tempore
praecedenti quod terminatur ad ultimum instans, caritas inest animae, in
cuius ultimo instanti post inest peccatum. Non ergo est dare ultimum instans
in quo caritas insit, sed ultimum temporis, ut per philosophum patet in VIII Physic.
14. Quand un homme se trouve dans un pйchй
mortel, il est poussй par cette dйlibйration de la raison, parce que sans
consentement dйlibйrй, il n’y a pas de pйchй mortel. Mais le consentement est
un mouvement mesurй par le temps, au dernier instant duquel il y a le pйchй
de l’вme ; mais avant cette ultime instant, il ne faut pas exposer le
prochain en quoi se trouve la charitй; parce que ces instants ne se
comportent pas logiquement, mais le temps est continu, et ainsi dans tout le
temps prйcйdant, qui se termine а l’ultime instant, la charitй est dans
l’вme, en ce dernier instant aprиs il y a le pйchй. Donc il ne faut pas
donner un ultime instant en lequel la charitй se trouve, mais l’ultime
instant du temps, comme on le voit par le philosophe en Physique VIII.
[66394] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod si Magister intelligat de perfecta caritate,
quae est caritas patriae, verum est quod inamissibilis est, rationibus
supradictis. Si vero intelligatur de caritate viae quantumcumque perfecta,
non est verum quod sit inamissibilis ex modo inhaerentiae ipsius ad
subiectum, sed ex sola virtute motionis Spiritus sancti; et sic dicuntur
confirmati quicumque fuerunt confirmati in statu viae.
15. Si le Maоtre pense а la
charitй parfaite, qui est la charitй de la patrie, il est vrai qu’elle est
inamissible, pour les raisons donnйes ci-dessus. Mais s’il pense а la charitй
de la voie, pour autant qu’elle soit parfaite, il n’est pas vrai qu’elle soit
inamissible, par le mode de son inhйrence au sujet, mais par le seul pouvoir
de la motion de l’Esprit saint, et ainsi on dit que sont affermis tous ceux
qui ont йtй affermis dans la statut de la voie.
[66395] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod sicut in cognitione cuiuslibet veri cognoscitur
prima veritas, sicut primum exemplar in imagine, vel vestigio; ita etiam in
amore cuiuslibet boni amatur summa bonitas. Sed talis amor summae bonitatis non
sufficit ad rationem caritatis, sed oportet quod diligatur summum bonum prout
est beatitudinis obiectum.
16. Comme dans la connaissance de quelque
chose de vrai on connaоt la vйritй premiиre ; de mкme dans l’amour de
quelque chose de bon on aime la bontй suprкme. Mais un tel amour de la
suprкme bontй ne suffit pas а la nature de charitй, mais il est nйcessaire
que soit aimй le bien suprкme dans la mesure oщ il est l’objet de la
bйatitude.
[66396]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 17 Et per hoc etiam patet responsio ad
decimumseptimum.
17. Et par cela apparaоt la rйponse а la
dix-septiиme objection.
[66397]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut
Augustinus dicit [tract. XLV In Ioan.]
exponens illud Ioan., X, 27 : Oves meae vocem meam audiunt, et vocem
alienorum non audiunt, est quaedam vox Christi quam nullus audit nisi sit
ovis eius per praedestinationem; haec scilicet vox : Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Et per hunc modum intelligit, quod qui non
permanet in sermone Christi, non est vere discipulus, quia perseverare ab eo
efficaciter non didicit; potest tamen esse discipulus ad tempus quantum ad
temporalem dilectionem Dei et proximi.
18. Comme Augustin le dit en exposant
cette parole de Jn 10, 27 : « Mes brebis entendent ma voix, et elles
n’entendent pas la voix des йtrangers », c’est une parole du Christ
que quelqu'un n’entend que s’il est sa brebis par prйdestination ; telle
cette parole : « Qui persйvиrera
jusqu’а la fin, celui-lа sera sauvй ». Et de cette maniиre il pense
que qui ne demeure pas dans la parole du Christ n’est pas vraiment un
disciple, parce qu’il n’a pas appris de lui а persйvйrer efficacement ;
cependant il peut кtre disciple pour un temps pour un amour temporel de Dieu
et du prochain.
[66398] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod quamdiu caritas actu dominatur in homine, non
movetur motu contrario, sed sequitur homo motum caritatis; et ideo summum
remedium contra peccatum est ut homo redeat ad cor suum, convertens illud in
Dei dilectionem. Sed quando actu homo secundum caritatem non movetur,
ingeritur quandoque motus contrarius peccati.
19. Tant que la charitй domine en acte
dans l’homme, elle n’est pas mue par un mouvement contraire, mais l’homme
suit le mouvement de la charitй : et ainsi le remиde le meilleur contre le
pйchй est que l’homme revienne а son cњur, le convertissant а l’amour de
Dieu. Mais quand l’homme n’est pas mы par un acte selon la charitй,
quelquefois s’introduit un mouvement contraire au pйchй.
[66399] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod corrumpi et generari vel fieri est proprium eius
quod habet esse : et hoc est solum res subsistens in suo esse. Accidentia
autem et formae non subsistentes, non dicuntur entia quia ipsae habeant esse,
sed quia eis aliquid est. Et ideo fieri et corrumpi non proprie est
accidentium et formarum, sed subiectorum; puta, cum corpus aliquod fit album
hoc est albedinem fieri, sicut aliquod corpus esse album, hoc est albedinem
esse. Et eadem ratio est de corruptione; et ideo corruptibile et
incorruptibile non attribuuntur per se accidenti, sed substantiae. Unde nihil
prohibet caritatem viae et patriae esse eamdem numero, quamvis caritas viae
sit amissibilis, caritas autem patriae sit inamissibilis.
20. Кtre corrompu, engendrй ou devenir est
le propre de ce qui a l’кtre, et cela est seulement la chose subsistance en
son кtre. Mais on ne dit pas que les accidents et les formes non subsistantes
sont des кtres, parce qu’ils ont l’кtre, mais parce qu’il y a quelque chose
en eux. Et ainsi devenir et кtre corrompu ne vient pas au sens propre des
accidents ou des formes, mais des sujets ; par exemple, quand un corps
devient blanc, c’est devenir blancheur, de mкme que quelque corps est blanc
c’est кtre blancheur. Et la mкme raison concerne la corruption ; et
ainsi le corruptible et l’incorruptible ne sont pas attribuйs par soi а
l’accident, mais а la substance. C'est pourquoi rien n’empкche la charitй de
la voie et celle de la patrie d’кtre identique en nombre, bien que la charitй
de la voie soit pйrissable, mais celle de la patrie non.
[66400] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod sicut iam dictum est, caritas, proprie
loquendo, non corrumpitur, sed subiectum desinit participare caritatem; unde
non proprie dicitur quod caritas corrumpatur, vel in aliquid, vel in nihil.
21. Comme on l’a dйjа dit, la charitй, а
proprement parler, n’est pas corrompue, mais son sujet cesse de participer а
la charitй ; c’est pour quoi on ne dit pas а proprement parler que la
charitй est corrompue, ou en quelque chose ou en rien.
[66401] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod propter vertibilitatem subiecti, sicut
caritas superveniens peccato destruit ipsum, ita peccatum superveniens
caritati expellit ipsam; contraria enim mutuo se expellunt.
22. A cause de la versabilitй du sujet,
comme la charitй qui arrive aprиs le pйchй le dйtruit, de mкme le pйchй qui
arrive aprиs le pйchй, la chasse, car les contraires se chassent mutuellement.
[66402] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 23 Ad
vicesimumtertium dicendum, quod si donum posset per violentiam auferri,
videretur vinci donator, ad quem pertinet conservare donum ei cui dedit; sed
si ille cui dedit, voluntarie abiiciat, non propter hoc videtur donator
vinci, ad quem non pertinet cogere hominem ad virtutem.
23. Si un don pouvait кtre enlevй par
vciolence, le donateur semblerait vaincu ; pour lequel il appartient de
conserver le don а celui а qui il l’a donnй, mais si celui а qui il l’a donnй,
le rejette volontairement, le donateur ne semble par vaincu pour cela, pour
lequel il ne appartient pas de forcer l’homme а la vertu.
[66403]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod mulier per
matrimonium amittit potestatem sui corporis; sed anima per caritatem non
amittit potestatem liberi arbitrii; unde ratio non sequitur.
24. La femme par mariage perd le pouvoir
de son corps, mais l’вme par charitй ne perd pas le pouvoir du libre
arbitre ; c'est pourquoi la raison ne vaut pas.
A envoyer
[66404] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 1
Decimotertio quaeritur utrum per unum actum peccati mortalis caritas
amittatur
Article 13 – La
charitй est-elle perdue par un seul pйchй mortel ?
[66405] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 2
Et videtur quod non.
Il semble que non.
[66406] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 1
Dicit enim Origenes I Periarch.
[cap. III] : Si aliquando satietas
cepit aliquem ex his qui in summo perfectoque gradu perstiterunt; non
arbitror quod ad subitum quis evacuetur ac decidat; sed paulatim ac per
partes eum decidere, necesse est; ita ut fieri possit interdum, ut, si brevis
aliquis lapsus acciderit, et cito resipiscat, non penitus ruere videatur.
Sed ille qui caritatem amittit, penitus ruit, secundum illud Apostoli, 1 Cor., XIII, 2 : Si caritatem non habeam, nihil sum. Ergo caritas non amittitur
per unum peccatum mortale, quod quandoque subito fit.
1. En effet, Origиne dit (Peri archфn I, 3) : « Si quelquefois la dйgoыt prend l’un de
ceux qui ont persistй dans le plus haut et le plus parfait degrй ; je ne
pense pas qu’il s’affaiblisse subitement et succombe; mais il est nйcessaire
qu’il succombe peu а peu et en partie; de sorte qu’il pourrait intervenir
parfois, pour que, si une brиve chute йtait arrivйe, et qu’aussitфt il se
reprenne, il ne semble pas se prйcipter entiиrement». Mais celui qui a
perdu la charitй, s’йcroule entiиrement, selon cette parole de l’Apфtre (1 Co 13, 2) : « Si je n’ai pas la charitй, je ne suis
rien. » Donc la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй mortel,
qui quelquefois arrive subitement.
[66407] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 2
Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de
diligendo Deo, quod in Petro, qui negavit Christum, non fuit caritas
extincta, sed sopita, et tamen, quando Christum negavit, peccavit mortaliter.
Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati mortalis.
2. Bernard dit dans le livre L’amour de Dieu, que, en Pierre, qui
renia le Christ, la charitй n’a pas йtй йteinte, mais assoupie, et cependant
quand il renia le Christ, il a pйchй mortellement. Donc la charitй n’est pas
perdue par un seul pйchй mortel.
[66408] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 3
Praeterea, Leo Papa dicit in sermone IX de
passione, alloquens Petrum : Vidit
in te dominus non fidem victam, non dilectionem aversam, sed constantiam
fuisse turbatam : abundavit fletus, ubi non defecit affectus, et fons
caritatis lavit verba formidinis. Ergo dilectio caritatis non desiit in
Petro propter actum peccati mortalis.
3. Le pape Lйon [le Grand] dit dans le
sermon 9 sur la Passion, en parlant
de Pierre : « Le Seigneur voit en
toi non une foi vaincue, non un amour dйtournй, mais que ta constance a йtй
troublйe : les pleurs abondиrent, lа oщ sa disposition a faibli, et la
fontaine de charitй a lavй les paroles de la peur ». Donc l’amour de
charitй n’a pas manquй а Pierre а cause du pйchй mortel.
[66409] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 4
Praeterea, caritas est fortior quam virtus acquisita. Sed virtus acquisita,
non corrumpitur per unum actum peccati, sicut nec generatur; dicit enim
philosophus, II Ethic., [cap. I, II
et IV] quod ex eisdem generatur virtus et corrumpitur. Ergo multo minus
caritas amittitur per actum unius peccati mortalis.
4. La charitй est plus forte que la vertu
acquise. Mais celle-ci n’est pas corrompue par une seul pйchй, de mкme
qu’elle n’est pas engendrйe ; car le philosophe dit (Ethique, II, 1, 1103 b 6, 2, 1104 a
26, 4) que la vertu est engendrйe et corrompue par les mкmes causes. Donc la
charitй est beaucoup moins perdue par l’acte d’un seul pйchй mortel.
[66410] De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 5
Praeterea, contrarium non expellitur nisi per suum contrarium. Habitus autem
caritatis non opponitur actui peccati. Sed habitus non generatur per unum
actum. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati.
5. Le contraire n’est chassй que par son
contraire. L’habitus de charitй n’est pas opposй au pйchй. Mais l’habitus
n’est pas engendrй par un seul acte. Donc la charitй n’est pas perdue par un
seul pйchй.
[66411] De
virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 6 Praeterea, sicut fides se habet ad multa
credenda, ita caritas ad multa diligenda ex caritate. Sed qui credit contra unum articulum non
propter hoc amittit fidem de aliis articulis. Ergo qui peccat contra unum
diligibile ex caritate, non propter hoc amittit caritatem circa alia
diligibilia; et sic caritas non amittitur per unum peccatum mortale.
6. La foi se comporte vis-а-vis de
nombreux articles а croire, la charitй se comporte de la mкme maniиre
vis-а-vis de nombreux objets а aimer par charitй. Mais celui qui s’oppose а
un seul article (de foi) ne perd pas pour cela la foi au sujet des autres
articles. Donc celui qui pиche contre un seul objet digne d’кtre aimй, par
charitй, ce n’est pas pour cela qu’il perd la charitй vis-а-vis des autres
objets а aimer, et ainsi la charitй n’est pas perdue par un seul pйchй
mortel.
En sens contraire :
[66412] De virtutibus, q. 2 a. 13 s. c.
Sed contra, est quod dicitur I Ioan.
III, v. 17 : qui habuerit substantiam
huius mundi, et viderit fratrem suum necessitatem habentem, et clauserit
viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in eo? Et sic videtur quod
per peccatum omissionis aliquis caritatem amittat. Sed peccatum
transgressionis non est minus quam peccatum omissionis. Ergo per quodcumque
peccatum caritas tollitur.
Saint Jean dit (I Jn 3, 17) : « Celui
qui possиde les biens de ce monde et a vu son frиre dans la nйcessitй, et qui
lui ferme ses entrailles, comment la charitй de Dieu demeure- t-elle en lui ? »
Et il semble bien que par le pйchй d’omission on perde la charitй. Mais le
pйchй de transgression n’est pas moindre que le pйchй d’omission. Donc la
charitй est enlevйe par n’importe quel pйchй.
Rйponse :
[66413] De virtutibus, q. 2 a. 13 co.
Respondeo. Dicendum, quod absque omni dubio per quemlibet actum peccati mortalis
habitus caritatis subtrahitur; non enim dicitur peccatum mortale, nisi quia
per ipsum homo spiritualiter moritur, quod esse non potest praesente
caritate, quae est animae vita. Similiter etiam per peccatum mortale fit homo
dignus morte aeterna, secundum illud Rom.
cap. VI, 23 : Stipendia peccati mors.
Sans aucun doute l’habitus de la charitй
est retirй par tout pйchй mortel; en effet on ne l’appelle pйchй mortel que
parce que par lui l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut pas exister
si la charitй qui est la vie de l’вme est prйsente. De la mкme maniиre, aussi
par le pйchй mortel, l’homme devient digne de la mort йternelle, selon cette
parole de Rm 6, 23 : "Le salaire du pйchй c’est la mort."
Quicumque autem habet caritatem, habet
meritum vitae aeternae : dominus enim dilectori suo promittit manifestationem
sui ipsius, in quo vita aeterna consistit. Unde necesse est dicere, quod per
quemlibet actum peccati mortalis homo caritatem amittit. Manifestum est enim
quod in quolibet actu peccati mortalis fit aversio ab incommutabili bono, cui
caritas unit; cui actus peccati mortalis opponitur.
Or quiconque a la charitй mйrite la vie
йternelle ; en effet le Seigneur promet а celui qui l’aime de se
manifester а lui ; ce en quoi consiste la vie йternelle. C'est pourquoi il
est nйcessaire de dire que l’homme perd la charitй par n’importe quel pйchй
mortel. Il est en effet йvident qu’en tout pйchй mortel se fait un
dйtournement du bien incommunicable а qui unit la charitй, а qui s’oppose le
pйchй mortel.
Sed quia actus non directe contrariatur
habitui, sed actui, posset alicui videri quod per actum peccati mortalis
impediretur quidam oppositus caritatis actus, ita tamen quod non tolleretur
habitus, sicut contingit in habitibus acquisitis; non enim aliquis amittit
habitum virtutis gratuitae, si contra virtutem gratuitam agat.
Sed de habitibus caritatis est aliter.
Habitus enim caritatis non habet causam in subiecto, sed totaliter dependet a
causa extrinseca : caritas enim infunditur in cordibus nostris per Spiritum
sanctum, qui datus est nobis, ut dicitur ad Rom. V, 5.
Mais parce que l’acte ne s’oppose pas
directement а l’habitus mais а l’acte, quelqu’un pourrait y voir que par un
pйchй mortel un acte opposй а la charitй est empкchй de sorte que cependant
l’habitus ne soit pas enlevй comme cela arrive dans les habitus acquis ; car
on ne perd pas l’habitus d’une vertu gratuite si on agit contre elle.
Mais
il en va autrement des habitus de charitй. Car cet habitus n’a pas sa cause
dans le sujet mais dйpend totalement d’une cause extrinsиque ; la charitй en
effet est rйpandue en nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a йtй donnй (Rm 5, 5).
Non autem sic Deus causat caritatem in
anima, ut sit causa eius solum quantum ad fieri, et non quantum ad
conservationem ipsius, sicut aedificator est causa domus solum quantum ad
fieri, unde eo subtracto adhuc remanet domus; sed Deus est causa caritatis et
gratiae in anima, et quantum ad fieri, et quantum ad conservationem, sicut
sol est causa luminis in aere. Et ideo, sicut statim cessaret lumen in aere,
si interponeretur aliquod obstaculum; ita statim cessat habitus caritatis in
anima, quando anima se avertit a Deo per peccatum. Et hoc est quod Augustinus
dicit, VIII super Gen. ad litteram [cap.
XII] : Non ita Deus operatur hominem
iustum, id est iustificando eum, ut
si abscesserit, maneat in absente quod fecit; sed potius, sicut aer praesente
lumine non factus est lucidus, sed fit; sic homo Deo sibi praesente
illuminatur, absente autem continuo obtenebratur.
Or Dieu ne cause pas la charitй dans l’вme
de sorte а en кtre sa cause seulement pour son devenir ni pour sa
conservation, de mкme que le bвtisseur est cause de la maison seulement pour
son devenir, c'est pourquoi s’il disparaоt la maison demeure encore. Mais
Dieu est cause de la charitй et de la grвce dans l’вme et quant au devenir et
quant а sa conservation ; de mкme que le soleil est cause de la lumiиre dans
l’atmosphиre. C'est pourquoi de mкme que la lumiиre cesserait aussitфt dans
l’air si intervenait un obstacle, de mкme l’habitus de charitй cesse aussitфt
quand l’вme se dйtourne de Dieu par le pйchй. Et c’est ce que saint Augustin
dit (La Genиse au sens litteral,
VIII, XII, 26) : « Ce n’est pas
ainsi que Dieu opиre dans l’homme juste, (c'est-а-dire en le justifiant) de
sorte que s’il s’йloigne, ce qu’il a fait demeurera en celui qui s’est
йloignй; mais plutфt de mкme que l’air en prйsence de la lumiиre n’a pas йtй
dotй de lumiиre mais devient lumineux, ainsi l’homme, Dieu lui йtant prйsent,
est illuminй, s’il est absent aussitфt il s’obscurcit. »
Solutions
:
[66414] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod verbum illud Origenis sic posset intelligi, quod
homo qui est in statu perfecto, non subito procedit in actum peccati
mortalis, sed per aliquam negligentiam praecedentem. Sed quia ipse subdit : Si aliquis brevis lapsus acciderit
etc., videtur melius dicendum, quod ipse intelligit, eum penitus evacuare et
decidere, qui sic decidit, ut ex malitia peccet, quod non statim a principio
contingit; quia etiam, ut philosophus dicit in I Ethic. [cap. VI et IX], non est facile iusto ut opus iniustum
operetur statim, sicut iniustus facit, scilicet ex electione. Amittit ergo
caritatem per unum actum peccati mortalis, sed adhuc aliquae reliquiae de
praecedenti perfectione remanent, dum non habet ex malitia quod caritatem
amittat.
Cette parole d’Origиne peut кtre comprise
ainsi : l’homme qui est dans un йtat parfait, ne procиde pas subitement а un
acte de pйchй mortel, mais il le fait а la suite d’une nйgligence. Mais parce
qu’il ajoute : « Si une chute
brиve arrivait, etc., il semble meilleur de dire, ce qu’il pense
lui-mкme, que s’affaiblit et succombe tout а fait celui qui succombe ainsi
pour pйcher par malice, ce qui n’arrive pas aussitфt dиs le commencement,
parce que aussi, comme le dit le philosophe (Йthique, 1, 6 et 9) il n’est pas facile а un juste d’opйrer
aussitфt une њuvre injuste, comme l’homme injuste le fait, а savoir par
choix. Il perd donc la charitй par un seul pйchй mortel, mais encore des
restes de la perfection prйcйdante demeurent, tandis que ce n’est pas par
malice qu’il perd la charitй.
[66415] De
virtutibus, q. 2 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas amittitur
dupliciter; uno modo directe, alio modo indirecte. Directe
quidem per actualem Dei contemptum, sicut accidit in illis qui dicunt Deo, Iob XXI, 14 : Recede a nobis; scientiam viarum tuarum nolumus sicut dicitur Iob XII, 14. Alio modo indirecte; sicut non cogitans de Deo,
propter aliquam passionem timoris vel concupiscentiae consentit in aliquid
quod est contra Dei praeceptum, et sic per consequens caritatem amittit.
Intendit ergo Bernardus dicere, quod caritas non fuit extincta in Petro per
modum primum, sed amisit eam per modum secundum, et hoc nominat soporem. Et
similiter sunt intelligenda verba Leonis Papae : quod patet ex hoc quod
subiungit : Non tardatum est remedium
ablutionis, ubi non fuit iudicium voluntatis; magis enim negatio Petri
fuit extorta ex terrore, quam ipse negaverit ex iudicio deliberatae
voluntatis.
2. La charitй est perdue de deux maniиres
: d’une maniиre directement, d’une autre indirectement. Directement
par le mйpris actuel envers Dieu, comme cela arrive а ceux qui disent а Dieu
(Jb 21, 14) : « Йloigne-toi de nous, nous ne voulons pas
connaоtre tes voies », comme il est en Job[67]). D’une autre maniиre, indirectement, comme celui qui ne
pense pas а Dieu, parce qu’il souffre de crainte ou de concupiscence, il
consent а quelque chose qui est contre le prйcepte de Dieu et ainsi par
consйquence, il perd la charitй. Donc Bernard vise а dire que la charitй n’a
pas йtй йteinte en Pierre de la premiиre maniиre, mais il l’a perdue de la
seconde, et cela il l’appelle la torpeur. Et de la mкme maniиre les paroles
du Pape Lйon sont а penser ainsi : ce qui paraоt du fait qu’il ajoute :
« Le remиde de la purification n’a
pas йtй retardй, lа oщ il n’y a pas eu jugement de la volontй » : car
le reniementde Pierre a йtй obtenu
plus par l’йpouvante, [reniement] que lui-mкme aurait niй par un jugement
d’une volontй dйlibйrйe.
[66416]
De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.
3. Ainsi apparaоt la solution а la
troisiиme objection.
[66417] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod virtus acquisita habet causam in subiecto, et non
totaliter ab extrinseco, sicut caritas; et ideo non est similis ratio.
4. La vertu acquise a une cause dans le
sujet, et non totalement par l’extйrieur, comme la charitй, et c'est pourquoi
ce n’est pas la mкme raison.
[66418] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod in contrariis potest expelli unum contrarium, sine hoc
quod alterum adveniat. Habitus autem virtutis et vitii sunt contraria
mediata; unde philosophus dicit in Praedicamentis,
[in postpraedic., cap. de oppositis]
quod inter bonum et malum est medium; unde non oportet quod solum tunc
amittat homo habitum unius virtutis, quando generatur in eo habitus contrarii
vitii.
5. Dans les contraires un seul peut кtre
chassй ; sans qu’il en arrive un autre. Mais l’habitus de la vertu et
celui du vice sont directement contraires ; c'est pourquoi le philosophe
dit dans Les catйgories, (les opposйs, 10, 12 a 10) qu’entre le
bien et le mal il y a un intermйdiaire ; c'est pourquoi il n’est pas
nйcessaire que l’homme perde seulement l’habitus d’une vertu, quand est engendrй
en lui un habitus du vice contraire.
[66419] De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod habitus respicit, per se, formalem rationem obiecti
magis quam ipsum obiectum materialiter; et ideo, si formalis ratio obiecti
tollatur, species habitus non manet. Formalis autem ratio obiecti in fide est
veritas prima, per doctrinam Ecclesiae manifestata, sicut formalis ratio
scientiae est medium demonstrationis : et ideo, sicut aliquis memorialiter
tenens conclusiones geometricas, non habet geometriae scientiam, si non
propter media geometriae eis assentiatur, sed habebit conclusiones illas
tamquam opinatas : ita, qui tenet ea quae sunt fidei, et non assentit eis
propter auctoritatem Catholicae doctrinae, non habet habitum fidei. Qui autem
propter doctrinam Catholicam alicui assentit, omnibus assentit quae doctrina
Catholica habet : alioquin magis credit sibi quam Ecclesiae doctrinae. Ex quo
patet, quod qui deficit in uno articulo pertinaciter, non habet fidem de
aliis articulis : illam dico fidem quae est habitus infusus; sed oportet quod
teneat ea quae sunt fidei, quasi opinata.
6. L’habitus concerne par soi la raison
formelle de l’objet plus que, matйriellement l’objet mкme ; et c’est
pourquoi si on enlиve la raison formelle de l’objet, la forme de l’habitus ne
demeure pas. Mais la raison formelle de l’objet dans la foi est la vйritй
premiиre, manifestйe par la doctrine de l’Йglise, comme la raison formelle de
la science est l’intermйdiaire de la dйmonstration : et c'est pourquoi
quelqu’un qui tient en mйmoire les conclusions gйomйtriques, n’a pas la
science de la gйomйtrie, si ce n’est pas а cause des intermйdiaires [de
dйmonstration] de la gйomйtrie а qui il donne son assentiment, mais il aura
ces conclusions comme conjecturйes : de la mкme maniиre, celui qui tient ce
qui concerne la foi et n’y donne pas son assentiment а cause de l’autoritй de
la doctrine catholique, n’a pas l’habitus de la foi. Mais celui qui а cause
de la doctrine catholique donne son assentiment а un article la donne а tous
les articles que la doctrine catholique possиde, autrement il croit plus en
lui qu’а la doctrine catholique. D’oщ on voit que celui qui se dйtache avec
pertinacitй d’un seul article, n’a pas la foi pour les autres : je dis que
cette foi qui est un habitus infusй ; mais il est nйcessaire qu’il
tienne ce qui concerne la foi comme objet de croyance.
[66424] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 1 Praecepta
enim divina non sunt sibi contraria. Sed invenitur praeceptum divinum de non
arguendo peccatorem; dicitur enim Proverb. IX, 8 : Noli arguere derisorem,
ne oderit te. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.
1. Les prйceptes divins, en effet, ne s’opposent pas entre eux.
Mais on trouve un prйcepte divin qui dit de ne pas faire de reproches au
pйcheur ; car il est dit en Pr 9, 8 :« Ne fais pas de reproche au railleur, de
peur qu’il ne te haпsse[70] ! »
Donc, la correction fraternelle ne tombe pas
sous le prйcepte.
[66425]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod ibi prohibetur redargui
derisor qui correctionem contemnit, et sic ex ea deterior efficitur.- Sed contra, peccatum est infirmitas
animae, secundum illud Psal. VI, 3
: Miserere mei, domine, quoniam infirmus sum. Sed ille cui imponitur
cura infirmi, etiam propter eius contradictionem vel contemptum non debet
praetermittere : quia tunc est maius periculum quando medicinam contemnit;
unde medicus furiosum satagit curare. Ergo multo magis, si homo
tenetur curare fratrem delinquentem corripiendo, quantumcumque contemneret,
non esset correctio praetermittenda.
2. Maisil faut dire
qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur, qui mйprise la
correction et par lа il devient pire. Mais
en sens contraire, le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette
parole du Ps 6, 4 : « Aie
pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose le soin d’un faible
ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son mйpris : parce
qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le remиde ; c’est
pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment. Donc, d’autant plus, si
l’homme est tenu d’avoir soin de son frиre fautif en le rйprimendant, quelque
grand que soit son mйpris, il ne faudrait pas renoncer а la correction.
[66426]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, praeceptum divinum non est praetermittendum propter
alterius contemptum : veritas enim vitae non est dimittenda propter
scandalum, ut per Hieronymum patet. Si igitur correctio fraterna caderet sub
praecepto, non esset praetermittenda propter contemptum alterius.
3. En outre, il ne
faut pas renoncer au prйcepte divin а cause du mйpris de l’autre : car la
rйalitй de la vie ne doit pas кtre abandonnйe, а cause du scandale, comme on
le voit chez Jйrфme. Si donc la correction fraternelle tombait sous le
prйcepte, il ne faudrait pas y renoncer а cause du mйpris de l’autre.
[66427] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, non sunt facienda mala ut veniant
bona, ut patet per apostolum, Rm c.
III. Ergo, pari ratione, non sunt praetermittenda bona ne veniant mala. Si
ergo correctio fraterna esset bonum sub praecepto cadens, non esset
praetermittenda propter malum scandali, vel contemptum eius qui corrigitur.
4. En outre il ne
faut pas faire le mal pour qu’il en vienne du bien, comme on le voit chez
l’Apфtre (Rm 3, 8[71]).
Donc, а raison йgale, il ne faut pas renoncer aux biens, afin qu’ils ne
deviennent pas des maux. Si donc la correction fraternelle йtait un bien
tombant sous le prйcepte, il ne faudrait pas renoncer, а cause du mal du
scandale ou du mйpris de celui qui est rйprimendй.
[66428]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, in nostris operibus, quantum possumus debemus Deum
imitari; secundum illud Ephes., 5,
1 : Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed Deus non
praetermittit bonum, scilicet infusionem animae rationalis, quamvis sequatur
inde infectio damnabilis originalis peccati. Ergo similiter homo non debet
praetermittere bonum correctionis, quamvis sequatur inde contemptus vel
deterioratio eius, si caderet sub praecepto.
5.En outre, dans nos њuvres, nous devons autant que
nous le pouvons imiter Dieu ; selon cette parole d’Eph 5, 1 : « Soyez des imitateurs de Dieu comme des
enfants trиs aimйs ». Mais
Dieu ne renonce pas au bien, c’est-а-dire а infuser une вme raisonnable, bien
qu’il en dйcoule la souillure funeste du pйchй originel. Donc, de la mкme
maniиre, il ne faut pas que l’homme renonce au bien de la correction, encore
qu’il en dйcoule du mйpris ou qu’il la supprime si elle tombait sous le
prйcepte.
[66429] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dominus dicit Ezech. III, v. 19 : Si annuntiaveris impio, et ille non fuerit
conversus ab impietate sua, ipse quidem in iniquitate morietur; tu autem
animam tuam liberasti. Ergo non est praetermittenda correctio, etiam si
ille qui corripiendus est, per correctionem non emendetur.
6. En outre, le
Seigneur dit (Ez 3, 19) : « Si
tu as averti l’impie et qu’il ne se soit pas converti de son impiйtй,
lui-mкme mourra dans son iniquitй ; mais toi, tu auras libйrй ton вme ». Donc, il ne faut
pas renoncer а la correction, mкme si celui qui doit кtre rйprimendй n’est
pas corrigй.
[66430]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, utilior est correctio delinquentis quam eius punitio.
Sed iudex non dimittit punire delinquentem propter hoc quod ex poena non
emendatur. Ergo, etiam si correctio fraterna caderet sub praecepto, non
deberet aliquis praetermittere correctionem propter contemptum vel scandalum
eius qui corrigitur. Non ergo videtur quod correctio fraterna cadat sub
praecepto.
7. La correction du
coupable est plus utile que sa punition. Mais le juge ne renonce pas а punir
le coupable, parce qu’il n’est pas purifiй par sa peine. Donc, mкme si la
correction fraternelle tombait sous le prйcepte, personne ne devrait renoncer
а la correction en raison du mйpris ou du scandale de celui qui est corrigй.
Donc, il ne semble pas que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.
[66431]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, praeceptum divinum non obligat ad impossibile. Sed
corrigere omnes delinquentes est impossibile : quia stultorum infinitus est numerus, ut dicitur Eccle. I, 15. Ergo
correctio fraterna non cadit sub praecepto.
8.Le
prйcepte divin n’oblige pas а l’impossible. Mais corriger tous les coupables
est impossible : « Parce que le
nombre des sots est infini », comme il est dit (Si 22, 15). Donc la correction fraternelle ne tombe pas sous le
prйcepte.
[66432] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 9 Sed
dicendum, quod non tenetur homo corrigere nisi illos qui sibi occurrunt
corrigendi. Sed contra,
si correctio fraterna est in praecepto, sequitur quod ex tali praecepto homo
constituatur debitor fratris, ut eum corripiat. Sed homo qui debet alicui
aliquod debitum corporale, non debet expectare quod sibi occurrat, sed debet
eum quaerere, ut ei reddat quod debet. Ergo multo magis, si correctio
fraterna esset in praecepto, deberet homo quaerere eum quem corrigeret, et
non expectare ut ei occurreret.
9.Mais il faut dire que l’homme n’est tenu de corriger que ceux qui
viennent а lui pour кtre corrigй. En sens
contraire, si la correction fraternelle est dans le prйcepte, il
s’ensuit que, par un tel prйcepte, l’homme devient le dйbiteur de son frиre,
pour le corriger. Mais l’homme qui doit а quelqu’un du bien matйriel, ne doit
pas attendre qu’il vienne а sa rencontre, mais il doit aller le trouver pour
lui rendre ce qu’il lui doit. Donc, d’autant plus, si la correction
fraternelle йtait dans le prйcepte, l’homme devrait rechercher celui qui le
corrigerait et non attendre qu’il vienne а lui.
[66433]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 10 Praeterea, si correctio fraterna esset in praecepto, ergo omissio
correctionis indebita esset peccatum mortale. Hoc autem est falsum, cum talis
negligentia etiam in sanctis viris interdum inveniatur : dicit enim
Augustinus in I de Civit. Dei,
(cap. IX) quod (2) Non solum inferiores, verum etiam qui
superiorem vitae gradum tenent, ab aliorum reprehensione se abstinent propter
quaedam potestatis vel cupiditatis vincula, non propter officia caritatis : (3) non itaque mihi videtur parva esse
haec causa, quare cum malis flagellantur et boni. Non ergo
correctio fraterna est in praecepto.
10.Si la
correction fraternelle йtait dans le prйcepte, son omission indue serait un
pйchй mortel. Mais c’est faux, puisque une telle nйgligence se trouve parfois
mкme chez les saints : en effet, Augustin dit (La Citй de Dieu I, 9, 2-3) : « Non seulement les classes
infйrieures, mais mкme ceux qui sont fidиles а un degrй de vie chrйtienne
plus йlevй, s’abstiennent de reprendre les autres en raison de certains liens
de pouvoir ou de dйsir, non а cause du devoir de charitй ; c’est pourquoi,
il ne me semble pas que ce n’est pas une petite cause pourquoi les bons sont
flagellйs avec les mйchants ».
Donc la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.
[66434] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 11 Praeterea, aliquis praeceptum transgrediens
mortaliter peccat, licet non immediate contra caritatem faciat; sicut
Bernardus [de dignitate Divini amoris,
cap. V] dicit, quod in Petro negante Christum non fuit caritas extincta. Si
ergo correctio fraterna esset in praecepto, praetermittens correctionem
mortaliter peccaret, etiam si non ex contemptu hoc faceret; quasi immediate
contra praeceptum agens
11.Qui transgresse un
prйcepte pиche mortellement, bien qu’il n’agisse pas directement contre la
charitй ; ainsi Bernard (La
dignitй de l’amour divin 5) dit que, dans le cas de Pierre reniant le
Christ, sa charitй ne s’est pas йteinte. Si donc la correction fraternelle
йtait dans le prйcepte, celui qui renonзant а la correction pиcherait
mortellement, mкme s’il ne le faisait pas par mйpris, comme agissant sans
intermйdiaire contre le prйcepte.
[66435] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 12 Praeterea,
omnia praecepta legis divinae ad praecepta Decalogi reducuntur. Sed correctio
fraterna non cadit sub aliquo praecepto Decalogi, ut patet discurrenti per
singula. Ergo correctio fraterna non cadit sub praecepto.
12.Tous
les prйceptes de la Loi divine sont ramenйs а ceux du Dйcalogue. Mais la
correction fraternelle ne tombe pas sous un prйcepte du Dйcalogue, comme cela
apparaоt а celui qui en examine [les articles] un а un. Donc la correction
fraternelle ne tombe pas sous le prйcepte.
[66436] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 13 Praeterea,
ea quae cadunt sub praeceptis divinis, sunt efficacia ad finem consequendum.
Sed admonitio fraterna non est alicui sufficiens ad emendationem eius; neque
sermo admonitorius est efficax ad hoc, ut philosophus dicit in X Ethic. [cap.
Ult.], et Eccle. VII,
14, dicitur : considera opera Dei, quod nemo possit corrigere quem ille
despexerit. Ergo fraterna correctio non est in praecepto.
13.Ce qui
tombe sous les prйceptes divins est efficace pour parvenir а la fin. Mais
l’avertissement fraternel n’est pas suffisant а quelqu'un pour sa
correction ; et la parole d’avertissement n’en est pas efficace pour
cela comme le dit le philosophe (Ethique
X, 10) et Qo 7, 13 : « Regarde les њuvres de Dieu, personne ne
pourrait redresser ce qu’il a courbй ? »Donc, la correction fraternelle n’est pas dans
le prйcepte.
[66437]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 14 Praeterea, nemo debet se intromittere de illis quae non sunt sui
arbitrii. Sed si peccaverit homo in Deum, non est nostri arbitrii, ut
Hieronymus dicit Super Matth. Ergo
in talibus non debet homo se intromittere; et ita corripere fratrem non cadit
generaliter sub praecepto.
14.Personne
ne doit s’introduire dans ce qui ne concerne pas sa libre dйcision. Mais si
l’homme a pйchй contre Dieu cela ne dйpend pas de notre libre dйcision, comme
le dit Jйrфme dans son Commentaire sur Matthieu. Donc, l’homme ne doit
pas se mкler de telles affaires ; et ainsi, reprimander son frиre, ne
tombe pas en gйnйral sous le prйcepte.
[66438] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 15 Praeterea, nullus excusatur ab observantia
praecepti propter peccatum. Sed homo peccator non debet alium corrigere;
dicit enim Isidorus in Lib. de summo
Bono, Lib. III, (cap. XXXII) quod non debet vitia aliorum corrigere qui
est vitiis subiectus. Ergo admonitio fraterna non cadit sub praecepto.
15. Personne n’est
dispensй de l’observance du prйcepte а cause du pйchй. Mais un homme pйcheur
ne doit pas en corriger un autre ; en effet, Isidore dans le livre Du
bien suprкme, III, dit que celui qui est soumis а des vices ne
doit pas corriger les vices des autres. Donc, l’avertissement fraternel ne
tombe pas sous le prйcepte.
[66439]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, nullus acquirit sibi damnationem ex observantia divini
praecepti. Sed quidam acquirunt sibi damnationem, alios corripiendo; secundum
illud Rm II, 1 : In quo alios
iudicas, teipsum condemnas. Ergo correctio fraterna non est in
praecepto.
16. Nul n’acquiert sa
propre damnation en observant le prйcepte divin. Mais certains se damnent en
rйprimandant les autres ; d’aprиs ce passage (Rm 2, 1) : « En jugeant les autres, tu te condamnes
toi-mкme ». Donc,
la correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.
[66440] De
virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 17 Praeterea, nullus debet sibi usurpare quod non
est sui officii, secundum illud 2 Co
X, 13 : Nos autem non in immensum gloriamur, sed secundum regulam mensurae
qua mensus est nobis Deus. Sed corripere delinquentes videtur esse
superioris officium : quia etiam in corpore humano superiora membra movent
inferiora; et in universo superiora corpora, inferiora. Ergo alii, qui non sunt
praelati, non tenentur ad correctionem fraternam.
17. Nul ne doit se
charger de ce qui n’est pas de son devoir, selon cette parole 2 Co 10, 13 : « Pour nous,
nous n’irons pas nous glorifier hors mesure, mais nous prendrons comme
mesure, la rиgle que Dieu a mesurй pour nous ». Mais rйprimander les pйcheurs paraоt кtre le
devoir du Supйrieur ; parce que mкme dans le corps humain, les membres
supйrieurs mettent en mouvement les membres infйrieurs ; et dans
l’univers, les corps supйrieurs [mettent en mouvement] les corps infйrieurs.
Donc, les autres, ceux qui ne sont pas des prйlats, ne sont pas tenus а la
correction fraternelle.
[66441]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 18 Praeterea, illud quod debemus impendere proximis ex debito
caritatis, omnibus est impendendum. Sed correctio non est omnibus impendenda
: dicitur enim I ad Tm 5, v. 1 : seniorem ne increpaveris, ubi dicit
Glossa : ne, indigne ferens se a minori corripi, exasperetur, unde et
Dionysius Demophilum monachum reprehendit, quod sacerdotem correxerit. Non
ergo correctio fraterna cadit sub debito caritatis.
18. En outre, ce que nous
devons consacrer а nos proches, selon le devoir de la charitй, doit aussi
кtre consacrй а tous. Mais la correction ne doit pas кtre imposйe а tous, car
il est dit en 1 Tm 5, 1 :« Ne rudoie pas un vieillard »
lа oщ la glose prйcise : « De peur que, supportant mal d’кtre
corrigй de maniиre indigne par un plus jeuneil ne soit exaspйrй », c’est ainsi
que Denys reprend le moine Dйmophile qui avait corrigй un prкtre. Donc la
correction fraternelle n’est pas dans le prйcepte.
[66442] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 19 Praeterea,
praecepta divina ordinantur ad caritatem et pacem, secundum illud I ad
Timoth., I, 5 : Finis praecepti caritas est. Sed per correctionem
fraternam frequenter perturbatur caritas et pax, secundum illud Terentii : veritas
odium parit. Ergo correctio fraterna non est in praecepto.
19. En outre, les
prйceptes divins sont ordonnйs а la charitй et а la paix, selon cette parole
de 1 Tm 1, 5 : « La fin du
prйcepte est la charitй ».
Mais, la charitй et la paix sont frйquemment troublйes par la correction
fraternelle, comme le dit cette parole de Tйrence : « La vйritй engendre la haine ». Donc, la
correction fraternelle ne tombe pas dans le prйcepte.
En sens contraire :
[66443] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed
contra. Est quod
Augustinus dicit in Lib. de Verb.
Domini : Si neglexeris corrigere, peior eo factus es qui peccavit.
Sed ille qui peccavit, facit contra praeceptum. Ergo ille qui negligit
corrigere facit contra praeceptum; et ita correctio fraterna cadit sub
praecepto.
1. Il y a ce que dit
Augustin dans son livre Les paroles du Seigneur : « Si tu as nйgligй de corriger, tu
deviens pire que celui qui a commis le pйchй ». Mais,
celui qui a pйchй agit contre le prйcepte. Donc celui qui nйglige de corriger
agit contre le prйcepte ; et ainsi la correction fraternelle tombe sous
le prйcepte.
[66444]
De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth.,
XVIII, 15, super illud : Corripe illum inter te et ipsum dicit Glossa
: Ita peccat qui videns fratrem suum peccasse, tacet, sicut si peccanti non
indulget. Sed ille qui peccanti non indulget, facit contra praeceptum.
Ergo ille qui non corrigit, facit contra praeceptum.
2. En outre, sur
cette parole de Mt 18, 15 : « Reprends-le seul а seul »,
la Glose dit : « De mкme que pиche celui qui voyant son frиre pйcher,
se tait, de mкme s’il n’est pas indulgent envers le pйcheur ». Mais celui qui n’a
pas d’indulgence pour le pйcheur agit contre le prйcepte. Donc, celui qui ne
corrige pas agit contre le prйcepte.
[66445] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in impletione
praecepti caritatis debemus Deo conformari, secundum illud Ephes. 5, 1 : Estote imitatores Dei, sicut filii
carissimi. Sed, sicut dicitur Pr.
c. III, 12.Quos
diligit dominus, corripit. Ergo, cum nos teneamur ex praecepto domini
diligere, videtur quod ex praecepto debemus fratres corrigere.
3.Dans
l’accomplissement du prйcepte de charitй, nous devons nous conformer а Dieu,
selon cette parole d’Eph 5, 1 :
« Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien aimйs ».
Mais comme il est dit en Pr 3, 12 :
« Ceux que le Seigneur aime, il les corrige ». Donc, bien que nous
soyons tenus d’aimer selon le prйcepte du Seigneur, il semble que d’aprиs ce
prйcepte, nous devons corriger nos frиres.
[66446] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 4 Praeterea,
Eccli. XVII, 12, dicitur, quod
unicuique mandavit Deus de proximo suo, curam habere. Ergo sub praecepto cadit ut homo curam apponat ad salutem proximi,
corrigendo ipsum.
4.Par
ailleurs (Si 17, 14), il est dit
que Dieu a chargй chacun d’avoir soin de son prochain. Donc, il tombe sous le
prйcepte que l’homme prenne soin du salut de son prochain en le rйprimandant.
Rйponse :
[66447] De virtutibus, q. 3 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod correctio
fraterna cadit sub praecepto. Cuius ratio est, quia ex praecepto tenemur ad
dilectionem proximi. Dilectio autem in se includit ut homo velit ei bonum
quem diligit; hoc est enim amare aliquem, velle ei bonum, ut dicit
philosophus in II Metaph. [in lib.
II Rhet., cap. IX]. Et quia carere
malo habet rationem boni, ut dicitur in V
Ethic., inde est, quod ad rationem pertinet dilectionis, ut etiam velimus
mala dilectis nostris non inesse. Voluntas autem efficax non est, nec vera,
si opere non comprobetur; unde etiam ad rationem dilectionis pertinet, ut ad
amicos bona operemur, et mala eorum impediamus, ut dicitur in IX Ethic. [cap. 1] Et IIoan. III, 18, dicitur : Non
diligamus verbo neque lingua, sed opere et veritate.
Triplex autem est hominis
bonum, et triplex malum ei oppositum.
Est enim quoddam bonum hominis in exterioribus rebus consistens, quod est
minimum bonum; et in hoc bono tenetur homo subvenire proximo per eleemosynae
corporalis largitionem. Dicitur enim I
Ioan. III, 17 : Qui substantiam huius mundi habuerit, et viderit
fratrem suum necessitatem habere et clauserit viscera sua ab eo : quomodo
caritas Dei manet in illo? Et pari ratione tenetur homo proximo auxilium
ferre contra damna temporalium rerum. Unde praecipitur Deuter. XXII, 1 : Non
videbis bovem et ovem fratris tui errantem, et praeteribis, sed reduces
fratri tuo.
Aliud bonum hominis est bonum corporis, in quo debet etiam homo homini
auxiliari, et contra contrarium malum auxilium ferre. Dicitur enim Pr. XXIV,
11 : Erue eos qui ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum,
liberare ne cesses.
Tertium autem bonum est bonum virtutis, quod est bonum animae, cui
contrariatur malum peccati.
Ad hoc autem bonum
consequendum, vel malum vitandum, tanto magis tenetur homo ex caritate
proximo auxilium ferre, quanto magis pertinet ad rationem quare aliquis ex
caritate diligitur. Unde et philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. III],
quod tanto magis debet homo ferre auxilium amico ad vitandum peccata quam ad
vitandum damnum pecuniae, quanto virtus affinior est amicitiae. Et ideo
tenetur homo ex praecepto dilectionis ut proximo auxilium ferat ad virtutem
consequendam dando ei consilium et auxilium ad bene agendum, secundum illud Is., XXXV, vv. 3-4 : Confortate
manus dissolutas, et genua debilia roborate, dicite : pusillanimes
confortamini, et nolite timere. Et propter hoc ex praecepto dilectionis
tenetur homo fratrem in peccato existentem a peccato retrahere corrigendo,
secundum illud I Thess. 5, v. 14 : Corripite
inquietos confortamini pusillanimes. Et hinc est quod dominus, Matth.
cap. XVIII, 15, mandavit : si peccaverit in te frater tuus, corripe eum.
Sic
ergo correctio fraterna cadit sub praecepto.
Sed
notandum est quod per praecepta affirmativa praecipiuntur actus virtutum; per
praecepta autem negativa prohibentur actus vitiorum. Illud autem quod est
secundum se vitiosum et peccatum, qualitercumque fiat, est malum, quia
contingit ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit in IV cap. de
divinis Nomin. Et ideo, illud quod prohibetur praecepto negativo, a nullo,
nec aliquo modo faciendum est. Praecepto autem affirmativo praecipitur actus
virtutis, ad cuius rectitudinem multae circumstantiae concurrunt, quia bonum
consurgit ex una et tota causa, sicut Dionysius dicit, IV cap. de divinis Nomin.
Unde
illud quod cadit sub praecepto affirmativo, non est pro omni tempore et
quolibet modo observandum, sed servatis debitis conditionibus et personarum,
et locorum, et causarum, et temporum; sicut honor parentibus non est
exhibendus quolibet tempore aut loco, aut quolibet modo, sed servatis debitis
circumstantiis; ita etiam correctio fraterna sub praecepto cadit secundum
debitas circumstantias, secundum quod est actus virtutis.
Has
autem circumstantias determinare sermone, non est possibile, eo quod eorum
iudicium in singularibus consistit; et pertinet ad prudentiam, vel
experimento et tempore acquisitam, vel magis infusam; secundum illud I Ioan. XXI, 27 : unctio docebit vos de omnibus.
Il faut
dire que la correction fraternelle tombe sous le prйcepte. La raison en est
que nous sommes tenus par le prйcepte а l’amour du prochain. Mais cet l’amour
inclut en soi que l’homme veuille du bien а celui qu’il aime ; en effet,
c’est cela aimer quelqu’un : lui vouloir du bien, comme le dit le philosophe
en Mйtaphysique II (Rhйtorique 9). Et puisque le manque de
mal a nature de bien, comme on le lit en Ethique
V, 7, de lа, il convient а la nature de l’amour, que nous voulions qu’il n’y
ait pas de mal chez ceux que nous aimons. Mais la volontй n’est ni efficace,
ni vйritable, si elle n’est pas confirmйe par l’action ; c’est pourquoi,
il convient а la nature de l’amour, que nous fassions du bien pour nos amis
et que nous empкchions leurs maux, comme il est dit (Ethique IX, 1). Et en 1 Jn 3, 17 : « N’aimons
pas seulement en paroles ni des lиvres. Mais en acte et en
vйritй ».
Mais le bien de
l’homme est triple et triple le mal qui lui est opposй.
1. Il y a, en effet, un certain bien de l’homme qui
consiste dans ce qui lui est extйrieur, ce qui est le plus petit bien; et en
ce bien, l’homme est tenu de subvenir а son prochain par les largesses d’une
aumфne concrиte. En effet, on lit dans 1Jn 2, 18 : « Celui qui aura les biens de ce monde et qui aura vu son
frиre dans la nйcessitй et qui lui aura fermй ses entrailles : comment
l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? »Et а raison
йgale, l’homme est tenu de porter secours а son prochain en cas de perte des
biens temporels. Ainsi est-il ordonnй en Dt
22, 1 :« Tu ne
verras pas le bњuf ni la brebis de ton frиre en train de vagabonder et tu ne
te dйroberas pas, mais tu les ramйneras а ton frиre ».
Un autre bien de l’homme est celui de son corps ; en quoi
aussi, l’homme doit prкter assistance а un homme et lui prкter secours contre
un mal contraire. On lit en effet dans Pr
24, 11 : « Dйlivre ceux qui sont conduits а la mort, ceux qui
sont traоnйs au trйpas, n’aie de cesse de les libйrer.
Le troisiиme bien est celui de la vertu, qui est le bien de l’вme, а
qui s’oppose le mal du pйchй.
Donc, pour
atteindre ce bien ou йviter le mal, l’homme est d’autant plus tenu par la
charitй de porter secours а son prochain, qu’il correspond plus а la nature
par quoi on aime quelqu'un par charitй. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique
IX, 3), que l’homme doit porter secours а un ami autant pour йviter le
pйchй que pour йviter la perte d’argent, qu’autant que la vertu est plus
proche de l’amitiй. Et c’est pourquoi, l’homme est tenu, par le prйcepte de
l’amour, de porter secours а son prochain pour atteindre la vertu, en lui
donnant conseil et aide pour bien agir, selon cette parole en Is 35, 3-4 : « Fortifiez les
mains fatiguйes et affermissez les genoux chancelants, dites : consolez les
pusillanimes et n’ayez pas peur ».
Et en raison de ce prйcepte d’amour, l’homme est tenu de retirer
du pйchй, en le corrigeant, son frиre qui est dans le pйchй, selon 1 Th 5, 14 : « Rйprimandez les
dйsordonnйs, soutenez les faibles ».
Et le Seigneur recommande en Mt
18, 15 : « Si ton frиre a pйchй contre toi, corrige-le ».
Ainsi la
correction fraternelle tombe sous le prйcepte.
Mais il faut noter
que les actes de vertu sont enseignйs par des prйceptes affirmatifs, mais les
actes des vices sont йcartйs par des prйceptes nйgatifs. Donc, ce qui, en
soi, est vice et pйchй, de quelque maniиre qu’il soit fait, est un mal, parce
que cela arrive а partir de manquements particuliиrs, comme le dit Denys, (Les
noms divins, IV). Et c’est pourquoi ce qui est interdit par un prйcepte
nйgatif ne doit кtre fait par personne en aucune maniиre. Mais, l’acte de
vertu est prescrit par un prйcepte positif, а la droiture duquel concourrent
de nombreuses circonstances, parce que le bien surgit d’une cause unique et
entiиre, comme le dit Denys, Les noms divins, IV.
C'est pourquoi, ce
qui tombe sous le prйcepte affirmatif n’est pas pour tout le temps а observer
de queque maniиre mais une fois prйservйes les conditions nйcessaires des
personnes, des lieux, des temps et des causes ; de mкme que l’honneur dы
aux parents ne doit pas кtre montrй en n’importe quel temps, en n’importe
quel lieu ou de n’importe quelle maniиre, mais une fois prйservйes les
circonstances qui conviennent ; ainsi, la correction fraternelle tombe
sous le prйcepte, selon les circonstances qui conviennent, selon qu’il s’agit
d’acte de vertu.
Mais il n’est pas
possible de dйterminer ces circonstances en parole, du fait que leur jugement
dйpend de cas particuliers ; et cela convient а la prudence acquise par
l’expйrience et le temps, ou plutфt infuse ; 1 Jn 2, 20 : « L’onction[72] vous instruira а
propos de tout. »
Solutions
:
[66448]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inter alias circumstantias quae
requiruntur ad actum virtutis, ista videtur esse praecipua, ut actus sit
proportionatus fini quem virtus intendit. Caritas autem intendit in
corrigendo delinquentem, emendationem; unde actus non esset virtuosus, si
homo sic corrigeretur, ut inde efficeretur deterior : et ideo Sapiens dicit :
Noli arguere derisorem. Non enim est timendum, ut Glossa [ordin.
Ibid.] dicit, ne tibi derisor, cum arguitur, contumelias inferat; sed hoc
potius providendum, ne tractus ad odium, inde fiat peior.
1.Parmi les autres circonstances, qui sont requises
pour un acte de vertu, celle-ci semble la principale pour que l’acte soit
proportionnй а la fin que poursuit la vertu. La charitй vise а la correction,
en corrigeant le pйcheur ; c'est pourquoi l’acte ne serait pas vertueux,
si l’homme йtait ainsi corrigй, de sorte qu’il en devienne pire ; et
c’est pourquoi le sage dit (Pr
9, 8) : « Ne fais pas de reproches au railleur ». En effet, il ne
faut pas craindre, comme le dit la Glose (glose ordinaire), que le railleur
ne te porte des injures, quand on lui fait des reproches ; mais il faut
plutфt veiller а ce qu’en йtant entraоnй а la haine, il ne devienne pire.
[66449] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est correctio
delinquentis :
una
quidem per simplicem admonitionem; et haec est fraterna quibus praesumitur
quod propria voluntate admonitioni consentiant;
alia vero
est correctio habens vim coactivam per inflictionem poenarum, ut philosophus
dicit in X Ethic.[cap. ult.] ;
et talis correctio pertinet ad praelatos, qui etiam contemnentes a periculo
peccati studere debent ut liberent, sicut medicus furiosum studet sanare,
ligando et verberando eum.
2. La correction du
pйcheur est double :
L’une par un simple avertissement ; et cette
correction est fraternelle pour ceux envers qui on prйsume qu’ils consentent
а l’avertissement par leur propre volontй ; mais l’autre est la correction qui a une force coercitive par le fait
d’infliger une peine, comme le dit le philosophe en Ethique X,
10 ; et une telle correction concerne les prйlats qui, doivent
s’appliquer а libйrer du danger du pйchй, mкme ceux qui le mйprisent, comme
le mйdecin s’attache а soigner le fou furieux, en le liant et le frappant.
[66450]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeceptum divinum non est
praetermittendum propter scandalum alterius; sed ipsa correctio fraterna non
cadit sub praecepto divino nisi secundum quod est emendativa fratris; ad quod
requiritur ut sit sine scandalo eius, ratione iam dicta in corp. art.
3.Il ne faut pas renoncer au prйcepte divin, а cause
du scandale d’un autre ; mais la correction fraternelle elle-mкme ne
tombe sous le prйcepte divin, que selon qu’elle corrige un frиre ; pour
cela, il est requis qu’elle soit sans scandale, pour la raison dйjа exprimйe
dans le corps de l’article.
[66451] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut iam dictum est,
mala sunt omnibus modis vitanda; et ideo nullo modo sunt mala facienda ad hoc
quod aliqua bona proveniant. Sed bona non sunt omnibus modis facienda; et
ideo interdum sunt aliqua bona intermittenda, ut aliqua magna mala vitentur.
Et tamen correctio proximi non est simpliciter bonum, nisi adhibitis debitis
circumstantiis, ut dictum est, in corp. art.
4. Comme il a dйjа
йtй dit, il faut йviter les maux de toutes les maniиres ; et ainsi, on
ne doit faire le mal en aucune maniиre pour qu’il en ressorte quelque bien.
Mais les biens ne doivent pas кtre faits de toutes les maniиres ; et
ainsi il faut parfois abandonner certains biens pour йviter de plus grands
maux. Et cependant, la correction du prochain n’est simplement un bien,
qu’employйe dans les circonstances qui conviennent, comme il a йtй dit dans
le corps de l’article.
[66452]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalia praesupponuntur moralibus; et
ideo infusio animae, quae est quoddam bonum naturae, non debuit praetermitti
a Deo ad vitandum defectionem culpae; sicut nec homo debet se privare
sustentamento vitae, ut vitet peccatum. Sed aliquod bonum morale debet
interdum omitti ad vitandum aliud gravius malum morale.
5. Ce qui est naturel
est prйsuppposй en ce qui est moral ; et ainsi l’infusion de l’вme, qui
est un bien de nature, ne doit pas кtre abandonnйe par Dieu pour йviter la
dйfaillance de la faute ; de mкme que l’homme ne doit pas se priver de
nourriture essentielle а la vie, pour йviter le pйchй. Mais on doit parfois
omettre un bien moral pour йviter un autre mal moral plus grave.
[66453]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini : Longe graviorem
habent poenam Ecclesiarum praepositi, qui in Ecclesiis constituti sunt, ut
non parcant obiurgando peccata; quia ad eos pertinet non solum caritativa correctio,
sed etiam continua. Et ad tales dominus ibi loquitur per prophetam; unde
parum ante praemittit : fili hominis, speculatorem dedi te domui Israel.
6.Il y a
ce que dit Augustin dans le livre Les Paroles du Seigneur : « Ils
ont un chвtiment bien trop lourd, les prйlats des Йglises, qui ont йtй placйs
dans les йglises pour ne pas йpargner les pйchйs en les chвtiant ; parce
que non seulement la correction caritative leur convient, mais encore la
correction continue ». Et
de telles personnes, le Seigneur en parle ainsi par le prophиte (Ez 3, 4) : « Fils de
l’homme, je t’ai donnй comme guide а la maison d’Israлl ».
[66454]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iudex in puniendo intendit
principaliter bonum commune, quod provenit multitudini ex punitione illius,
etiam si ille non emendetur, secundum illud Pr. XIX, 25 : pestilente
flagellato, stultus sapientior erit. Sed fraternae correctionis finis est
emendatio eius qui corripitur; unde non est simile.
7. Le juge en
punissant tend essentiellement au bien commun, qui parvient а la multitude
par sa punition, mкme s’il ne se corrige pas, selon Pr 19, 25 : « Si on frappe le pernicieux, le sot sera
plus sage. Mais le but de la correction fraternelle est l’amendement de
celui qui est corrigй ; donc, ce n’est pas la mкme chose.
[66455] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod sicut dictum est, in
corp. art., correctio fraterna cadit sub praecepto, servatis debitis
circumstantiis personarum, locorum et temporum; sicut etiam et corporalis
eleemosyna. Beneficia autem, spiritualia seu corporalia, sunt proximis
impendenda ordine quodam : ut scilicet primo impendantur his qui magis nobis
coniuncti sunt, ac si in sortem nobis eveniret eis providere; ut Augustinus
dicit in Enchir. [lib. I. de Doctrina christ.,cap. XXVIII deinde
providendum est aliis secundum quod opportunitas occurrit. Et sic patet quod
praeceptum de correctione fraterna non obligat ad impossibile, sicut nec
praeceptum de eleemosynis corporalibus dandis.
8.Comme il a йtй dit dans le corps de l’article, la
charitй fraternelle tombe sous le prйcepte, une fois prйservйes les
circontances dues des personnes, des lieux et des temps, comme aussi l’aumфne
corporelle. Les bienfaits, spirituels et temporels, doivent кtre accordйs au
prochain en un certain ordre ; et d’abord, comme en premier ils sont
accordйs а ceux qui nous sont plus unis, comme s’il nous arrivait de veiller
sur eux par sort, comme Augustin le dit dans l’Enchiridion (La Doctrine chrйtienne 1, 28) :
ensuite, il faut veiller sur les autres selon que l’occasion se prйsente. Et
ainsi, il est clair que le prйcepte de la correction fraternelle ne contraint
pas а l’impossible, comme s’il nous revenait par sort de veiller sur eux le
prйcepte de faire l’aumфne destinйe au corps.
[66456]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod, sicut Augustinus dicit in lib. de verbis Domini, admonet nos
dominus noster, non negligere invicem peccata nostra; non quaerendo quid
reprehendas, sed videndo quid corrigas. Unde ex praecepto correctionis
fraternae non tenemur inquirere peccata aliorum, ut possimus ea corrigere,
alioquin efficeremur exploratores vitae aliorum, contra illud quod dicitur Proverb. XXIV, 15 : Ne quaeras
impietatem in domo iusti, et non vastes requiem eius. Nec est similis
ratio de debito corporali, quia hoc est quiddam determinatum, quod debetur
certae personae, et certo tempore; quod non accidit circa correctionem
fraternam, ut dictum est, in corp. art.
9. Comme Augustin le
dit dans son livre Des paroles du Seigneur (Sermon 16) : « Notre Seigneur
nous avertit de ne pas nйgliger mutuellement nos pйchйs, non pas en
recherchant ce que tu reproches, mais en voyant ce que tu corriges ».
C'est pourquoi par le prйcepte de la correction fraternelle, nous ne sommes pas
tenus de rechercher les pйchйs des autres pour pouvoir les corriger,
autrement nous deviendrions espions de la vie des autres, contre ce qui est
dit en Pr 24, 15 : « Ne
recherche pas l’impiйtй dans la demeure du juste et ne ruine pas son repos ». Et ce n’est pas une
raison semblable pour ce qui est dы au corps, parce que c’est quelque chose
de limitй, qui est dы а une personne prйcise et а un moment prйcis, ce qui ne
se produit pas dans le cas de la correction fraternelle, comme il a йtй dit
dans le corps de l’article.
[66457] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod aliquis potest omittere, correctionem fraternam tripliciter. Uno quidem modo absque omni peccato : quia, ut
Augustinus dicit in I de Civit. Dei,
[cap. IX] : si propterea quisque obiurgandis et corripiendis male
agentibus parcit, quia opportunum tempus inquirit, vel eisdem ipsis metuit ne
deteriores ex hoc efficiantur, vel ad bonam vitam et patientiam erudientes
impediant alios infirmos, et premant atque avertant a fide; non videtur esse
cupiditatis occasio, sed consilium caritatis.
Alio modo, sicut
cum delectat lingua blandiens, et humanus dies, et formidatur vulgi iudicium
et carnis excruciatio vel peremptio : quae quidem si sic teneantur in animo,
ut praeponantur caritati fratris, est peccatum mortale.
Tertio modo potest
esse cum peccato veniali; puta, cum ista moverent animum, non quidem ut
praeponantur proximi caritati, sed ut negligentes reddantur ad considerandas
circumstantias et opportunitates in quibus corrigere tenentur.
10.Il faut dire que
quelqu’un peut abandonner la correction fraternelle de trois maniиres :
D’une premiиre maniиre, sans aucun pйchй
: parce que, comme Augustin le dit dans la Citй de Dieu, I, 9 :
« Si quelqu'un йpargne ceux qui agissent mal qu’il faut rйprimender
et blвmer, qu’il cherche le moment opportun, ou bien parce qu’il a craint
pour ces mкmes personnes qu’elles ne deviennent pires, ou bien instruit pour
une bonne vie et pour la patience empиchent ceux qui sont faibles et ils les
pressent et les dйtournent de la foi ; il ne semble pas que ce soit une
occasion de cupiditй, mais un conseil de charitй. »
D’une autre maniиre : de mкme, quand
la langue flatteuse et le jour humain charment, on redoute le jugement de la
foule, le tourment de la chair et sa destruction : si on garde cela dans son
вme pour les placer avant la charitй pourun frиre c’est un pйchй mortel.
D’une troisiиme maniиre : il existe avec
un pйchй vйniel ; par exemple, comme ces choses incitant l’вme, non pour
les placer avant la charitй du prochain, mais pour que les nйgligents soient
ramenйs а considйrer les ciconstances et les conditions en lesquelles ils ont
tenus de corriger.
[66458]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quicumque mortaliter peccat, immediate
contra caritatem peccat, quia facit illud quod est contrarium caritati.
Tamen, proprie loquendo, non semper directe contra caritatem peccat; sed
solum tunc quando intendit contra caritatem agere, ut contingit in his qui ex
malitia peccant.
11. Quiconque
pиche mortellement, pиche directement contre la charitй, parce qu’il fait ce
qui lui est contraire. Cependant, а
proprement parler il ne pиche pas toujours directement contre la charitй,
mais seulement quand il tend а agir contre elle, comme cela arrive а ceux qui
pиchent par malice.
[66459] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad praeceptum de
honore parentum reducuntur praecepta de beneficiis impendendis quibuscumque
proximis : ponitur autem expresse de honore parentum, quia hoc cadit statim
in ratione cuiuslibet; non autem sic de aliis beneficiis.
12. En ce qui concerne
le prйcepte du respect dы aux parents, les prйceptes sont ramenйs а ce qui
concerne les bienfaits а accomplir а chacun des proches. On pense
expressйment au respect dы aux parents parce que cela tombe aussitфt dans la
nature de chacun, il n’en est pas de mкme pour les autres bienfaits.
[66460]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod sermo admonitorius non est
sufficiens secundum philosophum [X Ethic.,
cap. IV] quantum ad eos qui sunt duri et servilis animi; et hi sunt qui
ex admonitione fiunt deteriores; qui sunt compescendi per correctionem
coactivam praelatorum, quae etiam correctio non sufficit sine divino auxilio.
13. Une parole d’avertissement
n’est pas suffisante, selon le philosophe (Ethique 10, 4) pour ceux dont l’вme est dure et servile ; et
ce sont ceux qui deviennent pires а la suite d’un avertissement ; et
ceux qui doivent кtre repris par une correction forcйe de leurs prйlats, mкme
cette correction ne suffit pas sans l’aide divine.
[66461] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod peccata in Deum
non sunt nostri arbitrii ad dimittendum; sunt autem nostri arbitrii ad
arguendum.
14. Les pйchйs contre
Dieu ne doivent pas кtre laissйs а notre libre dйcision. Mais c’est de notre
libre dйcision de les dйnoncer.
[66462]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo propter peccatum suum non
absolvitur a debito correctionis; sed redditur indignus ad alium corrigendum
qui seipsum non corrigit. Nec tamen est perplexus; quia debet peccata
dimittere, et sic corrigere, secundum illud Matth. VII, 5 : Eiice primum trabem de oculo
tuo, et tunc videbis eiicere festucam de oculo fratris tui.
15. L’homme, en raison
de son pйchй, n’est pas dйliй de l’obligation d’une correction ; mais
celui qui ne se corrige pas lui-mкme, est rendu indigne d’en corriger un
autre. Et cependant, il n’est pas embarrassй ; parce qu’il doit renoncer
а ses pйchйs et les corriger, selon cette parole de Mt 7, 5 : « Enlиve d’abord la poutre de ton њil et alors,
tu verras clair pour enlever la paille dans l’њil de ton frиre ».
[66463] De
virtutibus, q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod semper ille qui
corripit alium in peccato existens, quodammodo condemnat seipsum, id est
damnationem suam pronuntiat; non tamen semper sibi damnationem accumulat,
puta, cum est in minori peccato, et arguit de maiori, vel cum est in occulto,
et arguit de publico, et se simul et illum arguit, non contemnendo, sed se
simul reprehendendo : dicit enim Gregorius in V Moral., [in cap. XXXIII] quod cum homo debeat diligere proximum
sicut seipsum, ita tenetur aliena peccata corrigere, et contra ea irasci,
sicut sua. Si vero cum superbia arguat, quasi sua peccata non recognoscens,
tunc sibi damnationem acquirit; unde dicitur Matth., VII, 3 : Quia vides festucam in oculo fratris tui, et
trabem in oculo tuo non vides? Sed etiam quando ex correctione sequitur
scandalum propter manifestationem sui peccati, sic etiam correctio non erit
actus virtuosus.
16. Toujours celui
qui corrige un autre tout en vivant dans le pйchй, se condamne de quelque
maniиre lui-mкme, c'est-а-dire qu’il prononce sa condamnation ; et
cependant, il ne l’augmente pas pour lui, а savoir, quand il est dans un
moindre pйchй et qu’il accuse d’un pйchй plus grave ou quand il est cachй et
qu’il accuse publiquement, et qu’il s’accuse lui-mкme en mкme temps, non pas
en condamnant, mais en se faisant en mкme temps des reproches : Grйgoire le
Grand dit dans ses Morales V, 33, que, comme l’homme doit aimer son
prochain comme lui-mкme, il est tenu de corriger les pйchйs d’autrui et de
s’emporter contre eux, comme contre les siens. Mais s’il dйnonce avec
orgueil, comme s’il ne reconnaissait pas ses propres pйchйs, alors, il
acquiert sa propre damnation ; c'est pourquoi il est dit en Mt 7, 3 : Parce que tu vois la
paille dans l’њil de ton voisin, ne vois-tu pas la poutre dans le tien ?
Mais aussi quand le scandale dйcoule de la correction en raison de la
manifestation de son pйchй, ainsi, la correction ne sera pas non plus un acte
de vertu.
[66464] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod correctio coactiva est officium
superiorum, sed correctio caritativa est officium omnium.
17. La correction
forcйe est le devoir des supйrieurs, mais la correction de charitй est le
devoir de tous.
[66465] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod cum superiores sint proximi, eos
corrigere debemus, sed humiliter et reverenter, non proterve, ne
exasperentur; et ideo ibidem dicit Apostolus : Seniorem obsecra ut patrem.
Et propter hoc
reprehenditur Demophilus monachus, qui sacerdotem peccantem iniuriosis verbis
et factis correxit, eum verberans, et de Ecclesia eiiciens.
18. Quand les supйrieurs sont des proches, nous devons
les reprendre, mais avec humilitй et respect et non sans retenue, pour ne pas
les fвcher ; et c’est pourquoi l’Apфtre dit ici mкme (1 Tm 5, 1) : « Vйnиre le
vieillard comme un pиre ».
Pour ce motif, le moine Dйmophile a fait l’objet d’une rйprimande, lui qui
avait corrigй un prкtre en йtat de pйchй, par des paroles et des gestes
injurieux en le frappant et en le rejetant de l’Йglise.
[66466] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod si correctio secundum debitas circumstantias
fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis
discordiarum causis.
19. Si la correction
se passe selon les circonstances convenables, il ne doit pas en dйcouler de
trouble, mais plutфt un rйtablissement de la paix, une fois que les causes de
discorde ont йtй йloignйes.
[66469] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 1 Dicitur enim I ad Timoth.
VI, 20 : peccantem coram omnibus argue. Sed, Matth. c. XVIII, 15, dicitur : argue eum inter te et ipsum
solum, quod est secrete admonere. Cum ergo dictum apostoli non
contrarietur praecepto Christi, videtur quod non cadat sub praecepto ut
frater sit prius secreto admonendus, et postea publice denuntiandus
Ecclesiae.
1.Il est
dit en 1 Tm 5, 20 : « Reprends
le pйcheur en prйsence de tous ».
Par contre, en Mt 18, 15, il est
dit : « Reprends-le seul а seul », ce qui est avertir en secret. Donc comme la
parole de l’Apфtre n’est pas contredite par le prйcepte du Christ, il semble
qu’il ne tombe pas sous le prйcepte que le frиre doit d’abord кtre averti en
privй et ensuite dйnoncй publiquement а l’Йglise.
[66470] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod verbum apostoli
intelligitur de peccatis manifestis, quae publice arguenda sunt; verbum autem
domini de peccatis occultis.-Sed contra, peccata occulta nullus debet publicare : sic enim esset magis
proditor criminis quam corrector fratris. Sed Dominus mandat, Matth. XVIII, [v. 16-17] quod si
frater monentem in secreto non audiat, adducat unum vel duos testes, et
tandem dicat Ecclesiae; quod est peccatum publicare. Ergo videtur quod
praeceptum Domini non sit intelligendum in peccatis occultis.
2. Mais il faut dire que la parole de
l’Apфtre se comprend des pйchйs йvidents qui doivent кtre rйprimandйs en
public, mais la parole du Seigneur se comprend des pйchйs cachйs. En sens contraire, nul ne doit rendre publics les
pйchйs cachйs ; en effet, il dйnoncerait la faute plutфt qu’il ne
corrigerait son frиre. Mais le Seigneur recommande en Mt 18, 16-17, que, si un frиre n’йcoute pas celui qui l’avertit
en secret, qu’il amиne un ou deux tйmoins et enfin qu’il le dise а
l’Йglise ; ce qui est rendre le pйchй public. Donc, il semble qu’il ne
faut pas comprendre le prйcepte du Seigneur pour les pйchйs cachйs.
[66471]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut Augustinus dicit, VIII de Trinitate [ cap. I et III], omnes regulae veritatis derivantur
a lege veritatis aeternae. Sed lex veritatis aeternae hoc habet, quod Deus
non solum punit hominem de peccato occulto, sed etiam punit interdum nulla
secreta admonitione praecedente. Ergo videtur quod etiam homo, qui divinae
veritatis debet imitator existere, possit publice aliquem denuntiare, secreta
etiam monitione non praecedente.
3.
Comme le dit Augustin, (La Trinitй, VIII, 1 et 3) : Toutes les rиgles de la vйritй dйrivent de
la loi de la vйritй йternelle. Mais celle-ci a que Dieu non
seulement punit l’homme du pйchй cachй, mais encore il le punit parfois, sans
aucun avertissement prйalable. Donc, il semble que l’homme aussi qui doit
кtre l’imitateur de la vйritй divine, puisse dйnoncer publiquement quelqu’un,
sans un avertissement secret qui prйcиde.
[66472] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. Contra mendacium, ex gestis sanctorum intelligi potest qualiter sunt praecepta sacrae
Scripturae intelligenda. Sed in gestis sanctorum invenitur, quod facta
est aliquando publica denuntiatio peccati occulti, nulla secreta admonitione
praecedente; ut legitur Act. 5,
quod Petrus Ananiam et Saphiram occulte defraudantes de pretio agri publice
denuntiavit, nulla secreta admonitione praemissa. Ergo non
obligamur ex praecepto Christi ut secreta admonitio praecedat publicam
denuntiationem.
4.Comme
le dit Augustin dans son livre Contre
le mensonge, (ch. 15), on peut comprendre « A partir des actions des saints comment il faut penser les
prйceptes de l’Ecriture sainte ». Mais on dйcouvre dans les actions
des saints que parfois, il a йtй fait une dйnonciation publique des pйchйs
cachйs, sans admonition secrиte prйlable ; comme on lit dans les Ac 5, 8 que Pierre a dйnoncй
publiquement Ananie et Saphire qui fraudaient en secret sur le prix d’un
terrain, sans admonition secrиte prйalable. Donc, nous ne sommes pas obligйs,
par le prйcepte du Christ, а ce qu’un avertissement secret prйcиde une
dйnonciation publique.
[66473]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnis Christi actio, nostra est instructio : ipse enim
dicit, Ioan. XIII, 15 : Exemplum
dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. Sed Christus non legitur admonuisse Iudam secreto antequam eum
denuntiaret. Ergo videtur quod etiam nos possumus publice denuntiare peccatum
fratris, antequam eum occulte admoneamus.
5.Tout
acte du Christ est un enseignement pour nous : car il a dit lui-mкme, Jn 13, 15 : « Je vous ai donnй
l’exemple pour que vous fassiez vous aussicomme moi je l’ai fait ». Or, on ne lit
pas que le Christ a averti Judas en secret, avant qu’il ne le dйnonce. Donc,
il semble que, nous aussi, nous pouvons dйnoncer publiquement le pйchй d’un
frиre, avant de le dйnoncer en secret.
[66474] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea,
sicut denuntiatio fit in publico, ita etiam et accusatio. Sed aliquis potest
ad accusationem procedere, nulla admonitione prius facta : quia ad
accusationem praeexigitur sola inscriptio, ut Decretalis [2 quaest., can. Quisque]
dicit. Ergo videtur, quod etiam denuntiare publice possit
aliquis, nulla monitione secreta praecedente.
6. La dйnonciation se fait en public, l’accusation aussi. Mais
quelqu'un peut procйder а l’accusation, sans aucune admonition
prйalable, parce que seule l’inscription est exigйe au prйalable pour
l’accusation, comme il est dans la Dйcrйtale
(qu. 2, can. Quisque[74](Chacun). Donc, il semble que l’on
puisse dйnoncer publiquement, sans avertissement secret prйalable.
[66475] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea,
illud quod in omni casu praeterire licet, nullo modo cadit sub praecepto. Sed
in quolibet casu videtur quod liceat praeterire admonitionem secretam; quia
in quolibet peccato potest aliquis intendere commune bonum iustitiae, et sic
ad accusationem procedere, admonitione secreta non praemissa. Ergo videtur quod secreta admonitio non debeat praemitti ex
necessitate praecepti.
7. Ce qu’il est permis en tout cas de passer sous silence, ne tombe en
aucune maniиre sous le prйcepte. Mais en n’importe quel cas, il semble qu’il
serait permis d’omettre une admonition secrиte ; parce que, en n’importe
quel pйchй, quelqu'un peut tendre au bien commun de la justice et ainsi,
procйder а une accusation, sans admonition prйalable. Donc il semble que
l’admonition secrиte ne doit кtre employйe au prйalable par nйcessitй du
prйcepte.
[66476] De virtutibus,
q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, non videtur esse probabile, quod ea quae sunt in
communi consuetudine religiosorum, sint contra praecepta Christi. Sed in
religionibus hoc est consuetum, quod in capitulis aliqui proclamantur de
aliquibus peccatis, nulla secreta monitione praemissa. Ergo videtur quod non
sit de necessitate praecepti secretam admonitionem praemittere publicae
denuntiationi.
8. Il
ne semble pas probable que ce qui est de l’usage commun des religieux, soit
contre les prйceptes du Christ. Mais dans les pratiques religieuses, c’est
l’habitude que, lors des chapitres, certains dйnoncent des pйchйs, sans
avertissement prйalable. Donc, il semble qu’il ne relиve pas de la nйcessitй
du prйcepte de faire passer l’avertissement secret avant une dйnonciation
publique.
[66477]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit in IV de doctrina Christ., quod sicut eadem rotunditas est in magno
disco et parvo, ita eadem ratio iustitiae est in magnis rebus et parvis. Si
igitur in parvis peccatis non exigitur secreta admonitio publicae
denuntiationis, ut dicebatur, videtur quod nec in magnis.
9.
Augustin dit (De la doctrine chrйtienne, IV, XVIII, 35) que, de mкme
qu’un grand disque et un petit disque prйsentent la mкme rondeur, ainsi, la
mкme nature de justice est dans les grandes choses comme dans les petites. Si
donc, dans les petits pйchйs, on n’exige pas un avertissement secret de la
dйnonciation publique, comme on le disait, il semble qu’on ne doit pas
l’exiger pour les pйchйs graves.
[66478] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 10 Praeterea, si secreta admonitio debet
praecedere publicam denuntiationem, necesse est aliquam moram intervenire
inter reprehensionem peccati, et publicam eiusdem denuntiationem. Sed
quandoque talis mora est in tantum periculosa, quod postmodum non potest
sufficiens remedium adhiberi; puta, si aliquis tractaverit de proditione
civitatis cum hostibus, vel si sit haereticus in grege seducens homines a
fide. Non videtur ergo quod debeat praecedere secreta admonitio.
10. Si
une admonition secrиte doit prйcйder la dйnonciation publique, il est
nйcessaire qu’intervienne un dйlai entre le blвme du pйchй et sa dйnonciation
publique. Mais parfois un pareil dйlai est tellement dangereux que, par la
suite, on ne peut avoir recours а un remиde suffisant ; par exemple, si
quelqu’un a traitй de la trahison de la citй avec les ennemis, ou bien si
quelque hйrйtique sйpare dans la comunautй les hommes de foi. Donc, il ne
semble pas qu’une admonition secrиte doit prйcйder.
[66479]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 11 Praeterea, triplex est agens; scilicet naturale, artificiale, et
agens per gratiam sive per caritatem, scilicet caritative corripiens fratrem.
Sed agens naturale unumquodque facit quanto melius potest; et similiter agens
artificiale. Ergo etiam corripiens
fratrem ex caritate debet hoc facere quanto melius potest. Sed melius est
quod hoc faciat publice : sic enim magis prodest multitudini; bonum autem
multorum est melius quam bonum unius. Ergo videtur quod melius sit quod
statim publice frater arguatur, nulla secreta admonitione praecedente.
11. L’agent est triple : а savoir selon la nature, selon l’art et
selon la grвce ou la charitй, c'est-а-dire en rйprimandant charitablement son
frиre. Mais l’agent naturel fait chaque chose du mieux qu’il peut ; et
de la mкme maniиre l’agent selon l’art. Donc, en rйprimandant son frиre par
charitй, il doit le faire du mieux qu’il peut. Mais il est meilleur de le
faire publiquement ; ainsi en effet, cela est profitable au grand
nombre, et le bien de beaucoup est meilleur que le bien d’un seul. Donc, il
semble qu’il est meilleur de dйnoncer son frиre en public sans un
avertissement secret prйalable.
[66480] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 12 Praeterea, ita se habet peccator in Ecclesia,
sicut membrum putridum in corpore naturali. Sed non refert qualiter medicus
membrum putridum abscindat, ut vitetur totius corporis corruptio. Ergo
videtur quod non referat qualiter frater peccans corripiatur, sive publice,
sive secreto.
12. Le
pйcheur se comporte dans l’Йglise comme un membre gangrйnй dans un corps
naturel. Mais il n’est pas important de savoir comment un mйdecin coupe le
membre gangrйnй, pour йviter la corruption а tout le corps. Donc il semble
que de la mкme maniиre, il n’est pas important de savoir comment un frиre
pйcheur est rйprimandй soit en public, soit en privй.
[66481]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 13 Praeterea, subditi tenentur obedire suis praelatis. Sed quandoque
praelati praecipiunt ut eis dicatur a subditis quidquid de alienis peccatis
sciunt. Ergo etiam si peccata sunt occulta, tenentur subditi
revelare, nulla monitione secreta praemissa.
13. Les
sujets sont tenus d’obйir а leurs prйlats. Mais parfois, ceux-ci leur
ordonnent de dire ce qu’ils savent des pйchйs d’autrui. Donc, mкme si les pйchйs
sont cachйs, les sujets sont tenus de les rйvйler, sans aucun avertissement
secret.
[66482] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 14 Praeterea, Matth.XVIII, 15, super illud : Si peccaverit in te
frater tuus, dicit Glossa, quod frater arguendus est ex zelo iustitiae;
ex quo videtur quod correctio fraterna sit actus iustitiae. Sed iustitia
debet in publico fieri; dicit enim philosophus in V Ethic. [cap. I], quod
iustitia est virtus praeclara magis quam Lucifer aut Hesperus. Ergo
correctio fraterna debet fieri in publico, non in secreto.
14. A
propos de Mt 18, 15 : « Si
ton frиre a pйchй contre toi »,
la Glose dit que le frиre doit кtre rйprimandй par zиle de
justice, d’oщ il semble que la correction fraternelle est un acte de justice.
Mais la justice doit кtre rendue en public ; en effet, on lit chez le
philosophe (Ethique, V, 3, 1129 b 27) que la justice est une vertu
plus йclatante que Lucifer ou l’Etoile du soir. Donc la correction
fraternelle doit кtre faite en public et non en secret.
[66483] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 15 Praeterea, ad iustitiam pertinet retribuere pro meritis. Sed ille qui peccavit, ex ipso
factus est inglorius apud Deum. Ergo videtur quod sicut
meruit, sit auferenda ei fama coram hominibus per publicam correctionem.
15.
Rйtribuer les mйrites convient а la justice. Mais celui qui a pйchй, par ce
fait mкme, est devenu sans gloire devant Dieu. Donc, il semble que de mкme il
a mйritй, que sa rйputation doit lui кtre enlevйe devant les hommes par une
correction publique.
[66484] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 16 Praeterea,
nullum praeceptum Dei contrariatur consilio vel praecepto. Sed Dominus dicit Luc. VI, 30 : Qui aufert quae tua
sunt, ne repetas; quod necesse est ut sit vel per consilium vel
praeceptum. Ergo videtur, cum admonitio fieri non possit sine repetitione
suorum, praecipue in casu in quo aliquis asportavit alicui sua, quod non sit
in praecepto, secreto admonere.
16.
Aucun prйcepte divin n’est contraire au conseil ni au prйcepte. Mais le
Seigneur dit en Lc 6, 30 : « A
qui te prend ton bien, ne le rйclame pas », ce qui est nйcessaire pour qu’il soit, par conseil,
ou par ordre. Donc, il semble, puisque l’admonition ne peut pas кtre faite
sans revendication de ses biens, surtout au cas oщ quelqu’un a emmenй ses
biens chez un autre, ce qui n’est pas dans le prйcepte d’admonester en
secret.
[66485]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 17 Praeterea, licet omni tempore et omni modo reddere bonum pro
malo. Sed Augustinus dicit in Lib. III de libero Arbitr., quod cum corripiuntur inquieti, redditur eis
bonum pro malo. Ergo videtur quod omni tempore liceat eos corripere publice
ante secretam admonitionem.
17. Il
est permis en tout temps et en toute maniиre de rendre le bien pour le mal.
Mais Augustin, (Le libre arbitre III), dit que quand ceux qui sont troublйs sont
rйprimandйs, on leur rend le bien pour le mal. Donc, il semble
qu’en tout temps, il est permis de rйprimander publiquement avant un
avertissement secret.
[66486] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 18 Praeterea,
leges feruntur ad ea quae saepe fiunt, non ad ea quae raro accidunt. Sed raro
contingit quod aliquis propter hoc quod fama sibi auferatur, peior
efficiatur; plures autem propter detectionem a peccato homines corripiuntur.
Ergo videtur quod non sit praeceptum legis divinae de hoc quod aliquis prius
secreto admoneatur quam publice denuntietur.
18.Les
lois sont йtablies pour ce qui se produit souvent, non pour ce qui arrive
rarement. Mais il arrive rarement que quelqu’un devienne pire, parce que sa
bonne rйputation lui aurait йtй enlevйe ; plusieurs hommes sont
corrumpus par leur pйchй, а cause de sa manifestion. Donc, il semble que cela
ne relиve pas du prйcepte de la loi divine que quelqu’un soit d’abord
admonestй secrиtement avant d’кtre dйnoncй publiquement.
[66487] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 19 Praeterea, in ordine fraternae correctionis continetur quod peccatum
non denuntietur Ecclesiae sive praelato, nisi quando frater arguentem audire
noluerit. Sed si unus peccatum aliquod committat alio sciente, et
correctionem promittat, videtur ex hoc ipso fratrem arguentem audisse; et
tamen videtur nihilominus peccatum eius esse denuntiandum praelato, ne pereat
iustitiae disciplina. Ergo videtur quod ordo correctionis fraternae quem dominus ponit,
non cadat sub praecepto.
19.Dans
l’ordre de la correction fraternelle, il est ajoutй que le pйchй ne doit кtre
dйnoncй ni а l’Йglise ni au prйlat, sauf quand le frиre n’a pas voulu йcouter
celui qui le dйnonce. Mais si quelqu’un a commis un pйchй alors qu’un autre
le sait et qu’il promet de s’amender, il semble, par ce fait mкme avoir
йcoutй le frиre qui le dйnonce ; et cependant, il semble nйanmoins que
son pйchй doive кtre dйnoncй au prйlat, pour que ne disparaisse pas la
discipline de la justice. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle
que le Seigneur йtablit, ne tombe pas sous ce prйcepte.
[66488] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 20 Praeterea, super illud Matth.
XVIII, 15 : Si
peccaverit in te frater tuus, dicit Hieronymus : Si autem in Deum
peccaverit, non est nostri arbitrii. Ergo videtur quod iste modus non se
extendat ad omnia peccata.
20. A
propos de Mt 18, 15 : « Si
ton frиre a pйchй contre toi »,
Jйrфme explique : « Si donc, il a pйchй contre Dieu, ce n’est pas de
notre jugement ». Donc,
il semble que cette faзon de voir ne s’йtende pas а tous les pйchйs.
[66489]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 21 Praeterea, dominus dicit, Matth.
XVIII, v. 15 : Si te audierit, lucratus es fratrem tuum. Sed non
propterea aliquis fratrem suum est lucratus, si solum audiat arguentem a
peccato desistens post gravia peccata commissa; sed multa alia requiruntur ad
hoc quod ad salutem perveniat, quod est fratrem esse lucratum. Ergo videtur
quod iste ordo correctionis fraternae non se extendat ad peccata gravia.
21. Le
Seigneur dit en Mt 18, 15 : « Si
ton frиre t’йcoute, tu l’auras gagnй ». Mais ce n’est pas а cause de cela que
quelqu'un a gagnй son frиre, s’il йcoute celui qui le dйnonce, renonзant au
pйchй aprиs avoir commis des pйchйs graves ; mais on recherche beaucoup
d’autres choses pour qu’il parvienne au salut, en quoi consiste gagner son
frиre. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle ne s’йtende
pas aux pйchйs graves.
[66490] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 22 Praeterea,
Eccli. XIX, 10, dicitur : Audisti
verbum adversus proximum tuum? Commoriatur in te, fidens quoniam non te
disrumpet. Non ergo oportet ut eum ad alios deferamus si eius peccatum
deprehendimus.
22. On
lit en Si 19, 10 : « As-tu
entendu une parole contre ton prochain ? Qu’elle demeure en toi,
confiance elle ne te brisera pas ».
Donc, il n’est pas nйcessaire que nous l’annoncions aux autres si
nous surprenons son pйchй.
[66491] De
virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 23 Praeterea, minus est agendum circa fratrem in
aliis peccatis quam in peccato haereticae pravitatis. Sed in haeretica
pravitate debet aliquis admoneri bis vel ter, secundum illud ad Titum III, 10 : Haereticum hominem
post primam et secundam correctionem devita. Ergo videtur quod non
sufficiat semel corripere, sicut in verbis Domini videtur innui, ante
denuntiationem.
23.Il faut moins agir pour un frиre dans
tous les autres pйchйs que dans celui de la perversion hйrйtique. Mais dans
cette derniиre, on doit кtre averti deux ou trois fois, selon cette parole de
Tt 3, 10 : « Dйtourne-toi
de l’homme hйrйtique aprиs une premiиre et deuxiиme correction ». Donc, il semble
qu’il ne suffirait pas de corriger une fois, comme cela paraоt indiquй dans
les paroles du Seigneur, avant la dйnonciation.
[66492] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 24 Praeterea,
iste ordo correctionis, secundum Augustinum in Lib. de verbis Domini X [serm. XVI], attenditur in peccatis occultis.
Sed in talibus non videtur aliquid posse probari per testes. Ergo
inconvenienter continetur in hoc correctionis ordine quod testes adhibeantur.
24.En
outre, cet ordre de la correction, selon Augustin, LesParoles du Seigneur, (10, sermon 16) est atteint dans
les pйchйs cachйs. Mais en de tels pйchйs, il ne semble pas qu’un acte puisse
кtre prouvй par des tйmoins. Donc, il est contenu de maniиre inconvenante
dans cet ordre de correction qu’on y joigne des tйmoins.
[66493] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 25 Praeterea, homo debet diligere proximum suum sicut seipsum. Sed nullus
ad publicationem sui criminis tenetur testes inducere. Ergo neque etiam ad
manifestationem criminis fratris.
25.En
outre, l’homme doit aimer son prochain comme lui-mкme. Mais nul n’est tenu de
produire des tйmoins pour la publication de sa faute. Pas plus pour la
divulgation de la faute d’un frиre.
[66494] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 26 Praeterea, Augustinus dicit in Regula,
quod prius praeposito debet ostendi, quam testibus. Sed ostendere praeposito,
sive praelato, est ostendere Ecclesiae. Ergo non prius debent testes adduci quam dicatur; et sic videtur
quod ordo quem dominus ponit, non sit in praecepto.
26.Par
ailleurs, Augustin dit, dans La Rиgle[75], qu’il faut
d’abord le montrer au chef de l’йglise avant de le montrer aux tйmoins. Mais
le montrer au chef ou au prйlat, c’est le montrer а l’йglise. Donc, il ne
faut pas amener les tйmoins avant que cela soit dit, et ainsi, il semble que
l’ordre que le Seigneur a йtabli n’est pas dans le prйcepte.
En
sens contraire :
[66495] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed
contra. Est quod
Augustinus dicit in Lib. de verbis
Domini [sermo XVIexponens illud : corripe inter te et ipsum solum.] : Studens correctionem, parcens
pudori. Forte enim prae verecundia incipiet defendere peccatum suum; et quem
vis facere meliorem, facis peiorem. Haec est igitur ratio
huiusmodi ordinis servandi in correctione fraterna, ut parcatur pudori
fratris, ne deterior efficiatur. Sed ad hoc tenemur per
praeceptum caritatis. Ergo ordo correctionis fraternae cadit sub praecepto.
1. Il y
a ce que dit Augustin dans le livre des Paroles du Seigneur (Sermon
16, quand il expose ceci : « Reprends-le seul а seul). Applique-toi а la correction,
йpargne son honneur. Car peut-кtre, en raison de sa rйserve, commencera-t-il
par dйfendre son pйchй ; et celui que tu veux rendre meilleur, tu le
rends pire ». C’est donc la raison de l’ordre de ce
genre а conserver dans la correction fraternelle, pour йpargner la honte du
frиre, pour qu’il ne devienne pas pire. Mais nous y sommes tenus en raison du
prйcepte de la charitй. Donc l’ordre de la correction fraternelle tombe sous
ce prйcepte.
[66496] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII,
15, super illud : Si peccaverit in te etc., dicit Glossa ordin.] : Hoc
ordine scandala vitare debemus. Sed vitare scandala cadit sub praecepto, ut patet Rom. XIV. Ergo ordo correctionis
fraternae cadit sub praecepto.
2.En
outre, Mt 18, 15, [sur ce passage :
Si l’on a pйchй contre toi, etc., la Glose dit] : « Par cet
ordre, nous devons йviter le scandale ». Mais йviter le scandale tombe sous le
prйcepte, comme il ressort de Rm
14, 13. Donc, la rиgle de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte.
Rйponse :
[66497]
De virtutibus, q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, art. 1, dictum est,
correctio fraterna cadit sub praecepto, secundum quod est actus virtutis. Est
autem actus virtutis, secundum quod debitis circumstantiis vestitur; inter
quas praecipue videtur esse ordo ad finem, quem oportet communem regulam
habere in omnibus operabilibus. Finis autem correctionis fraternae est
emendatio fratris, sicut dictum est; et ideo hoc ordine Dominus voluit fieri
correctionem fraternam, secundum quod congruit ad fratris emendationem, quem
volumus a peccato liberare.
Comme
il a йtй dit (art. 1), la correction fraternelle tombe sous le prйcepte,
selon que c’est un acte de vertu. C’en est un selon qu’il se revкt des
circonstances nйcessaires ; parmi celles-ci il semble surtout qu’il y a
un rapport а la fin qu’il est nйcessaire d’avoir comme rиgle commune dans
tout ce qui est peut кtre opйrй. Et le but de la correction fraternelle est
la rйforme du frиre, comme il a йtй dit ; et ainsi, par cet ordre, le
Seigneur a voulu que la correction fraternelle se fasse selon qu’elle
convient а la rйforme du frиre que nous voulons libйrer du pйchй.
Duplex autem
periculum imminet homini ex peccato; scilicet periculum conscientiae et
famae.
Haec autem duo, scilicet
conscientia et fama, hoc modo se habent ad invicem, quod conscientia est
praeferenda famae; quia testimonium conscientiae est in conspectu Dei, sed
testimonium famae pertinet ad officium humanum. Differunt etiam quantum ad
hoc quod conscientia est necessaria homini propter seipsum; fama autem
propter se, et propter proximum.
Hoc igitur ordine dominus
voluit correctionem fraternam fieri, ut primo quidem, si possibile sit, ita
provideatur conscientiae, quod in nullo fama laedatur; et hoc per secretam
admonitionem. Deinde, quia conscientia est famae praeferenda; si aliter
frater emendari non potest quam cum dispendio famae, finaliter ordinavit
Dominus ut publice denuntietur, ut obiurgatio quae fit a pluribus, ei sit
remedium salutare.
Un
double danger par le pйchй menace l’homme ; а savoir celui de sa
conscience et celui de sa rйputation.
Or, ces deux
йlйments а savoir la conscience et la rйputation, se comportent entre elles
de cette maniиre que la conscience doit se porter au devant de la renommйs,
parce que le tйmoignage de la conscience est sous le regard de Dieu, mais le
tйmoignage de la rйputation concerne le devoir humain. Ils diffиrent aussi du
fait que la conscience est nйcessaire а l’homme а cause de lui-mкme, et la
rйputation а cause de lui et а cause du prochain.
Donc, par cette
rиgle, le Seigneur a voulu йtablir la correction fraternelle, pour que,
d’abord, si c’йtait possible, elle prenne soin de la conscience, quand la
rйputation ne serait lйsйe en rien, et cela, par un avertissement secret.
Ensuite, parce qu’il faut prйfйrer la conscience а la rйputation, si le frиre
ne peut кtre corrigй autrement qu’avec la perte de la rйputation ;
finalement le Seigneur a ordonnй qu’il soit dйnoncй publiquement, pour que le
reproche qui est fait par plusieurs soit pour lui un remиde salutaire.
Si autem statim ad
publicam pronuntiationem procederetur, pateretur frater dispendium famae
suae; quod quidem vitandum est et propter ipsum, et propter alios, propter
quos est sibi necessaria fama.
Propter ipsum quidem, duplici
ratione.
Si donc
on procиde tout de suite а une annonce publique, le frиre perdrait sa
rйputation, ce qu’il faut йviter et pour lui-mкme et pour les autres,
vis-а-vis desquels la rйputation lui est nйcessaire.
En raison de
lui-mкme et pour un double motif.
Primo
quidem, quia bona fama est praecipuum inter exteriora bona, secundum illud Prov. XXII, 1 : Melius est nomen
bonum quam divitiae multae. Et hoc ideo, quia bonitas famae reddit
hominem idoneum ad humana officia exequenda in conversatione humana; et ideo
dicitur Eccli., XLI, 15 : Curam
habe de bono nomine; hoc enim magis permanebit tibi quam multi thesauri magni
et pretiosi. Sicut igitur peccaret qui absque necessitate ingereret
alicui divitiarum dispendium; ita, et multo amplius, peccat si aliquis absque
necessitate proximo ingereret dispendium famae, absque necessitate eius
peccatum publicando.
a/ Premiиrement, parce qu’une bonne
renommйe est chose importante parmi les biens extйrieurs, selon Pr 22, 1 : « Mieux vaut un nom
honorable que de grandes richesses ».
Et ainsi, parce que la bontй de la renommйe rend l’homme apte а
remplir ses devoirs humains, dans une maniиre de vivre humaine ; et
ainsi lit-on en Si 41, 15 : « Aie
soin de ton bon renom, cela demeurera plus pour toi qu’une foule de grands
trйsors prйcieux ». Donc,
de mкme qu’il pйcherait celui qui imposerait sans nйcessitй а quelqu’un la
perte de ses richesses, et il pиche beaucoup plus, si, sans nйcessitй, il
poussait son prochain а la perte de sa rйputation et sans nйcessitй, en
rendant public son pйchй.
Secundo,
quia propter conservationem famae homo multoties abstinet a peccatis. Et
ideo, quando aliquis videt se iam famam amisisse, pro nihilo ducit peccare
secundum illud Ieremiae III, 3 : Facies
meretricis facta est tibi, erubescere nescisti; unde et Hieronymus dicit super Matth. : Corripiendus est
seorsum frater, ne si semel pudorem aut verecundiam amiserit, permaneat in
peccato.
b/ Deuxiиmement, parce que, pour
sauvegarder sa rйputation, l’homme s’abstient souvent des pйchйs. Et ainsi,
quand quelqu’un voit que dйsormais il a perdu sa rйputation, cela le conduit
pour rien au pйchй, selon ce qu’on lit en Jr
3, 3 : « Tu montrais l’apparence de la prostituйe, mais tu n’as pas
su rougir[76] », d’oщ aussi Jйrфme (SurMatthieu) : « Il faut reprendre son
frиre а l’йcart, de peur que, s’il a perdu sa rйserve et sa discrйtion, il ne
demeure dans le pйchй ».
Similiter etiam ex parte aliorum est periculosum dupliciter.
Primo
quidem, quia homines peccatum alicuius audientes scandalizantur, et
contemnunt quandoque non solum peccantem, sed et multos alios innocentes.
Unde Augustinus dicit in Epistola ad
plebem Hipponensem : Cum de aliquibus qui sanctum nomen profitentur,
aliquid criminis vel falsi sonuerit, vel veri patuerit, instanter satagunt,
ambiunt, ut de omnibus hoc credatur.
De la
mкme maniиre, du cфtй des autres, le danger est double.
a/ Premiиrement, parce que les hommes
sont scandalisйs en entendant parler du pйchй d’autrui et qu’ils mйprisent
parfois non seulement le pйcheur, mais aussi beaucoup d’autres innocents.
C’est pourquoi Augustin dit dans une Lettre
au peuple d’Hippone : « Comme pour certains qui ont profйrй le
saint nom, quelque chose du crime ou du mensonge aurait retenti ou que quelque
chose de vrai aura йtй dйcouvert, ils se donnent du mal tout de suite et font
en sorte que cela soit cru de tous ».
Secundo,
quia ex peccato nimis publico multi provocantur ad peccandum; secundum illud
I ad Cor. 5, 6 : Nescitis
quia modicum fermentum totam massam corrumpit?Et ideo sub praecepto cadit ut non prius aliquis ad denuntiationem
publicam procedat quam secreto correxerit. Sed quia de extremo ad extremum
pervenitur per medium, interposuit dominus quemdam medium gradum; ut post
secretam admonitionem nunquam publice omnibus denuntietur nisi unus vel duo
testes adhibeantur, ut possit secretius correctus non innotescere ceteris, ut
Augustinus dicit in Regula. Sic
igitur ordo fraternae correctionis sub praecepto cadit, sicut et ipsa
fraterna correctio; hac tamen discretione servata in utroque, ut debito loco,
tempore, et aliis debitis circumstantiis observatis, omnia fiant secundum
quod quis utile esse prospexerit ad emendationem fratris, quae est finis et
regula correctionis fraternae.
b/ Deuxiиmement, parce qu’en raison d’un
pйchй trop public, beaucoup sont tentйs de pйcher, selon 1 Co 5, 6 : « Ne
voyez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute une pвte ? »
C’est pourquoi, cela tombe sous le prйcepte qu’on ne procиde pas а la
dйnonciation publique avant d’avoir corrigй en secret. Mais parce qu’on passe
d’un extrкme а un autre par un intermйdiaire, le Seigneur a йtabli un degrй
intermйdiaire, de telle sorte qu’aprиs l’avertissement en privй, il n’y ait
jamais de dйnonciation publique pour tous, si ce n’est en employant un ou
deux tйmoins, de maniиre а ce que celui qui a йtй corrigй d’une maniиre assez
secrиte, ne puisse se faire connaоtre а tous les autres, comme le dit
Augustin dans la Rиgle 7[77].
Ainsi donc, l’ordre de la correction fraternelle tombe sous le prйcepte,
comme la correction elle-mкme ; cependant, une fois la discrйtion
observйe dans l’un et l’autre cas, comme l’exigent le lieu, le temps et
l’observation des circonstances normales, qu’ils fassent tout selon ce que
quelqu'un aura discernй d’utile pour l’amendement du frиre qui est la fin et
la rиgle de la correction fraternelle.
Solutions :
[66498] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus solvit in Lib. de verbis Domini, verbum apostoli est
intelligendum in publicis peccatis; sed verbum Domini est intelligendum in
peccatis occultis, ut ex ipso modo loquendi apparet. Dicit enim Dominus : Si
peccaverit in te frater tuus. Si enim publice peccat, non solum in te
peccat, cui contumeliam vel iniuriam infert, sed etiam in omnes videntes, ut
significatur in parabola quam dominus ponit, Matth. XVIII, 31, de servo nequam, qui cum alium conservum
affligeret, videntes conservi eius quae fiebant contristati sunt valde.
Et II Petri II, 8, dicitur, quod animam
iusti iniquis operibus cruciabant.
1.Il
faut donc d’abord dire, de mкme qu’Augustin le rйsoud dans Les Paroles
du Seigneur, qu’il faut penser que la parole de l’Apфtre concerne
les pйchйs publics, mais la parole du Seigneur est а comprendre des pйchйs
secrets, comme cela apparaоt dans la maniиre mкme de s’exprimer. En effet, le
Seigneur dit (Mt 18, 15) :
« Si ton frиre a pйchй contre toi… ». Si, en effet, il pиche publiquement, non seulement, il
pиche contre toi, а qui il fait un affront ou une injure, mais aussi, contre
tous ceux qui le voient, comme le montre la parabole du Seigneur en Mt 18, 31, а propos du mauvais
serviteur, comme il avait agressй un autre compagnon : « Ses
compagnons, voyant ce qui se passait йtaient bien navrйs ». Et dans 2 P 2, 8 : « Ils torturaient l’вme du juste par leurs
њuvres injustes[78] ».
[66499]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam sic intellexerunt ordinem
correctionis fraternae esse servandum, ut primo frater sit in secreto
corripiendus; et si audierit, bene quidem; si autem non audierit, dicebant
esse distinguendum : quia aut est omnino occultum, et tunc non est
procedendum ulterius; aut incipit iam ad plerorumque notitiam pervenire, et
tunc debet ulterius procedi, secundum quod Dominus mandat. Sed hoc non
videtur bene dictum; dicit enim Augustinus in Regula : Si frater tuus vulnus habet in corpore quod vult
occultari, dum timet secari, nonne a te crudeliter sileretur, et
misericorditer indicaretur? Quanto ergo magis non debet occultari, ne
deterius putrescat in corde?
Et ideo alia distinctione opus
est. Si enim probabiliter possumus existimare quod ulterius
procedendo ad eius emendationem proficiamus, debemus ulterius procedere
adhibendo testes, et denuntiando. Si vero probabiliter existimemus quod ex
tali publicatione fiat deterior, non est ulterius procedendum; sed propter
hanc causam a tota correctione fraterna est desistendum, ut supra dictum est.
2.Certains
ont ainsi pensй qu’il fallait conserver l’ordre de la correction fraternelle,
pour que le frиre soit d’abord rйprimandй en secret ; et s’il a йcoutй,
c’est bien ainsi ; mais s’il n’a pas йcoutй, ils disaient qu’il fallait
opйrer une distinction : parce que, ou bien c’est tout а fait secret et
alors, il ne faut pas aller plus loin oщ bien il commence dйjа а parvenir а
la connaissance de la plupart, et alors, il faut aller plus loin, selon que
le Seigneur l’ordonne. Mais ceci ne semble pas avoir йtй bien dit : en effet,
Augustin dit dans La Rиgle (7)
: « Si ton frиre a une
blessure en son corps qu’il veut cacher, dans la crainte qu’on y porte le
fer, ne serait-ce pas cruautй de vous taire et misйricorde de l’annoncer
publiquement ? Combien plus on ne doit pas le cacher pour empкcher dans
son cњur des ravages plus redoutable.»
Et
ainsi il y a besoin d’une autre distinction. Si, en effet, nous pouvons
estimer probablement, qu’en procйdant plus avant, nous parvenion а le
corriger, nous devons aller plus loin en ayant recours а des tйmoins et en le
dйnonзant. Mais si nous pensons que probablement il deviendrait pire а la
suite d’une pareille annonce, il ne faut pas aller plus avant, mais а cause
de cela il faut renoncer а toute correction fraternelle comme on l’a dit
ci-dessus.
[66500] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod omnis veritas humanae iustitiae regulatur a veritate divina.
Sed hominum facta non eodem modo comparantur ad iudicium divinum et ad
iudicium humanum, quia secundum iudicium humanum quaedam peccata sunt
occulta, in quibus non est statim procedendum ad publicum. Et hoc modo non
comparantur omnia peccata ad iudicium divinum, quia omnia nuda et aperta
sunt oculis eius, ut dicitur ad Hebr. IV, v. 13. Et ideo quantum ad
iudicium divinum non requiritur quod secreta admonitio praecedat et tamen
plerumque peccatores quasi secreta admonitione a Deo arguuntur per interiorem
remorsum conscientiae et interiorem inspirationem, vel in vigilando, vel in
dormiendo. Dicitur enim Iob XXXIII,
15-17 : Per somnum in visione nocturna, quando irruit sopor super homines,
tunc operit aures virorum, et erudiens eos instruit disciplina, ut avertat
hominem ab his quae fecit.
3.
Toute la vйritй de la justice humaine est rйglйe par la vйritй divine. Mais
les actes des hommes ne sont pas comparйs de la mкme maniиre pour le jugement
divin et pour le jugement humain, parce que, selon le jugement humain,
certains pйchйs sont cachйs et il ne faut pas aller tout de suite devant le
public. Et de cette maniиre, tous les pйchйs ne sont pas comparйs au jugement
divin, parce que tout est nu et dйcouvert а ses yeux, comme il est dit
en He 4, 13. Et ainsi, quant au
jugement divin il n’est pas requis qu’une admonition secrиte prйcиde et
cependant, la plupart du temps, les pйcheurs sont accusйs comme par un
avertissement secret de Dieu, par un remord intйrieur de la conscience et une
inspiration intйrieure, soit en veillant, soit en dormant. En effet, il est
dit en Jb (33, 15-17) : « Par
un songe, par une vision nocturne, quand une torpeur s’abat sur les hommes,
alors, il ouvre leurs oreilles et en les instruisant, il les enrichit par son
enseignement pour dйtourner l’homme de ce qu’il a fait ».
[66501] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum Ananiae et Saphirae non devenerat
ad notitiam Petri modo humano, sed per revelationem divinam; et ideo in
peccato illo processit non secundum formam humani iudicii, sed secundum
formam divini iudicii, tamquam in hoc executor Dei existens.
4. Le
pйchй d’Ananie et de Saphire n’йtait pas venu а la connaissance de Pierre de
maniиre humaine, mais par une rйvйlation divine et donc, ainsi il s’est
avancй dans ce pйchй, non sous forme d’un jugement humain, mais sous forme
d’un jugement divin en cela, comme l’exйcutant de Dieu en cela.
[66502] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam Dominus peccatum Iudae scivit virtute
divina, in quantum erat cognitor absconditorum; et ideo, in quantum Deus,
procedere poterat statim ad publicandum peccatum. Et tamen ipse non publicavit,
sed obscuris verbis eum de peccato admonuit.
5. Le
Seigneur aussi a connu le pйchй de Judas de science divine, en tant qu’il
connaissait ce qui йtait cachй, et ainsi, Dieu pouvait passer aussitфt а la
divulgation du pйchй. Et pourtant, lui-mкme ne l’a pas rendu public, mais il
l’a averti du pйchй par des paroles obscures.
[66503] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod alia ratio est in accusatione et in denuntiatione; quia in
denuntiatione intenditur correctio fratris : et ideo tali ordine debet
denuntiatio fieri qui sit conveniens ad emendationem fratris; sed in
accusatione intenditur bonum Ecclesiae, ut scilicet conservetur communitas
pura ab infectione peccati, et ideo in accusatione non oportet quod praecedat
denuntiatio.
6. Il y
a une autre raison dans l’accusation et la dйnonciation, parce que la correction
fraternelle est atteinte dans la dйnonciation et doit кtre faite dans un tel
ordre qui conviendrait а la purification du frиre, mais le bien de l’Йglise
est atteint dans l’accusation, pour prйserver la communautй exempte de la
contagion du pйchй et ainsi dans l’accusation, il n’est pas nйcessaire que la
dйnonciation prйcиde.
[66504]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non in omni peccato debet homo
procedere ad accusationem; sed solum in illis peccatis ex quibus in promptu
est ut proveniat periculum multitudini, vel spirituale, vel corporale. Tunc
enim potest homo ad accusationem procedere, monitione non praecedente, si hoc
exigat utilitas communis; quia bonum commune praeferendum est bono privato.
7.L’homme
ne doit pas avoir recours а l’accusation pour tous les pйchйs, mais seulement
ces pйchйs desquels visiblement, provient pour la multitude un danger, soit
spirituel, soit corporel. Alors, en effet, l’homme peut procйder а
l’accusation sans avertissement prйalable, si l’intйrкt commun le requiert,
parce qu’il faut prйfйrer le bien commun au bien privй.
[66505] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod proclamationes quae fiunt in capitulis
religiosorum, magis sunt quaedam commonitiones quam accusationes vel denuntiationes.
Reducitur enim fratri ad memoriam culpa de qua purgare se debet, quod famae
eius detrimentum non facit; fiunt enim huiusmodi proclamationes de levibus
culpis. Si autem proclamaretur aliquis in publico de aliqua gravi culpa, ex
qua infamari posset, monitione non praecedente, hoc esset illicitum et contra
praeceptum Christi.
8. Les
proclamations qui se font dans les chapitres des religieux, sont plus des
exhortations que des accusations ou des dйnonciations. Car est ramenйe а la
mйmoire du frиre la faute dont il doit se purifier, ce qui n’enlиve pas sa
renommйe ; car des proclamations de ce genre se font pour les fautes
lйgиres. Mais si quelqu'un signale en public pour une faute grave, il
pourrait par cela avoir une mauvaise rйputation ; sans avertissement
prйcйdant, cela serait illйgal et contre le prйcepte du Christ.
[66506]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ex levibus peccatis non consurgit
infamia, sicut consurgit ex gravibus; ideo non est eadem ratio de utriusque.
9.
L’infamie ne surgit pas des petits pйchйs, comme elle surgit des pйchйs
graves : ainsi ce n’est pas la mкme raison pour les uns et les autres.
[66507] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in talibus in quibus
mora denuntiationis est periculosa, non oportet expectare admonitionem, sed
statim procedere ad denuntiationem; nec hoc est contra praeceptum Christi,
propter duo. Primo quidem, quia peccatum istud, quod vergit in periculum
multorum, non est solum in te, sed est in multos; dominus autem dicit : si
peccaverit in te frater tuus.
Secundo,
quia dominus non loquitur de culpa futura cavenda, sed de culpa praeterita
iam praecommissa.
10. En
de tels [pйcheurs] en qui le retard de la dйnonciation est pйrilleux, il
n’est pas nйcessaire d’attendre l’avertissement, mais de procйder aussitфt а
la dйnonciation ; et cela n’est pas contre le prйcepte du Christ, pour
deux raisons :
a/ Premiиrement parce que ce pйchй, qui
tend au pйril de beaucoup, n’est pas seulement en toi, mais en
beaucoup ; le Seigneur dit « Si
ton frиre a pйchй contre toi… »
b/ Deuxiиmement, parce que le Seigneur ne
parle pas de faute future а йviter, mais d’une faute passйe dйjа commise.
[66508] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod multo melius est et quantum ad fratrem,
cuius emendationi intenditur, et quantum ad multitudinem, si fieri potest, ut
secretius emendetur, ut patet ex dictis. Et ideo
ille qui corrigit secundum caritatem, isto modo debet procedere.
11. Il
est beaucoup mieux quant au frиre, dont la purification est atteinte, et
quant а la multitude, s’il est possible qu’il soit amendй plus en secret,
comme on le voit par ce qui a йtй dit. Et ainsi celui qui corrige selon la
charitй doit procйder de cette maniиre.
[66509]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod si medicus procederet statim ad
praecisionem membri corrupti, incaute ageret, et multoties praecideret membra
quae sanari possunt; sed si sit sapiens, a levioribus remediis incipiet. Tunc
demum praecidit membrum, quando experitur illud esse insanabile; et ita
quidem est faciendum in correctione fraterna.
12. Si
le mйdecin coupait aussitфt le membre gangrйnй, il agirait imprudemment et de
nombreuses fois il couperait des membres qui peuvent кtre soignйs ; mais
s’il est sage, il commencera par des remиdes plus lйgers. Alors finalement il
coupe le membre, quand il sait expйrimentalement qu’il ne peut pas кtre
soignй. Et il faut agir ainsi dans la correction fraternelle.
[66510] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praelato non est
obediendum contra praeceptum Christi, secundum illud Act. 5, 29 : obedire
oportet Deo magis quam hominibus. Sed et ille praelatus qui praecipit
contra mandatum Christi a peccato non excusatur. Et ideo, si praelatus
praecipiat quod aliquis dicat quod sciverit corrigendum, vel quod sciverit de
peccatis alterius, intelligendum est praeceptum eius sane, in casu in quo
ipse hoc potest praecipere, secundum ordinem institutum a Christo. Quod si
expresse contra hunc ordinem praeceperit, non est ei obediendum. In quibusdam
tamen casibus saecularis vel ecclesiasticus iudex potest iuramentum exigere,
sive in via denuntiationis, sive in via inquisitionis, sive in via
accusationis; in istis etiam casibus potest praelatus in religionibus per
praeceptum obedientiae suos subditos obligare.
13. Il
ne faut pas obйir au prйlat contre le prйcepte du Christ ; selon cette
parole de Ac 5, 29 : « Il est nйcessaire d’obйir plus а Dieu
qu’aux hommes ». Mais ce prйlat aussi qui ordonne un prйcepte contre
le commandement du Christ n’est pas excusй de son pйchй. Et ainsi, si le
prйlat avait ordonnй que quelqu'un dise ce qu’il a su devoir кtre corrigй ou
ce qu’il a connu des pйchйs d’un autre, il faut penser que son prйcepte est
dans le cas oщ lui-mкme peut l’ordonner selon l’ordre donnй par le Christ.
Que s’il l’a ordonnй expressemment contre cet ordre, il ne faut pas lui
obйir. En certains cas cependant, le juge du siиcle ou le juge ecclйsiatique
peut exiger un serment, soit au cours de son enquкte ou au cours de l’accusation
: en ces cas-lа, le prйlat peut obliger dans les rйunions religieuses ses
sujets soumis а l’obйissance.
[66511]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod iustitia dicitur esse
praeclarissima virtutum, propter decorem sui ordinis; ad quam etiam pertinet
ut occultanda occultet.
14. On
dit que la justice est la plus illustre des vertus en raison de la beautй de
son ordre ; et il lui convient de cacher ce qui doit кtre cachй.
[66512]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ille qui occulte peccat meretur
amittere famam suam; sed pro isto merito non potest ei poena recompensari,
nisi ab illo qui est iudex occultorum, scilicet Deus, de quo dicitur I ad
Cor., IV, 5 : qui illuminabit abscondita tenebrarum, et manifestabit
consilia cordium.
15.Celui
qui pиche en secret, mйrite de perdre sa rйputation, mais le chвtiment ne
peut pas contrebalancer le mйrite, а moins que ce soit par celui qui est le
juge des choses cachйes, c’est-а-dire Dieu duquel il est dit (1 Co 4, 5) :
« Celui qui illuminera les secrets dans les tйnиbres et rendra
claires les dйcisions des cњurs ».
[66513] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod non repetere sua
est praeceptum, secundum quod intelligitur in praeparatione animi ut
Augustinus exponit. Tenetur enim homo esse paratus sua non repetere in casu
in quo hoc exigeret necessitas fidei vel caritatis; in quo etiam casu dare de
novo teneretur. Sed quod ultra hunc casum homo sua non repetat, potest esse
consilium debitis circumstantiis servatis, sicut et consilium est quod homo
det sua quibus debet. Admonitio autem fraterna non contrariatur
nec consilio nec praecepto praedicto. Potest enim aliquis fratrem admonere
qui alienum accepit, ut de peccato poeniteat, et sit satisfacere paratus,
etiam si ipse velit ei remittere quod debet, cum hoc viderit expedire.
16.Ne
pas rйclamer ses biens est un prйcepte selon qu’il est connu dans une bonne
disposition de l’вme, comme l’expose Augustin. En effet, l’homme est tenu de
se montrer prкt а ne pas aller chercher ses biens dans le cas oщ l’exigerait
la nйcessitй de la foi ou de la charitй ; dans ce cas aussi il serait
mкme tenu de les donner de nouveau. Mais outre ce cas oщ l’homme n’a pas а
aller chercher ses biens, il peut y avoir une dйcision, une fois observй le
conseil que l’homme donne ses biens а qui il les doit. L’avertissement
fraternel n’est contrariй ni par un ordre ni par un prйcepte dйjа dit. En
effet, quelqu’un peut donner un avertissement а un frиre qui a reзu un bien
йtranger, afin de le punir de son pйchй et qu’il soit prкt а donner
satisfaction, mкme si lui-mкme voulait lui remettre ce qu’il doit quand il a
vu que c’йtait utile.
[66514]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ille qui corripit delinquentem
modo et ordine debito, reddit bonum pro malo; sed ille qui debitum modum et
ordinem praetermittit corripiendo in publico quae sunt occulta, non reddit
bonum, sed malum.
17.Celui
qui corrige un dйlinquant d’une maniиre et d’un ordre obligatoire, rend le
bien pour le mal, mais celui qui nйglige le mode et la rиgle obligatoires, en
corrigeant en public ce qui est cachй, ne rend pas le bien mais le mal.
[66515]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod raro contingit quod peccata
occulta publicentur; et ideo ex hoc, periculum rarius accidit. Si
vero frequenter publicarentur peccata occulta, experimento perpenderetur quod
pericula ex hoc sequerentur.
18.Il arrive rarement que les pйchйs
cachйs soient dйvoilйs et ainsi par lа ce danger se manifeste assez rarement.
Mais si les pйchйs cachйs sont frйquemment divulguйs, l’expйrience dйmontre
tout au long que des dangers en dйcouleraient.
[66516]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod ex quo peccatum est occultum, et
non apparet quare in promptu debeat publicari, et ille qui peccavit
emendationem promittit, contra praeceptum Dei ageret qui socium peccantem vel
ad praelatum vel ad alium deferret.
19. Du fait que le pйchй est cachй et
qu’il n’apparaоt pas pourquoi il devrait кtre rendu public visiblement et que
celui qui a pйchй promet de s’amender, il agirait contre le prйcepte de Dieu,
celui qui rйvиlerait un frиre pйcheur soit au prйlat soit а un autre.
[66517] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod peccata quae in Deum
committuntur, non est nostri arbitrii ea dimittere in poenitentia; est tamen
nostri arbitrii in eis corrigendis ordinem servare quem Christus instituit.
20.
Pour ce qui concerne les pйchйs qui sont commis contre Dieu, il ne dйpend pas
de nous de les envoyer en pйnitence, mais il dйpend de nous, pour ceux qui
doivent кtre corrigйs, de conserver l’ordre que le Christ a instituй.
[66518]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod intelligitur ille qui peccat
corripientem audire, quando et cessat ab opere et facit alia quae sunt
facienda pro salute, confitendo et satisfaciendo. Et tunc, quantumcumque sit
grave peccatum, aliquis lucratur fratrem sic audientem.
21.On pense que celui qui pиche а
йcouter celui qui le corrompt quand il cesse son acte et fait d’autres choses
qui sont а faire pour son salut, par la confession et la satisfaction. Et
alors, si grave que soit le pйchй, quelqu'un gagne son frиre qui l’йcoute
ainsi.
[66519]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod verbum quod adversus fratrem
audimus, sic debet in nobis commorari, ut a nobis non procedat ad fratris
infamiam; non tamen prohibetur quin procedat ulterius ad fratris
emendationem.
22.La parole que nous entendons contre
un frиre, ne doit pas demeurer en nous ; pour que par nous-mкmes elle en
vienne а l’infamie du frиre, cependant, il n’est pas interdit d’aller plus
loin pour la correction.
[66520]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod cum dominus dicit, Corripe
inter te et ipsum solum, non intelligendum est quod semel corripiatur sed
bis et ter, aut etiam pluries, quamdiu probabiliter spes maneat quod
secretius corripi possit. Cum vero probabiliter praesumitur quod sic corrigi
non possit, tunc intelligitur non audire.
23.Quand
le Seigneur dit : « Rйprimende le
seul а seul », on ne doit pas le comprendre dans le sens qu’il est
reprimendй une seule fois, mais deux et trois fois ou mкme plus, aussi
longtemps que demeure avec vraisemblance l’espoir qu’il puisse кtre corrigй
plus secrиtement. Quand on prйsume avec vraisemblance qu’il ne pourrait se
corriger ainsi, on pense qu’il n’йcoute pas.
[66521]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod testes inducuntur vel ad
ostendendum quod hoc sit peccatum de quo aliquis arguitur, ut Hieronymus
dicit; vel ad convincendum de actu, si actus iteretur, ut Augustinus dicit;
vel ad testificandum quod frater admonens fecit quod in se fuit, ut
Chrysostomus dicit.
24.On
amиne des tйmoins ou bien pour dйvoiler le pйchй de celui qui est accusй,
comme le dit Jйrфme ; ou bien pour le convaincre de son acte s’il
rйcidive, comme le dit Augustin, ou bien pour tйmoigner de ce que le frиre
qui l’avertit a fait ce qui a йtй en lui, comme le dit Jean Chrysostome.
[66522] De
virtutibus, q. 3 a. 2 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod homo non
indiget testibus ad emendationem sui peccati; potest tamen indigere testibus
ad emendationem alterius secundum tres modos praedictos. Et ideo non est
similis ratio de peccato proprio, et de peccato fratris.
25.L’homme
n’a pas besoin de tйmoins pour se corriger de son pйchй ; il peut
cependant avoir besoin de tйmoins pour la correction d’un autre selon les
trois modes prйcitйs. Et c’est pourquoi, ce n’est pas la mкme raison dans le
cas du pйchй personnel ou de celui du frиre.
[66523]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod Augustinus intelligit quod
prius dicatur praelato quam testibus, secundum quod prelatus est quaedam
singularis persona, quae potest prodesse etiam magis quam alii. Sic
autem dicere praelato, non est dicere Ecclesiae; sed quando dicitur in
publico, quasi in loco iudicii residenti.
26.Augustin
pense qu’on le dit au prйlat avant de le dire aux tйmoins, dans la mesure oщ
ce dernier est une personne particuliиre qui peut кtre plus utile que les
autres. Ainsi, le dire au prйlat, ce n’est pas le dire а l’Йglise, mais quand
c’est dit en public, c’est comme dans le lieu oщ rйside le juge.
[66530] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 1 Virtus enim non se habet ad bonum et malum, sed ad bonum tantum;
unde Augustinus dicit in libro de libero Arbit., quod virtute nullus male
utitur. Sed spes se habet ad bonum et malum : quidam enim habent bonam,
quidam malam spem. Ergo spes non est virtus.
1. En effet, la vertu ne porte pas sur le bien
et sur le mal, mais seulement sur le bien. Aussi Augustin dit-il dans le
livre Sur le libre arbitre, que personne n’utilise mal la vertu. Or,
l’espйrance porte sur le bien et sur le mal : en effet, certains ont une
bonne espйrance, et d’autres une mauvaise. L’espйrance n’est donc pas une
vertu.
[66531] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
2 Praeterea, virtutem Deus operatur in nobis sine
nobis, ut supra dictum est; et sic patet quod nulla virtus est ex meritis,
sed praecedit merita. Sed spes est ex meritis : est enim spes certa expectatio
futurae beatitudinis ex gratia et meritis proveniens, ut Magister dicit 26
dist., Lib. III Sent. Ergo spes non est virtus.
2. Dieu
rйalise en nous sans nous la vertu, comme on l’a dit plus haut ; il est
ainsi clair qu’aucune vertu ne provient du mйrite, mais prйcиde les mйrites.
Or, «l’espйrance se fonde sur les mйrites : en effet, l’espйrance est une
attente certaine de la bйatitude future provenant de la grвce et des
mйrites», comme le dit le Maоtre, Sentences, III, d. 26. L’espйrance
n’est donc pas une vertu.
[66532] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
3 Sed dicendum, quod spes praesupponit merita non
in actu, sed in habitu.- Sed contra, habitus qui est principium merendi, est
caritas. Sed spes non
praesupponit caritatem, sed praecedit eam : dicitur enim Matth., I, in
Glossa, quod spes generat caritatem. Ergo spes non praesupponit merita in
habitu.
3.
L’espйrance prйsuppose des mйrites, non pas en acte, mais en habitus. – En sens contraire, l’habitus qui est le principe
du mйrite est la charitй. Or, l’espйrance ne prйsuppose pas la charitй, mais
la prйcиde. En effet, il est dit dans la Glose sur Mt 1, que
«l’espйrance engendre la charitй». L’espйrance ne prйsuppose donc pas de
mйrites en habitus.
[66533] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
4 Praeterea, virtus est dispositio perfecti,
secundum philosophum in VI Physic.; unde et in IV Ethicor. probat, quod
verecundia non est virtus, quia est imperfecti. Sed spes est dispositio
imperfecti, quia est distantis a bono. Ergo spes non est virtus.
4. La
vertu est une disposition de celui qui est parfait, selon le Philosophe, Physique,
VI. Aussi dйmontre-t-il, dans Йthique, IV, que la pudeur n’est pas
une vertu, parce qu’elle est le fait de celui qui est imparfait. Or,
l’espйrance est une disposition de celui qui est imparfait, car elle est le
fait de celui qui est йloignй du bien. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66534] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
5 Praeterea, nulla passio est virtus : quia
passionibus nec laudamur nec vituperamur, ut dicitur in II Ethicor. Sed spes
est una de quatuor principalibus passionibus. Ergo spes non est virtus.
5.
Aucune passion n’est une vertu, car nous ne sommes ni louangйs ni rйprimandйs
pour nos passions, comme il est dit dans Йthique, II. Or, l’espoir est
une des quatre principales passions. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66535] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
6 Sed dicendum, quod spes quae est passio, non est
virtus, sed aliquid ad mentem pertinens.- Sed contra, omnes passiones
appetitus sensitivi habent aliquid simile in mente : sicut enim est spes et
amor appetitus sensitivi et intellectivi, ita etiam et desiderium, et
delectatio, et alia huiusmodi. Sed in aliis passionibus praeter amorem non
sumuntur nomina virtutum. Ergo neque aliqua virtus debet dici spes.
6.
L’espoir, qui est une passion, n’est pas une vertu, mais quelque chose qui
relиve de l’esprit. – En sens contraire,
toutes les passions de l’appйtit sensible ont quelque chose de semblable dans
l’esprit : en effet, de mкme qu’il y a espoir et amour dans l’appйtit sensible
et intellectif, de mкme y a-t-il dйsir, plaisir, et d’autres choses de ce
genre. Mais, pour les autres passions que l’amour on n’utilise pas les noms
des vertus. On ne doit donc pas donner le nom de vertu а l’espoir.
[66536] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
7 Praeterea, tria sunt genera virtutum : sunt enim
quaedam virtutes morales, quaedam intellectuales, quaedam theologicae. Sed
spes non est virtus moralis, quia non reducitur ad aliquam cardinalium
virtutum; nec etiam virtus intellectualis, quia non pertinet ad vim
cognitivam, sed appetitivam; nec etiam est virtus theologica, quia
theologicae virtutis non est esse in medio, sed in extremo, secundum illud
Deut., VI, 5 : diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Spes autem medium tenet inter praesumptionem
et desperationem.
7. Il
existe trois genres de vertus : les vertus morales, les vertus
intellectuelles et les vertus thйologales. Or, l’espйrance n’est pas une
vertu morale, parce qu’elle ne se ramиne а aucune des vertus cardinales. Elle
n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne relиve pas de la
puissance cognitive, mais de la puissance appйtitive. Elle n’est pas non plus
une vertu thйologale, car les vertus thйologales ne se situent pas dans un
milieu, mais dans un extrкme, selon ce que dit Dt 6, 5 : Tu
aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cњur. Or, l’espйrance occupe
le milieu entre la prйsomption et le dйsespoir.
[66537] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, virtus, maxime theologica, est quoddam donum
supernaturale divinitus nobis infusum. Sed ad sperandum beatitudinem aeternam
non indigemus aliquo dono supernaturali : quia, cum bonum naturaliter moveat
appetitum, summum bonum, quod est beatitudo, maxime naturaliter appetitum
movebit. Ergo spes non est virtus.
8. La
vertu, surtout la vertu thйologale, est un don surnaturel infusй en nous par
Dieu. Or, pour espйrer la bйatitude йternelle, nous n’avons pas besoin d’un
don surnaturel, car, puisque le bien meut naturellement l'appйtit, le bien
suprкme qu’est la bйatitude mouvra naturellement l’appйtit au plus haut
point. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66538] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
9 Praeterea, actus caritatis est perfectior quam
actus spei. Sed ad actum caritatis potest natura creata absque dono gratiae,
secundum illorum opinionem qui dicunt, quod homo et Angelus in naturalibus
creati Deum supra se et supra omnia dilexerunt; quod videtur esse actus
caritatis. Ergo multo magis potest aliquis in actum spei sine dono gratiae.
Ergo spes non est virtus.
9.
L’acte de charitй est plus parfait que l’acte d’espйrance. Or, la nature
crййe est capable d’un acte de charitй sans le don de la grвce, selon
l’opinion de ceux qui disent que l’homme et l’ange, crййs avec leurs
attributs naturels, ont aimй Dieu plus qu’eux-mкmes et que toutes choses, ce
qui semble кtre un acte de charitй. А bien plus forte raison, donc, quelqu’un
est-il capable d’un acte d’espйrance sans le don de la grвce. L’espйrance
n’est donc pas une vertu.
[66539] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
10 Praeterea, virtus, secundum philosophum in I
Ethic., est omni arte certior. Sed hoc non competit spei : causatur enim ex
gratia et meritis, quae sunt incerta, secundum illud Eccle., IX, 1 : nemo
scit utrum sit dignus odio, vel amore. Ergo spes non est virtus.
10.
Selon le Philosophe, dans Йthique, I, la vertu est plus certaine que
tout art. Or, cela ne convient pas а l’espйrance : en effet, elle est causйe
par la grвce et les mйrites, selon Si 9, 1 : Personne ne sait
s’il est digne de haine ou d’amour. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66540] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
11 Praeterea, omnis virtus potest esse in caritate.
Spes autem importat distantiam, caritas autem unionem, secundum illud quod
Dionysius dicit in IV cap. de divinis nominibus, quod amor est vis unitiva.
Ergo spes non est virtus.
11.
Toute vertu peut exister dans la charitй. Or, l’espйrance comporte une
distance, mais la charitй, l’union, selon ce que dit Denys, Les noms
divins, IV, que l’amour est une force unitive. L’espйrance est donc une
vertu.
[66541] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
12 Praeterea, omnis plenitudo gratiarum et virtutum
fuit in Christo, secundum illud Ioan., cap. I, 14 : vidimus eum (...) plenum
gratiae et veritatis. Sed spes non fuit in Christo : qui enim videt, non
sperat, ut habetur Rom., cap. VIII, 24. Ergo spes non est virtus.
12.
Toute la plйnitude des grвces et des vertus se trouvait dans le Christ, selon
Jn 1, 14 : Nous l’avons vu…, plein de grвce et de vйritй. Or,
l’espйrance n’existait pas chez le Christ : en effet, celui qui voit n’espиre
pas, comme on le lit dans Rm 8, 24. L’espйrance n’est donc pas une
vertu.
[66542] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
13 Praeterea, virtus causat delectationem in actu.
Sed spes e contrario causat afflictionem, secundum illud Proverb., XIII, 12 :
spes quae differtur, affligit animam. Ergo spes non est virtus.
13. La
vertu produit un plaisir dans son acte. Or, l’espйrance cause au contraire
une affliction, selon ce que dit Pr 13, 12 : L’espйrance qui est
reportйe afflige l’вme. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66543] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
14 Praeterea, virtus per se habet delectationem, ut
dicitur in I Ethicorum. Spes autem et memoria non sunt delectabilia secundum
se, ut dicitur in II Metaph. Ergo spes non est virtus.
14. La
vertu comporte par elle-mкme une dйlectation, comme il est dit dans Йthique,
I. Or, l’espйrance et la mйmoire ne sont pas dйlectables par elles-mкmes,
comme il est dit dans Mйtaphysique, II. L’espйrance n’est donc pas une
vertu.
[66544] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 15 Praeterea, nulla virtus facit actum malum. Sed
spes facit actum malum, quia facit actum difficilem. Ergo spes non est
virtus.
15.
Aucune vertu ne rend un acte mauvais. Or, l’espйrance rend un acte mauvais,
parce qu’elle fait un acte difficile. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66545] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
16 Praeterea, spes est expectatio quaedam, ut dictum
est. Expectatio autem importat
distantiam. Ergo maxima spes importat maximam distantiam a bono sperato, quod
est beatitudo. Sed maxima virtus non habet maximam distantiam a beatitudine,
immo facit maximam propinquitatem ad ipsam. Ergo spes non est
virtus.
16.
L’espйrance est une certaine attente, comme on l’a dit. Or, l’attente
comporte une distance. Une trиs grande espйrance comporte donc une trиs
grande distance par rapport au bien espйrй, qui est la bйatitude. Or, une
trиs grande vertu n’a pas une trиs grande distance par rapport а la
bйatitude, bien plus, elle rйalise un trиs grand rapprochement par rapport а
elle. L’espйrance n’est donc pas une vertu.
[66546] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
17 Praeterea, sicut est spes futurorum, ita est
memoria praeteritorum. Sed memoria praeteritorum non est virtus. Ergo nec
spes futurorum.
17. De
mкme que l’espйrance porte sur des choses а venir, de mкme la mйmoire porte
sur des choses passйes. Or, la mйmoire des choses passйes n’est pas une
vertu. Donc, ni l’espйrance de choses а venir.
Cependant :
[66547] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Per virtutes
in beatitudinem introducimur : nam felicitas virtutis est praemium, ut
dicitur in I Ethic. Sed spes introducit in beatitudinem : dicitur enim ad
Hebr., VI, 18-19, quod habemus spem incedentem, et incedere facientem ad
interiora velaminis, id est ad beatitudinem caelestem, ut Glossa ibidem
exponit. Ergo spes est virtus.
1. Nous
sommes introduits dans la bйatitude par les vertus, car la fйlicitй est la
rйcompense des vertus, comme il est dit dans Йthique, I. Or,
l’espйrance introduit dans la bйatitude. En effet, il est dit dans
He 6, 18‑19 : Nous avons une espйrance qui progresse, et
qui nous fait entrer а l’intйrieur du voile, c’est-а-dire, «dans la
bйatitude йternelle», comme l’explique la Glose а cet endroit. L’espйrance
est donc une vertu.
[66548] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c.
2 Praeterea, I ad Cor., XIII, 13 : nunc autem
manent fides, spes, caritas, tria haec. Sed fides et caritas sunt virtutes.
Ergo et spes.
2. De
plus, 1 Co 13, 13 dit : Maintenant, demeurent la foi,
l’espйrance et la charitй, ces trois choses. Or, la foi et la charitй
sont des vertus. Donc, l’espйrance aussi.
[66549] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius in I Mor. dicit, quod per
tres filias Iob significantur hae tres virtutes : fides, spes et caritas. Ergo
est virtus.
3.
Grйgoire dit, dans Morales, I, que ces trois vertus sont signifiйes
par les trois filles de Job : la foi, l’espйrance et la charitй.
[L’espйrance] est donc une vertu.
[66550] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, praecepta legis dantur de actibus virtutum. Sed multa
praecepta dantur de actu spei; dicitur enim in Psal. XXXVI, 3 : spera in Deo, et fac bonitatem. Ergo
spes est virtus.
4. Les
commandements de la loi portent sur des actes des vertus. Or, plusieurs
commandements portent sur l’acte de l’espйrance. En effet, il est dit dans
Ps 36, 3 : Espиre en Dieu et fais le bien. L’espйrance est
donc une vertu.
Rйponse :
[66551] De
virtutibus, q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quia habitus
cognoscuntur per actus, et actus per obiecta, ad cognoscendum an spes sit
virtus, oportet considerare de ratione actus eius. Manifestum autem est quod
sperare importat motum quemdam appetitivae virtutis tendentem in bonum, non
quidem ut iam habitum, sicut gaudium et delectatio, sed tamquam assequendum,
sicut etiam desiderium et cupiditas. Differt tamen spes a desiderio in
duobus. Primo quidem, quia desiderium est communiter cuiuscumque boni, et
ideo attribuitur concupiscibili : spes autem est boni ardui, quod difficile
est assequi, et ideo attribuitur irascibili. Secundo, quia desiderium est
alicuius boni absolute, absque consideratione possibilitatis et
impossibilitatis illius; sed spes tendit in aliquod bonum, sicut in id quod
est possibile adipisci : importat enim in sui ratione quamdam securitatem
adipiscendi. Ergo sic in
obiecto spei quatuor considerantur. Primo quidem, quod sit bonum; per quod
differt a timore. Secundo, quod sit boni futuri; per quod differt a gaudio
vel delectatione. Tertio, quod sit boni ardui; per quod differt a desiderio.
Quarto, quod sit boni possibilis; per quod differt a desperatione. Est autem
possibile aliquod haberi ab aliquo dupliciter : uno modo per propriam
potestatem; alio modo per auxilium alterius : nam quae per amicos sunt
possibilia, aliqualiter possibilia dicimus, ut patet per philosophum in III
Ethic. Sic igitur quandoque sperat homo aliquid adipisci per propriam
potestatem, quandoque vero per auxilium alienum; et talis spes expectationem
habet, in quantum homo respicit in auxilium alterius. Et tunc necesse est
quod motus spei feratur in duo obiecta : scilicet in bonum adipiscendum, et
in eum cuius auxilio innititur. Summum autem bonum, quod est beatitudo
aeterna, homo adipisci non potest nisi per auxilium divinum, secundum illud
Rom., VI, v. 23 : gratia Dei vita aeterna. Et ideo spes adipiscendi vitam
aeternam habet duo obiecta, scilicet ipsam vitam aeternam, quam quis sperat,
et auxilium divinum, a quo sperat; sicut etiam fides habet duo obiecta :
scilicet rem quam credit, et veritatem primam, cui correspondet. Fides autem
non habet rationem virtutis, nisi in quantum inhaeret testimonio veritatis
primae, ut ei credat quod ab ea manifestatur, secundum illud Genes., XV, 6 :
credidit Abraham Deo, et reputatum est ei ad iustitiam; unde et spes habet
rationem virtutis ex hoc ipso quod homo inhaeret auxilio divinae potestatis
ad consequendum vitam aeternam. Si enim aliquis inniteretur humano auxilio,
vel suo vel alterius, ad consequendum perfectum bonum absque auxilio divino,
esset hoc vitiosum, secundum illud Ierem., cap. XVII, 5 : maledictus homo qui
confidit in homine, et ponit carnem brachium suum. Sic igitur, sicut formale
obiectum fidei est veritas prima, per quam sicut per quoddam medium assentit
his quae creduntur, quae sunt materiale obiectum fidei; ita etiam formale
obiectum spei est auxilium divinae potestatis et pietatis, propter quod
tendit motus spei in bona sperata, quae sunt materiale obiectum spei. Sicut
ergo ea quae creduntur materialiter, omnia referuntur ad Deum, quamvis aliqua
eorum sint creata : sicut quod credimus omnes creaturas esse a Deo, et corpus
Christi esse a filio Dei assumptum in unitate personae; ita etiam omnia quae
materialiter sperantur, ordinantur in unum finale speratum, quod est fruitio
Dei. In ordine enim ad hanc fruitionem speramus adiuvari a Deo non solum
spiritualibus, sed etiam corporalibus beneficiis.
Parce
que les habitus sont connus par leurs actes, et leurs actes par les objets de
ceux-ci, pour savoir si l’espйrance est une vertu, il est nйcessaire
d’examiner la raison mкme de son acte. Or, il est clair qu’espйrer comporte
un certain mouvement de la puissance appйtitive tendant vers un bien, non pas
dйjа possйdй, comme c’est le cas pour la joie et la dйlectation, mais
recherchй, comme c’est aussi le cas du dйsir et de la cupiditй. Toutefois,
l’espoir diffиre du dйsir sur deux points. Premiиrement, le dйsir porte d’une
maniиre gйnйrale sur tous les biens : c’est pourquoi il est attribuй au
concupiscible. Mais l’espoir porte sur un bien difficile, qu’il est difficile
d’atteindre : c’est pourquoi il est attribuй а l’irascible. Deuxiиmement, le
dйsir porte sur un bien de maniиre absolue, sans considйration de sa
possibilitй ou de son impossibilitй. Mais l’espoir tend vers un bien comme
vers quelque chose qu’il est possible d’obtenir : en effet, il comporte dans
sa raison mкme une certaine assurance de l’obtenir. Dans l’objet de l’espoir,
quatre choses doivent donc кtre relevйes. Premiиrement, il s’agit d’un bien :
il diffиre en cela de la crainte. Deuxiиmement, il porte sur un bien futur :
il diffиre en cela de la joie ou de la dйlectation. Troisiиmement, il porte
sur un bien difficile : il diffиre en cela du dйsir. Quatriиmement, il porte
sur un bien possible : il diffиre en cela du dйsespoir. Or, quelque chose
peut кtre obtenu par quelqu’un de deux maniиres : d’une maniиre, par sa
propre puissance; d’une autre maniиre, par l’aide d’un autre, car nous disons
qu’est possible d’une certaine maniиre ce qui est possible par
l’intermйdiaire d’amis, comme cela ressort clairement de ce que dit le
Philosophe dans Йthique, III. Ainsi donc, parfois l’homme espиre
atteindre quelque chose par sa propre puissance, mais parfois par l’aide d’un
autre, et un tel espoir comporte une attente dans la mesure oщ l’homme compte
sur l’aide d’autrui. Il est alors nйcessaire que le mouvement de l’espoir se
porte sur deux objets : sur le bien а atteindre, et sur celui sur l’aide de
qui il s’appuie. Or, l’homme ne peut atteindre le bien suprкme, qui est la
bйatitude йternelle, qu’avec l’aide de Dieu, selon Rm 6, 23 : La
vie йternelle par la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance
d’atteindre la vie йternelle a deux objets : la vie йternelle elle-mкme, que
quelqu’un espиre, et l’aide divine, par laquelle il espиre, de mкme que la
foi a deux objets : la chose qui est crue, et la Vйritй premiиre, а laquelle
elle correspond. Or, la foi n’a raison de vertu que si elle adhиre au
tйmoignage de la Vйritй premiиre, de sorte que soit cru ce qui est manifestй
par elle, selon Gn 15, 6 : Abraham crut en Dieu, et cela lui fut
comptй comme justice. Aussi l’espйrance a-t-elle raison de vertu du fait
mкme que l’homme adhиre а l’aide de la puissance divine en vue d’obtenir la
vie йternelle. En effet, si quelqu’un adhйrait а une aide humaine, la sienne
ou celle d’un autre, afin d’obtenir le bien parfait sans l’aide divine, cela
serait vicieux, selon Jr 17, 5 : Maudit soit l’homme qui a mis
sa confiance dans l’homme et fait de la chair sa puissance. Ainsi donc,
de mкme que l’objet formel de la foi est la Vйritй premiиre, par laquelle il
donne son assentiment comme par un moyen aux rйalitйs qui sont crues, qui
sont l’objet matйriel de la foi, de mкme l’objet formel de l’espйrance est-il
l’aide de la puissance et de la bienveillance divines, en raison de laquelle
le mouvement de l’espйrance tend vers les biens espйrйs, qui sont l’objet
matйriel de l’espйrance. De mкme donc que ce qui est cru matйriellement se
rapporte entiиrement а Dieu, bien que certains de ses йlйments soient crййs
(ainsi, nous croyons que toutes les crйatures tirent leur кtre de Dieu, et
que le corps du Christ a йtй assumй par le Fils de Dieu dans l’unitй de sa
personne), de mкme tout ce qui est espйrй est-il entiиrement ordonnй а une
seule rйalitй espйrйe а titre de fin, qui est la jouissance de Dieu. En
effet, en regard de cette jouissance, nous espйrons кtre aidйs par Dieu, non
seulement par des bienfaits spirituels, mais aussi par des bienfaits
corporels.
Solutions :
[66552] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes secundum quod
inhaeret divino auxilio, non potest se ad malum habere; nullus enim potest
nimis de Deo sperare. Sed quod aliquis male speret, hoc contingit quia non
inhaeret Deo, sed suae virtuti, vel falsae opinioni; puta cum praesumit se
salvandum etiam in peccatis perseverans.
1.
L’espйrance, dans la mesure oщ elle adhиre а l’aide divine, ne peut pas se
comporter mal : en effet, personne ne peut trop espйrer de Dieu. Mais que
quelqu’un espиre mal, cela arrive parce qu’il n’adhиre pas а Dieu, mais а sa
propre puissance ou а une fausse opinion, par exemple, parce qu’il prйsume
qu’il sera sauvй mкme s’il persйvиre dans les pйchйs.
[66553] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod cum dicitur spes esse expectatio futurae
beatitudinis, ex gratia et meritis proveniens, dupliciter potest intelligi. Uno modo ut expectatio intelligatur ex meritis
provenire ex parte expectantis; ut scilicet, expectatio talis causetur in
homine ex praecedentibus meritis. Et in hoc sensu procedit obiectio, qui
falsus est. Alio modo potest intelligi expectatio esse ex meritis ex parte rei
expectatae; et hic est sensus verus : expectamus enim quod per gratiam Dei et
bona merita beatitudinem consequamur.
2.
Lorsqu’on dit que l’espйrance est une attente de la bйatitude а venir
provenant de la grвce et des mйrites, cela peut s’entendre de deux maniиres.
D’une maniиre, en comprenant que l’attente provient des mйrites du point de
vue de celui qui attend, а savoir, qu’une telle attente soit causйe dans
l’homme par des mйrites qui prйcиdent. C’est le sens de l’objection, qui est
faux. D’une autre maniиres, on peut comprendre que l’attente vient des
mйrites du point de vue de la chose espйrйe, et ce sens est vrai : en effet,
nous espйrons que, par la grвce de Dieu et des mйrites bons, nous obtenions
la bйatitude.
[66554] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum hunc sensum,
merita non praecedunt ex necessitate spem nec actu nec habitu; sed praecedunt
rem speratam scilicet beatitudinem : unde potest esse quod sperans non habeat
merita nec actu nec habitu, sed solum in proposito.
3. En
ce sens, les mйrites ne prйcиdent pas nйcessairement l’espйrance, ni en acte,
ni par l’habitus. Mais ils prйcиdent la chose espйrйe, а savoir, la
bйatitude. Aussi peut-il arriver que celui qui espиre n’ait pas de mйrites,
ni en acte, ni par en habitus, mais seulement par l’intention.
[66555] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spes secundum quod
refertur ad materiale obiectum, est dispositio imperfecti, quia quod
speratur, nondum habetur; sed secundum quod respicit obiectum formale,
scilicet auxilium divinum sic est dispositio perfecti; in hoc enim consistit
perfectio hominis ut Deo inhaereat. Et simile etiam est de fide, quae
habet imperfectionem, eo quod nondum videt ea quae credit; habet autem
perfectionem ex eo quod inhaeret testimonio primae veritatis, et ex hoc est
virtus.
4.
L’espйrance, selon qu’elle se rapporte а son objet matйriel, est une
disposition de quelqu’un d’imparfait, car ce qui est espйrй n’est pas encore
possйdй. Mais, selon qu’elle porte sur son objet formel, а savoir, l’aide
divine, elle est alors une disposition de quelqu’un de parfait : en effet, la
perfection de l’homme consiste en ce qu’il adhиre а Dieu. Et il en est aussi
de mкme de la foi, qui comporte une imperfection du fait qu’elle ne voit pas
encore ce qu’elle croit; mais elle possиde une perfection du fait qu’elle
adhиre au tйmoignage de la Vйritй premiиre, et, pour autant, elle est une
vertu.
[66556] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod spes est passio, secundum quod est motus appetitus
sensitivi, cuius obiectum Deus esse non potest; et ideo talis spes virtus non
dicitur, sed illa quae est motus mentis, quae est capax Dei.
5. L’espoir est une passion selon qu’elle
est un mouvement de l’appйtit sensible, dont l’objet ne peut pas кtre Dieu.
C’est pourquoi un tel espoir n’est pas appelй une vertu, mais celui qui est
un mouvement de l’esprit, qui est capable de Dieu.
[66557] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod nulla virtus potest denominari proprie ab aliqua passione,
nisi theologica. Nam virtutes intellectuales pertinent ad vim cognitivam;
passiones autem animae sunt in vi appetitiva. Virtutes autem morales
consistunt medium in passionibus; unde virtus moralis non nominatur ab aliqua
passione absolute, sed a moderatione passionum, sicut temperantia, fortitudo,
et similia. Sed motus humanae mentis qualitercumque Deum attingeret, ad
virtutem pertinet; et ideo nomina simplicium motuum, sive passionum,
adaptantur virtutibus theologicis. Et quia virtutum theologicarum obiectum
est Deus, quod est summum bonum, manifestum est quod passiones quarum
obiectum est malum, non possunt nominare virtutes theologicas. Similiter
etiam, cum virtus theologica pertineat ad statum viae ante iudicium tantum,
passiones quarum obiectum est bonum praesens, ut delectatio et gaudium, non
sunt nomina aliquarum virtutum, sed magis pertinent ad beatitudinem; unde
delectatio ponitur una de dotibus beatitudinis. Desiderium autem importat quidem motum in
futurum, sed sine aliqua praesenti inhaesione vel spirituali contactu ipsius
Dei; unde nec desiderium nominat virtutem aliquam. Unde relinquitur quod
solum spes et amor nominant theologicas virtutes.
6. Aucune vertu ne peut кtre nommйe au
sens propre а partir d’une passion, si ce n’est une vertu thйologale. Car les
vertus intellectuelles se rapportent а la puissance cognitive, et les
passions de l’вme sont dans la puissance appйtitive. Mais les vertus morales
se situent dans un milieu entre des passions ; aussi la vertu morale
n’est-elle pas nommйe а partir d’une passion prise isolйment, mais а partir
de la modйration des passions, comme la tempйrance, la force et les choses
semblables. Mais le mouvement de l’esprit humain, quelle que soit la maniиre
dont il atteint Dieu, se rapporte а la vertu. C’est pourquoi les noms des
mouvements simples ou des passions sont adaptйs aux vertus thйologales. Et
parce que l’objet des vertus thйologales est Dieu, qui est le Bien suprкme,
il est clair que les passions dont l’objet est un mal ne peuvent donner leur
nom aux vertus thйologales. De mкme aussi, puisque la vertu thйologale ne
concerne que l’йtat de la vie antйrieur au jugement, les passions dont
l’objet est un bien prйsent, comme la dйlectation et la joie, ne sont pas des
noms de vertus, mais se rapportent plutфt а la bйatitude ; aussi la
dйlectation est-elle donnйe comme un des ornements de la bйatitude. Or, le
dйsir comporte un certain mouvement vers le futur, mais sans une adhйsion
actuelle ou un contact spirituel avec Dieu lui-mкme ; aussi le dйsir ne
donne-t-il pas non plus son nom а une vertu. Il reste donc que seuls l’espoir
et l’amour donnent leur nom а des vertus thйologales.
[66558] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ideo virtutes morales consistunt in medio, quia ad
virtutem moralem pertinet attingere regulam rationis circa proprium et per se
obiectum, scilicet circa passiones et operationes humanas. Omne autem
regulatum, in quantum est huiusmodi, habet rationem medii; quod autem a
regula discedit, aut superfluum aut diminutum est. Dicitur etiam, quod virtus
intellectualis consistit in hoc quod attingat verum, quod est bonum
intellectus. Veritas autem intellectus humani regulatur et mensuratur ab
essentia rei; ex eo enim quod res est vel non est, opinio vera est vel falsa.
Et ideo etiam virtus intellectualis circa proprium obiectum, in medio
consistit, ut scilicet hoc apprehendat homo de re quod est, non plus nec
minus. Sed virtus theologica habet pro obiecto ipsam primam regulam non
regulatam. Et ideo sufficit qualitercumque attingere regulam ad rationem
virtutis; propter quod secundum operationem ad proprium et formale obiectum
virtus theologica in medio non consistit. Sed ex parte materialis obiecti
potest consistere in medio, et hoc accidit ei, sicut fides Catholica in divinis
procedit inter haeresim Sabellii confundentis personas, et haeresim Arii
substantiam separantis. Et eodem modo ex parte eius quod est materiale,
obiectum spei consistit in medio, in quantum scilicet aliquis sperat se
adipisci beatitudinem sic vel aliter : sed ex parte formalis obiecti, quod
est auxilium divinum, non consistit in medio; nullus enim potest nimis divino
auxilio inniti.
7. Les vertus morales se situent а ce
point dans un milieu parce qu’il appartient а la vertu morale d’atteindre la
rиgle de la raison а propos de ce qui est par soi son objet propre, а savoir,
а propos des passions et des opйrations humaines. Or, tout ce qui soumis а
une rиgle, en tant que tel, a raison de milieu ; mais ce qui s’йloigne
de la rиgle est un excиs ou un manque. On dit aussi que la vertu
intellectuelle consiste en ce qu’elle atteingne le vrai, qui est le bien de
l’intelligence. Or, la vйritй de l’intellect humain est rйglйe et mesurйe par
l’essence d’une chose : en effet, une opinion est vraie ou fausse du fait qu’une
chose est ou n’est pas. C’est pourquoi la vertu intellectuelle aussi se situe
dans un milieu par rapport а son objet propre, а savoir, que l’homme
apprйhende d’une chose ce qu’elle est, ni plus ni moins. Mais la vertu
thйologale a comme objet la rиgle elle-mкme, non soumise а une rиgle. C’est
pourquoi il suffit pour la raison de la vertu [thйologale] qu’elle atteigne
la rиgle de n’importe quelle maniиre. C’est la raison pour laquelle la vertu
thйologale ne se situe pas dans un milieu selon son opйration par rapport а
son objet propre et formel. Mais, du point de vue de l’objet matйriel, elle
peut se situer dans un milieu, et cela lui arrive, comme la foi catholique, а
propos des rйalitйs divines, avance entre l’hйrйsie de Sabellius qui confond
les personnes, et l’hйrйsie d’Arius, qui sйpare la substance. Et, de la mкme
maniиre, du point de vue de ce qui est matйriel, l’objet de l’espйrance se
situe dans un milieu, dans la mesure oщ quelqu’un espиre possйder la
bйatitude de telle ou telle maniиre. Mais, du point de vue de l’objet formel,
qui est l’aide divine, elle ne se situe pas dans un milieu. En effet,
personne ne peut trop s’appuyer sur l’aide divine.
[66559] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod bonum proportionatum movet appetitum; non enim
naturaliter appetuntur ea quae non sunt proportionata. Quod autem beatitudo
aeterna sit bonum proportionatum nobis, hoc est ex gratia Dei; et ideo spes,
quae tendit in hoc bonum sicut proportionatum homini ad habendum, est donum
divinitus infusum.
8. Le bien proportionnй meut l’appйtit :
en effet, ce qui n’est pas proportionnй n’est pas dйsirй naturellement. Mais
que la bйatitude йternelle soit pour nous un bien proportionnй, cela vient de
la grвce de Dieu. C’est pourquoi l’espйrance, qui tend vers ce bien en tant
que sa possession est proportionnйe а l’homme, est un don infus de Dieu.
[66560] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod diligere Deum super omnia, potest intelligi dupliciter.
Uno modo secundum quod bonum divinum est principium et finis totius esse
naturalis; et sic amant Deum super omnia non solum rationalia, sed et bruta
animalia et inanimata in quantum amare possunt, quia unicuique parti
amabilius est bonum totius quam proprium bonum; unde naturaliter manus se
exponit ictui pro salute totius corporis. Sed iste naturalis amor Dei
pervertitur ab hominibus per peccatum; unde in statu naturae integrae poterat
homo Deum diligere super omnia secundum modum praedictum. Alio modo potest
aliquis diligere Deum super omnia, secundum quod Deus est obiectum
beatitudinis, et secundum quod fit quaedam societas rationalis mentis ad Deum
quadam spirituali unitate; et talis dilectio est actus caritatis, in quem
nulla creatura potest sine gratia.
9. Aimer Dieu par-dessus tout peut
s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, pour autant que le bien divin est
le principe et la fin de tout l’кtre naturel ; et ainsi, ce ne sont pas
seulement les кtres raisonnables qui aiment Dieu par-dessus tout, mais aussi
les animaux sans raison et les choses inanimйes, pour autant qu’elles peuvent
aimer, car le bien du tout est plus aimable а une partie que son propre bien.
C’est pourquoi la main s’expose naturellement а un coup pour sauver tout le
corps. Mais cet amour naturel de Dieu est perverti chez les hommes par le
pйchй. Aussi, dans l’йtat de nature intиgre, l’homme pouvait-il aimer Dieu
par-dessus tout de la maniиre indiquйe. D’une autre maniиre, quelqu’un peut
aimer Dieu par-dessus tout selon que Dieu est l’objet de la bйatitude ;
et, de cette maniиre, s’йtablit une certaine communion de l’esprit avec Dieu
par une certaine unitй spirituelle. L’acte de charitй est un tel amour,
auquel aucune crйature ne peut parvenir sans la grвce.
[66561] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 10
Ad decimum dicendum, quod virtus inclinat in
proprium actum per moderationem, sicut Tullius dicit; et ideo certitudo spei
et aliarum virtutum non est referenda ad cognitionem obiecti vel principiorum
propriorum, sed ad infallibilem inclinationem in actu.
10. La vertu incline а son acte propre par
la modйration, comme le dit Tullius [Cicйron]. C’est pourquoi la certitude de
l’espйrance et des autres vertus ne doit pas кtre mise en rapport avec la
connaissance de l’objet ou de ses principes propres, mais avec l’inclination
infaillible de son acte.
[66562] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 11
Ad undecimum dicendum, quod caritas facit unionem
in affectu, ut scilicet amans reputet amicum quasi se alterum, et Deum plus
quam se; potest tamen esse cum distantia reali rei amatae. Et ita caritas
potest esse cum spe.
11. La charitй rйalise une union
affective, de sorte que celui qui aime considиre son ami comme un autre
lui-mкme, et Dieu plus que lui-mкme. Cependant,
cela peut exister avec une distance rйelle par rapport а la chose aimйe. Et
ainsi, la charitй peut exister avec l’espйrance.
[66563] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod spes habet
perfectionem quamdam cum imperfectione. Et ex illa parte qua habet
perfectionem, habet perfectam rationem virtutis : et ex hac parte plenissime
fuit in Christo; ipse enim plenissime inhaesit divino auxilio. Et
ex parte eius quod est imperfectionis, defuit ei spes, sicut et fides.
12. L’espйrance possиde une certaine
perfection comportant une certaine imperfection. Pour autant qu’elle possиde
une perfection, elle possиde la raison parfaite de vertu ; de ce point
de vue, elle a existй en toute plйnitudde chez le Christ, car il a adhйrй а
l’aide divine en toute plйnitude. Mais du point de ce qui est imperfection
[dans l’espйrance], l’espйrance lui a fait dйfaut, de mкme que la foi.
[66564] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 13
Ad decimumtertium dicendum, quod spes non
affligit animam, sed magis est causa delectationis, in quantum facit rem
separatam quodammodo esse praesentem secundum fiduciam adipiscendi; unde et
apostolus dicit Roman., XII, 12 : spe gaudentes. Sed dilatio rei speratae est
quae quandoque affligit.
13. L’espйrance n’afflige pas l’вme, mais
elle est plutфt cause de dйlectation pour autant qu’elle rend la chose
sйparйe prйsente d’une certaine maniиre par la confiance de la possйder.
Aussi l’Apфtre dit-il, Rm 12, 12 : Nous rйjouissant dans
l’espйrance. Mais c’est l’йloignement de la chose espйrйe qui provoque
parfois l’affliction.
[66565] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod duplex est delectatio : una quidem de obiecto
actus; alia vero de ipso actu. Prima autem delectatio non est propria
virtutis, quia est aliqua virtus ad quam pertinet dolere de suo obiecto,
scilicet poenitentia. Sed secunda delectatio, quae est de actu, est propria
virtutis, quia unicuique habenti virtutem est delectabilis operatio quae est
secundum proprium habitum; unde etiam poenitens de dolore gaudet. Sic igitur
spes, in quantum causat delectationem de re sperata, non causat delectationem
per se, sed per aliud, id est in quantum facit eam existimare ut praesentem. Sed
secundum quod causat delectationem de proprio actu, sic per se delectationem
causat.
14. Il existe une double dйlectation :
l’une dans l’objet de l’acte ; l’autre dans l’acte lui-mкme. La premiиre
dйlectation n’est pas propre а la vertu, car il existe une vertu а laquelle
il appartient d’кtre affligйe de son objet, а savoir, la pйnitence. Mais la
seconde dйlectation, qui porte sur l’acte, est propre а la vertu, car la mise
en њuvre d’une vertu selon son objet propre est dйlectable pour quiconque la
possиde. C’est ainsi que mкme le pйnitent se rйjouit de sa douleur. Ainsi
donc, l’espйrance, pour autant qu’elle cause une dйlectation а propos de la
chose espйrйe, ne cause pas de dйlectation par soi, mais par quelque chose
d’autre, c’est-а-dire pour autant qu’elle la lui fait estimer pour ainsi dire
prйsente. Mais pour autant qu’elle cause une dйlectation portant sur son
propre acte, elle cause par elle-mкme une dйlectation.
[66566] De virtutibus,
q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum
dicendum, quod facere actum difficilem potest intelligi dupliciter. Uno modo
quod faciat difficultatem in actu; et hoc sensu procedebat obiectio. Sic
autem spes non facit actum difficilem, quia non adhibet difficultatem actui,
sed magis minuit. Alio modo potest intelligi facere actum difficilem, quia
propter spem homines aggrediuntur difficilia.
15. Faire un acte difficile peut
s’entendre de deux maniиres. D’une maniиre, selon qu’un acte est rendu
difficile, et l’objection venait de ce sens. Mais l’espйrance ne rend pas
ainsi l’acte difficile, car elle n’apporte pas de difficultй а l’acte, mais
plutфt lui en enlиve. D’une autre maniиre, on peut entendre rendre un acte
difficile du fait que les hommes entreprennent des choses difficiles а cause
de l’espйrance.
[66567] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 16
Ad decimumsextum dicendum, quod distantia a
termino ad quem vel a termino a quo, invenitur in quolibet motu; non tamen ex
ea motus specificatur, sed potius ex termino. Et ideo non sequitur, quod si
motus est distantis, maior motus magis sit distans : haec enim scientia
arguendi tenet solum in his quae sunt per se. Videmus autem quod motus
naturalis quanto magis appropinquat ad terminum, tanto magis intenditur. Et
similiter etiam est de spe.
16. La distance par rapport au point de
dйpart ou au point d’arrivйe se rencontre en tout mouvement ; cependant,
le mouvement n’en reзoit pas son espиce, mais il la reзoit plutфt du terme.
C’est pourquoi il n’en dйcoule pas que si le mouvement porte sur quelque
chose de distant, le mouvement sera d’autant plus grand qu’il porte sur
quelque de plus йloignй, car cette maniиre de raisonner ne vaut que pour les
choses qui existent en elles-mкmes. Or, nous voyons que plus le mouvement
naturel approche de son terme, plus il y tend. Et il en est de mкme pour
l’espйrance.
[66568] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 17
Ad decimumseptimum dicendum, quod memoria non
importat aliquam inhaesionem, unde possit habere rationem virtutis, sicut
habet spes; et ideo non est simile.
17. La mйmoire ne comporte pas d’adhйsion
qui pourrait lui donner raison de vertu, comme c’est le cas de l’espйrance.
Ce n’est donc pas la mкme chose.
[66571] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 1 Obiectum enim spei est bonum
arduum. Sed arduum est obiectum irascibilis. Ergo spes est in irascibili, et
non in voluntate.
1.
L’objet de l’espйrance est une bien difficile. Or, ce qui est difficile est
l’objet de l’irascible. L’espйrance se trouve donc dans l’irascible, et non
dans la volontй.
[66572] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, caritas est
perfectissima virtutum. Ergo sufficit ad perficiendam unam
potentiam. Sed caritas est in voluntate. Non
ergo in voluntate est spes.
2. La
charitй est la plus parfaite des vertus. Elle suffit donc а perfectionner une
seule puissance. Or, la charitй est dans la volontй. L’espйrance ne se trouve
donc pas dans la volontй.
[66573] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, ideo non possumus plura intelligere simul, quia intellectus
non potest simul informari diversis speciebus intelligibilibus, sicut nec
corpus diversis figuris, ut Algazel dicit. Ergo, pari ratione, una potentia
non potest simul informari in actu secundum diversos habitus, ut scilicet
secundum utrumque actu operetur. Sed simul potest esse actus spei cum actu caritatis. Ergo caritas
et spes non possunt esse simul in una potentia. Sed caritas est in voluntate.
Spes ergo non est in voluntate.
3. Nous
ne pouvons pas intelliger plusieurs choses en mкme temps parce que
l’intellect ne peut pas recevoir en mкme temps les formes d’espиces
intelligibles diffйrentes, de mкme que le corps ne le peut pour des figures
diverses, comme le dit Algazel. Pour la mкme raison, donc, une puissance ne
peut pas recevoir en acte la forme de divers habitus, de sorte que les deux
puissent кtre exercйs en acte. Or, un acte d’espйrance peut exister en mкme
temps qu’un acte de charitй. La charitй et l’espйrance ne peuvent donc pas se
trouver en mкme temps dans une seule puissance. L’espйrance ne se trouve donc
pas dans la volontй.
[66574] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, spes est certa
expectatio. Sed certitudo pertinet ad vim cognitivam. Ergo spes est in vi
cognitiva, et non in voluntate.
4.
L’espйrance est une attente certaine. Or, la certitude relиve de la puissance
cognitive. L’espйrance se trouve donc dans la puissance cognitive, et non
dans la volontй.
L’espйrance
provient des mйrites. Or, les mйrites se rapportent а la volontй. L’espйrance
se trouve donc dans la volontй.
Rйponse :
[66576] De virtutibus, q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut dictum est, spes est virtus theologica,
unde eius obiectum est Deus. Nulla autem vis sensitiva potest se extendere ad
hoc obiectum quod est Deus, quia sensus corporalia non transcendit; et ideo
spes non potest esse in aliqua vi sensitiva. Manifestum autem est quod spes
ad vim appetitivam pertinet, eo quod obiectum eius est bonum, ut supra, art.
praeced., dictum est; unde oportet quod sit in vi appetitiva rationis, quae
est voluntas, secundum philosophum in III de anima. Unde spes est in
voluntate sicut in subiecto. Huiusmodi autem appetitus rationalis non
dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut quidam posuerunt : quia
obiectum voluntatis est bonum, secundum communem boni rationem, quam potest
intellectus apprehendere, non autem sensus. Et ideo appetitus sensitivus,
cuius obiectum est bonum secundum rationem particularem, dividitur in
irascibilem et concupiscibilem, secundum diversas rationes boni sensibilis,
quod vel est delectabile secundum sensum ad quod ordinatur concupiscibilis;
vel est altitudinem propriam habens supra impedimenta delectationis, et hoc
est obiectum irascibilis. Unde in appetitu superiori irascibilis et
concupiscibilis non ponuntur. Sic ergo subiectum spei non est irascibilis,
sed voluntas.
Comme on l’a dit, l’espйrance est une
vertu thйologale ; son objet est donc Dieu. Or, aucune puissance
sensible ne peut aller jusqu’а avoir Dieu pour objet, car les sens de
dйpassent pas les rйalitйs corporelles. C’est pourquoi l’espйrance ne peut se
trouver dans une puissance sensible. Or, il est clair que l’espйrance
appartient а une puissance appйtitive, du fait que son objet est le bien,
comme on l’a dit plus haut, dans l’article prйcйdent. Il faut donc qu’elle se
trouve dans la puissance appйtitive de la raison, qui est la volontй, selon
le Philosophe, dans Sur l’вme, III. L’espйrance se trouve donc dans la
volontй comme dans son sujet. Or, cet appйtit raisonnable ne se divise pas en
irascible et en concupiscible, comme certains l’ont affirmй, car l’objet de
la volontй est le bien, selon la raison commune de bien, que l’intellect peut
apprйhender mais non le sens. C’est pourquoi l’appйtit sensible, dont l’objet
est le bien selon une raison particuliиre, se divise en irascible et
concupiscible, selon les diverses raisons du bien sensible, qui est dйlectable
selon le sens, а quoi est ordonnй le concupiscible, ou qui possиde une
certaine йlйvation par rapport aux obstacles а la dйlectation, et cela est
l’objet de l’irascible. C’est la raison pour laquelle on ne distingue pas
l’irascible et le concupiscible dans l’appйtit supйrieur. Ainsi donc, le
sujet de l’espйrance n’est pas l’irascible, mais la volontй.
Solutions :
[66577] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
spes de qua loquimur, est ardui intelligibilis, quod non est obiectum
alicuius specialis potentiae; sed voluntas in ipsum tendit secundum rationem
universalem boni.
1. L’espйrance dont nous parlons porte sur
un intelligible difficile, qui n’est l’objet d’aucune puissance spйciale.
Mais la volontй y tend selon la raison universelle de bien.
[66578] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
caritas perficit voluntatem perfecte quantum ad unum motum eius, qui est
amare; sed indiget alia perfectione quantum ad alium motum eius qui est
sperare.
2. La charitй perfectionne la volontй
selon un seul de ses mouvements, aimer. Mais elle a besoin d’une autre
perfection par rapport а un autre de ses mouvements qui est d’espйrer.
[66579] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quando sunt multa ordinata ad unum, possunt simul intelligi : similiter etiam
motus spei simul potest esse cum motu caritatis, quia ad se invicem
ordinantur.
3. Lorsque plusieurs choses sont ordonnйes
а une seule, elles peuvent кtre intelligйes en mкme temps. De la mкme maniиre
aussi, un mouvement de l’espйrance peut exister avec un mouvement de charitй,
car ils sont ordonnйs l’un а l’autre rйciproquement.
[66580] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
certitudo spei derivatur a certitudine fidei : in quantum enim motus
appetitivae virtutis dirigitur a virtute cognoscitiva, participat aliquid de
eius certitudine.
4. La certitude de l’espйrance dйcoule de
la certitude de la foi : en effet, le mouvememnt de la puissance appйtitive
participe а la certitude dans la mesure oщ il est dirigй par la puissance
cognitive.
[66583] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 1 Ambrosius enim super illud
Luc., XVII, 6 : si habueritis fidem sicut granum sinapis etc., dicit :
ex fide est caritas, ex caritate spes. Sed fides est prior caritate.
Ergo caritas est prior spe.
1. Ambroise dit, а propos de
Lc 17, 6 : Si vous aviez une foi grosse comme un grain de
senevй, etc. : «La charitй vient de la foi, et l’espйrance de la
charitй.» Or, la foi prйcиde la charitй. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66584] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in
Enchirid., quod fides sine caritate non prodest; spes autem sine caritate
esse non potest. Sed si spes esset prior caritate, posset esse sine ea, sicut
et fides, licet non prodesset. Ergo spes non est prior caritate.
2. Augustin dit, dans l’Enchiridion,
que la foi sans la charitй n’est pas utile, mais que l’espйrance ne peut
exister sans la charitй. Or, si l’espйrance prйcйdait la charitй, elle
pourrait exister sans elle, comme la foi, bien qu’elle ne serait pas utile.
L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.
[66585] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit,
XII de civitate Dei, quod boni motus atque affectus, ex amore et ex sancta
caritate veniunt. Sed sperare, secundum quod est actus spei, est quidam motus
et affectus laudabilis. Ergo derivatur a sancta caritate. Sic ergo caritas
est prior spe.
3. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XII,
que les mouvements et les sentiments bons viennent de l’amour et d’une sainte
charitй. Or, espйrer, en tant qu’acte de l’espйrance, est un certain
mouvement et un certain sentiment louable. Il dйcoule donc d’une sainte
charitй. Ainsi donc, la charitй prйcиde l’espйrance.
[66586] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, spes est cum
desiderio, ut supra dictum est. Sed desiderium non est nisi boni amati. Ergo
spes praesupponit amorem : ergo est posterior caritate.
4. L’espйrance est accompagnйe de dйsir.
Or, il ne peut y avoir de dйsir que d’un bien aimй. L’espйrance prйsuppose
donc l’amour. Elle suit donc la charitй.
[66587] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 5 Praeterea, inter affectiones
animae, prima est amor; ex eo enim omnes actiones et affectiones animae
derivantur, ut patet per Dionysium. Sed spes importat quamdam animae affectionem.
Ergo caritas, quae est amor, est prior spe.
5. Parmi les sentiments de l’вme, l’amour
est premier : en effet, tous les actions et sentiments de l’вme en dйcoulent,
comme cela ressort clairement de Denys. Or, l’espйrance comporte un certain
sentiment de l’вme. La charitй, qui est amour, prйcиde donc l’espйrance.
[66588] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 6 Praeterea, spes, vel
desiderium, non est nisi proprii boni. Sed
bonum aliquod fit proprium appetenti per amorem; sic enim redditur
conveniens. Ergo
spes et desiderium praesupponit amorem.
6. Il n’y a d’espйrance ou de dйsir que de
son bien propre. Or, а qui dйsire, un bien devient propre par l’amour : en
effet, c’est ainsi qu’il s’en rapproche. L’espйrance et le dйsir prйsupposent
donc l’amour.
[66589] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 7 Praeterea, Augustinus dicit,
XIV de Civit. Dei, quod recta voluntas est caritatis. Sed recta voluntas
praecedit spem. Ergo caritas praecedit spem.
7. Augustin dit, dans La citй de Dieu, XIV,
que la volontй droite relиve de la charitй. Or, la volontй droite prйcиde
l’espйrance. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66590] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 8 Praeterea, eorum quae sunt
simul, unum non est prius altero. Sed fides, spes et caritas sunt simul :
quia, sicut Gregorius dicit super Ezech., aequaliter ab homine habentur. Ergo
spes non est prior caritate.
8. Dans les choses simultanйes, l’une ne
prйcиde pas l’autre. Or, la foi, l’espйrance et la charitй sont simultanйes,
car, comme le dit Grйgoire dans son commentaire sur Йzйchiel, elles sont
possйdйes йgalement par l’homme. L’espйrance ne prйcиde donc pas la charitй.
[66591] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 9 Praeterea, idem non est prius
seipso. Sed idem videtur esse spes caritati; cum utriusque sit unum obiectum,
scilicet summum bonum. Ergo spes non est prior caritate.
9. Une mкme chose n’est pas antйrieure а
elle-mкme. Or, l’espйrance semble кtre la mкme chose que la charitй, puisque
les deux n’ont qu’un seul objet, le Bien suprкme. L’espйrance ne prйcиde donc
pas la charitй.
[66592] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 10 Praeterea, Magister dicit, 26
dist. Lib. III sententiarum, quod spes ex meritis provenit, quae praecedunt
non solum rem speratam, sed spem quam praeit caritas. Ergo spes non est prior
caritate.
10. Le Maоtre dit, dans Sentences, III,
d. 26, que l’espйrance vient des mйrites, qui prйcиdent non seulement la
chose espйrйe, mais l’espйrance que la charitй prйcиde. L’espйrance ne
prйcиde donc pas la charitй.
[66593] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 11 Praeterea, spei opponitur
desperatio; caritati autem opponitur quodlibet peccatum mortale. Sed prius est quod homo incidat in peccatum mortale quam quod incidat
in desperationem. Ergo caritas est prior spe.
11. Le dйsespoir s’oppose а
l’espйrance ; mais tout pйchй mortel s’oppose а la charitй. Or, le fait
pour un homme de tomber dans le pйchй mortel prйcиde le fait qu’il tombe dans
le dйsespoir. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66594] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo habituum et actuum est secundum ordinem obiectorum.
Sed bonum, quod
est obiectum caritatis, est prius quam arduum, quod est obiectum spei, quia
arduum se habet ex additione ad bonum. Ergo
caritas est prior spe.
12. L’ordre entre les habitus et les actes
suit l’ordre entre les objets. Or, le bien, qui est l’objet de la charitй,
prйcиde ce qui est difficile, qui est l’objet de l’espйrance, car le fait
d’кtre difficile s’ajoute au bien. La charitй prйcиde donc l’espйrance.
[66595] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 13 Praeterea,
quidquid nobilitatis convenit alicui incompleto in aliquo genere, convenit
etiam completo in genere illo. Sed manifestum est quod aliquis amor
incompletus praecedit spem. Ergo multo magis amor completus, qui est caritas,
spem praecedit.
13. Toute la noblesse qui convient а quelque
chose d’incomplet dans un genre, convient aussi а ce qui est complet dans ce
genre. Or, il est clair qu’un amour incomplet prйcиde l’espйrance. А bien
plus forte raison donc, l’amour complet, qui est la charitй, prйcиde-t-il
l’espйrance.
Cependant
:
[66596] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 1 Sed
contra. Est quod dicitur Matth. I, v. 2 : Abraham genuit Isaac; Isaac
autem genuit Iacob; Glossa : id est, fides genuit spem, spes caritatem.
Sed generans est
prius genito. Ergo spes est prior caritate.
1. La Glose dit а propos de
Mt 1, 2 : Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob :
«C’est-а-dire, la foi engendra l’espйrance, et l’espйrance la charitй. Or, ce
qui engendre est antйrieur а ce qui est engendrй. L’espйrance est donc
antйrieure а la charitй.
[66597] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea,
super illud Psal. XXXVI,
spera in Deo, et fac bonitatem, dicit Glossa : spes est introitus
ad fidem, et initium humanae salutis. Et sic videtur quod spes sit prior
fide. Sed prior est fides caritate. Ergo et spes.
2. La Glose dit, а propos de Ps 36 :
Espиre en Dieu et fais le bien : «L’espйrance est l’entrйe vers la foi et
le commencement du salut de l’homme.»Il semble ainsi que l’espйrance
prйcиde la foi. Or, la foi prйcиde la charitй. Donc, l’espйrance aussi.
[66598] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 3 Praeterea, apostolus dicit, I ad Timoth., cap. I, 5 : finis praecepti
caritas est de corde puro et conscientia bona; Glossa : id est spes.
Et sic videtur quod caritas procedat ex spe. Spes ergo est prior caritate.
3. L’apфtre dit en 1 Tm 1, 5 : La
fin du commandement est la charitй qui vient d’un cњur pur et d’une
conscience bonne. La Glose dit : «C’est-а-dire, l’espйrance.» Il semble
ainsi que la charitй vienne de l’espйrance. L’espйrance est donc antйrieure а
la charitй.
[66599] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Augustinus dicit X
de Trinit., quod nullus amat nisi id ad quod se sperat posse pervenire; et id
quod quis non sperat, aut non amat, aut tepide amat. Ergo amor praesupponit
spem.
4. Augustin dit, dans La Trinitй, X,
que «personne n’aime que ce а quoi il espиre parvenir, et ce que quelqu’un
n’espиre pas, il ne l’aime pas, ou bien il l’aime avec tiйdeur». L’amour
prйsuppose donc l’espйrance.
[66600] De
virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 5 Praeterea, prius est a quo non convertitur consequentia
subsistendi. Sed spes est huiusmodi; in statu enim viae quicumque habet
caritatem, habet spem; sed non convertitur. Ergo spes est prior caritate.
5. Est antйrieur ce а quoi une consйquence
ne peut pas кtre convertie. Or, l’espйrance est de cet ordre : en effet, dans
l’йtat de cheminement, quiconque possиde la charitй possиde l’espйrance, mais
non pas l’inverse. L’espйrance est donc antйrieure а la charitй.
Rйponse
:
[66601] De virtutibus, q. 4 a. 3 co. Respondeo.
Dicendum, quod prius dicitur aliquid, vel secundum rationem alicuius
principii, vel quia principio propinquius est. Sunt autem duo principia
intrinseca rei : materia, et forma; et secundum horum differentiam aliquid
dicitur dupliciter prius. Uno quidem modo est aliquid prius altero
perfectione, sicut actus potentia, et perfectum imperfecto : quae quidem
prioritas respondet principio formali. Alio vero modo est aliquid prius in
via generationis et temporis; et sic potentia est prior actu in eodem, et imperfectum
perfecto. Simpliciter autem et universaliter etiam tempore perfectum est
prius, quia imperfectum non movetur nisi ab aliquo praeexistenti perfecto;
hoc autem respondet materiali principio. Secundum igitur primum prioritatis
modum caritas est prior naturaliter spe; secundum autem modum secundum spes
in uno homine praecedit caritatem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omnes affectiones animae,
quae sunt quidam appetitivi motus, proportionantur motibus naturalibus, eo
quod motus naturalis ex inclinatione naturali procedit, quae dicitur
appetitus naturalis; et similiter motus affectionum animalium procedunt ex
inclinatione animalis, quae est appetitus animalis. In motibus autem
naturalibus invenimus, primo quidem, principium ipsius motus, quod est informatio
mobilis per suam formam non animalem, sicut cum generatur grave aut leve.
Secundo est motus naturalis, proveniens ex tali forma; sicut cum corpus
ascendit et descendit. Tertio vero est quies in proprio loco. Et similiter in
appetitu animali, primo quidem est informatio quaedam ipsius appetitus per
bonum; et hoc est amor, qui unit amatum amanti. Ex hoc autem secundo
sequitur, si bonum amatum sit distans, quod appetitus tendat in illud motu
desiderii vel spei. Tertio autem sequitur gaudium vel delectatio, quando
aliquis pertingit ad rem amatam. Sicut igitur motus et quies naturalis
provenit ex forma, ita omnis affectio animae provenit ex amore. Oportet
igitur quod secundum differentiam amoris attendatur differentia in caeteris
affectionibus animae. Est autem duplex amor : unus quidem imperfectus, alius
autem perfectus. Imperfectus quidem amor alicuius rei est, quando aliquis rem
aliquam amat non ut ei bonum in seipsa velit, sed ut bonum illius sibi velit;
et hic nominatur a quibusdam concupiscentia, sicut cum amamus vinum, volentes
eius dulcedine uti; vel cum amamus aliquem hominem propter nostram utilitatem
vel delectationem. Alius autem est amor perfectus, quo bonum alicuius in
seipso diligitur, sicut cum amando aliquem, volo quod ipse bonum habeat,
etiam si nihil inde mihi accedat; et hic dicitur esse amor amicitiae, quo
aliquis secundum seipsum diligitur; unde ista est perfecta amicitia, ut
dicitur in VIII Ethic. Caritas autem est non quicumque amor Dei, sed amor
perfectus, quo Deus in seipso diligitur. Ad hoc autem quod aliquis bonum
divinum secundum se diligat, inducitur ex bonis a Deo provenientibus, quae
sibi quis vult, et ex malis quae, Deo inhaerendo, vitat. Quantum ad
vitationem malorum, pertinet ad hunc amorem timor; quantum vero ad consecutionem
bonorum, pertinet ad sui amorem spes, quae est motus tendens in aliquid
adipiscendum, sicut dictum est. Unde utrumque horum secundum propriam
rationem derivatur ex imperfecto Dei amore. Et propter hoc in via
generationis et temporis sicut timor praecedit caritatem, et introducit ad
ipsam, ut Augustinus dicit super canonicam Ioan. : ita etiam et spes
introducit ad caritatem : dum aliquis per hoc quod sperat se aliquod bonum a
Deo consequi, ad hoc deducitur ut Deum propter se amet.
On dit qu’une chose est antйrieure soit
selon la raison d’un principe, soit en raison de sa proximitй par rapport au
principe. Or, il existe deux principes intrinsиques d’une chose : la matiиre
et la forme. Et, selon la diffйrence de ces deux [principes], on peut dire
qu’une chose est antйrieure de deux maniиres. D’une maniиre, on peut dire
qu’une chose est antйrieure а une autre par la perfection : cette perfection
rйpond au principe formel. D’une autre maniиre, une chose est antйrieure sur
la voie de la gйnйration et du temps : et ainsi, la puissance est antйrieure
а l’acte dans une mкme chose, et l’imparfait au parfait. Or, ce qui est
parfait est tout simplement et universellement antйrieur, mкme dans le temps,
car ce qui est imparfait n’est mы que par quelque chose d’antйrieur qui est
parfait : cela rйpond au principe matйriel. Selon le premier mode de
prioritй, la charitй est donc naturellement antйrieure а l’espйrance ;
selon le second mode, l’espйrance prйcиde la charitй chez un homme. Pour le
montrer, il faut savoir que tous les sentiments de l’вme, qui sont des
mouvements appйtitifs, sont proportionnйs aux mouvements naturels, du fait
que le mouvement naturel vient d’une inclination naturelle, qui est appelйe
appйtit naturel. De mкme, les mouvements affectifs des animaux procиdent-ils
d’une inclination de l’animal, qui est l’appйtit animal. Or, dans les
mouvements naturels, nous trouvons, en premier lieu, le principe du mouvement
mкme, qui est la forme donnйe а ce qui est mы par sa forme non animale, comme
lorsque quelque chose de lourd ou de lйger est engendrй. Deuxiиmement, il y a
le mouvement naturel provenant d’une telle forme, comme lorsque qu’un corps
monte et descend. Troisiиmement, il y a le repos dans son lieu propre. De la
mкme faзon, dans l’appйtit animal, il y a, premiиrement, la forme donnйe
а l’appйtit par un bien : et cela est l’amour, qui unit ce qui est aimй а ce
qui aime. De cela dйcoule, si le bien aimй est distant, que l’appйtit tend
vers lui par un mouvement de dйsir et d’espoir. Troisiиmement, il en dйcoule
une joie ou une dйlectation, lorsque quelqu’un parvient а la chose aimйe.
Ainsi donc, de mкme que le mouvement et le repos naturels viennent de la
forme, de mкme toute affection de l’вme provient de l’amour. Il est donc
nйcessaire que, selon la diffйrence de l’amour, on relиve une diffйrence dans
les autres affections de l’вme. Or, il existe un double amour : l’un
imparfait, l’autre parfait. L’amour imparfait d’une chose se produit lorsque
quelqu’un aime une chose, non pas parce qu’il lui veut du bien, mais parce
qu’il veut son bien pour lui-mкme. Certains l’appellent «concupiscence»,
comme lorsque nous aimons le vin, en voulant utiliser sa douceur, ou lorsque
nous aimons un homme pour notre utilitй ou notre plaisir. Il existe un autre
amour parfait, par lequel le bien de quelqu’un est aimй en lui-mкme, comme
lorsque j’aime quelqu’un, je veux qu’il ait un bien, mкme si rien ne m’en est
ajoutй. Cet amour s’appelle amour d’amitiй, par lequel quelqu’un est aimй
pour lui-mкme. C’est lа l’amitiй parfaite, comme il est dit dans Йthique,
VIII. Or, la charitй n’est pas un amour quelconque de Dieu, mais un amour
parfait, par lequel Dieu est aimй en lui-mкme. Mais pour que quelqu’un aime
le bien divin en lui-mкme, il est conduit par des biens qui viennent de Dieu,
que l’on aime pour soi-mкme, et par des maux que l’on йvite en adhйrant а
Dieu. Pour ce qui est de l’йvitement de maux, la crainte est en rapport avec
cet amour ; pour ce qui est de l’obtention de biens, l’espйrance se
rapporte а l’amour de soi, elle qui est un mouvement tendant vers l’obtention
de quelque chose, comme on l’a dit. Aussi ces deux choses, selon leur raison
propre, dйcoulent-elles d’un amour imparfait de Dieu. Pour cette raison, en
cours de gйnйration ou selon le temps, la crainte prйcиde-t-elle la charitй
et y fait-elle entrer, comme Augustin le dit en commentant la lettre
canonique de Jean ; de mкme, l’espйrance fait-elle entrer dans la
charitй, lorsque quelqu’un, du fait qu’il espиre obtenir de Dieu un bien, est
conduit а aimer Dieu pour lui-mкme.
Solutions :
[66602] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
sicut Ambrosius ibidem subdit, rursus in se quodam sancto circuitu
refunduntur, quia scilicet, cum aliquis ex spe iam ad caritatem introductus
fuerit, tunc etiam perfectius sperat, et castius timet, sicut etiam et
firmius credit. Et ideo quod dicit quod ex caritate est spes, non loquitur
quantum ad primam caritatis generationem, sed quantum ad secundam caritatis
refusionem; secundum quod iam nobis indita, facit nos et perfectius sperare
et credere.
1. Comme Ambroise l’ajoute plus loin au
mкme endroit, elles rejaillissent l’une sur l’autre comme en saint retour,
car lorsque quelqu’un est dйjа entrй dans la charitй а partir de l’espйrance,
il espиre alors encore plus parfaitement, et il craint avec plus de pudeur,
comme il croit aussi plus fermement. C’est pourquoi lorsqu’il dit que
l’espйrance vient de la charitй, il ne parle pas du premier engendrement de
la charitй, mais du second influx de charitй, selon que, dйjа infuse en nous,
elle nous fait espйrer et croire plus parfaitement.
[66603] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes
quae est ex meritis praecedentibus, non potest esse sine caritate, quae est
merendi principium. Sed spes informis, quae est sine meritis in actu, sed ex
meritis in proposito, est quidem sine caritate in actu, sed non sine caritate
in proposito.
2. L’espйrance qui se fonde sur des
mйrites antйrieurs ne peut exister sans la charitй, qui est le principe du
mйrite. Mais l’espйrance informe, qui ne produit pas de mйrites en acte, mais
s’appuie sur des mйrites en intention, existe sans la charitй en acte, mais
non sans la charitй en intention.
[66604] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
Augustinus ibi loquitur de bonis motibus et affectibus meritoriis; huiusmodi
enim ex caritate causantur.
3. Augustin parle en cet endroit des bons
mouvements et sentiments mйritoires. En effet, ceux-lа sont causйs par la
charitй.
[66605] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio
illa probat quod spes praesupponat aliquem amorem. Non tamen oportet quod
praesupponat amorem caritatis, sed amorem sui ipsius, quo quis optat bonum
divinum.
4. Cet argument prouve que l’espйrance
prйsuppose un certain amour. Toutefois, il n’est pas nйcessaire qu’elle
prйsuppose l’amour de charitй, mais l’amour de soi, par lequel quelqu’un se
souhaite а lui-mкme un bien divin.
5. Par lа ressort clairement la solution
aux cinquiиme et sixiиme arguments.
[66607] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
recta voluntas dicitur caritas causaliter; quia scilicet perfecta rectitudo
voluntatis non potest esse nisi ex caritate. Sed talis perfectio voluntatis
non praecedit spem informem.
7. La volontй droite s’appelle charitй par
maniиre de cause, car la parfaite rectitude de la volontй ne peut exister que
par la charitй. Mais une telle perfection de la volontй ne prйcиde pas
l’espйrance informe.
[66608] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
auctoritas Gregorii intelligitur de fide, spe et caritate secundum quod sunt
virtutes, quod non convenit fidei et spei nisi secundum quod formantur
caritate. Sed secundum quod sunt informes, quandoque praecedunt caritatem
tempore.
8. L’autoritй de Grйgoire s’entend de la
foi, de l’espйrance et de la charitй selon qu’elles sont des vertus, ce qui
ne convient а la foi et а l’espйrance que si elles reзoivent leur forme de la
charitй. Mais, selon qu’elles sont informes, elles prйcиdent parfois la
charitй dans le temps.
[66609] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod bonum
divinum, ut secundum se dilectum, est obiectum caritatis; sed sicut
adipiscendum, est obiectum spei : et propter hoc caritas a spe differt.
9. Le bien divin, selon qu’il est aimй en
lui-mкme, est l’objet de la charitй ; mais [aimй] pour кtre obtenu, il
est l’objet de l’espйrance. Pour cette raison, la charitй diffиre de
l’espйrance.
[66610] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si
spes sit informis, merita non praecedunt spem, sed rem speratam. Si autem
spes sit formata, sic merita praecedunt etiam spem; et hoc modo naturaliter
praecedit ipsam caritas.
10. Si l’espйrance est informe, les
mйrites ne prйcиdent pas l’espйrance, mais la chose espйrйe. Mais si
l’espйrance est formйe, alors les mйrites prйcиdent aussi l’espйrance. De
cette maniиre, la charitй la prйcиde-t-elle par nature.
[66611] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ea
quae sunt posteriora in compositione, sunt priora in resolutione; et ideo,
quia in via generationis spes praecedit caritatem, in via resolutionis, e
converso, culpa per quam amittitur caritas, praecedit desperationem, per quam
amittitur spes.
11. Ce qui est postйrieur par la
composition est antйrieur selon la rйsolution. C’est pourquoi, parce que
l’espйrance prйcиde la charitй en cours de gйnйration, en cours de
rйsolution, la faute par laquelle la charitй est enlevйe prйcиde le
dйsespoir, par lequel l’espйrance est enlevйe.
[66612] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
ratio illa concludit, quod amor universaliter sit prius quam spes, quia bonum
communiter sumptum, est obiectum amoris; non autem oportet quod caritas sit
prior spe.
12. Cet argument conclut que l’amour,
considйrй universellement, est antйrieur а l’espйrance, parce que le bien,
considйrй d’une maniиre gйnйrale, est l’objet de l’amour. Mais il n’est pas
nйcessaire que la charitй prйcиde l’espйrance.
[66613] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum,
quod praecedere in via generationis, non pertinet ad perfectionem; quia
secundum hanc viam imperfecta sunt perfectis priora.
13. Prйcйder en cours de gйnйration
n’appartient pas а la perfection, car, dans ce processus, ce qui est
imparfait prйcиde ce qui est parfait.
[66616] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 1 Sicut enim
spes est rei non habitae, quod videtur repugnare statui beatorum; ita etiam
desiderium est rei non habitae. Sed desiderium est in beatis, secundum illud
I Petri I, 12 : in quem desiderant Angeli prospicere. Ergo etiam spes
potest esse in beatis.
1. En effet, de mкme que l’espйrance porte
sur une chose non possйdйe, ce qui semble s’opposer а l’йtat des bienheureux,
de mкme le dйsir porte-t-il sur une chose non possйdйe. Or, il existe un
dйsir chez les bienheureux, selon ce que dit 1 P 1, 12 : Lui
que les anges dйsirent voir. L’espйrance peut donc exister chez les
bienheureux.
[66617] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea,
spes, cuius obiectum est bonum, est aliquid perfectius timore, cuius obiectum
est malum. Sed aliquis timor est in beatis, secundum illud Ps. XVIII, 10 : timor
domini sanctus permanet in saeculum. Ergo aliqua spes est etiam in
beatis.
2. L’espйrance, dont l’objet est un bien,
est quelque chose de plus parfait que la crainte, dont l’objet est un mal.
Or, il existe une crainte chez les bienheureux, selon ce passage de
Ps 18, 10 : La crainte du Seigneur demeure pour l’йternitй. Il
existe donc une espйrance chez les bienheureux.
[66618] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut adeptio
beatitudinis est quoddam bonum arduum, ita etiam et eius continuatio. Sed
antequam beatitudinem aliqui adipiscantur, sperant beatitudinis adeptionem.
Ergo etiam postquam sunt beatitudinem adepti, possunt sperare beatitudinis
continuationem.
3. De mкme que l’obtention de la bйatitude
est quelque chose de difficile, de mкme aussi sa continuation. Or, avant que
certains n’obtiennent la bйatitude, ils espиrent l’obtention de la bйatitude.
Mкme aprиs avoir obtenu la bйatitude, ils peuvent donc espйrer la
continuation de la bйatitude.
[66619] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 4 Praeterea, spes et desperatio
sunt in eodem. Sed desperatio potest esse de alio; unde mandatur nobis de
nemine esse desperandum in via. Ergo etiam spes potest esse de aliquo alio;
et ita, sancti qui sunt in patria, possunt sperare de aliis qui sunt in via,
quod ad beatitudinem perveniant.
4. L’espйrance et le dйsespoir portent sur
la mкme chose. Or, le dйsespoir peut porter sur quelqu’un d’autre : c’est
pourquoi il nous est ordonnй de ne dйsespйrer de personne aussi longtemps
qu’il est en route. Mкme l’espйrance peut donc porter sur quelqu’un d’autre.
Et ainsi, les saints qui sont dans la patrie peuvent espйrer que les autres
qui sont en route [in via]parviennent а la bйatitude.
[66620] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod sperare beatitudinem alterius, non pertinet ad
virtutem spei. – Sed
contra, sicut spes est virtus theologica, ita et caritas. Sed eadem virtute
caritatis, homo diligit se et proximum. Ergo eadem virtute spei sperat homo
vitam aeternam sibi et aliis; et sic, cum boni sperent vitam aeternam aliis,
videtur quod in eis sit virtus spei.
5. Espйrer la bйatitude d’un autre ne
relиve pas de la vertu d’espйrance. – Mais, en sens contraire, de mкme que
l’espйrance est une vertu thйologale, de mкme en est-il de la charitй. Or,
l’homme s’aime lui-mкme et son prochain par la mкme vertu de charitй. L’homme
espиre donc par la mкme vertu d’espйrance la vie йternelle pour lui et pour
les autres. Et ainsi, lorsque les bons espиrent la vie йternelle pour les
autres, il semble qu’existe chez eux la vertu d’espйrance.
[66621] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 6 Praeterea,
oratio ex virtute spei procedit, secundum illud Ps. XXXVI, 5 : revela domino
viam tuam, et spera in eo; et ipse faciet. Sed sanctis qui sunt in patria
convenit orare; et de hoc rogamus eos dicentes orate pro nobis, omnes
sancti Dei. Ergo in eis potest esse etiam spes.
6. La priиre vient de la vertu
d’espйrance, selon ce que dit Ps 36, 5 : Montre au Seigneur ta
voie et espиre en lui : lui-mкme agira. Or, il convient aux saints qui
sont dans la patrie de prier, et nous le leur demandons en disant : «Priez
pour nous, tous les saints de Dieu.» L’espйrance peut donc aussi exister en
eux.
[66622] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 7 Praeterea, idem est principium
movendi ad terminum, et quiescendi in termino. Sed
spes est principium motus in beatitudinem, secundum illud Hebr. VI, 19 : qui
spem habemus incedentem, id est incedere facientem, usque ad interiora
velaminis. Ergo etiam spes est principium quiescendi in beatitudine; et
ita oportet quod beatis insit spes.
7. C’est le mкme principe qui meut vers un
terme et qui se repose dans le terme. Or, l’espйrance est le principe du
mouvement vers la bйatitude, selon ce passage de He 6, 19 : Qui
nous donne l’espйrance d’avancer, c’est-а-dire qui nous fait avancer, jusqu’а
l’intйrieur du voile. L’espйrance est donc aussi le principe du repos
dans la bйatitude. Et ainsi, il est nйcessaire que l’espйrance existe chez
les bienheureux.
[66623] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 8 Praeterea, Isidorus dicit, quod
spe et fide nitet iustitia; et Augustinus dicit in Enchiridion, quod qui
recte vivit, recte credit et recte sperat. Sed iustitia est in patria, et
vitae rectitudo; secundum illud Is., LX, v. 21 : populus tuus omnes iusti.
Ergo etiam in patria est fides et spes.
8. Isidore dit que la justice repose sur
l’espйrance et la foi ; et Augustin dit, dans l’Enchiridion, que
«celui qui vit correctement, croit correctement et espиre correctement». Or,
la justice se trouve dans la patrie, ainsi que la rectitude de la vie, selon
ce que dit Is 60, 21 : Ton peuple, tous les justes. La foi
et l’espйrance existent donc aussi dans la patrie.
[66624] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 9 Praeterea, certitudo perpetuae
permansionis in beatitudine requiritur ad beatitudinem. Et quia haec defuit
Angelis ante confirmationem vel lapsum, non fuerunt perfecte beati, ut Augustinus
dicit. Sed certitudo expectationis beatitudinis pertinet ad
virtutem spei. Ergo in beatis est spes.
9. La certitude de toujours demeurer dans
la bйatitude est une exigence de la bйatitude. Et parce que cela manquait aux
anges avant leur confirmation ou leur chute, ils n’йtaient pas parfaitement
bienheureux, comme le dit Augustin. Or, la certitude de la bйatitude relиve
de la vertu d’espйrance. L’espйrance existe donc chez les bienheureux.
[66625] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 10 Praeterea, quae corrupta sunt bona, ipsa sunt mala, secundum
philosophum. Si igitur spes quae est in viatoribus, corrumpatur per
beatitudinem, quae est summum bonum hominis, videtur quod spes sit malum;
quod est inconveniens, cum spes sit virtus, ut dictum est art. 1 huius quaest.
10. Les biens qui ont йtй corrompus sont
des maux, selon le Philosophe. Si donc l’espйrance qui existe chez ceux qui
sont en route est corrompue par la bйatitude, qui est le bien suprкme de
l’homme, il semble que l’espйrance soit un mal, ce qui ne convient pas
puisque l’espйrance est une vertu, comme on l’a dit dans l’article 1 de la
prйsente question.
[66626] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 11 Praeterea, actus virtutis videtur esse non solum facere vel velle
facere, quod ad virtutem pertinet, quando facultas adest; sed etiam velle
facere, si facultas adesset. Actus enim iustitiae est velle reddere pecuniam debitam, etiam si
eam quis non possit habere. Sed sancti qui sunt in patria, sic sunt
dispositi, quod vellent beatitudinem expectare, etiam si eam non haberent.
Ergo in eis est actus spei. Sed actus procedit ab habitu. Ergo in eis est
virtus spei.
11. L’acte de la vertu ne consiste pas
seulement а faire ou а vouloir faire ce qui relиve de la vertu, lorsque cela
est possible, mais aussi а vouloir le faire si cela йtait possible. En effet,
l’acte de justice consiste а vouloir rendre l’argent dы, mкme si quelqu’un ne
peut l’avoir. Or, les saints dans la patrie sont ainsi disposйs qu’ils
voudraient attendre la bйatitude, mкme s’ils ne la possйdaient pas. Il existe
donc aussi en eux un acte d’espйrance. Or, l’acte procиde de l’habitus. La
vertu d’espйrance existe donc chez eux.
[66627] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 12 Praeterea, Anselmus dicit in
libro de similitudinibus, quod in sanctis post resurrectionem erit tanta
fortitudo, quod poterunt terram movere; non quod eam sint moturi, vel aliquid
huiusmodi, omnibus optime collocatis, sed propter eorum perfectionem. Ergo, a
simili, habitus spei, quae est quaedam perfectio animae, poterit esse in
beatis, quamvis actus spei ibi locum non habeat.
12. Anselme dit, dans le livre Sur les
similitudes, qu’il y aura chez les saints aprиs la rйsurrection une telle
force qu’ils pourront dйplacer la terre : non pas qu’ils la dйplaceront ou
quelque chose de ce genre, toutes choses йtant bien placйes, mais en raison
de leur perfection. Par un raisonnement semblable, l’habitus d’espйrance, qui
est une perfection de l’вme, pourra donc exister chez les bienheureux, bien
que l’acte d’espйrance n’y ait pas sa place.
[66628] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 13 Praeterea,
divina bonitas non est maior quam divina maiestas. Sed caritas, cuius
obiectum est divina bonitas, manet in patria. Ergo et spes, cuius obiectum est divina maiestas.
13. La bontй divine n’est pas plus grande
que la majestй divine. Or, la charitй, dont l’objet est la bontй divine,
demeure dans la patrie. C’est donc aussi le cas de l’espйrance, dont l’objet
est la majestй divine.
[66629] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 14 Praeterea, destructo fundamento
et pariete, destruitur tectum. Sed in aedificio spirituali fides se habet ut
fundamentum; spes autem quae erigit, se habet per modum parietis. Si ergo a
beatis abstrahatur fides et spes, non poterit remanere caritas, quae operit
per modum tecti; quod est inconveniens, quia caritas nunquam excidit,
ut apostolus dicit, 1 Cor., XIII, 8.
14. Si l’on dйtruit le fondement et le
mur, le toit est dйtruit. Or, dans l’йdifice spirituel, la foi est comme le
fondement ; mais l’espйrance qui йlиve est comme le mur. Si donc la foi
et l’espйrance sont soustraites aux bienheureux, la charitй, qui couvre а la
maniиre d’un toit, ne pourra pas demeurer, ce qui est inaccpetable, car la
charitй ne disparaоt jamais, comme le dit l’Apфtre en
1 Co 13, 8.
[66630] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 15 Praeterea, quicumque expectat
aliquid per quod, cum habitum fuerit, eius appetitus quietatur, videtur
sperare illud. Sed animae beatorum expectant gloriam corporis, qua habita,
eorum appetitus quietatur, ut Augustinus dicit XII super Genes. ad Litt. Ergo
in eis est virtus spei.
15. Quiconque attend quelque chose qui
apaisera son appйtit lorsqu’il le possйdera, semble l’espйrer. Or, les вmes
des bienheureux attendent la gloire du corps ; lorsqu’elle sera
possйdйe, leur appйtit sera apaisй, comme Augustin le dit dans le Commentaire
littйral de la Genиse, XII. La vertu d’espйrance existe donc chez eux.
[66631] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 16 Praeterea, Christus a primo
instanti suae conceptionis fuit perfectus comprehensor. Sed Christus habuit
spem : ex eius enim persona dicitur in Psalm. LXX, 1 : in te, domine,
speravi ut Glossa exponit. Ergo in beatis potest esse spes.
16. Le Christ, dиs le premier instant de
sa conception, a йtй un parfait comprehensor [voir IIIa, q.
15, a. 10, c, et Trois opuscules sur la vie religieuse mendiante, notes
43-44]. Or, le Christ avait l’espйrance : en effet, il est dit de lui dans
Ps 70, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espйrй, comme la Glose
l’explique. L’espйrance peut donc exister chez les bienheureux.
Cependant
:
[66632] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 1 Sed
contra. Est quod
dicitur Roman., cap. VIII, 24 : quod videt quis, quid sperat? Sed
sancti fruuntur plena Dei visione, ergo in eis non est spes.
1. Il est dit en Rm 8, 24 : Ce
qu’on voit, est-ce qu’on l’espиre ? Or, les saints jouissent de la
pleine vision de Dieu. Il n’y a donc pas d’espйrance en eux.
[66633] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus, I ad
Cor., XIII, 13, probat caritatem esse maiorem fide et spe : quia caritas non
excidit; fides autem et spes evacuabuntur, cum venerit quod perfectum est.
Sed illud perfectum est status beatitudinis. Ergo fides et spes non remanent
in statu beatitudinis.
2. En 1 Co 13, 13, l’Apфtre
montre que la charitй est plus grande que la foi et l’espйrance, car la
charitй ne meurt pas, mais la foi et l’espйrance disparaissent, lorsque ce
qui est parfait arrive. Or, ce qui est parfait est l’йtat de la bйatitude. La
foi et l’espйrance ne demeurent donc pas dans l’йtat de bйatitude.
[66634] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Augustinus dicit in
Lib. de bono coniugali : habitus est quo aliquid agitur cum opus est; et
si non agitur, potest agi. Ex quo accipitur, quod ubi non potest esse
actus, ibi non est habitus. Sed in patria non potest esse actus spei, qui
respicit beatitudinem non habitam. Ergo ibi non potest esse habitus spei.
3. Augustin dit, dans le livre Sur le
bien conjugal : «L’habitus est ce par quoi on fait quelque chose, lorsque
cela est nйcessaire ; et si on ne le fait pas, on peut le faire.» On
comprend par cela que lа oщ ne peut exister l’acte, lа n’existe pas
l’habitus. Or, dans la patrie, il ne peut exister d’acte d’espйrance, qui a
pour objet la bйatitude non acquise. Il ne peut donc y exister d’habitus de
l’espйrance.
Rйponse :
[66635] De virtutibus, q. 4 a. 4 co. Respondeo.
Dicendum, quod remoto eo a quo res aliqua habet speciem, consequens est ut
species rei solvatur; sicut remota forma substantiali a corporibus
naturalibus, non remanent specie eadem. Sicut autem forma in rebus
naturalibus dat speciem, ita et in moralibus obiectum dat speciem actui, et
per consequens habitui; et ideo sublato principali obiecto alicuius habitus,
non potest remanere habitus. Spei autem obiectum, si spes absolute consideratur, est bonum
arduum futurum possibile, ut supra, art. 1 huius quaest., dictum est. Unde si
cesset aliquid esse bonum, vel esse futurum, vel esse arduum, vel esse
possibile, cessabit spes secundum communem rationem spei. Spei autem,
secundum quod est virtus theologica, obiectum formale est auxilium divinum, cui
inhaeret : et quamvis sub hoc formali obiecto multa materialia sperata
comprehendantur, unum tamen est principale, et alia sunt secundaria vel
adiuncta. Quod quidem potest accipi dupliciter. Uno modo ex parte
rei speratae : alio modo ex parte hominis sperantis. Ex parte quidem rei
speratae principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica, est
plena Dei fruitio, quae beatum facit : alia vero sub spe cadunt in ordine ad
hunc finem, sive sint spiritualia, sive temporalia bona. Ex parte vero sperantis,
principale obiectum est quod aliquis beatitudinem speret sibi; secundarium
vero est quod speret eam aliis in quantum sunt quodam modo unum cum ipso, et
bonum eorum desiderat et sperat sicut et suum. Manente igitur obiecto
principali, scilicet quod bonum arduum, quod est beatitudo, sit futurum, et
possibile haberi respectu eius qui sperat, manet virtus spei; et per hanc
virtutem spei sperat aliquis non solum futuram beatitudinem, sed etiam alia
ad hoc ordinata; et per eamdem spei virtutem sperat aliquis beatitudinem
aliis, et quaecumque in beatitudinem ordinantur. Sed si subtrahatur
principale obiectum spei, secundum quod est virtus theologica; ita, scilicet,
quod beatitudo aeterna iam non sit futura, sed habita, cessat species huius
virtutis; unde non est in beatis spes quae est virtus theologica. Possunt
autem sancti aliqua sperare inhaerendo divino auxilio, vel ad se vel ad alios
pertinentia, secundum communem rationem spei; non autem secundum propriam
rationem spei quae est theologica virtus. Et huius exemplum e contrario in
malis accipi potest. Caritatis enim principale obiectum est Deus : unde,
quamdiu aliquis diligit Deum, per eamdem virtutem caritatis diligit etiam
proximum in Deo. Sed si desinat diligere Deum, poterit quidem diligere
proximum secundum naturam, non tamen per virtutem caritatis, cuius species
solvitur remoto principali obiecto.
Si l’on enlиve ce par quoi une chose a son
espиce, il en dйcoule que l’espиce de la chose disparaоt : ainsi, si la forme
substantielle est enlevйe des corps naturels, ils ne demeurent pas de la mкme
spиce. Or, de mкme que la forme, dans les choses naturelles, donne l’espиce,
de mкme, dans les choses morales, l’objet donne son espиce а l’acte et, par
consйquent, а l’habitus. C’est pourquoi un habitus ne peut pas demeurer si
l’objet principal de l’habitus est enlevй. Or, l’objet de l’espйrance, si
l’on envisage l’espйrance d’une maniиre absolue, est un bien difficile futur
possible, comme on l’a dit plus haut, dans l’article 1 de la prйsente
question. Si quelque chose cesse d’кtre bon, difficile ou possible,
l’espйrance cesse donc, selon la raison commune d’espйrance. Or, selon
qu’elle est une vertu thйologale, l’objet formel de l’espйrance est l’aide
divine а laquelle elle adhиre : et bien que, sous cet objet formel, beaucoup
de choses espйrйes а titre de matiиre soient comprises, une seule est
cependant principale, et les autres sont secondaires ou associйes. Mais cela
peut s’entendre de deux maniиres : d’une maniиre, du point de vue de la chose
espйrйe; d’une autre maniиre, du point de l’homme qui espиre. Du point de vue
de la chose espйrйe, l’objet principal de l’espйrance, selon qu’elle est une
vertu thйologale, est la pleine jouissance de Dieu, qui fait le bienheureux;
les autres choses relиvent de l’espйrance selon leur ordre а cette fin, qu’il
s’agisse de biens spirituels ou qu’il s’agisse de biens temporels. Du point
de vue de celui qui espиre, l’objet principal est que quelqu’un espиre pour
lui-mкme la bйatitude; mais l’objet secondaire est qu’il l’espиre pour les
autres dans la mesure oщ ils ne forment de quelque faзon qu’un avec lui-mкme,
et il dйsire et espиre leur bien comme le sien. Si l’objet principal demeure,
а savoir que l’objet difficile qu’est la bйatitude soit а venir et soit
possible du point de vue de celui qui espиre, la vertu d’espйrance demeure
et, par cette vertu d’espйrance, quelqu’un espиre non seulement la bйatitude
а venir, mais aussi les autres choses qui lui sont ordonnйes. Et, par la mкme
vertu d’espйrance, quelqu’un espиre la bйatitude pour les autres et tout ce
qui est ordonnй а la bйatitude. Mais si on enlиve l’objet principal de
l’espйrance, selon qu’elle est une vertu thйologale, de telle sorte que la
bйatitude йternelle ne soit plus а venir, mais possйdйe, l’espиce de cette vertu
cesse. En consйquence, l’espйrance qui est une vertu thйologale n’existe pas
chez les bienheureux. Mais les saints peuvent espйrer certaines choses en
adhйrant а l’aide divine, qu’elles les concernent ou en concernent d’autres,
selon la raison commune d’espйrance, mais non selon la raison propre de
l’espйrance qui est une vertu thйologale. L’exemple peut en кtre saisi en
sens contraire chez les mйchants. En effet, l’objet principal de la charitй
est Dieu; aussi longtemps que quelqu’un aime Dieu, il aime donc aussi son
prochain en Dieu par la mкme vertu de charitй. Mais s’il cesse d’aimer Dieu,
il pourra aimer son prochain selon la nature, non pas cependant par la vertu
de charitй, dont l’espиce est dissoute par la disparition de son objet
principal.
Solutions
:
[66636] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod desiderium ibi ponitur non quidem proprie,
secundum quod est rei futurae, sed secundum quod excludit fastidium; per
modum quo Eccli. XXIV,
v. 29, dicitur : qui edunt me, adhuc esurient.
1. Il est ici question de dйsir non pas au
sens propre, selon qu’il porte sur une chose а venir, mais selon qu’il йcarte
le dйgoыt, а la maniиre dont parle Si 24, 29 : Ceux me mangent
auront encore faim.
[66637] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
timor est respectu mali. Sub malo autem comprehendi potest omnis defectus.
Est autem triplex hominis defectus. Unus quidem poenae; et hunc quidem
principaliter respicit timor servilis. Alius autem est defectus culpae; et
hunc defectum respicit timor filialis vel castus, secundum quod est in statu
viae, in quo peccare possumus. Neutro autem modo erit timor in patria,
sublata potestate culpae et poenae; secundum illud Prov., I, 33 : abundantia
perfruetur, malorum timore sublato. Est autem tertius defectus naturalis,
secundum quod quaelibet creatura in infinitum distat a Deo; qui defectus
nunquam tolletur; et hunc defectum respicit timor reverentialis qui erit in
patria : qui reverentiam exhibebit suo creatori ex consideratione maiestatis eius,
in propriam desiliens parvitatem. Sed obiectum spei, quod est beatitudinem
esse futuram, tolletur, ea superveniente, et ideo spes non remanebit.
2. La crainte porte sur le mal, Or, sous
le mal, on peut inclure toute carence. Or, il y a un triple carence chez
l’homme. L’une, celle de la peine : c’est sur celle-ci que porte
principalement la crainte servile. La deuxiиme est la carence de la faute :
c’est sur cette carence que porte la crainte filiale ou pure, selon qu’elle
existe dans l’йtat de cheminement, oщ nous pouvons pйcher. La crainte
n’existera d’aucune de ces deux faзons dans la patrie, puisque la capacitй de
pйcher ou celle de subir une peine seront йcartйes, selon ce que dit
Pr 1, 33 : On jouira de l’abondance, alors que la crainte du mal
sera йcartйe. Mais il existe une troisiиme carence naturelle, selon
laquelle toute crйature diffиre infiniment de Dieu, carence qui ne sera
jamais enlevйe. C’est sur cette carence que porte la crainte rйvйrentielle
qui existera dans la patrie : elle manifestera de la rйvйrence а son crйateur
en raison de sa majestй, en reconnaissant sa propre petitesse. Mais l’objet
de l’espйrance, qui consiste en ce que la bйatitude soit а venir, sera йcartй
lorsque celle-ci surviendra. C’est pourquoi l’espйrance ne demeurera pas.
[66638] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod continuatio beatitudinis non habet rationem futuri :
quia in quantum aliquis homo fit beatus, aeternitatem participat, in qua non
est praeteritum et futurum; unde in beatitudine illa dicitur vita aeterna.
Dato etiam quod haberet rationem futuri, non habet rationem ardui respectu
eius qui iam beatitudinem obtinet. Ex hoc enim ipso accepit non solum
facultatem, sed etiam necessitatem quamdam nunquam peccandi, sed semper
permanendi. Et ideo totaliter tollitur ratio spei.
3. La continuation de la bйatitude n’a pas
raison d’а venir, car, pour autant qu’un homme devient bienheureux, il
participe а l’йternitй, dans laquelle il n’y a ni passй ni futur. Aussi
dit-on que cette bйatitude sera la vie йternelle. Mais en supposant qu’elle
aurait raison d’а venir, elle n’a pas raison de difficile du point de vue de
celui qui possиde dйjа la bйatitude. En effet, par le fait mкme, il n’a pas
reзu seulement la capacitй, mais aussi une certaine nйcessitй de ne jamais
pйcher, mais de toujours persйvйrer. C’est pourquoi la raison d’espйrance est
totalement йcartйe.
4. Cet argument vient de ce qui relиve de
l’espйrance non pas principalement, mais de maniиre secondaire.
[66640] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
quamdiu remanet principale obiectum spei, eadem virtute spei sperat aliquis
bona sibi et aliis; sed remoto principali obiecto, potest quidem aliis
sperare aliquo modo, sed non secundum virtutem spei.
5. Aussi longtemps que demeure l’objet
principal de l’espйrance, c’est par la mкme vertu d’espйrance que quelqu’un
espиre des biens pour lui-mкme et pour d’autres. Mais, une fois йcйartй
l’objet principal, il peut espйrer pour les autres d’une certaine maniиre,
mais non selon la vertu d’espйrance.
[66641] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod eo
modo convenit sanctis orare sicut et sperare; non quidem per virtutem spei,
quae ponitur theologica virtus.
6. Il convient aux sasints de prier comme
il leur convient d’espйrer, mais non en raison de la vertu d’espйrance, dont
on affirme qu’elle est une vertu thйologale.
[66642] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si
accipiatur primum principium movens ad terminum, verum est idem esse
principium motus ad terminum, et quietis in termino. Sed si accipiatur
aliquid secundarium et instrumentale; quaedam sunt principia motus, quae
cessant, cum perventum fuerit ad terminum, sicut navis cessat, et impulsio
venti, cum perventum fuerit ad portum. Et hoc modo caritas, quae est primum
movens, manet in termino beatitudinis, non autem spes, quae est secundarium
principium appropriatum motui.
7. Si l’on prend le premier principe qui
meut vers le terme, il est vrai que le principe du mouvement vers le terme et
du repos dans le terme est le mкme. Mais si l’on prend un principe secondaire
et instrumental, certains sont principes du mouvement, qui cessent lorsque
qu’on sera parvenu au terme, comme le navire s’arrкte et la poussйe du vent,
lorsqu’on est parvenu au port. De cette maniиre, la charitй, qui est un
moteur premier, demeure dans la bйatitude, mais non pas l’espйrance, qui est
un principe secondaire rattachй au mouvement.
[66643] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
auctoritates illae loquuntur de iustitia et rectitudine vitae, secundum
statum praesentis vitae, quo moventur ad rectitudinem.
8. Ces autoritйs parlent de la justice et
de la rectitude de la vie selon l’йtat de la vie prйsente, par quoi ils sont
mus а la rectitude.
[66644] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod
certitudo quae est in beatis de perpetua stabilitate, non est per aliquid quod
expectetur futurum, sed per id quod iam acceperunt; unde non pertinet ad
rationem spei.
9. La certitude qui existe chez les
bienheureux а propos de leur stabilitй perpйtuelle ne vient pas de quelque
chose qui est attendu dans l’avenir, mais du fait qu’ils l’ont dйjа reзu.
Elle ne relиve donc pas de la raison de l’espйrance.
[66645] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod,
sicut philosophus dicit in III Physic., in motibus accipiuntur magis et minus
loco contrariorum, ut magis et minus album loco albi et nigri; et similiter
magis et minus bonum loco boni et mali. Sic igitur beatitudo superveniens
evacuat spem, non sicut bonum malum, sed minus bonum; sicut iuventus
pueritiam.
10. Comme le Philosophe le dit dans Physique,
III, dans les mouvements, on prend le plus et le moins а la place des
contraires, comme le plus ou moins blanc а la place du blanc et du noir. De
mкme en est-il pour le plus ou moins bon а la place de ce qui est bon et de
ce qui est mauvais. De mкme, lorsqu’elle survient, la bйatitude йvacue
l’espйrance, non pas comme un bien mauvais, mais comme quelque chose de moins
bon, comme la jeunesse йvacue l’enfance.
[66646] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod
obiectum alicuius virtutis potest deesse dupliciter. Uno modo, cum
possibilitate habendi; et sic etiam obiecto non habito potest esse actus
virtutis et virtus, sub hac conditione, si facultas adesset. Alio modo, cum
impossibilitate habendi : et sic nec habitus nec actus manet : frustra enim
remaneret. Et hoc modo tollitur obiectum spei in patria; quia nunquam de
cetero erit possibile beatitudinem esse futuram.
11. L’objet d’une vertu peut faire dйfaut
de deux maniиres. D’une maniиre, lorsque demeure la possibilitй de le
possйder : et ainsi, alors que l’objet n’est pas possйdй, il peut y avoir un
acte de vertu et une vertu, а la condition que la possibilitй existe. D’une
autre maniиre, lorsqu’il y a impossibilitй de le possйder : et ainsi, ni
l’habitus ni l’acte ne demeurent, car ils demeureraient en vain. Et de cette
maniиre, l’objet de l’espйrance est йcartй dans la patrie, car il ne sera
plus jamais possible que la bйatitude soit а venir.
[66647] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
fortitudo illa quae erit in sanctis, non erit consequens ex principio
praeexistenti, id est ex perfecta inhaesione ad omnipotentem Deum; non autem
erit ordinata ut ad finem, sed magis finem consequens, ut dictum est. Et ideo
non est similis ratio de spe, quae non datur nisi propter motum in finem.
12. Cette force qui existera chez les
saints ne dйcoulera pas d’un principe prйexistant, а savoir, de la parfaite
adhйsion au Dieu tout-puissant : elle ne sera pas ordonnйe а la fin, mais
plutфt а ce qui dйcoule de la fin, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’en
va pas de mкme pour l’espйrance, qui n’est donnйe qu’en vue du mouvement vers
la fin.
[66648] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum,
quod maiestas Dei non est minor quam eius bonitas. Sed caritas alio modo, se
habet ad bonitatem quam spes ad maiestatem; quia caritas de sui ratione
importat unionem, et ideo perficitur in patria. Spes autem importat
distantiam, quae repugnat statui patriae.
13. La majestй de Dieu n’est pas moindre
que sa bontй. Mais le rapport de la charitй а sa bontй est diffйrent de celui
de l’espйrance а sa majestй, car la charitй comporte par elle-mкme l’union;
aussi s’accomplit-elle dans la patrie. Mais l’espйrance comporte une
distance, qui s’oppose а l’йtat de la patrie.
[66649] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod fides et spes habent rationem fundamenti vel parietis ex parte eius quod
est perfectionis in eis : scilicet ex eo quod fides inhaeret primae veritati,
spes autem summae maiestati; non autem ex hoc quod est imperfectionis in utraque
: in quantum, scilicet, fides est non apparentium, et spes non habitorum. Et
ideo in statu perfectae beatitudinis, quando caritas, quae nihil de sui
ratione imperfectionis importat, perficietur, fidei succedet perfectius
fundamentum, scilicet visio aperta; et spei perfectior paries, scilicet
comprehensio plena, secundum illud 1 Cor. IX, 24 : sic currite ut
comprehendatis.
14. La foi et l’espйrance ont raison de
fondement ou de mur du point de vue de ce qui relиve en elles de la
perfection, а savoir, du fait que la foi adhиre а la vйritй premiиre, et
l’espйrance а la majestй suprкme; mais non en raison de ce qu’il y
d’imperfection dans les deux, pour autant que la foi porte sur des choses qui
ne sont pas йvidentes et l’espйrance sur des choses qui ne sont pas
possйdйes. C’est pourquoi, dans l’йtat de bйatitude parfaite, alors que la
charitй, qui ne comporte rien d’imparfait selon sa raison propre, sera
perfectionnйe, succйdera а la foi un fondement plus parfait, а savoir, la
claire vision, et а l’espйrance un mur plus parfait, а savoir, la pleine
saisie, selon ce que dit 1 Co 9, 24 : Courez afin de
saisir!
[66650] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum,
quod gloria corporis derivatur in sanctis a gloria animae; et ideo habentibus
gloriam animae, quae est potior, gloria corporis non habet rationem ardui.
15. La gloire du corps dйcoule chez les
saints de la gloire de l’вme. C’est pourquoi, pour ceux qui possиdent la
gloire de l’вme, qui est plus puissante, la gloire du corps n’est pas difficile.
[66651] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod
Christus speravit secundum communem rationem spei, non autem habuit spem quae
est virtus theologica, quia beatitudo non erat ei futura, sed praesens.
16. Le Christ a espйrй selon la raison
commune d’espйrance, mais il n’a pas possdй l’espйrance qui est une vertu
thйologale, car la bйatitude n’йtait pas pour lui а venir, mais prйsente.
Article 1 – La justice, la prudence, la
force et la tempйrance sont-elles des vertus cardinales ?
Article
2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte que celui qui en possиde une les
possйderait toutes ?
Article 3 – Toutes les vertus sont-elles
йgales dans l’homme ?
Article
4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ?
Articulus 1 –
[66656] De virtutibus, q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum istae
sint quatuor virtutes cardinales, scilicet iustitia, prudentia, fortitudo et
temperantia
[66658] De virtutibus, q.
5 a. 1 arg. 1 Ea enim
quae non distinguuntur ad invicem, non debent ad invicem connumerari; quia
distinctio est causa numeri, ut dicit Damascenus. Sed praedictae virtutes non
distinguuntur ad invicem; dicit enim Gregorius in XXII Moral. : prudentia
vera non est, quae iusta et temperans et fortis non est; nec perfecta
temperantia, quae fortis, iusta et prudens non est; neque fortitudo integra,
quae prudens, temperans et iusta non est; nec vera iustitia, quae prudens,
fortis et temperans non est. Ergo non debent dici hae quatuor virtutes
cardinales.
Il semble que non.
1. Les choses qui ne sont pas mutuellement
distinctes ne doivent pas кtre comptйes sйparйment l’une de l’autre, parce
que la distinction est cause du nombre, comme le dit [saint Jean] Damascиne.
Or, les vertus mentionnйes ne se distinguent pas l’une de l’autre. En effet,
Grйgoire dit, au livre XXII des Morales
sur Job : « La prudence n’est pas vraie si elle n’est pas juste,
tempйrante et forte ; ni la tempйrance parfaite si elle n’est pas forte,
juste et prudente ; ni la force complиte si elle n’est pas prudente,
tempйrante et juste ; ni la justice vraie si elle n’est pas prudente,
forte et tempйrante. » Ces quatre vertus ne doivent donc pas кtre
appelйes cardinales.
[66659]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes videntur dici cardinales, ex eo
quod sunt aliis principaliores; unde quas quidam cardinales, aliquando
principales vocant, ut patet per Gregorium, XXII Moralium. Sed cum finis
principalior sit his quae sunt ad finem; principaliores esse videntur
virtutes theologicae, quae habent ultimum finem pro obiecto, quam praedictae
virtutes, quae sunt circa ea quae sunt ad finem. Ergo non debent dici
praedictae quatuor virtutes cardinales.
2. Les vertus
semblent кtre appelйes cardinales parce qu’elles l’emportent sur les autres.
C’est pourquoi certains les appellent cardinales, parfois principales, comme
l’йcrit Grйgoire au livre XXII des Morales
sur Job. Mais comme la fin l’emporte sur ce qui tend vers la fin, les
vertus thйologales, qui ont pour objet la fin ultime, semblent l’emporter sur
les vertus mentionnйes, qui concernent ce qui tend vers la fin. Les quatre
vertus mentionnйes ne doivent donc pas кtre appelйes cardinales.
[66660] De virtutibus, q.
5 a. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt diversorum generum, non debent poni in
una coordinatione. Sed prudentia est in genere virtutum intellectualium, ut
patet in VI Ethic. : aliae vero tres sunt virtutes morales. Ergo inconvenienter ponuntur praedictae quatuor virtutes cardinales.
3. Les choses
qui appartiennent а des genres divers ne doivent pas кtre mises en
coordination. Mais la prudence appartient au genre des vertus
intellectuelles, comme il est dit au livre VI de l’Йthique; quant aux trois autres, ce sont des
vertus morales. Il ne convient donc pas de faire des quatre vertus
mentionnйes des [vertus] cardinales.
[66661]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, inter intellectuales virtutes sapientia
est principalior quam prudentia, ut philosophus probat in VI Ethic.; quia
sapientia est de divinis, prudentia autem est de humanis. Si igitur debuit aliqua virtus intellectualis poni inter virtutes
cardinales, potius debuit poni sapientia quasi principalior.
4. Parmi les
vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte sur la prudence, comme le
dйmontre le Philosophe au livre VI de l’Йthique, parce que la sagesse
porte sur les choses divines, alors que la prudence porte sur les choses
humaines. Si donc l’on avait dы placer une vertu intellectuelle parmi les
vertus cardinales, c’est la sagesse que l’on aurait dы plutфt placer, vu
qu’elle est supйrieure.
[66662] De virtutibus, q.
5 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad virtutes cardinales aliae debent reduci. Sed
philosophus in II Ethic. condividit quasdam alias virtutes fortitudini et
temperantiae; scilicet liberalitatem et magnanimitatem et huiusmodi, quae sic
non reducuntur. Non ergo praedictae virtutes sunt cardinales.
5. Les autres
[vertus] doivent кtre ramenйes aux vertus cardinales. Or, le Philosophe, au
livre II de l’Йthique, a
distinguй d’autres vertus que celles de force et de tempйrance : la
libйralitй et la magnanimitй, et celles de ce genre, qui ne sont pas ainsi
ramenйes [aux vertus cardinales]. Les vertus mentionnйes ne sont donc pas
cardinales.
[66663]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod non est virtus, non debet poni
inter virtutes cardinales. Sed temperantia non videtur esse virtus. Non enim
habetur aliis virtutibus habitis; ut patet in Paulo, qui habebat omnes alias
virtutes, et tamen temperantiam non habebat : inerat enim adhuc in membris
eius concupiscentia, secundum illud Rom., VII, 23 : video aliam legem in
membris meis repugnantem legi mentis meae. Temperatus autem differt in
hoc a continente, quod temperatus non habet concupiscentias pravas; continens
autem habet, sed non sequitur eas; ut patet per philosophum in VII Ethic.
Ergo inconvenienter enumerantur praedictae quatuor cardinales virtutes.
6. On ne doit
pas mettre au nombre des vertus cardinales ce qui n’est pas vertu. Or, la
tempйrance ne semble pas кtre une vertu. En effet, on ne la possиde pas alors
que les autres vertus sont possйdйes, comme l’йcrit Paul, qui possйdait
toutes les autres vertus, sans possйder cependant la tempйrance. Car la
concupiscence continuait d’exister dans ses membres, d’aprиs cette phrase : Je
vois une autre loi dans mon corps, luttant contre la loi de mon esprit,
Rm 7, 23.Or, l’homme tempйrй
diffиre de l’homme continent, en ceci que l’homme tempйrй n’a pas de
concupiscences mauvaises, alors que l’homme continent en a mais ne les suit
pas, comme l’йcrit le Philosophe, au livre VII de l’Йthique.C’est donc incorrectement que l’on
йnumиre les vertus mentionnйes comme quatre vertus cardinales.
[66664] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut per virtutem
homo ordinatur ad seipsum, ita et ad proximum. Sed duae virtutes ponuntur,
quibus homo ordinatur ad seipsum; scilicet fortitudo et temperantia. Ergo
etiam duae virtutes debent poni quibus aliquis ordinatur ad proximum; et non
solum iustitia.
7. De mкme
que l’homme est ordonnй а lui-mкme par la vertu, de mкme il l’est aussi au
prochain. Mais l’on йtablit deux vertus par lesquelles l’homme est ordonnй а
lui-mкme : la force et la tempйrance. On doit donc aussi йtablir deux vertus
par lesquelles il est ordonnй au prochain, et pas seulement la justice.
[66665]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 8 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de moribus
Eccles., quod virtus est ordo amoris. Sed amor gratiae comprehenditur sub
duobus praeceptis; scilicet dilectionis Dei et proximi. Ergo non debent esse
nisi duae virtutes cardinales.
8. Augustin
dit, dans Le livre sur le comportement de l’Йglise, que la vertu est
l’ordre de l’amour. Mais l’amour est embrassй par la grвce sous deux
prйceptes : l’amour de Dieu et du prochain. Il ne doit donc y avoir que deux
vertus cardinales.
[66666]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 9 Praeterea, diversitas materiae quae est secundum
extensionem, facit solum diversitatem secundum numerum; diversitas autem
materiae quae est secundum diversas acceptiones formae, facit differentiam
secundum genus : propter quod corruptibile et incorruptibile differunt
genere, ut dicitur X Metaph. Sed praedictae virtutes differunt secundum
diversitatem materiae habentis rationem diversam recipiendi formam. Nam modus
rationis circa materiam temperantiae ponitur secundum refrenationem
passionum; circa materiam autem fortitudinis secundum quemdam conatum ad id a
quo passio retrahit. Ergo praedictae virtutes differunt genere; non
ergo debent coniungi in una ordinatione virtutum cardinalium.
9. La
diversitй de matiиre qui se prend de l’extensiondonne seulement
la diversitй par le nombre. Or, la diversitй de matiиre, qui est se trouve
dans les diverses rйceptions de forme, donne la diffйrence par le genre, du
fait que le corruptible et l’incorruptible diffиrent par le genre, comme il
est dit au livre X de la Mйtaphysique. Or, les vertus mentionnйes
diffиrent par la diversitй de matiиre, qui possиde une maniиre diffйrente de
recevoir la forme. En effet, le mode de la raison concernant la matiиre de la
tempйrance est йtabli par la rйpression des passions, mais celui qui concerne
la matiиre de la force, par un certain effort vers ce dont la passion
йloigne. Les vertus mentionnйes diffиrent donc par le genre ; on ne doit
donc pas les rйunir dans un seul ordre de vertus cardinales.
[66667] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 10 Praeterea, ratio virtutis moralis sumitur secundum quod attingit
rationem, ut patet per philosophum in II Ethicor., qui definit virtutem per
hoc, quod est secundum rationem rectam. Sed
ratio recta est regula regulata a prima regula quae est Deus; a qua etiam
virtutem regulandi habet. Ergo virtutes morales praecipue habent rationem
virtutis ex eo quod attingunt primam regulam, scilicet Deum. Sed virtutes
theologicae, quae sunt circa Deum, non dicuntur cardinales. Ergo neque
virtutes morales debent dici cardinales.
10. La
dйfinition de la vertu morale est fondйe sur le fait qu’elle concerne la
raison, comme l’йcrit le Philosophe au livre II de l’Йthique,qui dйfinit la vertu par « ce qui est selon la droite
raison ». Or, la droite raison est une rиgle rйglйe par une rиgle
premiиre : Dieu, par laquelle elle possиde aussi la vertu de rйgler. Les
vertus morales possиdent donc surtout ce qui fait la vertu parce qu’elles
atteignent la rиgle premiиre : Dieu. Or, les vertus thйologales, qui portent
sur Dieu, ne sont pas appelйes cardinales. Les vertus morales ne doivent donc
pas non plus кtre appelйes cardinales.
[66668]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 11 Praeterea, principalis pars animae est ratio. Sed temperantia et fortitudo non sunt in ratione, sed sunt
irrationabilium partium, ut philosophus dicit in III Ethic. Ergo non debent
poni virtutes cardinales.
11. La partie
principale de l’вme est la raison. Or, la tempйrance et la force ne sont pas
dans la raison mais appartiennent aux parties irrationnelles, comme le dit le
Philosophe au livre III de l’Йthique. On ne doit donc pas les йtablir
comme vertus cardinales.
[66669]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 12 Praeterea, laudabilius est dare de suo quam reddere
vel non auferre alienum. Sed primum pertinet ad liberalitatem, secundum ad
iustitiam. Ergo liberalitas magis debet poni virtus
cardinalis quam iustitia.
12. Il est
plus louable de donner de son propre bien que de rendre ou de ne pas prendre
celui d’autrui. Or, le premier cas relиve de la libйralitй, le second, de la
justice. On doit donc йtablir comme vertu cardinale la libйralitй plutфt que
la justice.
[66670]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 13 Praeterea, illud maxime videtur esse virtus
cardinalis quod est firmamentum aliorum. Sed huiusmodi est humilitas; dicit
enim Gregorius, quod qui ceteras virtutes sine humilitate congregat, quasi
pulveres in ventum portat. Ergo humilitas debuit poni inter virtutes
cardinales.
13. Il semble
surtout qu’une vertu cardinale est le point d’appui des autres. Or,
l’humilitй est de ce genre. Grйgoire dit en effet que « celui qui
regroupe toutes les autres vertus sans l’humilitй, c’est comme s’il
transportait de la poussiиre dans le vent». On aurait donc dы йtablir
l’humilitй parmi les vertus cardinales.
[66671]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus est perfectio quaedam, ut patet per
philosophum in VI Phys. Sed, sicut dicitur Iac., I, 4, patientia perfectum
opus habet. Ergo patientia tamquam perfectio, poni debuit inter virtutes
cardinales.
14. La vertu
est une certaine perfection, comme l’йcrit le Philosophe au livre VI de la Physique. Mais, comme il est dit dans
Jc 1, 4 : « La patience s’accompagne d’une њuvre
parfaite. » On aurait donc dы йtablir la patience, plus parfaite, parmi
les vertus cardinales.
[66672]
De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod
magnanimitas operatur magnum in virtutibus, et est velut ornamentum aliis
virtutibus. Sed hoc maxime videtur pertinere ad principalitatem virtutis.
Ergo magnanimitas videtur esse virtus cardinalis. Inconvenienter igitur
annumerantur praedictae quatuor virtutes cardinales.
15. Le
Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que la magnanimitй rйalise
ce qui est grand dans les vertus et est comme une parure pour les autres
vertus. Or, ceci semble surtout relever de la primautй d’une vertu. Il semble
donc que la magnanimitй soit une vertu cardinale. Les quatre vertus
mentioncardinales mentionnйes ne sont donc pas convenablement йnumйrйes.
Cependant
:
[66673]
De virtutibus, q. 5 a. 1 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius dicit super illud
Lucae, cap. VI : beati pauperes spiritu : scimus virtutes esse quatuor
cardinales : temperantiam, iustitiam, prudentiam, fortitudinem.
Ambroise dit, а propos de Lc 6 : Heureux
les pauvres en esprit : « Nous savons bien qu’il y a quatre vertus
cardinales : la tempйrance, la justice, la prudence, la force. »
Rйponse :
[66674] De virtutibus, q. 5 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod cardinalis a cardine dicitur, in quo ostium
vertitur, secundum illud Proverb., XXVI, 14 : sicut ostium vertitur in
cardine suo, ita piger in lectulo suo. Unde virtutes cardinales dicuntur in quibus
fundatur vita humana, per quam in ostium introitur; vita autem humana est
quae est homini proportionata. In hoc homine autem invenitur primo quidem
natura sensitiva, in qua convenit cum brutis; ratio practica, quae est homini
propria secundum suum gradum; et intellectus speculativus, qui non perfecte
in homine invenitur sicut invenitur in Angelis, sed secundum quamdam
participationem animae. Ideo vita contemplativa non est proprie humana, sed
superhumana; vita autem voluptuosa, quae inhaeret sensibilibus bonis, non est
humana, sed bestialis. Vita ergo proprie humana est vita activa, quae
consistit in exercitio virtutum moralium : et ideo proprie virtutes
cardinales dicuntur in quibus quodammodo vertitur et fundatur vita moralis,
sicut in quibusdam principiis talis vitae; propter quod et huiusmodi virtutes
principales dicuntur. Considerandum est autem, quod de ratione actus virtuosi
quatuor existunt. Quorum unum est, ut substantia ipsius actus sit in se modificata;
et ex hoc actus dicitur bonus, quasi circa debitam materiam existens, vel
debitis circumstantiis vestitus. Secundum autem est, ut
actus sit debito modo se habens ad subiectum, ex quo firmiter subiecto
inhaereat. Tertium autem est, ut actus sit debito modo
proportionatus ad aliquid extrinsecum sicut ad finem. Et haec quidem tria sunt
ex parte eius quod per rationem dirigitur. Quartum autem ex parte ipsius
rationis dirigentis, scilicet cognitio. Et haec quatuor philosophus tangit in
II Ethic., ubi dicit, quod non sufficit ad virtutem quod aliqua sint iuste
vel temperate comparata, quod pertinet ad modificationem actus. Sed alia tria
requiruntur ex parte operantis. Primum quidem, ut sit sciens; quod pertinet
ad cognitionem dirigentem. Deinde, quod sit eligens et reeligens propter hoc,
id est propter debitum finem; quod pertinet ad rectitudinem actus in ordine
ad aliquid extrinsecum. Tertium est, si firme et immobiliter adhaereat et
operetur. Haec igitur quatuor scilicet cognitio dirigens, rectitudo, firmitas
et moderatio, etsi in omnibus virtuosis actibus requirantur; singula tamen
horum principalitatem quamdam habent in specialibus quibusdam materiis et
actibus. Ex parte cognitionis practicae tria requiruntur. Quorum primum est
consilium : secundum est iudicium de consiliatis; sicut etiam in ratione
speculativa invenitur inventio vel inquisitio, et iudicium. Sed quia
intellectus practicus praecipit fugere vel prosequi, quod non facit
speculativus intellectus, ut dicitur in III de anima; ideo tertio ad rationem
practicam pertinet praemeditari de agendis; et hoc est praecipuum ad quod
alia duo ordinantur. Circa primum autem perficitur homo per virtutem
eubuliae, quae est bene consiliativa. Circa secundum autem perficitur homo
per synesim et gnomen, quibus homo fit bene iudicativus, ut dicitur in VI
Ethic. Sed per prudentiam fit ratio bene praeceptiva, ut
ibidem dicitur. Unde manifestum est quod ad prudentiam pertinet id quod est
praecipuum in cognitione dirigente; et ideo ex hac parte ponitur prudentia
virtus cardinalis. Similiter rectitudo actus per comparationem ad aliquid
extrinsecum, habet quidem rationem boni et laudabilis etiam in his quae
pertinent ad unum secundum seipsum, sed maxime laudatur in his quae sunt ad
alterum; quando scilicet homo actum suum rectificat non solum in his quae ad
ipsum pertinent, sed etiam in his in quibus cum aliis communicat. Dicit enim
philosophus in V Ethic., quod multi in propriis quidem virtute uti possunt,
in his autem quae sunt ad alterum, non possunt. Et ideo iustitia ex hac parte
ponitur virtus principalis, per quam homo debito modo coaptatur et adaequatur
aliis, cum quibus communicare habet; unde et vulgariter dicuntur iusta illa
quae sunt debito modo coaptata. Moderatio autem, sive refrenatio, ibi
praecipue laudem habet et rationem boni, ubi praecipue passio impellit, quam
ratio refrenare debet, ut ad medium virtutis perveniatur. Impellit autem
passio maxima ad prosequendas delectationes maximas, quae sunt delectationes
tactus; et ideo ex hac parte ponitur cardinalis virtus temperantia, quae
reprimit concupiscentias delectabilium secundum tactum. Firmitas autem
praecipue laudem habet et rationem boni in illis in quibus passio maxime
movet ad fugam : et hoc praecipue est in maximis periculis, quae sunt
pericula mortis; et ideo ex hac parte fortitudo ponitur virtus cardinalis,
per quam homo circa mortis pericula intrepide se habet. Harum autem quatuor
virtutum prudentia quidem est in ratione, iustitia autem est in voluntate,
fortitudo autem in irascibili, temperantia autem in concupiscibili; quae
solae potentiae possunt esse principia actus humani, id est voluntarii. Unde
patet ratio virtutum cardinalium, tum ex parte modorum virtutis, quae sunt
quasi rationes formales, tum etiam ex parte materiae, tum etiam ex parte subiecti.
« Cardinal » tire son origine du gond sur lequel
une porte tourne, selon cette phrase de Pr 26, 14 : La porte
tourne sur ses gonds, tout comme le paresseux sur son lit. Ainsi, on
appelle cardinales les vertus sur lesquelles est fondйe la vie humaine, qui
fait entrer par la porte. Or, la vie humaine est celle qui est proportionnйe
а l’homme. Dans cet homme, on trouve d’abord une nature sensitive, qu’il a en
commun avec les animaux sans raison, la raison pratique, qui est propre а
l’homme selon son degrй, et une intelligence spйculative, que l’on ne trouve
pas parfaitement en l’homme comme on la trouve chez les anges, mais selon une
certaine participation de l’вme. C’est pourquoi la vie contemplative n’est
pas proprement humaine, mais surhumaine; et une vie de voluptй, qui est
attachйe aux biens sensibles, n’est pas humaine mais bestiale. La vie
proprement humaine est donc une vie active qui repose sur l’exercice des
vertus morales. C’est pourquoi l’on appelle proprement cardinales les vertus
sur lesquelles tourne en quelque sorte et est fondйe la vie morale, en tant
que principes d’une telle vie, raison pour laquelle l’on appelle aussi
principales des vertus de ce genre. Or, il faut considйrer nйanmoins que
quatre йlйments font partie de ce qui rend un acte vertueux. Le premier
d’entre eux est que la substance de l’acte lui-mкme soit rйglйe en elle-mкme;
c’est la raison pour laquelle l’acte est dit bon, en tant qu’il porte sur la
matiиre appropriйe ou est revкtu des circonstances appropriйes. Le deuxiиme :
que l’acte soit en rapport avec le sujet de faзon appropriйe ; il est
ainsi fermement enracinй dans le sujet. Le troisiиme : que l’acte soit
proportionnй de faзon appropriйe а quelque chose d’extйrieur comme а sa fin.
Ces trois йlйments relиvent de ce qui est dirigй par la raison. Et le
quatriиme relиve de la raison qui dirige elle-mкme : la connaissance. Le
Philosophe aborde ces quatre йlйments au livre II de l’Йthique, oщ il
dit qu’il ne suffit pas pour la vertu que certains actes soient rйglйs avec
justice ou tempйrance, ce qui relиve de la disposition rйglйe de l’acte. Mais
trois autres йlйments sont requis du cфtй de l’agent. D’abord, qu’il
connaisse, ce qui se rapporte а la connaissance qui dirige. Ensuite, qu’il
choisisse et choisisse de nouveau, а savoir, en raison de la fin qui
convient; ce qui relиve de la rectitude de l’acte ordonnй vers quelque chose
d’extйrieur. Troisiиmement, que l’agent soit fixй et agisse avec fermetй et
de maniиre immuable. Mкme s’ils sont exigйs de tous les actes vertueux,
chacun de ces quatre йlйments : la connaissance qui dirige, la rectitude, la
fermetй et la modйration, a la primautй dans certains actes et matiиres
particuliers. Pour ce qui est de la connaissance pratique, trois choses sont
requises. La premiиre est le conseil ; la deuxiиme est le jugement sur
les choses conseillйes, de mкme que, dans la raison spйculative, on trouve la
dйcouverte ou la recherche, et le jugement. Mais parce que l’intelligence
pratique prescrit de fuir ou de poursuivre, ce que ne fait pas l’intelligence
spйculative, comme il est dit au livre III du traitй De l’Вme, un troisiиme йlйment relиve de la raison pratique :
rйflйchir а l’avance sur les actes а poser; et ceci est le principal, а quoi
sont ordonnйs les deux autres. Pour le premier, l’homme est perfectionnй par
l’eubulia, qui est bonne
conseillиre; pour le deuxiиme, il est perfectionnй par la synesis et la gnфmи, qui permettent а l’homme de bien juger, comme il est dit
au livre VI de l’Йthique. Mais, par la prudence, la raison commande
bien, comme il est dit au mкme endroit. Dиs lors, il est clair que c’est de
la prudence que relиve ce qui est le principal dans la connaissance qui
dirige. C’est pourquoi la prudence est
йtablie comme vertu cardinale. De mкme, la rectitude de l’acte par comparaison
avec quelque chose d’extйrieur possиde assurйment le caractиre de bien et de
louable, mкme dans ce qui relиve de la personne elle-mкme, mais elle est
surtout louйe pour ce qui se rapporte а autrui, а savoir, quand l’homme rend
droit son acte, non seulement а son йgard, mais aussi dans ce qu’il partage
avec d’autres. Le Philosophe dit en effet, au livre V de l’Йthique,
que beaucoup peuvent faire usage de la vertu dans ce qui leur est propre,
mais ne le peuvent pas dans celles qui concernent autrui. C’est pourquoi la justice est йtablie comme vertu
principale, par laquelle l’homme est ajustй et rendu йgal aux autres, avec
lesquels il doit partager. Ainsi, l’on appelle communйment juste ce qui est
agencй de maniиre appropriйe. Or, la modйration ou la retenue appellent la
louange et ont le caractиre de bien, surtout lа oщ la passion entraоne, que
la raison doit rйfrйner pour qu’on parvienne au milieu de la vertu. Or, la
plus grande passion pousse а poursuivre les plus grands plaisirs : les
plaisirs du toucher. C’est pourquoi la tempйrance est
йtablie comme vertu cardinale, qui rйprime les concupiscences dйlectables au
toucher. Mais la fermetй appelle la louange et a le caractиre de bien, lа oщ
la passion pousse surtout а fuir; et cela arrive principalement dans les plus
grands dangers : les dangers de mort. C’est pourquoi la force est йtablie comme vertu
cardinale, par laquelle l’homme est intrйpide face aux dangers de mort. Parmi
ces quatre vertus, la prudence
se trouve assurйment dans la raison, la justice dans la volontй, la force dans l’irascible, la tempйrance dans le concupiscible, les seules puissances qui
peuvent кtre principes d’un acte humain, c’est-а-dire volontaire. Ainsi
ressort clairement le caractиre des vertus cardinales, tant du cфtй des modes
de la vertu, qui sont pour ainsi dire des raisons formelles, que du cфtй de
la matiиre, et aussi du cфtй du sujet.
Solutions
:
[66675]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de praedictis quatuor
virtutibus cardinalibus aliqui dupliciter loquuntur. Quidam enim utuntur
praedictis quatuor nominibus ad significandum generales modos virtutum : puta
omnem cognitionem dirigentem vocantes prudentiam; omnem rectitudinem
adaequantem actus humanos vocantes iustitiam; omnem moderationem refrenantem
appetitum hominis a temporalibus bonis vocantes temperantiam; omnem
firmitatem animi stabilientem hominem in bono contra insultum quorumcumque
malorum, fortitudinem appellantes. Et ita videtur uti his nominibus
Augustinus in Lib. de moribus Eccles.; et secundum hoc potest intelligi
praedictum verbum Gregorii : quia una harum conditionum ad veram virtutis
rationem non sufficit nisi omnes praedictae conditiones concurrant. Secundum hoc ergo praedicta quatuor dicuntur quatuor virtutes non
propter diversas species habituum quae attenduntur secundum diversa obiecta,
sed secundum diversas rationes formales. Alii vero, sicut Aristoteles in Lib.
Ethic., loquuntur de praedictis quatuor virtutibus secundum quod sunt
speciales virtutes determinatae ad proprias materias; et secundum hoc etiam
potest verificari dictum Gregorii : per modum enim cuiusdam redundantiae,
praedictae virtutes sunt circa illas materias in quibus potissime
commendantur praedictae generales quatuor virtutis conditiones. Unde secundum
hoc fortitudo temperans est, et temperantia fortis, quia qui potest refrenare
appetitum suum ne consequatur concupiscentias delectationum, quod pertinet ad
temperantiam, multo magis poterit refrenare motum audaciae in periculis; et
similiter qui potest stare firmus contra pericula mortis, multo magis potest
stare firmus contra illecebras voluptatum. Et secundum hoc, id quod est principaliter
temperantiae, transit ad fortitudinem, et e converso; et eadem ratio est in
aliis.
1. Certains
parlent de deux faзons des quatre vertus cardinales mentionnйes. Certains, en
effet, utilisent ces quatre noms pour signifier des modes gйnйraux des
vertus, par exemple, en appelant prudence toute connaissance qui dirige, en
appelant justice toute rectitude qui ajuste les actes humains, en appelant
tempйrance toute modйration qui rйfrиne l’appйtit de l’homme pour les biens
temporels, en appelant force toute fermetй de l’вme qui maintient solidement
l’homme dans le bien contre l’assaut de n’importe quel mal. Augustin semble
utiliser ces noms de cette maniиre dans le Livre sur le comportement de
l’Йglise. L’on peut comprendre ainsi la parole citйe de Grйgoire, qu’une
de ces conditions ne suffit pas au vйritable caractиre de vertu, si toutes
les conditions mentionnйes ne sont pas satisfaites. Dиs lors, les quatre
dispositions citйes sont quatre vertus, non par les diverses espиces
d’habitus en rapport avec des objets divers, mais selon diverses raisons
formelles. Mais d’autres, comme Aristote dans l’Йthique, parlent des
quatre vertus mentionnйes comme de vertus spйciales, dйterminйes selon leurs
matiиres propres. Ainsi se vйrifie aussi ce qu’a dit Grйgoire : en effet, par
mode d’une certaine redondance, les vertus mentionnйes portent sur les
matiиres dans lesquelles sont louйes au plus haut point les quatre conditions
gйnйrales de la vertu indiquйes. Dиs lors, la force est tempйrante et la
tempйrance, forte, parce que celui qui peut rйfrйner son appйtit, afin de ne
pas rechercher la concupiscence des plaisirs, tвche qui relиve de la tempйrance,
pourra bien davantage rйfrйner le mouvement d’audace dans les dangers; et de
mкme, celui qui peut demeurer ferme contre les dangers de mort peut bien
davantage rester ferme contre les sйductions des plaisirs. Ainsi, ce qui
relиve principalement de la tempйrance passe du cфtй de la force, et
inversement. Et c’est la mкme chose pour les autres.
[66676]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in fine appetitus hominis
quiescit; et ideo virtutum theologicarum, quae sunt circa finem ultimum,
principalitas non comparatur cardini, qui movetur, sed magis fundamento et
radici, quae sunt stantia et quiescentia, secundum illud ad Ephes., III, 17 :
in caritate radicati et fundati.
2. L’appйtit
humain trouve son repos dans la fin. Ainsi la supйrioritй des vertus
thйologales, qui concernent la fin ultime, n’est pas comparйe au gond qui est
mis en mouvement, mais plutфt а la fondation et а la racine, qui sont stables
et en repos, selon ce que dit Ep 3, 17 : Enracinйs et fondйs
dans l’amour.
[66677] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in VI Ethic., prudentia
est recta ratio agibilium. Agibilia autem dicuntur moralia opera, ut ex his
quae ibi dicuntur, apparet. Et ideo prudentia convenit cum moralibus virtutibus
quantum ad sui materiam; et propter hoc connumeratur eis, licet quantum ad
suam essentiam vel subiectum sit intellectualis.
3. Selon le
Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison
dans les actions а poser. Or, les actes moraux sont des actions а poser,
comme le montrent celles dont on parle lа. Ainsi la prudence a quelque chose
en commun avec les vertus morales du fait de sa propre matiиre; c’est
pourquoi elle est comptйe parmi elles, bien qu’elle soit [une vertu]
intellectuelle pour ce qui est de son essence ou son sujet.
[66678]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, ex hoc ipso
quod non est circa humana, sed circa divina, non communicat cum virtutibus
moralibus in materia : unde non connumeratur virtutibus moralibus, ut simul
cum eis dicatur cardinalis virtus, quia ipsa ratio cardinis repugnat
contemplationi, quia non est sicut ostium, quo intratur ad aliquid aliud; sed
magis actio moralis est ostium, per quod ad contemplationem sapientiae intratur.
4. La
sagesse, parce qu’elle ne concerne pas l’humain mais le divin, n’a rien en
commun avec les vertus morales pour ce qui est de la matiиre. Ainsi, elle
n’est pas comptйe parmi les vertus morales, de sorte qu’on ne l’appelle pas
vertu cardinale, comme elles, parce que la notion mкme de cardinal est
incompatible avec la contemplation, qui n’est pas comme une porte par
laquelle on pйnиtre dans quelque chose d’autre; mais l’action morale est
plutфt une entrйe par laquelle on pйnиtre dans la contemplation de la
sagesse.
[66679]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si praedictae quatuor
virtutes accipiantur secundum quod significant generales conditiones
virtutum, secundum hoc omnes virtutes speciales, de quibus philosophus
tractat in Lib. Ethic., reducuntur ad has quatuor virtutes
sicut species ad genus. Si vero accipiantur secundum quod sunt speciales
virtutes circa quasdam materias principales, sic aliae reducuntur ad eas
sicut secundarium ad principale ut eutrapelia quae moderatur delectationem
ludi, potest reduci ad temperantiam, quae moderatur delectationes tactus;
unde et Tullius in II rhetoricae, ponit alias virtutes esse partes harum
quatuor. Quod potest intelligi dupliciter : uno modo quod sint partes
subiectivae secundum primum modum sumendi has virtutes; alio modo quod sint
partes potentiales, si sumantur secundo modo virtutes praedictae; sic sensus
est pars potentialis, quia non nominat totam virtutem animae, sed aliquid
eius.
5. Si l’on
considиre les quatre vertus mentionnйes selon qu’elles indiquent les
conditions gйnйrales des vertus, toutes les vertus spйciales dont traite le
Philosophe dans l’Йthique se ramиnent alors а ces quatre vertus, comme
les espиces au genre. Mais si on les considиre selon qu’elles sont des vertus
spйciales qui concernent certaines matiиres principales, alors les autres se
ramиnent а celles-ci comme le secondaire au principal, comme l’eutrapelia, qui rиgle le plaisir du
jeu, peut кtre ramenйe а la tempйrance, qui rиgle les plaisirs du toucher.
Ainsi Cicйron, au livre II de La
Rhйtorique, йtablit que les autres vertus sont des parties de ces quatre
vertus. Ce que l’on peut comprendre de deux faзons : d’une permiиre faзon,
elles sont des parties subjectives, selon la premiиre maniиre de considйrer
ces vertus; d’une seconde faзon, elles sont des parties potentielles, si l’on
considиre les vertus mentionnйes de la seconde maniиre. Ainsi le sens est une
partie potentielle, parce qu’il ne dйsigne pas toute la puissance de l’вme,
mais une partie de celle-ci.
[66680]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est de ratione
temperantiae quod omnes pravas concupiscentias excludat, sed quod temperatus
non patiatur aliquas tales concupiscentias vehementes et fortes, sicut
patiuntur illi qui non studuerunt concupiscentias refrenare. Paulus igitur
patiebatur concupiscentias inordinatas propter fomitis corruptionem : non
tamen fortes neque vehementes, quia studebat eas reprimere castigando corpus
suum, et in servitutem redigendo; unde vere temperatus erat.
6. Le fait
d’exclure toutes les mauvaises concupiscences ne fait pas partie de la notion
de tempйrance, mais le fait que l’homme tempйrй ne subissent pas de telles
concupiscences fortes et violentes, comme en subissent ceux qui n’ont pas
appris а rйfrйner leurs concupiscences. Paul subissait donc des
concupiscences dйsordonnйes en raison de la corruption qui l’enflammait;
elles n’йtaient cependant ni fortes ni violentes, parce qu’il s’efforзait de
les rйprimer en chвtiant son corps et en l’asservissant. C’est pourquoi il
йtait vraiment tempйrй.
[66681]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iustitia, per quam
ordinamur ad alterum, non est circa passiones proprias, sed circa operationes
quibus communicamus cum aliis, sicut sunt emptio et venditio, et alia
huiusmodi : temperantia autem et fortitudo sunt circa proprias passiones. Et
ideo, sicut in homine est una vis appetitiva sine passione id est voluntas,
duae autem cum passione, id est concupiscibilis et irascibilis : ita est una
virtus cardinalis ordinans ad proximum, duae autem ordinantes hominem ad
seipsum.
7. La
justice, qui nous ordonne а autrui, ne concerne pas les passions qui nous
sont propres mais les opйrations par lesquelles nous partageons avec les
autres, comme l’achat et la vente, et d’autres de ce genre. Or, la tempйrance
et la force concernent les passions propres. Ainsi, de mкme qu’il y a en
l’homme une seule force appйtitive sans passion, la volontй, mais deux avec
passion, le concupiscible et l’irascible, de mкme il y a une vertu cardinale
qui ordonne l’homme au prochain, mais deux qui l’ordonnent а lui-mкme.
[66682]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas dicitur esse omnis
virtus non essentialiter, sed causaliter, quia scilicet caritas est mater
omnium virtutum. Semper autem effectus magis multiplicatur quam causa; et
ideo oportet aliarum virtutum esse maiorem multiplicitatem quam caritatis.
8. On dit que
la charitй est toute vertu, non essentiellement mais en tant que cause, parce
que la charitй est mиre de toutes les vertus. Or, l’effet est toujours plus
multipliй que la cause. Il faut donc que la multiplicitй des autres vertus
soit plus grande que celle de la charitй.
[66683]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diversa ratio receptionis
potest esse vel ex parte materiae, quae receptiva est formae; et talis
diversitas facit diversitatem generis; vel ex parte formae, quae diversimode
receptibilis est in materia : et talis diversitas facit diversitatem speciei.
Et ita est in proposito.
9. La
rйception peut se faire de maniиre diverse : soit dans la matiиre, qui reзoit
la forme – et une telle diversitй fait la diversitй du genre –, soit dans la
forme, qui peut кtre reзue de diverses maniиres dans la matiиre – et une
telle diversitй fait la diversitй de l’espиce. Il en va de mкme dans le sujet
traitй.
[66684] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes morales attingunt rationem sicut
regulam proximam, Deum autem sicut regulam primam. Res autem specificantur secundum
propria et proxima principia, non secundum principia prima.
10. Les
vertus morales ont un rapport avec la raison comme la rиgle seconde, mais
avec Dieu comme la rиgle premiиre. Or, les choses sont spйcifiйes par leurs
principes propres et prochains, non par les principes premiers.
[66685]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod principalis pars hominis
est pars rationalis. Sed rationale est duplex : scilicet per essentiam et per
participationem; et sicut ipsa ratio est principalior quam vires
participantes ratione, ita etiam prudentia est principalior quam aliae
virtutes.
11. La partie
principale de l’homme est la partie rationnelle. Mais le rationnel est double
: par essence et par participation. De mкme que la raison elle-mкme l’emporte
sur les forces qui participent а la raison, de mкme la prudence l’emporte
aussi sur les autres vertus.
[66686]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtutes cardinales
dicuntur principaliores omnibus aliis, non quia sunt omnibus aliis
perfectiores, sed quia in eis principalius versatur humana vita, et super eas
aliae virtutes fundantur. Manifestum est autem quod humana vita magis
versatur circa iustitiam, quam circa liberalitatem : utimur enim iustitia ad
omnes, liberalitate autem ad paucos. Ipsa autem liberalitas supra iustitiam
fundatur : non enim esset liberalis donatio, nisi aliquis daret de suo; per
iustitiam autem distinguuntur propria ab alienis.
12. On dit
que les vertus cardinales l’emportent sur toutes les autres, non parce
qu’elles sont plus parfaites que toutes les autres, mais parce que la vie
humaine repose surtout sur elles et que les autres vertus sont fondйes sur
elles. Or, il est clair que la vie humaine repose plus sur la justice que sur
la libйralitй, car nous faisons usage de la justice pour tous, mais de la
libйralitй pour un petit nombre. Or, la libйralitй elle-mкme est fondйe sur
la justice, car il n’y aurait pas de don libйral si on ne donnait pas de ce
qui est а soi. Et c’est par la justice qu’on distingue ses biens propres de
ceux d’autrui.
[66687]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humilitas firmat
omnes virtutes indirecte, removendo quae bonis virtutum operibus insidiantur,
ut pereant; sed in virtutibus cardinalibus firmantur aliae virtutes directe.
13.
L’humilitй affermit indirectement toutes les vertus, en йloignant ce qui tend
des embыches aux actions bonnes des vertus en vue de les dйtruire. Mais dans
les vertus cardinales, les autres vertus sont affermies directement.
[66688]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod patientia
includitur in fortitudine : nam fortis habet id quod est patientis, ut
scilicet non conturbetur ex imminentibus malis; et etiam addit amplius, ut
scilicet in mala imminentia exiliat secundum quod oportet.
14. La
patience est contenue dans la force. L’homme fort, en effet, a les
caractйristiques de l’homme patient : il ne se laisse pas troubler par des
maux imminents. Et il en ajouteajoute encore plus : il s’йlance mкme vers les
maux imminents, comme il convient.
[66689]
De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ex hoc ipso quod
magnanimitas est ornatus aliarum virtutum, manifestatur quod alias virtutes
praesupponit, in quibus fundatur; et ex hoc apparet quod aliae sunt magis
principales quam ipsa.
15. Parce que
la magnanimitй est la parure des autres vertus, il est clair qu’elle
prйsuppose les autres vertus sur lesquelles elle est fondйe. Dиs lors, il
apparaоt que celles-ci l’emportent sur elle.
[66691]
De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non. [66692] De virtutibus, q. 5 a.
2 arg. 1 Dicit enim Beda super Lucam, quod sancti magis humiliantur de
virtutibus quas non habent, quam extollantur de virtutibus quas habent. Ergo
quasdam habent, et quasdam non habent; non ergo virtutes sunt connexae.
Il semble que non.
1. Bиde dit en effet, en commentant Luc, que
les saints sont plus humiliйs des vertus qu’ils ne possиdent pas qu’ils ne
s’enorgueillissent des vertus qu’ils possиdent. Ils en possиdent donc
certaines mais n’en possиdent pas d’autres. Les vertus ne sont donc pas
connexes.
[66693]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, homo post poenitentiam est in statu
caritatis : de his autem patitur difficultatem operandi propter consuetudinem
praecedentem, ut dicit Augustinus contra Iulianum; et sic huiusmodi
difficultas videtur provenire ex habitu contrario virtuti, per malam
consuetudinem acquisitam, cum quo non potest simul esse virtus ei contraria.
Ergo aliquis potest habere unam virtutem, scilicet caritatem, et carebit
aliis.
2. Aprиs le
repentir, l’homme est en йtat de charitй. Or, il a de la difficultй а agir en
raison d’une habitude prйcйdente, comme le dit Augustin contre Julien. Ainsi,
une difficultй de ce genre semble provenir d’un habitus contraire а la vertu,
acquis par une mauvaise habitude, qui ne peut pas exister en mкme temps que
la vertu qui lui est contraire. On peut donc possйder une vertu, la charitй,
et кtre privй des autres.
[66694] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea in omnibus
baptizatis caritas invenitur. Sed quidam baptizati non habent prudentiam, ut
patet maxime in morionibus et phreneticis, qui non possunt esse prudentes,
secundum philosophum; et etiam in quibusdam adultis simplicibus, qui non bene
videntur esse prudentes, cum non sint bene consiliativi, quod est opus
prudentiae. Non ergo qui habet unam virtutem, scilicet caritatem habet omnes
alias.
3. Chez tous
les baptisйs se trouve la charitй. Mais certains baptisйs ne possиdent pas la
prudence, comme on le voit surtout chez les idiots et les frйnйtiques, qui ne
peuvent pas кtre prudents, selon le Philosophe; et aussi chez certains
adultes ingйnus, qui ne semblent pas кtre bien prudents, vu qu’ils ne sont
pas bons conseillers, ce qui est l’њuvre de la prudence. Donc, celui qui
possиde une seule vertu, la charitй, ne possиde pas toutes les autres.
[66695]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum in VI Ethic.,
prudentia est recta ratio agibilium, sicut ars est recta ratio factibilium. Sed homo potest habere rectam rationem circa unum genus factibilium
puta circa fabrilia, et non habebit rectam rationem circa alia artificialia.
Ergo etiam potest habere prudentiam circa unum genus agibilium, puta circa
iusta, et non habebit circa aliud genus, puta circa fortia; et ita poterit
habere unam virtutem absque alia.
4. Selon le
Philosophe, au livre VI de l’Йthique, la prudence est la droite raison
dans la conduite а tenir, comme l’art est la droite raison dans les choses а
faire. Mais l’homme peut possйder la droite raison qui concerne un seul genre
de choses а faire, par exemple, les objets а forger, mais il ne possйdera pas
la droite raison qui concerne d’autres choses qui relиve de l’art. Il peut
donc aussi possйder la prudence qui concerne un seul genre d’actions, par
exemple, ce qui est juste, mais il ne la possйdera pas dans un autre genre,
par exemple, ce qui est fort. Ainsi il pourra possйder une seule vertu sans
les autres.
[66696]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea, philosophus dicit in IV Ethic., quod non
omnis liberalis est magnificus, et tamen utrumque est virtus, scilicet
liberalitas et magnificentia; et similiter dicit, quod aliqui sunt moderati,
non tamen magnanimi. Non ergo quicumque habet unam virtutem, habet omnes.
5. Le
Philosophe dit, au livre IV de l’Йthique, que tout homme libйral ne
fait pas de grandes choses, alors que les deux sont des vertus : la
libйralitй et la magnificence. Il dit de mкme que certains hommes sont
modйrйs mais non magnanimes. Celui qui possиde une vertu ne les possиde donc
pas toutes.
[66697] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 6 Praeterea, apostolus dicit I ad Corinth., cap. XII, 4 : divisiones
gratiarum sunt; et postea subdit : alii datur per spiritum
sermo sapientiae, alii sermo scientiae, quae sunt intellectuales
virtutes, alii fides, quae est virtus theologica. Ergo aliquis habet unam
virtutem, et non habet aliam.
6. L’Apфtre
dit, dans 1 Co 12, 4 : Il y a diversitй des grвces,
puis il ajoute : А l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnйe par
l’Esprit, а l’autre, une parole de science – qui sont des vertus
intellectuelles –, а un autre, la foi – qui est une vertu thйologale.
On possиde donc une vertu sans en possйder une autre.
[66698]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 7 Praeterea, virginitas est quaedam virtus, ut
Cyprianus dicit. Sed multi habent alias virtutes qui non habent virginitatem.
Ergo non quicumque habet unam virtutem, habet omnes.
7. La
virginitй est une vertu, comme le dit Cyprien. Or, beaucoup de ceux qui ne
possиdent pas la virginitй possиdent d’autres vertus. Celui qui possиde une
vertu ne les possиde donc pas toutes.
[66699]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VI Ethic., quod
Anaxagoram et Thaletem sapientes quidem dicimus, non autem prudentes. Sed
sapientia et prudentia sunt quaedam virtutes intellectuales. Ergo aliquis
potest habere unam virtutem sine aliis.
8. Le
Philosophe dit, au livre VI de l’Йthique, que nous disons d’Anaxagore
et de Thalиs qu’ils sont sages, mais non pas prudents. Or, la sagesse et la
prudence sont des vertus intellectuelles. On peut donc possйder une vertu
sans les autres.
[66700] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 9 Praeterea, philosophus in eodem Lib. dicit, quod quidam habent
inclinationem ad unam virtutem, et non ad aliam. Potest ergo contingere
quod aliquis exercitetur in actibus unius virtutis, et non in actibus
alterius. Sed ex exercitio actuum acquiruntur quaedam virtutes, ut patet per
philosophum in II Ethic. Ergo, saltem, virtutes acquisitae non sunt connexae.
9. Le
Philosophe dit, au mкme livre, que certains ont une inclination pour une
vertu, et non pour une autre. Il peut donc arriver que l’on s’exerce dans les
actes d’une vertu, et non dans les actes d’une autre. Or, l’on acquiert
certaines vertus par l’exercice de leurs actes, comme cela ressort clairement
de ce que dit le Philosophe au livre II de l’Йthique. Les vertus
acquises, du moins, ne sont donc pas connexes.
[66701]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus etsi secundum aptitudinem sit a
natura, tamen secundum esse perfectum non est a natura, ut dicitur in II
Ethic. Manifestum est etiam quod non est a fortuna, quia quae sunt a fortuna,
sunt praeter electionem. Relinquitur ergo quod virtus acquiratur in nobis vel
a proposito vel a Deo. Sed a proposito (ut videtur) potest acquiri una virtus
sine alia : quia unus potest habere intentionem ad acquirendum unam virtutem,
et non aliam. Similiter etiam et a Deo : quia aliquis potest petere a Deo
unam virtutem, et non aliam. Ergo omnibus modis una virtus potest esse sine alia.
10. La vertu,
bien qu’elle vienne de la nature pour ce qui est de l’aptitude, ne reзoit
cependant pas son кtre parfait de la nature, comme il est dit au livre II de l’Йthique.
Il est aussi clair qu’elle ne vient pas de la fortune, parce que ce qui vient
de la fortune est au-delа du choix. Il reste donc que la vertu est acquise en
nous soit par dessein, soit par Dieu. Mais par dessein (а ce qu’il semble),
on peut acquйrir une vertu sans les autres, parce qu’un homme peut vouloir
acquйrir une vertu et non une autre. Il en va de mкme pour Dieu, parce que
l’on peut demander а Dieu une vertu, et non une autre. De toutes les faзons,
une vertu peut donc exister sans une autre.
[66702] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 11 Praeterea, finis in moralibus comparatur ad actus virtutum in
moralibus, sicut in demonstrativis principia ad conclusiones. Sed homo potest
habere unam conclusionem sine alia. Ergo potest habere unam virtutem sine
alia.
11. La fin
dans les rйalitйs morales se compare aux actes des vertus dans les rйalitйs
morales, comme les principes le font aux conclusions dans les dйmonstrations.
Or, l’homme peut possйder une conclusion sans une autre. Il peut donc
possйder une vertu sans une autre.
[66703]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit in quadam Epist. de
sententia Iacobi, quod non est divina sententia, qua dicitur : qui habet unam
virtutem, habet omnes; et quod homo potest habere unam virtutem sine alia,
puta misericordiam, et non continentiam; sicut et in membris corporis unum potest
esse illuminatum, sive decorum aut sanum, sine alio. Ergo virtutes non sunt
connexae.
12. Augustin
dit, dans une lettre а propos d’une position de Jacques, que ce n’est pas une
position divine par laquelle on dit : « Celui qui possиde une vertu les
possиde toutes », et que l’homme peut possйder une vertu sans une autre,
par exemple, la misйricorde et non la continence. De mкme aussi, dans les
membres du corps, l’un peut кtre mis en valeur, ou parй ou en santй, sans un
autre. Les vertus ne sont donc pas connexes.
[66704]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 13 Praeterea, ea quae sunt connexa, aut hoc est ratione
principii, aut ratione subiecti, aut ratione obiecti. Sed non ratione
principii, quod est Deus, quia, secundum hoc, omnia bona quae sunt a Deo,
essent connexa; nec etiam ratione subiecti, quod est anima, quia secundum hoc
omnes non essent connexae; nec iterum ratione obiecti, quia per obiecta
distinguuntur : non est autem idem principium distinctionis et connexionis.
Ergo et cetera.
13. Ce qui
est connexe l’est soit en raison du principe, soit en raison du sujet, soit
en raison de l’objet. Or, ce n’est pas en raison du principe, qui est Dieu,
parce que, de cette maniиre, tous les biens qui viennent de Dieu seraient
connexes; ni en raison du sujet, qui est l’вme, parce que, de cette maniиre,
toutes les vertus ne sont pas connexes; ni en raison de l’objet, parce que ce
sont les objets qui distinguent les vertus. Or, les principes de distinction
et de connexion ne sont pas les mкmes. Donc, etc.
[66705]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 14 Praeterea, intellectuales virtutes non habent
connexionem cum moralibus; sicut patet maxime de intellectu principiorum, qui
potest haberi sine moralibus virtutibus. Sed prudentia est virtus
intellectualis, quae ponitur una cardinalium. Ergo non habet connexionem cum
aliis cardinalibus, quae sunt virtutes morales.
14. Les
vertus intellectuelles n’ont pas de connexion avec les vertus morales, comme
le montre surtout la comprйhension des principes, qui peut кtre possйdйe sans
les vertus morales. Or, la prudence est une vertu intellectuelle qui est
donnйe comme une des vertus cardinales. Elle n’a donc pas de connexion avec
les autres vertus cardinales, qui sont des vertus morales.
[66706]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 15 Praeterea, in patria non erit fides et spes, sed
tantum erit ibi caritas. Ergo etiam in statu perfectissimo virtutes non erunt
connexae.
15. Dans la
patrie, il n’y aura pas de foi ni d’espйrance, mais il y aura seulement la
charitй. Mкme dans l’йtat le plus parfait, les vertus ne seront donc pas
connexes.
[66707]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 16 Praeterea, Angeli, in quibus non sunt virtutes
sensitivae, et similiter animae separatae, habent caritatem et iustitiam,
quae est perpetua et immortalis; non autem habent temperantiam et
fortitudinem, quia hae virtutes sunt irrationabilium partium, ut dicitur in
III Ethic. Ergo virtutes non sunt connexae.
16. Les
anges, qui ne possиdent pas de puissances sensitives, ainsi que les вmes
sйparйes [du corps], possиdent la charitй et la justice, qui est йternelle et
immortelle, mais ils ne possиdent pas la tempйrance ni la force, parce que
ces vertus appartiennent aux parties irrationnelles, comme il est dit au
livre III de l’Йthique. Les vertus ne sont donc pas connexes.
[66708]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 17 Praeterea, sicut sunt virtutes quaedam animae, sunt
etiam quaedam virtutes corporales. Sed in virtutibus corporalibus non est
connexio, quia aliquis habet visum qui non habet auditum. Ergo neque etiam in
virtutibus animae.
17. De mкme
qu’il y a des puissances spirituelles, de mкme il y a des puissances
corporelles. Mais dans les puissances corporelles, il n’y a pas de connexion,
parce que l’on peut possйder la vue et ne pas possйder l’ouпe. Il n’y en a
donc pas non plus dans les puissances spirituelles.
[66709]
De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 18 Praeterea, dicit Gregorius super Ezechielem, quod
nemo repente fit summus; et in Psalm. LXXXIII, 8, dicitur, quod ibunt de
virtute in virtutem. Non ergo simul acquirit homo virtutes, sed
successive; et ita virtutes non sunt connexae.
18. Grйgoire
dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel,
que personne n’atteint soudainement le degrй le plus йlevй; et dans le Psaume 83, 8, il est dit qu’ils
iront de vertu en vertu. L’homme n’acquiert donc pas les vertus en mкme
temps, mais successivement. Ainsi les vertus ne sont pas connexes.
Cependant
:
[66710] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed
contra. Est
quod Ambrosius dicit super Luc. : connexae sunt et concatenatae : ut qui
unam habuerit, omnes habere videatur.
1. Ambroise dit, dans le Traitй sur l’Йvangile de Luc :
« Elles sont connexes et enchaоnйes, de sorte que celui qui en
possйderait une semblerait les possйder toutes. »
[66711]
De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit XXII Moral., quod si una
virtus sine alia habeatur, aut virtus non est, aut perfecta non est. Sed
perfectio est de ratione virtutis : virtus enim est perfectio quaedam, ut
dicitur in VII Physic. Ergo virtutes sunt connexae.
2. Grйgoire dit, au livre XXII des Morales sur Job, que, si l’on possиde
une vertu sans une autre, c’est soit qu’elle n’est pas une vertu, soit
qu’elle n’est pas parfaite. Or, la perfection fait partie de la notion de
vertu, car la vertu est une certaine perfection, comme il est dit au livre VII
de la Physique. Les vertus sont
donc connexes.
[66712] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 3 Praeterea, super illud
Ezech., I, 11 : duae pennae singulorum iungebantur, Glossa dicit, quod
virtutes sunt coniunctae; ut qui una caruerit, alia careat.
3. Au sujet de cette phrase
d’Ez 1, 11 : Leurs ailes йtaient jointes l’une а l’autre,
la Glose dit que les vertus sont unies, de sorte que celui qui serait privй
de l’une serait privй de l’autre.
Rйponse
:
[66713] De virtutibus, q. 5 a. 2 co. Respondeo.
Dicendum, quod de virtutibus dupliciter possumus loqui : uno modo de
virtutibus perfectis; alio modo de virtutibus imperfectis. Perfectae quidem virtutes
connexae sibi sunt; imperfectae autem virtutes non sunt ex necessitate
connexae. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum virtus sit quae hominem
bonum facit, et opus eius bonum reddit, illa est virtus perfecta quae
perfecte opus hominis bonum reddit, et ipsum bonum facit; illa autem est
imperfecta, quae hominem et opus eius reddit bonum non simpliciter, sed quantum
ad aliquid. Bonum autem simpliciter in actibus humanis invenitur per hoc quod
pertingitur ad regulam humanorum actuum; quae quidem est una quasi homogenea
et propria homini, scilicet ratio recta, alia autem est sicut prima mensura
transcendens, quod est Deus. Ad rationem autem rectam attingit homo per
prudentiam, quae est recta ratio agibilium, ut philosophus dicit in VI Ethic.
Ad Deum autem attingit homo per caritatem, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui
manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo. Sic igitur est triplex
gradus virtutum. Sunt enim quaedam virtutes omnino imperfectae, quae sine
prudentia existunt, non attingentes rationem rectam, sicut sunt inclinationes
quas aliqui habent ad aliqua virtutum opera etiam ab ipsa nativitate, secundum
illud Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero
egressa est mecum. Huiusmodi autem inclinationes non simul insunt
omnibus, sed quidam habent inclinationem ad unum, quidam ad aliud. Hae autem
inclinationes non habent rationem virtutis, quia virtute nullus male utitur,
secundum Augustinum; huiusmodi autem inclinationibus potest aliquis male uti
et nocive, si sine discretione utatur; sicut equus, si visu careret, tanto
fortius impingeret, quanto fortius curreret. Unde Gregorius dicit in XXII
Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant,
virtutes esse nequaquam possunt; unde ibi inclinationes quae sunt sine
prudentia, non habent perfecte rationem virtutis. Secundus autem gradus
virtutum est illarum quae attingunt rationem rectam, non tamen attingunt ad
ipsum Deum per caritatem. Hae quidem aliqualiter sunt perfectae per
comparationem ad bonum humanum, non tamen sunt simpliciter perfectae, quia
non attingunt ad primam regulam, quae est ultimus finis, ut Augustinus dicit
contra Iulianum. Unde et deficiunt a vera ratione virtutis; sicut et morales
inclinationes absque prudentia deficiunt a vera ratione virtutis. Tertius
gradus est virtutum simpliciter perfectarum, quae sunt simul cum caritate;
hae enim virtutes faciunt actum hominis simpliciter bonum, quasi attingentem
usque ad ultimum finem. Est autem considerandum ulterius, quod, sicut
virtutes morales esse non possunt absque prudentia, ratione iam dicta, ita
nec prudentia potest esse sine virtutibus moralibus; est enim prudentia recta
ratio agibilium. Ad ipsam autem rectam rationem in quolibet genere requiritur
quod aliquis habeat aestimationem et iudicium de principiis, ex quibus ratio
illa procedit; sicut in geometricalibus non potest aliquis habere
aestimationem rectam, nisi habeat rectam rationem circa principia
geometricalia. Principia autem agibilium sunt fines; ex his
enim sumitur ratio agendorum. De fine autem habet aliquis rectam
existimationem per habitum virtutis moralis; quia, ut philosophus dicit in
III Ethic., qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei; sicut virtuoso
videtur appetibile, ut finis, bonum quod est secundum virtutem; et vitioso
illud quod pertinet ad illud vitium; et est simile de gustu infecto et sano. Unde necesse est quod
quicumque habet prudentiam, habeat etiam virtutes morales. Similiter etiam
quicumque habet caritatem, oportet quod habeat omnes alias virtutes. Caritas
enim est in homine ex infusione divina, secundum illud Rom. V, 5 : caritas
Dei diffusa est in cordibus nostris per spiritum sanctum, qui datus est nobis.
Deus autem ad quaecumque dat inclinationem, dat etiam formas aliquas, quae
sunt principia operationum et motuum, ad quos res inclinatur a Deo; sicut
igni dat levitatem, per quam prompte et faciliter sursum tendit; unde, ut
dicitur Sap. VIII, 1, disponit omnia suaviter. Oportet igitur quod
similiter cum caritate infundantur habituales formae expedite producentes
actus ad quos caritas inclinat. Inclinat autem caritas ad omnes actus
virtutum, quia cum sit circa finem ultimum, importat omnes actus virtutum.
Quaelibet enim ars vel virtus ad quam pertinet finis, imperat his quae sunt
circa finem, sicut militaris equestri, et equestris frenorum factrici, ut
dicitur in I Ethicor. Unde secundum decentiam divinae sapientiae et bonitatis,
ad caritatem simul habitus omnium virtutum infunduntur; et ideo dicitur I ad
Corinth. XII, v. 4 : caritas patiens est, benigna est, et cetera. Sic
ergo, si accipiamus virtutes simpliciter perfectas, connectuntur propter
caritatem; quia nulla virtus talis sine caritate haberi potest, et caritate
habita omnes habentur. Si autem accipiamus virtutes perfectas in secundo
gradu, respectu boni humani, sic connectuntur per prudentiam; quia sine
prudentia nulla virtus moralis esse potest, nec prudentia haberi potest, si
cui deficiat moralis virtus. Si tamen accipiamus quatuor cardinales virtutes,
secundum quod important quasdam generales conditiones virtutum, secundum hoc
habent connexionem, ex hoc quod non sufficit ad aliquem actum virtutis quod
adsit una harum conditionum, nisi omnes adsint; et secundum hoc videtur
assignare causas connexionis Gregorius, in Lib. XXI Moralium
Nous pouvons parler des vertus de deux
maniиres : d’une maniиre, de vertus parfaites; d’une autre maniиre, de vertus
imparfaites. Or, les vertus parfaites sont connexes, alors que les vertus
imparfaites ne sont pas nйcessairement connexes. Pour le montrer, il faut
savoir ceci : comme c’est la vertu qui rend l’homme bon et rend son њuvre
bonne, c’est une vertu parfaite qui rend parfaitement bonne l’њuvre de
l’homme et le rend lui-mкme bon; mais elle est imparfaite celle qui rend bons
l’homme et son њuvre, non pas simplement, mais de maniиre relative. Or, on
trouve ce qui est simplement bon dans les actes humains dans ce qui atteint
la rиgle des actes humains. Or, une [rиgle] est pour ainsi dire homogиne et
propre а l’homme, а savoir, la droite raison, alors qu’une autre est comme la
premiиre mesure transcendante : Dieu. Or, l’homme atteint la droite raison
par la prudence, qui est la droite raison dans les actes а poser, comme le
dit le Philosophe au livre VI de l’Йthique. Et l’homme atteint Dieu
par la charitй, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui qui
demeure dans la charitй demeure en Dieu et Dieu en lui. Ainsi donc, il y
a un triple degrй des vertus. En effet, il y a des vertus tout а fait
imparfaites, qui existent sans la prudence, et n’atteignent pas la droite
raison, comme le sont les inclinations de certains pour certains actes des
vertus, mкme depuis leur naissance, selon ce que dit Jb 31, 18 : Dиs
l’enfance, la misйricorde a grandi avec moi, et elle est sortie du sein
maternel en mкme temps que moi. Or, les inclinations de ce genre
n’existent pas en mкme temps chez tous, mais les uns ont une inclination pour
une chose, les autres pour autre chose. Mais ces inclinations n’ont pas le
caractиre de vertu, parce que personne ne fait usage de la vertu de faзon
mauvaise, selon Augustin [livre I des Rйtractations]. Mais l’on peut faire usage
d’inclinations de ce genre de faзon mauvaise et nuisible si on en fait usage
sans discernement, comme un cheval, s’il йtait privй de la vue, se cognerait
d’autant plus fort qu’il courrait avec plus d’йnergie. Ainsi Grйgoire dit, au
livre XXII des Morales sur Job, que
toutes les autres vertus, а moins qu’elles n’accomplissent avec prudence ce
qu’elles dйsirent, ne peuvent en aucun cas кtre des vertus. Dиs lors, les
inclinations qui sont dйpourvues de prudence ne possиdent pas parfaitement le
caractиre de vertu. Le deuxiиme degrй des vertus est constituй de celles qui
atteignent la droite raison, mais n’atteignent pas Dieu lui-mкme par la
charitй. Elles sont en quelque sorte parfaites, comparйes au bien humain,
mais ne sont pas simplement parfaites, parce qu’elles n’atteignent pas la
rиgle premiиre, qui est la fin ultime, comme le dit Augustin contre Julien.
Dиs lors, le vйritable caractиre de vertu leur fait dйfaut, comme le
vйritable caractиre de vertu fait dйfaut aux inclinations morales dйpourvues
de prudence. Le troisiиme degrй des vertus est constituй des vertus
simplement parfaites, qui existent en mкme temps que la charitй. Ces vertus,
en effet, rendent tout simplement bon l’acte humain, comme s’il atteignait
mкme la fin ultime. Nйanmoins, il faut aussi observer que, de mкme que les
vertus morales ne peuvent pas exister sans la prudence, pour la raison dйjа
mentionnйe, de mкme la prudence ne peut pas exister sans les vertus morales,
car la prudence est la droite raison dans la conduite а tenir. Or, pour la
droite raison mкme, dans n’importe quel genre, il est exigй que l’on possиde
l’йvaluation et le jugement des principes d’oщ provient cette raison, comme
en gйomйtrie, on ne peut pas avoir une juste йvaluation si on ne possиde pas
la droite raison qui porte sur les principes de gйomйtrie. Or, les principes dans
la conduite а tenir sont les fins, car c’est d’elles que provient la raison
de ce qui doit кtre fait. Or, l’on possиde une juste йvaluation de la fin par
l’habitus de la vertu morale, parce que, comme le dit le Philosophe au livre
III de l’Йthique, tel est chacun, telle lui semble aussi la fin.
Ainsi, а l’homme vertueux, c’est le bien conforme а la vertu qui semble
dйsirable comme fin, alors qu’а l’homme vicieux, c’est ce qui relиve du vice.
Cela ressemble au goыt malade ou en santй. Dиs lors, il est nйcessaire que
celui qui possиde la prudence possиde aussi les vertus morales; et de mкme,
il faut que celui qui possиde la charitй possиde aussi toutes les autres
vertus. Car la charitй qui existe en l’homme provient d’une infusion divine,
selon ce que dit Rm 5, 5 : L’amour de Dieu a йtй rйpandu dans
nos cњurs par le Saint Esprit qui nous a йtй donnй. Or, Dieu donne
l’inclination pour tout; il donne aussi des formes, qui sont les principes
des actions et des mouvements vers lesquels une chose est inclinйe par Dieu,
comme il donne au feu la lйgиretй par laquelle il s’йlиve avec promptitude et
facilitй. Dиs lors, comme il est dit dans Sg 8, 1, il dispose de
tout avec douceur. Il faut donc qu’en mкme temps que la charitй, soient
rйpandues les formes habituelles qui produisent aisйment les actes auxquels
incline la charitй. Or, la charitй incline а tous les actes des vertus, parce
que, comme elle porte sur la fin ultime, elle entraоne tous les actes des
vertus. En effet, n’importe quel art ou vertu dont relиve la fin, commande
dans les choses qui portent sur la fin, comme la science militaire [commande]
а l’йquitation et l’йquitation а la fabrication des mors, ainsi qu’il est dit
au livre I de l’Йthique. Dиs lors, comme il convient а la sagesse et а
la bontй divines, les habitus de toutes les vertus sont rйpandus en mкme
temps que la charitй. Ainsi il est dit dans 1 Co 12, 4 : La
charitй est patiente, elle est pleine de bontй, etc. Ainsi donc, si nous
considйrons les vertus tout simplement parfaites, elles sont connexes grвce а
la charitй, parce que l’on ne peut possйder aucune vertu de ce genre sans la
charitй, et qu’en possйdant la charitй, on les possиde toutes. Mais si nous
considйrons des vertus parfaites du deuxiиme degrй, en rapport avec le bien
humain, alors elles sont connexes par la prudence, parce qu’aucune vertu
morale ne peut exister sans la prudence, et que quelqu’un ne peut pas
possйder la prudence s’il lui manque une vertu morale. Si nous considйrons
cependant les quatre vertus cardinales selon qu’elles comportent certaines
conditions gйnйrales des vertus, alors elles ont une connexion du fait qu’il
ne suffit pas pour un acte de vertu qu’il y ait une seule de ces conditions,
si elles n’y sont pas toutes. C’est ainsi que Grйgoire semble expliquer les
causes de la connexion dans le livre XXI des Morales sur Job.
Solutions :
[66714]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propter inclinationem
quae est ex natura, vel ex aliquo dono gratiae, quam habet aliquis magis ad
opus unius virtutis quam alterius contingit quod aliquis promptior est ad
actum unius virtutis quam alterius; et secundum hoc dicuntur sancti aliquas
virtutes habere, ad quarum actus magis sunt prompti, et aliquas non habere,
ad quas sunt minus prompti.
1. Par
l’inclination, issue de la nature ou d’un don de la grвce, que quelqu’un
possиde а l’acte d’une vertu plutфt qu’а l’acte d’une autre, il arrive qu’il
soit plus portй а l’acte d’une vertu qu’а celui d’une autre. C’est pourquoi
l’on dit que les saints possиdent certaines vertus а l’acte desquelles ils
sont plus portйs, et n’en possиdent pas certaines autres, auxquelles ils sont
moins portйs.
[66715]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum habitus secundum se
facit prompte et delectabiliter operari, potest tamen hoc impediri per
aliquid superveniens; sicut habens habitum scientiae interdum impeditur ad
eius usum per somnolentiam vel ebrietatem, vel aliquid huiusmodi. Sic ergo
iste qui poenitet, consequitur cum gratia gratum faciente, caritatem, et omnes
alios habitus virtutum, sed propter dispositiones ex actibus priorum
peccatorum relictas patitur difficultatem in executione virtutum quas
habitualiter recipit; quod quidem non contingit in virtutibus acquisitis per
exercitium actuum, per quos simul et contrariae dispositiones tolluntur, et
habitus virtutum generantur.
2. Alors que
l’habitus fait de soi њuvrer de maniиre prompte et agrйable, il se peut que
cela soit empкchй par quelque chose qui survient, comme celui qui a l’habitus
de la science est parfois empкchй d’en faire usage par la somnolence,
l’ivresse ou quelque chose de ce genre. Ainsi donc, celui qui se repent
obtient, avec la grвce qui sanctifie, la charitй et tous les autres habitus
des vertus. Mais, а cause des dispositions laissйes par les actes des pйchйs
prйcйdents, il йprouve de la difficultй а mettre en њuvre les vertus qu’il
reзoit de maniиre habituelle, ce qui toutefois ne se produit pas pour les
vertus acquises par l’exercice des actes par lesquels les dispositions
contraires sont aussi enlevйes et par lesquels sont engendrйs les habitus des
vertus.
[66716]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui baptizatur, simul
cum caritate recipit et prudentiam, et omnes alias virtutes; sed de
necessitate prudentiae non est ut homo sit bene consiliativus in omnibus,
puta in mercationibus et rebus bellicis et huiusmodi, sed in his quae sunt
necessaria ad salutem : quod non deest omnibus in gratia existentibus,
quantumcumque sint simplices, secundum illud I Ioan. II, 27 : unctio
docebit vos de omnibus; nisi forte in aliquibus baptizatis impediatur
actus prudentiae propter corporalem defectum aetatis, sicut in pueris, vel
pravae dispositionis, sicut in morionibus et phreneticis.
3. Celui qui
est baptisй reзoit, en mкme temps que la charitй, la prudence et toutes les
autres vertus. Mais il ne relиve pas nйcessairement de la prudence qu’un
homme soit bon conseiller en tout, par exemple, dans le commerce, les
affaires militaires et les choses de ce genre, mais dans ce qui est nйcessaire
а son salut, ce qui ne manque pas а tous ceux qui vivent dans la grвce, aussi
ingйnus soient-ils, selon ce que dit Jn 3, 27 : L’onction vous
enseignera tout, а moins que, chez certains baptisйs, l’acte de prudence
ne soit entravй par une dйfaillance corporelle due а l’вge, comme chez les
enfants, ou par une mauvaise disposition, comme chez les idiots et les
frйnйtiques.
[66717]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod artificialia diversorum
generum habent principia omnino disparata : et ideo nihil prohibet habere
artem circa unum genus eorum, et non circa aliud. Sed principia moralium sunt
ordinata ad invicem, ita quod per defectum unius sequeretur etiam defectus in
aliis; puta, si quis deficeret ab hoc principio quod est concupiscentias non
esse sequendas, quod pertinet ad concupiscentiam, sequeretur interdum quod
sequendo concupiscentiam faceret iniuriam, et sic violaretur iustitia; sicut
etiam in una et eadem arte vel scientia, puta in geometria, error unius
principii inducit errorem in totam scientiam. Et inde est quod non potest
esse aliquis sufficienter prudens circa materiam unius virtutis, nisi sit
prudens circa omnes.
4. Les
principes de l’art de divers genres ont des principes totalement disparates.
Ainsi, rien n’empкche de possйder l’art qui concerne l’un de ces genres et
non un autre. Mais les principes des rйalitйs morales sont ordonnйs les uns
par rapport aux autres, si bien que la dйfaillance de l’un entraоne aussi la
dйfaillance des autres. Par exemple, si l’on s’йloigne du principe qu’il ne
faut pas suivre les concupiscences, qui porte sur la concupiscence, il en
dйcoulerait parfois qu’on commettrait un dommage en suivant la concupiscence,
et ainsi on violerait la justice. De mкme aussi, dans un seul et mкme art ou
science, par exemple en gйomйtrie, l’erreur d’un seul principe introduit
l’erreur dans la science tout entiиre. Dиs lors, il s’ensuit que l’on ne peut
pas кtre suffisamment prudent dans la matiиre d’une seule vertu, si l’on
n’est pas prudent dans toutes.
[66718]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potest dici quod contingit
esse aliquem liberalem, sed non magnificum quantum ad actus : quia aliquis
parum habens, potest in usu eius quod habet, exercere actum liberalitatis,
non autem magnificentiae; quamvis aliquis habeat habitum, per quem etiam
magnificentiae actum exerceret, si materia adesset. Et similiter dicendum est
de moderantia et magnanimitate. Ista responsio tenenda est omnino in
virtutibus infusis. In virtutibus etiam acquisitis per actum, potest dici,
quod ille qui acquisivit habitum liberalitatis in usu parvae substantiae,
nondum acquisito habitu magnificentiae, sed habito liberalitatis actu, est in
proxima dispositione ut acquirat habitum magnificentiae per modicum actum.
Quia igitur in propinquo est ut habeatur, idem videtur ac si haberetur, quia
quod parum deest, quasi nihil deesse videtur, ut dicitur in II Physic.
5. On peut
dire qu’il arrive qu’un homme soit libйral mais ne fasse pas de grandes
choses au niveau de l’acte, parce que quelqu’un qui possиde peu de choses
peut, dans l’usage de ce qu’il possиde, exercer un acte de libйralitй mais
non de magnificence, bien qu’il possиde l’habitus par lequel il exercerait
aussi un acte de magnificence s’il en avait la matiиre. Et il faut parler de
mкme de la modйration et de la magnanimitй. Et cette rйponse doit кtre
absolument maintenue pour les vertus infuses. Aussi pour les vertus acquises
par l’acte, l’on peut dire que celui qui a acquis l’habitus de la libйralitй
dans l’usage d’une petite fortune, alors qu’il n’a pas encore acquis
l’habitus de la magnificence mais possиde l’acte de la libйralitй, est tout
prиs d’acquйrir l’habitus de la magnificence par un acte modeste. Parce qu’il
est prиs d’кtre possйdй, ce semble donc кtre la mкme chose que s’il йtait
possйdй, parce que lorsqu’il manque peu de chose, il semble qu’il ne manque
pour ainsi dire rien, comme il est dit au livre II de la Physique.
[66719]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sapientia et scientia non
accipiuntur in illis verbis apostoli neque secundum quod sunt virtutes
intellectuales, quae tamen connexionem non habent, ut infra dicetur, neque
secundum quod sunt dona spiritus sancti, quae connexionem habent secundum
caritatem; sed secundum quod sunt gratiae gratis datae : prout scilicet
aliquis abundat scientia et sapientia, ut possit aedificare alios ad finem et
Dei cognitionem, et contradicentes arguere; unde et apostolus non dicit :
alii datur sapientia, alii scientia; sed : alii datur sermo sapientiae,
alii sermo scientiae. Unde Augustinus dicit in XIV de Trinitate, quod huiusmodi
scientia, non pollent fideles plurimi, quamvis ipsa fide polleant. Fides
etiam non accipitur ibi pro fide informi, ut quidam dicunt, quia donum fidei
commune est omnibus; sed accipitur pro quadam fidei constantia, seu
certitudine, quae interdum abundat etiam in peccatoribus.
6. La sagesse
et la science ne sont pas entendues dans ces mots de l’Apфtre ni selon
qu’elles sont des vertus intellectuelles, qui ne sont cependant pas connexes,
comme on le dira plus loin, ni selon qu’elles sont des dons de l’Esprit
Saint, qui sont connexes par la charitй, mais selon qu’elles sont des
charismes (gratiae gratis datae), dans la mesure oщ l’on possиde en
abondance la science et la sagesse afin de pouvoir йdifier autrui en vue de
la fin et de la connaissance de Dieu, et de convaincre les adversaires. C’est
pourquoi l’Apфtre ne dit pas : «А l’un est donnйe la sagesse, а l’autre la
science», mais а l’un est donnйe une parole de sagesse, а l’autre une
parole de science. Ainsi Augustin dit-il, au livre XIV de La Trinitй, qu’«un grand nombre de
fidиles ne possиdent pas cette science, bien qu’ils possиdent la foi
elle-mкme ». En cet endroit, on n’entend pas non plus la foi comme la
foi informe, comme certains le disent, parce que le don de la foi est commun
а tous, mais on l’entend d’une certaine constance ou certitude de la foi, qui
abonde aussi parfois chez les pйcheurs.
[66720] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod virginitas secundum quosdam non nominat virtutem, sed quemdam
perfectiorem statum virtutis. Non autem oportet quod quicumque habet
virtutem, habeat eam secundum gradum perfectum. Et ideo sine virginitate,
castitas et aliae virtutes haberi possunt. Vel, si detur quod virginitas sit
virtus, hoc erit secundum quod importat habitum mentis, ex quo aliquis eligit
virginitatem conservare propter Christum. Et hic quidem habitus esse potest
etiam in his qui carnis integritate carent; sicut et habitus magnificentiae
potest esse sine magnitudine divitiarum.
7. La
virginitй, selon certains, ne dйsigne pas une vertu mais un йtat plus parfait
de vertu. Or, il n’est pas nйcessaire que celui qui possиde une vertu la
possиde а un degrй parfait. Ainsi l’on peut possйder la chastetй et d’autres
vertus sans la virginitй. Ou bien, si l’on concиde que la virginitй est une
vertu, ce sera selon qu’elle comporte un habitus de l’esprit par lequel on
choisit de garder la virginitй а cause du Christ. Or, cet habitus peut aussi
se trouver chez ceux qui n’ont plus une chair intиgre, comme l’habitus de la
magnificence peut exister sans que l’on possиde de grandes richesses.
[66721] De virtutibus, q.
5 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtutes intellectuales non sunt
connexae ad invicem; et hoc propter tria. Primo quidem, quia quae sunt circa
rerum diversa genera, non sunt coordinata ad invicem, sicut et de artibus
dictum est. Secundo, quia in scientiis non convertibiliter se habent
principia et conclusiones; ita scilicet quod quicumque habet principia,
habeat conclusiones, sicut in moralibus dictum est. Tertio,
quia virtus intellectualis non habet respectum ad caritatem, per quam
ordinatur homo ad ultimum finem. Et ideo huiusmodi
virtutes ordinantur ad aliqua particularia bona : puta geometria ad dimetiendum
circa abstracta quaedam, physica circa mobilia, et sic de aliis. Unde eadem
ratione non sunt connexae qua nec virtutes imperfectae, ut supra, in corp.
art., dictum est.
8. Les vertus
intellectuelles ne sont pas connexes les unes par rapport aux autres pour
trois raisons. Premiиrement, parce qu’elles concernent divers genres de
choses, elles ne sont pas coordonnйes les unes par rapport aux autres, comme
on vient de le dire а propos des arts. Deuxiиmement, parce que, dans les
sciences, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles, de telle
sorte que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme on
l’a dit pour les rйalitйs morales. Troisiиmement, parce que la vertu
intellectuelle n’a pas de rapport avec la charitй, qui ordonne l’homme а la
fin ultime. Ainsi les vertus de ce genre sont ordonnйes а certains biens
particuliers : par exemple, la gйomйtrie, а la mesure des йlйments abstraits,
la physique, а celle des йlйments mobiles, et ainsi des autres. Dиs lors,
pour la mкme raison, elles ne sont pas connexes pour la raison que les vertus
imparfaites [ne le sont pas], comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de cet
article.
[66722]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quaedam virtutes sunt quae
ordinant hominem in his quae occurrunt in vita humana : sicut temperantia,
iustitia, mansuetudo et huiusmodi; et in talibus necesse est quod homo, dum
exercitatur in actu huius virtutis, vel simul etiam exerceatur in actibus
aliarum virtutum, et tunc acquiret omnes habitus, virtutum simul; vel oportet
quod bene se habeat in uno et male in aliis, et tunc acquiret habitum
contrarium alteri virtuti, et per consequens corruptionem prudentiae, sine
qua nec dispositio, quam acquisivit per actus alicuius virtutis, habet proprie
rationem virtutis, ut supra, in corp. art., dictum est. Huiusmodi autem
habitibus acquisitis circa ea quae communiter in vita occurrunt, virtualiter
iam habentur quasi in propinqua dispositione si qui alii habitus virtutum
sunt, quorum actus occurrant frequenter in conversatione humana; sicut de
magnificentia et magnanimitate dictum est, in solutione ad 5 argumentum.
9. Il y a des
vertus qui ordonnent l’homme а ce qui survient dans la vie humaine, comme la
tempйrance, la justice, la mansuйtude et d’autres du mкme genre. Et pour de
telles vertus, il est nйcessaire que l’homme, quand il s’exerce dans l’acte
de cette vertu, s’exerce aussi en mкme temps aux actes des autres vertus, et
alors il acquiert tous les habitus des vertus en mкme temps ; ou bien qu’il
se comporte bien dans l’une et mal dans les autres, et alors il acquiert un
habitus contraire а une autre vertu, et par consйquent la corruption de la
prudence, sans laquelle la disposition qu’il a acquise par l’acte d’une vertu
n’a plus а proprement parler le caractиre de vertu, comme on l’a dit
ci-dessus dans le corps de l’article. Or, aprиs avoir acquis des habitus de
ce genre, qui concernent ce qui arrive communйment dans la vie, on les
possиde dйjа virtuellement, comme par une disposition proche, s’il y d’autres
habitus de vertus, dont les actes se prйsentent frйquemment dans le comportement
humain, comme on l’a dit а propos de la magnificence et de la magnanimitй
dans la solution au cinquiиme argument.
[66723] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod
virtutes acquisitae causantur a proposito; et necesse est quod simul
causentur in homine qui sibi proponit acquirere unam virtutem; et non
acquiret, nisi simul acquirat prudentiam, cum qua omnes habentur, ut dictum
est in corp. art. Virtutes autem infusae causantur immediate a Deo, quae
etiam causantur ex caritate, sicut ex communi radice, ut dictum est in corp.
art.
10. Les
vertus acquises sont causйes par dessein. Il est ainsi nйcessaire qu’elles
soient causйes en mкme temps dans l’homme qui se propose d’acquйrir une
vertu, et il ne l’acquiert pas s’il n’acquiert pas en mкme temps la prudence,
avec laquelle toutes sont possйdйes, comme il a йtй dit dans le corps de
l’article. Mais les vertus infuses sont causйes immйdiatement par Dieu ;
elles sont aussi causйes par la charitй en tant que racine commune, comme il
a йtй dit dans le corps de l’article.
[66724]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in scientiis
speculativis non se habent principia convertibiliter ad conclusiones, sicut
accidit in moralibus, ut dictum est in corp. art., et ideo qui habet unam
conclusionem, non necesse est quod habeat aliam. Esset autem necesse, si
oporteret, quod quicumque habet principia, haberet conclusiones, sicut est in
proposito.
11. Dans les
sciences spйculatives, les principes et les conclusions ne sont pas
convertibles, comme il arrive dans les rйalitйs morales, comme on l’a dit
dans le corps de l’article. C’est pourquoi celui qui possиde une conclusion
n’en possиde pas nйcessairement une autre. Or, cela serait nйcessaire s’il
fallait que celui qui possиde les principes possиde les conclusions, comme
c’est le cas dans le sujet en cause.
[66725]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Augustinus loquitur ibi
de virtutibus imperfectis, quae sunt dispositiones quaedam ad actus virtutum;
unde et ipsemet probat in VI de Trinitate, connexionem.
12. Augustin
parle lа des vertus imparfaites, qui sont des dispositions en vue des actes
des vertus. Aussi prouve-t-il lui-mкme la connexion dans le livre VI de La Trinitй.
[66726]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod virtutes habent
connexionem ratione principii proximi, id est sui generis, quod est prudentia
vel caritas; non autem ratione principii remoti et communis, quod est Deus.
13. Les
vertus sont connexes en raison du principe rapprochй de leur genre, qui est
la prudence ou la charitй, mais non en raison du principe йloignй et commun,
qui est Dieu.
[66727]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod prudentia
specialiter inter virtutes intellectuales habet connexionem cum virtutibus
ratione materiae circa quam est; est enim circa mobilia.
14. Parmi les
vertus intellectuelles, la prudence a une connexion particuliиre avec les vertus,
en raison de la matiиre sur laquelle elle porte : des йlйments changeants.
[66728]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in patria,
deficiente spe et fide, succedent quaedam perfectiora, scilicet visio et
comprehensio, quae connectentur caritati.
15. Dans la
patrie, alors que seront absentes l’espйrance et la foi, succйderont des
rйalitйs plus parfaites : la vision et la comprйhension, connexes а la
charitй.
[66729]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in Angelis et
animabus separatis non est temperantia et fortitudo ad hos actus ad quos sunt
in hac vita, scilicet ad moderandum passiones sensibilis partis; sed ad
quosdam alios actus, ut patet per Augustinum in XIV de Trinitate.
16. Chez les
anges et les вmes sйparйes du corps, il n’y a ni tempйrance ni force pour les
actes pour lesquels elles existent dans cette vie : modйrer les passions de
la partie sensible ; mais pour d’autres actes, comme cela ressort
clairement de ce qu’йcrit Augustin au livre XIV de La Trinitй.
[66730]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod potentiae animae
non se habent convertibiliter cum essentia; quamvis enim nulla potentia
animae possit esse sine essentia, tamen essentia animae potest esse sine
quibusdam potentiis; puta sine visu et auditu, propter corruptionem organorum
quorum huiusmodi potentiae proprie sunt actus.
17. Les
puissances de l’вme et son essence ne sont pas convertibles. En effet,
quoique aucune puissance de l’вme ne puisse exister sans l’essence, l’essence
de l’вme peut cependant exister sans certaines puissances, par exemple, sans
la vue ni l’ouпe, en raison de la corruption des organes qui exercent les
actes propres de cette puissance.
[66731]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non propter hoc
homo est summus, quod habet omnes virtutes, sed propter hoc quod habet eas in
summo.
18. L’homme
atteint le degrй le plus йlevй, non parce qu’il possиde toutes les vertus,
mais parce qu’il les possиde au plus haut degrй.
[66734] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 1 Dicitur enim I ad Cor. XIII, 13 : nunc autem manent fides, spes et
caritas, tria haec; maior autem horum est caritas. Sed maioritas excludit aequalitatem. Ergo virtutes in uno homine non
sunt aequales.
Il semble que non.
1. En effet, il est dit en
1 Co 13, 13 : Maintenant la foi, l’espйrance et la
charitй demeurent toutes les trois; mais la plus grande d’entre elles, c’est
la charitй. (XIII, 13). Or, le fait d’кtre plus grand exclut l’йgalitй.
Les vertus ne sont donc pas йgales chez un seul homme.
[66735] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 2 Sed dicendum, quod caritas est maior secundum actum, sed non secundum
habitum. Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de Trinit., quod in his quae
non mole magna sunt, idem est esse maius quod melius. Sed habitus caritatis
est melior quam habitus aliarum virtutum, quia magis attingit ad Deum,
secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet. Ergo caritas secundum habitum, maior est quam aliae virtutes.
2. Mais il
faut dire que la charitй est plus grande par l’acte, et non par l’habitus. – En sens contraire, Augustin dit cependant, au
livre VI de La Trinitй, que
« pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la
mкme chose d’кtre plus grand et d’кtre meilleur ». Or, l’habitus de la
charitй est meilleur que les habitus des autres vertus parce qu’il atteint
davantage Dieu, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui
qui demeure dans la charitй demeure en Dieu. La charitй, par l’habitus,
est donc plus grande que les autres vertus.
[66736]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, perfectio praecedit suum perfectibile. Sed caritas est
perfectio aliarum virtutum, secundum illud Coloss. III, 14 : super omnia
autem haec caritatem habete, quod est vinculum perfectionis; et I ad Tim.
I, 5, dicitur : finis autem praecepti caritas. Ergo est maior aliis
virtutibus.
3. La
perfection l’emporte sur ce qu’elle perfectionne. Or, la charitй est la
perfection des autres vertus, selon ce que dit Col 3, 14 : Et
puis, par-dessus tout, ayez la charitй, qui est le lien de la perfection.
Et il est dit en 1 Tm 1, 5 : Mais la fin du
commandement est la charitй. Elle est donc plus grande que les autres
vertus.
[66737] De virtutibus, q.
5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod nihil imperfectionis habet annexum, est
perfectius et maius; quia albius est quod est nigro impermixtius. Sed habitus
caritatis nihil habet imperfectionis admixtum; quia fides est de non
apparentibus, et spes de non habitis. Ergo caritas, etiam secundum habitum,
est perfectior et maior quam fides et spes.
4. Ce qui
n’est mкlй а aucune imperfection est plus parfait et plus grand, car ce qui
est plus blanc est ce qui est le moins mкlй au noir. Or, l’habitus de la
charitй n’est mкlй а aucune imperfection, car la foi concerne ce qui n’est
pas visible, et l’espйrance, ce qui n’est pas possйdй. La charitй, mкme en
habitus, est donc plus parfaite et plus grande que la foi et l’espйrance.
[66738]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit in XIX de civitate Dei :
virtutes nisi ad Deum referantur, vitia sunt. Ex quo potest accipi,
quod ratio virtutis perficitur ex ordine ad Deum. Sed caritas propinquius
ordinat hominem ad Deum quam aliae virtutes; quia unit hominem Deo, secundum
illud I ad Cor. cap. VI, 17 : qui adhaeret Deo, unus spiritus est.
Ergo caritas est maior virtus quam aliae.
5. Augustin
dit, au livre XIX de La Citй de Dieu
: « Les vertus, si on ne les rapporte pas а Dieu, sont des
vices. » Dиs lors, on peut comprendre que la perfection de ce qui fait
la vertu vient de l’ordre а Dieu. Or, la charitй ordonne l’homme а Dieu d’une
maniиre plus rapprochйe que les autres vertus, parce qu’elle unit l’homme а
Dieu, selon ce que dit 1 Co 6, 17 : Celui qui est uni
а Dieu ne forme avec lui qu’un seul esprit. La charitй est donc une vertu
plus grande que les autres.
[66739]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, virtutes infusae originem habent ex
gratia, quae est earum perfectio. Sed caritas perfectius participat gratiam
quam aliae virtutes : gratia enim et caritas inseparabiliter se
concomitantur; fides autem et spes possunt esse sine gratia. Ergo caritas est
maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales.
6. Les vertus
infuses tirent leur origine de la grвce, qui est leur perfection. Or, la
charitй participe а la grвce de faзon plus parfaite que les autres vertus,
car la grвce et la charitй s’accompagnent de maniиre insйparable, alors que
la foi et l’espйrance peuvent exister sans la grвce. La charitй est donc plus
grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
[66740]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 7 Praeterea, Bernardus dicit in I de consideratione,
quod prudentia est materia fortitudinis, quia sine prudentia fortitudo
praecipitat. Sed id quod est principium et causa alicuius, est maius et
potius eo. Ergo prudentia est maior fortitudine; non ergo omnes virtutes sunt
aequales.
7. Bernard
dit, au livre I de La Considйration,
que la prudence est la matiиre de la force, parce que, sans la prudence, la
force va а sa ruine. Or, ce qui est le principe et la cause de quelque chose
est plus grand et plus puissant que lui. La prudence est donc plus grande que
la force. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
[66741]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in V Ethic., quod
iustitia est tota virtus; aliae autem virtutes sunt secundum partem. Sed
totum est maius parte. Ergo iustitia est maior aliis virtutibus; non ergo
omnes virtutes sunt aequales.
8. Le
Philosophe dit, au livre V de l’Йthique, que la justice est une vertu
complиte, et que les autres vertus sont partielles. Or, le tout est plus
grand que la partie. La justice est donc plus grande que les autres vertus.
Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
[66742]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea, Augustinus probat in XI super Genes. ad
Litt. quod si omnia in universo essent aequalia, non essent omnia. Sed
virtutes omnes habentur simul, quia sunt connexae, ut supra, art. praec.,
ostensum est. Non ergo omnes virtutes sunt aequales.
9. Augustin
montre, au livre XI de La Genиse au
sens littйral, que, si toutes les rйalitйs йtaient йgales dans l’univers,
elles n’existeraient pas toutes. Or, l’on possиde toutes les vertus en mкme
temps parce qu’elles sont connexes, comme on l’a montrй ci-dessus, dans
l’article prйcйdent. Toutes les vertus ne sont donc pas йgales.
10. Les vices
sont opposйs aux vertus. Or, tous les vices ne sont pas йgaux. Toutes les
vertus ne sont donc pas йgales.
[66744]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 11 Praeterea, laus debetur actibus virtutum. Sed quidam
magis laudantur de una virtute quam de alia; unde Cassianus dicit in V de
institutione Coenob. : alius scientiae floribus exornatur; alius
discretionis ratione robustius communitur; alter patientiae gravitate
fundatur; alius humilitatis, alius continentiae virtute praefertur. Non
ergo omnes virtutes in uno homine sunt aequales.
11. On doit
louer les actes des vertus. Or, certains louent plus ceux d’une vertu que
ceux d’une autre. C’est pourquoi Cassien dit, au livre V des Institutions cйnobitiques
: « L’un est ornй des fleurs de la science, l’autre possиde un
discernement plus solide ; un autre s’appuie sur la pondйration de la
patience ; un autre l’emporte par la vertu d’humilitй, un autre par
celle de continence. » Toutes les vertus ne sont donc pas йgales chez un
seul homme.
[66745]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 12 Sed dicendum, quod ista inaequalitas est secundum
actus, non secundum habitus. Sed contra, secundum philosophum in I Poster.,
ea quae ad aliquid sunt, simul intenduntur. Sed
habitus secundum propriam rationem dicitur ad actum. Est enim habitus quo
quis agit cum tempus fuerit, ut Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali.
Si ergo actus unius virtutis in aliquo homine est maior quam actus alterius,
sequitur quod etiam habitus sint inaequales.
12. Mais il
faut dire que cette inйgalitй relиve des actes, non des habitus. – Cependant, en sens contraire, selon le Philosophe
au livre I des Seconds Analytiques,
les rйalitйs qui sont tournйes vers quelque chose sont visйes en mкme temps.
Or, selon sa raison, l’habitus est tournй vers l’acte, car l’habitus est ce
qui fait agir au moment opportun, comme le dit Augustin dans le Livre sur
le bien conjugal. Si l’acte d’une vertu est plus grand chez un homme que
l’acte d’une autre, il en dйcoule donc que les habitus aussi sont inйgaux.
[66746] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 13 Praeterea, Hugo de s. Victore dicit, quod actus augent habitus. Si
ergo actus virtutum sunt inaequales; et habitus virtutum inaequales erunt.
13. Hugues de
Saint-Victor dit que les actes dйveloppent les habitus. Si les actes des
vertus sont inйgaux, les habitus des vertus aussi seront inйgaux.
[66747]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 14 Praeterea, ita se habet in moralibus habitus
virtutis ad actum proprium, sicut in naturalibus forma ad proprium motum vel
actionem. Sed in naturalibus, quanto aliquis magis habet
de forma, tanto magis habet de operatione vel motu, quia quod est gravius,
velocius tendit deorsum, et quod est calidius, magis calefacit. Ergo etiam in moralibus actus virtutum inaequales esse non possunt,
nisi habitus virtutum fuerint inaequales.
14. De mкme
que, dans le domaine moral, l’habitus d’une vertu est tournй vers son acte
propre, de mкme, dans la nature, la forme est tournйe vers son mouvement ou
son action propres. Or, dans la nature, plus l’on possиde la forme, plus l’on
possиde l’opйration ou le mouvement, car ce qui est plus lourd tend plus
rapidement vers le bas, et ce qui est plus chaud chauffe davantage. Dans le
domaine moral aussi les actes des vertus ne peuvent donc pas кtre inйgaux, а
moins que les habitus des vertus ne soient pas inйgaux.
[66748]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 15 Praeterea, perfectiones sunt proportionabiles
perfectibilibus. Virtutes autem sunt perfectiones potentiarum animae, quae
sunt inaequales, quia ratio excedit inferiores vires, quibus imperat. Ergo etiam virtutes sunt inaequales.
15. Les
perfections sont proportionnйes а ce qui est perfectible. Or, les vertus sont
des perfections des puissances de l’вme, qui sont inйgales, parce que la
raison dйpasse les puissances infйrieures qu’elle commande. Les vertus sont
donc aussi inйgales.
[66749]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 16 Praeterea, Gregorius dicit, XXII Moral. et Homil. XV
in Ezech., beatus Iob incrementa virtutum, quia distincte hominibus
superno munere tribui conspexit, gradus vocavit; quoniam per ipsos ascenditur,
et ad caelestia obtinenda venitur. Sed ubi est incrementum et gradus, non
est aequalitas. Ergo virtutes non sunt aequales.
16. Grйgoire
dit, au livre XXII des Morales sur Job
: « Le bienheureux Job a appelй degrйs les dйveloppements des
vertus, parce qu’il a observй qu’elles sont donnйes aux hommes de maniиre
diffйrente par la faveur divine ; car c’est par eux qu’on monte et qu’on
parvient а obtenir les rйalitйs cйlestes.» Mais lа oщ il y a dйveloppement et
degrй, il n’y a pas йgalitй. Les vertus ne sont donc pas йgales.
[66750] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 17 Praeterea,
quaecumque ita se habent quod uno crescente aliud decrescit, oportet quod
sint inaequalia. Sed videtur quod caritate crescente aliud decrescat : quia
status patriae, in quo perficietur caritas, opponitur statui viae, in quo
habet locum fides; uno autem oppositorum crescente, alterum decrescit. Ergo caritas et fides non
possunt esse aequales; non ergo omnes virtutes sunt aequales.
17. Il est
inйvitable que soit inйgal tout ce qui est tel que l’un dйcroоt alors que
l’autre croоt. Or, il semble que, alors que la charitй croоt, autre chose
dйcroоt, car l’йtat de la patrie [status patriae], dans lequel la
charitй atteindra sa perfection, est opposй а l’йtat de la route [status
viae], dans lequel la foi prend place. L’un des opposйs croissant,
l’autre dйcroоt. La charitй et la foi ne peuvent donc pas кtre йgales. Toutes
les vertus ne sont donc pas йgales.
Cependant
:
[66751] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed
contra. Apocal. XXI, 16 dicitur : quod latera civitatis sunt aequalia; per
quae latera signantur virtutes, secundum Glossam. Ergo virtutes sunt
aequales.
1. Il est
dit, au chapitre XXI de l’Apocalypse,
que les cфtйs de la citй sont йgaux, cфtйs qui dйsignent les vertus, selon la
Glose. Les vertus sont donc йgales.
[66752] De virtutibus, q.
5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus in VI de Trinit. : quicumque
sunt aequales in fortitudine, aequales sunt in prudentia et temperantia. Si
enim dixeris aequales esse istos fortitudine, sed illum praestare prudentia;
sequitur quod huius fortitudo minus prudens sit. Ac per hoc nec fortitudine
aequales erunt; quando est illius fortitudo prudentior. Atque ita de ceteris
virtutibus invenies, si omnes eadem consideratione percurras. Non autem oporteret
eos qui sunt aequales in una virtute, esse aequales in aliis, nisi omnes
virtutes in uno homine sint aequales.
2. Augustin
dit, au livre VI de La Trinitй : « Tous
ceux qui sont йgaux en force, sont йgaux en prudence et en tempйrance. En
effet, si tu prйtends que ces hommes sont йgaux en force mais que celui-lа
l’emporte en prudence, il s’ensuit que la force de celui-ci est moins
prudente. Et par consйquent, ils ne seront pas йgaux en force, alors que la
force de celui-lа est plus prudente. Et tu feras la mкme observation pour les
autres vertus si tu les passes toutes en revue de la mкme faзon. ». Or,
il ne serait pas nйcessaire que ceux qui sont йgaux pour une vertu soient
йgaux dans les autres, si toutes les vertus n’йtaient pas йgales chez un seul
homme.
[66753]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit super Ezech. quod fides,
spes, caritas et operatio sunt aequales. Ergo pari ratione omnes aliae
virtutes sunt aequales.
3. Grйgoire
dit, dans les Homйlies sur Ezйchiel,
que la foi, l’espйrance, la charitй et l’action sont йgales. Pour la mкme
raison, toutes les autres vertus sont donc йgales.
[66754] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea,
Ezech. XLVI, 22, dicitur : mensurae unius quatuor erant; Glossa : quibus
proficimus ad virtutem. Sed quae unius mensurae, sunt aequalia. Ergo
omnes sunt aequales.
4. Il est dit
dans Ez 46, 22 : Les quatre avaient les mкmes dimensions,et dans la Glose : « Par lesquelles nous avanзons vers la
vertu ». Or, ce qui a les mкmes dimensions est йgal. Elles sont donc
toutes йgales.
[66755]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 5 Praeterea, Damascenus dicit : naturales sunt
virtutes, et aequaliter insunt omnibus secundum esse accidentis. Ergo
virtutes secundum suum esse accidentis sunt aequales.
5. [Jean] Damascиne
dit : « Les vertus sont naturelles et existent йgalement en tous
selon leur caractиre accidentel ». Les vertus sont donc йgales selon leur
caractиre accidentel.
[66756]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 6 Praeterea, maioris virtutis actui debetur maius
praemium. Si ergo in homine esset una virtus maior quam alia, sequeretur quod
eidem homini deberetur maius et minus praemium; quod est inconveniens.
6. On doit а
l’acte d’une vertu plus grande une rйcompense plus grande. Si donc une vertu
йtait plus grande qu’une autre chez un homme, il s’ensuivrait que l’on
devrait au mкme homme une rйcompense plus grande et une moins grande, ce qui
est incorrect.
[66757]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 7 Praeterea, si simpliciter sequitur ad simpliciter,
et magis sequitur ad magis. Sed ad hoc quod una virtus habeatur, sequitur
quod omnes habeantur, quia virtutes sunt connexae, ut supra, art. praeced.,
dictum est. Ergo ad hoc quod una magis habeatur, sequitur quod omnes magis
habeantur; oportet ergo omnes virtutes esse aequales.
7. Si le
simple suit le simple, le plus suit le plus. Or, pour possйder une vertu il
faut les possйder toutes, parce que les vertus sont connexes, comme il a йtй
dit ci-dessus, dans l’article prйcйdent. Pour en possйder une davantage, il
dйcoule donc que toutes doivent кtre davantage possйdйes. Il faut donc que
toutes les vertus soient йgales.
Rйponse
:
[66758]
De virtutibus, q. 5 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod aequale et inaequale
dicuntur secundum quantitatem; unum enim in quantitate aequale dicitur, sicut
in qualitate simile, et in substantia idem, ut patet in V Metaph. Quantitas
autem importat rationem mensurae, quae primo quidem invenitur in numeris;
secundario autem in magnitudinibus; et quodam alio modo in omnibus aliis
generibus, ut patet in IX Metaph. In quolibet enim genere id quod est
simplicissimum et perfectissimum, est mensura omnium aliorum, ut in coloribus
albedo, et in motibus motus diurnus; eo quod unaquaeque res tanto perfectior
est, quanto magis accedit ad primum sui generis principium. Ex quo patet quod
perfectio uniuscuiusque rei secundum quam attenditur mensuratio eius, est a
primo principio; similiter quantitas eius; et hoc est quod Augustinus dicit
in VIII de Trinit., quod in his quae non mole magna sunt, idem est melius
quod maius. Cum autem cuiuslibet formae non subsistentis esse consistat in eo
quod subiecto vel materiae inest, dupliciter potest eius quantitas seu
perfectio considerari : uno modo, secundum rationem propriae speciei; alio
modo, secundum esse quod habet in materia seu subiecto. Secundum quidem
rationem propriae speciei, formae diversarum specierum sunt inaequales; sed
formae unius speciei quaedam quidem possunt esse aequales, quaedam autem non.
Oportet enim principium specificum accipi in aliquo indivisibili. Differentia
enim huiusmodi principii speciem variat, et ideo, si hoc principio esset
additio vel subtractio, ex necessitate species variaretur. Unde et philosophus dicit in VIII Metaph., quod species rerum sunt
sicut numeri, in quibus unitas addita vel subtracta variat speciem. Quaedam
vero formae sunt quae sortiuntur speciem per aliquid suae essentiae, sicut
omnes formae absolutae, sive sint substantiales sive accidentales; et in
talibus impossibile est quod in eadem specie secundum hunc modum una forma
maior alia inveniatur, non enim est una albedo secundum se considerata, magis
albedo quam alia. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem ex aliquo
extrinseco ad quod ordinantur, sicut motus sortitur speciem ex termino. Unde unus motus est maior alio, secundum propinquitatem vel distantiam
a termino. Et similiter inveniuntur quaedam qualitates quae sunt
dispositiones in ordine ad aliquid; sicut sanitas est quaedam commensuratio
humorum in ordine ad naturam animalis, quod dicitur sanum : et ideo aliquis
gradus commensurationis humorum in leone est sanitas, qui in homine esset
infirmitas. Quia ergo secundum gradum commensurationis sanitas non recipit
speciem, sed secundum naturam animalis ad quam ordinatur, contingit etiam
quod in eodem animali una sanitas est maior quam alia, ut dicitur X Ethicorum
: in quantum, scilicet, diversi gradus commensurationis humorum possunt esse,
in quibus salvatur convenientia humanae naturae. Et eodem modo se habet in
scientia, quae recipit unitatem ex unitate subiecti; unde in uno potest esse
geometria maior quam in alio, in quantum novit plures conclusiones ordinatas
ad cognitionem subiecti geometriae, quod est magnitudo. Similiter etiam
secundum quantitatem perfectionis quam habent huiusmodi formae secundum quod
insunt materiae vel subiecto, quaedam formae unius speciei inaequales esse
possunt, in quantum insunt secundum magis et minus; quaedam vero magis et
minus inesse non possunt. Non enim quaecumque forma dat speciem subiecto cui
inest, potest inesse magis et minus : quia, sicut dictum est, principium
specificum oportet in indivisibili consistere; quod inde est, quia nulla
forma substantialis recipit magis et minus. Similiter etiam si qua forma speciem sortiatur
secundum aliquid quod secundum suam rationem est indivisibile, non dicitur
secundum magis et minus. Et inde est quod binarius, et quaelibet alia species
numeri quae specificatur secundum unitatem additam, non recipit magis et
minus; et eadem ratio est in figuris quae secundum numerum specificantur, ut
triangulus et quadratum; et in quantitatibus determinatis, ut bicubitum et
tricubitum; et in relationibus numeralibus, sicut duplum et triplum. Formae
vero quae neque dant speciem subiecto, neque sortiuntur speciem ex aliquo
quod secundum rationem suam sit indivisibile, possunt inesse secundum magis
et minus, ut albedo et nigredo, et alia huiusmodi. Ex his igitur patet, quod
dupliciter potest aliquid se ad diversas formas habere circa aequalitatem et
inaequalitatem. Quaedam enim formae sunt quae in eadem specie inaequalitatem
non recipiunt neque secundum se, ut una earum sit maior quam alia eiusdem
speciei, neque secundum esse, ut scilicet magis insit subiecto; et huiusmodi
sunt omnes formae substantiales. Quaedam vero inaequalitatem non recipiunt
secundum se, sed solum secundum quod insunt subiecto, sicut albedo et
nigredo. Quaedam vero inaequalitatem recipiunt secundum se, non tamen
secundum quod insunt subiecto, sicut triangulus dicitur maior triangulo, eo
quod lineae unius trianguli sunt maiores quam alterius, quamvis ordinentur ad
aliquid unum specificans; non tamen una superficies est magis triangula quam
alia. Quaedam vero sunt quae recipiunt inaequalitatem et secundum se, et
secundum quod insunt subiecto; sicut sanitas, et scientia, et motus. Est enim
motus inaequalis, vel quia maius spatium pertransit, vel quia mobile velocius
movetur. Similiter etiam scientia est maior unius quam alterius, vel quia
conclusiones plures novit, vel quia easdem res melius scit. Similiter potest
esse sanitas inaequaliter, vel quia gradus commensurationis in uno est
propinquior debitae et perfectae aequalitati quam in alio, vel quia circa
eumdem gradum commensurationis unus firmius se habet quam alius, et melius.
His igitur visis, circa aequalitatem et inaequalitatem virtutum dicendum est,
quod si loquamur de inaequalitate virtutum quae attenditur secundum seipsas,
sic virtutes diversarum specierum possunt esse inaequales. Cum enim virtus
sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Ethic., illa virtus
perfectior et maior est quae ad maius bonum ordinatur. Et secundum hoc
virtutes theologicae, quarum obiectum est Deus, sunt aliis potiores; inter
quas tamen caritas est maior, quia propinquius Deo coniungit; et spes maior
quam fides, quia scilicet spes aliqualiter movet affectum in Deum, fides
autem facit Deum in homine esse per modum cognitionis. Inter alias autem
virtutes prudentia est maxima, quia est moderatrix aliarum; et post hanc
iustitia, per quam homo bene se habet non solum in seipso, sed ad alium; et
post hanc fortitudo, per quam homo propter bonum contemnit pericula mortis;
et post hanc temperantia, per quam homo propter bonum contemnit maximas
delectationes corporalium. Sed in eadem specie virtutis non potest huiusmodi
inaequalitas inveniri sicut invenitur in eadem specie scientiae, quia non est
de ratione scientiae, quod habens aliquam scientiam sciat omnes conclusiones
illius scientiae; est autem de ratione virtutis, ut habens aliquam, bene se
habeat in omnibus quae ad virtutem illam pertinent. Secundum vero perfectionem
vel quantitatem virtutis ex parte illa qua inest subiecto, potest esse
inaequalitas etiam in eadem specie virtutis : in quantum unus habentium
virtutem melius se habet ad ea quae sunt illius virtutis quam alius; vel
propter meliorem dispositionem naturalem, vel propter maius exercitium, vel
propter melius iudicium rationis, vel propter gratiae donum; quia virtus
neque dat speciem subiecto, neque habet aliquid indivisibile in sui ratione,
nisi secundum Stoicos, qui dicebant nullum habere virtutem nisi eam haberet
in summo; et secundum hoc omnes sunt habentes eamdem virtutem aequaliter. Sed
hoc non videtur esse de ratione alicuius virtutis, quia talis diversitas in
modo participandi virtutem attenditur secundum praedicta, quae non pertinent
ad rationem alicuius particularis virtutis, puta castitatis, vel similium.
Sic igitur in diversis, virtutes inaequales esse possunt, et quantum ad
diversas species virtutum, et etiam secundum quod insunt subiecto, quantum
etiam ad unam speciem virtutis. Sed in uno et in eodem homine sunt quidem
virtutes inaequales secundum quantitatem vel perfectionem, quam virtus
secundum se habet; secundum vero illam quantitatem et perfectionem quam habet
virtus secundum quod inest subiecto, simpliciter quidem oportet omnes virtutes
esse aequales, eadem ratione qua et sunt connexae, quia aequalitas est
quaedam connexio in quantitate. Unde et aequalitatis rationem aliqui
assignant secundum quod per quatuor virtutes cardinales intelliguntur quidam
generales modi virtutum; et huiusmodi est ratio Augustini in VI de Trinit.
Aliter vero assignari potest secundum dependentiam virtutum moralium a
prudentia, et omnium virtutum a caritate; unde ubi est aequaliter caritas,
oportet omnes virtutes esse aequales secundum formalem perfectionem virtutis;
et eadem ratione de prudentia per comparationem ad virtutes morales. Secundum
quid vero possunt virtutes esse inaequales in uno et eodem, sicut et non
connexae, secundum inclinationem potentiae ad actum, quae est ex natura, vel
ex quacumque alia causa. Et propter hoc quidam dicunt, quod sunt inaequales
secundum actum; sed hoc non est intelligendum nisi secundum inaequalitatem
inclinationis ad actum.
On parle d’йgal et d’inйgal selon la
quantitй, car on parle d’une chose йgale selon la quantitй. En effet, on dit
qu’une chose est йgale en quantitй, comme [on dit] qu’une chose est semblable
par la qualitй et la mкme par la substance, comme cela ressort clairement du
livre V de la Mйtaphysique. Or, la
quantitй comporte la notion de mesure, que l’on trouve d’abord dans les
nombres, puis dans les grandeurs, et, d’une autre maniиre, dans tous les
autres genres, comme cela ressort clairement du livre IX de la Mйtaphysique. Dans n’importe quel
genre, en effet, ce qui est le plus simple et le plus parfait est la mesure
de tout le reste, comme le blanc dans les couleurs et le mouvement quotidien
dans les mouvements, parce que chaque rйalitй est d’autant plus parfaite
qu’elle s’approche du principe premier de son genre. Dиs lors, il est clair
que la perfection d’une rйalitй selon laquelle on envisage de la mesurer se
prend de son premier principe. De mкme en est-il pour sa quantitй. C’est ce
que dit Augustin au livre VIII de La
Trinitй : « Pour les rйalitйs dont la grandeur n’est pas
quantitative, c’est la mкme chose d’кtre meilleures et d’кtre plus grandes.
». Or, comme l’кtre de n’importe quelle forme non subsistante consiste en ce
qu’elle existe dans un sujet ou dans une matiиre, on peut considйrer de deux
faзons sa quantitй ou sa perfection : d’une faзon, selon
le caractиre de sa propre espиce; d’une autre faзon, selon l’кtre
qu’elle a dans la matiиre ou dans le sujet. Selon le caractиre de leur propre
espиce, les formes des diverses espиces sont inйgales, mais certaines formes
d’une seule espиce peuvent кtre йgales, et certaines non. En effet, il faut
qu’un principe spйcifique soit reзu dans quelque chose d’indivisible. Car la
diffйrence d’un principe de ce genre diversifie l’espиce, et ainsi, s’il y
avait addition ou soustraction а ce principe, l’espиce serait nйcessairement
diffйrente. Aussi le Philosophe dit-il, au livre VIII de la Mйtaphysique, que les espиces des
choses sont comme les nombres, dans lesquels une unitй ajoutйe ou soustraite
diversifie l’espиce. Mais il y a des formes qui reзoivent leur espиce par
quelque chose de leur essence, comme toutes les formes absolues, qu’elles
soient substantielles ou accidentelles. Et dans de telles formes, il est
impossible que l’on trouve de cette maniиre dans la mкme espиce une forme
plus grande qu’une autre : en effet, considйrйe en elle-mкme, une blancheur
n’est pas davantage blancheur qu’une autre. Mais il y a des formes qui
reзoivent leur espиce de quelque chose d’extйrieur а quoi elles sont
ordonnйes, comme le mouvement tire son espиce du terme. Dиs lors, un mouvement
est plus grand qu’un autre, selon la proximitй ou la distance par rapport au
terme. Et l’on trouve de mкme des qualitйs qui sont des dispositions
ordonnйes а quelque chose, comme la santй est une mesure proportionnйe des
humeurs du corps, ordonnйe а la nature d’un animal ; c’est pourquoi un
certain degrй de mesure des humeurs chez le lion est la santй, qui, chez
l’homme, serait une maladie. Donc, parce que la santй ne reзoit pas son
espиce du degrй de la mesure, mais de la nature de l’animal а laquelle elle
est ordonnйe, il arrive aussi que, chez le mкme animal, une santй soit plus
grande qu’une autre, comme il est dit au livre X de l’Йthique, dans la
mesure oщ il peut exister des degrйs dans la mesure des humeurs, qui
maintiennent l’harmonie de la nature humaine. Et il en va de mкme pour la
science, qui reзoit l’unitй de l’unitй du sujet. Dиs lors, la gйomйtrie peut
кtre plus grande chez l’un que chez l’autre, dans la mesure oщ il connaоt
plus de conclusions ordonnйes а la connaissance du sujet de la gйomйtrie, qui
est la grandeur. De mкme aussi selon la quantitй de perfection que possиdent
les formes de ce genre, selon qu’elles sont dans la matiиre ou dans le sujet,
certaines formes d’une seule espиce peuvent кtre inйgales, dans la mesure oщ
elles s’y trouvent plus ou moins. Mais certaines ne peuvent pas s’y trouver
plus ou moins. En effet, toutes les formes qui donnent l’espиce au sujet dans
lequel elles existent ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins, parce que,
comme on vient de le dire, un principe spйcifique doit consister en quelque
d’indivisible ; de lа dйcoule qu’aucune forme substantielle ne reзoit du
plus ou du moins. De mкme aussi, si une forme partage une espиce selon
quelque chose qui est spйcifiquement indivisible, on n’en parle pas comme de
quelque chose de plus ou de moins. C’est pourquoi le double, et n’importe
quelle autre espиce de nombre, qui reзoit son espиce d’une unitй ajoutйe, ne
reзoit pas plus ou moins. Et la mкme raison vaut pour les figures qui
reзoivent leur espиce du nombre, comme le triangle et le carrй ; et pour
les quantitйs dйterminйes, comme deux coudйes et trois coudйes, et pour les
relations entre les nombres, comme double et triple. Mais les formes qui ne
donnent pas son espиce au sujet et ne reзoivent pas leur espиce de quelque
chose qui est spйcifiquement indivisible, peuvent y exister en plus ou en
moins, comme la blancheur ou le noir, et les autres choses du mкme genre. Il
ressort donc clairement de cela que quelque chose peut avoir un rapport а
diverses formes selon l’йgalitй et l’inйgalitй. En effet, il y a des formes
qui, а l’intйrieur d’une mкme espиce, ne reзoivent pas l’inйgalitй ni par
elles-mкmes, de sorte que l’une d’elles soit plus grande qu’une autre de
cette espиce, ni selon l’кtre, de sorte qu’elle existe davantage dans un
sujet : et toutes les formes substantielles sont de ce genre. Mais certaines
ne reзoivent pas l’inйgalitй par elles-mкmes, mais seulement selon qu’elles
existent dans un sujet, comme la blancheur et le noir. Mais certaines
reзoivent l’inйgalitй par elles-mкmes, mais non selon qu’elles existent dans
un sujet, comme un triangle est dit plus grand qu’un autre triangle, parce
que les lignes d’un triangle sont plus grandes que celles d’un autre, bien
qu’elles soient ordonnйes а une seule chose qui leur donne leur espиce;
cependant, une surface n’est pas plus triangulaire qu’une autre. Mais il y en
a qui reзoivent l’inйgalitй et par elles-mкmes, et selon qu’elles existent
dans un sujet, comme la santй, la science et le mouvement. En effet, le mouvement
est inйgal, soit parce qu’il traverse un espace plus grand, soit parce que le
mobile est mы plus rapidement. De mкme aussi la science de l’un est plus
grande que celle d’un autre, soit parce qu’il connaоt un plus grand nombe de
conclusions, soit parce qu’il sait mieux les mкmes choses. De mкme la santй
peut кtre inйgale, soit parce que le degrй de la mesure [des humeurs] est
plus proche de l’йgalitй convenable et parfaite chez l’un que chez l’autre,
soit parce que l’un se trouve а un degrй de mesure de faзon plus ferme et
meilleure que l’autre. Aprиs avoir vu cela, il faut dire, а propos de
l’йgalitй et de l’inйgalitй des vertus, que, si nous parlons de l’inйgalitй
des vertus tirйe d’elles-mкmes, ainsi les vertus d’espиces diverses peuvent
кtre inйgales. En effet, comme la vertu est la disposition de ce qui est
parfait а ce qui est meilleur, comme il est dit au livre VII de l’Йthique,
la vertu plus parfaite et plus grande est celle qui est ordonnйe au bien plus
grand. Ainsi les vertus thйologales, dont l’objet est Dieu, sont plus
puissantes que les autres ; toutefois, parmi elles, la charitй est plus
grande, parce qu’elle unit de maniиre plus proche а Dieu ; et
l’espйrance est plus grande que la foi, parce que l’espйrance meut d’une
certaine faзon l’affectivitй vers Dieu, alors que la foi fait que Dieu se
trouve dans l’homme par mode de connaissance. Mais, parmi les autres vertus,
la prudence est la plus grande, parce qu’elle rиgle les autres; et aprиs
elle, la justice, qui permet а l’homme de bien se comporter, non seulement en
lui-mкme, mais envers autrui; et aprиs elle, la force, qui fait que l’homme
mйprise les dangers mortels pour le bien ; et aprиs elle, la tempйrance,
qui fait que l’homme mйprise les plus grands plaisirs du corps pour le bien.
Mais dans une mкme espиce de vertu, on ne peut pas trouver une inйgalitй de
ce genre, comme on en trouve dans une mкme espиce de science, parce qu’il
n’est pas de la raison de la science que celui qui possиde une science
connaisse toutes les conclusions qui relиvent de cette science. Mais, selon
la perfection ou la quantiй de la vertu, pour autant qu’elle existe dans un
sujet, il peut exister une inйgalitй mкme а l’intйrieur de la mкme espиce de
vertu, dans la mesure oщ l’un entretient un meilleur rapport qu’un autre avec
ce qui relиve de cette vertu, soit par une meilleure disposition naturelle,
soit par un plus grand exercice, soit par un meilleur jugement de la raison,
soit par un don de la grвce, parce que la vertu ne donne pas l’espиce au
sujet et ne possиde pas non plus quelque chose d’indivisible dans ce qu’elle
a de spйcifique, sauf selon les Stoпciens, qui disaient que personne ne
possйdait la vertu s’il ne la possйdait pas au plus haut point, et qu’ainsi
tous possиdaient la mкme vertu de maniиre йgale. Mais il ne semble pas que
cela fasse partie de la raison de vertu, parce qu’une telle diversitй dans le
mode de participation а la vertu est tirйe de ce qui a йtй dit, qui
n’appartient pas а la raison d’une vertu particuliиre, par exemple, la
chastetй, ou de vertus semblables. Ainsi donc, les vertus peuvent кtre
inйgales chez divers individus, tant par rapport aux diverses espиces de
vertus, que par leur maniиre d’exister dans un sujet, mкme par rapport а une
seule espиce de vertu. Mais chez un seul et mкme homme, les vertus sont
effectivement inйgales selon la quantitй ou la perfection que la vertu
possиde par elle-mкme. Mais selon cette quantitй et perfection que la vertu
possиde pour autant qu’elle existe dans un sujet, il faut, а parler
simplement, que toutes les vertus soient йgales, pour la mкme raison qu’elles
sont aussi connexes, parce que l’йgalitй est une certaine connexion dans la
quantitй. Dиs lors, certains attribuent aussi la notion d’йgalitй au fait
que, par les quatre vertus cardinales, l’on entend certains modes gйnйraux
des vertus. C’est la raison que donne Augustin, au livre VI de La Trinitй. Mais on peut l’attribuer
autrement а la dйpendance des vertus morales par rapport а la prudence, et de
toutes les vertus par rapport а la charitй. Dиs lors, lа oщ la charitй se
trouve de maniиre йgale, il faut que toutes les vertus soient йgales selon la
perfection formelle de la vertu; et de mкme pour la prudence, comparйe aux
vertus morales. Mais, а parler relativement, les vertus peuvent кtre inйgales
chez un seul et mкme homme, si elles ne sont pas connexes, selon
l’inclination de la puissance а l’acte qui provient de la nature, ou pour
n’importe quelle autre cause. C’est pourquoi certains disent qu’elles sont
inйgales selon l’acte, mais cela ne doit кtre entendu que selon l’inйgalitй
de l’inclination а l’acte.
Solutions
:
[66759]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de
inaequalitate quae est et attenditur secundum ipsas virtutes, non de
inaequalitate quae est secundum inesse ipsarum, de qua nunc loquimur. Caritas
enim, ut dictum est, secundum se est maior omnibus aliis virtutibus; sed
tamen, ea crescente, etiam proportionaliter crescunt omnes aliae virtutes in
uno et eodem homine, sicut digiti manus secundum se sunt inaequales, tamen
proportionaliter crescunt.
1. Cet
argument procиde de l’inйgalitй tirйe des vertus elles-mкmes, non de
l’inйgalitй qui existe et qui est envisagйe selon les vertus elles-mкmes, et
non de l’inйgalitй qui vient de leur existence dans quelque chose, dont nous
parlons maintenant. En effet, la charitй, comme on l’a dit, est en elle-mкme
plus grande que toutes les autres vertus. Mais cependant, alors qu’elle
croоt, toutes les autres vertus croissent aussi proportionnellement dans un
seul et mкme homme, de mкme que les doigts de la main sont inйgaux en
eux-mкmes, mais croissent proportionnellement.
[66760]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, tertium,
quartum, quintum et sextum; et etiam ad septimum, quod secundum eumdem modum
probabat, aliis virtutibus esse fortitudinem maiorem.
2.3. 4. 5. 6.
Il faut dire la mкme chose. Et aussi pour 7, qui dйmontrait de la mкme maniиre que la force йtait plus grande
que les autres vertus.
[66761] De virtutibus, q.
5 a. 3 ad 8 Similiter etiam ad octavum, quod eodem modo procedit de iustitia,
licet iustitia, quae est tota virtus, non sit illa iustitia quae ponitur
virtus cardinalis.
8. Cer
argument s’adresse de la mкme faзon а la justice, bien que la justice, qui
est une vertu complиte, ne soit pas la justice йtablie comme vertu cardinale.
[66762]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 9 Et similiter etiam dicendum ad nonum; quia in hoc
omnes virtutes homini insunt, quod distinguuntur secundum maiorem et minorem
perfectionem speciei.
9. Il en va
de mкme, parce que toutes les vertus existent en l’homme selon qu’elles se
distinguent par une plus ou moins grande perfection de leur espиce.
11. L’un est
plus louй pour une vertu que pour une autre, en raison d’une plus grande
promptitude а l’acte.
[66765]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ubi est maior habitus,
oportet quod sit maior actus secundum inclinationem habitus. Potest tamen
esse in homine aliquid vel impediens vel disponens ad actum, quod per
accidens se habet ad habitum; sicut habitus scientiae impeditur ne ad actum
prodeat, propter ebrietatem. Et ideo secundum huiusmodi impedimenta vel
auxilia ad agendum, potest quandoque esse augmentum in actu, non existente
augmento circa habitum.
12. Lа oщ
l’habitus est plus grand, il faut que l’acte soit plus grand selon
l’inclination de l’habitus. Il peut cependant y avoir quelque chose en
l’homme qui empкche l’action ou y dispose, qui a un rapport accidentel avec
l’habitus, comme l’habitus de science est empкchй d’кtre mis en acte par
l’ivresse. Ainsi, par des empкchements ou des aides а l’action de ce genre,
il peut y avoir parfois une augmentation dans l’acte, alors que
l’augmentation n’existe pas pour l’habitus.
[66766] De virtutibus, q.
5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in habitibus acquisitis maius
exercitium causat maiorem habitum; tamen per accidens potest impediri habitus
iam ex pluribus actibus acquisitus, ut non magis possit in actum procedere;
sicut dictum est in corp. art.
13. Dans les
habitus acquis, un exercice plus grand engendre un habitus plus grand. Cependant un habitus dйjа acquis par plusieurs
actes peut кtre empкchй par accident, de sorte qu’il ne peut plus кtre mis en
acte, comme on l’a dit dans le corps de cet article.
[66767]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod in rebus
naturalibus, ubi est aequalis forma, potest esse inaequalitas actus propter
aliquod impedimentum accidentale.
14. Dans les
choses naturelles, oщ la forme est йgale, il peut exister une inйgalitй de
l’acte en raison d’un empкchement accidentel.
[66768]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod potentiae sunt
inaequales secundum seipsas : in quantum, scilicet, una potentia secundum
propriam rationem est perfectior alia. Et hoc etiam modo dictum est, quod
virtutes sint inaequales.
15. Les
puissances sont inйgales en elles-mкmes, dans la mesure oщ une puissance est
plus parfaite qu’une autre selon sa propre raison. Et, de cette maniиre
aussi, on a dit que les vertus sont inйgales.
[66769]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod virtutes insunt
proportionaliter, ut dictum est; unde ex hoc non sequitur quod inaequaliter
habeantur.
16. Les
vertus existent [dans un sujet] de maniиre proportionnelle, comme on vient de
le dire. Dиs lors, il ne s’ensuit pas qu’elles sont possйdйes de maniиre
inйgale.
[66770]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod status patriae
opponitur fidei, ratione apertae visionis, quam non consequitur aliquis per
augmentum caritatis; unde non oportet quod crescente caritate fides minuatur.
17. L’йtat de
la patrie est opposй а la foi, en raison de la pleine vision, que l’on
obtient pas par l’augmentation de la charitй. Dиs lors, il n’est pas
nйcessaire que la foi diminue alors que la charitй croоt.
5. [Jean]
Damascиne comprend que les vertus existent de maniиre йgale en tous.
[66773]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod praemium essentiale
respondet radici caritatis; et ideo, si etiam detur quod virtutes non sint
aequales, tamen idem praemium debebitur uni homini propter identitatem
caritatis.
6. La
rйcompense essentielle correspond а la racine de la charitй. Ainsi, mкme si
l’on admet que les vertus ne sont pas йgales, la mкme rйcompense sera
cependant donnйe а un seul homme, en raison de l’identitй de la charitй.
[66777] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 1 Dicit enim Gregorius, XVI Moral., quod accidentia
vitae comparata cum corpore transeunt. Non ergo manent in patria.
Il semble que non.
1. Grйgoire dit en effet, au livre XVI des Morales sur Job, que les accidents de
la vie, comparйs au corps, passent. Ils ne demeurent donc pas dans la patrie.
[66778] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 2 Praeterea, habito fine non sunt necessaria ea quae sunt ad finem;
sicut postquam pervenitur ad portum, non necessaria est navis. Sed virtutes
cardinales in hoc distinguuntur a theologicis, quod theologicae habent
ultimum finem pro obiecto, cardinales autem sunt circa ea quae sunt ad finem.
Ergo quando perventum fuerit ad ultimum finem in patria, non erit necessaria
virtus cardinalis.
2. Une fois
que l’on possиde la fin, ce qui est ordonnй а la fin n’est plus nйcessaire,
de mкme que, aprиs кtre arrivй au port, le navire n’est plus nйcessaire. Or,
les vertus cardinales se distinguent des vertus thйologales en ceci que les
thйologales ont la fin ultime pour objet, alors que les cardinales portent
sur ce qui est ordonnй a la fin. Quand on sera parvenu а la fin ultime dans
la patrie, les vertus cardinales ne seront donc plus nйcessaires.
[66779] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 3 Praeterea, sublato fine cessat id quod est ad finem. Sed virtutes
cardinales ordinantur ad bonum civile, quod non erit in patria. Ergo neque virtutes
cardinales erunt in patria.
3. La fin
enlevйe, ce qui est ordonnй а la fin s’arrкte. Or, les vertus cardinales sont
ordonnйes au bien civil, qui n’existera plus dans la patrie. Les vertus cardinales
n’existeront donc plus dans la patrie.
[66780]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 4 Praeterea, id non dicitur manere in patria, sed
magis evacuari, quod non manet secundum propriam speciem, sed solum secundum
communem generis rationem; sicut fides dicitur evacuari, quamvis maneat
cognitio, quae est genus eius. Sed virtutes cardinales non remanent in patria
secundum proprias species, secundum quas distinguuntur : dicit enim
Augustinus, XII super Genes. ad Litt., quod una ibi et tota virtus est amare
quod videris. Ergo virtutes cardinales non manent in patria, sed evacuantur.
4. On ne dit
pas que demeure dans la patrie, mais plutфt en est йcartй, ce qui ne demeure
pas selon sa propre espиce, mais seulement selon la raison commune du
genre ; comme l’on dit que la foi est йcartйe, bien que demeure la
connaissance, qui en est le genre. Or, les vertus cardinales ne demeurent pas
dans la patrie selon leurs espиces propres, qui les distinguent : en effet,
Augustin dit, au livre XII de La Genиse
ausens littйral, que lа-bas,
la vertu complиte consiste а aimer ce que l’on verra. Les vertus cardinales
ne demeurent donc pas dans la patrie, mais sont йcartйes.
[66781] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 5 Praeterea, virtutes habent
speciem ex obiectis. Sed obiecta virtutum cardinalium non manent in patria :
nam prudentia est circa dubia, de quibus est consilium; iustitia autem est
circa contractus et iudicia; fortitudo autem est circa pericula mortis;
temperantia autem circa concupiscentias ciborum et venereorum, quae omnia non
erunt in patria.
5. L’espиce
des vertus provient des objets. Or, les objets des vertus cardinales ne
demeurent pas dans la patrie : la prudence, en effet, concerne les doutes,
sur lesquels porte le conseil ; la justice concerne les contrats et les
jugements ; la force concerne les dangers mortels, et la tempйrance
concerne les concupiscences dans la nourriture et les plaisirs sexuels, tout
ce qui n’existera pas dans la patrie.
[66782]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 6 Sed dicendum, quod in patria habebunt alios actus.-
Sed contra, diversitas eius quod cadit in definitione alicuius rei,
diversificat speciem eius. Sed actus cadit in definitione habitus : dicit
enim Augustinus in libro de bono Coniug., quod habitus est quo quis agit cum
tempus affuerit. Ergo si sunt diversi actus, erunt et habitus specie
differentes.
6. Mais il
faut dire que, dans la patrie, elles auront d’autres actes. – Cependant, la diversitй de ce qui dйfinit une
chose diversifie son espиce. Or, l’acte dйfinit l’habitus. En effet, Augustin
dit, dans le livre Sur le bien conjugal,
que l’habitus est ce qui nous fait agir au moment opportun. Si les actes sont
divers, les habitus seront donc aussi diffйrents en espиce.
[66783] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 7 Praeterea, secundum Plotinum, ut Macrobius refert, aliae sunt
virtutes purgati animi, et aliae virtutes politicae. Sed virtutes purgati
animi maxime videntur esse virtutes quae sunt in patria; virtutes autem quae
sunt hic, sunt virtutes politicae. Ergo virtutes quae sunt hic, non manent, sed
evacuantur.
7. Selon
Plotin, comme le rapporte Macrobe, autres sont les vertus de l’вme purifiйe,
et autres sont les vertus politiques. Or, les vertus de l’вme purifiйe
semblent кtre surtout les vertus qui existent dans la patrie, alors que les
vertus qui existent ici-bas sont les vertus politiques. Les vertus qui
existent ici-bas ne demeurent donc pas, mais sont йcartйes.
[66784]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 8 Praeterea, plus distant status beatorum et viatorum,
quam status domini et servi, aut viri et mulieris in vita praesenti. Sed
secundum philosophum in I Politic., alia est virtus domini et alia est virtus
servi, et similiter alia viri et alia mulieris. Ergo multo magis aliae sunt
virtutes viatorum et beatorum.
8. Les йtats
des bienheureux et de ceux qui sont en route sont plus йloignйs que les йtats
du maоtre et de l’esclave, ou de l’homme et de la femme dans la vie prйsente.
Or, selon le Philosophe, au livre I de La
Politique, autre est la vertu du maоtre, et autre la vertu de l’esclave,
et de mкme autre celle de l’homme, et autre celle de la femme. Les vertus de
ceux qui sont en route et des bienheureux sont donc bien plus diffйrentes.
[66785] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 9 Praeterea, habitus virtutum
sunt necessarii ad habilitandum possibilitatem ad actum. Sed huiusmodi habilitatio
sufficienter fiet ibi per gloriam. Non ergo erunt necessarii habitus
virtutum.
9. Les
habitus des vertus sont nйcessaires pour rendre apte la possibilitй de
l’acte. Or, une habilitation de ce genre se rйalisera suffisamment lа-bas par
la gloire. Les habitus des vertus ne seront donc pas nйcessaires.
[66786] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 10 Praeterea, apostolus probat, I ad Corinth. XIII, 8, quod caritas est
excellentior aliis, quia non evacuatur. Sed fides et spes, quae evacuantur,
sunt nobiliores virtutibus cardinalibus, quia habent nobilius obiectum,
scilicet Deum. Ergo
virtutes cardinales evacuantur.
10. L’Apфtre montre, dans 1 Co 13,
8, que la charitй est bien supйrieure aux autres, parce qu’elle ne sera pas
йcartйe. Or, la foi et l’espйrance, qui sont йcartйes, sont plus nobles que
les vertus cardinales, parce qu’elles ont un objet plus noble : Dieu. Les
vertus cardinales sont donc йcartйes.
[66787] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 11 Praeterea, virtutes intellectuales sunt nobiliores moralibus,
ut patet in VI Ethic. Sed virtutes intellectuales non manent, quia scientia
destruetur, ut dicitur I ad Corinth. cap. XIII, 8. Ergo nec virtutes
cardinales manebunt in patria.
11. Les
vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, comme cela
est clair d’aprиs le livre VI de l’Йthique. Or, les vertus
intellectuelles ne demeurent pas, parce que « la science sera
dйtruite », comme il est dit dans 1 Co 13, 8. Les vertus
cardinales ne demeureront donc pas dans la patrie.
[66788]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut Iac. I, 4, dicitur, patientia
opus perfectum habet. Sed patientia non manet in patria nisi secundum
praemium, ut dicit Augustinus XIV de Civit. Dei. Ergo multo minus aliae
virtutes morales.
12. Comme il
est dit dans Jc 1, 4 : La patience s’accompagne d’une њuvre
parfaite. Or, la patience ne demeure pas dans la patrie, si ce n’est par
la rйcompense, comme le dit Augustin au livre XIV de La Citй de Dieu. Donc, les autres vertus morales encore bien
moins.
[66789] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 13 Praeterea, quaedam virtutes cardinales, scilicet temperantia
et fortitudo, sunt in potentiis animae sensitivis : sunt enim irrationabilium
partium animae, ut patet per philosophum in III Ethic. Sed partes animae
sensitivae neque sunt in Angelis, neque possunt esse in anima separata. Ergo
huiusmodi virtutes non sunt in patria neque in Angelis, neque in animabus
separatis.
13. Certaines
vertus cardinales, la tempйrance et la force, sont dans les puissances sensitives
de l’вme, car elles appartiennent aux parties irrationnelles de l’вme, comme
le dit le Philosophe au livre III de l’Йthique. Or, les parties
sensitives de l’вme n’existent pas chez les anges et ne peuvent pas se
trouver dans l’вme sйparйe [du corps]. Les vertus de ce genre n’existent donc
pas dans la patrie, ni chez les anges, ni dans les вmes sйparйes [du corps].
[66790]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, XIII de Civit. Dei,
quod in patria vacabimus, videbimus, amabimus, laudabimus. Sed vacare est
actus sapientiae : videre actus intellectus : amare actus caritatis : laudare
actus latriae. Ergo ista sola erunt in patria, non autem
virtutes cardinales.
14. Augustin
dit, au livre XIII de La Citй de Dieu,
que dans la patrie nous serons libres d’occupations, nous verrons, nous
aimerons, nous louerons. Or, кtre libre d’occupations est un acte de la
sagesse, voir, un acte de l’intelligence, aimer, un acte de la charitй, et
louer, un acte de latrie. Ceux-lа seuls existeront donc dans la patrie, mais
non les vertus cardinales.
[66791] De virtutibus, q.
5 a. 4 arg. 15 Praeterea, in patria erunt homines similes Angelis, ut dicitur
Matth. XXII, 30. Sed secundum sobrietatem homines non assimilantur Angelis,
ad quos non pertinet cibis et potibus uti. Ergo sobrietas non erit in patria,
et pari ratione nec aliae huiusmodi virtutes.
15. Dans la
patrie, les hommes seront semblables aux anges, comme le dit Mt 22, 30.
Or, par la sobriйtй, les hommes ne sont pas assimilйs aux anges, а qui il ne
revient pas de consommer nourritures et boissons. La sobriйtй n’existera donc
pas dans la patrie, et les autres vertus du mкme genre non plus, pour la mкme
raison.
1. Il est dit dans Sg 1, 15 : La
justice est йternelle et immortelle.
[66793] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 2 Praeterea,
Sap. VIII, 7, dicitur de divina sapientia quod sobrietatem et prudentiam
docet, iustitiam et virtutem, quibus in vita nihil utilius est hominibus.
Sed in patria erit plenissima participatio sapientiae. Ergo huiusmodi
virtutes plenius erunt in patria.
2. En Sg 8, 7, il est dit de la
sagesse divine qu’elle enseigne la tempйrance et la prudence, la justice
et la force : il n’y a rien de plus utile pour les hommes dans la vie.
Or, dans la patrie, la participation а la sagesse se rйalisera plus
pleinement. Les vertus de ce genre existeront donc plus pleinement dans la
patrie.
[66794] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt divitiae spirituales. Sed spiritualium
divitiarum maior copia est in patria quam in via. Ergo huiusmodi virtutes
plenius in patria abundabunt.
3. Les vertus sont des richesses
spirituelles. Or, l’abondance des richesses spirituelles est plus grande dans
la patrie que pendant le voyage. Les vertus de ce genre abonderont donc plus
pleinement dans la patrie.
Rйponse :
[66795] De virtutibus, q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in patria manent virtutes cardinales, et habebunt ibi alios
actus quam hic, ut Augustinus dicit, XIII de Trinit. : quod nunc agit
iustitia in subveniendo miseris, quod prudentia in praecavendis insidiis,
quod fortitudo in perferendis molestiis, quod temperantia in coercendis
delectationibus pravis, non ibi erit, ubi nihil omnino mali erit; sed
iustitiae erit regenti Deo subditum esse; prudentiae, nullum bonum Deum
praeponere vel aequare; fortitudinis, ei firmissime cohaerere; temperantiae,
nullo affectu noxio delectari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod
sicut philosophus dicit in I de caelo, virtus importat ultimum potentiae.
Manifestum est autem, quod in diversis naturis diversum est potentiae
ultimum, quia altioris naturae est maior potentia, ad plura et maiora se
extendens. Et ideo illud quod est virtus uni, non est virtus alteri; puta,
hominis virtus determinatur ad ea quae sunt praecipua in humana vita; sicut
temperantia humana est, quod a ratione homo non discedat propter maximas
delectationes, sed eas magis secundum rationem moderetur; fortitudo autem
humana est, ut propter bonum rationis firmiter stet contra maxima pericula,
quae sunt pericula mortis. Sed quia divinae potentiae ultimum non attenditur
secundum ista, sed secundum aliquid altius pertinens ad infinitatem potentiae
eius; ideo fortitudo divina est eius immobilitas; temperantia erit conversio
mentis divinae ad seipsam; prudentia autem est ipsa mens divina; iustitia
autem Dei ipsa lex eius perennis. Est autem considerandum, quod diversa
ultima dupliciter accipi possunt : uno modo secundum quod accipiuntur in
eadem serie motus; alio modo secundum quod accipiuntur ut omnino disparata,
et ad invicem non ordinata. Si igitur accipiantur diversa ultima quae sub una
serie motus ordinantur, esse diversa ultima, faciunt diversas species motus;
non autem diversificant speciem principii motivi, eo quod idem est principium
motus quod movet a principio usque ad finem. Et huius exemplum accipere
possumus in aedificatione, in qua ultimus terminus est forma domus completa;
possunt tamen alia ultima accipi secundum complexionem singularum partium
domus; unde, ut philosophus dicit in X Ethic., alius specie motus est
fundatio domus, quae terminatur ad fundamentum, et alia columnarum erectio,
et alia completa aedificatio; sed tamen ars aedificatoria est una et eadem,
quae est horum trium motuum principium; et idem est in aliis motibus. Si vero
accipiantur diversa ultima disparata, quae non sunt in una serie motus, sed
sunt omnino disparata : tunc et motus specie differunt, et principia motiva;
sicut alia ars est quae est principium aedificationis, et constructionis
navis. Sic ergo ubi est idem ultimum specie, est et eadem virtus secundum
speciem, idem actus, sive motus virtutis; sicut patet quod idem ultimum
specie est quod attingit temperantia in me et in te, scilicet moderantia
circa delectationes tactus; unde nec temperantia nec actus eius specie
differt in me et in te. Ubi vero ultimum quod attingit virtus, nec est in
eadem specie, nec sub eadem serie motus continetur, oportet quod sit differentia
secundum speciem non solum in actu virtutis, sed etiam in ipsa virtute; sicut
patet de istis virtutibus secundum quod dicuntur de Deo et de homine. Ubi
vero ultimum virtutis differt specie (si tamen sub eadem serie motus
continetur, ut scilicet ab uno perveniatur in aliud), est quidem actus
differens specie, sed virtus est eadem; sicut fortitudinis actus ad aliud
ultimum derivatur ante praelium, et ad aliud in ipso praelio, et ad aliud in
triumpho : unde alius specie actus est accedere ad bellum, et alius in
praelio fortiter stare, et alius iterum de adepta victoria gaudere; et eadem
fortitudo est; sicut etiam eiusdem potentiae actus est amare, desiderare et
gaudere. Manifestum est igitur ex praedictis, in istomet artic., quod cum
status patriae sit altior quam status viae, pertingat ad perfectius ultimum.
Si igitur ultimum illud ad quod pertingit virtus viae, ordinetur ad ultimum
illud ad quod pertingit virtus patriae, necesse est quod sit eadem virtus
secundum speciem; sed actus erunt differentes. Si autem non accipiatur unum
in ordine ad aliud, tunc non erunt eaedem virtutes nec secundum actum nec
secundum habitum. Manifestum est autem quod virtutes acquisitae, de quibus
locuti sunt philosophi, ordinantur tantum ad perficiendum homines in vita civili,
non secundum quod ordinantur ad caelestem gloriam consequendam. Et ideo
posuerunt, quod huiusmodi virtutes non manent post hanc vitam, sicut de
Tullio Augustinus narrat. Sed virtutes cardinales, secundum quod sunt
gratuitae et infusae, prout de eis nunc loquimur, perficiunt hominem in vita
praesenti in ordine ad caelestem gloriam. Et ideo necesse est dicere, quod
sit idem habitus harum virtutum hic et ibi; sed quod actus sunt differentes :
nam hic habent actus qui competunt tendentibus in finem ultimum; illic autem
habent actus qui competunt iam in fine ultimo quiescentibus.
Les vertus cardinales demeurent dans la
patrie, et elles y auront d’autres actes qu’ici-bas, comme le dit Augustin au
livre XIII de La Trinitй
: « Le rфle que joue maintenant la justice en venant en aide aux
malheureux, la prudence en prenant des prйcautions contre les embыches, la
force en persйvйrant dans les difficultйs, la tempйrance en rйfrйnant les
plaisirs mauvais, n’aura plus de raison d’кtre lа-bas, oщ il n’y aura absolument
aucun mal. Mais le propre de la justice sera d’кtre soumis au pouvoir de
Dieu; de la prudence, de ne prйfйrer ou йgaler aucun bien а Dieu; de la
force, d’кtre attachй а lui de la maniиre la plus ferme; de la tempйrance, de
ne se plaire en aucun sentiment nuisible. » Pour montrer cela, il faut
savoir que, comme le dit le Philosophe au livre I Du Ciel, la vertu conduit au point ultime d’une puissance. Or, il
est clair que, dans les diverses natures, le point ultime de la puissance est
diffйrent, parce que la puissance d’une nature plus йlevйe est plus grande,
s’йtend а plus de choses et а des choses plus grandes. Ainsi, ce qui est
vertu pour l’un n’est pas vertu pour l’autre. Par exemple, la vertu de
l’homme est tournйe vers ce qui est le principal dans la vie humaine : ainsi,
la tempйrance humaine consiste en ce que l’homme ne s’йloigne pas de la
raison а cause des plus grands plaisirs, mais les modиre plutфt par la
raison ; la force humaine consiste en ce que, en vue du bien de la
raison, il demeure ferme contre les plus grands dangers, qui sont les dangers
mortels. Mais parce que le point ultime de la puissance divine ne se prend
pas de ces choses, mais de quelque chose de plus йlevй qui relиve de
l’infinitй de sa puissance, la force divine est ainsi son immobilitй, la
tempйrance sera la conversion de l’esprit divin vers lui-mкme, la prudence
est l’esprit divin lui-mкme, et la justice de Dieu, sa propre loi йternelle.
Mais il faut observer que l’on peut concevoir de deux faзons les divers
points ultimes : d’une premiиre faзon, selon qu’ils sont reзus dans une mкme
sйrie de mouvements; d’une seconde faзon, selon qu’ils sont reзus comme tout
а fait sйparйs et non ordonnйs les uns aux autres. Si donc l’on conзoit les
divers points ultimes selon qu’ils sont ordonnйs en une seule sйrie de
mouvements, le fait qu’ils sont des points ultimes rend diverses les espиces
de mouvement, mais ils ne rendent pas diverse l’espиce du principe qui meut,
parce que c’est le mкme principe de mouvement qui meut du dйbut а la fin. Et
nous pouvons en voir l’exemple dans la construction, oщ la forme achevйe de
la maison est le terme ultime ; toutefois, l’on peut voir d’autres
points ultimes dans l’assemblage de chacune des parties de la maison. Ainsi,
comme le dit le Philosophe au livre X de l’Йthique, la mise en place
du fondement de la maison est une espиce de mouvement, une autre est
l’йrection de colonnes, et une autre, la construction achevйe. Mais pourtant,
il y a un seul et mкme art de la construction, qui est le principe de ces trois
mouvements ; et il en est de mкme des autres mouvements. Mais si l’on
conзoit les divers points ultimes comme sйparйs, qui ne sont pas en une sйrie
de mouvements mais sont tout а fait sйparйs, alors les mouvements diffиrent
en espиce, ainsi que les principes qui meuvent, de mкme que sont diffйrents
les arts qui sont les principes de la construction et ceux de la rйalisation
d’un navire. Ainsi donc, lа oщ le point ultime est le mкme selon l’espиce, lа
existe une mкme vertu selon l’espиce, un mкme acte ou mouvement de la vertu,
comme il est clair que c’est la mкme fin selon espиce qu’atteint la
tempйrance en moi et en toi : la modйration qui concerne les plaisirs du
toucher. Dиs lors, ni la tempйrance ni son acte ne diffиrent en espиce en moi
et en toi. Mais lа oщ le point ultime qu’atteint la vertu n’est pas dans la
mкme espиce et n’est pas contenu dans la mкme sйrie de mouvements, il faut
qu’il y ait une diffйrence selon l’espиce, non seulement dans l’acte de la
vertu, mais encore dans la vertu elle-mкme, comme on le voit bien dans les
vertus dont on dit qu’elles viennent de Dieu et de l’homme. Mais lа oщ le
point ultime de la vertu diffиre en espиce (s’il est cependant contenu en une
mкme sйrie de mouvements, pour parvenir naturellement de l’un а l’autre),
l’acte est diffйrent en espиce, mais la vertu est la mкme. Ainsi l’acte de la
force se tourne vers un autre point ultime avant le combat, vers un autre
pendant le combat, et encore vers un autre lors du triomphe. Dиs lors, autre
est l’espиce de l’acte de se prйparer а combattre, autre celle de rйsister
vaillamment dans le combat, et autre encore celle de se rйjouir de la
victoire acquise. Et c’est la mкme force. De mкme aussi qu’aimer, dйsirer et
se rйjouir sont l’acte de la mкme puissance. Il est donc clair par ce qu’on
vient de dire dans cet article mкme que, puisque l’йtat de la patrie est plus
йlevй que l’йtat du voyage, il atteint un point ultime plus parfait. Si donc
le point ultime qu’atteint la vertu du voyage est ordonnй а celui qu’atteint
la vertu de la patrie, il est nйcessaire qu’il s’agisse de la mкme vertu par
l’espиce, mais les actes seront diffйrents. Mais si l’on ne conзoit pas un
point ultime comme ordonnй а un autre, alors ce ne seront pas les mкmes
vertus, ni selon l’acte ni selon l’habitus. Or, il est clair que les vertus
acquises, dont ont parlй les philosophes, sont ordonnйes seulement а la
perfection des hommes dans la vie civile, et non а obtenir la gloire cйleste.
Ainsi ils ont йtabli que les vertus de ce genre ne demeurent pas aprиs cette
vie, comme le raconte Augustin а propos de Cicйron. Mais les vertus
cardinales, parce qu’elles sont gratuites et infuses, pour autant que nous
parlons maintenant d’elles, perfectionnent l’homme dans la vie prйsente en
vue de la gloire cйleste. Ainsi, il est nйcessaire de dire que l’habitus de
ces vertus est le mкme ici-bas que lа-bas, mais que les actes sont
diffйrents. Ici-bas, en effet, elles ont des actes qui s’accordent avec ce
qui tend а la fin ultime, alors que lа-bas, elles ont des actes qui
conviennent а ceux qui se reposent dйjа dans la fin ultime.
Solutions
:
[66796]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi virtutes
perficiunt hominem in vita activa, sicut in quadam via qua pervenitur ad
terminum contemplationis patriae; et ideo in patria manent secundum actus
consummatos in fine.
1. Les vertus
de ce genre perfectionnent l’homme dans la vie active, comme dans un voyage
qui le fait parvenir au but de la contemplation dans la patrie. Ainsi, elles
demeurent dans la patrie selon leurs actes finalement achevйs.
[66797]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes cardinales sunt
circa ea quae sunt ad finem, non quasi in his sit ultimus eorum terminus,
sicut ultimus terminus navis est navigatio; sed in quantum, per ea quae sunt
ad finem, habent ordinem ad finem ultimum; sicut temperantia gratuita non
habet pro finali ultimo moderari concupiscentias tactus, sed hoc facit
propter similitudinem caelestem.
2. Les vertus
cardinales concernent ce qui est tournй vers la fin, non pas comme si leur
terme se trouvait dans cela, comme la navigation est la fin ultime du navire,
mais dans la mesure oщ, par ce qui est tournй vers la fin, elles sont
ordonnйes а la fin ultime. Ainsi la tempйrance gratuite n’a pas pour fin
ultime de modйrer les concupiscences du toucher, mais elle le fait en raison
de la similitude cйleste.
[66798]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum civile non est finis
ultimus virtutum cardinalium infusarum, de quibus loquimur, sed virtutum
acquisitarum de quibus philosophi sunt locuti, sicut dictum est in corp. art.
3. Le bien
civil n’est pas la fin ultime des vertus cardinales infuses, dont nous
parlons, mais des vertus acquises dont ont parlй les philosophes, comme on
l’a dit dans le corps de cet article.
[66799]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet unam et
eamdem rem esse finem diversarum virtutum vel artium; sicut conservatio boni
civilis est finis et terminus militaris et legis positivae : unde utraque ars
vel virtus habet actum suum circa hoc sicut circa finale bonum; sed
militaris, in quantum providet de conservatione boni civilis, secundum quod
per fortia certamina ad hoc pervenitur; sed lex positiva gaudet de eodem,
secundum quod per ordinationem legum bonum civile conservatur. Sic igitur
fruitio Dei in patria est finis omnium cardinalium virtutum; et unaquaeque
gaudet ibi de ea, secundum quod est finis suorum actuum. Et ideo dicitur quod
in patria erit una virtus, in quantum erit in subiecto, de qua omnes virtutes
gaudebunt; tamen erunt differentes actus et differentes virtutes secundum
diversam rationem gaudendi.
4. Rien
n’empкche qu’une seule et mкme chose soit la fin de divers arts ou vertus,
comme la conservation du bien civil est la fin et le terme du soldat et de la
loi positive. Dиs lors, l’acte des deux art ou vertu porte sur cela comme sur
son bien final : mais, pour le soldat, dans la mesure oщ il s’occupe de la
conservation du bien civil en y parvenant par de durs combats, alors que la
loi positive s’en rйjouit en conservant le bien civil par l’ordonnance des
lois. Ainsi donc, la jouissance de Dieu dans la patrie est la fin de toutes
les vertus cardinales, et chacune s’en rйjouit lа-bas, selon qu’elle est la
fin de ses actes. C’est pourquoi l’on dit que, dans la patrie, il y aura une
seule vertu, selon qu’elle existera dans un sujet, dont se rйjouiront toutes
les vertus ; cependant les actes seront diffйrents des vertus selon des
raisons diverses de se rйjouir.
[66800]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse
obiectum virtutum dupliciter. Uno modo sicut illud ad quod virtus ordinatur
sicut ad finem; sicut summum bonum est obiectum caritatis, et beatitudo
aeterna obiectum spei. Alio modo sicut materia circa quam operatur, ut ab ea
in aliud tendens; et hoc modo delectationes coitus sunt obiectum
temperantiae, non enim temperantia intendit huiusmodi delectationibus
inhaerere, sed istas delectationes compescendo, tendere in bonum rationis. Similiter
fortitudo non intendit inhaerere periculis superando pericula, sed consequi
bonum rationis; et idem est de prudentia respectu dubitationum, et de
iustitia respectu necessitatum huius vitae. Et ideo quanto longius ab his
fuerit recessum, secundum profectum spiritualis vitae, tanto erunt
perfectiores actus harum virtutum, quia praedicta verba magis se habent ad
has virtutes per modum termini a quo quam per modum termini ad quem, qui dat
speciem.
5. Quelque
chose est dit objet des vertus de deux faзons : d’une faзon, comme ce а quoi
est ordonnйe la vertu comme а sa fin : ainsi le plus grand bien est l’objet
de la charitй, et la bйatitude йternelle, l’objet de l’espйrance; d’une
seconde faзon, comme la matiиre sur laquelle elle agit, de sorte qu’elle passe
de celle-ci а autre chose. De cette maniиre, les plaisirs de l’accouplement
sont l’objet de la tempйrance, car la tempйrance ne vise pas а s’attacher а
des plaisirs de ce genre, mais, en rйprimant ces plaisirs, а tendre vers le
bien de la raison. De mкme, la force ne vise pas а s’attacher aux dangers en
surmontant les dangers, mais а poursuivre le bien de la raison. Et il en va
de mкme pour la prudence par rapport aux doutes, et pour la justice, par
rapport а ce qui est nйcessaire а cette vie. Ainsi, plus l’on s’en sera
йloignй, selon l’avancement de la vie spirituelle, plus les actes de ces
vertus seront parfaits, parce que ce que l’on vient de dire concerne plus ces
vertus par mode de point de dйpart (terminus
a quo)que par mode de point d’arrivйe (terminus ad quem), qui donne l’espиce.
[66801]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non omnis differentia
actuum demonstrat diversitatem habituum, sicut iam dictum est in corp. Art.
6. Toute
diffйrence des actes ne dйmontre pas la diversitй des habitus, comme il a
dйjа йtй dit dans le corps de cet article.
[66802]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtutes purgati animi,
quas Plotinus definiebat, possunt convenire beatis : nam prudentiae ibi est
sola divina intueri; temperantiae, cupiditates oblivisci; fortitudinis,
passiones ignorare; iustitiae, perpetuum foedus cum Deo habere. Sed virtutes
politicae de quibus ipse loquitur, ordinantur tantum ad bonum civile
praesentis vitae ut dictum est in corp. art.
7. Les vertus
de l’вme purifiйe, dйfinies par Plotin, peuvent convenir aux bienheureux :
lа-bas, en effet, le propre de la prudence est de fixer ses regards sur les
seules choses divines ; le propre de la tempйrance, d’oublier les
dйsirs ; le propre de la force, d’ignorer les passions ; le propre
de la justice, d’avoir une alliance йternelle avec Dieu. Mais les vertus
politiques dont il parle lui-mкme sont ordonnйes seulement au bien civil de
la vie prйsente, comme on vient de le dire dans le corps de cet article.
[66803]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ultima virtutum servi et
domini, mulieris et viri non ordinantur in invicem, ut sic ex uno transeatur
in aliud; et ideo non est similis ratio.
8. Les points
ultimes des vertus de l’esclave et du maоtre, de la femme et de l’homme, ne
sont pas ordonnйs les uns aux autres, de sorte qu’on passe de l’un а l’autre.
Ainsi, ce n’est pas le mкme raisonnement.
[66804]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipsa habilitatio gloriae ad
opera virtutum, quae fiet vel perficietur per gloriam, pertinet ad ipsos
habitus virtutum.
9.
L’habilitation mкme de la gloire aux њuvres des vertus, qui se fera ou sera
rйalisйe par la gloire, relиve des habitus mкmes des vertus.
[66805] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod fides ordinatur ad veritatem non apparentem,
et spes ad arduum non habitum sicut a quo speciem habent. Et ideo, quamvis
excellentiores sint virtutibus cardinalibus propter altius obiectum, tamen
evacuantur, propter hoc quod habent speciem ab eo quod non manet.
10. La foi
est ordonnйe а une vйritй non йvidente et l’espйrance, а quelque chose de
difficile non possйdй, dont elles reзoivent leur espиce. Ainsi, bien qu’elles
soient meilleures que les vertus cardinales en raison de leur objet plus
йlevй, elles sont cependant йcartйes parce que leur espиce provient de ce qui
ne demeure pas.
11. La
science non plus ne sera pas dйtruite selon l’habitus, mais elle aura un
autre acte.
[66807]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod patientia non manebit
in patria secundum actum quem habet in via, tolerando scilicet tribulationes;
manebit tamen secundum actum convenientem fini, sicut et de aliis virtutibus
dictum est in corp. art.
12. La
constance ne demeurera pas dans la patrie selon l’acte qu’elle a pendant le
voyage : supporter les tourments ; mais elle demeurera dans l’acte qui
convient а la fin, comme on l’a dit aussi pour les autres vertus dans le
corps de cet article.
[66808]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod quidam dicunt quod
irascibilis et concupiscibilis, in quibus sunt temperantia et fortitudo, sunt
in parte superiori, non autem in parte sensitiva. Sed hoc est contra
philosophum in III Ethic., ubi dicit, quod virtutes sunt irrationabilium
partium. Quidam autem dicunt, quod vires sensitivae partis manent in anima
separata vel secundum potentiam tantum, vel secundum actum. Sed hoc non
potest esse, quia actus potentiae sensitivae non est sine corpore; alioquin
anima sensitiva brutorum esset etiam incorruptibilis, quod est erroneum.
Cuius autem est actio, eius est etiam potentia; unde oportet quod potentiae
huiusmodi sint coniunctae; et ita post mortem non remanent in anima separata
actu, sed virtute, sicut in radice in quantum scilicet potentiae animae
fluunt ab essentia eius. Virtutes autem istae sunt quidem in irascibili
quantum ad eorum derivationem; sed secundum originem et inchoationem sunt in
ratione et in voluntate, quia principalis actus virtutis moralis est electio,
quae est actus appetitus rationalis. Sed ista electio per quamdam
applicationem terminatur ad passiones irascibilis et concupiscibilis secundum
temperantiam et fortitudinem.
13. Certains
disent que l’irascible et le concupiscible, oщ existent la tempйrance et la
force, se trouvent dans la partie supйrieure, mais non dans la partie
sensitive. Mais cela va contre le Philosophe qui dit, au livre III de l’Йthique,
que les vertus appartiennent aux parties irrationnelles. Or, certains disent
que les forces de la partie sensitive demeurent dans l’вme sйparйe du corps,
soit selon la seule puissance, soit selon l’acte. Mais cela ne peut pas кtre
le cas, parce que l’acte d’une puissance sensitive n’existe pas sans le
corps, sans quoi l’вme sensitive des animaux sans raison serait aussi
incorruptible, ce qui est une erreur. Or, acte et puissance relиvent de la
mкme chose. Dиs lors, il faut que des puissances de ce genre soient unies [au
corps]. Ainsi, aprиs la mort, elles ne demeurent pas dans l’вme sйparйe du
corps selon l’acte, mais selon selon la puissance, comme dans leur racine,
dans la mesure oщ les puissances de l’вme dйcoulent naturellement de son
essence. Mais ces vertus se trouvent assurйment dans l’irascible quant а ce
dont elles dйcoulent, mais, selon leur origine et leur amorce, elles existent
dans la raison et dans la volontй, parce que l’acte principal de la vertu
morale est le choix, qui est l’acte de l’appйtit rationnel. Mais ce choix,
par une certaine application, a son terme dans les passions de l’irascible et
du concupiscible, suivant la tempйrance et la force.
[66809]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnia illa quatuor
pertinent ad unumquemque actum virtutum cardinalium per modum finis, in
quantum in eis consistit beatitudo caelestis.
14. Ces
quatre actes relиvent tous de chaque acte des vertus cardinales par mode de
fin, dans la mesure oщ la bйatitude йternelle consiste en eux.
[66810]
De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sobrietas non
assimilat nos Angelis secundum actum viae quem habet circa materiam ciborum
et potuum; sed secundum actum patriae, quem habet circa ultimum finem, sicut
et aliae virtutes.
15. La
sobriйtй ne nous assimile pas aux anges selon l’acte du voyage qu’elle
possиde en matiиre de nourritures et de boissons, mais selon l’acte de la
patrie, qu’elle possиde pour ce qui est de la fin ultime, comme les autres
vertus.
[1]
Le pиre Maxime Allard est dominicain et professeur de philosophie et de
thйologie au Collиge Universitaire Dominicain а Ottawa (Canada). Il est Docteur
en thйologie de l'Universitй de Laval. Il est titulaire d'une maоtrise en philosophie
а l'Universitй d'Ottawa (1997). Il a йgalement obtenu une maоtrise et une
licence en thйologie au Collиge dominicain (1991). Ses champs d'intйrкt et de
recherche sont concentrйs sur les sujets suivants : Thomas d'Aquin; le
rationalisme au XVIIe siиcle (Descartes et Spinoza); l'hermйneutique et les
philosophies « post-modernes »; la philosophie de la religion; la
philosophie politique.
[2] Philippa Foot, Virtue and
Vices and other Essays in Moral Philosophy, Oxford University Press, 2003,
232p.; Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory,
University of Notre Dame Press, 3e йdition, 2007, 321p.; S.L.
Danwall (ed.), Virtue Ethics, Basil Blackwell Pubs., coll. “Blackwell
Readings in Philosophy”, 2002, 272p.; J. Oakley, “Varieties of Virtue Ethics”,
in Ratio, 9\2 (1996), p. 128-152; M. Alvarez Mauri, “Perspectivas
actuales sobre la virdud. Estudio bibliografico”, in Pensamiento, 198\48
(1992), p. 459-485; S.M. Gardiner (ed.), Virtue Ethics Old and New,
Ithaca, Cornell University Press, 2005; G.E. Pence, « Recent Works on
virtue », in American Philosophical Quarterly 21 (1984), p.
281-298; K.M. Staley, “Thomas Aquinas and Contemporary Ethics of Virtue”, in The
Modern Schoolman, 66 (1989), p. 285-300; L Sentis, De l'utilitй des
vertus. Ethique et
alliance, Paris,
Beauchesne, 2004, 404p;
[3]
L.E. Corso de Estrada, « Antropologia en la Q.d. de virtutibus in
commun de Santo Tomбs », Sapientia, 46 (1991), p. 99-110; M.F.
Johnson, « St. Thomas, Obediential Potency, and the Infused Virtues :
De Virtutibus in Communi, a. 10 ad 13”, in Recherches de thйologie
ancienne et mйdiйvale, supplementa I, 1995; J. Leirens, La thйorie des
vertus dans la Question Disputйe De virtutibus in communi de saint Thomas
d’Aquin, Rome, Pontificia Universitas Santa Crucis, Facultas Filosofia,
2002, 322p.; J Inglis « Aquinas’s Replication of the Acquired moral
virtues: Rethinking the Standard Philosophical Interpretation of Moral Virtue
in Aquinas”, in Journal of Religious Ethics 27\1 (1999), 3-27. Un
mйmoire de maоtrise au Centre Pierre Abйlard, par Marie-Alix Vandevoorde a
proposй une « Traduction et commentaire des articles 10, 11 et 13 du De
virtutibus in communi de Thomas d’Aquin » en 2005 sous la direction de
R. Imbach. La traduction d’un monumental « On the virtues » de J.
Capreolus en 2001, prйfacй par Pinckaers et traduit par K. White et R. Cessario
(Catholic University of America Press, xxxv + 395p.) serait aussi а mettre au
compte de cet intйrкt pour la vertu parmi les thomistes.
[4]
Il faudra attendre l’йdition critique de la Commission lйonine pour savoir ce
qu'il en est de cet « ajout » de ce dominicain.
[5]8E. Wйber, La controverse de 1270 а
l’Universitй de Paris et son retentissement sur la pensйe de S. Thomas d’Aquin,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque
thomiste » 40, 1970 et id., La Personne humaine au XIIIe siиcle,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothиque
thomiste » 46, 1991; Thomas d’Aquin, Contre Averroиs, traduit,
prйsentй et annotй par Alain de Libera, Paris, Garnier-Flammarion, coll.
« Philosophie », 1999, 713p.; A. de Libera, L’Unitй de
l’intellect : commentaire du De Unitate Intellectu contra averroistas de
Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.
« Йtudes et commentaires », 2004, 558p.
[6]
J.-P. Torrell, Saint Thomas d’Aquin : sa personne et son oeuvre,
Paris & Fribourg, Йditions du Cerf et Йditions universitaires de Fribourg,
coll. « Vestigia. Pensйe antique et mйdiйvale. Initiation. 13 » 2e
йditions, 2002, 654p. oщ il affine les donnйes des PP. Synave, Mandonnet et
Weisheipl et les travaux de P. Glorieux; J.A. Weisheipl, Frиre Thomas
d’Aquin. Sa viem sa pensйe, son oeuvre, traduit de l’anglais par C. Lotte
et J. Hoffmann, Paris, Cerf, coll. « Cerf Histoire », 1993, p.
143-148, 283.
[7]
Cela mйrite attention car ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la
question 1 du De veritate sera certes scindйe en deux dans la Summa
theologiae Ia, q. 16-17 mais l’ordre des articles sera globalement respectй
bien que le contenu soit trиs modifiй а l’intйrieur de chaque respondeo,
surtout а propos de la dйfinition de la vйritй (cf. L. Dewan, « St
Thomas’s Successive Discussions on the Nature of Truth », in D. Ols (ed.), Sanctus
Thomas de Aquino : Doctor Hodiernae Humanitatis, Vatican City, Libreria
Editrice Vaticana, 1995, p. 153-168. D’autres cas pourraient кtre recensйs.
[8]
« Mais il faut dire qu’on est empкchй de faire des reproches au railleur,
qui mйprise la correction et par lа il devient pire. Mais en sens contraire,
le pйchй est une faiblesse de l’вme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie
pitiй de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui а qui on impose
le soin d’un faible ne doit pas renoncer а cause de son opposition ou de son
mйpris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il mйprise le
remиde ; c’est pourquoi le mйdecin a du mal а soigner un dйment…. »
(nos italiques). La mкme chose se produit aussi, par exemple, en q. 1, a. 4,
obj. 5 et 8; q. 1, a. 8, obj, 10; q. 1. a. 9, obj. 14; q. 2, a. 12, obj. 9, etc.
On trouve mкme un cas oщ aucun sedcontra n’apparaоt ce qui, dans
la Summa theologiae est presque exclusivement rйservй а des questions oщ
il va de valider une liste (v.g., Summa theologiae, IIaIIae, q.
80).
[9]
Sur toute cette question, cf. B. Bazan , G. Fransen, JF Wippel, D
Jacquart, Les questions disputйes et les questions quodlibйtiques dans les
facultйs de thйologie, de droit et de mйdecine, Turnhout, coll.
« Typologie des sources du moyen вge occidental 44-45 » , 1985, p.
13-149. On pourra relire aussi avec profit le neuviиme chapitre de M.-D. Chenu,
Introduction а l’йtude de saint Thomas d’Aquin, Publication de
l’Institut d’йtudes mйdiйvales 11, Montrйal-Paris, 1954 ainsi que le long
article de P. Glorieux, « L’enseignement au Moyen вge. Techniques et
mйthodes en usage а la Facultй de Thйologie de Paris au XIIIe siиcle », in
Archives d’histoire doctrinale et littйraire du Moyen Age, 35 (1968), p.
65-186.
[10]
S. Thomas d’Aquin, Questiones disputatae, tome 2, Marietti, 1949, p.
703. Que penser par ailleurs de l’attente soutenue par le dйsir d’une
prйsentation oщ il en irait de la cohйrence parfaite et complиte de la nature
de la « vertu »? C’est lа une question pour un autre travail car je
ne crois guиre possible de trouver un lieu thomasien oщ ce dйsir et cette attente
trouveraient satisfaction!
[11]
D’ailleurs, la correctio avait fait deux brиves apparitions dans le
traitement des questions antйrieures duDe
virtutibus in communi en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10.
[12]
Il est intйressant de voir le P. Bernard, dans les notes doctrinales thomistes
expliciter le texte de la Somme thйologique comme si l’importation
avouйe et rйpйtйe de cet йlйment de la question disputйe allait de soi (Sommethйologique, Lavertu, tome premier, Paris, Йditions de la
Revue des jeunes, 1933, p. 382-384) et qu’il ne se pose pas la question de
l’absence de ces traits dans la nйgociation thйologique propre а la Somme
thйologique.
[13] Q. 1, a. 1, ad 13; q. 1, a.
4, ad 2; q. 2, a. 6, ad 15; q. 2, a. 13, ad 1; q. 5, a. 4,
ad 13.
[15] Q. 3, a. 1, ad19 : « si correctio secundum debitas
circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis
stabilimentum, remotis discordiarum causis.”
[17]
Nй en en 1935, Jacques Mйnard a йtй professeur d'histoire du Moyen Вge а
l'Universitй de Montrйal (Canada) pendant une trentaine d'annйes. Il a enseignй
en particulier l'histoire des rapports entre religion et politique au Moyen
Вge; Il a йtй aussi chargй pendant plusieurs annйes des cours sur l'histoire du
latin mйdiйval. Il est actuellement le plus efficace collaborateur du projet http://docteurangelique.free.fr pour la traduction et l’йdition des њuvres complиtes de
saint Thomas d’Aquin.
[18]
Actuellement en retraite, Raymond Berton est titulaire d'un Doctorat d’Йtat
franзais, consacrй а Abraham dans la littйrature patristique latine. Il
a rйalisй deux traductions du De potentia de saint thomas d’Aquin. Il
travaille en ce moment sur le Commentaire
des Sentences. Le 1er septembre 2005, il nous
annonce son projet de prendre en main tout le livre 1 pour le projet
http://docteurangelique.free.fr .
[19] I Sent. d. 17,q. 1, a. 1. IIa//IIж q. 23, a. 2 ;
[20]les paroles de l’Apфtre, Sermon 18 et
28 (161 et 180).
[21]
Le texte d’Augustin La Trinitй, VIII,
VIII, 12 : Diligat fratrem, et diliget
eamdem dilectionem. Trad. BA p. 63 : « Qu’il aime son frиre, il aimera
ce mкme amour. Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime, que son frиre
qu’il aime».
[22]
Augustin, mкme rйfйrence : «Apertissime enim in eadem Epistula …dicit ……
Ista contextio satis aperteque declarat, eamdem ipsam fraternem dilectionem…(nam
fraterna dilectio est, qua diligimus invicem) non solum ex Deo, sed etiam Deum
esse tanta auctoritate praedicari ». Trad. BA (p65) : « Ce contexte
est assez clair. Il montre que cette charitй fraternelle… non seulement vient
de Dieu, mais qu’elle est Dieu…
[23]La Trinitй, XV, XVII, 27.
: « Nous n’irons pas dire en effet que, si Dieu est appelй charitй,
c’est non pas que la charitй elle-mкme soit une substance qui mйrite le nom de
Dieu, mais c’est qu’elle est un don de Dieu, au sens par exemple oщ le psalmiste
dit а Dieu : « Tu es ma patience. »… Mais il n’est pas dit :
« Seigneur, ma charitй », ou « Dieu ma charitй ». Il est
dit : « Dieu est charitй », comme il est dit : « Dieu est
Esprit ». (Jn 4, 24). (Trad. BA
16, p. 27-28).
[24]
Augustin la Trinitй, VIII, VIII, 12
:« Il connaоt mieux en effet l’amour dont il aime que son frиre qu’il
aime. Et voilа dиs lors que Dieu lui est mieux connu que son frиre ;
beacoup mieux connu, par que prйsent…Embrasse le Dieu amour et tu embrasseras
Dieu par amour » Trad. BA 16 p. 63.
[25]
L’expression se trouve en Ia//IIж 49, a. 1 sc. C’est Aristote qui le dit Catйgories 8, 9 a 5.
[26]
Les quatre dйfinitions de la nature donnйe par Boиce (Contre Eutychиs et Nestorius, ou la Personne du Christ, 1) ;
1. Les
choses corporelles ou incorporelles, ce qui peut кtre saisi par
l’intellect. ». Le terme nature s’applique а des choses qui, puisqu’elles
sont, peuvent кtre saisies de quelque maniиre. Accident et substance sont donc
compris dans cette dйfinition, car tous peuvent кtre saisis.
2.
« Est une nature ce qui peut ou agir ou pвtir.
3.
« La nature est le principe du mouvement par soi et non par
accident » (Cf. Physique, 192 b)
4.
« La nature est la diffйrence spйcifique qui donne sa forme а chaque
chose ». (Trad. H. Merle)
J. Maritain
nous invite a considйrer en plus de ce que nous appelons nature « la
nature de tout кtre ». C’est dans ce sens qu’il faut comprend l’emploi du
mot dans ce qui suit.
[27]
Il s’agit des dix catйgories (Catйgories,
4, 1 b 25).
[28]
La pйlagianisme est une hйrйsie en matiиre de thйologie de la grвce, promue par
le moine Pйlage (dйbut du Ve siиcle). Sa doctrine se rйsume ainsi :
« L’homme peut accomplir les commandements de Dieu par ses propres forces
sans qu’il ait besoin pour cela d’un concours divin intйrieur а la
volontй ». (Ch Baumgartner, La grвce
du Christ, p. 14. Cette opinion a йtй ombattue par Augustin.
On
trouve en I Sent. d. 17, q. 1, a. 1,
arg. 8 le mкme raisonnement mais plus clair. Le syllogisme consiste а dire : 1.
Le crйй est une nature – 2. Si la charitй est crййe elle est une nature, qui
apporte des mйrites – 3. Donc en conclusion une nature apporte du mйrite, ce
qui est la doctrine de Pйlage.
[29]
Cf. I Sent. D. 17,q. 1,a.2 :
« La charitй est-elle un accident ? »
[30]
Comprendre un кtre naturel, sans apport de la grвce.
[31]
« Le Maоtre… affirme que la charitй n’est pas quelque chose de crйй dans
l’вme, mais l’Esprit saint lui-mкme habitant notre вme » (IIa IIж, q. 23, a. 1, c.
[32]
« D’autres actes vertueux procиdent de l’Esprit saint par la mйdiation des
habitus d’autres vertus. » Il cite l’espйrance et la foi (IIa IIж, q. 23, a. 2 c.).
[33]
Thomas distingue intrinsиque et interne. Ce qui est intrinsиque appartient а la
nature et en dйpend, opposй а un mouvement intйrieur.
[34]
« …parce que le pйchй ne corrompt pas entiиrement la nature humaine…il
reste que l’homme dans cet йtat peut, par son pouvoir naturel, rйaliser les
biens particulier, comme bвtir une maison et planter des vignes » Ia, IIж q. 109, a. 2, c.
[35]Parall. IIaIIж, q. 23, a. 3. II
Sent. d. 27, q. 2, a. 2.
[36]
Le texte dit diligere vel amare. Les
deux mots se traduisent pour nous par « aimer », (Ia IIж, q. 26, a. 3) : « L’amour
est-il la mкme chose que la dilection ». « L'amour est le plus
commun; car toute dilection ou charitй est amour; mais l'inverse n'est pas
vrai. Car la dilection, comme le mot l'indique, ajoute а l'amour l'idйe d'un
choix, d'une "йlection" antйcйdente. Ce qui fait que la dilection ne
se trouve pas dans le concupiscible mais seulement dans la volontй, et dans la
seule nature rationnelle. Enfin la charitй ajoute а l'amour une certaine
perfection, car ce qu'on aime de charitй est estimй d'un grand prix, comme
l'indique le nom mкme de charitй ».
[38]
L‘amitiй ne concerne que les individus entre eux et non la vie de la citй.
[39]
La mйdiйtй de la vertu selon Aristote : « J’entends par moyen dans la
chose ce qui s’йcarte а йgale distance de chacun des deux extrкmes ». (Ethique ; II, 5 1106 a 27). Sur
« nos њuvres bien rйussies… il est impossible de rien retrancher ni de
rien ajouter. Voulant signifier par lа que l’excиs et le dйfaut dйtruisent la
perfection tant que la mйdiйtй la prйserve… ». (Ibid. 1106 b 10).(Trad. J. Tricot).
[40]
Cf. IIaIIж q. 23, a. 2, arg. 2 :
« Mais la charitй n’est pas le dernier degrй (ultimum) mais c’est plus la joie et la paix. Donc il semble que la
charitй n’est pas une vertu, mais c’est la joie et la paix qui en sont
une ».
[41]
En IIaIIж, q. 23, a. 1, sc., il cite Jn 15, 15 : « Je ne vous
appeler plus serviteur, mais mes amis ».
[42]
Thomas йtudie trois cas oщ s’exerce la vertu d’amour : l’acte de raison,
l’opйration de l’artisan et celle de l’homme en tant que citoyen, appliquйe en
parallиle а la citoyennetй de la Jйrusalem cйleste.
[43]Parall. :IIaIIж, q. 23, a. 8 – II
Sent., d. 26, a. 4, ad 5. – III Sent.,
d. 23, q. 3, a. 1, q. 1 – d. 27, q. 2, a. 4 ; qa. 3 – Q. de verit., q. 11, a. 5, - De
malo, q. 7, a. 2.
[51]
La liste des dйfauts et vices citйs par saint Paul est bien plus longue.
[52]Parall. : IIa IIж, q. 25, a. 8,
q. 83, a. 8 – III Sent. , d. 30,
a ; 1 – De duobus Praecept, cap.
De dilect, prox. – de Perf. Vitae spir., cap. XIV, Ad Rm 12, lectio 3.
[53]
Mais saint Jean ajoute aussitфt : « Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos
ennemis… (5, 44).
[56]Parall.
:IIa IIж, q. 26, a. 1 – III Sent. d. 29, a. 1.
[57]
« Il m’a menйe au cellier et la banniиre qu’il dresse sur moi est
l’amour » (BJ.).
[58]Parall. : IIa IIж, q. 24, a. 8, - q. 184, a. 2 – II Sent. d. 27, q. 3, a ; 4 – De perf. vit spir., cap. III, sq. Ad Philipp., c. 3, lect. 2 -
[59]
« Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que demeurer dans
ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi,
non dans la claire vision... » (BJ).
[62]
« Qui fait jamais campagne а ses propres frais ? » (BJ).
[63]Parall.
:IIa IIж, q. 24, a. 11 — CG.
IV, 70 — Ad Rom., c. 8, lect. 7 — Ad cor., c. 13, lect. 3. Cet article est souvent la reprise,
parfois mot а mot, de l’art. 11 de IIa
IIж, q. 24.
[64]Homйlie sur la Pentecфtes (cf. IIa
IIж, q. 24, a ; 11, arg. 3).
[68]Le prйcepte est un
terme technique, opposй au conseil.Le prйcepte s’impose а tous (exemple : la charitй), le conseil а
certains (pauvretй, chastetй, etc.).
[69]Parall. : IIaIIж, qu. 33, a. 2 – IV
Sent., d. 19, qu. 2, a. 2, q.a 1.
[70]
Proverbes 9, 8 « Ne reprends pas le railleur, il te haпrait, reprends le
sage, il t'aimera ». B.J.
[71]
« … comme certains nous accusent outrageusement de le dire, devrions-nous
faire le mal pour qu'en sorte le bien? Ceux-lа mйritent leur
condamnation » (Rm 3, 8).
[73]Parall.
: IIa, IIж, q. 33, a. 3 — IV Sent., dist. 11, q. 2, a. 3 q. a 1
— Quodl., I, q. 7, a. 2 — XI, q. 10,
a. 1, 2, In Matth., c. 40.
[74]
« CORRECTION FRATERNELLE, 7. Et si dans quelqu'un de vos frиres vous
remarquez ce regard immodeste dont je parle, avertissez-le de suite, afin que
sa faute ne se prolonge point, mais qu'il s'en corrige au plus tфt. Si, aprиs
votre avis, et en quelque jour que ce soit, vous le voyez retomber, celui qui
aura pu l'observer doit le dйcouvrir comme un blessй qu'il faut guйrir.
Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а un
troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou trois
tйmoins (2) et retenu par une crainte salutaire. Mais ne croyez pas кtre
malveillants en le faisant connaоtre; vous кtes coupables au contraire quand
vous laissez pйrir par votre silence des frиres que vous pouvez corriger en
parlant ».
[75]
« …devant ceux qui doivent le convaincre s'il nie , le signaler au
supйrieur, dans la crainte qu'une correction trop secrиte ne lui permette de
dissimuler devant les autres ».
[76]
« Tu conservais un front de prostituйe, refusant de rougir ». (BJ).
[77]
« Auparavant nйanmoins, on doit le faire remarquer а un autre, et mкme а
un troisiиme, afin qu'il puisse кtre convaincu par la dйposition de deux ou
trois tйmoins et retenu par une crainte salutaire ».
[79]
Nйe en 1980, Anne Michel a suivi des йtudes classiques, jusqu'а l'obtention
d'une maоtrise de lettres classiques (Le livre IV de la Johannide de
Corippe: introduction, traduction et notes), d'une maоtrise de philosophie (Les
vertus cardinales chez saint Thomas d'Aquin: une
question disputйe, introduction et traduction) et d'un DEA de papyrologie (Edfou а l'йpoque byzantine :
des ostraca grecs inйdits de l'IFAO).