"Résumé de la foi catholique" - читать интересную книгу автора (Aquinas St. Thomas)COMPENDIUM THEOLOGIAE BREF RЙSUMЙ DE LA FOI CHRЙTIENNE
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DES DOCTEURS DE L'EGLISE Opuscule n° 2 Rйdigй de 1260 а 1272, cette petite somme de thйologie est
une oeuvre de maturitй du Maоtre. Elle reste inachevйe, suite а une extase
mystique qui lui fit cesser tout travail d'йcriture. Editions Louis Vivиs, 1857 Traduction nouvelle par J. KREIT (REVOIR LES NOTES DU P. Kreit) Йdition numйrique, http://docteurangelique.free.fr, 2004 Les њuvres complиtes de
saint Thomas d'Aquin
PREMIER TRAITЙ: DIEU ET L'HOMME CHAPITRE 2: PLAN DE LA DOCTRINE SUR
LA FOI 1° Dieu et le Pиre (chapitre 3 а 36) CHAPITRE 6: L’EXISTENCE DE DIEU
S’IMPOSE D’ELLE-MКME CHAPITRE 8: IL N’Y A PAS DE
SUCCESSION EN DIEU CHAPITRE 10: DIEU EST SON ESSENCE CHAPITRE 11: L’ESSENCE EN DIEU N’EST
PAS AUTRE QUE SON КTRE CHAPITRE 12: DIEU N’EST PAS UNE
ESPИCE SOUS UN GENRE CHAPITRE 13: DIEU NE PEUT КTRE GENRE
DE QUELQUE CHOSE CHAPITRE 14: DIEU N’EST PAS UNE
ESPИCE ATTRIBUABLE A DE NOMBREUX INDIVIDUS CHAPITRE 15: IL EST NИCESSAIRE DE
DIRE QUE DIEU EST UN CHAPITRE 16: DIEU N’EST PAS UN CORPS CHAPITRE 17: IL EST IMPOSSIBLE QU’IL
SOIT FORMЙ D’UN CORPS OU VERTU DANS UN CORPS CHAPITRE 18: DIEU EST INFINI SELON
SON ESSENCE CHAPITRE 19: L’INFINIE PUISSANCE DE
DIEU CHAPITRE 20: L’INFINI DE DIEU NE
CONTIENT AUCUNE IMPERFECTION CHAPITRE 21: EN DIEU SE TROUVENT LES
PERFECTIONS DES CHOSES D’UNE MANIИRE ИMINENTE CHAPITRE 22: TOUTES LES PERFECTIONS
EN DIEU SONT UNE SEULE ET MКME CHOSE CHAPITRE 23: EN DIEU NE SE TROUVE
AUCUN ACCIDENT CHAPITRE 24: LA MULTITUDE DES NOMS
DONNЙS A DIEU NE S’OPPOSE PAS A SA SIMPLICITЙ CHAPITRE 25: LES NOMS DIVERS DONNЙS A
DIEU NE SONT PAS SYNONYMES CHAPITRE 26: LE SENS DE CES MКMES
NOMS NE DЙFINIT PAS CE QUE EST DIEU CHAPITRE 28: DIEU EST INTELLIGENT CHAPITRE 29: L’INTELLIGENCE EN DIEU
N’EST NI UNE POTENTIALITЙ, NI UNE HABITUDE, MAIS UN ACTE CHAPITRE 30: DIEU NE PENSE QUE PAR
SON ESSENCE ET NON PAR IMAGE INTELLECTUELLE CHAPITRE 31: EST CE QU’IL PENSE? CHAPITRE 33: CETTE VOLONTЙ EN DIEU NE
DIFFИRE PAS DE SON INTELLIGENCE CHAPITRE 34: LA VOLONTЙ EN DIEU EST
SON VOULOIR MКME CHAPITRE 35: TOUT CE QUI A ЙTЙ DIT
PLUS HAUT EST CONTENU DANS UN SEUL ARTICLE DE FOI CHAPITRE 36: TOUT CE QUI PRЙCИDE SE
TROUVE DЙJА CHEZ LES PHILOSOPHES 2° Le Verbe (chapitre 37 а 45) CHAPITRE 37: QU’ENTEND-ON PAR VERBE
DANS LES CHOSES DIVINES? CHAPITRE 38: EN LE VERBE EST CONЗU CHAPITRE 39: COMMENT LE VERBE EST-IL
COMPARЙ AU PИRE? CHAPITRE 40: COMMENT FAUT-IL
COMPRENDRE LA GЙNЙRATION EN DIEU ? CHAPITRE 41: LE VERBE OU FILS A LE
MКME КTRE ET LA MКME ESSENCE QUE LE PИRE CHAPITRE 42: CATHOLIQUE ENSEIGNE CES
CHOSES CHAPITRE 43: EN IL N’Y A PAS DE
DIFFЙRENCE DU VERBE ET DU PИRE SELON LE TEMPS, L’ESPИCE OU LA NATURE CHAPITRE 44: CONCLUSION DES PRЙMISSES CHAPITRE 45: DIEU EST EN LUI-MКME
COMME L’AIMЙ DANS L’AMANT 3° L’Esprit Saint (chapitre 46 а 49) CHAPITRE 46: L’AMOUR EN DIEU S’APPELLE
ESPRIT CHAPITRE 47: L’ESPRIT QUI EST EN EST
SAINT CHAPITRE 48: L’AMOUR EN N’INTRODUIT
AUCUN ACCIDENT CHAPITRE 49: L’ESPRIT SAINT PROCИDE
DU PИRE ET DU FILS 4° Les relations divines (chapitre 50
а 67) CHAPITRE 50: LA TRINITЙ EN NE RЙPUGNE
PAS А SON UNITЙ CHAPITRE 51: IL SEMBLE QU’IL Y AIT
RЙPUGNANCE А UNE TRINITЙ DES PERSONNES EN DIEU CHAPITRE 52: RЙPONSE A L’OBJECTION:
IL N’Y A DE DISTINCTIONS EN QUE LES RELATIONS CHAPITRE 54: CES RELATIONS NE SONT
PAS DES ACCIDENTS CHAPITRE 55: CES RELATIONS PRODUISENT
EN UNE DISTINCTION PERSONNELLE CHAPITRE 56: IL N’Y A QUE TROIS
PERSONNES EN DIEU CHAPITRE 57: DES PROPRIЙTЙS OU
NOTIONS EN ET COMBIEN SONT-ELLES DANS LE PИRE? CHAPITRE 58: DES PROPRIЙTЙS DU FILS
ET DE L’ESPRIT SAINT: QUELLES SONT-ELLES ET COMBIEN? CHAPITRE 59: POURQUOI CES PROPRIЙTЙS
SONT-ELLES DITES NOTIONS? CHAPITRE 61: SI PAR LA PENSЙE ON
ЙCARTE LES PROPRIЙTЙS PERSONNELLES IL N’Y A PLUS D’HYPOSTASES CHAPITRE 62: ЙCARTANT EN ESPRIT LES
PROPRIЙTЙS PERSONNELLES L’ESSENCE DIVINE DEMEURE CHAPITRE 63: DU RAPPORT DES ACTES
PERSONNELS AUX PROPRIЙTЙS PERSONNELLES CHAPITRE 64: CE QUE SIGNIFIE LA
GЙNЙRATION POUR LE PЙRE ET POUR LE FILS CHAPITRE 65: LES ACTES NOTIONNELS NE
DIFFИRENT DES PERSONNES QUE SELON LA RAISON CHAPITRE 66: LES PROPRIЙTИS RELATIVES
SONT L’ESSENCE MКME DE DIEU B — Les oeuvres de Dieu: la Crйation
(chapitre 68 а 94) 1° En gйnйral (chapitre 68 а 70) CHAPITRE 68: L’КTRE, EFFET PREMIER DE
LA DIVINITЙ CHAPITRE 69: EN CRЙANT N’A PAS
UTILISЙ DE MATIИRE CHAPITRE 70: DIEU SEUL PEUT CRЙER 2° Les choses matйrielles (chapitre
71 а 74) CHAPITRE 71: LA DIVERSITЙ DE LA
MATIИRE N’EST PAS CAUSE DE LA DIVERSITЙ DES CHOSES CHAPITRE 72: COMMENT PRODUIT LES
DIVERSES CHOSES ET QUELLE EST LA CAUSE DE LEUR PLURALITЙ CHAPITRE 73: DE LA DIVERSITЙ, DU
DEGRЙ, DE L’ORDRE DES CHOSES 3° Les crйatures spirituelles
(chapitre 75 а 94) a) Les anges (chapitre 75 а 78) CHAPITRE 75: LES ЙTRES SUPЙRIEURS A
LA MATIИRE ONT EN PROPRE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE CHAPITRE 76: DE TELLES SUBSTANCES
SONT LIBRES D’ARBITRE CHAPITRE 77: DANS CES SUBSTANCES
EXISTE UN ORDRE ET DES DEGRЙS SELON LA PERFECTION DE LEUR NATURE CHAPITRE 78: COMMENT ENTENDRE ORDRE
ET DEGRЙ DANS LEUR ACTE INTELLIGENT? b) Les hommes (chapitre 79-94) CHAPITRE 79: LA SUBSTANCE QUI FAIT
L’HOMME INTELLIGENT EST LA MOINDRE PARMI LES INTELLECTUELLES CHAPITRE 80: DIFFЙRENCE DANS
L’INTELLECT ET LE MODE DE PENSER CHAPITRE 82: L’HOMME A BESOIN POUR
PENSER DE PUISSANCES SENSITIVES CHAPITRE 83: IL EST NЙCESSAIRE
D’ADMETTRE L’EXISTENCE D’UN INTELLECT AGENT CHAPITRE 84: L’ВME HUMAINE EST
INCORRUPTIBLE CHAPITRE 85: N’Y A-T-IL QU’UN
INTELLECT POSSIBLE? CHAPITRE 86: L’INTELLECT AGENT N’EST
PAS UNIQUE POUR TOUS CHAPITRE 87: L’INTELLECT POSSIBLE ET
L’INTELLECT AGENT S’ENRACINENT DANS L’ESSENCE DE L’ВME CHAPITRE 88: COMMENT CES DEUX
PUISSANCES SE TROUVENT DANS UNE MКME ESSENCE DE L’ВME CHAPITRE 89: TOUTES LES PUISSANCES
ONT LEUR RACINE DANS L’ВME CHAPITRE 90: UNE SEULE ВME EN UN SEUL
CORPS CHAPITRE 91: LES RAISONS QUI
SEMBLERAIENT INDIQUER QU’IL Y AURAIT PLUSIEURS ВMES DANS L’HOMME CHAPITRE 92: SOLUTION DE CES
DIFFICULTИS CHAPITRE 93: L’ВME RATIONNELLE N’EST
PAS PRODUITE PAR TRANSMISSION NATURELLE CHAPITRE 94: L’ВME RATIONNELLE N’EST
PAS DE SUBSTANCE DIVINE C — Les crйatures et leur relation а
Dieu (chapitre 95 а 147) 1° En gйnйral (chapitre 95 а 104) CHAPITRE 95: DIEU EST L’AUTEUR
IMMЙDIAT DE CES CHOSES QUI SONT DITES EXISTER PAR UN POUVOIR EXTERNE CHAPITRE 96: N’AGIT PAS PAR NИCESSITЙ
NATURELLE MAIS VOLONTAIREMENT CHAPITRE 97: DANS SON ACTION EST
IMMUABLE CHAPITRE 98: MOTIF EN FAVEUR D’UN
MOUVEMENT ЙTERNEL ET LA SOLUTION CHAPITRE 99: LA MATIИRE AURAIT-ELLE
EXISTЙ ETERNELLEMENT AVANT LA CRЙATION DU MONDE? CHAPITRE 100: DIEU FAIT TOUTES CHOSES
POUR UNE FIN CHAPITRE 101: LA BONTЙ DIVINE EST LA
FIN DERNIИIЊ DE TOUTES LES CHOSES CHAPITRE 102: LA DIVINE RESSEMBLANCE
EST CAUSE DE LA DIVERSITЙ DES CHOSES 2° La fin de l’homme (chapitre 105 а
110) CHAPITRE 108: DE L’ERREUR DE CEUX QUI
METFENT LEUR FЙLICITЙ DANS LES CRЙATURES CHAPITRE 109: QUE SEUL EST BON
ESSENTIELLEMENT ET LES CRЙATURES PAR PARTICIPATION CHAPITRE 110: DIEU NE PEUT PAS PERDRE
SA BONTЙ 3° Le mal dans les crйatures
(chapitre 111 а 122) CHAPITRE 111: LA CRЙATURE PEUT PERDRE
SA BONTЙ CHAPITRE 112: COMMENT LES CRЙATURES
PERDENT LEUR BONTЙ PAR LEURS OPЙRATIONS CHAPITRE 113: D’UN DOUBLE PRINCIPE
D’ACTION ET COMMENT OU CHEZ QUI IL PEUT Y AVOIR DЙFECTION CHAPITRE 114: QU’ENTEND-ON PAR BIEN
OU MAL DANS LES CHOSES? CHAPITRE 115: IL EST IMPOSSIBLE QUE
LE MAL CONSTITUE UNE NATURE CHAPITRE 117: RIEN N’EST ESSENTIELLEMENT
MAUVAIS OU TRES MAUVAIS MAIS EST UNE CORRUPTION DU BIEN CHAPITRE 118: LE MAL S’APPUIE SUR LE
BIEN COMME SON SUJET CHAPITRE 119: IL Y A DEUX SORTES DE
MAUX CHAPITRE 120: DE TROIS SORTES
D’ACTIONS ET DE LA CULPABILITЙ CHAPITRE 121: QU’UN MAL REVКT UN
CARACTИRE DE PEINE NON DE FAUTE CHAPITRE 122: TOUTE PEINE NE
CONTRARIE PAS LA VOLONTЙ DE LA MКME MANIИRE 4° De la divine providence (chapitre
123 а 147) CHAPITRE 123: TOUT EST SOUMIS A LA
PROVIDENCE DIVINE CHAPITRE 124: PAR LES CRЙATURES
SUPЙRIEURES RЙGIT LES INFЙRIEURES CHAPITRE 125: LES SUBSTANCES
INTELLECTUELLES SUPЙRIEURES RЙGISSENT LES INFЙRIEURES CHAPITRE 126: DE LA HIЙRARCHIE
CЙLESTE CHAPITRE 129: SEUL MEUT LA VOLONTЙ DE
L’HOMME ET NON LA CRЙATURE CHAPITRE 130: DIEU GOUVERNE TOUTES
LES CHOSES ET IL EN MEUT CERTAINES PAR LES CAUSES SECONDES CHAPITRE 131: DIEU DISPOSE TOUT
DIRECTEMENT SANS PRЙJUDICE DE SA SAGESSE CHAPITRE 132: RAISONS QUI PARAISSENT
MONTRER QUE DIEU NE S’OCCUPE PAS DES CHOSES PARTICULIИRES CHAPITRE 133: SOLUTION DE CES
DIFFICULTЙS CHAPITRE 134: SEUL CONNAIT EN
PARTICULIER LES FUTURS CONTINGENTS CHAPITRE 136: IL EST JUSTE QUE FASSE
DES MIRACLES CHAPITRE 137: DES CHOSES QUI SONT
FORTUITES OU ACCIDENTELLES CHAPITRE 138: LE DESTIN EST-IL UNE
NATURE ET QU’EST-IL? CHAPITRE 139: QU’EST-CE-QUE LA
CONTINGENCE? CHAPITRE 140: LA DIVINE PROVIDENCE
ЙTANT MAINTENUE BEAUCOUP DE CHOSES SONT CONTINGENTES CHAPITRE 141: CETFE CERTITUDE
N’EXCLUT PAS LE MAL CHAPITRE 142: SI DIEU PERMET LE MAL,
AUCUNE ATFEINTE N’EST FAITE A SA BONTЙ CHAPITRE 143: C’EST PAR SA GRACE QUE
DIEU EXERCE SA PROVIDENCE ENVERS L’HOMME CHAPITRE 144: DIEU PAR DES DONS
GRATUITS REMET LES PЙCHЙS MКME CEUX QUI TUENT LA GRВCE CHAPITRE 145: LES PЙCHЙS SONT
RЙMISSIBLES CHAPITRE 146: DIEU SEUL PEUT REMETFRE
LES PЙCHЙS CHAPITRE 147: ARTICLES DE FOI QUI
TRAITENT DES EFFETS DU GOUVERNEMENT DIVIN D — La consommation des siиcles
(chapitre 148 а 162) 1° L ‘homme est la fin des кtres
(chapitre 148 а 153) CHAPITRE 148: TOUT A ИTЙ FAIT POUR
L’HOMME CHAPITRE 149: QUELLE EST LA FIN
DERNIИRE DE L’HOMME? CHAPITRE 150: COMMENT L’HOMME
PARVIENT-IL A L’ЙTERNITЙ COMME EN SON ACHИVEMENT? CHAPITRE 151: POUR JOUIR DE LA
PARFAITE BЙATITUDE L’ВME DOIT ИTRE UNIE AU CORPS CHAPITRE 152: CETTE SЙPARATION EST EN
PARTIE NATURELLE ET EN PARTIE CONTRE NATURE CHAPITRE 153: L’ВME REPRENDRA
ABSOLUMENT LE MКME CORPS ET NON D’UNE AUTRE NATURE 2° Notre rйsurrection (chapitre 154 а
162) CHAPITRE 154: PAR LA SEULE VERTU
DIVINE, L’ВME REPRENDRA UN MКME CORPS IDENTIQUE CHAPITRE 155: NOUS NE RESSUSCITERONS
PAS AU MКME MODE DE VIE CHAPITRE 156: APRИS LA RЙSURRECTION
L’USAGE DE LA NOURRITURE ET DE LA GЙNЙRATION CESSERA CHAPITRE 157: CEPENDANT TOUS NOS
MEMBRES RESSUSCITERONT CHAPITRE 158: NOUS RESSUSCITERONS
SANS AUCUN DЙFAUT LA CONSOMMATION DES SIИCLES CHAPITRE 159: L’HOMME RESSUSCITERA
DANS LA SEULE VЙRITЙ DE SA NATURE CHAPITRE 160: DIEU SUPPLЙERA TOUT
DANS LE CORPS AINSI RЙFORMЙ ET TOUT CE QUI MANQUE A LA MATIИRE CHAPITRE 161: SOLUTION DE QUELQUES
OBJECTIONS CHAPITRE 162: L’ARTICLE DU SYMBOLE
CONCERNANT LA RЙSURRECTION DES MORTS E — La vie future (chapitre 163 а
184) CHAPITRE 163: QUELLE SERA L’ACTIVITЙ
DES RESSUSCITЙS CHAPITRE 164: SERA VU DANS SON
ESSENCE ET NON PAR SIMILITUDE CHAPITRE 165: VOIR DIEU EST LA
SUPRКME PERFECTION ET JOUISSANCE CHAPITRE 166: QUE TOUT CE QUI VOIT
EST CONFIRMЙ DANS LE BIEN CHAPITRE 167: LE CORPS SERA
ENTIИREMENT SOUMIS A L’ВME CHAPITRE 168: DES PRIVILИGES ACCORDЙS
AUX CORPS GLORIFIЙS CHAPITRE 169: L’HOMME SERA ALORS
RENOUVELЙ ET TOUTE LA CRЙATURE CORPORELLE CHAPITRE 170: QUELLES CRЙATURES
SERONT RENOUVELЙES ET QUELLES CRЙATURES DEMEURERONT? CHAPITRE 171: LES CORPS CЙLESTES
CESSERONT LEUR MOUVEMENT La rйtribution (chapitres 172-183) CHAPITRE 172: DE LA RЙCOMPENSE OU DU
MALHEUR DE L’HOMME SELON SES ЊUVRES CHAPITRE 173: LA RЙCOMPENSE ET LE
CHВTIMENT VIENNENT DANS L’AUTRE VIE CHAPITRE 174: LE CHВTIMENT DE L’HOMME
QUANT A LA PEINE DU DAM CHAPITRE 175: LES PЙCHЙS MORTELS NE
SONT PAS REMIS APRИS CE VIE, MAIS BIEN LES VЙNIELS CHAPITRE 176: LES CORPS DES DAMNЙS
SOUFFRIRONT ET DEMEURERONT INTACTS SANS LES DONS CHAPITRE 177: LES CORPS DES DAMNЙS
QUOIQUE SOUFFRANT DEMEURERONT INCORRUPTIBLES CHAPITRE 178: LE CHВTIMENT DES DAMNЙS
EXISTE AVANT MКME LA RЙSURRECTION CHAPITRE 179: LA PEINE DES DAMNЙS EST
CORPORELLE ET SPIRITUELLE CHAPITRE 180: L’ВME PEUT-ELLE
SOUFFRIR DU FEU? CHAPITRE 182: LES PЙCHЙS VЙNIELS
DOIVENT AUSSI AVOIR LEUR PURIFICATION SECOND TRAITЙ: L'HUMANITE DU CHRIST_ CHAPITRE 185: DE LA FOI DANS
L’HUMMANITИ DU CHRIST A — Le rйgne du pйchй (chapitre 186 а
198) CHAPITRE 187: CE PARFAIT ЙTAT AVAIT
NOM: JUSTICE ORIGINELLE, ET DE L’ENDROIT OЩ L’HOMME FUT PLACЙ CHAPITRE 188: DE L’ARBRE DE LA
SCIENCE DU BIEN ET DU MAL ET DU PREMIER PRЙCEPTE DONNЙ A L’HOMME CHAPITRE 189: LE DIABLE SЙDUIT ЙVE CHAPITRE 190: QU’EST-CE QUI A SЙDUIT
LA FEMME CHAPITRE 191: COMMENT LE PЙCHЙ
PARVINT JUSQU’A L’HOMME CHAPITRE 192: CONSЙQUENCE DE LA
FAUTE: RЙBELLION DES FORCES INFЙRIEURES A LA. RAISON CHAPITRE 193: DE LA PEINE PORTЙE
QUANT A LA NЙCESSITЙ DE MOURIR CHAPITRE 194: DES AUTRES DЙFAUTS
CONSЙCUTIFS DANS L’INTELLIGENCE ET LA VOLONTЙ CHAPITRE 195: COMMENT CES DЙFAUTS SE
SONT TRANSMIS A LA POSTЙRITЙ CHAPITRE 197: TOUS LES PЙCHЙS NE SONT
PAS TRANSMIS AUX DESCENDANTS CHAPITRE 198: LE MЙRITE D’ADAM NE FUT
PAS UTILE A SES DESCENDANTS POUR LA RЙPARATION B — Le mystиre de l’incarnation
(chapitre 199 а 220) 1° Les motifs (chapitre 199 а 201) CHAPITRE 199: LA RЙPARATION DE LA
NATURE HUMAINE PAR LE CHRIST CHAPITRE 200: C’EST PAR SEUL INCARNЙ
QUE LA NATURE A DЫ КTRE RЙPAREE CHAPITRE 201: DES AUTRES MOTIFS DE
L’INCARNATION DU FILS DE DIEU 2° Les erreurs thйologiques (chapitre
202 в 208) CHAPITRE 202: DE L’ERREUR DE PHOTIN
AU SUJET DE L’INCARNATION CHAPITRE 203: L’ERREUR DE NESTORIUS
AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA RЙPROBATION CHAPITRE 204: L’ERREUR D’ARIUS AU
SUJET DE L’INCARNATION ET SA RЙFUTATION CHAPITRE 205: DE L’ERREUR
D’APOLLINAIRE ET SA RЙFUTATION AU SUJET DE L’INCARNATION_ CHAPITRE 206: DE L’ERREUR D’EUTYCHИS
QUI POSE UNE UNION DE NATURE CHAPITRE 208: CONTRE VALENTIN: LE
CHRIST EUT UN VRAI CORPS QUI N’ЙTAIT PAS DU CIEL 3° Qu’est-ce que l’Incarnation ?
(chapitres 209 а 212) CHAPITRE 209: QUE DIT AU SUJET DE
L’INCARNATION? CHAPITRE 210: IL N’Y A PAS EN LUI
DEUX HYPOSTASES CHAPITRE 211: DANS LE CHRIST IL N’Y A
QU’UN SUPPФT ET QU’UNE PERSONNE CHAPITRE 212: DE CE QUI EST DIT DANS
LE CHRIST UN OU MULTIPLE 4° La grвce du Christ (chapitre 213 а
216) CHAPITRE 213: IL FALLAIT QUE LE
CHRIST FЫT PARFAIT EN GRВCE ET EN SAGESSE DE VЙRITЙ CHAPITRE 214: LA PLЙNITUDE DE GRВCE
DU CHRIST CHAPITRE 215: LA GRВCE DU CHRIST EST
INFINIE CHAPITRE 216: DE LA PLЙNITUDE DE LA
SAGESSE DU CHRIST 5° La nature humaine du Christ et sa
conception (chapitre 217 а 226) CHAPITRE 217: DE LA MATIИRE DU CORPS
DU CHRIST CHAPITRE 218: LA FORMATION DU CORPS DU
CHRIST N’EST PAS SЙMINALE CHAPITRE 219: QU’EST-CE QUI A FORMЙ
LE CORPS DU CHRIST? CHAPITRE 220: EXPOSITION DE L’ARTICLE
DU SYMBOLE SUR LA CONCEPTION ET LA NAISSANCE DU CHRIST CHAPITRE 221: IL CONVENAIT QUE LE
CHRIST NAQUIT D’UNE VIERGE CHAPITRE 222: LA BIENHEUREUSE VIERGE
EST LA MИRE DU CHRIST CHAPITRE 223: L’ESPRIT SAINT N’EST
PAS LE PИRE DU CHRIST CHAPITRE 224: DE LA SANCTIFICATION DE
LA MИRE DU CHRIST CHAPITRE 225: DE LA PERPЙTUELLE
VIRGINITЙ DE LA MИRE DE DIEU C- La passion du Christ (Ch 226-235) CHAPITRE 226: DES DЙFECTUOSITЙS DU
CHRIST CHAPITRE 227: POURQUOI LE CHRIST
A-T-IL VOULU MOURIR? CHAPITRE 228: DE LA MORT DE LA CROIX CHAPITRE 229: LA MORT DU CHRIST CHAPITRE 230: LA MORT DU CHRIST A ЙTЙ
VOLONTAIRE CHAPITRE 231: DE LA PASSION DU CHRIST
QUANT A SON CORPS CHAPITRE 232: L’ВME SOUFFRANTE DU
CHRIST CHAPITRE 233: LA PRIИRE DU CHRIST A
L’AGONIE CHAPITRE 234: LA SЙPULTURE DU CHRIST CHAPITRE 235: LA DESCENTE DU CHRIST
AUX ENFERS D- La rйsurrection et l’ascension
(chapitre 236 а 240) CHAPITRE 236: LA RЙSURRECTION ET LE
TEMPS DE LA RЙSURRECTION DU CHRIST CHAPITRE 237: DE LA QUALITЙ DU CHRIST
RESSUSCITЙ CHAPITRE 238: Y A-T-IL DES PREUVES
CONVAINCANTES DE LA RЙSURRECTION DU CHRIST? CHAPITRE 239: DES DEUX VIES
RESTAURЙES EN L’HOMME PAR LE CHRIST E — Le jugement (chapitre 241 а 245) CHAPITRE 241: LE CHRIST JUGERA SELON
SA NATURE HUMAINE CHAPITRE 242: CELUI QUI CONNAОT
L’HEURE A REMIS LE JUGEMENT AU FILS CHAPITRE 243: TOUS SERONT-ILS JUGЙS? CHAPITRE 245: LES SAINTS JUGERONT F — Rйpartition des articles du
symbole (chapitre 246) CHAPITRE 246: COMMENT SE RЙPARTISSENT
LES ARTICLES DU SYMBOLE D’APRИS CE QUI A ЙTЙ DIT PLUS HAUT A — En gйnйral (chapitre 1 а 4) CHAPITRE 1: LA VERTU D’ESPЙRANCE EST
NЙCESSAIRE А LA PERFECTION DE LA VIE CHRЙTIENNE CHAPITRE 4: POURQUOI CE QUE NOUS
ESPЙRONS NOUS DEVONS LE DEMANDER A DANS LA PRIИRE B — La priиre du pater (chapitre 5 а
10) CHAPITRE 7: DES CHOSES QU’IL FAUT
ESPЙRER DE ET DE LA NATURE DE L’ESPЙRANCE CHAPITRE 9: LA SECONDE DEMANDE EST
QUE NOUS FASSE PARTICIPER A LA GLOIRE CHAPITRE 10: IL EST POSSIBLE
D’OBTENIR LE RКGNE: LA VISION DE DIEU ARTICLE 1: EST-ELLE QUELQUE CHOSE DE
CRЙЙ DANS L'AME ? ARTICLE 2: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE
VERTU? ARTICLE 3: LA CHARITЙ EST-ELLE FORME
DES VERTUS? ARTICLE 4: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE
UNIQUE VERTU? ARTICLE 5: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE
VERTU SPЙCIALE DISTINCTE DES AUTRES? ARTICLE 6: LA CHARITЙ PEUT-ELLE
EXISTER AVEC LE PЙCHЙ MORTEL? ARTICLE 7: LA NATURE RATIONNELLE
PEUT-ELLE КTRE AIMЙE PAR CHARITЙ? ARTICLE 8: L’AMOUR DES ENNEMIS EST-IL
DE LA PERFECTION DE CONSEIL? ARTICLE 9: Y A-T-IL UN CERTAIN ORDRE
DANS LA CHARITЙ? ARTICLE 10: LA CHARITЙ PEUT-ELLE КTRE
PARFAITE EN CETTE VIE? ARTICLE 11: TOUT LE MONDE EST-IL TENU
A LA CHARITЙ PARFAITE? ARTICLE 12: LA CHARITЙ UNE FOIS
ACQUISE PEUT-ELLE SE PERDRE? ARTICLE 13: LA CHARITЙ SE PERD-ELLE
PAR UN SEUL PЙCHЙ MORTEL?
CHAPITRE 1: PRЙAMBULE
Le verbe du Pиre йternel, embrassant toutes choses en son immensitй,
afin de rйtablir l’homme, amoindri par le pйchй, en la grandeur de la gloire
divine, voulut se faire petit en assumant notre petitesse sans abandon de sa
majestй. Et pour que personne ne trouve excuse de ne pas devoir acquйrir
l’enseignement de la divine parole qu’il avait transmise abondamment et
clairement а l’intention des studieux en divers livres de la Sainte Ecriture,
pour ceux qui йtaient trop occupйs, il enferma la doctrine du salut de l’homme
sous un court rйsumй. En effet le salut de l’homme
consiste 1°
d’abord dans la connaissance de la vйritй pour que diverses erreurs
n’obscurcissent pas l’intelligence humaine; 2° ensuite dans la recherche de la
fin nйcessaire, de peur qu’en poursuivant des fins йtrangиres on ne manque la
vraie fйlicitй; 3°
enfin dans l’observance de la justice, pour йchapper а la souillure des vices. 1° FOI:
Or cette connaissance nйcessaire au salut de l’homme, le Verbe l’a condensйe en
quelques brefs articles de foi. D’oщ cette parole de l’Apфtre aux Romains: "En
raccourci, la parole du Seigneur va retentir sur la terre" (9, 28) et "C’est
le verbe de la foi que nous prкchons" (10, 8). 2° ESPERANCE: La recherche humaine, il l’a rectifiйe en une courte priиre, dans
laquelle il nous apprend а prier et oщ il nous montre а quoi doivent tendre
notre volontй et notre espйrance. 3° CHARITE: L’humaine justice qui consiste dans l’observance de la loi, il la
porte а sa perfection dans l’unique prйcepte de la charitй "en effet la
plйnitude de la loi est la charitй" (Rom 13, 10). D’oщ l’Apфtre enseigne que
dans la foi, l’espйrance et la charitй, comme en un rйsumй de notre salut,
consiste toute la perfection de la vie prйsente. Et il dit: "Maintenant
demeurent la foi, l’espйrance et la charitй" (1 Cor 13, 13). C’est
donc par ces trois choses, dit saint Augustin (Enchapitre chapitre 3), que nous
honorons Dieu. Afin donc de te donner un
abrйgй de la doctrine au sujet de la religion chrйtienne, mon trиs cher fils
Reginald, et pour que tu puisses l’avoir sous les yeux, toute mon intention
dans le prйsent ouvrage se tournera vers ces trois choses: d’abord la foi,
ensuite l’espйrance, enfin la charitй. C’est cet ordre que suit l’Apфtre et que
la droite raison rйclame. Car l’amour pour кtre droit doit proposer а
l’espйrance une fin qui lui est dыment proposйe, ce qui ne peut кtre sans la
connaissance de la vйritй. D’abord donc nйcessitй de la
foi qui te fera connaоtre la vйritй. Ensuite l’espйrance qui dirigera ton
intention vers la fin. Enfin nйcessitй de la charitй qui rйglera entiиrement
ton coeur. PREMIИRE PARTIE: LA FOI
PREMIER TRAITЙ: DIEU ET
L'HOMME
CHAPITRE 2: PLAN DE LA DOCTRINE SUR LA FOI
La foi est l’avant-goыt de cette connaissance qui doit nous rendre
heureux dans le siиcle futur. L’Apфtre dit qu’"elle est la substance
des choses qu’on doit espйrer" (Hйbreux 11, 1). C’est comme si elle
faisait subsister en nous et en son commencement la future bйatitude. Cette con
naissance bйatifiante, nous enseigne le Seigneur, peut se ramener а deux points:
la divine Trinitй et l’humanitй du Christ. D’oщ sa priиre au Pиre: "Ceci
est la vie йternelle: qu’ils te connaissent toi le vrai Dieu et celui que tu as
envoyй le Seigneur Jйsus" (Jean 17, 3). Autour de ces deux points se concentre toute la connaissance de foi.
Ce qui n’est pas йtonnant car l’humanitй du Christ est la voie qui conduit au
Pиre. Il faut donc tant qu’on est en voyage connaоtre la voie par laquelle/on
peut arriver au but; et dans la patrie divine on ne pour rait dignement rendre
grвce sans avoir connu la voie par laquelle on est sauvй. D’oщ ces paroles du
Sauveur а ses Apфtres: "Et vous savez oщ je vais et vous en connaissez
la voie." (Jean 14, 4) Sur la divinitй, il faut connaоtre trois choses: l’unitй d’essence,
la Trinitй des personnes, les oeuvres de la divinitй. A —
Dieu (Chapitres 3 а 67)
1° Dieu et le Pиre (chapitre 3 а 36)
CHAPITRE 3: QUE DIEU EST
A propos de l’unitй de l’essence divine, la premiиre chose а croire
est que Dieu est; ce qui peut кtre manifestй par la raison. Nous voyons en
effet que toutes les choses qui sont mues le sont par d’autres, les infйrieures
par les supйrieures comme les йlйments par les corps cйlestes. Et dans les
йlйments, le plus fort meut ce qui est plus faible; et aussi dans les corps
cйlestes, les infйrieurs sont sous la motion des supйrieurs. Or il est
impossible de remonter а l’infini. En effet puisque tout ce qui est mы par
quelque chose est comme l’instrument d’un premier moteur, s’il n’y a pas de
premier moteur, toutes les choses qui meuvent seront des instruments. Or si on
procиde а l’infini dans ce qui meut et ce qui est mы, il n’y aura pas de
premier moteur; alors les rйalitйs en nombre infini qui meuvent et qui sont
mues seront des instruments. N’est-il pas ridicule mкme pour des ignorants,
d’affirmer que des instruments ne sont pas mus par quelque agent principal? En
effet cela est semblable а celui qui, pour la construction d’un coffre ou d’un
lit, ferait intervenir la scie ou la hachette sans l’opйration mкme du
menuisier. Il faut donc qu’un premier moteur existe, qui soit au-dessus de
tous, et ce premier moteur nous l’appelons Dieu. CHAPITRE 4: NE SE MEUT PAS
Il faut donc admettre que Dieu ne se meut pas lui qui meut tout le
reste. Comme il est le premier moteur, s’il йtait en mouvement, il devrait se
mouvoir lui-mкme ou l’кtre par un autre. Il ne peut кtre mы par un autre avant
lui puisqu’il est le premier moteur. S’il se meut lui-mкme, il y a deux
hypothиses: ou qu’il soit en mкme temps mы et moteur ou qu’une partie de
lui-mкme soit mue et l’autre la meuve. Dans le premier cas puisque tout ce qui
est mы, comme tel, est en puissance et que ce qui meut est en acte, s’il est
moteur et а la fois mы, il serait а la fois puissance et acte; ce qui est
impossible. Dans le second cas, il y aurait une partie qui meut et l’autre mue et
il ne serait plus en lui-mкme le premier moteur mais seulement en fonction de
la partie qui meut. Or ce qui est par soi-mкme existe avant ce qui n’est pas
par soi. Il ne peut donc pas кtre le premier moteur si en raison seulement de
sa partie cela lui convient. Il faut donc que le premier moteur soit totalement
immobile. On peut faire la mкme constatation dans tout ce qui meut et est mы.
En effet tout mouvement provient de quelque chose qui est immobile,
c’est-а-dire qui n’est pas mы selon cette sorte de mouvement. Il en est ainsi
des altйrations, des gйnйrations, des corruptions dans le domaine des choses
infйrieures; celles-ci sont ramenйes comme а leur premier moteur а un agent
cйleste qui lui non plus n’est pas mы selon cette sorte de mouvement mais qui
est sans gйnйration, sans corruption et sans altйration. Ce qui donc est le
premier principe de tout mouvement doit кtre absolument immobile. CHAPITRE 5: DIEU EST ЙTERNEL
Ceci nous amиne а conclure que Dieu est йternel. En effet, tout ce
qui commence ou cesse d’exister, l’est par mouvement ou par mutation. Seul le mouvement,
seul le changement ont un commencement et une fin. Or nous avons montrй que
Dieu est absolument immobile; il est donc йternel. CHAPITRE 6: L’EXISTENCE DE DIEU S’IMPOSE D’ELLE-MКME
On en conclut aussi que l’existence de Dieu est de soi nйcessaire.
En effet tout ce qui peut кtre ou ne pas кtre est changeant. Or nous avons
йtabli que Dieu ne peut absolument pas changer; donc il n’est pas possible que
Dieu soit et ne soit pas. Tout ce qui est et qui ne peut pas ne pas кtre doit
nйcessairement кtre par lui-mкme. Car кtre nйcessairement et ne pouvoir ne pas
кtre c’est la mкme chose. Il est donc nйcessaire que Dieu soit. De mкme tout ce qui peut кtre ou n’кtre pas exige qu’un autre le
fasse exister; car quant а lui-mкme il y est indiffйrent. Or ce qui fait que
quelque chose est, lui est antйrieur. Donc а ce qui peut кtre ou n’кtre pas il
y a quelque chose d’antйrieur. Or rien n’est antйrieur а Dieu. Donc il ne lui
est pas possible d’кtre ou de n’кtre pas mais il est nйcessaire qu’il soit. Et
comme il y a des choses nйcessaires qui ont une cause а leur nйcessitй et qui
leur est antйrieure, Dieu lui qui est le premier de toutes choses n’a pas de
cause а sa nйcessitй. D’oщ il est nйcessaire que Dieu soit de lui-mкme. CHAPITRE 7: DIEU EST TOUJOURS
Par lа il est manifeste que Dieu est toujours. En effet tout ce qui
est nйcessairement est toujours; car ce qui ne peut n’кtre pas il est
impossible qu’il ne soit pas et ainsi il est toujours. Mais il est nйcessaire
que Dieu soit, comme on l’a montrй (chapitre 6). Dieu est donc toujours. De plus rien ne commence ni ne cesse que par mouvement et
changement. Or Dieu est absolument immuable, comme on l’a montrй (chapitre 4).
Il est donc impossible qu’Il ait commencй ou cesse d’exister. De mкme ce qui ne
fut pas toujours, s’il commence i exister a besoin d’un autre qui le fasse
exister. Rien en effet ne peut passer de soi- mкme de la puissance а l’acte ou
du non-кtre а l’кtre. Or Dieu ne peut avoir une cause puisqu’Il est l’кtre
premier. En effet la cause est antйrieure а ce qui est causй. Il est donc
nйcessaire que Dieu ait toujours йtй. De plus ce qui convient а quelqu'un non en vertu d’une cause
extйrieure lui appartient essentiellement. Que Dieu existe ne lui vient pas
d’une cause extйrieure, car alors cette cause lui serait antйrieure. Dieu a
donc de lui-mкme son кtre. Mais les choses qui sont par elles-mкmes, sont de
toujours et de nйcessitй. Dieu est donc depuis toujours. CHAPITRE 8: IL N’Y A PAS DE SUCCESSION EN DIEU
Par lа aussi il est manifeste qu’il n’y a pas de succession en Dieu,
mais que tout son кtre est en une fois: la succession en effet n’existe qu’en
ceux qui en quelque maniиre sont sujets au mouvement; en effet l’avant et
l’aprиs du mouvement sont la cause de la succession dans le temps. Or Dieu
n’est pas sujet au mouvement, comme on l’a montrй; il n’y a donc en Dieu aucune
succession mais son кtre tout entier est en mкme temps. De mкme: si l’кtre de quelque chose n’est pas tout
entier en mкme temps c’est que quelque chose en lui vient а disparaоtre et que
quelque chose lui advient. Disparaоt en effet ce qui passe et ce qui lui
advient est une chose а venir. Or pour Dieu rien ne dйpйrit ni ne s’accroоt car
il est immobile; donc son кtre est tout entier а la fois. Or ces deux choses
sont propres а l’йternitй. Cela en effet est proprement йternel qui est depuis
toujours et dont l’кtre est tout entier et а fois, selon ce que dit Boиce: "L’йternitй
est la possession parfaite, toute а la fois, d’une vie sans fin" (La
consolation de la philosophie, 5. 6). CHAPITRE 9: DIEU EST SIMPLE
De lа aussi il apparaоt que le premier moteur doit кtre simple. Car
en toute composition il faut deux choses: qu'ils soient mutuellement l’une par
rapport а l’autre puissance et acte. Dans le premier moteur, s’il est tout а
fait immobile, on ne peut y trouver la potentialitй avec l’actuation, car tout
ce qui est en puissance est mobile: il est donc impossible que le premier
moteur soit composй. De plus: pour tout composй il faut nйcessairement que quelque chose
lui soit antйrieur, car ses composants sont naturellement antйrieurs au composй;
celui donc qui est le premier de tous les кtres ne peut кtre composй. Nous
constatons aussi dans l’ordre des choses composйes que les plus simples
existent d’abord, car leurs йlйments sont naturellement antйrieurs aux corps
mixtes. De mкme aussi parmi les йlйments, le feu est premier а cause de sa tr
grande simplicitй. Plus antйrieurs encore sont les corps cйlestes parce que
constituйs d’une plus grande simplicitй йtant purs de toute contrariйtй. Il reste
donc que de tous les кtres le premier doit кtre absolument simple. CHAPITRE 10: DIEU EST SON ESSENCE
Il s’en suit ultйrieurement que Dieu est son essence. En effet
l’essence de chaque chose est ce que signifie sa dйfinition. Or ce dont on
donne la dйfinition est identique а ce qu’il est en rйalitй, а moins que par
accident cette dйfinition se voie affectйe de ce qui n’est pas son кtre; qu’un
homme soit blanc cela est йtranger а son кtre rationnel et mortel; d’oщ animal
rationnel et mortel est mкme chose qu’homme mais n’est pas identique а homme
blanc en tant que blanc. En toute chose donc oщ ne se trouve pas de dualitй oщ
l’un est par soi et l’autre par accident, il faut que l’essence lui soit
absolument identique. Or en Dieu comme Il est simple on ne trouve pas de
dualitй dont l’un est par soi et l’autre par accident; il faut donc que son
essence soit absolument identique а lui-mкme. De mкme en toute essence il n’y a pas absolue identitй avec la chose
dont elle est l’essence; on y trouve quelque chose par maniиre de puissance et
quelque chose par maniиre d’acte car l’essence se rapporte formellement а la
chose dont elle est l’essence comme l’humanitй pour l’homme; or en Dieu on ne
trouve ni puissance ni acte, mais il est acte pur; il est lui-mкme sa propre essence. CHAPITRE 11: L’ESSENCE EN DIEU N’EST PAS AUTRE QUE SON КTRE
Ensuite il s’impose que l’essence de Dieu ne soit pas autre que son
кtre. En toute chose en effet oщ autre est l’essence et autre est son кtre, il
faut que ce qu’elle est, soit autre que ce en quoi elle est; car par son кtre
on dit de toute chose qu’elle est, par son essence on dit ce en quoi elle est.
D’oщ la dйfinition qui signifie l’essence montre ce en quoi une chose est. Or
en Dieu autre n’est pas ce qui est et autre ce en quoi quelque chose est,
puisqu’il n’y a pas en lui de composition, comme on l’a montrй (chapitre 9).
Chez lui donc son essence n’est autre que son кtre. De mкme. On a montrй (chapitre 4 et 9) que Dieu est acte pur sans
mйlange de puissance. Il faut donc que son essence soit l’acte dernier, car un
acte qui est vers ce qui est dernier est en puissance а l’acte dernier. Or
l’acte der nier est l’кtre lui-mкme. En effet, comme tout mouvement est sortie
de la puissance vers l’acte, cela doit кtre l’acte dernier ce vers quoi tend
tout le mouvement; et comme le mouvement naturel tend vers ce qui est
naturellement dйsirй, cela sera l’acte dernier ce que toutes les choses
dйsirent. Et c’est l’кtre. LI faut donc que l’essence divine qui est l’acte pur
et dernier soit l’кtre mкme. CHAPITRE 12: DIEU N’EST PAS UNE ESPИCE SOUS UN GENRE
D’oщ il appert que Dieu n’est pas dans un genre tel une espиce. Car
la diffйrence ajoutйe au genre constitue l’espиce; donc l’essence de n’importe
quelle espиce ajoute quelque chose au genre. Mais l’кtre mкme qui est l’essence
de Dieu ne contient rien en soi qui s’ajoute а un autre. Dieu donc n’est pas
espиce de quelque genre. De mкme. Puisque le genre a la possibilitй de contenir des
diffйrences, dans tout ce qui est constituй de genre et de diffйrences se
trouve un acte mкlй de puissance. Or on a montrй (chapitre 4 et 9) que Dieu est
acte pur sans mйlange aucun de puissance. Son essence n’est donc pas constituйe
de genre et de diffйrences; et ainsi Il n’est pas dans un genre. CHAPITRE 13: DIEU NE PEUT КTRE GENRE DE QUELQUE CHOSE
Ultйrieurement il faut montrer qu’il n’est pas non plus possible que
Dieu soit un genre. Le genre en effet ne fait pas qu’une chose est, mais ce
qu’elle est. Car c’est par les diffйrences spйcifiques qu’une chose est
constituйe en son кtre propre. Mais cela qui est Dieu c’est l’кtre mкme. II est
donc impossible qu’Il soit un genre. De mкme. Tout genre se rйpartit en plusieurs espиces. Or on ne doit
pas accepter de diffйrences de l’кtre lui- mкme; les diffйrences en effet ne
participent pas а u genre, si ce n’est accidentellement en tant que les espиces
constituйes par leur diffйrence spйcifique participent а un genre: or toute
diffйrence doit participer а l’кtre parce que le non-кtre n’est pas diffйrence
de quelque chose 1. Il est donc impossible
que Dieu soit un genre qu’on attribuerait а de nombreuses espиces. 1.
Par exemple ce qui est dit inanimй n’est pas quelque chose; c’est un concept
qui veut exprimer le contraire de ce qui est animй. CHAPITRE 14: DIEU N’EST PAS UNE ESPИCE ATTRIBUABLE A DE NOMBREUX
INDIVIDUS
Et il n’est pas non plus possible qu’Il soit comme une espиce
attribuable а beaucoup d’individus. En effet ceux-ci sont communs а une mкme
essence et se distinguent par autre chose qui n’est pas de leur essence
spйcifique; comme les hommes ont en commun l’humanitй, mais ils se distinguent
entre eux par quelque chose d’autre que leur humanitй; or cela ne peut arriver
en Dieu, car Dieu lui-mкme est son essence, comme on l’a montrй (chapitre 10). Il
est donc impossible que Dieu soit une espиce qui soit attribuйe а plusieurs
individus. De mкme. Plusieurs individus contenus sous une mкme espиce ont
chacun leur propre existence bien qu’ils soient de la mкme essence. Partout
donc oщ il y a plusieurs individus sous une seule espиce, il faut qu’autre soit
l’кtre et autre l’essence spйcifique. Or en Dieu l’кtre et l’essence sont la
mкme chose, comme on l’a montrй (chapitre 11). Il est donc impossible que Dieu
constitue une espиce attribuable а plusieurs. CHAPITRE 15: IL EST NИCESSAIRE DE DIRE QUE DIEU EST UN
De ceci aussi il appert qu’il est nйcessaire qu’il n’y ait qu’un
seul Dieu Car supposons qu’il y ait beaucoup de dieux, on le dira dans un sens
йquivoque ou dans un sens univoque. Йquivoque, ce sens n’est ici d’aucun
secours: En effet rien n’empкche que ce que nous appelons pierre, d’autres
l’appellent Dieu; univoque, il faut qu’ils aient en commun ou le genre ou
l’espиce. Or on a montrй (chapitre 13 et 14) que Dieu ne: peut кtre ni genre ni
espиce attribuables а plusieurs. Il est donc impossible qu’il y ait plu sieurs
dieux. De mкme. Ce par quoi une essence commune s’individualise ne peut
convenir а plusieurs: d’oщ, bien qu’il puisse y avoir plusieurs hommes,
cependant cet homme (donnй) ne sera jamais que cet homme unique. Si donc une
essence vient а кtre individualisйe en elle-mкme et non en vertu d’autre chose
il ne sera pas possible qu’elle con vienne а plusieurs. Mais l’essence divine
est par elle-mкme individualisйe parce qu’en Dieu l’essence n’est pas autre que
l’кtre; on a montrй en effet que Dieu est son essence (chapitre 10). Il est
donc impossible que Dieu ne soit pas unique. De mкme. li y a deux maniиres pour qu’une forme soit multiple: d’une
part par ses diffйrences, comme la forme gйnйrale, comme la couleur en diverses
espиces de couleurs; d’autre part par le sujet, soit la blancheur. Donc toute
forme qui ne se multiplie pas par ses diffйrences, si elle n’est pas une forme
existant en un sujet, il est impossible qu’elle se multiplie, comme la
blancheur qui subsisterait hors d’un sujet serait alors unique. Or l’essence
divine est l’кtre mкme oщ il n’y a pas place pour des diffйrences comme on l’a
montrй (chapitres 11 et 13). Comme donc l’кtre mкme divin est une forme
subsistai t par elle-mкme en ce que Dieu est а soi l’кtre, il n’est pas
possible que l’essence divine soit autre qu’une seule. Il est donc impossible
qu’il y ait plusieurs dieux. 1.
Plusieurs sujets blancs. CHAPITRE 16: DIEU N’EST PAS UN CORPS
Il est de plus йvident que Dieu ne peut кtre un corps. Car en tout
corps se trouve quelque composition; tout corps en effet est fait de parties.
Donc ce qui est tout а fait simple ne peut кtre un corps. De mкme toute l’expйrience nous apprend qu’aucun corps ne meut que
s’il n’est mы lui-mкme. Si donc le premier moteur est tout а fait immobile il
est impossible qu’il soit un corps. CHAPITRE 17: IL EST IMPOSSIBLE QU’IL SOIT FORMЙ D’UN CORPS OU VERTU
DANS UN CORPS
De mкme il n’est pas possible qu’Il soit forme d’un corps ou vertu
dans un corps. En effet comme tout corps est mobile, s’il est mы, tout ce qui
est de lui doit de mкme кtre mobile au moins par accident. Or le premier moteur
ne peut кtre mы ni par soi ni par accident, puisqu’il doit кtre lui-mкme tout а
fait immobile, comme on l’a montrй (chapitre 4). Donc il est impossible qu’il
soit forme ou vertu[1]
dans un corps. De mкme. Pour mouvoir, tout moteur doit кtre maоtre de la chose
qu’il meut. Nous constatons en effet que plus la vertu motrice excиde la vertu
du mobile, plus aussi est rapide le mouvement. Celui donc qui est le premier
moteur parmi tous les autres doit maоtriser au maximum les choses mises en
mouvement; or cela ne serait pas passible s’il йtait un tant soit peu liй au
mobile; ce qui serait le cas s’il en йtait la forme ou la force. Il faut donc
que le premier moteur ne soit pas un corps, ni une force dans un corps, ni une
forme dans un corps. Anaxagore en a tirй la conclusion d’une intelligence
indйpendante qui puisse commander et mouvoir toutes choses. CHAPITRE 18: DIEU EST INFINI SELON SON ESSENCE
On peut de lа en infйrer qu’Il est infini: il ne s’agit pas de
l’infini par privation qui est une passion de la quantitй, c’est-а-dire d’aprиs
ce qu’on dit infini, ce qui de sa nature a une fin а cause de son genre, mais
n’en a pas’. Mais il s’agit de l’infini par nйgation selon que ce qui est dit
infini n’est en aucune maniиre finie. Aucun acte en effet n’est fini que par la
puissance qui est une aptitude rйceptive. Nous constatons en effet que les
formes sont limitйes selon la potentialitй de la matiиre[2]. Si donc le premier moteur est un acte sans mйlange de potentialitй,
car il n’est pas forme d’un corps ni une vertu dans un corps, il est nйcessaire
qu’il soit lui-mкme infini. C’est aussi ce que dйmontre l’ordre mкme que l’on rencontre dans les
choses: car parmi les кtres ceux qui sont plus йlevйs sont aussi plus
importants а leur maniиre. Parmi les йlйments en effet ceux qui sont supйrieurs
sont plus importants par la quantitй, comme aussi en simplicitй; ce que
dйmontre leur genиse, comme par dilatation le feu naоt de l’air, celui-ci de
l’eau et l’eau de la terre. Or le corps cйleste apparaоt manifestement excйder
toute la quantitй des йlйments. Ce qui donc parmi tous les кtres est premier et
que rien d’autre ne peut prйcйder, doit кtre а sa maniиre d’une infinie grandeur. Quoi d’йtonnant si ce qui est simple et exempt de quantitй
corporelle soit tenu pour infini et dйpasse par son immensitй toute quantitй
corporelle; c’est aussi le cas pour notre intelligence qui est simple et
incorporelle parce qu’elle connaоt, elle surpasse toute quantitй corporelle et
elle embrasse tout. A bien plus forte raison donc celui qui est le premier de
tous les кtres surpasse-t-il par son immensitй tout l’univers et tout ce qu’il
renferme.
CHAPITRE 19: L’INFINIE PUISSANCE DE DIEU
D’oщ il apparaоt aussi que Dieu possиde une puissance infinie. En
effet la puissance d’une chose vient de son essence. Car tout ce qui est, agit
selon son mode d’кtre. Si donc Dieu selon son essence est infini, sa puissance
doit кtre aussi infinie. Ceci apparaоt de mкme si l’on considиre attentivement l’ordre des
choses. Car tout ce qui est en puissance, l’est selon la vertu passive qu’il a
de recevoir; et selon qu’il est actuй il possиde une vertu active. Ce qui est
donc uniquement en puissance, soit la matiиre premiиre, possиde un pouvoir
infini de rйception mais elle ne participe en rien au pouvoir d’acte. Et
au-dessus de la matiиre premiиre, plus une chose a de formalitй, plus aussi est
grand son pouvoir d’action. C’est pourquoi le feu est parmi tous les йlйments
actifs le plus actif. Dieu donc qui est acte pur sans aucun mйlange de
potentialitй jouit d’une infinie puissance d’action par-dessus toutes choses. CHAPITRE 20: L’INFINI DE DIEU NE CONTIENT AUCUNE IMPERFECTION
L’infini que nous dйcouvrons dans les quantitйs comporte de
l’imperfection; cependant quand on dit que Dieu est infini on veut dire qu’en
lui se trouve la plus haute perfection. En effet l’infini des quantitйs
ressortit а la matiиre d’aprиs qu’elle n’a pas de fin[3].
Or l’imperfection d’une chose lui vient selon que la matiиre inclut une
privation; et toute perfection vient de la forme. Puis donc que Dieu est infini
parce qu’il est forme ou acte sans mйlange aucun de matiиre ni de potentialitй
son infini atteint а la suprкme perfection. On peut aussi le constater par analogie des choses habituelles; car
bien que dans une et mкme chose, qui est amenйe de l’imparfait au parfait,
vienne d’abord l’imparfait avant le parfait, comme par exemple l’enfant avant
l’homme fait, cependant toute imperfection tire son origine de ce qui est
parfait. En effet l’enfant ne peut naоtre que de l’homme fait: toute semence
vient d’un animal ou d’une plante. Donc celui qui est а l’origine de toutes
choses et qui les meut ne peut ne pas кtre infiniment parfait. CHAPITRE 21: EN DIEU SE TROUVENT LES PERFECTIONS DES CHOSES D’UNE
MANIИRE ИMINENTE
De lа aussi il apparaоt que toutes les perfections de toutes les
choses doivent se trouver originairement et en surabondance en Dieu. Car tout
ce qui meut une autre vers sa perfection, possиde dйjа cette perfection qu’il
veut produire, tel le maоtre qui possиde la science avant de la communiquer au
disciple. Dieu donc qui est le premier moteur et dirige toutes les choses vers
leur perfection doit nйcessairement possйder dйjа toutes leurs perfections et
d’une maniиre йminente. De mкme. Tout ce qui possиde quelque perfection sans les avoir
toutes est limitй sous un genre ou une espиce. Car par la forme qui est
perfection d’une chose, toute chose se trouve sous un genre ou une espиce; une
telle chose ne peut pas кtre d’une essence infinie; car la toute derniиre
diffйrence qui la situe dans une espиce met un terme а son essence; c’est
pourquoi le concept qui fait connaоtre l’espиce est dit dйfinition ou fin. Si donc la divine essence est infinie, il est imposй qu’elle ait la
perfection seulement d’un genre ou des espиce et soit privйe des autres; mais
il faut que les imperfections de tous les genres et de toutes les espиces
existent en elle. CHAPITRE 22: TOUTES LES PERFECTIONS EN DIEU SONT UNE SEULE ET MКME
CHOSE
En conclusion des choses dites plus haut, il est manifeste que Dieu
possиde toutes les perfections comme une seule et mкme chose. On a montrй plus
haut (chapitre 9) que Dieu est simple; mais ce qui est simple ne peut кtre
diversifiй selon les choses qui s’y trouvent. Si donc en Dieu se trouvent les
perfections de toutes choses, il est impossible qu’elles soient diverses en
lui. Il reste donc que toutes sont une en lui. Cela est manifeste quand on considиre ce qui se passe dans les
facultйs de connaissance. Car une force supйrieure, en un seul et mкme acte,
connaоt toutes les choses que connaissent les forces infйrieures selon leur
diversitй en effet tout ce que la vue, l’ouпe et les autres sens perзoivent,
l’intelligence les distingue d’une unique et simple vertu. Il en va de mкme
dans les sciences. Car comme les sciences infйrieures sont multiples selon les
divers genres de choses au sujet desquelles elles appliquent leur effort
cependant leur est supйrieure une unique science qui embrasse tout et qu’on
appelle philosophie premiиre. Il en est de mкme chez les puissances de ce monde. Car dans le
pouvoir royal, qui est un, sont inclus tous les pouvoirs qui sont rйpartis en
diverses charges sous la souverainetй du royaume. Ainsi donc les perfections
qui sont multiples dans les choses infйrieures selon leur diversitй mкme
doivent se rйunir au sommet des choses, c’est-а-dire en Dieu. CHAPITRE 23: EN DIEU NE SE TROUVE AUCUN ACCIDENT
De lа aussi apparaоt qu’en Dieu ne peut exister aucun accident. En
effet si en lui toutes les perfections sont une et que la perfection c’est
d’кtre, de pouvoir et d’agir et le reste, il est nйcessaire que tout soit en
lui comme l’кtre identique а son essence. Aucune de ces choses donc n’est en
lui un accident. De mкme, il est impossible d’кtre infini en perfection si а cette
perfection peut s’y ajouter quelque chose. Or si quelque chose doit sa
perfection а un accident et comme tout accident s’ajoute а l’essence, il faut
que cette perfection soit ajoutйe а son essence. On ne trouve donc pas en son
essence une perfection infinie. Or on a montrй (chapitres 18 et 20) que Dieu
selon son essence est d’une infinie perfection. En lui donc ne peut se trouver
aucune perfection accidentelle, mais tout ce qui est en lui est sa substance.
C’est aussi ce qu’on peut dйduire de sa suprкme simplicitй, et de ce qu’il est
l’acte pur et le premier de tous les кtres. Entre l’accident et son sujet
existe en effet une sorte de composition. De mкme un sujet ne peut кtre acte
pur puisque l’accident est une certaine forme ou acte du sujet. Toujours aussi
ce qui est par soi-mкme est antйrieur а l’accident. De tout ce qui prйcиde il
ressort а l’йvidence que rien d’accidentel ne peut exister en Dieu.
CHAPITRE 24: LA MULTITUDE DES NOMS DONNЙS A DIEU NE S’OPPOSE PAS A SA
SIMPLICITЙ
Par lа apparaоt la raison des nombreux noms dont Dieu est appelй,
bien qu’en lui-mкme il soit absolument simple. Comme en effet notre
intelligence ne suffit pas а saisir son essence mкme, elle arrive а le
connaоtre par les choses qui nous entourent oщ se trouve les diverses
perfections dont la racine unique et l’origine sont en Dieu, comme on l’a
montrй (chapitre 22). Et comme nous ne pouvons nommer que ce que nous
saisissons par l’intelligence — les noms en effet sont les signes des idйes —
nous ne pouvons nommer Dieu que par les perfections que nous trouvons dans les
choses, dont l’origine est en lui. Et parce que ces perfections sont multiples
on doit bien donner а Dieu des noms multiples. Si nous pouvions voir son essence mкme, la multitude des noms ne
serait pas nйcessaire; cette connaissance serait trиs simple, comme simple est
son essence. C’est ce que nous attendons dans la gloire, selon ce que dit le
prophиte Zacharie: "En ce jour-lа il y aura un seul Seigneur et unique
sera son nom (14, g)." CHAPITRE 25: LES NOMS DIVERS DONNЙS A DIEU NE SONT PAS SYNONYMES
De ce qui vient d’кtre dit nous pouvons considйrer trois choses,
dont la premiиre est que les noms divers donnйs а Dieu ne sont cependant pas
des synonymes. En effet pour que des noms soient synonymes, ils doivent
signifier une mкme chose et reprйsenter le mкme concept dans l’intelligence. Que
si une mкme chose est conзue sous divers aspects, soit les saisies que
l’intelligence en a, ce ne sont pas des noms synonymes; car ce n’est pas tout а
fait la mкme signification puisque les noms signifient directement des concepts
de l’intelligence et qui sont des similitudes des choses. Et donc les divers noms que l’on donne а Dieu signifient diverses
conceptions que notre intelligence en a; ils ne sont pas synonymes, bien qu’ils
s’appliquent absolument а la mкme chose. CHAPITRE 26: LE SENS DE CES MКMES NOMS NE DЙFINIT PAS CE QUE EST DIEU
La seconde chose est que notre intelligence ne pouvant saisir
parfaitement l’essence divine selon quelqu’une de ces conceptions que
signifient les noms qu’on lui appli que, il est impossible de dйfinir ce qu’est
Dieu, comme la sagesse ne dйfinit pas la puissance de Dieu et de mкme quant aux
autres noms. Ce qui est йvident aussi d’une autre maniиre. En effet toute
dйfinition est faite de genre et d’espиce; aussi ce qui est proprement dйfini
c’est l’espиce. Or on a montrй (chapitres 12 et 14) que 1’essenc divine n’est
pas comprise sous quelque genre ni sous quelqu’espиce; d’oщ elle ne peut кtre
sous quelque dйfinition. CHAPITRE 27: LES NOMS ET AUTRES CHOSES AU SUJET DE DIEU NE SONT PAS
TOUT A FAIT UNIVOQUES NI ЙQUIVOQUES
La troisiиme chose au sujet des noms donnйs а Dieu est qu’ils ne
sont pas tout а fait univoques ni йquivoques. Ils ne sont pas univoques: car ce
qui est dit de la crйature n’est pas la dйfinition de ce qu’on dit de Dieu. Or
il faut une mкme dйfinition quand il s’agit de noms univoques. De mкme ils ne
sont pas tout а fait йquivoques. Dans les choses en effet qui sont fortuitement
йquivoques, un mкme nom est donnй а une chose sans aucun rapport avec une autre
de sorte qu’on ne peut raisonner de l’une а l’autre. Les noms qui sont donnйs а
Dieu et aux choses sont attribuйs а Dieu selon un certain rapport qu’il a avec
elles et dans lesquelles notre intelligence considиre leur signification; et
donc nous pouvons raisonner au sujet de Dieu par d’autres choses. Il n’y a donc
pas йquivoque totale comme c’est le cas des йquivoques fortuites. On s’exprime
donc par analogie, c’est-а-dire selon une proportion commune а Dieu et а la
crйature 1. En effet de ce que nous
rapportons les choses а Dieu, comme а leur premiиre origine, ces noms qui
signifient les perfections des autres choses nous les attribuons а Dieu. Bien
que ces noms conviennent d’abord а la crйature, du fait que des crйatures
l’intelligence impose un nom pour monter vers Dieu, en rйalitй cependant ces
noms sont dits de Dieu par prioritй, duquel les perfections descendent vers les
choses. 1.
Par exemple, кtre sage pour l’homme a quelque rapport avec la sagesse en Dieu. CHAPITRE 28: DIEU EST INTELLIGENT
Il faut ultйrieurement montrer que Dieu est intelligent. Or on a
montrй (chapitre 21) qu’en lui prйexistent toutes les perfections de tous les
кtres de faзon surabondante. Or parmi toutes les perfections des кtres, la
pensйe excelle puisque les choses intellectuelles sont supйrieures а toutes les
autres; il faut donc que Dieu soit intelligent. De mкme: on a montrй plus haut (chapitres 4 et 9) que Dieu est acte
pur sans mйlange de potentialitй, la matiиre йtant un кtre en puissance. Dieu
doit donc кtre tout а fait exempt de matiиre; or cette exemption de matiиre est
la cause de l’intellectualitй; la preuve en est que les formes matйrielles
deviennent effectivement intelligibles parce que nous les sйparons par
abstraction de la matiиre et des conditions matйrielles. Dieu est donc
intelligent. De mкme: on a montrй que Dieu est premier moteur (chapitre 5). Ce
qui est le propre de l’intelligence; car l’intelligence se sert de toutes les
autres choses comme d’instruments d’action. D’oщ l’homme utilise au moyen de
son intelligence, comme d’instruments, les animaux, les plan tes et les choses
inanimйes. Il faut donc que Dieu qui est le premier moteur soit intelligent. CHAPITRE 29: L’INTELLIGENCE EN DIEU N’EST NI UNE POTENTIALITЙ, NI UNE
HABITUDE, MAIS UN ACTE
Nous avons vu qu’en Dieu rien n’est en puissance mais uniquement en
acte (chapitres 4 et 9); il faut donc aussi que son intelligence exclue toute
potentialitй ou habitude quel conque, mais soit seulement acte. Il ressort de
lа qu’il ne supporte aucune succession dans ce qu’il pense. Lorsqu’en effet
notre intelligence pense beaucoup de choses successivement il faut bien,
pendant qu’elle pense une chose en acte qu’une autre pensйe reste en puissance.
En effet simultanйitй et succession sont contradictoires. Si donc Dieu ne pense
rien en puissance son intelligence ne connaоtra pas de succession. D’oщ il suit
que tout ce qu’il pense, il le pense en une fois et qu’il ne revient pas sur sa
pensйe. Car l’intellect qui pense derechef fut d’abord pensant en puissance. Il
faut aussi que son intellect ne pense pas discursivement de sorte qu’il en
arriverait а penser une chose, puis une autre comme c’est le cas pour nous qui
subissons la loi du raisonnement. En effet, un tel dis cours se trouve dans l’intelligence
en ce qu’elle va du connu а l’inconnu, ou que nous ne considйrions pas d’abord
en acte; toutes choses qui dans l’intellect divin ne peuvent se produire. CHAPITRE 30: DIEU NE PENSE QUE PAR SON ESSENCE ET NON PAR IMAGE
INTELLECTUELLE
Il ressort de ce qu’on a dit que Dieu ne pense pas par un autre
concept que son essence. En effet toute intelligence pense par concepts autres
qu’elle-mкme; elle est а ces concepts comme la puissance а l’acte puisque le
concept est ce qui la perfectionne la faisant penser en acte. Puis donc qu’en Dieu rien n’est en puissance, mais qu’il est acte
pur, il faut bien qu’il ne pense pas par un autre concept que sa propre essence:
d’oщ il suit que ce qu’il pense directement et principalement c’est lui-mкme.
En effet l’essence d’une chose ne conduit pas proprement et directement en la
connaissance de quelque chose sinon de cette mкme essence; ainsi dйfinir
l’homme c’est proprement connaоtre l’homme, dйfinir le cheval c’est savoir ce
qu’est un cheval. Si donc Dieu pense par son essence il faut que ce qu’il pense
soit directement et principalement Dieu lui-mкme. Et comme lui-mкme est son
essence il s’en suit que chez lui celui qui pense, et ce par quoi il pense et
ce qui est pensй sont tout une et mкme chose. CHAPITRE 31: EST CE QU’IL PENSE?
Il faut aussi que Dieu lui-mкme soit sa propre pensйe. Penser est un
acte second comme par ex. considйrer (le premier acte en effet est l’intellect
ou le savoir) tout intellect qui n’est pas sa pensйe se compare а ce qu’il
pense comme la puissance а l’acte. Car toujours dans le domaine des puissances
et des actes ce qui est d’abord est en puissance du suivant et le dernier est
achиvement, entendons d’une et mкme chose, bien que dans les choses diverses on
ait l’inverse, car le moteur et l’agent sont а ce qui est mы ou agi comme
l’agent а la puissance. Or en Dieu comme il est acte pur il n’y a rien qui
puisse кtre comparй а autre chose comme la puissance а l’acte. Il faut donc que
Dieu lui-mкme soit sa propre pensйe. De mкme: l’intelligence est а la pensйe comme l’essence а l’кtre;
mais Dieu est la pensйe par essence; or son essence est son кtre; donc son кtre
est sa pensйe, et ainsi parce qu’il est intelligent on ne trouve en lui aucune
composition, puisqu’en lui l’intelligence, la pensйe et le concept sont
identiques. Et ceux-ci ne sont autres que son essence. CHAPITRE 32: DIEU EST VOLONTЙ
Il en rйsulte ultйrieurement que Dieu est nйcessairement volontaire.
En effet il se pense lui-mкme qui est le bien parfait, comme il est clair par
ce qu’on a dit (chapitres 20, 21, 30). Or le bien qui est pensй on l’aime
nйcessairement, ce qui se fait par la volontй; il est donc de nйcessitй que
Dieu soit volontaire. De mкme: on a vu plus haut (chapitre 3) que Dieu est premier moteur;
or l’intelligence ne peut mouvoir qu’au moyen d’un appйtit; or l’appйtit qui
suit l’intelligence est la volontй. Il faut donc que Dieu soit volontaire. CHAPITRE 33: CETTE VOLONTЙ EN DIEU NE DIFFИRE PAS DE SON INTELLIGENCE
Cette volontй en Dieu ne diffиre pas de son intelligence. En effet,
le bien saisi par l’intelligence йtant l’objet de la volontй, meut la volontй
et est son acte et sa perfection; or en Dieu le moteur et ce qui est mы, l’acte
et la puissance, perfection et perfectible s’identifient comme on l’a montrй (chapitre
4 et 9); il faut donc que la volontй divine soit le bien saisi par
l’intelligence. Or intelligence divine et essence divine sont identiques; donc
la volontй en Dieu est identique а l’intelligence divine et а son essence. De mкme: parmi toutes les perfections des choses, les principales
sont l’intelligence et la volontй dont le signe est qu’on les trouve dans les
natures plus nobles; or les perfections de toutes les choses sont une en Dieu
et c’est son essence (chapitre 22 et 23). L’intelligence et la volontй en Dieu
sont donc identiques а son essence. CHAPITRE 34: LA VOLONTЙ EN DIEU EST SON VOULOIR MКME
D’oщ il apparaоt aussi que la volontй divine est son vouloir mкme.
On vient de voir (chapitre 33) que la volontй en Dieu s’identifie au bien voulu
par lui; or cela suppose que son vouloir est identique а sa volontй puisque
vouloir appartient а la volontй de par l’objet voulu; donc la volontй en Dieu
est son vouloir. De mкme: la volontй de Dieu est identique а son intelligence et а
son essence; or son intelligence est sa pensйe et son essence, son кtre; il
faut donc que la volontй soit son vouloir. Et ainsi il est clair que la volontй
en Dieu ne rйpugne pas а sa simplicitй. CHAPITRE 35: TOUT CE QUI A ЙTЙ DIT PLUS HAUT EST CONTENU DANS UN SEUL
ARTICLE DE FOI
De tout ce qui a йtй dit auparavant nous pouvons conclure а l’unitй
de Dieu, а sa simplicitй, а sa perfection et qu’il est infini, intelligent et
volontaire. Et tout cela est compris dans un court article du Symbole de Foi,
lorsque nous professons "Croire en un seul Dieu tout-puissant".
En effet comme le mot vient du mot grec "theos", lequel a sa
racine en "theasthai" qui veut dire "voir" ou
"considйrer", dans le nom mкme de Dieu il ressort qu’il est
intelligent et par consйquent volontaire. En disant qu’il est "un",
on exclut toute pluralitй des dieux et toute composition; en effet n’est
simplement un sinon celui qui est simple. En disant "Tout-puissant",
on exprime son infinie vertu а laquelle rien n’йchappe, en quoi est indu qu’il
est et infini et parfait, car la vertu d’une chose est consйcutive а la
perfection de son essence. CHAPITRE 36: TOUT CE QUI PRЙCИDE SE TROUVE DЙJА CHEZ LES PHILOSOPHES
Ces choses qui dans ce qui prйcиde ont trait а Dieu, les philosophes
paпens les ont dites de faзon trиs subtile, bien que d’aucuns aient errй sur
certains points. Et ceux qui ont dit la vйritй ne purent y parvenir que par une
longue et laborieuse recherche. Or il y a dans
la religion chrйtienne rйvйlйe par Dieu des vйritйs qu’ils n’ont pu connaоtre
et que notre sens humain ne peut nous enseigner. Et c’est ceci: alors que Dieu
est un et simple, comme on l’a vu, Dieu est cependant Dieu le Pиre, et Dieu le
Fils, et Dieu le Saint Esprit et ces trois ne sont pas trois dieux, mais un
seul Dieu. C’est ce que, dans la mesure de nos possibilitйs, nous allons tenter
de considйrer. 2° Le Verbe (chapitre
37 а 45)
CHAPITRE 37: QU’ENTEND-ON PAR VERBE DANS LES CHOSES DIVINES?
De ce qui a йtй dit plus haut on en tire que Dieu se pense et s’aime
lui-mкme (chapitre 30, 32, 33). De mкme sa pensйe et son vouloir ne sont autres
que son кtre. Parce que Dieu se pense et que toute pensйe est en celui qui
pense, il s’en suit que Dieu doit кtre en lui-mкme comme la pensйe dans le
pensant. Selon que la pensйe est en celui qui pense cette pensйe est verbe de
l’intelligence. Ce qu'en effet nous signifions par le verbe extйrieur est ce que
nous comprenons par l’intellect intйrieurement. Les vocables sont, selon le
Philosophe, les signes de nos pensйes. Ils sont donc mettre en Dieu son propre
Verbe. CHAPITRE 38: EN LE VERBE EST CONЗU
Ce qu est contenu dans l’intelligence comme verbe intйrieur
s’appelle selon l’usage commun une conception de l’intelligence. Car on dit
conзu selon le corps ce qui est formй dans un animal par une force vitale sous
l’action du mвle et la passion de la femelle, de sorte que la chose conзue
appartient а la nature de l’un et de l’autre et comme conforme selon l’espиce. Or
ce que comprend l’intellect est formй en lui: l’intelligible en guise d’agent
et l’intellect en guise de patient. Et cela mкme que l’intellect comprend, existant
dans l’intellect, est conforme tant а l’intelligible qui meut dont il est une
similitude qu’а l’intellect patient selon qu’il possиde l’кtre intelligible. Ainsi
ce que l’intelligence comprend s’appelle а bon droit conception de
l’intelligence. CHAPITRE 39: COMMENT LE VERBE EST-IL COMPARЙ AU PИRE?
Mais ici il y a une distinction а faire. Car comme ce que conзoit l’intelligence
est la ressemblance de la chose qui est saisie, reprйsentation de son espиce,
c’est un peu comme sa progйniture. Lors donc que l’intelligence saisit autre
chose qu’elle-mкme, la chose qu’elle saisit est comme le pиre du verbe conзu en
elle et l’intelligence fait plutфt fonction de mиre puisque la conception y a
lieu. Mais quand l’intelligence se saisit elle-mкme, le verbe qui est conзu est
а celui qui saisit, comme la progйniture au pиre. Comme donc nous parlons du
Verbe selon que Dieu se saisit lui-mкme il faut que le Verbe lui-mкme soit а
Dieu, dont il est verbe, comme le fils est au pиre. CHAPITRE 40: COMMENT FAUT-IL COMPRENDRE LA GЙNЙRATION EN DIEU ?
De lа vient que dans la rиgle de la foi catholique, on nous apprend
а confesser le Pиre et le Fils en Dieu lorsqu’on dit: Je crois en Dieu le Pиre et
en son Fils. Et pour qu’en entendant les noms de Pиre et de Fils on ne
soupзonne pas une gйnйration charnelle, comme lorsque nous disons pиre et fils,
Jean l’йvangйliste, а qui ont йtй rйvйlйs les secrets cйlestes, au lieu de Fils
a mis "Verbe" pour qu’on reconnaisse une gйnйration
intelligible. CHAPITRE 41: LE VERBE OU FILS A LE MКME КTRE ET LA MКME ESSENCE QUE LE
PИRE
Il est а considйrer que comme en nous l’кtre naturel est autre que
la pensйe, il faut que le verbe conзu en notre esprit, et qui est un кtre
intelligible seulement, soit autre que notre esprit qui a une existence
naturelle. Or en Dieu l’кtre et la pensйe sont identiques. Le Verbe donc de. Dieu
et qui est en Dieu dont il est le Verbe selon, l’кtre intelligible a le mкme
кtre que Dieu dont il est le Verbe. Et par lа il faut qu’il soit de mкme nature
et essence avec lui et que tout ce qui est dit de Dieu lui convienne. CHAPITRE 42: CATHOLIQUE ENSEIGNE CES CHOSES
De lа vient que dans la rиgle de foi catholique nous confessons le
Fils "consubstantiel au Pиre". Deux choses sont ainsi exclues.
D’abord qu’on n’entende pas Pиre et Fils selon la gйnйration de la chair qui
serait comme une sйparation de la substance d’un fils а partir d’un pиre, de
sorte que le Fils ne serait pas consubstantiel au Pиre. Ensuite aussi pour que
nous n’entendions pas le Pиre et le Fils selon une gйnйration intelligible
comme le verbe est conзu dans notre esprit, survenant quasi accidentellement а
l’intelligence et n’йtant pas de son essence. CHAPITRE 43: EN IL N’Y A PAS DE DIFFЙRENCE DU VERBE ET DU
PИRE SELON LE TEMPS, L’ESPИCE OU LA NATURE
Chez ceux qui sont identiques dans l’essence aucune diffйrence n’est
possible selon l’espиce, le temps ou la nature. Parce que le Verbe est
consubstantiel, il s’en suit nйcessairement qu’il n’y a pas de diffйrence avec
le Pиre selon ces trois choses. Et vraiment selon le temps, car ce Verbe est en
Dieu du fait que Dieu se pense lui-mкme, se concevant а lui-mкme un verbe intelligible.
Or s’il fut un temps oщ le Verbe de Dieu n’йtait pas, Dieu aurait cessй de
penser. Or Dieu s’est pensй depuis toujours puisque sa pensйe est son essence;
toujours donc fut aussi son Verbe: et c’est pourquoi dans la rиgle de foi
catholique nous disons: "Nй du Pиre avant tous les siиcles." Selon l’espиce, il est impossible que le Verbe diffиre comme moindre
que le Pиre puisque Dieu ne se pense pas moins qu’il n’est. Or le Verbe est
d’une espиce parfaite parce que ce dont il est Verbe cela est parfaitement
pensй. Il faut donc que le Verbe de Dieu soit absolument parfait selon
l’espиce divine. On trouve des choses qui procиdent des autres et qui n’ont pas la
parfaite espиce de ce dont elles procиdent. D’une part comme dans les
gйnйrations йquivoques: le soleil en effet n’engendre pas le soleil, mais un
animal’. Donc pour exclure une telle imperfection dans la gйnйration divine
nous professons: "Dieu, nй de Dieu." D’autre part ce qui
procиde de quelque chose en diffиre par dйfaut de puretй; comme а partir de ce
qui est simple et pur, car ce qui est appliquй а une matiиre extйrieure, est
quelque chose de dйficient par rapport а son modиle: comme la maison qui est
dans l’esprit de l’architecte et qui devient une maison dans la matiиre; ou la
lumiиre reзue dans un corps limitй qui se change en cou leur; ou le rayon rencontrant
un obstacle devient ombre. Pour exclure cela de la gйnйration en Dieu on ajoute:
"Lumiиre nйe de la lumiиre." Enfin ce qui procиde d’un autre n’en a pas l’espиce, par manque de
vйritй, parce qu’il n’en reзoit pas la nature mais seulement sa ressemblance
comme l’image dans le miroir, ou une peinture, ou une sculpture, ou la
ressemblance d’une chose dans l’intelligence ou les sens. En effet l’image d’un homme n’est pas un vrai homme mais une
ressemblance; et la pierre n’est pas dans mon вme, comme dit Aristote, mais son
image. Pour exclure ces choses de la gйnйration divine, on ajoute: "Dieu
nй du vrai Dieu." Aussi selon la nature, le Verbe ne peut diffйrer de Dieu puisqu’il
est naturel а Dieu de se penser. En effet toute intelligence possиde certaines choses
qu’elle pense naturellement, comme notre intelligence des premiers principes. Dieu
donc а plus forte raison dont la pensйe est son кtre se pense-t-il
naturellement. Son Verbe donc vient de lui naturellement, non pas comme ces
choses qui procиdent non d’une origine naturelle, comme le sont chez nous les
choses artificielles, que nous faisons; mais celles qui pro cиdent de nous
naturellement sont dites engendrйes, comme le fils. Afin donc qu’on ne
comprenne pas que le Verbe de Dieu ne procиderait pas naturellement de Dieu,
mais selon quelque pouvoir de sa volontй, on ajoute: "Engendrй non pas
crйй." 1. On doit l’entendre de l’action solaire non sur la gйnйration, mais
comme une condition de la vie animale (2 Th I, 91, 2 ad 2). CHAPITRE 44: CONCLUSION DES PRЙMISSES
Puis donc qu’il est clair de ce qui prйcиde (chapitre 41 et 43) que
toutes les conditions de la susdite gйnйration divine font conclure а la
consubstantialitй du Fils avec le Pиre, on ajoute donc en rйsumй de tout cela: "Consubstantiel
au Pиre." CHAPITRE 45: DIEU EST EN LUI-MКME COMME L’AIMЙ DANS L’AMANT
De mкme que la
pensйe est en celui qui pense en tant qu’elle est pensйe, ainsi celui qui est
aimй doit кtre dans celui qui l’aime en tant qu’il est aimй. En effet celui qui
aime est en quelque sorte mы par celui qui est aimй comme par un mouvement
intйrieur. D’oщ comme ce qui meut est en contact avec ce qui est mы, il est
nйcessaire que celui qui est aimй soit intйrieur а celui qui aime. Or de mкme
que Dieu se pense ainsi faut-il qu’Il s’aime lui- mкme. En effet le bien pensй
est en lui-mкme aimable. Dieu est donc en lui-mкme comme l’aimй dans l’amant. 3° L’Esprit
Saint (chapitre 46 а 49)
CHAPITRE 46: L’AMOUR EN DIEU S’APPELLE ESPRIT
Comme ce qui est pensй est dans celui qui pense et celui qui est
aimй dans celui qui aime, diverse йtant leur faзon d’кtre dans l’autre, il faut
considйrer de part et d’autre ce qu’il en est. Car comme penser se fait par
assimilation du penseur а la chose pensйe, celle-ci doit nйcessairement кtre
dans le penseur selon qu’il y a en lui une ressemblance. Mais l’amour est
produit selon un mouvement de l’amant а partir de l’aimй. Celui-ci en effet
tire aprиs lui l’amant. Il n’y a donc pas dans l’amour une similitude de
l’aimй, comme dans la pensйe est reproduite la ressemblance[4]
de la chose pensйe; mais il y a une attraction de celui qui aime vers l’aimй. La transmission de la ressemblance principale se fait par gйnйration
univoque selon laquelle chez les vivants celui qui engendre est pиre et
l’engendrй fils. Chez eux aussi le mouvement premier se produit selon leur
espиce. De mкme donc que dans les choses divines la maniиre par laquelle Dieu
est en Dieu comme la pensйe dans le pensant s’exprime en notre langage en
disant Fils qui est le Verbe de Dieu, ainsi la maniиre par laquelle Dieu est en
Dieu comme l’aimй dans l’amant nous l’exprimons posant lа l’Esprit qui est
l’amour de Dieu; et voilа pourquoi selon la rиgle de la foi catholique
devons-nous croire dans l’Esprit.
CHAPITRE 47: L’ESPRIT QUI EST EN EST SAINT
Il faut considйrer que puisque le bien qu’on aime a rai son de fin
et que de la fin le mouvement volontaire est rendu bon ou mauvais, il est
nйcessaire que l’amour du bien suprкme qui est Dieu obtienne une bontй
йminente, qu’on exprime du nom de saintetй, soit que par saint on entende pur,
en grec, parce qu’en Dieu est la bontй toute pure, prйservйe de toute
dйficience; soit qu’on entende ‘ferme' en latin parce qu’en Dieu est la bontй
immuable c’est pour cela que tout ce qui a rapport а Dieu est dit saint, comme
le temple et les vases du temple et tout ce qui est affectй au culte divin. L’esprit
par lequel l’amour en nous s’insinue et par lequel Dieu s’aime lui-mкme est а
juste titre appelй Esprit Saint. D’oщ la rйgie de la foi catholique appelle
saint cet esprit en disant "Je crois au Saint-Esprit." CHAPITRE 48: L’AMOUR EN N’INTRODUIT AUCUN ACCIDENT
De mкme que la pensйe en Dieu est son кtre ainsi aussi est son
amour. Dieu donc ne s’aime pas lui-mкme selon quelque chose survenant а son
essence, mais selon son essence. Donc comme il s’aime lui-mкme selon ce qu’il
est en lui-mкme, comme l’aimй dans l’amant, il n’est pas Dieu aimй en Dieu qui
s’aime par maniиre d’accident, comme les choses aimйes sont en nous qui les
aimons de faзon accidentelle, mais Dieu est en lui-mкme comme l’aimй dans
l’amant substantiellement. Donc l’Esprit Saint lui-mкme par qui nous est
insinuй l’amour divin n’est pas quelque chose d’accidentel en Dieu, mais il est
rйellement subsistant dans l’essence divine, comme le sont le Pиre et le Fils.
Et donc dans la rиgle de foi catholique on montre qu’il doit кtre adorй et
glorifiй.., en mкme temps que le Pиre et le Fils. CHAPITRE 49: L’ESPRIT SAINT PROCИDE DU PИRE ET DU FILS
Il faut aussi considйrer que la pensйe procиde du pouvoir de
l’entendement selon quoi, lorsqu’il pense, ce qu’il pense est en lui. Ce qui
donc procиde du pouvoir de l’entendement et lui est immanent nous l’avons
appelй verbe (chapitre 37). De mкme aussi ce qui est aimй est dans l’amant qui
l’aime en acte. Or que quelque chose soit aimй en acte cela procиde du pouvoir
d’aimer de l’amant et du bien aimable pensй en acte. Donc le fait que l’aimй
est dans l’amant procиde de deux choses c’est-а-dire du principe qui aime
(l’amant) et de l’intelligible apprйhendй qui est le verbe conзu de la chose
aimable. Comme donc en
Dieu qui se pense lui-mкme et qui s’aime, le Verbe est Fils, et que celui dont
est le Verbe, est Pиre du Verbe, comme on l’a vu (chapitre 39), il est nйcessaire
que l’Esprit Saint, qui appartient а l’amour selon que Dieu est en lui-mкme
comme l’aimй dans l’amant, procиde du Pиre et du Fils; d’oщ on dit dans le
Symbole: "procиde du Pиre et du Fils." 4° Les
relations divines (chapitre 50 а 67)
CHAPITRE 50: LA TRINITЙ EN NE RЙPUGNE PAS А SON UNITЙ
De tout ce qui a йtй dit (chapitres 37 а 49) nous devons conclure а
une trinitй dans la divinitй qui cependant ne rйpugne pas а l’unitй ni а la
simplicitй de l’essence. En effet on doit admettre un Dieu comme existant en sa
nature et qui se connaоt et qui s’aime lui-mкme. Cependant cela se passe en
Dieu autrement qu’en nous. Car en effet dans sa nature l’homme est une
substance mais sa pensйe et son amour ne sont pas de sa substance; considйrй
dans sa nature il est une chose subsistante, mais selon ce qui est en son
intellect il n’est pas chose subsistante, et semblablement selon ce qui est en
lui comme l’aimй dans l’amant. Ainsi donc en l’homme on peut considйrer trois
choses: l’homme existant en sa nature, l’homme existant en son intelligence, et
l’homme existant dans l’amour: et cependant ces trois choses ne sont pas une,
parce que sa pensйe n’est pas son кtre et ainsi de l’amour et de ces trois une
seule est subsistante, l’homme existant en sa nature. Or en Dieu sont
identiques son кtre, la pensйe et l’amour. Dieu donc existant en son кtre naturel,
et Dieu existant dans sa pensйe, et Dieu existant dans son amour sont un,
cependant chacune de ces choses est subsistante. Et parce que les choses
subsistant dans une nature intellectuelle ont йtй appelйes selon les Latins des
PERSONNES et selon les Grecs des HYPOSTASES, voilа pour quoi en Dieu les Latins
disent trois personnes et les Grecs trois hypostases, c’est-а-dire le Pиre, le
Fils et l’Esprit Saint. CHAPITRE 51: IL SEMBLE QU’IL Y AIT RЙPUGNANCE А UNE TRINITЙ DES
PERSONNES EN DIEU
Il semble qu’aprиs ce qui a йtй dit (chapitres 37 а 50) certaines
difficultйs surgissent. Si en effet un nombre ternaire est introduit en Dieu,
ce nombre comme tout nombre vient d’une division. Il faudra donc introduire en
Dieu une diffйrence qui distingue les trois personnes entre elles et donc en
Dieu il n’y aura pas leur suprкme simplicitй. Car si les trois conviennent en
quelque chose et diffиrent par ailleurs, nйcessairement il y a composition, ce
qui contredit ce qu’on a vu plus haut (chapitre 9). D’autre part, s’il est nйcessaire qu’il n’y ait qu’un seul Dieu,
comme on l’a montrй plus haut (chapitres 13 а 15) et qu’aucune chose unique ne
puisse se produire ou procйder d’elle-mкme, il paraоt impossible que Dieu soit
engendrй ou procйdant. C’est donc а tort que l’on introduit en Dieu le nom de
Pиre, et celui de Fils, et celui d’Esprit qui procиde. CHAPITRE 52: RЙPONSE A L’OBJECTION: IL N’Y A DE DISTINCTIONS EN QUE LES
RELATIONS
Pour rйsoudre ce doute il faut poser en principe que selon la
diversitй des natures il y a en diverses choses un mode diffйrent de naоtre
d’un autre ou d’en procйder. En effet dans les choses qui n’ont pas la vie
parce qu’elles ne se meuvent pas d’elles-mкmes mais seulement peuvent l’кtre
extйrieurement, l’une naоt de l’autre comme altйrйe et changйe extйrieurement
ainsi le feu produit le feu et l’air produit l’air. Dans les кtres vivants, dont le propre est de se mouvoir eux-mкmes,
quelque chose est engendrй chez celui qui engendre comme le foetus chez
l’animal et le fruit dans la plante. Or il faut considйrer un mode diffйrent de
procession selon leurs diffйrents pouvoirs et processions. Chez eux en effet il y a des pouvoirs dont les opйrations ne
s’йtendent qu’aux corps en tant qu’ils sont matй riels, comme cela est clair
dans l’вme vйgйtative: pouvoirs nutritifs, de croissance et de gйnйration; et
selon ce genre de pouvoirs de l’вme, ne peut provenir que du corporel distinct
corporellement, et cependant d’une certaine faзon conjoint а ce dont il procиde
dans les vivants. Il y a des forces qui, bien que leurs opйrations ne dйpassent pas le
corps, s’йtendent cependant aux espиces des corps et qui les reзoivent sans la
matiиre, comme c’est le cas dans l’вme sensitive. En effet le sens perзoit les
impressions (des choses) sans leur matйrialitй, comme le dit Aristote. Si
l’opйration est immatйrielle, elle ne se fait pas cependant sans un organe
corporel. Si donc on trouve quelque procession dans les forces de telle вme, ce
qui en procиde ne sera pas quelque chose de corporel ou corporellement distinct,
ou uni а ce dont il procиde, mais d’une certaine faзon, incorporel et
immatйriel bien que non tout а fait privй de l’aide d’un organe corporel. Ainsi
en effet proviennent chez les animaux les formes imaginaires des choses, elles
sont sans doute dans l’imagination non comme un corps dans le corps, mais d’une
certaine maniиre spirituelle. D’oщ chez saint Augustin la vision imaginaire
est-elle appelйe spirituelle. Si selon l’opйration de l’imagination quelque chose en procиde non
selon un mode corporel, combien а plus forte raison cela arrivera-t-il pour
l’opйration de la partie intellectuelle qui aussi n’a pas besoin d’un organe
corporel, mais son opйration est tout а fait immatйrielle. En effet le verbe
procиde selon l’opйration de l’intellect comme existant dans l’intellect de
celui qui le dit, non contenu localement ni sйparй corporellement mais existant
en lui selon un ordre d’origine; et on peut en dire autant de la procession qui
se fait selon l’opйration de la volontй en tant que la chose aimйe est en celui
qui aime, comme on l’a vu plus haut (chapitre 45). Bien que les forces intellectuelles et sensitives selon leur propre
nature soient plus nobles que les vйgйtatives cependant chez les hommes et les
animaux par procession de leurs parties imaginative ou sensitive rien de
subsistant ne procиde en leur nature spйcifique; mais cela se fait seulement
par procession selon l’opйration de l’вme vйgйtative; et cela parce que dans
tous les composйs de matiиre et de forme la multiplication des individus dans la
mкme espиce se fait par division de la matiиre. D’oщ chez les hommes et les
animaux, comme ils sont composйs de matiиre et de forme les individus sont
multipliйs selon la mкme espиce par division de la matiиre; et ceci a lieu pour
l’opйration de l’вme vйgйtative mais non pour les autres opйrations de l’вme
Parmi les choses qui ne sont pas composйes de matiиre et de forme on ne trouve
pas de distinction sinon formelle seulement. Mais si la forme dont on considиre
la distinction est la substance de la chose il faut que cette distinction soit
celle de choses subsistantes; mais non pas si cette forme n’est pas substance
(sujet) de la chose. Il est donc commun а tout intellect, comme il ressort de
ce qu’on vient de dire, que ce qu’il conзoit procиde en quelque sorte de celui
qui pense en tant qu’il pense et il en est en quelque sorte distinct par sa
procession... comme la conception de l’intellect qui est image intellectuelle,
se distingue de l’intellect qui pense. Et semblablement il faut que l’affection
de l’amant par laquelle l’aimй est dans l’amant procиde de la volontй de
l’amant en tant que tel. Mais ceci est propre а l’intelligence divine, sa pensйe йtant son
кtre mкme, que la conception de l’intellect qui est image intellectuelle soit
sa substance et semblablement en est-il de l’affection en le mкme Dieu qui
aime. II reste donc que l’image intellectuelle divine et qui est son Verbe, ne
se distingue pas de celui qui la produit en ce qu’elle est l’кtre selon la
substance, mais seulement (s’en distingue) selon la maniиre de procйder l’un de
l’autre; et semblablement en est-il de l’affection amoureuse en Dieu qui aime
et qui appartient а l’Esprit Saint. Ainsi donc est-il clair que rien n’empкche que le Verbe de Dieu, qui
est le Fils, soit un avec le Pиre selon la substance et cependant soit distinct
selon la relation de procession, comme on l’a dit (chapitres 41 а 44 et 49). D’oщ
aussi est-il manifeste qu’une mкme chose ne naоt ni ne procиde d’elle-mкme; car
le Fils selon qu’il procиde du Pиre en est distinct et il en est de mкme pour
l’Esprit Saint comparй au Pиre et au Fils. 1.
Gen ad litt. 12, 6. 2.
En bref, la partie intellectuelle et la partie sensible, d’une part chez
l’homme, d’autre part dans l’animal, ne se multiplient pas а l’instar de la
partie corporelle. 3.
Les formes de connaissance et de dйsir chez les crйatures, formes fondant la
distinction de ce qui engendre et de ce qui est engendrй: du cфtй du premier
est l’кtre de la substance; du cфtй du second l’кtre de ce qui est connu et
dйsirй. Mais ce dernier dans les crйatures est prйsent d’une existence
accidentelle. Il n’y a donc pas distinction de choses subsistantes. CHAPITRE 53: LES RELATIONS PAR LESQUELLES SE DISTINGUENT LE PЙRE ET LE
FILS ET L’ESPRIT SAINT SONT RЙLLES ET PAS SEULEMENT DE RAISON
En effet ces relations-lа sont de raison seulement qui ne rйsultent
pas de quelque chose de naturel, mais de quelque chose qui est seulement dans
une apprйhension de l’esprit, comme la droite et la gauche d’une pierre ne sont
pas des relations rйelles, mais seulement de raison, parce quelles ne rйsultent
pas de quelque facultй rйelle existant dans la pierre mais seulement selon le
point de vue de celui qui saisit la pierre comme йtant а gauche, parce qu’elle
est а gauche de quelqu’animal; mais la gauche et la droite dans l’animal sont
des relations rйelles qui rйsultent de certaines rйalitйs qui se trouvent кtre
des parties dйterminйes d’un animal. Comme les relations susdites qui
distinguent le Pиre et le Fils et l’Esprit Saint existent rйellement en Dieu, de
telles relations doivent кtre rйelles et non pas seulement de raison. CHAPITRE 54: CES RELATIONS NE SONT PAS DES ACCIDENTS
Il n’est pas possible qu’elles soient des accidents dont elles, les
personnes divines, sont affectйes soit parce que les relations qui en sont
l’origine sont la substance mкme de Dieu soit parce que comme on l’a montrй (chapitre
23) en Dieu il ne peut y avoir d’accident. Si donc ces relations sont en Dieu
rйellement, elles ne peuvent кtre accidentellement inhйrentes, mais subsistantes.
On a vu plus haut comment ce qui est accident dans les autres choses peut кtre
en Dieu substantiellement (chapitres 22 et 23). CHAPITRE 55: CES RELATIONS PRODUISENT EN UNE DISTINCTION PERSONNELLE
Or comme en choses divines il y a distinction par relations non
accidentelles mais subsistantes et qu’en toute nature intellectuelle ce qui est
subsistant constitue la distinction de personne il faut nйcessairement qu’en
Dieu en vertu des dites relations soit constituйe une distinction personnelle.
Donc le Pиre et le Fils et l’Esprit Saint sont trois personnes, et йgalement
trois hypostases[5] car
l’hypostase signifie quelque chose de complet et de subsistant.
CHAPITRE 56: IL N’Y A QUE TROIS PERSONNES EN DIEU
Qu’il y ait plus de trois personnes en Dieu c’est impossible, comme
il n’est pas possible que soient multipliйes les personnes par divisions de la
substance divine; mais seulement par relation de procession, ni de n’importe
quelle procession mais telle qu’elle ne se termine pas а quelque chose
d’extйrieur. Car dans ce cas, ce quelque chose n’aurait pas la nature divine et
donc ne pourrait pas кtre une personne ou hypostase divine. Or une pro- cession
en Dieu si elle ne se termine pas а l’extйrieur, ne peut кtre qu’une opйration
intellectuelle, telle la procession du verbe, ou une opйration de la volontй
telle celle de l’amour, comme on l’a dit (chapitre 52). Il n’est donc pas
possible qu’une personne divine procиde sinon comme verbe que nous appelons
Fils, ou comme amour que nous appelons Esprit Saint. De plus, йtant donnй que Dieu d’un seul regard de son intelligence
embrasse tout et que d’un seul acte de sa volontй il aime tout ce qui est, il
ne peut y avoir en Dieu plusieurs verbes ni plusieurs amours. Si donc le Fils
pro cиde en tant que verbe et l’Esprit Saint en tant qu’amour il ne peut y
avoir en Dieu plusieurs Fils ni plusieurs Esprits Saints. De mкme. Parfait est ce hors duquel rien n’est. Ce qui donc en dchors
de soi suppose un autre de son genre n’est pas simplement parfait. A cause de
cela les choses qui sont parfaites de leur nature ne se multiplient pas, tels
Dieu, le soleil et la lune, etc. Il faut donc que le Fils et l’Esprit Saint
soient parfaits simplement puisque l’un et l’autre sont Dieu, comme on l’a
montrй (chapitres 41 et 48). Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs Fils
ou plusieurs Esprits Saints. En outre, ce par quoi quelque chose qui subsiste est ce quelque
chose, et distinct des autres ne peut кtre multipliй numйriquement, car
l’individuel ne peut кtre attribuй а plusieurs. Mais par sa filiation le Fils
est cette personne divine en soi subsistante et distincte des autres, comme par
des principes individuants Socrate est cette personne humaine. De mкme que les
principes individuants qui, font que Socrate est cet homme ne peuvent convenir
qu’а lui seul, ainsi aussi dans les choses divines la filiation ne peut
convenir qu’а un seul; et on peut en dire autant de la relation du Pиre et de
l’Esprit Saint. Il n’y a donc pas en Dieu plusieurs pиres, ni plusieurs fils,
ni plusieurs esprits saints. Enfin: les choses qui sont une selon la forme ne se multiplient
numйriquement que par la matiиre, comme la couleur appliquйe а plusieurs
objets; donc tout ce qui est un par l’espиce et la forme en Dieu ne peut кtre
multipliй numйriquement: telles la paternitй, la filiation et la pro cession de
l’Esprit Saint. Il est donc impossible qu’en Dieu il y ait plusieurs pиres, ou
fils, ou esprits saints. CHAPITRE 57: DES PROPRIЙTЙS OU NOTIONS EN ET COMBIEN SONT-ELLES DANS LE
PИRE?
Aprиs avoir fixй le nombre des personnes en Dieu, il faut savoir par
quelles propriйtйs elles diffиrent entre elles et leur nombre. Il y en a trois
qui conviennent au Pиre: une par laquelle il se distingue du Fils seul et c’est
la paternitй; une seconde qui le distingue des deux autres soit le Fils et
l’Esprit Saint et c’est l’innascibilitй parce le Pиre n’est pas un Dieu
procйdant d’un autre, or le Fils et l’Esprit Saint procиdent du Pиre; une
troisiиme (propriйtй) par laquelle le Pиre lui-mкme avec le Fils est distinct
de l’Esprit Saint: et c’est la spiration commune. Il n’y a pas de propriйtй par
laquelle le Pиre est distinct du Saint Esprit seul, parce que le Pиre et le
Fils sont un seul principe de l’Esprit Saint comme on l’a montrй (chapitre 49). CHAPITRE 58: DES PROPRIЙTЙS DU FILS ET DE L’ESPRIT SAINT: QUELLES
SONT-ELLES ET COMBIEN?
Deux (propriйtйs) conviennent nйcessairement au Fils: celle oщ il se
distingue du Pиre et c’est la filiation et celle oщ avec le Pиre il se
distingue de l’Esprit Saint et c’est la spiration commune. Mais il ne faut pas
lui assigner de propriйtй qui le distingue de l’Esprit Saint, parce que comme
on vient de le voir (chapitre 57) le Fils et le Pиre sont un unique principe de
l’Esprit Saint. De mкme aussi ne faut-il pas assigner une propriйtй par laquelle
l’Esprit Saint et le Fils sont ensemble distincts du Pиre. Le Pиre en effet est
distinct de ceux-ci par une propriйtй, c’est-а-dire l’innascibilitй en tant
qu’il n’est pas procйdant. Mais comme le Fils et l’Esprit Saint ne procиdent
pas d’une seule procession, mais de plusieurs, ils se distinguent du Pиre par
deux propriйtйs. Le Saint-Esprit n’a qu’une propriйtй par laquelle il est
distinct du Pиre et du Fils et on l’appelle procession. Qu’il ne puisse y avoir
de propriйtй par laquelle l’Esprit Saint est distinct du seul Pиre ou du seul
Fils cela est clair par ce qu’on a dit (chapitres 57 et 58). Elles sont donc cinq qui sont attribuйes: c’est а dire
l’innascibilitй, la paternitй, la filiation, la spiration et la procession. CHAPITRE 59: POURQUOI CES PROPRIЙTЙS SONT-ELLES DITES NOTIONS?
On peut parler de cinq notions parce qu’elles nous permettent de
distinguer en Dieu des personnes. Cependant des cinq ne peuvent pas кtre dites
propriйtйs dans le sens que “propre” voudrait dire ce qui convient а un seul;
car une commune spiration convient au Pиre et au Fils. Mais selon la maniиre
que quelque chose est dit propre а quelques-uns par rapport а un autre comme
bipиde а l’homme et а l’oiseau par rapport aux quadrupиdes, ainsi rien
n’empкche de dire aussi comme propriйtй leur commune spiration. Mais comme ce sont les relations seules qui distinguent les
personnes divines et que les notions, elles, nous font connaоtre comment sont
ces relations, il est nйcessaire que les notions soient quelque peu des
relations; mais celles-lа seules sont des relations vraies qui se rapportent
aux personnes divines l’une envers l’autre et il y en a quatre. La cinquiиme
notion est une nйgation de relation soit l’innascibilitй; car les nйgations
peuvent se ramener au genre des affirmations et les privations au genre des
habitus comme ne pas кtre homme se rapporte au genre homme et n’кtre pas blanc
au genre blancheur. On doit savoir cependant que parmi les relations qui font se
rapporter les personnes divines entre elles, certaines ont un nom, telles:
paternitй et filiation, qui proprement signifient des relations; d’autres n’ont
pas de noms: celles -par lesquelles le Pиre et le Fils se rapportent а l’Esprit
Saint et celui-ci а eux; mais au lieu de relations nous nous servons de noms
d’origine. Il est йvident en effet que la spiration et la procession signifient
une origine, mais ne disent rien des relations qui rйsultent de l’origine. On peut s’en rendre compte aux relations de pиre et de fils. La
gйnйration exprime une origine active dont on tire la relation de paternitй; la
naissance exprime au con traire, le cфtй passif de l’origine chez le fils, d’oщ
la relation de filiation. Semblablement la commune spiration est en consйquence
une relation, comme aussi la procession. Mais parce que ces relations n’ont pas de nom appropriй nous
employons а leur place le nom de leurs activitйs[6]. CHAPITRE 60: BIEN QUE LES RELATIONS SUBSISTANTES EN SOIENT AU NOMBRE DE
QUATRE, IL N’Y A CEPENDANT QUE TROIS PERSONNES
Bien que les relations subsistantes en Dieu soient les personnes
divines elles-mкmes, comme on l’a vu (chapitre 55) cependant il n’y a pas
quatre ou cinq personnes selon le nombre des relations. Le nombre en effet suppose une distinction. De mкme en effet que
l’unitй est indivise et indivisible, ainsi la pluralitй est divisible et
divisйe. Pour la pluralitй des personnes il est requis que les relations tirent
leur distinction sous forme d’opposition; car il n’y a de distinction formelle
que par opposition. Or si nous examinons les dites relations, la paternitй et
la filiation ont entre elles une opposition de relation, d’oщ elles ne sont pas
compatibles dans un seul sujet; а cause de cela il faut que la paternitй et la
filiation soient deux personnes subistantes. L’innascibilitй s’oppose а la
filiation, mais non а la paternitй et donc la paternitй et l’innascibilitй
peuvent convenir а une et mкme personne. De mкme la commune spiration ne
s’oppose ni а la paternitй, ni а la filiation, ni aussi а l’innasCibilitй. D’oщ
rien n’empкche que la commune spi- ration, se trouve tant chez le Pиre que chez
le Fils. Or la procession comporte une opposition relative а la commune
spiration. D’oщ comme la commune spiration con vient au Pиre et au Fils, il
faut que cette procession soit une personne autre que le Pиre et le Fils. D’oщ il est clair que Dieu n’est pas dit “cinq” suite au nombre cinq
des notions mais trine de par la trinitй des personnes. Car les cinq notions ne
sont pas cinq choses subsistantes, mais les trois personnes sont trois choses
subsistantes. Si mкme а une seule personne conviennent plusieurs notions ou
propriйtйs une seule cependant constitue la personne. La personne en effet
n’est pas ainsi, constituйe de propriйtйs multiples mais de ce que la propriйtй
mкme de relation subsistante est une personne. Si l’on figurait plusieurs
propriйtйs comme subsistantes sйparйment, il y aurait alors plusieurs personnes
et non une seule. Il faut donc comprendre que de plusieurs propriйtйs ou
notions qui conviennent а une personne, c’est celle qui procиde selon l’ordre
de nature qui constitue la personne, les autres sont inhйrentes а la personne
dйjа constituйe. Or il est manifeste que I’innascibilitй ne peut pas кtre la
premiиre notion de Pиre et puisse constituer une personne; car d’abord rien
n’est constituй par nйgation, ensuite l’affirmation prime la nйgation
naturellement. La commune spiration selon l’ordre naturel prйsuppose la paternitй
et la filiation, comme la procession d’amour la procession du verbe. D’oщ la
commune spiration ne peut кtre la premiиre notion du Pиre ni du Fils. Il reste donc que la premiиre notion du Pиre est la paternitй, celle
du Fils la filiation, quant au Saint-Esprit sa seule notion est la procession.
Il y a donc en tout trois notions constituant les personnes. Et ces notions
sont nйcessairement des propriйtйs. Ce qui en effet constitue la personne doit
convenir а cette seule personne. Car les principes d’individuation ne peuvent
s’appliquer а plusieurs. Ces trois notions sont donc dites propriйtйs
personnelles, constituant trois personnes, comme nous l’avons dit. Les autres
propriйtйs, ou notions des personnes ne sont pas personnelles ne constituant
pas de personne. CHAPITRE 61: SI PAR LA PENSЙE ON ЙCARTE LES PROPRIЙTЙS PERSONNELLES IL
N’Y A PLUS D’HYPOSTASES
Il ressort de cela que si par la pensйe on йcarte les propriйtйs
personnelles il n’y a plus d’hypostases. En effet dans l’abstraction qui se
fait dans l’intelligence, la forme йtant йcartйe, le sujet de la forme demeure,
de mкme que en йcartant la blancheur, la surface demeure; cette derniиre
йcartйe reste la substance, dont si l’on retire la forme reste la matiиre
premiиre; mais si l’on supprime le sujet plus rien ne reste. Or les propriйtйs
personnelles sont les personnes elles-mкmes subsistantes et elles ne
constituent pas des personnes comme quelque Chose s’ajoutant а des sujets
prйexistants. Car dans les personnes divines ce qui est absolu ne peut кtre
distinct mais seulement ce qui est relatif. Il reste donc que si l’on retire
par l’intelligence les propriйtйs personnelles, il n’y a plus d’hypostases
distinctes; quant aux autres notions non personnelles, mкme retirйes, les
hypostases restent distinctes. CHAPITRE 62: ЙCARTANT EN ESPRIT LES PROPRIЙTЙS PERSONNELLES L’ESSENCE
DIVINE DEMEURE
Si quelqu’un s’enquerrait, une fois йcartйes par la pensйe les
propriйtйs personnelles, si l’essence divine demeure rait, il faut distinguer. Car
l’intelligence peut abstraire de deux maniиres[7].
On peut abstraire la forme de la matiиre et l’on va ainsi de ce qui est plus
formel а ce qui est plus matйriel; car ce qui est d’abord sujet, reste en
dernier lieu; mais la forme ultime est d’abord enlevйe. L’abstraction ensuite
peut se faire de l’universel а partir du particulier, ce qui est en quelque
sorte l’ordre contraire. Car d’abord sont йcartйes les conditions matйrielles
individuantes pour obtenir ce qui est commun. Bien qu’en Dieu il n’y ait ni matiиre ni forme, ni l’universel ni le
particulier, il y a cependant ce qui est commun et ce qui est propre, et le
sujet d’une commune nature (chapitre 10). En effet les personnes sont а
l’essence, selon notre mode de penser, comme les individus а la nature commune.
Et donc selon la premiиre abstraction qui йcarte les propriйtйs personnelles,
et qui sont les personnes subsistantes, il n’y a plus de nature commune; mais
bien dans le second cas[8]. CHAPITRE 63: DU RAPPORT DES ACTES PERSONNELS AUX PROPRIЙTЙS
PERSONNELLES
De ce qui a йtй dit on voit clairement quel rapport existe, selon l’intelligence,
entre les actes personnels et les propriйtйs personnelles. En effet les
propriйtйs personnel les sont des personnes subsistantes: or une personne
subsistante quelque soit sa nature agit en communiquant sa nature en vertu mкme
de sa nature, car la forme spйcifique est le principe de la gйnйration du
semblable selon l’espиce. Comme donc les actes personnels appartiennent а la
communication de la nature divine, il faut que la personne subsistante
communique une nature commune en vertu de la nature mкme. On peut en tirer une double conclusion: dont une est: que le pouvoir
gйnйrateur du Pиre est la nature divine elle-mкme. Car tout pouvoir d’agir est
le principe de ce qui est fait. La seconde conclusion est que l’acte personnel,
c’est-а-dire, la gйnйration, d’aprиs notre mode de penser, prйsuppose et la
nature divine et la propriйtй personnelle du Pиre et qui est son hypostase
mкme, quoique une telle propriйtй en tant que relation vienne aprиs l’acte. D’oщ
en considйrant dans le Pиre la personne subsistante on peut dire qu’il est Pиre
parce qu’il engendre. Mais si on considиre la relation il faudra dire au
contraire que parce qu’il engendre il est Pиre[9]. CHAPITRE 64: CE QUE SIGNIFIE LA GЙNЙRATION POUR LE PЙRE ET POUR LE FILS
Il faut entendre d’une autre faзon la gйnйration active а partir de
la paternitй et d’une autre faзon la gйnйration passive, soit la naissance en
relation avec la filiation. La gйnйration active prйsuppose naturellement
existante la personne qui engendre; mais la gйnйration passive ou la naissance
prйcиde naturellement la personne engendrйe parce que celle-ci a l’кtre de par
sa naissance. Ainsi donc, d’aprиs notre mode de penser, la gйnйration active,
prй suppose la paternitй, selon qu’elle est constitutive de la personne du Pиre
tandis que la naissance ne prйsuppose pas la filiation selon qu’elle est constitutive
de la personne du Fils, mais selon notre maniиre de penser elle la prйcиde de
deux faзons, c’est-а-dire selon qu’elle est constitutive de la personne et
selon qu’elle signifie une relation. Et semblablement doit-on l’entendre des
choses qui concernent la procession de l’Esprit Saint. CHAPITRE 65: LES ACTES NOTIONNELS NE DIFFИRENT DES PERSONNES QUE SELON
LA RAISON
Selon l’ordre assignй entre les actes notionnels et les propriйtйs
notionnelles nous n’entendons pas que les actes notionnels diffиrent rйellement
des propriйtйs personnelles mais seulement selon le mode de penser. En effet de
mкme que penser, en Dieu c’est Dieu lui-mкme qui pense, ainsi aussi la
gйnйration chez un pиre est identique au gйniteur, le pиre, quoique de
signification diffйrente. De mкme, bien qu’une personne possиde plusieurs notions, cependant
il n’y a chez elle aucune composition. L’innascibilitй йtant une propriйtй
nйgative il n’y a pas de composition possible. Quant aux deux relations, chez
le Pиre, de paternitй et de commune spiration, elles sont une et mкme chose
dans le rйel en tant qu’elles se rapportent а la personne du Pиre. Car de mкme
que la paternitй est le Pиre, ainsi la commune spiration est le Pиre en tant
qu’elle est dans le Pиre et elle est le Fils en tant qu’elle est dans le Fils.
Elles diffиrent entre elles sans doute dans la mesure oщ elles signifient une
relation diffйrente; car par la paternitй le Pиre se trouve en relation avec le
Fils et par la commune spiration avec le Saint-Esprit. Et semblablement le Fils
par la filiation se rapporte au Pиre, par la commune spiration au Saint-Esprit. CHAPITRE 66: LES PROPRIЙTИS RELATIVES SONT L’ESSENCE MКME DE DIEU
Les propriйtйs qui dйfinissent une relation constituent
nйcessairement la divine essence. Elles sont dйjа identiques aux personnes
subsistantes; or en Dieu une personne subsistante ne peut кtre autre que la
divine essence (chapitre 10). La divine essence est Dieu lui-mкme. D’oщ il suit
que les propriйtйs de relation sont en rйalitй identiques а Dieu. De mкme ce qui s’ajoute а l’essence de quelque chose est comme un
accident; or en Dieu, comme on l’a vu, tout est son кtre (chapitre 23). Donc
les propriйtйs relatives en Dieu ne sont pas autre chose que son essence. CHAPITRE 67: LES RELATIONS NE SONT PAS QUELQUE CHOSE AJOUTЙ DE
L’EXTЙRIEUR, COMME LE PRЙTENDENT LES DISCIPLES DE GILBERT DE LA PORRЙE
On ne peut pas dire que les dites propriйtйs n’existe pas dans les
personnes divines mais elles leur seraient, extйrieures, comme disent les
disciples de Gilbert de la Porrйe. En effet dans les choses qui sont en
relation, 'relations doivent кtre rйelles. Ce qui est manifeste dans crйatures
oщ les relations rйelles en elles sont comme accidents dans leurs sujets. Or
ces relations qui distinguent les personnes en Dieu sont des relations rйelles
comme on l’a vu (chapitre 53). Il faut donc qu’elles soient dans les personnes
divines non comme des accidents; car les autres choses qui sont des accidents
dans les crйat transfйrйes en Dieu perdent leur condition d’accidents, telles
la sagesse, la justice et autres, comme on l’a montrй. (chapitre 23). En outre, en Dieu il ne peut se trouver de distinction ce n’est au
moyen des relations; car tout ce qui est absolument est commun aux trois
personnes. Si donc les relations sont ajoutйes de l’extйrieur aux personnes, il
ne restera rien qui distingue les personnes. Il y a donc des propriйtйs
relatives dans les personnes et qui sont les personnes elles-mкmes, comme aussi
la sagesse et la bontй sont en Dieu et sont Dieu lui-mкme et son essence, comme
on l’a exposй. B — Les oeuvres de Dieu: la Crйation (chapitre 68 а 94)
1° En gйnйral (chapitre 68 а 70)
CHAPITRE 68: L’КTRE, EFFET PREMIER DE LA DIVINITЙ
Aprиs avoir йtudiй ce qui a trait а Dieu et а la Trinitй des
personnes il reste а traiter des oeuvres de la Trinitй. La premiиre oeuvre de
Dieu dans les choses est l’кtre lui-mкme que toutes les autres oeuvres
prйsupposent et sur lequel elles sont fondйes. Il est nйcessaire que ce qui est
de quelque maniиre soit de Dieu. Dans les choses qui ont un ordre on trouve
ceci communйment que ce qui est premier et le plus parfait dans cet ordre, est
la cause de ce qui en cet ordre vient aprиs comme le feu, qui est trиs I chaud,
cause la chaleur dans les autres corps chauds. Toujours en effet ce qui est imparfait
a son origine en ce qui est parfait, telles les semences des animaux et des
plantes. Or on a vu plus haut (chapitres 3, 18, 20 et 21) que Dieu est le
premier кtre et le plus parfait; d’oщ il faut qu’il soit la cause de l’кtre de
tout ce qui est. Encore: tout ce qui possиde quelque chose par participation doit
кtre ramenй а ce qui est par essence, comme en son principe et sa cause, comme
le fer en fusion partage sa propriйtй nouvelle а partir de ce qui est le feu
par essence. Or on a montrй plus haut (chapitre 11) que Dieu est l’кtre mкme et
dont l’кtre est son essence tandis que toi le reste tient son кtre par
participation. Car aucune essence des choses n’est leur кtre; l’кtre absolu et
subsitant par lui-mкme ne peut кtre qu’un seul, comme on l'a vu (chapitre 15). Dieu
est donc nйcessairement la cause de tout ce qui est. CHAPITRE 69: EN CRЙANT N’A PAS UTILISЙ DE MATIИRE
Ceci nous fait admettre que Dieu comme crйateur n'a pas йtй soumis а
quelque matiиre prйexistante pour en faзonner quelque chose. Car aucun agent ne
prйexige pour son action ce qu’il produit par cette action, mais seulement ce
qu’il ne peut produire par Son action. En effet un constructeur a besoin au
prйalable de pierre et de bois pour son travail parce qu’il ne petit lui-mкme i
s produire. Il faut donc qu’aussi la matiиre soit produite par Dieu, puisque
nous avons montrй (chapitre 68) que tout ce qui est de quelque faзon a Dieu
comme cause de son existence. Il reste donc qu’en agissant Dieu n’a pas utilisй
de matiиre. Encore: l’acte de sa nature est avant la puissance d’oщ lui revient
d’abord d’кtre le principe. Et tout principe qui dans la crйation en suppose un
autre n’a que par aprиs d’кtre principe. Puisque Dieu est le principe des
choses comme leur acte premier et la matiиre comme l’кtre en puissance, il ne
convient pas que Dieu dans son action prйsuppose une matiиre. De mкme. Plus une cause est universelle, plus universel est son
effet. Car les causes particuliиres adaptent а quel que chose de dйterminй
l’action des causes universelles; cette dйtermination est а l’effet universel
comme l’acte а la puissance. Donc toute cause qui fait кtre quelque chose en
acte, йtant prйsupposй ce qui est en puissance а cet acte, est une cause
particuliиre par rapport а une cause plus universelle. Ce qui ne peut кtre en
Dieu puisqu’il est cause premiиres comme on l’a montrй (chapitre 3 et 68). La
matiиre donc ne prйexiste pas а son action. A lui donc appartient de produire
l’кtre du nйant, ce qui est proprement crйer. Et voilа pourquoi la foi catholique
reconnaоt qu’il est Crйateur. CHAPITRE 70: DIEU SEUL PEUT CRЙER
Ceci est aussi йvident: Dieu seul a le pouvoir de crйer. Car crйer
suppose chez son auteur qu’il n’est pas conditionnй par une autre cause plus
universelle. Et c’est ce qui se vйrifie en Dieu, comme on vient de le voir. Il
est donc seul crйateur. De mкme. Plus une puissance est йloignйe de l’acte, plus aussi doit
кtre grand le pouvoir qui la rйduit en acte. Mais quelque
grande que soit la distance de la puissance а l’acte elle reste toujours plus
grande si la puissance elle- mкme lui est soustraite. Donc crйer quelque chose
de rien requiert un pouvoir infini. Mais Dieu seul possиde un pouvoir infini
puisqu’il possиde une essence infinie. Dieu seul donc peut crйer. 2° Les choses
matйrielles (chapitre 71 а 74)
CHAPITRE 71: LA DIVERSITЙ DE LA MATIИRE N’EST PAS CAUSE DE LA DIVERSITЙ
DES CHOSES
Ce qui vient d’кtre dit montre а l’йvidence que la cause de la
diversitй des choses n’est pas la diversitй de la matiиre. On a montrй en effet
(chapitre 69) qu’aucune matiиre ne conditionne l’action divine qui produit
l’кtre des choses. Mais la cause de la diversitй des choses ne vient pas de la
matiиre pour autant qu’elle est prйexigйe а leur production c’est-а-dire selon
que par sa diversitй des formes diverses seraient produites. Donc la matiиre
n’est pas la cause de la diversitй des choses que Dieu produit. Encore. Selon que les choses ont l’кtre ainsi ont-elles pluralitй et
unitй, car toute chose selon qu’elle est un кtre, est aussi une. Mais les formes
n’ont pas l’кtre а cause de la matiиre mais plutфt les matiиres а cause des
formes; car l’acte vaut plus que la puissance et ce pourquoi quelque chose est
doit prйvaloir. Et donc les formes ne sont pas diverses pour convenir aux
matiиres, mais les matiиres sont diverses pour convenir а des formes diverses. CHAPITRE 72: COMMENT PRODUIT LES DIVERSES CHOSES ET QUELLE EST LA CAUSE
DE LEUR PLURALITЙ
Si les choses sont ainsi а l’unitй et а la multitude comme elles
sont а l’кtre, et comme tout кtre des choses dйpend de Dieu, comme on l’a
montrй (chapitres 68 et 69), il faut aussi que la cause de cette pluralitй
vienne de Dieu. Ce qui peut se montrer comme suit: il est nйcessaire en effet
que tout agent produise quelque chose de semblable а soi-mкme autant que possible;
or il n’йtait pas possible а Dieu de produire des choses qui reproduisent sa
boni... selon la simplicitй qui est en lui. Il fallut donc que celui qui est un
et simple fut reprйsentй dans les choses produites de diverses maniиres et
diffйremment. II fut donc nйcessaire que la diversitй existвt dans les choses
produites par Dieu pour qu’а leur maniиre elles imitent la perfection divine. De mкme: tout ce qui a une cause est fini; Dieu seul possиde une
essence infinie, comme on l’a vu (chapitre 18). Tout ce qui est fini peut
grandir par ajout d’un autre. II йtait donc plus opportun que parmi les choses
crййes intervienne la diversitй pour qu’ainsi il y eut plusieurs biens plutфt
qu’un seul genre de choses que Dieu aurait crййes. Celui qui est le meilleur
devait donc produire les meilleures choses. Il convenait donc que Dieu
produisit la diversitй des choses. CHAPITRE 73: DE LA DIVERSITЙ, DU DEGRЙ, DE L’ORDRE DES CHOSES
La multiplicitй des choses exigeait aussi qu’un ordre y fut instaurй
en sorte qu’il y en eut de plus excellentes. Il convient en effet а l’abondante
bontй de Dieu de communiquer une ressemblance de sa bontй aux choses dont il est
la cause, dans la mesure du possible. Dieu n’est pas seulement bon en lui-mкme,
il dйpasse infiniment les autres choses en bontй et il leur communique sa bontй. Pour rendre plus parfaite
avec Dieu la ressemblance des choses crййes, il йtait nйcessaire que certaines
soient mieux gratifiйes et que d’aucunes agissent sur d’autres pour les amener
а la perfection. La diversitй fondamentale des choses consiste principalement
dans la diversitй des formes; ce qui donne les contraires. Le genre en effet se
partage en espиces diverses par des diffйrences contraires. Or dans ces
contraires il faut un certain ordre, car un contraire est toujours plus parfait
qu’un autre (voir chapitre 116, fin). Il a donc fallu que la diversitй des
choses soit йtablie par Dieu dans un certain ordre, c’est-а-dire que certaines
soient placйes au-dessus des autres. CHAPITRE 74: PARMI LES CRЙATURES IL Y EN A QUI SONT PLUS EN PUISANCE
QU’EN ACTE, POUR D’AUTRES C’EST LE CONTRAIRE
Toute chose est d’autant plus noble et parfaite qui se rapproche
davantage de la ressemblance divine. Or Dieu est l’acte pur sans mйlange de
potentialitй. Il est donc nйcessaire que les кtres suprкmes soient davantage en
acte et moins en puissance tandis que les infйrieurs sont davantage en
puissance. Qu’entend-on par lа? Puisque Dieu est йternel et immuable en son кtre celles-lа sont les
moindres parmi les choses en tant qu’ayant moins de la ressemblance divine;
elles sont sujettes а la gйnйration et а la corruption; elles sont pour un
temps puis ne sont plus. Et parce que l’кtre est en fonction de la forme, de
telles choses existent quand elles ont leur forme et elles cessent d’кtre quand
elles en sont privйes. Il faut donc qu’il y ait en elles ce qui fait qu’elles
puissent avoir une forme ou de ne pas en avoir et c’est ce que nous appelons la
matiиre. Ces choses donc qui sont les moindres sont nйcessairement composйes de
matiиre et de forme. Celles qui sont plus nobles se rapprochent au maximum de
la ressemblance divine; d’oщ elles sont libres de toute possibilitй de perdre
leur existence; bien plus, de par leur crйation par Dieu elles ont obtenu une
existence sans fin. Or ce qu’est la matiиre c’est d’кtre en puissance а l’кtre
qui est par la forme; ces кtres donc qui ne sont pas en puissance а кtre ou ne
pas кtre ne sont pas composйs de matiиre ni de forme; bien plus, ce sont de
pures formes qui dans leur кtre reзu de Dieu possиdent en elles mкmes leur
subsistance. Il est nйcessaire que ces substances incorporelles soient
incorruptibles. Dans toutes les choses corruptibles en effet il y a possibilitй
au non-кtre. Or en celles-lа la potentialitй n’entre pas; elles sont donc incorruptibles.
De mкme: rien ne se corrompt si ce n’est par sйparation de sa forme;
les substances dont il s’agit, йtant d formes subsistantes par elles-mкmes, ne
sont pas sйparables de leur forme et ainsi ne peuvent perdre l’existence elles
sont donc incorruptibles. Il y a d’ailleurs entre ces deux degrйs d’кtre des substances mixtes;
dans lesquelles bien qu’il n’y ait pas de puissance а l’кtre et au non кtre, il
y a cependant en elles une possibilitй de lieu. Ce sont les corps cйlestes qui
eux ne sont pas sujets а gйnйration ni corruption, parce qu’en eux on ne trouve
pas de contraires, mais ils se meuvent localement; ainsi en trouve-t-on qui ont
mouvement et matiиre, car “le mouvement est l’actuation d’une puissance en
devenir”[10]. De
tels corps ont une matiиre qui n’est pas sujette а la corruption comme а la
gйnйration, mais seulement au changement local. 3° Les
crйatures spirituelles (chapitre 75 а 94)
a) Les anges (chapitre 75 а 78)
CHAPITRE 75: LES ЙTRES SUPЙRIEURS A LA MATIИRE ONT EN PROPRE LA
CONNAISSANCE INTELLECTUELLE
Ces substances dont nous avons parlй et qui sont immatйrielles sont
nйcessairement aussi intellectuelles. Est intellectuel en effet ce qui est
exempt de matiиre; leur mode de penser le prouve. En effet l’intelligible en
acte et l’intelligence en acte ne font qu’un. Il est manifeste que quelque
chose est intelligible en acte du fait qu’il est sйparй de la matiиre; car des
choses matйrielles nous en avons connaissance par abstraction de la matiиre
(Comp. chapitre 83). Or on doit faire la mкme supposition pour l’intelligence c’est-а-dire
ce qui est immatйriel est aussi intelligent. De mкme: les кtres immatйriels sont premiers et suprкmes parmi les
кtres. Car l’acte est naturellement avant la potentialitй. Or l’intelligence
apparaоt supйrieure а toutes les choses; elle se sert en effet des choses
corporelles comme d’instruments. Il faut donc que les substances immatйrielles
soient intellectuelles. Encore: plus une chose occupe un rang йlevй dans la sйrie des кtres
plus grande aussi est sa ressemblance avec Dieu. Il y en a qui n’ont de
ressemblance que par le fait: de leur existence, comme les minйraux; d’autres
parce qu’ils ont l’кtre et la vie, comme les plantes; d’autres parce qu’ils
sont sensibles, comme les animaux; au sommet est la connaissance intellectuelle
laquelle est suprкmement en Dieu; donc les crйatures les plus hautes sont
intellectuelles en Dieu. Et parce que parmi toutes les crйatures celles-ci sont
le plus semblables а Dieu, nous sommes dits "crййs а l’image de Dieu
". CHAPITRE 76: DE TELLES SUBSTANCES SONT LIBRES D’ARBITRE
Par lа on dйmontre qu’elles sont libres d’arbitre. L’intelligence en
effet n’agit pas et ne dйsire pas sans jugement, comme les choses inanimйes; et
le jugement de l’intelligence ne vient pas d’une impulsion naturelle comme chez
les brutes, mais par propre apprйhension car l’intelligence connaоt la fin et
ce qui conduit а la fin et le rapport de l’une а l’autre; et donc elle peut
кtre cause de son jugement par lequel elle dйsire et fait quel que chose pour
une fin. Et nous appelons libre ce qui est sa propre cause. L’intelligence donc
dйsire et agit d’un jugement libre et cela est кtre libre d’arbitre. Donc les
substances suprкmes sont libres d’arbitre[11]. De plus, libre est ce qui n’est pas dйterminй а quelque chose
d’unique; or le dйsir de la substance intellectuelle n’est pas tenu а quelque
bien dйterminй, car il suit l’apprйhension de l’intelligence qui perзoit le
bien universellement. Donc le dйsir de la substance intelligente est libre
comme se portant indiffйremment vers tout ce qui est bon.
CHAPITRE 77: DANS CES SUBSTANCES EXISTE UN ORDRE ET DES DEGRЙS SELON LA
PERFECTION DE LEUR NATURE
De mкme que ces substances intellectuelles surpassent d’un certain
degrй les autres substances ainsi aussi ces mкmes substances entre elles
doivent se distancer par quelques degrйs. Elles ne peuvent en effet diffйrer
entre elles par une diffйrence matйrielle, comme elles sont exemptes de la
matiиre. Donc s’il s’y trouve une pluralitй cela vient nйcessairement de leur
distinction formelle qui constitue la diversitй de l’espиce. Or n’importe oщ il
y a diversitй de l’espиce on doit y dйcouvrir un ordre et des degrйs; la raison
en est que comme dans les nombres l’addition ou la soustraction d’une unitй
fait varier l’espиce, ainsi par l’addition et la soustraction de leur
diffйrence les choses naturelles se trouvent кtre diffйrentes par l’espиce,
comme ce qui est seulement animй diffиre de ce qui est animй et sensible, et ce
dernier de ce qui est au plus rationnel. Il est donc nйcessaire que les dites
substances immatйrielles soient distinctes selon des degrйs et des ordres. CHAPITRE 78: COMMENT ENTENDRE ORDRE ET DEGRЙ DANS LEUR ACTE
INTELLIGENT?
Et parce que le mode substantiel d’une chose dйtermine son mode
d’opйration il faut que celles qui sont supйrieures pensent plus noblement
comme ayant des formes intelligibles et des vertus plus universelles et plus
unifiйes (celles qui sont infйrieures sont de pensйe plus dйbile et elles ont
des formes plus nombreuses et moins universelles). b) Les hommes (chapitre 79-94)
CHAPITRE 79: LA SUBSTANCE QUI FAIT L’HOMME INTELLIGENT EST LA MOINDRE
PARMI LES INTELLECTUELLES
Comme il n’existe nulle part de processus а l’infini, de mкme qu’on
trouve des кtres qui approchent trиs prиs de Dieu, ainsi en trouve-t-on dans
les кtres intellectuels qui se rapprochent trиs prиs de la matiиre. On peut
s’en rendre compte de la faзon suivante. Penser met l’homme au- dessus des
autres animaux. Il est manifeste en effet que seul l’homme considиre les choses
universellement comme aussi leurs rapports et les choses immatйrielles qui ne
sont perзues que par la pensйe. Or il est impossible que penser soit un acte
exercй par un organe corporel, comme la vision qui se sert de l’oeil. Il est
nйcessaire en effet que tout instrument d’une vertu cognitive soit exempt de ce
genre de choses par quoi il connaоt, comme la pupille par nature n’est pas
colorйe. Ainsi en effet les couleurs sont connues en tant que leurs images sont
reзues dans l’њil; ce qui perзoit doit кtre dйpouillй des choses qu’il reзoit.
Or l’intelligence connaоt toutes les choses sensibles. Si donc elle connaissait
par un organe corporel, il faudrait que cet organe soit dйpouillй de toute
nature sensible; Ce qui est impossible. De mкme, toute facultй de connaissance connaоt selon que l’image de
la chose connue est en elle car cette image est pour elle principe de
connaissance. Or l’intelligence connaоt les choses sans la matiиre, mкme celles
qui de leur nature sont faites de matiиre, en abstrayant la forme universelle
des conditions matйrielles individuantes. Il est donc impossible que l’image de
la chose connue soit matйriellement dans l’intelligence. Donc elle n’est pas reзue
dans un organe corporel, car tout organe cor est matйriel. De mкme: les sens s’affaiblissent et se corrompent si leur objet est
trop violent comme l’ouпe par des sons trop stridents ou la vue par des objets
trop brillants; cela arrive parce que les йlйments de l’organe sont atteints
dans leur structure. Or l’intelligence se fortifie au contraire par
l’excellence des choses intelligibles; car celui qui saisit des choses plus
йlevйes n’est pas moins capable d’en comprendre d’autres, bien au contraire.
Ainsi donc comme l’homme est intelligent et que penser pour lui ne se fait pas
par un organe corporel il faut qu’il y ait une substance incorporelle par
laquelle l’homme pense. Car ce qui peut opйrer par soi-mкme sans un corps, sa
substance aussi ne dйpend pas du corps. En effet toutes les facultйs et formes
qui ne peuvent subsister par elles-mкmes sans un corps ne peuvent avoir
d’opйration sans un corps. En effet la chaleur ne chauffe pas en elle-mкme mais
un corps qui est chaud donne de la chaleur. Donc cette substance incorporelle
par laquelle l’homme pense est la plus humble dans le genre des substances
intellectuelles et trиs proche de la matiиre. CHAPITRE 80: DIFFЙRENCE DANS L’INTELLECT ET LE MODE DE PENSER
Comme ce qui est intelligible est au-dessus de ce qui est sensible,
tout comme l’intelligence est au-dessus des sens, ceux qui sont infйrieurs
parmi les кtres imitent autant que possible les кtres supйrieurs, tels les
corps engendrйs et corruptibles qui en quelque sorte imitent le mouvement des
corps cйlestes: il est donc nйcessaire que ce qui est sensible soit а sa
maniиre assimilй а ce qui est intelligible et ainsi par analogie nous pouvons
des choses sensibles en arriver quelque peu а la connaissance des choses
intelligibles. Or dans les choses sensibles il y a quelque chose quasi extrкme
qui est leur acte ou leur forme et quelque chose d’infime qui est uniquement
potentialitй soit la matiиre et il y a quelque chose de mixte soit le composй de
matiиre et de forme. Ainsi aussi faut-il considйrer l’кtre intelligible. Car
l’intelligible suprкme c’est Dieu qui est l’acte pur. Les autres substances
intellectuelles selon l’кtre intelligible sont en possession d’acte et de potentialitй;
la plus humble des substances intelligibles, celle par quoi l’homme pense, est
presque uniquement potentialitй dans l’кtre intelligible. La preuve en est
aussi que, au dйbut, l’homme ne pense qu’en puissance seulement, et ensuite
peu-а-peu il est amenй а l’acte; de la vient que ce par quoi l’homme pense est
appelй intellect possible. CHAPITRE 81: L’INTELLECT POSSIBLE DE L’HOMME REЗOIT LES FORMES INTELLIGIBLES
A PARTIR DES CHOSES SENSIBLES
Parce que, comme on l’a vu (chapitre 76), plus une intelligence est
йlevйe, plus universelles sont en elles les formes intelligibles, il s’en suit
que l’intellect humain, que nous avons qualifiй de possible, possйdera parmi
les autre substances intellectuelles des formes moins universelles, et de la
vient qu’il reзoit les formes intelligibles а partir des choses sensibles. On peut aussi envisager la chose sous un autre aspect. Il faut en
effet que la forme Soit proportionnйe а ce qui la reзoit. De mкme donc que
l’intellect possible de l’homme parmi toutes les substances intellectuelles se
trouve plus proche de la matiиre corporelle, ainsi est-il nйcessaire que ses
formes intelligibles soient les plus proches des choses matйrielles. CHAPITRE 82: L’HOMME A BESOIN POUR PENSER DE PUISSANCES SENSITIVES
Il faut noter que les formes des choses corporelles sont
particuliиres et ont un кtre matйriel; mais dans l’intelligence elles sont
universelles et immatйrielles; c’est ce que dйmontre le mode de penser. Nous
pensons en effet les choses universellement et immatйriellement. Notre mode de
penser doit nйcessairement correspondre aux espиces intellectuelles par
lesquelles nous pensons. Comme on ne passe d’un extrкme а l’autre que par un
milieu, il faut donc que les formes а partir des choses corporelles parviennent
а l’intelligence par des intermйdiaires. Or de cette nature sont les puissances
sensitives qui reзoivent les formes des choses matйrielles sans la matiиre;
l’image de la pierre est dans l’oeil, mais non la matiиre; cependant les formes
des choses sont reзues particuliиrement dans les puissances sensitives; car par
celles-ci nous connaissons seulement le particulier. Il fat donc nйcessaire que
l’homme pour penser ait aussi des sens. La preuve en est que celui qui est privй d’un de ses sens ne peut
connaоtre les choses sensibles qui sont saisies par ce sens, comme l’aveugle-nй
ne peut avoir la science des couleurs. CHAPITRE 83: IL EST NЙCESSAIRE D’ADMETTRE L’EXISTENCE D’UN INTELLECT
AGENT
De lа ressort manifestement que la connaissance des choses dans
notre intellect ne se fait pas par participation ou influx de quelques formes
intelligibles en acte et subsistantes par elles-mкmes, comme les Platoniciens
et leurs adeptes l’ont prйtendu; mais cette connaissance l’intelligence
l’acquiert а partir des choses sensibles par le moyen des sens; mais comme dans
les puissances sensitives les formes des choses sont particuliиres, comme on
l’a dit (chapitre 82) elles ne sont pas intelligibles en acte mais seulement en
puissance. L’intelligence en effet ne pense que les choses universelles. Or ce
qui est en puissance n’est amenй а l’acte que par quelqu’agent qui fera que les
images des facultйs sensitives soient intelligibles en acte. C’est ce que ne
peut faire l’intellect possible; lui en effet est plutфt en puissance aux
intelligibles qu’actif а les rendre intelligibles. Il est donc nйcessaire
d’admettre un autre intellect qui fasse intelligibles en acte les espиces
intelligibles en puissance, comme la lumiиre rend visibles en acte les couleurs
visibles en puissance: et cet intellect nous l’appelons agent, qu’il ne
faudrait pas poser, si les formes des choses йtaient intelligibles en acte,
comme le veulent les Platoniciens. Ainsi donc pour penser il faut d’abord un
intellect possible capable de recevoir les espиces intelligibles, ensuite un
intellect agent qui les fasse intelligibles en acte. Une fois l’intellect possible en possession des espиces
intelligibles, on l’appelle intellect habituel, lorsqu’il possиde les espиces
ainsi qu’il puisse s’en servir quand il veut, tenant en quelque sorte le milieu
entre la pure puissance et l’acte complet. C’est alors qu’il est appelй
intellect en acte lorsqu’il possиde les espиces complиtement en acte... Ainsi
en effet il pense les choses en acte quand l’image de la chose sera devenue la
forme de l’intellect possible. C’est pourquoi on dit que l’intellect en acte
est la pensйe en acte. CHAPITRE 84: L’ВME HUMAINE EST INCORRUPTIBLE
De ce qu’on vient de dire il est йvident que l’intelligence par
laquelle l’homme pense est incorruptible. Chaque agent en effet opиre selon sa
nature; or l’intelligence agit sans communication avec un corps comme on l’a vu
(chapitre 79). C’est donc qu’elle agit par elle-mкme. Elle est donc une substance
subsistant en son кtre. Or on a montrй plus haut (chapitre 74) que les
substances intellectuelles sont incorruptibles; donc l’intelligence par
laquelle l’homme pense est incorruptible. De plus: le sujet propre de la gйnйration et de a corruption est la
matiиre; plus donc une chose est йloignйe de la corruption, plus elle est
йloignйe de la matiиre; car ce qui est composй de matiиre et de forme est de
soi corruptible; les formes matйrielles sont corruptibles par acquis dent et
non de soi; les formes immatйrielles, qui excиdent la matiиre sont absolument
incorruptibles. Or l’intelligence selon sa nature s’йlиve absolument au-dessus
de la matiиre, comme son opйration le montre. En effet nous ne pensons rien que
nous ne le sйparions de la matiиre; l’intelligence est donc de sa nature
incorruptible. De mкme la corruption ne va pas sans son contraire; rien en effet ne
se corrompt que par ce qui lui est contraire, d’oщ les corps cйlestes qui eux
n’ont pas de contraires sont incorruptibles (chapitre 74). Mais la contrariйtй
est йtran gиre а la nature de l’intelligence en tant que les choses qui sont de
soi contraires ne le sont pas dans l’intelligence. En effet il est de la nature
des contraires de ne se rapporter qu’а un seul concept, car l’un fait
comprendre l’autre. Il est donc impossible que l’intelligence soit corruptible. 1. Dans l’вme intellective il ne peut y avoir de contrariйtй: elle
reзoit en effet selon son mode d’кtre. Ces choses qu’elle reзoit sont sans
contrariйtй parce que les natures mкmes des contraires dans l’intelligence ne
sont pas contraires, mais il n’y a qu’une science des contraires (2 Th I 75,
6). CHAPITRE 85: N’Y A-T-IL QU’UN INTELLECT POSSIBLE?
Quelqu’un dira peut-кtre que sans doute l’intelligence est
incorruptible mais qu’elle est une pour tous les hommes. Et ce qui reste aprиs
la corruption de toute l’humanitй ne peut кtre qu’une seule chose (une seule
intelligence). Or qu’il n’y ait qu’un seul intellect pour tous peut кtre
dйmontrй de beaucoup de maniиres: on nous dira donc d’abord du cфtй de
l’intelligible que si autre est mon intellect et autre le tien, il faudra que
soit diffйrente l’image intelligible chez toi et chez moi et par consйquent
autre ma pensйe et autre la tienne. Le contenu de pensйe sera donc multipliй
selon le nombre des individus et ainsi il ne sera pas universel mais
individuel. D’oщ il paraоt que cette pensйe n’est pas en acte mais en puissance;
car les contenus individuels sont intelligibles en puissance, et non pas en
acte. Ensuite, comme on l’a montrй, l’intelligence est une substance subsistant
en son кtre (chapitre 74 et 79); or les substances intellectuelles ne sont pas
multiples dans une mкme espиce, comme on l’a montrй plus haut (chapitre 77); il
s’en suit que si autre est l’intelligence en moi, et autre en toi numйriquement
qu’elle est aussi d’une autre espиce et nous ne sommes donc pas de la mкme
espиce. De mкme: comme dans une mкme nature spйcifique tous les individus
communiquent, il faut au-delа de cette nature poser quelque chose qui distingue
les individus entre eux. Si donc chez tous les hommes il y a un seul intellect
selon l’espиce et plusieurs numйriquement, il faut admettre quelque chose qui
fasse qu’un intellect diffиre d’un autre; or cela ne peut se trouver dans la
substance de l’intellect qui n’est pas composй de matiиre et de forme. D’oщ il
suit que toute diffйrence possible selon la substance est une diffйrence
formelle et diversifiant l’espиce. Il reste donc que l’intelligence d’un homme
ne peut diffйrer numйriquement de l’intelligence d’un autre si ce n’est а cause
dй la diversitй des corps. Donc une fois corrompus il semble bien qu’il ne
reste plus plusieurs intelligences, mais une seule. Que tout cela soit impossible c’est l’йvidence mкme. Pour le montrer
il faut procйder comme on le fait avec ceux qui nient les principes, en
affirmant une chose qu’on ne peut absolument pas nier. Nous supposons donc que
cet homme que voici, Socrate ou Platon, pense; ce que notre objectant ne peut
nier que s’il admet la possibilitй de mer. Donc tout en niant il admet; car
affirmer et nier est le fait de celui qui pense. Si donc cet homme pense il
faut que ce qu’il pense formellement soit sa forme, car rien n’agit qu’en йtant
en acte. Ce que donc l’agent fait est son acte, comme la chaleur est l’acte de
ce qui produit la chaleur. Donc l’intelligence par laquelle l’homme pense est
la forme de cet homme, comme aussi de l’autre. Or il est impossible que la mкme
forme numйriquement le soit de divers numйriquement, car ces choses qui sont
diverses numйriquement n’ont pas le mкme кtre; chacune a son кtre par sa forme.
Il est donc impossible que l’intelligence par laquelle l’homme pense soit la
mкme et unique chez tous. Se rendant compte de la difficultй de pouvoir y rйpondre certains
tentent d’y йchapper. Ils disent en effet que l’intellect possible, dont on a
traitй plus haut (chapitre 81) entre en acte par les espиces intelligibles
qu’il reзoit. Or ces espиces sont d’une certaine faзon dans des phantasmes. En
tant donc que l’image intelligible se trouve dans l’intellect possible, et dans
les phantasmes qui sont en nous, par lа mкme il y a un lien direct et une union
entre l’intellect possible et nous, de sorte que par lui tous puis sent penser. Cette rйponse est tout а fait nulle. D’abord parce que l’image
intelligible selon qu’elle se trouve dans les phantasmes n’est pensйe qu’en
puissance; or selon qu’elle est dans l’intellect possible, elle est pensйe en
acte; elle n’est donc plus dans les phantasmes mais plutфt abstraite а partir
de ceux-ci; il n’y a donc plus d’union de l’intellect possible avec nous.
Ensuite, mкme s’il y avait quelqu’union elle ne serait pas capable de nous
faire penser. Car de ce que l’image intelligible d’une chose se trouve dans
l’intellect il ne s’en suit pas que cette chose se connaisse mais seulement
qu’elle est connue; en effet la pierre ne pense pas, mкme si son image est dans
l’intellect possible. Donc de ce que les images des phantasmes qui sont en nous
soient aussi dans l’intellect possible il ne s’en suit pas que nous sommes
pensant mais plutфt pensйs, ou mieux encore, les phantasmes qui sont en nous.
Cela devient encore plus йvident si on considиre la comparaison d’Aristote au
livre 3 "de anima" que l’intellect est aux phantasmes comme la
vue aux couleurs. Or il e manifeste de ce que les images des couleurs qui sont
sur la muraille sont dans l’oeil que ce n’est pas la muraille qui voit mais
qu’elle est plutфt vue. Donc aussi de ce que les images des phantasmes qui sont
en nous se produisent dans l’intellect il ne s’en suit pas que nous sommes pensants
mais que nous sommes pensйs. De plus si nous pensons formellement par l’intelligence,
il faut que la pensйe mкme de l’intelligence soit la pensйe de l’homme comme
c’est la mкme chaleur du feu et de qui chauffe. Si donc l’intellect est le mкme
en toi et moi numйriquement il s’en suit nйcessairement que par rapport au mкme
intelligible ma pensйe et la tienne soit la mкme, c’est-а-dire que nous pensons
en mкme temps mкme chose; ce qui est impossible; en effet de divers agents il
n’y a pas d’opйration une et mкme numйriquement. Il est donc impossible qu’il y
ait un seul pour tous. On en conclut donc que si l’intellect est incorruptible,
comme on l’a montrй (chapitre 84), les corps йtant dйtruits, il reste autant
d’intellects numйriquement qu’il y a d’hommes. Ce qu’on apporte de contraire est facilement rйfutable. La premiиre
raison apportйe est plus d’une fois dйficiente. D’abord nous voulons bien
admettre que tous les hommes pensent de mкme, j’entends par lа l’objet de leur
pensйe: or cet objet de l’intellect n’est pas l’image intelligible mais la quidditй
de la chose, c’est-а-dire ce qu’elle est. En effet toutes les connaissances
intellectuelles ne sont pas des espиces intellectuelles, mais elles portent sur
la nature des choses, comme aussi l’objet de la vue est la couleur (telle
qu’elle existe) et non l’image de la couleur qui est dans l’oeil. Donc bien
qu’il y ait plusieurs intellects de divers hommes, il n’y a cependant qu’une
chose pensйe chez tous, de mкme qu’il n’y a qu’une seule chose colorйe que
plusieurs observent. Ensuite parce qu’il n’est pas nйcessaire, si quelque chose est
individuel, qu’il soit pensй en puissance et non en acte, mais cela est vrai
seulement pour ces choses qui sont individualisйes par la matiиre; il faut en
effet que ce qui est pensй en acte soit immatйriel. C’est pourquoi les
substances immatйrielles bien qu’elles soient des individus existant en soi,
sont cependant pensйes en acte; d’oщ les images intelligibles aussi qui sont
immatйrielles, bien qu’elles soient autres numйriquement en moi et en toi, n’en
conservent pas moins leur intelligibilitй en acte. Mais l’intellect qui par
elles pense son objet fait retour sur lui- mкme pensant sa propre pensйe et
l’image par laquelle il pense. Ensuite qu’on y pense bien, mкme si l’on admet une seule
intelligence pour tous les hommes, on est devant la mкme difficultй. Car la
multitude des intellects demeure, puisqu’il y a plusieurs substances sйparйes
qui pensent; et ainsi il s’en suivrait, selon leur raison, que les choses pensйes
seraient numйriquement diverses et par consйquent individuelles et non pas
pensйes directement en acte. Il est donc clair que la raison invoquйe si elle
avait quelque nйcessitй enlиverait tout simplement la pluralitй des intelligences
et non seulement chez les hommes. Or une telle conclusion est fausse et donc
une telle raison ne conclut nullement. La deuxiиme raison se rйsout facilement si l’on considиre la
diffйrence entre l’вme intellectuelle et les substances sйparйes. En effet
l’вme intellective par sa nature spйcifique a d’кtre unie а un corps comme sa
forme. D’oщ dans sa dйfinition intervient le corps; et а cause de cela d’aprиs
leur relation а divers corps les вmes se diversifient numйriquement; ce qui
n’est pas le cas pour les substances sйparйes. De lа doit se rйsoudre la troisiиme raison. En effet l’вme
intellective de par sa nature spйcifique ne fait pas partie avec le corps, mais
lui est unie. D’oщ comme elle peut кtre unie а divers corps se
diversifie-t-elle numйriquement; ce qui aussi subsiste dans les вmes aprиs la
destruction des corps. Elles peuvent en effet s’unir а divers corps, bien que
non unies en acte. 1.
Traduction de l’expression: "Intentio intellecta" que saint
Thomas dйfinissait: "ce que l’intellect conзoit en lui-mкme de la chose
saisie". Laquelle n’est pas en nous la chose elle-mкme qu’on saisit,
ou la substance de l’intellect mais une ressemblance conзue par l’intellect de
la chose saisie et que les paroles extйrieures signifient d’oщ "l’intention
est appelйe le verbe intйrieur qui est signifiй par le verbe extйrieur ".
(Conttra Gentilles 4. 11: cf. Schultz: Thomas Lexikon, p. 422.) 2.
Comme sont diffйrents les nombres. CHAPITRE 86: L’INTELLECT AGENT N’EST PAS UNIQUE POUR TOUS
Il y en a qui tout en ne concйdant pas un intellect possible unique
pour tous les hommes admettent cependant un intellect agent unique pour tous. Cette
opinion quoi que plus admissible que la prйcйdente, peut cependant se rйfuter
par les mкmes arguments. En effet l’action de l’intellect possible est de recevoir
les espиces intelligibles et de les comprendre; or l’activitй de l’intellect
agent est d’effectuer les espиces intelligibles en les abstrayant. L’une et
l’autre chose conviennent а tel homme, soit Pla ton, soit Socrate; et il reзoit
ce qui est compris, il l’abs trait et il comprend cette abstraction. Il faut
donc que tant l’intellect possible que l’intellect agent deviennent la forme de
cet homme et que tous deux soient multipliйs numйriquement pour le nombre
d’hommes. De mкme. L’agent et le patient doivent se correspondre, comme la
matiиre et la forme, car la matiиre est actuйe par la forme; et de la vient que
pour toute puissance passive correspond une puissance active du mкme genre. En
effet l’acte et la puissance sont de mкme genre. L’intellect agent peut se
comparer а l’intellect possible comme puissance active, comme on l’a montrй (chapitre
83). Il faut donc que tous deux soient du mкme genre. Puis donc que l’intellect
possible dans son кtre n’est pas sйparй de nous, mais fait un avec nous comme
forme, et est multipliй selon la multitude des hommes, comme on l’a montrй (chapitre
85), il est aussi nйcessaire que l’intellect agent nous soit formellement uni
et qu’il le soi autant de fois qu’il y a d’hommes. CHAPITRE 87: L’INTELLECT POSSIBLE ET L’INTELLECT AGENT S’ENRACINENT
DANS L’ESSENCE DE L’ВME
Puisque l’intellect agent et l’intellect possible nous sont formellement
unis il faut dire qu’ils sont dans la seule et mкme essence de l’вme. En effet
tout ce qui est formellement uni а un autre lui est uni comme forme
substantielle ou comme forme accidentelle. Si c’est comme forme substantielle,
comme il ne peut y avoir qu’une forme substantielle d’une chose, il est
nйcessaire de dire que les intellects possible et agent sont une seule essence
formelle qui est l’вme. Si l’on supposait qu’ils sont unis а l’homme par mode
de forme accidentelle il devient manifeste qu’aucun des deux ne peut кtre
accident du corps; et de ce que leurs Opйrations se font sans organe corporel,
comme on l’a montrй (chapitre 74) il s’en suit que l’un et l’autre est accident
pour l’вme. Or il n’y a en tout homme qu’une вme. II faut donc que les
intellects agent et possible se rencontrent en la mкme essence de l’вme. De
mкme. Toute action qui est propre а une espиce vient des principes consйcutifs
а la forme qui donne l’espиce. Or penser est une opйration propre а l’espиce
humaine. II faut donc que les intellects agent et possible, qui sont les
principes de cette opйration (chapitres 79 et 83) soient consйcutifs а l’вme
humaine de laquelle l’homme tient son espиce. Mais ils ne lui sont pas
consйcutifs comme s’ils procйdaient de l’вme dans le corps parce que comme on
l’a vu (chapitre 79) cette opйration se fait sans organe corporel. Or ce а quoi
est la puissance, а cela aussi est l’action. Il reste donc que les deux
intellects s’enracinent dans l’essence mкme de l’вme. CHAPITRE 88: COMMENT CES DEUX PUISSANCES SE TROUVENT DANS UNE MКME
ESSENCE DE L’ВME
Il reste donc а considйrer comment cela peut se faire. Ici en effet
une difficultй se soulиve. L’intellect possible est en puissance а tous les
intelligibles. Or l’intellect agent fait que les choses intelligibles en
puissance soient intelligibles en acte et donc il faut qu’il soit а ces choses
comme l’acte а la puissance. Or il ne paraоt pas possible que le mкme soit en
acte et en puissance par rapport au mкme. Ainsi donc il semble impossible que
dans une mкme substance de l’вme se rencontrent intellect agent et intellect
possible. Mais on rйsout facilement cette difficultй si l’on considиre comment
l’intellect possible est en puissance par rap port aux choses intelligibles et
comment l’intellect agent Y les fait кtre en acte. En effet l’intellect
possible n’a pas naturellement de forme dйterminйe des choses sensibles il est
comme l’oeil qui est en puissance а toutes les cou leurs. Pour autant donc que
les phantasmes abstraits des choses sensibles sont des ressemblances de ces
choses, ils sont а l’intellect possible comme l’acte а la puissance mais ces
phantasmes sont en puissance а quelque chose que l’вme intellective a en acte,
c’est-а-dire l’кtre abstrait des conditions matйrielles. Et quant а cela l’вme
intellective est а elle-mкme comme l’acte а la puissance. Or il n’y a pas
d’inconvйnient que le mкme par rapport au mкme soit en acte et en puissance
selon la diffйrence des points de vue; c’est pour cela en effet que les corps
naturels agissent et pвtissent l’un sur l’autre parce que chacun des deux est
en puissance par rapport а l’autre. Ainsi donc il n’y a pas d’inconvйnient que
la mкme вme intellective soit en puissance а tous les intelligibles, selon
qu’on met en elle un intellect possible et qu’elle leur soit comparйe comme
acte, selon qu’on met en elle un intellect agent. Et cela apparaоtra plus
manifeste par la maniиre dont l’intellect fait les intelligibles en acte. En
effet l’intellect agent ne fait pas que les intelligibles soient en acte comme
s’ils s’йcoulaient de lui dans l’intellect possible. Alors en effet nous
n’aurions pas besoin de phantasmes ni de sens pour connaоtre; mais il les rend
intelligibles en acte par abstraction des phantasmes, comme la lumiиre fait en
quelque sorte que les couleurs soient actuйes, non comme si elle les avait
auprиs d’elle, mais en tant qu’elle leur donne en quelque sorte la visibilitй. Ainsi donc faut-il admettre l’existence d’une вme intellective qui
sans possйder en elle la nature des choses sensibles peut les recevoir par mode
intelligible et qui rend les phantasmes intelligibles en abstrayant de ceux-ci
les espиces intelligibles. D’oщ la puissance selon laquelle elle reзoit les
espиces intelligibles est appelйe intellect possible et la puissance selon
laquelle elle abstrait les mкmes espиces de leurs phantasmes est appelйe
intellect agent, qui est comme une lumiиre intelligible а laquelle l’вme intellective
participe en ressemblance des substances intellectuelles supйrieures[12]. CHAPITRE 89: TOUTES LES PUISSANCES ONT LEUR RACINE DANS L’ВME
Ce ne sont pas seulement les intellects agent et possible qui se
rencontrent en la mкme essence de l’вme, mais encore toutes les autres
puissances qui sont les principes de l’activitй de l’вme. Toutes ces Puissances
en effet sont comme enracinйes dans l’вme; certaines comme les puissances de la
partie vйgйtative et sensitive, sont dans l’вme comme en leur principe, dans le
composй comme en leur sujet parce que les opйrations sont du composй et pas
seulement de l’вme, car l’action appartient а la puissance Certaines puissances
sont dans l’вme, et comme leur principe et comme leur sujet, parce que leur
activitй vient de l’вme sans organe corporel et ce sont les opйrations de la
partie intellective Or il ne peut y avoir Plusieurs вmes dans l’homme. Donc
toutes les puissances de l’вme ressortissent а une mкme вme. CHAPITRE 90: UNE SEULE ВME EN UN SEUL CORPS
Qu’il soit impossible qu’il y aient plusieurs вmes en un seul corps
en Voici la preuve. Il est manifeste en effet que l’вme est la forme
substantielle de celui qui a une вme, en ce que par l’вme ce qui est animй
obtient genre et espиce. Or il est impossible qu’il y ait Plusieurs formes
substantielles dans le mкme кtre d’une chose. En effet la forme substantielle
diffиre de la forme accidentelle en ce que la forme substantielle fait ce
quelque chose simplement; et la forme accidentelle est adjointe а ce qui est
dйjа ce quelque chose: elle lui donne la qualitй, la quantitй ou toute autre
qualification. Si donc une seule et mкme chose a plusieurs formes
substantielles, la premiиre fait ou ne fait pas ce quelque chose: si elle ne le
fait pas, elle n’est pas la forme substantielle; si elle le fait, toutes les
autres formes adviennent а ce qui est dйjа ce quelque chose; aucune donc n’en
sera forme substantielle mais accidentelle. Si cela est, appliquant la chose а
l’вme il n’est pas possible qu’il y ait plusieurs вmes dans un seul et mкme
кtre. Encore. Il est clair que l’homme est vivant en tant qu’ayant une вme
vйgйtative; il est animal selon son вme sensitive; il est homme selon son вme
intellective. Si donc il y avait trois вmes en l’homme, c’est-а-dire
vйgйtative, sensitive et intellective il s’en suivrait que l’homme selon une
вme serait dans le genre et que selon une autre вme il serait de l’espиce. Or
cela est impossible; alors en effet il ne serait pas simplement par le genre et
l’espиce, mais un par accident, ou comme un assemblage, comme musicien blanc,
ce qui n’est pas кtre simplement. Il est donc nйcessaire qu’il n’y ait qu’une
seule вme en l’homme. CHAPITRE 91: LES RAISONS QUI SEMBLERAIENT
INDIQUER QU’IL Y AURAIT PLUSIEURS ВMES DANS L’HOMME
Certains motifs sembleraient s’opposer а cette sentence. 1° Parce que la diffйrence est au genre comme la forme а la matiиre.
Or l’animal est le genre chez l’homme, le rationnel est la diffйrence qui le
Constitue. Comme donc l’animal est un corps animй par une вme sensitive, il
semble que le corps ainsi animй soit encore en puissance а l’вme rationnelle;
et celle-ci serait donc autre que l’вme sensitive. 2° L’intelligence n’a pas d’organe corporel or les puissances
sensitives et nutritives en ont. Il semble donc impossible que la mкme вme soit
et intellective et sensitive; car elle ne peut pas en mкme temps кtre sйparйe
d’un organe et le possйder en mкme temps. 3° L’вme rationnelle est incorruptible, on l’a montrй plus haut (chapitre
84); or l’вme vйgйtative et l’вme sensitive sont corruptibles parce qu’elles
sont des actes d’organes corporels. Ce n’est donc pas la mкme вme vйgйtative,
et sensitive et rationnelle, puisqu’il est impossible qu’une mкme chose soit
corruptible et incorruptible. 4° Dans la gйnйration de l’homme apparaоt la vie qui vient de l’вme
vйgйtative avant que ce qui est conзu apparaisse кtre animal par les sens et le
mouvement et il se montre tel avant que d’кtre intellectif. Si donc c’est la
mкme вme par laquelle ce qui est conзu vit d’abord de la vie de la plante, ensuite
de la vie animale et enfin de la vie de l’homme, il s’en suivrait que la vie
vйgйtative, sensitive et rationnelle vient d’un principe extйrieur ou que la
vie intellective vient d’une vertu qui se trouve dans la semence; or ni l’un ni
l’autre ne semble se justifier; car comme les actions de l’вme vйgйtative et de
l’вme sensitive ne sont pas sans le corps leurs principes non plus sont pas
sans le corps; or l’opйration de l’вme intellective se fait sans le corps; et
ainsi il paraоt impossible que sa cause se trouve dans une aptitude du corps. Il
semble donc impossible que la mкme вme soit vйgйtative, sensitive et
rationnelle. CHAPITRE 92: SOLUTION DE CES DIFFICULTИS
Donc pour lever ces doutes il faut considйrer que comme dans les
nombres leur espиce est diffйrente selon qu’on y ajoute quelque chose, ainsi
dans les choses matйrielles une espиce excиde l’autre en perfection. En effet
tout ce qui est perfection dans le monde inanimй, les plantes l’ont et quelque
chose en plus et de nouveau, ce que les plantes ont, les animaux l’ont et
quelque chose de plus; et ainsi on en vient а l’homme qui est la plus par faite
des crйatures corporelles. Or tout ce qui est imparfait est comme la matiиre
par rapport в ce qui est plus parfait. Et cela est manifeste en diverses choses. Car les йlйments sont la
matiиre de corps aux parties semblables; et de nouveau ces corps aux parties
semblables sont matiиre par rapport aux animaux. Cela on peut aussi le
considйrer dans une et mкme chose. Dans les choses naturelles en effet ce qui
atteint un plus haut degrй de perfection possиde par sa forme toute la
perfection qui convient а la nature infйrieure, et par la mкme forme il possиde
de quoi la perfectionner, telle la plante qui par son вme est une substance
corporelle et de plus un corps animй. L’animal possиde tout cela par son вme et
de plus il sent; et l’homme en plus de tout cela de par son вme est intelligent. Si donc on considиre dans une chose ce qui appartient а la
perfection d’un grade infйrieur ce sera comme la matiиre par rapport а ce qui
appartient а la perfection d’un degrй supйrieur, par exemple dans l’animal qui
possиde la vie de la plante, laquelle est en quelque sorte la matiиre par
rapport а ce qui appartient а la vie sensitive propre а l’animal. Mais le genre
n’est pas matiиre, car il ne serait pas attribut du tout, mais il est quelque
chose pris hors de la matiиre; la dйnomination en effet d’une chose а partir de
ce qui est matйriel en elle est son genre, et de la mкme maniиre ce qui fait la
diffйrence vient de la forme Et а cause de cela le corps vivant ou anime est le
genre animal, ce qui est sensible en constitue la diffйrence; et semblablement
ce qui est animal est le genre de l’homme et ce qui est rationnel en constitue
la diffйrence Puis donc que la forme d’un degrй supйrieur a en elle toutes les
perfections du degrй infйrieur ce n’est pas une autre forme en rйalitй d’ou
vient le genre et d’ou vient la diffйrence. Ainsi, bien que l’animalitй soit le
genre pour l’homme et le rationnel sa diffйrence constitutive, il est clair
cependant qu’il ne faut pas en l’homme une вme sensitive et une autre intellective
comme le prйtendait la premiиre objection. Pour les mкmes raisons est rйsolue la seconde difficultй. En effet
on a dit que la forme d’une espиce supйrieure comprend en elle toutes les
perfections des degrйs infйrieurs. Or il faut noter que plus l’espиce
matйrielle est йlevйe d’autant moins est-elle soumise а la matiиre et ainsi il
faut que, plus noble est une forme, plus йlevйe est-elle au- dessus de la matiиre.
Donc l’вme humaine qui est la plus noble des formes matйrielles atteint au plus
haut degrй d’йlйvation: c’est-а-dire que son activitй ne communique pas avec la
matiиre corporelle; cependant comme cette вme comprend aussi des perfections
d’un degrй infйrieur elle a nйanmoins des opйrations oщ communique la matiиre
corporelle. Il est manifeste que l’activitй d’une chose en procиde selon sa
possibilitй. Il faut donc que l’вme humaine ait des ressources ou des
puissances qui soient des principes d’opйrations exercйes par le corps et qui
doivent кtre les actes de certaines parties du corps, telles les puissances
vйgйtatives et sensitives. Elle a aussi des puissances qui sont les principes
d’opйrations exercйes sans le corps telles les puissances de la partie intellective
qui ne sont pas des actes organiques. Et par consйquent tant l’intellect
possible que l’intellect agent sont dits sйparйs parce qu’ils n’ont pas
d’organes dont sont des actes, comme la vue et l’ouпe, mais ils sont uniquement
dans l’вme qui est la forme du corps. De ce que l’intellect est dit sйparй et
n’a pas d’organe corporel, contrairement aux sens, il ne faut pas conclure
qu’autre est chez l’homme l’вme intellective et autre la sensitive. D’oщ il est
clair aussi qu’il n’y a pas chez l’homme deux вmes, l’une intellective, l’autre
sensitive, de ce que, comme le prйtendait la troisiиme objection, l’une est
incorruptible l’autre corruptible. En effet l’incorruptibilitй est propre а la
partie intellective en tant que sйparйe. De mкme donc que dans une mкme essence
de l’вme s’enracinent des puissances sйparйes, comme on l’a vu (chapitre 89) et
d’autres non sйparйes, ainsi rien n’empкche que des puissances de l’вme
disparaissent avec le corps et que d’autres soient incorruptibles. Selon ces mкmes principes on a la rйponse а la quatriиme difficultй.
Car tout mouvement naturel procиde insensiblement de l’imparfait au parfait;
cependant il en est autrement pour l’altйration et la gйnйration. Car une mкme
qualitй est susceptible de plus ou de moins; et donc l’altйration qui est
mouvement dans la qualitй, demeurant semblable а elle-mкme de la puissance а
l’acte, procиde de l’imparfait au parfait. Mais la forme substantielle n’est
pas susceptible de plus ou de moins; car tout кtre substantiel se tient dans
l’indivisibilitй. D’oщ la gйnйration naturelle ne procиde pas de faзon continue
et par nombre de degrйs de l’imparfait au parfait; mais pour chaque degrй
nouveau de perfection une gйnйration et une corruption nouvelles sont
nйcessaires. Ainsi donc dans la gйnйration de l’homme ce qui est conзu vit
d’abord de la vie vйgйtative; ensuite cette premiиre forme йtant йliminйe par
corruption il acquiert par une autre gйnйration une вme sensible pour vivre
d’une vie animale; enfin l’вme sensible йliminйe par corruption une derniиre
forme inter vient qui est complиte, c’est-а-dire l’вme rationnelle comprenant
en elle toutes les perfections des formes prйcйdentes[13]. CHAPITRE 93: L’ВME RATIONNELLE N’EST PAS PRODUITE PAR TRANSMISSION
NATURELLE
Cette derniиre forme complиte c’est-а-dire l’вme relationnelle
n’arrive pas а l’existence par un pouvoir qui se trouverait dans la semence
mais par un agent supйrieur. Le pouvoir de la semence est celui d’un corps. Or
l’вme rationnelle excиde le pouvoir d’une nature corporelle puisque pour son
activitй intellectuelle aucun corps n’y peut atteindre. Comme donc rien n’agit
au-delа de son espиce parce que l’agent est plus noble que le patient et celui
qui fait, plus que ce qui est fait, aucun pouvoir corporel ne pourra produire
une вme rationnelle; pas davantage non plus le pouvoir qui est dans la semence. De plus, selon que toute chose acquiert un nouvel кtre, ainsi lui
arrive-t-il un nouveau devenir; car l’кtre est la raison du devenir; en effet
quelque chose devient en vue d’exister. Aux choses donc qui par elles-mкmes ont
l’existence le devenir leur est propre, comme c’est le cas pour les choses
subsistantes. A celles qui par elles-mкmes n’ont pas l’кtre il ne leur
appartient pas de devenir de par elles- mкmes, comme les accidents et les
formes matйrielles. Or l’вme rationnelle possиde l’кtre par elle-mкme en ce
sens que son opйration lui est propre, comme on l’a dit (chapitre 84). Donc il
appartient а l’вme rationnelle de devenir par elle-mкme. Or comme elle n’est
pas composйe de matiиre et de forme il s’ensuit qu’elle ne peut кtre amenйe а
l’existence que par crйation; Dieu seul peut crйer; donc Dieu seul crйe l’вme
rationnelle en son кtre. Nous constatons cela aussi par analogie. Nous voyons en effet dans
les mйtiers une sorte de hiйrarchie: c’est le dernier artisan qui produit la
forme ultime, les artisans infйrieurs prйparant la matiиre en vue de la derniиre
forme. Or il est manifeste que l’вme humaine est la forint la plus parfaite et
ultime que peut atteindre la matiиre de ce qui est engendrй ou qui se corrompt.
Il est donc convenable que les agents naturels infйrieurs prйparent ce qui
dispose а recevoir la derniиre forme. L’agent suprкme, c’est-а-dire Dieu est la
cause de la derniиre forme qui est l’вme rationnelle. CHAPITRE 94: L’ВME RATIONNELLE N’EST PAS DE SUBSTANCE DIVINE
Cependant il ne faut pas croire que l’вme rationnelle soit de
substance divine, comme certains l’ont prйtendu erronйment. On a montrй en
effet (chapitre 9) que Dieu est simple et indivisible. Il n’unit donc pas l’вme
au corps comme s’il la dйtachait de sa substance а lui. De mкme, on l’a vu plus haut (chapitre 17), il est impossible pour
Dieu d’кtre la forme d’un corps. Or l’вme rationnelle est unie au corps en tant
que sa forme. Elle n’est donc pas de la substance de Dieu. Et encore, on a montrй plus haut (chapitre 4) que Dieu ne se meut ni
par lui-mкme ni par accident; c’est ce qui se passe dans l’вme rationnelle;
elle passe en effet de l’ignorance а la connaissance et du vice а la vertu. Elle
n’est donc pas de la substance de Dieu. C — Les crйatures et leur relation а Dieu (chapitre 95 а
147)
1° En gйnйral (chapitre 95 а 104)CHAPITRE 95: DIEU EST L’AUTEUR IMMЙDIAT DE CES CHOSES QUI SONT DITES
EXISTER PAR UN POUVOIR EXTERNE
De ce qui a йtй dit au chapitre prйcйdent,
on en conclut nйcessairement que ces choses qui ne peuvent arriver а l’existence sinon que par crйation, viennent directement de Dieu.
Les corps cйlestes ne peuvent кtre produits que par crйation, c’est йvident. En
effet on ne peut pas dire qu’ils sont faits d’une matiиre prйexistante; car
alors ils seraient soumis au devenir et а la disparition et а leur contraire,
ce qui ne leur convient pas comme leur mouvement le fait apparaоtre: ils se
meuvent en circuit; or le mouvement circulaire n’a pas de contraire. II reste
donc que les corps cйlestes ont йtй produits en leur кtre immйdiatement par
Dieu. De mкme aussi les premiers йlйments en leur entiиretй ne viennent
pas d’une matiиre prйexistante; car ce qui prйexisterait aurait une forme; et
ainsi il faudrait qu’un corps autre que les йlйments prйcиde ceux-ci dans
l’ordre de la cause matйrielle. Si cependant la matiиre prйexistant aux
йlйments avait une autre forme, il faudrait que l’un d’eux soit avant les
autres dans le mкme ordre, а supposer que la matiиre ait une autre forme que la
forme de l’йlйment qui doit suivre. Il faut donc qu’aussi les йlйments
eux-mкmes soient immйdiatement produits par Dieu. Il est donc encore beaucoup plus impossible que les substances
incorporelles et invisibles soient crййes par quelqu’un d’autre; en effet ces
substances sont toutes immatйrielles. En effet il n’existe pas de matiиre sans
dimension, laquelle fait la distinction de la matiиre; elles ne sont pas
multiples selon la matiиre. Il est donc impossible qu’une matiиre prйexistante
en soit leur cause. Il reste donc que par crйation seulement Dieu leur a donnй
l’existence. Et c’est pour cela que la foi catholique con fesse que Dieu est"le
crйateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles ", et aussi"des
invisibles ". CHAPITRE 96: N’AGIT PAS PAR NИCESSITЙ NATURELLE MAIS VOLONTAIREMENT
De lа on montre aussi que Dieu n’a pas produit les choses dans leur
кtre par nйcessitй naturelle mais par volontй. En effet tout agent naturel ne
peut produire dans l’immйdiat qu’une seule chose; mais un agent volontaire peut
en produire plusieurs; la raison en est que tout agent agit en vertu de sa
forme. Or une forme naturelle par quoi quelque chose agit naturellement est
uniforme en son action; les formes intellectives par lesquelles on agit
volontairement ont plus d’un effet. Puis donc que Dieu produit plusieurs choses
immйdiatement dans leur кtre, il est йvident qu’Il les produit dans leur кtre
par sa volontй et non par nйcessitй naturelle. Encore: celui qui agit par intelligence et volontй vient avant celui
qui agit pas nйcessitй naturelle dans l’ordre des agents; car il s’est proposй
une fin pour laquelle il agit; mais l’agent naturel agit en vertu d’une fin qui
lui est fournie par un autre. Or il est йvident par ce qu’on a dit (chapitre 3)
que Dieu est le premier moteur. Il agit donc par sa volontй et non par
nйcessitй de nature. De mкme: on a montrй plus haut (chapitre 19) que Dieu possиde un
Pouvoir infini. Il n’est donc pas dйterminй а tel effet plutфt qu’а un autre,
mais est indiffйrent а tout effet quelconque. Or il peut y кtre dйcide par un
dйsir ou une dйtermination de sa volontй, comme quelqu’un qui peut aller se
promener ou non selon qu’il le veut. II faut donc que les oeuvres divines
procиdent selon une dйtermination de la volontй de Dieu et non par nйcessitй
naturelle. D’oщ la foi catholique dit que Dieu est tout-puissant, non seulement
crйateur mais aussi "facteur". Car faire est le propre de l’artisan
qui opиre par sa volontй. Et parce que l’agent volontaire agit selon la
conception de son intelligence qui est dite son "verbe", comme on l’a
montrй plus haut (chapitre 38) et que le Verbe de Dieu est son Fils, la foi
catholique confesse donc au sujet du Fils que "par lui tout a йtй fait
". CHAPITRE 97: DANS SON ACTION EST IMMUABLE
De ce que Dieu par sa volontй produit l’кtre des choses, il est
manifeste qu’il peut produire sans changement en lui-mкme de nouvelles choses
dans leur кtre. Telle est en effet la diffйrence entre un agent naturel et un
agent volontaire que l’agent naturel agit toujours de la mкme maniиre aussi
longtemps qu’il est tel parce qu’йtant tel, ainsi il agit; tandis que l’agent
volontaire fait ce qu’il veut. Il peut lui arriver, sans qu’il change, de
vouloir agir maintenant et qu’avant il ne le voulait pas. Rien n’empк che en
effet que quelqu’un veuille faire quelque chose plus tard, mкme quand il ne le
fait pas, sans pour cela qu’il y ait changement chez lui. Ainsi sans changement
pour Dieu il peut arriver que Dieu, bien qu’йternel, ait produit l’кtre des
choses non de toute йternitй. CHAPITRE 98: MOTIF EN FAVEUR D’UN MOUVEMENT ЙTERNEL ET LA SOLUTION
Il semble que si Dieu de volontй йternelle et immuable pouvait
produire une nouvelle oeuvre celle-ci devrait кtre prйcйdйe de quelque
mouvement. Nous ne voyons pas en effet que la volontй remette а plus tard ce
qu’elle veut faire si ce n’est а cause de quelque chose qui est mainte nant et
cessera par la suite, ou qui n’est pas encore et qu’on attend dans le futur,
comme celui qui projette en йtй de se vкtir en hiver d’un vкtement qu’il ne
mettra qu’en hiver parce que maintenant il fait suffisamment chaud. Si donc
Dieu a voulu de toute йternitй produire un effet, mais que de toute йternitй il
n’a pas produit, il semble que ou bien quelque chose йtait attendu qui n’йtait
pas encore, ou bien une autre chose devait disparaоtre qui existait alors. Or
ni l’un ni l’autre ne peut se faire sans mouvement. Il semble donc qu’avec une
volontй prйcйdente on ne puisse produire dans l’avenir sans quelque mouvement
qui prйcиde. Et ainsi si la volontй de Dieu fut йternelle de produire les
choses, et les choses ne sont pas йternellement, il faut qu’un mouvement
prйcиde leur production et par consйquent elles sont mobiles. Si elles sont
produites par Dieu mais non йternelles, de nouveau d’autres mouvements et des
choses mobiles devront prйexister indйfiniment. La rйponse а cette objection
est aisйe si l’on veut bien faire la distinction entre un agent universel et un
agent particulier. Car l’agent particulier rиgle et mesure son action selon les
directives de l’agent universel, comme c’est le cas dans les affaires civiles.
Car la loi que propose le lйgislateur est comme la rиgle et la mesure que le
juge particulier devra appliquer. Or le temps est la mesure des actions qui se
font dans son йcoulement. En effet l’agent particulier exerce une activitй
proportionnйe au temps c’est-а-dire que c’est maintenant et non pas avant qu’il
agit pour une raison dйterminйe. Quant а l’agent universel qu’est Dieu il est
l’auteur de cette mesure qu’est le temps et il l’a voulu ainsi. Le temps est
donc aussi une crйature de Dieu. Etant donnй la quantitй et la mesure que Dieu
a voulu attribuer а chaque chose ainsi en sera-t-il de la quantitй de temps que
Dieu aura voulu lui accorder; c’est-а-dire que le temps et ce qui y est indu
commenceront quand Dieu l’aura voulu. L’objection prйsuppose le temps chez un
agent qui agit dans le temps mais qui n’en est pas l’auteur. Quand donc on
interroge Pourquoi la volontй йternelle produit tel effet maintenant et non pas
avant on prйjuge d’un temps prйexistant, car le maintenant et l’avant sont des
parties du temps. Au sujet donc de la production universelle des choses parmi
lesquelles le temps vient en considйration il ne faut pas chercher le pourquoi
du maintenant et du plus tфt, mais pourquoi Dieu a voulu йtablir la mesure du
temps; or comme telle est sa volontй il lui est indiffйrent d’assigner telle ou
telle autre quantitй au temps. Ce qui peut aussi trиs bien s’appliquer а la
quantitй mesurable du monde. On ne doit donc pas demander pourquoi Dieu a
йtabli le monde des corps en telle position, que ce soit au-dessus ou en-bas ou
toute autre position; car hors du monde il n’y a pas de lieu, mais c’est de la
volontй de Dieu que provient la grandeur du monde des corps de sorte que rien
ne soit en dchors de tel endroit, quelque diffйrente que soit sa position. Bien qu’avant le monde le temps n’ait pas existй, ni hors du monde
le lieu, nous usons cependant d’une telle maniиre de parler, comme de dire
avant que le monde fыt rien n’existait sinon Dieu, ou que hors du monde il n’y
a pas de corps, nous n’entendons pas par avant et aprиs, le temps ou le lieu si
ce n’est seulement par l’imagination. CHAPITRE 99: LA MATIИRE AURAIT-ELLE EXISTЙ ETERNELLEMENT AVANT LA
CRЙATION DU MONDE?
Bien que la production des choses accomplie par Dieu ne soit pas
depuis l’йternitй il semble nйcessaire que la matiиre soit йternelle. En effet
tout ce qui a l’кtre aprиs le non-кtre change du non-кtre а l’кtre. Si donc les
choses crййes, comme le ciel et la terre et le reste, ne furent pas depuis
l’йternitй, mais commencиrent d’кtre aprиs n’avoir pas йtй il est nйcessaire
d’admettre qu’elles furent changйes du non-кtre а l’кtre. Or tout changement ou
mouvement se trouve en un sujet: le mouvement en effet est l’acte de ce qui est
en puissance; or le sujet du changement par quoi une chose vient а кtre, n’est
pas la chose elle-mкme produite, terme du mouvement; et le terme du mouvement
n’est pas le mкme que le sujet; mais le sujet du dit changement est ce par quoi
la chose est produite et qui s’appelle matiиre. Il semble donc, si les choses
furent produites aprиs n’avoir pas йtй, que la matiиre les a prйcйdйes;
laquelle si elle est de nouveau produite aprиs n’avoir pas йtй, il faut une
autre matiиre prйcйdente mais on ne peut pas remonter ainsi indйfiniment II
reste donc qu’il faille en venir а une matiиre йternelle qui n’a pas йtй
produite aprиs n’avoir pas йtй. De mкme. Si le monde a commencй aprиs n’avoir pas йtй, avant qu’il
ne fыt, ou bien il йtait possible qu’il soit ou devienne ou bien ce n’йtait pas
possible. Or si ce n’йtait pas possible qu’il soit ou devienne cela veut dire йquivalemment
qu’il йtait impossible que le monde soit ou devienne. Or ce qui ne peut кtre
nйcessairement ne peut devenir. Il s’en suit donc nйcessairement que le monde
n’a pas йtй fait. Comme ceci est йvidemment faux, il faut dire que si le monde
a commencй aprиs n’avoir pas йtй, qu’il йtait possible, avant qu’il ne fыt,
d’exister ou de devenir. Il y avait donc quelque chose en puissance au devenir
et а l’existence du monde. Or ce qui est ainsi en puissance est la matiиre,
comme le bois par rapport au banc. Ainsi donc il est nйcessaire que la matiиre
ait toujours йtй, mкme si le monde n’a pas toujours йtй. Mais puisqu’on a montrй plus haut (chapitre 69) que la matiиre est
aussi crййe par Dieu, pour la mкme raison la foi catholique ne confesse pas que
la matiиre est йternelle, comme aussi le monde. Il faut en effet exprimer la
causalitй divine de cette maniиre que les choses commencиrent d’кtre produites
par Dieu aprиs n’avoir pas йtй. Cela en effet montre а l’йvidence et
manifestement qu’elles n’ont pas йtй d’elles-mкmes mais par l’auteur йternel.
Et nous ne sommes pas contraints par les raisons qu’on vient d’apporter d’admettre
l’йternitй de la matiиre; c effet la production universelle des choses n’est
pas а proprement parler un changement. En nul changement en effet le sujet du
changement n’est le produit du changement parce que le sujet du changement
n’est pas le mкme que le terme, comme on l’a dit plus haut. Puis donc qu la
production universelle des choses par Dieu, et s’appelle crйation, s’йtend а
tout ce qui existe, en une telle production ne peut proprement pas кtre
changement, mкme si les choses crййes sont proc aprиs n’avoir pas йtй. Кtre en
effet aprиs n’avoir pas n’est pas la raison suffisante du changement, а moins
supposer que le sujet se trouve actuellement sous privation et maintenant sous
une forme; d’oщ en certaines choses on retrouve ceci aprиs cela, bien que
proprement la notion de changement ne s’y trouve pas, comme quand on dit que la
nuit succиde au jour. Ainsi donc quoique le monde ait commencй aprиs n’avoir
pas йtй il n’a pas fallu que cela se fit par une mutation, mais par crйation,
qui en vйritй n’est pas une mutation, mais une relation de la chose crййe,
dйpendant de son crйateur pour son кtre et par rapport а son non-кtre
prйcйdent. En effet en tout changement il y a nйcessairement quelque chose
d’identique se comportant tantфt ainsi tantфt autrement, en tant que maintenant
il est sous un extrкme et ensuite sous un autre; ce qui n’a pas lieu en rйalitй
dans la crйation, mais selon notre imagination, d’aprиs que nous imaginons une
et mкme chose n’avoir pas d’abord йtй et par aprиs кtre. Et ainsi selon une
certaine ressemblance la crйation peut кtre dite un changement. De mкme aussi la seconde objection ne tient pas. En effet bien qu’on
puisse dire qu’avant que le monde fыt, il йtait possible qu’il soit ou
devienne, ce ne doit pas кtre entendu d’une quelconque possibilitй. En effet
est dit possible dans le discours ce qui signifie un mode de la vйritй comme
quelque chose qui n’est ni nйcessaire ni impossible; d’oщ un tel possible n’est
pas entendu d’une quelconque possibilitй, comme l’enseigne le philosophe au Livre
des Mйtaphysiques (Liv. 4, chapitre 12). Quand on parle donc de possibilitй
pour l’кtre du monde on ne doit pas entendre nйcessairement une possibilitй
passive, mais active, sorte que quand on dit que le monde йtait possible avant
qu’il ne soit, on entend par lа que Dieu peut produire l’кtre du monde avant
mкme de le produire; d’oщ rien ne nous force а admettre que la matiиre ait
prйexistй au monde. Ainsi donc la foi catholique affirme que rien n’est
coйternel а Dieu et pour cela elle confesse qu’il est "le crйateur et
l’auteur de toutes les choses visibles invisibles". CHAPITRE 100: DIEU FAIT TOUTES CHOSES POUR UNE FIN
Puisqu’on a montrй (chapitre 96) que Dieu produit l’кtre des choses
non par nйcessitй de nature mais avec intelligence et volontй et qu’un tel
agent agit pour une fin — car l’opйration intelligente a comme principe d’agir
pour un fin — il faut donc que tout ce que Dieu fait soit fait pour une fin. De
plus, la production des choses par Dieu est la meilleure qui soit; en effet
c’est le propre du plus parfait de faire chaque chose au plus parfait. Or c’est
mieux de faire quelque chose pour une fin que sans intention de la fin; car
c’est de la fin que provient la bontй des choses qui sont faites. Les choses
sont donc faites par Dieu en vue d’une fin. On en trouve aussi une preuve dans les choses que la nature produit
dans lesquelles rien n’est inutile mais chacune ayant sa raison d’кtre. Or il
ne convient pas qu’on dise que ce que fait la nature est mieux ordonnй que
l’institution mкme de cette nature par le premier agent, puis que tout l’ordre
de la nature dйrive de lui. Il est donc йvident que les choses sont produites
par Dieu en vue d’une fin. CHAPITRE 101: LA BONTЙ DIVINE EST LA FIN DERNIИIЊ DE TOUTES LES CHOSES
Or il faut que la fin derniиre de toutes les choses soit la bontй
divine. En effet des choses qu’un agent fait volontairement leur derniиre fin
est ce que l’agent veut d’abord et en soi, et c’est pour cela que l’agent fait
ce qu’il fait. Or la premiиre chose que veut la divine volontй c’est sa bontй,
comme il est clair par ce qu’on a dit plus haut (chapitre 32). Il est donc
nйcessaire que de toutes les choses faites par Dieu la fin derniиre soit la
bontй divine. De mкme. La fin de la gйnйration de toute chose engendrйe est sa forme,
laquelle une fois obtenue, la gйnйration cesse. En effet tout ce qui est
engendrй soit artificiellement, soit naturellement ressemble en maniиre а son
auteur, car tout agent produit en une certaine mesure quelque chose qui lui
ressemble. En effet la maison matйrielle provient du modиle qui est dans
l’esprit de l’artisan. Dans les choses de la nature йgalement u homme engendre
un homme; et si quelque chose est fait ou engendrй selon la nature qui ne soit
pas semblable в son auteur quant а l’espиce il ressemble cependant а auteurs
comme l’imparfait au parfait. En effet il arrive que ce qui est engendrй ne
ressemble pas а ce qui engendre parce qu’il ne peut parvenir а sa ressemblance
par faite, il y participe cependant imparfaitement, comme certains animaux ou
plantes sous l’action du soleil. La fin de la gйnйration ou de la perfection de
toutes les choses qu se font est la forme de leur auteur ou de leur gйniteur c’est-а-dire
qu’elles puissent parvenir а sa ressemblance. Or la forme du premier agent,
c’est-а-dire Dieu, n’est autre que sa bontй. A cause de cela donc toutes les
choses ont йtй faites pour кtre assimilйes а la divine bontй. CHAPITRE 102: LA DIVINE RESSEMBLANCE EST CAUSE DE LA DIVERSITЙ DES
CHOSES
De lа vient la diversitй et la distinction dans les choses. Car il
йtait impossible que la divine bontй soit parfaitement reprйsentйe dans la
crйature infiniment distante de Dieu. Il йtait donc nйcessaire qu’elle soit
reprйsentйe en beaucoup de choses afin que ce qui manque а l’une soit supplйй
par l’autre. Car dans les argumentations, quand par un terme moyen on ne peut
arriver а conclure, il faut multiplier les termes pour pouvoir conclure, comme
c’est le cas dans le syllogisme dialectique. Ni cependant toute l’universalitй
des choses ne parvient pas а йgaler la divine bontй parfaitement mais selon une
perfection relative. De mкme, ce qui se trouve simplement et de maniиre unique dans la
cause universelle se retrouve dans ses effets d’une maniиre multiple et
distincte; car une c se trouve plus noblement dans la cause que dans se effets.
L’unique et simple bontй divine est le principe et h source de tout le bien qui
se trouve dans les Donc il est nйcessaire que les crйatures soient assimilйes а
la bontй divine comme les choses multiples et indistincte le sont а l’unique et
au simple. Ainsi donc la multiplicitй et la distinction ne vient pas du hasard
et fortuitement dans les choses comme aussi ne l’est leur production par le
hasard et fortuitement mais en vertu d’une fin. Du mкme principe vient en effet
l’кtre et l’unitй et la multipicitй dans les choses. Et en effet la distinction
des choses n’a pas sa cause dans la matiиre; car leur premiиre formation s’est
produite par crйation laquelle ne requiert pas la matiиre. De mкme ce qui
provient de la seule matiiиre, se produit au hasard. De mкme ni la multiplicitй dans les choses n’est produite par
succession d’agents intermйdiaires, par exemple qu’а partir d’un кtre premier
simple ne peut procйder immйdiatement qu’un seul кtre, distant cependant en simplicitй
de sorte que de lui puisse dйsormais procйder la multitude et ainsi de suite,
et plus on s’йloigne du premier qui est simple plus grande est la multiplicitй,
comme certains l’ont avancй. En effet on a dйjа montrй (chapitre 95) que le
multiple peut, seulement par crйation, venir а l’existence; ce qui appartient
uniquement а Dieu, comme on l’a vu (chapitre 70). D’oщ il ressort que c’est
Dieu lui-mкme qui peut directement crйer le multiple. Selon leur position, il est йvident que la multitude des choses et
leur distinction seraient l’oeuvre du hasard, n’йtant pas voulues par leur
premier auteur. Car cette multiplicitй et cette distinction ont йtй conзues par
l’intellect divin et rйalisйes dans les choses dans le but de reprйsenter diversement
la bontй divine; par leur crйation et par leur diversitй elles y participent
selon divers degrйs. Et ainsi de l’ordonnance mкme des diffйrentes choses il en
rйsulte une beautй des choses qui met en valeur la Sagesse divine. CHAPITRE 103: EN PLUS DE LA CAUSALITЙ DES CHOSES,
LA BONTЙ DIVINE EST LA CAUSE DE LEUR MOUVEMENT ET DE LEUR ACTIVITЙ
Non seulement la fin de la formation des choses est la bontй de
Dieu, mais celle-ci est aussi le but de toute activitй et mouvement de toutes
les crйatures. En effet tout ce qui est, agit selon la nature, comme ce qui est
chaud produit de la chaleur. Or toute chose crййe selon sa forme participe а
une certaine ressemblance de la bontй de Dieu comme on l’a montrй (chapitre 101).
Donc toute action ou mouvement de n’importe quelle crйature est ordonnй au bien
divin comme en vue d’une fin. En outre, tout mouvement ou activitй de n’importe qu’elle chose tend
vers quelque chose de parfait. Or qui est parfait a raison de bien, car la
perfection de la chose est ce qui fait sa bontй. Donc tout mouvement ou action
d’une chose tend vers le bien. Or tout bien est une ressemblance du bien suprкme
tout comme l’кtre est similitude de l’кtre premier. Donc le mouvement ou l’activitй
de n’importe quelle chose est ordonnй а la bontй comme а sa fin. En outre, s’il y a beaucoup d’agents ordonnйs entre eux, il est
nйcessaire que les actions et mouvements de tous le agents soient ordonnйs au
bien du premier agent comme vers leur fin derniиre. Comme en effet un agent
supйrieur qui met en mouvement les agents infйrieurs et que tout moteur meut
vers sa propre fin, il faut que les actions et les mouvements des agents
infйrieurs tendent а la fin du premier agent, comme dans une armйe les actions
de tous ont comme dernier but la victoire qui est la fin par le chef. Or, on a
montrй plus haut (chapitre 3) que le premier moteur et auteur est Dieu; et sa
fin n’est autre que sa bontй, comme on l’a montrй (chapitres 32 et 101). Il est
donc nйcessaire que toutes les actions et mouvements de n’importe qu’elle
crйature se fassent en vue de la bontй divine, non pour la causer ou pour
l’augmenter, mais pour l’acquйrir selon leur maniиre comme une Participation а
sa ressemblance. Diversement les choses crййes par leur activitй obtiennent-elles la
ressemblance divine, comme diversement aussi selon leur кtre elles la
reprйsentent; en effet chaque chose opиre selon ce qu’elle est. Parce que donc
il est commun а toutes les crйatures de reprйsenter la bontй divine en tant
qu’elles existent ainsi est-il commun а toutes d’arriver par leurs opйrations а
la divine ressemblance tant pour la conservation de leur кtre que pour le
communiquer а d’autres. En effet toute crйature dans son activitй s’efforce
d’abord de conserver son кtre aussi parfaitement que possible; en cela elle
tend а sa maniиre de ressembler а la perpйtuitй divine; ensuite par son
opйration chaque crйature s’efforce selon son mode de communiquer а une autre
son кtre parfait selon sa maniиre et en cela elle tend а ressembler а la
causalitй divine. Quant а la crйature rationnelle, elle tend par son opйration а la
ressemblance divine d’une faзon singuliиre au-dessus des autres crйatures, de
mкme qu’au-dessus d’elles elle jouit d’une plus noble existence. En effet
l’кtre des autres crйatures йtant restreint par la matiиre, il est fini de
sorte qu’il ne possиde l’infini ni en acte ni en puissance. Toute nature
rationnelle au contraire possиde cet infini soit en acte soit en puissance
selon que l’intellect contient en soi les choses intelligibles. Chez nous donc
la nature intelligible considйrйe dans son кtre premier est en puissance а ses
intelligibles qui йtant infinis possиdent l’infini au moins en puissance. D’oщ
l’intelligence est reprйsention d’images qui n’est pas dйterminйe а une seule image
comme la pierre mais elle est capable de reprйsenter toutes les images des
choses. Mais la nature intellectuelle en Dieu est infinie en acte en tant
qu’elle possиde dans la perfection de tout l’кtre, comme on l’a montrй haut (chapitre
21). Mais les autres crйatures intellectuelles tiennent le milieu entre la
puissance et l’acte La nature intellectuelle tend donc par son opйration vers
la ressemblance divine non seulement en ce qu’elle conserve son кtre ou qu’elle
la multiplie а sa maniиre en le communiquant mais pour possйder en acte ce que
par sa elle a en puissance. La fin donc de la crйature intellectuelle, qu’elle
obtient par son opйration propre, est de faire que son intelligence rйalise
totalement en acte tous les intelligibles qu’elle a en puissance; c’est ainsi
en effet qu’elle se rendra la plus semblable а Dieu. CHAPITRE 104: IL Y A DANS LES CHOSES UNE DOUBLE
PUISSANCE A LAQUELLE CORRESPOND UN DOUBLE INTELLECT ET DE LA FIN DE LA CRЙATURE
INTELLECTUELLE
Quelque chose est en puissance de deux maniиres d’une part
naturellement c’est-а-dire par rapport aux choses qu’un agent naturel peut
rйduire en acte; d’autre part quant aux choses qui ne peuvent pas кtre rйduites
en acte par un agent naturel mais par un autre; ce qui apparaоt dans les choses
naturelles. En effet qu’un enfant devienne un homme ou que d’une semence
provienne un animal il s’agit d’une puissance naturelle. Mais que du bois
devienne un banc ou qu’un aveugle Voie n’est pas dans la puissance naturelle.
Or il en est ainsi de notre intellect. En effet notre intelligence est en puissance
naturelle а des intelligibles qui peuvent кtre actuйs par l’intellect agent qui
nous est un principe innй afin que par lui nous devenions intelligents en acte. Mais il est impossible que nous obtenions la fin derniиre du fait
que notre intellect est ainsi actuй; car c’est le propre de l’intellect agent
de faire.que les phantasme qui sont des intelligibles en puissance deviennent
des intelligibles en acte, comme on l’a vu plus haut (chapitre 83). Or les
phantasmes nous viennent des sens. Par l'intellect agent notre intelligence est
rйduite en acte par les seuls intelligibles venus des choses sensibles. Or il
est impossible que dans une telle connaissance puisse consister la fin derniиre
de l’homme. Car la fin derniиre йtant atteinte, tout dйsir naturel vient а
cesser. Or aussi loin que quelqu’un progresse dans l’intelligence des choses,
selon ce mode de connaissance qui puise la science а partir des sens, le dйsir
naturel de connaоtre d’autres choses demeure. En effet y a bien des choses que
nos sens ne peuvent atteindre ou qui ne nous en donnent qu’une faible notion,
comme peut-кtre de savoir qu’elles sont mais non pas ce qu’elles sont; car les
quidditйs des substances immatйrielles sont autres que celles des choses
sensibles et elles les dйpassent presque sans comparaison possible. Quant а ces choses qui tombent sous les sens, il y en a beaucoup
dont nous ne pouvons connaоtre la nature avec certitude; certaines ne sont
nullement connues et d’autres faiblement. D’oщ le dйsir naturel demeure
toujours d’une connaissance plus parfaite. Or il n’est pas possible que le
dйsir naturel soit vain. Nous obtenons donc notre derniиre fin en ce que notre intelligence
passe а l’acte par un agent supйrieur а celui qui nous est connaturel et qui
fasse cesser en nous le dйsir naturel de connaоtre. Or tel est en nous le dйsir
de con naоtre que connaissant un effet nous dйsirons en connaоtre la cause; et
en toute chose, connaissant toutes les circonstances, notre dйsir ne cesse que
nous n’ayons saisi son essence. Donc ce dйsir naturel de savoir ne peut кtre
assouvi en nous que si nous connaissons la cause premiиre, non pas n’importe
comment mais par son essence. Or la cause premiиre est Dieu, comme on l’a vu
plus haut (chapitres 3 et 68). La fin derniиre de la crйature intellectuelle
est donc de voir Dieu par essence. 2° La fin de l’homme (chapitre 105 а 110)CHAPITRE 105: COMMENT LA FIN DERNIИRE DE LA CRЙATURE INTELLECTUELLE
EST DE VOIR PAR ESSENCE ET COMMENT CELA EST POSSIBLE
Or il nous faut savoir comment cela est possible. Et comme il est
manifeste que notre intelligence ne peut con naоtre une chose que par son
espиce, il est impossible que l’espиce de l’une en fasse connaоtre une autre.
Et plus l’espиce par laquelle l’intelligence connaоt diffиre de la chose
connue, d’autant plus aussi notre intelligence connaоtra-t-elle imparfaitement
l’essence de cette chose: par exemple savoir ce qu’est un boeuf sachant ce
qu’est un вne, on en connaоtrait l’essence imparfaitement, c’est-а-dire quant а
son genre seulement; et encore moins si elle ne connaоt que l’espиce de la
pierre qui est un genre encore plus йloignй. Si elle connaissait par l’espиce
d’une chose qui n’aurait rien du boeuf en aucun genre, elle ne connaоtrait
aucunement ce que peut кtre un boeuf. Il est йvident par ce qu’on a dit plus haut (chapitres 12, 13 et 14)
qu’aucune crйature ne communique en genre avec Dieu. Aucune espиce crййe, non
seulement sensible mais intelligible, ne peut me faire connaоtre ce que Dieu
est. Pour ce faire il faut alors que Dieu devienne forme de mon intelligence et
qu’il lui soit uni non pour constituer une nature mais comme espиce
intelligible en celui qui connaоt. Lui-mкme en effet comme il est son кtre, est
aussi sa vйritй laquelle est la forme de l’intelligence. Or il faut pour tout ce qui acquiert une forme qu’il y soit disposй.
Or de par sa nature l’intelligence n’est pas dans l’ultime disposition par
rapport а cette forme qu’est la vйritй, car dиs le dйbut elle l’aurait
atteinte. Il faut donc que pour l’atteindre elle soit йlevйe par une nouvelle
disposition et que nous appelons lumiиre de gloire, par quoi Dieu parfait notre
intelligence, lui seul ayant naturellement cette forme qui lui est propre, tout
comme la dis position а la forme du feu ne peut Venir que du feu. Et de cette
lumiиre il est question au Ps 35: "En ta lumiиre nous verrons la
lumiиre" CHAPITRE 106: LE DЙSIR NATUREL S’APAISE DANS LA VISION DIVINE PAR
ESSENCE, EN QUOI CONSISTE LA BЙATITUDE
Cette fin une fois atteinte il est nйcessaire que le dйsir naturel
soit au repos, car l’essence divine qui de cette faзon est jointe а
l’intelligence de celui qui voit Dieu est le principe suffisant de toute
connaissance et la source de tout bien en sorte qu’il ne reste plus rien а
dйsirer. Et c’est aussi le mode le plus parfait d’atteindre а la ressemblance
divine c’est-а-dire que nous le connaissions de la mкme maniиre qu’il se
connaоt, soit par son essence, bien que nous ne le comprenions pas comme il se
connaоt. Non que nous en ignorerions une partie puisqu’il n’a pas de partie,
mais parce que nous ne le connaissons pas aussi parfaitement qu’il est
connaissable; car le pouvoir de notre intelligence dans son acte de penser ne
peut йgaler sa vйritй selon qu’elle est connaissable; sa clartй ou sa veritй
est infinie et notre intelligence est finie. Or son intelligence est infinie
comme aussi sa vйritй et donc lui se connaоt autant qu’il est connaissable.
Comme celui qui comprend une conclusion dйmontrable parce qu’il en saisit la
dйmonstration, mais non pas celui qui la connaоt de maniиre plus imparfaite
c’est-а-dire par une raison probable. Et parce que nous appelons bйatitude la fin derniиre de l’homme en
cela consiste la fйlicitй ou la bйatitude de l’homme qu’il voit Dieu en son
essence, bien que dans la perfection de la bйatitude il soit trиs distant de
Dieu. Cette bйatitude, Dieu la possиde naturellement et l’homme l’obtient par
participation а la lumiиre divine. CHAPITRE 107: QUE LE MOUVEMENT VERS POUR LA POSSESSION DE LA BЙATITUDE
S’APPARENTE AU MOUVEMENT NATUREL ET QUE LA BЙATITUDE CONSISTE PANS UN ACTE DE
L’INTELLIGENCE
Puisque passer de la puissance а l’acte est un mouvement, ou quelque
chose de semblable, il faudra considйrer le passage vers la bйatitude comme
quand il s’agit d’un mouvement ou d’un changement naturel. Dans celui-ci en
effet ce qu’on considиre d’abord est une propriйtй qui le proportionne ou
l’incline vers telle fin, comme la gravitй terrestre qui attire vers le bas.
Quelque chose en effet ne se meut pas naturellement vers une fin s’il n’a pas
de proportion а celle-ci. Ensuite on considиre le mouvement lui-mкme vers la
fin; en troisiиme lieu la forme elle-mкme ou l’endroit; enfin le repos dans la
forme ou da l’endroit. Ainsi dans le mouvement intellectuel vers la fin on d’abord l’amour
qui porte vers la fin; ensuite le dйsir qui est comme le mouvement vers la fin
et les opйrations proviennent d’un tel dйsir; en troisiиme lieu la forme que l’intelligence
atteint; enfin la dйlectation consйquente qui n’est autre que le repos de la
volontй dans la fin obtenue. De mкme donc que la forme est la fin de la naturelle et le lieu la
fin du mouvement local, et non le repos dans la forme ou le lieu qui est la
consйquence de la fin obtenue, et beaucoup moins encore le mouvement est une
fin ou proportion а la fin: ainsi la fin de la crйature intellectuelle est de
voir Dieu et non de se dйlecter en lui, mais cela accompagnant la fin et comme
le perfectionnant. Et beaucoup moins le dйsir ou l’amour кtre la fin dermиre
puisqu’ils ont lieu avant la fin CHAPITRE 108: DE L’ERREUR DE CEUX QUI METFENT LEUR FЙLICITЙ DANS LES
CRЙATURES
Il est donc manifeste que c’est а tort que c'est а tort que certains
recherchent la fйlicitй s’ils la recherchent en tout autre chose que Dieu: soit
dans les plaisirs charnels qui leur sont communs avec les animaux; soit dans
les richesses qui sont ordonnйes а la conservation de ceux qui les possиdent,
ce qui est la fin commune а tout ce qui est crйa- turc; soit dans le pouvoir
qui est ordonnй а communiquer sa perfection aux autres, ce que nous avons aussi
dit кtre commun а tous (chapitre 103); soit dans les honneurs ou la renommйe
que l’on doit а quelqu’un selon qu’il a dйjа atteint sa fin ou qu’il y est bien
disposй; ni mкme enfin dans la connaissance de choses fussent-elles au-dessus
de l’homme, puisqu’aussi bien c’est dans la seule connaissance de Dieu que le
dйsir de l’homme trouve son repos. CHAPITRE 109: QUE SEUL EST BON ESSENTIELLEMENT
ET LES CRЙATURES PAR PARTICIPATION
De ce que nous venons de dire, il apparaоt donc que Dieu et les
crйatures se rapportent diversement а la bontй, selon le double mode de bontй
que l’on peut considйrer dans les crйatures. Puisqu’en effet le bien a raison
de perfection et de fin, selon une double perfection et fin qu'on peut noter
dans la crйature, double aussi est sa bontй. Car on peut considйrer la
perfection de la crйature selon qu’elle persiste en sa nature qui est la fin de
sa gйnйration ou de sa production; l’autre perfection est celle qu’elle atteint
par son propre mouvement ou opйration et c’est la fin de son mouvement ou de
son opйration. Dans ces deux cas la crйature se sйpare de la bontй divine: car
comme la forme et l’кtre d’une chose est son bien et sa perfection selon
qu’elle est considйrйe dans sa nature, une substance composйe n’est ni sa forme
ni son кtre. Quant а une substance simple crййe mкme si elle est sa propre
forme, elle n’est cependant pas son propre кtre. Mais Dieu est son essence et
son кtre, comme on l’a montrй plus haut (chapitre 10 et 11). De mкme aussi toutes les crйatures atteignent а leur bontй parfaite
par une fin qui leur est extйrieure. En effet la bontй parfaite consiste dans
la fin derniиre. Or celle-ci est extйrieure а la crйature et c’est la divine
bontй qui elle n’est pas ordonnйe а une fin ultйrieure. Il reste donc que Dieu
est sa propre bontй absolument il est essentiellement bon. Les crйatures
simples ne le sont pas et parce qu’elles ne sont pas leur кtre et parce
qu’elles sont ordon nйes а quelque chose d’extйrieur comme а leur fin derniиre.
Quant aux crйatures composйes il est йvident qu’elles ne sont en aucune faзon
leur propre bontй. Dieu seul donc est sa propre bontй, il est bon essentiellement; les
autres choses sont dites bonnes par une certaine participation avec Lui. CHAPITRE 110: DIEU NE PEUT PAS PERDRE SA BONTЙ
D’oщ il ressort
que Dieu ne peut en aucune faзon perdre sa bontй. Car ce qui appartient а
quelque chose essentiellement ne peut lui faire dйfaut, comme l’animalitй ne
peut кtre sйparйe de l’homme. Donc aussi il n’est pas possible que Dieu ne soit
pas bon. Et pour nous servir d’un exemple encore plus adйquat, de mкme qu’un
homme ne peut pas ne pas кtre homme ainsi il ne se peut que Dieu ne soit pas
parfaitement bon. 3° Le mal dans
les crйatures (chapitre 111 а 122)
CHAPITRE 111: LA CRЙATURE PEUT PERDRE SA BONTЙ
Il faut maintenant considйrer dans les crйatures comment elles
peuvent perdre leur bontй. Il est manifeste que quelque chose est insйparable
de la crйature de deux maniиres: d’une part de ce que la bontй est de son
essence; d’autre part de ce qu’elle est dйterminйe а une chose. Donc de la
premiиre maniиre dans les substances simples la bontй mкme qui leur est forme
en est insйparable puisqu’elles sont essentiellement des formes. De la seconde
maniиre le bien qui est leur кtre elles ne peuvent le perdre. La forme en effet
n’est pas comme la matiиre qui peut кtre ou ne pas кtre, mais la forme est
consйquence de l’кtre, mкme si elle n’est pas l’кtre lui-mкme. D’oщ il est
clair que les substances simples ne peuvent perdre le bien naturel en quoi
elles subsistent mais elles s’y tiennent immuablement. Quant aux substances
composйes, comme elles ne sont pas а elles-mкmes leur forme ni leur кtre elles
peuvent perdre le bien naturel, а l’exception de celles oщ la potentialitй de
la matiиre est dйterminйe а une seule forme comme а кtre ou ne pas кtre, comme
cela est clair dans les corps cйlestes. CHAPITRE 112: COMMENT LES CRЙATURES PERDENT LEUR BONTЙ PAR LEURS
OPЙRATIONS
Et parce que la bontй de la crйature se trouve non seulement en ce
qui constitue sa nature, mais en ce que la perfection de sa nature est d’кtre
ordonnйe а une fin et cela par son opйration, il reste а savoir comment les
crйatures manquent а leur bontй selon leurs opйrations qui les conduisent а
leur fin. Ici il faut d’abord considйrer qu’il en est des opйrations comme de
la nature qui est leur principe. Si donc leur nature ne peut faire dйfaut, pas
davantage dans leurs opйrations naturelles ne pourra-t-il se trouver quelque
dйfection. D’oщ pour les substances incorruptibles, soit corporelles soit
incorporelles, aucune dйfection ne sera possible dans leur action naturelle. En
effet chez les anges, toujours leur pouvoir naturel est en mesure d’exercer ses
opйrations; de mкme pour les mouvements des corps cйlestes, ils suivent
toujours leur trajectoire. Mais dans les corps infйrieurs, on trouve nombre de
dйfections dans leur action naturelle causйes par les corruptions et les
dйfections qui s’y produisent. Il arrive en effet par le dйfaut du principe
naturel que des plantes soient stйriles, que des monstres naissent chez les
animaux et ainsi d’autres dйsordres. CHAPITRE 113: D’UN DOUBLE PRINCIPE D’ACTION ET COMMENT OU CHEZ QUI IL
PEUT Y AVOIR DЙFECTION
Or il y a des actions dont le principe n’est pas la nature mais la
volontй dont l’objet est le bien et principalement la fin, secondairement ce
qui se rapporte а la fin. Ainsi donc l’opйration volontaire est au bien, comme
l’opйration naturelle est а la forme par laquelle une chose agit. De mкme donc
qu’un dйfaut des actions naturelles dans ces choses qui ne subissent pas de
dйfection dans leurs formes, mais seulement dans les choses corruptibles dont
les formes peuvent faire dйfaut, ainsi les actions volontaires peuvent faire
dйfaut dans ces choses oщ la volontй peut manquer а la fin. S’il se trouve une
volontй qui ne peut faire dйfaut а la fin il est manifeste qu’il ne peut y
avoir de dйfection dans l’action volontaire. Or la volontй ne peut faire dйfaut
quant au bien qui fait partie de la nature de celui qui veut: car toute chose
dйsire а sa maniиre la perfection de son кtre et qui est le bien de chaque кtre;
quant au bien extйrieur elle peut faire dйfection se contentant d’un bien
connaturel. Si donc la nature de celui qui veut constitue la fin derniиre de sa
volontй il ne peut se rencontrer de dйfaut dans l’action volontaire. Or cela
n’appartient qu’а Dieu: car sa bontй qui est la fin derniиre des choses
constitue sa nature. Mais la nature des autres кtres douйs de volontй ne
constitue pas la fin derniиre de leur volontй; il peut donc se trouver chez eux
un dйfaut d’action volontaire en ce que leur volontй se fixe en leur propre
bien sans tendre ultйrieurement vers le bien suprкme qui est leur fin derniиre.
Chez toutes les substances intellectuelles crййes peut donc se trouver quelque
dйfection de la part de la volontй. CHAPITRE 114: QU’ENTEND-ON PAR BIEN OU MAL DANS LES CHOSES?
Puisque sous l’appellation de bien on entend ce qui est parfait,
sous l’appellation de mal on doit entendre toute privation en ce qui doit кtre
parfait. Car dans le propre sens du terme la privation regarde ce qui est de la
nature d’un кtre, le quand et le comment de cet кtre. Il est dont manifeste que
quelque chose est un mal s’il n’atteint pas а la perfection qu’il doit avoir.
Ainsi quand un homme ne voit pas c’est pour lui un mal, mais non pour une
pierre parce que sa nature n'est pas de voir. CHAPITRE 115: IL EST IMPOSSIBLE QUE LE MAL CONSTITUE UNE NATURE
Il est impossible que le mal soit une nature. Car toute nature est
soit acte ou puissance ou un compose des deux Ce qui est acte est perfection et
a raison de bien, tandis que ce qui est en puissance dйsire naturellement son
кtre en acte, et le bien est ce que tous dйsirent D’ou ce qui est composй
d’acte et de puissance en tant qu’il participe а l’acte participe au bien. La
puissance, en tant qu’ordon nйe а l’acte, possиde la bontй, dont le signe est
que plus la puissance est capable d’acte et de perfection, plus elle se
valorise. Il reste donc qu’aucune nature n’est en elle-mкme un mal. De mкme. Tout кtre se complиte selon qu’il est en acte, car l’acte
est la perfection d’une chose. Or aucun opposй n’est achevй par mйlange de
l’autre opposй, mais est plu tфt dйtruit ou diminuй et ainsi le mal ne se
complиte pas par participation du bien. Toute nature est achevйe par ce qu’elle
a d’кtre en acte; et ainsi comme toute chose veut кtre bonne, toute nature
trouve son achиvement en participation au bien. Aucune nature donc n’est un
mal. De plus. Toute nature dйsire conserver son кtre et elle fuit sa
destruction autant qu’elle le peut. Comme le bien est ce que tout кtre dйsire
et le mal au contraire ce qu’il fait, il est nйcessaire de dire qu’il est bon
en soi que soit toute nature et qu’il serait mal qu’elle ne soit pas. Or que
doit-on entendre par bien sinon que ce qui est un mal ne peut кtre un bien,
mais plutфt que n’кtre pas mal est compris dans la notion de bien. Donc aucune
nature n’est mauvaise. CHAPITRE 116: COMMENT LE BIEN ET LE MAL SONT DES DIFFЙRENCES DE L’КTRE,
DES CONTRAIRES ET DES GENRES DE CONTRAIRES
Il faut maintenant considйrer comment le bien et le mal sont dits
contraires, des genres de contraires et des diffйrences constituant des espиces
c’est-а-dire les dispositions morales. En effet les contraires ont chacun leur
nature. Le non-кtre en effet ne peut кtre ni genre ni diffйrence puisque le
genre est attribut de la chose qui est et la diffйrence du comment elle est. Il faut donc savoir que comme les choses naturelles tiennent leur
espиce de la forme, ainsi aussi les choses morales de leur fin qui est objet de
la volontй et dont dйpendent toutes les choses morales. Or de mкme que dans les
choses naturelles а une forme donnйe est adjointe la privation d’une autre
forme comme par exemple le feu qui est accompagnй d’une privation d’air, ainsi
dans les choses morales а une fin donnйe s’oppose la privation d’une autre fin
Puisque la perte d’une perfection qui leur est due est un mal dans les choses
naturelles, c’est un mal d’acquйrir une forme а laquelle s’adjoint la perte
d’une forme qui leur est due, non а cause de la forme mais а cause de la privation
qui y est ajdointe, par exemple il est mauvais pour le bois de brыler. Et de
mкme dans les choses morales adhйrer а une fin а laquelle s’adjoint la perte
d’une fin obligйe est un mal, non а cause de cette fin mais а cause de la
privation qui l’accompagne. Et ainsi deux actions morales qui sont ordonnйes а
des fins contraires diffиrent en bien ou en mal comme йtant des diffйrences qui
sont contraires l’une а l’autre, non а cause de la privation qui qualifie le
mal mais а cause de la fin а laquelle est jointe une privation. C’est dans ce sens aussi que certains entendent ce que dit Aristote
(Categ. c. 11) que le bien et le mal sont des genres de contraires
c’est-а-dire de choses morales. Mais а bien faire attention, le bien et le mal
dans le genre des choses morales sont plutфt des diffйrences que des espиces. D’oщ
il vaut mieux dire que le bien et le mal sont des genres, selon la position de
Pythagore qui ramиne toutes les choses au bien et au mal en tant que genres
premiers. Cette position a quelque chose de vrai en tant que de tous les
contraires l’un est parfait et l’autre diminuй, comme le blanc et le noir, le
doux et l’amer et autres. Toujours ce qui est parfait est bon, ce qui est
moindre est mal 1.
Pour qu’une chose puisse opйrer il lui faut certaines autres: donc la forme de
la premiиre dйpend de la forme des autres, comme pour le feu il lui faut de
l’air (ou de l’oxygиne). Donc de mкme en ce qui est moralitй, il y a des
conditions dйfinies qui sont des fins, si une de ces fins est absente, l’acte
est mauvais. 2.
Diffйrence est synonyme de diversitй et le contraire de similitude. Des choses
diffйrentes ont quelque chose oщ elles conviennent; elle consiste en une
distinction dans la forme (cf. Schulz, p. 228). 3. D’oщ l’adage: "Bonum ex integra causa, malum ex
quocumque defectu." CHAPITRE 117: RIEN N’EST ESSENTIELLEMENT MAUVAIS OU TRES
MAUVAIS MAIS EST UNE CORRUPTION DU BIEN
Si donc on admet que le mal est une privation d’une perfection
nйcessaire il devient manifeste dans quel sens le mal peut corrompre le bien
c’est-а-dire en tant qu’il est sa privation, comme on dit que la cйcitй
corrompt la vue parce qu’elle est la privation mкme de la vue. Cependant elle
ne corrompt pas tout le bien; car on a dit plus haut (chapitre 115) que non
seulement la forme est bonne, mais encore la puissance а la forme, et cette
puissance est sujet de privation comme aussi de forme. D’oщ il faut que le
sujet du mal soit un bien qui n’est pas l’opposй du mal mais qui est en
puissance au mal. D’oщ aussi il ressort que ce n’est pas n’importe quel bien qui
puisse кtre sujet du mal mais seulement le bien qui est en puissance par
rapport а une perfection donnйe et dont il peut кtre privй. D’oщ dans les
choses qui ne sont qu’acte ou dans celles oщ l’acte ne peut кtre sйparй de la
puissance, pour elles il ne peut y avoir du mal. Il ressort aussi de cela que rien ne peut кtre essentiellement
mauvais puisqu’il faut que toujours le mal ait un fondement dans un bien. Et
par lа rien n’est le mal suprкme, au contraire du bien suprкme qui est
essentiellement bon. Pour la mкme raison, il est clair que le mal ne peut кtre dйsirй et
qu’il ne fait rien qu’en vertu du bien qui lui est adjoint. Ce qui est
dйsirable en effet sont la perfection et la fin; or la forme est le principe de
l’action. Parce que а une perfection ou forme peut s’adjoindre la privation
d’une autre perfection ou forme, il arrive accessoirement que cette privation
ou ce mal sont dйsirйs et deviennent principe d’une action non comme йtant un
mal mais а cause du bien qui accompagne, comme un musicien construit une maison
non comme musicien mais comme constructeur. II ressort aussi de cela que le mal ne peut кtre le premier principe
parce que le principe accidentel vient aprиs celui qui l’est en soi. CHAPITRE 118: LE MAL S’APPUIE SUR LE BIEN COMME SON SUJET
Quelqu’un pourrait peut-кtre objecter que le bien ne peut кtre sujet
du mal et que de deux choses opposйes l’une ne peut de l’autre en кtre le sujet
et qu’on ne trouvera jamais ensemble les autres opposйs’. Or on rйpond qu’en ce
dernier cas les oppositions sont dans un genre dйterminй et que le bien et le
mal sont pris en gйnйral Car tout кtre en tant que tel est bon; or toute
privation en tant que telle est mauvaise. De mкme donc que le sujet d’une
privation est nйcessairement l’кtre, ainsi est-il bon, mais il n’est pas
nйcessaire que le sujet d’une privation soit blanc, ou doux, ou voyant, parce
que ce n’est pas dit de l’кtre en tant que tel; c’est pourquoi le noir n’est
pas dans le blanc, ni la cйcitй dans le voyant; mais le mal est dans le bien
comme la cйcitй est dans le sujet de la vue; mais que le sujet de la vue ne
soit pas dit voyant c’est parce que voir n’est pas commun а tout кtre. 1.
L’opposition embrasse en dchors des contraires (blanc-noir; doux-amer, etc.)
aussi la contradiction (homme-non homme; blanc-pas blanc) l’avoir et ta
privation (la vue-la cйcitй) et les opposйs par relation (le maоtre-le
serviteur). L’un des opposйs n’est pas porteur de l’autre le noir n’est jamais
blanc; la vue n’est jamais aveugle, etc. Quant aux autres opposйs (а
l’exception de bon et mauvais), ils ne vont jamais ensemble dans le mкme sujet.
Un corps n’est jamais en mкme temps blanc et noir; blanc ou non blanc, personne
n’est capable de voir et d’кtre aveugle en mкme temps. 2.
Les opposйs relиvent de genres dйterminйs comme de leurs espиces par exemple le
blanc et le noir relиvent du genre couleur, de mкme les opposйs de relation,
les contradictoires, de l’affirmation (non homme, кtre homme). Avoir ou кtre
privй, relиvent de l’avoir (la cйcitй par rapport а la vue) (id.). 3.
Tout ce qui est, est comme tel bon; contrairement, ce qui est mauvais n’est pas
gйnйral, comme si tout ce qui est, serait mauvais; mais parce qu’il peut se
classer sous tout genre, mais toujours privation d’un кtre (Id.). CHAPITRE 119: IL Y A DEUX SORTES DE MAUX
Puis donc que le mal est privation et dйfaut il ressort de ce qu’on
a dit (chapitres 111 а 112) qu’un dйfaut peut se trouver dans une chose non
seulement selon qu’on la con sidиre dans sa nature, mais aussi selon l’action
qui la conduit а sa fin. La consйquence en est que nous avons ainsi deux sortes
de maux, c’est-а-dire selon le dйfaut en la chose mкme d’aprиs que la cйcitй
est dite le mal de l’animal et selon un dйfaut dans l’action d’aprиs que la
claudication signifie une action dйfectueuse. Donc une action ordonnйe а une
fin si elle est mauvaise parce qu’elle n’est pas ordonnйe convenablement а
cette fin est dite faute, dans les choses de la volontй comme dans les choses
naturelles. En effet un mйdecin est en faute s’il ne s’y prend pas bien en vue
de la guйrison; et la nature aussi est fautive si elle n’amиne pas, dans son
action, а la disposition et а la forme voulues la chose engendrйe, comme quand
dans la nature se produisent des monstres. CHAPITRE 120: DE TROIS SORTES D’ACTIONS ET DE LA CULPABILITЙ
Mais il faut savoir que parfois l’action est au pouvoir d’un agent,
comme sont toutes les actions volontaires. Or je dis action volontaire celle
dont le principe est dans un agent qui connaоt ce en quoi son action consiste.
Mais il a des actions qui ne sont pas volontaires, telles les actions violentes
dont le principe est extйrieur, et les actions naturelles ou celles qui se font
par ignorance parce qu’elles ne proviennent pas d’un principe qui connaоt. Si
donc dans les actions non volontaires ordonnйes а une fin se trouve une
dйfection on n’a qu’une faute; s’il s’agit d’actions volontaires, non seulement
il y a faute mais encore coulpe parce que l’agent volontaire йtant maоtre de
son acte est digne de reproche et d’une peine. S’il s’agit d’actions oщ le
volontaire et l’involontaire sont mкlйs, la culpabilitй sera d’autant moindre
qu’il y aura mкlй davantage d’involontaire. Comme une action naturelle est consйcutive а la nature de la chose,
il est йvident que dans les choses incorruptibles, dont la nature ne peut кtre
changйe, il ne peut se produire de faute dans cette action naturelle. Or la
volontй d’une crйature intellectuelle peut souffrir dйfection dans son action
volontaire, comme on l’a montrй plus haut (chapitre 113). D’oщ il reste que si
mкme il est commun а tout ce qui est incorruptible d’кtre exempt du mal
naturel, cependant кtre exempt de par nйcessitй naturelle de culpabilitй, ce
dont seule la crйature rationnelle est susceptible, on ne peut le trouver
proprement qu’en Dieu. CHAPITRE 121: QU’UN MAL REVКT UN CARACTИRE DE PEINE NON DE FAUTE
De mкme qu’un dйfaut dans l’acte volontaire revкt un caractиre de
faute et de coulpe ainsi la privation d’un bien par suite d’une faute et imposй
contre la volontй qui la subit revкt un caractиre de peine. La peine en effet
est appliquйe comme remиde pour une faute commise et elle en est comme son
redressement. C’est un remиde en ce que l’homme йvite la faute а cause de la
peine; et pour ne pas devoir subir ce qui contrarie sa volontй il abandonne un
acte dйsordonnй qui plairait а sa volontй. C’est aussi son redressement parce
que par la faute l’homme transgresse les limites de l’ordre naturel attribuant
а sa volontй plus qu’il ne faut. On revient ainsi а l’ordre de la justice par
le moyen de la peine qui soustrait quelque chose а la volontй. Il est clair
donc qu’une peine pour кtre proportionnйe а la faute doit contrarier la volontй
plus que le plaisir de la faute. CHAPITRE 122: TOUTE PEINE NE CONTRARIE PAS LA VOLONTЙ DE LA MКME MANIИRE
Toute peine n’est pas de la mкme maniиre contraire а la volontй. Il
est une peine qui contrarie ce que l’homme veut actuellement et une telle peine
est fortement ressentie. Il y a une autre peine qui ne contrarie pas la volontй
actuelle mais habituelle comme quand quelqu’un est privй d’une chose, d’un fils
par exemple, ou d’une possession, mais а son insu. D’oщ rien n’est fait
actuellement contre la volontй, mais serait contraire s’il le savait. Mais j
arrive que la peine contrarie la volontй selon la nature mкme de la volontй. En
effet la volontй de par sa nature est ordonnйe au bien; d’oщ si quelqu’un n’est
pas vertueux, ou bien ce ne sera pas contraire а son vouloir actuel parce que
peut-кtre il mйprise la vertu, ou bien non plus contre sa volontй habituelle
parce que peut-кtre dispositions habituelles le portent а agir contre la vertu;
c’est cependant contraire а la rectitude de la volontй qu fait que l’homme
naturellement recherche la vertu. D’oщ il est clair aussi que les degrйs des peines peuvent se mesurer
de deux maniиres: d’une part selon la quantitй de bien dont nous prive la
peine; d’autre part selon le plus ou moins grand dйplaisir de la volontй. En
effet la privation d’un bien plus grand contrarie plus que celle d’un moindre. 4° De la divine providence (chapitre
123 а 147)
CHAPITRE 123: TOUT EST SOUMIS A LA PROVIDENCE DIVINE
De tout ce qui prйcиde on peut se rendre compte que la divine
providence gouverne toutes choses. En effet tout ce qu’un agent entreprend pour
une fin il le dirige vers cette fin, comme tous ceux qui sont sous les armes
sont organisйs pour la fin du chef qui est la victoire et c’est par lui qu’ils
y sont dirigйs. Or on a montrй plus haut (chapitre 103) que tous les кtres par
leurs actes tendent а rйaliser la divine bontй. Donc c’est par Dieu lui-mкme
dont cette fin lui est propre que toutes choses sont dirigйes vers cette fin;
c’est ce qui s’appelle кtre rйgi et gouvernй par la providence de quelqu’un. Toutes
choses sont donc rйgies par la divine providence. Encore. Tout ce qui peut faire dйfection et qui n’est pas toujours
stable doit кtre ordonnй par ce qui est stable, comme les mouvements des corps
infйrieurs qui s dйfectibles reзoivent leur ordonnance selon le mouvement
invariable des corps cйlestes. Or toutes les crйatures changeantes et
dйfectibles. Car dans les natures intellectuelles en tant que naturelles on
peut y trouver une dйficience de l’action volontaire; quant aux autres crйatures,
elles participent au changement soit par gйnйration ou corruption, soit
localement. Dieu seul est celui chez qui aucune dйficience n’est possible. Il
reste donc que tout le reste est ordonnй par Lui. De mкme. Ce qui est par participation est ramenй а ce qui est par
essence comme en sa cause; en effet tout ce qui brыle a d’une certaine faзon
comme cause le feu. Comme donc Dieu seul est bon essentiellement et quE tout le
reste reзoit par une certaine participation son complйment de bontй, il est
nйcessaire que toutes choses reзoivent de Dieu leur complйment de bontй. C’est
cela кtre rйgi et gouvernй. En effet cela est rйgi et gouvernй qui est йtabli
en vue du bien. Toutes les choses sont donc gouver nйes et rйgies par Dieu. CHAPITRE 124: PAR LES CRЙATURES SUPЙRIEURES RЙGIT LES INFЙRIEURES
Or d’aprиs cela il apparaоt que les crйatures infйrieures sont
rйgies de Dieu par les supйrieures. En effet on peut dire que des crйatures
sont supйrieures selon qu’elles sont d’une plus parfaite bontй; or les
crйatures obtiennent de Dieu leur ordonnance au bien en tant que Lui les rйgit.
Ainsi donc les crйatures supйrieures ont une plus grande part au gouvernement
divin que les infйrieures. Or ce qui participe davantage а quelque perfection
est comparable а ce qui y participe moins, comme l’acte а la puissance et comme
l’agent au patient. Donc les crйatures supйrieures sont aux infйrieures dans
l’ordre de la divine providence comme l’agent l’est au patient. Donc les
crйatures supйrieures gouvernent les infйrieures. De mкme. C’est propre а la bontй divine de communiquer sa
ressemblance а des crйatures; c’est en effet ainsi que Dieu a fait toutes
choses en vue de sa bontй, comme on l’a vu plus haut (chapitre 101). Or il
importe а la perfection de la bontй divine et qu’Il soit bon en lui-mкme et
qu’Il en amиne d’autres а la bontй. Et donc il communique ces deux choses а la
crйature et d’кtre bonne en elle- mкme et que l’une conduise une autre au bien.
Ainsi donc par certaines crйatures il en conduit d’autres au bien; j faut donc
que celles-lа soient supйrieures. Car ce qui participe а partir d’un agent en
ressemblance de forme et d’action est plus parfait que de lui ressembler en sa
f seulement, telle la lune, qui reзoit du soleil la lumiиre et qui illumine,
est plus parfaite que les corps opaques qui reзoivent la lumiиre sans
illuminer. Dieu gouverne donc les crйatures infйrieures par les supйrieures. De plus. Le bien de beaucoup vaut mieux que le bien d’un seul et par
suite il reprйsente mieux la bontй divine qui est le bien de tout l’univers. Si
la crйature qui a une plus grande part а la bontй de Dieu ne coopйrait pas bien
des crйatures infйrieures leur abondance de bien demeurerait isolйe; et cette
abondance devient commune а beaucoup si elle est communiquйe au bien de
beaucoup. Il importe donc а la divine bontй que Dieu rйgisse les crйatures infйrieures
par les supйrieures. CHAPITRE 125: LES SUBSTANCES INTELLECTUELLES SUPЙRIEURES RЙGISSENT LES
INFЙRIEURES
Les crйatures intellectuelles йtant donc supйrieures aux autres
crйatures, comme il est clair par ce qui prйcиde (chapitres 74 et 75), il est
йvident que Dieu gouverne les autres crйatures par les crйatures
intellectuelles. De mкme. Comme parmi les crйatures intellectuelles certaines sont
supйrieures а d’autres Dieu gouverne les infйrieures par les supйrieures. D’oщ
il se fait que les hommes, qui tiennent le bas de l’йchelle dans l’ordre
naturel des choses parmi les substances intellectuelles, sont gouvernйs par les
esprits supйrieurs qui sont appelйs anges, c’est-а-dire messagers parce qu’ils
annoncent aux hommes les choses divines. Et ceux qui sont infйrieurs parmi les
anges sont rйgis par ceux qui sont supйrieurs ainsi y a-t-il chez eux diverses
hiйrarchies c’est-а-dire des principats sacrйs et ces hiйrarchies se
distinguent en divers ordres. CHAPITRE 126: DE LA HIЙRARCHIE CЙLESTE
Parce que toute opйration intellectuelle en tant que telle procиde
de l’intelligence il faut qu’on trouve d’aprиs le mode diffйrent de
connaissance une diversitй d’opйration, de prййminence et de rang parmi les
substances intellectuelles. Plus une intelligence est йlevйe en dignitй
d’autant plus peut-elle considйrer dans une cause plus йlevйe et plus
universelle les raisons de ses effets. On a dit aussi plus haut (chapitre 78)
qu’une intelligence supйrieure a des idйes plus universelles. Donc le premier mode de connaissance qui conviennent aux substances
intellectuelles est de participer dans la cause premiиre mкme, c’est-а-dire
Dieu, а la raison de ses effets, et, en consйquence, de ses oeuvres puisque par
elles Dieu dispense les effets infйrieurs. Ce qui est propre а la premiere hiйrarchie
qui se divise en trois ordres selon les trois choses qui interviennent en toute
activitй artistique: la premiиre chose est la fin qui justifie ces oeuvres; la
seconde ce que ces oeuvres sont dans l’esprit de l’artisan; en troisiиme lieu
les applications des oeuvres а leurs effets. Au premier ordre donc il
appartient d’кtre instruit dans le bien suprкme lui-mкme, en tant que fin
derniиre des choses, des effets; d’oщ ils sont appelйs Sйraphins а cause de
leur ardent amour, c’est-а-dire brыlant et enflammant, en effet l’objet de
l’amour est le bien. Il appartient au second ordre de contempler les oeuvres de
Dieu dans les raisons intelligibles comme elles sont en Dieu; et ils sont
appelйs Chйrubins а cause de la plйnitude de leur science. Il appartient au
troisiиme ordre de considйrer en Dieu mкme comment les raisons intelligibles
sont rйparties aux crйatures et rйalisйes; de ce qu’ils possиdent Dieu qui
rйside en eux ces anges sont appelйs trфnes. Le deuxiиme mode de connaissance est de considйrer la raison des
effets dans leurs causes universelles et c’est le propre de la seconde
hiйrarchie, qui est aussi divisйe en trois ordres selon les trois causes
universelles, principalement selon l’intelligence; de ces trois ordres le
premier est de disposer d’avance ce qui doit кtre fait; d’oщ chez les artisans
l’art suprкme est prйceptif ou architectonique; et dans cet ordre on a ceux
qu’on appelle les Domi nations (ou Maоtrises) car le maоtre prescrit et
prйordonne. La deuxiиme chose qui se trouve dans les causes universelles est
comme le premier moteur de l’oeuvre ou l’exйcutant principal et ce second ordre
est celui des Principautйs, selon Grйgoire le Grand (In Evang. 2, 34) ou
des Vertus, selon Denys; (De cael. hier. c. 6); on veut par lа faire
entendre que pour les dйbuts d’une oeuvre il y faut une trиs grande vertu ou
pouvoir. La troisiиme chose qui intervient dans les causes universelles est ce
qui йcarte les obstacles а l’exйcution; d’oщ le troisiиme ordre dans cette
hiйrarchie est celui des Puissances dont l’office est d’aller а l’encontre de
ce qui peut mettre obstacle а l’exйcution de l’ordre divin et ce sont elles qui
sont dites йcarter les dйmons. Le troisiиme mode de connaissance considиre les effets produits ou
rйsultats de l’action divine; ce qui est le propre de la troisiиme hiйrarchie а
laquelle nous sommes directement soumis, nous qui des rйsultats en connaissons
la cause. Cette hiйrarchie compte aussi trois ordres, dont le plus infйrieur
sont les anges parce qu’ils annoncent aux hommes leur conduite а tenir et ils
sont appelйs nos anges gardiens. Au-dessus de cet ordre sont les archanges qui
font savoir aux hommes ce qui est au-dessus de la raison, tels les mystиres de
la foi. L’ordre suprкme de cette hiйrarchie sont les vertus, selon Grйgoire le
Grand. Elles opиrent ce qui est au-dessus de la nature en preuve des choses qui
nous sont annoncйes dйpassant la raison; et c’est aux vertus qu’on attribue le
pouvoir des miracles. Mais selon Denys l’ordre suprкme dans cette hiйrarchie
sont les Principautйs, en entendant par Princes ceux qui prйsident aux nations;
par anges, ceux qui (veillent) sur chaque homme et par archanges, ceux qui а
des particuliers annoncent ce qui a trait au salut en gйnйral. Et parce que la puissance infйrieure agit en vertu de la puissance
supйrieure, l’ordre infйrieur exйcute les choses de l’ordre supйrieur en tant
qu’il agit par sa vertu. Ceux qui sont supйrieurs possиdent plus excellemment
ce qui est propre aux infйrieurs. Bien que tout leur soit en quelque sorte
commun, cependant ils ont des dйnominations propres selon ce qui convient а
chacun. Mais l’ordre infйrieur garde pour lui le nom commun (ange) comme
agissant en vertu de tous. Et parce que le supйrieur agit sur l’infйrieur et que l’action
intellectuelle consiste а instruire et а enseigner, les Anges supйrieurs en
tant qu’ils instruisent les infйrieurs sont dits les purifier, les illuminer et
les perfectionner. Ils les purifient, en йcartant d’eux l’ignorance; ils les
illuminent en renforзant de leur lumiиre les intelligences des infйrieurs pour
saisir des choses plus йlevйes; ils les perfectionnent en les amenant а la
perfection de la connaissance supйrieure. Car ces trois choses, selon Denys,
contribuent а l’acquisition de la science. Et il n’est pas question que les
anges, mкme les moindres, soient exclus de la vision de Dieu. En effet bien que
chacun des esprits bien heureux voie Dieu par essence, cependant l’un le voit
plus parfaitement que l’autre, comme il peut ressortir de ce qu’on a dit plus
haut (chapitre 106). Or plus on connaоt parfaitement une cause plus on connaоt
les effets qui s’y trouvent. Donc quant aux effets divins que les anges
supйrieurs connaissent en Dieu de prйfйrence aux autres, ils en instruisent les
infйrieurs, mais non pas l’essence divine que tous connaissent. CHAPITRE 127: LES CORPS SUPЙRIEURS AGISSENT SUR LES CORPS INFЙRIEURS NON
SUR L’INTELLIGENCE DE L’HOMME
De mкme donc que parmi les substances intellectuelles l’une gouverne
l’autre en Dieu, c’est-а-dire l’infйrieure par la supйrieure, ainsi aussi en
Dieu les corps supйrieurs dis posent des corps infйrieurs D’ou tout mouvement
des corps infйrieurs agit sous la motion des corps cйlestes et par la vertu des
corps cйlestes ces corps infйrieurs acquiиrent leurs formes et leurs espиces
tout comme les raisons intelligibles des choses sont transmises aux esprits
infйrieurs par les esprits supйrieurs. Or comme dans l’ordre des choses la
substance intellectuelle surpasse tous les corps il n’est pas juste selon
l’ordre de la providence qu’une substance intellectuelle, quelle qu’elle soit,
soit rйgie par Dieu au moyen d’une substance corporelle. Puisque l’вme humaine
est une substance intellectuelle il est impossible selon qu’elle pense et veut,
d’кtre disposйe sous la motion des corps cйlestes. Donc les corps cйlestes ne
peuvent agir directement ou impressionner, soit l’intelligence humaine, soit la
volontй. De mкme. Tout corps n’agit que par mouvement; tout ce qui donc subit
l’action d’un corps est mы par celui-ci. Or l’вme humaine selon sa partie
intellective, oщ se trouve la volontй, ne peut кtre mue d’un mouvement
corporel, puisque l’intellect n’est pas l’acte d’un organe corporel. Il est
donc impossible que l’вme humaine selon l’intelligence ou la volontй ait
quelque chose а subir de la part des corps cйlestes. De plus. Ce qui se produit dans les corps infйrieurs sous
l’influence des corps cйlestes est naturel. Si donc les opйrations de l’intelligence
et de la volontй provenaient de l’influence des corps cйlestes, elles
procйderaient alors par instinct naturel et ainsi l’homme ne diffйrerait pas,
dans ses actes, des autres animaux qui par instinct naturel se meuvent vers
leurs activitйs. Et il n’y aurait plus ni libre arbitre, ni conseil, ni
йlection et autres choses semblables qui distinguent l’homme des autres
animaux. CHAPITRE 128: LES PUISSANCES SENSITIVES QUI PERFECTIONNENT INDIRECTEMENT
L’INTELLECT HUMAIN FONT QUE CELUI-CI EST AUSSI INDIRECTEMENT SOUMIS AUX CORPS
CЙLESTES
Il faut savoir que les puissances sensitives sont а l’on gifle de
nos connaissances; si donc la partie reprйsentant les phantasmes, l’imagination
ou la mйmoire de l’вme vient а кtre troublйe, troublйe aussi sera la
connaissance intellective; mais si elles sont en bon йtat la perception de l’intelligence
sera aussi meilleure. De mкme aussi un changement dans l’appйtit sensitif peut
influencer la volontй qui est l’appйtit de la raison, en ce sens que le bien
apprйhendй est objet de la volontй. En effet selon que nous sommes diversement
disposйs du cфtй de la concupiscence, la colиre, la crainte et les autres
passions, diversement aussi quelque chose nous paraоtra bon ou mauvais. Or toutes les puissances de la partie sensitive soit d’apprйhension
soit d’appйtit sont des activitйs de parties corporelles et si celles-ci sont
changйes il est nйcessaire par accident qu’il y ait un changement dans les
puissances elles-mкmes. Donc comme le changement des corps infйrieurs est
soumis au mouvement cйleste, а ce mкme mouvement seront soumises par accident
les opйrations des puissances sensitives; et ainsi indirectement le mouvement
du ciel agit en quelque chose sur l’acte de l’intelligence et de la volontй
humaines c’est-а-dire en tant que les passions ont une influence sur la
volontй. Mais comme la volontй n’est pas soumise aux passions de telle sorte
qu’elle suivrait nйcessairement leur impulsion mais plutфt qu’il est en son
pouvoir de les rйprimer par le jugement de la raison il s’en suit que la
volontй de l’homme n’est pas soumise aux influences des corps cйlestes mais
qu’elle juge librement de les suivre ou d’y rйsister comme il semble bon, ce
qui est seulement le fait des sages. Suivre les passions du corps et ses
inclinations est le fait de beaucoup c’est-а-dire qui n’ont ni sagesse ni
vertu. CHAPITRE 129: SEUL MEUT LA VOLONTЙ DE L’HOMME ET NON LA CRЙATURE
Comme tout ce qui est changeant et variй se ramиne а un кtre
immobile et unique comme en sa cause et que l’intelligence et la volontй de
l’homme sont changeantes et variables il est nйcessaire qu’elles soient
ramenйes а lui cause supйrieure immobile et uniforme. Et parce qu’elles, ne
sont pas rйductibles aux corps cйlestes comme causes il faut les ramener а des
causes plus йlevйes. Mais il faut distinguer en cela l’intelligence de la volontй, car
l’acte de l’intelligence fait que les choses connues sont dans l’intelligence;
l’acte de la volontй consiste en une inclination de la volontй vers les choses
voulues. L’intelligence s’achиve donc naturellement en que chose qui lui est extйrieur
et auquel elle se rapporte comme en puissance. D’oщ l’homme pour l’acte d'intelligence
peut кtre aidй par toute chose extйrieure qui est plus parfaite dans l’ordre de
la connaissance, non seulement par Dieu, mais aussi par un ange et aussi par un
homme plus instruit, mais de maniиre diffйrente. En effet un homme est aidй par un autre dans l’ordre de la
connaissance qu’il n’avait pas, mais non dans ce sens que l’intelligence de
l’un soit capable d’йclairer l’autre et la parfaire; leurs deux intelligences
en effet sont de mкme espиce. Mais parce l’ange est de par sa nature йclairй
supйrieurement а l’homme il peut aider l’homme dans l’ordre de la connaissance
non seulement du cфtй de l’objet qui est proposй par l’ange mais du cфtй de
l’illumination qui est dйpartie а l’ange et qui renforce celle de l’homme.
Cependant l’illumination naturelle de l’homme ne lui vient pas de l’ange,
puisque la nature rationnelle de l’вme, qui tient son кtre par crйation, a йtй
constituйe par Dieu seul. Or Dieu dans l’ordre de la con naissance aide l’homme
non seulement du cфtй de l’objet que Dieu propose а l’homme en ajoutant а son
illumination, mais encore en ce que l’illumination naturelle de l’homme par
laquelle il est intelligent lui vient de Dieu et aussi en ce que lui-mкme est
la vйritй premiиre de laquelle toute autre vйritй tient sa certitude comme le
sont les pro positions secondes а partir des premiиres dans les sciences. Rien
ne peut кtre certain а notre intelligence qu’en Dieu, comme ne peuvent кtre
certaines les conclusions scientifiques qu’en vertu des premiers principes. Mais comme l’acte de la volontй est une inclination procйdant de
l’intйrieur vers l’extйrieur et qu’il est comparable aux inclinations
naturelles, de mкme que les inclinations naturelles se trouvent seulement dans
les choses naturelles en vertu de leur nature ainsi l’acte de la volontй vient
de Dieu qui seul est la cause de la nature rationnelle volontaire. D’oщ sans
porter atteinte au libre arbitre Dieu meut la volontй de l’homme, comme il
n’est pas contraire а la nature que Dieu opиre dans les choses naturelles; mais
et l’inclination naturelle, et l’inclination volontaire sont de Dieu selon les
conditions qui leurs sont propres; ainsi en effet Dieu meut les choses selon
qu’il convient а leur nature. De ce qui a йtй dit (chapitres 127, 128 et 129) il est clair que les
corps cйlestes peuvent influencer le corps humain et ses facultйs corporelles,
comme les autres corps, mais non l’intelligence, ce que peut faire la crйature
intellectuelle. Mais sur la volontй Dieu seul peut avoir une influence. CHAPITRE 130: DIEU GOUVERNE TOUTES LES CHOSES ET IL EN MEUT CERTAINES
PAR LES CAUSES SECONDES
Comme les causes secondes n’agissent qu’en vertu de la cause
premiиre, ainsi que les instruments selon les rиgles de l’art, il est
nйcessaire que tous les agents qui remplis sent leur rфle assignй par Dieu
agissent en vertu mкme de Dieu. Donc l’agir de chacun d’eux a sa cause en Dieu
comme le mouvement d’un mobile en vertu de l’action du moteur. Or le mouvement
et le moteur sont simultanйs. Il faut donc que Dieu soit prйsent а tout agent
comme agissant en lui en le poussant а agir. De plus. Non seulement l’action des agents subalternes vient de Dieu
mais aussi leur кtre mкme comme on l’a montrй (chapitre 68). Mais que Dieu
cause l’кtre des choses ne doit pas кtre compris comme le constructeur est
cause de la maison, laquelle subsiste aprиs le constructeur. Celui-ci en effet
n’est la cause de la maison qu’autant qu’il y a mis la main et par lа il en est
la cause directe; laquelle cesse avec le dйpart du constructeur. Or Dieu est
essentiellement la cause de l’кtre et directement comme s’il communiquait
l’кtre а tout, comme le soleil communique la lumiиre dans l’atmosphиre et а
tout ce qu’il illumine. Et de mкme que pour conserver la lumiиre est requise
une continuelle illumination du soleil, ainsi pour que les choses gardent leur
кtre est-il requis que Dieu accorde continuellement leur кtre aux choses. Et
ainsi toutes choses en tant qu’elles sont, non seulement reзoivent leur
commencement, mais encore pour leur conservation sont par rap port а Dieu comme
ce qui est fait а ce qui le fait Or celui qui fait et ce qui est fait sont
insйparables, comme le mouvement de son moteur. Il faut donc que Dieu prйside а
toutes choses dans leur кtre mкme. Or l’кtre est ce qu’il y a de plus intйrieur
aux choses. Il faut donc que Dieu soit en toutes les choses. De mкme. Quiconque fait exйcuter ses desseins par des causes
intermйdiaires doit connaоtre et ordonner les effets de ces causes, autrement
ils йchapperaient а ce qu’il avait prйvu. Et d’autant plus parfaite est la
providence de celui qui gouverne que sa connaissance et son ordonnance s’йtendent
aux dйtails Car si quelque dйtail est soustrait а sa connaissance la
dйtermination de ce dйtail s’йcartera des prйvisions. Or on a montrй plus haut
(chapitre 123) que tout doit кtre soumis а la divine providence et celle-ci est
manifestement la plus parfaite qui soit, car tout ce qui est dit de Dieu lui
convient souverainement. Il faut donc que les desseins de la divine providence
s’йtendent jusqu’aux moindres effets. CHAPITRE 131: DIEU DISPOSE TOUT DIRECTEMENT SANS PRЙJUDICE DE SA SAGESSE
Donc d’aprиs cela bien que le gouvernement des choses se fasse par
Dieu au moyen des causes secondes pour l’exйcution de sa providence, cependant
il est clair que la disposition mкme de l’ordination de la divine providence
s’йtend а tout directement. En effet, il n’ordonne pas du premier au dernier
йchelon de telle sorte que ce qui vient en dernier lieu et ce qui est du dйtail
il le confierait а d’autres. Cela en effet se fait chez les hommes а cause de
la pauvretй de leur connaissance qui ne peut tout embrasser а la fois. D’oщ les
dirigeants supйrieurs s’occupent-ils des choses importantes et confient а
d’autres le soin des petites. Mais Dieu peut а la fois en connaоtre beaucoup,
comme on l’a montrй (chapitres 29 et 96), sans кtre empкchй du soin des plus
grandes tout en s’occupant des petites. CHAPITRE 132: RAISONS QUI PARAISSENT MONTRER QUE DIEU NE S’OCCUPE PAS
DES CHOSES PARTICULIИRES
Quelqu’un pensera peut-кtre que Dieu ne s’occupe pas des choses en
particulier. Personne en effet ne s’occupe que de ce qu’il connaоt. Or il
semble que la connaissance des choses en particulier lui fait dйfaut du fait
que les choses particuliиres sont seulement connues des sens et non de
l’intelligence. Or en Dieu qui est tout-а-fait incorporel ne peut exister
qu’une connaissance intellective et non sensitive. Voilа pourquoi il pourrait
sembler que les choses particuliиres ne tombent pas sous sa providence. De
mкme. Comme les choses particuliиres sont en nombre infini qu’on ne peut
connaоtre (car l’infini comme tel ne peut кtre connu) il semble que les choses
particuliиres йchappent а la connaissance et а la providence divines. De plus. Parmi les choses particuliиres beaucoup sont contingentes,
dont on ne peut avoir une connaissance certaine. Puis donc que la science de
Dieu doit кtre des plus certaines il semble qu’Il ne les connaоt ni ne s’en
occupe En outre. Les choses particuliиres n’existent pas toutes а la fois: les
unes se succиdent, les autres se corrompent. Or il n’y a pas de science de
choses qui ne sont pas. Si donc Dieu connaоt les choses particuliиres il s’en
suit qu’il commence а en connaоtre certaines et puis qu’il cesse de les
connaоtre. Dieu serait donc changeant. Donc il ne semble pas qu’il connaisse et
dispose des choses en particulier. CHAPITRE 133: SOLUTION DE CES DIFFICULTЙS
Mais on y rйpond facilement si l’on veut bien considйrer la rйalitй.
En effet comme Dieu se connaоt parfaitement, il doit connaоtre tout ce qui de
quelque maniиre est en Lui. Or comme c’est de Lui qu’est toute essence et vertu
de l’кtre crйй — ce qui est de quelqu’un est en lui virtuellement — il est
nйcessaire que se connaissant lui- mкme il connaisse aussi l’essence de la
crйature et tout ce qui est virtuellement en elle. Et ainsi il connaоt tous le
particuliers qui sont virtuellement en lui et dans leurs autres causes. Et il n’en va pas de mкme de la connaissance de l’кtre divin et de
la nфtre, comme l’avanзait la premiиre objection. Car notre intelligence prend
connaissance des choses par des images abstraites, similitudes des formes et
non de la matiиre ni des conditions matйrielles qui sont principes
d’individuation. D’oщ notre intelligence ne peut pas connaоtre les choses
particuliиres mais seulement les universelles. Or l’intelligence divine connaоt
les choses par leur essence dans laquelle comme dans leur principe sont
contenues virtuellement non seulement les formes mais aussi la matiиre et donc
il connaоt non seulement les choses universelles mais aussi les particuliиres. Semblablement rien n’empкche que Dieu connaisse les choses infinies,
bien que notre intelligence ne puisse les connaоtre. Notre intelligence ne peut
connaоtre а la fois et en acte plusieurs choses. Et ainsi si elle connaissait
les choses infinies en les considйrant elle devrait les йnumйrer une а une, ce
qui est contraire а la dйfinition de l’infini. Mais c’est virtuellement et en
puissance que nous pouvons connaоtre l’infini; par exemple les nombres et les
proportions en tant qu’en principe nous pouvons toujours y ajouter mais
successivement. Or Dieu peut connaоtre tout en une fois, comme on l’a vu (chapitres
29 et 96); et ce par quoi il connaоt toutes choses qui est son essence est le
principe suffisant de sa connaissance non seulement de ce qui est mais de ce
qui peut кtre. De mкme donc que nous pouvons connaоtre virtuellement et
potentiellement l’infini des choses dont nous avons le principe de
connaissance, ainsi, Dieu lui les connaоt toutes actuellement. Il est йvident aussi, malgrй que toutes les choses particuliиres
corporelles et temporelles ne soient pas toutes а la fois, que Dieu cependant
en a la connaissance actuelle; il les connaоt en effet selon son mode d’кtre
qui est йternel et sans succession. De mкme donc qu’Il connaоt immatйriellement
les choses matйrielles, et toutes les choses en une seule, ainsi aussi
connaоt-Il d’un seul coup d’oeil toute la succession des choses. Et ainsi rien
ne doit s’ajouter ou кtre retranchй а ce qu’Il connaоt puisqu’Il connaоt tous
les singuliers. D’oщ aussi il est йvident que des choses contingentes il en a une
connaissance certaine; car mкme avant qu’elles ne soient, Il les regarde, йtant
en acte dans son кtre et non seulement en tant qu’elles seront et en vertu de
leurs causes, comme nous qui pouvons aussi connaоtre certaines choses а venir. Bien
que les Contingents en tant que virtuels dans leurs causes ne soient pas
dйterminйs а telle chose pour qu’on puisse en avoir une connaissance certaine,
cependant en tant qu’actuellement existant ils ont йtй dйjа dйterminйs а cette
chose et on peut en avoir une connaissance certaine[14].
Car nous pouvons savoir de certitude de vision que Socrate est assis йtant
assis maintenant. Et de mкme Dieu connaоt tout avec certitude quoi que ce soit
а travers le cours du temps dans son йternitй. Car celle-ci atteint
prйsentement tout le cours du temps et lui est transcendant. Et ainsi nous
pourrions imaginer Dieu dans son йternitй connaissant le cours du temps comme
quelqu’un qui du haut d’un observatoire embrasse d’un regard tout le trafic des
passants. CHAPITRE 134: SEUL CONNAIT EN PARTICULIER LES FUTURS CONTINGENTS
Connaоtre ainsi les futurs contingents d’aprиs qu’ils sont
actuellement dans leur кtre, ce qui est en avoir la certitude, c’est lа ce qui
est propre а Dieu seul. C’est а lui qu’appartient, en propre et vraiment,
l’йternitй. D’oщ la prйdiction certaine des choses а venir est la marque
certaine de la divinitй, comme le dit Isaпe: "Annoncez-nous ce qui doit
arriver dans l’avenir et nous saurons que vous кtes des dieux" (41,
23). D’autres peuvent connaоtre les choses а venir dans leurs causes ce qui ne
constitue pas une certitude mais plutфt une conjecture, а moins d’une relation
nйcessaire de cause а effet: et de cette maniиre le mйdecin prйdit la maladie
et le marin les tempкtes. CHAPITRE 135: SE TROUVE PARTOUT PAR SA PUISSANCE, SON ESSENCE ET SA
PRЙSENCE, IL DISPOSE DE TOUT DIRECTEMENT
Ainsi donc rien n’empкche que Dieu ait aussi connaissance des choses
particuliиres et qu’Il en dispose directement, bien qu’il les fasse exйcuter
par des causes intermйdiaires. Mais aussi dans l’exйcution elle-mкme
intervient-Il en quelque sorte immйdiatement pour tous. les effets en tant que
toutes les causes intermйdiaires agissent sous l’influence de la cause
premiиre; d’une certaine faзon on peut dire que lui-mкme agit en tout et toutes
les oeuvres des causes secondes lui sont attribuables, comme а un artisan le
travail de l’instrument; en effet il est plus juste de dire que le fabricant a
fait le contenu plutфt que son marteau, Il est directement en rapport avec tout
ce qui se fait en tant qu’Il est essentiellement cause de l’кtre et que tout
garde son кtre de Lui. Et Dieu se trouve en toutes choses selon ces trois modes
immйdiats: par son essence, sa puissance et sa prйsence. Par son essence, en
tant que l’кtre de quelque chose est une participation а l’кtre divin et ainsi
l’essence divine se trouve en tout ce qui existe en tant qu’ayant l’кtre, comme
la cause en son propre effet. Par sa puissance en tant que tout agit par sa
vertu. Par sa prйsence en ce qu’Il ordonne et dispose tout immйdiatement. CHAPITRE 136: IL EST JUSTE QUE FASSE DES MIRACLES
Puis donc que tout l’ordre des causes secondes et leur vertu vient
de Dieu et que lui-mкme ne produit rien par nйcessitй mais librement comme on
l’a montrй plus haut (chapitre 96), il est clair qu’Il peut agir au-delа de ces
causes, comme lorsqu’Il guйrit ceux qui selon les lois naturelles ne peuvent
кtre guйris ou opиre d’autres prodiges de ce genre en dchors des causes
naturelles. C’est cependant selon l’ordre de la providence divine, par cela
mкme que parfois Dieu agit au-delа de l’ordre des causes naturelles en vue
d’une fin. Quand de telles choses se produisent on dit que ce sont des miracles;
car il est йtrange de voir un effet sans en connaоtre la cause. Comme Dieu est
la cause cachйe par excellence si quelque chose se produit en- dchors des
causes connues de nous on dit simplement qu’il y a miracle proprement dit. Si
la cause n’est inconnue que de tel ou tel ce n’est plus а proprement parler un
miracle, mais bien pour celui qui ignore la cause. D’oщ il arrive que quelque
chose paraоt йtrange а l’un qui ne l’est pas pour un autre qui en connaоt la
cause. Agir ainsi en dchors de l’ordre des causes secondes appartient а
Dieu seul qui est l’auteur de cet ordre auquel il n’est pas tenu. Mais tout le
reste y est soumis; d’oщ faire des miracles appartient seulement а Dieu, comme
le dit le Psalmiste: "Lui qui fait seul de grandes merveilles"
(Ps 72, 18). Lors donc que des miracles sont apparemment faits par une
crйature, ou bien ce ne sont pas de vrais miracles parce qu’ils sont dыs а
quelques causes naturelles qui nous sont cachйes, comme les miracles des dйmons
et qui sont de la magie; ou bien si ce sont de vrais miracles, ils ont йtй
obtenus par quelqu’un qui les aura demandйs а Dieu dans la priиre. Donc comme
les miracles ont Dieu seul comme auteur il est juste de les йlever en arguments
de la foi qui s’appuie sur Dieu seul. En effet si un homme avance quelque chose en s’appuyant sur
l’autoritй divine cela n’est jamais mieux prouvй que par des oeuvres que Dieu
seul peut accomplir. Mais ces miracles bien qu’accomplis au-delа de l’ordre des
causes secondes, on ne peut pas dire simplement qu’ils sont contre nature parce
que l’ordre naturel lui- mкme veut que les choses infйrieures soient soumises а
l’action des кtres supйrieurs. D’oщ ce qui advient aux corps infйrieurs sous
l’influence des corps cйlestes n’est pas simplement contre nature bien que
peut-кtre ce soit parfois contraire а la nature particuliиre de telle ou telle
chose comme le flux et le reflux de l’eau lors des marйes et qui se produit
sous l’action de la lune. Ainsi donc ce qui arrive aux crйatures par l’action
de Dieu, bien qu’apparemment contraire а l’ordre des causes secondes est
cependant conforme а l’ordre universel naturel. Les miracles ne sont donc pas
contraires а la nature. CHAPITRE 137: DES CHOSES QUI SONT FORTUITES OU ACCIDENTELLES
Bien que Dieu dispose de toutes choses mкme des moindres, comme on
l’a montrй (chapitres 123, 130, 131, 133-135), rien n’empкche cependant que
certaines n’arrivent par hasard ou fortuitement. Il peut arriver que quel que
chose soit fortuit ou accidentel par rapport а une cause infйrieure lorsque
quelque chose se fait au-delа de l’intention et qui n’est cependant pas fortuit
ni accidentel pour la cause supйrieure et donc n’йchappe pas а ses vues, comme
le maоtre qui envoie deux serviteurs au mкme endroit de telle faзon que l’un ne
sait rien de l’autre, leur rencontre est un hasard pour eux, non pour le
maоtre. Ainsi donc lorsque des choses arrivent au-delа de l’ordre des causes
secondes elles sont fortuites ou accidentelles par rapport а ces causes et on
peut dire qu’elles sont dues au hasard simplement en se tenant aux causes les
plus proches. Mais pour Dieu elles ne sont pas fortuites mais prйvues. CHAPITRE 138: LE DESTIN EST-IL UNE NATURE ET QU’EST-IL?
De ceci il ressort ce qu’est le destin. Comme en effet nombre
d’effets proviennent accidentellement selon qu’on considиre les causes
secondes, d’aucuns ne veulent les ramener а aucune cause supйrieure qui les
ordonne et donc il faut bien qu’ils nient l’existence du destin. D’autres ont
voulu ramener ces effets qui paraissent кtre du hasard et fortuits а une cause
supйrieure qui les ordonne; mais comme ils ne s’йlevaient pas au-dessus de
l’ordre corporel, ils attribuиrent cette ordination aux corps premiers,
c’est-а-dire cйlestes, et ils dirent que le destin provenait du pouvoir
qu’aurait la position des astres, d’oщ, disaient-ils, ces effets produits. Mais
comme on a montrй (chapitres 127-129) que l’intelligence et la volontй,
principes propres des actes humains, ne sont pas proprement soumis aux corps
cйlestes, on ne peut plus dire que ce qui paraоt accidentel ou fortuit dans les
choses humaines se ramиne aux corps cйlestes comme cause qui les ordonne. Or le destin ne semble se produire que dans les choses humaines dans
lesquelles est aussi le hasard. En effet il y en a qui s’interrogent а leur
sujet et veulent connaоtre l’avenir et les devins ont coutume de donner une
rйponse; et c’est pourquoi on fait dйriver le mot latin"fatum"du
verbe"fan"qui signifie dire. Et donc entendre ainsi le destin est
contraire а la foi. Mais comme les choses naturelles et aussi humaines sont soumises а
la divine providence, quand quelque chose arrive fortuitement dans les choses
humaines il faut les ramener а une disposition de la divine providence dans ce
sens ceux qui admettent que tout est soumis а la divine providence doivent
admettre le destin. En effet le destin ainsi entendu est mis en rapport avec la
divine providence comme йtant son effet propre; c’est une explication de la
divine providence appliquйe aux choses, selon ce que dit Boиce (Consol.
philos. 4, 6) que le destin est "une disposition"
c’est-а-dire une ordination "immobile inhйrente aux choses
mobiles". Mais parce que, autant qu’il est possible, nous ne devons
pas adopter un langage commun avec les infidиles, pour ne pas donner l’occasion
d’erreur aux non-initiйs, pour les fidиles il sera plus sыr d’йviter l’emploi
de ce mot qui convient mieux а la premiиre acception qui est assez commune. D’oщ
ce que dit saint Augustin au cinquiиme livre de la Citй de Dieu (chapitre
1) si quelqu’un entend le destin dans son second sens "qu’il retienne
le sens et en corrige l’expression". CHAPITRE 139: QU’EST-CE-QUE LA CONTINGENCE?
Bien que l’ordre assignй aux choses par la divine providence soit
certain, en raison de quoi Boиce disait: "Le destin est une disposition
immobile attachйe aux choses mobiles", cependant on ne peut dire que
tout arrive nйcessairement. Car les effets nйcessaires ou contingents le sont
en raison des causes prochaines. Il est manifeste en effet que si une premiиre
cause est nйcessaire et la suivante contingente, l’effet sera contingent; si
par exemple on attribue la gйnйration des corps infйrieurs а l’action des corps
cйlestes qui se produit nйcessairement, cependant la gйnйration et la
corruption des choses infйrieures se produira ou non parce que les causes
secondes ou infйrieures sont contingentes et peuvent faire dйfaut. Or on a
montrй (chapitres 124 а 130) que Dieu exйcute l’ordre de sa providence au moyen
des causes infйrieures. Il y aura donc des effets de la divine providence
contingents selon la condition des causes infйrieures ou secondes. CHAPITRE 140: LA DIVINE PROVIDENCE ЙTANT MAINTENUE BEAUCOUP DE CHOSES
SONT CONTINGENTES
Cependant la contingence des causes et de leurs effets ne peut
perturber la certitude de la providence divine. Il y a en effet trois choses
qui contribuent а cette certitude l’infaillibilitй de la prescience de Dieu,
l’efficacitй de sa volontй, et la sagesse de ses dispositions qui trouve les
voies suffisantes pour atteindre le rйsultat; aucune de ces trois choses ne
rйpugne а la contingence des choses. Car la science de Dieu quant aux futurs
contingents est infaillible en tant qu’Il les voit futurs dans son йternitй,
йtant en acte en son кtre а lui, comme on l’a vu (chapitre 133). De mкme la volontй de Dieu йtant la cause universelle des choses ne
fait pas seulement que quelque chose soit mais aussi qu’elle soit ainsi. Cela
donc appartient а l’efficacitй de sa volontй que non seulement se fasse ce que
Dieu veut mais de telle maniиre qu’il veut. Il veut que des choses soient
nйcessaires et d’autres contingentes parce que l’une et l’autre sont
nйcessaires а l’achиvement de l’univers. Donc pour que de ces deux maniиres
puissent se produire les choses, а certaines il adapte des causes nйcessaires,
а d’autres des causes contingentes; la prйsence d’effets nйcessaires et
d’effets contingents permet а la volontй de Dieu d’кtre efficace. Il est manifeste aussi que la sagesse des dispositions divines
assure la certitude de sa providence, la contingence des choses йtant sauve. Car
si l’homme par sa prй voyance peut corriger la dйfaillance des causes pour
qu’elles obtiennent йventuellement leurs effets comme chez le mйdecin qui
guйrit et chez le vigneron qui remйdie а la stйrilitй de sa vigne, combien а
plus forte raison arrive-t-il de par la sagesse de Dieu que mкme si les causes
contingentes viennent а faire dйfaut quant а leurs effets cependant par
l’emploi de correctifs elles obtiennent leurs effets, leur contingence restant
sauve. Ainsi donc il est clair que la contingence des choses n’exclut pas la
certitude providentielle de Dieu. CHAPITRE 141: CETFE CERTITUDE N’EXCLUT PAS LE MAL
De la mкme maniиre on peut se rendre compte qu’йtant sauve la divine
providence, des maux peuvent se produire dans le monde а cause de la dйficience
des causes secondes. Nous constatons en effet dans l’ordre des causes qu’un
mauvais effet vient d’un dйfaut de l’ordre d’une cause prochaine, dйfaut qui
n’est nullement produit par une premiиre cause, par exemple la claudication
produite par une courbature de la jambe n’a pas sa cause dans la vertu motrice
de l’вme. D’oщ le mouvement qui accompagne la claudication vient sans doute de
la vertu motrice mais ce qui s’y trouve de travers vient d’une mauvaise
courbure de la jambe. Et c’est pourquoi tout mal qui arrive dans les choses, quant а ce
qui s’y trouve d’кtre, d’espиce ou de nature doit кtre attribuй а Dieu comme en
leur cause; car le mal ne peut кtre que si le bien existe, comme on l’a vu (chapitre
118). Quant а ce qui s’y trouve de dйficience ce doit кtre ramenй а une cause
infйrieure dйficiente. Et ainsi bien qu’Il soit la cause universelle de toutes
choses Dieu n’est cependant pas la cause des maux comme tels, mais ce qui s’y
trouve de bien a sa cause en Dieu. CHAPITRE 142: SI DIEU PERMET LE MAL, AUCUNE ATFEINTE N’EST FAITE A SA
BONTЙ
Cependant il ne rйpugne pas а la bontй divine qu’elle permette le
mal dans les choses qu’elle gouverne. D’abord parce que ce n’est pas son rфle
de laisser pйrir la nature des choses qu’elle gouverne, mais de la sauver. Or
il est requis а la perfection de l’univers qu’il y ait des choses oщ le mal ne
peut arriver et d’autres qui puissent souffrir une dйficience du mal selon leur
nature. Si donc le mal йtait totalement exclu, les choses ne seraient plus
rйgies selon leur nature par la providence divine; ce qui constituerait un plus
grand dйfaut que de supprimer chaque dйfaut. Ensuite parce que le bien de l’un ne va pas sans le mal de l’autre,
comme nous voyons que la gйnйration de l’un n’est pas sans que l’autre se
corrompe; et la nourriture du lion sans la mort d’un autre animal; et la
patience du juste sans la persйcution de l’injuste. Si donc le mal йtait
totalement exclu, beaucoup de bien serait aussi supprimй. Ce n’est donc pas le
rфle de la divine providence que le mal soit totalement exclu des choses mais
que les maux qui arrivent soient ordonnйs а un bien. Enfin les maux particuliers rendent les biens plus valables par
comparaison comme l’obscuritй fait ressortir la lumiиre. Et ainsi parce qu’elle
permet que des maux existent dans le monde la divine bontй йclate davantage
dans les biens, et sa sagesse qui ordonne les maux vers le bien. CHAPITRE 143: C’EST PAR SA GRACE QUE DIEU EXERCE SA PROVIDENCE ENVERS
L’HOMME
Йtant donnй que la divine providence pourvoit а chaque chose selon
son mode et que la crйature rationnelle est maоtresse de ses actes par le libre
arbitre, ce dont ne jouissent pas les autres crйatures, il est nйcessaire
qu’elle y pourvoie d’une faзon singuliиre а deux choses: d’abord pour l’aide
que Dieu lui accorde en ses actes; ensuite pour ce qui lui est rйtribuй pour
ses oeuvres. En effet aux crйatures irrationnelles, seuls sont accordйs des
secours par Dieu qui les meuvent dans leur agir naturel; aux crйatures
rationnelles sont donnйs des enseignements et des prйceptes de vie. En effet on
ne donne de prйceptes qu’а celui qui est maоtre de ses actes, bien que par
analogie Dieu est dit donner des prйceptes aux crйatures irrationnelles, selon
le Psaume 148: "Il a commandй (а la mer) et elle ne dйbordera
pas." Un tel prйcepte n’est autre qu’une disposition de la divine
providence qui meut les agents naturels dans leur propre domaine. De mкme les actions des crйatures rationnelles leur sont imputйes а
leur louange ou comme faute du fait qu’elles sont responsables de leurs actes
non seulement dans le gouvernement des hommes entre eux, mais aussi de Dieu; 1,
les hommes en effet sont rйgis par l’homme et aussi par Dieu. A quelque rйgime
que l’on appartienne on lui est rendu redevable de ce qu’on fait de louable et
de rйprйhensible. Et comme pour les bonnes actions une rйcompense est due et
pour les fautes une peine, comme on l’a dit plus haut (chapitre 121) selon la
justice divine les crйatures rationnelles sont punies pour le mal et
rйcompensйes pour le bien. Chez les crйatures irrationnelles il ne peut кtre
question ni de peine ni de rйcompense, comme non plus d’кtre louйes ou d’кtre
inculpйes. Mais parce que la fin derniиre de la crйature rationnelle excиde le
pouvoir de sa nature et que les choses qui sont pour la fin doivent кtre
proportionnйes а cette fin, selon une juste disposition de la providence, il
s’en suit que pour la crйature rationnelle aussi des secours lui sont accordйs
en plus de ceux qui sont proportionnйs а sa nature, et donc qui excиdent son
pouvoir naturel. D’oщ au-dessus de la facultй naturelle de la raison est
accordйe par Dieu la lumiиre de la grвce qui perfectionne l’homme intйrieur en
vue de la vertu; quant а la connaissance lors- que l’esprit de l’homme est
йlevй aux choses qui excиdent la raison; quant а l’action et aux affections,
lorsque l’affection de l’homme se porte par cette lumiиre au- dessus de toutes
les crйatures par amour de Dieu, pour espйrer en lui et accomplir ce qu’un tel
amour demande. Ces dons ou secours surnaturels sont dits gratuits pour une double
raison. D’abord parce que Dieu nous les donne gratuitement. Car on ne peut rien
trouver en l’homme qui lui mйrite strictement en justice ces secours puisqu’ils
excиdent le pouvoir de l’humaine nature. Ensuite parce que d’une maniиre
spйciale l’homme par de tels dons est rendu agrйable а Dieu. Puisqu’en effet
l’amour de Dieu est cause de la bontй des choses, amour que n’a pas pu
provoquer une bontй prйalable — comme quand nous aimons — il est nйcessaire,
pour ceux qui jouissent de- preuves spйciales de cette bontй, d’admettre de la
part de Dieu un amour de prйdilection. D’oщ ceux-lа sont-ils surtout et
simplement aimйs auxquels sont faites de telles largesses qui les conduisent а
leur fin derniиre qui est Dieu lui-mкme, source de la bontй. CHAPITRE 144: DIEU PAR DES DONS GRATUITS REMET LES PЙCHЙS MКME CEUX QUI
TUENT LA GRВCE
Et comme le pйchй consiste en ce que les actions s’йcartent de
l’ordre dы а la fin et comme l’homme est ordonnй а la fin non seulement par des
secours naturels mais aussi gratuits, il est nйcessaire qu’aux pйchйs des
hommes soient opposйs des secours non seulement naturels mais aussi gratuits. Or
les contraires s’excluent. Si donc les pйchйs enlиvent а l’homme ces secours
gratuits il faut aussi qu’ils puissent кtre restituйs par des dons gratuits;
sinon la malice de l’homme qui pиche en rejetant la grвce pourrait plus que la
bontй divine qui йcarte le pйchй par le don de sa grвce. De mкme. Dieu pourvoit
aux choses selon leur nature. Or telle est la nature des choses changeantes que
les contraires peuvent y alterner comme la gйnйration et la corruption dans la
matiиre corporelle, le blanc et le noir dans les corps colorйs. Or l’homme est
changeant en sa volontй aussi longtemps qu’il est en cette vie. Ainsi donc Dieu
fait а l’homme des dons gratuits qu’il peut perdre par le pйchй et ainsi
l’homme commet des pкches que Dieu remet par des dons gratuits. En outre dans
les choses qui sont au-dessus de la nature, ce qui est possible ou impossible
dйpend de la puissance divine et non de la puissance de la nature. Qu’un
aveugle puisse voir ou qu’un mort ressuscite ce n’est pas de puissance
naturelle mais divine. Or les dons gratuits sont surnaturels. Que l’on puisse
les obtenir cela dйpend de la puissance divine. Dire qu’aprиs le pйchй on ne
puisse obtenir des dons gratuits c’est dйroger а la puissance divine. Cependant
les dons gratuits ne peuvent exister en mкme temps que le pйchй puisque par eux
l’homme est ordonnй а la fin dont il se dйtourne par le pйchй. Dire que les
pйchйs sont irrйmissibles est donc contraire а la puissance de Dieu. CHAPITRE 145: LES PЙCHЙS SONT RЙMISSIBLES
Si quelqu’un prйtend que les pйchйs ne peuvent кtre pardonnйs, sans
toutefois mettre en cause la puissance divine, mais parce que la justice divine
veut que celui qui succombe au pйchй ne puisse plus rentrer en grвce c’est
йvidemment faux. En effet l’ordre de la justice divine n’est pas qu’aussi
longtemps qu’on est voyageur on doive en mкme temps recevoir ce qui regarde le
terme du voyage. Or ne plus changer dans le bien ou dans le mal regarde le
terme du voyage; en effet l’immobilitй ou le repos sont termes du mouvement et
toute notre vie est un voyage; ce que montre bien le changement de l’homme et
quant au corps et quant а son вme. Ce n’est donc pas selon la justice divine
que l’homme aprиs le pйchй demeure immobile dans son pйchй. Encore. Les
bienfaits divins, surtout s’ils sont trиs grands, ne sont pas un danger pour
l’homme. Or il serait dangereux pour l’homme en cette vie changeante de
recevoir la grвce et qu’aprиs la grвce, ayant pйchй, il ne puisse de nouveau
rentrer en grвce, surtout si l’on considиre que les pйchйs commis avant la
grвce et remis par elle sont parfois plus grands que ceux commis aprиs avoir
reзu la grвce. On ne peut donc dire que les pйchйs de l’homme sont irrйmissibles,
qu’ils aient йtй commis avant ou aprиs. CHAPITRE 146: DIEU SEUL PEUT REMETFRE LES PЙCHЙS
Dieu seul peut remettre les pйchйs. La faute en effet commise contre
quelqu’un ne peut кtre remise que par lui. En effet les pйchйs sont imputйs а
l’homme comme faute, non seulement par l’homme mais aussi par Dieu, comme on
l’a montrй plus haut (chapitre 143). C’est en ce sens qu’il s’agit ici de
pйchйs selon qu’ils sont imputйs а l’homme par Dieu. Donc Dieu seul peut
remettre les pйchйs. Encore. Comme par le pйchй l’homme n’est plus ordonnй а sa fin
derniиre, le pйchй ne sera pardonnй que si l’homme est de nouveau ordonnй а sa
fin. Ce que font les dons gratuits qui viennent uniquement de Dieu puisqu’ils
excиdent notre facultй naturelle. De mкme. Le pйchй est imputй а l’homme comme faute en tant que
volontaire. Or Dieu seul peut changer la volontй; donc aussi remettre seul les
pйchйs. CHAPITRE 147: ARTICLES DE FOI QUI TRAITENT DES EFFETS DU GOUVERNEMENT
DIVIN
Le gouvernement des choses est donc le second effet de Dieu et
spйcialement quant aux crйatures rationnelles aux quelles il accorde sa grвce
et remet les pйchйs. Ces effets sont contenus dans le Symbole de la foi: et
quant а tout ce qui est ordonnй en vue de la bontй divine, en professant que le
Saint-Esprit est Dieu: car c’est le propre d Dieu d’ordonner ses sujets а leur
fin; et quant а ce qu’il meut en disant: "Et qui vivifie." De
mкme en effet que l’вme donne le mouvement au corps et est sa vie, de mкme le
mouvement par lequel Dieu meut tout l’univers est comme la vie de l’univers. Et
parce que toute la rai- son du gouvernement divin vient de la bontй divine qui
est appropriй а l’Esprit Saint, qui procиde comme amour, il est juste que les
effets de la divine providence soient attribuйs а la personne de l’Esprit
Saint. Quant а la connaissance surnaturelle que Dieu nous donne par la foi,
il est dit: "La Sainte Eglise catholique": car l’Йglise est le
rassemblement de ceux qui croient, des fidиles. Quant а la grвce que Dieu communique aux hommes il est dit: "La
communion des saints ". Quant а la rйmission des pйchйs il est dit: "La rйmission
des pйchйs". D — La consommation des siиcles (chapitre 148 а 162)
1° L ‘homme est la fin des кtres (chapitre
148 а 153)
CHAPITRE 148: TOUT A ИTЙ FAIT POUR L’HOMME
Puisque toutes choses sont ordonnйes а la bontй divine (chapitre 101)
comme vers leur fin et que, parmi celles qui sont ordonnйes а la fin, certaines
sont plus proches de cette fin en ce qu’elles participent plus pleinement de la
bontй divine, il s’en suit que ce qui est infйrieur parmi les choses crййes et
qui participe moins de la bontй divine ait en quelque sorte comme fin les кtres
supйrieurs. En effet dans l’ordre des fins ce qui est plus proche de la fin
derniиre est aussi fin pour ce qui est plus йloignй de la fin, comme par
exemple une potion mйdicinale sert а purger, la purge fait maigrir; et maigrir,
donne la santй: et ainsi la maigreur est la fin de la purge, et celle-ci de la
potion. Ce qui est bien comprйhensible. De mкme en effet que dans l’ordre des causes
agissantes la vertu du premier agissant parvient aux derniers effets par les
causes intermйdiaires, ainsi dans l’ordre des fins ce qui en est le plus
йloignй atteint la derniиre fin par ce qui en est le plus proche, comme la
potion mйdicinale n’est ordonnйe а la santй que par la purge. Ainsi dans
l’ordre universel des choses infйrieures atteignent principalement la fin
ultime parce qu’elles sont ordonnйes aux supйrieures. Cela devient йvident а qui considиre l’ordre mкme des choses.
Puisqu’en effet ces choses, qui se font naturellement, agissent d’aprиs ce
qu’elles sont, nous voyons les plus imparfaites servirent les plus nobles,
comme les plan tes que la terre nourrit; comme les animaux que les plan tes
nourrissent, et ces choses sont au profit de l’homme. En consйquence les choses
inanimйes sont pour les choses animйes, et les plantes pour les animaux et
ceux-ci pour l’homme. Puisqu’on a montrй (chapitre 74) que la nature
intellectuelle est supйrieure et la nature corporelle, il s’en suit que celle-ci
toute entiиre est ordonnйe au bien de la premiиre. Parmi les natures
intellectuelles celle qui est la plus proche du corps est l’вme rationnelle qui
est la forme de l’homme. C’est donc en quelque sorte а cause de l’homme, en
tant qu’animal rationnel, que toute la crйature corporelle existe. C’est donc
dans la perfection de l’homme que toute la nature corporelle trouve en quelque
sorte sa perfection. CHAPITRE 149: QUELLE EST LA FIN DERNIИRE DE L’HOMME?
Or la perfection de l’homme est l’obtention de la fin derniиre qui
est la parfaite bйatitude ou fйlicitй et qui consiste dans la vision de Dieu,
comme on l’a montrй (chapitres 105 et 107). Et l’immutabilitй de l’intelligence
et de la volontй est la consйquence de cette vision. De l’intelligence, car une
fois parvenue а la premiиre cause oщ tout peut кtre connu, la recherche
intellectuelle cesse. La mobilitй de la volontй cesse aussi, car la fin
derniиre atteinte, oщ se trouve la bontй en sa plйnitude, il ne reste plus rien
а dйsirer. Si la volontй est mobile c’est parce qu’elle dйsire ce quelque chose
qu’elle cherche. Il est donc manifeste que l’ultime accomplissement de l’homme
consiste dans la parfaite quiйtude et immobilitй de l’intelligence et de la
volontй. CHAPITRE 150: COMMENT L’HOMME PARVIENT-IL A L’ЙTERNITЙ COMME EN SON
ACHИVEMENT?
Comme on l’a montrй plus haut (chapitre 5 et 8), la nature de
l’йternitй consiste en son Immobilitй. De mкme que le mouvement cause le temps
oщ se trouve une succession d’avant et d’aprиs, ainsi faut-il qu’en йcartant le
mouvement cessent l’avant et l’aprиs; ainsi reste-il cette notion de l’йternitй
qui se dйfinit toute entiиre en mкme temps. Donc dans son ultime achиvement l’homme obtient la vie йternelle non
seulement quant а ce qu’il ne meurt plus en son вme, ce qui est dйjа l’йtat de
l’вme rationnelle, comme on l’a montrй (chapitre 84), mais encore il est amenй
а la parfaite immobilitй. CHAPITRE 151: POUR JOUIR DE LA PARFAITE BЙATITUDE L’ВME DOIT ИTRE UNIE
AU CORPS
Or il faut savoir qu’une parfaite immobilitй de la volontй ne peut
exister sans que soit totalement rempli un dйsir naturel. Or tout ce qui est
fait pour l’union selon sa nature dйsire cette union naturellement. En effet
chaque chose dйsire ce qui convient а sa nature. Puis donc que l’вme humaine
est naturellement unie au corps, comme on l’a montrй (chapitre 85), il y a en
elle un dйsir naturel d’union avec le corps. Il ne pourra donc pas y avoir de
parfait repos pour la volontй que si elle n’est de nouveau rйunie au corps ce
qui est pour l’homme ressusciter de la mort. De mкme. La perfection finale requiert ta premiиre perfection. Or la
premiиre perfection d’une chose consiste en celle de sa nature et la perfection
finale en l’acquisition de la fin derniиre. Donc pour que l’вme humaine
obtienne sa fin parfaite il faut qu’elle soit parfaite en sa nature, ce qui ne
peut se faire а moins d’кtre unie au corps. En effet la nature de l’вme est
d’кtre unie au corps comme sa forme; et aucune partie n’est parfaite en sa
nature а moins d’кtre unie au tout. Il est donc requis pour l’ultime bйatitude
de l’homme que l’вme soit а nouveau unie au corps. Encore. Ce qui est accidentel et contre nature ne peut кtre
perpйtuel. Or la sйparation de l’вme et du corps est nйcessairement
accidentelle et contre nature йtant donnй qu’il va de soi que l’вme est unie au
corps et cela naturellement. L’вme ne sera donc pas pour toujours sйparйe du
corps. Et comme elle est une substance incorruptible, comme on l’a montrй (chapitre
84), il reste qu’elle doit кtre de nouveau unie au corps. CHAPITRE 152: CETTE SЙPARATION EST EN PARTIE NATURELLE ET EN
PARTIE CONTRE NATURE
Il semblerait que l’вme n’est pas sйparйe du corps accidentellement
mais conformйment а sa nature. En effet le corps de l’homme est composй de
contraires; Tout ce qui est de ce genre est naturellement corruptible. Donc le
corps humain est de nature corruptible. Le corps une fois corrompu l’вme
demeure nйcessairement sйparйe du corps puisqu’elle est immortelle (chapitre 84).
Il semble donc que l’вme soit naturellement sйparable du corps. Il faudra donc maintenant considйrer ce qu’on entend par: selon ou
contre la nature. Or on a montrй plus haut (chapitres 79 et 92) que l’вme
rationnelle contrairement aux autres formes excиde le pouvoir de toute la
matiиre corporelle, ce que son activitй intellectuelle dйmontre qu’elle exerce
sans le corps. Donc pour que la matiиre corporelle lui soit convenablement
adaptйe il a йtй nйcessaire qu’une disposition soit surajoutйe au corps qui
fasse que la matiиre convienne а une telle forme. Et de mкme que cette forme
vient de Dieu seul par crйation, ainsi aussi cette disposition qui surpasse la
nature corporelle fut attribuйe au corps humain par Dieu seul, disposition qui
conserverait au corps d’кtre pour toujours incorruptible pour qu’ainsi il
convienne а la perpйtuitй de l’вme. Et cette disposition demeura dans le corps
de l’homme aussi longtemps que l’вme de l’homme adhйra а Dieu. S’йtant
dйtournйe de Lui par le pйchй il йtait juste que le corps humain perdit cette
disposition surnaturelle qui le soumet tait inйbranlablement а l’вme et ainsi
l’homme nйcessairement encourut-il la mort. Si donc on regarde la nature du
corps, la mort est naturelle; s’il s’agit de l’вme et de sa disposition qui dиs
le principe fut surnaturellement imprimйe au corps, la mort est un accident et
contre nature puisqu’il est naturel que l’вme soit unie au corps. CHAPITRE 153: L’ВME REPRENDRA ABSOLUMENT LE MКME CORPS ET NON D’UNE
AUTRE NATURE
Puisque l’вme est unie au corps comme la forme et qu’а chaque forme
rйpond une matiиre propre il est nйcessaire que le corps auquel l’вme est de
nouveau unie soit de mкme nature et espиce que le corps qu’elle dйpose а la
mort. L’вme en effet ne reprendra pas а la rйsurrection un corps cйleste, ou
aйrien ou d’un autre animal, corne certains ont divaguй, mais un corps humain
composй de chair et d’os, organique avec les mкmes organes dont il est fait
maintenant. De plus. De mкme
qu’а la mкme forme spйcifique revient la mкme matiиre spйcifique, ainsi а la
mкme forme identique revient la mкme matiиre identique; de mкme en effet que
l’вme d’un boeuf ne peut pas кtre celle du corps d’un cheval, ainsi l’вme de ce
boeuf ne peut кtre l’вme d’un autre boeuf. Il faut donc que l’вme rationnelle
restant identique, un corps identique lui soit de nouveau uni а la
rйsurrection. 2° Notre
rйsurrection (chapitre 154 а 162)
CHAPITRE 154: PAR LA SEULE VERTU DIVINE, L’ВME REPRENDRA UN MКME CORPS
IDENTIQUE
Les choses qui selon leur substance sont corruptibles ne se rйpиtent
pas identiquement selon l’activitй naturelle mais selon l’espиce seulement. Ce
n’est pas en effet le mкme nuage d’oщ est venue la pluie qui, tombйe et
йvaporйe, sera de nouveau lа. Comme donc le corps humain se corrompt
substantiellement par la mort, il ne peut revenir identique par une opйration
naturelle. Mais la nature mкme de la rйsurrection l’exige, comme on vient de le
voir. En consйquence la rйsurrection des hommes ne se fera pas par une
opйration naturelle, comme certains l’ont prйtendu: aprиs de nombreux circuits
d’annйes les corps revenant au mкme йtat et de nouveau identiques; mais le
rйtablissement des ressuscitйs se fera par la seule vertu divine. De mкme. Il est manifeste que des sens une fois perdus ne peuvent
nous кtre restituйs par une opйration naturelle, ni rien de ce que l’on a reзu
par la gйnйration, parce qu’il n’est pas possible que la mкme chose identique
se reproduise. Si quelque chose de ce genre est restituй а quelqu’un, par
exemple un oeil arrachй ou une main amputйe, c’est en vertu de l’intervention
de Dieu qui peut opйrer au-delа de la nature, comme on l’a montrй (chapitre 136).
Puis donc que par la mort tous les sens et tous les membres de l’homme
pйrissent il est impossible qu’un mort revienne а la vie si ce n’est par une
opйration divine. Du fait que nous posons que la rйsurrection se fera par la vertu
divine on peut facilement voir comment le corps identiquement sera restituй. Comme
en effet il a йtй dйmontrй (chapitres 123, 130, 131, 133 et 135) que toutes
choses, mкme les moindres, sont constituйes sous la providence divine, il est
manifeste que la matiиre de ce corps humain quelle que soit la forme qu’il
puisse obtenir aprиs la mort, n’йchappe ni au pouvoir ni а la connaissance de
Dieu. Et cette matiиre reste la mкme identiquement en tant qu’elle existe sous
des dimensions qui font qu’elle est cette matiиre et qu’elle est le principe
d’individuation. Donc cette mкme matiиre demeurant, et d’elle, par la vertu
divine, le corps humain йtant rйparй, comme aussi l’вme rationnelle qui йtant
incorruptible demeure la mкme unie au mкme corps, il s’en suit que c’est le
mкme homme individuel qui est rйparй а la vie. Et cette identitй individuelle n’a pas d’empкchement, comme certains
objectent, parce que ce n’est pas la mкme humanitй individuelle. Car l’humanitй
qui est la forme du tout n’est autre selon eux que la forme d’une partie, qui
est l’вme et qui est la forme du corps selon qu’elle donne l’espиce au tout.
S’il en est ainsi il est manifeste que la mкme humanitй individuelle demeure,
puisque l’вme rationnelle demeure individuellement la mкme. Mais comme l’humanitй est la dйfinition de l’homme tout comme
l’essence d’une chose est sa dйfinition; comme cette dйfinition de l’homme non
seulement signifie la forme mais aussi la matiиre celle-ci fait partie de la dйfinition
des choses matйrielles — il est plus juste de dire avec d’autres que la notion
d’humanitй inclut l’вme et le corps, autrement cependant que dans la dйfinition
de l’homme. Car dans la notion d’humanitй sont inclus les seuls principes
essentiels de l’homme en excluant les autres. Comme en effet par humanitй on
dit que l’homme est homme il est йvident que tout ce qui n’est pas dit vraiment
de l’homme comme tel est exclu de l’humanitй. Quand on dit "homme" celui qui possиde l’humanitй, cela
n’exclut pas qu’il n’ait pas d’autres choses par exemple la blancheur et autre.
Ce mot "homme" signifie ses principes essentiels sans
cependant exclure les autres qui ne sont inclus qu’en puissance et non en acte
dans sa notion. D’oщ "homme" signifie un tout, et "humanitй"
une partie, et elle n’est pas attribut du mot "homme". Chez
Socrate ou chez Platon sont incluses cette matiиre et cette forme; de mкme
qu’on dйfinit l’homme composй d’une вme et d’un corps, ainsi pour dйfinir
Socrate on dira qu’il est composй de ces chairs et de ces os et de cette вme.
Comme donc l’humanitй n’est pas une autre forme que l’вme et le corps mais est
composйe des deux, il est manifeste que le mкme corps йtant restituй et la mкme
вme subsistant on aura la mкme humanitй individuelle. Il n’y a pas non plus d’empкchement а cette identitй individuelle du
fait que la corporйitй ne soit plus identiquement la mкme puisqu’elle a disparu
avec le corps. Car si par corporйitй on entend la forme substantielle par quoi
quelque chose entre dans le genre de substance corporelle et puisque d’une
seule chose il n’y a qu’une forme substantielle, cette corporйitй n’est autre
que l’вme. Car cet animal n’est pas uniquement animal par cette вme, mais un
corps animй, et un corps, et aussi ce quelque chose existant dans le genre substance,
autrement l’вme adviendrait а un corps existant en acte et ainsi elle serait
une forme accidentelle. En effet le sujet d’une forme substantielle n’est pas
ce quelque chose en acte mais seulement en puissance; d’oщ lorsqu’il reзoit la
forme substantielle on ne dit pas qu’il est engendrй seulement selon ceci ou
cela comme pour les formes accidentelles, mais simplement qu’il est engendrй,
comme recevant simplement l’кtre et ainsi la corporйitй reзue demeure la mкme
individuellement l’вme rationnelle йtant restйe la mкme. Si par corporйitй on entend une forme d’oщ le corps prend son nom et
qui se trouve dans le genre de la quantitй, elle est alors une forme
accidentelle qui ne signifie rien d’autre que la triple dimension. D’oщ si elle
ne redevient pas identiquement la mкme, l’identitй du sujet n’en souffre pas
auquel suffit l’unitй des principes essentiels. Il en est de mкme pour tous les
accidents qui en changeant n’affectent pas l’identitй individuelle. D’oщ comme
l’union est une relation, et par lа un accident, sa diversitй gйnйrique
n’enlиve pas l’identitй au sujet. Semblablement ni la diversitй individuelle de
l’вme sensitive et vйgйtative, si on suppose qu’elles se corrompent; en effet
les puissances naturelles du composй se situent dans le genre accident et le
sensible qui est la diffйrence constitutive de l’animal n’est pas prise а
partir des sens mais de la substance mкme de l’вme sensitive qui chez l’homme
est substantiellement la mкme que l’вme rationnelle. CHAPITRE 155: NOUS NE RESSUSCITERONS PAS AU MКME MODE DE VIE
Bien que les hommes ressusciteront identiques а eux-mкmes ils
n’auront cependant pas le mкme mode de vie. Maintenant en effet ils ont une vie
corruptible, alors elle sera incorruptible. Si en effet la nature dans la
gйnйration humaine tend а se perpйtuer а plus forte raison Dieu le fera-t-il
pour sa restauration. En effet que la nature tende а se perpйtuer, elle le
tient de ce qu’elle y est mue par Dieu. Or dans la restauration de l’homme
ressuscitй il ne s’agit pas de perpйtuer l’espиce, ce qui peut кtre obtenu par
la continuitй de la gйnйration. Il reste donc qu’il s’agit de perpйtuer
l’individu. Les hommes donc par la rйsurrection vivront pour toujours. En outre. Si les hommes qui ressuscitent doivent encore mourir,
leurs вmes ne resteront pas pour toujours sйparйes du corps puisque la nature
de l’вme s’y oppose, comme on l’a vu (chapitres 151 et 152). Il faudra donc une
nouvelle rйsurrection et ainsi indйfiniment pour un mкme homme. Cela n’a pas de
sens. Il est donc plus convenable que dиs la rйsurrection les hommes
ressuscitent immortels. La suppression de la mortalitй n’apportera pas de changement
spйcifique ni individuel. Кtre mortel, en effet а proprement parler ne peut
constituer une diffйrence spйcifique de l’homme, car il s’agit lа d’une
passion, mais tient lieu de diffйrence de l’homme en ce que par lа est dйsignйe
la nature de l’homme c’est-а-dire un composй de contraires, comme"кtre
rationnel" dйsigne sa propre forme. En effet les choses matйrielles ne
peuvent se dйfinir sans la matiиre. Or on n’enlиve pas la mortalitй par la
suppression de sa propre matiиre; en effet l’вme ne reprendra pas un corps
cйleste ou aйrien, comme on l’a vu (chapitre 153), mais un corps humain composй
de contraires. Cependant l’incorruptibilitй lui viendra de la vertu divine par
laquelle l’вme dominera le corps au point qu’il ne puisse se corrompre. Car une
chose conserve son кtre aussi longtemps que la forme domine sur la matiиre. CHAPITRE 156: APRИS LA RЙSURRECTION L’USAGE DE LA NOURRITURE ET DE LA
GЙNЙRATION CESSERA
Parce que la fin йtant supprimйe ce qui y conduisait n’a pas raison
d’exister, et la mortalitй йtant йcartйe de ceux qui ressuscitent, doivent
aussi кtre soustraites ces choses qui sont ordonnйes а l’йtat de la vie
mortelle: telles la nourriture et la boisson qui sont nйcessaires а la
sustentation de la vie mortelle en restituant par la nourriture ce que fait
perdre la chaleur naturelle. Donc aprиs la rйsurrection disparaоtra l’usage de
la nourriture et de la bois son. De mкme pour les vкtements: ceux-ci sont
nйcessaire а l’homme en protйgeant le corps contre la chaleur ou le froid.
Semblablement l’usage des choses de la chair ces sera puisqu’elles sont
destinйes а la gйnйration des animaux; or la gйnйration se limite а la vie
mortelle afin que ce qui ne peut кtre conservй chez l’individu le soit au moins
dans l’espиce. Comme donc les hommes seront conservйs chacun dans son identitй
pour toujours il n’y aura plus de gйnйration et donc plus d’usage de l’oeuvre
de chair. De plus. Comme la semence est un excиdent des aliments, l’usage des
aliments cessant, celui de la chair ces sera aussi. Or on ne peut dire dйcemment que la dйlectation justifie l’usage des
aliments et des choses de la chair. Rien en effet de dйsordonnй n’existera en
ce stade final, car alors toutes choses auront atteint а leur maniиre leur
perfection. Or le dйsordre s’oppose а la perfection. Et comme la restauration
des hommes par la rйsurrection vient directement de Dieu, il n’y aura en cet
йtat aucune place pour quelconque dйsordre, car "les choses de Dieu
sont ordon nйes" (Rom 13, 1). Or il y a dйsordre si l’on cherche la
dйlectation dans l’usage des choses vйnйriennes ou des aliments. Ce que
d’ailleurs les hommes jugent кtre vicieux. Il n’y aura donc aucune place pour
le plaisir chez ceux qui ressuscitent, plaisir de la table ou plaisir de la
chair. CHAPITRE 157: CEPENDANT TOUS NOS MEMBRES RESSUSCITERONT
Bien que l’usage de telles chose fera dйfaut chez ceux qui
ressuscitent cela n’entraоnera cependant pas la perte des membres correspondant
а ces usages; car sans eux le corps du ressuscitй ne serait plus complet. Or il
convient dans la restauration du ressuscitй laquelle vient directement de Dieu,
dont les oeuvres sont parfaites, que sa nature soit complиtement restaurйe. Donc
ces membres chez les ressuscitйs demeureront pour conserver intacte leur nature
et non pour les actes auxquels ils йtaient destinйs.mmm De mкme. Si sans cet йtat les hommes obtiennent rйcompense ou
chвtiment pour les actes qu’ils posent maintenant — comme on le verra plus loin
il est juste qu’ils aient les mкmes membres par lesquels ils ont servi la
justice ou le pйchй en cette vie et qu’ils soient punis ou rйcompensйs dans ces
choses oщ ils ont pйchй ou mйritй. Semblablement convient-il que tous les dйfauts naturels
disparaissent dans les corps des ressuscitйs. En effet par tous ces dйfauts il
est fait dommage а l’intйgritй naturelle. Si donc il est juste que dans la
rйsurrection la nature de l’homme soit restaurйe intйgralement par Dieu, il
s’en suit que de tels dйfauts seront aussi enlevйs. De plus. Ces dйfauts sont dus а une dйficience naturelle qui fut au
principe de la gйnйration humaine. Or а la rйsurrection il n’y aura d’autre
pouvoir agissant que de Dieu chez qui il ne peut y avoir de dйficience. Donc
ces dйfauts qui existent chez les hommes engendrйs n’existeront plus chez ceux
qui auront йtй restaurйs par la rйsurrection. CHAPITRE 158: NOUS RESSUSCITERONS SANS AUCUN DЙFAUT LA CONSOMMATION DES
SIИCLES
CHAPITRE 159: L’HOMME RESSUSCITERA DANS LA SEULE VЙRITЙ DE SA NATURE
Ce qui a йtй dit de l’intйgritй des ressuscitйs doit s’entendre en
relation avec la vйritй de la nature humaine. Car ce qui ne lui appartient pas
ne peut кtre repris chez les ressuscitйs, (si par hasard on s’imaginait que
tout ce qu’ils ont converti en chair en fait de nourriture au cours de leur vie
ils le reprendraient). Ce qu’on entend par vйritй d’une nature est ce qui la
fait telle selon son espиce et sa forme. Selon ces deux choses, ce qu’on entend
par parties chez les ressuscitйs et qui seront intйgralement rendues, ce ne
sont pas seulement leurs membres mais ce qui les com pose comme la chair, les
nerfs et autres matiиres. Mais non tout ce qui se trouvait naturellement en ces
membres ou parties sera repris, mais seulement dans la mesure suffisante quant
а l’intйgritй spйcifique de ces parties. Ce qui cependant n’empкchera pas
l’homme d’кtre le mкme identiquement et intйgralement mкme si tout ce qui fut
en lui matйriellement ne ressuscite pas. Il est йvident en effet que dans l’йtat
de cette vie l’homme reste identique а lui-mкme depuis sa naissance jusqu’а sa
mort, cependant que ce qui est matйriel en lui sous l’aspect des parties qui le
composent ne reste pas le mime, mais insensiblement se transforme; tout comme
un feu qui se maintient tandis que du bois se consume et qu’on y apporte du
nouveau, ainsi l’homme est conservй intact quand il garde sa nature et ce qui
appartient а celle-ci. CHAPITRE 160: DIEU SUPPLЙERA TOUT DANS LE CORPS AINSI RЙFORMЙ ET TOUT CE
QUI MANQUE A LA MATIИRE
De mкme que Dieu ne reprendra pas pour le corps de l’homme tout ce
qui y fut matйriellement pour la restauration du ressuscitй, ainsi aussi ce qui
lui manqua matйriellement Dieu y supplйera. Si en effet par l’action de la
nature l’enfant acquiert son dйveloppement par une matiиre extйrieure grвce а
l’absorption d’aliments et par vient а sa perfection physique et ne cesse pas
pour cela d’кtre lui-mкme, bien davantage Dieu pourra-t-il supplйer а la
dйficience matйrielle chez ceux qui en ont souffert en leur vie quant а
l’intйgritй de leur corps. Ainsi donc si certains eurent une conformation
dйfectueuse ou ne sont pas arrivйs а l’вge adulte au jour de leur mort ils
obtiendront par la vertu divine la perfection et de leurs membres et de leur
stature. CHAPITRE 161: SOLUTION DE QUELQUES OBJECTIONS
Par lа on peut rйsoudre ce que d’aucuns objectent contre cette
rйsurrection’. Ils supposent en effet qu’un homme se nourrisse de chair humaine
et que plus tard ainsi nourri il engendre un fils qui utilise la mкme nourriture.
Si donc la nourriture est convertie en substance de chair il paraоt bien qu’il
soit impossible que l’un et l’autre ressuscitent intйgralement puisque les
chairs de l’un sont changйes en chairs de l’autre; et ce qui, semble-t-il, est
plus difficile — si comme disent les philosophes la semence est le surplus de
la nourriture, — il suit que la semence d’oщ est nй le fils est prise des
chairs de l’autre et ainsi il paraоt impossible que le fils engendrй de cette
semence ressuscite si les hommes dont son pиre et lui- mкme ont mangй les
chairs, ressuscitent intйgralement. Mais ceci ne rйpugne pas а la commune rйsurrection. On a dit en
effet (chapitre 159) qu’il n’est pas nйcessaire que soit repris dans celui qui
ressuscite tout ce qui fut matйriellement en lui, mais seulement autant qu’il
suffit а la mesure de la quantitй convenable. On a dit aussi (chapitre 160) que
si quelque chose manquait а la parfaite quantitй la vertu divine y supplйerait. Il faut de plus bien savoir que ce qui existe matйriellement dans le
corps de l’homme appartient а divers degrйs а la vйritй de la nature humaine.
Car ce qui est premier et principal vient des parents et est formй comme ce
qu’il y a de plus pur dans l’espиce humaine. En second lieu il y a ce qui
provient de la nourriture et qui est nйcessaire а la formation du corps; or
tout mйlange extйrieur affaiblit le pouvoir d’une chose pour finalement aboutir
а la dйcadence, au vieillissement et а la dissolution, comme aussi le vin par
addition d’eau finit par кtre presque de l’eau Ultйrieurement il y a le surplus
de nourriture qui produit soit la semence pour la gйnйration, soit les cheveux
qui nous protиgent ou servent de parure. Certaines choses ne servent vraiment а
rien et sont rejetйes en sueur et autres йvacuations ou sont retenues et sont
une charge а la nature. Ceci donc sera pris en considйration par la divine providence lors
de la rйsurrection gйnйrale que ce qui se trouvait кtre le mкme matйriellement
en divers hommes, ressuscitera chez celui qui possйdait le degrй supйrieur
(reзu des parents); ce qui se trouvait d’une et mкme maniиre en (nos) deux
hommes ressuscitera chez celui en qui cela se trouvait d’abord et dans l’autre
la vertu divine y supplйera. Et ainsi il est clair que les chairs humaines que
quelqu’un aura mangйes ne ressusciteront pas chez lui; mais chez celui qui les
avait d’abord; cependant elles ressusciteront chez celui que cette semence aura
engendrй quant а ce qui йtait comme leur nourriture humide le reste
ressuscitera chez le premier et Dieu supplйant а chacun ce qui manque. 1.
Cf. saint Augustin, De civit. Dei 22, 12 P.L. 41, 775 sq. 2. Cf. Sum. Th. I, 119, 1 C et ad 4. 3.
Saint Thomas distingue dans le corps deux parties qu’il appelle humides: la
partie humide radicale et la partie humide nourriciиre. A la premiиre
appartient ce qui constitue l’espиce et qui ne peut кtre enlevй ni кtre
restituй, par exemple une main ou un pied amputйs. La seconde (nourriciиre)
c’est ce qui n’est pas encore transformй en la premiиre, comme le sang; cela
peut кtre enlevй sans que le pouvoir de l’espиce en souffre (Th I 119, 1). Remarque: En termes de
biologie moderne, on qualifierait de tissu cellulaire la partie humide radicale
et de globules sanguins, la seconde, qui est nourriciиre destinйe а remplacer
ou а nourrir les cellules constituйes. CHAPITRE 162: L’ARTICLE DU SYMBOLE CONCERNANT LA RЙSURRECTION DES MORTS
Pour confesser la foi en la rйsurrection on a dans le symbole des
Apфtres: "la rйsurrection de la chair". Et ce n’est pas sans
raison qu’on ajoute "de la chair"; car il s’en est trouvй,
mкme du temps des Apфtres, qui niaient la rйsurrection de la chair, ne
confessant que la seule rйsurrection spirituelle par laquelle l’homme
ressuscitera de la mort du pйchй. Ce qui fait dire а l’Apфtre que certains ont
failli а la vйritй disant que la rйsurrection йtait dйjа accomplie et ils
йbranlиrent la foi de plusieurs (2 Tim 2, 18). Et pour йcarter leur erreur et
pour qu’on croie а la rйsurrection future, il est dit dans le Symbole des Pиres
(de Nicйe) "J’attends la rйsurrection des morts". E — La vie future (chapitre 163 а 184)
CHAPITRE 163: QUELLE SERA L’ACTIVITЙ DES RESSUSCITЙS
Il faut aller de l’avant et nous demander quelle sera l’activitй des
ressuscitйs. En effet tout vivant doit avoir une activitй principale, en quoi
sa vie consiste, comme ceux qui principalement s’adonnent aux plaisirs
voluptueux ont une vie voluptueuse; ceux qui s’adonnent а la contemplation, une
vie contemplative; ceux qui s’occupent de gouverner la citй, une vie civile. Or
on a vu (chapitre 156) que ceux qui ressusciteront ne feront pas usage de
nourriture, ni des choses de la chair; ce en quoi est ordonnйe l’activitй
corporelle; celles-lа йtant abolies, restent les opйrations spirituelles dans
lesquelles consiste la fin derniиre de l’homme, comme nous l’avons vu (chapitres
104 а 107). L’obtention de cette fin convient aux ressuscitйs, eux qui ont йtй
libйrйs de l’йtat de corruption et de changement, comme on l’a montrй (chapitre
155). Mais ce n’est pas en n’importe quelle activitй spirituelle que la fin de
l’homme consiste, mais en ce que Dieu soit vu en son essence (chapitres 104 а
107). Or Dieu est йternel; il faut donc que l’intelligence s’unisse а
l’йternitй. De mкme donc que ceux qui s’adonnent а la voluptй sont dits mener
une vie voluptueuse, ainsi ceux qui jouis sent de la vision divine obtiennent
la vie йternelle, selon ce que dit saint Jean: "Ceci est la vie
йternelle qu’ils te connaissent toi, le vrai Dieu et celui que tu as envoyй
Jйsus-Christ" (17, 3). CHAPITRE 164: SERA VU DANS SON ESSENCE ET NON PAR SIMILITUDE
L’intelligence crййe verra Dieu en son essence, non par une
similitude de lui-mкme, comme est prйsente а l’intelligence une chose pensйe
distante de celle-ci, comme la pierre qui a sa ressemblance dans notre oeil,
mais absente quant а sa substance; mais comme on l’a montrй (chapitre 105)
l’essence mкme de Dieu est en quelque sorte unie а l’intelligence crййe de
sorte que Dieu puisse кtre vu en son essence. De mкme donc que dans la fin
derniиre on verra ce qu’on avait cru de Dieu auparavant, ainsi ce qu’on
espйrait comme distant, on le tiendra comme actuel, et c’est ce qu’on entend
par "saisie", selon ce que dit l’Apфtre: "Je poursuis pour
tвcher de le saisir." (Phil. 3, 12). Ce qui ne veut pas dire un
accaparement mais une prйsence intime et une possession, selon le sens du verbe
saisir. CHAPITRE 165: VOIR DIEU EST LA SUPRКME PERFECTION ET JOUISSANCE
Considйrons en outre que de l’apprйhension de ce qui convient naоt
une jouissance, comme la vue jouit de belles couleurs et le goыt de saveurs
dйlicieuses. Mais cette jouissance des sens peut кtre empкchйe si les organes
sont indisposйs; car aux yeux malades la lumiиre est insupportable qui est
douce aux yeux sains. Mais comme l’intelligence ne pense pas par des organes
corporels (chapitre 79) nulle tristesse ne peut contrarier la jouissance que
procure la considйration de la vйritй. Accidentellement une tristesse cependant
peut se produire si ce qu’on comprend est saisi comme йtant nuisible; mais
alors la tristesse est dans la volontй et non dans la chose connue. Or Dieu par
cela mкme qu’Il est, est la vйritй. Donc l’intelligence qui voit Dieu ne peut
pas ne pas jouir de sa vision. De plus. Dieu est la bontй mкme qui est cause de l’amour. D’oщ il
est nйcessaire qu’elle soit aimйe de tous ceux qui la saisissent. Bien qu’en
effet ce qui est bon puisse ne pas кtre aimй et mкme кtre haп ce n’est pas en
tant qu’il est saisi comme bon mais en tant que nuisible. Donc dans la vision de Dieu qui est la bontй et la vйritй mкme,
aussi bien que la comprйhension, il faut y trouver l’amour ou la jouissance
dйlectable, selon ce que dit le prophиte Isaпe: "Vous verrez et votre
coeur se rйjouira." (66, 14). CHAPITRE 166: QUE TOUT CE QUI VOIT EST CONFIRMЙ DANS LE BIEN
Il s’en suit que l’вme qui voit Dieu, ou tout autre crйature
spirituelle, a sa volontй confirmйe en Lui de sorte qu’elle ne puisse plus se
tourner vers ce qui est contraire. En effet comme l’objet de la volontй est le
bien, elle ne peut se tourner vers autre chose que sous le mobile du bien. Mais
en tout bien particulier peut se trouver une dйficience qui conduit celui qui
s’en rend compte а chercher autre chose. D’oщ il n’est pas nйcessaire que la
volontй de celui qui aperзoit un bien particulier s’y arrкte exclusivement de
sorte qu’il ne cherche pas ailleurs. Mais en Dieu qui est le bien universel et
la bontй mкme aucun bien ne manque qu’on pourrait trouver ailleurs, comme on
l’a montrй (chapitres 21 et 106). Quiconque donc voit Dieu en son essence ne
peut en dйtourner sa volontй de sorte qu’en tout il y tende selon cette raison
mкme. On peut aussi le constater par analogie avec nos propres pensйes. Notre
intelligence en effet peut dans le doute se tourner ici ou lа jusqu’а ce
qu’elle parvienne au premier principe qui lui donne fermetй. Comme donc la fin
dans les choses qu’on dйsire est comme le principe dans les choses que nous
pensons, la volontй peut aussi se porter vers des contraires jusqu’а ce qu’elle
parvienne а la jouissance ou la connaissance de la fin derniиre en laquelle
aussi elle est nйcessairement affermie. Ce serait aussi contraire а la notion
de la parfaite fйlicitй que l’homme puisse se tourner vers son contraire; en
effet la crainte de la perdre ne serait pas totalement exclue et par lа le
dйsir ne serait pas totalement apaisй. Et l’Apocalypse dit du bienheureux: "Il
ne sortira plus au dchors." (3, 12). CHAPITRE 167: LE CORPS SERA ENTIИREMENT SOUMIS A L’ВME
Puisque le corps est pour l’вme comme la matiиre pour la forme et
l’instrument pour l’artisan, а l’вme qui aura atteint cette vie un corps lui
sera uni divinement qui con vienne а la bйatitude de l’вme. En effet ce qui est
pour une fin doit pouvoir satisfaire а l’exigence de cette fin. Pour l’вme
parvenue au sommet de son activitй intellectuelle il convient que son corps ne
puisse l’en empкcher ou la retarder en quoi que ce soit. Or le corps humain de
par sa corruptibilitй empкche l’вme et la retarde de sorte qu’elle ne peut
persister en une continuelle contemplation ni atteindre au sommet de la
contemplation. C’est en se soustrayant aux sensations du corps que les hommes
se rendent plus aptes а saisir les choses divines. Car les rйvйlations
prophйtiques se manifestent а ceux qui dorment ou dans une extase, selon ce que
disent les Nombres: "S’il y a parmi vous quelque prophиte du Seigneur,
je lui apparaоtrai en vision ou je lui parlerai en songe" (12, 6). Les
corps des bienheureux ressuscitйs seront incorruptibles et ne retarderont pas
les вmes, comme actuellement; totalement soumis а l’вme ils ne lui rйsisteront
en rien CHAPITRE 168: DES PRIVILИGES ACCORDЙS AUX CORPS GLORIFIЙS
Ceci permet de percevoir quelle disposition auront les corps des
bienheureux. L’вme en effet est la forme et le moteur du corps. En tant que
forme non seulement elle est principe du corps quant а son кtre substantiel
mais encore quant aux accidents qui lui sont propres et qui sont causйs dans le
sujet par l’union de la forme а la matiиre. Or plus une forme aura йtй
puissante moins aussi un agent extйrieur pourra-t-il empкcher l’action de la
forme sur la matiиre, comme il apparaоt dans le feu dont la forme, qu’on dit la
plus noble parmi les formes йlйmentaires, fait que le feu ne peut кtre
facilement transformй de sa disposition naturelle sous l’action d’un agent.
Comme donc l’вme bienheureuse se trouvera au sommet de sa noblesse et de son
pouvoir parce qu’unie au premier principe des choses, elle apportera au corps,
qui lui est divinement uni, d’abord son кtre substantiel de faзon la plus
noble, le possйdant sous elle totalement, ce qui le rendra subtil et spirituel;
ensuite elle lui donnera la qualitй la plus noble c’est-а-dire la clartй de la
gloire; et а cause de son pouvoir l’вme l’empкchera d’кtre changй par aucun
agent et c’est l’impassibilitй; et comme il obйira а l’вme totalement, comme
l’instrument dans (les mains) de celui qui le meut, il sera agile. Telles
seront donc les quatre conditions des corps des bienheureux subtilitй, clartй,
impassibilitй et agilitй. D’oщ ce que dit l’Apфtre en la 1re aux Corinthiens: "Semй
dans la corruption (par la mort) le corps surgira incorruptible" c’est
l’impassibilitй; "semй dans l’ignominie, il surgira dans la
gloire" c’est la clartй; "semй dans l’infirmitй, il surgira
dans la puissance" c’est l’agilitй; "semй corps animal, il
surgira corps spirituel", c’est la subtilitй. CHAPITRE 169: L’HOMME SERA ALORS RENOUVELЙ ET TOUTE LA CRЙATURE
CORPORELLE
Il est manifeste que les choses qui sont pour une fin sont disposйes
selon l’exigence de cette fin; d’oщ si la fin est plus ou moins parfaite, ce
qui y est ordonnй l’est aussi, par exemple la nourriture et le vкtement ne sont
pas les mкmes pour un enfant ou pour un adulte. Or on a vu plus haut (chapitre 148)
que la crйature corporelle est faite pour la nature raisonnable comme vers sa
fin. Il faut donc que l’homme recevant son ultime perfection par la
rйsurrection, la crйature corporelle reзoive un statut diffйrent; et c’est
ainsi que le monde est dit renouvelй lors de la rйsurrection de l’homme, selon
ce que dit l’Apocalypse "Je vis un ciel nouveau et une terre
nouvelle" (21, 1) et Isaпe: "Voici que je crйe des cieux
nouveaux et une terre nouvelle" (65, 17). CHAPITRE 170: QUELLES CRЙATURES SERONT RENOUVELЙES ET QUELLES CRЙATURES
DEMEURERONT?
Cependant il faut savoir que divers genres de crйatures corporelles
sont ordonnйs а l’homme diffйremment. Il est manifeste en effet que les plantes
et les animaux sont au service de l’homme comme une aide а sa faiblesse, comme
la nourriture, le vкtement, les transports, que lui procurent ces crйatures.
Cependant en son ultime йtat grвce в la rйsurrection cette faiblesse
disparaоtra. En effet les hommes n’auront plus besoin d’aliments, йtant
incorruptibles, comme on l’a vu (chapitre 155); ni de vкtements, la clartй de
la gloire les revкtira; ni d’animaux pour les transporter leur agilitй y pourvoyant;
ni de remиdes pour conserver leur santй, car ils seront impassibles. Donc pour
ces crйatures corporelles: plantes, animaux et le reste des corps mixtes, en
cet йtat de l’ultime consommation, il est juste qu’elles ne subsistent plus. Quant aux quatre йlйments c’est-а-dire le feu, l’air, l’eau et la
terre, ils ne sont pas destinйs seulement а l’usage de la vie corporelle mais
aussi а la constitution du corps; car le corps humain est fait de ces йlйments.
Ainsi donc ils ont un rapport essentiel avec le corps humain. L’homme une fois
achevй en son corps et en son вme il est juste que ces йlйments subsistent,
mais changйs en une disposition meilleure. Les corps cйlestes quant а leur substance, s’ils ne sont d’aucun
usage pour la vie corruptible de l’homme, ni n’entrent dans la substance du
corps humain, servent l’homme par leur beautй et leur grandeur en lui montrant
l’excellence de son crйateur; d’oщ frйquemment l’Йcriture provoque l’homme а la
considйration des astres pour кtre ainsi amenй а tйmoigner son respect а Dieu,
comme il est clair par le prophиte Isaпe: "Levez en haut vos yeux et
demandez-vous qui les a crййs" (40, 26). Et bien que dans cet йtat de
perfection l’homme ne soit pas amenй des crйatures sensibles а la connaissance
de Dieu qui est vu en lui-mкme, cependant il est agrйable et dйlectable d’en
con naоtre la cause, de considйrer comment sa ressemblance se fait sentir dans
ses effets; d’oщ pour les saints c’est une joie de considйrer le reflet de sa
divine bontй principalement dans les corps cйlestes qui ont la prййminence sur
les autres. Les corps cйlestes ont aussi une relation en quel que sorte
essentielle avec le corps humain en raison de cause active, comme les йlйments
en raison de cause matйrielle. L’homme en effet engendre l’homme, (sous
l’action) du soleil. D’oщ et de cette maniиre convient-il que les astres
subsistent. Non seulement la mкme Constatation peut кtre faite par rapport а
l’homme mais aussi quant а la nature des crйatures corporelles. Ce qui en effet
n’a rien qui soit incorruptible ne peut demeurer dans cet йtat d’incorruption.
Les corps cйlestes sont incorruptibles selon leur tout ou leur partie; les
йlйments selon le tout non selon leur partie; l’homme selon une partie, l’вme
rationnelle mais non selon le tout parce que le composй est dissout par la mort;
les animaux et les plantes et les autres corps mixtes ne sont incorruptibles ni
selon le tout, ni selon la partie. Resteront donc а juste titre en cet ultime
йtat d’incorruption les hommes, les astres et les йlйments, mais non les autres
animaux, ni les plantes ou les corps mixtes. Si l’on considиre les choses sans leur universalitй il en doit кtre
ainsi. Comme en effet l’homme fait partie de l’univers corporel dans son ultime
achиvement il est nйcessaire que tout ce qui est corporel demeure; en effet la
partie n’est parfaite que dans le tout. Or l’univers corporel ne peut demeurer
sans ses parties essentielles. Or celles-ci sont les corps cйlestes et les
йlйments dont est faite ‘toute la machine du monde; le reste n’appartient pas,
semble-t-il, а l’intйgritй du corps universel, mais plu tфt а son ornement et а
sa beautй. C’est lа une situation de changement selon que d’un corps cйleste
comme agent et des йlйments comme matiиre sont engendrйs des animaux, des
plantes et des minйraux. Dans le statut de l’ultime consommation les йlйments
auront une autre parure correspondant а l’йtat d’incorruption. Demeureront donc
en cet йtat, les hommes, les йlйments et les corps cйlestes, mais pas les
animaux, les plantes et les minйraux. 1. Nous dirions plus simplement: "ce qui n’a rien en soi
d’incorruptible finira un jour". La formulation de saint Thomas est
apparemment йtriquйe, tautologique mкme, а cause de son induction qui fait
plusieurs fois mention de l’incorruption. CHAPITRE 171: LES CORPS CЙLESTES CESSERONT LEUR
MOUVEMENT
Comme les astres se meuvent continuellement, on pourrait penser
qu’alors leur substance demeurant, ils continueraient leur mouvement en ce
stade d’achиvement Et а la vйritй si le mouvement des astres est assimilй а
celui des йlйments cette position serait juste. En effet le mouvement des
йlйments est lourd ou lйger en fonction de leur perfection. Ils tendent par
leur mouvement naturel vers l’endroit qui leur convient pour leur meilleur
кtre. D’oщ dans cet ultime stade d’achиvement chaque йlйment et chacune de ses
parties aura son endroit propre. Mais on ne peut en dire autant des astres
puisque le corps cйleste ne peut reposer oщ que ce soit; mais de mкme qu’il a
son mouvement naturel pour tout endroit, ainsi s’en йcarte-t-il naturellement
Comme le mouvement ne fait pas partie de leur perfection il peut leur кtre
enlevй et donc rien n’est perdu chez eux. Il est ridicule aussi de dire que de mкme qu’un corps lйger se meut
vers le haut de par sa nature, ainsi le corps cйleste de par sa nature se meut
circulairement comme par un principe actif. Il est manifeste en effet que la
nature tend vers l’unitй; d’oщ ce qui par dйfinition rйpugne а l’unitй ne peut
кtre la fin derniиre de la nature. Or c’est ce qui se produit dans le mouvement
qui n’est jamais dans le mкme йtat. Donc la nature ne produit pas le mouvement
pour lui-mкme mais elle le cause pour arriver au terme du mouvement, comme ce
qui est lйger tend vers le haut et ainsi du reste. Comme donc le mouvement
circulaire d’un astre n’a pas de destination dйterminйe on ne peut dire que le
principe actif du mouvement circulaire d’un corps soit sa nature comme il l’est
du mouvement d’attraction des lourds et des lйgers. D’oщ leur nature demeurant
rien n’empкche que les corps cйlestes cessent leur mouvement, bien que le feu
tout en gardant sa nature ne puisse trouver du repos en dchors de son propre
lieu. Cependant le mouvement d’un astre est dit naturel non qu’il ait en
lui-mкme le principe de son mouvement, mais а cause du mobile lui-mкme qui est
apte а un tel mouvement. Il reste donc qu’il faut attribuer son mouvement а une
intelligence. Mais comme l’intelligence ne meut qu’en vue d’une fin il faut
chercher а savoir quelle est la fin du mouvement des astres. Or on ne peut pas
dire que le mouvement lui-mкme soit une fin; le mouvement en effet йtant une
voie vers la perfection, il n’est pas une fin mais en vue d’une fin.
Semblablement on ne peut dire que le changement de position est la fin du corps
cйleste, c’est-а-dire que son mouvement consisterait а кtre partout en acte oщ
il est en puissance parce que cela est infini et- que l’infini ne peut кtre une
fin. On est donc amenй а considйrer la fin du mouvement cйleste. En effet
il est manifeste que tout corps mы par une intelligence est l’instrument de
celle-ci. Or la fin du mouvement de l’instrument est la forme que conзoit
l’agent et qui par le mouvement de l’instrument est rйduite en acte. Or la fin
que l’intelligence divine poursuit par le mouvement du ciel est la perfection des
choses par gйnйration et corruption; et l’ultime fin de cela est la plus noble
des formes qui est l’вme humaine et dont la fin derniиre est la vie йternelle,
comme on l’a vu (chapitres 149 et 150). L Donc la fin ultime du mouvement cйleste est la multiplication des
hommes pour la vie йternelle. Or cette multitude ne peut кtre infinie; car
l’intention de toute intelligence s’arrкte en quelque chose de fini. Une fois
donc complet le nombre des hommes qui auront йtй produits pour la vie
йternelle, et ceux-ci y йtant йtablis, le mouvement cйleste cessera, comme
cesse le mouvement de tout instrument une fois l’oeuvre achevйe. Le mouvement
du ciel cessant cessera en consйquence le mouvement des corps infйrieurs, seul
exceptй chez l’homme le mouvement а partir de l’вme. Et ainsi tout l’univers
corporel aura une autre disposition et une autre forme, selon la ire aux
Corinthiens: "La figure de ce monde passe" (7, 31).
La rйtribution
(chapitres 172-183)
CHAPITRE 172: DE LA RЙCOMPENSE OU DU MALHEUR DE L’HOMME SELON
SES ЊUVRES
Nous considйrons maintenant que si pour parvenir а une fin on doit
suivre une voie dйterminйe ceux-lа ne l’obtiendront pas qui marchent par une
autre voie ou qui est contraire. En effet le malade ne guйrit pas s’il utilise
des moyens contraires et que le mйdecin dйfend ou ce sera alors fortuitement.
Or il y a une voie dйterminйe pour parvenir а la bйatitude et c’est la vertu.
En effet rien n’aboutit а la fin qu’en accomplissant bien ce qui lui est
propre. En effet la plante ne portera du fruit que si le mode de son opйration
naturelle se conserve en elle; ni le coureur ne parvient а conquйrir la palme
ou le soldat la victoire que si tous deux accomplissent leur tвche. Or l’homme
remplit correctement son devoir s’il agit selon la vertu; car la vertu d’une
chose est ce qui la rend bonne de mкme que son oeuvre, comme le dit Aristote (2
Eth. 6, 2). La vie йternelle йtant la fin derniиre de l’homme tous n’y
parviennent que ceux qui pratiquent la vertu. De plus. On a montrй (chapitres 123 а 135) que non seulement les
choses naturelles sont sous la divine providence mais aussi les humaines et en
gйnйral et en particulier. Or il appartient а celui qui prend soin de chacun de
nous en particulier de rйcompenser la vertu et de punir le pйchй; car la peine
est le remиde de la faute et son expiation, comme on l’a vu (chapitre 121). Or
la rйcompense de la vertu est la fйlicitй que Dieu dans sa bontй accorde а
l’homme. Il appartient donc а Dieu de rendre а ceux qui agissent
contrairement а la vertu non pas la fidйlitй mais au con traire le chвtiment
c’est-а-dire le malheur extrкme. CHAPITRE 173: LA RЙCOMPENSE ET LE CHВTIMENT VIENNENT DANS L’AUTRE VIE
Posons en principe que des contraires ont des effets contraires. Or
а l’action vertueuse s’oppose celle qui est malicieuse. Il faut donc que le
chвtiment auquel conduit l’action malicieuse soit le contraire de la fйlicitй
que mйrite l’action vertueuse. Or les contraires ressortissent au mкme genre.
Comme donc l’ultime bonheur qu’on obtient par une conduite vertueuse n’est pas
un bien de la vie prйsente, mais vient aprиs comme on l'a dit (chapitre 108) il
s’en suit que l’ultime malheur auquel aboutit la malice est un chвtiment dans
l’autre vie. En outre. On doit bien constater que tous les biens et tous les maux
de cette vie ont une destination. Car les biens extйrieurs et ceux mкmes du
corps sont au service de la vertu qui est la voie directe vers la bйatitude
pour ceux qui font bon usage de ces choses; de mкme pour ceux qui en font
mauvais usage, ils sont des instruments de leur malice qui conduit au malheur;
et semblablement les maux qui sont а l’opposй, comme l’infirmitй, la pauvretй
et autres choses de ce genre pour certains profitent а la vertu, pour d’autres
ils augmentent leur malice, selon la maniиre diffйrente de les utiliser. Or ce
qui est destinй а une autre chose ne peut кtre la fin derniиre qui suppose la
derniиre rйcompense et la derniиre peine. Et donc les biens et les maux de
cette vie ne sont ni l’ultime fйlicitй ni le dernier chвtiment. CHAPITRE 174: LE CHВTIMENT DE L’HOMME QUANT A LA PEINE DU DAM
Puisque le chвtiment auquel conduit la malice est con traire а la
fйlicitй auquel conduit la vertu, on doit juger du chвtiment par opposition а
ce qui est dit de la fйlicitй. Or on a vu (chapitres 104 а 107, 149, 164 а 166)
que l’ultime bonheur de l’homme, en ce qui concerne l’intelligence consiste
dans la pleine vision de Dieu, en ce qui concerne son affection dans la fermetй
et l’immobilitй de la volontй de l’homme en la bontй premiиre. Donc le plus
grand malheur de l’homme est que son intelligence sera totalement privйe de la
lumiиre divine et son affection obstinйment dйtournйe de la bontй divine; lа
est le malheur essentiel des damnйs et qu’on appelle la peine du dam. Cependant il faut considйrer, comme on l’a vu (chapitre 118) que le
mal n’exclut pas le bien totalement puisque tout mal a son fondement en quelque
bien. Donc le mal heur bien qu’opposй au bonheur, exempt lui de tout mal, a son
fondement en un bien naturel. Or le bien de la nature intellectuelle consiste
en ce que l’intelligence regarde le vrai et que la volontй tende au bien. D’oщ
il faut que l’intelligence de l’homme qui se trouve dans ce malheur extrкme ait
quelque connaissance et quelqu’amour de Dieu en tant qu’Il est le principe des
perfections naturelles, ce qui est l’amour naturel, mais non selon qu’il est en
lui-mкme, ni selon qu’Il est le principe des vertus ou encore des grвces et de
tous les autres biens par lesquels la crйature intellectuelle est par lui
amenйe а la perfection (et) qui est la perfection de la vertu et de la gloire. On ne peut pas dire non plus que ces malheureux sont privйs de
libertй, mкme si leur volontй est inйbranlablement affermie dans le mal, comme
c’est le cas des bien heureux qui sont affermis dans le bien. Car la libertй
s’йtend proprement а l’йlection de ce qui regarde la fin. Or la fin derniиre
est naturellement dйsirйe de tous; d’oщ tous les hommes du fait qu’ils sont intelligents
dйsirent naturellement le bonheur comme leur fin derniиre, а ce point que personne
ne peut vouloir кtre malheureux. Et cela ne rйpugne pas au libre arbitre qui
s’йtend seulement а ce qui conduit а la fin. Qu’un tel mette son bonheur en tel bien particulier, tel autre en
tel autre bien, cela ne leur vient pas en tant qu’hommes car dans telle
estimation ou appйtit les hommes sont diffйrents, mais en ce que chacun est
ainsi dis posй c’est-а-dire selon quelque passion ou habitude. Que s’il vient а
changer, une autre chose lui paraоtra bien meilleure. C’est ce qui apparaоt
surtout chez ceux qui par passion veulent quelque chose de meilleur; la passion
ces sont, par exemple la colиre ou la concupiscence, ils ne jugent plus de la
mкme maniиre ce bien comme avant. Les habitus sont plus tenaces et l’on
persйvиre plus fermement dans ces choses qu’on recherche par habitus. Cependant
aussi longtemps qu’un habitus peut changer, l’appйtit et l’apprйciation de
l’homme pour la fin derniиre peuvent aussi changer. Or ceci ne peut arriver aux hommes qu’en cette vie oщ ils sont en
йtat de changement; en effet aprиs cette vie l’вme ne peut plus changer et
prendre un autre parti parce qu’un tel changement n’est possible qu’incidemment
selon un certain changement concernant le corps. Mais aprиs avoir repris le
corps le changement mкme du corps ne suivra pas mais plutфt le contraire.
Maintenant en effet l’вme est infusйe а un corps en croissance et donc elle
s’adapte aux changements du corps. Alors le corps sera uni а l’вme
prйexistante; d’oщ il suivra totalement ses conditions. Donc l’вme selon qu’il
lui sera proposй telle ou telle fin au moment de la mort y demeurera а jamais,
la dйsirant comme ce qu’il y a de mieux, soit bonne soit mauvaise, selon ce que
dit l’Ecclйsiaste: "Si l’arbre tombe au sud ou au nord, ou quelqu’autre
lieu, il y sera" (11, 3). Ainsi donc aprиs cette vie ceux qui seront
trouvйs bons dans la mort auront pour toujours leur volontй confirmйe dans le
bien, ceux qui seront trouvйs mauvais seront pour toujours obstinйs dans le
mal. 1. Il faut distinguer l’habitude de l’"habitus". Dans
le langage courant l’habitude signifie ce que l’on fait souvent, habituellement
sans que cela entraоne une propension а agir de telle faзon plutфt que d’une
autre. L’"habitus" ajoute а la rйpйtition des actes quelque chose
d’acquis dans la facultй de l’homme, comme nous disons aussi "un
pli": avoir pris un bon ou un mauvais pli, soit une vertu soit un vice.
CHAPITRE 175: LES PЙCHЙS MORTELS NE SONT PAS REMIS APRИS CE VIE, MAIS
BIEN LES VЙNIELS
Les pйchйs mortels sont une aversion de la fin derniиre а l’endroit
de laquelle l’homme est affermi inйbranlablement aprиs la mort comme on l’a dit
(chapitres 166 et 174); or les pйchйs vйniels n’ont pas trait а la fin derniиre
mais а ce qui mиne а la fin. Mais si la volontй des mйchants est affermie
obstinйment dans le mal aprиs la mort, ils dйsireront toujours comme le
meilleur ce qu’ils auront recherchй. Ils ne regretteront pas d’avoir pйchй; car
personne ne regrette avoir recherchй ce qu’il estime кtre le meilleur. Mais il
faut bien savoir que ceux qui sont condamnйs а l’extrкme malheur n’obtiendront
pas aprиs la mort ce qu’ils ont dйsirй comme le meilleur: il ne sera pas donnй
aux luxurieux de pouvoir l’кtre encore, aux envieux le pouvoir de blesser et
d’entraver les autres et ainsi des autres vices. Mais ils sauront que ceux qui
ont vйcu selon la vertu ont obtenu ce qu’ils dйsiraient comme le meilleur. Les
mйchants regretteront donc d’avoir pйchй non que leurs pйchйs leur dйplaisent —
car mкme alors ils prйfиre raient commettre ces pйchйs s’ils le pouvaient que
de possйder Dieu — mais parce qu’ils ne peuvent avoir ce qu’ils ont choisi et
qu’ils auraient pu avoir ce qu’ils ont rejetй. Ainsi donc leur volontй
demeurera toujours obstinйe dans le mal et cependant ils regretteront
extrкmement les fautes commises et d’avoir perdu la gloire. Et cette douleur
est appelйe remords de la conscience, qui mйtaphoriquement est appelй ver,
selon ce que dit Isaпe: "Leur ver ne mourra pas." CHAPITRE 176: LES CORPS DES DAMNЙS SOUFFRIRONT ET DEMEURERONT INTACTS
SANS LES DONS
De mкme que chez les saints la bйatitude de l’вme rebondit en
quelque sorte sur le corps, comme on l’a dit (chapitre 168), ainsi aussi la
misиre de l’вme retombe sur les corps des damnйs tout en observant qu’elle
n’exclut pas le bien naturel de l’вme et de mкme pour le corps. Donc les corps
des damnйs seront intacts naturellement mais ne jouiront pas des privilиges qui
sont attachйs а la gloire des bienheureux; ils ne seront ni subtils ni
impassibles mais garderont leur lourdeur et leur souffrance qui seront
aggravйes; ils ne seront pas agiles mais а peine supportables а l’вme; ils
seront sans clartй mais obscurs comme pour manifester dans leurs corps
l’obscuritй oщ se trouve l’вme selon ce que dit Isaпe "Faces brыlйes
que leur visages" (13, 8). CHAPITRE 177: LES CORPS DES DAMNЙS QUOIQUE SOUFFRANT DEMEURERONT
INCORRUPTIBLES
Cela semble contredire ce que nous expйrimentons actuellement car "plus
la souffrance augmente plus le sujet diminue"[15].
Il y aura cependant alors une double raison а ce que la souffrance continue et
perpйtuelle ne corrompra pas les corps. La premiиre est que le mouvement du ciel cessant, comme on l’a vu (chapitre
171) toute mutation naturelle ces sera. Il n’y aura donc plus d’altйration
naturelle mais seulement de l’вme. Altйration naturelle s’entend par exemple le
passage du chaud au froid ou ce qui de quelque faзon varie selon sa qualitй
naturelle. Altйration de l’вme s’entend quand quelque chose acquiert une
qualitй non pas dans son йtat naturel mais immatйrialisй, comme la pupille de
l’oeil qui ne reзoit pas la couleur comme telle mais en est impressionnйe. Ainsi
donc les corps des dam nйs souffrirons du feu ou de tout autre йlйment
corporel, non qu’ils soient changйs en l’espиce ou qualitй du feu mais ils
seront impressionnйs par l’excellence de ses qualitйs et lа sera leur
affliction en tant que cette excellence contrariera l’harmonie dont est fait le
plaisir sensible. Cependant il n’y aura aucune corruption car l’impression
immatйrielle des formes ne transforme pas la nature corporelle autrement qu’accidentelle". La seconde raison se trouve du cфtй de l’вme dont l’immortalitй sera
transmise au corps par un effet divin. D’oщ l’вme en tant que forme et nature
de tel corps lui confйrera un кtre perpйtuel; cependant elle ne pourra pas
l’empкcher de souffrir n’en ayant pas la facultй. Ainsi donc ces corps
souffriront йternellement sans cependant se corrompre. CHAPITRE 178: LE CHВTIMENT DES DAMNЙS EXISTE AVANT MКME LA RЙSURRECTION
Ainsi donc selon ce qu’on vient de voir il est clair que la fйlicitй
ou le chвtiment consistent principalement dans l’вme; accessoirement et par une
sorte de dйrivation dans le corps. Donc le bonheur ou le malheur de l’вme ne
dйpendent pas du corps heureux ou malheureux mais plu tфt а l’inverse. Comme
donc aprиs la mort les вmes subsistent avant de reprendre leur corps, les unes
avec la bйatitude comme rйcompense, les autres avec le malheur comme chвtiment,
il est manifeste qu’avant mкme d’avoir repris le corps, les вmes des uns
jouiront de la dite fйli citй, selon l’Apфtre: "Nous savons que si notre
demeure terrestre oщ nous habitons se dissout, nous avons de Dieu un йdifice,
une maison non faite de mains d’homme mais йternelle dans le ciel" (2 Cor
5, 1) et il continue: "Nous avons la hardiesse et une bonne raison de
prйfйrer sortir du corps pour кtre prйsents au Seigneur". D’autres
вmes vivront malheureuses, selon Luc "Le riche mourut et fut enseveli
en enfer" (16, 22). CHAPITRE 179: LA PEINE DES DAMNЙS EST CORPORELLE ET SPIRITUELLE
Il faut cependant savoir que le bonheur des вmes sain tes consiste
en choses spirituelles; mais la peine des dam nйs avant la rйsurrection ne sera
pas seulement spirituelle, comme certains l’ont pensй, mais ils auront aussi а
subir des peines corporelles. La raison de cette diffйrence est que les вmes
des saints tant qu’elles furent en ce monde unies au corps ont observй l’ordre
en ne se soumettant pas aux appйtits du corps, mais а Dieu seul dont la
jouissance est cause de toute fйlicitй et non dans des biens du corps; les вmes
des mйchants n’ayant pas observй l’ordre naturel se sont attachйes aux choses
corporelles tout en mйprisant les choses divines et spirituelles. D’oщ la
consйquence qu’elles sont punies non seulement en la privation des biens
spirituels mais aussi en йtant assujetties aux choses corporelles. Si donc il se trouve dans les Saintes Йcritures des promesses de
biens corporels comme rйtribution des вmes saintes elles doivent кtre exposйes
au sens mystique selon que dans ces textes les choses spirituelles sont
habituellement comparйes aux choses corporelles. Mais ce qu’elles prйdisent des
peines corporelles infligйes aux вmes des damnйs, comme d’кtre tourmentйes du
feu de l’enfer, cela doit кtre interprйtй littйralement. CHAPITRE 180: L’ВME PEUT-ELLE SOUFFRIR DU FEU?
Pour qu’on ne puisse pas trouver absurde que l’вme sйparйe du corps
souffre du feu il faut considйrer qu’il n’y a rien de contraire а ce qu’une
nature spirituelle soit liйe а un corps. En effet cela se fait aussi par
nature, comme il appert dans l’union de l’вme et du corps; et par la magie par
laquelle un esprit est attachй а des statues, des anneaux ou autres choses.
Cela donc peut aussi se produire par la vertu divine que des substances
spirituelles, bien que selon leur nature elles soient йlevйes au- dessus de
tous les кtres corporels, puissent кtre liйes а des corps, par exemple au feu
infernal non qu’elles l’animent mais parce qu’elles lui sont en quelque sorte
astreintes. Et d’кtre ainsi soumise en quelque sorte а une nature infйrieure,
c’est une affliction pour une substance spirituelle. En tant donc qu’une telle apprйhension est afflictive pour une
substance spirituelle se vйrifie ce qu’on dit que l’вme brыle du fait mкme
qu’elle se voit brыler; et de plus ce feu est spirituel, car il afflige
directement, le feu, qui est saisi comme si on y йtait attachй. En tant que le
feu, auquel elle est liйe, est corporel, se vйrifie ce que dit Grйgoire (Dial.
4, 29) que l’вme non seulement en le voyant mais aussi en l’expйrimentant
souffre du feu. Et parce que ce feu, non de sa nature mais par la vertu divine,
peut s’attaquer а une substance spirituelle, d’aucuns disent justement, que ce
feu agit sur l’вme comme instrument de vengeance de la divine justice; mais il
n’agit pas sur la substance spirituelle comme sur les corps en les йchauffant,
les sйchant, les dissolvant mais en s’y attachant comme on vient de le dire. Et
parce que ce qui afflige le plus une substance spirituelle est l’apprйhension
d’un feu qui se l’attache pour la chвtier on peut alors se rendre compte que
son affliction ne cesse pas, mкme si pour un moment elle en йtait dispensйe,
comme celui qui serait condamnй а la prison perpйtuelle n’en sentirait pas
moins une souffrance continue mкme si pour un instant il йtait mis en libertй. CHAPITRE 181: APRИS CETTE VIE IL Y A DES PEINES PURIFICATRICES NON
ЙTERNELLES POUR EXPIER LES PEINES DUES AUX PЙCHЙS MORTELS NON SATISFAITES EN
CETFE VIE
Bien qu’il se trouve des вmes qui aussitфt libйrйes de leur corps
obtiennent la bйatitude йternelle, comme on l’a vu (chapitre 178), cependant d’aucunes
sont retardйes pour un temps. Il arrive en effet que certains pour des pйchйs
commis, dont ils se sont enfin repentis, n’ont pas fait pйnitence en cette vie.
Et parce que l’ordre de la justice divine veut que pour les fautes il y ait une
peine, il faut bien qu’aprиs cette vie leurs вmes expient la peine qu’ils n’ont
pas satisfaite en ce monde. Mais elles ne sont pas rйduites а l’extrкme misиre
des damnйs puisque par la pйnitence elles ont йtй ramenйes а l’йtat de charitй
par quoi elles adhйrиrent а Dieu comme а leur fin derniиre et mйritиrent la vie
йternelle. D’oщ il reste aprиs cette vie des peines purificatrices pour
satisfaire aux peines non expiйes. CHAPITRE 182: LES PЙCHЙS VЙNIELS DOIVENT AUSSI AVOIR LEUR PURIFICATION
Semblablement il arrive aussi que d’aucuns soient dйcйdйs de cette
vie sans pйchй mortel mais cependant avec quelque pйchй vйniel qui ne les
dйtourne pas de leur fin derniиre bien que ce soit sur ce qui mиne а la fin par
un attachement coupable. Ces pйchйs а la vйritй chez quelques saints
personnages ont йtй effacйs par la ferveur de leur charitй. Mais chez les
autres ils doivent purger ces pйchйs par quelque, peine car on ne parvient а
obtenir la vie йternelle que si l’on est exempt de tout pйchй et dйfaut. Il
faut donc admettre des peines purificatrices aprиs cette vie. Mais ces peines ont leur effet de purification selon la condition de
ceux qui les subissent; or ils ont la charitй par laquelle ils sont conformes а
la volontй de Dieu et par la vertu de cette charitй les peines qu’ils endurent
leur sont utiles pour les purifier. D’oщ ceux qui n’ont pas la charitй, comme
sont les damnйs, les peines ne les purifient pas, mais l’imperfection du pйchй
demeure et donc la peine dure toujours. CHAPITRE 183: POUR UNE FAUTE TEMPORELLE, RЙPUGNE-T-IL A LA JUSTICE
DIVINE QU’ON SUBISSE UNE PEINE ЙTERNELLE?
Ce n’est pas contraire а la justice divine que quelqu’un subisse une
peine йternelle, car mкme les lois humaines ne font pas dйpendre une peine en
la mesurant au temps. En effet pour le pйchй d’adultиre ou d’homicide commis en
un court moment, la loi humaine fait encourir parfois l’exil ou mкme la mort;
ce qui sйpare pour toujours de la sociйtй civile; que si cet exil ne dure pas
pour toujours c’est accidentel puisque la vie humaine n’est pas perpйtuelle,
mais l’intention du juge semble bien tendre, autant que possible, а punir pour
toujours. D’oщ il n’y a rien d’injuste si pour un pйchй momentanй et temporel
Dieu dйcide une peine йternelle. Semblablement il faut admettre que la peine est infligйe au pйcheur
qui ne se repent pas de son pйchй et qui donc perdure en lui jusqu’а la mort.
Et comme il pиche dans son кtre йternel il est rationnel que Dieu le punisse
йternellement. Tout pйchй commis contre Dieu revкt une sorte d’infinitй par rapport
а Dieu. Il est manifeste en effet que la personne offensйe plus elle est
importante plus aussi l’offense est grave: celui qui gifle un soldat est plus
gravement coupable que s’il donne ce soufflet а un rustre; et encore davantage
s’il s’agit d’un prince ou d’un roi. Or comme Dieu est infiniment plus grand,
l’offense commise contre Lui est en quelque sorte infinie, d’oщ une peine en
somme infinie lui est-elle due. Mais la peine n’est pas infinie en intensitй
parce que rien de crйй ne peut кtre infini. D’oщ il reste qu’une peine de durйe
infinie est due pour le pйchй mortel. De mкme. A celui qui peut кtre corrigй on inflige une peine
temporelle pour sa correction ou amendement. Si, donc quelqu’un ne peut кtre
corrigй, mais que sa volontй reste obstinйment affermie dans le pйchй, comme on
l’a dit des damnйs (chapitre 174 et 175), sa peine ne peut avoir de terme
final. CHAPITRE 184: CE QU’ON A DIT PRЙCЙDEMMENT CONVIENT AUSSI AUX AUTRES
SUBSTANCES SPIRITUELLES COMME AUX ВMES
Comme l’homme en sa qualitй de nature spirituelle est comparable а
l’ange chez qui peut aussi se trouver le pйchй comme aussi chez les hommes,
comme on l’a vu (chapitre 112 et 120), tout ce qui est dit de la peine ou 4e la
gloire des вmes doit кtre entendu de la gloire des bons et de la peine des
mauvais anges. Cependant il y a cette diffйrence entre les hommes et les anges
que la confirmation de la volontй dans le bien et l’obstination dans le mal de
l’вme humaine a lieu lorsqu’elle se sйpare du corps, comme on l’a vu (chapitre 174)
tandis que les anges aussitфt que de volontй dйlibйrйe ils ont fixй leur fin en
Dieu ou dans le crйй, dиs ce moment ils sont bons ou mauvais, bienheureux ou
malheureux. En effet dans l’вme humaine le changement est possible non
seulement selon la libertй volontaire, mais de par la mutation corporelle; chez
les anges seul le libre arbitre dйcide. Et donc chez eux dиs le premier choix
sont-ils immuablement fixйs tandis que nos вmes le sont seulement aprиs leur
sйparation du corps. Donc c’est pour exprimer la rйcompense des bons qu’il est dit dans
le Symbole de la Foi: "La vie йternelle". Cette vie, ne
doit pas кtre seulement comprise quant а sa durйe mais plutфt а cause de la
jouissance йternelle. Mais comme а ce propos beaucoup d’autres choses sont а croire,
et qu’on a dites au sujet des peines des damnйs et de la fin du monde, pour
rйsumer tout cela il est dit au Symbole
des Pиres: "La vie du siиcle futur". Car le siиcle futur comprend toutes ces
choses.
SECOND TRAITЙ: L'HUMANITE DU CHRIST
CHAPITRE 185: DE LA FOI DANS L’HUMMANITИ DU CHRIST
Comme on l’a dit au commencement, la foi chrйtienne s’occupe
principalement de deux choses: c’est-а-dire de la divine trinitй et de
l’humanitй du Christ. Aprиs avoir traitй de la divinitй et de ses effets, il
reste а considйrer ce qui a trait а l’humanitй du Christ. Et comme l’Apфtre dit
que le Christ est venu en ce monde pour sauver les pйcheurs (1 Tim 1, 15) il
faut au prйalable considйrer ce que fut la chute du genre humain dans le pйchй
afin que soit connu ‘avec plus d’йvidence comment l’humanitй du Christ a
dйlivrй les hommes de leurs pйchйs. A — Le rйgne du pйchй (chapitre 186 а 198)
CHAPITRE 186: DES PRЙCEPTES DONNЙS AU PREMIER HOMME ET DE LA PERFECTION
DE CELUI-CI EN SON PREMIER ЙTAT
Comme nous l’avons dit plus haut (chapitre 152), l’homme fut
constituй par Dieu dans une condition telle que le corps soit entiиrement
soumis а l’вme; en outre, parmi les parties de l’вme, les forces infйrieures
devaient кtre soumises sans rйpugnance а la raison et la raison elle-mкme а
Dieu. Or de ce que le corps йtait soumis а l’вme il se faisait qu’aucune
passion du corps ne pouvait se produire qui rйpugnerait а la domination de
l’вme sur le corps. D’oщ ni la mort, ni l’infirmitй n’avaient place en l’homme.
Et par la soumission des forces intйrieures а la raison rйgnait dans l’homme
une parfaite tranquillitй d’esprit parce que la raison humaine n’йtait troublйe
par aucune passion dйsordonnйe. De ce que la volontй de l’homme йtait soumise а
Dieu, l’homme rapportait tout а Dieu comme а sa fin derniиre; ce en quoi
consistaient sa justice et son innocence. De ces trois (le corps, l’вme et Dieu), le dernier йtait cause par
rapport aux deux autres. En effet ce n’йtait pas de la nature du corps, si l’on
considиre ses composants, qu’en lui n’ait pas lieu la dissolution ou tout autre
passion qui rйpugne а la vie puisqu’il йtait composй d’йlйments contraires. Semblablement
il n’йtait pas dans la nature de l’вme que les forces mкme sensibles soient sou
mises а la raison sans aucune rйpugnance puisque ces for ces sensibles se
meuvent naturellement vers ce qui est dйlectable aux sens et qui rйpugne en
bien des maniиres а la droite raison. Cela donc venait d’une vertu supйrieure,
c’est-а-dire de Dieu. De mкme qu’il avait uni au corps une вme raisonnable,
laquelle excиde toute proportion du corps et des forces corporelles, comme sont
les facultйs sensibles, ainsi Il a donnй а l’вme rationnelle la vertu
nйcessaire pour maintenir le corps au-dessus de sa condition, et comme aussi
des forces sensibles, comme il con venait а une вme rationnelle. Afin donc que la raison maintienne les choses infйrieures fermement
sous elle il fallait qu’elle-mкme se main tienne fermement sous Dieu dont elle
tenait la vertu prйcitйe, supйrieure а sa condition naturelle. Donc l’homme fut
ainsi constituй qu’а moins que sa raison ne se soustraie а Dieu, ni son corps
ne pouvait se Soustraire а un ordre de l’вme, ni les forces sensibles а la
rectitude de la raison: d’oщ une vie immortelle et impassible, c’est-а-dire
qu’il ne pouvait mourir ni souffrir s’il ne pйchait pas. Mais il pouvait pйcher
tant que sa volontй n’йtait pas encore confirmйe en l’adoption de la fin
derniиre et dans cette йventualitй il pouvait souffrir et mourir. Et en cela diffиrent l’impassibilitй et l’immortalitй du premier homme
de celle que les saints auront а la rйsurrection qui jamais ne pourront ni
souffrir ni mourir, leur volontй йtant complиtement confirmйe en Dieu, comme on
l’a dit plus haut (chapitre 166). Une autre diffйrence aussi existait, car
aprиs la rйsurrection, les hommes n’useront plus ni de la nourriture ni des
choses de la chair; or le premier homme de celles que les saints auront а la
rйsurrection qui jamais ne pourront ni souffrir ni mourir, leur d’assurer la
race, le genre humain se multipliant а partir d’un seul. D’oщ il reзut deux
prйceptes pour sa condition: pour la premiиre il lui fut dit: "De tout
arbre qui est dans le paradis tu mangeras"; pour la seconde il lui fut
dit: "Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre." CHAPITRE 187: CE PARFAIT ЙTAT AVAIT NOM: JUSTICE ORIGINELLE, ET DE
L’ENDROIT OЩ L’HOMME FUT PLACЙ
Cet йtat de l’homme si bien ordonnй s’appelle justice originelle,
par laquelle il йtait soumis а son supйrieur et les choses infйrieures lui
йtaient soumises selon ce qui est dit: "Qu’il prйside aux poissons de
la mer et aux oiseaux du ciel." Et parmi ses parties l’infйrieure
aussi йtait soumise sans rйpugnance а la supйrieure. Cet йtat fut а la vйritй
concйdй au premier homme non comme а une personne singuliиre mais comme au
principe de la nature humaine, de sorte que par lui il serait transmis avec la
nature humaine а ses descendants. Et parce qu’а chacun est dы un endroit а la convenance de sa
condition, l’homme ainsi rйglй, fut placй dans un lieu le plus tempйrй et
dйlicieux pour que toute vexation lui soit йpargnйe non seulement quant aux
peines intйrieures mais aussi de toutes autres extйrieures. CHAPITRE 188: DE L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL ET DU PREMIER
PRЙCEPTE DONNЙ A L’HOMME
Parce que cet йtat de l’homme dйpendait de la soumission de la
volontй humaine а Dieu, pour que l’homme dиs le commencement s’habituвt а
suivre la volontй de Dieu, celui-ci lui proposa des prйceptes c’est-а-dire
qu’il pыt manger de tous les arbres du paradis, lui dйfendant sous menace de
mort de manger de l’arbre de la science du bien et du mal; manger de ce fruit
йtait dйfendu non qu’il fыt en soi mauvais mais pour que l’homme au moins en ce
peu de choses obйisse pour l’unique raison que c’йtait dйfendu par Dieu: d’oщ
le fait de manger de cet arbre devint mauvais parce que dйfendu. Cet arbre de
la science du bien et du mal йtait ainsi appelй non qu’il aurait йtй cause de
connaissance mais par ce qui s’en sui vit c’est-а-dire que l’homme en le
mangeant apprit par expйrience la diffйrence entre le bien de l’obйissance et
le mal de la dйsobйissance. CHAPITRE 189: LE DIABLE SЙDUIT ЙVE
Le diable donc qui avait dйjа pйchй, voyant l’homme ainsi constituй
qu’il pouvait parvenir а l’йternelle fйlicitй, d’oщ lui йtait tombй, et
nйanmoins qu’il pourrait pйcher, entreprit de le dйtourner de la droite
justice, attaquant l’homme par le cфtй le plus faible, tentant la femme chez
qui rйgnait moins le don ou la lumiиre de la sagesse; et afin de l’entraоner
plus facilement dans la transgression du prйcepte, il exclut frauduleusement la
crainte de la mort et il lui propose ce а quoi l’homme tend naturellement:
йviter l’ignorance, lui disant: "Vos yeux s’ouvriront" et
l’excellence de leur condition. "Vous serez comme des dieux" et
la perfection de la connaissance "Sachant le bien et le mal".
L’homme en effet du cфtй de l’intelligence fuit naturellement l’ignorance et
dйsire la science; du cфtй de la volontй, qui naturellement est libre, il
aspire а l’йlйvation et а la perfection pour n’кtre soumis а personne ou aux
moins d’hommes possible. CHAPITRE 190: QU’EST-CE QUI A SЙDUIT LA FEMME
La femme convoita donc l’йlйvation promise et en mкme temps la
perfection de la science. A cela s’ajoute la beautй et la suavitй du fruit
appйtissant et ainsi, mйprisant la crainte de la mort, elle transgressa le
prйcepte divin en mangeant du fruit dйfendu; et ainsi son pйchй s’est trouvй
кtre multiple: d’abord la superbe qui aspire а une excellence dйsordonnйe; en
second lieu la curiositй en dйsirant une science au-delа des limites prescrites;
en troisiиme lieu la gourmandise que la suavitй du fruit poussa а manger; en
quatriиme lieu l’infidйlitй par une fausse estimation de Dieu, croyant aux
paroles du diable contrairement а celles de Dieu; cinquiиmement, la
dйsobйissance en transgressant le prйcepte divin. CHAPITRE 191: COMMENT LE PЙCHЙ PARVINT JUSQU’A L’HOMME
C’est par la persuasion de la femme que le pйchй par vient jusqu’а
l’homme qui cependant, comme le dit l’Apфtre, ne fut pas sйduit comme la femme
(1 Tim 2, 14) c’est-а-dire en ce qu’il aurait cru aux paroles du diable qui
contredisait Dieu. En effet il ne pouvait lui venir а l’idйe que Dieu avait
menacй par quelqu’astuce et dйfendu inutilement une chose utile. Cependant il
fut allйchй par la promesse du diable en dйsirant indыment l’excellence et la
science. Par lа sa volontй s’йloignait de la droite justice et voulant plaire а
sa femme, il la suivit dans la transgression du prйcepte divin en mangeant du
fruit de l’arbre dйfendu. CHAPITRE 192: CONSЙQUENCE DE LA FAUTE: RЙBELLION DES FORCES INFЙRIEURES
A LA. RAISON
Comme donc de cet йtat si parfaitement ordonnй toute l’intйgritй
dйpendait de la soumission de la volontй humaine а Dieu, la consйquence fut que
une fois soustraite а la soumission а Dieu, dйpйrisse en mкme temps la
soumission des forces infйrieures а la raison et du corps а l’вme. D’oщ la
consйquence que l’homme sentоt dans l’appйtit sensible infйrieur les mouvements
dйsordonnйs de la concupiscence, de la colиre et des autres passions non selon
l’ordre de la raison, mais plutфt lui rйsistant et le plus souvent l’obnubilant
et comme la perturbant; c’est la rйsistance de la chair contre l’esprit dont
parle l’Ecriture (Rom 7, 14-25; Gal 5, 16-26). Car comme l’appйtit sensitif
ainsi que les autres forces sensitives, opиrent par un instrument corporel, la
raison de son cфtй sans aucun organe corporel, il est juste que ce qui
appartient а l’appйtit sensitif soit imputй а la chair et ce qui appartient а
la raison imputй а l’esprit pour autant que les substance ces spirituelles sont
dites celles qui sont sйparйes des corps. CHAPITRE 193: DE LA PEINE PORTЙE QUANT A LA NЙCESSITЙ DE MOURIR
Il s’en suivit aussi que le corps serait affectй de la corruption et
que par lа l’homme encourrait nйcessairement la mort, l’вme n’йtant plus en
quelque sorte capable de contenir le corps pour toujours en lui fournissant la
vie. D’oщ l’homme en est devenu passible et mortel, non seulement comme pouvant
souffrir et mourir comme auparavant mais comme condamnй а la souffrance et а la
mort. CHAPITRE 194: DES AUTRES DЙFAUTS CONSЙCUTIFS DANS L’INTELLIGENCE ET LA
VOLONTЙ
Par voie de consйquence s’en suivirent dans l’homme beaucoup
d’autres dйfauts. En effet dans l’appйtit infйrieur abonda le dйsordre des
moeurs; en mкme temps aussi dans la raison s’йteignit la lumiиre de la sagesse
par laquelle Dieu l’йclairait tandis que la volontй lui йtait sou mise; en
consйquence il assujettit son coeur aux choses sensibles qui l’йloignиrent de
Dieu l’entraоnant dans de nombreux pйchйs. Progressivement il se fit l’esclave
des esprits impurs croyant trouver chez eux une aide pour sa conduite dans
l’acquisition de ces choses. Et ainsi dans le genre humain l’idolвtrie et
toutes sortes de pйchйs firent leurs ravages et plus en cela l’homme se
corrompait plus il s’йloignait de la connaissance et du dйsir des biens
spirituels et divins. CHAPITRE 195: COMMENT CES DЙFAUTS SE SONT TRANSMIS A LA POSTЙRITЙ
Ce bienfait de la justice originelle attribuй divinement au genre
humain en la personne du premier pиre devait кtre par celui-ci transmis а ses
descendants. Or la cause йtant йcartйe il en fut de mкme pour ses effets de
sortes que le premier homme privй par son propre pйchй de ce bienfait tous les
descendants en йtaient privйs et ainsi du reste c’est-а-dire qu’aprиs le pйchй
du premier parent tous sont nйs sans la justice originelle et avec tous les
dйfauts qui en rйsultent. Et ce n’est pas contraire а l’ordre de la justice
comme si Dieu punissait dans les fils ce que le premier pиre a commis; car
cette peine n’est que la soustraction de ce qui fut concйdй divinement au
premier homme dans l’ordre surnaturel et par lui devait кtre transmis а
d’autres Donc ce n’etait dы а d’autres qu’а la condition de leur кtre transmis
par leur premier pиre. C’est comme un roi qui gratifie un soldat d’un fief pour
кtre transmis par lui а ses hйritiers; que s’il pиche contre le roi il mйrite
de perdre ce fief qui ne pourra pas кtre par aprиs transmis aux hйritiers; d’oщ
les descendants sont justement privйs par la faute du pиre CHAPITRE 196: LA PRIVATION DE LA JUSTICE ORIGINELLE ENTRAОNE T ELLE UNE
CULPABILITЙ CHEZ LES DESCENDANTS?
Mais une question plus pressante se pose: est-ce que la privation de
la justice originelle chez ceux qui sont nйs du premier pиre peut revкtir un
caractиre de culpabilitй. Ce caractиre consiste en ce que, comme on l’a dit
plus haut (chapitre 120), le mal est imputable s’il est au pouvoir de celui а
qui la faute est imputйe. En effet personne n’est rendu coupable de ce qui
n’est pas en lui de faire ou de ne pas faire. Or il n’est pas au pouvoir de
celui qui naоt de naоtre avec ou sans la justice originelle; d’oщ il semble
bien qu’une telle privation ne puisse avoir un caractиre de culpabilitй. Mais ce problиme se rйsout facilement si l’on distingue entre la
personne et la nature. De mкme en effet que dans une seule personne il y a
beaucoup de membres ainsi dans la seule nature humaine il y a beaucoup de
personnes de sorte que par participation а l’espиce beaucoup d’hommes sont
regardйs comme йtant un seul homme, comme le dit Porphyre (Isag. 2 c De
specie). Or il faut savoir au sujet du pйchй d’un homme que des membres
diffйrents commettent diffйrents pйchйs et il n’est pas requis а la culpabilitй
que chacun des pйchйs soit voulu de la volontй des membres qui les commettent
mais de la volontй de ce qui est principal en l’homme c’est-а-dire la partie
intellective. En effet la main ne peut pas ne pas frapper, ni le pied ne pas
marcher quand la volontй l’ordonne. De cette maniиre donc la privation de la justice originelle est un
pйchй de nature en tant qu’il provient de la volontй dйsordonnйe du premier
principe de la nature humaine, а savoir du premier pиre, et ainsi il est
volontaire en regard de la nature, c’est-а-dire de par la volontй du premier
principe de la nature et ainsi il passe en tous ceux qui reзoivent de lui la
nature humaine comme s’йtendant а ses membres. Et а cause de cela il est appelй
pйchй d’origine car par origine il est descendu du premier pиre dans ses
descendants. Comme donc les autres pйchйs c’est-а-dire actuels se rapportent
directement а la personne qui pиche, celui-ci se rapporte directement а la
nature. Car le premier pиre par son pйchй a portй atteinte а la nature et
celle-ci affectйe affecte la personne des fils qui l’ont reзue. CHAPITRE 197: TOUS LES PЙCHЙS NE SONT PAS TRANSMIS AUX DESCENDANTS
Nйanmoins tous les autres pйchйs, soit du premier pиre, soit aussi
des autres ne sont pas transmis aux descendants; car le premier pйchй du
premier pиre enleva tout le don confйrй surnaturellement pour la nature humaine
en la personne du premier pиre et ainsi est-il dit avoir corrompu ou infectй la
nature. D’oщ les pйchйs qui ont suivi n’ont rien qu’ils puissent soustraire а
toute la nature humaine mais ils enlиvent ou diminuent un bien particulier
c’est-а-dire personnel, ni ne corrompent la nature si ce n’est en ce qui
regarde telle ou telle personne. Or l’homme n’engendre pas son semblable en
personne mais en nature; et c’est pourquoi n’est pas transmis par le pиre en
ses descendants ce qui vicie la personne mais le premier pйchй qui a viciй la
nature. CHAPITRE 198: LE MЙRITE D’ADAM NE FUT PAS UTILE A SES DESCENDANTS POUR
LA RЙPARATION
Bien que le pйchй du premier pиre ait infectй toute la nature
humaine cependant toute la nature ne put кtre rйparйe par sa pйnitence ou
quelqu’autre mйrite. Il est en effet йvident que la pйnitence d’Adam ou tout
autre mйrite fut l’acte d’un particulier; or l’acte d’un individu n’a aucune
influence sur toute la nature de l’espиce. En effet les causes qui ont une
telle influence sont des causes йquivoques et non univoques. Le soleil en effet
est la cause de la gйnйration dans toute l’espиce humain&, mais l’homme est
la cause de la gйnйration de cet homme Donc le mйrite particulier d’Adam ou de
tout autre homme ne pouvait suffire а la rйintйgration de toute la nature. Que
par un acte singulier du premier homme toute la nature ait йtй viciйe c’est une
consйquence accidentelle en tant que privй de l’йtat d’innocence il ne put le
transmettre а d’autres. Et bien que par la pйnitence il soit rentrй en grвce,
il ne put cependant revenir а sa premiиre innocence а laquelle avait йtй
concйdй par Dieu le don de la justice originelle. Semblablement il est йvident que cet йtat de justice originelle fut
un don spйcial de la grвce; la grвce ne s’acquiert pas par mйrite mais est
gratuitement confйrйe par Dieu. Donc de mкme que le premier homme n’a pas
mйritй dиs le commencement la justice originelle mais de par un don de Dieu,
ainsi aussi et beaucoup moins encore pouvait-il la mйriter par la pйnitence ou
quelqu’autre oeuvre. B — Le mystиre de l’incarnation (chapitre 199 а 220)
1° Les motifs (chapitre 199 а 201)
CHAPITRE 199: LA RЙPARATION DE LA NATURE HUMAINE PAR LE CHRIST
Or il fallait que la nature humaine ainsi infectйe soit rйparйe par
la providence divine. Elle ne pouvait parvenir а la bйatitude parfaite que si
cette infection йtait йcartйe, parce que la bйatitude йtant le bien parfait ne
tolиre aucune dйficience et surtout pas le pйchй lequel en quel que sorte
s’oppose а la vertu qui est le chemin qui con duit а Dieu, comme on l’a vu (chapitre
172). Et ainsi comme l’homme est fait pour la bйatitude parce qu’elle est sa
fin derniиre, il s’en suivrait que l’oeuvre de Dieu serait frustrйe dans une si
noble crйature; ce que le Psalmiste juge inconvenant en disant: "Est-ce
donc en vain que tu as crйй les enfants des hommes ?" (Ps 88, 48). Il
fallait donc que la nature humaine soit rйparйe. En outre la bontй divine excиde le pouvoir de la crйature pour le
bien. Or il est clair par ce qu’on a dit (chapitres 144, 145 et 174) que telle
est la condition de l’homme aussi longtemps qu’il est en cette vie mortelle de
mкme qu’il n’est pas confirmй inйbranlablement dans le bien ainsi, aussi ne
l’est-il pas dans le mal. Il est donc propre а la condition humaine de pouvoir
кtre purifiйe de l’infection du pйchй. Il ne fut donc pas convenable que la
bontй divine laissвt totalement vaine sa puissance, ce qui aurait eu lieu si
elle ne lui eut pas procurй un remиde pour sa rйparation. CHAPITRE 200: C’EST PAR SEUL INCARNЙ QUE LA NATURE A DЫ КTRE RЙPAREE
On a montrй (chapitre 198) que ni Adam ni quelqu’autre homme aussi
pur soit-il (selon le texte latin: "pur" veut dire "simple"
comme on dit: un simple mortel, surtout que le mot revient trois lignes plus
bas: un pur homme) ne pouvaient nous racheter, soit parce que nul homme
particulier n’avait prййminence sur toute la nature, soit que nul pur homme ne
puisse кtre cause de la grвce. Par la mкme raison donc aucun ange ne pouvait
rйparer, parce que l’ange ne peut кtre cause de la grвce ni la rйcompense de
l’homme quant а la parfaite et derniиre bйatitude а laquelle l’homme devait
кtre ramenй, car en cela ils sont йgaux[16].
Il reste donc que Dieu seul pouvait opйrer cette rйparation. Mais si Dieu eut rйparй l’homme par sa seule volontй et puissance,
l’ordre de la divine justice n’aurait pas йtй sauf qui veut que satisfaction
soit faite pour le pйchй. Or Dieu n’est pas susceptible de satisfaire ou de
mйriter car cela est affaire de subalterne. Ainsi donc il n’йtait pas de la
compйtence de Dieu de satisfaire pour le pйchй, ni un pur homme ne le pouvait (chapitre
198). Il fut donc juste que Dieu se fit homme afin qu’ainsi ce soit le mкme qui
puisse et rйparer et satisfaire; et cette cause de l’incarnation divine
l’Apфtre l’indique: "Le Christ Jйsus est venu dans le monde pour sauver
les pйcheurs" (1 Tim 1, 13). CHAPITRE 201: DES AUTRES MOTIFS DE L’INCARNATION DU FILS DE DIEU
Il y a cependant d’autres causes de l’incarnation divine. Parce
qu’en effet l’homme s’йtait йloignй des choses spirituelles pour se livrer tout
entier aux choses corporelles, en raison de quoi il ne pouvait par lui-mкme
retourner vers Dieu, la divine sagesse, qui avait fait l’homme, assuma la
nature corporelle et visita l’homme gisant dans les choses corporelles afin de
le rappeler par le mystиre de son corps aux choses spirituelles. De mкme il fut nйcessaire au genre humain qu’en devenant homme Dieu
fasse ressortir la dignitй de l’homme afin qu’ainsi il ne soit pas l’esclave
des dйmons ni des choses corporelles. En mкme temps aussi en voulant se faire homme, Dieu fit montre de
l’immensitй de son amour pour que par lа les hommes ne se soumettent pas а Dieu
par crainte de la mort que le premier homme avait mйprisйe mais par attachement
de charitй. Par lа aussi nous est donnй un exemple de cette union bienheureuse
par laquelle l’intelligence crййe sera pour la connaissance unifiйe а l’esprit
incrйй. En effet il n’y a rien d’incroyable а ce que l’intelligence d’une
crйature puisse кtre unie а Dieu en voyant son essence puisque Dieu s’est uni а
l’homme en prenant sa nature. Par lа aussi
s’achиve l’oeuvre divine toute entiиre en ce que l’homme qui avait йtй crйй le
dernier, comme par un cercle revient а son principe, uni au principe mкme des
choses par l’oeuvre de l’incarnation. 2° Les erreurs
thйologiques (chapitre 202 в 208)
CHAPITRE 202: DE L’ERREUR DE PHOTIN AU SUJET DE L’INCARNATION
Ce mystиre de l’incarnation divine Photin pour sa part a tentй de le
rejeter. Car а la suite d’Ebion de Cerinthe et de Paul de Samosate, il affirma
que le Seigneur Jйsus n’avait йtй qu’un pur homme, qu’il n’avait pas existй
avant la Vierge Marie, mais que par le mйrite d’une sainte vie et la patience
dans la mort il avait mйritй la gloire de la divinitй de sorte qu’il est dit
Dieu non par nature mais par la grвce de l’adoption. Ainsi donc il n’y aurait
pas eu d’union de Dieu et de l’homme mais il y aurait un homme dйifiй par
grвce, ce qui n’est pas particulier au Christ mais commun а tous les saints
bien qu’en cette grвce certains soient tenus pour plus excellents que les
autres. Cette erreur est contraire а l’autoritй de l’Ecriture. Il est dit en
effet chez Jean que: "Au commencement йtait le Verbe" et
ensuite: "Le Verbe s’est fait chair." Donc le Verbe qui йtait
depuis toujours auprиs de Dieu a pris chair et non un homme qui йtait
auparavant dйifiй par grвce d’adoption. De mкme en saint Jean, le Seigneur dit:
"Je suis descendu du ciel non pour faire ma volontй, mais la volontй de
celui qui m’a envoyй" (6, 38). Or selon l’erreur de Photin, il ne
convenait pas au Christ d’кtre descendu mais seulement d’кtre montй, alors que
cependant l’Apфtre dit: "Qu’Il est montй, qu’est-ce sinon qu’il est
descendu d’abord dans les parties infйrieures de la terre" (Eph 4, 9).
De cela il devient йvident que dans le Christ l’ascension n’aurait pas eu lieu
si sa descente n’avait pas prйcйdй. CHAPITRE 203: L’ERREUR DE NESTORIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA
RЙPROBATION
Ce que voulant йviter, Nestorius se sйpara en partie de l’erreur de
Photin, car il confesse le Christ fils de Dieu non seulement par adoption de
grвce mais de nature divine en laquelle Il existe coйternel au Pиre; en partie
il est d’accord avec Photin en disant: Le Fils de Dieu n’est pas ainsi uni а un
homme pour devenir une personne divine et humaine mais par la seule
inhabitation en lui; et ainsi cet homme-lа, de mкme que selon Photin йtait dit
Dieu par la seule grвce, ainsi aussi selon Nestorius, il est dit Fils de Dieu
non pas parce que il est vraiment Dieu mais а cause de l’inhabitation du Fils
de Dieu en lui, laquelle se fit par grвce. Or cette erreur rйpugne а l’autoritй de la sainte Йcriture. En effet
cette union de Dieu et de l’homme, l’Apфtre l’appelle un anйantissement en
disant du Fils de Dieu: "Lui qui йtait en forme divine il n’a pas jugй
une rapine d’кtre l’йgal de Dieu" mais il s’est anйanti lui-mкme
prenant forme d’esclave" (Phil 2, 6). Or ce n’est pas un anйantissement
pour Dieu d’habiter la crйature rationnelle par la grвce; autrement le Pиre et
l’Esprit Saint s’anйantiraient, car eux aussi habitent la crйature rationnelle
par grвce, le Seigneur disant de lui-mкme et du Pиre: "Nous viendrons
en lui et nous y ferons notre demeure" (Jean 14, 23), et l’Apфtre dit
de l’Esprit Saint: "L’Esprit de Dieu habite en vous" (1 Cor 3,
16). De mкme il ne conviendrait pas que cet homme йmette des mots divins s’il
n’йtait pas Dieu personnellement. C’est donc trиs prй somptueusement qu’il
aurait dit: "Moi et le Pиre nous sommes un" (Jean 10, 30) et "Avant
qu’Abraham fut j’йtais" (ib. 8, 58). Le mot "je" dйnote
en effet la personne qui parle; or c’йtait un homme qui parlait; c’est donc une
mкme personne divine et humaine. Donc pour exclure ces erreurs est-il dit dans
le Symbole des Apфtres et des Pиres en faisant mention de la personne du Fils "Qui
a йtй conзu du Saint-Esprit, est nй, a souffert, est mort et ressuscitй."
En effet ce qui est de l’homme ne serait pas attribuй au Fils de Dieu si ce
n’йtait pas la mкme personne du Fils de Dieu et de l’homme; car ce qui convient
а une personne n’est pas de ce fait attribuable а une autre. Comme ce qui
convient а Paul n’est pas pour cela attribuable а Pierre. 1. Allusion historique а ce que dit le Christ devant le grand
prкtre.
CHAPITRE 204: L’ERREUR D’ARIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA
RЙFUTATION
Donc pour confesser l’unitй de Dieu et de l’homme, des hйrйtiques
prirent un parti contraire en disant: de Dieu et de l’homme il n’y a pas
seulement une personne mais aussi une nature. Le principe de cette erreur vient
d’Anus. Celui-ci afin que ce qui est dit du Christ dans les Ecritures, par quoi
il est dit moindre que le Pиre, ne puisse кtre rapportй au Fils de Dieu que
selon sa nature assumante, a йnoncй que dans le Christ il n’y a pas d’autre вme
que le Verbe de Dieu. Et ainsi lorsque le Christ dit: "Mon Pиre est
plus grand que moi", ou comme on dit qu’il a priй ou qu’il a йtй contristй,
cela doit кtre rapportй а la nature mкme du Fils de Dieu. Cela posй il s’en
suit que l’union du Fils de Dieu avec l’homme s’est faite non seulement en la
personne mais aussi en la nature. En effet il est manifeste que de l’вme et du
corps est constituйe l’unitй de l’humaine nature. La faussetй d’une telle position qui affirme que le Fils est moindre
que le Pиre on l’a montrйe plus haut (chapitres 41 а 43) oщ nous avons dit que
le Fils est йgal au Pиre. Quant а ce que le Verbe de Dieu, selon lui, йtait
comme l’вme du Christ, on peut en dйmontrer la faussetй par ce qui a йtй dit
auparavant. En effet on a montrй (chapitres 85 et 90) que l’вme est unie au
corps comme sa forme; or il est impossible que Dieu soit la forme d’un corps (chapitre
17). Et pour que peut-кtre Anus ne dise pas cela du Pиre Dieu Suprкme, la mкme
chose peut кtre montrйe au sujet des anges qui selon leur nature ne peuvent
кtre unis а un corps par maniиre de forme puisque selon leur nature ils sont
sйparйs des corps. A fortiori donc le Fils de Dieu qui a crйй ces anges,
ce qu’admet Anus, ne peut кtre la forme d’un corps En outre le Fils de Dieu mкme s’il йtait crйature, comme Anus ose le
dire, cependant selon lui il dйpasse dans la bйatitude tous les esprits crййs.
Or la bйatitude des anges est si grande qu’ils ne peuvent кtre tristes. En
effet il n’y aurait pas de vraie et entiиre fйlicitй si quelque chose manquait
а leurs dйsirs. Or la bйatitude est par dйfinition le bien final et parfait et
le repos du dйsir. A bien plus forte raison le Fils de Dieu ne peut-il кtre
attristй ou craindre selon sa nature. Mais on dit qu’il fut contristй: "Jйsus fut pris de peur, de
dйgoыt et de tristesse" (Mc 14, 33). Et lui-mкme avoue sa tristesse en
disant: "Mon вme est triste jusqu’а en mourir" (Ib. 34). Il
est manifeste que cette tristesse n’йtait pas du corps mais d’une substance
apprйhensive. Il faut donc en plus du Verbe et du corps dans le Christ qu’il y
eut une autre substance qui puisse souffrir la tristesse et que nous appelons
l’вme. De plus, si le Christ a pris ce qui est nфtre pour nous purifier du
pйchй il nous йtait encore plus nйcessaire d’кtre purifiйs selon l’вme oщ le
pйchй a son origine et qui est sujet du pйchй: Il n’a donc pas pris un corps
sans вme mais avant tout une вme, aussi donc un corps avec une вme. CHAPITRE 205: DE L’ERREUR D’APOLLINAIRE ET SA RЙFUTATION AU SUJET DE
L’INCARNATION
Par lа aussi on exclut l’erreur d’Apollinaire qui suivit d’abord
Anus ne mettant dans le Christ une autre вme que le Verbe de Dieu. Mais il ne
suivait pas Anus en ce qu’il faisait du Fils de Dieu une crйature; or comme
beaucoup de choses sont dites du Christ qui ne peuvent pas кtre attribuйes au
corps ni convenir au crйateur, telles la tristesse, la crainte et autres, il
fut enfin contraint de mettre une вme au Christ pour sanctifier son corps et
pouvoir кtre le sujet de ces passions mais qui n’avait cependant ni raison ni intelligence;
mais le Verbe tenait lieu au Christ-homme d’intelligence et de raison. Or cela est faux de beaucoup de maniиres. D’abord parce que c’est
contraire а la nature des choses qu’une вme irrationnelle puisse кtre forme
pour l’homme mкme s’il pouvait avoir la figure d’un corps. Or on ne peut rien
admettre de monstrueux et contre nature dans l’incarnation du Christ. Ensuite
c’eut йtй contraire au but de l’incarnation qui est de rйparer l’humaine nature
principalement quant а la partie intellective qui est susceptible de pйchй.
D’oщ il convenait principalement qu’Il assumвt la partie intellective de
l’homme. On dit aussi que le Christ s’est йtonnй (Mt 8, 10)[17].
Or l'йtonnement est seulement dans l’вme rationnelle et ne peut aucunement
convenir а Dieu. De mкme donc que la tristesse nous oblige а admettre dans le
Christ une вme sensitive, de mкme aussi l’йtonnement oblige а admettre dans le
Christ une partie intellectuelle de l’вme.
CHAPITRE 206: DE L’ERREUR D’EUTYCHИS QUI POSE UNE UNION DE NATURE
Eutychиs les a suivis en quelque chose. Il avance en effet qu’il y
eut une seule nature de Dieu et de l’homme aprиs l’incarnation; mais il
n’avance pas qu’il manquait au Christ soit l’intelligence soit l’вme soit
quelque chose de ce genre qui regarde l’intйgritй de la nature. Mais la
faussetй de cette opinion apparaоt manifeste. En effet la nature divine est en
elle-mкme parfaite en soi et immuable. La nature qui est parfaite en soi ne
peut faire avec une autre une seule nature sans se changer en l’autre comme la
nourriture en celui qui se nourrit ou que l’autre se change en elle comme le
bois en feu ou que l’une et l’autre ne se transforment en une troisiиme comme
les йlйments en corps composй; or tout cela la divine immutabilitй les rejette.
Ce qui se change en un autre n’est pas immuable, ni ce qui peut кtre changй.
Comme la nature divine est parfaite en elle-mкme il ne peut кtre question
qu’elle se rencontre en une autre une seule nature. De plus si on considиre l’ordre des choses, l’ajout d’une plus
grande perfection change la nature de l’espиce; autre en effet est l’espиce de
ce qui est et vit seulement, telle la plante, que ce qui est seulement; et ce
qui est, vit et sent, tel l’animal, que ce qui est vit seulement, telle la
plante. De mкme ce qui est, vit, sent et pense tel l’homme, est d’une autre
espиce que ce qui est vit et sent seulement comme l’animal brut. Si donc cette
unique nature qu’on donne au Christ, en plus de toutes ces choses possйda ce
qui est divin, il s’en suit que cette autre nature fut d’une autre espиce que
la nature humaine comme celle-ci est autre que l’animal brut. Et donc le Christ
ne fut pas un homme de la mкme espиce; ce qui se prouve кtre faux commencement
de son Evangile en disant: "Livre de la gйnйration de Jйsus-Christ,
Fils de David, Fils d’Abraham" (1, 1). CHAPITRE 207: CONTRE L’ERREUR MANICHЙENNE QUI DIT QUE LE CHRIST N’EUT
PAS DE CORPS MAIS SEULEMENT UNE APPARENCE
De mкme que Photin avait йvacuй le mystиre de l’Incarnation en
enlevant au Christ la nature divine, ainsi Mani le fit en lui enlevant la
nature humaine. Comme il prйtendait en effet que toute la nature corporelle
avait йtй crййe par le diable et qu’il ne convenait pas que le Fils du Dieu bon
assumвt une crйature du diable il mit donc en avant que le Christ n’avait pas
une vraie chair mais seulement une apparence; et tout ce qui est racontй dans les
Evangiles au sujet du Christ appartenant а sa nature humaine il affirmait que
tout cela s’йtait passй en apparence et non en rйalitй. Une telle position contredit manifestement la Sainte Йcriture qui
affirme que le Christ est nй d’une vierge, fut circoncis, ayant eu faim, ayant
mangй et endurй tout ce qui appartient а la nature de l’humaine chair. Ce que
disent les Evangiles serait donc faux qui racontent cela du Christ? De nouveau, le Christ dit de lui-mкme: "Je suis nй et je
suis venu dans le monde pour rendre tйmoignage а la vйritй" (Jean 18,
37). Il n’eut pas йtй tйmoin de la vйritй, mais de la faussetй s’il avait fait
voir en lui ce qu’il n’йtait pas, surtout aprиs avoir prйdit qu’il souffrirait
des choses qu’on ne peut souffrir sans une vraie chair: qu’il serait livrй aux
mains des hommes, conspuй, flagellй, crucifiй. Dire donc que le Christ n’a pas
eu de vraie chair ni d’avoir supportй rien de ce genre en vйritй mais en
imagination c’est faire du Christ un imposteur. En outre dйtromper les hommes dans leur persuasion la plus intime
c’est le fait d’un fourbe or le Christ a dйtrompй ses disciples dans une telle
persuasion. En effet lorsqu’aprиs sa rйsurrection il apparut а ses disciples
qui croyaient voir en lui un esprit ou quelque fantфme il dit: "Touchez
et vous verrez qu’un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai"
(Lc 24, 39). Et dans un autre endroit comme Il marchait sur la mer, ses
disciples estimant que c’йtait un fantфme et а cause de cela йtant dans la
crainte, le Seigneur de leur dire: "C’est bien moi, ne craignez pas"
(Mt 14, 27; Mc 6, 50; Jean 6, 20). Si donc l’opinion des disciples est vraie,
il est nйcessaire de dire que le Christ fut un imposteur; or le Christ est la
vйritй comme il le dit de lui-mкme (Jean 14, 6). Donc une telle opinion est
fausse. CHAPITRE 208: CONTRE VALENTIN: LE CHRIST EUT UN VRAI CORPS QUI N’ЙTAIT
PAS DU CIEL
Valentin admet bien que le corps du Christ йtait rйel; mais il
disait qu’Il n’avait pas pris chair de la Vierge, mais qu’Il avait apportй du
ciel un corps formй qui traversa la Vierge, comme l’eau traverse le canal, et
qu’Il n’en a rien reзu. Cela est aussi contraire а la vйritй de l’Ecriture.
L’Apфtre dit en effet: "Qui a йtй fait de la semence de David selon la
chair" (Rom 1, 3) et "Dieu envoya son Fils unique fait de la
femme" (Gal 4, 4). Et Mathieu dit aussi: "Et Jacob engendra
Joseph l’йpoux de Marie de laquelle est nй Jйsus, qu’on appelle le Christ"
(1, 16) et ensuite il la nomme sa mиre: "Comme sa mиre Marie йtait
fiancйe а Joseph" (ib. 18). Ces affirmations seraient fausses si le
Christ n’avait pas pris chair de la Vierge. Il est donc faux qu’il ait apportй
un corps cйleste. Mais ce que l’Apфtre dit: "Le second homme est
cйleste venu du ciel" (1 Cor 15, 47) doit кtre compris qu’il descendit
du ciel selon la divinitй non selon la substance du corps. Encore, il n’y aurait aucun motif pourquoi Il eыt apportй un corps
du ciel et fыt entrй dans le sein de la Vierge s’il n’en avait rien pris. Mais
il y aurait quelque feinte de laisser voir, en sortant du sein de la Vierge,
qu’Il en reзыt une chair sans l’avoir reзue. Comme donc toute faussetй est
йtrangиre au Christ il faut simplement admettre que le Christ vint aussi du
sein de la Vierge dont Il en a reзu sa chair. 3° Qu’est-ce que l’Incarnation ? (chapitres
209 а 212)
CHAPITRE 209: QUE DIT AU SUJET DE L’INCARNATION?
De ce qu’on a dit jusqu’а prйsent on peut conclure selon la vйritй
de la foi catholique que le Christ eut un vrai corps de notre nature, une вme
rationnelle, en mкme temps et avec cela une parfaite divinitй. Or ces trois
substances se rencontrent dans une seule personne mais non dans une seule
nature. Pour exposer cette vйritй certains se sont engagйs dans des voies
erronйes. Certains en effet considйrиrent que tout ce qui advient а quelqu’un
aprиs son кtre complet lui est ajoutй accidentellement, tel un vкtement; ainsi,
disent- ils, par une union accidentelle l’humanitй a йtй unie а la divinitй
dans la personne du Fils de sorte que la nature assumйe se rapporterait а la
personne du Fils de Dieu comme le vкtement а l’homme. En confirmation de cela
ils citent ce que dit l’Apфtre au sujet du Christ: "Et on le tenait
extйrieurement pour un homme" (Ph 2, 7). De nouveau ils considйraient que de l’union de l’вme et du corps
rйsulte un individu de nature rationnelle qu’on appelle "personne".
Si donc l’вme dans le Christ eut йtй unie au corps ils ne pouvaient pas
s’apercevoir qu’au con traire une telle union constituait une personne. Il y
aurait donc deux personnes dans le Christ c’est-а-dire celle qui assume et
l’autre assumйe; en effet dans l’homme qui est vкtu il n’y a pas deux
personnes, car le vкtement n’est pas une personne. Or si le vкtement йtait une
personne, il s’en suivrait que dans un homme vкtu il y a deux personnes. Afin
d’йviter cela d’autres ont dit que l’вme du Christ ne fut jamais unie au corps,
mais que la personne du Fils de Dieu a pris sйparйment l’вme et le corps. Mais
cette opinion en voulant йviter un inconvйnient est tombйe dans un plus grave.
Il s’en suit en effet nйcessairement que le Christ n’a pas йtй un vrai homme.
En effet la vйritй de la nature humaine exige l’union de l’вme et du corps; car
est homme celui qui est composй des deux. Il s’en suivrait aussi que le Christ
ne fut pas une vraie chair et qu’aucun de ses membres ne fut rйel. Sans вme en
effet il n’y a ni oeil, ni chair, ni os sinon que d’une maniиre йquivoque comme
quelque chose en peinture ou en sculpture. Il s’en suivrait aussi que le Christ
ne fut pas rйellement mort: car la mort est privation de la vie. Il est en
effet manifeste que la vie divine ne peut кtre supprimйe par la mort; et le
corps n’a pu кtre vivant s’il n’a йtй uni а une вme. Il s’en suivrait de plus
que le corps du Christ n’a pu avoir de sensation, car le corps n’a pas de
sensation s’il n’est uni а une вme. Encore: cette opinion retombe dans l’erreur de Nestorius tout en
voulant l’йviter. En ceci en effet consiste l’erreur de Nestorius quand il
avance que le Verbe de Dieu fut uni au Christ homme selon l’habitation de la
grвce de sorte que le Verbe de Dieu a йtй dans cet homme comme dans son temple.
Il n’importe guиre qu’ils disent а ce sujet que le Verbe est en l’homme comme
dans un temple et que la nature humaine advient au Verbe comme un vкtement, si
ce n’est que cette derniиre opinion est pire, car elle ne peut confesser que le
Christ est un vrai homme. Elle a donc йtй justement condamnйe. Encore: un homme vкtu ne peut кtre personne d’un habit ou d’un
vкtement et on ne peut dire qu’il est de l’espиce vкtement. Si donc le Fils de
Dieu a pris la nature humaine comme vкtement il ne peut aucunement кtre une
personne de nature humaine ni aussi de mкme espиce que les autres hommes. Et
cependant l’Apфtre dit de Lui qu’il "fut comme les autres hommes"
(Ph 2, 7). D’oщ il ressort que cette opinion est а rejeter totalement. CHAPITRE 210: IL N’Y A PAS EN LUI DEUX HYPOSTASES
D’autres ont voulu йviter ces inconvйnients et ils ont dit que dans
le Christ l’вme fut unie а un corps et que d’une telle union un homme s’est
constituй qu’ils disent assumй par le Fils de Dieu en l’unitй d’une personne en
raison de quoi, disent-ils, cet homme est Fils de Dieu et le Fils de Dieu est
cet homme. Et parce que cette"assomption"se termine, disent-ils, en
l’unitй de la personne ils confesse raient а la vйritй dans le Christ une seule
personne de Dieu et de l’homme; mais parce que cet homme qu’ils disent
constituй d’une вme et d’un corps est un sщppфt ou hypostase d’humaine nature
ils posent dans le Christ deux suppфts et deux hypostases, l’une de nature
humaine crййe et temporelle, l’autre de nature divine incrййe et йternelle. Or
cette position quoique verbalement diffйrente de celle de Nestorius, cependant
examinйe а fond de l’intйrieur revient а celle de Nestorius. Il est manifeste
en effet que la personne n’est rien autre que la substance individuelle de
nature rationnelle; or l’вme humaine est rationnelle. Et de cela mкme qu’on
pose dans le Christ une hypostase ou suppфt de nature humaine, temporel et
crйй, on pose aussi dans le Christ une personne temporelle, crййe; c’est en
effet ce que signifie le mot "suppфt" ou "hypostase"
c’est-а-dire une substance individuelle. Met tant donc dans le Christ deux
suppфts ou deux hypostases, s’ils comprennent ce qu’ils disent, ils doivent
admettre qu’il y a deux personnes. De mкme ce qui diffиre comme suppфt fait que ce qui est propre а
l’un ne peut convenir а un autre. Si donc ce n’est pas le mкme suppфt que le
Fils de Dieu et le fils de l’homme il suit que ce qui est du fils de l’homme ne
peut кtre attribuй au Fils de Dieu ni inversement. On ne pourra donc pas dire
qu’un Dieu a йtй crucifiй ou nй de la Vierge Marie, ce qui est l’impiйtй
nestorienne. Si quelqu’un voulait dire а cela que ce qui est de cet homme est
attribuй au Fils de Dieu et inversement а cause de l’unitй de la personne, bien
qu’il y ait des suppфts divers, cela ne peut pas tenir. Il est manifeste en
effet que le suppфt йternel du Fils de Dieu n’est pas autre que sa personne
mкme. Donc tout ce qui est dit du Fils de Dieu en raison de sa personne se
dirait йgalement de lui en rai son mкme de son suppфt; mais ce qui est de
l’homme n’est pas dit de Lui en raison de son suppфt parce qu’on pose que le
Fils de Dieu diffиre du fils de l’homme comme suppфt. Ni donc ne pourront кtre
dits de la personne du Fils de Dieu les choses qui sont propres du fils de
l’homme, comme naоtre de la Vierge, mourir et autres choses semblables. Encore, si au sujet d’un suppфt temporel quelconque on lui attribue
le nom divin, c’est du rйcent et du nouveau’. Mais tout ce qui est rйcent et
nouveau et qu’on applique а Dieu ce n’est pas Dieu sinon qu’on le fait Dieu; or
ce qu’on a fait Dieu n’est pas Dieu naturellement mais par adoption seulement.
Il s’en suit donc que cet homme n’aura pas йtй Dieu vraiment et naturellement,
mais seulement par adoption, ce qui revient а l’erreur de Nestorius (chapitre 203). CHAPITRE 211: DANS LE CHRIST IL N’Y A QU’UN SUPPФT ET QU’UNE PERSONNE
Ainsi donc il faut dire que dans le Christ non seulement il y a une
seule personne divine et humaine, mais aussi un seul suppфt et une seule
hypostase; non pas une nature mais deux. Pour en faire l’йvidence il faut
considйrer que ces trois noms: personne, hypostase et suppфt dйsignent une
certaine entiиretй (intйgritй). En effet on ne peut pas dire que la main ou la
chair ou toute autre partie soit une personne ou une hypostase ou un suppфt
mais ce tout qui est cet homme. Mais les noms qui sont communs aux individus,
substances et accidents, peuvent s’appliquer au tout ou aux parties, comme "individu"
et "singulier". Car les parties ont quelque chose de commun
avec les accidents c’est-а-dire qu’elles ne sont pas par elles-mкmes mais sont
dans les autres, bien que de maniиre diffйrente. On peut donc dire que la main
de Socrate ou de Platon est quelque chose d’individuel ou de singulier, bien
qu’elle ne soit ni hypostase, ni suppфt, ni personne. De plus il faut aussi savoir que des choses rйunies, con sidйrйes en
elles-mкmes constituent parfois une entiиretй, mais que rйunies autrement oщ
s’ajoute quelque chose d’autre il n’y a plus cette entiиretй ainsi dans la
pierre la rencontre des quatre йlйments fait un tout; d’oщ ce qui est composй
des йlйments peut кtre dit suppфt dans la pierre ou l’hypostase qu’est cette
pierre, mais non pas personne parce que ce n’est pas une hypostase de nature
rationnelle. Quant а la composition des йlйments dans l’animal, elle ne
constitue pas un tout mais une partie, c’est-а-dire le corps, car il est
nйcessaire que quelque chose d’autre advienne pour l’animai complet
c’est-а-dire l’вme; d’oщ l’ensemble des йlйments ne constitue pas chez lui un
suppфt ou une hypostase, mais c’est tout l’animal qui est hypostase ou suppфt. Cependant
ce n’est pas que l’ensemble des йlйments dans l’animal soit moins efficace que
dans la pierre mais bien davantage parce qu’ordonnй а une chose meilleure. Ainsi donc chez les hommes l’union de l’вme et du corps constitue
l’hypostase et le suppфt car rien d’autre n’est au-delа de ces deux. Dans le
Seigneur Jйsus en plus de l’вme et du corps advient une troisiиme substance
c’est-а-dire la divinitй. Il n’y a donc pas mis а part le suppфt, l’hypostase,
comme non plus la personne dans ce qui est constituй de l’вme et du corps; mais
le suppфt ou hypostase ou la personne est ce qui subsiste des trois
c’est-а-dire le corps, l’вme et la divinitй; et ainsi dans le Christ, de mкme
qu’il n’y a qu’une seule personne ainsi aussi un suppфt et une hypostase, Mais l’вme advient au corps d’une autre maniиre que la divinitй а
ces deux. Car l’вme advient au corps comme forme existante du corps; d’oщ de
ces deux se constitue une nature qu’on appelle la nature humaine. Mais la
divinitй n’advient pas а l’вme et au corps comme leur forme ni comme une partie;
en effet cela est contraire а la perfection divine. D’oщ de la divinitй, de
l’вme et du corps ne se constitue pas une seule nature; mais la nature divine
elle-mкme entiиrement elle-mкme et sans mйlange s’est assumйe d’une maniиre
incomprйhensible et ineffable la nature humaine constituйe de corps et d’вme;
et cela provient de son infinie vertu. Nous constatons en effet que plus la
vertu d’un agent est grande d’autant mieux s’adjoint-il un instrument pour
accomplir son oeuvre. De mкme donc que la vertu divine est de sa nature infinie
et incomprйhensible: ainsi le mode par lequel le Christ s’est uni la nature
humaine comme un instrument ordonnй au salut de l’homme est pour nous ineffable
et dйpassant toute autre union de Dieu et de la crйature. Et parce que, comme nous l’avons dйjа dit, la personne, l’hypostase
et le suppфt dйsignent quelque chose d’entier, si la nature divine dans le
Christ est une part et non un tout comme l’вme dans la composition de l’homme,
l’unique personne du Christ ne se tiendrait pas seulement du cфtй de la nature
divine mais serait constituйe des trois comme aussi dans l’homme la personne, I’hypostase
et le suppфt est ce qui est constituй de l’вme et du corps. Mais parce ce que
la nature divine est un tout qui assume la nature humaine en une union
ineffable, la personne se tient du cфtй de la divine nature de mкme que
l’hypostase et le suppфt. L’вme et le corps sont attirйs vers la personnalitй
de la personne divine pour que soit la personne du Fils de Dieu comme aussi la
personne du fils de l’homme, comme l’hypostase et le suppфt. On peut aussi trouver dans les crйatures quelque chose de semblable.
En effet le sujet et l’accident ne sont pas ainsi unis qu’ils constituent une
troisiиme chose. Le sujet dans cette union n’est pas une partie mais comme un
tout qui est la personne, l’hypostase et le suppфt. Mais l’accident est attirй
а la personnalitй du sujet pour que soit de la mкme personne l’homme et sa
blancheur, et semblablement mкme hypostase et mкme suppфt. Ainsi donc selon une
certaine ressemblance la personne, l’hypostase et le suppфt du Fils de Dieu
sont personne, hypostase et suppфt de l’humaine nature dans le Christ. D’oщ
certains а cause de cette ressemblance ont osй dire que l’humaine nature dans
le Christ dйgйnиre en accident et qu’elle serait unie accidentellement au Fils
de Dieu, ne distinguant pas la vйritй de la ressemblance. Il est donc clair par ce qui prйcиde qu’il n’y a pas dans le Christ
d’autre personne que l’йternelle, qui est la personne du Fils de Dieu, ni
d’autre hypostase ou suppфt; d’oщ lorsqu‘on dit "cet homme" en
dйsignant le Christ on y inclut le suppфt йternel. Ni cependant en suite de
cela il n’y a pas d’йquivoque en ce mot "homme" dit du Christ
et des autres hommes; car l’йquivoque ne vient pas de la diversitй de ce qui
est posй mais de ce qui est signifiй. Le mot "homme" attribut
de Pierre et du Christ signifie la mкme chose c’est-а-dire leur nature humaine
mais ne pose pas une mкme chose, car ici il s’agit du suppфt йternel et lа du
suppфt crйй. Mais parce que de tout suppфt d’une nature donnйe on peut dire ce
qui se rapporte а cette nature dont est le suppфt, le suppфt йtant le mкme dans
le Christ pour sa nature divine et humaine, il est йvident que de ce suppфt de
deux natures, soit que le nom suppose la divine nature ou la personne, ou
l’humaine nature, on peut dire indiffйremment ce qui est de la nature divine et
ce qui est de la nature humaine: par exemple si nous disons que le Fils de Dieu
est йternel et que le Fils de Dieu est nй de la Vierge; et de mкme nous pouvons
dire que cet homme est Dieu et qu’Il a crйй les йtoiles et qu’Il est nй, mort
et ressuscitй. Ce qui est attribuй а un suppфt est attribut selon une forme ou une
maniиre comme Socrate est blanc selon la blancheur et est rationnel selon
l’вme. Or on a dit plus haut (chapitres 209 а 211) qu’il y a deux natures dans
le Christ et un suppфt. Si donc on se rйfиre au suppфt il est indiffйrent
d’attribuer au Christ l’humain ou le divin. Il faut cependant distinguer selon
quoi l’un et l’autre sont attribuйs, car les choses divines sont dites du
Christ selon la nature divine et les choses humaines selon la nature humaine, CHAPITRE 212: DE CE QUI EST DIT DANS LE CHRIST UN OU MULTIPLE
Comme dans le Christ il y a une personne et deux natures il faut
considйrer в partir de leur convenance ce qui doit кtre dit un dans le Christ
et ce qui est multiple. En effet tout ce qui est multipliй selon la diffйrence
de nature doit кtre dans le Christ reconnu multiple. Quant а cela il faut
d’abord considйrer: comme la nature est acquise par gйnйration ou naissance, il
est nйcessaire que comme dans le Christ il y a deux natures il y ait aussi deux
gйnйrations ou naissances: une йternelle selon laquelle il acquiert la nature
divine du Pиre, l’autre temporelle selon laquelle il acquiert la nature humaine
de sa mиre. Semblablement aussi tout ce qui est lйgitimement attribuй а Dieu et
а l’homme concernant la nature il est nйcessaire qu’ils soient dits multiples
dans le Christ. Or on attribue а Dieu l’intelligence et la volontй et leurs
perfections, par exemple la science ou sagesse, la charitй ou justice, choses
qui sont aussi attribuйes а l’homme (comme) appartenant а la nature humaine.
Car la volontй et l’intelligence sont des parties de l’вme et leurs perfections
sont sagesse, justice et autres. Il faut donc mettre dans le Christ deux
intelligences c’est-а-dire humaine et divine et йgalement deux volontйs; aussi
une double science ou (aussi) charitй, crййe et incrййe. Quant au suppфt ou hypostase, il faut n’en admettre qu’un seul dans
le Christ; d’oщ si on entend par l’кtre d’un unique suppфt on dira que dans le
Christ il n’y a qu’un кtre. Il est en effet йvident que des parties sйparйes ont
chacune leur propre кtre; mais selon qu’elle sont considйrйes dans leur tout
elles n’ont pas leur кtre mais elles sont toutes par l’кtre du tout. Si donc
nous considйrons le Christ lui-mкme comme un tout, suppфt de deux natures, il
n’aura qu’un кtre, de mкme qu’un seul suppфt. Et comme les actions sont celles
des suppфts il a semblй а certains que de mкme que dans le Christ il n’y a
qu’un suppфt il n’y aurait aussi qu’une opйration. Mais ils se trompent; car en
tout individu il y a beaucoup d’opйrations, s’il se trouvent plusieurs
principes de ces opйrations, comme dans l’homme autre est l’opйration de penser
et autre celle de sentir а cause de la diffйrence du sens avec l’intelligence;
comme dans le feu il y a une diffйrence entre sa chaleur et son ascension selon
ce qu’il y a de chaud et de lйger. Or la nature est comparйe а l’opйration
comme son principe. Il n’y a donc pas une seule opйration dans le Christ а
cause d’un seul suppфt, mais deux а cause des deux natures, comme inversement
dans la Trinitй il y a une opйration de trois personnes а cause d’une nature. Cependant l’opйration humaine dans le Christ a quel que part а
l’opйration de la vertu divine. En effet de tout ce qui se rencontre dans un
suppфt lui vient en aide ce qui est principal, le reste comme instrument, comme
les autres parties de l’homme sont instruments de l’intelligence. Ainsi donc
dans le Christ son humanitй peut кtre regardйe comme organe de la divinitй. Or
il est clair que l’instrument agit en vertu de l’agent principal. D’oщ dans
l’action de l’instrument n’intervient pas seulement la vertu de l’instrument
mais aussi celle de l’agent principal, comme on fait un coffre au moyen d’une
hache en tant qu’elle est sous la direction de l’artisan. Ainsi donc aussi
l’activitй humaine du Christ recevait une impulsion divine par delа la vertu de
l’homme. En effet en touchant un lйpreux il y avait activitй humaine, mais que
cet attouchement guйrоt venait du pouvoir divin. Et de cette maniиre toutes ses
actions et passions humaines furent salutaires de par la vertu divine. C’est
pourquoi Denys appelle thйandrique l’activitй humaine du Christ c’est-а-dire
humano-divine parce qu’elle procйdait ainsi de son humanitй cependant que
s’exerзait la vertu divine. Certains aussi jettent un doute sur sa filiation, si elle est unique
dans le Christ а cause de l’unitй du suppфt ou double а cause de la dualitй de
sa naissance. Il semble bien qu’il y en ait deux, car la cause йtant multiple
les effets sont multiples: or la naissance est cause de la filiation. Comme
donc il y a deux naissances dans le Christ il suit semble-t-il qu’il y ait deux
filiations. Rien n’empкche que la filiation soit une relation personnelle
c’est-а-dire constituant une personne: ce qui est vrai en effet de la filiation
divine. Sa filiation humaine ne constitue pas une personne mais vient s’ajouter
а une personne constituйe. De mкme aussi rien n’empкche qu’un homme par une
unique filiation se rapporte а un pиre et а une mиre parce que c’est de la mкme
naissance qu’il naоt du pиre et de la mиre. Or oщ est la mкme cause de relation
lа aussi la relation est une rйellement, bien que les rapports soient
multiples. En effet rien ne s’oppose que quelque chose ait rapport а une autre
sans que rйellement existe en elle une relation comme ce qui est connaissable
se rapporte а la connaissance sans relation en lui: ainsi aussi rien n’empкche
qu’une mкme relation rйelle ait plusieurs rapports. Car de mкme qu’une relation
en sa cause est une chose, ainsi aussi elle est une ou multiple et de mкme
comme le Christ n’est pas nй de la mкme naissance de pиre et de mиre il semble
que deux relations rйelles soient en lui а cause des deux naissances. Mais autre chose s’oppose а ce qu’il y ait plusieurs filiations
rйelles dans le Christ. En effet tout ce qui naоt d’un autre n’est pas pour
cela son fils mais seulement le suppфt complet. En effet la main n’est pas
fille de quelqu’un, ni le pied son fils, mais bien le tout singulier qui est
Pierre ou Jean. Donc le propre sujet de la filiation est le suppфt. Or on a
montrй plus haut (chapitres 210 et 211) que dans le Christ il n’est pas d’autre
suppфt que l’incrйй auquel dans le temps ne peut advenir une relation rйelle
mais comme nous l’avons dit (chapitre 99) toute relation de Dieu а la crйature
est seulement de raison. Il faut donc que la filiation par laquelle le suppфt
йternel du Fils se rapporte а la Vierge sa mиre ne soit pas une relation rйelle
mais seulement un rapport de raison; ce qui n’empкche pas que le Christ soit
vraiment et rйellement le Fils de la Vierge sa mиre parce qu’Il est rйellement
nй d’elle. De mкme aussi Dieu est vraiment et rйellement le Seigneur de la
crйature parce qu’il possиde le pouvoir rйel de maоtriser la crйature et
cependant la relation de maоtrise n’est attribuйe que selon la raison. Mais
s’il y avait dans le Christ plusieurs suppфts, comme certains l’ont avancй,
rien n’empкcherait de mettre dans le Christ deux filiations parce que а la
filiation temporelle serait sous-jacent le suppфt crйй. 4° La grвce du Christ (chapitre 213
а 216)
CHAPITRE 213: IL FALLAIT QUE LE CHRIST FЫT PARFAIT EN GRВCE ET EN
SAGESSE DE VЙRITЙ
Comme on vient de le voir l’humanitй du Christ est pour sa divinitй
comme son organe; or la disposition et la qualitй des organes s’apprйcient
surtout а partir de la fin et aussi de l’aptitude de celui qui utilise un
instrument; d’aprиs cela nous pouvons considйrer quelle fut la qualitй de la
nature humaine que le Verbe de Dieu a assumйe. Or la fin pour laquelle le Verbe
de Dieu a revкtu la nature humaine est le salut et la rйparation de l’humaine
nature. Il a donc fallu que le Christ, selon la nature humaine, soit tel qu’Il
puisse кtre, conformйment а elle, auteur de notre salut. Or le salut consiste dans la jouissance divine qui rend l’homme
bienheureux; et c’est pourquoi il a fallu que le Christ selon la nature humaine
jouisse parfaitement de Dieu. En effet un principe en quelque genre que ce soit
doit кtre parfait. Or la jouissance divine est faite de deux choses, selon la
volontй et selon l’intelligence: selon la volontй en adhйrant а Dieu
parfaitement par amour, selon l’intelligence en connaissant Dieu parfaitement.
Or la parfaite adhйsion de la volontй а Dieu par amour c’est la grвce par
laquelle l’homme est justifiй, selon la lettre aux Romains: "Justifiйs
par grвce gratuitement" (3, 24). De lа en effet vient que l’homme est
juste en ce qu’il s’attache а Dieu par la grвce. La parfaite connaissance de
Dieu se fait par la lumiиre de la sagesse qui est connaissance de la vйritй
divine. Il a donc fallu que le Verbe de Dieu incarnй soit parfait en grвce et
en la sagesse vйritable. D’oщ il est dit: "Le Verbe s’est fait chair,
et il a habitй parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme Fils unique
du Pиre, plein de grвce et de vйritй" (Jean 1, 14). CHAPITRE 214: LA PLЙNITUDE DE GRВCE DU CHRIST
On doit d’abord traiter de la plйnitude de sa grвce. A ce sujet il
faut savoir que le mot "grвce" peut s’entendre de deux faзons: d’une
faзon qui est d’кtre agrйable; nous disons en effet que quelqu’un a la grвce de
quelqu’un parce qu’il lui est agrйable. D’une autre faзon de ce qui est donnй
gratuitement. On dit en effet que l’un fait une grвce а l’autre lorsqu’il lui
accorde gratuitement un bienfait; et ces deux acceptions de la grвce ne sont
pas totalement distinctes. En effet on donne quelque chose gratuitement а un
autre parce que celui а qui l’on donne est agrйable а celui qui donne, soit
absolument soit а un certain йgard. Absolument, quand le bйnйficiaire agrйe au
bienfaiteur qui se l’attache d’une certaine maniиre. En effet ceux qui nous
agrйent, nous nous les attirons autant que nous le pouvons dans la mesure et de
la faзon qu’ils nous sont agrйables. A un certain йgard, quand le bйnйficiaire
agrйe au bienfaiteur pour en recevoir quelque chose mais non jusqu’а se
l’attacher. D’oщ il ressort que quiconque possиde ce qui lui est donnй
gratuitement n’est pas pour cela agrйй par le bienfaiteur. Et donc on distingue habituellement une double grвce, l’une qui est
simplement grвce donnйe gratuitement, l’autre qui aussi rend agrйable. Est
donnй gratuitement ce qui n’est dы en aucune maniиre. Quelque chose est dы de
deux maniиres: d’une part selon la nature, d’autre part selon l’opйration.
Selon la nature est dы а une chose ce que l’ordre naturel de cette chose exige,
ainsi il est dы а l’homme qu’il ait une raison, des mains et des pieds. Selon
l’opйration comme la rйmunйration а celui qui travaille. Ces dons-lа sont donc
donnйs gratuitement aux hommes par Dieu, et qui excиdent l’ordre de la nature,
et qui ne sont pas acquis mйritoirement bien qu’aussi ce qui est donnй par Dieu
pour des mйrites parfois ne perde pas son nom ou sa raison de grвce, soit que
le principe du mйrite vient de la grвce, soit aussi que soit donnй en surabondance
ce que ne requiиrent pas les mйrites de l’homme, comme il est dit: "La
grвce de Dieu, c’est la vie йternelle" (Rom 6, 23). Parmi ces dons il y en a qui excиdent les possibilitйs de l’humaine
nature et ne sont pas une rйtribution pour des mйrites, ils ne rendent pas non
plus agrйable а Dieu celui qui les a, comme les dons de prophйties, de faire
des mi racles, de science et de doctrine ou quelqu’autre chose accordйe par
Dieu. Par eux en effet on n’est pas uni а Dieu sinon peut-кtre par une certaine
similitude nous faisant participer а sa bontй et de cette maniиre tout peut
nous assimiler а Dieu. Certains dons rendent l’homme agrйable а Dieu et
unissent а Lui. Et non seulement on les appelle grвces en ce qu’ils sont donnйs
gratuitement mais aussi en ce qu’ils rendent l’homme agrйable а Dieu. Or double est l’union avec Dieu: l’une par l’affection et c’est la
charitй qui en quelque sorte par l’affection fait que l’homme est un avec Dieu,
comme il est йcrit "Celui qui adhиre а Dieu est une seule вme (avec Lui)"
(I Cor 65, 17). Par elle aussi Dieu habite en l’homme: "Si quelqu’un
m’aime il gardera ma parole, et mon Pиre l’aimera, et nous viendrons а lui et
nous ferons en lui notre demeure" (Jean 14, 23). Elle fait aussi que
l’homme habite en Dieu: "Celui qui demeure dans la charitй demeure en
Dieu et Dieu en lui" (Jean 4, 16). Celui-lа donc par le don gratuit
reзu est rendu agrйable а Dieu et est conduit jusqu’а devenir un esprit avec
lui par l’amour de charitй de sorte que lui-mкme soit en Dieu et Dieu en lui.
D’oщ l’Apфtre dit que sans la charitй les autres ne sont pas d’utilitй pour les
hommes, parce qu’ils ne peu vent rendre agrйable а Dieu si la charitй ne s’y
trouve pas (l Cor 13, 1 sq). Mais cette grвce est commune а tous les saints. D’oщ
le Christ-homme la demande pour ses disciples en priant: "Pour qu’ils
soient un" (Jean 17, 22) c’est-а-dire par le lien de l’amour "Comme
nous aussi sommes un". Il y a cette autre union de l’homme avec Dieu non seulement par
l’affection ou l’inhabitation mais encore par l’unitй hypostatique ou de la
personne c’est-а-dire qu’une et mкme hypostase est Dieu et homme. Cette union
-est propre au Christ dont on a dйjа dit plusieurs choses (chapitres 202 а
212). C’est aussi une grвce singuliиre de l’homme Christ d’кtre uni а Dieu dans
l’unitй de la personne; et c’est un don gratuit car il excиde la facultй
naturelle et aucun mйrite ne le prйcиde. Mais il le rend infiniment agrйable а
Dieu de sorte qu’il est dit de lui singuliиrement: "Celui-ci est mon
Fils bien-aimй en qui je me suis complu" (Mat 3, 17 et 17, 5). II y a cependant cette diffйrence entre l’une et l’autre grвces que
la grвce qui unit l’homme а Dieu par l’affection est quelque chose d’habituel
dans l’вme; car comme cette union se fait par acte d’amour, et les actes
parfaits procиdent par habitus, il faut а cette trиs parfaite disposition par
laquelle l’вme est unie а Dieu par l’amour qu’une grвce habituelle soit infusйe
dans l’вme. Mais l’кtre personnel ou hypostatique ne vient pas d’une
disposition (habitus) mais des natures dont sont les hypostases ou les
personnes. Donc l’union de la nature humaine avec Dieu en l’unitй de la
personne ne se fait pas au moyen d’une grвce habituelle mais par la rйunion des
natures elles-mкmes en une seule personne. Dans la mesure oщ une crйature s’approche plus prиs de Dieu dans la
mкme mesure participe-t-elle davantage de la bontй divine et est-elle remplie
sous son influence de dons plus abondants, comme participe plus а la chaleur du
feu celui qui s’en approche davantage. Or aucune maniиre de s’approcher
davantage de Dieu pour une crйature n’existe ni ne peut кtre imaginйe que de
lui кtre unie dans l’unitй de la personne. Donc de par l’union elle-mкme de la
nature humaine а Dieu dans l’unitй de la personne il s’en suit que l’вme du
Christ fut plus que toutes les autres remplie des dons habituels de la grвce.
Et ainsi la grвce habituelle du Christ ne dispose pas а l’union mais plutфt
elle est l’effet de cette union; ce qui devient manifeste par la maniиre mкme
de s’exprimer de 1'Evangйliste dans les paroles dйjа citйes: "Nous
l’avons vu comme le Fils unique du Pиre, plein de grвce et de vйritй"
(Jean 1, 14). Or cet homme le Christ est le Fils unique du Pиre en tant que le
Verbe s’est fait chair. De ce que donc le Verbe s’est fait chair il en est
rйsultй qu’il est plein de grвce et de vйritй. Oщ se trouve une grande plйnitude de bontй et de perfection, en est
plus rempli ce qui dйborde sur les autres choses, comme brille davantage ce qui
illumine les autres. Donc comme cet homme le Christ avait obtenu la plйnitude
suprкme de la grвce comme Fils unique du Pиre, il s’en est suivi qu’elle
dйbordait de lui sur les autres, de sorte que le Fils de Dieu fait homme fit
des hommes des Dieux et des Fils de Dieu, selon l’Apфtre "Dieu envoya
son Fils fait de la femme nй sous la loi, pour racheter ceux qui йtaient sous
la loi pour que nous recevions l’adoption des fils" (Gal 4,4 sq). De ce que du Christ la grвce et la vйritй dйrivent en d’autres il
est juste qu’Il soit la tкte de l’Eglise. Car c’est de la tкte aux membres, qui
lui sont naturellement conformes, que d’une certaine faзon les sensations et
les mouvements dйrivent De mкme c’est du Christ que la grвce et la vente dйrivent
chez les autres hommes. D’ou aux Ephйsiens "Et Il l’a donnй comme tкte
sur toute l’Eglise qui est son corps" (Eph 1, 22 sq). Il peut aussi кtre dit la tкte non seulement des hommes, mais aussi
des anges quant а l’influence et а l’excellence quoique non quant а une
conformitй de nature selon la mкme espиce. D’ou avant les paroles prйcitйes
l’Apфtre dit que Dieu l’a constitue, c’est-а-dire le Christ, а sa droite dans
les cieux au-dessus de toute principautй, puissance, et vertu et domination. Ainsi donc d’aprиs ce qui prйcиde on attribue habituellement au
Christ trois grвces: d’abord la grвce d’union selon laquelle la nature humaine,
sans aucun mйrite prйcйdent, a reзu le don d’кtre unie au Fils de Dieu en
personne; ensuite une grвce singuliиre par laquelle l’вme du Christ plus que
toutes les autres fut remplie de grвce et de vйritй; enfin la grвce capitale
selon laquelle la grвce dйborde de Lui sur d’autres. Ces trois choses
l’Evangйliste les fait se succйder dans l’ordre: quant а la grвce d’union il
dit: "Le Verbe s’est fait chair"; quant а la grвce singuliиre:
"Nous l’avons vu comme un Fils unique du Pиre plein de grвce et de
vйritй." Quant а la grвce capitale il ajoute: "Et de sa plйnitude
nous avons tous reзu" (Jean 1, 14 et 16). CHAPITRE 215: LA GRВCE DU CHRIST EST INFINIE
Il est propre au Christ que sa grвce soit infinie, car au tйmoignage
de saint Jean-Baptiste, Dieu n’a pas mesurй son Esprit au Christ-homme comme il
est dit en Jean chapitre trois (verset 34)[18].
Aux autres, l’Esprit est donnй avec mesure: "A chacun de nous la grвce
est donnйe selon la mesure du don du Christ" (Eph 4, 7). Si on
rapporte cela а la grвce d’union il n’y a aucun doute sur ce qui en est dit.
Car aux autres saints il est donnй d’кtre des dieux ou fils de Dieu par
participation а partir de l’infusion d’un don qui йtant crйй est nйcessairement
fini comme les autres crйatures. Mais il est donnй au Christ selon la nature
humaine d’кtre Fils de Dieu par nature et non par participation. Or de sa
nature la divinitй est infinie. De par l’union elle-mкme il a reзu un don
infini; d’oщ il n’y a aucun doute а ce que la grвce d’union soit infinie. Mais au sujet de la grвce habituelle on peut douter qu’elle soit
infinie; comme en effet cette grвce est un don crйй il faut admettre qu’elle
est finie en son essence. Mais elle peut кtre dite infinie pour une triple
raison. D’abord de la part de celui qui la reзoit. En effet il est manifeste
que la capacitй de n’importe quelle nature crййe est finie parce que bien
qu’elle puisse recevoir un bien infini par la connaissance et la jouissance
cependant elle ne peut le recevoir infiniment. Il y a donc pour toute crйature
selon son espиce ou sa nature une mesure dйterminйe selon sa capacitй; ce qui
cependant n’empкche pas la divine puissance de pouvoir faire une autre crйature
de capacitй plus grande. Mais elle ne serait plus de la mкme nature spйcifique,
comme quand on ajoute l’unitй au nombre trois n a une autre sorte de nombre. Quand
donc on ne donne pas а quelqu’un autant de la bontй divine qu’il en est capable
selon son espиce naturelle, cela lui est donnй selon une certaine mesure. Mais
quand la capacitй naturelle est remplie, ce ne lui est plus donnй selon une
mesure car s’il y a une limite chez celui qui reзoit, il n’y en a pas chez
celui qui donne, qui est disposй а tout donner, comme celui qui portant un vase
va а la riviиre trouve de l’eau а sa disposition et а volontй bien qu’il la
reзoive avec mesure а cause de la quantitй dйterminйe du vase. Ainsi donc la
grвce habituelle du Christ est finie selon l’essence et elle est dite donnйe
infiniment et non selon une mesure parce qu’elle est donnйe selon qu’en est
capable sa nature crййe. Ensuite elle est infinie du cфtй mкme du don reзu. Rien n’empкche en
effet que quelque chose soit fini selon son essence qui cependant en raison
d’une certaine forme est infini. En effet l’infini selon l’essence est ce qui a
toute la plйnitude de l’кtre; ce qui n’appartient qu’а Dieu qui est l’кtre
mкme. Mais si l’on suppose une forme spйciale n’existant pas dans un sujet,
comme la blancheur et la chaleur, elle n’aurait pas une essence infinie parce que
limitйe а un genre ou une espиce, mais elle possйderait toute la plйnitude de
l’espиce d’oщ а raison de l’espиce elle serait sans limite ni mesure ayant tout
ce qui peut appartenir а cette espиce. Mais si la blancheur ou la chaleur sont
reзues dans un sujet elles n’ont pas toujours tout ce qui est de la raison de
cette forme, toujours et nйcessairement, mais seulement quand elles ont toute
la perfection possible c’est-а-dire que la maniиre de possйder йgale la
possibilitй de ce qui est reзu. Ainsi donc la grвce habituelle du Christ fut
finie selon l’essence cependant elle est dite sans limite ni mesure parce que
tout ce qui pouvait кtre en raison de la grвce le Christ l’a entiиrement reзu. Les
autres ne reзoivent pas tout, mais l’un ainsi, l’autre autrement. En effet il y
a des partages de grвces, comme il est dit aux Corinthiens (1 Cor 12, 4). Enfin du cфtй de sa cause la grвce du Christ peut кtre infinie: car
l’effet se trouve en une certaine maniиre dans la cause. Quiconque dispose
d’une cause au pouvoir infini d’action a de quoi agir sans mesure et d’une
certaine faзon infiniment; comme quelqu’un qui disposerait d’une source d’oщ
l’eau s’йcoule continuellement on dirait de lui qu’il a de l’eau sans mesure et
en quelque maniиre infiniment. Ainsi donc l’вme du Christ possиde une grвce
infinie et sans mesure par cela qu’Il possиde le Verbe qui Lui est uni et qui
est le principe intarissable et infini de toute la production des crйatures. De ce que la grвce singuliиre de l’вme du Christ est infinie, de la
maniиre qu’on a vu, on en conclut а l’йvidence que sa grвce est aussi infinie
selon qu’il est la tкte de 1’Eglise. En effet Il dйverse de ce qu’Il a. D’oщ
comme Il a reзu sans mesure les dons de l’Esprit il a le pouvoir de les
dйverser sans mesure, ce qui appartient а sa grвce de chef; c’est-а-dire que sa
grвce suffit non seulement au salut de quelques hommes mais aussi du inonde
entier, selon Jean: "Et lui-mкme est propitiation pour nos pйchйs et non
seulement pour les nфtres mais aussi pour ceux du monde entier" (1 Jean 2,
2). On pourrait aussi ajouter de plusieurs mondes s’ils existaient. CHAPITRE 216: DE LA PLЙNITUDE DE LA SAGESSE DU CHRIST
1. Il faut ensuite parler de la plйnitude de la sagesse du Christ. En
quoi vient d’abord en considйration, qu’йtant donnй qu’en Lui il y a deux
natures divine et humaine, tout ce qui appartient aux deux natures doit
nйcessairement se dйdoubler dans le Christ, comme on l’a dit plus haut (chapitre
212). Or la sagesse convient а la nature divine et а l’humaine. Il est en effet
dit de Dieu: "Il est sage en son coeur et fort en puissance" (Job
9, 4). Mais les hommes sont aussi sages selon l’Ecriture, soit selon la sagesse
mondaine: "Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse mondaine"
(Jer 9, 23); soit selon la sagesse divine: "Voici que je vous envoie
des prophиtes, des sages et des scribes" (Mt 23, 34). Il faut donc
admettre deux sagesses dans le Christ selon ses deux natures: la sagesse
incrййe comme Dieu et la sagesse crййe comme homme. Et selon qu’Il est Dieu et
Verbe de Dieu il est la sagesse engendrйe du Pиre: "Le Christ vertu de
Dieu est sagesse de Dieu" (1 Cor 1, 24). En effet le verbe intйrieur
de tout кtre qui pense n’est autre que sa sagesse. Et parce que le Verbe de
Dieu, nous l’avons dit (chapitre 41 а 44) est parfait et Lui est uni, il est
nйcessaire que le Verbe de Dieu soit le parfait concept de la sagesse du Pиre,
c’est-а-dire que tout ce qui est contenu dans la sagesse du Pиre de faзon non
engendrйe est tout entier contenu dans le Verbe de faзon engendrйe et conзue. Et
de lа vient ce qui est dit du Christ: "En Lui sont cachйs tous les
trйsors de la sagesse et de la science" (Col 2, 3). 2. Quant au Christ-homme il possиde une double connaissance: une qui
est dйiforme selon qu’Il voit Dieu par essence et les autres choses en Dieu
ainsi que Dieu lui- mкme se pensant pense toutes choses; par cette vision, Dieu
lui-mкme est bienheureux ainsi que toute crйature rationnelle jouissant
parfaitement de Dieu. Or comme nous disons que le Christ est l’auteur du salut
de l’homme, il est nйcessaire de dire qu’une telle connaissance convient ainsi
а l’вme du Christ comme il sied а l’auteur (du salut). Or un principe devrait
кtre immobile et de vertu excellente entre toutes. Il fut donc juste que cette
vision de Dieu, en laquelle la bйatitude des hommes et le salut йternel
consistent, convienne au Christ plus excellemment que chez d’autres et en tant
que principe immobile. 3. Or il y a cette diffйrence entre les choses mobiles et immobiles
que les premiиres n’ont pas leur perfection en commenзant mais qu’elles y
arrivent par succession de temps; les choses immobiles obtiennent leur
perfection dиs qu’elles commencent а exister. Donc le Christ auteur du salut de
l’homme dиs le commencement de son incarnation a possйdй la pleine vision de
Dieu, n’y йtant pas parvenu par succession de temps comme les autres saints y
parviennent. 4. Il йtait donc juste qu’а l’encontre des autres crйatures cette вme
soit bйatifiйe en la vision divine, elle qui йtait de plus prиs urne а Dieu;
dans cette vision on note une gradation selon que les uns voient Dieu plus
clairement que les autres, Lui qui est la cause de toutes choses. Or plus une
cause est pleinement connue plus on peut y percevoir d’effets. Une cause en
effet n’est mieux connue que quand son pouvoir est plus pleinement connu et
cette connaissance ne peut venir que de la connaissance de ses effets. Car la
quantitй d’un pouvoir se mesure habituellement par ses effets. De lа vient que
parmi ceux qui voient l’essence de Dieu certains perзoivent en Dieu mкme plus
d’effets ou de raisons des oeuvres divines que d’autres qui voient moins
clairement; et d’aprиs cela les anges supй rieurs instruisent les infйrieurs,
comme nous l’avons dit plus haut (chapitre 126). Donc l’вme du Christ qui
possиde la suprкme perfection de la vision divine parmi les autres crйatures
contemple en Dieu mкme pleinement toutes les oeuvres divines et leurs raisons
quelles qu’elles soient, seront ou ont йtй; et elle illumine non seulement les
hommes mais aussi les anges les plus йlevйs; ce qui fait dire а l’Apфtre: "En
Lui sont cachйs tous les trйsors de la sagesse et de la science" (Col
2, 5) et "Tout est а nu et а dйcouvert а ses yeux" (Hйbreux 4,
13). 5. Cependant l’вme du Christ ne peut atteindre а comprendre la
divinitй. Car comme on l’a dit plus haut (chapitre 106) comprendre c’est
connaоtre une chose autant qu’elle est connaissable et tout est connaissable en
tant qu’кtre et vrai; or l’кtre divin est infini comme aussi sa vйritй. Dieu est donc infiniment connaissable. Or aucune crйature ne peut
connaоtre infiniment quoique ce qu’elle connaisse soit infini. Donc aucune
crйature en voyant Dieu ne le comprend. Et l’вme du Christ est une crйature et
tout ce qui dans le Christ se rapporte seulement а la nature humaine est crйй,
autrement dans le Christ sa nature humaine ne diffйrerait pas de sa nature
divine qui seule est incrййe. Mais l’hypostase du Verbe de Dieu, ou la
personne, est incrййe qui est une en deux natures; c’est pour cela que nous ne
disons pas que le Christ est une crйature, simplement parlant, parce que par le
nom de Christ on entend l’hypostase; cependant nous disons que l’вme ou le
corps du Christ sont des crйatures. Donc l’вme du Christ ne comprend pas Dieu
mais le Christ Dieu comprend Dieu dans sa sagesse incrййe; c’est dans ce sens
que le Seigneur dit: "Personne ne connaоt le Pиre si ce n’est le
Fils" (Mt 11, 27) indiquant par lа sa connaissance de comprйhension. 6. Or il faut savoir que c’est une mкme chose de comprendre l’essence
d’une chose et sa vertu. En effet rien ne peut agir que s’il est en acte. Si
donc l’вme du Christ n’est pas en mesure de comprendre l’essence divine, comme
on l’a montrй, il est impossible qu’elle connaisse la vertu divine; elle la
comprendrait si elle connaissait tout ce que Dieu peut faire et par quelles
voies Il peut produire ses oeuvres; or cela est impossible. Donc l’вme du
Christ ne connaоt pas tout ce que Dieu peut faire, ou par quelles raisons il
peut agir. Mais parce que le Christ selon qu’Il est homme est par Dieu le Pиre
prйposй а toute la crйature il est juste que de tout ce que Dieu a fait en
quelque maniиre le Christ en ait la pleine connaissance dans la vision de
l’essence divine, mкme. Et d’aprиs cela l’вme du Christ est dite omnisciente
parce qu’elle a la connaissance de toutes les choses prйsentes, passйes ou
futures. Parmi les autres crйatures qui voient Dieu, d’aucunes plus pleinement,
d’autres moins pleinement, perзoivent les effets susdits dans la vision mкme de
Dieu. 7. En plus de cette vision par laquelle l’intelligence crййe a
connaissance des choses crййes, dans la vision de la divine essence sont
d’autres modes de connaissance pour la connaissance des choses. Car les anges
outre la connaissance matinale par laquelle ils connaissent les choses dans le
Verbe, possиdent la connaissance vespйrale par laquelle ils connaissent les
choses en leurs propres natures. Cette connaissance est autre chez les hommes
selon sa nature que chez les anges Car selon l’ordre naturel, les hommes
recueillent la vйritй intelligible des choses а partir des sens, au dire de
Denys (De div. nom. c. 7) c’est-а-dire que les espиces intelligibles en
leurs intellects sont abstraites des phantasmes par l’intellect agent. Mais
sous l’influence de la lumiиre divine les anges acquiиrent la connaissance des
choses, c’est-а-dire que de mкme que les choses arrivent а l’кtre par Dieu
ainsi aussi dans l’esprit angйlique sont imprimйes par Dieu les natures des
choses ou leurs similitudes. Outre cette connaissance des choses selon leur
nature on trouve chez les hommes aussi bien que chez les anges une connaissance
surnaturelle des mystиres divins sur lesquels les anges sont йclairйs par
d’autres anges et les hommes aussi sont instruits par la rйvйlation
prophйtique. 8. Et parce qu’aucune perfection accordйe aux crйatures ne doit кtre
refusйe а l’вme du Christ qui est de toutes les crйatures la plus excellente,
il est juste de lui attribuer une connaissance en plus de la connaissance par
laquelle Il voit l’essence divine et toutes choses en elle et cette connaissance
est triple. Une qui est expйrimentale comme pour les autres hommes en tant
qu’Il connut certaines choses par ses sens comme il appartient а la nature
humaine. 9. Une seconde qui est divinement infuse pour connaоtre toutes ces
choses auxquelles la connaissance naturelle de l’homme s’йtend ou peut
s’йtendre. Il convenait en effet qu’а la nature humaine assumйe par le Verbe de
Dieu aucune perfection ne fоt dйfaut puisqu’elle devait restaurer toute la
nature humaine. Or est imparfait ce qui existe en puissance avant d’кtre rйduit
en acte. Et l’intelligence humaine est en puissance aux intelligibles que
l’homme peut naturellement connaоtre. De toutes ces choses l’вme du Christ
reзut la science divinement par des espиces infuses par cela que toute la
puissance de l’intellect humain fut rйduite en acte. 10. Mais parce que le Christ selon la nature humaine ne fut pas
seulement le rйparateur de cet nature mais encore le propagateur de la grвce,
une troisiиme connaissance lui fut adjointe par laquelle il connut en toute sa
plйnitude ce qui concernait les mystиres de la grвce qui excиdent la
connaissance naturelle de l’homme; cependant qu’ils nous sont connus par le don
de sagesse ou par l’esprit de prophйtie. Car pour les connaоtre l’intelligence
humaine est en puissance bien qu’elle soit rйduite en acte par un agent plus
йlevй; ce qu’elle obtient par la lumiиre divine. 11. De tout ce qui prйcиde il ressort clairement que l’вme du Christ
obtint le plus haut degrй de connaissance entre toutes les autres crйatures quant
а la vision de Dieu qui fait voir l’essence divine et en elle toutes les autres
choses. Et semblablement aussi quant а la connaissance des mystиres de la grвce
comme quant а la connaissance des choses naturelles connaissables. En aucune de
ces trois connaissances le Christ ne put progresser. Mais il est manifeste
qu’au cours du temps il connut toujours davantage les choses sensibles par
l’expйrience des sens; et donc seulement le Christ put progresser en la science
expйrimentale, comme saint Luc le dit: "L’enfant avanзait en вge et en
sagesse" (2, 52). Bien qu’on puisse l’entendre autrement de sorte que le
progrиs de la sagesse du Christ est dit non de ce qu’Il devenait plus sage mais
de ce que la sagesse progressait chez les autres, c’est-а-dire que par sa
sagesse ils йtaient de mieux en mieux instruits. Ce qui s’est fait
intentionnellement pour qu’Il se montrвt semblable aux autres hommes de peur
que si en son jeune вge il eut fait montre d’une science parfaite le mystиre de
son incarnation ne parыt illusoire. 1. La seconde vient plus loin et sera subdivisйe en trois
parties.
5° La nature
humaine du Christ et sa conception (chapitre 217 а 226)
CHAPITRE 217: DE LA MATIИRE DU CORPS DU CHRIST
Selon les prйmisses il apparaоt donc avec йvidence ce que dut кtre
la formation du corps du Christ. En vйritй Dieu pouvait le former du limon
terrestre ou de quelqu’autre matiиre, comme Il avait formй le corps du premier
pиre. Ce qui toutefois ne s’accordait pas avec la restauration de l’homme pour
laquelle le Fils de l’homme, comme nous l’avons dit (chapitre 200) assuma la
chair. En effet la nature du genre humain dйrivйe du premier pиre et qui devait
кtre guйrie n’eut pas йtй suffisamment restaurйe dans sa premiиre noblesse si
pour vaincre le diable et triompher de la mort lesquels tenaient captifs le
genre humain а cause du pйchй du premier pиre Il avait pris d’ailleurs son
corps. Or les oeuvres de Dieu sont parfaites et Il mиne а la perfection ce
qu’Il veut restaurer pour ainsi surajouter а ce qui avait йtй soustrait, selon
ce que dit l’Apфtre: "La grвce de Dieu par le Christ a surabondй"
(Rom 5, 20), au-delа du dйlit d’Adam. Il йtait donc juste que le Fils de Dieu
prоt un corps propagй naturellement d’Adam. De plus le mystиre de l’incarnation est rendu profitable aux hommes
par la foi. En effet les hommes ne pour raient suivre l’auteur de leur salut
qu’en croyant Fils de Dieu celui qui leur apparaissait comme homme; ce que ne
firent pas les Juifs qui du mystиre de l’incarnation а cause de leur
incrйdulitй ont encouru la damnation plutфt que le salut. Donc pour que l’on
croie plus facilement au mystиre ineffable de l’incarnation le Fils de Dieu
disposa toutes choses de faзon а montrer qu’Il йtait vйritablement homme; ce
qui n’eut pas йtй aussi йvident s’il avait pris la nature de son corps ailleurs
que de la nature de l’homme. Il йtait donc juste qu’Il prit un corps propagй а partir
du premier homme. De mкme le Fils de Dieu apporta le salut au genre humain non
seulement en y apportant le remиde de la gi mais aussi en lui offrant un
exemple qu’on ne pouvait rйpudier. D’un autre homme en effet et la doctrine et
la vie peuvent susciter des doutes а cause du manque de connaissance ou de
vertu de l’homme. Mais de mкme quon croit indubitablement vrai ce que le Fils
de Dieu enseeigne, ainsi croit-on indubitablement bon ce qu’Il fait. Or il
fallait qu’en Lui nous trouvions un modиle et de la gloire que nous espйrons et
de la vertu qui nous la mйrite. En effet, l’un et l’autre exemple eussent йtй
moins efficaces s’Il avait pris la nature de son corps ailleurs que chez les
autres hommes. Si en effet on persuadait quelqu’un de supporter les souffrances
comme le Christ, d’espйrer ressusciter comme le Christ, il pourrait trouver
excuse dans la condition diverse du corps. Donc pour que l’exemple du Christ
fыt plus efficace il convenait qu’Il n’assumвt pas un corps ailleurs que de la
nature propagйe а partir du premier pиre. CHAPITRE 218: LA FORMATION DU CORPS DU CHRIST N’EST PAS SЙMINALE
Il ne convenait cependant pas que le corps du Christ fыt formй en la
nature humaine comme sont formйs les corps des autres hommes. Comme en effet,
il prenait cette nature pour la purifier du pйchй Il devait l’assumer de telle
faзon qu’Il n’encourrait aucune contagion du pйchй. Or les hommes encourent le
pйchй originel йtant engendrйs par la vertu active humaine qui est en la
semence virile, laquelle a prйexistй selon la raison sйminale en Adam pйcheur. En
effet de mкme que le premier homme eut pu transmettre la justice originelle а
ses descendants avec la transfusion de la nature, ainsi aussi a-t-il transmis
la faute originelle en transfusant la nature, ce qui se fait par la vertu
active de la semence virile. Il a donc fallu qu le corps du Christ soit formй
sans semence virile. De mкme: la vertu active de la semence virile agit naturellement et
donc l’homme qui est engendrй de la semence virile n’est pas aussitфt amenй а
l’йtat parfait, mais progressivement. En effet toutes les choses naturelles
parviennent а une fin dйterminйe par des intermйdiaires dйterminйs. Or il
fallait que le corps du Christ soit par fait, dиs le dйbut informй d’une вme
rationnelle[19]; car le
corps put кtre assumй par le Verbe de Dieu en tant qu’il est uni а une вme
rationnelle sans pour cela кtre parfait selon la quantitй voulue. Le corps du
Christ donc ne devait pas кtre formй par la vertu d’une semence virile. CHAPITRE 219: QU’EST-CE QUI A FORMЙ LE CORPS DU CHRIST?
Comme le corps humain est naturellement formй а partir de la semence
virile, de quelque autre faзon que le corps du Christ ait йtй formй une telle
formation- fut au- dessus de la nature. Or Dieu seul a instituй la nature, Lui
qui opиre surnaturellement dans les choses naturelles, comme on l’a dit plus
haut (chapitre 136). D’oщ il reste que Dieu seul a formй miraculeusement ce
-corps а partir d’une matiиre de l’humaine nature. Mais comme toute opйration
divine dans la crйature est commune aux trois personnes, toutefois en raison
d’une certaine convenance la formation du corps du Christ est attribuйe au
Saint- Esprit. En effet l’Esprit Saint est l’amour du Pиre et du Fils par
lequel ils s’aiment et nous aussi."Dieu а cause de la trиs grande charitй
par laquelle Il nous a aimйs" (Eph 2, 4) dйcida que son Fils
s’incarnerait. C’est donc -- juste titre que la formation de la chair est
attribuйe а l’Esprit Saint. De mкme l’Esprit Saint est l’auteur de toutes les grвces puisqu’Il
est le premier en qui tous les dons sont donnйs gratuitement; or ce fut une
grвce surabondante qu’une autre nature humaine soit assumйe dans l’unitй d’une
personne divine, comme il ressort de ce qui a йtй dit plus haut (chapitre 214).
Donc pour indiquer ce qu’est cette grвce, la formation du corps du Christ est
attribuйe а l’Esprit Saint. Ce qui est aussi justement dit par ressemblance du verbe humain et
du souffle humain. En effet le verbe humain existant dans le coeur a une
ressemblance avec le Verbe йternel: qu’Il existe dans le Pиre. Or de mкme que
le verbe humain prend une voix pour se faire connaоtre sensiblement aux hommes
ainsi aussi le Verbe de Dieu a pris une chair pour apparaоtre visiblement aux
hommes. Or la voix humaine est formйe par le souffle de l’homme; d’oщ aussi la
chair du Verbe de Dieu devait кtre formйe par l’Esprit du Verbe. 1. Mкme formule en saint Jean, dans le dialogue avec Nicodиme: "l’esprit
souffle oщ il veut" (3, 8). CHAPITRE 220: EXPOSITION DE L’ARTICLE DU SYMBOLE SUR LA CONCEPTION ET LA
NAISSANCE DU CHRIST
Pour rejeter l’erreur d’Ebion et de Cйrinthe qui dirent que le corps
du Christ fut formй d’une semence virile, le Symbole des Apфtres affirme qu’il
a йtй conзu du Saint- Esprit. Au Symbole des Pиres (Nicйe) au lieu de ces mots
on trouve: "Et Il s’est incarnй de l’Esprit Saint" pour qu’on
ne voie pas qu’Il a pris un corps imaginaire selon les Manichйens mais une
vraie chair. Dans ce mкme Symbole des Pиres on ajoute: "Pour nous les
hommes" pour exclure l’erreur d’Origиne qui enseigne que les dйmons aussi
pouvaient кtre libйrйs par la passion du Christ. Dans le mкme (Symbole) on
ajoute: "Pour notre salut" afin de montrer que le mystиre de
l’incarnation suffit au salut des hommes contre l’hйrйsie des Nazarйens qui
jugeaient que la foi au Christ sans les oeuvres de la loi ne pouvait suffire au
salut des hommes. On ajoute: "Il descendit du ciel" pour
rejeter l’erreur de Photin (chapitre 202) qui affirmait que le Christ йtait un
pur homme, disant qu’Il avait pris en Marie son commencement pour que par le
mйrite d’une bonne vie ayant commencй sur terre il monte au ciel plutфt que,
d’origine cйleste, prenant chair, Il soit descendu sur terre. On ajoute aussi: "Et
Il s’est fait homme" pour rejeter l’erreur de Nestorius (chapitre 203)
qui affirmait que le Fils de Dieu, dont parle le Symbole, avait habitй un homme
plutфt que d’кtre lui- mкme un homme. CHAPITRE 221: IL CONVENAIT QUE LE CHRIST NAQUIT D’UNE VIERGE
Il a йtй dit (chapitre 217) qu’il йtait juste que le Fils de Dieu
prenne chair de la matiиre de la nature humaine; or c’est la femme qui fournit
la matiиre de la gйnйration humaine; il йtait donc juste que le Christ prоt
chair d’une femme selon ce que dit l’Apфtre: "Dieu envoya son Fils fait
de la femme" (Gal 4, 4). Or la femme a besoin de s’unir а son mari
pour que la matiиre qu’elle fournit soit formйe en un corps humain. Or la
formation du corps du Christ ne devait pas se faire par la vertu de la semence
virile, comme dйjа on l’a montrй (chapitre 218). D’oщ sans l’intervention de
semence virile cette femme a conзu, de laquelle le Fils de Dieu a pris chair. On est d’autant plus rempli de dons spirituels qu’on est plus
dйtachй des choses de la chair. Car par l’esprit l’homme est attirй en haut,
par la chair il est tirй vers le bas. Or comme la formation du corps du Christ
devait se faire par l’Esprit Saint il a fallu que cette femme de laquelle le
Christ a pris un corps soit au maximum rem plie des dons spirituels pour que
par l’Esprit Saint non seulement l’вme soit fйconde en vertus, mais aussi son
sein en lignйe divine. D’oщ il fallait que non seulement son esprit soit exempt
du pйchй mais qu’aussi son corps soit йtranger а toute corruption de la
concupiscence charnelle. D’oщ non seulement pour la conception du Christ
n’a-t-elle pas connu l’union maritale mais encore ni avant ni aprиs. Cela convenait aussi а celui qui naоtrait d’elle. En effet le Fils
de Dieu venait en ce monde prenant chair pour nous йlever а l’йtat de
ressuscitйs, dans lequel "on ne se marie, ni n’est mariй, oщ les hommes
seront comme des anges dans le ciel" (Mt 22, 30). D’oщ aussi son
enseignement sur la continence et la virginitй pour que la vie des fidиles
resplendisse а l’image en quelque sorte de la gloire future. II convenait donc
qu’aussi en son origine il recommande cette vie virginale en naissant d’une
vierge. Et c’est pourquoi il est dit dans le Symbole: "Nй de la Vierge
Marie." Dans le Symbole de Nicйe on dit qu’Il "s’est incarnй
de la Vierge Marie"; par quoi on exclut l’erreur de Valentin et
d’autres qui dirent que le corps du Christ йtait tel un fantфme ou d’une autre
nature (chapitre 207) et non pris du corps de la Vierge, ni formй en elle. CHAPITRE 222: LA BIENHEUREUSE VIERGE EST LA MИRE DU CHRIST
Par lа est exclue l’erreur de Nestorius qui refusait d’admettre que
la Bienheureuse Vierge Marie йtait Mиre de Dieu. Or les deux Symboles ont
affirmй que le Fils de Dieu est nй ou incarnй de la Vierge Marie. La femme dont
quelqu’un est nй est dite sa mиre en ce qu’elle four nit la matiиre de la
conception. D’oщ la Bienheureuse Vierge Marie qui a fourni la matiиre а la
conception du Fils de Dieu doit кtre dite la vraie mиre du Fils de Dieu. En
effet il n’importe pas а la maternitй par quelle vertu est informйe la matiиre
de la mиre. Elle n’est donc pas moins mиre celle qui fournit la matiиre que
l’Esprit Saint informe, que celle que la semence virile informe. Si quelqu’un voulait dire que la Bienheureuse Vierge ne doit pas кtre
dite la mиre de Dieu parce que la divinitй n’en a pas йtй prise mais la chair
seulement, comme le disait Nestorius, celui-lа ne sait pas ce qu’il dit. En
effet on n’est pas mиre de quelqu’un parce que tout ce qu’on a en a йtй pris.
Car l’homme est fait d’une вme et d’un corps et on est plus homme par l’вme que
par ce qui est du corps. Or l’вme d’un homme ne vient pas de la mиre mais ou
bien elle est crййe immйdiatement par Dieu comme. il est certain, ou bien elle
serait transmise, comme certains l’ont avancй, et alors elle viendrait plutфt
du pиre que de la mиre parce que dans la gйnйration des animaux, selon la
doctrine des philosophes, le mвle donne l’вme et la femelle le corps[20]. Donc de mкme que la mиre de tout homme est cette femme dont il a eut
son corps, ainsi la Vierge Marie est-elle Mиre de Dieu si d’elle a йtй pris le
corps de Dieu. Il faut dire que c’est le corps de Dieu s’il a йtй assumй en
l’unitй de la personne du Fils de Dieu qui est vйritablement Dieu. Pour ceux
donc qui confessent que la nature humaine a йtй assumйe par le Fils de Dieu
dans l’unitй de la personne il faut nйcessairement dire que la Vierge Marie est
mиre de Dieu. Mais parce que Nestorius niait l’unitй de la personne en Dieu et
en l’homme Jйsus-Christ il devait en consйquence nier que la Vierge Marie йtait
Mиre de Dieu. CHAPITRE 223: L’ESPRIT SAINT N’EST PAS LE PИRE DU CHRIST
D’abord parce que dans la bienheureuse Vierge Marie se trouve tout
ce qui fait la maternitй. En effet elle a fourni la matiиre pour la conception
du Christ pour кtre informйe par l’Esprit Saint, comme le requiert la maternitй
mais du cфtй de l’Esprit Saint ne se trouve pas tout ce qui fait la paternitй. La
paternitй en effet veut que le pиre produise de sa nature un fils qui lui est
connaturel. D’oщ si quelqu’agent fait quelque chose non pas de sa substance, ni
ne la produit en ressemblance de sa propre nature, on ne peut pas dire qu’il en
est le Pиre. Nous ne disons pas en effet que l’homme est le pиre des choses
qu’il fait comme artisan, sinon que mйtaphoriquement. L’Esprit Saint est en
vйritй connaturel au Christ selon la nature divine selon laquelle Il n’est pas
le pиre du Christ mais plutфt Il en procиde. Et selon la nature humaine Il
n’est pas connaturel au Christ. Car la nature humaine dans le Christ est autre
que la nature divine, comme on l’a dit (chapitres 206, 209, 211). Rien non plus
en la nature humaine n’a йtй communiquй de la nature divine, comme on l’a dit (chapitre
206). Il reste donc que l’Esprit Saint ne peut кtre dit le pиre du Christ De mкme en tout fils, ce qu’il y a de principal vient du pиre, et de
la mиre ce qui est secondaire. En effet chez les autres animaux l’вme est du
pиre et le corps est de la mиre. Or dans l’homme quoique l’вme rationnelle ne
soit pas du pиre mais crййe par Dieu, cependant la vertu sйminale du pиre opиre
dispositivement а la forme. Or ce qu’il y a de principal dans le Christ c’est
la personne du Verbe qui d’aucune faзon n’est de l’Esprit Saint. Il reste donc
que l’Esprit Saint ne peut кtre dit le pиre du Christ. CHAPITRE 224: DE LA SANCTIFICATION DE LA MИRE DU CHRIST
Puisque, comme il ressort des prйmisses (chapitres 221, 222) la
Bienheureuse Vierge Marie est devenue la mиre du Fils de Dieu en concevant de
l’Esprit Saint, il fallait qu’elle fыt ornйe d’une puretй-йminente qui
s’accordвt а un tel Fils. Et donc on doit admettre qu’elle a йtй exempte de toute
tache de pйchй actuel, non seulement mortel mais aussi vйniel; ce qui ne peut
arriver а aucun saint aprиs le Christ, puisqu’il est dit en saint Jean: "Si
nous disons que nous n’avons pas de pйchй, nous nous illusionnons, et la vйritй
n’est pas en nous" (1 Jean 1, 8). Mais au sujet de la Mиre de Dieu on
peut entendre ce que dit le Cantique des Cantiques: "Tu es toute belle,
mon amie, et il n’y a pas de tache en toi" (4, 7). Non seulement elle fut exempte de tout pйchй actuel mais aussi
originel, purifiйe par un privilиge spйcial. A la vйritй il fallait qu’elle
soit conзue avec le pйchй originel, puisque sa conception s’est faite par
l’union des deux sexes. En effet ce privilиge que vierge elle conзoive le Fils
de Dieu lui йtait rйservй et а elle seulement. Mais l’union des deux sexes qui
ne va pas sans la concupiscence depuis le pйchй du premier pиre transmet а la
lignйe le pйchй originel. De mкme si Elle avait йtй exempte du pйchй originel dans sa
conception elle n’aurait pas eu besoin de la rйdemption par le Christ et ainsi
le Christ ne serait pas le rйdempteur universel des hommes; ce qui porte
atteinte а la dignitй du Christ. Il faut donc tenir qu’elle fut conзue avec le
pйchй originel mais purifiйe par Lui d’une faзon particuliиre. Il y en a en
effet qui sont purifiйs du pйchй originel aprиs la naissance comme ceux qui
sont sanctifiйs par le baptиme. Il y en a qui par un privilиge de la grвce
furent sanctifiйs dans le sein maternel comme il est dit de Jйrйmie: "Avant
que je te forme dans le sein je t’ai connu, avant que tu sortes du giron je
t’ai sanctifiй" (Jer 1, 5) et de Jean-Baptiste l’ange dit: "Il
sera rempli de l’Esprit Saint dиs le sein de sa mиre" (Lc 1, 15). Ce
qui fut accordй au prйcurseur du Christ et au prophиte on ne doit pas croire
que ce fut refusй а sa mиre. Aussi croit-on qu’elle fыt sanctifiйe dans le sein
maternel c’est-а-dire avant sa naissance. Cette sanctification n’a pas prйcйdй l’infusion de l’вme. Ainsi en
effet elle n’aurait pas йtй sujet du pйchй originel et elle n’aurait pas eu
besoin de rйdemption. En effet ne peut кtre sujet du pйchй originel que la
crйature rationnelle. Egalement la grвce sanctifiante a d’abord sa racine dans
l’вme et elle ne parvient au corps que par l’вme. D’oщ on doit croire qu’elle
fut sanctifiйe aprиs l’infusion de l’вme. Mais sa sanctification a йtй plus totale que pour les autres
sanctifiйs dans le sein. Car s’ils ont йtй purifiйs du pйchй originel,
cependant il ne leur fut pas donnй de ne pouvoir pйcher dans la suite au moins
vйniellement. Mais la Bienheureuse Vierge Marie fut sanctifiйe d’une telle
abondance de grвce que par la suite elle fut gardйe exempte de tout pйchй non
seulement mortel mais aussi vйniel. Et parce que le pйchй vйniel se contracte parfois par surprise,
comme par exemple lorsque s’йlиve quelque mouvement de la concupiscence ou
d’une autre passion qui prйvient la raison, et que pour cela les premiers
mouvements sont appelйs pйchйs, il s’en suit que la Bienheureuse Vierge Marie
n’a pas pйchй vйniellement parce qu’elle n’a pas connu les mouvements
dйsordonnйs des passions. Or ces mouvements dйsordonnйs se produisent en ce que
l’appйtit sensitif, qui est le sujet de ces passions, n’est pas tellement
soumis а la raison qu’il ne soit parfois mы vers quelqu’objet au-delа des
limites de la rai son, et parfois contrairement а la raison, ce en quoi
consiste le mouvement du pйchй. Ainsi donc il y eut dans la Bienheureuse Vierge
un appйtit sensible soumis а la raison par la vertu de la grвce qui la
sanctifiait ne pouvant jamais кtre mы contre la raison mais selon la raison.
Cependant il pouvait se produire des mouvements subits йtrangers а la raison. Mais il y eut quelque chose de plus total encore en Notre Seigneur
Jйsus-Christ. En lui l’appйtit infйrieur йtait ainsi soumis а la raison qu’il
n’йtait mы а rien si ce n’est selon l’ordre de la raison, c’est-а-dire que la
raison ordonnait ou permettait que l’appйtit infйrieur se meuve de son propre
mouvement. Or cela semble bien avoir appartenu а l’intйgritй de l’йtat primitif
que les forces infйrieures soient totalement soumises а la raison. Cette
soumission a disparu par le pйchй du premier pиre non seulement pour lui-mкme
mais aussi chez les autres qui contractent de lui le pйchй d’origine. Chez eux
aussi aprиs avoir йtй purifiйs du pйchй par la grвce du sacrement subsiste la
rйbellion ou la dйsobйissance des forces infйrieures а la raison, ce qu’on
appelle ferment ou (source) du pйchй. Et cela ne s’est jamais prйsentй dans le
Christ, comme on l’a dit. Mais comme dans la Bienheureuse Vierge Marie les for ces infйrieures
n’йtaient pas totalement soumises а la raison de sorte qu’elles n’auraient eu
aucun mouvement qui ne fыt ordonnй par la raison, cependant elles йtaient
retenues par la vertu de la grвce de telle maniиre qu’elles ne s’opposaient
d’aucune faзon а la raison; а cause de cela on dit communйment qu’en la
Bienheureuse Vierge aprиs sa sanctification demeurait la source du pйchй selon
la substance, mais йtait liйe. 1. Voir note chapitre 92 а la fin.
2. Le mot latin "fomes" qui veut dire excitant,
aliment trouve aussi sa valeur dans le mot ferment. Mais le verbe franзais "fomenter"
a ici sa racine et mкme sens.
CHAPITRE 225: DE LA PERPЙTUELLE VIRGINITЙ DE LA MИRE DE DIEU
Si par la premiиre sanctification elle fut ainsi garantie contre
tout mouvement du pйchй, bien davantage encore la grвce agit-elle en elle, et
le ferment du pйchй fut affaibli et mкme totalement dйtruit, le Saint-Esprit
survenant en elle selon la parole de l’Ange pour que d’elle soit formй le corps
du Christ (Lc 1, 35). C’est pourquoi lorsqu’elle fut devenue le sanctuaire de
l’Esprit Saint et l’habitacle du Fils de Dieu il n’est pas permis de croire que
non seulement il y eut en elle quelque mouvement du pйchй mais encore qu’elle
n’a pas connu la dйlectation de la concupiscence charnelle. C’est donc une
abomination l’erreur d’Helvidius qui, mкme s’il affirme que le Christ est nй de
la Vierge, cependant dit qu’elle engendra d’autres fils а Joseph. Et on ne peut pas apporter en faveur de cette erreur ce que dit
Matthieu "Joseph ne la connut pas (Marie) jusqu’а ce qu’elle ait mis au
monde son premier nй" (---, 25), comme si aprиs avoir engendrй le
Christ il l’ait con nue; car le mot "jusqu’а" ne signifie pas
ici un temps fini mais indйterminй. C’est en effet habituel а la Sainte
Ecriture de prйsenter une chose comme faite ou non jusqu’au moment oщ il peut
subsister un doute (а son sujet), comme par exemple au Psaume 109 il est dit: "Assieds-toi
а ma droite jusqu’а ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds."
On pouvait en effet douter si le Christ s’assiйrait а la droite de Dieu aussi
longtemps qu’on ne voyait pas ses ennemis lui кtre sou mis; ce qu’йtant arrivй
aucun doute ne subsistait. Un doute semblable pouvait venir si avant la
naissance du Fils de Dieu Joseph avait connu Marie[21].
C’est ce que 1’Evangйliste a eut soin d’йcarter ne laissant planer aucun doute
qu’aprиs la naissance Joseph ne l’a pas connue. Et on ne peut pas davantage argumenter que le Christ est dit
premier-nй (Mt 1, 25; Lc 2, 7) comme si par aprиs sa mиre aurait engendrй
d’autres fils. La Sainte Йcriture en effet parle de premier-nй avant lequel
aucun n’est nй mкme si aprиs lui aucun autre ne suit, comme il ressort des
premiers-nйs qui selon la loi sont offerts au Seigneur et prйsentйs aux prкtres
(Nm 18, 15-19). Aucun argument non plus que dans l’Йvangile il est question des
frиres du Seigneur (Mt 13, 55; Jean 2, 12; Gal 1, 19), comme si sa mиre avait
eu d’autres fils. En effet l’Йcriture a l’habitude d’appeler frиres tous ceux
qui sont de la mкme parentй, comme Abraham appela Loth son frиre quoiqu’il fыt
son neveu (Gn 13, 8; 11, 27; 12, 15; 14, 12). Et d’aprиs cela les neveux de
Marie et aussi les consanguins de Joseph qui йtait regardй comme pиre du Christ
sont appelйs frиres du Christ. Et donc il est dit dans le Symbole: "Qui est nй de la Vierge
Marie" laquelle est dite vierge absolument, elle qui demeure vierge et
avant la naissance, et lors de la naissance et aprиs. Et qu’il ne fut pas portй
prйjudice а sa virginitй avant ni aprиs la naissance on en a dit assez. Mais
non plus au moment de la naissance sa virginitй ne fut violйe. En effet le
corps du Christ qui entra chez les disciples les portes йtant closes pouvait
aussi par la mкme puissance sortir du sein fermй de sa mиre. En effet il ne
convenait pas qu’en naissant Il portвt atteinte а cette intйgritй, lui qui
voulait naоtre pour rйtablir dans son intйgritй ce qui йtait corrompu. C- La passion du
Christ (Ch 226-235)
CHAPITRE 226: DES DЙFECTUOSITЙS DU CHRIST
1. De mкme qu’il convenait que le Fils de Dieu en assumant la nature
humaine pour le salut de l’homme montrвt, dans cette nature qu’Il assumait, que
le but de ce salut йtait la perfection de la grвce et de la sagesse (chapitre 213
sq), ainsi aussi convenait-il que dans la nature humaine assumйe par le Verbe
de Dieu certaines conditions existent les plus conformes possibles а la
dйlivrance du genre humain. Or le mode йminemment le plus apte йtait que
l’homme qui avait pйri par son injustice soit rйparй par la justice. 2. Et l’ordre de la justice exigeait que celui qui s’est rendu
dйbiteur d’une peine en pйchant soit libйrй en s’acquittant de sa dette. Ce que
nous faisons ou subissons par des amis c’est un peu comme si nous le faisions
ou subissions nous-mкmes en ce que l’amour est une vertu rйciproque qui en
quelque sorte de deux qui s’aiment n’en fait plus qu’un; et donc il n’est pas
contraire а l’ordre de la justice si quelqu’un est libйrй par son ami satisfaisant
pour lui. Or par le pйchй de notre premier pиre, le genre humain tout entier
allait а sa perdition et la peine d’un homme ne pouvait suffire а libйrer tout
le genre humain. En effet ce n’йtait pas satisfaire dignement et йquivalemment
que tous les hommes puissent кtre libйrйs par la satisfaction d’un simple
mortel. Semblablement ce n’йtait pas suffisant а la justice si un ange par
amour des hommes satisfaisait pour eux. Car l’ange ne possиde pas une dignitй
infinie pour que sa satisfaction puisse йgaler l’immensitй des pйchйs d’une
foule immense de pйcheurs. Or Dieu seul est d’une infinie dignitй qui en
prenant chair pouvait satisfaire suffisamment comme nous l’avons dйjа dit plus
haut (chapitre 200). Il fallut donc qu’Il assumвt une telle nature humaine en
laquelle II pыt souffrir pour l’homme ce que l’homme par le pйchй mйritait afin
que ses souffrances pussent satisfaire pour l’homme. 3. Or ce n’est pas toute peine encourue par le pйchй de l’homme qui
est apte а satisfaire. En effet le pйchй de l’homme provient de ce qu’il se
dйtourne de Dieu en se tournant vers des biens passagers. Or l’homme est puni
pour le pйchй par rapport а ces deux choses. Car il s’est privй de la grвce et
des autres dons qui l’unissaient а Dieu; il mйrite aussi de souffrir labeur et
privation en ces choses par lesquelles il s’est dйtournй de Dieu. L’ordre donc
de la satisfaction requiert que par les peines qu’il souffre dans les biens
pйrissables, il revienne vers Dieu. Or sont contraires а ce retour ces peines
qui sйparent l’homme de Dieu. Personne donc ne satisfait а Dieu s’il est privй
de la grвce, ou s’il ignore Dieu, ou si son вme est livrйe au dйsordre bien que
ce soit lа des peines du pйchй, mais s’il йprouve en lui quelque regret et un
dom mage dans les biens extйrieurs. 4. Le Christ n’a donc pas dы prendre sur lui les dйfauts qui nous
sйparent de Dieu, mкme si ce sont les peines du pйchй, telle la privation de la
grвce, l’ignorance et autres choses semblables. Par lа en effet il se rendait
moins apte а la satisfaction. Bien au contraire pour кtre l’auteur de notre
salut il йtait requis qu’Il possйdвt la grвce et la sagesse comme on l’a dйjа
dit (chapitres 213 а 216). Mais parce que l’homme par suite du pйchй devait
mourir et souffrir dans son corps et dans son вme, le Christ a voulu prendre
sur lui ces misиres pour qu’en subissant la mort pour les hommes Il puisse
racheter le genre humain. 5. Il faut cependant savoir que ces misиres si elles nous sont
communes avec le Christ elles ne le sont pas au mкme titre. En effet ces
misиres, comme on l’a dit (chapitre 193) sont la peine du premier pйchй. Parce
que donc par une origine viciйe nous avons contractй la faute originelle, en
consйquence nous disons l’avoir contractйe; mais le Christ en son origine
n’avait contractй aucune tache de pйchй; d’oщ Il n’est pas dit avoir contractй
ces misиres mais plutфt les avoir assumйes: c’est volontairement qu’Il les a
acceptйes. Contracter en effet veut dire ce qu’on traоne (ou tire)
nйcessairement avec un autre. Or le Christ pouvait assumer la nature humaine
sans ces misиres tout comme Il l’a assumйe sans la laideur de la faute. Et
l’ordre rationnel semblait demander que celui qui йtait exempt de faute le soit
aussi de la peine. Et ainsi il ressort qu’aucune nйcessitй ni d’origine viciйe
ni de justice ne les Lui ont imposйes; d’oщ il reste qu’elles n’ont pas йtй
contractйes mais assumйes en lui. 6. Mais parce que notre corps est soumis а ces misиres comme peine du
pйchй — car avant le pйchй nous en йtions exempts — il convient de dire que le Christ
a pris l’apparence de pйchй en tant qu’Il a assumй ces misиres en sa chair
selon ce que dit l’Apфtre: "Dieu a envoyй son Fils en l’apparence de la
chair de pйchй" (Rom. 8, 3). D’oщ la passibilitй mкme du Christ ou sa
passion appelйe pйchй par l’Apфtre lorsqu’il ajoute: "Et а cause du
pйchй il a condamnй en sa chair le pйchй" (ibid.). Et encore: "Par
sa mort il est mort au pйchй une fois pour toute" (Rom 6, 10). Et plus
admirablement encore pour la mкme raison l’Apфtre dit: "Il s’est fait
pour nous malйdiction" (Gal 3, 13). Pour cette raison aussi Il est dit
avoir assumй pour nous la simple nйcessitй de la peine pour consumer notre
double nйcessitй de la faute et de la peine. 7. Il faut considйrer ultйrieurement que les misиres pйnales sont de
deux sortes pour le corps. Certaines sont communes а tous, comme la faim, la
soif, la fatigue aprиs le travail, la douleur, la mort et le reste; certaines
ne sont pas communes а tous mais propres а quelques uns comme la cйcitй, la
lиpre, la fiиvre, la mutilation des membres et le reste. De ces misиres la
diffйrence est que les premiиres nous viennent d’un autre, а savoir de notre
premier pиre qui les a encourues pour le pйchй; quant aux secondes, elles
naissent en des particuliers pour des causes spйciales. 8. Or dans le Christ l’existence d’aucune misиre ne se motivait, ni
par son вme qui йtait remplie de grвce et de sagesse et unie au Verbe de Dieu,
ni par son corps qui йtait parfaitement organisй et disposй, formй qu’il йtait
par la toute puissance de l’Esprit Saint; mais Il fit volontairement exception
en vue de nous procurer le salut et il accueillit certaines de nos misиres. Il
dut donc accueillir celles qui dйrivent des autres et qui nous sont communes а
tous non pas celles qui sont propres а quelques uns et qui naissent de causes
particuliиres. Pareillement aussi parce qu’il йtait venu principalement pour
restaurer la nature humaine, il dut accepter ces misиres qui se trouvaient dans
toute la nature. 9. Il est clair aussi, selon ce qui prйcиde et au dire de saint Jean
Damascиne, que le Christ a pris des misиres non-infamantes, c’est dont on ne
peut en faire un reproche. Si en effet Il eut accueilli le dйfaut de science ou
de grвce, ou mкme la lиpre, ou la cйcitй ou autre chose en ce genre c’eut йtй
au prйjudice de sa dignitй et eut donnй l’occasion aux hommes d’en dire du mal,
ce qui n’a pas lieu pour les misиres qui se trouvent partout dans la nature. CHAPITRE 227: POURQUOI LE CHRIST A-T-IL VOULU
MOURIR?
1. Il est йvident d’aprиs ce qui vient d’кtre dit que le Christ a pris
certaines misиres non par nйcessitй mais en vue d’une fin c’est-а-dire а cause
de notre salut. Or tout pouvoir ou disposition ou habiletй est ordonnйe а
l’action comme vers une fin; d’oщ la passibilitй en vue de satisfaire ou
mйriter ne peut suffire sans une souffrance actuelle. En effet on ne dit pas de
quelqu’un qu’il est bon ou mauvais de ce qu’il peut agir en ce sens, mais de ce
qu’il agit en rйalitй; ni la louange ou le blвme ne sont dыs а l’aptitude mais
а l’action; d’oщ aussi le Christ ne prit pas seulement notre passibilitй pour
nous sauver mais encore Il voulut souffrir en satisfaction de nos pйchйs. 2. Il a donc souffert pour nous ce que nous devions souffrir pour le
pйchй du premier pиre et principalement la mort а laquelle toutes les autres
souffrances humaines sont ordonnйes comme йtant la derniиre. "Car le
salaire du pйchй c’est la mort" au dire de l’Apфtre aux Romains (6,
23). D’oщ le Christ lui aussi a-t-Il voulu souffrir la mort pour nos pйchйs
afin qu’en acceptant sans faute de sa part la peine qui nous йtait due Il nous
dйlivrerait du chвtiment de la mort, comme celui qui serait libйrй de la dette
d’une peine qu’un autre subit а sa place. 3. Il voulut aussi mourir non seulement pour que sa mort soit un
remиde satisfactoire mais encore le sacrement de notre salut pour qu’en
ressemblance de sa mort nous mourrions а la vie charnelle en passant а une vie
spirituelle selon ce que dit saint Pierre: "Le Christ est mort une fois
pour nos pйchйs, juste pour des injustes, en offrande а Dieu: mort а la chair
et vivifiй en l’esprit" (1 Petr 3, 18). 4. Il voulut aussi mourir pour que sa mort soit pour nous le modиle de
la vertu parfaite. Quant а la charitй d’abord, parce que "Personne n’a
de plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis" (Jean 15, 13).
En effet on montre d’autant plus son amour qu’on ne recule pas devant des
souffrances rйpйtйes et pйnibles pour son ami. Or de tous les maux de l’homme
la mort est le plus pйnible qui nous enlиve la vie humaine; d’oщ il n’y a pas
de plus grand signe d’amour que si un homme expose sa vie pour un ami
vйritable. Quant au courage ensuite qui reste fidиle au devoir malgrй
l’adversitй car c’est surtout le fait du courage que quelqu’un mкme sous menace
de mort ne s’йcarte pas de la vertu. D’oщ ce que dit l’Apфtre parlant de la
passion du Christ "Pour que par sa mort Il dйtruisоt celui qui avait
l’empire de la mort, c’est-а-dire le diable; et qu’Il dйlivrвt ceux qui par
crainte de la mort pour toute la vie йtaient soumis а l’esclavage" (Hйbreux
2, 14 sq). En effet en ne refusant pas de mourir pour la vйritй il bannit la
crainte de la mort а cause de laquelle les hommes trиs souvent se soumettent а
l’esclavage du pйchй. Quant а la patience qui dans l’adversitй ne laisse pas la
tristesse s’emparer de l’homme, mais plus sont grandes les traverses plus
resplendit la vertu de patience. D’oщ dans le plus grand des maux qu’est la
mort on donne un exemple de parfaite patience si on l’endure sans trouble de
l’esprit. C’est ce que le Prophиte prйdit du Christ: "Comme l’agneau
qui se tait devant le tondeur Lui aussi n’ouvrit pas la bouche" (Is
53, 7). Quant а l’obйissance qui est d’autant plus louable que l’on obйit dans
les choses plus difficiles; or le plus difficile entre tout est la mort; d’oщ
pour recommander la parfaite obйissance du Christ l’Apфtre dit: "Il
s’est fait obйissant" а son Pиre "jusqu’а la mort"
(Ph 2, 8). CHAPITRE 228: DE LA MORT DE LA CROIX
Pour les mкmes raisons on voit pourquoi le Christ a voulu souffrir
la mort de la croix. D’abord parce qu’elle convient comme remиde satisfactoire.
Il est juste en effet que l’homme soit puni en ces choses oщ il a pйchй: "On
est puni par quoi on a pйchй" (Sag 11, 17). Le premier pйchй de
l’homme fut d’avoir mangй le fruit de l’arbre de la science du bien et du
contrairement au prйcepte de Dieu; а sa place le Christ s’est laissй attacher а
la croix pour payer ce qu’Il n’avait pas pris comme il est dit au Psaume (68,
5)[22]. Ce qui se justifie aussi quant au sacrement. En effet le Christ a
voulu montrer par sa mort que nous devions mourir а la vie charnelle pour que
notre coeur s’йlиve vers les choses d’en haut. D’oщ Lui-mкme nous dit: "Quand
je serai йlevй de terre j’attirerai tout а moi" (Jean 12, 32). Cela s’accorde aussi avec l’exemple d’une vertu par faite. Il arrive
en effet que les hommes ne redoutent pas moins une mort ignominieuse que les
affres de la mort, d’oщ il semble bien que pour la perfection de la vertu en
vue du bien de la vertu on ne redoute pas de subir une mort ignominieuse. D’oщ
pour recommander la parfaite obйissance du Christ, aprиs avoir dit de Lui qu’Il
s’йtait fait obйissant jusqu’а la mort l’apфtre ajoute: "La mort, oui,
de la croix" (Ph 2, 8). Cette mort йtait considйrйe comme la plus
ignominieuse selon la Sagesse; "Condamnons-le de la mort la plus
honteuse" (Sap 2, 20).
CHAPITRE 229: LA MORT DU CHRIST
Dans le Christ sont rйunies trois substances: son corps, son вme et
la divinitй du Verbe, dont deux, l’вme et le corps sont unies en une seule
nature, sйparйes cependant а la mort. Autrement le corps ne serait pas
rйellement mort puisque la mort pour le corps est sa sйparation d’avec l’вme;
cependant ni l’un ni l’autre ne furent pas sйparйs du Verbe de Dieu dans
l’union de la personne. De l’union de l’вme et du corps rйsulte l’humanitй; l’вme
йtant donc sйparйe du corps du Christ par la mort il n’y eut pas d’homme
pendant les trois jours de sa mort. Or on a dit plus haut (chapitres 203 et
211) а cause de l’union en la personne de l’humaine nature au Verbe de Dieu que
tout ce qui est dit du Christ-homme peut correctement кtre attribuй au Fils de
Dieu. Or comme dans sa mort subsistait l’union personnelle du Fils de Dieu а
l’вme et au corps du Christ, tout ce qui est dit des deux peut кtre attribuй au
Fils de Dieu. D’oщ dans le Symbole est-il dit du Fils de Dieu qu’"Il a
йtй enseveli"parce que le corps qui lui йtait uni reposa dans le tombeau
et qu’Il descendit aux enfers", son вme y descendant. Il faut aussi savoir que le genre masculin dйsigne la personne et le
neutre la nature: d’oщ nous disons dans la Trinitй que le Fils est autre que le
Pиre, mais non quelque chose d’autre. D’aprиs cela dans les trois jours de sa
mort le Christ fut tout entier dans le tombeau, tout entier en enfer, tout
entier au ciel, а cause de la personne qui йtait unie et а la chair gisant dans
le tombeau, et а son вme qui dйpouillait les enfers, et il subsistait en la
nature divine en rйgnant au ciel. Mais on ne peut pas dire qu’Il se trouva
entiиrement dans le tombeau ou en enfer, parce que ce n’est pas toute la nature
humaine, mais une partie qui fut dans le tombeau ou en enfer. 1- A rapprocher du chapitre 186,
peu aprиs le dйbut: "de ces trois choses" (le corps, l’вme et Dieu).
CHAPITRE 230: LA MORT DU CHRIST A ЙTЙ VOLONTAIRE
Donc la mort du Christ a йtй conforme а la nфtre quant а ce qui
regarde la nature de la mort et qui est la sйparation de l’вme avec le corps,
mais la mort du Christ fut diffйrente de la nфtre а un certain point de vue. Nous
mourons comme soumis а la mort par nйcessitй ou naturelle ou d’une violence qui
nous est faite. Or le Christ est mort non par nйcessitй mais par sa puissance
et sa propre volontй. Et lui-mкme dit: "J’ai le pouvoir de disposer de
ma vie et de la reprendre de nouveau" (Jean 10, 18). La raison de cette diffйrence est que les choses naturel les ne sont
pas au pouvoir de notre volontй; or l’union de l’вme et du corps est naturelle
et donc il n’est pas au pouvoir de notre volontй que l’вme reste attachйe au
corps ou qu’elle en soit sйparйe; mais cela dйpend de la vertu d’un agent. Or tout
ce qui йtait dans le Christ selon la nature humaine йtait naturel et tout
entier soumis а la volontй а cause de la vertu divine а laquelle est soumise
toute la nature. Il йtait donc au pouvoir du Christ qu’aussi longtemps qu’Il le
voulait, son вme reste unie au corps et aussitфt qu’Il le voulait, elle en soit
sйparйe. Or un signe de ce pouvoir divin le centurion le comprit qui se tenait
debout prиs de la croix du Christ le voyant expirer dans un grand cri; ce qui
montrait а l’йvidence qu’Il ne mourait pas d’un dйfaut naturel comme les autres
hommes. En effet ceux-ci ne peuvent pas rendre l’вme en criant puisqu’а
l’article de la mort ils peuvent а peine mouvoir et agiter la langue. D’oщ
parce que le Christ expira dans un cri Il manifesta son pouvoir divin et а
cause de cela le centurion dit: "Vraiment Il йtait le Fils de Dieu"
(Mt. 27, 54). Cependant on ne peut pas dire que les Juifs n’ont pas fait mourir le
Christ ou que Lui-mкme s’est donnй la mort. Celui-lа tue quelqu’un qui est la
cause de sa mort; cependant il n’y aura pas de mort а moins que ce qui cause la
mort l’emporte sur ce qui conserve la vie. 0r il йtait au pouvoir du Christ de
cйder devant la cause qui le dйtruisait ou de lui rйsister aussi longtemps
qu’Il le voulait. Et donc le Christ est mort volontairement et cependant les
Juifs l’ont fait mourir. CHAPITRE 231: DE LA PASSION DU CHRIST QUANT A SON CORPS
Or non seulement le Christ a voulu souffrir la mort mais aussi les
autres choses qui proviennent dans les descendants par le pйchй du premier pиre
afin qu’en acceptant intйgralement la peine du pйchй Il nous libйrerait
parfaitement, par sa satisfaction, de nos pйchйs. On distingue ce qu’Il a
souffert avant sa mort et aprиs sa mort. Prйcйdиrent la mort du corps les
souffrances tant naturelles, comme la faim, la soif, la lassitude et d’autres
choses de ce genre, que les violentes, comme les blessures, la flagellation et
autres choses semblables que toutes le Christ a voulu souffrir comme provenant
du pйchй. En effet si l’homme n’avait pas pйchй. Il n’eut pas ressenti la faim
ou la soif ou la lassitude ou le froid ni souffert la violence extйrieure. Cependant le Christ supporta ces souffrances d’une autre maniиre que
les hommes. En effet chez les autres hommes rien ne fait obstacle а la
souffrance. Dans le Christ non seulement la vertu divine pouvait rйsister а ses
souffrances, mais aussi la bйatitude de son вme dont la force йtait telle au
dire de saint Augustin qu’elle dйbordait sur le corps (Ep. ad Diosc. c. 3). Et
donc aprиs la rйsurrection par lа mкme que l’вme sera glorifiйe par la vision
divine et par une pleine et entiиre jouissance, le corps uni а la gloire de
l’вme deviendra glorieux, impassible et immortel. Donc comme l’вme du Christ jouissait de la parfaite vision divine,
autant qu’il se peut, il s’en suivait que le corps devenait impassible et
immortel par ce dйbordement de la gloire de l’вme sur son corps. Mais il y fut
fait exception de sorte que l’вme jouissant de la vision divine, le corps en
mкme temps souffrirait sans aucun dйbordement de la gloire de l’вme sur le
corps. En effet comme on l’a dit (chapitre 230), ce qui йtait naturel dans le
Christ йtait soumis selon la nature humaine а sa volontй. Il pouvait donc а sa
guise empкcher le dйbordement naturel des parties supйrieures sur les
infйrieures et laisser chaque partie souffrir ou agir ce qu’il lui йtait propre
sans l’intervention de l’autre partie; ce qui ne peut avoir lieu chez les
autres hommes. D’oщ vient aussi que le Christ souffrit une douleur extrкme
parce que la douleur corporelle n’йtait en rien adoucie par la partie
supйrieure de la rai son, comme en revanche la douleur corporelle n’empкchait
pas la joie de sa raison. De lа aussi il appert que le Christ fut а la fois voyageur et
voyant. En effet il jouissait de la vision divine, ce qui est propre au voyant,
de telle maniиre cependant que son corps restait sujet aux souffrances, ce qui
appartient au voyageur. Et comme c’est le propre du voyageur de mйriter pour
soi ou pour les autres par le bien qu’il fait par charitй, de lа vient que le
Christ, quoique bienheureux, mйrita cependant par ses actions et pour Lui et
pour nous. Pour Lui non pas la gloire de l’вme qu’Il avait depuis le dйbut de
sa conception, mais la gloire du corps а laquelle Il parvint par sa passion. A
nous aussi chacune de ses souffrances et actions furent profitables а notre
salut, non seulement comme exemples, mais aussi comme mйrites, parce que par
l’abondance de sa charitй et de sa grвce. Il put nous mйriter la grвce, pour
qu’ainsi les membres reзoivent de la plйnitude de la tкte. Chacune de ses souffrances si petites qu’elles fussent suffisait а
racheter le genre humain si on considиre la dignitй du patient. Plus en effet
est digne la personne а laquelle on inflige une souffrance plus aussi est
grande l’injure, comme par exemple de frapper le prince que de frapper
quelqu’un du peuple. Comme le Christ est d’une infinie dignitй toute souffrance
chez Lui a un prix infini qui suffirait а abolir une infinitй de pйchйs. Cependant la rйdemption du genre humain ne fut pas achevйe par
n’importe quelle souffrance mais par la mort que pour les raisons apportйes
plus haut (chapitres 227 et 228) Il a voulu subir pour racheter le genre humain
du pйchй. Dans tout achat en effet est requis non seulement l’apprйciation juste
mais aussi le versement fait а l’achat. CHAPITRE 232: L’ВME SOUFFRANTE DU CHRIST
1. L’вme йtant la forme du corps il s’en suit que si le corps souffre,
l’вme souffre aussi d’une certaine faзon d’oщ selon la condition passible du
corps le Christ souffrit aussi en son вme. Il faut considйrer qu’il y a une
double souffrance de l’вme: l’une du cфtй du corps l’autre du cфtй de l’objet: ce
qu’on peut considйrer en quelqu’une des puissances. En effet comme l’вme est au
corps, ainsi une partie de l’вme est а une partie du corps. Or la puissance
visuelle est affectйe par son objet, comme lorsque la vue est offusquйe par un
trop grand йclat; du cфtй de l’organe, comme lorsque la pupille йtant lйsйe, la
vue en est йmoussйe. 2. Si donc on considиre la souffrance de l’вme du Christ а partir du
corps ainsi toute l’вme souffrait, le corps souffrant. L’вme est en effet la
forme du corps selon son essence; or dans cette essence toutes les puissances
s’enracinent; d’oщ il reste que si le corps souffre, chacune des puissances de
l’вme souffre d’une certaine faзon. Si l’on considиre la souffrance de l’вme du
cфtй de l’objet, toute puissance de l’вme ne souffrait pas, selon que souffrir
а proprement parler suppose un dommage. En effet du cфtй de l’objet tout
n’йtait pas nocif en chacune des puissances de l’вme. 3. Dйjа en effet il a йtй dit plus haut (chapitres 216 et 231) que
l’вme du Christ jouissait de la parfaite vision de Dieu. Donc la raison
supйrieure de l’вme, qui chez le Christ s’attache а la contemplation et а
l’ordonnance des choses йternelles, n’offrait rien de contraire ou
d’incompatible qui puisse donner lieu а subir du dommage. Quant aux puissances
sensitives dont les objets sont des choses corporelles elles subirent le contre
coup des souffrances du corps; d’oщ son corps souffrant, le Christ en ressentit
une douleur sensible. Et parce que la lйsion corporelle, de mкme qu’elle est
ressentie dommageable et qu’ainsi aussi l’imagination intйrieure l’apprйhende
comme nocive, il s’en suit une douleur intйrieure, mкme si elle n’est pas
ressentie dans le corps; et nous disons que cette passion de la tristesse a йtй
dans l’вme du Christ. Et non seulement l’imagination, mais aussi la raison
infйrieure saisit aussi ce qui nuit au corps. Et donc aussi l’apprйhension de
la raison infйrieure qui est des choses temporelles pouvait donner lieu а la
passion de la tristesse dans le Christ c’est-а-dire en tant que la raison
infйrieure apprйhendait la mort ou autre lйsion du corps comme nocives et
contraires а l’appйtit naturel. 4. De l’amour qui de deux hommes ne fait qu’un en quelque sorte, il
arrive que l’on йprouve de la tristesse de choses que l’imagination ou la
raison infйrieure apprйhendent comme nocives non seulement pour soi mais aussi
pour ceux qu’on aime. Lа aussi le Christ йprouvait de la tristesse de ce qu’Il
connaissait le danger de la faute ou de la peine qui menaзait ceux qu’Il aimait
d’un amour de charitй. D’oщ son affliction non seulement pour lui-mкme mais
aussi pour nous. Mais bien que c’est а la raison supйrieure que se rapporte
l’amour du prochain, en tant qu’on l’aime par charitй pour Dieu, cependant dans
le Christ la raison supйrieure ne pouvait s’attrister au sujet des dйfauts du
prochain comme il arrive chez nous. Parce qu’en effet la raison supйrieure du
Christ jouissait de la pleine vision de Dieu, elle apprйhendait ces dйfauts comme
ils sont contenus dans la sagesse divine qui a prйvu et permis un tel pйchй et
qu’il en soit puni. Et donc ni l’вme du Christ, ni le bienheureux qui voit
Dieu, ne peuvent concevoir de la tristesse des dйfauts du prochain. 5. Il en va autrement chez les vivants qui n’atteignent pas а la
vision de la sagesse. Ils s’attristent en effet aussi selon la raison
supйrieure des dйfauts d’autrui pendant qu’ils considиrent pour l’honneur de
Dieu et l’exaltation de la foi que certains soient sauvйs qui cependant sont
damnйs. Ainsi donc Lui qui souffrait selon les sens, l’imagination et la raison
infйrieure, de ces mкmes choses Il s’en rйjouissait selon la raison supйrieure
en tant qu’Il les rapportait а l’ordonnance de la divine sagesse. Or il est
propre а la raison de savoir comparer les choses l’une а l’autre et donc on dit
ordinairement que la raison du Christ repoussait la mort considйrйe en
elle-mкme c’est-а-dire qu’elle est naturellement haпssable; cependant Il
voulait la souffrir considйrйe en son motif. 6. De mкme que le Christ s’est attristй ainsi aussi a-t-il connu les
passions qui naissent de la tristesse comme la peur, la colиre, etc. Ce qui en
effet peut par sa prйsence causer la tristesse est aussi la cause de la crainte
par l’apprйhension des maux futurs et si quelqu’un nous lйsant provoque la
tristesse nous nous irritons contre lui. Cependant ces passions n’йtaient pas
les mкmes qu’en nous. Chez nous en effet elles prйviennent le plus souvent le
jugement de la raison, parfois elles outrepassent la mesure de la raison. Dans
le Christ elles ne prйvenaient jamais le jugement de la raison ni n’excйdaient
jamais la mesure fixйe par la raison; mais l’appйtit infйrieur seul йtait mы,
qui est sujet de passion, autant que la raison l’avait dйcidй. Il pouvait donc
se faire que selon la partie infйrieure l’вme du Christ refuse ce que d’autre
part elle dйsirait selon la partie supйrieure. Cependant une contrariйtй
d’appйtit n’existait pas chez Lui, ou la rйbellion de la chair contre l’esprit,
choses qui arrivent chez nous parce que l’appйtit infйrieur surmonte Je
jugement et la mesure raisonnable. Mais le Christ йtait mы selon la raison
permettant а chacune des forces infйrieures de se mouvoir de leur propre
mouvement selon qu’il convenait. 7. D’aprиs ces considйrations il est manifeste que la rai son
supйrieure du Christ par rapport а son objet se rйjouissait toute entiиre (car
rien ne pouvait se prйsenter de ce cфtй qui fыt cause de tristesse) mais elle
souffrait aussi toute entiиre du cфtй du sujet comme on l’a vu (chapitre 232). Et
ni la jouissance ne diminuait la souffrance, ni celle-ci n’empкchait la
jouissance, puisqu’il n’y avait pas dйbordement de l’une а l’autre; mais il
йtait laissй а chacune des puissances d’agir en propre comme il a йtй dit (chapitre
231). 1. La raison supйrieure est celle qui s’occupe des choses
йternelles en elles- mкmes ou dans leurs applications: en elles-mкmes en les
mйditant et dans leurs applications а notre conduite (2 Th I 79, 9 C).
CHAPITRE 233: LA PRIИRE DU CHRIST A L’AGONIE
Comme la priиre expose un dйsir, de la diversitй des appйtits il est
possible de se faire une idйe de ce que fut la priиre du Christ а l’imminence
de sa passion: "Mon Pиre, s’il est possible, que ce calice s’йloigne de
moi: ce pendant que ta volontй soit faite et non la mienne" (Mt 26,
39). En effet en disant: "Que ce calice s’йloigne de moi" Il
dйsigne le mouvement de l’appйtit infйrieur et du dйsir naturel par quoi chacun
repousse la mort naturellement et dйsire vivre. En disant: "Cependant
non pas comme je veux mais comme tu le veux" Il exprime le mouvement
de la raison supйrieure qui considиre tout dans l’ordre de la divine sagesse. A cela se rapporte aussi: "Si ce n’est pas possible" qui
dйmontre que cela seul peut se faire qui procиde selon l’ordre de la divine
volontй. Et bien que le calice de la passion ne se soit pas йloignй sans qu’Il
le boive, on ne peut pas dire que sa priиre n’a pas йtй exaucйe. Car selon
l’Apфtre: "Il a йtй exaucй en tout а cause de sa piйtй" (Hйbreux
5, 7). Puisque la priиre expose un dйsir, comme on vient de le dire, nous
demandons simplement ce que nous dйsirons simplement; d’oщ le dйsir des justes
obtient d’кtre exaucй auprиs de Dieu, selon ce que dit le Psaume: "Le
Seigneur a exaucй le dйsir des pauvres" (Ps 9, 17). Or nous dйsirons
simplement quand nous dйsirons selon la raison supйrieure qui seule donne le
consentement а l’acte. Or le Christ a simplement demandй que la volontй du Pиre
se fasse parce c’est elle qu’Il a voulu simplement et non que le calice
s’йloigne de Lui: ce qu’il ne voulait pas simplement, mais selon la raison
infйrieure, comme on l’a dit (chapitre 232). CHAPITRE 234: LA SЙPULTURE DU CHRIST
Le pйchй avait entraоnй aprиs la mort d’autres misиres et du cфtй du
corps et du cфtй de l’вme. Du cфtй du corps, il serait rendu а la terre d’oщ il
est pris. Or pour le corps il y a deux sortes de misиres: selon la position et
selon la dйcomposition, car le cadavre est placй sous terre dans un tombeau et
il se dйcompose en йlйments dont le corps est fait. Le Christ a voulu subir la
premiиre c’est-а-dire que son corps soit placй sous terre. L’autre il ne l’a
pas subie c’est-а-dire que son corps aurait йtй dйcomposй. D’oщ il est йcrit: "Tu
ne permettras pas que ton saint connaisse la corruption" (Ps 15, 10)
c’est-а-dire la putrйfaction. La raison en est que le corps du Christ prit la
matiиre а par tir de la nature humaine, mais sa formation ne fut pas par un
pouvoir humain mais par la vertu de l’Esprit Saint. Et donc а cause de la
substance matйrielle, Il a voulu endurer un endroit souterrain qu’on a
l’habitude d’accorder aux morts. En effet est dы aux corps le lieu de l’йlйment
prйdominant. Mais Il n’a pas voulu souffrir la dissolution d’un corps oeuvre de
l’Esprit Saint; car c’est en cela qu’Il diffйrait des autres hommes. CHAPITRE 235: LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS
Du cфtй de l’вme, il y a chez l’homme aprиs la mort en suite du
pйchй, la descente aux enfers, non seulement quant au lieu mais aussi quant а
la peine. De mкme que le Christ fut sous terre selon le lieu mais ne fut pas
dйcomposй, ainsi l’вme du Christ descendit aux enfers quant au lieu mais n’y
subit pas la peine, mais plutфt pour en dйlivrer ceux qui а cause du premier
pйchй y йtaient dйtenus et pour lequel il avait dйjа pleinement satisfait en
souffrant la mort. D’oщ aprиs la mort il ne restait plus rien а souffrir, mais
sans souffrance pйnale. Il descendit localement aux enfers pour se montrer en
libй rateur des vivants et des morts. De lа aussi on dit qu’Il est le seul "parmi
les morts а avoir йtй libre" (Ps 87, 6), parce que l’вme n’a pas connu
la peine de l’enfer, ni son corps la corruption du tombeau. Quoique le Christ descandant aux enfers dйlivrвt ceux qui pour le
pйchй du premier pиre y йtaient dйtenu, cependant, il y laissa ceux qui pour
leurs pйchйs personnels s’y trouvaient condamnйs. Et c’est pour cela qu’il est
dit de lui: "il a mordu l’enfer" mais Il ne l’a pas absorbй,
parce qu’il libйra une partie et y laissa l’autre. Aux dйficiences du Christ le
Symbole de foi fait allusion: "A souffert sous Ponce Pilate, a йtй
crucifiй, est mort, a йtй enseveli, est descendu aux enfers." 1. Ero mors tua, o mors; morsus tuus ero inferne (Os
13, 14). D- La rйsurrection et l’ascension (chapitre 236 а 240)
CHAPITRE 236: LA RЙSURRECTION ET LE TEMPS DE LA RЙSURRECTION DU CHRIST
1. Puisque le Christ a dйlivrй le genre humain de ses maux causйs par
le pйchй du premier pиre, il fallait que de mкme qu’Il avait supportй nos maux
pour nous en dйlivrer, qu’ainsi aussi apparaоtraient en lui les prйmices de la
rйparation de l’homme accomplie par lui. Par ces deux choses le Christ nous est
proposй comme signe de notre salut quand dans sa passion nous considйrons ce
que nous avons encouru pour le pйchй et ce que nous devions souffrir pour en
кtre dйlivrй, et quand nous con sidйrons par son exaltation ce que nous devons
espйrer par lui. 2. Donc ayant vaincu la mort causйe par le premier pйchй Il est le
premier ressuscitй а la vie immortelle: afin que de mкme qu’en Adam pйchant,
pour la premiиre fois apparut la vie mortelle, ainsi dans le Christ
satisfaisant pour le pйchй, pour la premiиre fois la vie immortelle
apparaоtrait dans le Christ. D’autres йtalent revenus а la vie avant le Christ
ressuscitйs par Lui ou par les Prophиtes mais qui mourraient de nouveau, tandis
que le Christ ressuscitй des morts ne meurt plus (Rom 6, 9). D’oщ ayant йchappй
le premier а la nйcessitй de mourir Il est appelй le premier d’entre les morts,
les prйmices de ceux qui dorment (Act 26, 23; Col 1, 18; 1 Cor 15, 20),
c’est-а-dire qu’Il est le premier sorti du sommeil de la mort en secouant le
joug de la mort. 3. La rйsurrection ne devait pas кtre retardйe ni avoir lieu aussitфt
aprиs la mort. Si en effet il йtait revenu а la vie aussitфt aprиs la mort la
rйalitй de cette mort n’йtait pas prouvйe. Si la rйsurrection йtait trop
longtemps retardйe il n’y avait pas de preuve de sa victoire sur la mort, ni
aucun espoir n’йtait donnй aux hommes d’кtre dйlivrйs par Lui de la mort. D’oщ
il remit sa rйsurrection jusqu’au troisiиme jour, car ce temps йtait suffisant
pour prouver la rйalitй de sa mort ni trop long pour enlever l’espoir de la
dйlivrance. On l’a bien vu chez les disciples d’Emmaьs dont l’espoir
s’estompait, et qui disaient, le troisiиme jour: "Nous espйrions qu’Il
sauverait Israлl" (Lc 24, 21). 4. Cependant le Christ n’est pas demeurй trois jours entiers dans le
tombeau. Il est cependant dit qu’Il resta trois jours et trois nuits dans le
sein de la terre selon qu’on prend la partie pour le tout. Comme en effet le
jour naturel est fait du jour et de la nuit que le Christ fut dans la mort Il
est dit avoir йtй dans la mort tout ce jour-lа. Et l’Ecriture a coutume de
compter la nuit avec le jour suivant parce que les Hйbreux comptent le temps d’aprиs
la lune qui fait son apparition le soir. Or le Christ a йtй dans le tombeau а
la fin du sixiиme jour qui compte avec la nuit qui le prйcиde donnera environ
un jour naturel; la nuit suivant le sixiиme jour avec le sabbat entier Il fut
dans le tombeau et ainsi on obtient deux journйes. Il gоt encore dans la mort
la nuit suivante, qui prйcиde le jour du Seigneur oщ Il est ressuscitй, soit а
minuit selon saint Grйgoire (In Ev. 2,21) soit dиs l’aube selon
d’autres. D’oщ si l’on compte toute la nuit ou une partie avec le jour du
Seigneur suivant on aura le troisiиme jour naturel. 5. Qu’Il ait voulu ressusciter le troisiиme jour, il y a lа un mystиre
afin de montrer qu’Il est ressuscitй par la vertu de toute la Trinitй. D’oщ on
dit tantфt que le Pиre l’a ressuscitй, tantфt que c’est de lui-mкme; ce qui est
aussi vrai comme c’est la mкme vertu du Pиre et du Fils et de l’Esprit Saint. C’est
aussi pour montrer que la restauration de la vie n’a pas йtй faite le premier
jour du siиcle а savoir sous la loi naturelle, ni le second а savoir sous la
loi mosaпque, mais le troisiиme а savoir au temps de la grвce. 6. Il y a aussi une raison а ce que le Christ est restй un jour entier
et deux nuits entiиres dans le tombeau parce que par l’unique vйtustй qu’Il a
prise, c’est-а-dire de la peine, Il a absorbй nos deux vйtustйs, de la faute et
de la peine, qui sont signifiйes par les deux nuits. CHAPITRE 237: DE LA QUALITЙ DU CHRIST RESSUSCITЙ
Non seulement le Christ a rйcupйrй pour le genre humain ce qu’Adam
avait perdu en pйchant mais aussi ce а quoi Adam aurait pu parvenir par ses
mйrites. Car beaucoup plus grande fut l’efficacitй du Christ pour le mйrite que
celle de l’homme avant le pйchй. En effet par le pйchй, Adam encourut la mort
ayant perdu le privilиge de ne pas devoir mourir s’il ne pйchait pas. Quant au
Christ non seulement cette nйcessitй de la mort est exclue, mais encore il
acquit la nйcessitй de ne pas mourir. D’oщ le corps du Christ aprиs la
rйsurrection est devenu impassible et immortel non comme le premier homme qui
pouvait ne pas mourir mais absolument, ne pouvant plus mourir; ce que dans
l’avenir nous attendons pour nous- mкmes. Et parce que l’вme du Christ avant sa
mort pouvait souffrir selon que le corps souffrait il s’en suit qu’avec
l’impassibilitй du corps l’вme aussi devenait impassible. Maintenant que le
mystиre de la rйdemption de l’homme est accompli, а cause que par exception la
jouissance de la gloire avait йtй contenue en la partie supйrieure ne pouvant
dйborder sur la partie infйrieure et jusqu’au corps mais qu’il fut permis а
chaque partie d’agir ou de souffrir ce qui lui йtait propre, il s’en est suivi
dйsormais par le dйbordement de la gloire а partir de l’вme supйrieure que le
corps йtait glorifiй totalement ainsi que les forces infйrieures. Et de la
vient qu’ayant йtй voyant avant sa passion а cause de la jouissance de l’вme et
voyageur а cause de la passibilitй du corps, Il ne fut plus dйsormais voyageur
aprиs le rйsurrection mais uniquement voyant. CHAPITRE 238: Y A-T-IL DES PREUVES CONVAINCANTES DE LA RЙSURRECTION DU
CHRIST?
Comme on l’a dit (chapitre 236) le Christ a anticipй sa rйsurrection
pour qu’elle fыt pour nous un motif d’espйrance et que nous puissions aussi
ressusciter. Pour cela il fallait que sa rйsurrection et le privilиge du ressuscitй
se manifestent par des preuves convaincantes. Ce n’est pas а tous
indiffйremment qu’Il a manifestй sa rйsurrection, comme Il l’avait fait pour
son humanitй et sa passion, mais seulement а des tйmoins prйdestinйs par Dieu
(Act 10, 41), c’est-а-dire ses disciples qu’Il avait choisis pour procurer aux
hommes le salut. Or l’йtat de rйsurrection appartient а la gloire du voyant
dont la connaissance n’est pas due а tous mais а ceux qui s’en rendent dignes. Le Christ leur manifesta et la vйritй de la rйsurrection et la
gloire du ressuscitй: pour la premiиre en leur montrant que c’йtait bien le
mкme qui йtait mort et ressuscitй quant а sa nature et quant а son personnage:
quant а la nature car Il montra qu’Il avait un corps humain vйritable en se
prйsentant au toucher et а la vue des disciples auxquels Il dit: "Touchez
et voyez car un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai"
(Lc 24, 39). Il se manifesta aussi en mangeant et buvant avec eux, actions qui
conviennent а la nature humaine, et en parlant et marchant en leur compagnie
qui sont des actes d’un homme vivant. Cependant se nourrir n’йtait plus une
nйcessitй; en effet les corps des ressuscitйs sont incorruptibles et n’ont plus
besoin de nourriture puisqu’en eux il n’y a aucune dйperdition а restaurer;
d’oщ la nourriture prise par le Christ ne servit pas d’aliment pour son corps
mais elle revint а la matiиre prйcйdente. Nйanmoins de cela mкme qu’Il mangea
et but Il montra qu’Il йtait homme. Quant au personnage Il prouva qu’Il йtait le mкme qui avait йtй mort
en laissant voir les traces de sa mort en son corps c’est-а-dire les cicatrices
des blessures. D'oщ Il dit а Thomas "Mets ton doigt ici et regarde mes
mains et approche ta main et mets-la dans mon cфtй" (Jean 20, 27). Et
encore: "Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi" (Lc 24,
38). Et c’йtait exceptionnellement qu’Il avait gardй les cicatrices de ses
blessures en son corps pour prouver la rйalitй de sa rйsurrection; en effet le
corps incorruptible d’un ressuscitй doit avoir toute son intйgritй; on peut
cependant admettre que chez les martyrs des marques de prйcйdentes blessures
apparaоtront avec une certaine beautй en tйmoignage de leur vertu. Il montra
йgalement qu’Il йtait le mкme personnage а sa faзon de s’exprimer et autres
maniиres d’agir qui font reconnaоtre les hommes. D’oщ ces disciples le
reconnurent а la fraction du pain (Lc 24, 30 et 35). Et lui-mкme se montra
ouvertement en Galilйe oщ il avait eu l’habitude d’кtre avec eux. Il manifesta la gloire du ressuscitй en entrant chez eux les portes
йtant fermйes (Jean 24, 31). En effet il appartient а la gloire d’un ressuscitй
de pouvoir apparaоtre а un regard non glorieux quand il le veut ou de
disparaоtre а son grй. Cependant comme la foi en la rйsurrection faisait difficultй c’est par
plusieurs indices qu’Il dйmontra tant la rйalitй de sa rйsurrection que la
gloire de son corps ressuscitй. Car s’Il avait totalement dйcouvert
l’exceptionnelle condition d’un corps glorifiй Il eut causй prйjudice а la foi
en la rйsurrection car l’immensitй de sa gloire aurait enlevй jusqu’а la
vraisemblance de son identitй. Il donna aussi des preuves non seulement par des
signes visibles mais encore par des preuves intellectuelles en leur faisant
comprendre le sens des Ecritures; et par les йcrits prophйtiques Il montra
qu’Il devait ressusciter. CHAPITRE 239: DES DEUX VIES RESTAURЙES EN L’HOMME PAR LE CHRIST
De mкme que le Christ par sa mort a dйtruit notre mort ainsi par sa
rйsurrection il a rйparй notre vie. Or il y a en l’homme une double mort et une
double vie: une mort selon le corps par sa sйparation d’avec l’вme, l’autre par
sa sйparation d’avec Dieu. Or le Christ chez qui la deuxiиme mort n’a pas eu
lieu, en souffrant la premiиre, c’est-а-dire corporelle, dйtruisit en nous
l’une et l’autre. Semblablement aussi а l’opposй on trouve une double vie: celle du
corps par l’вme et qui s’appelle vie naturelle et l’autre qui vient de Dieu et
qu’on appelle vie de justice ou vie de la grвce; et elle vient par la foi par
laquelle Dieu habite en nous: "Mon juste vivra de sa foi" (Hab
2, 4; Rom 1, 1.7). Et d’aprиs cela il y a une double rйsurrection, l’une
corporelle par laquelle l’вme est rйunie au corps, l’autre spirituelle par
laquelle elle est de nouveau unie а Dieu. Et cette seconde rйsurrection n’eut
pas lieu dans le Christ parce que son вme ne fut jamais sйparйe de Dieu par le
pйchй. Donc par sa rйsurrection Il est cause de l’une et de l’autre
c’est-а-dire corporelle et spirituelle. Il faut cependant remarquer que comme le dit saint Augustin (Tract.
super Joan. 19) "Le Verbe de Dieu ressuscite les вmes mais le Verbe
fait chair ressuscite les corps ". Donner la vie а l’вme n’appartient qu’а
Dieu. Mais parce que sa chair est instrument de la divinitй et que l’instrument
agit en vertu de la cause principale notre double rйsurrection et corporelle et
spirituelle se rapporte а la rйsurrection corporelle du Christ comme en sa
cause. En effet tout ce qui s’est passй dans la chair du Christ nous a йtй
salutaire en vertu de son union а la divinitй; de notre rйsurrection
spirituelle dit: "Il a йtй livrй а cause de nos dйlits et Il est
ressuscitй pour notre justification" (Rom 4, 25); et de notre
rйsurrection corporelle, il dit: "Si on annonce le Christ ressuscitй
comment d’aucuns disent-ils parmi vous qu’il n’y a pas de rйsurrection des
morts?" (1 Cor 15, 12). Excellemment l’Apфtre attribue la rйmission des pйchйs а la mort du
Christ et notre justification а sa rйsurrection, pour dйsigner la conformitй et
la ressemblance de l’effet avec la cause. Car de mкme qu’on dйpose le pйchй qui
est remis, ainsi le Christ en mourant a dйposй sa vie passible en laquelle se
trouvait la ressemblance du pйchй. Et lorsqu’on est justifiй, on acquiert une
nouvelle vie; ainsi le Christ par sa rйsurrection obtint la nouveautй de la
gloire. Ainsi donc la mort du Christ est cause de la rйmission de notre pйchй,
et effective instrumentalement, et exemplaire sacramentellement, et mйritoire;
il en est de mкme de sa rйsurrection effective et exemplaire, quoique non
mйritoire: et parce qu’il n’йtait plus voyageur et parce que la gloire de sa
rйsurrection fut la rйcompense de sa passion, comme il ressort de la lettre aux
Philippiens (2, 8). Ainsi donc il est йvident que le Christ doit кtre appelй le
premier-nй de ceux qui ressuscitent d’entre les morts, non seulement selon
l’ordre du temps puisqu’Il est le premier qui est ressuscitй (chapitre 236),
mais aussi dans l’ordre de la cause parce que sa rйsurrection est cause de la
nфtre, et dans l’ordre de dignitй parce que plus glorieuse. Cette foi dans le rйsurrection
du Christ se trouve au Symbole de la foi а ces mots: "Le troisiиme jour
Il est ressuscitй des morts." CHAPITRE 240: DE LA DOUBLE RЙCOMPENSE DE L’HUMILIATION DU CHRIST,
C’EST-A-DIRE LA RЙSURRECTION ET L’ASCENSION
1. Selon l’Apфtre l’exaltation du Christ a йtй la rйcompense de son
humiliation. Il suit de lа qu’а sa double humiliation rйpond une double
exaltation. Car Il s’est humiliй d’abord en souffrant la mort dans une chair
passible qu’Il avait assumйe, ensuite quant au lieu: son corps dйposй dans un
tombeau et son вme descendant en enfer. A la premiиre humiliation rйpond
l’exaltation de la rйsurrection dans laquelle de la mort Il revint а la vie
immortelle; а la seconde humiliation rйpond l’exaltation de l’ascension. D’oщ
l’Apфtre dit: "Celui qui est descendu est le mкme qui est montй
au-dessus des cieux" (Eph 4, 10). 2. De mкme qu’on dit du Fils de Dieu qu’Il est nй, a souffert, a йtй
enseveli et qu’Il est ressuscitй non pas cependant selon la nature divine mais
humaine, ainsi on dit du Fils de Dieu qu’Il est montй au ciel non pas cependant
selon la nature divine mais humaine. Car selon la nature divine Il n’a jamais
quittй le ciel, se trouvant par tout et toujours; d’oщ en saint Jean Il dit: "Personne
ne monte au ciel sinon celui qui descend du ciel, le Fils de l’homme qui est au
ciel" (Jean 3, 13). Par quoi on nous donne а entendre qu’Il est ainsi
descendu du ciel assumant la nature humaine tout en demeurant toujours au ciel. 3. D’oщ il faut aussi savoir que seul le Christ de son propre pouvoir
est montй au ciel. Cet endroit en effet йtait dы а celui qui йtait descendu en
raison de son origine. Les autres ne peuvent y monter par eux-mкmes mais par la
vertu du Christ йtant devenus ses membres. Et de mкme que monter au ciel
convient au Fils de Dieu selon la nature humaine ainsi vient s’ajouter autre
chose qui lui convient selon la nature divine, c’est-а-dire de s’asseoir а la
droite du Pиre. En effet il ne s’agit pas d’une droite ni d’une session
corporelle. Mais comme la droite est pour l’homme la place d’honneur on veut
faire comprendre que le Fils est йgal au Pиre n’ayant rien perdu selon sa
nature divine mais se trouvant en une parfaite йgalitй avec lui. 4. Cependant on peut attribuer cela mкme au Fils de Dieu selon sa
nature humaine de sorte que selon la divine nature nous entendions que le Fils
est dans le Pиre en unitй d’essence avec qui Il partage le siиge de la royautй
c’est-а-dire la mкme puissance. Mais comme de coutume le roi a des assistants
qui participent en quelque chose а la puissance royale, celui-lа est le plus
puissant que le roi met а sa droite, а juste titre donc le Fils de Dieu mкme
selon la nature humaine est dit кtre assis а la droite du Pиre, comme йtant
йlйvй au-dessus de toute crйature en la dignitй du royaume cйleste. 5. De deux maniиres donc s’asseoir а la droite est propre au Christ. D’oщ
l’Apфtre dit: "Auquel des anges a-t-il jamais йtй dit: Assieds-toi а ma
droite ?" (Heb 1, 13). Cette ascension du Christ nous la confessons
dans le Symbole en disant: "Il est montй au ciel; Il est assis а la
droite de Dieu le Pиre". E — Le jugement (chapitre 241 а 245)
CHAPITRE 241: LE CHRIST JUGERA SELON SA NATURE HUMAINE
De ce qu’on a dit (chapitre 226 sq. 231 et 239) on peut conclure que
par la passion et la mort du Christ, par la gloire de la rйsurrection et de son
ascension nous avons йtй libйrйs du pйchй et de la mort et avons obtenu la
justice et la gloire de l’immortalitй, celle-lа en rйalitй, l’autre en
espйrance. La passion, la mort, la rйsurrection et aussi l’ascension ont йtй
accomplies dans le Christ en sa nature humaine. En consйquence il faut dire que
relativement а ce que le Christ a souffert ou fait en sa nature humaine nous
dйlivrant des maux tant spirituels que corporels Il nous a par lа promus aux
biens spirituels et йternels. Or il va de soi que celui qui acquiert certains biens en faveur
d’autres il les leur dispense. Cette dispensation faite а un grand nombre
demande un jugement pour que chacun reзoive selon ce qui lui est dы. Il est
donc juste que le Christ, selon la nature humaine selon laquelle Il accompli
les mystиres du salut des hommes, soit constituй par Dieu juge des hommes qu’Il
a sauvйs. D’oщ en saint Jean est-il йcrit: "Il lui a donnй la puissance
de faire le jugement, parce qu’Il est le Fils de l’homme" (5, 27). On
peut aussi en donner une autre raison il est juste en effet que ceux qui
doivent кtre jugйs voient leur juge. Mais voir Dieu en sa nature lui qui a
l’autoritй pour le jugement est une rйcompense qui lui est rendue par le
jugement. Il faut donc que Dieu comme juge soit vu des hommes, qui doivent кtre
jugйs, les bons comme les mauvais, non en sa nature propre mais en la nature
qu’Il a assumйe. Car si les mauvais voyaient Dieu dans sa divinitй ils seraient
rйcompensйs; ce dont ils sont indignes. C’est aussi une juste rйcompense pour son humiliation que cette
exaltation du Christ lui qui fut injustement jugй par un juge humain. Pour
exprimer cette exaltation, est significatif ce que nous confessons dans le
Symbole qu’il a souffert sous Ponce Pilate. Donc cette exaltation de juge selon
qu’Il est homme lui йtait due par Dieu pour juger tous les hommes les morts
aussi bien que les vivants: "Ta cause fut celle d’un impie, tu recevras
en retour la cause et le jugement" (Job 36, 17). Et parce que cette puissance judiciaire fait partie de son
exaltation tout comme la gloire de la rйsurrection, le Christ au jugement
apparaоtra non en le mйrite de son humilitй mais dans sa forme glorieuse qui
est sa rйcompense. D’oщ l’Йvangйliste dit: "On verra le Fils de l’homme
venant dans la nuйe avec une grande puissance et une grande majestй"
(Lc 21, 27). La vision de sa gloire sera une joie pour les йlus qui l’auront
aimй et aux quels est promis qu’ils verront le roi en sa splendeur (Is 33, 17).
Pour les impies elle sera un sujet de confusion et de tristesse parce que la
gloire et la puissance de celui qui juge entraоnera pour eux, qui s’attendent а
leur damnation, la tristesse et la peur "Qu’ils contemplent et qu’ils
soient confondus ces peuples jaloux et que le feu dйvore tes ennemis"
(Is 26, 11). Et quoique Il se montre dans sa gloire cependant apparaоtront en Lui
les marques de sa passion non comme des dйficiences, mais glorieuses et
honorables, pour qu’а leur vue les йlus en conзoivent de la joie et les damnйs
de la tristesse d’avoir nйgligй un si grand bienfait. D’oщ dans l’Apocalypse: "Tout
oeil le verra, ceux aussi qui le crucifiиrent et toutes les tribus de la terre
gйmiront sur Lui." CHAPITRE 242: CELUI QUI CONNAОT L’HEURE A REMIS LE JUGEMENT AU FILS
"Le Pиre a donnй tout jugement au Fils," dit saint Jean (5, 22). Or maintenant, selon ce que dit Abraham, la
vie humaine est soumise au juste jugement de Dieu "Lui-mкme est celui
qui juge toute la terre" (Gen 18, 25). Il n’y a aucun doute aussi que
ce jugement, par lequel Dieu gouverne les hommes dans le monde appartient а la
puissance judiciaire du Christ. D’oщ ces paroles que le Pиre Lui adresse au
Psaume 109: "Assieds-toi а ma droite jusqu’а ce que je fasse de tes ennemis
l’escabeau de tes pieds". Il s’assied en effet а la droite de Dieu
selon sa nature humaine en tant que du Pиre Il reзoit le pouvoir de juger. Ce
pouvoir Il l’exerce maintenant avant mкme qu’apparaisse que ses ennemis sont
soumis sous ses pieds. D’oщ Il dit aussitфt aprиs sa rйsurrection: "Toute
puissance m’a йtй donnйe au ciel et sur la terre" (Mt 28, 18). Il y a un autre jugement de Dieu au sortir de cette vie quand chacun
reзoit la rйtribution selon l’вme et d’aprиs ses mйrites. Les justes libйrйs de
leur corps demeurent avec le Christ selon le dйsir de saint Paul (Ph 1, 23)[23];
les pйcheurs а leur mort sont ensevelis en enfer (Lc 16, 22). Cette
discrimination ne se fait pas sans un jugement qui appartient а la puissance
judiciaire du Christ; surtout qu’Il le dit а ses disciples: "Si je m’en
vais et vous prй pare une place, je reviendrai et je vous prendrai prиs de moi
afin que oщ je suis vous y soyez aussi" (Jean 14,3). Кtre enlevй (dans
le langage du Christ) n’est pas autre chose qu’кtre dissout (ou libйrй) pour
que nous puissions кtre avec le Christ; parce que "Aussi longtemps que
nous sommes en ce corps nous marchons loin du Seigneur" (2 Cor 5,6). Mais parce que la rйtribution de l’homme consiste non seulement dans
les biens de l’вme mais aussi dans les biens du corps que l’вme devra de
nouveau revкtir aprиs la rйsurrection et comme toute rйtribution requiert un
jugement, il faut donc un second jugement oщ les hommes seront rйtribuйs selon
ce qu’ils auront fait non seulement dans l’вme mais aussi en leur corps. Et ce
jugement appartient au Christ; car de mкme qu’Il est mort pour nous, est ressuscitй
en gloire et est montй aux cieux, ainsi aussi Il ressuscitera nos humbles
dйpouilles pour nous con figurer а son corps glorieux et nous transfйrer au
ciel oщ il nous a prйcйdй а son ascension, ouvrant la route devant nous comme
le prophиte Michйe l’avait prйdit (2, 13). La rйsurrection de tous les hommes
aura lieu а la fin des siиcles, comme on l’a dit plus haut (chapitre 162). Ce
jugement sera donc gйnйral et final et pour cela nous croyons que le Christ "viendra
dans la gloire" une seconde fois. Mais comme au psaume 35, 7 on dit que "Les jugements de Dieu
sont un abоme profond" et l’Apфtre aux Romains: "Incomprйhensibles
sont ses jugements" (11, 33), dans chacun de ces jugements il y a
quelque chose de profond et d’incomprйhensible а notre humaine connaissance. En
effet dans le premier jugement de Dieu, pour lequel la vie prйsente nous est
donnйe, lй temps de ce jugement est manifeste, mais le sens des rйtributions
nous est cachй, parce que surtout les maux en ce monde adviennent aux bons et
aux mйchants les joies. Mais dans les deux autres jugements de Dieu ce que sera
la rйtribution nous le savons, mais nous en ignorons le temps, tel le moment de
la mort: "L’homme ne connaоt pas sa fin" (Qoh 9, 12); quant а
la fin des siиcles personne ne peut la connaоtre. En effet nous ne savons pas
d’avance les choses а venir dont nous ne connaissons pas les causes. Or Dieu
est la cause de la fin du monde et sa volontй nous est inconnue; d’oщ la fin du
monde ne peut кtre connue d’aucune crйature mais de Dieu seul selon ce que dit
saint Matthieu: "Le jour et l’heure personne ne le sait, ni les anges
au ciel mais seulement le Pиre" (24,36). Mais comme dans saint Marc
(13,32) on lit: "Ni le Fils" certains y ont trouvй matiиre а erreur
pour dire que le Fils est moindre que le Pиre, parce qu’Il ignore ce que fait
le Pиre. On pourrait йviter cela en disant peut-кtre que cette ignorance se
rapporte а sa nature humaine assumйe, non а sa divinitй selon laquelle Il
possиde la mкme Sagesse que son Pиre; ou plus prйcisйment, on dira qu’Il est la
Sagesse mкme conзue dans le sein du Pиre. Mais il ne semble pas convenable que
le Fils, mкme selon la nature assumйe, ignore le jugement de Dieu puisque son
вme, au tйmoignage de l’Evangile, est pleine de grвce et de vйritй, comme on
l’a vu plus haut (chapitres 213-216). Il n’est pas non plus vraisemblable que le Christ reзoive la
puissance de juger parce qu’Il est fils de l’homme et qu’Il ignore le temps de
son jugement selon la nature humaine. En effet le Pиre ne Lui aurait pas donnй
tout jugement s’il lui йtait фtй la dйcision de dйterminer le temps de son
avиnement. Il faut donc comprendre cela selon la maniиre dont use l’Ecriture
habituellement quand elle dit que Dieu sait quelque chose au moment oщ Il donne
connaissance de cette chose, comme Il dit а Abraham: "Maintenant je
sais que tu crains le Seigneur" (Gen 22, 12) non qu’Il commencerait
alors de connaоtre Lui qui connaоt tout depuis toujours, mais parce qu’Abraham
avait montrй par cet acte sa soumission. Ainsi donc le Fils ignore le jour du
jugement parce qu’Il n’en a pas donnй connaissance а ses disciples, mais il a
rйpondu: "Il ne vous appartient pas de connaоtre les temps ni les
moments que le Pиre a dйcidйs en sa puissance" (Act 1, 7). Et dans ce
sens donc le Pиre n’ignore pas qu’Il a au moins donnй au Fils la connaissance
de cette chose par йternelle gйnйration. Certains cependant s’en tirent plus briиvement en disant qu’il faut
l’entendre du fils adoptif. Et donc le Seigneur a voulu que le temps du futur
jugement soit cachй pour que les hommes soient plus vigilants de peur que le
temps du futur jugement ne les prenne au dйpourvu. C’est aussi la raison pour
laquelle Il a voulu que l’heure de notre mort soit ignorйe. Chacun en effet
comparaоtra tel au jugement qu’il s’en est allй dans la mort. D’oщ le Seigneur
dit: "Veillez parce que vous ne savez pas а quelle heure votre maоtre
viendra" (Mt 24, 42). 2."II montera ouvrant le chemin devant eux; Il brise et eux
traversent la porte et leur roi marche devant et le Seigneur est а leur
tкte."
CHAPITRE 243: TOUS SERONT-ILS JUGЙS?
Ainsi il ressort de ce qui a йtй dit (chapitre 241) que le Christ a
le pouvoir de juger les vivants et les morts. Il exerce en effet le jugement et
sur ceux qui vivent en ce monde prйsent et sur ceux qui quittent ce monde par
la mort. Mais au jugement final Il jugera ensemble les vivants et les morts
soit qu’on entende par vivants les jus tes qui vivent de la grвce et par morts
les pйcheurs qui ont perdu la grвce; soit qu’on entende par vivants ceux qui а
l’avиnement du Seigneur seront trouvйs en vie et les morts ceux qui dйcйdиrent
avant. Par lа on ne doit pas comprendre que d’aucuns seront ainsi jugйs
vivants sans avoir connu la mort corporelle, comme certains l’ont avancй. En
effet l’Apфtre dit clairement: "Tous nous ressusciterons" (1 Cor 15,
51); et une variante dit: "Tous nous dormirons", c’est-а-dire
nous mourrons; soit comme on trouve en certains livres: "Non pas tous
nous dormirons" ainsi que l’йcrit saint Jйrфme а Minerius а propos de
la rйsurrection de la chair, ce qui n’infirme pas la sentence prйcйdente. Car
peu avant l’Apфtre avait dit: "De mкme qu’en Adam tous meurent, ainsi
dans le Christ tous ont la vie." Et ainsi ce qu’on dit lа "Non
pas tous nous dormirons" ne se rap porte pas а la mort du corps qui
est passйe а tous par le pйchй du premier pиre (Rom 5, 12-2 1) mais doit кtre
exposй du sommeil du pйchй dont il est dit aux Йphйsiens: "Lиve-toi,
toi qui dors; lиve-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera"
(5, 14). Seront donc distinguйs ceux qui а l’avиnement du Seigneur seront
trouvйs en vie, de ceux qui dйcйdиrent avant, non qu’ils ne mourront pas mais
parce que dans le fait d’кtre enlevйs ils mourront en allant dans les airs
rencontrer le Christ et aussitфt ressusciteront, comme le dit saint Augustin. Il faut cependant considйrer que trois choses concourent au
jugement: premiиrement que quelqu’un est prйsentй au juge; deuxiиmement que ses
mйrites sont discutйs; troisiиmement qu’il reзoit sa sentence. Quant au premier
point, tous bons et mйchants, depuis le premier homme jusqu’au dernier, seront
soumis au jugement du Christ, car il est dit: "Tous nous devons
comparaоtre devant le tribunal du Christ" (2 Cor 5, 10) et aussi tous
les petits enfants qui dйcйdиrent avec ou sans baptкme, comme le dit la Glose
au mкme endroit. Quant а la discussion des mйrites tous ne seront pas jugйs ni les
bons ni les mйchants. En effet la discussion d’un jugement n’est pas nйcessaire
а moins que le bien ne soit mкlй au mal. Mais lorsque le bien est sans mйlange
de mal ou inversement alors la discussion n’a pas lieu. Parmi les bons donc il
y en a qui ont totalement mйprisй les biens temporels ne vaquant qu’а Dieu seul
et aux choses de Dieu. Comme donc il y a pйchй en ce qu’on mйprise le bien
immuable pour adhйrer aux biens passagers, il n’y a pas chez eux mйlange de
bien et de mal, non qu’ils vivent а l’abri du pйchй, comme en leur personne il
est йcrit: "Si nous disions que nous n’avons pas pйchй, nous nous
sйduirions nous-mкmes" (1 Jean 1, 8), mais parce que chez eux les
quelques pйchйs lйgers sont en quelque sorte consumйs par la ferveur de la
charitй, de sorte qu’ils sont comme n’existant pas, ils ne seront donc pas
jugйs quant а la discussion de leurs mйrites. Mais ceux qui vivent leur vie de la terre s’attachant aux affaires
du siиcle s’en servant non contre Dieu mais y adhйrant plus que de juste, ils
ont mкlй du mal au bien de la foi et de la charitй dans une mesure assez
notable et il n’est pas facile de discerner ce qui prйvaut; d’oщ ils seront
jugйs aprиs discussion de leurs mйrites. De mкme quant aux mйchants, il faut noter que le principe
d’accession а Dieu est la foi: "Celui qui veut s’approcher de Dieu doit
croire qu’il existe" (Heb 11, 6). Celui donc qui n’a pas la foi n’a
rien de bon en lui qui puisse se mкler а ce qu’il y a de mal et rendre douteuse
sa condamnation; et donc il sera condamnй sans discussion sur ses mйrites. Quant
а celui qui a la foi sans la charitй et les bonnes oeuvres il a quelque chose
qui l’unit а Dieu; d’oщ une nйcessaire discussion des mйrites pour faire
paraоtre clairement ce qui pиse le plus, le bien ou le mal; d’oщ un tel sera
damnй avec discussion des mйrites. Comme le roi terrestre condamne un citoyen
fau tif aprиs l’avoir entendu, mais l’ennemi, sans aucune forme de procиs, il
le punit. Quant а la promulgation de la sentence, tous seront jugйs parce que
tous selon cette sentence du Christ obtiendront ou la gloire ou le chвtiment,
comme il est йcrit que "chacun emportera son salaire pour ce qu’il a
fait en sa vie soit le bien soit le mal" (2 Cor 5, 10). CHAPITRE 244: L’EXAMEN LORS DU JUGEMENT NE VIENT PAS DE CE QUE LE CHRIST
DEVRAIT КTRE INFORMЙ. LA MANIИRE ET LE LIEU DU JUGEMENT
Il ne faut pas s’imaginer que la discussion sera nйcessaire au
jugement pour que le juge soit informй, comme c’est le cas dans le jugement des
hommes, puisque tout est а nu et а dйcouvert а ses yeux (Hйbreux 4, 13); mais
elle est nйcessaire pour que chacun connaisse pour soi-mкme et pour les autres
de quelle peine ou de quelle gloire chacun est digne, ainsi les bons se
rйjouiront en tout de la justice de Dieu et les mйchants s’irriteront contre
eux- mкmes. Et il ne faut pas penser que cette discussion se fera de vive voix. Il
faudrait un temps infini pour dйnombrer les pensйes, les paroles et les actes,
bons ou mauvais de chacun. C’est en quoi Lactance s’est trompй en avanзant
mille ans pour le jour du jugement; et mкme ce temps serait insuffisant puisque
pour le jugement d’un seul homme il faudrait dans cette hypothиse plusieurs
jours. Donc par la vertu divine en un instant tout le bien et tout le mal que
chacun aura fait apparaоtront et pour lesquels il doit кtre rйcompensй ou puni;
et non seulement pour un chacun en ce qui le regarde mais aussi pour ce qui
regarde les autres. Oщ donc le bien est grand а ce point que le mal apparaisse
sans signification ou inversement, il n’y aura aucune concertation des biens
d’avec les maux selon l’estimation humaine et pour cela on peut dire qu’ils
sont sans discussion rйcompensйs ou punis. Dans ce jugement bien que tous seront prйsents au Christ, les bons
diffйreront des mйchants non seulement quant а la cause du mйrite mais ils en
seront mis а part localement. Car les mйchants qui aiment les choses de la
terre et se sont йloignйs du Christ demeureront sur la terre; mais les bons qui
adhйrиrent au Christ iront а la rencontre du Christ йlevйs dans les airs (1
Thes 4, 17) pour Lui кtre conformes non seulement configurйs а sa glorieuse
clartй mais associйs localement selon ce que dit saint Mathieu: "Partout
oщ sera le corps lа se rassembleront les aigles" (24, 28) lesquels
reprйsentent les saints. Il est significatif qu’au lieu de "corps"
en Hйbreu on a "joathan" selon saint Jйrфme, ce qui veut dire
cadavre, pour rappeler la passion du Christ, par laquelle Il a mйritй son
pouvoir de juger et ceux qui auront йtй conformйs а sa passion seront associйs
а sa gloire, selon ce que dit l’Apфtre: "Si nous souffrons avec Lui,
nous rйgnerons avec Lui" (2 Tim 2, 12; Rom 6, 8). Et de lа on croit que le Christ descendra pour le jugement au lieu
de sa passion selon ce que dit Joлl: "Je rassemblerai toutes les
nations et je les conduirai а la vallйe de Josaphat et je ferai avec elles le
jugement" (3, 2); ce lieu est situй au pied du Mont des Oliviers, d’oщ
le Christ est montй au ciel. C’est pour cela aussi que le Seigneur venant juger
le monde, le signe de la croix et les autres indices de sa passion
apparaоtront, selon saint Matthieu: "Et alors apparaоtra le signe du
Fils de l’homme dans le ciel" (Mt 24, 30), afin que les impies voyant
celui qu’ils crucifiиrent soient pйnйtrйs de regret et de douleur et les
rachetйs se rйjouissent de la gloire du Rйdempteur. Et de mкme que le Christ
est assis а la droite de Dieu selon son humanitй comme йlevй aux biens les plus
excellents du Pиre ainsi les justes au jugement se tiendront а sa droite
occupant en quelque sorte auprиs de Lui la place la plus honorable. 1.
Ce mot n’existe pas en hйbreu. Selon de Rubeis (Dissert. 17 in s. Tho mam 4. 4),
il y a faute de copiste. En grec: le mot "ptoma" signifie "cadavre
", saint Luc donne"soma" = corps. CHAPITRE 245: LES SAINTS JUGERONT
En ce jugement le Christ ne sera pas seul juge mais aussi d’autres,
dont certains jugeront rien qu’en confrontation: bons, confrontйs avec moins
bons, mйchants confrontйs aux plus mauvais, comme le dit saint Matthieu: "Les
hommes de Ninive se lиveront lors du jugement avec cette gйnйration et ils la
condamneront" (12, 41). D’aucuns jugeront en approuvant la sentence et
ainsi tous les justes seront juges, selon ce que dit le livre de la Sagesse: "Les
saints jugeront les peuples" (3, 8). 1 D’aucuns jugeront comme ayant
reзu du Christ le pou voir de juger: "Des glaives а double tranchant en
leurs mains" (Ps 149, 6). Cette derniиre puissance judiciaire le
Christ l’a promise aux Apфtres: "Vous qui m’avez suivi, lors du
renouveau, lorsque le Fils de l’homme siйgera dans sa majestй, vous aussi
siйgerez sur douze trфnes pour juger les douze tribus d’Israлl" (Mt
19, 28). Mais il ne faut pas penser que les seuls Juifs appartenant aux douze
tribus d’Israлl seront jugйs par les Apфtres, mais dans les douze tribus
d’Israлl, sont compris tous les fidиles qui ont hйritй de la foi des
patriarches. Car les infidиles furent dйjа jugйs. Semblablement aussi ce ne
sont pas les douze d’alors qui jugeront avec le Christ. Car Judas ne jugera
pas; mais Paul qui plus que tous les autres a travaillй ne sera pas privй du
pouvoir de juger Surtout comme lui-mкme le dit: "Ignorez-vous que nous
jugerons les anges ?" (1 Cor 6, 3). Mais aussi cette dignitй appartient а
ceux qui ayant tout quittй ont suivi le Christ; en effet cela fut promis а
Pierre qui s’enquйrait en disant: "Voici que nous avons tout quittй et
nous t’avons suivi, qu’en sera-t-il de nous ?" (Mt 19, 27) et Job dit: "Il
a donnй aux pauvres le jugement" (36, 6). Et c’est а juste titre,
comme on l’a dit en effet (chapitre 243), il sera discutй des actes des hommes
qui auront bien ou mal usй des choses terrestres. Or pour un jugement droit il
est requis que le juge soit libre а l’йgard des choses qu’il doit juger et donc
de ce que d’aucuns ont le coeur totalement dйtachй des choses de la terre ils
mйriteront de pouvoir exercer le jugement. Contribue aussi au mйrite de cette dignitй le fait d’avoir annoncй
les prйceptes divins; d’oщ le Christ viendra avec ses anges pour le jugement
(Mt 25, 31): il s’agit des prйdicateurs, au dire de saint Augustin, au Livre De
poenitentia (Sermon 351, 4): "Il convient en effet que ceux-lа
discutent les actes des hommes au sujet de l’observance des prйceptes divins
qui ont annoncй les prйceptes de vie. Ils jugeront en tant qu’ils coopйreront а
ce qu’apparaisse а chacun le motif du salut et de la damnation tant de soi que
des autres, de la mкme maniиre que les anges supйrieurs йclairent les infйrieurs
ou aussi les hommes." Ce pouvoir judiciaire donc nous le confessons
dans le Christ, au Symbole des Apфtres en disant: "D’oщ Il viendra
juger les vivants et les morts." F — Rйpartition des articles du symbole (chapitre 246)
CHAPITRE 246: COMMENT SE RЙPARTISSENT LES ARTICLES DU SYMBOLE D’APRИS CE
QUI A ЙTЙ DIT PLUS HAUT
Ayant donc considйrй ce qui a trait а la vraie foi chrйtienne il
faut savoir que tout ce qui a йtй dit peut se ramener а quelques articles:
selon certains а douze, selon d’autres а quatorze. Comme la foi s’occupe de
choses qui sont incomprйhensibles а la raison, si quelque vйritй nouvelle se
prйsente incomprйhensible а la raison, s’ajoutera donc un nouvel article. Il y
a donc un article se rapportant а l’unitй en Dieu. Bien que la raison puisse
prouver que Dieu est un, cependant il revient а la foi de dire qu’Il prйside
ainsi immйdiatement а toutes choses, ou qu’Il doit кtre honorй ainsi
singuliиrement. Au sujet des trois personnes il y a trois articles. Pour les
trois oeuvres divines, c’est-а-dire la crйation qui regarde la nature, la
justification qui regarde la grвce, la rйmunйration qui regarde la gloire, il y
a trois autres articles; et ainsi pour la divinitй il y a en tout sept
articles. Quant а l’humanitй du Christ on compte sept autres articles: le
premier traite de l’incarnation et de la conception; le second, de la naissance
qui offre une difficultй spйciale par suite de sa sortie du sein inviolй de la
Vierge; le troisiиme, de la mort, de la passion et de la sйpulture; le quatriиme,
de la descente aux enfers; le cinquiиme, de la rйsurrection; le sixiиme, de
l’ascension; le septiиme, de la venue au jugement; et ainsi on a quatorze
articles. D’autres assez rationnellement enferment la foi en trois personnes
sous un article en ce que on ne peut croire au Pиre sans croire au Fils et а
l’amour qui les relie et qui est l’Esprit Saint. Mais ils distinguent l’article
de la rйsurrection de l’article de la rйmunйration; et ainsi il y a deux
articles sur Dieu: un de l’unitй et un de la trinitй et quatre sur les oeuvres:
la crйation, la justification, la rйsurrection gйnйrale, la rйmunйration. Et il en va de mкme au sujet de la foi en l’humanitй du Christ: la
conception et la nativitй sont comprises sous un seul article comme aussi la
passion et la mort. Ainsi donc en tout, selon ce compte, il y a douze articles.
Et cela suffit pour ce qui est de la foi. DEUXIИME PARTIE: L’ESPЙRANCE
A — En gйnйral (chapitre 1 а 4)
CHAPITRE 1: LA VERTU D’ESPЙRANCE EST NЙCESSAIRE А LA PERFECTION DE LA
VIE CHRЙTIENNE
1. Comme selon la sentence du Prince des Apфtres (1 P 3, 15) nous
sommes avertis d’avoir а rendre compte de notre foi et aussi de cette espйrance
qui est en nous, aprиs avoir traitй briиvement de l’objet de notre foi
chrйtienne il reste а exposer pour toi (Rйginald), et en un raccourci, ce qui
concerne l’espйrance. 2. Il faut considйrer que le dйsir de l’homme trouve son repos dans la
connaissance; car son dйsir naturel le porte а connaоtre le vrai. C’est dans
cette connaissance une fois possйdйe qu’il se sent en suretй. Or dans la con
naissance de foi l’homme ne trouve pas ce repos; en effet ce qu’on croit, on ne
le voit pas; c’est pourquoi l’Apфtre dйfinit "La foi: un argument de
choses qu’on ne voit pas" (Hйbreux 11, 1). En possession de la foi,
l’вme aspire а autre chose, c’est-а-dire а la parfaite vision de cette vйritй
qu’elle croit et au moyen d’y accйder. Mais comme parmi ces arguments de foi
nous disions qu’il fallait croire que Dieu exerce sa providence sur les choses
humaines, alors s’йveille au coeur du croyant un йlan d’espйrance, enseignй
qu’il est par la foi des biens qu’il dйsire naturellement et qu’il peut
atteindre par son secours. Ainsi donc aprиs la foi, pour la perfection de la
vie chrйtienne, l’espйrance est nйcessaire, comme nous l’avons dit plus haut
(I, chapitre 1). CHAPITRE 2: C’EST AVEC RAISON QU’UNE PRIИRE A ЙTЙ PRESCRITE QUI NOUS
FAIT OBTENIR CE QUE NOUS ESPЙRONS DE DIFFЙRENCE ENTRE LA PRIИRE ADRESSЙE A ET
AUX HOMMES
1. Selon une disposition de la divine providence, а chaque кtre est
attribuй le mode de parvenir а sa fin selon ce qui convient а sa nature; aux
hommes est aussi concйdй un mode convenable d’obtenir de Dieu ce qu’ils en
espиrent selon ce que l’exige la condition humaine. En effet la condition
humaine veut que l’on interpose une supplique pour obtenir de quelqu’un,
surtout un supйrieur, ce que par lui on espиre acquйrir. Et pour cela la priиre
est prescrite aux hommes par laquelle ils obtiennent de Dieu ce que par Lui ils
espиrent obtenir. 2. Autrement cependant nйcessaire est la priиre pour obtenir quelque
chose de l’homme, autrement de Dieu. Chez l’homme en effet elle intervient
d’abord comme un dйsir de celui qui demande et pour exprimer une nйcessitй;
ensuite pour flйchir le coeur de celui qu’on supplie pour qu’il concиde. Ce qui
n’a pas lieu dans la priиre adressйe а Dieu. Nous ne cherchons pas en effet
dans la priиre а manifester nos nйcessitйs ou nos dйsirs а Dieu qui connaоt
tout. D’oщ cette parole du psaume: "Seigneur, tu connais mon dйsir"
(37, 10). Et il est dit dans l’Йvangile: "Votre Pиre sait que vous
avez besoin de tout cela" (Mt 6, 32). Et aussi la divine volontй n’est
pas inflйchie par des paroles humaines а vouloir ce qu’elle ne voulait pas
d’abord. Car il est йcrit: "Dieu n’est pas comme l’homme qui trompe, ni
comme un enfant des hommes qui change" (Num 23, 19) "Il n’a rien а
regret ter pour devoir changer d’avis" (1 Sam 15, 29). Mais la priиre
est nйcessaire а l’homme pour obtenir de Dieu, а cause de celui-lа mкme qui
prie, c’est-а-dire pour connaоtre en soi-mкme sa pauvretй et pour plier son
coeur а dйsirer fervemment et pieusement ce qu’il dйsire obtenir en priant;
ainsi se rend-il apte а кtre exaucй. 3. Autre diffйrence entre la priиre faite а Dieu ou faite а l’homme;
pour celle-ci en effet il faut auparavant кtre familiarisй avec cet homme pour
pouvoir introduire une demande. Mais la priиre qui s’adresse а Dieu nous le
rend familier quand notre coeur s’йlиve vers Dieu et que nous Lui parlons avec
amour spirituel, l’adorant en esprit et en vйritй, et ainsi rendus familiers
par la priиre on se crйe une ouverture pour prier de nouveau avec plus de confiance.
D’oщ il est йcrit: "J’ai criй", c’est-а-dire dans une priиre
confiante, "car tu m’as exaucй, mon Dieu" (Ps 16, 6), reзu en
quelque sorte en sa familiaritй par une premiиre priиre il crie ensuite avec
une plus grande con fiance. Et voilа pourquoi l’assiduitй а la priиre faite а
Dieu, la frйquence mкme de nos demandes ne l’importunent pas; mais cette priиre
Dieu l’estime et l’accepte. D'oщ, en effet, "toujours prier et ne
jamais se lasser." CHAPITRE 3: POUR LA PERFECTION DE NOTRE ESPЙRANCE, IL CONVENAIT QUE LE
CHRIST NOUS APPRENNE LA MANIИRE DE PRIER
1. Pour faire notre salut l’espйrance est aussi nйcessaire que la foi.
De mкme que notre Sauveur est l’auteur et le consommateur de la foi qui, elle,
renferme les secrets des cieux, ainsi fut-il nйcessaire qu’Il nous conduise а
une vivante espйrance en nous enseignant une maniиre de priиre qui excite
extrкmement notre espйrance en Dieu tandis que c’est Dieu lui-mкme qui nous
enseigne ce que nous devons lui demander. En effet Il ne nous inviterait pas а
le prier s’Il ne se proposait de nous exaucer et personne ne fait une demande а
un autre sinon de qui il espиre et il lui demande les choses qu’il en espиre. Ainsi
donc en nous apprenant а demander certaines choses а Dieu Il nous engage а
espйrer en Dieu; et ce que nous devons espйrer de Lui il le montre par les
choses qu’Il indique а demander. 2. Ainsi donc en nous attachant а ce qui est contenu dans l’oraison dominicale
nous dйmontrerons tout ce qui peut кtre l’objet de l’espйrance chrйtienne
c’est-а-dire en qui nous devons mettre notre espйrance, et pour quel motif, et
les choses que nous devons espйrer de lui. C’est en Dieu qu’il faut espйrer et
que nous devons aussi prier selon le psaume: "Espйrez en lui,
c’est-а-dire en Dieu, vous toute l’assemblйe du peuple, rйpandez devant Lui vos
coeurs, c’est-а-dire par la priиre" (Ps 61, 9). CHAPITRE 4: POURQUOI CE QUE NOUS ESPЙRONS NOUS DEVONS LE DEMANDER A DANS
LA PRIИRE
1. La cause pour laquelle nous devons espйrer vient en premier lieu de
ce que nous appartenons а Lui comme l’effet а la cause. Or rien n’agit
inutilement mais pour une fin dйterminйe. Il appartient donc а tout agent de
produire son effet de telle sorte que rien ne lui manque pour pouvoir arriver а
sa fin; de lа vient que dans ce que les agents naturels font, la nature ne fait
pas dйfaut dans les choses nйcessaires mais elle fournit а tout ce qu’elle
engendre ce qui Constitue son кtre et lui permet d’agir et d’arriver а sa fin,
а moins que peut-кtre il n’y ait empкchement par dйfaut de l’agent qui ne soit
pas en mesure de procurer ces choses. 2. Or un agent douй d’intelligence, non seulement en produisant son
effet lui apporte ce qu’il faut pour le but visй, mais encore, une fois
l’oeuvre achevйe, il l’emploie а son usage qui est la fin de l’ouvrage. Non
seulement l’ouvrier fabrique un couteau mais il en dispose pour couper. Or
l’homme a йtй produit par Dieu tout comme l’objet frabriquй par l’artisan. D’oщ
il est dit en Isaпe: "Et maintenant, Seigneur, tu es notre potier et
nous sommes l’argile" (64, 8). Et c’est pourquoi de mкme que le vase
d’argile s’il avait la connaissance pourrait espйrer du potier de servir а bon
usage, ainsi aussi l’homme doit-il avoir l’espoir que Dieu le gouverne
sagement. D’oщ il est йcrit: "Comme la glaise dans les mains du potier
ainsi vous, maison d’Israлl, кtes-vous dans mes mains" (Jer 18, 6). 3. Or cette confiance que l’homme a en Dieu doit кtre des plus sыres.
On a dit en effet (I, chapitre 112) qu’un agent parvient а rйaliser son oeuvre
а moins que quelque dйfaut ne l’en rende incapable. Or en Dieu ne se trouve
aucun dйfaut, ni ignorance, chez Lui "Tout est а nu et а dйcouvert а
ses yeux" (Hйbreux 4, 13); ni impuissance car "sa main n’est
pas si courte qu’elle ne puisse nous sauver" (Is 59, 1), ni mauvaise
volontй, car "Dieu est bon pour ceux qui espиrent en Lui, pour l’вme
qui le cherche" (Thren 3, 25). Et donc l’espйrance par laquelle
quelqu’un se confie en Dieu "ne confond pas celui qui espиre"
(Rom 5, 5). 4. En outre il faut savoir que si la Providence veille sur toutes ses
crйatures, d’une faзon spйciale cependant elle prend soin des crйatures
rationnelles c’est-а-dire marquйes de la dignitй de son image et qui sont capables
de le con naоtre et de l’aimer, et qui ont le domaine de leurs actions pour
juger du bien et du mal. D’oщ il leur faut espйrer en Dieu non seulement pour
conserver leur кtre selon l’exigence de leur nature comme il en est des autres
crйatures, mais aussi pour pratiquer le bien et rejeter le mal et ainsi mйriter
aux yeux de Dieu. D’oщ il est dit: "Tu sauves les hommes et les bкtes"
(Ps 35, 7), en tant qu’Il accordй aux hommes en mкme temps qu’aux кtres sans
raison ce qui soutient leur vie. Mais le psaume ajoute: "Les fils des
hommes espйreront sous la garde de tes ailes" (ib. 8) comme protйgйs
d’un soin spйcial de sa part. 5. Il faut de plus considйrer qu’une perfection qui s’ajoute donne une
possibilitй nouvelle d’action ou d’acquisition, par exemple l’air illuminй par
le soleil fait qu’on voit; l’eau que la chaleur fait bouillir a la propriйtй de
cuire; ce que ces йlйments pourraient espйrer s’ils avaient la sensibilitй. Or
а l’вme naturelle de l’homme vient s’ajouter la perfection de la grвce par
laquelle "elle participe а la divine nature" (2 P 1, 4); d’oщ
et d’aprиs cela nous sommes dits rйgйnйrйs en fils de Dieu, selon Jean: "Il
leur a donnй le pouvoir de devenir des fils de Dieu" (1, 12). Devenus
fils de Dieu ils peu vent espйrer l’hйritage "S’ils sont fils, ils sont
hйritiers" (Rom 8, 17). Et donc selon cette rйgйnйration spirituelle
l’homme est en mesure de mettre en Dieu assez haute son espйrance qui est
d’atteindre l’hйritage йternel: "Il nous a rйgйnйrйs pour une vivante
espйrance grвce а la rйsurrection de Jйsus-Christ d’entre les morts, pour un
hйritage incorruptible, sans tache et inflйtrissable et mis en sыretй au
ciel" (1 P 1, 3-4). Et parce que l’Esprit d’adoption que nous avons reзu nous fait crier:
"Abba, Pиre" (Rom 8, 15), alors pour nous montrer que c’est а
partir de cette espйrance qu’il nous faut prier, le Seigneur a fait commencer
sa priиre en invoquant son Pиre par le mot de "Pиre". Et de
mкme qu’il dit Pиre, le coeur de l’homme se dispose а prier dans la puretй du
coeur pour obtenir ce qu’il espиre. 7. Les enfants doivent aussi imiter leurs parents; celui donc qui
confesse que Dieu est Pиre doit s’efforcer d ‘imiter Dieu en йvitant ce qui le
rend dissemblable а Dieu et en s’attachant а ce qui nous fait ressembler а
Dieu. D’oщ il est йcrit: "Tu m’appelleras Pиre et tu ne cesseras pas de
me suivre" (Jer 3, 19). "Si donc, dit Grйgoire de Nysse, tu
diriges ton regard vers les choses mondaines ou situ cherches la gloire
humaine, comment toi qui vis une vie de corruption appelles-tu Pиre l’auteur de
l’incorruptibilitй?" (De or. dom. 2). B — La priиre du pater (chapitre 5 а 10)
CHAPITRE 5: A QUI NOUS DEMANDONS CE QUE NOUS ESPЙRONS EN PRIANT DOIT
КTRE APPELЙ PAR CELUI QUI PRIE: "NOTRE PERE" ET NON PAS MON PERE
1. Entre autres choses ce qui compte surtout pour celui qui se
reconnaоt fils de Dieu c’est d’imiter Dieu dans sa charitй: "Soyez des
imitateurs de Dieu comme des fils trиs chers et marchez dans la dilection"
(Eph 5, 1). Or en Dieu la dilection n’est pas quelque chose de privй mais elle
s’йtend а tous. Il aime en effet tout ce qui est, dit la Sagesse (11, 25) et
spйcialement les hommes: "II a aimй les peuples" (Deut 33, 3).
Et donc saint Cyprien de dire "La priиre est chez nous publique et commune;
et quand nous prions ce n’est pas seulement pour un seul mais pour tout le
peuple, parce que nous sommes un, tout un peuple" (Or. dom. 8). Saint Jean
Chrysostome dit: "Prier pour soi, la nйcessitй nous y pousse; prier
pour un autre la charitй fraternelle nous y invite" (In Matt. Hom. 19,
4). Et donc nous ne disons pas "mon Pиre", mais "Notre
Pиre". 2. Il faut aussi considйrer que mкme si notre espйrance s’appuie
principalement sur l’aide de Dieu, cependant nous nous aidons les uns les
autres afin d’obtenir plus facilement ce que nous demandons: "Il nous
dйlivrera lorsque vous nous secourez de votre priиre" (2 Cor I, 11).
D’oщ chez saint Jacques: "Priez les uns pour les autres pour кtre sauvйs"
(5, 16). Comme en effet le dit saint Ambroise: "Beaucoup de petits sont
grands, qui s’assemblent et ne font qu’un seul coeur". Les priиres
d’un grand nombre ne manqueront pas d’кtre exaucйes, selon ce que dit saint
Matthieu: "Si deux ou trois parmi vous sur la terre unissent leur voix
pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordй par mon Pиre qui est
dans les cieux" (18, 18). Et donc nous n’йlevons pas chacun pour soi
notre priиre vers Dieu mais dans un commun accord nous disons "Notre
Pиre ". 3. Il faut encore savoir que notre espйrance en Dieu repose sur le
Christ: "Justifiйs par la foi, nous sommes en paix avec Dieu grвce а
Notre Seigneur Jйsus-Christ, lui qui nous a donnй d’avoir accиs par la foi en
cette grвce en laquelle nous sommes affermis et nous nous glorifions dans
l’espйrance de la gloire de Dieu" (Rom 5, 2). Par Lui en effet qui est
le Fils de Dieu par nature nous devenons des fils d’adoption, car il est йcrit:
"Dieu a envoyй son Fils pour que nous recevions l’adoption des
fils" (Gal 4, 5). C’est dans ce sens que nous devons confesser Dieu
comme Pиre pour ne pas dйroger au privilиge du fils unique. D’oщ saint Augustin:
"Ne revendique rien pour toi spйcialement. Du Christ seul (Dieu) est
Pиre spйcialement; de nous tous en commun il est Pиre, parce que il a engendrй
celui-lа seul, tandis qu’Il nous a crййs. Et donc on dit Notre Pиre"
(Serm. 84 apocr.). CHAPITRE 6: QUE NOTRE PИRE QUE NOUS PRIONS PUISSE NOUS ACCORDER CE QUE
NOUS ESPЙRONS C’EST CE QUE DISENT LES MOTS: QUI ES AUX CIEUX
1. Le dйfaut d’espйrance arrive habituellement de l’impuissance de
celui dont on espиre le secours. Il ne suffit pas en effet pour une espйrance
confiante que celui sur lequel s’appuie notre espoir veuille nous aider il faut
encore qu’il en ait le pouvoir. En professant que Dieu est pиre, est exprimйe а
suffisance la promptitude de la volontй divine а nous aider; mais pour que l’on
ne doute pas de l’excellence de son pouvoir on ajoute: "Qui es aux
cieux". En effet on ne dit pas cela simplement comme йtant contenu aux
cieux mais comme embrassant les cieux de son pouvoir, selon le Siracide: "Seule,
dit la Sagesse, j ‘ai fait le tour des cieux" (24, 8). Bien plus c’est
au-dessus de toute la grandeur des cieux que son pouvoir est йlevй, au Psaume
8, 2: "Йlevйe est ta grandeur au-dessus des cieux." Et donc
pour affermir un confiant espoir nous professons son pouvoir qui soutient les
cieux et les transcende. 2. Par lа aussi on exclut tout obstacle а la priиre. Car il s’en
trouve qui soumettent les choses humaines а la fatale nйcessitй des astres,
contrairement а ce qui est йcrit: "Ne craignez pas les signes du ciel
mкme si les paпens en йprouvent de la terreur" (Jer 10, 2). Selon
cette erreur le fruit de la priиre est perdu; car si la vie йtait soumise а la
fatalitй des astres rien ne pourrait кtre changй. En vain demandons-nous des
bienfaits а la priиre ou la dйlivrance de nos maux. Donc pour enlever tout obstacle
а la confiance chez ceux qui prient, nous disons: "Qui es aux cieux"
c’est-а-dire comme le moteur et le modйrateur des cieux. Et ainsi le pouvoir
des corps cйlestes ne peut mettre osbstacle au secours que nous espйrons de la
part de Dieu. 3. Mais pour que la priиre soit efficace auprиs de Dieu, l’homme doit
demander а Dieu ce qui est digne de Lui. Il est dit en effet: "Vous
demandez et vous ne recevez pas parce que vous demandez indыment" (Jac
4, 3). En effet sont indыment demandйes les choses que la sagesse terrestre
suggиre. Et donc saint Jean Chrysostome enseigne: "En disant “qui
es aux cieux” nous n’y enfermons pas Dieu; mais le coeur de celui qui
prie s’arrache а la terre pour s’attacher aux rйgions cйlestes" (Hom.
in Mt 19, 4). 4. Il est encore un autre obstacle а la priиre ou а la confiance que
celui qui prie a au sujet de Dieu: c’est-а-dire si l’on pense que la vie
humaine est soustraite а la divine providence, comme disent les impies: "Il
se cache dans les nuйes et Il ne prend pas nos affaires en considйration, mais
Il voyage dans les sphиres cйlestes" (Job 22, 14); et encore: "Le
Seigneur ne voit pas, Il a dйlaissй la terre" (Ez 8, 12). L’Apфtre
saint Paul affirme le con traire, prкchant aux Athйniens il dit: "Il
n’est pas loin de chacun de nous; en Lui en effet nous vivons, nous nous
mouvons et nous sommes" (Act 17, 27, 28). Car Il nous conserve l’кtre,
gouverne notre vie, dirige notre con duite. Et la Sagesse: "Pиre, ta
providence gouverne toutes choses depuis toujours" (14, 3), jusqu’aux
moindres animaux qui ne sont pas soustraits а sa providence: "Est-ce
que deux passereaux ne se vendent pas un sous et l’un d’eux ne tombe pas sur
terre sans votre pиre? Vos cheveux de la tкte, tous sont comptйs" (Mt
10, 29). 5. Cependant les hommes sont sous la garde de Dieu de faзon si
excellente que l’apфtre en comparaison dit que des boeufs Dieu n’en a pas la
garde (1 Cor 9, 9) non qu’il n’ait nullement soin d’eux mais pas comme Il l’a
des hommes qu’Il punit ou rйmunиre selon le mal ou le; bien et qu’Il prйdestine
а l’йternitй. D’oщ le Seigneur ajoute а ce qu’Il vient de dire: "Vos
cheveux sont tous comptйs" en tant que tout sera rйparй а la
rйsurrection et par lа que toute dйfiance de notre part doit кtre exclue, d’oщ
il ajoute au mкme endroit: "Ne craignez pas, vous кtes plus que
beaucoup de passereaux" (ib. 30). Et а cause de cela comme on l’a dйjа
dit: "Les fils des hommes espйreront protйgйs sous tes ailes"
(Ps 35, 8). 6. Et bien que Dieu soit dit proche des hommes par le soin particulier
qu’Il en a, plus particuliиrement est-Il proche des bons, eux qui s’efforcent
de s’approcher de Lui par la foi et l’amour: "Approchez-vous de Dieu et
Il s’approchera de vous" (Jac 4, 8). Non seulement Il s’en approche mais Il y habite par sa grвce: "Tu
es en nous, Seigneur" (Jer 14, 9). Et donc pour augmenter l’espйrance
des saints on dit: "Qui es aux cieux" c’est-а-dire dans les
saints, selon saint Augustin, qui dit "qu’il y a autant de distance
spirituelle entre les pйcheurs et les justes qu’entre la terre et le ciel
corporellement". Pour signifier cela nous nous tournons dans la priиre
vers l’Orient d’oщ s’йlиve le ciel’. Ce qui augmente encore l’espйrance des
saints outre leur proximitй de Dieu c’est la dignitй qu’ils ont obtenue de Dieu
qui en a fait des cieux par le Christ, selon Isaпe: "Afin de tendre les
cieux et d’affermir la terre" (51, 16). En effet celui qui a fait
d’eux des cieux, ne leur refusera pas les biens cйlestes. 1.
Mouvement du firmament. CHAPITRE 7: DES CHOSES QU’IL FAUT ESPЙRER DE ET DE LA NATURE DE
L’ESPЙRANCE
1. Aprиs avoir vu ce qui peut faire naоtre l’espйrance chez l’homme,
il faut considйrer quelles sont les choses que nous devons espйrer de la part
de Dieu. Or on considиre que l’espйrance prйsuppose le dйsir; donc pour que
quelque chose Soit espйrй il est requis qu’il soit dйsirable. Ce qui n’est pas
dйsirй, on ne le dit pas espйrй mais craint et mкme mйprisй. Ensuite il faut
que ce qui est espйrй soit tenu pour possible а atteindre et cela fait que
l’espйrance s’ajoute au dйsir. L’homme en effet peut toujours dйsirer mкme s’il
sait ne pouvoir obtenir mais en cela il n’est pas question d’espйrance. En
outre ce qu’on espиre doit кtre ardu; car ce qui est de peu d’importance nous
le mйprisons plus que nous l’espйrons, ou si nous le dйsirons comme presque en
notre possession nous ne l’espйrons pas comme futur, mais nous le tenons comme
prйsent. 2. Il y a aussi а considйrer que parmi les choses ardues que l’on
espиre acquйrir certaines le sont par l’entremise d’un autre, d’autres par
soi-mкme. Mais il y a cette diffйrence que dans ce dernier cas on s’appuie sur
son propre pouvoir et dans l’autre on fait intervenir une demande; s’il s’agit
d’un homme c’est une simple demande; si on espиre de la part de Dieu c’est
proprement la priиre qui comme le dit saint Jean Damascиne est une demande de
choses dйcentes faite а Dieu (De Fide orth. 3, 24). 3. Mais on ne parle pas d’espйrance quand on s’appuie sur soi-mкme ou
sur autrui, mais seulement sur Dieu. D’oщ il est dit: "Maudit soit
l’homme qui se confie en l’homme et qui met son secours dans la chair"
(Jer 17, 5) et on ajoute: "Bйni soit l’homme qui se confie dans le
Seigneur et dont Jahvй est l’espйrance" (ib. 7). Ainsi donc ce que le
Seigneur nous a enseignй dans la priиre nous apparaоt comme possible mais ardu,
de sorte que nous y parvenons non par notre pouvoir d’homme mais par le secours
divin. CHAPITRE 8: DE LA PREMIИRE DEMANDE OЩ NOUS DЙSIRONS QUE LA
CONNAISSANCE DE COMMENCЙE EN NOUS SE PERFECTIONNE ET DE SA POSSIBILITЙ
1. Il faudra donc considйrer dans quel ordre le dйsir provient de la
charitй pour que d’aprиs cela on puisse saisir l’ordre des choses que nous
devons espйrer et demander de la part de Dieu. Or l’ordre de la charitй veut
que Dieu soit aimй par dessus tout. Et donc la charitй meut notre premier dйsir
pour les choses divines. Or comme tout dйsir est d’un bien а venir tandis que
Dieu pris en lui-mкme ne connaоt pas de futur mais demeure йternellement le
mкme, notre dйsir ne peut se porter sur ce qui est divin en soi comme pour que
Dieu obtienne des biens qu’Il n’a pas. Mais notre dilection se porte ainsi sur
eux de sorte que nous les aimions comme existants. 2. Au sujet de Dieu on peut cependant dйsirer qu’Il grandisse dans
l’estime et le respect de tout le monde lui qui lui-mкme est toujours grand. Or
cela ne doit pas кtre estimй impossible. Comme en effet l’homme est destinй а
la connaissance de la grandeur de Dieu, si d’autre part il ne pouvait y
parvenir il semblerait exister en vain. Or il est dit: "Est-ce donc
vainement que tu as crйй les fils des hommes?" (Ps 88, 48). 3. Vain aussi serait le dйsir de la nature par lequel tous dйsirent
naturellement avoir quelque connaissance des choses divines; personne donc
n’est privй totalement de cette connaissance, selon Job: "Tous les
hommes le voient" (36, 25). Mais c’est une chose ardue qui dйpasse
toute facultй humaine: "Dieu est si grand qu’Il dйpasse notre savoir"
(ib. 26). Et donc la connaissance de la grandeur divine et de sa bontй ne peut
parvenir aux hommes sans la grвce de la rйvйlation divine selon ce qui est dit:
"Nul ne connaоt le Fils si ce n’est le Pиre, ni personne ne connaоt le
Pиre si ce n’est le Fils et celui а qui le Fils l’aura rйvйlй" (Mt 11,
27). D’oщ saint Augustin: "Nul ne connaоt Dieu si Lui qui se connaоt ne
se montre lui-mкme" (Tract. 3 in Joan). 4. Dieu en effet donne aux hommes une certaine con naissance naturelle
en infusant aux hommes la lumiиre de la raison et par les crйatures visibles en
lesquelles resplendissent les traces de sa bontй et de sa sagesse: "Ce
qu’on peut connaоtre de Dieu", par la raison naturelle, "leur
est manifeste", c’est-а-dire aux gentils: "Dieu en effet le
leur a rйvйlй", par la lumiиre de la raison, aussi par les crйatures
qu’Il a faites. D’oщ l’Apфtre ajoute "Les choses invisibles en Dieu depuis
la crйation du monde se laissent voir а l’intelligence а travers ses oeuvres: son
йternelle puissance et sa divinitй" (Rom 1, 19-20). Cependant cette
connaissance est imparfaite; car mкme la crйature nous est imparfaitement
connue et elle ne reprйsente Dieu que trиs imparfaitement; car la vertu de
cette cause dйpasse а l’infini son effet. D’oщ Job "Peut-кtre
connaоtras-tu quelque vestige de Dieu; mais connaоtras-tu jamais le Tout-puissant
?" (11, 7). Et aprиs avoir dit que tous les hommes le verront (36,
25), il ajoute: "Chacun le voit de loin." 5. De cette connaissance imparfaite il s’en est suivi que les hommes
s’йcartant de la vйritй ont diversement errй au sujet de Dieu а tel point que
l’Apфtre dit: "Dans leurs raisonnements ils ont perdu le sens et leur
coeur inintelligent s’est obscurci. Ils se prйtendaient sages et ils sont
devenus fous; ils ont йchangй la gloire d’un Dieu incorruptible en l’image
d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupиdes, de reptiles" (Rom 1,
21). Et donc pour les arracher а ces erreurs Dieu a donnй d’une faзon plus
prйcise aux hommes la connaissance de l’Ancienne Loi par laquelle les hommes
sont ramenйs au culte d’un seul Dieu: "Ecoute Israлl le Seigneur ton
Dieu est unique" (Deut 6, 4). Mais cette connaissance de Dieu йtait
enveloppйe dans l’obscuritй des figures et rйservйe au seul peuple juif: "Dieu
est connu en Judйe, en Israлl son nom est grand" (Ps 75, 1). 6. Donc pour que la vraie connaissance de Dieu par vienne а tout le
genre humain, Dieu le Pиre envoya dans le monde sa parole toute puissante, son
Fils unique, pour que par lui le monde entier parvienne а la vraie connaissance
du nom divin. Ce que le Seigneur lui-mкme commenзa de faire chez ses disciples:
"J’ai manifestй ton nom aux hommes que tu m’as donnйs, que tu avais
retirйs du monde" (Jean 17, 16). Et son intention ne s’arrкtait pas
aux seuls disciples, afin qu’ils aient la connaissance de la divinitй mais que
par eux elle soit divulguйe dans tout l’univers. D’oщ il ajoute: "Afin
que le monde croie que tu m’as envoyй" (ib. 21 c). Il continue d’agir
ainsi par les Apфtres et leurs successeurs tandis qu’ils amиnent les hommes а
la connaissance de Dieu jusqu’а ce que tout le monde entier sanctifie et
cйlиbre le nom de Dieu, comme le prйdit Malachie: "Du lever du soleil
jusqu’а son cou chant grand est son nom parmi les Gentils et en tout lieu on
offre un sacrifice а mon nom comme une offrande pure" (1, 11). 7. Donc pour que ce qui a commencй parvienne а son achиvement nous
demandons et disons: "Que ton nom soit sanctifiй." Et saint
Augustin explique: "On ne fait pas cette demande comme si le nom de
Dieu n’йtait pas saint mais pour qu’il soit reconnu tel par tous et que Dieu se
fasse ainsi connaоtre que rien d’autre ne soit tenu plus saint" (Serm.
in mont. 2, 5). Parmi les signes qui manifestent la saintetй de Dieu aux
hommes, le plus йvident est la saintetй des hommes sanctifiйs par
l’inhabitation divine. En effet saint Grйgoire de Nysse dit: "Qui est а
ce point stupide qui voyant chez les croyants leur puretй de vie ne
glorifierait pas le nom qu’on invoque dans une telle vie" selon le
dire de l’Apфtre aux Corinthiens "Si tous prophйtisent et qu’entre un
infidиle ou un йtranger il est convaincu par tous, alors tombant la face contre
terre il adorera Dieu, annonзant que Dieu est vraiment parmi vous" (1
Cor 14, 24 — Or. dom. 3). Et c’est pourquoi selon saint Jean
Chrysostome: "En disant “Que ton nom soit sanctifiй” il ordonne aussi
que l’orant demande qu’Il soit glorifiй par notre vie, comme s’il disait: Fais
nous vivre ainsi que, par nous, tous les hommes te glorifient" (In
Matt. Hom. 19, 4). 8. Or nous sanctifions Dieu dans l’esprit des autres en tant que Lui
nous sanctifie; d’oщ, en disant "Que ton nom soit sanctifiй", "Nous
dйsirons, dit saint Cyprien, que son nom soit sanctifiй en nous"
(Or. dom. 12). En effet йtant donnй que le Christ dit: "Soyez saints
parce que je suis saint", nous demandons qu’ayant йtй sanctifiйs dans
le baptкme nous persйvйrions en ce que nous avons commencй d’кtre. Nous demandons
aussi chaque jour notre sanctification nous qui pйchons chaque jour pour que
cette sanctification continuelle nous purifie de nos dйlits. La raison pour
laquelle cette demande vient en premier lieu, dit saint Jean Chrysostome, est
que: "Digne est la priиre de celui qui implore Dieu parce qu’il ne
demande rien avant la gloire du Pиre mais fait passer sa louange avant tout"
(In Matt. Hom. 19, 4). 1. Empruntй au Lev 11, 44; ne se trouve par littйralement dans
l’Йvangile; mais a son йquivalent en Mt 5. 48: "Vous donc soyez
parfaits comme votre Pиre cйleste est parfait." CHAPITRE 9: LA SECONDE DEMANDE EST QUE NOUS FASSE PARTICIPER A LA
GLOIRE
1. Aprиs le dйsir et la demande de la gloire divine il est consйquent
pour l’homme de dйsirer et de rechercher la participation а la gloire divine.
Et c’est pourquoi vient la seconde demande: "Que ton rиgne vienne."
A ce propos, comme d’ailleurs pour la premiиre demande il faut considйrer 1° qu’il
est juste de dйsirer le rиgne de Dieu; 2° que
l’homme puisse parvenir а l’atteindre; 3°
qu’il ne peut l’obtenir par sa propre vertu mais par le seul secours de la
grвce; 4°
comment arrive le rиgne de Dieu. 5°
Saint Thomas ne dйveloppera que le premier point et n’amorcera que le second au
chap. 10. 2. Donc pour le premier point il faut considйrer que toute chose
dйsire naturellement son propre bien: d’oщ on dйfinit convenablement le bien: ce
que tous dйsirent. Or le bien propre de chaque chose est ce par quoi cette chose est
parfaite. En effet nous disons bonne n’importe quelle chose en ce qu’elle
atteint sa propre perfection. Et elle manque d’autant а la bontй dans la mesure
oщ elle manque de sa propre perfection. Donc toute chose aspire а sa perfection
et donc l’homme aspire naturellement а кtre parfait. Et comme nombreux sont les
degrйs de la perfection humaine cela vient en premier lieu et principalement en
son appйtit naturel ce qui concerne son ultime perfection. Or ce bien se
reconnaоt а ce signe que le dйsir de l’homme y trouve son repos. En effet comme
le dйsir naturel de l’homme ne tend qu’а son propre bien, et qui consiste en
une certaine perfection, il est consйquent qu’aussi longtemps que quelque chose
reste а dйsirer, il n’est pas encore parvenu а son ultime perfection. 3. Or c’est de deux maniиres qu’il reste quelque chose в dйsirer. La
premiиre quand ce qu’on dйsire on le recherche pour autre chose; d’oщ il faut
bien que l’ayant satisfait on ne puisse s’y reposer mais qu’on se porte vers
l’autre. La seconde quand il y a insuffisance pour obtenir ce que l’homme
dйsire, comme une nourriture insuffisante au soutien de la nature; d’oщ
l’appйtit naturel n’est pas satisfait. Donc ce bien que l’homme dйsire en
premier et principalement doit кtre tel qu’il n’est pas cherchй en vue d’un
autre et qu’il suffise в l’homme. Et ce bien on l’appelle communйment fйlicitй
en tant que bien principal de l’homme. Nous disons en effet que certains sont
heureux parce que nous estimons qu’ils se trouvent bien. On l’appelle aussi
bйatitude en tant qu’il signifie une certaine excellence. On peut aussi
l’appeler paix en tant que l’appйtit est en repos. Car le repos de l’appйtit
procure la paix intйrieure; d’oщ au psaume il est dit: "Qui a mis la
paix а tes frontiиres" (147, 14). 4. Ainsi donc il apparaоt que l’homme ne peut trouver son bonheur ni
sa bйatitude dans les biens du corps. D’abord parce qu’ils ne sont pas
recherchйs pour eux- mкmes mais qu’on les dйsire naturellement pour autre chose;
ils conviennent en effet а l’homme en raison de son corps. Or le corps de
l’homme est ordonnй а l’вme comme vers sa fin; car d’une part le corps est
instrument de l’вme qui le meut; or tout instrument est а l’usage d’un art ou
mйtier; d’autre part le corps est а l’вme comme la matiиre а la forme. Celle-ci
est la fin de la matiиre comme l’acte l’est de la puissance. D’oщ il suit que
ni dans les richesses, ni dans les honneurs, ni dans la santй ou la beautй, ni
en quelqu’autre chose ne peut consister l’ultime fйlicitй de l’homme. 5. Ensuite il est impossible que les biens du corps suffisent а
l’homme: ce qui apparaоt de plusieurs maniиres. D’abord parce qu’il y a dans
l’homme une double tendance intellectuelle et sensitive et donc une double
aspiration. Celle-lа tend principalement aux biens de l’intelligence que
d’autre part les biens corporels ne peuvent satisfaire. Ensuite parce que les
biens du corps йtant infйrieurs dans l’ordre des choses par leur diversitй ne
procurent pas une bontй totale mais dispersйe: une chose en effet possиde telle
bontй, par exemple le plaisir; une autre, par exemple la bonne hygiиne du corps
et ainsi du reste. D’oщ en rien de cela l’appйtit humain qui naturellement
cherche le bien universel ne peut кtre satisfait mкme si ces biens sont
nombreux et variйs parce que l’infini du bien universel leur fait dйfaut. D’oщ
il est йcrit: "L’argent ne peut rassasier l’avare" (Qoh 5, 9). 6. Enfin l’intelligence humaine saisit le bien universel qui n’est
circonscrit ni localement ni dans le temps. Il s’en suit que l’appйtit humain
dйsire le bien selon qu’il s’accorde а la saisie de l’intelligence qui n’est
pas circonscrite par le temps. L’homme cherche donc une perpйtuelle stabilitй
qui ne se trouve pas dans les choses du corps soumises qu’elles sont а la
corruption et а de multiples changements. D’oщ il est naturel que le dйsir de
l’homme ne trouve pas а se satisfaire dans les biens corporels. Il ne peut donc
y avoir en eux pour l’homme de fйlicitй ultime. 7. Quant aux puissances sensitives, comme leurs opйrations corporelles
s’effectuent par des organes corporels sur des choses corporelles, il est
consйquent que dans les opйrations de la partie sensitive on ne trouve non plus
l’ultime fйlicitй de l’homme, par exemple dans les plaisirs charnels. 8. L’intelligence humaine s’exerce aussi sur des choses corporelles
par la connaissance spйculative des corps et en disposant d’eux par
l’intelligence pratique. Et ainsi il se fait que l’homme mкme en sa propre
activitй spйculative ou pratique mais qui s’adresse aux choses matйrielles ne
puisse trouver sa perfection et son ultime fйlicitйe. 9. Pas d’avantage non plus quand l’вme dans l’activitй intellectuelle
rйflйchit sur elle-mкme. Et pour un double motif: d’abord parce que l’вme
considйrйe en elle-mкme n’est pas heureuse sans quoi elle ne devrait pas
s’йvertuer а la recherche du bonheur. Elle n’obtient donc pas la bйatitude par
cela seul qu’elle se tourne vers soi. Ensuite parce que la bйatitude est
l’ultime perfection de l’homme, comme on l’a vu plus haut. Or comme la
perfection de l’вme consiste en sa propre opйration il est consйquent que son
ultime perfection soit celle de sa meilleure activitй selon son meilleur objet
puisque les opйrations se spйcifient par leur objet. Or l’вme n’est pas le
meilleur vers quoi son opйration peut tendre. Elle saisit en effet qu’autre
chose est meilleur qu’elle. D’oщ il est impossible que l’ultime bйatitude de
l’homme consiste en une activitй oщ il se tourne vers soi, ou en quelqu’autres
substances supйrieures dиs qu’il y a quelque chose de meilleur qu’elles, vers
quoi l’opйration de l’вme humaine puisse tendre. Or l’activitй de l’homme tend
vers n’importe quel bien parce que le bien universel est ce que l’homme dйsire
puisque c’est par l’intelligence qu’il apprйhende le bien universel. D’oщ а
quelque degrй que puisse s’йtendre un bien, s’y porte en quelque maniиre
l’activitй de l’intelligence et donc aussi de la volontй. Or le bien suprкme se
trouve en Dieu parce que par son essence il est bon et le principe de toute
bontй. D’oщ il s’en suit que l’ultime perfection de l’homme et son bien final
est en ce qu’il adhиre а Dieu: "Il m’est bon d’adhйrer а Dieu"
(Ps 72, 28). 10. Ce qui apparaоt aussi manifeste si l’on examine la participation de
toutes choses. Chaque homme en effet est en vйritй ce qu’il est par cela mкme
qu’il participe а l’essence de son espиce et non parce qu’il ressemble а un
autre homme; et il participe а l’essence de l’espиce en ce qu’il est engendrй
par un autre: le pиre engendre un fils. Or la bйatitude ou fйlicitй n’est rien
d’autre que le bien parfait. Ce sera donc en participant а l’unique bontй divine
qui est l’essentielle bontй de l’homme que tous ceux qui participent а cette
bйatitude seront heureux, bien que l’un aide l’autre pour y atteindre. D’oщ
saint Augustin: "Ce n’est pas la vue des anges qui nous rend heureux
mais en voyant la vйritй par laquelle nous les aimons et que nous nous en
rйjouissons ensemble" (De vera reig. 55). 11. Or l’esprit de l’homme se porte vers Dieu de deux maniиres: en
lui-mкme ou par un autre. En lui-mкme, quand Il est vu lui-mкme et aimй par
lui-mкme. Par un autre, lorsque depuis ses crйatures notre coeur s’йlиve vers Dieu:
"Les choses invisibles de Dieu par ses oeuvres nous deviennent intelligibles"
(Rom 1, 20). Or il n’est pas possible que la parfaite bйatitude consiste en ce
qu’on tende vers Dieu par une autre chose. D’abord parce que la bйatitude qui
signifie la fin de tous les actes humains n’est la vraie et parfaite bйatitude
qu’en raison du terme mais non en raison plutфt du mouvement vers cette fin. Or
que Dieu soit connu et aimй par autre chose c’est agir en un certain mouvement
de l’esprit humain qui d’une chose parvient а une autre. II n’y a donc pas en
cela de vraie et parfaite bйatitude. 12. En second lieu parce que si la bйatitude consiste en l’adhйsion de
l’esprit humain а Dieu il s’en suit que la parfaite bйatitude requerra que
cette adhйsion soit par faite. Et il n’est pas possible que l’esprit humain
adhиre parfaitement а Dieu au moyen d’une crйature connue ou aimйe. En effet
toute forme crййe quelle qu’elle soit est infiniment dйficiente а reprйsenter
la divine essence. De mкme donc qu’il n’est pas possible par la connaissance
des choses infйrieures d’arriver а connaоtre celles d’un ordre supйrieur, par
exemple la substance spirituelle par le corps ou le corps cйleste par un
йlйment, ainsi a fortiori n’est-il pas possible de connaоtre l’essence divine
par le moyen d’une forme crййe. Mais de mкme que par la con sidйration des
corps infйrieurs on peut percevoir la nature des corps supйrieurs nйgativement,
par exemple que ceux-ci ne sont ni lourds ni lйgers, et par nos corps nous
concevons nйgativement des anges qu’ils sont immatйriels et incorporels, ainsi
aussi par les crйatures nous ne savons pas au sujet de Dieu ce qu’Il est mais
plutфt ce qu’Il n’est pas. Йgalement la bontй d’une crйature quelle qu’elle
soit est bien minime en regard de la bontй divine qui est infinie: d’oщ les
bontйs des choses qui proviennent de Dieu, qui sont des bienfaits de Dieu ne
peuvent soulever l’esprit jusqu’au parfait amour de Dieu. Il n’est donc pas
possible que la vraie et parfaite bйatitude consiste en ce que l’esprit adhиre
а Dieu autrement que par Lui. 13. Enfin l’ordre des choses veut que le moins connu nous vienne par le
plus connu et semblablement que ce qui est moins bon nous fasse aimer ce qui
est meilleur. Puis donc que Dieu est la premiиre vйritй et la bontй suprкme, en
lui-mкme le plus connaissable et le plus aimable, l’ordre naturel veut que tout
soit connu et aimй par Lui. Si donc l’esprit ne peut parvenir а connaоtre Dieu
et а l’aimer que par le moyen des crйatures cela tient а son imperfection. Il
n’est donc pas encore parvenu а la parfaite bйatitude qui exclut toute
imperfection. 14. Il reste donc que la parfaite bйatitude est pour l’esprit d’adhйrer
а Dieu par Lui aimй et connu. Et de mкme que le roi conduit et gouverne ses
sujets, ce qui rиgnera chez l’homme dйpendra de ce qui le conduira en toutes
choses. D’oщ l’avertissement de l’Apфtre: "Que le pйchй ne rиgne pas
dans votre corps mortel" (Rom 6, 12). Puis donc que la parfaite
bйatitude veut que Dieu lui-mкme soit connu et aimй par lui-mкme pour que par
Lui le coeur se porte aux choses d’En-Haut c’est chez les bons que Dieu rиgne
vraiment et parfaitement. D’oщ cette parole: "Le Dieu de misйricorde
les rйgira et les abreuvera aux fontaines des eaux" (Is 49, 10),
c’est-а-dire que par Lui ils seront restaurйs dans les plus grands des biens. 15. Il faut en effet savoir que de mкme que l’intelligence saisit tout
ce qu’elle connaоt par quelque forme ou espиce, comme йgalement la vue
extйrieure voit la pierre par la forme de la pierre, il n’est pas possible que l’intelligence
voit Dieu en son essence par quelque forme ou espиce crййe qui reprйsenterait
la divine essence. Nous constatons en effet que l’espиce d’un ordre infйrieur
des choses ne peut reprйsenter une chose d’un ordre supйrieur selon son essence;
d’oщ aucune espиce corporelle ne peut faire comprendre une substance
spirituelle quant а son essence. Puis donc que Dieu surpasse tout l’ordre de la
crйation, bien davantage encore que ne le fait la substance spirituelle dans
l’ordre des choses matйrielles, il n’est pas possible qu’une espиce matйrielle
fasse voir Dieu en son essence. 16. Cela aussi est manifeste si l’on considиre ce que signifie voir
quelque chose par son essence. On ne voit pas en effet l’essence de l’homme
quand on ne saisit pas ce qui est essentiel en l’homme, comme celui qui ne le
connaоtrait que dans son animalitй. Or tout ce qui est dit de Dieu lui convient
essentiellement et il n’est pas possible qu’une seule espиce crййe reprйsente
Dieu quant а toutes les choses qu’on dit de Dieu. Car dans notre intelligence
crййe autre est la notion qui saisit la vie, et la sagesse et la justice et
tout ce qui est encore de l’essence divine. Il n’est pas possible que
l’intelligence crййe soit informйe par une unique notion qui reprйsente
l’essence divine de sorte que Dieu puisse кtre vu en elle par son essence. Et
s’Il l’йtait par un grand nombre d’espиces il y manquerait encore l’unitй qui
est identiquement son essence. Il est donc impossible que l’intelligence crййe
soit йlevйe а la vision de Dieu en lui-mкme soit par une notion crййe soit par
plusieurs. 17. Il reste donc, pour qu’on voie Dieu en son essence, que celle-ci
soit vue par elle-mкme et non par une autre notion et cela s’opиre par l’union
avec Dieu de l’intelligence crййe. C’est ce que dit Denys (Div. nom. chapitre
1): "Quand nous aurons atteint notre trиs bienheureuse fin par
l’apparition de Dieu nous serons remplis d’une con naissance de Dieu au-dessus
mкme de l’intelligence." 18. Or il est particulier а l’essence divine que l’intelligence puisse
lui кtre unie sans le secours d’aucune ressemblance parce que l’essence divine
est son кtre, ce qui ne s’accorde en rien avec aucune autre forme. D’oщ il faut
que toute forme soit dans notre intelligence. Et donc une forme qui existant
par elle-mкme ne peut informer l’intelligence, comme la substance angйlique, si
elle doit кtre connue d’une autre intelligence, il faut que cela se fasse: par
quelque ressemblance qui informe l’intelligence; ce qui n’est pas requis dans
la divine essence qui est son кtre. 19. Ainsi donc par la vision mкme de Dieu l’вme bienheureuse en le
saisissant devient une mкme chose avec Dieu. Il faut donc que ce qui est saisi
et ce qui saisit soient en quelque sorte un: et donc Dieu rйgnant dans les
saints ceux-ci aussi rйgneront avec Lui. Et c’est de leur personne qu’il est
йcrit: "Tu nous a faits pour notre Dieu un royaume de prкtres et nous
rйgnerons sur la terre" (Apoc 5, 10). En effet ce royaume par lequel
Dieu rиgne dans les saints et les saints avec Lui est appelй le royaume des
cieux: "Faites pйnitence, le royaume des cieux est proche" (Mt
3, 2) de la maniиre dont on dit que Dieu est au ciel, non qu’Il soit contenu
dans des cieux matйriels mais pour dйsigner ainsi l’йminence divine au-dessus
de toute la crйation, comme les cieux planent sur toute la crйature matйrielle:
"Le Seigneur est йlevй au-dessus de toutes les nations et sa gloire est
au-dessus des cieux" (Ps 112, 4). Ainsi donc aussi la bйatitude des
saints est dite royaume des cieux non que leur rйcompense se trouve dans des
cieux corporels, mais dans la contemplation de la nature supra cйleste. D’oщ
des anges est-il йcrit: "Leurs anges (des enfants) dans le ciel voient
la face de mon Pиre qui est dans le ciel" (Mt 18, 10). Ce qui fait
dire а saint Augustin, exposant s. Matthieu "Votre rйcompense est
grande dans les cieux": "Je ne pense pas que les cieux ici
soient dits les parties supйrieures de ce monde visible. Notre rйcompense en
effet n’es pas а placer dans les choses inconstantes mais dans 1e firmaments
spirituels oщ habite l’йternelle justice" (Serm in monte 1, 5). 20. Ce bien final qui consiste en Dieu est aussi appelй vie йternelle
comme on dit que l’action de l’вme vivifiante est vie. D’oщ on distingue autant
de modes de vie qu’il a de genres d’actions de l’вme parmi lesquelles est
l’opйration de l’intelligence et selon le Philosophe l’action de l’intelligence
est vie. Et parce que l’acte est dйterminй par son objet, de lа vient que la
vision divine est appelйe vie йternelle, comme il est йcrit: "Ceci est la
vie йternelle qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu". (Jean 17,
3). 21. Ce bien final est aussi appelй "comprйhension" selon
la lettre aux Philippiens: "Je cours aprиs pour, si possible, le
comprendre" (3, 12). Ce qui ne veut pas dire que la comprйhension soit
une inclusion. En effet ce qui est inclus par quelque chose est totalement
contenu en lui. Or il n’est pas possible que l’intelligence crййe voie totalement
l’essence divine de sorte qu’elle atteigne d’une maniиre parfaite et complиte а
la vision de Dieu et qu’elle voie Dieu autant qu’Il est visible. Dieu est en
effet visible selon la splendeur de sa vйritй qui est infinie; Il est donc
infiniment visible, ce qui ne peut s’accorder avec une intelligence crййe dont
le pouvoir de saisir est fini. Dieu seul donc qui par l’infinie puissance de
son intelligence se saisit infiniment, se comprend lui-mкme en se saisissant
totalement. Si la comprйhension est promise aux saints c’est dans le sens d’une
apprйhension. Lorsqu’en effet quelqu’un poursuit un autre on dit qu’il
l’apprйhende quand il a mis la main sur lui. Ainsi donc"aussi long
temps que nous sommes dans le corps nous marchons loin du Seigneur. En effet
nous avanзons dans la foi et non dans la vision" (2 Cor 5, 6). Et
ainsi nous tendons vers Lui comme en quelque chose de distant. Mais quand nous
le verrons par actuelle vision nous le tiendrons prй sent en nous-mкmes. D’oщ
aux cantiques, "l’йpouse qui cherche celui que son вme aime"
l’ayant enfin trouvй dit: "Je le tiens et ne le lвcherai plus" (3,
4). 22. Ce bien final nous comble d’une joie continuelle et totale. D’oщ la
parole du Seigneur: "Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit
parfaite" (Jean 16, 24). Or aucune crйature ne peut donner une joie
entiиre mais Dieu seulement chez qui est la plйnitude de la bontй. D’oщ le
Seigneur au serviteur fidиle: "Entre dans la joie de ton maоtre" (Mt
25, 21) c’est-а-dire pour que tu te rйjouisses de ton maоtre; selon ce que dit
Job: "Tu seras inondй de dйlices auprиs du Tout-Puissant" (22,
26). Et parce que Dieu trouve sa joie principalement en lui-mкme, le serviteur
fidиle entre dans la joie de son maоtre en tant qu’il entre dans la joie mкme
de Dieu, comme le promet ailleurs le Seigneur а ses disciples: "Je dispose
pour vous du royaume comme mon Pиre me l’a donnй pour que vous buviez et
mangiez а ma table dans mon royaume" (Lc 22, 29). Non que dans ce bien
final les saints fassent usage de nourritures corporelles eux qui sont dйjа
incorruptibles; mais la table signifie la nourriture que fournit la joie, celle
que Dieu lui-mкme - et les saints par lui. 23. Il faut donc considйrer la plйnitude de la joie non seulement dans
la chose dont on jouit mais selon la dis- position de celui qui se rйjouit
c’est-а-dire que la chose dont il se rйjouit il l’a prйsente et que toute son
affection se porte vers la cause de sa joie. Or nous venons de voir que par la
vision de la divine essence l’esprit crйй saisit Dieu comme prйsent; la vision
elle-mкme enflamme totalement l’affection pour le divin amour. Si en effet
toute chose est aimable en vertu de sa beautй et de sa bontй, au dire de Denys:
"Il est impossible que Dieu qui est essentiellement beautй et bontй
puisse кtre vu sans qu’on l’aime" (De div. nom. chapitre 4). Et donc de
la parfaite vision de Dieu naоt le parfait amour. D’oщ saint Grйgoire dit: "Le
feu de l’amour qui ici-bas commence а s’enflammer, quand il aura vu celui qu’il
aime brыlera toujours davantage en son amour" (Super Eze. chapitre
2, 9). Or la joie qu’on йprouve de la prйsence d’un кtre qu’on aime est
d’autant plus grande qu’on l’aime davantage; d’oщ il suit que cette joie est
pleine non seulement de la part de son objet mais aussi de la part de celui qui
en jouit: elle porte а son comble la bйatitude humaine. D’oщ saint Augustin dit
que: "La bйatitude est la joie de la vйritй" (Conf. 10, 23). 24. Il faut en outre considйrer que Dieu йtant la bontй essentielle il
s’en suit que Lui-mкme est le bien de tout bien; d’oщ en le voyant on voit tout
le bien, selon la parole du Seigneur: "Je te montrerai tout bien"
(Ex 33, 19). Par consйquent une fois possйdй on a aussi tout bien: "Tous
les biens me sont venus avec elle (la sagesse divine)" (Sap 7, 11).
Ainsi donc en voyant Dieu en ce bien final, nous possйderons en pleine
suffisance tous les biens. D’oщ le Seigneur promet au serviteur fidиle qu’Il le
placera а la tкte de tous ses biens (Mt 24, 47). 25. Mais comme le mal s’oppose au bien il faut nйcessairement qu’en
prйsence de tout bien le mal soit totalement exclu. Car "Il n’y a pas
de participation possible de la justice avec l’iniquitй, ni de la lumiиre avec
les tйnиbres" (2 Cor 6, 14). Ainsi donc en ce bien final on ne
trouvera pas seulement le parfait contentement mais aussi le plein repos et la
sйcuritй dans l’immunitй de tout mal: "Celui qui m’йcoutera reposera
sans terreur et jouira dans l’abondance, toute crainte enlevйe" (Prov
1, 33). 26. En outre ce sera la paix absolue. En effet ce qui empкche la paix
chez l’homme c’est l’inquiйtude des dйsirs intйrieurs tandis qu’il dйsire ce
qu’il ne possиde pas ou aussi le chagrin causй par la souffrance subie ou
apprйhendйe; et lа rien n’est а craindre. Car l’inquiйtude du dйsir cessera par
la plйnitude de tout bien. La souffrance externe disparaоtra, car tout mal en
sera absent. Il y aura donc lа une parfaite paix et tranquillitй: "Mon peuple
prendra place dans la beautй de la paix" (Is 32, 18) c’est-а-dire la
paix parfaite. Et la cause de cette paix? "Et la sйcuritй dans tes
tentes" c’est-а-dire qu'aucun mal n’est а craindre; "dans
l’abondance du repos" c’est-а-dire l’affluence de tout bien (ib.). 27. La perfection de ce bien final n’aura pas de fin. En effet les
biens dont l’homme jouira ne feront jamais dйfaut puisqu’ils sont йternels et
incorruptibles: "Tu verras Jйrusalem la citй opulente et son temple qui
ne sera jamais plus dйplacй" (Is 33, 20). Et la cause en est que "Il
n’y aura lа que la magnificence du Seigneur notre Dieu" (ib.). Toute
la perfection en effet de cet йtat consistera en la jouissance de l’йternitй de
Dieu. 27 bis. Pour la mкme raison cet йtat ne cessera pas suite а la corruption
de ceux qui y sont: car ou bien ils sont naturellement incorruptibles comme les
anges ou bien ils seront transfйrйs dans l’incorruption; tels seront les hommes:
"Car il faut que ce corps corruptible revкte l’incorruptibilitй" (1
Cor 15, 53). D’oщ il est dit dans l’Apocalypse: "Celui qui aura vaincu,
j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus"
(3, 12). 28. Cet йtat durera: car la volontй de l’homme ne s’en dйtournera pas
par lassitude. Car plus Dieu est contemplй, qui est la bontй par essence,
d’autant en est-Il aimй et sa jouissance toujours plus dйsirйe: "Ceux
qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif"
(Sir. 24, 29). Ce qui fait qu’au sujet des anges qui voient Dieu il est йcrit: "Celui
que les anges dйsirent contempler" (1 P 1, 12). 29. Cet йtat ne subira pas l’attaque de quelqu’ennemi parce que lа
cessera toute atteinte du mal selon ce que dit Isaпe "Il n’y aura pas
de lion", а savoir les attaques du diable, "et la mйchante
bкte", а savoir l’homme mйchant, "n’y montera pas, ni ne s’y
trouvera" (Is 35, 9). D’oщ ce que dit le Seigneur de ses brebis
qu’elles ne pйriront jamais et que personne ne les arrachera de sa main (Jean
10, 28). 30. Cet йtat n’aura pas de fin en ce sens que Dieu pourrait en exclure
certains. En effet personne n’en sera rejetй а cause d’une faute, qui ne sera
aucunement oщ tout ce qui est mal est absent: d’oщ ce que dit Isaпe "Ton
peuple, ce sont tous les justes" (Is 60, 21); ni en vue d’un bien
meilleur comme il arrive qu’en ce monde Dieu enlиve mкme aux justes les
consolations spirituelles et ses autres bienfaits pour qu’ils le recherchent
plus avidement et reconnaissent leurs limites. Car cet йtat n’est pas celui de
l’amendement et du progrиs mais bien de la perfection finale. Et c’est pourquoi
le Seigneur dit: "Celui qui vient а moi je ne le jetterai pas dchors"
(Jean 6, 37). En cet йtat se trouvera donc la pйrennitй de tous ces biens: "Ils
exulteront pour toujours et tu habiteras parmi eux" dit le Psaume (Ps
5, 12). 31. Ce rиgne est donc la bйatitude parfaite en tant qu’on y trouve tout
en suffisance et sans aucun changement. Et parce que les hommes dйsirent
naturellement la bйatitude il est consйquent 4ue tous dйsirent le rиgne de
Dieu. CHAPITRE 10: IL EST POSSIBLE D’OBTENIR LE RКGNE: LA VISION DE DIEU
1. Il faut ensuite que l’homme puisse parvenir а ce royaume afin que
ce ne soit pas lа une simple espйrance et une vaine demande. Or cela est possible
de par la promesse divine. En effet le Seigneur nous dit: "Ne craignez
pas, petit troupeau, car il a plu а votre Pиre de vous donner le royaume"
(Lc 12, 32). Or, le bon plaisir divin est capable de rйaliser ce qu’il a une
fois comme il est йcrit: "Mon conseil tiendra toutes m volontйs se
feront" (Is 46, 20). Et encore: "Qui rйsiste а ma volontй?"
(Rom 9, 19).
Ici s'achиve
le Compendium. Suite а une extase pendant la messe, le frиre Thomas s'est
refusй а poursuivre sa dictйe, disant: "Face а ce que j'ai vu, tout ce que
j'ai йcrit est paille." La suite est une compilation de Frиre Rйginald.
2. On peut aussi le montrer par un exemple йvident qu’on trouve dans
les choses habituelles. En effet une chose subsistante par elle-mкme ne peut
кtre forme d’une matiиre si en elle se trouve de la matiиre; comme une pierre
ne peut informer de la matiиre; mais si une chose est exempte de matiиre elle
peut informer la matiиre, telle notre вme. Et semblablement en quelque sorte
l’essence divine qui est l’acte pur, bien que son кtre soit absolument distant
de l’intellect, lui devient cependant comme forme dans l’acte de l’intelligence.
Et donc Pierre Lombard dit que l’union du corps а l’вme rationnelle est un
exemple de la bienheureuse union de l’esprit rationnel avec Dieu. 3. Il est patent en effet que le bonheur de toute crйature consiste en
sa plus parfaite opйration. Or ce qui est suprкme en la crйature rationnelle
est son intelligence d’oщ il faut que son bonheur consiste en la vision la plus
noble de l’intelligence; or la noblesse de la vision intellective vient de la
noblesse de ce qu’elle saisit; en effet Aristote dit que la vision atteint le
plus haut degrй de son opйration quand au mieux de sa perfection elle peut voir
ce qu’il y a de plus beau (Eth. 10, 9). Si donc la nature rationnelle ne
parvenait pas а voir la divine essence, son bonheur ne serait pas Dieu mais
quelque chose en dessous de Dieu. Ce qui est impossible parce que l’ultime
perfection de toutes choses est d’atteindre а leur principe. Or c’est Dieu lui-mкme
qui a crйй immйdiatement toutes les natures rationnelles, comme le dit notre
foi. D’oщ il faut, selon la foi, que toute crйature rationnelle qui parvient а
la bйatitude voie Dieu par essence. 4. En ce qui concerne la vision de la divine essence il faut
considйrer qu’elle ne sera jamais vue d’un oeil corporel ou de quelque sens ou
de l’imagination, puisque les sens ne perзoivent que des sensations
corporelles. Or Dieu n’est pas un corps"Dieu est esprit" (Jean 4, 22)
dit Jйsus а la Samaritaine. Ensuite l’intellect humain aussi longtemps qu’il
est uni au corps ne peut voir Dieu, alourdi qu’il est d’un corps corruptible,
de sorte qu’il ne peut parvenir au sommet de la contemplation. De lа vient que
plus l’вme est libйrйe des passions et purifiйe de l’attachement aux choses
terrestres, elle s’йlиve d’autant plus amplement en la contemplation de la
vйritй et goыte combien le Seigneur est bon (Ps 33, 8). Or le sommet de la
contemplation est la vision de Dieu par essence; et donc aussi longtemps que
l’homme vit dans un corps, lequel est soumis nйcessairement а bien des passions
il ne peut voir Dieu, selon qu’il est йcrit: "L’homme ne me verra pas
et vivra" (Ex 33, 20). Donc pour que son intellect voie l’essence
divine il faut qu’il soit sйparйment de son corps, ou par la mort comme le
souhaite l’Apфtre: "Nous aimons mieux quitter notre corps pour habiter
auprиs du Seigneur" (2 Cor 5, 8) ou bien qu’il soit entiиrement
soustrait aux sens par le rapt comme saint Paul: "Je connais un homme
dans le Christ, ravi jusqu’au troisiиme ciel, dans son corps ou sans son corps,
je ne sais pas" (2 Cor 12, 2). 5. Mais il faut considйrer et voir comment on connaоt Dieu par
essence. Puisqu’en toute vision il faut quelque chose qui fasse voir ce qui est
vu, ou bien ce sera l’essence mкme de ce qui est vu, comme Dieu qui se con naоt
lui-mкme, ou bien une ressemblance comme quand on voit une pierre. Et cela
parce que de celui qui connaоt et de ce qui est saisi il faut que d’une
certaine maniиre se produise une seule chose. 6. Or on ne peut pas dire
qu’un intellect crйй voie l’essence divine par quelque ressemblance. En effet
en toute connaissance par ressemblance le mode de connaissance est une
conformitй de ressemblance avec ce qu’elle reprйsente; et je dis conformitй de
reprйsentation, comme l’image en notre вme qui est conforme avec la chose
extйrieure non selon son кtre naturel. Et donc si la ressemblance n’est pas
selon l’espиce, mais selon le genre la chose sera connue gйnйriquement mais non
spйcifiquement. Si l’image reзue ne reprйsente mкme pas le genre, elle
reprйsenterait la chose selon une convenance analogique seulement; alors elle
ne serait mкme pas connue sous la raison de genre, comme si la substance serait
connue par ressemblance d’accident 7. Et donc ceux qui disaient que Dieu n’est pas vu son essence,
disaient que se verra un йclat de la divine essence, entendant par йclat cette
ressemblance lumiиre incrййe par laquelle Dieu est vu, dйficiente cependant а
reprйsenter la divine essence, comme fait dйfaut lumiиre reзue dans la pupille
de l’oeil, de la clartй qui est dans le soleil, le regard ne pouvant se fixer
sur la clartй du soleil ne le voyant que par son йclairage. 8. Il reste donc que ce par quoi l’intellect crйй voit Dieu par son
essence est son essence mкme Or ce n'est pas l’essence divine qui devient la
forme de l’intellect mais elle y est comme une forme, pour que de mкme que de
la forme qui fait partie d’une chose et de sa matiиre s’effectue un seul кtre
en acte, de mкme bien que diffйremment, de l’essence divine et de l’intellect
crйй se produit une seule chose dans la saisie mкme de sorte que l’essence
divine est saisie en elle-mкme. 8 bis. Comment maintenant une essence sйparйe peut se joindre comme une
forme а l’intellect, voici comment le montre le Commentateur au 3 Livre de
l’вme (comm. 5 et 6): "Chaque fois que deux choses se reзoivent
mutuellement dans un milieu et dont l’une est plus parfaite, le rapport de
celle-ci а la moins parfaite est comme le rapport de la forme а ce qu’elle
perfectionne," comme la lumiиre est perfection de la couleur quand
toutes deux sont reзues dans un milieu diaphane Et comme l’intellect crйй dans
une substance crййe est plus imparfait que la divine essence existant en lui,
cette derniиre se comparera а cet intellect d’une certaine maniиre comme sa
forme. 9. Quelque chose de ce genre peut se rencontrer dans les choses
naturelles. En effet une chose subsistant par soi ne peut кtre forme d’une
matiиre si en elle se trouve quel que chose de la matiиre, comme une pierre qui
ne peut кtre forme d’une matiиre; mais une chose existant par soi et qui n’a
pas de matiиre peut informer une matiиre, comme il en est de l’вme. Et donc
d’une certaine maniиre l’essence divine qui est l’acte pur bien qu’elle soit
l’кtre tout а fait distinct de l’intellect lui devient cependant forme dans la
saisie mкme qui se produit dans l’intellect. Et c’est pourquoi Pierre Lombard
dit que l’union du corps а l’вme rationnelle est un exemple de la bienheureuse
union de l’esprit rationnel avec Dieu (2 Sent. Dist. 2). 10. Ou bien autrement. Selon l’intelligence nous pouvons connaоtre les
choses en gйnйral, ce dont notre pou voir sensoriel n’est pas capable. Si
d’autre part il est connaturel а l’ange de connaоtre les natures immatйrielles,
cela est au-dessus de la facultй naturelle de l’вme humaine en l’йtat de la vie
prйsente par laquelle nous sommes unis а un corps. Quant а connaоtre l’кtre
mкme subsistant cela est connaturel au seul intellect divin. Voir Dieu comme
lui-mкme se connaоt est donc au-dessus de la vertu naturelle d’un кtre crйй
parce qu’aucune crйature n’est son кtre mais possиde un кtre participй. Donc
l’intellect crйй ne peut voir Dieu en son essence que si Dieu par sa grвce se
joint а lui comme se rendant intelligible а l’вme. Or notre intelligence, comme
d’ailleurs celle de l’ange, йtant naturellement йlevйe au-dessus de la matiиre
peut кtre haussйe en quelque sorte au-dessus de sa nature par un effet de la
grвce. 11. Et l’indice de ceci est que la vue ne peut connaоtre abstraitement
ce qu’elle connaоt concrиtement, elle ne peut percevoir une nature uniquement
que comme celle-lа. Mais notre intelligence peut connaоtre abstraitement le
concret. Car bien qu’elle connaisse les choses ayant leur forme dans la matiиre
elle fait cependant le dйpart des deux dans le composй pour ne considйrer que
la forme elle-mкme en soi. Et l’intellect de l’ange semblablement bien qu’il
lui soit connaturel dй connaоtre l’кtre concret en une certaine nature peut
cependant faire le dйpart de l’кtre mкme tandis qu’il connaоt qu’autre il est
lui et autre est son кtre. Et donc puisque l’intellect crйй est а mкme par sa
nature de saisir une forme concrиte et l’кtre concret dans l’abstraction comme
par mйthode d’analyse, il peut par la grвce s’йlever afin de connaоtre une
substance sйparйe subsistante et l’кtre sйparй subsistant (Dieu). 12. Enfin tout ce qui est йlevй а ce qui dйpasse sa nature doit y кtre
disposй par quelque chose qui soit au- dessus de sa nature... Or lorsqu’un
intellect crйй voit Dieu par son essence celle-ci devient forme intelligible de
l’intellect. Il faut donc qu’une disposition surnaturelle lui soit ajoutйe pour
кtre йlevйe а une telle sublimitй. Puis donc que la vertu naturelle de
l’intellect crйй ne suffit pas pour la vision de l’essence divine il faut de
par la grвce divine que lui soit ajoutй le pouvoir de saisir l’essence divine.
C’est cette augmentation du pouvoir intellectif que nous appelons illumination
de l’intellect, comme aussi l’intelligible lui-mкme est appelй lumiиre. Et de
cette lumiиre il est йcrit: "La clartй de Dieu l’illuminera" (Apoc
21, 23) c’est-а-dire la sociйtй des bienheureux voyant Dieu. Et de cette
lumiиre, ils sont faits dйiformes c’est-а-dire semblables а Dieu, selon ce qui
est йcrit "Lorsqu’il apparaоtra nous lui serons semblables et nous le
verrons comme il est" (1 Jean 3, 2). 13.6 Puisque la bйatitude consiste en l’obtention de la fin derniиre,
les choses qui sont requises pour la bйatitude doivent кtre considйrйes а
partir du rapport mкme de l’homme а la fin. Or vers une fin intelligible
l’homme est ordonnй en partie par l’intellect, en partie par la volontй; par
l’intellect en tant que dans celui-ci prйexiste une certaine connaissance
imparfaite de la fin; par la volontй: d’abord par l’amour qui est le premier
mouvement de la volontй vers quelque chose, ensuite par le rapport rйel de
l’amant pour l’aimй. Or ce rapport est triple: parfois en effet l’aimй est
prйsent а l’amant et alors il n’est plus cherchй; parfois il n’est pas prйsent
mais il y a impossibilitй de l’atteindre et alors aussi il n’est plus cherchй;
parfois il y a possibilitй de l’obtenir mais il est au-dessus du pouvoir de
l’amant en sorte qu’il ne peut кtre possйdй tout de suite et ceci est le
rapport de celui qui espиre а ce qu’il espиre et ce seul rapport est cause de la
recherche de la fin. Et а ces trois choses rйpondent certaines dans la
bйatitude mкme. Car la parfaite connaissance rйpond а l’imparfaite; la prйsence
de la fin rйpond au rapport de l’espoir. Mais la dйlectation en la fin dйjа prй
sente est le rйsultat de la dilection (Si l’on objecte que) puisque la vision
correspond а la foi, la dйlectation ou la jouissance а la charitй et que
celle-ci est plus grande que la foi, donc que la dйlectation ou la jouissance
est plus que la vision, (on rйpond que) la charitй, en effet, ne cherche pas le
bien aimй pour la dйlectation mais c’en est une consйquence que de se plaire
dans le bien aimй et possйdй; ce n’est donc pas la dйlectation qui lui rйpond
comme fin mais plutфt la vision de Dieu qui d’abord lui a rendu la fin prйsente
(I-II 4, 2 ad 3). De la mкme maniиre que la chaleur est insйparable du feu
ainsi la dйlectation est insйparable de la bйatitude. En effet elle est causйe
par le repos dans le bien obtenu. Et donc comme la bйatitude n’est rien autre
que l’obtention du bien suprкme il n’est pas possible qu’il y ait bйatitude
sans le plaisir qui l’accompagne (ib. I C). 14. Et donc pour la bйatitude ces trois choses doivent concourir:
c’est-а-dire la vision qui est la connaissance parfaite de la fin intelligible;
la comprйhension qui comporte la prйsence de la fin; la dйlectation, ou
jouissance, qui comporte le repos de la chose aimante dans l’aimй. Ces trois
choses correspondent aux trois vertus thйologales: la vision а la foi, la
comprйhension а l’espйrance, la dйlectation а la charitй (suppl. 95, 5).
1. Voir division au dйbut du chapitre
9. 2. De Ventate 8, 1 c. 3. L’aveugle de Bethsaпde ne
distinguant pas tout de suite rйpond а Jйsus: Je vois des hommes qui marchent semblables
а des arbres. Mc 8, 24. 4. Comme l’exprime le Ps 35. 10:
"En la lumiиre nous verrons la lumiиre." 5. L’eau est diaphane."Est
diaphane ce qui est transparent ou ce qui n’a pas sa propre couleur pour qu’il
puisse кtre vu en lui-mкme mais peut recevoir une couleur externe selon
laquelle il est visible" (2 De anima 14 b et 15 e). 6. I-II 4, 3c. 7. En termes йquivalents, le P.
Pиgne dans sa traduction de la Somme йcrit: La triple maniиre dont l’homme peut
se trouver ordonnй а la fin derniиre qui est la bйatitude est d’abord la
connaissance imparfaite de cette fin, puis la volontй qui aime cette fin et qui
espйrant l’obtenir est en mouvement vers elle. Et alors saint Thomas dit: "а
ces trois modes se trouve quelque chose de correspondant dans la bйatitude mкme".
Car la connaissance parfaite de la fin (vision) correspond а la connaissance
imparfaite. La prйsence de la fin constituйe prйcisйment par le fait de la
vision "correspond au rapport qui йtait dans l’espйrance". Et
la dйlectation de la fin prйsente (par ce mкme acte de la vision) sera la suite
de la dilection (cf. a 2 ad 3).
TROISIИME PARTIE: LA
CHARITЙ
ARTICLE 1: EST-ELLE QUELQUE CHOSE DE CRЙЙ DANS
L'AME ?
1. Tout ce qui est reзu l’est а la mesure de ce qui reзoit. Si donc la
charitй est reзue en nous depuis Dieu il faut qu’elle le soit d’une maniиre
finie, а notre mesure. Or ce qui est fini est crйй. La charitй est donc en nous
quelque chose de crйй. 2. Certains ont posй qu’en nous la charitй par laquelle nous aimons
Dieu et le prochain n’est autre que l’Esprit Saint comme il ressort de Pierre
Lombard au premier livre des sentences dist. 17 I lib. Pour en avoir une idйe
plus complиte il faut savoir que l’acte de dilection pour Dieu et le prochain,
selon Pierre Lombard, est quelque chose de crйй en nous comme aussi les actes
des autres vertus; mais il posait la diffйrence entre l’acte de charitй et ceux
des autres vertus en ce que l’Esprit Saint, pour ce qui est des actes des
autres vertus, meut l’вme par l’intermйdiaire de certains habitus qu’on appelle
vertus mais il meut а l’acte de dilection immйdiatement par lui-mкme sans aucun
habitus. Et il y est amenй а cause de l’excellence de la charitй et de
l’autoritй de saint Augustin. Or il eut йtй ridicule de dire que l’acte mкme de
dilection que, nous expйrimentons tandis que nous aimons Dieu et le prochain
soit l’Esprit Saint. Mais cette opinion ne peut absolument pas tenir. De mкme
en effet que les actions naturelles et les mouvements procиdent de quelque principe
interne qui est la nature, ainsi aussi les actions volontaires doivent procйder
d’un principe intйrieur. Car de mкme que l’inclination naturelle dans les
choses naturelles se nomme appйtit naturel ainsi dans les choses rationnelles
l’inclination qui suit l’apprйhension de l’intellect est l’acte de la volontй. 3. Il est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par
un agent extйrieur non par un principe intйrieur par exemple quand une pierre
est projetйe vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou action ne procйdant pas
d’un principe intйrieur soit naturel c’est tout а fait impossible parce qu’en
soi il implique une contradiction. D’oщ comme il n’est pas dans la puissance
divine que les contradictoires soient йgalement vrais, Dieu ne peut faire que
le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient pas d’un principe interne,
soit naturel. Il peut donner а la pierre un pouvoir par lequel comme par un
principe externe elle s’йlиve naturellement mais non que ce mouvement lui soit
naturel s’il n’est pas donnй par la nature. Et de mкme il ne peut pas se faire
divinement qu’un mouvement de l’homme, ou interne ou externe, venant d’un
principe externe, puisse кtre volontaire; d’oщ tous les actes de la volontй se
ramиnent comme en leur premiиre racine а ce que l’homme veut naturellement et
qui est la fin derniиre. Les choses qui sont pour la fin nous les voulons а
cause de la fin. 4. Donc un acte qui excиde toute la facultй de la nature humaine ne
peut кtre volontaire pour l’homme que si est surajoutй а la nature humaine
quelque chose d’intrinsиque qui parfait la volontй pour qu’un tel acte
provienne d’un principe interne. Si donc l’acte de charitй dans l’homme ne
procиde pas d’un principe interne surajoutй а la puissance naturelle mais par
la motion de l’Esprit Saint il s’en suit de deux choses l’une ou que l’acte de
charitй n’est pas volontaire, ce qui est impossible parce que cela mкme qui est
d’aimer est un vouloir; ou bien qu’il n’excиde pas la facultй de la nature et
cela est hйrйtique. 5. Ceci йtant йcartй il s’en suivra d’abord que l’acte de charitй est
volontaire. Ensuite si l’on admet que l’acte de la volontй puisse кtre
totalement de l’extйrieur, comme l’est l’acte de la main ou du pied, il s’en
suivra aussi, si l’acte de charitй est seulement а partir d’un principe
extйrieur qui meut, qu’il n’est pas mйritoire. En effet tout agent qui n’agit
pas selon sa forme propre mais seulement selon qu’il est mы par un autre est
agent instrumental seulement comme la hache que meut l’artisan. 6. Ainsi donc, si l’вme n’agit pas l’acte de charitй par une forme
propre mais selon qu’elle est mue par un agent extйrieur, c’est-а-dire l’Esprit
Saint, il s’en suivra qu’elle ne sera qu’un instrument. Il n’est donc pas dans
l’homme de faire cet acte ou de ne le faire pas et ainsi il ne pourra кtre
mйritoire. Cela en effet est seulement mйritoire qui est en quelque maniиre en
nous; et ainsi est enlevй totalement le mйrite humain puisque la dilection est
la racine du mйrite. Enfin l’inconvйnient est que l’homme qui a la charitй ne
soit pas prompt а l’acte de charitй ni ne le pose avec plaisir. En effet les actes
des vertus nous sont dйlectables en ce que l’habitus nous les rend conformes et
que nous y sommes inclinйs naturellement. Et cependant l’acte de charitй est
des plus dйlectables et des plus prompts pour celui qui a la charitй et par
elle tout ce que nous faisons ou souffrons nous devient dйlectable. Il reste
donc qu’il faut que soit en nous un habitus de charitй crйй qui soit principe
formel de l’acte de dilection. 7. Par-lа il n’est cependant pas exclu que l’Esprit Saint qui est la
charitй incrййe ne soit dans l’homme qui a la charitй crййe, amenant l’homme а l’acte
de dilection de mкme que Dieu meut toutes les choses а leurs actes aux quels
cependant elles sont enclines de par leurs propres formes. Et de lа vient qu’il
dispose tout suavement par ce qu’il donne а toutes, les formes et les vertus
qui les inclinent а ce а quoi il meut pour qu’elles y tendent non for cйment
mais spontanйment. 1.
5 Trin. 17 "Nous ne dirons pas que la charitй est dite Dieu non pas а
cause que la charitй est la substance qui est digne de Dieu, mais parce qu’elle
est le don de Dieu, comme on dit de lui “Tu es ma patience” parce qu’elle est
en nous par lin. Or on ne dit pas “Seigneur tu es ma charitй, mais Dieu est
charitй” comme on dit: “Dieu est esprit”." ARTICLE 2: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE VERTU?
1. Les prйceptes de la loi ont trait а des actes de vertu. Mais l’acte
de charitй est ordonnй dans la loi; dans Mt 22, 37, il est dit qu’il est le
premier et le plus grand des commandements: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu.
Donc la charitй est une vertu. 2. A cela il n’y a aucun doute. En effet comme la vertu fait bon celui
qui l’a et rend son oeuvre bonne, il est manifeste que c’est par une vertu
appropriйe que l’homme est ordonnй а son propre bien. Or le propre bien de
l’homme doit кtre entendu diversement selon que l’homme s’entend de diverses
maniиres. Car le propre bien de l’homme comme tel est le bien de la raison, du
fait que l’кtre de l’homme est d’кtre rationnel. Le bien de l’homme selon qu’il
est artisan est le bien de son art; et ainsi aussi selon qu’il est politique
son bien est le bien commun de la citй. Puis donc que la vertu opиre pour le
bien il est requis quant а la vertu de chacun d’кtre ainsi qu’il opиre bien en
vue du bien c’est-а-dire volontiers et promptement et joyeusement et aussi avec
fermetй. Ce sont en effet lа les conditions de l’action vertueuse qui ne
peuvent s’accorder а quelqu’action que si l’acteur aime le bien pour lequel il
agit parce que l’amour est le principe de toutes les affections volontaires. En
effet ce qu’on aime on le dйsire quand on ne l’a pas et il apporte la joie
quand on l’a et ce qui empкche la possession de ce qu’on aime est cause de
tristesse. Aussi ces choses qu’on fait par amour se font avec fermetй,
promptitude et joie. 3. Pour la vertu donc est requis l’amour du bien pour quoi la vertu
agit. Or le bien pour quoi la vertu agit et qui est humaine est connaturel а
l’homme; donc l’amour de ce bien existe naturellement dans sa volontй et c’est
le bien de la raison. Mais si nous prenons la vertu de l’homme selon une autre
considйration non naturelle а l’homme il faudra pour cette vertu que l’amour de
ce bien auquel cette vertu est ordonnйe soit quelque chose de surajoutй а la
volontй naturelle. En effet l’artisan n’opиre bien que si lui survient l’amour
du bien qu’il poursuit par l’action de son art. D’oщ Aristote dit que pour кtre
un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la citй. Si donc l’homme
en tant qu’il est admis а prendre part au bien d’une citй, est fait citoyen de
cette citй, des vertus lui incombent pour accomplir ce qui est du citoyen et
pour aimer -le bien de la citй. Ainsi lorsque l’homme par la grвce divine est
admis а participer а la bйatitude cйleste qui consiste en la vision et en la
jouissance de Dieu il devient comme le citoyen et le compagnon de cette
bienheureuse sociйtй qui est appelйe la Jйrusalem cйleste selon ce qui est
йcrit aux Ephйsiens 2, 19: "Vous кtes les citoyens des saints faisant
partie de la maison de Dieu." 4. D’oщ а l’Homme inscrit de la sorte pour les choses cйlestes lui
sont propres des vertus gratuites qui sont des vertus infuses; pour bien s’en
acquitter est prй exigй l’amour du bien commun а toute la sociйtй, qui est le
bien divin d’aprиs qu’il est l’objet de la bйatitude. 5. Or aimer le bien d’une citй se rйalise en deux choses: d’une part
pour qu’il soit, d’autre part qu’il se con serve. Aimer le bien de la citй pour
qu’il soit et pour le possйder ne fait pas le bien politique parce qu’ainsi
aussi le tyran aime le bien de la citй pour y dominer; ce qui est s’aimer
soi-mкme plus que la citй; c’est pour soi en effet qu’il convoite ce bien et
non celui de la Citй. Mais aimer le bien de la citй pour le conserver et le
dйfendre c’est lа vraiment aimer la citй; ce que fait le bon politique jusqu’а savoir
s’exposer aux pйrils de la mort et nйgliger son bien privй pour le conserver et
l’amplifie. Ainsi donc aimer le bien auquel les bienheureux participent pour
l’avoir et le possйder ne fait pas l’homme bien disposй pour la bйatitude parce
que les mйchants aussi convoitent ce bien; mais l’aimer selon ce qu’il est,
pour qu’il demeure et soit rйpandu, et pour que rien ne soit fait contre lui
c’est ce qui fait l’homme bien disposй pour cette sociйtй des bienheureux. Et
telle est la charitй qui aime Dieu en soi et les prochains, qui sont capables
de la bйatitude, pour eux-mкmes; et elle rйpugne а tous les obstacles et en
soi-mкme et dans les autres. D’oщ elle ne peut jamais exister avec le pйchй
mortel qui est l’obstacle а la bйatitude. Ainsi donc la charitй est non seulement une vertu mais la plus
grande des vertus. 1. Saint Thomas entendra d’abord par
naturel l’homme comme tel: sera non naturel ce qui de quelque maniиre s’ajoute
а l’homme: l’artisan, le citoyen; pour en venir ensuite а ce qui s’ajoute Comme
кtre surnaturel. ARTICLE 3: LA CHARITЙ EST-ELLE FORME DES VERTUS?
1. Elle est la forme et la mиre des vertus. Elle en est en plus le
moteur et la racine. Pour en avoir l’йvidence il faut juger des habitus selon leurs actes;
d’oщ lorsque ce qui est d’un habitus est comme formel dans l’acte d’un autre
habitus, qu’il soit а l’autre habitus comme sa forme. Or dans tous les actes
volontaires ce qui est du cфtй de la fin est formel; la rai son en est que tout
acte reзoit sa forme et son espиce selon la forme de l’agent, comme le fait de
chauffer vient de la chaleur. 2. Or la forme de la volontй est son objet qui est le bien et la fin,
comme l’intelligible est forme de l’intellect. D’oщ il faut que ce qui est de
la fin soit formel dans l’acte de la volontй. D’oщ ce qui est mкme acte
spйcifiquement selon qu’il est ordonnй а une telle fin tombe sous la forme
vertu; et selon qu’il est ordonnй а une autre fin tombe sous la forme vice,
comme il ressort de celui qui fait l’aumфne ou pour Dieu ou par vaine gloire. L’acte
d’un vice selon qu’il est ordonnй а la fin d’un autre vice endosse sa forme;
par exemple celui qui vole pour forniquer est formellement intempйrant et
matйriellement voleur. 3. Or il est manifeste que les actes de toutes les autres vertus sont
ordonnйs а la fin propre de la charitй qui est son objet c’est-а-dire le bien
suprкme. Et des vertus morales cela est manifeste; car ces vertus ont trait а
des biens crййs qui sont ordonnйs au bien incrйй comme а leur fin derniиre.
Mais des autres vertus thйologales la mкme chose est manifeste; car l’кtre
incrйй est l’objet de la foi comme vrai et en tant qu’il est dйsirable il a
raison de bien. Et ainsi la foi tend vers lui en tant que dйsirable puisque
personne ne croit que s’il veut l’objet de l’espйrance, bien qu’il soit l’кtre
incrйй en tant qu’il est bon, cela dйpend cependant de l’objet de la charitй;
en effet le bien est objet d’espйrance en tant que dйsirable et obtenable;
personne en effet ne dйsire obtenir quelque bien que parce qu’il l’aime. 4. D’oщ il est manifeste que dans les actes de toutes les vertus est
formel ce qui est de la part de la charitй et pour autant elle est dite la
forme de toutes les vertus c’est-а-dire que tous les actes de toutes les vertus
sont ordonnйs vers le bien suprкme aimй, comme on l’a mon rй. Et parce que les
prйceptes de la loi ont trait aux actes des vertus de lа vient ce que dit
l’Apфtre 1 Tim 1, 5: "La fin du prйcepte est la charitй." 5. Et de lа aussi il apparaоt comment la charitй est le moteur de
toutes les vertus en tant qu’elle en suscite les actes. En effet toute vertu ou
puissance supйrieure est dite mouvoir par commandement une puissance infйrieure
du fait que les actes de celle-ci sont ordonnйes а la fin de celle-lа; comme le
bвtisseur commande au maзon parce que l’art du maзon est pour la forme de la
maison qui est le but du bвtisseur. D’oщ comme toutes les autres vertus sont
ordonnйes la fin de la charitй celle-ci commande les actes de toutes les vertus
et de lа elle est dite leur moteur. 6. Et parce qu’une mиre reзoit et conзoit, ainsi la charitй est dite
mиre de toutes les vertus, en tant qu’ayant conзu sa fin elle produit les actes
de ces vertus; et pour la mкme raison elle est la racine des vertus. 1. La forme en philosophie est la nature
d’une chose, ce qui fait ce qu’elle est. D’oщ dans le langage courant la forme
est ce qui traduit а l’extйrieur ce qu’une chose est: je reconnais une chose а
sa forme. 2. La nature (forme) de la chaleur est
pour chauffer, comme le fait de vкtir explique le vкtement, sa forme est pour
revкtir un corps; au fond ce qui est formel vient de la fin: celle-ci explique,
fait connaоtre la nature (forme) d’une chose et l’action de l’agent (cf. a 7 ad
17 fin). ARTICLE 4: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE UNIQUE VERTU?
1. Rien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet la charitй est une;
car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve, en l’autre, elles sont
une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement. C’est
donc la mкme charitй par laquelle nous aimons Dieu et le prochain. De plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais
la charitй est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une. 2. L’unitй de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du
cфtй de son objet; et cela parce que ce qui fait une puissance c’est sa
relation avec ce qui est possible, est l’objet. Et ainsi la raison et l’espиce
de la puissance a son sens dans l’objet et semblablement pour un habitus qui
n’est rien autre qu’une disposition d’une puissance complйtйe par son objet. 3. Or dans un objet on considиre quelque chose de formel et quelque
chose de matйriel. Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte
а la puissance ou habitus; matйriel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme
exemple l’objet de la puissance visuelle: l’objet formel est la couleur ou
quelque chose de semblable, en tant en effet que quelque chose est colorй il
est visible; mais ce qui est matйriel c’est le corps qui a la couleur. 4. D’oщ il ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte а la
raison formelle de l’objet, par soi, а ce qui est matйriel dans l’objet, par
accident. Et ce qui est par accident ne varie pas la chose mais seulement ce
qui y est par soi. Donc la diversitй matйrielle de l’objet ne diversifie pas la
puissance ou l’habitus mais la diversitй formelle. Une est en effet la
puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes et le
ciel parce que cette diversitй est matйrielle et non selon la raison formelle
du visible. Mais le goыt diffиre de l’odorat selon la diffйrence qu’il y a dans
la saveur et dans l’odeur qui: sont des sensibles en soi. 5. Et cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charitй. Il
est йvident en effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux maniиres: ou en
raison de lui-mкme ou d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-mкme
quand nous l’aimons en raison de son propre bien d’aprиs qu’il est en soi
honnкte, ou pour nous dйsirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison d’un
autre parce qu’il tient а un autre que nous aimons De ce qu’en effet nous
aimons quelqu’un en lui-mкme nous aime tous ses familiers, ses consanguins et
ses amis en tant qu’ils tiennent а lui. Cependant en tous ceux-lа il n'y a
qu’une seule raison de dilection c’est son propre bien que nous aimons en
raison de lui-mкme et en quelque sorte nous l’aimons en tous les autres. 6. Il faut donc dire que la charitй aime Dieu en raison de lui-mкme et
les autres en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnйs а Dieu; d’oщ en
quelque sorte elle aime Dieu dans tous ses proches; ainsi en effet nous aimons
le prochain par charitй parce qu’en lui est Dieu ou pour que Dieu soit en lui.
D’oщ il est йvident que c’est le mкme habitus de charitй par lequel nous aimons
Dieu et le prochain. 7. Mais si nous aimions le prochain en raison de lui- mкme et non en
raison de Dieu cela ressortirait а une autre dilection par exemple une
dilection politique ou naturelle ou а quelqu’autre qu’Aristote touche au chapitre
8 du 8 Livre des Ethiques. ARTICLE 5: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE VERTU
SPЙCIALE DISTINCTE DES AUTRES?
1. L’Apфtre la distingue d’avec d’autres vertus: "Maintenant
demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois choses" (1 Cor
13, 13). La charitй est une vertu distincte des autres vertus pour en avoir
l’йvidence considйrons que toutes les fois qu’un acte dйpend de plusieurs
principes qui ont un ordre entre eux il est requis pour la perfection de cet
acte que chacun de ces principes soit parfait. Si en effet l’imperfection se
trouve dans le premier ou dans le moyen ou dans le dernier l’acte est
imparfait, comme quand l’artisan n’est pas capable ou l’instrument dйfectueux,
l’oeuvre en est imparfaite. 2. Et cela peut aussi entrer en considйration pour les puissances
mкmes de l’вme. En effet si droite est la raison qui meut les puissances
infйrieures, et que le concupiscible est indisposй, on opйrera selon la raison
mais l’action sera imparfaite parce qu’il y aura un obstacle, indisposйe
qu’elle est par le concupiscible qui l’entraоne vers l’opposй, comme il
apparaоt chez le continent; et donc en pour qu’on soit bon dans le
concupiscible qu’on soit tempйrant afin d’agir promptement et sans empкchement. 3. Et de mкme qu’il en est pour les diverses puissances oщ l’une meut
l’autre, la mкme considйration doit кtre faite pour les divers objets dont l’un
est ordonnй а un autre comme а sa fin. En effet une et mкme puissance selon
qu’elle est une fin meut, en ce qui est pour la fin, non seulement l’autre
puissance mais elle-mкme. Et donc pour une action droite doit-on кtre bien disposй
non seulement pour la fin mais aussi pour ce qui est а la fin autrement suit
une action dйfectueuse; comme il en est de celui qui veut la santй mais ne
prend pas les remиdes nйcessaires. 4. Et ainsi il est manifeste que puisque la charitй dispose correctement
aux choses qui sont pour la fin derniиre ainsi faut-il d’autres vertus qui
disposent correctement а la fin. La charitй est donc autre que celles qui sont
pour la fin, bien qu’elle soit plus principale et constructrice par rapport aux
autres qui sont ordonnйes а ces choses qui sont pour la fin; comme par exemple
la mйdecine par rapport а la pharmacie et l’art militaire par rap port а la
cavalerie. Etant vertu spйciale distincte des autres vertus elle est la
principale et meut les autres. ARTICLE 6: LA CHARITЙ PEUT-ELLE EXISTER AVEC LE
PЙCHЙ MORTEL?
1. Au Livre de la Sagesse (1, 5) on lit: "L’Esprit Saint qui
nous йduque fuit la duplicitй et il s’йcarte des pensйes qui sont sans
intelligence et il sera rejetй par l’iniquitй qui survient." Mais l’Esprit
Saint est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charitй; car il habite en
nous par la charitй. Donc l’iniquitй qui survient rejette la charitй et ainsi
elle ne peut кtre en mкme temps que le pйchй mortel. 2. De plus, quiconque a la charitй est digne de la vie йternelle,
selon ce que dit l’Apфtre а Timothйe II 4, 8: "Il ne me reste plus qu’а
recevoir la couronne de gloire qui m’est rйservйe; le Seigneur le juste juge me
la donnera en ce jour-lа, non seulement а moi mais а tous ceux qui auront aimй
son avиnement." Or quiconque pиche mortellement est digne de la peine
йternelle: Rom 6, 23: "Le salaire du pйchй est la mort." Mais
on ne peut кtre en mкme temps digne de la vie йternelle et de la peine
йternelle. Donc la charitй ne peut pas кtre en mкme temps que le pйchй mortel. 3. Il faut d’abord considйrer que le pйchй mortel est directement
opposй а la charitй. Quiconque en effet met en avant une chose de prйfйrence а
une autre, celle qu’il met en avant il l’aime davantage: sa propre vie et son
existence que la voluptй; quelle que grande que soit celle-ci, il s’en
abstiendra s’il l’estime кtre infailliblement dommageable а sa vie. A cause de
cela saint Augustin dit au L. 83 des Questions: "La crainte de
la douleur est plus grande que le dйsir de la voluptй puisque nous voyons les
animaux les plus sauvages s’abstenir des plus grandes voluptйs par crainte de
la douleur." 4. On pиche mortellement en ce qu’on choisit plutфt une chose que de
vivre selon Dieu et de lui adhйrer. Il est donc йvident que quiconque pиche
mortellement du fait mкme qu’il aime un autre bien que Dieu. Si en effet il
aimait Dieu davantage il mettrait en avant de vivre selon Dieu plutфt que de
possйder quelqu’avantage temporel. Or il est dans la nature de la charitй que
l’on aime Dieu au-dessus de tout, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut;
d’oщ tout pйchй mortel va а l’encontre de la charitй. 5. En effet la charitй est rйpandue par Dieu en l’homme. Or ce que
Dieu cause par-lа, non seulement a besoin de l’action divine dans son principe
pour commencer а кtre, mais en toute sa durйe pour sa conservation, tout comme
l’illumination de l’air a besoin de la prйsence du soleil non seulement lorsque
l’air vient d’кtre йclairй mais aussi longtemps qu’il demeure йclairй. Et voilа
pour quoi si un obstacle s’interpose interceptant l’action directe du soleil la
lumiиre cesse dans l’air; et semblablement quand le pйchй mortel advient qui
empкche le regard direct de l’вme vers Dieu, par cela qu’elle prйfиre autre
chose а Dieu, l’influx de la charitй est interrompu et la charitй cesse
d’exister en l’homme selon ce que dit Isaпe "Nos pйchйs nous ont divisйs entre nous et notre Dieu"
(69, 2). Mais lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter ses
regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne se fait pas sans la
grвce) il revient de nouveau а l’йtat de charitй. ARTICLE 7: LA NATURE RATIONNELLE PEUT-ELLE КTRE
AIMЙE PAR CHARITЙ?
1. Au Lйvitique (18, 18) on dit: "Tu aimeras ton prochain
comme toi-mкme" et la Glose dit: "Prochain non seulement par
la proximitй du sang mais par la sociйtй de la raison ". Donc selon
que quelque chose est en sociйtй avec nous par la nature raisonnable ainsi
est-il diligible par charitй. La nature raisonnable est donc objet de charitй. 2. Lorsqu’on s’informe de ces choses qui sont soumises а une puissance
ou habitus il faut considйrer la raison formelle d’objet de cette puissance ou
habitus. En effet selon que certaines choses ont rapport а cette raison ainsi
sont-elles soumises а cette puissance ou habitus; de mкme que les choses
visibles selon qu’elles se rapportent а la nature visuelle, selon cette mкme
raison sont visibles en soi ou accidentellement. Or comme l’objet de l’amour
pris en gйnйral est le bien pris communйment il est nйcessaire que de chaque
amour spйcial il y ait un objet bon spйcial: comme de l’amitiй naturelle qui va
aux consanguins son objet propre est le bien naturel selon qu’il est tirй des
parents; dans l’amitiй politique l’objet est le bien de la citй. D’oщ la
charitй a un certain bien spйcial comme son propre objet, c’est-а-dire le bien
de la bйatitude divine, comme on l’a vu а l’art. 4. Selon donc que certaines choses ont un rapport а ce bien ainsi
sont-elles diligibles par charitй. 3. Puisqu’aimer est vouloir du bien а quelqu’un, une chose peut кtre
aimйe doublement: ou bien comme ce а quoi nous voulons du bien ou comme le bien
que nous lui voulons. De la premiиre maniиre ces choses-lа seules peu vent кtre
aimйes auxquelles nous pouvons vouloir le bien de la bйatitude йternelle et qui
sont а mкme d’avoir ce bonheur. D’oщ comme la seule nature intellectuelle est а
mкme d’avoir la bйatitude йternelle, elle seule doit кtre aimйe par charitй
comme on aime ces choses auxquelles nous voulons du bien. Selon que certaines choses peuvent avoir diversement la bйatitude
йternelle, saint Augustin en distingue quatre qu’on doit aimer par charitй[24]’.
Il y a en effet ce qui a la bйatitude йternelle par essence et c’est Dieu; et
ce qui l’a par participation et c’est la nature rationnelle tant celle qui aime
que celles qui peuvent lui кtre associйes dans la participation а la bйatitude.
Enfin il y a ce а quoi revient la bйatitude par une sorte de retombйe comme
notre corps qui est glorifiй par retombйe de la grвce depuis l’вme jusqu’а lui.
D’oщ, Dieu doit кtre aimй par charitй comme racine de la bйatitude; tout homme
doit s’aimer par charitй afin de participer а la bйatitude; le prochain comme
compagnon dans cette participation; notre propre corps qui est glorifiй selon
que retombe sur lui la bйatitude. 4. D’aprиs les biens que nous voulons aux autres, tous les biens
peuvent кtre aimйs en tant qu’ils sont les biens de ceux qui peuvent avoir la
bйatitude. Toutes les crйatures en effet sont pour l’homme une voie vers la
bйatitude et de plus toutes sont ordonnйes а la gloire de Dieu en tant qu’en
elles se manifeste la divine bontй. Maintenant donc nous pouvons tout aimer par
charitй en l’ordonnant cependant а ces choses qui ont la bйatitude ou peuvent
l’avoir. 5. Les dilections sont entre elles comme aussi les biens qui sont
leurs objets. D’oщ comme tous les biens humains sont ordonnйs а la bйatitude
йternelle comme en la fin derniиre, la dilection de charitй comprend sous elle
toutes les dilections humaines а l’exception de celles qui se fon dent sur le
pйchй lequel n’est pas destinй а la bйatitude. D’oщ si des consanguins s’aiment
mutuellement ou certains concitoyens, ou ceux qui voyagent ensemble ou tous
autres que ce soit, cela peut avoir du mйrite aussi par charitй; mais que
d’aucuns s’aiment pour leur communication dans la rapine ou l’adultиre cela ne
peut кtre mйritoire ni par charitй.
ARTICLE 8: L’AMOUR DES ENNEMIS EST-IL DE LA
PERFECTION DE CONSEIL?
1. Saint Augustin dans 1’Enchiridion chapitre 73 dit: "Il
est de la perfection des fils de Dieu d’aimer leurs ennemis: en cela chacun
doit se montrer fidиle." 2. Aimer ses ennemis, d’une certaine maniиre tombe sous la nйcessitй
de prйcepte et d’une certaine maniиre sous la perfection de conseil. Il faut en
effet remarquer comme on l’a vu а l’art. 4 que l’objet propre et par soi de la
charitй est Dieu; et tout ce qu’on aime par charitй est aimй en raison de son
appartenance а Dieu, comme lorsque nous aimons quelqu’un nous aimons par
consйquent tous ceux qui lui sont attenants mкme s’ils sont nos ennemis. Or il
est constant que tous les hommes appartiennent а Dieu en tant qu’il les a crййs
et sont capables de la bйatitude qui consiste en sa jouissance. Il est donc
manifeste que ce motif de dilection que considиre la charitй se trouve chez
tous les hommes. 3. Ainsi donc chez celui qui exerce son inimitiй contre nous
trouve-t-on deux choses: l’une qui est la raison de la dilection c’est-а-dire
son appartenance а Dieu et l’autre qui est la raison de la haine c’est-а-dire
qu’il est notre adversaire. Or partout oщ se rencontrent ces deux choses la
dilection et la haine si, passant outre а la dilection nous nous tournons vers
la haine il est manifeste que ce qui est raison de haine a le dessus en notre
coeur sur ce qui est raison de dilection. Si donc quelqu’un hait son ennemi
l’inimitiй qu’il a pour lui a le dessus sur l’amitiй divine. Il hait donc
l’amitiй de celui-lа plus que d’aimer Dieu. Or nous haпssons quelque chose dans
la mesure oщ nous aimons le bien que l’ennemi nous soustrait. Il reste donc que
quiconque hait son ennemi aime un certain bien crйй plutфt que Dieu; ce qui est
contraire au prйcepte de la charitй. Donc haпr son ennemi est contraire а la
charitй; d’oщ il est nйcessaire que si le prйcepte de la charitй nous oblige а
ce que la dilection de Dieu l’emporte en nous sur la dilection de n’importe
quelle chose et par con sйquent sur la haine de son contraire il s’en suit donc
que de nйcessitй de prйcepte nous sommes tenus d’aimer les ennemis. 4. Mais il faut remarquer que quand nous sommes tenus d’aimer le prochain
le prйcepte ne s’йtend pas а ce que nous aimions actuellement tout prochain en
particulier ou que nous fassions le bien а chacun d’une faзon spйciale; car
personne n’arriverait а penser а tous les hommes de sorte qu’on aimerait
spйcialement chacun actuellement; ni aussi on n’arriverait pas а faire le bien
ou а servir chacun en particulier. 5. Nous sommes cependant tenus en particulier d’aimer certains et de
leur кtre utile qui nous sont conjoints par quelqu’autre raison d’amitiй, car
toutes les autres dilections permises sont comprises dans la charitй, comme on
l’a vu plus haut; d’oщ ce que dit saint Augustin: "Comme tu ne peux
кtre utile а tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui selon les lieux et les
temps ou toutes autres opportunitйs des choses te sont plus йtroitement unis
par le sort; par sort en effet il faut entendre quiconque t’est liй
temporellement et qui adhиre а toi, ce qui fait que tu choisis de
l’avantager" (Doctr. chrйt.). 6. D’oщ il ressort qu’en vertu du prйcepte de la charitй nous ne
sommes pas tenus d’кtre poussйs par affection de dilection ou effectivement en
particulier pour celui qui ne nous est uni par aucun autre lien si ce n’est
peut-кtre selon le temps ou le lieu, parce que nous le Voyons en quelque
nйcessitй d’oщ il ne pourrait кtre secouru sans nous[25].
Nous sommes tenus cependant par affection et effet de charitй par quoi nous
aimons tous les prochains et prions pour tous, de ne pas exclure mкme ceux-lа
qui ne nous sont unis par aucun lien spйcial comme par exemple ceux qui
habitent les Indes ou l’Ethiopie. 7. Puisque aussi nulle autre union avec notre ennemi ne reste que
l’union de la charitй nous serions tenus de nйcessitй de prйcepte de les aimer
en gйnйral, effectivement et affectueusement et en particulier dans un cas de
nйcessitй imminent. Mais que l’homme tйmoigne une spйciale affection et une
effective dilection qu’il a pour ceux qui lui sont unis, aussi pour ses ennemis
а cause de Dieu, c’est de la perfection de la charitй et tombe sous le conseil.
En effet de la perfection de la charitй procиde que la seule charitй pousse
ainsi vers l’ennemi comme pousse vers l’ami la charitй et une dilection
spйciale. Or il est manifeste que de la perfection d’une vertu active procиde
que l’action de l’agent s’йtende а ce qui est loin. Plus parfaite en effet est
la vertu du feu par laquelle non seulement il rйchauffe ce qui est prиs mais ce
qui est loin, ainsi est plus parfaite la charitй par laquelle on est poussй non
seulement vers ceux qui nous sont proches mais aussi vers les йtrangers et plus
loin vers nos ennemis, non seulement en gйnйral mais aussi en particulier en
les aimant et en leur faisant du bien.
ARTICLE 9: Y A-T-IL UN CERTAIN ORDRE DANS LA
CHARITЙ?
1. Au Cantique des cantiques il est dit: "Le roi m’a introduit
dans la cave а vin, il a disposй en moi la charitй" (2, 4). Selon
toute sentence et autoritй de l’Ecriture il faut tenir de faзon indubitable
pour cet ordre de la charitй que Dieu soit aimй par-dessus tout en affection et
en fait. Mais en ce qui regarde la dilection des prochains il y eut une opinion
que l’ordre de la charitй se prenne selon le fait et non selon l’affection; on
y fut poussй par ce que dit saint Augustin au L. I de la Doctrine chrйtienne chapitre
28, que tous les hommes doivent кtre aimйs йgalement "mais comme tu ne
peux кtre utile а tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui selon les temps
et les lieux ou toutes autres opportunitйs te sont plus йtroitement unis comme
par un certain sort". 2. Mais cette position ne semble pas rationnelle. En effet Dieu
pourvoit а chacun selon que le veut sa condition: d’oщ а ces choses qui tendent
а la fin naturelle leur sont imprimйs l’amour et l’appйtit de la fin selon que
l’exige leur condition pour tendre а la fin; d’oщ celles dont le mouvement est
plus vйhйment selon la nature vers une fin donnйe, plus grande aussi est
l’inclination vers elle; mais on a alors l’appйtit naturel, comme il est clair
dans les choses lourdes et lйgиres. De mкme en est-il dans la dilection de
charitй qui est une inclination rйpandue dans la nature rationnelle afin de
tendre vers Dieu. Selon donc qu’il est nйcessaire а quelqu’un de tendre vers
Dieu d’aprиs cela y est-il inclinй par charitй. 3. Or а ceux-lа qui tendront vers Dieu comme а leur fin ce qui leur
est le plus nйcessaire avant tout est le secours divin; deuxiиmement ce qui
vient de soi; enfin la coopйration qui vient du prochain: et en cela il y a
gradation. Car certains coopиrent seulement en gйnйral; d’autres qui sont plus
proches, en particulier; tous en effet ne peuvent coopйrer pour tous dans les
choses particuliиres. Ce qui nous vient en aide aussi comme instrument c’est le
corps et йgalement ce qui est nйcessaire au corps. 4. D’oщ il faut que l’affection de l’homme soit ainsi ordonnйe par la
charitй que d’abord et principalement il aime Dieu; ensuite soi-mкme; enfin le
prochain et parmi les prochains davantage ceux qui sont plus proches et plus а
mкme de nous aider. Pour ceux qui sont un obstacle en tant que tels on doit les
avoir en aversion quels qu’ils soient; d’oщ ce que dit le Seigneur en Luc 14,
26: "Si quelqu’un vient а moi et n’a pas son pиre ou sa mиre en
aversion... il ne peut кtre mon disciple." Notre corps enfin lui aussi
doit кtre aimй. Ainsi йgalement selon l’ordre d’affection devons-nous exercer
la charitй dans nos actes. 5. Mais comme on l’a vu plus haut aux Articles 7 et 8, il y a encore
d’autres dilections licites et honnкtes qui viennent d’autres causes et qui
peuvent кtre ordonnйes а la charitй; et ainsi la charitй peut commander les
actes de ces dilections; et ainsi ce qui est plus aimй selon une d’elles, l’est
davantage sur ordre de la charitй. Or il est manifeste que selon la dilection
naturelle on doit aimer davantage les proches aussi selon l’affection, et selon
la dilection sociale davantage les associйs et ainsi des autres dilections. D’oщ il est manifeste que mкme selon l’affection, l’un des prochains
doit кtre aimй plus qu’un autre et en tant que vertu qui commande les actes des
autres amitiйs licites. ARTICLE 10: LA CHARITЙ PEUT-ELLE КTRE PARFAITE
EN CETTE VIE?
1. Puisque tout pйchй rйpugne а la charitй, la perfection de la
charitй requiert que l’homme soit absolument sans pйchй. Mais cela est
impossible en cette vie selon ce que dit I Jean 1, 8: "Si nous disons
que nous n’avons pas de pйchй nous nous trompons nous-mкmes." Rien n’est aimй s’il n’est connu. Mais en cette vie Dieu ne peut
кtre parfaitement connu selon 1 Cor 13, 9: "Maintenant nous connaissons
partiellement." Donc aussi il ne peut кtre parfaitement aimй. Ce qui peut toujours progresser n’est pas parfait. Mais la charitй
en cette vie peut toujours progresser comme il est dit au sermon sur la
Montagne (Mt 5, 48)[26].
Donc la charitй en cette vie ne peut pas toujours кtre parfaite en cette vie. La charitй parfaite met dehors la crainte: (1 Jean 4, 18). Mais en
cette vie l’homme ne peut pas кtre sans crainte. 2. Il y a trois sortes de perfections: ce qui l’est simplement; ce qui
est parfait selon sa nature; ce qui est par fait selon le temps. Est parfait
simplement ce qui en tous points est parfait et а quoi rien ne manque. Est
parfait naturellement ce а quoi rien ne manque de ce qui est dы а cette nature,
comme est parfaite l’intelligence de l’homme non qu’il possиde la connaissance
de tous les intelligibles mais parce que rien ne manque de ce qui le rend а
mкme de comprendre. Est parfait selon le temps quand rien ne manque de ce qu’on
est а mкme d’avoir selon le temps, comme nous disons un enfant parfait parce
qu’il a ce qui est requis а l’homme selon cette вge-lа. 3. Ainsi on doit donc dire que la charitй parfaite est en Dieu
uniquement. La charitй parfaite selon sa nature peut кtre chez l’homme non en
cette vie. Celle qui est selon le temps, mкme en cette vie peut exister. 4. Puisque l’acte et l’habitus ont leur espиce de par leur objet c’est
de lа qu’il faut prendre la raison de perfection. Or l’objet de la charitй est
le souverain bien; la charitй est donc parfaite simplement qui se porte vers le
bien souverain autant qu’il est aimable. Or le souverain bien est infiniment
aimable puisqu’il est le bien infini. D’oщ aucune charitй de la crйature qui
est finie ne peut кtre simplement parfaite mais ainsi peut кtre dite parfaite
la seule charitй de Dieu par laquelle il s’aime lui-mкme. 5. Mais alors selon la nature de la crйature rationnelle la charitй
est dite parfaite lorsque selon son pouvoir elle se tourne а aimer Dieu. Or
trois choses empкchent l’esprit de l’homme en cette vie de se porter totalement
vers Dieu. D’abord l’inclination contraire de son esprit, c’est-а-dire quand
celui-ci se tourne par le pйchй vers un bien changeant comme а une fin pour se
dйtourner du bien immuable. Ensuite а cause de l’occupation des choses
sйculiиres, car comme le dit l’Apфtre: "Celui qui est avec l’йpouse est
soucieux des choses du monde et comment il plaira а l’йpouse et il est
divisй." (1 Cor 7, 33) son coeur donc ne se meut pas seulement vers
Dieu. Enfin il y a l’infirmitй de la vie prйsente qui nйcessairement par ses
nйcessitйs l’occupe et le retient de se porter actuellement vers Dieu, tels
sont le sommeil, les repas et autres choses de ce genre, sans lesquelles la vie
prйsente ne peut exister. Et de plus de par la lourdeur du corps l’вme est
rabaissйe et ne peut ainsi voir la divine lumiиre en son essence, selon ce que
dit l’Apфtre: "Aussi longtemps que nous sommes dans le corps nous
marchons loin du Seigneur nous avanзons en effet dans la foi et non par la
vue" (2 Cor 5, 6). 6. Or l’homme en cette vie peut vivre dans le pйchй mortel qui le
dйtourne de Dieu et en plus sans occupation de choses temporelles comme saint
Paul dit: "Celui qui n’a pas d’йpouse se soucie des choses de Dieu et
comment il lui plaira" (1 Cor 7, 33). Mais du fardeau de la chair corruptible
il ne peut кtre dйchargй en cette vie. D’oщ la charitй peut кtre parfaite en
cette vie par l’йlimination des deux premiers obstacles mais non du troisiиme. Et
donc cette perfection de la charitй qui sera aprиs cette vie personne ne peut
l’avoir s’il n’est en mкme temps voyageur et contemplatif, ce qui fut le propre
du Christ. ARTICLE 11: TOUT LE MONDE EST-IL TENU A LA
CHARITЙ PARFAITE?
1. Personne n’est tenu а ce qui n’est pas en lui. Mais avoir la
charitй parfaite ne vient pas de nous mais de Dieu. Donc elle ne peut pas кtre
de prйcepte. 2. La solution dйpend des prйmisses. On a en effet montrй qu’il existe
une certaine perfection qui est insйparable de la nature de la charitй, celle
qui йcarte toute inclination contraire а la charitй. Or il y a une perfection
qui n’exige pas la charitй et qui est du bien-кtre de la charitй; c’est-а-dire
qui consiste en l’йloignement des occupations sйculiиres qui retardent
l’affection de l’homme pour qu’il ne puisse progresser librement vers Dieu. Et
il y a cette autre perfection de la charitй qui n’est pas possible en cette
vie. Et il y en a une а laquelle aucune nature ne peut atteindre, comme on l’a
vu plus haut. 3. Il est manifeste que tous sont tenus а ce sans quoi le salut ne
peut кtre obtenu. Or sans la charitй personne ne peut obtenir le salut йternel
et une fois qu’on l’a on obtient le salut йternel. 4. D’oщ tous sont tenus а la premiиre perfection de la charitй comme а
la charitй elle-mкme. A la seconde perfection sans laquelle la charitй peut
exister les hommes n’y sont pas tenus puisque toute charitй suffit au salut. Encore
beaucoup moins sont-ils tenus а la troisiиme et quatriиme perfection comme
personne n’est tenu а l’impossible. ARTICLE 12: LA CHARITЙ UNE FOIS ACQUISE
PEUT-ELLE SE PERDRE?
On lit dans l’Apocalypse 2, 4: "J’ai contre toi que tu t’es
relвchй de ton premier amour. Rappelle-toi donc d’oщ tu es tombй, et repens-toi
et pratique tes premiиres oeuvres." - Saint Grйgoire le Grand dit dans une homйlie (30 in Evang.) "Dans
les coeurs de certains Dieu vient mais n’y fait pas sa demeure parce que par la
componction ils conзoivent du respect pour Dieu mais dans la tentation ils
retournent ainsi aux pйchйs comme s’ils ne les avaient pas pleurйs." Au premier livre des Rois 16, 13 on dit de David que le Seigneur
йtait avec lui. Mais par la suite il pйcha commet tant l’adultиre et
l’homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charitй. Donc aprиs avoir reзu la
charitй on peut la perdre en pйchant mortellement. La charitй est la vie de l’вme selon ce que dit 1 Jean 3, 14: "Nous
savons que nous avons йtй transfйrйs de la mort а la vie parce que nous aimons
nos frиres." Mais la vie naturelle peut se perdre par la mort
naturelle; donc aussi la vie de charitй par la mort du pйchй mortel. 1. Pierre Lombard a posй que la charitй en nous est l’Esprit Saint. Or
ce n’йtait pas son intention de dire que notre acte de dilection soit l’Esprit
Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre вme а aimer Dieu et le prochain,
comme aussi pour les autres vertus; mais aux actes des autres vertus il meut
l’вme par des habitus de vertus infuses; pour les actes de dilection de Dieu et
du prochain il meut sans aucun autre habitus intermйdiaire. D’oщ son opinion
йtait vraie en ce que l’Esprit Saint meut l’вme а aimer Dieu et le prochain;
mais elle йtait imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus crйй
par lequel la volontй humaine serait perfectionnйe en vue d’un tel acte de
dilection. Il faut en effet mettre dans l’вme un tel habitus, comme on l’a vu
au premier article. 2. On peut considйrer la charitй sous quatre aspects. D’abord du cфtй
de l’Esprit Saint qui meut l’вme et quant а cela il faut dire nйcessairement
que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace selon son intention. En
effet il opиre dans l’вme distribuant а chacun comme il le veut, comme il est
dit 1 Cor 12, 11; et donc а ceux aux quels selon son bon plaisir il veut donner
le mouvement de persйvйrance dans la divine charitй il ne peut y avoir chez eux
de pйchй excluant la charitй. Je dis qu’il ne peut du cфtй de la vertu motrice
bien que ce soit possible de la part de la versatilitй du libre arbitre. Ce sont
lа en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement
libйrйs tous ceux qui sont libйrйs, comme saint Augustin le dit au Livre de la
Prйdestination des saints. Or а certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir
donne d’кtre mыs pour un temps du mouvement de dilection de Dieu non qu’ils
persйvиrent en cela jusqu’а la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de
la Correction et de la Grвce. 3. En second lieu on peut considйrer la charitй du cфtй du pouvoir de
la charitй et quant а cela quiconque a la charitй ne peut pйcher en vertu mкme
de la force de la charitй, comme celui qui a une certaine forme ne peut opйrer
contre cette forme en vertu de cette mкme forme comme ce qui est chaud par la
force de ce qu’il est ne peut pas refroidir ou кtre froid, il peut cependant
perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’aprиs cela saint Augustin expose ce qui
est dit en Mt 7, 18: "Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais
fruits." Il dit en effet que de mкme qu’il peut se faire que ce qui
fut neige ne le soit plus, non que la neige soit chaude, ainsi il peut se faire
que celui qui fut mauvais ne le soit plus, non cependant que le mauvais fasse
bien; et il en est de mкme du bien selon n’importe quelle vertu, parce qu’on ne
se sert mal d’aucune vertu. 4. En troisiиme lieu on peut considйrer la charitй du cфtй de la
volontй en tant que celle-ci lui est soumise comme la matiиre а la forme. Oщ il
faut remarquer que quand la forme remplit toute la potentialitй de la matiиre, il
ne peut plus y avoir de place dans la matiиre pour une autre forme; d’oщ elle a
cette forme inamissiblement comme il ressort dans la matiиre cйleste. Il y a
une forme qui ne remplit pas toute la potentialitй de la matiиre mais il y a
place pour une autre forme et donc cette forme est amissible du cфtй de la
matiиre ou du sujet comme il ressort dans les formes des corps йlйmentaires. Or
la charitй comble la potentialitй de son sujet en le ramenant а l’acte de
dilection et donc c’est dans la patrie oщ la crйature rationnelle aime Dieu de
tout son coeur et actuellement et n’aime rien d’autre sinon qu’en le rapportant
actuellement а Dieu c’est lа que la charitй est possйdйe inamissiblement. Dans
l’йtat de voie la charitй ne comble pas toute la potentialitй de l’вme qui
n’est pas constamment et actuellement tournйe vers Dieu, rapportant tout а lui
par intention actuelle, et donc la charitй de la voie est amissible du cфtй du
sujet. 5. Enfin on peut considйrer la charitй du cфtй du sujet d’aprиs qu’on
le compare spйcialement а la charitй elle- mкme comme la puissance а l’habitus.
Il faut ici considйrer que l’habitus de la vertu incline l’homme а agir
droitement selon que par elle l’homme a une juste estimation de la fin; car
comme il est dit au L. des Йthiques 3, com. 5): "Selon ce qu’on est telle
apparaоt la fin."De mкme en effet que le goыt juge des saveurs selon qu’il
est affectй d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient а l’homme
selon la disposition habituelle lui adhйrente, bonne ou mauvaise, est estimй
par lui bon; ce qui ne convient pas est estimй mauvais et rйpugnant; d’oщ ce
que dit l’Apфtre 1 Cor 2, 14: "l’homme animal ne perзoit pas les choses
qui sont de l’Esprit de Dieu". 6. Il arrive parfois cependant que ce qui paraоt кtre selon
l’inclination de l’habitus ne le soit pas selon autre chose; comme au luxurieux
selon l’inclination de son propre habitus lui paraоt bonne l’inclination de la
chair mais selon la dйlibйration de la raison ou l’autoritй de l’Ecriture elle
lui paraоt contraire. Et donc celui qui est habituй а la luxure agit parfois
selon cette estimation con traire а son habitus, et semblablement le vertueux
agit parfois contrairement а son habitus parce que quelque chose d’autre lui
paraоt autrement, par exemple par passion ou une autre sйduction. 7. Alors donc personne ne pourra agir contre l’habitus de la charitй
parce que personne ne peut avoir une autre estimation de la fin et de l’objet
de la charitй que selon l’inclination de la charitй que lorsqu’il sera dans la
patrie oщ l’essence mкme de Dieu sera contemplйe et qui est l’essence mкme de
la bontй. De mкme donc que mainte nant personne ne peut vouloir une chose que
sous la commune raison de bien, ni que le bien sous sa raison de bien ne peut
ne pas кtre aimй ainsi aussi alors ce bien qui est Dieu personne ne pourra pas
ne pas l’aimer. Et а cause de cela personne voyant Dieu par essence ne peut
agir contrairement а la charitй. Et de lа vient que la charitй de la patrie est
inamissible. 8. Mais maintenant notre entendement ne contemple pas l’essence de la
divine bontй mais un certain effet qui peut paraоtre bon et non bon selon des
considйrations diffйrentes; comme le bien spirituel paraоt n’кtre pas bon en
tant qu’en est contrariйe la dйlectation charnelle chez ceux qui en sont
victimes. Et donc la charitй de la voie peut se perdre par le pйchй mortel. ARTICLE 13: LA CHARITЙ SE PERD-ELLE PAR UN SEUL
PЙCHЙ MORTEL?
1. Saint Jean dit (I Jean 3, 17) "Celui qui possиde les biens
de ce monde et voit son frиre dans la nйcessitй, lui ferme ses entrailles,
comment l’amour de Dieu demeure- t-il en lui ?" Et il semble bien que
par le pйchй d’omission on perde la charitй. Mais le pйchй de transgression
n’est pas moindre que le pйchй d’omission. Donc par tout pйchй (grave) se perd
la charitй. 2. Sans aucun doute par tout acte de pйchй mortel l’habitus de la
charitй est retirй; en effet s’il est dit pйchй mortel c’est parce que par lui
l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut кtre si la charitй est prйsente
qui est la vie de l’вme. Semblablement aussi par le pйchй mortel l’homme
devient digne de la mort йternelle, selon ce qui est dit aux Romains 6, 23: "Le
salaire du pйchй c’est la mort." Or quiconque a la charitй mйrite la
vie йternelle en effet le Seigneur promet а celui qui l’aime de se manifester а
lui; ce en quoi consiste la vie йternelle. D’oщ il est nйcessaire de dire que
par tout acte de pйchй mortel l’homme perd la charitй. Il est en effet
manifeste que en tout acte de pйchй mortel se produit l’aversion du bien qu’on
ne peut йchanger en rien d’autre et auquel nous unit la charitй а laquelle le
pйchй mortel s’oppose. 3. Mais comme l’acte ne contrarie pas directement l’habitus mais
l’acte, on pourrait penser que l’acte du pйchй mortel empкcherait un acte de
charitй opposй sans que soit enlevй l’habitus comme il en est dans les habitus
acquis; en effet on ne perd pas l’habitus d’une vertu infuse si on agit contre
cette vertu. Mais il en va autrement de l’habitus de charitй. L’habitus de
charitй n’a pas sa cause dans le sujet mais dйpend totalement d’une cause
extrinsиque; la charitй en effet est rйpandue en nos coeurs par l’Esprit Saint
qui nous a йtй donnй (Rom 5, 5). Or Dieu ne cause pas ainsi la charitй dans
l’вme qu’il n’en soit que la cause de son devenir et non quant а sa
conservation, comme le bвtisseur est cause de la maison seulement pour son
devenir, d’oщ s’il disparaоt la maison subsiste. Mais Dieu est cause de la
charitй et de la grвce dans l’вme et quant а leur devenir et quant а leur
conservation; comme le soleil est cause de la lumiиre dans l’atmosphиre. Et
donc de mкme que la lumiиre cesserait dans l’air si intervenait un obstacle,
ainsi l’habitus de charitй cesse aussitфt quand l’вme se dйtourne de Dieu par
le pйchй. Et c’est ce que saint Augustin dit au L. 8 de la Genиse ad
litteram chapitre 12: "Dieu ne justifie pas le juste de sorte que
s’il se retire, ce qu’il a fait demeure, lui absent; mais plutфt de mкme que
l’air en prйsence de la lumiиre n’a pas йtй fait lumineux mais le devient,
ainsi l’homme, Dieu lui йtant prйsent, est illuminй, absent aussitфt il est
obscurcit."
[1] Vertu =
pouvoir, facultй.
[2] La
matiиre n’est pas infinie elle est, dit s. Jean Damascиne, limitйe (donc
privйe) par le lieu et le temps ou ce qu’on peut lui attribuer, tandis que Dieu
est infini par ce qu’on ne peut pas le limiter (nйgativement) ni quant au
temps, ni quant au lieu, ni quant а toute autre qualitй ou propriйtй comme sa
puissance, sa sagesse, etc.
[3] L’infini,
qui est dans les quantitйs, signifie le dйsir insatisfait de la matiиre vers sa
dйtermination.
[4]
Ressemblance principale c’est-а-dire du pиre et du fils, en opposition а la
ressemblance йloignйe qui existe entre la pensйe d’une oeuvre et son exйcution,
par exemple le plan d’une maison et sa rйalisation.
[5] Hypo: en
dessous; stase: ce qui est debout; ce qui se tient en dessous.
[6] Les
relations sont constituйes par une opposition. Le Pиre, le Fils, le
Saint-Esprit forment trois rйalitйs distinctes entre elles а cause de la
relation de chacune avec les autres.
Bien que paternitй et filiation soient une
mкme chose en rйalitй avec l’essence divine, cependant la paternitй et la
filiation impliquent dans leurs raisons propres, des rapports qui s’opposent.
C’est pourquoi elles se distinguent l’une de l’autre.
Il y a quatre relations, deux pour chaque
procession: Paternitй et Filiation pour la procession de l’intelligence;
Spiration et Procession pour la procession de la volontй.
[7] Il y a
deux sortes d’abstraction: la formelle dйgage une dйtermination d’un кtre de ce
qu’il est: par exemple la blancheur du mur blanc, ou la mobilitй du corps en
mouvement (cf. chapitre 61); la totale dйgage l’universel du singulier, oщ
demeure un tout aprиs l’abstraction, qu’est (ce tout) composй d’un sujet et
d’une forme: par exemple si je fais abstraction chez Socrate de la matiиre
constituante, il reste "l’homme" (кtre vivant douй de raison); si je
dйgage de l’homme la diffйrence spйcifique "douй de raison", il reste
"le vivant". Si l’abstraction appauvrit le contenu il y a
compensation par une plus grande profondeur de la connaissance: l’essentiel est
rendu visible et dйgage du concret.
[8] En
d’autres termes, Dieu est intrinsиquement "un", c’est-а-dire qu’il
n’y a pas trois Dieu, mais un seul.
[9] La
relation comme telle n’a pas de quoi subsister ou faire subsister; cela en
effet ressortit а la substance seule. Les relations distinguent comme
relations: ainsi comportent-elles une apposition. Donc la paternitй en tant
qu’elle constitue la personne du Pиre — ce qu’il a en tant qu’il est la mкme
que la substance divine —, est antйcйdente а la gйnйration; selon qu’elle
distingue, la gйnйration est antйcйdente а la paternitй (Pot 8, 3 ad 7).
[10] Aristote:
Phys 3. 1 [ a 10-15].
[11] Libres de
leur dйcision.
[12]
C’est-а-dire les anges.
[13] Telle fut
la position d’Aristote et des anciens scholastiques. Ce qui semble assez
йtrange si l’on tient compte qu’une forme substantielle possиde en elle toute
la vertu spйcifique de ce qu’elle informe (voir chapitre 93, § 4). Ce n’est,
semble-t-il, que par un jeu de l’imagination que l’on distingue des йtapes dans
une forme mйtaphysiquement parfaite par dйfinition. Il n’est mкme pas besoin de
recourir aux dйcouvertes de la biologie pour apprendre qu’il en est bien ainsi;
ces dйcouvertes servent de confirmation, mais non de preuve philosophique.
[14] Le futur
contingent n’est pas encore parce que la cause doit en кtre posйe, mais il
existe dйjа dans sa future particularitй et c’est ainsi que Dieu le connaоt
parce qu’il en connaоt la cause.
[15] Sum. Th.
I-II, 22, 2 ad 3: "Un organe est affectй dans sa constitution naturelle
comme quand il se refroidit ou s’йchauffe. Ce changement est accidentel."
[16] I. 3d 1:
1, 2.
[17] Guйrison du fils du centurion. [18]
"Celui que Dieu a envoyй, dit les paroles de Dieu parce que Dieu ne lui a
pas donnй son esprit avec mesure."
[19] Cf. ce qui a йtй dit: note du chapitre 92. [20] Aristote:
Gen. anim. 1. 2 (716 a 5).
[21] Avant la
naissance du Christ, nous savons par saint Matthieu 1, 18 que Marie n’a pas
connu Joseph et que celui-ci a voulu la renvoyer parce qu’elle йtait enceinte.
Et l’ange apparaоt а Joseph pour lui dire que ce que Marie porte en elle, elle
l’a de l’Esprit Saint.
[22] Ce que je n’ai pas dйrobй, je le rendais
"Quae non rapuj tunc exsolvebam". [23] "Je dйsire ma libйration pour кtre avec
le Christ, ce qui serait le meilleur." [24] De Doctrina christ. L. 1 chapitre 23. [25] Ce qui s’est prйsentй pour
le bon Samaritain.
[26] "Soyez parfaits comme votre Pиre cйleste
est parfait". (Saint Thomas ou l’йditeur ne donnent aucune rйfйrence. On
l’a donc ici supposйe). COMPENDIUM THEOLOGIAE BREF RЙSUMЙ DE LA FOI CHRЙTIENNE
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DES DOCTEURS DE L'EGLISE Opuscule n° 2 Rйdigй de 1260 а 1272, cette petite somme de thйologie est
une oeuvre de maturitй du Maоtre. Elle reste inachevйe, suite а une extase
mystique qui lui fit cesser tout travail d'йcriture. Editions Louis Vivиs, 1857 Traduction nouvelle par J. KREIT (REVOIR LES NOTES DU P. Kreit) Йdition numйrique, http://docteurangelique.free.fr, 2004 Les њuvres complиtes de
saint Thomas d'Aquin
PREMIER TRAITЙ: DIEU ET L'HOMME CHAPITRE 2: PLAN DE LA DOCTRINE SUR
LA FOI 1° Dieu et le Pиre (chapitre 3 а 36) CHAPITRE 6: L’EXISTENCE DE DIEU
S’IMPOSE D’ELLE-MКME CHAPITRE 8: IL N’Y A PAS DE
SUCCESSION EN DIEU CHAPITRE 10: DIEU EST SON ESSENCE CHAPITRE 11: L’ESSENCE EN DIEU N’EST
PAS AUTRE QUE SON КTRE CHAPITRE 12: DIEU N’EST PAS UNE
ESPИCE SOUS UN GENRE CHAPITRE 13: DIEU NE PEUT КTRE GENRE
DE QUELQUE CHOSE CHAPITRE 14: DIEU N’EST PAS UNE
ESPИCE ATTRIBUABLE A DE NOMBREUX INDIVIDUS CHAPITRE 15: IL EST NИCESSAIRE DE
DIRE QUE DIEU EST UN CHAPITRE 16: DIEU N’EST PAS UN CORPS CHAPITRE 17: IL EST IMPOSSIBLE QU’IL
SOIT FORMЙ D’UN CORPS OU VERTU DANS UN CORPS CHAPITRE 18: DIEU EST INFINI SELON
SON ESSENCE CHAPITRE 19: L’INFINIE PUISSANCE DE
DIEU CHAPITRE 20: L’INFINI DE DIEU NE
CONTIENT AUCUNE IMPERFECTION CHAPITRE 21: EN DIEU SE TROUVENT LES
PERFECTIONS DES CHOSES D’UNE MANIИRE ИMINENTE CHAPITRE 22: TOUTES LES PERFECTIONS
EN DIEU SONT UNE SEULE ET MКME CHOSE CHAPITRE 23: EN DIEU NE SE TROUVE
AUCUN ACCIDENT CHAPITRE 24: LA MULTITUDE DES NOMS
DONNЙS A DIEU NE S’OPPOSE PAS A SA SIMPLICITЙ CHAPITRE 25: LES NOMS DIVERS DONNЙS A
DIEU NE SONT PAS SYNONYMES CHAPITRE 26: LE SENS DE CES MКMES
NOMS NE DЙFINIT PAS CE QUE EST DIEU CHAPITRE 28: DIEU EST INTELLIGENT CHAPITRE 29: L’INTELLIGENCE EN DIEU
N’EST NI UNE POTENTIALITЙ, NI UNE HABITUDE, MAIS UN ACTE CHAPITRE 30: DIEU NE PENSE QUE PAR
SON ESSENCE ET NON PAR IMAGE INTELLECTUELLE CHAPITRE 31: EST CE QU’IL PENSE? CHAPITRE 33: CETTE VOLONTЙ EN DIEU NE
DIFFИRE PAS DE SON INTELLIGENCE CHAPITRE 34: LA VOLONTЙ EN DIEU EST
SON VOULOIR MКME CHAPITRE 35: TOUT CE QUI A ЙTЙ DIT
PLUS HAUT EST CONTENU DANS UN SEUL ARTICLE DE FOI CHAPITRE 36: TOUT CE QUI PRЙCИDE SE
TROUVE DЙJА CHEZ LES PHILOSOPHES 2° Le Verbe (chapitre 37 а 45) CHAPITRE 37: QU’ENTEND-ON PAR VERBE
DANS LES CHOSES DIVINES? CHAPITRE 38: EN LE VERBE EST CONЗU CHAPITRE 39: COMMENT LE VERBE EST-IL
COMPARЙ AU PИRE? CHAPITRE 40: COMMENT FAUT-IL
COMPRENDRE LA GЙNЙRATION EN DIEU ? CHAPITRE 41: LE VERBE OU FILS A LE
MКME КTRE ET LA MКME ESSENCE QUE LE PИRE CHAPITRE 42: CATHOLIQUE ENSEIGNE CES
CHOSES CHAPITRE 43: EN IL N’Y A PAS DE
DIFFЙRENCE DU VERBE ET DU PИRE SELON LE TEMPS, L’ESPИCE OU LA NATURE CHAPITRE 44: CONCLUSION DES PRЙMISSES CHAPITRE 45: DIEU EST EN LUI-MКME
COMME L’AIMЙ DANS L’AMANT 3° L’Esprit Saint (chapitre 46 а 49) CHAPITRE 46: L’AMOUR EN DIEU S’APPELLE
ESPRIT CHAPITRE 47: L’ESPRIT QUI EST EN EST
SAINT CHAPITRE 48: L’AMOUR EN N’INTRODUIT
AUCUN ACCIDENT CHAPITRE 49: L’ESPRIT SAINT PROCИDE
DU PИRE ET DU FILS 4° Les relations divines (chapitre 50
а 67) CHAPITRE 50: LA TRINITЙ EN NE RЙPUGNE
PAS А SON UNITЙ CHAPITRE 51: IL SEMBLE QU’IL Y AIT
RЙPUGNANCE А UNE TRINITЙ DES PERSONNES EN DIEU CHAPITRE 52: RЙPONSE A L’OBJECTION:
IL N’Y A DE DISTINCTIONS EN QUE LES RELATIONS CHAPITRE 54: CES RELATIONS NE SONT
PAS DES ACCIDENTS CHAPITRE 55: CES RELATIONS PRODUISENT
EN UNE DISTINCTION PERSONNELLE CHAPITRE 56: IL N’Y A QUE TROIS
PERSONNES EN DIEU CHAPITRE 57: DES PROPRIЙTЙS OU
NOTIONS EN ET COMBIEN SONT-ELLES DANS LE PИRE? CHAPITRE 58: DES PROPRIЙTЙS DU FILS
ET DE L’ESPRIT SAINT: QUELLES SONT-ELLES ET COMBIEN? CHAPITRE 59: POURQUOI CES PROPRIЙTЙS
SONT-ELLES DITES NOTIONS? CHAPITRE 61: SI PAR LA PENSЙE ON
ЙCARTE LES PROPRIЙTЙS PERSONNELLES IL N’Y A PLUS D’HYPOSTASES CHAPITRE 62: ЙCARTANT EN ESPRIT LES
PROPRIЙTЙS PERSONNELLES L’ESSENCE DIVINE DEMEURE CHAPITRE 63: DU RAPPORT DES ACTES
PERSONNELS AUX PROPRIЙTЙS PERSONNELLES CHAPITRE 64: CE QUE SIGNIFIE LA
GЙNЙRATION POUR LE PЙRE ET POUR LE FILS CHAPITRE 65: LES ACTES NOTIONNELS NE
DIFFИRENT DES PERSONNES QUE SELON LA RAISON CHAPITRE 66: LES PROPRIЙTИS RELATIVES
SONT L’ESSENCE MКME DE DIEU B — Les oeuvres de Dieu: la Crйation
(chapitre 68 а 94) 1° En gйnйral (chapitre 68 а 70) CHAPITRE 68: L’КTRE, EFFET PREMIER DE
LA DIVINITЙ CHAPITRE 69: EN CRЙANT N’A PAS
UTILISЙ DE MATIИRE CHAPITRE 70: DIEU SEUL PEUT CRЙER 2° Les choses matйrielles (chapitre
71 а 74) CHAPITRE 71: LA DIVERSITЙ DE LA
MATIИRE N’EST PAS CAUSE DE LA DIVERSITЙ DES CHOSES CHAPITRE 72: COMMENT PRODUIT LES
DIVERSES CHOSES ET QUELLE EST LA CAUSE DE LEUR PLURALITЙ CHAPITRE 73: DE LA DIVERSITЙ, DU
DEGRЙ, DE L’ORDRE DES CHOSES 3° Les crйatures spirituelles
(chapitre 75 а 94) a) Les anges (chapitre 75 а 78) CHAPITRE 75: LES ЙTRES SUPЙRIEURS A
LA MATIИRE ONT EN PROPRE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE CHAPITRE 76: DE TELLES SUBSTANCES
SONT LIBRES D’ARBITRE CHAPITRE 77: DANS CES SUBSTANCES
EXISTE UN ORDRE ET DES DEGRЙS SELON LA PERFECTION DE LEUR NATURE CHAPITRE 78: COMMENT ENTENDRE ORDRE
ET DEGRЙ DANS LEUR ACTE INTELLIGENT? b) Les hommes (chapitre 79-94) CHAPITRE 79: LA SUBSTANCE QUI FAIT
L’HOMME INTELLIGENT EST LA MOINDRE PARMI LES INTELLECTUELLES CHAPITRE 80: DIFFЙRENCE DANS
L’INTELLECT ET LE MODE DE PENSER CHAPITRE 82: L’HOMME A BESOIN POUR
PENSER DE PUISSANCES SENSITIVES CHAPITRE 83: IL EST NЙCESSAIRE
D’ADMETTRE L’EXISTENCE D’UN INTELLECT AGENT CHAPITRE 84: L’ВME HUMAINE EST
INCORRUPTIBLE CHAPITRE 85: N’Y A-T-IL QU’UN
INTELLECT POSSIBLE? CHAPITRE 86: L’INTELLECT AGENT N’EST
PAS UNIQUE POUR TOUS CHAPITRE 87: L’INTELLECT POSSIBLE ET
L’INTELLECT AGENT S’ENRACINENT DANS L’ESSENCE DE L’ВME CHAPITRE 88: COMMENT CES DEUX
PUISSANCES SE TROUVENT DANS UNE MКME ESSENCE DE L’ВME CHAPITRE 89: TOUTES LES PUISSANCES
ONT LEUR RACINE DANS L’ВME CHAPITRE 90: UNE SEULE ВME EN UN SEUL
CORPS CHAPITRE 91: LES RAISONS QUI
SEMBLERAIENT INDIQUER QU’IL Y AURAIT PLUSIEURS ВMES DANS L’HOMME CHAPITRE 92: SOLUTION DE CES
DIFFICULTИS CHAPITRE 93: L’ВME RATIONNELLE N’EST
PAS PRODUITE PAR TRANSMISSION NATURELLE CHAPITRE 94: L’ВME RATIONNELLE N’EST
PAS DE SUBSTANCE DIVINE C — Les crйatures et leur relation а
Dieu (chapitre 95 а 147) 1° En gйnйral (chapitre 95 а 104) CHAPITRE 95: DIEU EST L’AUTEUR
IMMЙDIAT DE CES CHOSES QUI SONT DITES EXISTER PAR UN POUVOIR EXTERNE CHAPITRE 96: N’AGIT PAS PAR NИCESSITЙ
NATURELLE MAIS VOLONTAIREMENT CHAPITRE 97: DANS SON ACTION EST
IMMUABLE CHAPITRE 98: MOTIF EN FAVEUR D’UN
MOUVEMENT ЙTERNEL ET LA SOLUTION CHAPITRE 99: LA MATIИRE AURAIT-ELLE
EXISTЙ ETERNELLEMENT AVANT LA CRЙATION DU MONDE? CHAPITRE 100: DIEU FAIT TOUTES CHOSES
POUR UNE FIN CHAPITRE 101: LA BONTЙ DIVINE EST LA
FIN DERNIИIЊ DE TOUTES LES CHOSES CHAPITRE 102: LA DIVINE RESSEMBLANCE
EST CAUSE DE LA DIVERSITЙ DES CHOSES 2° La fin de l’homme (chapitre 105 а
110) CHAPITRE 108: DE L’ERREUR DE CEUX QUI
METFENT LEUR FЙLICITЙ DANS LES CRЙATURES CHAPITRE 109: QUE SEUL EST BON
ESSENTIELLEMENT ET LES CRЙATURES PAR PARTICIPATION CHAPITRE 110: DIEU NE PEUT PAS PERDRE
SA BONTЙ 3° Le mal dans les crйatures
(chapitre 111 а 122) CHAPITRE 111: LA CRЙATURE PEUT PERDRE
SA BONTЙ CHAPITRE 112: COMMENT LES CRЙATURES
PERDENT LEUR BONTЙ PAR LEURS OPЙRATIONS CHAPITRE 113: D’UN DOUBLE PRINCIPE
D’ACTION ET COMMENT OU CHEZ QUI IL PEUT Y AVOIR DЙFECTION CHAPITRE 114: QU’ENTEND-ON PAR BIEN
OU MAL DANS LES CHOSES? CHAPITRE 115: IL EST IMPOSSIBLE QUE
LE MAL CONSTITUE UNE NATURE CHAPITRE 117: RIEN N’EST ESSENTIELLEMENT
MAUVAIS OU TRES MAUVAIS MAIS EST UNE CORRUPTION DU BIEN CHAPITRE 118: LE MAL S’APPUIE SUR LE
BIEN COMME SON SUJET CHAPITRE 119: IL Y A DEUX SORTES DE
MAUX CHAPITRE 120: DE TROIS SORTES
D’ACTIONS ET DE LA CULPABILITЙ CHAPITRE 121: QU’UN MAL REVКT UN
CARACTИRE DE PEINE NON DE FAUTE CHAPITRE 122: TOUTE PEINE NE
CONTRARIE PAS LA VOLONTЙ DE LA MКME MANIИRE 4° De la divine providence (chapitre
123 а 147) CHAPITRE 123: TOUT EST SOUMIS A LA
PROVIDENCE DIVINE CHAPITRE 124: PAR LES CRЙATURES
SUPЙRIEURES RЙGIT LES INFЙRIEURES CHAPITRE 125: LES SUBSTANCES
INTELLECTUELLES SUPЙRIEURES RЙGISSENT LES INFЙRIEURES CHAPITRE 126: DE LA HIЙRARCHIE
CЙLESTE CHAPITRE 129: SEUL MEUT LA VOLONTЙ DE
L’HOMME ET NON LA CRЙATURE CHAPITRE 130: DIEU GOUVERNE TOUTES
LES CHOSES ET IL EN MEUT CERTAINES PAR LES CAUSES SECONDES CHAPITRE 131: DIEU DISPOSE TOUT
DIRECTEMENT SANS PRЙJUDICE DE SA SAGESSE CHAPITRE 132: RAISONS QUI PARAISSENT
MONTRER QUE DIEU NE S’OCCUPE PAS DES CHOSES PARTICULIИRES CHAPITRE 133: SOLUTION DE CES
DIFFICULTЙS CHAPITRE 134: SEUL CONNAIT EN
PARTICULIER LES FUTURS CONTINGENTS CHAPITRE 136: IL EST JUSTE QUE FASSE
DES MIRACLES CHAPITRE 137: DES CHOSES QUI SONT
FORTUITES OU ACCIDENTELLES CHAPITRE 138: LE DESTIN EST-IL UNE
NATURE ET QU’EST-IL? CHAPITRE 139: QU’EST-CE-QUE LA
CONTINGENCE? CHAPITRE 140: LA DIVINE PROVIDENCE
ЙTANT MAINTENUE BEAUCOUP DE CHOSES SONT CONTINGENTES CHAPITRE 141: CETFE CERTITUDE
N’EXCLUT PAS LE MAL CHAPITRE 142: SI DIEU PERMET LE MAL,
AUCUNE ATFEINTE N’EST FAITE A SA BONTЙ CHAPITRE 143: C’EST PAR SA GRACE QUE
DIEU EXERCE SA PROVIDENCE ENVERS L’HOMME CHAPITRE 144: DIEU PAR DES DONS
GRATUITS REMET LES PЙCHЙS MКME CEUX QUI TUENT LA GRВCE CHAPITRE 145: LES PЙCHЙS SONT
RЙMISSIBLES CHAPITRE 146: DIEU SEUL PEUT REMETFRE
LES PЙCHЙS CHAPITRE 147: ARTICLES DE FOI QUI
TRAITENT DES EFFETS DU GOUVERNEMENT DIVIN D — La consommation des siиcles
(chapitre 148 а 162) 1° L ‘homme est la fin des кtres
(chapitre 148 а 153) CHAPITRE 148: TOUT A ИTЙ FAIT POUR
L’HOMME CHAPITRE 149: QUELLE EST LA FIN
DERNIИRE DE L’HOMME? CHAPITRE 150: COMMENT L’HOMME
PARVIENT-IL A L’ЙTERNITЙ COMME EN SON ACHИVEMENT? CHAPITRE 151: POUR JOUIR DE LA
PARFAITE BЙATITUDE L’ВME DOIT ИTRE UNIE AU CORPS CHAPITRE 152: CETTE SЙPARATION EST EN
PARTIE NATURELLE ET EN PARTIE CONTRE NATURE CHAPITRE 153: L’ВME REPRENDRA
ABSOLUMENT LE MКME CORPS ET NON D’UNE AUTRE NATURE 2° Notre rйsurrection (chapitre 154 а
162) CHAPITRE 154: PAR LA SEULE VERTU
DIVINE, L’ВME REPRENDRA UN MКME CORPS IDENTIQUE CHAPITRE 155: NOUS NE RESSUSCITERONS
PAS AU MКME MODE DE VIE CHAPITRE 156: APRИS LA RЙSURRECTION
L’USAGE DE LA NOURRITURE ET DE LA GЙNЙRATION CESSERA CHAPITRE 157: CEPENDANT TOUS NOS
MEMBRES RESSUSCITERONT CHAPITRE 158: NOUS RESSUSCITERONS
SANS AUCUN DЙFAUT LA CONSOMMATION DES SIИCLES CHAPITRE 159: L’HOMME RESSUSCITERA
DANS LA SEULE VЙRITЙ DE SA NATURE CHAPITRE 160: DIEU SUPPLЙERA TOUT
DANS LE CORPS AINSI RЙFORMЙ ET TOUT CE QUI MANQUE A LA MATIИRE CHAPITRE 161: SOLUTION DE QUELQUES
OBJECTIONS CHAPITRE 162: L’ARTICLE DU SYMBOLE
CONCERNANT LA RЙSURRECTION DES MORTS E — La vie future (chapitre 163 а
184) CHAPITRE 163: QUELLE SERA L’ACTIVITЙ
DES RESSUSCITЙS CHAPITRE 164: SERA VU DANS SON
ESSENCE ET NON PAR SIMILITUDE CHAPITRE 165: VOIR DIEU EST LA
SUPRКME PERFECTION ET JOUISSANCE CHAPITRE 166: QUE TOUT CE QUI VOIT
EST CONFIRMЙ DANS LE BIEN CHAPITRE 167: LE CORPS SERA
ENTIИREMENT SOUMIS A L’ВME CHAPITRE 168: DES PRIVILИGES ACCORDЙS
AUX CORPS GLORIFIЙS CHAPITRE 169: L’HOMME SERA ALORS
RENOUVELЙ ET TOUTE LA CRЙATURE CORPORELLE CHAPITRE 170: QUELLES CRЙATURES
SERONT RENOUVELЙES ET QUELLES CRЙATURES DEMEURERONT? CHAPITRE 171: LES CORPS CЙLESTES
CESSERONT LEUR MOUVEMENT La rйtribution (chapitres 172-183) CHAPITRE 172: DE LA RЙCOMPENSE OU DU
MALHEUR DE L’HOMME SELON SES ЊUVRES CHAPITRE 173: LA RЙCOMPENSE ET LE
CHВTIMENT VIENNENT DANS L’AUTRE VIE CHAPITRE 174: LE CHВTIMENT DE L’HOMME
QUANT A LA PEINE DU DAM CHAPITRE 175: LES PЙCHЙS MORTELS NE
SONT PAS REMIS APRИS CE VIE, MAIS BIEN LES VЙNIELS CHAPITRE 176: LES CORPS DES DAMNЙS
SOUFFRIRONT ET DEMEURERONT INTACTS SANS LES DONS CHAPITRE 177: LES CORPS DES DAMNЙS
QUOIQUE SOUFFRANT DEMEURERONT INCORRUPTIBLES CHAPITRE 178: LE CHВTIMENT DES DAMNЙS
EXISTE AVANT MКME LA RЙSURRECTION CHAPITRE 179: LA PEINE DES DAMNЙS EST
CORPORELLE ET SPIRITUELLE CHAPITRE 180: L’ВME PEUT-ELLE
SOUFFRIR DU FEU? CHAPITRE 182: LES PЙCHЙS VЙNIELS
DOIVENT AUSSI AVOIR LEUR PURIFICATION SECOND TRAITЙ: L'HUMANITE DU CHRIST_ CHAPITRE 185: DE LA FOI DANS
L’HUMMANITИ DU CHRIST A — Le rйgne du pйchй (chapitre 186 а
198) CHAPITRE 187: CE PARFAIT ЙTAT AVAIT
NOM: JUSTICE ORIGINELLE, ET DE L’ENDROIT OЩ L’HOMME FUT PLACЙ CHAPITRE 188: DE L’ARBRE DE LA
SCIENCE DU BIEN ET DU MAL ET DU PREMIER PRЙCEPTE DONNЙ A L’HOMME CHAPITRE 189: LE DIABLE SЙDUIT ЙVE CHAPITRE 190: QU’EST-CE QUI A SЙDUIT
LA FEMME CHAPITRE 191: COMMENT LE PЙCHЙ
PARVINT JUSQU’A L’HOMME CHAPITRE 192: CONSЙQUENCE DE LA
FAUTE: RЙBELLION DES FORCES INFЙRIEURES A LA. RAISON CHAPITRE 193: DE LA PEINE PORTЙE
QUANT A LA NЙCESSITЙ DE MOURIR CHAPITRE 194: DES AUTRES DЙFAUTS
CONSЙCUTIFS DANS L’INTELLIGENCE ET LA VOLONTЙ CHAPITRE 195: COMMENT CES DЙFAUTS SE
SONT TRANSMIS A LA POSTЙRITЙ CHAPITRE 197: TOUS LES PЙCHЙS NE SONT
PAS TRANSMIS AUX DESCENDANTS CHAPITRE 198: LE MЙRITE D’ADAM NE FUT
PAS UTILE A SES DESCENDANTS POUR LA RЙPARATION B — Le mystиre de l’incarnation
(chapitre 199 а 220) 1° Les motifs (chapitre 199 а 201) CHAPITRE 199: LA RЙPARATION DE LA
NATURE HUMAINE PAR LE CHRIST CHAPITRE 200: C’EST PAR SEUL INCARNЙ
QUE LA NATURE A DЫ КTRE RЙPAREE CHAPITRE 201: DES AUTRES MOTIFS DE
L’INCARNATION DU FILS DE DIEU 2° Les erreurs thйologiques (chapitre
202 в 208) CHAPITRE 202: DE L’ERREUR DE PHOTIN
AU SUJET DE L’INCARNATION CHAPITRE 203: L’ERREUR DE NESTORIUS
AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA RЙPROBATION CHAPITRE 204: L’ERREUR D’ARIUS AU
SUJET DE L’INCARNATION ET SA RЙFUTATION CHAPITRE 205: DE L’ERREUR
D’APOLLINAIRE ET SA RЙFUTATION AU SUJET DE L’INCARNATION_ CHAPITRE 206: DE L’ERREUR D’EUTYCHИS
QUI POSE UNE UNION DE NATURE CHAPITRE 208: CONTRE VALENTIN: LE
CHRIST EUT UN VRAI CORPS QUI N’ЙTAIT PAS DU CIEL 3° Qu’est-ce que l’Incarnation ?
(chapitres 209 а 212) CHAPITRE 209: QUE DIT AU SUJET DE
L’INCARNATION? CHAPITRE 210: IL N’Y A PAS EN LUI
DEUX HYPOSTASES CHAPITRE 211: DANS LE CHRIST IL N’Y A
QU’UN SUPPФT ET QU’UNE PERSONNE CHAPITRE 212: DE CE QUI EST DIT DANS
LE CHRIST UN OU MULTIPLE 4° La grвce du Christ (chapitre 213 а
216) CHAPITRE 213: IL FALLAIT QUE LE
CHRIST FЫT PARFAIT EN GRВCE ET EN SAGESSE DE VЙRITЙ CHAPITRE 214: LA PLЙNITUDE DE GRВCE
DU CHRIST CHAPITRE 215: LA GRВCE DU CHRIST EST
INFINIE CHAPITRE 216: DE LA PLЙNITUDE DE LA
SAGESSE DU CHRIST 5° La nature humaine du Christ et sa
conception (chapitre 217 а 226) CHAPITRE 217: DE LA MATIИRE DU CORPS
DU CHRIST CHAPITRE 218: LA FORMATION DU CORPS DU
CHRIST N’EST PAS SЙMINALE CHAPITRE 219: QU’EST-CE QUI A FORMЙ
LE CORPS DU CHRIST? CHAPITRE 220: EXPOSITION DE L’ARTICLE
DU SYMBOLE SUR LA CONCEPTION ET LA NAISSANCE DU CHRIST CHAPITRE 221: IL CONVENAIT QUE LE
CHRIST NAQUIT D’UNE VIERGE CHAPITRE 222: LA BIENHEUREUSE VIERGE
EST LA MИRE DU CHRIST CHAPITRE 223: L’ESPRIT SAINT N’EST
PAS LE PИRE DU CHRIST CHAPITRE 224: DE LA SANCTIFICATION DE
LA MИRE DU CHRIST CHAPITRE 225: DE LA PERPЙTUELLE
VIRGINITЙ DE LA MИRE DE DIEU C- La passion du Christ (Ch 226-235) CHAPITRE 226: DES DЙFECTUOSITЙS DU
CHRIST CHAPITRE 227: POURQUOI LE CHRIST
A-T-IL VOULU MOURIR? CHAPITRE 228: DE LA MORT DE LA CROIX CHAPITRE 229: LA MORT DU CHRIST CHAPITRE 230: LA MORT DU CHRIST A ЙTЙ
VOLONTAIRE CHAPITRE 231: DE LA PASSION DU CHRIST
QUANT A SON CORPS CHAPITRE 232: L’ВME SOUFFRANTE DU
CHRIST CHAPITRE 233: LA PRIИRE DU CHRIST A
L’AGONIE CHAPITRE 234: LA SЙPULTURE DU CHRIST CHAPITRE 235: LA DESCENTE DU CHRIST
AUX ENFERS D- La rйsurrection et l’ascension
(chapitre 236 а 240) CHAPITRE 236: LA RЙSURRECTION ET LE
TEMPS DE LA RЙSURRECTION DU CHRIST CHAPITRE 237: DE LA QUALITЙ DU CHRIST
RESSUSCITЙ CHAPITRE 238: Y A-T-IL DES PREUVES
CONVAINCANTES DE LA RЙSURRECTION DU CHRIST? CHAPITRE 239: DES DEUX VIES
RESTAURЙES EN L’HOMME PAR LE CHRIST E — Le jugement (chapitre 241 а 245) CHAPITRE 241: LE CHRIST JUGERA SELON
SA NATURE HUMAINE CHAPITRE 242: CELUI QUI CONNAОT
L’HEURE A REMIS LE JUGEMENT AU FILS CHAPITRE 243: TOUS SERONT-ILS JUGЙS? CHAPITRE 245: LES SAINTS JUGERONT F — Rйpartition des articles du
symbole (chapitre 246) CHAPITRE 246: COMMENT SE RЙPARTISSENT
LES ARTICLES DU SYMBOLE D’APRИS CE QUI A ЙTЙ DIT PLUS HAUT A — En gйnйral (chapitre 1 а 4) CHAPITRE 1: LA VERTU D’ESPЙRANCE EST
NЙCESSAIRE А LA PERFECTION DE LA VIE CHRЙTIENNE CHAPITRE 4: POURQUOI CE QUE NOUS
ESPЙRONS NOUS DEVONS LE DEMANDER A DANS LA PRIИRE B — La priиre du pater (chapitre 5 а
10) CHAPITRE 7: DES CHOSES QU’IL FAUT
ESPЙRER DE ET DE LA NATURE DE L’ESPЙRANCE CHAPITRE 9: LA SECONDE DEMANDE EST
QUE NOUS FASSE PARTICIPER A LA GLOIRE CHAPITRE 10: IL EST POSSIBLE
D’OBTENIR LE RКGNE: LA VISION DE DIEU ARTICLE 1: EST-ELLE QUELQUE CHOSE DE
CRЙЙ DANS L'AME ? ARTICLE 2: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE
VERTU? ARTICLE 3: LA CHARITЙ EST-ELLE FORME
DES VERTUS? ARTICLE 4: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE
UNIQUE VERTU? ARTICLE 5: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE
VERTU SPЙCIALE DISTINCTE DES AUTRES? ARTICLE 6: LA CHARITЙ PEUT-ELLE
EXISTER AVEC LE PЙCHЙ MORTEL? ARTICLE 7: LA NATURE RATIONNELLE
PEUT-ELLE КTRE AIMЙE PAR CHARITЙ? ARTICLE 8: L’AMOUR DES ENNEMIS EST-IL
DE LA PERFECTION DE CONSEIL? ARTICLE 9: Y A-T-IL UN CERTAIN ORDRE
DANS LA CHARITЙ? ARTICLE 10: LA CHARITЙ PEUT-ELLE КTRE
PARFAITE EN CETTE VIE? ARTICLE 11: TOUT LE MONDE EST-IL TENU
A LA CHARITЙ PARFAITE? ARTICLE 12: LA CHARITЙ UNE FOIS
ACQUISE PEUT-ELLE SE PERDRE? ARTICLE 13: LA CHARITЙ SE PERD-ELLE
PAR UN SEUL PЙCHЙ MORTEL?
CHAPITRE 1: PRЙAMBULE
Le verbe du Pиre йternel, embrassant toutes choses en son immensitй,
afin de rйtablir l’homme, amoindri par le pйchй, en la grandeur de la gloire
divine, voulut se faire petit en assumant notre petitesse sans abandon de sa
majestй. Et pour que personne ne trouve excuse de ne pas devoir acquйrir
l’enseignement de la divine parole qu’il avait transmise abondamment et
clairement а l’intention des studieux en divers livres de la Sainte Ecriture,
pour ceux qui йtaient trop occupйs, il enferma la doctrine du salut de l’homme
sous un court rйsumй. En effet le salut de l’homme
consiste 1°
d’abord dans la connaissance de la vйritй pour que diverses erreurs
n’obscurcissent pas l’intelligence humaine; 2° ensuite dans la recherche de la
fin nйcessaire, de peur qu’en poursuivant des fins йtrangиres on ne manque la
vraie fйlicitй; 3°
enfin dans l’observance de la justice, pour йchapper а la souillure des vices. 1° FOI:
Or cette connaissance nйcessaire au salut de l’homme, le Verbe l’a condensйe en
quelques brefs articles de foi. D’oщ cette parole de l’Apфtre aux Romains: "En
raccourci, la parole du Seigneur va retentir sur la terre" (9, 28) et "C’est
le verbe de la foi que nous prкchons" (10, 8). 2° ESPERANCE: La recherche humaine, il l’a rectifiйe en une courte priиre, dans
laquelle il nous apprend а prier et oщ il nous montre а quoi doivent tendre
notre volontй et notre espйrance. 3° CHARITE: L’humaine justice qui consiste dans l’observance de la loi, il la
porte а sa perfection dans l’unique prйcepte de la charitй "en effet la
plйnitude de la loi est la charitй" (Rom 13, 10). D’oщ l’Apфtre enseigne que
dans la foi, l’espйrance et la charitй, comme en un rйsumй de notre salut,
consiste toute la perfection de la vie prйsente. Et il dit: "Maintenant
demeurent la foi, l’espйrance et la charitй" (1 Cor 13, 13). C’est
donc par ces trois choses, dit saint Augustin (Enchapitre chapitre 3), que nous
honorons Dieu. Afin donc de te donner un
abrйgй de la doctrine au sujet de la religion chrйtienne, mon trиs cher fils
Reginald, et pour que tu puisses l’avoir sous les yeux, toute mon intention
dans le prйsent ouvrage se tournera vers ces trois choses: d’abord la foi,
ensuite l’espйrance, enfin la charitй. C’est cet ordre que suit l’Apфtre et que
la droite raison rйclame. Car l’amour pour кtre droit doit proposer а
l’espйrance une fin qui lui est dыment proposйe, ce qui ne peut кtre sans la
connaissance de la vйritй. D’abord donc nйcessitй de la
foi qui te fera connaоtre la vйritй. Ensuite l’espйrance qui dirigera ton
intention vers la fin. Enfin nйcessitй de la charitй qui rйglera entiиrement
ton coeur. PREMIИRE PARTIE: LA FOI
PREMIER TRAITЙ: DIEU ET
L'HOMME
CHAPITRE 2: PLAN DE LA DOCTRINE SUR LA FOI
La foi est l’avant-goыt de cette connaissance qui doit nous rendre
heureux dans le siиcle futur. L’Apфtre dit qu’"elle est la substance
des choses qu’on doit espйrer" (Hйbreux 11, 1). C’est comme si elle
faisait subsister en nous et en son commencement la future bйatitude. Cette con
naissance bйatifiante, nous enseigne le Seigneur, peut se ramener а deux points:
la divine Trinitй et l’humanitй du Christ. D’oщ sa priиre au Pиre: "Ceci
est la vie йternelle: qu’ils te connaissent toi le vrai Dieu et celui que tu as
envoyй le Seigneur Jйsus" (Jean 17, 3). Autour de ces deux points se concentre toute la connaissance de foi.
Ce qui n’est pas йtonnant car l’humanitй du Christ est la voie qui conduit au
Pиre. Il faut donc tant qu’on est en voyage connaоtre la voie par laquelle/on
peut arriver au but; et dans la patrie divine on ne pour rait dignement rendre
grвce sans avoir connu la voie par laquelle on est sauvй. D’oщ ces paroles du
Sauveur а ses Apфtres: "Et vous savez oщ je vais et vous en connaissez
la voie." (Jean 14, 4) Sur la divinitй, il faut connaоtre trois choses: l’unitй d’essence,
la Trinitй des personnes, les oeuvres de la divinitй. A —
Dieu (Chapitres 3 а 67)
1° Dieu et le Pиre (chapitre 3 а 36)
CHAPITRE 3: QUE DIEU EST
A propos de l’unitй de l’essence divine, la premiиre chose а croire
est que Dieu est; ce qui peut кtre manifestй par la raison. Nous voyons en
effet que toutes les choses qui sont mues le sont par d’autres, les infйrieures
par les supйrieures comme les йlйments par les corps cйlestes. Et dans les
йlйments, le plus fort meut ce qui est plus faible; et aussi dans les corps
cйlestes, les infйrieurs sont sous la motion des supйrieurs. Or il est
impossible de remonter а l’infini. En effet puisque tout ce qui est mы par
quelque chose est comme l’instrument d’un premier moteur, s’il n’y a pas de
premier moteur, toutes les choses qui meuvent seront des instruments. Or si on
procиde а l’infini dans ce qui meut et ce qui est mы, il n’y aura pas de
premier moteur; alors les rйalitйs en nombre infini qui meuvent et qui sont
mues seront des instruments. N’est-il pas ridicule mкme pour des ignorants,
d’affirmer que des instruments ne sont pas mus par quelque agent principal? En
effet cela est semblable а celui qui, pour la construction d’un coffre ou d’un
lit, ferait intervenir la scie ou la hachette sans l’opйration mкme du
menuisier. Il faut donc qu’un premier moteur existe, qui soit au-dessus de
tous, et ce premier moteur nous l’appelons Dieu. CHAPITRE 4: NE SE MEUT PAS
Il faut donc admettre que Dieu ne se meut pas lui qui meut tout le
reste. Comme il est le premier moteur, s’il йtait en mouvement, il devrait se
mouvoir lui-mкme ou l’кtre par un autre. Il ne peut кtre mы par un autre avant
lui puisqu’il est le premier moteur. S’il se meut lui-mкme, il y a deux
hypothиses: ou qu’il soit en mкme temps mы et moteur ou qu’une partie de
lui-mкme soit mue et l’autre la meuve. Dans le premier cas puisque tout ce qui
est mы, comme tel, est en puissance et que ce qui meut est en acte, s’il est
moteur et а la fois mы, il serait а la fois puissance et acte; ce qui est
impossible. Dans le second cas, il y aurait une partie qui meut et l’autre mue et
il ne serait plus en lui-mкme le premier moteur mais seulement en fonction de
la partie qui meut. Or ce qui est par soi-mкme existe avant ce qui n’est pas
par soi. Il ne peut donc pas кtre le premier moteur si en raison seulement de
sa partie cela lui convient. Il faut donc que le premier moteur soit totalement
immobile. On peut faire la mкme constatation dans tout ce qui meut et est mы.
En effet tout mouvement provient de quelque chose qui est immobile,
c’est-а-dire qui n’est pas mы selon cette sorte de mouvement. Il en est ainsi
des altйrations, des gйnйrations, des corruptions dans le domaine des choses
infйrieures; celles-ci sont ramenйes comme а leur premier moteur а un agent
cйleste qui lui non plus n’est pas mы selon cette sorte de mouvement mais qui
est sans gйnйration, sans corruption et sans altйration. Ce qui donc est le
premier principe de tout mouvement doit кtre absolument immobile. CHAPITRE 5: DIEU EST ЙTERNEL
Ceci nous amиne а conclure que Dieu est йternel. En effet, tout ce
qui commence ou cesse d’exister, l’est par mouvement ou par mutation. Seul le mouvement,
seul le changement ont un commencement et une fin. Or nous avons montrй que
Dieu est absolument immobile; il est donc йternel. CHAPITRE 6: L’EXISTENCE DE DIEU S’IMPOSE D’ELLE-MКME
On en conclut aussi que l’existence de Dieu est de soi nйcessaire.
En effet tout ce qui peut кtre ou ne pas кtre est changeant. Or nous avons
йtabli que Dieu ne peut absolument pas changer; donc il n’est pas possible que
Dieu soit et ne soit pas. Tout ce qui est et qui ne peut pas ne pas кtre doit
nйcessairement кtre par lui-mкme. Car кtre nйcessairement et ne pouvoir ne pas
кtre c’est la mкme chose. Il est donc nйcessaire que Dieu soit. De mкme tout ce qui peut кtre ou n’кtre pas exige qu’un autre le
fasse exister; car quant а lui-mкme il y est indiffйrent. Or ce qui fait que
quelque chose est, lui est antйrieur. Donc а ce qui peut кtre ou n’кtre pas il
y a quelque chose d’antйrieur. Or rien n’est antйrieur а Dieu. Donc il ne lui
est pas possible d’кtre ou de n’кtre pas mais il est nйcessaire qu’il soit. Et
comme il y a des choses nйcessaires qui ont une cause а leur nйcessitй et qui
leur est antйrieure, Dieu lui qui est le premier de toutes choses n’a pas de
cause а sa nйcessitй. D’oщ il est nйcessaire que Dieu soit de lui-mкme. CHAPITRE 7: DIEU EST TOUJOURS
Par lа il est manifeste que Dieu est toujours. En effet tout ce qui
est nйcessairement est toujours; car ce qui ne peut n’кtre pas il est
impossible qu’il ne soit pas et ainsi il est toujours. Mais il est nйcessaire
que Dieu soit, comme on l’a montrй (chapitre 6). Dieu est donc toujours. De plus rien ne commence ni ne cesse que par mouvement et
changement. Or Dieu est absolument immuable, comme on l’a montrй (chapitre 4).
Il est donc impossible qu’Il ait commencй ou cesse d’exister. De mкme ce qui ne
fut pas toujours, s’il commence i exister a besoin d’un autre qui le fasse
exister. Rien en effet ne peut passer de soi- mкme de la puissance а l’acte ou
du non-кtre а l’кtre. Or Dieu ne peut avoir une cause puisqu’Il est l’кtre
premier. En effet la cause est antйrieure а ce qui est causй. Il est donc
nйcessaire que Dieu ait toujours йtй. De plus ce qui convient а quelqu'un non en vertu d’une cause
extйrieure lui appartient essentiellement. Que Dieu existe ne lui vient pas
d’une cause extйrieure, car alors cette cause lui serait antйrieure. Dieu a
donc de lui-mкme son кtre. Mais les choses qui sont par elles-mкmes, sont de
toujours et de nйcessitй. Dieu est donc depuis toujours. CHAPITRE 8: IL N’Y A PAS DE SUCCESSION EN DIEU
Par lа aussi il est manifeste qu’il n’y a pas de succession en Dieu,
mais que tout son кtre est en une fois: la succession en effet n’existe qu’en
ceux qui en quelque maniиre sont sujets au mouvement; en effet l’avant et
l’aprиs du mouvement sont la cause de la succession dans le temps. Or Dieu
n’est pas sujet au mouvement, comme on l’a montrй; il n’y a donc en Dieu aucune
succession mais son кtre tout entier est en mкme temps. De mкme: si l’кtre de quelque chose n’est pas tout
entier en mкme temps c’est que quelque chose en lui vient а disparaоtre et que
quelque chose lui advient. Disparaоt en effet ce qui passe et ce qui lui
advient est une chose а venir. Or pour Dieu rien ne dйpйrit ni ne s’accroоt car
il est immobile; donc son кtre est tout entier а la fois. Or ces deux choses
sont propres а l’йternitй. Cela en effet est proprement йternel qui est depuis
toujours et dont l’кtre est tout entier et а fois, selon ce que dit Boиce: "L’йternitй
est la possession parfaite, toute а la fois, d’une vie sans fin" (La
consolation de la philosophie, 5. 6). CHAPITRE 9: DIEU EST SIMPLE
De lа aussi il apparaоt que le premier moteur doit кtre simple. Car
en toute composition il faut deux choses: qu'ils soient mutuellement l’une par
rapport а l’autre puissance et acte. Dans le premier moteur, s’il est tout а
fait immobile, on ne peut y trouver la potentialitй avec l’actuation, car tout
ce qui est en puissance est mobile: il est donc impossible que le premier
moteur soit composй. De plus: pour tout composй il faut nйcessairement que quelque chose
lui soit antйrieur, car ses composants sont naturellement antйrieurs au composй;
celui donc qui est le premier de tous les кtres ne peut кtre composй. Nous
constatons aussi dans l’ordre des choses composйes que les plus simples
existent d’abord, car leurs йlйments sont naturellement antйrieurs aux corps
mixtes. De mкme aussi parmi les йlйments, le feu est premier а cause de sa tr
grande simplicitй. Plus antйrieurs encore sont les corps cйlestes parce que
constituйs d’une plus grande simplicitй йtant purs de toute contrariйtй. Il reste
donc que de tous les кtres le premier doit кtre absolument simple. CHAPITRE 10: DIEU EST SON ESSENCE
Il s’en suit ultйrieurement que Dieu est son essence. En effet
l’essence de chaque chose est ce que signifie sa dйfinition. Or ce dont on
donne la dйfinition est identique а ce qu’il est en rйalitй, а moins que par
accident cette dйfinition se voie affectйe de ce qui n’est pas son кtre; qu’un
homme soit blanc cela est йtranger а son кtre rationnel et mortel; d’oщ animal
rationnel et mortel est mкme chose qu’homme mais n’est pas identique а homme
blanc en tant que blanc. En toute chose donc oщ ne se trouve pas de dualitй oщ
l’un est par soi et l’autre par accident, il faut que l’essence lui soit
absolument identique. Or en Dieu comme Il est simple on ne trouve pas de
dualitй dont l’un est par soi et l’autre par accident; il faut donc que son
essence soit absolument identique а lui-mкme. De mкme en toute essence il n’y a pas absolue identitй avec la chose
dont elle est l’essence; on y trouve quelque chose par maniиre de puissance et
quelque chose par maniиre d’acte car l’essence se rapporte formellement а la
chose dont elle est l’essence comme l’humanitй pour l’homme; or en Dieu on ne
trouve ni puissance ni acte, mais il est acte pur; il est lui-mкme sa propre essence. CHAPITRE 11: L’ESSENCE EN DIEU N’EST PAS AUTRE QUE SON КTRE
Ensuite il s’impose que l’essence de Dieu ne soit pas autre que son
кtre. En toute chose en effet oщ autre est l’essence et autre est son кtre, il
faut que ce qu’elle est, soit autre que ce en quoi elle est; car par son кtre
on dit de toute chose qu’elle est, par son essence on dit ce en quoi elle est.
D’oщ la dйfinition qui signifie l’essence montre ce en quoi une chose est. Or
en Dieu autre n’est pas ce qui est et autre ce en quoi quelque chose est,
puisqu’il n’y a pas en lui de composition, comme on l’a montrй (chapitre 9).
Chez lui donc son essence n’est autre que son кtre. De mкme. On a montrй (chapitre 4 et 9) que Dieu est acte pur sans
mйlange de puissance. Il faut donc que son essence soit l’acte dernier, car un
acte qui est vers ce qui est dernier est en puissance а l’acte dernier. Or
l’acte der nier est l’кtre lui-mкme. En effet, comme tout mouvement est sortie
de la puissance vers l’acte, cela doit кtre l’acte dernier ce vers quoi tend
tout le mouvement; et comme le mouvement naturel tend vers ce qui est
naturellement dйsirй, cela sera l’acte dernier ce que toutes les choses
dйsirent. Et c’est l’кtre. LI faut donc que l’essence divine qui est l’acte pur
et dernier soit l’кtre mкme. CHAPITRE 12: DIEU N’EST PAS UNE ESPИCE SOUS UN GENRE
D’oщ il appert que Dieu n’est pas dans un genre tel une espиce. Car
la diffйrence ajoutйe au genre constitue l’espиce; donc l’essence de n’importe
quelle espиce ajoute quelque chose au genre. Mais l’кtre mкme qui est l’essence
de Dieu ne contient rien en soi qui s’ajoute а un autre. Dieu donc n’est pas
espиce de quelque genre. De mкme. Puisque le genre a la possibilitй de contenir des
diffйrences, dans tout ce qui est constituй de genre et de diffйrences se
trouve un acte mкlй de puissance. Or on a montrй (chapitre 4 et 9) que Dieu est
acte pur sans mйlange aucun de puissance. Son essence n’est donc pas constituйe
de genre et de diffйrences; et ainsi Il n’est pas dans un genre. CHAPITRE 13: DIEU NE PEUT КTRE GENRE DE QUELQUE CHOSE
Ultйrieurement il faut montrer qu’il n’est pas non plus possible que
Dieu soit un genre. Le genre en effet ne fait pas qu’une chose est, mais ce
qu’elle est. Car c’est par les diffйrences spйcifiques qu’une chose est
constituйe en son кtre propre. Mais cela qui est Dieu c’est l’кtre mкme. II est
donc impossible qu’Il soit un genre. De mкme. Tout genre se rйpartit en plusieurs espиces. Or on ne doit
pas accepter de diffйrences de l’кtre lui- mкme; les diffйrences en effet ne
participent pas а u genre, si ce n’est accidentellement en tant que les espиces
constituйes par leur diffйrence spйcifique participent а un genre: or toute
diffйrence doit participer а l’кtre parce que le non-кtre n’est pas diffйrence
de quelque chose 1. Il est donc impossible
que Dieu soit un genre qu’on attribuerait а de nombreuses espиces. 1.
Par exemple ce qui est dit inanimй n’est pas quelque chose; c’est un concept
qui veut exprimer le contraire de ce qui est animй. CHAPITRE 14: DIEU N’EST PAS UNE ESPИCE ATTRIBUABLE A DE NOMBREUX
INDIVIDUS
Et il n’est pas non plus possible qu’Il soit comme une espиce
attribuable а beaucoup d’individus. En effet ceux-ci sont communs а une mкme
essence et se distinguent par autre chose qui n’est pas de leur essence
spйcifique; comme les hommes ont en commun l’humanitй, mais ils se distinguent
entre eux par quelque chose d’autre que leur humanitй; or cela ne peut arriver
en Dieu, car Dieu lui-mкme est son essence, comme on l’a montrй (chapitre 10). Il
est donc impossible que Dieu soit une espиce qui soit attribuйe а plusieurs
individus. De mкme. Plusieurs individus contenus sous une mкme espиce ont
chacun leur propre existence bien qu’ils soient de la mкme essence. Partout
donc oщ il y a plusieurs individus sous une seule espиce, il faut qu’autre soit
l’кtre et autre l’essence spйcifique. Or en Dieu l’кtre et l’essence sont la
mкme chose, comme on l’a montrй (chapitre 11). Il est donc impossible que Dieu
constitue une espиce attribuable а plusieurs. CHAPITRE 15: IL EST NИCESSAIRE DE DIRE QUE DIEU EST UN
De ceci aussi il appert qu’il est nйcessaire qu’il n’y ait qu’un
seul Dieu Car supposons qu’il y ait beaucoup de dieux, on le dira dans un sens
йquivoque ou dans un sens univoque. Йquivoque, ce sens n’est ici d’aucun
secours: En effet rien n’empкche que ce que nous appelons pierre, d’autres
l’appellent Dieu; univoque, il faut qu’ils aient en commun ou le genre ou
l’espиce. Or on a montrй (chapitre 13 et 14) que Dieu ne: peut кtre ni genre ni
espиce attribuables а plusieurs. Il est donc impossible qu’il y ait plu sieurs
dieux. De mкme. Ce par quoi une essence commune s’individualise ne peut
convenir а plusieurs: d’oщ, bien qu’il puisse y avoir plusieurs hommes,
cependant cet homme (donnй) ne sera jamais que cet homme unique. Si donc une
essence vient а кtre individualisйe en elle-mкme et non en vertu d’autre chose
il ne sera pas possible qu’elle con vienne а plusieurs. Mais l’essence divine
est par elle-mкme individualisйe parce qu’en Dieu l’essence n’est pas autre que
l’кtre; on a montrй en effet que Dieu est son essence (chapitre 10). Il est
donc impossible que Dieu ne soit pas unique. De mкme. li y a deux maniиres pour qu’une forme soit multiple: d’une
part par ses diffйrences, comme la forme gйnйrale, comme la couleur en diverses
espиces de couleurs; d’autre part par le sujet, soit la blancheur. Donc toute
forme qui ne se multiplie pas par ses diffйrences, si elle n’est pas une forme
existant en un sujet, il est impossible qu’elle se multiplie, comme la
blancheur qui subsisterait hors d’un sujet serait alors unique. Or l’essence
divine est l’кtre mкme oщ il n’y a pas place pour des diffйrences comme on l’a
montrй (chapitres 11 et 13). Comme donc l’кtre mкme divin est une forme
subsistai t par elle-mкme en ce que Dieu est а soi l’кtre, il n’est pas
possible que l’essence divine soit autre qu’une seule. Il est donc impossible
qu’il y ait plusieurs dieux. 1.
Plusieurs sujets blancs. CHAPITRE 16: DIEU N’EST PAS UN CORPS
Il est de plus йvident que Dieu ne peut кtre un corps. Car en tout
corps se trouve quelque composition; tout corps en effet est fait de parties.
Donc ce qui est tout а fait simple ne peut кtre un corps. De mкme toute l’expйrience nous apprend qu’aucun corps ne meut que
s’il n’est mы lui-mкme. Si donc le premier moteur est tout а fait immobile il
est impossible qu’il soit un corps. CHAPITRE 17: IL EST IMPOSSIBLE QU’IL SOIT FORMЙ D’UN CORPS OU VERTU
DANS UN CORPS
De mкme il n’est pas possible qu’Il soit forme d’un corps ou vertu
dans un corps. En effet comme tout corps est mobile, s’il est mы, tout ce qui
est de lui doit de mкme кtre mobile au moins par accident. Or le premier moteur
ne peut кtre mы ni par soi ni par accident, puisqu’il doit кtre lui-mкme tout а
fait immobile, comme on l’a montrй (chapitre 4). Donc il est impossible qu’il
soit forme ou vertu[1]
dans un corps. De mкme. Pour mouvoir, tout moteur doit кtre maоtre de la chose
qu’il meut. Nous constatons en effet que plus la vertu motrice excиde la vertu
du mobile, plus aussi est rapide le mouvement. Celui donc qui est le premier
moteur parmi tous les autres doit maоtriser au maximum les choses mises en
mouvement; or cela ne serait pas passible s’il йtait un tant soit peu liй au
mobile; ce qui serait le cas s’il en йtait la forme ou la force. Il faut donc
que le premier moteur ne soit pas un corps, ni une force dans un corps, ni une
forme dans un corps. Anaxagore en a tirй la conclusion d’une intelligence
indйpendante qui puisse commander et mouvoir toutes choses. CHAPITRE 18: DIEU EST INFINI SELON SON ESSENCE
On peut de lа en infйrer qu’Il est infini: il ne s’agit pas de
l’infini par privation qui est une passion de la quantitй, c’est-а-dire d’aprиs
ce qu’on dit infini, ce qui de sa nature a une fin а cause de son genre, mais
n’en a pas’. Mais il s’agit de l’infini par nйgation selon que ce qui est dit
infini n’est en aucune maniиre finie. Aucun acte en effet n’est fini que par la
puissance qui est une aptitude rйceptive. Nous constatons en effet que les
formes sont limitйes selon la potentialitй de la matiиre[2]. Si donc le premier moteur est un acte sans mйlange de potentialitй,
car il n’est pas forme d’un corps ni une vertu dans un corps, il est nйcessaire
qu’il soit lui-mкme infini. C’est aussi ce que dйmontre l’ordre mкme que l’on rencontre dans les
choses: car parmi les кtres ceux qui sont plus йlevйs sont aussi plus
importants а leur maniиre. Parmi les йlйments en effet ceux qui sont supйrieurs
sont plus importants par la quantitй, comme aussi en simplicitй; ce que
dйmontre leur genиse, comme par dilatation le feu naоt de l’air, celui-ci de
l’eau et l’eau de la terre. Or le corps cйleste apparaоt manifestement excйder
toute la quantitй des йlйments. Ce qui donc parmi tous les кtres est premier et
que rien d’autre ne peut prйcйder, doit кtre а sa maniиre d’une infinie grandeur. Quoi d’йtonnant si ce qui est simple et exempt de quantitй
corporelle soit tenu pour infini et dйpasse par son immensitй toute quantitй
corporelle; c’est aussi le cas pour notre intelligence qui est simple et
incorporelle parce qu’elle connaоt, elle surpasse toute quantitй corporelle et
elle embrasse tout. A bien plus forte raison donc celui qui est le premier de
tous les кtres surpasse-t-il par son immensitй tout l’univers et tout ce qu’il
renferme.
CHAPITRE 19: L’INFINIE PUISSANCE DE DIEU
D’oщ il apparaоt aussi que Dieu possиde une puissance infinie. En
effet la puissance d’une chose vient de son essence. Car tout ce qui est, agit
selon son mode d’кtre. Si donc Dieu selon son essence est infini, sa puissance
doit кtre aussi infinie. Ceci apparaоt de mкme si l’on considиre attentivement l’ordre des
choses. Car tout ce qui est en puissance, l’est selon la vertu passive qu’il a
de recevoir; et selon qu’il est actuй il possиde une vertu active. Ce qui est
donc uniquement en puissance, soit la matiиre premiиre, possиde un pouvoir
infini de rйception mais elle ne participe en rien au pouvoir d’acte. Et
au-dessus de la matiиre premiиre, plus une chose a de formalitй, plus aussi est
grand son pouvoir d’action. C’est pourquoi le feu est parmi tous les йlйments
actifs le plus actif. Dieu donc qui est acte pur sans aucun mйlange de
potentialitй jouit d’une infinie puissance d’action par-dessus toutes choses. CHAPITRE 20: L’INFINI DE DIEU NE CONTIENT AUCUNE IMPERFECTION
L’infini que nous dйcouvrons dans les quantitйs comporte de
l’imperfection; cependant quand on dit que Dieu est infini on veut dire qu’en
lui se trouve la plus haute perfection. En effet l’infini des quantitйs
ressortit а la matiиre d’aprиs qu’elle n’a pas de fin[3].
Or l’imperfection d’une chose lui vient selon que la matiиre inclut une
privation; et toute perfection vient de la forme. Puis donc que Dieu est infini
parce qu’il est forme ou acte sans mйlange aucun de matiиre ni de potentialitй
son infini atteint а la suprкme perfection. On peut aussi le constater par analogie des choses habituelles; car
bien que dans une et mкme chose, qui est amenйe de l’imparfait au parfait,
vienne d’abord l’imparfait avant le parfait, comme par exemple l’enfant avant
l’homme fait, cependant toute imperfection tire son origine de ce qui est
parfait. En effet l’enfant ne peut naоtre que de l’homme fait: toute semence
vient d’un animal ou d’une plante. Donc celui qui est а l’origine de toutes
choses et qui les meut ne peut ne pas кtre infiniment parfait. CHAPITRE 21: EN DIEU SE TROUVENT LES PERFECTIONS DES CHOSES D’UNE
MANIИRE ИMINENTE
De lа aussi il apparaоt que toutes les perfections de toutes les
choses doivent se trouver originairement et en surabondance en Dieu. Car tout
ce qui meut une autre vers sa perfection, possиde dйjа cette perfection qu’il
veut produire, tel le maоtre qui possиde la science avant de la communiquer au
disciple. Dieu donc qui est le premier moteur et dirige toutes les choses vers
leur perfection doit nйcessairement possйder dйjа toutes leurs perfections et
d’une maniиre йminente. De mкme. Tout ce qui possиde quelque perfection sans les avoir
toutes est limitй sous un genre ou une espиce. Car par la forme qui est
perfection d’une chose, toute chose se trouve sous un genre ou une espиce; une
telle chose ne peut pas кtre d’une essence infinie; car la toute derniиre
diffйrence qui la situe dans une espиce met un terme а son essence; c’est
pourquoi le concept qui fait connaоtre l’espиce est dit dйfinition ou fin. Si donc la divine essence est infinie, il est imposй qu’elle ait la
perfection seulement d’un genre ou des espиce et soit privйe des autres; mais
il faut que les imperfections de tous les genres et de toutes les espиces
existent en elle. CHAPITRE 22: TOUTES LES PERFECTIONS EN DIEU SONT UNE SEULE ET MКME
CHOSE
En conclusion des choses dites plus haut, il est manifeste que Dieu
possиde toutes les perfections comme une seule et mкme chose. On a montrй plus
haut (chapitre 9) que Dieu est simple; mais ce qui est simple ne peut кtre
diversifiй selon les choses qui s’y trouvent. Si donc en Dieu se trouvent les
perfections de toutes choses, il est impossible qu’elles soient diverses en
lui. Il reste donc que toutes sont une en lui. Cela est manifeste quand on considиre ce qui se passe dans les
facultйs de connaissance. Car une force supйrieure, en un seul et mкme acte,
connaоt toutes les choses que connaissent les forces infйrieures selon leur
diversitй en effet tout ce que la vue, l’ouпe et les autres sens perзoivent,
l’intelligence les distingue d’une unique et simple vertu. Il en va de mкme
dans les sciences. Car comme les sciences infйrieures sont multiples selon les
divers genres de choses au sujet desquelles elles appliquent leur effort
cependant leur est supйrieure une unique science qui embrasse tout et qu’on
appelle philosophie premiиre. Il en est de mкme chez les puissances de ce monde. Car dans le
pouvoir royal, qui est un, sont inclus tous les pouvoirs qui sont rйpartis en
diverses charges sous la souverainetй du royaume. Ainsi donc les perfections
qui sont multiples dans les choses infйrieures selon leur diversitй mкme
doivent se rйunir au sommet des choses, c’est-а-dire en Dieu. CHAPITRE 23: EN DIEU NE SE TROUVE AUCUN ACCIDENT
De lа aussi apparaоt qu’en Dieu ne peut exister aucun accident. En
effet si en lui toutes les perfections sont une et que la perfection c’est
d’кtre, de pouvoir et d’agir et le reste, il est nйcessaire que tout soit en
lui comme l’кtre identique а son essence. Aucune de ces choses donc n’est en
lui un accident. De mкme, il est impossible d’кtre infini en perfection si а cette
perfection peut s’y ajouter quelque chose. Or si quelque chose doit sa
perfection а un accident et comme tout accident s’ajoute а l’essence, il faut
que cette perfection soit ajoutйe а son essence. On ne trouve donc pas en son
essence une perfection infinie. Or on a montrй (chapitres 18 et 20) que Dieu
selon son essence est d’une infinie perfection. En lui donc ne peut se trouver
aucune perfection accidentelle, mais tout ce qui est en lui est sa substance.
C’est aussi ce qu’on peut dйduire de sa suprкme simplicitй, et de ce qu’il est
l’acte pur et le premier de tous les кtres. Entre l’accident et son sujet
existe en effet une sorte de composition. De mкme un sujet ne peut кtre acte
pur puisque l’accident est une certaine forme ou acte du sujet. Toujours aussi
ce qui est par soi-mкme est antйrieur а l’accident. De tout ce qui prйcиde il
ressort а l’йvidence que rien d’accidentel ne peut exister en Dieu.
CHAPITRE 24: LA MULTITUDE DES NOMS DONNЙS A DIEU NE S’OPPOSE PAS A SA
SIMPLICITЙ
Par lа apparaоt la raison des nombreux noms dont Dieu est appelй,
bien qu’en lui-mкme il soit absolument simple. Comme en effet notre
intelligence ne suffit pas а saisir son essence mкme, elle arrive а le
connaоtre par les choses qui nous entourent oщ se trouve les diverses
perfections dont la racine unique et l’origine sont en Dieu, comme on l’a
montrй (chapitre 22). Et comme nous ne pouvons nommer que ce que nous
saisissons par l’intelligence — les noms en effet sont les signes des idйes —
nous ne pouvons nommer Dieu que par les perfections que nous trouvons dans les
choses, dont l’origine est en lui. Et parce que ces perfections sont multiples
on doit bien donner а Dieu des noms multiples. Si nous pouvions voir son essence mкme, la multitude des noms ne
serait pas nйcessaire; cette connaissance serait trиs simple, comme simple est
son essence. C’est ce que nous attendons dans la gloire, selon ce que dit le
prophиte Zacharie: "En ce jour-lа il y aura un seul Seigneur et unique
sera son nom (14, g)." CHAPITRE 25: LES NOMS DIVERS DONNЙS A DIEU NE SONT PAS SYNONYMES
De ce qui vient d’кtre dit nous pouvons considйrer trois choses,
dont la premiиre est que les noms divers donnйs а Dieu ne sont cependant pas
des synonymes. En effet pour que des noms soient synonymes, ils doivent
signifier une mкme chose et reprйsenter le mкme concept dans l’intelligence. Que
si une mкme chose est conзue sous divers aspects, soit les saisies que
l’intelligence en a, ce ne sont pas des noms synonymes; car ce n’est pas tout а
fait la mкme signification puisque les noms signifient directement des concepts
de l’intelligence et qui sont des similitudes des choses. Et donc les divers noms que l’on donne а Dieu signifient diverses
conceptions que notre intelligence en a; ils ne sont pas synonymes, bien qu’ils
s’appliquent absolument а la mкme chose. CHAPITRE 26: LE SENS DE CES MКMES NOMS NE DЙFINIT PAS CE QUE EST DIEU
La seconde chose est que notre intelligence ne pouvant saisir
parfaitement l’essence divine selon quelqu’une de ces conceptions que
signifient les noms qu’on lui appli que, il est impossible de dйfinir ce qu’est
Dieu, comme la sagesse ne dйfinit pas la puissance de Dieu et de mкme quant aux
autres noms. Ce qui est йvident aussi d’une autre maniиre. En effet toute
dйfinition est faite de genre et d’espиce; aussi ce qui est proprement dйfini
c’est l’espиce. Or on a montrй (chapitres 12 et 14) que 1’essenc divine n’est
pas comprise sous quelque genre ni sous quelqu’espиce; d’oщ elle ne peut кtre
sous quelque dйfinition. CHAPITRE 27: LES NOMS ET AUTRES CHOSES AU SUJET DE DIEU NE SONT PAS
TOUT A FAIT UNIVOQUES NI ЙQUIVOQUES
La troisiиme chose au sujet des noms donnйs а Dieu est qu’ils ne
sont pas tout а fait univoques ni йquivoques. Ils ne sont pas univoques: car ce
qui est dit de la crйature n’est pas la dйfinition de ce qu’on dit de Dieu. Or
il faut une mкme dйfinition quand il s’agit de noms univoques. De mкme ils ne
sont pas tout а fait йquivoques. Dans les choses en effet qui sont fortuitement
йquivoques, un mкme nom est donnй а une chose sans aucun rapport avec une autre
de sorte qu’on ne peut raisonner de l’une а l’autre. Les noms qui sont donnйs а
Dieu et aux choses sont attribuйs а Dieu selon un certain rapport qu’il a avec
elles et dans lesquelles notre intelligence considиre leur signification; et
donc nous pouvons raisonner au sujet de Dieu par d’autres choses. Il n’y a donc
pas йquivoque totale comme c’est le cas des йquivoques fortuites. On s’exprime
donc par analogie, c’est-а-dire selon une proportion commune а Dieu et а la
crйature 1. En effet de ce que nous
rapportons les choses а Dieu, comme а leur premiиre origine, ces noms qui
signifient les perfections des autres choses nous les attribuons а Dieu. Bien
que ces noms conviennent d’abord а la crйature, du fait que des crйatures
l’intelligence impose un nom pour monter vers Dieu, en rйalitй cependant ces
noms sont dits de Dieu par prioritй, duquel les perfections descendent vers les
choses. 1.
Par exemple, кtre sage pour l’homme a quelque rapport avec la sagesse en Dieu. CHAPITRE 28: DIEU EST INTELLIGENT
Il faut ultйrieurement montrer que Dieu est intelligent. Or on a
montrй (chapitre 21) qu’en lui prйexistent toutes les perfections de tous les
кtres de faзon surabondante. Or parmi toutes les perfections des кtres, la
pensйe excelle puisque les choses intellectuelles sont supйrieures а toutes les
autres; il faut donc que Dieu soit intelligent. De mкme: on a montrй plus haut (chapitres 4 et 9) que Dieu est acte
pur sans mйlange de potentialitй, la matiиre йtant un кtre en puissance. Dieu
doit donc кtre tout а fait exempt de matiиre; or cette exemption de matiиre est
la cause de l’intellectualitй; la preuve en est que les formes matйrielles
deviennent effectivement intelligibles parce que nous les sйparons par
abstraction de la matiиre et des conditions matйrielles. Dieu est donc
intelligent. De mкme: on a montrй que Dieu est premier moteur (chapitre 5). Ce
qui est le propre de l’intelligence; car l’intelligence se sert de toutes les
autres choses comme d’instruments d’action. D’oщ l’homme utilise au moyen de
son intelligence, comme d’instruments, les animaux, les plan tes et les choses
inanimйes. Il faut donc que Dieu qui est le premier moteur soit intelligent. CHAPITRE 29: L’INTELLIGENCE EN DIEU N’EST NI UNE POTENTIALITЙ, NI UNE
HABITUDE, MAIS UN ACTE
Nous avons vu qu’en Dieu rien n’est en puissance mais uniquement en
acte (chapitres 4 et 9); il faut donc aussi que son intelligence exclue toute
potentialitй ou habitude quel conque, mais soit seulement acte. Il ressort de
lа qu’il ne supporte aucune succession dans ce qu’il pense. Lorsqu’en effet
notre intelligence pense beaucoup de choses successivement il faut bien,
pendant qu’elle pense une chose en acte qu’une autre pensйe reste en puissance.
En effet simultanйitй et succession sont contradictoires. Si donc Dieu ne pense
rien en puissance son intelligence ne connaоtra pas de succession. D’oщ il suit
que tout ce qu’il pense, il le pense en une fois et qu’il ne revient pas sur sa
pensйe. Car l’intellect qui pense derechef fut d’abord pensant en puissance. Il
faut aussi que son intellect ne pense pas discursivement de sorte qu’il en
arriverait а penser une chose, puis une autre comme c’est le cas pour nous qui
subissons la loi du raisonnement. En effet, un tel dis cours se trouve dans l’intelligence
en ce qu’elle va du connu а l’inconnu, ou que nous ne considйrions pas d’abord
en acte; toutes choses qui dans l’intellect divin ne peuvent se produire. CHAPITRE 30: DIEU NE PENSE QUE PAR SON ESSENCE ET NON PAR IMAGE
INTELLECTUELLE
Il ressort de ce qu’on a dit que Dieu ne pense pas par un autre
concept que son essence. En effet toute intelligence pense par concepts autres
qu’elle-mкme; elle est а ces concepts comme la puissance а l’acte puisque le
concept est ce qui la perfectionne la faisant penser en acte. Puis donc qu’en Dieu rien n’est en puissance, mais qu’il est acte
pur, il faut bien qu’il ne pense pas par un autre concept que sa propre essence:
d’oщ il suit que ce qu’il pense directement et principalement c’est lui-mкme.
En effet l’essence d’une chose ne conduit pas proprement et directement en la
connaissance de quelque chose sinon de cette mкme essence; ainsi dйfinir
l’homme c’est proprement connaоtre l’homme, dйfinir le cheval c’est savoir ce
qu’est un cheval. Si donc Dieu pense par son essence il faut que ce qu’il pense
soit directement et principalement Dieu lui-mкme. Et comme lui-mкme est son
essence il s’en suit que chez lui celui qui pense, et ce par quoi il pense et
ce qui est pensй sont tout une et mкme chose. CHAPITRE 31: EST CE QU’IL PENSE?
Il faut aussi que Dieu lui-mкme soit sa propre pensйe. Penser est un
acte second comme par ex. considйrer (le premier acte en effet est l’intellect
ou le savoir) tout intellect qui n’est pas sa pensйe se compare а ce qu’il
pense comme la puissance а l’acte. Car toujours dans le domaine des puissances
et des actes ce qui est d’abord est en puissance du suivant et le dernier est
achиvement, entendons d’une et mкme chose, bien que dans les choses diverses on
ait l’inverse, car le moteur et l’agent sont а ce qui est mы ou agi comme
l’agent а la puissance. Or en Dieu comme il est acte pur il n’y a rien qui
puisse кtre comparй а autre chose comme la puissance а l’acte. Il faut donc que
Dieu lui-mкme soit sa propre pensйe. De mкme: l’intelligence est а la pensйe comme l’essence а l’кtre;
mais Dieu est la pensйe par essence; or son essence est son кtre; donc son кtre
est sa pensйe, et ainsi parce qu’il est intelligent on ne trouve en lui aucune
composition, puisqu’en lui l’intelligence, la pensйe et le concept sont
identiques. Et ceux-ci ne sont autres que son essence. CHAPITRE 32: DIEU EST VOLONTЙ
Il en rйsulte ultйrieurement que Dieu est nйcessairement volontaire.
En effet il se pense lui-mкme qui est le bien parfait, comme il est clair par
ce qu’on a dit (chapitres 20, 21, 30). Or le bien qui est pensй on l’aime
nйcessairement, ce qui se fait par la volontй; il est donc de nйcessitй que
Dieu soit volontaire. De mкme: on a vu plus haut (chapitre 3) que Dieu est premier moteur;
or l’intelligence ne peut mouvoir qu’au moyen d’un appйtit; or l’appйtit qui
suit l’intelligence est la volontй. Il faut donc que Dieu soit volontaire. CHAPITRE 33: CETTE VOLONTЙ EN DIEU NE DIFFИRE PAS DE SON INTELLIGENCE
Cette volontй en Dieu ne diffиre pas de son intelligence. En effet,
le bien saisi par l’intelligence йtant l’objet de la volontй, meut la volontй
et est son acte et sa perfection; or en Dieu le moteur et ce qui est mы, l’acte
et la puissance, perfection et perfectible s’identifient comme on l’a montrй (chapitre
4 et 9); il faut donc que la volontй divine soit le bien saisi par
l’intelligence. Or intelligence divine et essence divine sont identiques; donc
la volontй en Dieu est identique а l’intelligence divine et а son essence. De mкme: parmi toutes les perfections des choses, les principales
sont l’intelligence et la volontй dont le signe est qu’on les trouve dans les
natures plus nobles; or les perfections de toutes les choses sont une en Dieu
et c’est son essence (chapitre 22 et 23). L’intelligence et la volontй en Dieu
sont donc identiques а son essence. CHAPITRE 34: LA VOLONTЙ EN DIEU EST SON VOULOIR MКME
D’oщ il apparaоt aussi que la volontй divine est son vouloir mкme.
On vient de voir (chapitre 33) que la volontй en Dieu s’identifie au bien voulu
par lui; or cela suppose que son vouloir est identique а sa volontй puisque
vouloir appartient а la volontй de par l’objet voulu; donc la volontй en Dieu
est son vouloir. De mкme: la volontй de Dieu est identique а son intelligence et а
son essence; or son intelligence est sa pensйe et son essence, son кtre; il
faut donc que la volontй soit son vouloir. Et ainsi il est clair que la volontй
en Dieu ne rйpugne pas а sa simplicitй. CHAPITRE 35: TOUT CE QUI A ЙTЙ DIT PLUS HAUT EST CONTENU DANS UN SEUL
ARTICLE DE FOI
De tout ce qui a йtй dit auparavant nous pouvons conclure а l’unitй
de Dieu, а sa simplicitй, а sa perfection et qu’il est infini, intelligent et
volontaire. Et tout cela est compris dans un court article du Symbole de Foi,
lorsque nous professons "Croire en un seul Dieu tout-puissant".
En effet comme le mot vient du mot grec "theos", lequel a sa
racine en "theasthai" qui veut dire "voir" ou
"considйrer", dans le nom mкme de Dieu il ressort qu’il est
intelligent et par consйquent volontaire. En disant qu’il est "un",
on exclut toute pluralitй des dieux et toute composition; en effet n’est
simplement un sinon celui qui est simple. En disant "Tout-puissant",
on exprime son infinie vertu а laquelle rien n’йchappe, en quoi est indu qu’il
est et infini et parfait, car la vertu d’une chose est consйcutive а la
perfection de son essence. CHAPITRE 36: TOUT CE QUI PRЙCИDE SE TROUVE DЙJА CHEZ LES PHILOSOPHES
Ces choses qui dans ce qui prйcиde ont trait а Dieu, les philosophes
paпens les ont dites de faзon trиs subtile, bien que d’aucuns aient errй sur
certains points. Et ceux qui ont dit la vйritй ne purent y parvenir que par une
longue et laborieuse recherche. Or il y a dans
la religion chrйtienne rйvйlйe par Dieu des vйritйs qu’ils n’ont pu connaоtre
et que notre sens humain ne peut nous enseigner. Et c’est ceci: alors que Dieu
est un et simple, comme on l’a vu, Dieu est cependant Dieu le Pиre, et Dieu le
Fils, et Dieu le Saint Esprit et ces trois ne sont pas trois dieux, mais un
seul Dieu. C’est ce que, dans la mesure de nos possibilitйs, nous allons tenter
de considйrer. 2° Le Verbe (chapitre
37 а 45)
CHAPITRE 37: QU’ENTEND-ON PAR VERBE DANS LES CHOSES DIVINES?
De ce qui a йtй dit plus haut on en tire que Dieu se pense et s’aime
lui-mкme (chapitre 30, 32, 33). De mкme sa pensйe et son vouloir ne sont autres
que son кtre. Parce que Dieu se pense et que toute pensйe est en celui qui
pense, il s’en suit que Dieu doit кtre en lui-mкme comme la pensйe dans le
pensant. Selon que la pensйe est en celui qui pense cette pensйe est verbe de
l’intelligence. Ce qu'en effet nous signifions par le verbe extйrieur est ce que
nous comprenons par l’intellect intйrieurement. Les vocables sont, selon le
Philosophe, les signes de nos pensйes. Ils sont donc mettre en Dieu son propre
Verbe. CHAPITRE 38: EN LE VERBE EST CONЗU
Ce qu est contenu dans l’intelligence comme verbe intйrieur
s’appelle selon l’usage commun une conception de l’intelligence. Car on dit
conзu selon le corps ce qui est formй dans un animal par une force vitale sous
l’action du mвle et la passion de la femelle, de sorte que la chose conзue
appartient а la nature de l’un et de l’autre et comme conforme selon l’espиce. Or
ce que comprend l’intellect est formй en lui: l’intelligible en guise d’agent
et l’intellect en guise de patient. Et cela mкme que l’intellect comprend, existant
dans l’intellect, est conforme tant а l’intelligible qui meut dont il est une
similitude qu’а l’intellect patient selon qu’il possиde l’кtre intelligible. Ainsi
ce que l’intelligence comprend s’appelle а bon droit conception de
l’intelligence. CHAPITRE 39: COMMENT LE VERBE EST-IL COMPARЙ AU PИRE?
Mais ici il y a une distinction а faire. Car comme ce que conзoit l’intelligence
est la ressemblance de la chose qui est saisie, reprйsentation de son espиce,
c’est un peu comme sa progйniture. Lors donc que l’intelligence saisit autre
chose qu’elle-mкme, la chose qu’elle saisit est comme le pиre du verbe conзu en
elle et l’intelligence fait plutфt fonction de mиre puisque la conception y a
lieu. Mais quand l’intelligence se saisit elle-mкme, le verbe qui est conзu est
а celui qui saisit, comme la progйniture au pиre. Comme donc nous parlons du
Verbe selon que Dieu se saisit lui-mкme il faut que le Verbe lui-mкme soit а
Dieu, dont il est verbe, comme le fils est au pиre. CHAPITRE 40: COMMENT FAUT-IL COMPRENDRE LA GЙNЙRATION EN DIEU ?
De lа vient que dans la rиgle de la foi catholique, on nous apprend
а confesser le Pиre et le Fils en Dieu lorsqu’on dit: Je crois en Dieu le Pиre et
en son Fils. Et pour qu’en entendant les noms de Pиre et de Fils on ne
soupзonne pas une gйnйration charnelle, comme lorsque nous disons pиre et fils,
Jean l’йvangйliste, а qui ont йtй rйvйlйs les secrets cйlestes, au lieu de Fils
a mis "Verbe" pour qu’on reconnaisse une gйnйration
intelligible. CHAPITRE 41: LE VERBE OU FILS A LE MКME КTRE ET LA MКME ESSENCE QUE LE
PИRE
Il est а considйrer que comme en nous l’кtre naturel est autre que
la pensйe, il faut que le verbe conзu en notre esprit, et qui est un кtre
intelligible seulement, soit autre que notre esprit qui a une existence
naturelle. Or en Dieu l’кtre et la pensйe sont identiques. Le Verbe donc de. Dieu
et qui est en Dieu dont il est le Verbe selon, l’кtre intelligible a le mкme
кtre que Dieu dont il est le Verbe. Et par lа il faut qu’il soit de mкme nature
et essence avec lui et que tout ce qui est dit de Dieu lui convienne. CHAPITRE 42: CATHOLIQUE ENSEIGNE CES CHOSES
De lа vient que dans la rиgle de foi catholique nous confessons le
Fils "consubstantiel au Pиre". Deux choses sont ainsi exclues.
D’abord qu’on n’entende pas Pиre et Fils selon la gйnйration de la chair qui
serait comme une sйparation de la substance d’un fils а partir d’un pиre, de
sorte que le Fils ne serait pas consubstantiel au Pиre. Ensuite aussi pour que
nous n’entendions pas le Pиre et le Fils selon une gйnйration intelligible
comme le verbe est conзu dans notre esprit, survenant quasi accidentellement а
l’intelligence et n’йtant pas de son essence. CHAPITRE 43: EN IL N’Y A PAS DE DIFFЙRENCE DU VERBE ET DU
PИRE SELON LE TEMPS, L’ESPИCE OU LA NATURE
Chez ceux qui sont identiques dans l’essence aucune diffйrence n’est
possible selon l’espиce, le temps ou la nature. Parce que le Verbe est
consubstantiel, il s’en suit nйcessairement qu’il n’y a pas de diffйrence avec
le Pиre selon ces trois choses. Et vraiment selon le temps, car ce Verbe est en
Dieu du fait que Dieu se pense lui-mкme, se concevant а lui-mкme un verbe intelligible.
Or s’il fut un temps oщ le Verbe de Dieu n’йtait pas, Dieu aurait cessй de
penser. Or Dieu s’est pensй depuis toujours puisque sa pensйe est son essence;
toujours donc fut aussi son Verbe: et c’est pourquoi dans la rиgle de foi
catholique nous disons: "Nй du Pиre avant tous les siиcles." Selon l’espиce, il est impossible que le Verbe diffиre comme moindre
que le Pиre puisque Dieu ne se pense pas moins qu’il n’est. Or le Verbe est
d’une espиce parfaite parce que ce dont il est Verbe cela est parfaitement
pensй. Il faut donc que le Verbe de Dieu soit absolument parfait selon
l’espиce divine. On trouve des choses qui procиdent des autres et qui n’ont pas la
parfaite espиce de ce dont elles procиdent. D’une part comme dans les
gйnйrations йquivoques: le soleil en effet n’engendre pas le soleil, mais un
animal’. Donc pour exclure une telle imperfection dans la gйnйration divine
nous professons: "Dieu, nй de Dieu." D’autre part ce qui
procиde de quelque chose en diffиre par dйfaut de puretй; comme а partir de ce
qui est simple et pur, car ce qui est appliquй а une matiиre extйrieure, est
quelque chose de dйficient par rapport а son modиle: comme la maison qui est
dans l’esprit de l’architecte et qui devient une maison dans la matiиre; ou la
lumiиre reзue dans un corps limitй qui se change en cou leur; ou le rayon rencontrant
un obstacle devient ombre. Pour exclure cela de la gйnйration en Dieu on ajoute:
"Lumiиre nйe de la lumiиre." Enfin ce qui procиde d’un autre n’en a pas l’espиce, par manque de
vйritй, parce qu’il n’en reзoit pas la nature mais seulement sa ressemblance
comme l’image dans le miroir, ou une peinture, ou une sculpture, ou la
ressemblance d’une chose dans l’intelligence ou les sens. En effet l’image d’un homme n’est pas un vrai homme mais une
ressemblance; et la pierre n’est pas dans mon вme, comme dit Aristote, mais son
image. Pour exclure ces choses de la gйnйration divine, on ajoute: "Dieu
nй du vrai Dieu." Aussi selon la nature, le Verbe ne peut diffйrer de Dieu puisqu’il
est naturel а Dieu de se penser. En effet toute intelligence possиde certaines choses
qu’elle pense naturellement, comme notre intelligence des premiers principes. Dieu
donc а plus forte raison dont la pensйe est son кtre se pense-t-il
naturellement. Son Verbe donc vient de lui naturellement, non pas comme ces
choses qui procиdent non d’une origine naturelle, comme le sont chez nous les
choses artificielles, que nous faisons; mais celles qui pro cиdent de nous
naturellement sont dites engendrйes, comme le fils. Afin donc qu’on ne
comprenne pas que le Verbe de Dieu ne procиderait pas naturellement de Dieu,
mais selon quelque pouvoir de sa volontй, on ajoute: "Engendrй non pas
crйй." 1. On doit l’entendre de l’action solaire non sur la gйnйration, mais
comme une condition de la vie animale (2 Th I, 91, 2 ad 2). CHAPITRE 44: CONCLUSION DES PRЙMISSES
Puis donc qu’il est clair de ce qui prйcиde (chapitre 41 et 43) que
toutes les conditions de la susdite gйnйration divine font conclure а la
consubstantialitй du Fils avec le Pиre, on ajoute donc en rйsumй de tout cela: "Consubstantiel
au Pиre." CHAPITRE 45: DIEU EST EN LUI-MКME COMME L’AIMЙ DANS L’AMANT
De mкme que la
pensйe est en celui qui pense en tant qu’elle est pensйe, ainsi celui qui est
aimй doit кtre dans celui qui l’aime en tant qu’il est aimй. En effet celui qui
aime est en quelque sorte mы par celui qui est aimй comme par un mouvement
intйrieur. D’oщ comme ce qui meut est en contact avec ce qui est mы, il est
nйcessaire que celui qui est aimй soit intйrieur а celui qui aime. Or de mкme
que Dieu se pense ainsi faut-il qu’Il s’aime lui- mкme. En effet le bien pensй
est en lui-mкme aimable. Dieu est donc en lui-mкme comme l’aimй dans l’amant. 3° L’Esprit
Saint (chapitre 46 а 49)
CHAPITRE 46: L’AMOUR EN DIEU S’APPELLE ESPRIT
Comme ce qui est pensй est dans celui qui pense et celui qui est
aimй dans celui qui aime, diverse йtant leur faзon d’кtre dans l’autre, il faut
considйrer de part et d’autre ce qu’il en est. Car comme penser se fait par
assimilation du penseur а la chose pensйe, celle-ci doit nйcessairement кtre
dans le penseur selon qu’il y a en lui une ressemblance. Mais l’amour est
produit selon un mouvement de l’amant а partir de l’aimй. Celui-ci en effet
tire aprиs lui l’amant. Il n’y a donc pas dans l’amour une similitude de
l’aimй, comme dans la pensйe est reproduite la ressemblance[4]
de la chose pensйe; mais il y a une attraction de celui qui aime vers l’aimй. La transmission de la ressemblance principale se fait par gйnйration
univoque selon laquelle chez les vivants celui qui engendre est pиre et
l’engendrй fils. Chez eux aussi le mouvement premier se produit selon leur
espиce. De mкme donc que dans les choses divines la maniиre par laquelle Dieu
est en Dieu comme la pensйe dans le pensant s’exprime en notre langage en
disant Fils qui est le Verbe de Dieu, ainsi la maniиre par laquelle Dieu est en
Dieu comme l’aimй dans l’amant nous l’exprimons posant lа l’Esprit qui est
l’amour de Dieu; et voilа pourquoi selon la rиgle de la foi catholique
devons-nous croire dans l’Esprit.
CHAPITRE 47: L’ESPRIT QUI EST EN EST SAINT
Il faut considйrer que puisque le bien qu’on aime a rai son de fin
et que de la fin le mouvement volontaire est rendu bon ou mauvais, il est
nйcessaire que l’amour du bien suprкme qui est Dieu obtienne une bontй
йminente, qu’on exprime du nom de saintetй, soit que par saint on entende pur,
en grec, parce qu’en Dieu est la bontй toute pure, prйservйe de toute
dйficience; soit qu’on entende ‘ferme' en latin parce qu’en Dieu est la bontй
immuable c’est pour cela que tout ce qui a rapport а Dieu est dit saint, comme
le temple et les vases du temple et tout ce qui est affectй au culte divin. L’esprit
par lequel l’amour en nous s’insinue et par lequel Dieu s’aime lui-mкme est а
juste titre appelй Esprit Saint. D’oщ la rйgie de la foi catholique appelle
saint cet esprit en disant "Je crois au Saint-Esprit." CHAPITRE 48: L’AMOUR EN N’INTRODUIT AUCUN ACCIDENT
De mкme que la pensйe en Dieu est son кtre ainsi aussi est son
amour. Dieu donc ne s’aime pas lui-mкme selon quelque chose survenant а son
essence, mais selon son essence. Donc comme il s’aime lui-mкme selon ce qu’il
est en lui-mкme, comme l’aimй dans l’amant, il n’est pas Dieu aimй en Dieu qui
s’aime par maniиre d’accident, comme les choses aimйes sont en nous qui les
aimons de faзon accidentelle, mais Dieu est en lui-mкme comme l’aimй dans
l’amant substantiellement. Donc l’Esprit Saint lui-mкme par qui nous est
insinuй l’amour divin n’est pas quelque chose d’accidentel en Dieu, mais il est
rйellement subsistant dans l’essence divine, comme le sont le Pиre et le Fils.
Et donc dans la rиgle de foi catholique on montre qu’il doit кtre adorй et
glorifiй.., en mкme temps que le Pиre et le Fils. CHAPITRE 49: L’ESPRIT SAINT PROCИDE DU PИRE ET DU FILS
Il faut aussi considйrer que la pensйe procиde du pouvoir de
l’entendement selon quoi, lorsqu’il pense, ce qu’il pense est en lui. Ce qui
donc procиde du pouvoir de l’entendement et lui est immanent nous l’avons
appelй verbe (chapitre 37). De mкme aussi ce qui est aimй est dans l’amant qui
l’aime en acte. Or que quelque chose soit aimй en acte cela procиde du pouvoir
d’aimer de l’amant et du bien aimable pensй en acte. Donc le fait que l’aimй
est dans l’amant procиde de deux choses c’est-а-dire du principe qui aime
(l’amant) et de l’intelligible apprйhendй qui est le verbe conзu de la chose
aimable. Comme donc en
Dieu qui se pense lui-mкme et qui s’aime, le Verbe est Fils, et que celui dont
est le Verbe, est Pиre du Verbe, comme on l’a vu (chapitre 39), il est nйcessaire
que l’Esprit Saint, qui appartient а l’amour selon que Dieu est en lui-mкme
comme l’aimй dans l’amant, procиde du Pиre et du Fils; d’oщ on dit dans le
Symbole: "procиde du Pиre et du Fils." 4° Les
relations divines (chapitre 50 а 67)
CHAPITRE 50: LA TRINITЙ EN NE RЙPUGNE PAS А SON UNITЙ
De tout ce qui a йtй dit (chapitres 37 а 49) nous devons conclure а
une trinitй dans la divinitй qui cependant ne rйpugne pas а l’unitй ni а la
simplicitй de l’essence. En effet on doit admettre un Dieu comme existant en sa
nature et qui se connaоt et qui s’aime lui-mкme. Cependant cela se passe en
Dieu autrement qu’en nous. Car en effet dans sa nature l’homme est une
substance mais sa pensйe et son amour ne sont pas de sa substance; considйrй
dans sa nature il est une chose subsistante, mais selon ce qui est en son
intellect il n’est pas chose subsistante, et semblablement selon ce qui est en
lui comme l’aimй dans l’amant. Ainsi donc en l’homme on peut considйrer trois
choses: l’homme existant en sa nature, l’homme existant en son intelligence, et
l’homme existant dans l’amour: et cependant ces trois choses ne sont pas une,
parce que sa pensйe n’est pas son кtre et ainsi de l’amour et de ces trois une
seule est subsistante, l’homme existant en sa nature. Or en Dieu sont
identiques son кtre, la pensйe et l’amour. Dieu donc existant en son кtre naturel,
et Dieu existant dans sa pensйe, et Dieu existant dans son amour sont un,
cependant chacune de ces choses est subsistante. Et parce que les choses
subsistant dans une nature intellectuelle ont йtй appelйes selon les Latins des
PERSONNES et selon les Grecs des HYPOSTASES, voilа pour quoi en Dieu les Latins
disent trois personnes et les Grecs trois hypostases, c’est-а-dire le Pиre, le
Fils et l’Esprit Saint. CHAPITRE 51: IL SEMBLE QU’IL Y AIT RЙPUGNANCE А UNE TRINITЙ DES
PERSONNES EN DIEU
Il semble qu’aprиs ce qui a йtй dit (chapitres 37 а 50) certaines
difficultйs surgissent. Si en effet un nombre ternaire est introduit en Dieu,
ce nombre comme tout nombre vient d’une division. Il faudra donc introduire en
Dieu une diffйrence qui distingue les trois personnes entre elles et donc en
Dieu il n’y aura pas leur suprкme simplicitй. Car si les trois conviennent en
quelque chose et diffиrent par ailleurs, nйcessairement il y a composition, ce
qui contredit ce qu’on a vu plus haut (chapitre 9). D’autre part, s’il est nйcessaire qu’il n’y ait qu’un seul Dieu,
comme on l’a montrй plus haut (chapitres 13 а 15) et qu’aucune chose unique ne
puisse se produire ou procйder d’elle-mкme, il paraоt impossible que Dieu soit
engendrй ou procйdant. C’est donc а tort que l’on introduit en Dieu le nom de
Pиre, et celui de Fils, et celui d’Esprit qui procиde. CHAPITRE 52: RЙPONSE A L’OBJECTION: IL N’Y A DE DISTINCTIONS EN QUE LES
RELATIONS
Pour rйsoudre ce doute il faut poser en principe que selon la
diversitй des natures il y a en diverses choses un mode diffйrent de naоtre
d’un autre ou d’en procйder. En effet dans les choses qui n’ont pas la vie
parce qu’elles ne se meuvent pas d’elles-mкmes mais seulement peuvent l’кtre
extйrieurement, l’une naоt de l’autre comme altйrйe et changйe extйrieurement
ainsi le feu produit le feu et l’air produit l’air. Dans les кtres vivants, dont le propre est de se mouvoir eux-mкmes,
quelque chose est engendrй chez celui qui engendre comme le foetus chez
l’animal et le fruit dans la plante. Or il faut considйrer un mode diffйrent de
procession selon leurs diffйrents pouvoirs et processions. Chez eux en effet il y a des pouvoirs dont les opйrations ne
s’йtendent qu’aux corps en tant qu’ils sont matй riels, comme cela est clair
dans l’вme vйgйtative: pouvoirs nutritifs, de croissance et de gйnйration; et
selon ce genre de pouvoirs de l’вme, ne peut provenir que du corporel distinct
corporellement, et cependant d’une certaine faзon conjoint а ce dont il procиde
dans les vivants. Il y a des forces qui, bien que leurs opйrations ne dйpassent pas le
corps, s’йtendent cependant aux espиces des corps et qui les reзoivent sans la
matiиre, comme c’est le cas dans l’вme sensitive. En effet le sens perзoit les
impressions (des choses) sans leur matйrialitй, comme le dit Aristote. Si
l’opйration est immatйrielle, elle ne se fait pas cependant sans un organe
corporel. Si donc on trouve quelque procession dans les forces de telle вme, ce
qui en procиde ne sera pas quelque chose de corporel ou corporellement distinct,
ou uni а ce dont il procиde, mais d’une certaine faзon, incorporel et
immatйriel bien que non tout а fait privй de l’aide d’un organe corporel. Ainsi
en effet proviennent chez les animaux les formes imaginaires des choses, elles
sont sans doute dans l’imagination non comme un corps dans le corps, mais d’une
certaine maniиre spirituelle. D’oщ chez saint Augustin la vision imaginaire
est-elle appelйe spirituelle. Si selon l’opйration de l’imagination quelque chose en procиde non
selon un mode corporel, combien а plus forte raison cela arrivera-t-il pour
l’opйration de la partie intellectuelle qui aussi n’a pas besoin d’un organe
corporel, mais son opйration est tout а fait immatйrielle. En effet le verbe
procиde selon l’opйration de l’intellect comme existant dans l’intellect de
celui qui le dit, non contenu localement ni sйparй corporellement mais existant
en lui selon un ordre d’origine; et on peut en dire autant de la procession qui
se fait selon l’opйration de la volontй en tant que la chose aimйe est en celui
qui aime, comme on l’a vu plus haut (chapitre 45). Bien que les forces intellectuelles et sensitives selon leur propre
nature soient plus nobles que les vйgйtatives cependant chez les hommes et les
animaux par procession de leurs parties imaginative ou sensitive rien de
subsistant ne procиde en leur nature spйcifique; mais cela se fait seulement
par procession selon l’opйration de l’вme vйgйtative; et cela parce que dans
tous les composйs de matiиre et de forme la multiplication des individus dans la
mкme espиce se fait par division de la matiиre. D’oщ chez les hommes et les
animaux, comme ils sont composйs de matiиre et de forme les individus sont
multipliйs selon la mкme espиce par division de la matiиre; et ceci a lieu pour
l’opйration de l’вme vйgйtative mais non pour les autres opйrations de l’вme
Parmi les choses qui ne sont pas composйes de matiиre et de forme on ne trouve
pas de distinction sinon formelle seulement. Mais si la forme dont on considиre
la distinction est la substance de la chose il faut que cette distinction soit
celle de choses subsistantes; mais non pas si cette forme n’est pas substance
(sujet) de la chose. Il est donc commun а tout intellect, comme il ressort de
ce qu’on vient de dire, que ce qu’il conзoit procиde en quelque sorte de celui
qui pense en tant qu’il pense et il en est en quelque sorte distinct par sa
procession... comme la conception de l’intellect qui est image intellectuelle,
se distingue de l’intellect qui pense. Et semblablement il faut que l’affection
de l’amant par laquelle l’aimй est dans l’amant procиde de la volontй de
l’amant en tant que tel. Mais ceci est propre а l’intelligence divine, sa pensйe йtant son
кtre mкme, que la conception de l’intellect qui est image intellectuelle soit
sa substance et semblablement en est-il de l’affection en le mкme Dieu qui
aime. II reste donc que l’image intellectuelle divine et qui est son Verbe, ne
se distingue pas de celui qui la produit en ce qu’elle est l’кtre selon la
substance, mais seulement (s’en distingue) selon la maniиre de procйder l’un de
l’autre; et semblablement en est-il de l’affection amoureuse en Dieu qui aime
et qui appartient а l’Esprit Saint. Ainsi donc est-il clair que rien n’empкche que le Verbe de Dieu, qui
est le Fils, soit un avec le Pиre selon la substance et cependant soit distinct
selon la relation de procession, comme on l’a dit (chapitres 41 а 44 et 49). D’oщ
aussi est-il manifeste qu’une mкme chose ne naоt ni ne procиde d’elle-mкme; car
le Fils selon qu’il procиde du Pиre en est distinct et il en est de mкme pour
l’Esprit Saint comparй au Pиre et au Fils. 1.
Gen ad litt. 12, 6. 2.
En bref, la partie intellectuelle et la partie sensible, d’une part chez
l’homme, d’autre part dans l’animal, ne se multiplient pas а l’instar de la
partie corporelle. 3.
Les formes de connaissance et de dйsir chez les crйatures, formes fondant la
distinction de ce qui engendre et de ce qui est engendrй: du cфtй du premier
est l’кtre de la substance; du cфtй du second l’кtre de ce qui est connu et
dйsirй. Mais ce dernier dans les crйatures est prйsent d’une existence
accidentelle. Il n’y a donc pas distinction de choses subsistantes. CHAPITRE 53: LES RELATIONS PAR LESQUELLES SE DISTINGUENT LE PЙRE ET LE
FILS ET L’ESPRIT SAINT SONT RЙLLES ET PAS SEULEMENT DE RAISON
En effet ces relations-lа sont de raison seulement qui ne rйsultent
pas de quelque chose de naturel, mais de quelque chose qui est seulement dans
une apprйhension de l’esprit, comme la droite et la gauche d’une pierre ne sont
pas des relations rйelles, mais seulement de raison, parce quelles ne rйsultent
pas de quelque facultй rйelle existant dans la pierre mais seulement selon le
point de vue de celui qui saisit la pierre comme йtant а gauche, parce qu’elle
est а gauche de quelqu’animal; mais la gauche et la droite dans l’animal sont
des relations rйelles qui rйsultent de certaines rйalitйs qui se trouvent кtre
des parties dйterminйes d’un animal. Comme les relations susdites qui
distinguent le Pиre et le Fils et l’Esprit Saint existent rйellement en Dieu, de
telles relations doivent кtre rйelles et non pas seulement de raison. CHAPITRE 54: CES RELATIONS NE SONT PAS DES ACCIDENTS
Il n’est pas possible qu’elles soient des accidents dont elles, les
personnes divines, sont affectйes soit parce que les relations qui en sont
l’origine sont la substance mкme de Dieu soit parce que comme on l’a montrй (chapitre
23) en Dieu il ne peut y avoir d’accident. Si donc ces relations sont en Dieu
rйellement, elles ne peuvent кtre accidentellement inhйrentes, mais subsistantes.
On a vu plus haut comment ce qui est accident dans les autres choses peut кtre
en Dieu substantiellement (chapitres 22 et 23). CHAPITRE 55: CES RELATIONS PRODUISENT EN UNE DISTINCTION PERSONNELLE
Or comme en choses divines il y a distinction par relations non
accidentelles mais subsistantes et qu’en toute nature intellectuelle ce qui est
subsistant constitue la distinction de personne il faut nйcessairement qu’en
Dieu en vertu des dites relations soit constituйe une distinction personnelle.
Donc le Pиre et le Fils et l’Esprit Saint sont trois personnes, et йgalement
trois hypostases[5] car
l’hypostase signifie quelque chose de complet et de subsistant.
CHAPITRE 56: IL N’Y A QUE TROIS PERSONNES EN DIEU
Qu’il y ait plus de trois personnes en Dieu c’est impossible, comme
il n’est pas possible que soient multipliйes les personnes par divisions de la
substance divine; mais seulement par relation de procession, ni de n’importe
quelle procession mais telle qu’elle ne se termine pas а quelque chose
d’extйrieur. Car dans ce cas, ce quelque chose n’aurait pas la nature divine et
donc ne pourrait pas кtre une personne ou hypostase divine. Or une pro- cession
en Dieu si elle ne se termine pas а l’extйrieur, ne peut кtre qu’une opйration
intellectuelle, telle la procession du verbe, ou une opйration de la volontй
telle celle de l’amour, comme on l’a dit (chapitre 52). Il n’est donc pas
possible qu’une personne divine procиde sinon comme verbe que nous appelons
Fils, ou comme amour que nous appelons Esprit Saint. De plus, йtant donnй que Dieu d’un seul regard de son intelligence
embrasse tout et que d’un seul acte de sa volontй il aime tout ce qui est, il
ne peut y avoir en Dieu plusieurs verbes ni plusieurs amours. Si donc le Fils
pro cиde en tant que verbe et l’Esprit Saint en tant qu’amour il ne peut y
avoir en Dieu plusieurs Fils ni plusieurs Esprits Saints. De mкme. Parfait est ce hors duquel rien n’est. Ce qui donc en dchors
de soi suppose un autre de son genre n’est pas simplement parfait. A cause de
cela les choses qui sont parfaites de leur nature ne se multiplient pas, tels
Dieu, le soleil et la lune, etc. Il faut donc que le Fils et l’Esprit Saint
soient parfaits simplement puisque l’un et l’autre sont Dieu, comme on l’a
montrй (chapitres 41 et 48). Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs Fils
ou plusieurs Esprits Saints. En outre, ce par quoi quelque chose qui subsiste est ce quelque
chose, et distinct des autres ne peut кtre multipliй numйriquement, car
l’individuel ne peut кtre attribuй а plusieurs. Mais par sa filiation le Fils
est cette personne divine en soi subsistante et distincte des autres, comme par
des principes individuants Socrate est cette personne humaine. De mкme que les
principes individuants qui, font que Socrate est cet homme ne peuvent convenir
qu’а lui seul, ainsi aussi dans les choses divines la filiation ne peut
convenir qu’а un seul; et on peut en dire autant de la relation du Pиre et de
l’Esprit Saint. Il n’y a donc pas en Dieu plusieurs pиres, ni plusieurs fils,
ni plusieurs esprits saints. Enfin: les choses qui sont une selon la forme ne se multiplient
numйriquement que par la matiиre, comme la couleur appliquйe а plusieurs
objets; donc tout ce qui est un par l’espиce et la forme en Dieu ne peut кtre
multipliй numйriquement: telles la paternitй, la filiation et la pro cession de
l’Esprit Saint. Il est donc impossible qu’en Dieu il y ait plusieurs pиres, ou
fils, ou esprits saints. CHAPITRE 57: DES PROPRIЙTЙS OU NOTIONS EN ET COMBIEN SONT-ELLES DANS LE
PИRE?
Aprиs avoir fixй le nombre des personnes en Dieu, il faut savoir par
quelles propriйtйs elles diffиrent entre elles et leur nombre. Il y en a trois
qui conviennent au Pиre: une par laquelle il se distingue du Fils seul et c’est
la paternitй; une seconde qui le distingue des deux autres soit le Fils et
l’Esprit Saint et c’est l’innascibilitй parce le Pиre n’est pas un Dieu
procйdant d’un autre, or le Fils et l’Esprit Saint procиdent du Pиre; une
troisiиme (propriйtй) par laquelle le Pиre lui-mкme avec le Fils est distinct
de l’Esprit Saint: et c’est la spiration commune. Il n’y a pas de propriйtй par
laquelle le Pиre est distinct du Saint Esprit seul, parce que le Pиre et le
Fils sont un seul principe de l’Esprit Saint comme on l’a montrй (chapitre 49). CHAPITRE 58: DES PROPRIЙTЙS DU FILS ET DE L’ESPRIT SAINT: QUELLES
SONT-ELLES ET COMBIEN?
Deux (propriйtйs) conviennent nйcessairement au Fils: celle oщ il se
distingue du Pиre et c’est la filiation et celle oщ avec le Pиre il se
distingue de l’Esprit Saint et c’est la spiration commune. Mais il ne faut pas
lui assigner de propriйtй qui le distingue de l’Esprit Saint, parce que comme
on vient de le voir (chapitre 57) le Fils et le Pиre sont un unique principe de
l’Esprit Saint. De mкme aussi ne faut-il pas assigner une propriйtй par laquelle
l’Esprit Saint et le Fils sont ensemble distincts du Pиre. Le Pиre en effet est
distinct de ceux-ci par une propriйtй, c’est-а-dire l’innascibilitй en tant
qu’il n’est pas procйdant. Mais comme le Fils et l’Esprit Saint ne procиdent
pas d’une seule procession, mais de plusieurs, ils se distinguent du Pиre par
deux propriйtйs. Le Saint-Esprit n’a qu’une propriйtй par laquelle il est
distinct du Pиre et du Fils et on l’appelle procession. Qu’il ne puisse y avoir
de propriйtй par laquelle l’Esprit Saint est distinct du seul Pиre ou du seul
Fils cela est clair par ce qu’on a dit (chapitres 57 et 58). Elles sont donc cinq qui sont attribuйes: c’est а dire
l’innascibilitй, la paternitй, la filiation, la spiration et la procession. CHAPITRE 59: POURQUOI CES PROPRIЙTЙS SONT-ELLES DITES NOTIONS?
On peut parler de cinq notions parce qu’elles nous permettent de
distinguer en Dieu des personnes. Cependant des cinq ne peuvent pas кtre dites
propriйtйs dans le sens que “propre” voudrait dire ce qui convient а un seul;
car une commune spiration convient au Pиre et au Fils. Mais selon la maniиre
que quelque chose est dit propre а quelques-uns par rapport а un autre comme
bipиde а l’homme et а l’oiseau par rapport aux quadrupиdes, ainsi rien
n’empкche de dire aussi comme propriйtй leur commune spiration. Mais comme ce sont les relations seules qui distinguent les
personnes divines et que les notions, elles, nous font connaоtre comment sont
ces relations, il est nйcessaire que les notions soient quelque peu des
relations; mais celles-lа seules sont des relations vraies qui se rapportent
aux personnes divines l’une envers l’autre et il y en a quatre. La cinquiиme
notion est une nйgation de relation soit l’innascibilitй; car les nйgations
peuvent se ramener au genre des affirmations et les privations au genre des
habitus comme ne pas кtre homme se rapporte au genre homme et n’кtre pas blanc
au genre blancheur. On doit savoir cependant que parmi les relations qui font se
rapporter les personnes divines entre elles, certaines ont un nom, telles:
paternitй et filiation, qui proprement signifient des relations; d’autres n’ont
pas de noms: celles -par lesquelles le Pиre et le Fils se rapportent а l’Esprit
Saint et celui-ci а eux; mais au lieu de relations nous nous servons de noms
d’origine. Il est йvident en effet que la spiration et la procession signifient
une origine, mais ne disent rien des relations qui rйsultent de l’origine. On peut s’en rendre compte aux relations de pиre et de fils. La
gйnйration exprime une origine active dont on tire la relation de paternitй; la
naissance exprime au con traire, le cфtй passif de l’origine chez le fils, d’oщ
la relation de filiation. Semblablement la commune spiration est en consйquence
une relation, comme aussi la procession. Mais parce que ces relations n’ont pas de nom appropriй nous
employons а leur place le nom de leurs activitйs[6]. CHAPITRE 60: BIEN QUE LES RELATIONS SUBSISTANTES EN SOIENT AU NOMBRE DE
QUATRE, IL N’Y A CEPENDANT QUE TROIS PERSONNES
Bien que les relations subsistantes en Dieu soient les personnes
divines elles-mкmes, comme on l’a vu (chapitre 55) cependant il n’y a pas
quatre ou cinq personnes selon le nombre des relations. Le nombre en effet suppose une distinction. De mкme en effet que
l’unitй est indivise et indivisible, ainsi la pluralitй est divisible et
divisйe. Pour la pluralitй des personnes il est requis que les relations tirent
leur distinction sous forme d’opposition; car il n’y a de distinction formelle
que par opposition. Or si nous examinons les dites relations, la paternitй et
la filiation ont entre elles une opposition de relation, d’oщ elles ne sont pas
compatibles dans un seul sujet; а cause de cela il faut que la paternitй et la
filiation soient deux personnes subistantes. L’innascibilitй s’oppose а la
filiation, mais non а la paternitй et donc la paternitй et l’innascibilitй
peuvent convenir а une et mкme personne. De mкme la commune spiration ne
s’oppose ni а la paternitй, ni а la filiation, ni aussi а l’innasCibilitй. D’oщ
rien n’empкche que la commune spi- ration, se trouve tant chez le Pиre que chez
le Fils. Or la procession comporte une opposition relative а la commune
spiration. D’oщ comme la commune spiration con vient au Pиre et au Fils, il
faut que cette procession soit une personne autre que le Pиre et le Fils. D’oщ il est clair que Dieu n’est pas dit “cinq” suite au nombre cinq
des notions mais trine de par la trinitй des personnes. Car les cinq notions ne
sont pas cinq choses subsistantes, mais les trois personnes sont trois choses
subsistantes. Si mкme а une seule personne conviennent plusieurs notions ou
propriйtйs une seule cependant constitue la personne. La personne en effet
n’est pas ainsi, constituйe de propriйtйs multiples mais de ce que la propriйtй
mкme de relation subsistante est une personne. Si l’on figurait plusieurs
propriйtйs comme subsistantes sйparйment, il y aurait alors plusieurs personnes
et non une seule. Il faut donc comprendre que de plusieurs propriйtйs ou
notions qui conviennent а une personne, c’est celle qui procиde selon l’ordre
de nature qui constitue la personne, les autres sont inhйrentes а la personne
dйjа constituйe. Or il est manifeste que I’innascibilitй ne peut pas кtre la
premiиre notion de Pиre et puisse constituer une personne; car d’abord rien
n’est constituй par nйgation, ensuite l’affirmation prime la nйgation
naturellement. La commune spiration selon l’ordre naturel prйsuppose la paternitй
et la filiation, comme la procession d’amour la procession du verbe. D’oщ la
commune spiration ne peut кtre la premiиre notion du Pиre ni du Fils. Il reste donc que la premiиre notion du Pиre est la paternitй, celle
du Fils la filiation, quant au Saint-Esprit sa seule notion est la procession.
Il y a donc en tout trois notions constituant les personnes. Et ces notions
sont nйcessairement des propriйtйs. Ce qui en effet constitue la personne doit
convenir а cette seule personne. Car les principes d’individuation ne peuvent
s’appliquer а plusieurs. Ces trois notions sont donc dites propriйtйs
personnelles, constituant trois personnes, comme nous l’avons dit. Les autres
propriйtйs, ou notions des personnes ne sont pas personnelles ne constituant
pas de personne. CHAPITRE 61: SI PAR LA PENSЙE ON ЙCARTE LES PROPRIЙTЙS PERSONNELLES IL
N’Y A PLUS D’HYPOSTASES
Il ressort de cela que si par la pensйe on йcarte les propriйtйs
personnelles il n’y a plus d’hypostases. En effet dans l’abstraction qui se
fait dans l’intelligence, la forme йtant йcartйe, le sujet de la forme demeure,
de mкme que en йcartant la blancheur, la surface demeure; cette derniиre
йcartйe reste la substance, dont si l’on retire la forme reste la matiиre
premiиre; mais si l’on supprime le sujet plus rien ne reste. Or les propriйtйs
personnelles sont les personnes elles-mкmes subsistantes et elles ne
constituent pas des personnes comme quelque Chose s’ajoutant а des sujets
prйexistants. Car dans les personnes divines ce qui est absolu ne peut кtre
distinct mais seulement ce qui est relatif. Il reste donc que si l’on retire
par l’intelligence les propriйtйs personnelles, il n’y a plus d’hypostases
distinctes; quant aux autres notions non personnelles, mкme retirйes, les
hypostases restent distinctes. CHAPITRE 62: ЙCARTANT EN ESPRIT LES PROPRIЙTЙS PERSONNELLES L’ESSENCE
DIVINE DEMEURE
Si quelqu’un s’enquerrait, une fois йcartйes par la pensйe les
propriйtйs personnelles, si l’essence divine demeure rait, il faut distinguer. Car
l’intelligence peut abstraire de deux maniиres[7].
On peut abstraire la forme de la matiиre et l’on va ainsi de ce qui est plus
formel а ce qui est plus matйriel; car ce qui est d’abord sujet, reste en
dernier lieu; mais la forme ultime est d’abord enlevйe. L’abstraction ensuite
peut se faire de l’universel а partir du particulier, ce qui est en quelque
sorte l’ordre contraire. Car d’abord sont йcartйes les conditions matйrielles
individuantes pour obtenir ce qui est commun. Bien qu’en Dieu il n’y ait ni matiиre ni forme, ni l’universel ni le
particulier, il y a cependant ce qui est commun et ce qui est propre, et le
sujet d’une commune nature (chapitre 10). En effet les personnes sont а
l’essence, selon notre mode de penser, comme les individus а la nature commune.
Et donc selon la premiиre abstraction qui йcarte les propriйtйs personnelles,
et qui sont les personnes subsistantes, il n’y a plus de nature commune; mais
bien dans le second cas[8]. CHAPITRE 63: DU RAPPORT DES ACTES PERSONNELS AUX PROPRIЙTЙS
PERSONNELLES
De ce qui a йtй dit on voit clairement quel rapport existe, selon l’intelligence,
entre les actes personnels et les propriйtйs personnelles. En effet les
propriйtйs personnel les sont des personnes subsistantes: or une personne
subsistante quelque soit sa nature agit en communiquant sa nature en vertu mкme
de sa nature, car la forme spйcifique est le principe de la gйnйration du
semblable selon l’espиce. Comme donc les actes personnels appartiennent а la
communication de la nature divine, il faut que la personne subsistante
communique une nature commune en vertu de la nature mкme. On peut en tirer une double conclusion: dont une est: que le pouvoir
gйnйrateur du Pиre est la nature divine elle-mкme. Car tout pouvoir d’agir est
le principe de ce qui est fait. La seconde conclusion est que l’acte personnel,
c’est-а-dire, la gйnйration, d’aprиs notre mode de penser, prйsuppose et la
nature divine et la propriйtй personnelle du Pиre et qui est son hypostase
mкme, quoique une telle propriйtй en tant que relation vienne aprиs l’acte. D’oщ
en considйrant dans le Pиre la personne subsistante on peut dire qu’il est Pиre
parce qu’il engendre. Mais si on considиre la relation il faudra dire au
contraire que parce qu’il engendre il est Pиre[9]. CHAPITRE 64: CE QUE SIGNIFIE LA GЙNЙRATION POUR LE PЙRE ET POUR LE FILS
Il faut entendre d’une autre faзon la gйnйration active а partir de
la paternitй et d’une autre faзon la gйnйration passive, soit la naissance en
relation avec la filiation. La gйnйration active prйsuppose naturellement
existante la personne qui engendre; mais la gйnйration passive ou la naissance
prйcиde naturellement la personne engendrйe parce que celle-ci a l’кtre de par
sa naissance. Ainsi donc, d’aprиs notre mode de penser, la gйnйration active,
prй suppose la paternitй, selon qu’elle est constitutive de la personne du Pиre
tandis que la naissance ne prйsuppose pas la filiation selon qu’elle est constitutive
de la personne du Fils, mais selon notre maniиre de penser elle la prйcиde de
deux faзons, c’est-а-dire selon qu’elle est constitutive de la personne et
selon qu’elle signifie une relation. Et semblablement doit-on l’entendre des
choses qui concernent la procession de l’Esprit Saint. CHAPITRE 65: LES ACTES NOTIONNELS NE DIFFИRENT DES PERSONNES QUE SELON
LA RAISON
Selon l’ordre assignй entre les actes notionnels et les propriйtйs
notionnelles nous n’entendons pas que les actes notionnels diffиrent rйellement
des propriйtйs personnelles mais seulement selon le mode de penser. En effet de
mкme que penser, en Dieu c’est Dieu lui-mкme qui pense, ainsi aussi la
gйnйration chez un pиre est identique au gйniteur, le pиre, quoique de
signification diffйrente. De mкme, bien qu’une personne possиde plusieurs notions, cependant
il n’y a chez elle aucune composition. L’innascibilitй йtant une propriйtй
nйgative il n’y a pas de composition possible. Quant aux deux relations, chez
le Pиre, de paternitй et de commune spiration, elles sont une et mкme chose
dans le rйel en tant qu’elles se rapportent а la personne du Pиre. Car de mкme
que la paternitй est le Pиre, ainsi la commune spiration est le Pиre en tant
qu’elle est dans le Pиre et elle est le Fils en tant qu’elle est dans le Fils.
Elles diffиrent entre elles sans doute dans la mesure oщ elles signifient une
relation diffйrente; car par la paternitй le Pиre se trouve en relation avec le
Fils et par la commune spiration avec le Saint-Esprit. Et semblablement le Fils
par la filiation se rapporte au Pиre, par la commune spiration au Saint-Esprit. CHAPITRE 66: LES PROPRIЙTИS RELATIVES SONT L’ESSENCE MКME DE DIEU
Les propriйtйs qui dйfinissent une relation constituent
nйcessairement la divine essence. Elles sont dйjа identiques aux personnes
subsistantes; or en Dieu une personne subsistante ne peut кtre autre que la
divine essence (chapitre 10). La divine essence est Dieu lui-mкme. D’oщ il suit
que les propriйtйs de relation sont en rйalitй identiques а Dieu. De mкme ce qui s’ajoute а l’essence de quelque chose est comme un
accident; or en Dieu, comme on l’a vu, tout est son кtre (chapitre 23). Donc
les propriйtйs relatives en Dieu ne sont pas autre chose que son essence. CHAPITRE 67: LES RELATIONS NE SONT PAS QUELQUE CHOSE AJOUTЙ DE
L’EXTЙRIEUR, COMME LE PRЙTENDENT LES DISCIPLES DE GILBERT DE LA PORRЙE
On ne peut pas dire que les dites propriйtйs n’existe pas dans les
personnes divines mais elles leur seraient, extйrieures, comme disent les
disciples de Gilbert de la Porrйe. En effet dans les choses qui sont en
relation, 'relations doivent кtre rйelles. Ce qui est manifeste dans crйatures
oщ les relations rйelles en elles sont comme accidents dans leurs sujets. Or
ces relations qui distinguent les personnes en Dieu sont des relations rйelles
comme on l’a vu (chapitre 53). Il faut donc qu’elles soient dans les personnes
divines non comme des accidents; car les autres choses qui sont des accidents
dans les crйat transfйrйes en Dieu perdent leur condition d’accidents, telles
la sagesse, la justice et autres, comme on l’a montrй. (chapitre 23). En outre, en Dieu il ne peut se trouver de distinction ce n’est au
moyen des relations; car tout ce qui est absolument est commun aux trois
personnes. Si donc les relations sont ajoutйes de l’extйrieur aux personnes, il
ne restera rien qui distingue les personnes. Il y a donc des propriйtйs
relatives dans les personnes et qui sont les personnes elles-mкmes, comme aussi
la sagesse et la bontй sont en Dieu et sont Dieu lui-mкme et son essence, comme
on l’a exposй. B — Les oeuvres de Dieu: la Crйation (chapitre 68 а 94)
1° En gйnйral (chapitre 68 а 70)
CHAPITRE 68: L’КTRE, EFFET PREMIER DE LA DIVINITЙ
Aprиs avoir йtudiй ce qui a trait а Dieu et а la Trinitй des
personnes il reste а traiter des oeuvres de la Trinitй. La premiиre oeuvre de
Dieu dans les choses est l’кtre lui-mкme que toutes les autres oeuvres
prйsupposent et sur lequel elles sont fondйes. Il est nйcessaire que ce qui est
de quelque maniиre soit de Dieu. Dans les choses qui ont un ordre on trouve
ceci communйment que ce qui est premier et le plus parfait dans cet ordre, est
la cause de ce qui en cet ordre vient aprиs comme le feu, qui est trиs I chaud,
cause la chaleur dans les autres corps chauds. Toujours en effet ce qui est imparfait
a son origine en ce qui est parfait, telles les semences des animaux et des
plantes. Or on a vu plus haut (chapitres 3, 18, 20 et 21) que Dieu est le
premier кtre et le plus parfait; d’oщ il faut qu’il soit la cause de l’кtre de
tout ce qui est. Encore: tout ce qui possиde quelque chose par participation doit
кtre ramenй а ce qui est par essence, comme en son principe et sa cause, comme
le fer en fusion partage sa propriйtй nouvelle а partir de ce qui est le feu
par essence. Or on a montrй plus haut (chapitre 11) que Dieu est l’кtre mкme et
dont l’кtre est son essence tandis que toi le reste tient son кtre par
participation. Car aucune essence des choses n’est leur кtre; l’кtre absolu et
subsitant par lui-mкme ne peut кtre qu’un seul, comme on l'a vu (chapitre 15). Dieu
est donc nйcessairement la cause de tout ce qui est. CHAPITRE 69: EN CRЙANT N’A PAS UTILISЙ DE MATIИRE
Ceci nous fait admettre que Dieu comme crйateur n'a pas йtй soumis а
quelque matiиre prйexistante pour en faзonner quelque chose. Car aucun agent ne
prйexige pour son action ce qu’il produit par cette action, mais seulement ce
qu’il ne peut produire par Son action. En effet un constructeur a besoin au
prйalable de pierre et de bois pour son travail parce qu’il ne petit lui-mкme i
s produire. Il faut donc qu’aussi la matiиre soit produite par Dieu, puisque
nous avons montrй (chapitre 68) que tout ce qui est de quelque faзon a Dieu
comme cause de son existence. Il reste donc qu’en agissant Dieu n’a pas utilisй
de matiиre. Encore: l’acte de sa nature est avant la puissance d’oщ lui revient
d’abord d’кtre le principe. Et tout principe qui dans la crйation en suppose un
autre n’a que par aprиs d’кtre principe. Puisque Dieu est le principe des
choses comme leur acte premier et la matiиre comme l’кtre en puissance, il ne
convient pas que Dieu dans son action prйsuppose une matiиre. De mкme. Plus une cause est universelle, plus universel est son
effet. Car les causes particuliиres adaptent а quel que chose de dйterminй
l’action des causes universelles; cette dйtermination est а l’effet universel
comme l’acte а la puissance. Donc toute cause qui fait кtre quelque chose en
acte, йtant prйsupposй ce qui est en puissance а cet acte, est une cause
particuliиre par rapport а une cause plus universelle. Ce qui ne peut кtre en
Dieu puisqu’il est cause premiиres comme on l’a montrй (chapitre 3 et 68). La
matiиre donc ne prйexiste pas а son action. A lui donc appartient de produire
l’кtre du nйant, ce qui est proprement crйer. Et voilа pourquoi la foi catholique
reconnaоt qu’il est Crйateur. CHAPITRE 70: DIEU SEUL PEUT CRЙER
Ceci est aussi йvident: Dieu seul a le pouvoir de crйer. Car crйer
suppose chez son auteur qu’il n’est pas conditionnй par une autre cause plus
universelle. Et c’est ce qui se vйrifie en Dieu, comme on vient de le voir. Il
est donc seul crйateur. De mкme. Plus une puissance est йloignйe de l’acte, plus aussi doit
кtre grand le pouvoir qui la rйduit en acte. Mais quelque
grande que soit la distance de la puissance а l’acte elle reste toujours plus
grande si la puissance elle- mкme lui est soustraite. Donc crйer quelque chose
de rien requiert un pouvoir infini. Mais Dieu seul possиde un pouvoir infini
puisqu’il possиde une essence infinie. Dieu seul donc peut crйer. 2° Les choses
matйrielles (chapitre 71 а 74)
CHAPITRE 71: LA DIVERSITЙ DE LA MATIИRE N’EST PAS CAUSE DE LA DIVERSITЙ
DES CHOSES
Ce qui vient d’кtre dit montre а l’йvidence que la cause de la
diversitй des choses n’est pas la diversitй de la matiиre. On a montrй en effet
(chapitre 69) qu’aucune matiиre ne conditionne l’action divine qui produit
l’кtre des choses. Mais la cause de la diversitй des choses ne vient pas de la
matiиre pour autant qu’elle est prйexigйe а leur production c’est-а-dire selon
que par sa diversitй des formes diverses seraient produites. Donc la matiиre
n’est pas la cause de la diversitй des choses que Dieu produit. Encore. Selon que les choses ont l’кtre ainsi ont-elles pluralitй et
unitй, car toute chose selon qu’elle est un кtre, est aussi une. Mais les formes
n’ont pas l’кtre а cause de la matiиre mais plutфt les matiиres а cause des
formes; car l’acte vaut plus que la puissance et ce pourquoi quelque chose est
doit prйvaloir. Et donc les formes ne sont pas diverses pour convenir aux
matiиres, mais les matiиres sont diverses pour convenir а des formes diverses. CHAPITRE 72: COMMENT PRODUIT LES DIVERSES CHOSES ET QUELLE EST LA CAUSE
DE LEUR PLURALITЙ
Si les choses sont ainsi а l’unitй et а la multitude comme elles
sont а l’кtre, et comme tout кtre des choses dйpend de Dieu, comme on l’a
montrй (chapitres 68 et 69), il faut aussi que la cause de cette pluralitй
vienne de Dieu. Ce qui peut se montrer comme suit: il est nйcessaire en effet
que tout agent produise quelque chose de semblable а soi-mкme autant que possible;
or il n’йtait pas possible а Dieu de produire des choses qui reproduisent sa
boni... selon la simplicitй qui est en lui. Il fallut donc que celui qui est un
et simple fut reprйsentй dans les choses produites de diverses maniиres et
diffйremment. II fut donc nйcessaire que la diversitй existвt dans les choses
produites par Dieu pour qu’а leur maniиre elles imitent la perfection divine. De mкme: tout ce qui a une cause est fini; Dieu seul possиde une
essence infinie, comme on l’a vu (chapitre 18). Tout ce qui est fini peut
grandir par ajout d’un autre. II йtait donc plus opportun que parmi les choses
crййes intervienne la diversitй pour qu’ainsi il y eut plusieurs biens plutфt
qu’un seul genre de choses que Dieu aurait crййes. Celui qui est le meilleur
devait donc produire les meilleures choses. Il convenait donc que Dieu
produisit la diversitй des choses. CHAPITRE 73: DE LA DIVERSITЙ, DU DEGRЙ, DE L’ORDRE DES CHOSES
La multiplicitй des choses exigeait aussi qu’un ordre y fut instaurй
en sorte qu’il y en eut de plus excellentes. Il convient en effet а l’abondante
bontй de Dieu de communiquer une ressemblance de sa bontй aux choses dont il est
la cause, dans la mesure du possible. Dieu n’est pas seulement bon en lui-mкme,
il dйpasse infiniment les autres choses en bontй et il leur communique sa bontй. Pour rendre plus parfaite
avec Dieu la ressemblance des choses crййes, il йtait nйcessaire que certaines
soient mieux gratifiйes et que d’aucunes agissent sur d’autres pour les amener
а la perfection. La diversitй fondamentale des choses consiste principalement
dans la diversitй des formes; ce qui donne les contraires. Le genre en effet se
partage en espиces diverses par des diffйrences contraires. Or dans ces
contraires il faut un certain ordre, car un contraire est toujours plus parfait
qu’un autre (voir chapitre 116, fin). Il a donc fallu que la diversitй des
choses soit йtablie par Dieu dans un certain ordre, c’est-а-dire que certaines
soient placйes au-dessus des autres. CHAPITRE 74: PARMI LES CRЙATURES IL Y EN A QUI SONT PLUS EN PUISANCE
QU’EN ACTE, POUR D’AUTRES C’EST LE CONTRAIRE
Toute chose est d’autant plus noble et parfaite qui se rapproche
davantage de la ressemblance divine. Or Dieu est l’acte pur sans mйlange de
potentialitй. Il est donc nйcessaire que les кtres suprкmes soient davantage en
acte et moins en puissance tandis que les infйrieurs sont davantage en
puissance. Qu’entend-on par lа? Puisque Dieu est йternel et immuable en son кtre celles-lа sont les
moindres parmi les choses en tant qu’ayant moins de la ressemblance divine;
elles sont sujettes а la gйnйration et а la corruption; elles sont pour un
temps puis ne sont plus. Et parce que l’кtre est en fonction de la forme, de
telles choses existent quand elles ont leur forme et elles cessent d’кtre quand
elles en sont privйes. Il faut donc qu’il y ait en elles ce qui fait qu’elles
puissent avoir une forme ou de ne pas en avoir et c’est ce que nous appelons la
matiиre. Ces choses donc qui sont les moindres sont nйcessairement composйes de
matiиre et de forme. Celles qui sont plus nobles se rapprochent au maximum de
la ressemblance divine; d’oщ elles sont libres de toute possibilitй de perdre
leur existence; bien plus, de par leur crйation par Dieu elles ont obtenu une
existence sans fin. Or ce qu’est la matiиre c’est d’кtre en puissance а l’кtre
qui est par la forme; ces кtres donc qui ne sont pas en puissance а кtre ou ne
pas кtre ne sont pas composйs de matiиre ni de forme; bien plus, ce sont de
pures formes qui dans leur кtre reзu de Dieu possиdent en elles mкmes leur
subsistance. Il est nйcessaire que ces substances incorporelles soient
incorruptibles. Dans toutes les choses corruptibles en effet il y a possibilitй
au non-кtre. Or en celles-lа la potentialitй n’entre pas; elles sont donc incorruptibles.
De mкme: rien ne se corrompt si ce n’est par sйparation de sa forme;
les substances dont il s’agit, йtant d formes subsistantes par elles-mкmes, ne
sont pas sйparables de leur forme et ainsi ne peuvent perdre l’existence elles
sont donc incorruptibles. Il y a d’ailleurs entre ces deux degrйs d’кtre des substances mixtes;
dans lesquelles bien qu’il n’y ait pas de puissance а l’кtre et au non кtre, il
y a cependant en elles une possibilitй de lieu. Ce sont les corps cйlestes qui
eux ne sont pas sujets а gйnйration ni corruption, parce qu’en eux on ne trouve
pas de contraires, mais ils se meuvent localement; ainsi en trouve-t-on qui ont
mouvement et matiиre, car “le mouvement est l’actuation d’une puissance en
devenir”[10]. De
tels corps ont une matiиre qui n’est pas sujette а la corruption comme а la
gйnйration, mais seulement au changement local. 3° Les
crйatures spirituelles (chapitre 75 а 94)
a) Les anges (chapitre 75 а 78)
CHAPITRE 75: LES ЙTRES SUPЙRIEURS A LA MATIИRE ONT EN PROPRE LA
CONNAISSANCE INTELLECTUELLE
Ces substances dont nous avons parlй et qui sont immatйrielles sont
nйcessairement aussi intellectuelles. Est intellectuel en effet ce qui est
exempt de matiиre; leur mode de penser le prouve. En effet l’intelligible en
acte et l’intelligence en acte ne font qu’un. Il est manifeste que quelque
chose est intelligible en acte du fait qu’il est sйparй de la matiиre; car des
choses matйrielles nous en avons connaissance par abstraction de la matiиre
(Comp. chapitre 83). Or on doit faire la mкme supposition pour l’intelligence c’est-а-dire
ce qui est immatйriel est aussi intelligent. De mкme: les кtres immatйriels sont premiers et suprкmes parmi les
кtres. Car l’acte est naturellement avant la potentialitй. Or l’intelligence
apparaоt supйrieure а toutes les choses; elle se sert en effet des choses
corporelles comme d’instruments. Il faut donc que les substances immatйrielles
soient intellectuelles. Encore: plus une chose occupe un rang йlevй dans la sйrie des кtres
plus grande aussi est sa ressemblance avec Dieu. Il y en a qui n’ont de
ressemblance que par le fait: de leur existence, comme les minйraux; d’autres
parce qu’ils ont l’кtre et la vie, comme les plantes; d’autres parce qu’ils
sont sensibles, comme les animaux; au sommet est la connaissance intellectuelle
laquelle est suprкmement en Dieu; donc les crйatures les plus hautes sont
intellectuelles en Dieu. Et parce que parmi toutes les crйatures celles-ci sont
le plus semblables а Dieu, nous sommes dits "crййs а l’image de Dieu
". CHAPITRE 76: DE TELLES SUBSTANCES SONT LIBRES D’ARBITRE
Par lа on dйmontre qu’elles sont libres d’arbitre. L’intelligence en
effet n’agit pas et ne dйsire pas sans jugement, comme les choses inanimйes; et
le jugement de l’intelligence ne vient pas d’une impulsion naturelle comme chez
les brutes, mais par propre apprйhension car l’intelligence connaоt la fin et
ce qui conduit а la fin et le rapport de l’une а l’autre; et donc elle peut
кtre cause de son jugement par lequel elle dйsire et fait quel que chose pour
une fin. Et nous appelons libre ce qui est sa propre cause. L’intelligence donc
dйsire et agit d’un jugement libre et cela est кtre libre d’arbitre. Donc les
substances suprкmes sont libres d’arbitre[11]. De plus, libre est ce qui n’est pas dйterminй а quelque chose
d’unique; or le dйsir de la substance intellectuelle n’est pas tenu а quelque
bien dйterminй, car il suit l’apprйhension de l’intelligence qui perзoit le
bien universellement. Donc le dйsir de la substance intelligente est libre
comme se portant indiffйremment vers tout ce qui est bon.
CHAPITRE 77: DANS CES SUBSTANCES EXISTE UN ORDRE ET DES DEGRЙS SELON LA
PERFECTION DE LEUR NATURE
De mкme que ces substances intellectuelles surpassent d’un certain
degrй les autres substances ainsi aussi ces mкmes substances entre elles
doivent se distancer par quelques degrйs. Elles ne peuvent en effet diffйrer
entre elles par une diffйrence matйrielle, comme elles sont exemptes de la
matiиre. Donc s’il s’y trouve une pluralitй cela vient nйcessairement de leur
distinction formelle qui constitue la diversitй de l’espиce. Or n’importe oщ il
y a diversitй de l’espиce on doit y dйcouvrir un ordre et des degrйs; la raison
en est que comme dans les nombres l’addition ou la soustraction d’une unitй
fait varier l’espиce, ainsi par l’addition et la soustraction de leur
diffйrence les choses naturelles se trouvent кtre diffйrentes par l’espиce,
comme ce qui est seulement animй diffиre de ce qui est animй et sensible, et ce
dernier de ce qui est au plus rationnel. Il est donc nйcessaire que les dites
substances immatйrielles soient distinctes selon des degrйs et des ordres. CHAPITRE 78: COMMENT ENTENDRE ORDRE ET DEGRЙ DANS LEUR ACTE
INTELLIGENT?
Et parce que le mode substantiel d’une chose dйtermine son mode
d’opйration il faut que celles qui sont supйrieures pensent plus noblement
comme ayant des formes intelligibles et des vertus plus universelles et plus
unifiйes (celles qui sont infйrieures sont de pensйe plus dйbile et elles ont
des formes plus nombreuses et moins universelles). b) Les hommes (chapitre 79-94)
CHAPITRE 79: LA SUBSTANCE QUI FAIT L’HOMME INTELLIGENT EST LA MOINDRE
PARMI LES INTELLECTUELLES
Comme il n’existe nulle part de processus а l’infini, de mкme qu’on
trouve des кtres qui approchent trиs prиs de Dieu, ainsi en trouve-t-on dans
les кtres intellectuels qui se rapprochent trиs prиs de la matiиre. On peut
s’en rendre compte de la faзon suivante. Penser met l’homme au- dessus des
autres animaux. Il est manifeste en effet que seul l’homme considиre les choses
universellement comme aussi leurs rapports et les choses immatйrielles qui ne
sont perзues que par la pensйe. Or il est impossible que penser soit un acte
exercй par un organe corporel, comme la vision qui se sert de l’oeil. Il est
nйcessaire en effet que tout instrument d’une vertu cognitive soit exempt de ce
genre de choses par quoi il connaоt, comme la pupille par nature n’est pas
colorйe. Ainsi en effet les couleurs sont connues en tant que leurs images sont
reзues dans l’њil; ce qui perзoit doit кtre dйpouillй des choses qu’il reзoit.
Or l’intelligence connaоt toutes les choses sensibles. Si donc elle connaissait
par un organe corporel, il faudrait que cet organe soit dйpouillй de toute
nature sensible; Ce qui est impossible. De mкme, toute facultй de connaissance connaоt selon que l’image de
la chose connue est en elle car cette image est pour elle principe de
connaissance. Or l’intelligence connaоt les choses sans la matiиre, mкme celles
qui de leur nature sont faites de matiиre, en abstrayant la forme universelle
des conditions matйrielles individuantes. Il est donc impossible que l’image de
la chose connue soit matйriellement dans l’intelligence. Donc elle n’est pas reзue
dans un organe corporel, car tout organe cor est matйriel. De mкme: les sens s’affaiblissent et se corrompent si leur objet est
trop violent comme l’ouпe par des sons trop stridents ou la vue par des objets
trop brillants; cela arrive parce que les йlйments de l’organe sont atteints
dans leur structure. Or l’intelligence se fortifie au contraire par
l’excellence des choses intelligibles; car celui qui saisit des choses plus
йlevйes n’est pas moins capable d’en comprendre d’autres, bien au contraire.
Ainsi donc comme l’homme est intelligent et que penser pour lui ne se fait pas
par un organe corporel il faut qu’il y ait une substance incorporelle par
laquelle l’homme pense. Car ce qui peut opйrer par soi-mкme sans un corps, sa
substance aussi ne dйpend pas du corps. En effet toutes les facultйs et formes
qui ne peuvent subsister par elles-mкmes sans un corps ne peuvent avoir
d’opйration sans un corps. En effet la chaleur ne chauffe pas en elle-mкme mais
un corps qui est chaud donne de la chaleur. Donc cette substance incorporelle
par laquelle l’homme pense est la plus humble dans le genre des substances
intellectuelles et trиs proche de la matiиre. CHAPITRE 80: DIFFЙRENCE DANS L’INTELLECT ET LE MODE DE PENSER
Comme ce qui est intelligible est au-dessus de ce qui est sensible,
tout comme l’intelligence est au-dessus des sens, ceux qui sont infйrieurs
parmi les кtres imitent autant que possible les кtres supйrieurs, tels les
corps engendrйs et corruptibles qui en quelque sorte imitent le mouvement des
corps cйlestes: il est donc nйcessaire que ce qui est sensible soit а sa
maniиre assimilй а ce qui est intelligible et ainsi par analogie nous pouvons
des choses sensibles en arriver quelque peu а la connaissance des choses
intelligibles. Or dans les choses sensibles il y a quelque chose quasi extrкme
qui est leur acte ou leur forme et quelque chose d’infime qui est uniquement
potentialitй soit la matiиre et il y a quelque chose de mixte soit le composй de
matiиre et de forme. Ainsi aussi faut-il considйrer l’кtre intelligible. Car
l’intelligible suprкme c’est Dieu qui est l’acte pur. Les autres substances
intellectuelles selon l’кtre intelligible sont en possession d’acte et de potentialitй;
la plus humble des substances intelligibles, celle par quoi l’homme pense, est
presque uniquement potentialitй dans l’кtre intelligible. La preuve en est
aussi que, au dйbut, l’homme ne pense qu’en puissance seulement, et ensuite
peu-а-peu il est amenй а l’acte; de la vient que ce par quoi l’homme pense est
appelй intellect possible. CHAPITRE 81: L’INTELLECT POSSIBLE DE L’HOMME REЗOIT LES FORMES INTELLIGIBLES
A PARTIR DES CHOSES SENSIBLES
Parce que, comme on l’a vu (chapitre 76), plus une intelligence est
йlevйe, plus universelles sont en elles les formes intelligibles, il s’en suit
que l’intellect humain, que nous avons qualifiй de possible, possйdera parmi
les autre substances intellectuelles des formes moins universelles, et de la
vient qu’il reзoit les formes intelligibles а partir des choses sensibles. On peut aussi envisager la chose sous un autre aspect. Il faut en
effet que la forme Soit proportionnйe а ce qui la reзoit. De mкme donc que
l’intellect possible de l’homme parmi toutes les substances intellectuelles se
trouve plus proche de la matiиre corporelle, ainsi est-il nйcessaire que ses
formes intelligibles soient les plus proches des choses matйrielles. CHAPITRE 82: L’HOMME A BESOIN POUR PENSER DE PUISSANCES SENSITIVES
Il faut noter que les formes des choses corporelles sont
particuliиres et ont un кtre matйriel; mais dans l’intelligence elles sont
universelles et immatйrielles; c’est ce que dйmontre le mode de penser. Nous
pensons en effet les choses universellement et immatйriellement. Notre mode de
penser doit nйcessairement correspondre aux espиces intellectuelles par
lesquelles nous pensons. Comme on ne passe d’un extrкme а l’autre que par un
milieu, il faut donc que les formes а partir des choses corporelles parviennent
а l’intelligence par des intermйdiaires. Or de cette nature sont les puissances
sensitives qui reзoivent les formes des choses matйrielles sans la matiиre;
l’image de la pierre est dans l’oeil, mais non la matiиre; cependant les formes
des choses sont reзues particuliиrement dans les puissances sensitives; car par
celles-ci nous connaissons seulement le particulier. Il fat donc nйcessaire que
l’homme pour penser ait aussi des sens. La preuve en est que celui qui est privй d’un de ses sens ne peut
connaоtre les choses sensibles qui sont saisies par ce sens, comme l’aveugle-nй
ne peut avoir la science des couleurs. CHAPITRE 83: IL EST NЙCESSAIRE D’ADMETTRE L’EXISTENCE D’UN INTELLECT
AGENT
De lа ressort manifestement que la connaissance des choses dans
notre intellect ne se fait pas par participation ou influx de quelques formes
intelligibles en acte et subsistantes par elles-mкmes, comme les Platoniciens
et leurs adeptes l’ont prйtendu; mais cette connaissance l’intelligence
l’acquiert а partir des choses sensibles par le moyen des sens; mais comme dans
les puissances sensitives les formes des choses sont particuliиres, comme on
l’a dit (chapitre 82) elles ne sont pas intelligibles en acte mais seulement en
puissance. L’intelligence en effet ne pense que les choses universelles. Or ce
qui est en puissance n’est amenй а l’acte que par quelqu’agent qui fera que les
images des facultйs sensitives soient intelligibles en acte. C’est ce que ne
peut faire l’intellect possible; lui en effet est plutфt en puissance aux
intelligibles qu’actif а les rendre intelligibles. Il est donc nйcessaire
d’admettre un autre intellect qui fasse intelligibles en acte les espиces
intelligibles en puissance, comme la lumiиre rend visibles en acte les couleurs
visibles en puissance: et cet intellect nous l’appelons agent, qu’il ne
faudrait pas poser, si les formes des choses йtaient intelligibles en acte,
comme le veulent les Platoniciens. Ainsi donc pour penser il faut d’abord un
intellect possible capable de recevoir les espиces intelligibles, ensuite un
intellect agent qui les fasse intelligibles en acte. Une fois l’intellect possible en possession des espиces
intelligibles, on l’appelle intellect habituel, lorsqu’il possиde les espиces
ainsi qu’il puisse s’en servir quand il veut, tenant en quelque sorte le milieu
entre la pure puissance et l’acte complet. C’est alors qu’il est appelй
intellect en acte lorsqu’il possиde les espиces complиtement en acte... Ainsi
en effet il pense les choses en acte quand l’image de la chose sera devenue la
forme de l’intellect possible. C’est pourquoi on dit que l’intellect en acte
est la pensйe en acte. CHAPITRE 84: L’ВME HUMAINE EST INCORRUPTIBLE
De ce qu’on vient de dire il est йvident que l’intelligence par
laquelle l’homme pense est incorruptible. Chaque agent en effet opиre selon sa
nature; or l’intelligence agit sans communication avec un corps comme on l’a vu
(chapitre 79). C’est donc qu’elle agit par elle-mкme. Elle est donc une substance
subsistant en son кtre. Or on a montrй plus haut (chapitre 74) que les
substances intellectuelles sont incorruptibles; donc l’intelligence par
laquelle l’homme pense est incorruptible. De plus: le sujet propre de la gйnйration et de a corruption est la
matiиre; plus donc une chose est йloignйe de la corruption, plus elle est
йloignйe de la matiиre; car ce qui est composй de matiиre et de forme est de
soi corruptible; les formes matйrielles sont corruptibles par acquis dent et
non de soi; les formes immatйrielles, qui excиdent la matiиre sont absolument
incorruptibles. Or l’intelligence selon sa nature s’йlиve absolument au-dessus
de la matiиre, comme son opйration le montre. En effet nous ne pensons rien que
nous ne le sйparions de la matiиre; l’intelligence est donc de sa nature
incorruptible. De mкme la corruption ne va pas sans son contraire; rien en effet ne
se corrompt que par ce qui lui est contraire, d’oщ les corps cйlestes qui eux
n’ont pas de contraires sont incorruptibles (chapitre 74). Mais la contrariйtй
est йtran gиre а la nature de l’intelligence en tant que les choses qui sont de
soi contraires ne le sont pas dans l’intelligence. En effet il est de la nature
des contraires de ne se rapporter qu’а un seul concept, car l’un fait
comprendre l’autre. Il est donc impossible que l’intelligence soit corruptible. 1. Dans l’вme intellective il ne peut y avoir de contrariйtй: elle
reзoit en effet selon son mode d’кtre. Ces choses qu’elle reзoit sont sans
contrariйtй parce que les natures mкmes des contraires dans l’intelligence ne
sont pas contraires, mais il n’y a qu’une science des contraires (2 Th I 75,
6). CHAPITRE 85: N’Y A-T-IL QU’UN INTELLECT POSSIBLE?
Quelqu’un dira peut-кtre que sans doute l’intelligence est
incorruptible mais qu’elle est une pour tous les hommes. Et ce qui reste aprиs
la corruption de toute l’humanitй ne peut кtre qu’une seule chose (une seule
intelligence). Or qu’il n’y ait qu’un seul intellect pour tous peut кtre
dйmontrй de beaucoup de maniиres: on nous dira donc d’abord du cфtй de
l’intelligible que si autre est mon intellect et autre le tien, il faudra que
soit diffйrente l’image intelligible chez toi et chez moi et par consйquent
autre ma pensйe et autre la tienne. Le contenu de pensйe sera donc multipliй
selon le nombre des individus et ainsi il ne sera pas universel mais
individuel. D’oщ il paraоt que cette pensйe n’est pas en acte mais en puissance;
car les contenus individuels sont intelligibles en puissance, et non pas en
acte. Ensuite, comme on l’a montrй, l’intelligence est une substance subsistant
en son кtre (chapitre 74 et 79); or les substances intellectuelles ne sont pas
multiples dans une mкme espиce, comme on l’a montrй plus haut (chapitre 77); il
s’en suit que si autre est l’intelligence en moi, et autre en toi numйriquement
qu’elle est aussi d’une autre espиce et nous ne sommes donc pas de la mкme
espиce. De mкme: comme dans une mкme nature spйcifique tous les individus
communiquent, il faut au-delа de cette nature poser quelque chose qui distingue
les individus entre eux. Si donc chez tous les hommes il y a un seul intellect
selon l’espиce et plusieurs numйriquement, il faut admettre quelque chose qui
fasse qu’un intellect diffиre d’un autre; or cela ne peut se trouver dans la
substance de l’intellect qui n’est pas composй de matiиre et de forme. D’oщ il
suit que toute diffйrence possible selon la substance est une diffйrence
formelle et diversifiant l’espиce. Il reste donc que l’intelligence d’un homme
ne peut diffйrer numйriquement de l’intelligence d’un autre si ce n’est а cause
dй la diversitй des corps. Donc une fois corrompus il semble bien qu’il ne
reste plus plusieurs intelligences, mais une seule. Que tout cela soit impossible c’est l’йvidence mкme. Pour le montrer
il faut procйder comme on le fait avec ceux qui nient les principes, en
affirmant une chose qu’on ne peut absolument pas nier. Nous supposons donc que
cet homme que voici, Socrate ou Platon, pense; ce que notre objectant ne peut
nier que s’il admet la possibilitй de mer. Donc tout en niant il admet; car
affirmer et nier est le fait de celui qui pense. Si donc cet homme pense il
faut que ce qu’il pense formellement soit sa forme, car rien n’agit qu’en йtant
en acte. Ce que donc l’agent fait est son acte, comme la chaleur est l’acte de
ce qui produit la chaleur. Donc l’intelligence par laquelle l’homme pense est
la forme de cet homme, comme aussi de l’autre. Or il est impossible que la mкme
forme numйriquement le soit de divers numйriquement, car ces choses qui sont
diverses numйriquement n’ont pas le mкme кtre; chacune a son кtre par sa forme.
Il est donc impossible que l’intelligence par laquelle l’homme pense soit la
mкme et unique chez tous. Se rendant compte de la difficultй de pouvoir y rйpondre certains
tentent d’y йchapper. Ils disent en effet que l’intellect possible, dont on a
traitй plus haut (chapitre 81) entre en acte par les espиces intelligibles
qu’il reзoit. Or ces espиces sont d’une certaine faзon dans des phantasmes. En
tant donc que l’image intelligible se trouve dans l’intellect possible, et dans
les phantasmes qui sont en nous, par lа mкme il y a un lien direct et une union
entre l’intellect possible et nous, de sorte que par lui tous puis sent penser. Cette rйponse est tout а fait nulle. D’abord parce que l’image
intelligible selon qu’elle se trouve dans les phantasmes n’est pensйe qu’en
puissance; or selon qu’elle est dans l’intellect possible, elle est pensйe en
acte; elle n’est donc plus dans les phantasmes mais plutфt abstraite а partir
de ceux-ci; il n’y a donc plus d’union de l’intellect possible avec nous.
Ensuite, mкme s’il y avait quelqu’union elle ne serait pas capable de nous
faire penser. Car de ce que l’image intelligible d’une chose se trouve dans
l’intellect il ne s’en suit pas que cette chose se connaisse mais seulement
qu’elle est connue; en effet la pierre ne pense pas, mкme si son image est dans
l’intellect possible. Donc de ce que les images des phantasmes qui sont en nous
soient aussi dans l’intellect possible il ne s’en suit pas que nous sommes
pensant mais plutфt pensйs, ou mieux encore, les phantasmes qui sont en nous.
Cela devient encore plus йvident si on considиre la comparaison d’Aristote au
livre 3 "de anima" que l’intellect est aux phantasmes comme la
vue aux couleurs. Or il e manifeste de ce que les images des couleurs qui sont
sur la muraille sont dans l’oeil que ce n’est pas la muraille qui voit mais
qu’elle est plutфt vue. Donc aussi de ce que les images des phantasmes qui sont
en nous se produisent dans l’intellect il ne s’en suit pas que nous sommes pensants
mais que nous sommes pensйs. De plus si nous pensons formellement par l’intelligence,
il faut que la pensйe mкme de l’intelligence soit la pensйe de l’homme comme
c’est la mкme chaleur du feu et de qui chauffe. Si donc l’intellect est le mкme
en toi et moi numйriquement il s’en suit nйcessairement que par rapport au mкme
intelligible ma pensйe et la tienne soit la mкme, c’est-а-dire que nous pensons
en mкme temps mкme chose; ce qui est impossible; en effet de divers agents il
n’y a pas d’opйration une et mкme numйriquement. Il est donc impossible qu’il y
ait un seul pour tous. On en conclut donc que si l’intellect est incorruptible,
comme on l’a montrй (chapitre 84), les corps йtant dйtruits, il reste autant
d’intellects numйriquement qu’il y a d’hommes. Ce qu’on apporte de contraire est facilement rйfutable. La premiиre
raison apportйe est plus d’une fois dйficiente. D’abord nous voulons bien
admettre que tous les hommes pensent de mкme, j’entends par lа l’objet de leur
pensйe: or cet objet de l’intellect n’est pas l’image intelligible mais la quidditй
de la chose, c’est-а-dire ce qu’elle est. En effet toutes les connaissances
intellectuelles ne sont pas des espиces intellectuelles, mais elles portent sur
la nature des choses, comme aussi l’objet de la vue est la couleur (telle
qu’elle existe) et non l’image de la couleur qui est dans l’oeil. Donc bien
qu’il y ait plusieurs intellects de divers hommes, il n’y a cependant qu’une
chose pensйe chez tous, de mкme qu’il n’y a qu’une seule chose colorйe que
plusieurs observent. Ensuite parce qu’il n’est pas nйcessaire, si quelque chose est
individuel, qu’il soit pensй en puissance et non en acte, mais cela est vrai
seulement pour ces choses qui sont individualisйes par la matiиre; il faut en
effet que ce qui est pensй en acte soit immatйriel. C’est pourquoi les
substances immatйrielles bien qu’elles soient des individus existant en soi,
sont cependant pensйes en acte; d’oщ les images intelligibles aussi qui sont
immatйrielles, bien qu’elles soient autres numйriquement en moi et en toi, n’en
conservent pas moins leur intelligibilitй en acte. Mais l’intellect qui par
elles pense son objet fait retour sur lui- mкme pensant sa propre pensйe et
l’image par laquelle il pense. Ensuite qu’on y pense bien, mкme si l’on admet une seule
intelligence pour tous les hommes, on est devant la mкme difficultй. Car la
multitude des intellects demeure, puisqu’il y a plusieurs substances sйparйes
qui pensent; et ainsi il s’en suivrait, selon leur raison, que les choses pensйes
seraient numйriquement diverses et par consйquent individuelles et non pas
pensйes directement en acte. Il est donc clair que la raison invoquйe si elle
avait quelque nйcessitй enlиverait tout simplement la pluralitй des intelligences
et non seulement chez les hommes. Or une telle conclusion est fausse et donc
une telle raison ne conclut nullement. La deuxiиme raison se rйsout facilement si l’on considиre la
diffйrence entre l’вme intellectuelle et les substances sйparйes. En effet
l’вme intellective par sa nature spйcifique a d’кtre unie а un corps comme sa
forme. D’oщ dans sa dйfinition intervient le corps; et а cause de cela d’aprиs
leur relation а divers corps les вmes se diversifient numйriquement; ce qui
n’est pas le cas pour les substances sйparйes. De lа doit se rйsoudre la troisiиme raison. En effet l’вme
intellective de par sa nature spйcifique ne fait pas partie avec le corps, mais
lui est unie. D’oщ comme elle peut кtre unie а divers corps se
diversifie-t-elle numйriquement; ce qui aussi subsiste dans les вmes aprиs la
destruction des corps. Elles peuvent en effet s’unir а divers corps, bien que
non unies en acte. 1.
Traduction de l’expression: "Intentio intellecta" que saint
Thomas dйfinissait: "ce que l’intellect conзoit en lui-mкme de la chose
saisie". Laquelle n’est pas en nous la chose elle-mкme qu’on saisit,
ou la substance de l’intellect mais une ressemblance conзue par l’intellect de
la chose saisie et que les paroles extйrieures signifient d’oщ "l’intention
est appelйe le verbe intйrieur qui est signifiй par le verbe extйrieur ".
(Conttra Gentilles 4. 11: cf. Schultz: Thomas Lexikon, p. 422.) 2.
Comme sont diffйrents les nombres. CHAPITRE 86: L’INTELLECT AGENT N’EST PAS UNIQUE POUR TOUS
Il y en a qui tout en ne concйdant pas un intellect possible unique
pour tous les hommes admettent cependant un intellect agent unique pour tous. Cette
opinion quoi que plus admissible que la prйcйdente, peut cependant se rйfuter
par les mкmes arguments. En effet l’action de l’intellect possible est de recevoir
les espиces intelligibles et de les comprendre; or l’activitй de l’intellect
agent est d’effectuer les espиces intelligibles en les abstrayant. L’une et
l’autre chose conviennent а tel homme, soit Pla ton, soit Socrate; et il reзoit
ce qui est compris, il l’abs trait et il comprend cette abstraction. Il faut
donc que tant l’intellect possible que l’intellect agent deviennent la forme de
cet homme et que tous deux soient multipliйs numйriquement pour le nombre
d’hommes. De mкme. L’agent et le patient doivent se correspondre, comme la
matiиre et la forme, car la matiиre est actuйe par la forme; et de la vient que
pour toute puissance passive correspond une puissance active du mкme genre. En
effet l’acte et la puissance sont de mкme genre. L’intellect agent peut se
comparer а l’intellect possible comme puissance active, comme on l’a montrй (chapitre
83). Il faut donc que tous deux soient du mкme genre. Puis donc que l’intellect
possible dans son кtre n’est pas sйparй de nous, mais fait un avec nous comme
forme, et est multipliй selon la multitude des hommes, comme on l’a montrй (chapitre
85), il est aussi nйcessaire que l’intellect agent nous soit formellement uni
et qu’il le soi autant de fois qu’il y a d’hommes. CHAPITRE 87: L’INTELLECT POSSIBLE ET L’INTELLECT AGENT S’ENRACINENT
DANS L’ESSENCE DE L’ВME
Puisque l’intellect agent et l’intellect possible nous sont formellement
unis il faut dire qu’ils sont dans la seule et mкme essence de l’вme. En effet
tout ce qui est formellement uni а un autre lui est uni comme forme
substantielle ou comme forme accidentelle. Si c’est comme forme substantielle,
comme il ne peut y avoir qu’une forme substantielle d’une chose, il est
nйcessaire de dire que les intellects possible et agent sont une seule essence
formelle qui est l’вme. Si l’on supposait qu’ils sont unis а l’homme par mode
de forme accidentelle il devient manifeste qu’aucun des deux ne peut кtre
accident du corps; et de ce que leurs Opйrations se font sans organe corporel,
comme on l’a montrй (chapitre 74) il s’en suit que l’un et l’autre est accident
pour l’вme. Or il n’y a en tout homme qu’une вme. II faut donc que les
intellects agent et possible se rencontrent en la mкme essence de l’вme. De
mкme. Toute action qui est propre а une espиce vient des principes consйcutifs
а la forme qui donne l’espиce. Or penser est une opйration propre а l’espиce
humaine. II faut donc que les intellects agent et possible, qui sont les
principes de cette opйration (chapitres 79 et 83) soient consйcutifs а l’вme
humaine de laquelle l’homme tient son espиce. Mais ils ne lui sont pas
consйcutifs comme s’ils procйdaient de l’вme dans le corps parce que comme on
l’a vu (chapitre 79) cette opйration se fait sans organe corporel. Or ce а quoi
est la puissance, а cela aussi est l’action. Il reste donc que les deux
intellects s’enracinent dans l’essence mкme de l’вme. CHAPITRE 88: COMMENT CES DEUX PUISSANCES SE TROUVENT DANS UNE MКME
ESSENCE DE L’ВME
Il reste donc а considйrer comment cela peut se faire. Ici en effet
une difficultй se soulиve. L’intellect possible est en puissance а tous les
intelligibles. Or l’intellect agent fait que les choses intelligibles en
puissance soient intelligibles en acte et donc il faut qu’il soit а ces choses
comme l’acte а la puissance. Or il ne paraоt pas possible que le mкme soit en
acte et en puissance par rapport au mкme. Ainsi donc il semble impossible que
dans une mкme substance de l’вme se rencontrent intellect agent et intellect
possible. Mais on rйsout facilement cette difficultй si l’on considиre comment
l’intellect possible est en puissance par rap port aux choses intelligibles et
comment l’intellect agent Y les fait кtre en acte. En effet l’intellect
possible n’a pas naturellement de forme dйterminйe des choses sensibles il est
comme l’oeil qui est en puissance а toutes les cou leurs. Pour autant donc que
les phantasmes abstraits des choses sensibles sont des ressemblances de ces
choses, ils sont а l’intellect possible comme l’acte а la puissance mais ces
phantasmes sont en puissance а quelque chose que l’вme intellective a en acte,
c’est-а-dire l’кtre abstrait des conditions matйrielles. Et quant а cela l’вme
intellective est а elle-mкme comme l’acte а la puissance. Or il n’y a pas
d’inconvйnient que le mкme par rapport au mкme soit en acte et en puissance
selon la diffйrence des points de vue; c’est pour cela en effet que les corps
naturels agissent et pвtissent l’un sur l’autre parce que chacun des deux est
en puissance par rapport а l’autre. Ainsi donc il n’y a pas d’inconvйnient que
la mкme вme intellective soit en puissance а tous les intelligibles, selon
qu’on met en elle un intellect possible et qu’elle leur soit comparйe comme
acte, selon qu’on met en elle un intellect agent. Et cela apparaоtra plus
manifeste par la maniиre dont l’intellect fait les intelligibles en acte. En
effet l’intellect agent ne fait pas que les intelligibles soient en acte comme
s’ils s’йcoulaient de lui dans l’intellect possible. Alors en effet nous
n’aurions pas besoin de phantasmes ni de sens pour connaоtre; mais il les rend
intelligibles en acte par abstraction des phantasmes, comme la lumiиre fait en
quelque sorte que les couleurs soient actuйes, non comme si elle les avait
auprиs d’elle, mais en tant qu’elle leur donne en quelque sorte la visibilitй. Ainsi donc faut-il admettre l’existence d’une вme intellective qui
sans possйder en elle la nature des choses sensibles peut les recevoir par mode
intelligible et qui rend les phantasmes intelligibles en abstrayant de ceux-ci
les espиces intelligibles. D’oщ la puissance selon laquelle elle reзoit les
espиces intelligibles est appelйe intellect possible et la puissance selon
laquelle elle abstrait les mкmes espиces de leurs phantasmes est appelйe
intellect agent, qui est comme une lumiиre intelligible а laquelle l’вme intellective
participe en ressemblance des substances intellectuelles supйrieures[12]. CHAPITRE 89: TOUTES LES PUISSANCES ONT LEUR RACINE DANS L’ВME
Ce ne sont pas seulement les intellects agent et possible qui se
rencontrent en la mкme essence de l’вme, mais encore toutes les autres
puissances qui sont les principes de l’activitй de l’вme. Toutes ces Puissances
en effet sont comme enracinйes dans l’вme; certaines comme les puissances de la
partie vйgйtative et sensitive, sont dans l’вme comme en leur principe, dans le
composй comme en leur sujet parce que les opйrations sont du composй et pas
seulement de l’вme, car l’action appartient а la puissance Certaines puissances
sont dans l’вme, et comme leur principe et comme leur sujet, parce que leur
activitй vient de l’вme sans organe corporel et ce sont les opйrations de la
partie intellective Or il ne peut y avoir Plusieurs вmes dans l’homme. Donc
toutes les puissances de l’вme ressortissent а une mкme вme. CHAPITRE 90: UNE SEULE ВME EN UN SEUL CORPS
Qu’il soit impossible qu’il y aient plusieurs вmes en un seul corps
en Voici la preuve. Il est manifeste en effet que l’вme est la forme
substantielle de celui qui a une вme, en ce que par l’вme ce qui est animй
obtient genre et espиce. Or il est impossible qu’il y ait Plusieurs formes
substantielles dans le mкme кtre d’une chose. En effet la forme substantielle
diffиre de la forme accidentelle en ce que la forme substantielle fait ce
quelque chose simplement; et la forme accidentelle est adjointe а ce qui est
dйjа ce quelque chose: elle lui donne la qualitй, la quantitй ou toute autre
qualification. Si donc une seule et mкme chose a plusieurs formes
substantielles, la premiиre fait ou ne fait pas ce quelque chose: si elle ne le
fait pas, elle n’est pas la forme substantielle; si elle le fait, toutes les
autres formes adviennent а ce qui est dйjа ce quelque chose; aucune donc n’en
sera forme substantielle mais accidentelle. Si cela est, appliquant la chose а
l’вme il n’est pas possible qu’il y ait plusieurs вmes dans un seul et mкme
кtre. Encore. Il est clair que l’homme est vivant en tant qu’ayant une вme
vйgйtative; il est animal selon son вme sensitive; il est homme selon son вme
intellective. Si donc il y avait trois вmes en l’homme, c’est-а-dire
vйgйtative, sensitive et intellective il s’en suivrait que l’homme selon une
вme serait dans le genre et que selon une autre вme il serait de l’espиce. Or
cela est impossible; alors en effet il ne serait pas simplement par le genre et
l’espиce, mais un par accident, ou comme un assemblage, comme musicien blanc,
ce qui n’est pas кtre simplement. Il est donc nйcessaire qu’il n’y ait qu’une
seule вme en l’homme. CHAPITRE 91: LES RAISONS QUI SEMBLERAIENT
INDIQUER QU’IL Y AURAIT PLUSIEURS ВMES DANS L’HOMME
Certains motifs sembleraient s’opposer а cette sentence. 1° Parce que la diffйrence est au genre comme la forme а la matiиre.
Or l’animal est le genre chez l’homme, le rationnel est la diffйrence qui le
Constitue. Comme donc l’animal est un corps animй par une вme sensitive, il
semble que le corps ainsi animй soit encore en puissance а l’вme rationnelle;
et celle-ci serait donc autre que l’вme sensitive. 2° L’intelligence n’a pas d’organe corporel or les puissances
sensitives et nutritives en ont. Il semble donc impossible que la mкme вme soit
et intellective et sensitive; car elle ne peut pas en mкme temps кtre sйparйe
d’un organe et le possйder en mкme temps. 3° L’вme rationnelle est incorruptible, on l’a montrй plus haut (chapitre
84); or l’вme vйgйtative et l’вme sensitive sont corruptibles parce qu’elles
sont des actes d’organes corporels. Ce n’est donc pas la mкme вme vйgйtative,
et sensitive et rationnelle, puisqu’il est impossible qu’une mкme chose soit
corruptible et incorruptible. 4° Dans la gйnйration de l’homme apparaоt la vie qui vient de l’вme
vйgйtative avant que ce qui est conзu apparaisse кtre animal par les sens et le
mouvement et il se montre tel avant que d’кtre intellectif. Si donc c’est la
mкme вme par laquelle ce qui est conзu vit d’abord de la vie de la plante, ensuite
de la vie animale et enfin de la vie de l’homme, il s’en suivrait que la vie
vйgйtative, sensitive et rationnelle vient d’un principe extйrieur ou que la
vie intellective vient d’une vertu qui se trouve dans la semence; or ni l’un ni
l’autre ne semble se justifier; car comme les actions de l’вme vйgйtative et de
l’вme sensitive ne sont pas sans le corps leurs principes non plus sont pas
sans le corps; or l’opйration de l’вme intellective se fait sans le corps; et
ainsi il paraоt impossible que sa cause se trouve dans une aptitude du corps. Il
semble donc impossible que la mкme вme soit vйgйtative, sensitive et
rationnelle. CHAPITRE 92: SOLUTION DE CES DIFFICULTИS
Donc pour lever ces doutes il faut considйrer que comme dans les
nombres leur espиce est diffйrente selon qu’on y ajoute quelque chose, ainsi
dans les choses matйrielles une espиce excиde l’autre en perfection. En effet
tout ce qui est perfection dans le monde inanimй, les plantes l’ont et quelque
chose en plus et de nouveau, ce que les plantes ont, les animaux l’ont et
quelque chose de plus; et ainsi on en vient а l’homme qui est la plus par faite
des crйatures corporelles. Or tout ce qui est imparfait est comme la matiиre
par rapport в ce qui est plus parfait. Et cela est manifeste en diverses choses. Car les йlйments sont la
matiиre de corps aux parties semblables; et de nouveau ces corps aux parties
semblables sont matiиre par rapport aux animaux. Cela on peut aussi le
considйrer dans une et mкme chose. Dans les choses naturelles en effet ce qui
atteint un plus haut degrй de perfection possиde par sa forme toute la
perfection qui convient а la nature infйrieure, et par la mкme forme il possиde
de quoi la perfectionner, telle la plante qui par son вme est une substance
corporelle et de plus un corps animй. L’animal possиde tout cela par son вme et
de plus il sent; et l’homme en plus de tout cela de par son вme est intelligent. Si donc on considиre dans une chose ce qui appartient а la
perfection d’un grade infйrieur ce sera comme la matiиre par rapport а ce qui
appartient а la perfection d’un degrй supйrieur, par exemple dans l’animal qui
possиde la vie de la plante, laquelle est en quelque sorte la matiиre par
rapport а ce qui appartient а la vie sensitive propre а l’animal. Mais le genre
n’est pas matiиre, car il ne serait pas attribut du tout, mais il est quelque
chose pris hors de la matiиre; la dйnomination en effet d’une chose а partir de
ce qui est matйriel en elle est son genre, et de la mкme maniиre ce qui fait la
diffйrence vient de la forme Et а cause de cela le corps vivant ou anime est le
genre animal, ce qui est sensible en constitue la diffйrence; et semblablement
ce qui est animal est le genre de l’homme et ce qui est rationnel en constitue
la diffйrence Puis donc que la forme d’un degrй supйrieur a en elle toutes les
perfections du degrй infйrieur ce n’est pas une autre forme en rйalitй d’ou
vient le genre et d’ou vient la diffйrence. Ainsi, bien que l’animalitй soit le
genre pour l’homme et le rationnel sa diffйrence constitutive, il est clair
cependant qu’il ne faut pas en l’homme une вme sensitive et une autre intellective
comme le prйtendait la premiиre objection. Pour les mкmes raisons est rйsolue la seconde difficultй. En effet
on a dit que la forme d’une espиce supйrieure comprend en elle toutes les
perfections des degrйs infйrieurs. Or il faut noter que plus l’espиce
matйrielle est йlevйe d’autant moins est-elle soumise а la matiиre et ainsi il
faut que, plus noble est une forme, plus йlevйe est-elle au- dessus de la matiиre.
Donc l’вme humaine qui est la plus noble des formes matйrielles atteint au plus
haut degrй d’йlйvation: c’est-а-dire que son activitй ne communique pas avec la
matiиre corporelle; cependant comme cette вme comprend aussi des perfections
d’un degrй infйrieur elle a nйanmoins des opйrations oщ communique la matiиre
corporelle. Il est manifeste que l’activitй d’une chose en procиde selon sa
possibilitй. Il faut donc que l’вme humaine ait des ressources ou des
puissances qui soient des principes d’opйrations exercйes par le corps et qui
doivent кtre les actes de certaines parties du corps, telles les puissances
vйgйtatives et sensitives. Elle a aussi des puissances qui sont les principes
d’opйrations exercйes sans le corps telles les puissances de la partie intellective
qui ne sont pas des actes organiques. Et par consйquent tant l’intellect
possible que l’intellect agent sont dits sйparйs parce qu’ils n’ont pas
d’organes dont sont des actes, comme la vue et l’ouпe, mais ils sont uniquement
dans l’вme qui est la forme du corps. De ce que l’intellect est dit sйparй et
n’a pas d’organe corporel, contrairement aux sens, il ne faut pas conclure
qu’autre est chez l’homme l’вme intellective et autre la sensitive. D’oщ il est
clair aussi qu’il n’y a pas chez l’homme deux вmes, l’une intellective, l’autre
sensitive, de ce que, comme le prйtendait la troisiиme objection, l’une est
incorruptible l’autre corruptible. En effet l’incorruptibilitй est propre а la
partie intellective en tant que sйparйe. De mкme donc que dans une mкme essence
de l’вme s’enracinent des puissances sйparйes, comme on l’a vu (chapitre 89) et
d’autres non sйparйes, ainsi rien n’empкche que des puissances de l’вme
disparaissent avec le corps et que d’autres soient incorruptibles. Selon ces mкmes principes on a la rйponse а la quatriиme difficultй.
Car tout mouvement naturel procиde insensiblement de l’imparfait au parfait;
cependant il en est autrement pour l’altйration et la gйnйration. Car une mкme
qualitй est susceptible de plus ou de moins; et donc l’altйration qui est
mouvement dans la qualitй, demeurant semblable а elle-mкme de la puissance а
l’acte, procиde de l’imparfait au parfait. Mais la forme substantielle n’est
pas susceptible de plus ou de moins; car tout кtre substantiel se tient dans
l’indivisibilitй. D’oщ la gйnйration naturelle ne procиde pas de faзon continue
et par nombre de degrйs de l’imparfait au parfait; mais pour chaque degrй
nouveau de perfection une gйnйration et une corruption nouvelles sont
nйcessaires. Ainsi donc dans la gйnйration de l’homme ce qui est conзu vit
d’abord de la vie vйgйtative; ensuite cette premiиre forme йtant йliminйe par
corruption il acquiert par une autre gйnйration une вme sensible pour vivre
d’une vie animale; enfin l’вme sensible йliminйe par corruption une derniиre
forme inter vient qui est complиte, c’est-а-dire l’вme rationnelle comprenant
en elle toutes les perfections des formes prйcйdentes[13]. CHAPITRE 93: L’ВME RATIONNELLE N’EST PAS PRODUITE PAR TRANSMISSION
NATURELLE
Cette derniиre forme complиte c’est-а-dire l’вme relationnelle
n’arrive pas а l’existence par un pouvoir qui se trouverait dans la semence
mais par un agent supйrieur. Le pouvoir de la semence est celui d’un corps. Or
l’вme rationnelle excиde le pouvoir d’une nature corporelle puisque pour son
activitй intellectuelle aucun corps n’y peut atteindre. Comme donc rien n’agit
au-delа de son espиce parce que l’agent est plus noble que le patient et celui
qui fait, plus que ce qui est fait, aucun pouvoir corporel ne pourra produire
une вme rationnelle; pas davantage non plus le pouvoir qui est dans la semence. De plus, selon que toute chose acquiert un nouvel кtre, ainsi lui
arrive-t-il un nouveau devenir; car l’кtre est la raison du devenir; en effet
quelque chose devient en vue d’exister. Aux choses donc qui par elles-mкmes ont
l’existence le devenir leur est propre, comme c’est le cas pour les choses
subsistantes. A celles qui par elles-mкmes n’ont pas l’кtre il ne leur
appartient pas de devenir de par elles- mкmes, comme les accidents et les
formes matйrielles. Or l’вme rationnelle possиde l’кtre par elle-mкme en ce
sens que son opйration lui est propre, comme on l’a dit (chapitre 84). Donc il
appartient а l’вme rationnelle de devenir par elle-mкme. Or comme elle n’est
pas composйe de matiиre et de forme il s’ensuit qu’elle ne peut кtre amenйe а
l’existence que par crйation; Dieu seul peut crйer; donc Dieu seul crйe l’вme
rationnelle en son кtre. Nous constatons cela aussi par analogie. Nous voyons en effet dans
les mйtiers une sorte de hiйrarchie: c’est le dernier artisan qui produit la
forme ultime, les artisans infйrieurs prйparant la matiиre en vue de la derniиre
forme. Or il est manifeste que l’вme humaine est la forint la plus parfaite et
ultime que peut atteindre la matiиre de ce qui est engendrй ou qui se corrompt.
Il est donc convenable que les agents naturels infйrieurs prйparent ce qui
dispose а recevoir la derniиre forme. L’agent suprкme, c’est-а-dire Dieu est la
cause de la derniиre forme qui est l’вme rationnelle. CHAPITRE 94: L’ВME RATIONNELLE N’EST PAS DE SUBSTANCE DIVINE
Cependant il ne faut pas croire que l’вme rationnelle soit de
substance divine, comme certains l’ont prйtendu erronйment. On a montrй en
effet (chapitre 9) que Dieu est simple et indivisible. Il n’unit donc pas l’вme
au corps comme s’il la dйtachait de sa substance а lui. De mкme, on l’a vu plus haut (chapitre 17), il est impossible pour
Dieu d’кtre la forme d’un corps. Or l’вme rationnelle est unie au corps en tant
que sa forme. Elle n’est donc pas de la substance de Dieu. Et encore, on a montrй plus haut (chapitre 4) que Dieu ne se meut ni
par lui-mкme ni par accident; c’est ce qui se passe dans l’вme rationnelle;
elle passe en effet de l’ignorance а la connaissance et du vice а la vertu. Elle
n’est donc pas de la substance de Dieu. C — Les crйatures et leur relation а Dieu (chapitre 95 а
147)
1° En gйnйral (chapitre 95 а 104)CHAPITRE 95: DIEU EST L’AUTEUR IMMЙDIAT DE CES CHOSES QUI SONT DITES
EXISTER PAR UN POUVOIR EXTERNE
De ce qui a йtй dit au chapitre prйcйdent,
on en conclut nйcessairement que ces choses qui ne peuvent arriver а l’existence sinon que par crйation, viennent directement de Dieu.
Les corps cйlestes ne peuvent кtre produits que par crйation, c’est йvident. En
effet on ne peut pas dire qu’ils sont faits d’une matiиre prйexistante; car
alors ils seraient soumis au devenir et а la disparition et а leur contraire,
ce qui ne leur convient pas comme leur mouvement le fait apparaоtre: ils se
meuvent en circuit; or le mouvement circulaire n’a pas de contraire. II reste
donc que les corps cйlestes ont йtй produits en leur кtre immйdiatement par
Dieu. De mкme aussi les premiers йlйments en leur entiиretй ne viennent
pas d’une matiиre prйexistante; car ce qui prйexisterait aurait une forme; et
ainsi il faudrait qu’un corps autre que les йlйments prйcиde ceux-ci dans
l’ordre de la cause matйrielle. Si cependant la matiиre prйexistant aux
йlйments avait une autre forme, il faudrait que l’un d’eux soit avant les
autres dans le mкme ordre, а supposer que la matiиre ait une autre forme que la
forme de l’йlйment qui doit suivre. Il faut donc qu’aussi les йlйments
eux-mкmes soient immйdiatement produits par Dieu. Il est donc encore beaucoup plus impossible que les substances
incorporelles et invisibles soient crййes par quelqu’un d’autre; en effet ces
substances sont toutes immatйrielles. En effet il n’existe pas de matiиre sans
dimension, laquelle fait la distinction de la matiиre; elles ne sont pas
multiples selon la matiиre. Il est donc impossible qu’une matiиre prйexistante
en soit leur cause. Il reste donc que par crйation seulement Dieu leur a donnй
l’existence. Et c’est pour cela que la foi catholique con fesse que Dieu est"le
crйateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles ", et aussi"des
invisibles ". CHAPITRE 96: N’AGIT PAS PAR NИCESSITЙ NATURELLE MAIS VOLONTAIREMENT
De lа on montre aussi que Dieu n’a pas produit les choses dans leur
кtre par nйcessitй naturelle mais par volontй. En effet tout agent naturel ne
peut produire dans l’immйdiat qu’une seule chose; mais un agent volontaire peut
en produire plusieurs; la raison en est que tout agent agit en vertu de sa
forme. Or une forme naturelle par quoi quelque chose agit naturellement est
uniforme en son action; les formes intellectives par lesquelles on agit
volontairement ont plus d’un effet. Puis donc que Dieu produit plusieurs choses
immйdiatement dans leur кtre, il est йvident qu’Il les produit dans leur кtre
par sa volontй et non par nйcessitй naturelle. Encore: celui qui agit par intelligence et volontй vient avant celui
qui agit pas nйcessitй naturelle dans l’ordre des agents; car il s’est proposй
une fin pour laquelle il agit; mais l’agent naturel agit en vertu d’une fin qui
lui est fournie par un autre. Or il est йvident par ce qu’on a dit (chapitre 3)
que Dieu est le premier moteur. Il agit donc par sa volontй et non par
nйcessitй de nature. De mкme: on a montrй plus haut (chapitre 19) que Dieu possиde un
Pouvoir infini. Il n’est donc pas dйterminй а tel effet plutфt qu’а un autre,
mais est indiffйrent а tout effet quelconque. Or il peut y кtre dйcide par un
dйsir ou une dйtermination de sa volontй, comme quelqu’un qui peut aller se
promener ou non selon qu’il le veut. II faut donc que les oeuvres divines
procиdent selon une dйtermination de la volontй de Dieu et non par nйcessitй
naturelle. D’oщ la foi catholique dit que Dieu est tout-puissant, non seulement
crйateur mais aussi "facteur". Car faire est le propre de l’artisan
qui opиre par sa volontй. Et parce que l’agent volontaire agit selon la
conception de son intelligence qui est dite son "verbe", comme on l’a
montrй plus haut (chapitre 38) et que le Verbe de Dieu est son Fils, la foi
catholique confesse donc au sujet du Fils que "par lui tout a йtй fait
". CHAPITRE 97: DANS SON ACTION EST IMMUABLE
De ce que Dieu par sa volontй produit l’кtre des choses, il est
manifeste qu’il peut produire sans changement en lui-mкme de nouvelles choses
dans leur кtre. Telle est en effet la diffйrence entre un agent naturel et un
agent volontaire que l’agent naturel agit toujours de la mкme maniиre aussi
longtemps qu’il est tel parce qu’йtant tel, ainsi il agit; tandis que l’agent
volontaire fait ce qu’il veut. Il peut lui arriver, sans qu’il change, de
vouloir agir maintenant et qu’avant il ne le voulait pas. Rien n’empк che en
effet que quelqu’un veuille faire quelque chose plus tard, mкme quand il ne le
fait pas, sans pour cela qu’il y ait changement chez lui. Ainsi sans changement
pour Dieu il peut arriver que Dieu, bien qu’йternel, ait produit l’кtre des
choses non de toute йternitй. CHAPITRE 98: MOTIF EN FAVEUR D’UN MOUVEMENT ЙTERNEL ET LA SOLUTION
Il semble que si Dieu de volontй йternelle et immuable pouvait
produire une nouvelle oeuvre celle-ci devrait кtre prйcйdйe de quelque
mouvement. Nous ne voyons pas en effet que la volontй remette а plus tard ce
qu’elle veut faire si ce n’est а cause de quelque chose qui est mainte nant et
cessera par la suite, ou qui n’est pas encore et qu’on attend dans le futur,
comme celui qui projette en йtй de se vкtir en hiver d’un vкtement qu’il ne
mettra qu’en hiver parce que maintenant il fait suffisamment chaud. Si donc
Dieu a voulu de toute йternitй produire un effet, mais que de toute йternitй il
n’a pas produit, il semble que ou bien quelque chose йtait attendu qui n’йtait
pas encore, ou bien une autre chose devait disparaоtre qui existait alors. Or
ni l’un ni l’autre ne peut se faire sans mouvement. Il semble donc qu’avec une
volontй prйcйdente on ne puisse produire dans l’avenir sans quelque mouvement
qui prйcиde. Et ainsi si la volontй de Dieu fut йternelle de produire les
choses, et les choses ne sont pas йternellement, il faut qu’un mouvement
prйcиde leur production et par consйquent elles sont mobiles. Si elles sont
produites par Dieu mais non йternelles, de nouveau d’autres mouvements et des
choses mobiles devront prйexister indйfiniment. La rйponse а cette objection
est aisйe si l’on veut bien faire la distinction entre un agent universel et un
agent particulier. Car l’agent particulier rиgle et mesure son action selon les
directives de l’agent universel, comme c’est le cas dans les affaires civiles.
Car la loi que propose le lйgislateur est comme la rиgle et la mesure que le
juge particulier devra appliquer. Or le temps est la mesure des actions qui se
font dans son йcoulement. En effet l’agent particulier exerce une activitй
proportionnйe au temps c’est-а-dire que c’est maintenant et non pas avant qu’il
agit pour une raison dйterminйe. Quant а l’agent universel qu’est Dieu il est
l’auteur de cette mesure qu’est le temps et il l’a voulu ainsi. Le temps est
donc aussi une crйature de Dieu. Etant donnй la quantitй et la mesure que Dieu
a voulu attribuer а chaque chose ainsi en sera-t-il de la quantitй de temps que
Dieu aura voulu lui accorder; c’est-а-dire que le temps et ce qui y est indu
commenceront quand Dieu l’aura voulu. L’objection prйsuppose le temps chez un
agent qui agit dans le temps mais qui n’en est pas l’auteur. Quand donc on
interroge Pourquoi la volontй йternelle produit tel effet maintenant et non pas
avant on prйjuge d’un temps prйexistant, car le maintenant et l’avant sont des
parties du temps. Au sujet donc de la production universelle des choses parmi
lesquelles le temps vient en considйration il ne faut pas chercher le pourquoi
du maintenant et du plus tфt, mais pourquoi Dieu a voulu йtablir la mesure du
temps; or comme telle est sa volontй il lui est indiffйrent d’assigner telle ou
telle autre quantitй au temps. Ce qui peut aussi trиs bien s’appliquer а la
quantitй mesurable du monde. On ne doit donc pas demander pourquoi Dieu a
йtabli le monde des corps en telle position, que ce soit au-dessus ou en-bas ou
toute autre position; car hors du monde il n’y a pas de lieu, mais c’est de la
volontй de Dieu que provient la grandeur du monde des corps de sorte que rien
ne soit en dchors de tel endroit, quelque diffйrente que soit sa position. Bien qu’avant le monde le temps n’ait pas existй, ni hors du monde
le lieu, nous usons cependant d’une telle maniиre de parler, comme de dire
avant que le monde fыt rien n’existait sinon Dieu, ou que hors du monde il n’y
a pas de corps, nous n’entendons pas par avant et aprиs, le temps ou le lieu si
ce n’est seulement par l’imagination. CHAPITRE 99: LA MATIИRE AURAIT-ELLE EXISTЙ ETERNELLEMENT AVANT LA
CRЙATION DU MONDE?
Bien que la production des choses accomplie par Dieu ne soit pas
depuis l’йternitй il semble nйcessaire que la matiиre soit йternelle. En effet
tout ce qui a l’кtre aprиs le non-кtre change du non-кtre а l’кtre. Si donc les
choses crййes, comme le ciel et la terre et le reste, ne furent pas depuis
l’йternitй, mais commencиrent d’кtre aprиs n’avoir pas йtй il est nйcessaire
d’admettre qu’elles furent changйes du non-кtre а l’кtre. Or tout changement ou
mouvement se trouve en un sujet: le mouvement en effet est l’acte de ce qui est
en puissance; or le sujet du changement par quoi une chose vient а кtre, n’est
pas la chose elle-mкme produite, terme du mouvement; et le terme du mouvement
n’est pas le mкme que le sujet; mais le sujet du dit changement est ce par quoi
la chose est produite et qui s’appelle matiиre. Il semble donc, si les choses
furent produites aprиs n’avoir pas йtй, que la matiиre les a prйcйdйes;
laquelle si elle est de nouveau produite aprиs n’avoir pas йtй, il faut une
autre matiиre prйcйdente mais on ne peut pas remonter ainsi indйfiniment II
reste donc qu’il faille en venir а une matiиre йternelle qui n’a pas йtй
produite aprиs n’avoir pas йtй. De mкme. Si le monde a commencй aprиs n’avoir pas йtй, avant qu’il
ne fыt, ou bien il йtait possible qu’il soit ou devienne ou bien ce n’йtait pas
possible. Or si ce n’йtait pas possible qu’il soit ou devienne cela veut dire йquivalemment
qu’il йtait impossible que le monde soit ou devienne. Or ce qui ne peut кtre
nйcessairement ne peut devenir. Il s’en suit donc nйcessairement que le monde
n’a pas йtй fait. Comme ceci est йvidemment faux, il faut dire que si le monde
a commencй aprиs n’avoir pas йtй, qu’il йtait possible, avant qu’il ne fыt,
d’exister ou de devenir. Il y avait donc quelque chose en puissance au devenir
et а l’existence du monde. Or ce qui est ainsi en puissance est la matiиre,
comme le bois par rapport au banc. Ainsi donc il est nйcessaire que la matiиre
ait toujours йtй, mкme si le monde n’a pas toujours йtй. Mais puisqu’on a montrй plus haut (chapitre 69) que la matiиre est
aussi crййe par Dieu, pour la mкme raison la foi catholique ne confesse pas que
la matiиre est йternelle, comme aussi le monde. Il faut en effet exprimer la
causalitй divine de cette maniиre que les choses commencиrent d’кtre produites
par Dieu aprиs n’avoir pas йtй. Cela en effet montre а l’йvidence et
manifestement qu’elles n’ont pas йtй d’elles-mкmes mais par l’auteur йternel.
Et nous ne sommes pas contraints par les raisons qu’on vient d’apporter d’admettre
l’йternitй de la matiиre; c effet la production universelle des choses n’est
pas а proprement parler un changement. En nul changement en effet le sujet du
changement n’est le produit du changement parce que le sujet du changement
n’est pas le mкme que le terme, comme on l’a dit plus haut. Puis donc qu la
production universelle des choses par Dieu, et s’appelle crйation, s’йtend а
tout ce qui existe, en une telle production ne peut proprement pas кtre
changement, mкme si les choses crййes sont proc aprиs n’avoir pas йtй. Кtre en
effet aprиs n’avoir pas n’est pas la raison suffisante du changement, а moins
supposer que le sujet se trouve actuellement sous privation et maintenant sous
une forme; d’oщ en certaines choses on retrouve ceci aprиs cela, bien que
proprement la notion de changement ne s’y trouve pas, comme quand on dit que la
nuit succиde au jour. Ainsi donc quoique le monde ait commencй aprиs n’avoir
pas йtй il n’a pas fallu que cela se fit par une mutation, mais par crйation,
qui en vйritй n’est pas une mutation, mais une relation de la chose crййe,
dйpendant de son crйateur pour son кtre et par rapport а son non-кtre
prйcйdent. En effet en tout changement il y a nйcessairement quelque chose
d’identique se comportant tantфt ainsi tantфt autrement, en tant que maintenant
il est sous un extrкme et ensuite sous un autre; ce qui n’a pas lieu en rйalitй
dans la crйation, mais selon notre imagination, d’aprиs que nous imaginons une
et mкme chose n’avoir pas d’abord йtй et par aprиs кtre. Et ainsi selon une
certaine ressemblance la crйation peut кtre dite un changement. De mкme aussi la seconde objection ne tient pas. En effet bien qu’on
puisse dire qu’avant que le monde fыt, il йtait possible qu’il soit ou
devienne, ce ne doit pas кtre entendu d’une quelconque possibilitй. En effet
est dit possible dans le discours ce qui signifie un mode de la vйritй comme
quelque chose qui n’est ni nйcessaire ni impossible; d’oщ un tel possible n’est
pas entendu d’une quelconque possibilitй, comme l’enseigne le philosophe au Livre
des Mйtaphysiques (Liv. 4, chapitre 12). Quand on parle donc de possibilitй
pour l’кtre du monde on ne doit pas entendre nйcessairement une possibilitй
passive, mais active, sorte que quand on dit que le monde йtait possible avant
qu’il ne soit, on entend par lа que Dieu peut produire l’кtre du monde avant
mкme de le produire; d’oщ rien ne nous force а admettre que la matiиre ait
prйexistй au monde. Ainsi donc la foi catholique affirme que rien n’est
coйternel а Dieu et pour cela elle confesse qu’il est "le crйateur et
l’auteur de toutes les choses visibles invisibles". CHAPITRE 100: DIEU FAIT TOUTES CHOSES POUR UNE FIN
Puisqu’on a montrй (chapitre 96) que Dieu produit l’кtre des choses
non par nйcessitй de nature mais avec intelligence et volontй et qu’un tel
agent agit pour une fin — car l’opйration intelligente a comme principe d’agir
pour un fin — il faut donc que tout ce que Dieu fait soit fait pour une fin. De
plus, la production des choses par Dieu est la meilleure qui soit; en effet
c’est le propre du plus parfait de faire chaque chose au plus parfait. Or c’est
mieux de faire quelque chose pour une fin que sans intention de la fin; car
c’est de la fin que provient la bontй des choses qui sont faites. Les choses
sont donc faites par Dieu en vue d’une fin. On en trouve aussi une preuve dans les choses que la nature produit
dans lesquelles rien n’est inutile mais chacune ayant sa raison d’кtre. Or il
ne convient pas qu’on dise que ce que fait la nature est mieux ordonnй que
l’institution mкme de cette nature par le premier agent, puis que tout l’ordre
de la nature dйrive de lui. Il est donc йvident que les choses sont produites
par Dieu en vue d’une fin. CHAPITRE 101: LA BONTЙ DIVINE EST LA FIN DERNIИIЊ DE TOUTES LES CHOSES
Or il faut que la fin derniиre de toutes les choses soit la bontй
divine. En effet des choses qu’un agent fait volontairement leur derniиre fin
est ce que l’agent veut d’abord et en soi, et c’est pour cela que l’agent fait
ce qu’il fait. Or la premiиre chose que veut la divine volontй c’est sa bontй,
comme il est clair par ce qu’on a dit plus haut (chapitre 32). Il est donc
nйcessaire que de toutes les choses faites par Dieu la fin derniиre soit la
bontй divine. De mкme. La fin de la gйnйration de toute chose engendrйe est sa forme,
laquelle une fois obtenue, la gйnйration cesse. En effet tout ce qui est
engendrй soit artificiellement, soit naturellement ressemble en maniиre а son
auteur, car tout agent produit en une certaine mesure quelque chose qui lui
ressemble. En effet la maison matйrielle provient du modиle qui est dans
l’esprit de l’artisan. Dans les choses de la nature йgalement u homme engendre
un homme; et si quelque chose est fait ou engendrй selon la nature qui ne soit
pas semblable в son auteur quant а l’espиce il ressemble cependant а auteurs
comme l’imparfait au parfait. En effet il arrive que ce qui est engendrй ne
ressemble pas а ce qui engendre parce qu’il ne peut parvenir а sa ressemblance
par faite, il y participe cependant imparfaitement, comme certains animaux ou
plantes sous l’action du soleil. La fin de la gйnйration ou de la perfection de
toutes les choses qu se font est la forme de leur auteur ou de leur gйniteur c’est-а-dire
qu’elles puissent parvenir а sa ressemblance. Or la forme du premier agent,
c’est-а-dire Dieu, n’est autre que sa bontй. A cause de cela donc toutes les
choses ont йtй faites pour кtre assimilйes а la divine bontй. CHAPITRE 102: LA DIVINE RESSEMBLANCE EST CAUSE DE LA DIVERSITЙ DES
CHOSES
De lа vient la diversitй et la distinction dans les choses. Car il
йtait impossible que la divine bontй soit parfaitement reprйsentйe dans la
crйature infiniment distante de Dieu. Il йtait donc nйcessaire qu’elle soit
reprйsentйe en beaucoup de choses afin que ce qui manque а l’une soit supplйй
par l’autre. Car dans les argumentations, quand par un terme moyen on ne peut
arriver а conclure, il faut multiplier les termes pour pouvoir conclure, comme
c’est le cas dans le syllogisme dialectique. Ni cependant toute l’universalitй
des choses ne parvient pas а йgaler la divine bontй parfaitement mais selon une
perfection relative. De mкme, ce qui se trouve simplement et de maniиre unique dans la
cause universelle se retrouve dans ses effets d’une maniиre multiple et
distincte; car une c se trouve plus noblement dans la cause que dans se effets.
L’unique et simple bontй divine est le principe et h source de tout le bien qui
se trouve dans les Donc il est nйcessaire que les crйatures soient assimilйes а
la bontй divine comme les choses multiples et indistincte le sont а l’unique et
au simple. Ainsi donc la multiplicitй et la distinction ne vient pas du hasard
et fortuitement dans les choses comme aussi ne l’est leur production par le
hasard et fortuitement mais en vertu d’une fin. Du mкme principe vient en effet
l’кtre et l’unitй et la multipicitй dans les choses. Et en effet la distinction
des choses n’a pas sa cause dans la matiиre; car leur premiиre formation s’est
produite par crйation laquelle ne requiert pas la matiиre. De mкme ce qui
provient de la seule matiiиre, se produit au hasard. De mкme ni la multiplicitй dans les choses n’est produite par
succession d’agents intermйdiaires, par exemple qu’а partir d’un кtre premier
simple ne peut procйder immйdiatement qu’un seul кtre, distant cependant en simplicitй
de sorte que de lui puisse dйsormais procйder la multitude et ainsi de suite,
et plus on s’йloigne du premier qui est simple plus grande est la multiplicitй,
comme certains l’ont avancй. En effet on a dйjа montrй (chapitre 95) que le
multiple peut, seulement par crйation, venir а l’existence; ce qui appartient
uniquement а Dieu, comme on l’a vu (chapitre 70). D’oщ il ressort que c’est
Dieu lui-mкme qui peut directement crйer le multiple. Selon leur position, il est йvident que la multitude des choses et
leur distinction seraient l’oeuvre du hasard, n’йtant pas voulues par leur
premier auteur. Car cette multiplicitй et cette distinction ont йtй conзues par
l’intellect divin et rйalisйes dans les choses dans le but de reprйsenter diversement
la bontй divine; par leur crйation et par leur diversitй elles y participent
selon divers degrйs. Et ainsi de l’ordonnance mкme des diffйrentes choses il en
rйsulte une beautй des choses qui met en valeur la Sagesse divine. CHAPITRE 103: EN PLUS DE LA CAUSALITЙ DES CHOSES,
LA BONTЙ DIVINE EST LA CAUSE DE LEUR MOUVEMENT ET DE LEUR ACTIVITЙ
Non seulement la fin de la formation des choses est la bontй de
Dieu, mais celle-ci est aussi le but de toute activitй et mouvement de toutes
les crйatures. En effet tout ce qui est, agit selon la nature, comme ce qui est
chaud produit de la chaleur. Or toute chose crййe selon sa forme participe а
une certaine ressemblance de la bontй de Dieu comme on l’a montrй (chapitre 101).
Donc toute action ou mouvement de n’importe quelle crйature est ordonnй au bien
divin comme en vue d’une fin. En outre, tout mouvement ou activitй de n’importe qu’elle chose tend
vers quelque chose de parfait. Or qui est parfait a raison de bien, car la
perfection de la chose est ce qui fait sa bontй. Donc tout mouvement ou action
d’une chose tend vers le bien. Or tout bien est une ressemblance du bien suprкme
tout comme l’кtre est similitude de l’кtre premier. Donc le mouvement ou l’activitй
de n’importe quelle chose est ordonnй а la bontй comme а sa fin. En outre, s’il y a beaucoup d’agents ordonnйs entre eux, il est
nйcessaire que les actions et mouvements de tous le agents soient ordonnйs au
bien du premier agent comme vers leur fin derniиre. Comme en effet un agent
supйrieur qui met en mouvement les agents infйrieurs et que tout moteur meut
vers sa propre fin, il faut que les actions et les mouvements des agents
infйrieurs tendent а la fin du premier agent, comme dans une armйe les actions
de tous ont comme dernier but la victoire qui est la fin par le chef. Or, on a
montrй plus haut (chapitre 3) que le premier moteur et auteur est Dieu; et sa
fin n’est autre que sa bontй, comme on l’a montrй (chapitres 32 et 101). Il est
donc nйcessaire que toutes les actions et mouvements de n’importe qu’elle
crйature se fassent en vue de la bontй divine, non pour la causer ou pour
l’augmenter, mais pour l’acquйrir selon leur maniиre comme une Participation а
sa ressemblance. Diversement les choses crййes par leur activitй obtiennent-elles la
ressemblance divine, comme diversement aussi selon leur кtre elles la
reprйsentent; en effet chaque chose opиre selon ce qu’elle est. Parce que donc
il est commun а toutes les crйatures de reprйsenter la bontй divine en tant
qu’elles existent ainsi est-il commun а toutes d’arriver par leurs opйrations а
la divine ressemblance tant pour la conservation de leur кtre que pour le
communiquer а d’autres. En effet toute crйature dans son activitй s’efforce
d’abord de conserver son кtre aussi parfaitement que possible; en cela elle
tend а sa maniиre de ressembler а la perpйtuitй divine; ensuite par son
opйration chaque crйature s’efforce selon son mode de communiquer а une autre
son кtre parfait selon sa maniиre et en cela elle tend а ressembler а la
causalitй divine. Quant а la crйature rationnelle, elle tend par son opйration а la
ressemblance divine d’une faзon singuliиre au-dessus des autres crйatures, de
mкme qu’au-dessus d’elles elle jouit d’une plus noble existence. En effet
l’кtre des autres crйatures йtant restreint par la matiиre, il est fini de
sorte qu’il ne possиde l’infini ni en acte ni en puissance. Toute nature
rationnelle au contraire possиde cet infini soit en acte soit en puissance
selon que l’intellect contient en soi les choses intelligibles. Chez nous donc
la nature intelligible considйrйe dans son кtre premier est en puissance а ses
intelligibles qui йtant infinis possиdent l’infini au moins en puissance. D’oщ
l’intelligence est reprйsention d’images qui n’est pas dйterminйe а une seule image
comme la pierre mais elle est capable de reprйsenter toutes les images des
choses. Mais la nature intellectuelle en Dieu est infinie en acte en tant
qu’elle possиde dans la perfection de tout l’кtre, comme on l’a montrй haut (chapitre
21). Mais les autres crйatures intellectuelles tiennent le milieu entre la
puissance et l’acte La nature intellectuelle tend donc par son opйration vers
la ressemblance divine non seulement en ce qu’elle conserve son кtre ou qu’elle
la multiplie а sa maniиre en le communiquant mais pour possйder en acte ce que
par sa elle a en puissance. La fin donc de la crйature intellectuelle, qu’elle
obtient par son opйration propre, est de faire que son intelligence rйalise
totalement en acte tous les intelligibles qu’elle a en puissance; c’est ainsi
en effet qu’elle se rendra la plus semblable а Dieu. CHAPITRE 104: IL Y A DANS LES CHOSES UNE DOUBLE
PUISSANCE A LAQUELLE CORRESPOND UN DOUBLE INTELLECT ET DE LA FIN DE LA CRЙATURE
INTELLECTUELLE
Quelque chose est en puissance de deux maniиres d’une part
naturellement c’est-а-dire par rapport aux choses qu’un agent naturel peut
rйduire en acte; d’autre part quant aux choses qui ne peuvent pas кtre rйduites
en acte par un agent naturel mais par un autre; ce qui apparaоt dans les choses
naturelles. En effet qu’un enfant devienne un homme ou que d’une semence
provienne un animal il s’agit d’une puissance naturelle. Mais que du bois
devienne un banc ou qu’un aveugle Voie n’est pas dans la puissance naturelle.
Or il en est ainsi de notre intellect. En effet notre intelligence est en puissance
naturelle а des intelligibles qui peuvent кtre actuйs par l’intellect agent qui
nous est un principe innй afin que par lui nous devenions intelligents en acte. Mais il est impossible que nous obtenions la fin derniиre du fait
que notre intellect est ainsi actuй; car c’est le propre de l’intellect agent
de faire.que les phantasme qui sont des intelligibles en puissance deviennent
des intelligibles en acte, comme on l’a vu plus haut (chapitre 83). Or les
phantasmes nous viennent des sens. Par l'intellect agent notre intelligence est
rйduite en acte par les seuls intelligibles venus des choses sensibles. Or il
est impossible que dans une telle connaissance puisse consister la fin derniиre
de l’homme. Car la fin derniиre йtant atteinte, tout dйsir naturel vient а
cesser. Or aussi loin que quelqu’un progresse dans l’intelligence des choses,
selon ce mode de connaissance qui puise la science а partir des sens, le dйsir
naturel de connaоtre d’autres choses demeure. En effet y a bien des choses que
nos sens ne peuvent atteindre ou qui ne nous en donnent qu’une faible notion,
comme peut-кtre de savoir qu’elles sont mais non pas ce qu’elles sont; car les
quidditйs des substances immatйrielles sont autres que celles des choses
sensibles et elles les dйpassent presque sans comparaison possible. Quant а ces choses qui tombent sous les sens, il y en a beaucoup
dont nous ne pouvons connaоtre la nature avec certitude; certaines ne sont
nullement connues et d’autres faiblement. D’oщ le dйsir naturel demeure
toujours d’une connaissance plus parfaite. Or il n’est pas possible que le
dйsir naturel soit vain. Nous obtenons donc notre derniиre fin en ce que notre intelligence
passe а l’acte par un agent supйrieur а celui qui nous est connaturel et qui
fasse cesser en nous le dйsir naturel de connaоtre. Or tel est en nous le dйsir
de con naоtre que connaissant un effet nous dйsirons en connaоtre la cause; et
en toute chose, connaissant toutes les circonstances, notre dйsir ne cesse que
nous n’ayons saisi son essence. Donc ce dйsir naturel de savoir ne peut кtre
assouvi en nous que si nous connaissons la cause premiиre, non pas n’importe
comment mais par son essence. Or la cause premiиre est Dieu, comme on l’a vu
plus haut (chapitres 3 et 68). La fin derniиre de la crйature intellectuelle
est donc de voir Dieu par essence. 2° La fin de l’homme (chapitre 105 а 110)CHAPITRE 105: COMMENT LA FIN DERNIИRE DE LA CRЙATURE INTELLECTUELLE
EST DE VOIR PAR ESSENCE ET COMMENT CELA EST POSSIBLE
Or il nous faut savoir comment cela est possible. Et comme il est
manifeste que notre intelligence ne peut con naоtre une chose que par son
espиce, il est impossible que l’espиce de l’une en fasse connaоtre une autre.
Et plus l’espиce par laquelle l’intelligence connaоt diffиre de la chose
connue, d’autant plus aussi notre intelligence connaоtra-t-elle imparfaitement
l’essence de cette chose: par exemple savoir ce qu’est un boeuf sachant ce
qu’est un вne, on en connaоtrait l’essence imparfaitement, c’est-а-dire quant а
son genre seulement; et encore moins si elle ne connaоt que l’espиce de la
pierre qui est un genre encore plus йloignй. Si elle connaissait par l’espиce
d’une chose qui n’aurait rien du boeuf en aucun genre, elle ne connaоtrait
aucunement ce que peut кtre un boeuf. Il est йvident par ce qu’on a dit plus haut (chapitres 12, 13 et 14)
qu’aucune crйature ne communique en genre avec Dieu. Aucune espиce crййe, non
seulement sensible mais intelligible, ne peut me faire connaоtre ce que Dieu
est. Pour ce faire il faut alors que Dieu devienne forme de mon intelligence et
qu’il lui soit uni non pour constituer une nature mais comme espиce
intelligible en celui qui connaоt. Lui-mкme en effet comme il est son кtre, est
aussi sa vйritй laquelle est la forme de l’intelligence. Or il faut pour tout ce qui acquiert une forme qu’il y soit disposй.
Or de par sa nature l’intelligence n’est pas dans l’ultime disposition par
rapport а cette forme qu’est la vйritй, car dиs le dйbut elle l’aurait
atteinte. Il faut donc que pour l’atteindre elle soit йlevйe par une nouvelle
disposition et que nous appelons lumiиre de gloire, par quoi Dieu parfait notre
intelligence, lui seul ayant naturellement cette forme qui lui est propre, tout
comme la dis position а la forme du feu ne peut Venir que du feu. Et de cette
lumiиre il est question au Ps 35: "En ta lumiиre nous verrons la
lumiиre" CHAPITRE 106: LE DЙSIR NATUREL S’APAISE DANS LA VISION DIVINE PAR
ESSENCE, EN QUOI CONSISTE LA BЙATITUDE
Cette fin une fois atteinte il est nйcessaire que le dйsir naturel
soit au repos, car l’essence divine qui de cette faзon est jointe а
l’intelligence de celui qui voit Dieu est le principe suffisant de toute
connaissance et la source de tout bien en sorte qu’il ne reste plus rien а
dйsirer. Et c’est aussi le mode le plus parfait d’atteindre а la ressemblance
divine c’est-а-dire que nous le connaissions de la mкme maniиre qu’il se
connaоt, soit par son essence, bien que nous ne le comprenions pas comme il se
connaоt. Non que nous en ignorerions une partie puisqu’il n’a pas de partie,
mais parce que nous ne le connaissons pas aussi parfaitement qu’il est
connaissable; car le pouvoir de notre intelligence dans son acte de penser ne
peut йgaler sa vйritй selon qu’elle est connaissable; sa clartй ou sa veritй
est infinie et notre intelligence est finie. Or son intelligence est infinie
comme aussi sa vйritй et donc lui se connaоt autant qu’il est connaissable.
Comme celui qui comprend une conclusion dйmontrable parce qu’il en saisit la
dйmonstration, mais non pas celui qui la connaоt de maniиre plus imparfaite
c’est-а-dire par une raison probable. Et parce que nous appelons bйatitude la fin derniиre de l’homme en
cela consiste la fйlicitй ou la bйatitude de l’homme qu’il voit Dieu en son
essence, bien que dans la perfection de la bйatitude il soit trиs distant de
Dieu. Cette bйatitude, Dieu la possиde naturellement et l’homme l’obtient par
participation а la lumiиre divine. CHAPITRE 107: QUE LE MOUVEMENT VERS POUR LA POSSESSION DE LA BЙATITUDE
S’APPARENTE AU MOUVEMENT NATUREL ET QUE LA BЙATITUDE CONSISTE PANS UN ACTE DE
L’INTELLIGENCE
Puisque passer de la puissance а l’acte est un mouvement, ou quelque
chose de semblable, il faudra considйrer le passage vers la bйatitude comme
quand il s’agit d’un mouvement ou d’un changement naturel. Dans celui-ci en
effet ce qu’on considиre d’abord est une propriйtй qui le proportionne ou
l’incline vers telle fin, comme la gravitй terrestre qui attire vers le bas.
Quelque chose en effet ne se meut pas naturellement vers une fin s’il n’a pas
de proportion а celle-ci. Ensuite on considиre le mouvement lui-mкme vers la
fin; en troisiиme lieu la forme elle-mкme ou l’endroit; enfin le repos dans la
forme ou da l’endroit. Ainsi dans le mouvement intellectuel vers la fin on d’abord l’amour
qui porte vers la fin; ensuite le dйsir qui est comme le mouvement vers la fin
et les opйrations proviennent d’un tel dйsir; en troisiиme lieu la forme que l’intelligence
atteint; enfin la dйlectation consйquente qui n’est autre que le repos de la
volontй dans la fin obtenue. De mкme donc que la forme est la fin de la naturelle et le lieu la
fin du mouvement local, et non le repos dans la forme ou le lieu qui est la
consйquence de la fin obtenue, et beaucoup moins encore le mouvement est une
fin ou proportion а la fin: ainsi la fin de la crйature intellectuelle est de
voir Dieu et non de se dйlecter en lui, mais cela accompagnant la fin et comme
le perfectionnant. Et beaucoup moins le dйsir ou l’amour кtre la fin dermиre
puisqu’ils ont lieu avant la fin CHAPITRE 108: DE L’ERREUR DE CEUX QUI METFENT LEUR FЙLICITЙ DANS LES
CRЙATURES
Il est donc manifeste que c’est а tort que c'est а tort que certains
recherchent la fйlicitй s’ils la recherchent en tout autre chose que Dieu: soit
dans les plaisirs charnels qui leur sont communs avec les animaux; soit dans
les richesses qui sont ordonnйes а la conservation de ceux qui les possиdent,
ce qui est la fin commune а tout ce qui est crйa- turc; soit dans le pouvoir
qui est ordonnй а communiquer sa perfection aux autres, ce que nous avons aussi
dit кtre commun а tous (chapitre 103); soit dans les honneurs ou la renommйe
que l’on doit а quelqu’un selon qu’il a dйjа atteint sa fin ou qu’il y est bien
disposй; ni mкme enfin dans la connaissance de choses fussent-elles au-dessus
de l’homme, puisqu’aussi bien c’est dans la seule connaissance de Dieu que le
dйsir de l’homme trouve son repos. CHAPITRE 109: QUE SEUL EST BON ESSENTIELLEMENT
ET LES CRЙATURES PAR PARTICIPATION
De ce que nous venons de dire, il apparaоt donc que Dieu et les
crйatures se rapportent diversement а la bontй, selon le double mode de bontй
que l’on peut considйrer dans les crйatures. Puisqu’en effet le bien a raison
de perfection et de fin, selon une double perfection et fin qu'on peut noter
dans la crйature, double aussi est sa bontй. Car on peut considйrer la
perfection de la crйature selon qu’elle persiste en sa nature qui est la fin de
sa gйnйration ou de sa production; l’autre perfection est celle qu’elle atteint
par son propre mouvement ou opйration et c’est la fin de son mouvement ou de
son opйration. Dans ces deux cas la crйature se sйpare de la bontй divine: car
comme la forme et l’кtre d’une chose est son bien et sa perfection selon
qu’elle est considйrйe dans sa nature, une substance composйe n’est ni sa forme
ni son кtre. Quant а une substance simple crййe mкme si elle est sa propre
forme, elle n’est cependant pas son propre кtre. Mais Dieu est son essence et
son кtre, comme on l’a montrй plus haut (chapitre 10 et 11). De mкme aussi toutes les crйatures atteignent а leur bontй parfaite
par une fin qui leur est extйrieure. En effet la bontй parfaite consiste dans
la fin derniиre. Or celle-ci est extйrieure а la crйature et c’est la divine
bontй qui elle n’est pas ordonnйe а une fin ultйrieure. Il reste donc que Dieu
est sa propre bontй absolument il est essentiellement bon. Les crйatures
simples ne le sont pas et parce qu’elles ne sont pas leur кtre et parce
qu’elles sont ordon nйes а quelque chose d’extйrieur comme а leur fin derniиre.
Quant aux crйatures composйes il est йvident qu’elles ne sont en aucune faзon
leur propre bontй. Dieu seul donc est sa propre bontй, il est bon essentiellement; les
autres choses sont dites bonnes par une certaine participation avec Lui. CHAPITRE 110: DIEU NE PEUT PAS PERDRE SA BONTЙ
D’oщ il ressort
que Dieu ne peut en aucune faзon perdre sa bontй. Car ce qui appartient а
quelque chose essentiellement ne peut lui faire dйfaut, comme l’animalitй ne
peut кtre sйparйe de l’homme. Donc aussi il n’est pas possible que Dieu ne soit
pas bon. Et pour nous servir d’un exemple encore plus adйquat, de mкme qu’un
homme ne peut pas ne pas кtre homme ainsi il ne se peut que Dieu ne soit pas
parfaitement bon. 3° Le mal dans
les crйatures (chapitre 111 а 122)
CHAPITRE 111: LA CRЙATURE PEUT PERDRE SA BONTЙ
Il faut maintenant considйrer dans les crйatures comment elles
peuvent perdre leur bontй. Il est manifeste que quelque chose est insйparable
de la crйature de deux maniиres: d’une part de ce que la bontй est de son
essence; d’autre part de ce qu’elle est dйterminйe а une chose. Donc de la
premiиre maniиre dans les substances simples la bontй mкme qui leur est forme
en est insйparable puisqu’elles sont essentiellement des formes. De la seconde
maniиre le bien qui est leur кtre elles ne peuvent le perdre. La forme en effet
n’est pas comme la matiиre qui peut кtre ou ne pas кtre, mais la forme est
consйquence de l’кtre, mкme si elle n’est pas l’кtre lui-mкme. D’oщ il est
clair que les substances simples ne peuvent perdre le bien naturel en quoi
elles subsistent mais elles s’y tiennent immuablement. Quant aux substances
composйes, comme elles ne sont pas а elles-mкmes leur forme ni leur кtre elles
peuvent perdre le bien naturel, а l’exception de celles oщ la potentialitй de
la matiиre est dйterminйe а une seule forme comme а кtre ou ne pas кtre, comme
cela est clair dans les corps cйlestes. CHAPITRE 112: COMMENT LES CRЙATURES PERDENT LEUR BONTЙ PAR LEURS
OPЙRATIONS
Et parce que la bontй de la crйature se trouve non seulement en ce
qui constitue sa nature, mais en ce que la perfection de sa nature est d’кtre
ordonnйe а une fin et cela par son opйration, il reste а savoir comment les
crйatures manquent а leur bontй selon leurs opйrations qui les conduisent а
leur fin. Ici il faut d’abord considйrer qu’il en est des opйrations comme de
la nature qui est leur principe. Si donc leur nature ne peut faire dйfaut, pas
davantage dans leurs opйrations naturelles ne pourra-t-il se trouver quelque
dйfection. D’oщ pour les substances incorruptibles, soit corporelles soit
incorporelles, aucune dйfection ne sera possible dans leur action naturelle. En
effet chez les anges, toujours leur pouvoir naturel est en mesure d’exercer ses
opйrations; de mкme pour les mouvements des corps cйlestes, ils suivent
toujours leur trajectoire. Mais dans les corps infйrieurs, on trouve nombre de
dйfections dans leur action naturelle causйes par les corruptions et les
dйfections qui s’y produisent. Il arrive en effet par le dйfaut du principe
naturel que des plantes soient stйriles, que des monstres naissent chez les
animaux et ainsi d’autres dйsordres. CHAPITRE 113: D’UN DOUBLE PRINCIPE D’ACTION ET COMMENT OU CHEZ QUI IL
PEUT Y AVOIR DЙFECTION
Or il y a des actions dont le principe n’est pas la nature mais la
volontй dont l’objet est le bien et principalement la fin, secondairement ce
qui se rapporte а la fin. Ainsi donc l’opйration volontaire est au bien, comme
l’opйration naturelle est а la forme par laquelle une chose agit. De mкme donc
qu’un dйfaut des actions naturelles dans ces choses qui ne subissent pas de
dйfection dans leurs formes, mais seulement dans les choses corruptibles dont
les formes peuvent faire dйfaut, ainsi les actions volontaires peuvent faire
dйfaut dans ces choses oщ la volontй peut manquer а la fin. S’il se trouve une
volontй qui ne peut faire dйfaut а la fin il est manifeste qu’il ne peut y
avoir de dйfection dans l’action volontaire. Or la volontй ne peut faire dйfaut
quant au bien qui fait partie de la nature de celui qui veut: car toute chose
dйsire а sa maniиre la perfection de son кtre et qui est le bien de chaque кtre;
quant au bien extйrieur elle peut faire dйfection se contentant d’un bien
connaturel. Si donc la nature de celui qui veut constitue la fin derniиre de sa
volontй il ne peut se rencontrer de dйfaut dans l’action volontaire. Or cela
n’appartient qu’а Dieu: car sa bontй qui est la fin derniиre des choses
constitue sa nature. Mais la nature des autres кtres douйs de volontй ne
constitue pas la fin derniиre de leur volontй; il peut donc se trouver chez eux
un dйfaut d’action volontaire en ce que leur volontй se fixe en leur propre
bien sans tendre ultйrieurement vers le bien suprкme qui est leur fin derniиre.
Chez toutes les substances intellectuelles crййes peut donc se trouver quelque
dйfection de la part de la volontй. CHAPITRE 114: QU’ENTEND-ON PAR BIEN OU MAL DANS LES CHOSES?
Puisque sous l’appellation de bien on entend ce qui est parfait,
sous l’appellation de mal on doit entendre toute privation en ce qui doit кtre
parfait. Car dans le propre sens du terme la privation regarde ce qui est de la
nature d’un кtre, le quand et le comment de cet кtre. Il est dont manifeste que
quelque chose est un mal s’il n’atteint pas а la perfection qu’il doit avoir.
Ainsi quand un homme ne voit pas c’est pour lui un mal, mais non pour une
pierre parce que sa nature n'est pas de voir. CHAPITRE 115: IL EST IMPOSSIBLE QUE LE MAL CONSTITUE UNE NATURE
Il est impossible que le mal soit une nature. Car toute nature est
soit acte ou puissance ou un compose des deux Ce qui est acte est perfection et
a raison de bien, tandis que ce qui est en puissance dйsire naturellement son
кtre en acte, et le bien est ce que tous dйsirent D’ou ce qui est composй
d’acte et de puissance en tant qu’il participe а l’acte participe au bien. La
puissance, en tant qu’ordon nйe а l’acte, possиde la bontй, dont le signe est
que plus la puissance est capable d’acte et de perfection, plus elle se
valorise. Il reste donc qu’aucune nature n’est en elle-mкme un mal. De mкme. Tout кtre se complиte selon qu’il est en acte, car l’acte
est la perfection d’une chose. Or aucun opposй n’est achevй par mйlange de
l’autre opposй, mais est plu tфt dйtruit ou diminuй et ainsi le mal ne se
complиte pas par participation du bien. Toute nature est achevйe par ce qu’elle
a d’кtre en acte; et ainsi comme toute chose veut кtre bonne, toute nature
trouve son achиvement en participation au bien. Aucune nature donc n’est un
mal. De plus. Toute nature dйsire conserver son кtre et elle fuit sa
destruction autant qu’elle le peut. Comme le bien est ce que tout кtre dйsire
et le mal au contraire ce qu’il fait, il est nйcessaire de dire qu’il est bon
en soi que soit toute nature et qu’il serait mal qu’elle ne soit pas. Or que
doit-on entendre par bien sinon que ce qui est un mal ne peut кtre un bien,
mais plutфt que n’кtre pas mal est compris dans la notion de bien. Donc aucune
nature n’est mauvaise. CHAPITRE 116: COMMENT LE BIEN ET LE MAL SONT DES DIFFЙRENCES DE L’КTRE,
DES CONTRAIRES ET DES GENRES DE CONTRAIRES
Il faut maintenant considйrer comment le bien et le mal sont dits
contraires, des genres de contraires et des diffйrences constituant des espиces
c’est-а-dire les dispositions morales. En effet les contraires ont chacun leur
nature. Le non-кtre en effet ne peut кtre ni genre ni diffйrence puisque le
genre est attribut de la chose qui est et la diffйrence du comment elle est. Il faut donc savoir que comme les choses naturelles tiennent leur
espиce de la forme, ainsi aussi les choses morales de leur fin qui est objet de
la volontй et dont dйpendent toutes les choses morales. Or de mкme que dans les
choses naturelles а une forme donnйe est adjointe la privation d’une autre
forme comme par exemple le feu qui est accompagnй d’une privation d’air, ainsi
dans les choses morales а une fin donnйe s’oppose la privation d’une autre fin
Puisque la perte d’une perfection qui leur est due est un mal dans les choses
naturelles, c’est un mal d’acquйrir une forme а laquelle s’adjoint la perte
d’une forme qui leur est due, non а cause de la forme mais а cause de la privation
qui y est ajdointe, par exemple il est mauvais pour le bois de brыler. Et de
mкme dans les choses morales adhйrer а une fin а laquelle s’adjoint la perte
d’une fin obligйe est un mal, non а cause de cette fin mais а cause de la
privation qui l’accompagne. Et ainsi deux actions morales qui sont ordonnйes а
des fins contraires diffиrent en bien ou en mal comme йtant des diffйrences qui
sont contraires l’une а l’autre, non а cause de la privation qui qualifie le
mal mais а cause de la fin а laquelle est jointe une privation. C’est dans ce sens aussi que certains entendent ce que dit Aristote
(Categ. c. 11) que le bien et le mal sont des genres de contraires
c’est-а-dire de choses morales. Mais а bien faire attention, le bien et le mal
dans le genre des choses morales sont plutфt des diffйrences que des espиces. D’oщ
il vaut mieux dire que le bien et le mal sont des genres, selon la position de
Pythagore qui ramиne toutes les choses au bien et au mal en tant que genres
premiers. Cette position a quelque chose de vrai en tant que de tous les
contraires l’un est parfait et l’autre diminuй, comme le blanc et le noir, le
doux et l’amer et autres. Toujours ce qui est parfait est bon, ce qui est
moindre est mal 1.
Pour qu’une chose puisse opйrer il lui faut certaines autres: donc la forme de
la premiиre dйpend de la forme des autres, comme pour le feu il lui faut de
l’air (ou de l’oxygиne). Donc de mкme en ce qui est moralitй, il y a des
conditions dйfinies qui sont des fins, si une de ces fins est absente, l’acte
est mauvais. 2.
Diffйrence est synonyme de diversitй et le contraire de similitude. Des choses
diffйrentes ont quelque chose oщ elles conviennent; elle consiste en une
distinction dans la forme (cf. Schulz, p. 228). 3. D’oщ l’adage: "Bonum ex integra causa, malum ex
quocumque defectu." CHAPITRE 117: RIEN N’EST ESSENTIELLEMENT MAUVAIS OU TRES
MAUVAIS MAIS EST UNE CORRUPTION DU BIEN
Si donc on admet que le mal est une privation d’une perfection
nйcessaire il devient manifeste dans quel sens le mal peut corrompre le bien
c’est-а-dire en tant qu’il est sa privation, comme on dit que la cйcitй
corrompt la vue parce qu’elle est la privation mкme de la vue. Cependant elle
ne corrompt pas tout le bien; car on a dit plus haut (chapitre 115) que non
seulement la forme est bonne, mais encore la puissance а la forme, et cette
puissance est sujet de privation comme aussi de forme. D’oщ il faut que le
sujet du mal soit un bien qui n’est pas l’opposй du mal mais qui est en
puissance au mal. D’oщ aussi il ressort que ce n’est pas n’importe quel bien qui
puisse кtre sujet du mal mais seulement le bien qui est en puissance par
rapport а une perfection donnйe et dont il peut кtre privй. D’oщ dans les
choses qui ne sont qu’acte ou dans celles oщ l’acte ne peut кtre sйparй de la
puissance, pour elles il ne peut y avoir du mal. Il ressort aussi de cela que rien ne peut кtre essentiellement
mauvais puisqu’il faut que toujours le mal ait un fondement dans un bien. Et
par lа rien n’est le mal suprкme, au contraire du bien suprкme qui est
essentiellement bon. Pour la mкme raison, il est clair que le mal ne peut кtre dйsirй et
qu’il ne fait rien qu’en vertu du bien qui lui est adjoint. Ce qui est
dйsirable en effet sont la perfection et la fin; or la forme est le principe de
l’action. Parce que а une perfection ou forme peut s’adjoindre la privation
d’une autre perfection ou forme, il arrive accessoirement que cette privation
ou ce mal sont dйsirйs et deviennent principe d’une action non comme йtant un
mal mais а cause du bien qui accompagne, comme un musicien construit une maison
non comme musicien mais comme constructeur. II ressort aussi de cela que le mal ne peut кtre le premier principe
parce que le principe accidentel vient aprиs celui qui l’est en soi. CHAPITRE 118: LE MAL S’APPUIE SUR LE BIEN COMME SON SUJET
Quelqu’un pourrait peut-кtre objecter que le bien ne peut кtre sujet
du mal et que de deux choses opposйes l’une ne peut de l’autre en кtre le sujet
et qu’on ne trouvera jamais ensemble les autres opposйs’. Or on rйpond qu’en ce
dernier cas les oppositions sont dans un genre dйterminй et que le bien et le
mal sont pris en gйnйral Car tout кtre en tant que tel est bon; or toute
privation en tant que telle est mauvaise. De mкme donc que le sujet d’une
privation est nйcessairement l’кtre, ainsi est-il bon, mais il n’est pas
nйcessaire que le sujet d’une privation soit blanc, ou doux, ou voyant, parce
que ce n’est pas dit de l’кtre en tant que tel; c’est pourquoi le noir n’est
pas dans le blanc, ni la cйcitй dans le voyant; mais le mal est dans le bien
comme la cйcitй est dans le sujet de la vue; mais que le sujet de la vue ne
soit pas dit voyant c’est parce que voir n’est pas commun а tout кtre. 1.
L’opposition embrasse en dchors des contraires (blanc-noir; doux-amer, etc.)
aussi la contradiction (homme-non homme; blanc-pas blanc) l’avoir et ta
privation (la vue-la cйcitй) et les opposйs par relation (le maоtre-le
serviteur). L’un des opposйs n’est pas porteur de l’autre le noir n’est jamais
blanc; la vue n’est jamais aveugle, etc. Quant aux autres opposйs (а
l’exception de bon et mauvais), ils ne vont jamais ensemble dans le mкme sujet.
Un corps n’est jamais en mкme temps blanc et noir; blanc ou non blanc, personne
n’est capable de voir et d’кtre aveugle en mкme temps. 2.
Les opposйs relиvent de genres dйterminйs comme de leurs espиces par exemple le
blanc et le noir relиvent du genre couleur, de mкme les opposйs de relation,
les contradictoires, de l’affirmation (non homme, кtre homme). Avoir ou кtre
privй, relиvent de l’avoir (la cйcitй par rapport а la vue) (id.). 3.
Tout ce qui est, est comme tel bon; contrairement, ce qui est mauvais n’est pas
gйnйral, comme si tout ce qui est, serait mauvais; mais parce qu’il peut se
classer sous tout genre, mais toujours privation d’un кtre (Id.). CHAPITRE 119: IL Y A DEUX SORTES DE MAUX
Puis donc que le mal est privation et dйfaut il ressort de ce qu’on
a dit (chapitres 111 а 112) qu’un dйfaut peut se trouver dans une chose non
seulement selon qu’on la con sidиre dans sa nature, mais aussi selon l’action
qui la conduit а sa fin. La consйquence en est que nous avons ainsi deux sortes
de maux, c’est-а-dire selon le dйfaut en la chose mкme d’aprиs que la cйcitй
est dite le mal de l’animal et selon un dйfaut dans l’action d’aprиs que la
claudication signifie une action dйfectueuse. Donc une action ordonnйe а une
fin si elle est mauvaise parce qu’elle n’est pas ordonnйe convenablement а
cette fin est dite faute, dans les choses de la volontй comme dans les choses
naturelles. En effet un mйdecin est en faute s’il ne s’y prend pas bien en vue
de la guйrison; et la nature aussi est fautive si elle n’amиne pas, dans son
action, а la disposition et а la forme voulues la chose engendrйe, comme quand
dans la nature se produisent des monstres. CHAPITRE 120: DE TROIS SORTES D’ACTIONS ET DE LA CULPABILITЙ
Mais il faut savoir que parfois l’action est au pouvoir d’un agent,
comme sont toutes les actions volontaires. Or je dis action volontaire celle
dont le principe est dans un agent qui connaоt ce en quoi son action consiste.
Mais il a des actions qui ne sont pas volontaires, telles les actions violentes
dont le principe est extйrieur, et les actions naturelles ou celles qui se font
par ignorance parce qu’elles ne proviennent pas d’un principe qui connaоt. Si
donc dans les actions non volontaires ordonnйes а une fin se trouve une
dйfection on n’a qu’une faute; s’il s’agit d’actions volontaires, non seulement
il y a faute mais encore coulpe parce que l’agent volontaire йtant maоtre de
son acte est digne de reproche et d’une peine. S’il s’agit d’actions oщ le
volontaire et l’involontaire sont mкlйs, la culpabilitй sera d’autant moindre
qu’il y aura mкlй davantage d’involontaire. Comme une action naturelle est consйcutive а la nature de la chose,
il est йvident que dans les choses incorruptibles, dont la nature ne peut кtre
changйe, il ne peut se produire de faute dans cette action naturelle. Or la
volontй d’une crйature intellectuelle peut souffrir dйfection dans son action
volontaire, comme on l’a montrй plus haut (chapitre 113). D’oщ il reste que si
mкme il est commun а tout ce qui est incorruptible d’кtre exempt du mal
naturel, cependant кtre exempt de par nйcessitй naturelle de culpabilitй, ce
dont seule la crйature rationnelle est susceptible, on ne peut le trouver
proprement qu’en Dieu. CHAPITRE 121: QU’UN MAL REVКT UN CARACTИRE DE PEINE NON DE FAUTE
De mкme qu’un dйfaut dans l’acte volontaire revкt un caractиre de
faute et de coulpe ainsi la privation d’un bien par suite d’une faute et imposй
contre la volontй qui la subit revкt un caractиre de peine. La peine en effet
est appliquйe comme remиde pour une faute commise et elle en est comme son
redressement. C’est un remиde en ce que l’homme йvite la faute а cause de la
peine; et pour ne pas devoir subir ce qui contrarie sa volontй il abandonne un
acte dйsordonnй qui plairait а sa volontй. C’est aussi son redressement parce
que par la faute l’homme transgresse les limites de l’ordre naturel attribuant
а sa volontй plus qu’il ne faut. On revient ainsi а l’ordre de la justice par
le moyen de la peine qui soustrait quelque chose а la volontй. Il est clair
donc qu’une peine pour кtre proportionnйe а la faute doit contrarier la volontй
plus que le plaisir de la faute. CHAPITRE 122: TOUTE PEINE NE CONTRARIE PAS LA VOLONTЙ DE LA MКME MANIИRE
Toute peine n’est pas de la mкme maniиre contraire а la volontй. Il
est une peine qui contrarie ce que l’homme veut actuellement et une telle peine
est fortement ressentie. Il y a une autre peine qui ne contrarie pas la volontй
actuelle mais habituelle comme quand quelqu’un est privй d’une chose, d’un fils
par exemple, ou d’une possession, mais а son insu. D’oщ rien n’est fait
actuellement contre la volontй, mais serait contraire s’il le savait. Mais j
arrive que la peine contrarie la volontй selon la nature mкme de la volontй. En
effet la volontй de par sa nature est ordonnйe au bien; d’oщ si quelqu’un n’est
pas vertueux, ou bien ce ne sera pas contraire а son vouloir actuel parce que
peut-кtre il mйprise la vertu, ou bien non plus contre sa volontй habituelle
parce que peut-кtre dispositions habituelles le portent а agir contre la vertu;
c’est cependant contraire а la rectitude de la volontй qu fait que l’homme
naturellement recherche la vertu. D’oщ il est clair aussi que les degrйs des peines peuvent se mesurer
de deux maniиres: d’une part selon la quantitй de bien dont nous prive la
peine; d’autre part selon le plus ou moins grand dйplaisir de la volontй. En
effet la privation d’un bien plus grand contrarie plus que celle d’un moindre. 4° De la divine providence (chapitre
123 а 147)
CHAPITRE 123: TOUT EST SOUMIS A LA PROVIDENCE DIVINE
De tout ce qui prйcиde on peut se rendre compte que la divine
providence gouverne toutes choses. En effet tout ce qu’un agent entreprend pour
une fin il le dirige vers cette fin, comme tous ceux qui sont sous les armes
sont organisйs pour la fin du chef qui est la victoire et c’est par lui qu’ils
y sont dirigйs. Or on a montrй plus haut (chapitre 103) que tous les кtres par
leurs actes tendent а rйaliser la divine bontй. Donc c’est par Dieu lui-mкme
dont cette fin lui est propre que toutes choses sont dirigйes vers cette fin;
c’est ce qui s’appelle кtre rйgi et gouvernй par la providence de quelqu’un. Toutes
choses sont donc rйgies par la divine providence. Encore. Tout ce qui peut faire dйfection et qui n’est pas toujours
stable doit кtre ordonnй par ce qui est stable, comme les mouvements des corps
infйrieurs qui s dйfectibles reзoivent leur ordonnance selon le mouvement
invariable des corps cйlestes. Or toutes les crйatures changeantes et
dйfectibles. Car dans les natures intellectuelles en tant que naturelles on
peut y trouver une dйficience de l’action volontaire; quant aux autres crйatures,
elles participent au changement soit par gйnйration ou corruption, soit
localement. Dieu seul est celui chez qui aucune dйficience n’est possible. Il
reste donc que tout le reste est ordonnй par Lui. De mкme. Ce qui est par participation est ramenй а ce qui est par
essence comme en sa cause; en effet tout ce qui brыle a d’une certaine faзon
comme cause le feu. Comme donc Dieu seul est bon essentiellement et quE tout le
reste reзoit par une certaine participation son complйment de bontй, il est
nйcessaire que toutes choses reзoivent de Dieu leur complйment de bontй. C’est
cela кtre rйgi et gouvernй. En effet cela est rйgi et gouvernй qui est йtabli
en vue du bien. Toutes les choses sont donc gouver nйes et rйgies par Dieu. CHAPITRE 124: PAR LES CRЙATURES SUPЙRIEURES RЙGIT LES INFЙRIEURES
Or d’aprиs cela il apparaоt que les crйatures infйrieures sont
rйgies de Dieu par les supйrieures. En effet on peut dire que des crйatures
sont supйrieures selon qu’elles sont d’une plus parfaite bontй; or les
crйatures obtiennent de Dieu leur ordonnance au bien en tant que Lui les rйgit.
Ainsi donc les crйatures supйrieures ont une plus grande part au gouvernement
divin que les infйrieures. Or ce qui participe davantage а quelque perfection
est comparable а ce qui y participe moins, comme l’acte а la puissance et comme
l’agent au patient. Donc les crйatures supйrieures sont aux infйrieures dans
l’ordre de la divine providence comme l’agent l’est au patient. Donc les
crйatures supйrieures gouvernent les infйrieures. De mкme. C’est propre а la bontй divine de communiquer sa
ressemblance а des crйatures; c’est en effet ainsi que Dieu a fait toutes
choses en vue de sa bontй, comme on l’a vu plus haut (chapitre 101). Or il
importe а la perfection de la bontй divine et qu’Il soit bon en lui-mкme et
qu’Il en amиne d’autres а la bontй. Et donc il communique ces deux choses а la
crйature et d’кtre bonne en elle- mкme et que l’une conduise une autre au bien.
Ainsi donc par certaines crйatures il en conduit d’autres au bien; j faut donc
que celles-lа soient supйrieures. Car ce qui participe а partir d’un agent en
ressemblance de forme et d’action est plus parfait que de lui ressembler en sa
f seulement, telle la lune, qui reзoit du soleil la lumiиre et qui illumine,
est plus parfaite que les corps opaques qui reзoivent la lumiиre sans
illuminer. Dieu gouverne donc les crйatures infйrieures par les supйrieures. De plus. Le bien de beaucoup vaut mieux que le bien d’un seul et par
suite il reprйsente mieux la bontй divine qui est le bien de tout l’univers. Si
la crйature qui a une plus grande part а la bontй de Dieu ne coopйrait pas bien
des crйatures infйrieures leur abondance de bien demeurerait isolйe; et cette
abondance devient commune а beaucoup si elle est communiquйe au bien de
beaucoup. Il importe donc а la divine bontй que Dieu rйgisse les crйatures infйrieures
par les supйrieures. CHAPITRE 125: LES SUBSTANCES INTELLECTUELLES SUPЙRIEURES RЙGISSENT LES
INFЙRIEURES
Les crйatures intellectuelles йtant donc supйrieures aux autres
crйatures, comme il est clair par ce qui prйcиde (chapitres 74 et 75), il est
йvident que Dieu gouverne les autres crйatures par les crйatures
intellectuelles. De mкme. Comme parmi les crйatures intellectuelles certaines sont
supйrieures а d’autres Dieu gouverne les infйrieures par les supйrieures. D’oщ
il se fait que les hommes, qui tiennent le bas de l’йchelle dans l’ordre
naturel des choses parmi les substances intellectuelles, sont gouvernйs par les
esprits supйrieurs qui sont appelйs anges, c’est-а-dire messagers parce qu’ils
annoncent aux hommes les choses divines. Et ceux qui sont infйrieurs parmi les
anges sont rйgis par ceux qui sont supйrieurs ainsi y a-t-il chez eux diverses
hiйrarchies c’est-а-dire des principats sacrйs et ces hiйrarchies se
distinguent en divers ordres. CHAPITRE 126: DE LA HIЙRARCHIE CЙLESTE
Parce que toute opйration intellectuelle en tant que telle procиde
de l’intelligence il faut qu’on trouve d’aprиs le mode diffйrent de
connaissance une diversitй d’opйration, de prййminence et de rang parmi les
substances intellectuelles. Plus une intelligence est йlevйe en dignitй
d’autant plus peut-elle considйrer dans une cause plus йlevйe et plus
universelle les raisons de ses effets. On a dit aussi plus haut (chapitre 78)
qu’une intelligence supйrieure a des idйes plus universelles. Donc le premier mode de connaissance qui conviennent aux substances
intellectuelles est de participer dans la cause premiиre mкme, c’est-а-dire
Dieu, а la raison de ses effets, et, en consйquence, de ses oeuvres puisque par
elles Dieu dispense les effets infйrieurs. Ce qui est propre а la premiere hiйrarchie
qui se divise en trois ordres selon les trois choses qui interviennent en toute
activitй artistique: la premiиre chose est la fin qui justifie ces oeuvres; la
seconde ce que ces oeuvres sont dans l’esprit de l’artisan; en troisiиme lieu
les applications des oeuvres а leurs effets. Au premier ordre donc il
appartient d’кtre instruit dans le bien suprкme lui-mкme, en tant que fin
derniиre des choses, des effets; d’oщ ils sont appelйs Sйraphins а cause de
leur ardent amour, c’est-а-dire brыlant et enflammant, en effet l’objet de
l’amour est le bien. Il appartient au second ordre de contempler les oeuvres de
Dieu dans les raisons intelligibles comme elles sont en Dieu; et ils sont
appelйs Chйrubins а cause de la plйnitude de leur science. Il appartient au
troisiиme ordre de considйrer en Dieu mкme comment les raisons intelligibles
sont rйparties aux crйatures et rйalisйes; de ce qu’ils possиdent Dieu qui
rйside en eux ces anges sont appelйs trфnes. Le deuxiиme mode de connaissance est de considйrer la raison des
effets dans leurs causes universelles et c’est le propre de la seconde
hiйrarchie, qui est aussi divisйe en trois ordres selon les trois causes
universelles, principalement selon l’intelligence; de ces trois ordres le
premier est de disposer d’avance ce qui doit кtre fait; d’oщ chez les artisans
l’art suprкme est prйceptif ou architectonique; et dans cet ordre on a ceux
qu’on appelle les Domi nations (ou Maоtrises) car le maоtre prescrit et
prйordonne. La deuxiиme chose qui se trouve dans les causes universelles est
comme le premier moteur de l’oeuvre ou l’exйcutant principal et ce second ordre
est celui des Principautйs, selon Grйgoire le Grand (In Evang. 2, 34) ou
des Vertus, selon Denys; (De cael. hier. c. 6); on veut par lа faire
entendre que pour les dйbuts d’une oeuvre il y faut une trиs grande vertu ou
pouvoir. La troisiиme chose qui intervient dans les causes universelles est ce
qui йcarte les obstacles а l’exйcution; d’oщ le troisiиme ordre dans cette
hiйrarchie est celui des Puissances dont l’office est d’aller а l’encontre de
ce qui peut mettre obstacle а l’exйcution de l’ordre divin et ce sont elles qui
sont dites йcarter les dйmons. Le troisiиme mode de connaissance considиre les effets produits ou
rйsultats de l’action divine; ce qui est le propre de la troisiиme hiйrarchie а
laquelle nous sommes directement soumis, nous qui des rйsultats en connaissons
la cause. Cette hiйrarchie compte aussi trois ordres, dont le plus infйrieur
sont les anges parce qu’ils annoncent aux hommes leur conduite а tenir et ils
sont appelйs nos anges gardiens. Au-dessus de cet ordre sont les archanges qui
font savoir aux hommes ce qui est au-dessus de la raison, tels les mystиres de
la foi. L’ordre suprкme de cette hiйrarchie sont les vertus, selon Grйgoire le
Grand. Elles opиrent ce qui est au-dessus de la nature en preuve des choses qui
nous sont annoncйes dйpassant la raison; et c’est aux vertus qu’on attribue le
pouvoir des miracles. Mais selon Denys l’ordre suprкme dans cette hiйrarchie
sont les Principautйs, en entendant par Princes ceux qui prйsident aux nations;
par anges, ceux qui (veillent) sur chaque homme et par archanges, ceux qui а
des particuliers annoncent ce qui a trait au salut en gйnйral. Et parce que la puissance infйrieure agit en vertu de la puissance
supйrieure, l’ordre infйrieur exйcute les choses de l’ordre supйrieur en tant
qu’il agit par sa vertu. Ceux qui sont supйrieurs possиdent plus excellemment
ce qui est propre aux infйrieurs. Bien que tout leur soit en quelque sorte
commun, cependant ils ont des dйnominations propres selon ce qui convient а
chacun. Mais l’ordre infйrieur garde pour lui le nom commun (ange) comme
agissant en vertu de tous. Et parce que le supйrieur agit sur l’infйrieur et que l’action
intellectuelle consiste а instruire et а enseigner, les Anges supйrieurs en
tant qu’ils instruisent les infйrieurs sont dits les purifier, les illuminer et
les perfectionner. Ils les purifient, en йcartant d’eux l’ignorance; ils les
illuminent en renforзant de leur lumiиre les intelligences des infйrieurs pour
saisir des choses plus йlevйes; ils les perfectionnent en les amenant а la
perfection de la connaissance supйrieure. Car ces trois choses, selon Denys,
contribuent а l’acquisition de la science. Et il n’est pas question que les
anges, mкme les moindres, soient exclus de la vision de Dieu. En effet bien que
chacun des esprits bien heureux voie Dieu par essence, cependant l’un le voit
plus parfaitement que l’autre, comme il peut ressortir de ce qu’on a dit plus
haut (chapitre 106). Or plus on connaоt parfaitement une cause plus on connaоt
les effets qui s’y trouvent. Donc quant aux effets divins que les anges
supйrieurs connaissent en Dieu de prйfйrence aux autres, ils en instruisent les
infйrieurs, mais non pas l’essence divine que tous connaissent. CHAPITRE 127: LES CORPS SUPЙRIEURS AGISSENT SUR LES CORPS INFЙRIEURS NON
SUR L’INTELLIGENCE DE L’HOMME
De mкme donc que parmi les substances intellectuelles l’une gouverne
l’autre en Dieu, c’est-а-dire l’infйrieure par la supйrieure, ainsi aussi en
Dieu les corps supйrieurs dis posent des corps infйrieurs D’ou tout mouvement
des corps infйrieurs agit sous la motion des corps cйlestes et par la vertu des
corps cйlestes ces corps infйrieurs acquiиrent leurs formes et leurs espиces
tout comme les raisons intelligibles des choses sont transmises aux esprits
infйrieurs par les esprits supйrieurs. Or comme dans l’ordre des choses la
substance intellectuelle surpasse tous les corps il n’est pas juste selon
l’ordre de la providence qu’une substance intellectuelle, quelle qu’elle soit,
soit rйgie par Dieu au moyen d’une substance corporelle. Puisque l’вme humaine
est une substance intellectuelle il est impossible selon qu’elle pense et veut,
d’кtre disposйe sous la motion des corps cйlestes. Donc les corps cйlestes ne
peuvent agir directement ou impressionner, soit l’intelligence humaine, soit la
volontй. De mкme. Tout corps n’agit que par mouvement; tout ce qui donc subit
l’action d’un corps est mы par celui-ci. Or l’вme humaine selon sa partie
intellective, oщ se trouve la volontй, ne peut кtre mue d’un mouvement
corporel, puisque l’intellect n’est pas l’acte d’un organe corporel. Il est
donc impossible que l’вme humaine selon l’intelligence ou la volontй ait
quelque chose а subir de la part des corps cйlestes. De plus. Ce qui se produit dans les corps infйrieurs sous
l’influence des corps cйlestes est naturel. Si donc les opйrations de l’intelligence
et de la volontй provenaient de l’influence des corps cйlestes, elles
procйderaient alors par instinct naturel et ainsi l’homme ne diffйrerait pas,
dans ses actes, des autres animaux qui par instinct naturel se meuvent vers
leurs activitйs. Et il n’y aurait plus ni libre arbitre, ni conseil, ni
йlection et autres choses semblables qui distinguent l’homme des autres
animaux. CHAPITRE 128: LES PUISSANCES SENSITIVES QUI PERFECTIONNENT INDIRECTEMENT
L’INTELLECT HUMAIN FONT QUE CELUI-CI EST AUSSI INDIRECTEMENT SOUMIS AUX CORPS
CЙLESTES
Il faut savoir que les puissances sensitives sont а l’on gifle de
nos connaissances; si donc la partie reprйsentant les phantasmes, l’imagination
ou la mйmoire de l’вme vient а кtre troublйe, troublйe aussi sera la
connaissance intellective; mais si elles sont en bon йtat la perception de l’intelligence
sera aussi meilleure. De mкme aussi un changement dans l’appйtit sensitif peut
influencer la volontй qui est l’appйtit de la raison, en ce sens que le bien
apprйhendй est objet de la volontй. En effet selon que nous sommes diversement
disposйs du cфtй de la concupiscence, la colиre, la crainte et les autres
passions, diversement aussi quelque chose nous paraоtra bon ou mauvais. Or toutes les puissances de la partie sensitive soit d’apprйhension
soit d’appйtit sont des activitйs de parties corporelles et si celles-ci sont
changйes il est nйcessaire par accident qu’il y ait un changement dans les
puissances elles-mкmes. Donc comme le changement des corps infйrieurs est
soumis au mouvement cйleste, а ce mкme mouvement seront soumises par accident
les opйrations des puissances sensitives; et ainsi indirectement le mouvement
du ciel agit en quelque chose sur l’acte de l’intelligence et de la volontй
humaines c’est-а-dire en tant que les passions ont une influence sur la
volontй. Mais comme la volontй n’est pas soumise aux passions de telle sorte
qu’elle suivrait nйcessairement leur impulsion mais plutфt qu’il est en son
pouvoir de les rйprimer par le jugement de la raison il s’en suit que la
volontй de l’homme n’est pas soumise aux influences des corps cйlestes mais
qu’elle juge librement de les suivre ou d’y rйsister comme il semble bon, ce
qui est seulement le fait des sages. Suivre les passions du corps et ses
inclinations est le fait de beaucoup c’est-а-dire qui n’ont ni sagesse ni
vertu. CHAPITRE 129: SEUL MEUT LA VOLONTЙ DE L’HOMME ET NON LA CRЙATURE
Comme tout ce qui est changeant et variй se ramиne а un кtre
immobile et unique comme en sa cause et que l’intelligence et la volontй de
l’homme sont changeantes et variables il est nйcessaire qu’elles soient
ramenйes а lui cause supйrieure immobile et uniforme. Et parce qu’elles, ne
sont pas rйductibles aux corps cйlestes comme causes il faut les ramener а des
causes plus йlevйes. Mais il faut distinguer en cela l’intelligence de la volontй, car
l’acte de l’intelligence fait que les choses connues sont dans l’intelligence;
l’acte de la volontй consiste en une inclination de la volontй vers les choses
voulues. L’intelligence s’achиve donc naturellement en que chose qui lui est extйrieur
et auquel elle se rapporte comme en puissance. D’oщ l’homme pour l’acte d'intelligence
peut кtre aidй par toute chose extйrieure qui est plus parfaite dans l’ordre de
la connaissance, non seulement par Dieu, mais aussi par un ange et aussi par un
homme plus instruit, mais de maniиre diffйrente. En effet un homme est aidй par un autre dans l’ordre de la
connaissance qu’il n’avait pas, mais non dans ce sens que l’intelligence de
l’un soit capable d’йclairer l’autre et la parfaire; leurs deux intelligences
en effet sont de mкme espиce. Mais parce l’ange est de par sa nature йclairй
supйrieurement а l’homme il peut aider l’homme dans l’ordre de la connaissance
non seulement du cфtй de l’objet qui est proposй par l’ange mais du cфtй de
l’illumination qui est dйpartie а l’ange et qui renforce celle de l’homme.
Cependant l’illumination naturelle de l’homme ne lui vient pas de l’ange,
puisque la nature rationnelle de l’вme, qui tient son кtre par crйation, a йtй
constituйe par Dieu seul. Or Dieu dans l’ordre de la con naissance aide l’homme
non seulement du cфtй de l’objet que Dieu propose а l’homme en ajoutant а son
illumination, mais encore en ce que l’illumination naturelle de l’homme par
laquelle il est intelligent lui vient de Dieu et aussi en ce que lui-mкme est
la vйritй premiиre de laquelle toute autre vйritй tient sa certitude comme le
sont les pro positions secondes а partir des premiиres dans les sciences. Rien
ne peut кtre certain а notre intelligence qu’en Dieu, comme ne peuvent кtre
certaines les conclusions scientifiques qu’en vertu des premiers principes. Mais comme l’acte de la volontй est une inclination procйdant de
l’intйrieur vers l’extйrieur et qu’il est comparable aux inclinations
naturelles, de mкme que les inclinations naturelles se trouvent seulement dans
les choses naturelles en vertu de leur nature ainsi l’acte de la volontй vient
de Dieu qui seul est la cause de la nature rationnelle volontaire. D’oщ sans
porter atteinte au libre arbitre Dieu meut la volontй de l’homme, comme il
n’est pas contraire а la nature que Dieu opиre dans les choses naturelles; mais
et l’inclination naturelle, et l’inclination volontaire sont de Dieu selon les
conditions qui leurs sont propres; ainsi en effet Dieu meut les choses selon
qu’il convient а leur nature. De ce qui a йtй dit (chapitres 127, 128 et 129) il est clair que les
corps cйlestes peuvent influencer le corps humain et ses facultйs corporelles,
comme les autres corps, mais non l’intelligence, ce que peut faire la crйature
intellectuelle. Mais sur la volontй Dieu seul peut avoir une influence. CHAPITRE 130: DIEU GOUVERNE TOUTES LES CHOSES ET IL EN MEUT CERTAINES
PAR LES CAUSES SECONDES
Comme les causes secondes n’agissent qu’en vertu de la cause
premiиre, ainsi que les instruments selon les rиgles de l’art, il est
nйcessaire que tous les agents qui remplis sent leur rфle assignй par Dieu
agissent en vertu mкme de Dieu. Donc l’agir de chacun d’eux a sa cause en Dieu
comme le mouvement d’un mobile en vertu de l’action du moteur. Or le mouvement
et le moteur sont simultanйs. Il faut donc que Dieu soit prйsent а tout agent
comme agissant en lui en le poussant а agir. De plus. Non seulement l’action des agents subalternes vient de Dieu
mais aussi leur кtre mкme comme on l’a montrй (chapitre 68). Mais que Dieu
cause l’кtre des choses ne doit pas кtre compris comme le constructeur est
cause de la maison, laquelle subsiste aprиs le constructeur. Celui-ci en effet
n’est la cause de la maison qu’autant qu’il y a mis la main et par lа il en est
la cause directe; laquelle cesse avec le dйpart du constructeur. Or Dieu est
essentiellement la cause de l’кtre et directement comme s’il communiquait
l’кtre а tout, comme le soleil communique la lumiиre dans l’atmosphиre et а
tout ce qu’il illumine. Et de mкme que pour conserver la lumiиre est requise
une continuelle illumination du soleil, ainsi pour que les choses gardent leur
кtre est-il requis que Dieu accorde continuellement leur кtre aux choses. Et
ainsi toutes choses en tant qu’elles sont, non seulement reзoivent leur
commencement, mais encore pour leur conservation sont par rap port а Dieu comme
ce qui est fait а ce qui le fait Or celui qui fait et ce qui est fait sont
insйparables, comme le mouvement de son moteur. Il faut donc que Dieu prйside а
toutes choses dans leur кtre mкme. Or l’кtre est ce qu’il y a de plus intйrieur
aux choses. Il faut donc que Dieu soit en toutes les choses. De mкme. Quiconque fait exйcuter ses desseins par des causes
intermйdiaires doit connaоtre et ordonner les effets de ces causes, autrement
ils йchapperaient а ce qu’il avait prйvu. Et d’autant plus parfaite est la
providence de celui qui gouverne que sa connaissance et son ordonnance s’йtendent
aux dйtails Car si quelque dйtail est soustrait а sa connaissance la
dйtermination de ce dйtail s’йcartera des prйvisions. Or on a montrй plus haut
(chapitre 123) que tout doit кtre soumis а la divine providence et celle-ci est
manifestement la plus parfaite qui soit, car tout ce qui est dit de Dieu lui
convient souverainement. Il faut donc que les desseins de la divine providence
s’йtendent jusqu’aux moindres effets. CHAPITRE 131: DIEU DISPOSE TOUT DIRECTEMENT SANS PRЙJUDICE DE SA SAGESSE
Donc d’aprиs cela bien que le gouvernement des choses se fasse par
Dieu au moyen des causes secondes pour l’exйcution de sa providence, cependant
il est clair que la disposition mкme de l’ordination de la divine providence
s’йtend а tout directement. En effet, il n’ordonne pas du premier au dernier
йchelon de telle sorte que ce qui vient en dernier lieu et ce qui est du dйtail
il le confierait а d’autres. Cela en effet se fait chez les hommes а cause de
la pauvretй de leur connaissance qui ne peut tout embrasser а la fois. D’oщ les
dirigeants supйrieurs s’occupent-ils des choses importantes et confient а
d’autres le soin des petites. Mais Dieu peut а la fois en connaоtre beaucoup,
comme on l’a montrй (chapitres 29 et 96), sans кtre empкchй du soin des plus
grandes tout en s’occupant des petites. CHAPITRE 132: RAISONS QUI PARAISSENT MONTRER QUE DIEU NE S’OCCUPE PAS
DES CHOSES PARTICULIИRES
Quelqu’un pensera peut-кtre que Dieu ne s’occupe pas des choses en
particulier. Personne en effet ne s’occupe que de ce qu’il connaоt. Or il
semble que la connaissance des choses en particulier lui fait dйfaut du fait
que les choses particuliиres sont seulement connues des sens et non de
l’intelligence. Or en Dieu qui est tout-а-fait incorporel ne peut exister
qu’une connaissance intellective et non sensitive. Voilа pourquoi il pourrait
sembler que les choses particuliиres ne tombent pas sous sa providence. De
mкme. Comme les choses particuliиres sont en nombre infini qu’on ne peut
connaоtre (car l’infini comme tel ne peut кtre connu) il semble que les choses
particuliиres йchappent а la connaissance et а la providence divines. De plus. Parmi les choses particuliиres beaucoup sont contingentes,
dont on ne peut avoir une connaissance certaine. Puis donc que la science de
Dieu doit кtre des plus certaines il semble qu’Il ne les connaоt ni ne s’en
occupe En outre. Les choses particuliиres n’existent pas toutes а la fois: les
unes se succиdent, les autres se corrompent. Or il n’y a pas de science de
choses qui ne sont pas. Si donc Dieu connaоt les choses particuliиres il s’en
suit qu’il commence а en connaоtre certaines et puis qu’il cesse de les
connaоtre. Dieu serait donc changeant. Donc il ne semble pas qu’il connaisse et
dispose des choses en particulier. CHAPITRE 133: SOLUTION DE CES DIFFICULTЙS
Mais on y rйpond facilement si l’on veut bien considйrer la rйalitй.
En effet comme Dieu se connaоt parfaitement, il doit connaоtre tout ce qui de
quelque maniиre est en Lui. Or comme c’est de Lui qu’est toute essence et vertu
de l’кtre crйй — ce qui est de quelqu’un est en lui virtuellement — il est
nйcessaire que se connaissant lui- mкme il connaisse aussi l’essence de la
crйature et tout ce qui est virtuellement en elle. Et ainsi il connaоt tous le
particuliers qui sont virtuellement en lui et dans leurs autres causes. Et il n’en va pas de mкme de la connaissance de l’кtre divin et de
la nфtre, comme l’avanзait la premiиre objection. Car notre intelligence prend
connaissance des choses par des images abstraites, similitudes des formes et
non de la matiиre ni des conditions matйrielles qui sont principes
d’individuation. D’oщ notre intelligence ne peut pas connaоtre les choses
particuliиres mais seulement les universelles. Or l’intelligence divine connaоt
les choses par leur essence dans laquelle comme dans leur principe sont
contenues virtuellement non seulement les formes mais aussi la matiиre et donc
il connaоt non seulement les choses universelles mais aussi les particuliиres. Semblablement rien n’empкche que Dieu connaisse les choses infinies,
bien que notre intelligence ne puisse les connaоtre. Notre intelligence ne peut
connaоtre а la fois et en acte plusieurs choses. Et ainsi si elle connaissait
les choses infinies en les considйrant elle devrait les йnumйrer une а une, ce
qui est contraire а la dйfinition de l’infini. Mais c’est virtuellement et en
puissance que nous pouvons connaоtre l’infini; par exemple les nombres et les
proportions en tant qu’en principe nous pouvons toujours y ajouter mais
successivement. Or Dieu peut connaоtre tout en une fois, comme on l’a vu (chapitres
29 et 96); et ce par quoi il connaоt toutes choses qui est son essence est le
principe suffisant de sa connaissance non seulement de ce qui est mais de ce
qui peut кtre. De mкme donc que nous pouvons connaоtre virtuellement et
potentiellement l’infini des choses dont nous avons le principe de
connaissance, ainsi, Dieu lui les connaоt toutes actuellement. Il est йvident aussi, malgrй que toutes les choses particuliиres
corporelles et temporelles ne soient pas toutes а la fois, que Dieu cependant
en a la connaissance actuelle; il les connaоt en effet selon son mode d’кtre
qui est йternel et sans succession. De mкme donc qu’Il connaоt immatйriellement
les choses matйrielles, et toutes les choses en une seule, ainsi aussi
connaоt-Il d’un seul coup d’oeil toute la succession des choses. Et ainsi rien
ne doit s’ajouter ou кtre retranchй а ce qu’Il connaоt puisqu’Il connaоt tous
les singuliers. D’oщ aussi il est йvident que des choses contingentes il en a une
connaissance certaine; car mкme avant qu’elles ne soient, Il les regarde, йtant
en acte dans son кtre et non seulement en tant qu’elles seront et en vertu de
leurs causes, comme nous qui pouvons aussi connaоtre certaines choses а venir. Bien
que les Contingents en tant que virtuels dans leurs causes ne soient pas
dйterminйs а telle chose pour qu’on puisse en avoir une connaissance certaine,
cependant en tant qu’actuellement existant ils ont йtй dйjа dйterminйs а cette
chose et on peut en avoir une connaissance certaine[14].
Car nous pouvons savoir de certitude de vision que Socrate est assis йtant
assis maintenant. Et de mкme Dieu connaоt tout avec certitude quoi que ce soit
а travers le cours du temps dans son йternitй. Car celle-ci atteint
prйsentement tout le cours du temps et lui est transcendant. Et ainsi nous
pourrions imaginer Dieu dans son йternitй connaissant le cours du temps comme
quelqu’un qui du haut d’un observatoire embrasse d’un regard tout le trafic des
passants. CHAPITRE 134: SEUL CONNAIT EN PARTICULIER LES FUTURS CONTINGENTS
Connaоtre ainsi les futurs contingents d’aprиs qu’ils sont
actuellement dans leur кtre, ce qui est en avoir la certitude, c’est lа ce qui
est propre а Dieu seul. C’est а lui qu’appartient, en propre et vraiment,
l’йternitй. D’oщ la prйdiction certaine des choses а venir est la marque
certaine de la divinitй, comme le dit Isaпe: "Annoncez-nous ce qui doit
arriver dans l’avenir et nous saurons que vous кtes des dieux" (41,
23). D’autres peuvent connaоtre les choses а venir dans leurs causes ce qui ne
constitue pas une certitude mais plutфt une conjecture, а moins d’une relation
nйcessaire de cause а effet: et de cette maniиre le mйdecin prйdit la maladie
et le marin les tempкtes. CHAPITRE 135: SE TROUVE PARTOUT PAR SA PUISSANCE, SON ESSENCE ET SA
PRЙSENCE, IL DISPOSE DE TOUT DIRECTEMENT
Ainsi donc rien n’empкche que Dieu ait aussi connaissance des choses
particuliиres et qu’Il en dispose directement, bien qu’il les fasse exйcuter
par des causes intermйdiaires. Mais aussi dans l’exйcution elle-mкme
intervient-Il en quelque sorte immйdiatement pour tous. les effets en tant que
toutes les causes intermйdiaires agissent sous l’influence de la cause
premiиre; d’une certaine faзon on peut dire que lui-mкme agit en tout et toutes
les oeuvres des causes secondes lui sont attribuables, comme а un artisan le
travail de l’instrument; en effet il est plus juste de dire que le fabricant a
fait le contenu plutфt que son marteau, Il est directement en rapport avec tout
ce qui se fait en tant qu’Il est essentiellement cause de l’кtre et que tout
garde son кtre de Lui. Et Dieu se trouve en toutes choses selon ces trois modes
immйdiats: par son essence, sa puissance et sa prйsence. Par son essence, en
tant que l’кtre de quelque chose est une participation а l’кtre divin et ainsi
l’essence divine se trouve en tout ce qui existe en tant qu’ayant l’кtre, comme
la cause en son propre effet. Par sa puissance en tant que tout agit par sa
vertu. Par sa prйsence en ce qu’Il ordonne et dispose tout immйdiatement. CHAPITRE 136: IL EST JUSTE QUE FASSE DES MIRACLES
Puis donc que tout l’ordre des causes secondes et leur vertu vient
de Dieu et que lui-mкme ne produit rien par nйcessitй mais librement comme on
l’a montrй plus haut (chapitre 96), il est clair qu’Il peut agir au-delа de ces
causes, comme lorsqu’Il guйrit ceux qui selon les lois naturelles ne peuvent
кtre guйris ou opиre d’autres prodiges de ce genre en dchors des causes
naturelles. C’est cependant selon l’ordre de la providence divine, par cela
mкme que parfois Dieu agit au-delа de l’ordre des causes naturelles en vue
d’une fin. Quand de telles choses se produisent on dit que ce sont des miracles;
car il est йtrange de voir un effet sans en connaоtre la cause. Comme Dieu est
la cause cachйe par excellence si quelque chose se produit en- dchors des
causes connues de nous on dit simplement qu’il y a miracle proprement dit. Si
la cause n’est inconnue que de tel ou tel ce n’est plus а proprement parler un
miracle, mais bien pour celui qui ignore la cause. D’oщ il arrive que quelque
chose paraоt йtrange а l’un qui ne l’est pas pour un autre qui en connaоt la
cause. Agir ainsi en dchors de l’ordre des causes secondes appartient а
Dieu seul qui est l’auteur de cet ordre auquel il n’est pas tenu. Mais tout le
reste y est soumis; d’oщ faire des miracles appartient seulement а Dieu, comme
le dit le Psalmiste: "Lui qui fait seul de grandes merveilles"
(Ps 72, 18). Lors donc que des miracles sont apparemment faits par une
crйature, ou bien ce ne sont pas de vrais miracles parce qu’ils sont dыs а
quelques causes naturelles qui nous sont cachйes, comme les miracles des dйmons
et qui sont de la magie; ou bien si ce sont de vrais miracles, ils ont йtй
obtenus par quelqu’un qui les aura demandйs а Dieu dans la priиre. Donc comme
les miracles ont Dieu seul comme auteur il est juste de les йlever en arguments
de la foi qui s’appuie sur Dieu seul. En effet si un homme avance quelque chose en s’appuyant sur
l’autoritй divine cela n’est jamais mieux prouvй que par des oeuvres que Dieu
seul peut accomplir. Mais ces miracles bien qu’accomplis au-delа de l’ordre des
causes secondes, on ne peut pas dire simplement qu’ils sont contre nature parce
que l’ordre naturel lui- mкme veut que les choses infйrieures soient soumises а
l’action des кtres supйrieurs. D’oщ ce qui advient aux corps infйrieurs sous
l’influence des corps cйlestes n’est pas simplement contre nature bien que
peut-кtre ce soit parfois contraire а la nature particuliиre de telle ou telle
chose comme le flux et le reflux de l’eau lors des marйes et qui se produit
sous l’action de la lune. Ainsi donc ce qui arrive aux crйatures par l’action
de Dieu, bien qu’apparemment contraire а l’ordre des causes secondes est
cependant conforme а l’ordre universel naturel. Les miracles ne sont donc pas
contraires а la nature. CHAPITRE 137: DES CHOSES QUI SONT FORTUITES OU ACCIDENTELLES
Bien que Dieu dispose de toutes choses mкme des moindres, comme on
l’a montrй (chapitres 123, 130, 131, 133-135), rien n’empкche cependant que
certaines n’arrivent par hasard ou fortuitement. Il peut arriver que quel que
chose soit fortuit ou accidentel par rapport а une cause infйrieure lorsque
quelque chose se fait au-delа de l’intention et qui n’est cependant pas fortuit
ni accidentel pour la cause supйrieure et donc n’йchappe pas а ses vues, comme
le maоtre qui envoie deux serviteurs au mкme endroit de telle faзon que l’un ne
sait rien de l’autre, leur rencontre est un hasard pour eux, non pour le
maоtre. Ainsi donc lorsque des choses arrivent au-delа de l’ordre des causes
secondes elles sont fortuites ou accidentelles par rapport а ces causes et on
peut dire qu’elles sont dues au hasard simplement en se tenant aux causes les
plus proches. Mais pour Dieu elles ne sont pas fortuites mais prйvues. CHAPITRE 138: LE DESTIN EST-IL UNE NATURE ET QU’EST-IL?
De ceci il ressort ce qu’est le destin. Comme en effet nombre
d’effets proviennent accidentellement selon qu’on considиre les causes
secondes, d’aucuns ne veulent les ramener а aucune cause supйrieure qui les
ordonne et donc il faut bien qu’ils nient l’existence du destin. D’autres ont
voulu ramener ces effets qui paraissent кtre du hasard et fortuits а une cause
supйrieure qui les ordonne; mais comme ils ne s’йlevaient pas au-dessus de
l’ordre corporel, ils attribuиrent cette ordination aux corps premiers,
c’est-а-dire cйlestes, et ils dirent que le destin provenait du pouvoir
qu’aurait la position des astres, d’oщ, disaient-ils, ces effets produits. Mais
comme on a montrй (chapitres 127-129) que l’intelligence et la volontй,
principes propres des actes humains, ne sont pas proprement soumis aux corps
cйlestes, on ne peut plus dire que ce qui paraоt accidentel ou fortuit dans les
choses humaines se ramиne aux corps cйlestes comme cause qui les ordonne. Or le destin ne semble se produire que dans les choses humaines dans
lesquelles est aussi le hasard. En effet il y en a qui s’interrogent а leur
sujet et veulent connaоtre l’avenir et les devins ont coutume de donner une
rйponse; et c’est pourquoi on fait dйriver le mot latin"fatum"du
verbe"fan"qui signifie dire. Et donc entendre ainsi le destin est
contraire а la foi. Mais comme les choses naturelles et aussi humaines sont soumises а
la divine providence, quand quelque chose arrive fortuitement dans les choses
humaines il faut les ramener а une disposition de la divine providence dans ce
sens ceux qui admettent que tout est soumis а la divine providence doivent
admettre le destin. En effet le destin ainsi entendu est mis en rapport avec la
divine providence comme йtant son effet propre; c’est une explication de la
divine providence appliquйe aux choses, selon ce que dit Boиce (Consol.
philos. 4, 6) que le destin est "une disposition"
c’est-а-dire une ordination "immobile inhйrente aux choses
mobiles". Mais parce que, autant qu’il est possible, nous ne devons
pas adopter un langage commun avec les infidиles, pour ne pas donner l’occasion
d’erreur aux non-initiйs, pour les fidиles il sera plus sыr d’йviter l’emploi
de ce mot qui convient mieux а la premiиre acception qui est assez commune. D’oщ
ce que dit saint Augustin au cinquiиme livre de la Citй de Dieu (chapitre
1) si quelqu’un entend le destin dans son second sens "qu’il retienne
le sens et en corrige l’expression". CHAPITRE 139: QU’EST-CE-QUE LA CONTINGENCE?
Bien que l’ordre assignй aux choses par la divine providence soit
certain, en raison de quoi Boиce disait: "Le destin est une disposition
immobile attachйe aux choses mobiles", cependant on ne peut dire que
tout arrive nйcessairement. Car les effets nйcessaires ou contingents le sont
en raison des causes prochaines. Il est manifeste en effet que si une premiиre
cause est nйcessaire et la suivante contingente, l’effet sera contingent; si
par exemple on attribue la gйnйration des corps infйrieurs а l’action des corps
cйlestes qui se produit nйcessairement, cependant la gйnйration et la
corruption des choses infйrieures se produira ou non parce que les causes
secondes ou infйrieures sont contingentes et peuvent faire dйfaut. Or on a
montrй (chapitres 124 а 130) que Dieu exйcute l’ordre de sa providence au moyen
des causes infйrieures. Il y aura donc des effets de la divine providence
contingents selon la condition des causes infйrieures ou secondes. CHAPITRE 140: LA DIVINE PROVIDENCE ЙTANT MAINTENUE BEAUCOUP DE CHOSES
SONT CONTINGENTES
Cependant la contingence des causes et de leurs effets ne peut
perturber la certitude de la providence divine. Il y a en effet trois choses
qui contribuent а cette certitude l’infaillibilitй de la prescience de Dieu,
l’efficacitй de sa volontй, et la sagesse de ses dispositions qui trouve les
voies suffisantes pour atteindre le rйsultat; aucune de ces trois choses ne
rйpugne а la contingence des choses. Car la science de Dieu quant aux futurs
contingents est infaillible en tant qu’Il les voit futurs dans son йternitй,
йtant en acte en son кtre а lui, comme on l’a vu (chapitre 133). De mкme la volontй de Dieu йtant la cause universelle des choses ne
fait pas seulement que quelque chose soit mais aussi qu’elle soit ainsi. Cela
donc appartient а l’efficacitй de sa volontй que non seulement se fasse ce que
Dieu veut mais de telle maniиre qu’il veut. Il veut que des choses soient
nйcessaires et d’autres contingentes parce que l’une et l’autre sont
nйcessaires а l’achиvement de l’univers. Donc pour que de ces deux maniиres
puissent se produire les choses, а certaines il adapte des causes nйcessaires,
а d’autres des causes contingentes; la prйsence d’effets nйcessaires et
d’effets contingents permet а la volontй de Dieu d’кtre efficace. Il est manifeste aussi que la sagesse des dispositions divines
assure la certitude de sa providence, la contingence des choses йtant sauve. Car
si l’homme par sa prй voyance peut corriger la dйfaillance des causes pour
qu’elles obtiennent йventuellement leurs effets comme chez le mйdecin qui
guйrit et chez le vigneron qui remйdie а la stйrilitй de sa vigne, combien а
plus forte raison arrive-t-il de par la sagesse de Dieu que mкme si les causes
contingentes viennent а faire dйfaut quant а leurs effets cependant par
l’emploi de correctifs elles obtiennent leurs effets, leur contingence restant
sauve. Ainsi donc il est clair que la contingence des choses n’exclut pas la
certitude providentielle de Dieu. CHAPITRE 141: CETFE CERTITUDE N’EXCLUT PAS LE MAL
De la mкme maniиre on peut se rendre compte qu’йtant sauve la divine
providence, des maux peuvent se produire dans le monde а cause de la dйficience
des causes secondes. Nous constatons en effet dans l’ordre des causes qu’un
mauvais effet vient d’un dйfaut de l’ordre d’une cause prochaine, dйfaut qui
n’est nullement produit par une premiиre cause, par exemple la claudication
produite par une courbature de la jambe n’a pas sa cause dans la vertu motrice
de l’вme. D’oщ le mouvement qui accompagne la claudication vient sans doute de
la vertu motrice mais ce qui s’y trouve de travers vient d’une mauvaise
courbure de la jambe. Et c’est pourquoi tout mal qui arrive dans les choses, quant а ce
qui s’y trouve d’кtre, d’espиce ou de nature doit кtre attribuй а Dieu comme en
leur cause; car le mal ne peut кtre que si le bien existe, comme on l’a vu (chapitre
118). Quant а ce qui s’y trouve de dйficience ce doit кtre ramenй а une cause
infйrieure dйficiente. Et ainsi bien qu’Il soit la cause universelle de toutes
choses Dieu n’est cependant pas la cause des maux comme tels, mais ce qui s’y
trouve de bien a sa cause en Dieu. CHAPITRE 142: SI DIEU PERMET LE MAL, AUCUNE ATFEINTE N’EST FAITE A SA
BONTЙ
Cependant il ne rйpugne pas а la bontй divine qu’elle permette le
mal dans les choses qu’elle gouverne. D’abord parce que ce n’est pas son rфle
de laisser pйrir la nature des choses qu’elle gouverne, mais de la sauver. Or
il est requis а la perfection de l’univers qu’il y ait des choses oщ le mal ne
peut arriver et d’autres qui puissent souffrir une dйficience du mal selon leur
nature. Si donc le mal йtait totalement exclu, les choses ne seraient plus
rйgies selon leur nature par la providence divine; ce qui constituerait un plus
grand dйfaut que de supprimer chaque dйfaut. Ensuite parce que le bien de l’un ne va pas sans le mal de l’autre,
comme nous voyons que la gйnйration de l’un n’est pas sans que l’autre se
corrompe; et la nourriture du lion sans la mort d’un autre animal; et la
patience du juste sans la persйcution de l’injuste. Si donc le mal йtait
totalement exclu, beaucoup de bien serait aussi supprimй. Ce n’est donc pas le
rфle de la divine providence que le mal soit totalement exclu des choses mais
que les maux qui arrivent soient ordonnйs а un bien. Enfin les maux particuliers rendent les biens plus valables par
comparaison comme l’obscuritй fait ressortir la lumiиre. Et ainsi parce qu’elle
permet que des maux existent dans le monde la divine bontй йclate davantage
dans les biens, et sa sagesse qui ordonne les maux vers le bien. CHAPITRE 143: C’EST PAR SA GRACE QUE DIEU EXERCE SA PROVIDENCE ENVERS
L’HOMME
Йtant donnй que la divine providence pourvoit а chaque chose selon
son mode et que la crйature rationnelle est maоtresse de ses actes par le libre
arbitre, ce dont ne jouissent pas les autres crйatures, il est nйcessaire
qu’elle y pourvoie d’une faзon singuliиre а deux choses: d’abord pour l’aide
que Dieu lui accorde en ses actes; ensuite pour ce qui lui est rйtribuй pour
ses oeuvres. En effet aux crйatures irrationnelles, seuls sont accordйs des
secours par Dieu qui les meuvent dans leur agir naturel; aux crйatures
rationnelles sont donnйs des enseignements et des prйceptes de vie. En effet on
ne donne de prйceptes qu’а celui qui est maоtre de ses actes, bien que par
analogie Dieu est dit donner des prйceptes aux crйatures irrationnelles, selon
le Psaume 148: "Il a commandй (а la mer) et elle ne dйbordera
pas." Un tel prйcepte n’est autre qu’une disposition de la divine
providence qui meut les agents naturels dans leur propre domaine. De mкme les actions des crйatures rationnelles leur sont imputйes а
leur louange ou comme faute du fait qu’elles sont responsables de leurs actes
non seulement dans le gouvernement des hommes entre eux, mais aussi de Dieu; 1,
les hommes en effet sont rйgis par l’homme et aussi par Dieu. A quelque rйgime
que l’on appartienne on lui est rendu redevable de ce qu’on fait de louable et
de rйprйhensible. Et comme pour les bonnes actions une rйcompense est due et
pour les fautes une peine, comme on l’a dit plus haut (chapitre 121) selon la
justice divine les crйatures rationnelles sont punies pour le mal et
rйcompensйes pour le bien. Chez les crйatures irrationnelles il ne peut кtre
question ni de peine ni de rйcompense, comme non plus d’кtre louйes ou d’кtre
inculpйes. Mais parce que la fin derniиre de la crйature rationnelle excиde le
pouvoir de sa nature et que les choses qui sont pour la fin doivent кtre
proportionnйes а cette fin, selon une juste disposition de la providence, il
s’en suit que pour la crйature rationnelle aussi des secours lui sont accordйs
en plus de ceux qui sont proportionnйs а sa nature, et donc qui excиdent son
pouvoir naturel. D’oщ au-dessus de la facultй naturelle de la raison est
accordйe par Dieu la lumiиre de la grвce qui perfectionne l’homme intйrieur en
vue de la vertu; quant а la connaissance lors- que l’esprit de l’homme est
йlevй aux choses qui excиdent la raison; quant а l’action et aux affections,
lorsque l’affection de l’homme se porte par cette lumiиre au- dessus de toutes
les crйatures par amour de Dieu, pour espйrer en lui et accomplir ce qu’un tel
amour demande. Ces dons ou secours surnaturels sont dits gratuits pour une double
raison. D’abord parce que Dieu nous les donne gratuitement. Car on ne peut rien
trouver en l’homme qui lui mйrite strictement en justice ces secours puisqu’ils
excиdent le pouvoir de l’humaine nature. Ensuite parce que d’une maniиre
spйciale l’homme par de tels dons est rendu agrйable а Dieu. Puisqu’en effet
l’amour de Dieu est cause de la bontй des choses, amour que n’a pas pu
provoquer une bontй prйalable — comme quand nous aimons — il est nйcessaire,
pour ceux qui jouissent de- preuves spйciales de cette bontй, d’admettre de la
part de Dieu un amour de prйdilection. D’oщ ceux-lа sont-ils surtout et
simplement aimйs auxquels sont faites de telles largesses qui les conduisent а
leur fin derniиre qui est Dieu lui-mкme, source de la bontй. CHAPITRE 144: DIEU PAR DES DONS GRATUITS REMET LES PЙCHЙS MКME CEUX QUI
TUENT LA GRВCE
Et comme le pйchй consiste en ce que les actions s’йcartent de
l’ordre dы а la fin et comme l’homme est ordonnй а la fin non seulement par des
secours naturels mais aussi gratuits, il est nйcessaire qu’aux pйchйs des
hommes soient opposйs des secours non seulement naturels mais aussi gratuits. Or
les contraires s’excluent. Si donc les pйchйs enlиvent а l’homme ces secours
gratuits il faut aussi qu’ils puissent кtre restituйs par des dons gratuits;
sinon la malice de l’homme qui pиche en rejetant la grвce pourrait plus que la
bontй divine qui йcarte le pйchй par le don de sa grвce. De mкme. Dieu pourvoit
aux choses selon leur nature. Or telle est la nature des choses changeantes que
les contraires peuvent y alterner comme la gйnйration et la corruption dans la
matiиre corporelle, le blanc et le noir dans les corps colorйs. Or l’homme est
changeant en sa volontй aussi longtemps qu’il est en cette vie. Ainsi donc Dieu
fait а l’homme des dons gratuits qu’il peut perdre par le pйchй et ainsi
l’homme commet des pкches que Dieu remet par des dons gratuits. En outre dans
les choses qui sont au-dessus de la nature, ce qui est possible ou impossible
dйpend de la puissance divine et non de la puissance de la nature. Qu’un
aveugle puisse voir ou qu’un mort ressuscite ce n’est pas de puissance
naturelle mais divine. Or les dons gratuits sont surnaturels. Que l’on puisse
les obtenir cela dйpend de la puissance divine. Dire qu’aprиs le pйchй on ne
puisse obtenir des dons gratuits c’est dйroger а la puissance divine. Cependant
les dons gratuits ne peuvent exister en mкme temps que le pйchй puisque par eux
l’homme est ordonnй а la fin dont il se dйtourne par le pйchй. Dire que les
pйchйs sont irrйmissibles est donc contraire а la puissance de Dieu. CHAPITRE 145: LES PЙCHЙS SONT RЙMISSIBLES
Si quelqu’un prйtend que les pйchйs ne peuvent кtre pardonnйs, sans
toutefois mettre en cause la puissance divine, mais parce que la justice divine
veut que celui qui succombe au pйchй ne puisse plus rentrer en grвce c’est
йvidemment faux. En effet l’ordre de la justice divine n’est pas qu’aussi
longtemps qu’on est voyageur on doive en mкme temps recevoir ce qui regarde le
terme du voyage. Or ne plus changer dans le bien ou dans le mal regarde le
terme du voyage; en effet l’immobilitй ou le repos sont termes du mouvement et
toute notre vie est un voyage; ce que montre bien le changement de l’homme et
quant au corps et quant а son вme. Ce n’est donc pas selon la justice divine
que l’homme aprиs le pйchй demeure immobile dans son pйchй. Encore. Les
bienfaits divins, surtout s’ils sont trиs grands, ne sont pas un danger pour
l’homme. Or il serait dangereux pour l’homme en cette vie changeante de
recevoir la grвce et qu’aprиs la grвce, ayant pйchй, il ne puisse de nouveau
rentrer en grвce, surtout si l’on considиre que les pйchйs commis avant la
grвce et remis par elle sont parfois plus grands que ceux commis aprиs avoir
reзu la grвce. On ne peut donc dire que les pйchйs de l’homme sont irrйmissibles,
qu’ils aient йtй commis avant ou aprиs. CHAPITRE 146: DIEU SEUL PEUT REMETFRE LES PЙCHЙS
Dieu seul peut remettre les pйchйs. La faute en effet commise contre
quelqu’un ne peut кtre remise que par lui. En effet les pйchйs sont imputйs а
l’homme comme faute, non seulement par l’homme mais aussi par Dieu, comme on
l’a montrй plus haut (chapitre 143). C’est en ce sens qu’il s’agit ici de
pйchйs selon qu’ils sont imputйs а l’homme par Dieu. Donc Dieu seul peut
remettre les pйchйs. Encore. Comme par le pйchй l’homme n’est plus ordonnй а sa fin
derniиre, le pйchй ne sera pardonnй que si l’homme est de nouveau ordonnй а sa
fin. Ce que font les dons gratuits qui viennent uniquement de Dieu puisqu’ils
excиdent notre facultй naturelle. De mкme. Le pйchй est imputй а l’homme comme faute en tant que
volontaire. Or Dieu seul peut changer la volontй; donc aussi remettre seul les
pйchйs. CHAPITRE 147: ARTICLES DE FOI QUI TRAITENT DES EFFETS DU GOUVERNEMENT
DIVIN
Le gouvernement des choses est donc le second effet de Dieu et
spйcialement quant aux crйatures rationnelles aux quelles il accorde sa grвce
et remet les pйchйs. Ces effets sont contenus dans le Symbole de la foi: et
quant а tout ce qui est ordonnй en vue de la bontй divine, en professant que le
Saint-Esprit est Dieu: car c’est le propre d Dieu d’ordonner ses sujets а leur
fin; et quant а ce qu’il meut en disant: "Et qui vivifie." De
mкme en effet que l’вme donne le mouvement au corps et est sa vie, de mкme le
mouvement par lequel Dieu meut tout l’univers est comme la vie de l’univers. Et
parce que toute la rai- son du gouvernement divin vient de la bontй divine qui
est appropriй а l’Esprit Saint, qui procиde comme amour, il est juste que les
effets de la divine providence soient attribuйs а la personne de l’Esprit
Saint. Quant а la connaissance surnaturelle que Dieu nous donne par la foi,
il est dit: "La Sainte Eglise catholique": car l’Йglise est le
rassemblement de ceux qui croient, des fidиles. Quant а la grвce que Dieu communique aux hommes il est dit: "La
communion des saints ". Quant а la rйmission des pйchйs il est dit: "La rйmission
des pйchйs". D — La consommation des siиcles (chapitre 148 а 162)
1° L ‘homme est la fin des кtres (chapitre
148 а 153)
CHAPITRE 148: TOUT A ИTЙ FAIT POUR L’HOMME
Puisque toutes choses sont ordonnйes а la bontй divine (chapitre 101)
comme vers leur fin et que, parmi celles qui sont ordonnйes а la fin, certaines
sont plus proches de cette fin en ce qu’elles participent plus pleinement de la
bontй divine, il s’en suit que ce qui est infйrieur parmi les choses crййes et
qui participe moins de la bontй divine ait en quelque sorte comme fin les кtres
supйrieurs. En effet dans l’ordre des fins ce qui est plus proche de la fin
derniиre est aussi fin pour ce qui est plus йloignй de la fin, comme par
exemple une potion mйdicinale sert а purger, la purge fait maigrir; et maigrir,
donne la santй: et ainsi la maigreur est la fin de la purge, et celle-ci de la
potion. Ce qui est bien comprйhensible. De mкme en effet que dans l’ordre des causes
agissantes la vertu du premier agissant parvient aux derniers effets par les
causes intermйdiaires, ainsi dans l’ordre des fins ce qui en est le plus
йloignй atteint la derniиre fin par ce qui en est le plus proche, comme la
potion mйdicinale n’est ordonnйe а la santй que par la purge. Ainsi dans
l’ordre universel des choses infйrieures atteignent principalement la fin
ultime parce qu’elles sont ordonnйes aux supйrieures. Cela devient йvident а qui considиre l’ordre mкme des choses.
Puisqu’en effet ces choses, qui se font naturellement, agissent d’aprиs ce
qu’elles sont, nous voyons les plus imparfaites servirent les plus nobles,
comme les plan tes que la terre nourrit; comme les animaux que les plan tes
nourrissent, et ces choses sont au profit de l’homme. En consйquence les choses
inanimйes sont pour les choses animйes, et les plantes pour les animaux et
ceux-ci pour l’homme. Puisqu’on a montrй (chapitre 74) que la nature
intellectuelle est supйrieure et la nature corporelle, il s’en suit que celle-ci
toute entiиre est ordonnйe au bien de la premiиre. Parmi les natures
intellectuelles celle qui est la plus proche du corps est l’вme rationnelle qui
est la forme de l’homme. C’est donc en quelque sorte а cause de l’homme, en
tant qu’animal rationnel, que toute la crйature corporelle existe. C’est donc
dans la perfection de l’homme que toute la nature corporelle trouve en quelque
sorte sa perfection. CHAPITRE 149: QUELLE EST LA FIN DERNIИRE DE L’HOMME?
Or la perfection de l’homme est l’obtention de la fin derniиre qui
est la parfaite bйatitude ou fйlicitй et qui consiste dans la vision de Dieu,
comme on l’a montrй (chapitres 105 et 107). Et l’immutabilitй de l’intelligence
et de la volontй est la consйquence de cette vision. De l’intelligence, car une
fois parvenue а la premiиre cause oщ tout peut кtre connu, la recherche
intellectuelle cesse. La mobilitй de la volontй cesse aussi, car la fin
derniиre atteinte, oщ se trouve la bontй en sa plйnitude, il ne reste plus rien
а dйsirer. Si la volontй est mobile c’est parce qu’elle dйsire ce quelque chose
qu’elle cherche. Il est donc manifeste que l’ultime accomplissement de l’homme
consiste dans la parfaite quiйtude et immobilitй de l’intelligence et de la
volontй. CHAPITRE 150: COMMENT L’HOMME PARVIENT-IL A L’ЙTERNITЙ COMME EN SON
ACHИVEMENT?
Comme on l’a montrй plus haut (chapitre 5 et 8), la nature de
l’йternitй consiste en son Immobilitй. De mкme que le mouvement cause le temps
oщ se trouve une succession d’avant et d’aprиs, ainsi faut-il qu’en йcartant le
mouvement cessent l’avant et l’aprиs; ainsi reste-il cette notion de l’йternitй
qui se dйfinit toute entiиre en mкme temps. Donc dans son ultime achиvement l’homme obtient la vie йternelle non
seulement quant а ce qu’il ne meurt plus en son вme, ce qui est dйjа l’йtat de
l’вme rationnelle, comme on l’a montrй (chapitre 84), mais encore il est amenй
а la parfaite immobilitй. CHAPITRE 151: POUR JOUIR DE LA PARFAITE BЙATITUDE L’ВME DOIT ИTRE UNIE
AU CORPS
Or il faut savoir qu’une parfaite immobilitй de la volontй ne peut
exister sans que soit totalement rempli un dйsir naturel. Or tout ce qui est
fait pour l’union selon sa nature dйsire cette union naturellement. En effet
chaque chose dйsire ce qui convient а sa nature. Puis donc que l’вme humaine
est naturellement unie au corps, comme on l’a montrй (chapitre 85), il y a en
elle un dйsir naturel d’union avec le corps. Il ne pourra donc pas y avoir de
parfait repos pour la volontй que si elle n’est de nouveau rйunie au corps ce
qui est pour l’homme ressusciter de la mort. De mкme. La perfection finale requiert ta premiиre perfection. Or la
premiиre perfection d’une chose consiste en celle de sa nature et la perfection
finale en l’acquisition de la fin derniиre. Donc pour que l’вme humaine
obtienne sa fin parfaite il faut qu’elle soit parfaite en sa nature, ce qui ne
peut se faire а moins d’кtre unie au corps. En effet la nature de l’вme est
d’кtre unie au corps comme sa forme; et aucune partie n’est parfaite en sa
nature а moins d’кtre unie au tout. Il est donc requis pour l’ultime bйatitude
de l’homme que l’вme soit а nouveau unie au corps. Encore. Ce qui est accidentel et contre nature ne peut кtre
perpйtuel. Or la sйparation de l’вme et du corps est nйcessairement
accidentelle et contre nature йtant donnй qu’il va de soi que l’вme est unie au
corps et cela naturellement. L’вme ne sera donc pas pour toujours sйparйe du
corps. Et comme elle est une substance incorruptible, comme on l’a montrй (chapitre
84), il reste qu’elle doit кtre de nouveau unie au corps. CHAPITRE 152: CETTE SЙPARATION EST EN PARTIE NATURELLE ET EN
PARTIE CONTRE NATURE
Il semblerait que l’вme n’est pas sйparйe du corps accidentellement
mais conformйment а sa nature. En effet le corps de l’homme est composй de
contraires; Tout ce qui est de ce genre est naturellement corruptible. Donc le
corps humain est de nature corruptible. Le corps une fois corrompu l’вme
demeure nйcessairement sйparйe du corps puisqu’elle est immortelle (chapitre 84).
Il semble donc que l’вme soit naturellement sйparable du corps. Il faudra donc maintenant considйrer ce qu’on entend par: selon ou
contre la nature. Or on a montrй plus haut (chapitres 79 et 92) que l’вme
rationnelle contrairement aux autres formes excиde le pouvoir de toute la
matiиre corporelle, ce que son activitй intellectuelle dйmontre qu’elle exerce
sans le corps. Donc pour que la matiиre corporelle lui soit convenablement
adaptйe il a йtй nйcessaire qu’une disposition soit surajoutйe au corps qui
fasse que la matiиre convienne а une telle forme. Et de mкme que cette forme
vient de Dieu seul par crйation, ainsi aussi cette disposition qui surpasse la
nature corporelle fut attribuйe au corps humain par Dieu seul, disposition qui
conserverait au corps d’кtre pour toujours incorruptible pour qu’ainsi il
convienne а la perpйtuitй de l’вme. Et cette disposition demeura dans le corps
de l’homme aussi longtemps que l’вme de l’homme adhйra а Dieu. S’йtant
dйtournйe de Lui par le pйchй il йtait juste que le corps humain perdit cette
disposition surnaturelle qui le soumet tait inйbranlablement а l’вme et ainsi
l’homme nйcessairement encourut-il la mort. Si donc on regarde la nature du
corps, la mort est naturelle; s’il s’agit de l’вme et de sa disposition qui dиs
le principe fut surnaturellement imprimйe au corps, la mort est un accident et
contre nature puisqu’il est naturel que l’вme soit unie au corps. CHAPITRE 153: L’ВME REPRENDRA ABSOLUMENT LE MКME CORPS ET NON D’UNE
AUTRE NATURE
Puisque l’вme est unie au corps comme la forme et qu’а chaque forme
rйpond une matiиre propre il est nйcessaire que le corps auquel l’вme est de
nouveau unie soit de mкme nature et espиce que le corps qu’elle dйpose а la
mort. L’вme en effet ne reprendra pas а la rйsurrection un corps cйleste, ou
aйrien ou d’un autre animal, corne certains ont divaguй, mais un corps humain
composй de chair et d’os, organique avec les mкmes organes dont il est fait
maintenant. De plus. De mкme
qu’а la mкme forme spйcifique revient la mкme matiиre spйcifique, ainsi а la
mкme forme identique revient la mкme matiиre identique; de mкme en effet que
l’вme d’un boeuf ne peut pas кtre celle du corps d’un cheval, ainsi l’вme de ce
boeuf ne peut кtre l’вme d’un autre boeuf. Il faut donc que l’вme rationnelle
restant identique, un corps identique lui soit de nouveau uni а la
rйsurrection. 2° Notre
rйsurrection (chapitre 154 а 162)
CHAPITRE 154: PAR LA SEULE VERTU DIVINE, L’ВME REPRENDRA UN MКME CORPS
IDENTIQUE
Les choses qui selon leur substance sont corruptibles ne se rйpиtent
pas identiquement selon l’activitй naturelle mais selon l’espиce seulement. Ce
n’est pas en effet le mкme nuage d’oщ est venue la pluie qui, tombйe et
йvaporйe, sera de nouveau lа. Comme donc le corps humain se corrompt
substantiellement par la mort, il ne peut revenir identique par une opйration
naturelle. Mais la nature mкme de la rйsurrection l’exige, comme on vient de le
voir. En consйquence la rйsurrection des hommes ne se fera pas par une
opйration naturelle, comme certains l’ont prйtendu: aprиs de nombreux circuits
d’annйes les corps revenant au mкme йtat et de nouveau identiques; mais le
rйtablissement des ressuscitйs se fera par la seule vertu divine. De mкme. Il est manifeste que des sens une fois perdus ne peuvent
nous кtre restituйs par une opйration naturelle, ni rien de ce que l’on a reзu
par la gйnйration, parce qu’il n’est pas possible que la mкme chose identique
se reproduise. Si quelque chose de ce genre est restituй а quelqu’un, par
exemple un oeil arrachй ou une main amputйe, c’est en vertu de l’intervention
de Dieu qui peut opйrer au-delа de la nature, comme on l’a montrй (chapitre 136).
Puis donc que par la mort tous les sens et tous les membres de l’homme
pйrissent il est impossible qu’un mort revienne а la vie si ce n’est par une
opйration divine. Du fait que nous posons que la rйsurrection se fera par la vertu
divine on peut facilement voir comment le corps identiquement sera restituй. Comme
en effet il a йtй dйmontrй (chapitres 123, 130, 131, 133 et 135) que toutes
choses, mкme les moindres, sont constituйes sous la providence divine, il est
manifeste que la matiиre de ce corps humain quelle que soit la forme qu’il
puisse obtenir aprиs la mort, n’йchappe ni au pouvoir ni а la connaissance de
Dieu. Et cette matiиre reste la mкme identiquement en tant qu’elle existe sous
des dimensions qui font qu’elle est cette matiиre et qu’elle est le principe
d’individuation. Donc cette mкme matiиre demeurant, et d’elle, par la vertu
divine, le corps humain йtant rйparй, comme aussi l’вme rationnelle qui йtant
incorruptible demeure la mкme unie au mкme corps, il s’en suit que c’est le
mкme homme individuel qui est rйparй а la vie. Et cette identitй individuelle n’a pas d’empкchement, comme certains
objectent, parce que ce n’est pas la mкme humanitй individuelle. Car l’humanitй
qui est la forme du tout n’est autre selon eux que la forme d’une partie, qui
est l’вme et qui est la forme du corps selon qu’elle donne l’espиce au tout.
S’il en est ainsi il est manifeste que la mкme humanitй individuelle demeure,
puisque l’вme rationnelle demeure individuellement la mкme. Mais comme l’humanitй est la dйfinition de l’homme tout comme
l’essence d’une chose est sa dйfinition; comme cette dйfinition de l’homme non
seulement signifie la forme mais aussi la matiиre celle-ci fait partie de la dйfinition
des choses matйrielles — il est plus juste de dire avec d’autres que la notion
d’humanitй inclut l’вme et le corps, autrement cependant que dans la dйfinition
de l’homme. Car dans la notion d’humanitй sont inclus les seuls principes
essentiels de l’homme en excluant les autres. Comme en effet par humanitй on
dit que l’homme est homme il est йvident que tout ce qui n’est pas dit vraiment
de l’homme comme tel est exclu de l’humanitй. Quand on dit "homme" celui qui possиde l’humanitй, cela
n’exclut pas qu’il n’ait pas d’autres choses par exemple la blancheur et autre.
Ce mot "homme" signifie ses principes essentiels sans
cependant exclure les autres qui ne sont inclus qu’en puissance et non en acte
dans sa notion. D’oщ "homme" signifie un tout, et "humanitй"
une partie, et elle n’est pas attribut du mot "homme". Chez
Socrate ou chez Platon sont incluses cette matiиre et cette forme; de mкme
qu’on dйfinit l’homme composй d’une вme et d’un corps, ainsi pour dйfinir
Socrate on dira qu’il est composй de ces chairs et de ces os et de cette вme.
Comme donc l’humanitй n’est pas une autre forme que l’вme et le corps mais est
composйe des deux, il est manifeste que le mкme corps йtant restituй et la mкme
вme subsistant on aura la mкme humanitй individuelle. Il n’y a pas non plus d’empкchement а cette identitй individuelle du
fait que la corporйitй ne soit plus identiquement la mкme puisqu’elle a disparu
avec le corps. Car si par corporйitй on entend la forme substantielle par quoi
quelque chose entre dans le genre de substance corporelle et puisque d’une
seule chose il n’y a qu’une forme substantielle, cette corporйitй n’est autre
que l’вme. Car cet animal n’est pas uniquement animal par cette вme, mais un
corps animй, et un corps, et aussi ce quelque chose existant dans le genre substance,
autrement l’вme adviendrait а un corps existant en acte et ainsi elle serait
une forme accidentelle. En effet le sujet d’une forme substantielle n’est pas
ce quelque chose en acte mais seulement en puissance; d’oщ lorsqu’il reзoit la
forme substantielle on ne dit pas qu’il est engendrй seulement selon ceci ou
cela comme pour les formes accidentelles, mais simplement qu’il est engendrй,
comme recevant simplement l’кtre et ainsi la corporйitй reзue demeure la mкme
individuellement l’вme rationnelle йtant restйe la mкme. Si par corporйitй on entend une forme d’oщ le corps prend son nom et
qui se trouve dans le genre de la quantitй, elle est alors une forme
accidentelle qui ne signifie rien d’autre que la triple dimension. D’oщ si elle
ne redevient pas identiquement la mкme, l’identitй du sujet n’en souffre pas
auquel suffit l’unitй des principes essentiels. Il en est de mкme pour tous les
accidents qui en changeant n’affectent pas l’identitй individuelle. D’oщ comme
l’union est une relation, et par lа un accident, sa diversitй gйnйrique
n’enlиve pas l’identitй au sujet. Semblablement ni la diversitй individuelle de
l’вme sensitive et vйgйtative, si on suppose qu’elles se corrompent; en effet
les puissances naturelles du composй se situent dans le genre accident et le
sensible qui est la diffйrence constitutive de l’animal n’est pas prise а
partir des sens mais de la substance mкme de l’вme sensitive qui chez l’homme
est substantiellement la mкme que l’вme rationnelle. CHAPITRE 155: NOUS NE RESSUSCITERONS PAS AU MКME MODE DE VIE
Bien que les hommes ressusciteront identiques а eux-mкmes ils
n’auront cependant pas le mкme mode de vie. Maintenant en effet ils ont une vie
corruptible, alors elle sera incorruptible. Si en effet la nature dans la
gйnйration humaine tend а se perpйtuer а plus forte raison Dieu le fera-t-il
pour sa restauration. En effet que la nature tende а se perpйtuer, elle le
tient de ce qu’elle y est mue par Dieu. Or dans la restauration de l’homme
ressuscitй il ne s’agit pas de perpйtuer l’espиce, ce qui peut кtre obtenu par
la continuitй de la gйnйration. Il reste donc qu’il s’agit de perpйtuer
l’individu. Les hommes donc par la rйsurrection vivront pour toujours. En outre. Si les hommes qui ressuscitent doivent encore mourir,
leurs вmes ne resteront pas pour toujours sйparйes du corps puisque la nature
de l’вme s’y oppose, comme on l’a vu (chapitres 151 et 152). Il faudra donc une
nouvelle rйsurrection et ainsi indйfiniment pour un mкme homme. Cela n’a pas de
sens. Il est donc plus convenable que dиs la rйsurrection les hommes
ressuscitent immortels. La suppression de la mortalitй n’apportera pas de changement
spйcifique ni individuel. Кtre mortel, en effet а proprement parler ne peut
constituer une diffйrence spйcifique de l’homme, car il s’agit lа d’une
passion, mais tient lieu de diffйrence de l’homme en ce que par lа est dйsignйe
la nature de l’homme c’est-а-dire un composй de contraires, comme"кtre
rationnel" dйsigne sa propre forme. En effet les choses matйrielles ne
peuvent se dйfinir sans la matiиre. Or on n’enlиve pas la mortalitй par la
suppression de sa propre matiиre; en effet l’вme ne reprendra pas un corps
cйleste ou aйrien, comme on l’a vu (chapitre 153), mais un corps humain composй
de contraires. Cependant l’incorruptibilitй lui viendra de la vertu divine par
laquelle l’вme dominera le corps au point qu’il ne puisse se corrompre. Car une
chose conserve son кtre aussi longtemps que la forme domine sur la matiиre. CHAPITRE 156: APRИS LA RЙSURRECTION L’USAGE DE LA NOURRITURE ET DE LA
GЙNЙRATION CESSERA
Parce que la fin йtant supprimйe ce qui y conduisait n’a pas raison
d’exister, et la mortalitй йtant йcartйe de ceux qui ressuscitent, doivent
aussi кtre soustraites ces choses qui sont ordonnйes а l’йtat de la vie
mortelle: telles la nourriture et la boisson qui sont nйcessaires а la
sustentation de la vie mortelle en restituant par la nourriture ce que fait
perdre la chaleur naturelle. Donc aprиs la rйsurrection disparaоtra l’usage de
la nourriture et de la bois son. De mкme pour les vкtements: ceux-ci sont
nйcessaire а l’homme en protйgeant le corps contre la chaleur ou le froid.
Semblablement l’usage des choses de la chair ces sera puisqu’elles sont
destinйes а la gйnйration des animaux; or la gйnйration se limite а la vie
mortelle afin que ce qui ne peut кtre conservй chez l’individu le soit au moins
dans l’espиce. Comme donc les hommes seront conservйs chacun dans son identitй
pour toujours il n’y aura plus de gйnйration et donc plus d’usage de l’oeuvre
de chair. De plus. Comme la semence est un excиdent des aliments, l’usage des
aliments cessant, celui de la chair ces sera aussi. Or on ne peut dire dйcemment que la dйlectation justifie l’usage des
aliments et des choses de la chair. Rien en effet de dйsordonnй n’existera en
ce stade final, car alors toutes choses auront atteint а leur maniиre leur
perfection. Or le dйsordre s’oppose а la perfection. Et comme la restauration
des hommes par la rйsurrection vient directement de Dieu, il n’y aura en cet
йtat aucune place pour quelconque dйsordre, car "les choses de Dieu
sont ordon nйes" (Rom 13, 1). Or il y a dйsordre si l’on cherche la
dйlectation dans l’usage des choses vйnйriennes ou des aliments. Ce que
d’ailleurs les hommes jugent кtre vicieux. Il n’y aura donc aucune place pour
le plaisir chez ceux qui ressuscitent, plaisir de la table ou plaisir de la
chair. CHAPITRE 157: CEPENDANT TOUS NOS MEMBRES RESSUSCITERONT
Bien que l’usage de telles chose fera dйfaut chez ceux qui
ressuscitent cela n’entraоnera cependant pas la perte des membres correspondant
а ces usages; car sans eux le corps du ressuscitй ne serait plus complet. Or il
convient dans la restauration du ressuscitй laquelle vient directement de Dieu,
dont les oeuvres sont parfaites, que sa nature soit complиtement restaurйe. Donc
ces membres chez les ressuscitйs demeureront pour conserver intacte leur nature
et non pour les actes auxquels ils йtaient destinйs.mmm De mкme. Si sans cet йtat les hommes obtiennent rйcompense ou
chвtiment pour les actes qu’ils posent maintenant — comme on le verra plus loin
il est juste qu’ils aient les mкmes membres par lesquels ils ont servi la
justice ou le pйchй en cette vie et qu’ils soient punis ou rйcompensйs dans ces
choses oщ ils ont pйchй ou mйritй. Semblablement convient-il que tous les dйfauts naturels
disparaissent dans les corps des ressuscitйs. En effet par tous ces dйfauts il
est fait dommage а l’intйgritй naturelle. Si donc il est juste que dans la
rйsurrection la nature de l’homme soit restaurйe intйgralement par Dieu, il
s’en suit que de tels dйfauts seront aussi enlevйs. De plus. Ces dйfauts sont dus а une dйficience naturelle qui fut au
principe de la gйnйration humaine. Or а la rйsurrection il n’y aura d’autre
pouvoir agissant que de Dieu chez qui il ne peut y avoir de dйficience. Donc
ces dйfauts qui existent chez les hommes engendrйs n’existeront plus chez ceux
qui auront йtй restaurйs par la rйsurrection. CHAPITRE 158: NOUS RESSUSCITERONS SANS AUCUN DЙFAUT LA CONSOMMATION DES
SIИCLES
CHAPITRE 159: L’HOMME RESSUSCITERA DANS LA SEULE VЙRITЙ DE SA NATURE
Ce qui a йtй dit de l’intйgritй des ressuscitйs doit s’entendre en
relation avec la vйritй de la nature humaine. Car ce qui ne lui appartient pas
ne peut кtre repris chez les ressuscitйs, (si par hasard on s’imaginait que
tout ce qu’ils ont converti en chair en fait de nourriture au cours de leur vie
ils le reprendraient). Ce qu’on entend par vйritй d’une nature est ce qui la
fait telle selon son espиce et sa forme. Selon ces deux choses, ce qu’on entend
par parties chez les ressuscitйs et qui seront intйgralement rendues, ce ne
sont pas seulement leurs membres mais ce qui les com pose comme la chair, les
nerfs et autres matiиres. Mais non tout ce qui se trouvait naturellement en ces
membres ou parties sera repris, mais seulement dans la mesure suffisante quant
а l’intйgritй spйcifique de ces parties. Ce qui cependant n’empкchera pas
l’homme d’кtre le mкme identiquement et intйgralement mкme si tout ce qui fut
en lui matйriellement ne ressuscite pas. Il est йvident en effet que dans l’йtat
de cette vie l’homme reste identique а lui-mкme depuis sa naissance jusqu’а sa
mort, cependant que ce qui est matйriel en lui sous l’aspect des parties qui le
composent ne reste pas le mime, mais insensiblement se transforme; tout comme
un feu qui se maintient tandis que du bois se consume et qu’on y apporte du
nouveau, ainsi l’homme est conservй intact quand il garde sa nature et ce qui
appartient а celle-ci. CHAPITRE 160: DIEU SUPPLЙERA TOUT DANS LE CORPS AINSI RЙFORMЙ ET TOUT CE
QUI MANQUE A LA MATIИRE
De mкme que Dieu ne reprendra pas pour le corps de l’homme tout ce
qui y fut matйriellement pour la restauration du ressuscitй, ainsi aussi ce qui
lui manqua matйriellement Dieu y supplйera. Si en effet par l’action de la
nature l’enfant acquiert son dйveloppement par une matiиre extйrieure grвce а
l’absorption d’aliments et par vient а sa perfection physique et ne cesse pas
pour cela d’кtre lui-mкme, bien davantage Dieu pourra-t-il supplйer а la
dйficience matйrielle chez ceux qui en ont souffert en leur vie quant а
l’intйgritй de leur corps. Ainsi donc si certains eurent une conformation
dйfectueuse ou ne sont pas arrivйs а l’вge adulte au jour de leur mort ils
obtiendront par la vertu divine la perfection et de leurs membres et de leur
stature. CHAPITRE 161: SOLUTION DE QUELQUES OBJECTIONS
Par lа on peut rйsoudre ce que d’aucuns objectent contre cette
rйsurrection’. Ils supposent en effet qu’un homme se nourrisse de chair humaine
et que plus tard ainsi nourri il engendre un fils qui utilise la mкme nourriture.
Si donc la nourriture est convertie en substance de chair il paraоt bien qu’il
soit impossible que l’un et l’autre ressuscitent intйgralement puisque les
chairs de l’un sont changйes en chairs de l’autre; et ce qui, semble-t-il, est
plus difficile — si comme disent les philosophes la semence est le surplus de
la nourriture, — il suit que la semence d’oщ est nй le fils est prise des
chairs de l’autre et ainsi il paraоt impossible que le fils engendrй de cette
semence ressuscite si les hommes dont son pиre et lui- mкme ont mangй les
chairs, ressuscitent intйgralement. Mais ceci ne rйpugne pas а la commune rйsurrection. On a dit en
effet (chapitre 159) qu’il n’est pas nйcessaire que soit repris dans celui qui
ressuscite tout ce qui fut matйriellement en lui, mais seulement autant qu’il
suffit а la mesure de la quantitй convenable. On a dit aussi (chapitre 160) que
si quelque chose manquait а la parfaite quantitй la vertu divine y supplйerait. Il faut de plus bien savoir que ce qui existe matйriellement dans le
corps de l’homme appartient а divers degrйs а la vйritй de la nature humaine.
Car ce qui est premier et principal vient des parents et est formй comme ce
qu’il y a de plus pur dans l’espиce humaine. En second lieu il y a ce qui
provient de la nourriture et qui est nйcessaire а la formation du corps; or
tout mйlange extйrieur affaiblit le pouvoir d’une chose pour finalement aboutir
а la dйcadence, au vieillissement et а la dissolution, comme aussi le vin par
addition d’eau finit par кtre presque de l’eau Ultйrieurement il y a le surplus
de nourriture qui produit soit la semence pour la gйnйration, soit les cheveux
qui nous protиgent ou servent de parure. Certaines choses ne servent vraiment а
rien et sont rejetйes en sueur et autres йvacuations ou sont retenues et sont
une charge а la nature. Ceci donc sera pris en considйration par la divine providence lors
de la rйsurrection gйnйrale que ce qui se trouvait кtre le mкme matйriellement
en divers hommes, ressuscitera chez celui qui possйdait le degrй supйrieur
(reзu des parents); ce qui se trouvait d’une et mкme maniиre en (nos) deux
hommes ressuscitera chez celui en qui cela se trouvait d’abord et dans l’autre
la vertu divine y supplйera. Et ainsi il est clair que les chairs humaines que
quelqu’un aura mangйes ne ressusciteront pas chez lui; mais chez celui qui les
avait d’abord; cependant elles ressusciteront chez celui que cette semence aura
engendrй quant а ce qui йtait comme leur nourriture humide le reste
ressuscitera chez le premier et Dieu supplйant а chacun ce qui manque. 1.
Cf. saint Augustin, De civit. Dei 22, 12 P.L. 41, 775 sq. 2. Cf. Sum. Th. I, 119, 1 C et ad 4. 3.
Saint Thomas distingue dans le corps deux parties qu’il appelle humides: la
partie humide radicale et la partie humide nourriciиre. A la premiиre
appartient ce qui constitue l’espиce et qui ne peut кtre enlevй ni кtre
restituй, par exemple une main ou un pied amputйs. La seconde (nourriciиre)
c’est ce qui n’est pas encore transformй en la premiиre, comme le sang; cela
peut кtre enlevй sans que le pouvoir de l’espиce en souffre (Th I 119, 1). Remarque: En termes de
biologie moderne, on qualifierait de tissu cellulaire la partie humide radicale
et de globules sanguins, la seconde, qui est nourriciиre destinйe а remplacer
ou а nourrir les cellules constituйes. CHAPITRE 162: L’ARTICLE DU SYMBOLE CONCERNANT LA RЙSURRECTION DES MORTS
Pour confesser la foi en la rйsurrection on a dans le symbole des
Apфtres: "la rйsurrection de la chair". Et ce n’est pas sans
raison qu’on ajoute "de la chair"; car il s’en est trouvй,
mкme du temps des Apфtres, qui niaient la rйsurrection de la chair, ne
confessant que la seule rйsurrection spirituelle par laquelle l’homme
ressuscitera de la mort du pйchй. Ce qui fait dire а l’Apфtre que certains ont
failli а la vйritй disant que la rйsurrection йtait dйjа accomplie et ils
йbranlиrent la foi de plusieurs (2 Tim 2, 18). Et pour йcarter leur erreur et
pour qu’on croie а la rйsurrection future, il est dit dans le Symbole des Pиres
(de Nicйe) "J’attends la rйsurrection des morts". E — La vie future (chapitre 163 а 184)
CHAPITRE 163: QUELLE SERA L’ACTIVITЙ DES RESSUSCITЙS
Il faut aller de l’avant et nous demander quelle sera l’activitй des
ressuscitйs. En effet tout vivant doit avoir une activitй principale, en quoi
sa vie consiste, comme ceux qui principalement s’adonnent aux plaisirs
voluptueux ont une vie voluptueuse; ceux qui s’adonnent а la contemplation, une
vie contemplative; ceux qui s’occupent de gouverner la citй, une vie civile. Or
on a vu (chapitre 156) que ceux qui ressusciteront ne feront pas usage de
nourriture, ni des choses de la chair; ce en quoi est ordonnйe l’activitй
corporelle; celles-lа йtant abolies, restent les opйrations spirituelles dans
lesquelles consiste la fin derniиre de l’homme, comme nous l’avons vu (chapitres
104 а 107). L’obtention de cette fin convient aux ressuscitйs, eux qui ont йtй
libйrйs de l’йtat de corruption et de changement, comme on l’a montrй (chapitre
155). Mais ce n’est pas en n’importe quelle activitй spirituelle que la fin de
l’homme consiste, mais en ce que Dieu soit vu en son essence (chapitres 104 а
107). Or Dieu est йternel; il faut donc que l’intelligence s’unisse а
l’йternitй. De mкme donc que ceux qui s’adonnent а la voluptй sont dits mener
une vie voluptueuse, ainsi ceux qui jouis sent de la vision divine obtiennent
la vie йternelle, selon ce que dit saint Jean: "Ceci est la vie
йternelle qu’ils te connaissent toi, le vrai Dieu et celui que tu as envoyй
Jйsus-Christ" (17, 3). CHAPITRE 164: SERA VU DANS SON ESSENCE ET NON PAR SIMILITUDE
L’intelligence crййe verra Dieu en son essence, non par une
similitude de lui-mкme, comme est prйsente а l’intelligence une chose pensйe
distante de celle-ci, comme la pierre qui a sa ressemblance dans notre oeil,
mais absente quant а sa substance; mais comme on l’a montrй (chapitre 105)
l’essence mкme de Dieu est en quelque sorte unie а l’intelligence crййe de
sorte que Dieu puisse кtre vu en son essence. De mкme donc que dans la fin
derniиre on verra ce qu’on avait cru de Dieu auparavant, ainsi ce qu’on
espйrait comme distant, on le tiendra comme actuel, et c’est ce qu’on entend
par "saisie", selon ce que dit l’Apфtre: "Je poursuis pour
tвcher de le saisir." (Phil. 3, 12). Ce qui ne veut pas dire un
accaparement mais une prйsence intime et une possession, selon le sens du verbe
saisir. CHAPITRE 165: VOIR DIEU EST LA SUPRКME PERFECTION ET JOUISSANCE
Considйrons en outre que de l’apprйhension de ce qui convient naоt
une jouissance, comme la vue jouit de belles couleurs et le goыt de saveurs
dйlicieuses. Mais cette jouissance des sens peut кtre empкchйe si les organes
sont indisposйs; car aux yeux malades la lumiиre est insupportable qui est
douce aux yeux sains. Mais comme l’intelligence ne pense pas par des organes
corporels (chapitre 79) nulle tristesse ne peut contrarier la jouissance que
procure la considйration de la vйritй. Accidentellement une tristesse cependant
peut se produire si ce qu’on comprend est saisi comme йtant nuisible; mais
alors la tristesse est dans la volontй et non dans la chose connue. Or Dieu par
cela mкme qu’Il est, est la vйritй. Donc l’intelligence qui voit Dieu ne peut
pas ne pas jouir de sa vision. De plus. Dieu est la bontй mкme qui est cause de l’amour. D’oщ il
est nйcessaire qu’elle soit aimйe de tous ceux qui la saisissent. Bien qu’en
effet ce qui est bon puisse ne pas кtre aimй et mкme кtre haп ce n’est pas en
tant qu’il est saisi comme bon mais en tant que nuisible. Donc dans la vision de Dieu qui est la bontй et la vйritй mкme,
aussi bien que la comprйhension, il faut y trouver l’amour ou la jouissance
dйlectable, selon ce que dit le prophиte Isaпe: "Vous verrez et votre
coeur se rйjouira." (66, 14). CHAPITRE 166: QUE TOUT CE QUI VOIT EST CONFIRMЙ DANS LE BIEN
Il s’en suit que l’вme qui voit Dieu, ou tout autre crйature
spirituelle, a sa volontй confirmйe en Lui de sorte qu’elle ne puisse plus se
tourner vers ce qui est contraire. En effet comme l’objet de la volontй est le
bien, elle ne peut se tourner vers autre chose que sous le mobile du bien. Mais
en tout bien particulier peut se trouver une dйficience qui conduit celui qui
s’en rend compte а chercher autre chose. D’oщ il n’est pas nйcessaire que la
volontй de celui qui aperзoit un bien particulier s’y arrкte exclusivement de
sorte qu’il ne cherche pas ailleurs. Mais en Dieu qui est le bien universel et
la bontй mкme aucun bien ne manque qu’on pourrait trouver ailleurs, comme on
l’a montrй (chapitres 21 et 106). Quiconque donc voit Dieu en son essence ne
peut en dйtourner sa volontй de sorte qu’en tout il y tende selon cette raison
mкme. On peut aussi le constater par analogie avec nos propres pensйes. Notre
intelligence en effet peut dans le doute se tourner ici ou lа jusqu’а ce
qu’elle parvienne au premier principe qui lui donne fermetй. Comme donc la fin
dans les choses qu’on dйsire est comme le principe dans les choses que nous
pensons, la volontй peut aussi se porter vers des contraires jusqu’а ce qu’elle
parvienne а la jouissance ou la connaissance de la fin derniиre en laquelle
aussi elle est nйcessairement affermie. Ce serait aussi contraire а la notion
de la parfaite fйlicitй que l’homme puisse se tourner vers son contraire; en
effet la crainte de la perdre ne serait pas totalement exclue et par lа le
dйsir ne serait pas totalement apaisй. Et l’Apocalypse dit du bienheureux: "Il
ne sortira plus au dchors." (3, 12). CHAPITRE 167: LE CORPS SERA ENTIИREMENT SOUMIS A L’ВME
Puisque le corps est pour l’вme comme la matiиre pour la forme et
l’instrument pour l’artisan, а l’вme qui aura atteint cette vie un corps lui
sera uni divinement qui con vienne а la bйatitude de l’вme. En effet ce qui est
pour une fin doit pouvoir satisfaire а l’exigence de cette fin. Pour l’вme
parvenue au sommet de son activitй intellectuelle il convient que son corps ne
puisse l’en empкcher ou la retarder en quoi que ce soit. Or le corps humain de
par sa corruptibilitй empкche l’вme et la retarde de sorte qu’elle ne peut
persister en une continuelle contemplation ni atteindre au sommet de la
contemplation. C’est en se soustrayant aux sensations du corps que les hommes
se rendent plus aptes а saisir les choses divines. Car les rйvйlations
prophйtiques se manifestent а ceux qui dorment ou dans une extase, selon ce que
disent les Nombres: "S’il y a parmi vous quelque prophиte du Seigneur,
je lui apparaоtrai en vision ou je lui parlerai en songe" (12, 6). Les
corps des bienheureux ressuscitйs seront incorruptibles et ne retarderont pas
les вmes, comme actuellement; totalement soumis а l’вme ils ne lui rйsisteront
en rien CHAPITRE 168: DES PRIVILИGES ACCORDЙS AUX CORPS GLORIFIЙS
Ceci permet de percevoir quelle disposition auront les corps des
bienheureux. L’вme en effet est la forme et le moteur du corps. En tant que
forme non seulement elle est principe du corps quant а son кtre substantiel
mais encore quant aux accidents qui lui sont propres et qui sont causйs dans le
sujet par l’union de la forme а la matiиre. Or plus une forme aura йtй
puissante moins aussi un agent extйrieur pourra-t-il empкcher l’action de la
forme sur la matiиre, comme il apparaоt dans le feu dont la forme, qu’on dit la
plus noble parmi les formes йlйmentaires, fait que le feu ne peut кtre
facilement transformй de sa disposition naturelle sous l’action d’un agent.
Comme donc l’вme bienheureuse se trouvera au sommet de sa noblesse et de son
pouvoir parce qu’unie au premier principe des choses, elle apportera au corps,
qui lui est divinement uni, d’abord son кtre substantiel de faзon la plus
noble, le possйdant sous elle totalement, ce qui le rendra subtil et spirituel;
ensuite elle lui donnera la qualitй la plus noble c’est-а-dire la clartй de la
gloire; et а cause de son pouvoir l’вme l’empкchera d’кtre changй par aucun
agent et c’est l’impassibilitй; et comme il obйira а l’вme totalement, comme
l’instrument dans (les mains) de celui qui le meut, il sera agile. Telles
seront donc les quatre conditions des corps des bienheureux subtilitй, clartй,
impassibilitй et agilitй. D’oщ ce que dit l’Apфtre en la 1re aux Corinthiens: "Semй
dans la corruption (par la mort) le corps surgira incorruptible" c’est
l’impassibilitй; "semй dans l’ignominie, il surgira dans la
gloire" c’est la clartй; "semй dans l’infirmitй, il surgira
dans la puissance" c’est l’agilitй; "semй corps animal, il
surgira corps spirituel", c’est la subtilitй. CHAPITRE 169: L’HOMME SERA ALORS RENOUVELЙ ET TOUTE LA CRЙATURE
CORPORELLE
Il est manifeste que les choses qui sont pour une fin sont disposйes
selon l’exigence de cette fin; d’oщ si la fin est plus ou moins parfaite, ce
qui y est ordonnй l’est aussi, par exemple la nourriture et le vкtement ne sont
pas les mкmes pour un enfant ou pour un adulte. Or on a vu plus haut (chapitre 148)
que la crйature corporelle est faite pour la nature raisonnable comme vers sa
fin. Il faut donc que l’homme recevant son ultime perfection par la
rйsurrection, la crйature corporelle reзoive un statut diffйrent; et c’est
ainsi que le monde est dit renouvelй lors de la rйsurrection de l’homme, selon
ce que dit l’Apocalypse "Je vis un ciel nouveau et une terre
nouvelle" (21, 1) et Isaпe: "Voici que je crйe des cieux
nouveaux et une terre nouvelle" (65, 17). CHAPITRE 170: QUELLES CRЙATURES SERONT RENOUVELЙES ET QUELLES CRЙATURES
DEMEURERONT?
Cependant il faut savoir que divers genres de crйatures corporelles
sont ordonnйs а l’homme diffйremment. Il est manifeste en effet que les plantes
et les animaux sont au service de l’homme comme une aide а sa faiblesse, comme
la nourriture, le vкtement, les transports, que lui procurent ces crйatures.
Cependant en son ultime йtat grвce в la rйsurrection cette faiblesse
disparaоtra. En effet les hommes n’auront plus besoin d’aliments, йtant
incorruptibles, comme on l’a vu (chapitre 155); ni de vкtements, la clartй de
la gloire les revкtira; ni d’animaux pour les transporter leur agilitй y pourvoyant;
ni de remиdes pour conserver leur santй, car ils seront impassibles. Donc pour
ces crйatures corporelles: plantes, animaux et le reste des corps mixtes, en
cet йtat de l’ultime consommation, il est juste qu’elles ne subsistent plus. Quant aux quatre йlйments c’est-а-dire le feu, l’air, l’eau et la
terre, ils ne sont pas destinйs seulement а l’usage de la vie corporelle mais
aussi а la constitution du corps; car le corps humain est fait de ces йlйments.
Ainsi donc ils ont un rapport essentiel avec le corps humain. L’homme une fois
achevй en son corps et en son вme il est juste que ces йlйments subsistent,
mais changйs en une disposition meilleure. Les corps cйlestes quant а leur substance, s’ils ne sont d’aucun
usage pour la vie corruptible de l’homme, ni n’entrent dans la substance du
corps humain, servent l’homme par leur beautй et leur grandeur en lui montrant
l’excellence de son crйateur; d’oщ frйquemment l’Йcriture provoque l’homme а la
considйration des astres pour кtre ainsi amenй а tйmoigner son respect а Dieu,
comme il est clair par le prophиte Isaпe: "Levez en haut vos yeux et
demandez-vous qui les a crййs" (40, 26). Et bien que dans cet йtat de
perfection l’homme ne soit pas amenй des crйatures sensibles а la connaissance
de Dieu qui est vu en lui-mкme, cependant il est agrйable et dйlectable d’en
con naоtre la cause, de considйrer comment sa ressemblance se fait sentir dans
ses effets; d’oщ pour les saints c’est une joie de considйrer le reflet de sa
divine bontй principalement dans les corps cйlestes qui ont la prййminence sur
les autres. Les corps cйlestes ont aussi une relation en quel que sorte
essentielle avec le corps humain en raison de cause active, comme les йlйments
en raison de cause matйrielle. L’homme en effet engendre l’homme, (sous
l’action) du soleil. D’oщ et de cette maniиre convient-il que les astres
subsistent. Non seulement la mкme Constatation peut кtre faite par rapport а
l’homme mais aussi quant а la nature des crйatures corporelles. Ce qui en effet
n’a rien qui soit incorruptible ne peut demeurer dans cet йtat d’incorruption.
Les corps cйlestes sont incorruptibles selon leur tout ou leur partie; les
йlйments selon le tout non selon leur partie; l’homme selon une partie, l’вme
rationnelle mais non selon le tout parce que le composй est dissout par la mort;
les animaux et les plantes et les autres corps mixtes ne sont incorruptibles ni
selon le tout, ni selon la partie. Resteront donc а juste titre en cet ultime
йtat d’incorruption les hommes, les astres et les йlйments, mais non les autres
animaux, ni les plantes ou les corps mixtes. Si l’on considиre les choses sans leur universalitй il en doit кtre
ainsi. Comme en effet l’homme fait partie de l’univers corporel dans son ultime
achиvement il est nйcessaire que tout ce qui est corporel demeure; en effet la
partie n’est parfaite que dans le tout. Or l’univers corporel ne peut demeurer
sans ses parties essentielles. Or celles-ci sont les corps cйlestes et les
йlйments dont est faite ‘toute la machine du monde; le reste n’appartient pas,
semble-t-il, а l’intйgritй du corps universel, mais plu tфt а son ornement et а
sa beautй. C’est lа une situation de changement selon que d’un corps cйleste
comme agent et des йlйments comme matiиre sont engendrйs des animaux, des
plantes et des minйraux. Dans le statut de l’ultime consommation les йlйments
auront une autre parure correspondant а l’йtat d’incorruption. Demeureront donc
en cet йtat, les hommes, les йlйments et les corps cйlestes, mais pas les
animaux, les plantes et les minйraux. 1. Nous dirions plus simplement: "ce qui n’a rien en soi
d’incorruptible finira un jour". La formulation de saint Thomas est
apparemment йtriquйe, tautologique mкme, а cause de son induction qui fait
plusieurs fois mention de l’incorruption. CHAPITRE 171: LES CORPS CЙLESTES CESSERONT LEUR
MOUVEMENT
Comme les astres se meuvent continuellement, on pourrait penser
qu’alors leur substance demeurant, ils continueraient leur mouvement en ce
stade d’achиvement Et а la vйritй si le mouvement des astres est assimilй а
celui des йlйments cette position serait juste. En effet le mouvement des
йlйments est lourd ou lйger en fonction de leur perfection. Ils tendent par
leur mouvement naturel vers l’endroit qui leur convient pour leur meilleur
кtre. D’oщ dans cet ultime stade d’achиvement chaque йlйment et chacune de ses
parties aura son endroit propre. Mais on ne peut en dire autant des astres
puisque le corps cйleste ne peut reposer oщ que ce soit; mais de mкme qu’il a
son mouvement naturel pour tout endroit, ainsi s’en йcarte-t-il naturellement
Comme le mouvement ne fait pas partie de leur perfection il peut leur кtre
enlevй et donc rien n’est perdu chez eux. Il est ridicule aussi de dire que de mкme qu’un corps lйger se meut
vers le haut de par sa nature, ainsi le corps cйleste de par sa nature se meut
circulairement comme par un principe actif. Il est manifeste en effet que la
nature tend vers l’unitй; d’oщ ce qui par dйfinition rйpugne а l’unitй ne peut
кtre la fin derniиre de la nature. Or c’est ce qui se produit dans le mouvement
qui n’est jamais dans le mкme йtat. Donc la nature ne produit pas le mouvement
pour lui-mкme mais elle le cause pour arriver au terme du mouvement, comme ce
qui est lйger tend vers le haut et ainsi du reste. Comme donc le mouvement
circulaire d’un astre n’a pas de destination dйterminйe on ne peut dire que le
principe actif du mouvement circulaire d’un corps soit sa nature comme il l’est
du mouvement d’attraction des lourds et des lйgers. D’oщ leur nature demeurant
rien n’empкche que les corps cйlestes cessent leur mouvement, bien que le feu
tout en gardant sa nature ne puisse trouver du repos en dchors de son propre
lieu. Cependant le mouvement d’un astre est dit naturel non qu’il ait en
lui-mкme le principe de son mouvement, mais а cause du mobile lui-mкme qui est
apte а un tel mouvement. Il reste donc qu’il faut attribuer son mouvement а une
intelligence. Mais comme l’intelligence ne meut qu’en vue d’une fin il faut
chercher а savoir quelle est la fin du mouvement des astres. Or on ne peut pas
dire que le mouvement lui-mкme soit une fin; le mouvement en effet йtant une
voie vers la perfection, il n’est pas une fin mais en vue d’une fin.
Semblablement on ne peut dire que le changement de position est la fin du corps
cйleste, c’est-а-dire que son mouvement consisterait а кtre partout en acte oщ
il est en puissance parce que cela est infini et- que l’infini ne peut кtre une
fin. On est donc amenй а considйrer la fin du mouvement cйleste. En effet
il est manifeste que tout corps mы par une intelligence est l’instrument de
celle-ci. Or la fin du mouvement de l’instrument est la forme que conзoit
l’agent et qui par le mouvement de l’instrument est rйduite en acte. Or la fin
que l’intelligence divine poursuit par le mouvement du ciel est la perfection des
choses par gйnйration et corruption; et l’ultime fin de cela est la plus noble
des formes qui est l’вme humaine et dont la fin derniиre est la vie йternelle,
comme on l’a vu (chapitres 149 et 150). L Donc la fin ultime du mouvement cйleste est la multiplication des
hommes pour la vie йternelle. Or cette multitude ne peut кtre infinie; car
l’intention de toute intelligence s’arrкte en quelque chose de fini. Une fois
donc complet le nombre des hommes qui auront йtй produits pour la vie
йternelle, et ceux-ci y йtant йtablis, le mouvement cйleste cessera, comme
cesse le mouvement de tout instrument une fois l’oeuvre achevйe. Le mouvement
du ciel cessant cessera en consйquence le mouvement des corps infйrieurs, seul
exceptй chez l’homme le mouvement а partir de l’вme. Et ainsi tout l’univers
corporel aura une autre disposition et une autre forme, selon la ire aux
Corinthiens: "La figure de ce monde passe" (7, 31).
La rйtribution
(chapitres 172-183)
CHAPITRE 172: DE LA RЙCOMPENSE OU DU MALHEUR DE L’HOMME SELON
SES ЊUVRES
Nous considйrons maintenant que si pour parvenir а une fin on doit
suivre une voie dйterminйe ceux-lа ne l’obtiendront pas qui marchent par une
autre voie ou qui est contraire. En effet le malade ne guйrit pas s’il utilise
des moyens contraires et que le mйdecin dйfend ou ce sera alors fortuitement.
Or il y a une voie dйterminйe pour parvenir а la bйatitude et c’est la vertu.
En effet rien n’aboutit а la fin qu’en accomplissant bien ce qui lui est
propre. En effet la plante ne portera du fruit que si le mode de son opйration
naturelle se conserve en elle; ni le coureur ne parvient а conquйrir la palme
ou le soldat la victoire que si tous deux accomplissent leur tвche. Or l’homme
remplit correctement son devoir s’il agit selon la vertu; car la vertu d’une
chose est ce qui la rend bonne de mкme que son oeuvre, comme le dit Aristote (2
Eth. 6, 2). La vie йternelle йtant la fin derniиre de l’homme tous n’y
parviennent que ceux qui pratiquent la vertu. De plus. On a montrй (chapitres 123 а 135) que non seulement les
choses naturelles sont sous la divine providence mais aussi les humaines et en
gйnйral et en particulier. Or il appartient а celui qui prend soin de chacun de
nous en particulier de rйcompenser la vertu et de punir le pйchй; car la peine
est le remиde de la faute et son expiation, comme on l’a vu (chapitre 121). Or
la rйcompense de la vertu est la fйlicitй que Dieu dans sa bontй accorde а
l’homme. Il appartient donc а Dieu de rendre а ceux qui agissent
contrairement а la vertu non pas la fidйlitй mais au con traire le chвtiment
c’est-а-dire le malheur extrкme. CHAPITRE 173: LA RЙCOMPENSE ET LE CHВTIMENT VIENNENT DANS L’AUTRE VIE
Posons en principe que des contraires ont des effets contraires. Or
а l’action vertueuse s’oppose celle qui est malicieuse. Il faut donc que le
chвtiment auquel conduit l’action malicieuse soit le contraire de la fйlicitй
que mйrite l’action vertueuse. Or les contraires ressortissent au mкme genre.
Comme donc l’ultime bonheur qu’on obtient par une conduite vertueuse n’est pas
un bien de la vie prйsente, mais vient aprиs comme on l'a dit (chapitre 108) il
s’en suit que l’ultime malheur auquel aboutit la malice est un chвtiment dans
l’autre vie. En outre. On doit bien constater que tous les biens et tous les maux
de cette vie ont une destination. Car les biens extйrieurs et ceux mкmes du
corps sont au service de la vertu qui est la voie directe vers la bйatitude
pour ceux qui font bon usage de ces choses; de mкme pour ceux qui en font
mauvais usage, ils sont des instruments de leur malice qui conduit au malheur;
et semblablement les maux qui sont а l’opposй, comme l’infirmitй, la pauvretй
et autres choses de ce genre pour certains profitent а la vertu, pour d’autres
ils augmentent leur malice, selon la maniиre diffйrente de les utiliser. Or ce
qui est destinй а une autre chose ne peut кtre la fin derniиre qui suppose la
derniиre rйcompense et la derniиre peine. Et donc les biens et les maux de
cette vie ne sont ni l’ultime fйlicitй ni le dernier chвtiment. CHAPITRE 174: LE CHВTIMENT DE L’HOMME QUANT A LA PEINE DU DAM
Puisque le chвtiment auquel conduit la malice est con traire а la
fйlicitй auquel conduit la vertu, on doit juger du chвtiment par opposition а
ce qui est dit de la fйlicitй. Or on a vu (chapitres 104 а 107, 149, 164 а 166)
que l’ultime bonheur de l’homme, en ce qui concerne l’intelligence consiste
dans la pleine vision de Dieu, en ce qui concerne son affection dans la fermetй
et l’immobilitй de la volontй de l’homme en la bontй premiиre. Donc le plus
grand malheur de l’homme est que son intelligence sera totalement privйe de la
lumiиre divine et son affection obstinйment dйtournйe de la bontй divine; lа
est le malheur essentiel des damnйs et qu’on appelle la peine du dam. Cependant il faut considйrer, comme on l’a vu (chapitre 118) que le
mal n’exclut pas le bien totalement puisque tout mal a son fondement en quelque
bien. Donc le mal heur bien qu’opposй au bonheur, exempt lui de tout mal, a son
fondement en un bien naturel. Or le bien de la nature intellectuelle consiste
en ce que l’intelligence regarde le vrai et que la volontй tende au bien. D’oщ
il faut que l’intelligence de l’homme qui se trouve dans ce malheur extrкme ait
quelque connaissance et quelqu’amour de Dieu en tant qu’Il est le principe des
perfections naturelles, ce qui est l’amour naturel, mais non selon qu’il est en
lui-mкme, ni selon qu’Il est le principe des vertus ou encore des grвces et de
tous les autres biens par lesquels la crйature intellectuelle est par lui
amenйe а la perfection (et) qui est la perfection de la vertu et de la gloire. On ne peut pas dire non plus que ces malheureux sont privйs de
libertй, mкme si leur volontй est inйbranlablement affermie dans le mal, comme
c’est le cas des bien heureux qui sont affermis dans le bien. Car la libertй
s’йtend proprement а l’йlection de ce qui regarde la fin. Or la fin derniиre
est naturellement dйsirйe de tous; d’oщ tous les hommes du fait qu’ils sont intelligents
dйsirent naturellement le bonheur comme leur fin derniиre, а ce point que personne
ne peut vouloir кtre malheureux. Et cela ne rйpugne pas au libre arbitre qui
s’йtend seulement а ce qui conduit а la fin. Qu’un tel mette son bonheur en tel bien particulier, tel autre en
tel autre bien, cela ne leur vient pas en tant qu’hommes car dans telle
estimation ou appйtit les hommes sont diffйrents, mais en ce que chacun est
ainsi dis posй c’est-а-dire selon quelque passion ou habitude. Que s’il vient а
changer, une autre chose lui paraоtra bien meilleure. C’est ce qui apparaоt
surtout chez ceux qui par passion veulent quelque chose de meilleur; la passion
ces sont, par exemple la colиre ou la concupiscence, ils ne jugent plus de la
mкme maniиre ce bien comme avant. Les habitus sont plus tenaces et l’on
persйvиre plus fermement dans ces choses qu’on recherche par habitus. Cependant
aussi longtemps qu’un habitus peut changer, l’appйtit et l’apprйciation de
l’homme pour la fin derniиre peuvent aussi changer. Or ceci ne peut arriver aux hommes qu’en cette vie oщ ils sont en
йtat de changement; en effet aprиs cette vie l’вme ne peut plus changer et
prendre un autre parti parce qu’un tel changement n’est possible qu’incidemment
selon un certain changement concernant le corps. Mais aprиs avoir repris le
corps le changement mкme du corps ne suivra pas mais plutфt le contraire.
Maintenant en effet l’вme est infusйe а un corps en croissance et donc elle
s’adapte aux changements du corps. Alors le corps sera uni а l’вme
prйexistante; d’oщ il suivra totalement ses conditions. Donc l’вme selon qu’il
lui sera proposй telle ou telle fin au moment de la mort y demeurera а jamais,
la dйsirant comme ce qu’il y a de mieux, soit bonne soit mauvaise, selon ce que
dit l’Ecclйsiaste: "Si l’arbre tombe au sud ou au nord, ou quelqu’autre
lieu, il y sera" (11, 3). Ainsi donc aprиs cette vie ceux qui seront
trouvйs bons dans la mort auront pour toujours leur volontй confirmйe dans le
bien, ceux qui seront trouvйs mauvais seront pour toujours obstinйs dans le
mal. 1. Il faut distinguer l’habitude de l’"habitus". Dans
le langage courant l’habitude signifie ce que l’on fait souvent, habituellement
sans que cela entraоne une propension а agir de telle faзon plutфt que d’une
autre. L’"habitus" ajoute а la rйpйtition des actes quelque chose
d’acquis dans la facultй de l’homme, comme nous disons aussi "un
pli": avoir pris un bon ou un mauvais pli, soit une vertu soit un vice.
CHAPITRE 175: LES PЙCHЙS MORTELS NE SONT PAS REMIS APRИS CE VIE, MAIS
BIEN LES VЙNIELS
Les pйchйs mortels sont une aversion de la fin derniиre а l’endroit
de laquelle l’homme est affermi inйbranlablement aprиs la mort comme on l’a dit
(chapitres 166 et 174); or les pйchйs vйniels n’ont pas trait а la fin derniиre
mais а ce qui mиne а la fin. Mais si la volontй des mйchants est affermie
obstinйment dans le mal aprиs la mort, ils dйsireront toujours comme le
meilleur ce qu’ils auront recherchй. Ils ne regretteront pas d’avoir pйchй; car
personne ne regrette avoir recherchй ce qu’il estime кtre le meilleur. Mais il
faut bien savoir que ceux qui sont condamnйs а l’extrкme malheur n’obtiendront
pas aprиs la mort ce qu’ils ont dйsirй comme le meilleur: il ne sera pas donnй
aux luxurieux de pouvoir l’кtre encore, aux envieux le pouvoir de blesser et
d’entraver les autres et ainsi des autres vices. Mais ils sauront que ceux qui
ont vйcu selon la vertu ont obtenu ce qu’ils dйsiraient comme le meilleur. Les
mйchants regretteront donc d’avoir pйchй non que leurs pйchйs leur dйplaisent —
car mкme alors ils prйfиre raient commettre ces pйchйs s’ils le pouvaient que
de possйder Dieu — mais parce qu’ils ne peuvent avoir ce qu’ils ont choisi et
qu’ils auraient pu avoir ce qu’ils ont rejetй. Ainsi donc leur volontй
demeurera toujours obstinйe dans le mal et cependant ils regretteront
extrкmement les fautes commises et d’avoir perdu la gloire. Et cette douleur
est appelйe remords de la conscience, qui mйtaphoriquement est appelй ver,
selon ce que dit Isaпe: "Leur ver ne mourra pas." CHAPITRE 176: LES CORPS DES DAMNЙS SOUFFRIRONT ET DEMEURERONT INTACTS
SANS LES DONS
De mкme que chez les saints la bйatitude de l’вme rebondit en
quelque sorte sur le corps, comme on l’a dit (chapitre 168), ainsi aussi la
misиre de l’вme retombe sur les corps des damnйs tout en observant qu’elle
n’exclut pas le bien naturel de l’вme et de mкme pour le corps. Donc les corps
des damnйs seront intacts naturellement mais ne jouiront pas des privilиges qui
sont attachйs а la gloire des bienheureux; ils ne seront ni subtils ni
impassibles mais garderont leur lourdeur et leur souffrance qui seront
aggravйes; ils ne seront pas agiles mais а peine supportables а l’вme; ils
seront sans clartй mais obscurs comme pour manifester dans leurs corps
l’obscuritй oщ se trouve l’вme selon ce que dit Isaпe "Faces brыlйes
que leur visages" (13, 8). CHAPITRE 177: LES CORPS DES DAMNЙS QUOIQUE SOUFFRANT DEMEURERONT
INCORRUPTIBLES
Cela semble contredire ce que nous expйrimentons actuellement car "plus
la souffrance augmente plus le sujet diminue"[15].
Il y aura cependant alors une double raison а ce que la souffrance continue et
perpйtuelle ne corrompra pas les corps. La premiиre est que le mouvement du ciel cessant, comme on l’a vu (chapitre
171) toute mutation naturelle ces sera. Il n’y aura donc plus d’altйration
naturelle mais seulement de l’вme. Altйration naturelle s’entend par exemple le
passage du chaud au froid ou ce qui de quelque faзon varie selon sa qualitй
naturelle. Altйration de l’вme s’entend quand quelque chose acquiert une
qualitй non pas dans son йtat naturel mais immatйrialisй, comme la pupille de
l’oeil qui ne reзoit pas la couleur comme telle mais en est impressionnйe. Ainsi
donc les corps des dam nйs souffrirons du feu ou de tout autre йlйment
corporel, non qu’ils soient changйs en l’espиce ou qualitй du feu mais ils
seront impressionnйs par l’excellence de ses qualitйs et lа sera leur
affliction en tant que cette excellence contrariera l’harmonie dont est fait le
plaisir sensible. Cependant il n’y aura aucune corruption car l’impression
immatйrielle des formes ne transforme pas la nature corporelle autrement qu’accidentelle". La seconde raison se trouve du cфtй de l’вme dont l’immortalitй sera
transmise au corps par un effet divin. D’oщ l’вme en tant que forme et nature
de tel corps lui confйrera un кtre perpйtuel; cependant elle ne pourra pas
l’empкcher de souffrir n’en ayant pas la facultй. Ainsi donc ces corps
souffriront йternellement sans cependant se corrompre. CHAPITRE 178: LE CHВTIMENT DES DAMNЙS EXISTE AVANT MКME LA RЙSURRECTION
Ainsi donc selon ce qu’on vient de voir il est clair que la fйlicitй
ou le chвtiment consistent principalement dans l’вme; accessoirement et par une
sorte de dйrivation dans le corps. Donc le bonheur ou le malheur de l’вme ne
dйpendent pas du corps heureux ou malheureux mais plu tфt а l’inverse. Comme
donc aprиs la mort les вmes subsistent avant de reprendre leur corps, les unes
avec la bйatitude comme rйcompense, les autres avec le malheur comme chвtiment,
il est manifeste qu’avant mкme d’avoir repris le corps, les вmes des uns
jouiront de la dite fйli citй, selon l’Apфtre: "Nous savons que si notre
demeure terrestre oщ nous habitons se dissout, nous avons de Dieu un йdifice,
une maison non faite de mains d’homme mais йternelle dans le ciel" (2 Cor
5, 1) et il continue: "Nous avons la hardiesse et une bonne raison de
prйfйrer sortir du corps pour кtre prйsents au Seigneur". D’autres
вmes vivront malheureuses, selon Luc "Le riche mourut et fut enseveli
en enfer" (16, 22). CHAPITRE 179: LA PEINE DES DAMNЙS EST CORPORELLE ET SPIRITUELLE
Il faut cependant savoir que le bonheur des вmes sain tes consiste
en choses spirituelles; mais la peine des dam nйs avant la rйsurrection ne sera
pas seulement spirituelle, comme certains l’ont pensй, mais ils auront aussi а
subir des peines corporelles. La raison de cette diffйrence est que les вmes
des saints tant qu’elles furent en ce monde unies au corps ont observй l’ordre
en ne se soumettant pas aux appйtits du corps, mais а Dieu seul dont la
jouissance est cause de toute fйlicitй et non dans des biens du corps; les вmes
des mйchants n’ayant pas observй l’ordre naturel se sont attachйes aux choses
corporelles tout en mйprisant les choses divines et spirituelles. D’oщ la
consйquence qu’elles sont punies non seulement en la privation des biens
spirituels mais aussi en йtant assujetties aux choses corporelles. Si donc il se trouve dans les Saintes Йcritures des promesses de
biens corporels comme rйtribution des вmes saintes elles doivent кtre exposйes
au sens mystique selon que dans ces textes les choses spirituelles sont
habituellement comparйes aux choses corporelles. Mais ce qu’elles prйdisent des
peines corporelles infligйes aux вmes des damnйs, comme d’кtre tourmentйes du
feu de l’enfer, cela doit кtre interprйtй littйralement. CHAPITRE 180: L’ВME PEUT-ELLE SOUFFRIR DU FEU?
Pour qu’on ne puisse pas trouver absurde que l’вme sйparйe du corps
souffre du feu il faut considйrer qu’il n’y a rien de contraire а ce qu’une
nature spirituelle soit liйe а un corps. En effet cela se fait aussi par
nature, comme il appert dans l’union de l’вme et du corps; et par la magie par
laquelle un esprit est attachй а des statues, des anneaux ou autres choses.
Cela donc peut aussi se produire par la vertu divine que des substances
spirituelles, bien que selon leur nature elles soient йlevйes au- dessus de
tous les кtres corporels, puissent кtre liйes а des corps, par exemple au feu
infernal non qu’elles l’animent mais parce qu’elles lui sont en quelque sorte
astreintes. Et d’кtre ainsi soumise en quelque sorte а une nature infйrieure,
c’est une affliction pour une substance spirituelle. En tant donc qu’une telle apprйhension est afflictive pour une
substance spirituelle se vйrifie ce qu’on dit que l’вme brыle du fait mкme
qu’elle se voit brыler; et de plus ce feu est spirituel, car il afflige
directement, le feu, qui est saisi comme si on y йtait attachй. En tant que le
feu, auquel elle est liйe, est corporel, se vйrifie ce que dit Grйgoire (Dial.
4, 29) que l’вme non seulement en le voyant mais aussi en l’expйrimentant
souffre du feu. Et parce que ce feu, non de sa nature mais par la vertu divine,
peut s’attaquer а une substance spirituelle, d’aucuns disent justement, que ce
feu agit sur l’вme comme instrument de vengeance de la divine justice; mais il
n’agit pas sur la substance spirituelle comme sur les corps en les йchauffant,
les sйchant, les dissolvant mais en s’y attachant comme on vient de le dire. Et
parce que ce qui afflige le plus une substance spirituelle est l’apprйhension
d’un feu qui se l’attache pour la chвtier on peut alors se rendre compte que
son affliction ne cesse pas, mкme si pour un moment elle en йtait dispensйe,
comme celui qui serait condamnй а la prison perpйtuelle n’en sentirait pas
moins une souffrance continue mкme si pour un instant il йtait mis en libertй. CHAPITRE 181: APRИS CETTE VIE IL Y A DES PEINES PURIFICATRICES NON
ЙTERNELLES POUR EXPIER LES PEINES DUES AUX PЙCHЙS MORTELS NON SATISFAITES EN
CETFE VIE
Bien qu’il se trouve des вmes qui aussitфt libйrйes de leur corps
obtiennent la bйatitude йternelle, comme on l’a vu (chapitre 178), cependant d’aucunes
sont retardйes pour un temps. Il arrive en effet que certains pour des pйchйs
commis, dont ils se sont enfin repentis, n’ont pas fait pйnitence en cette vie.
Et parce que l’ordre de la justice divine veut que pour les fautes il y ait une
peine, il faut bien qu’aprиs cette vie leurs вmes expient la peine qu’ils n’ont
pas satisfaite en ce monde. Mais elles ne sont pas rйduites а l’extrкme misиre
des damnйs puisque par la pйnitence elles ont йtй ramenйes а l’йtat de charitй
par quoi elles adhйrиrent а Dieu comme а leur fin derniиre et mйritиrent la vie
йternelle. D’oщ il reste aprиs cette vie des peines purificatrices pour
satisfaire aux peines non expiйes. CHAPITRE 182: LES PЙCHЙS VЙNIELS DOIVENT AUSSI AVOIR LEUR PURIFICATION
Semblablement il arrive aussi que d’aucuns soient dйcйdйs de cette
vie sans pйchй mortel mais cependant avec quelque pйchй vйniel qui ne les
dйtourne pas de leur fin derniиre bien que ce soit sur ce qui mиne а la fin par
un attachement coupable. Ces pйchйs а la vйritй chez quelques saints
personnages ont йtй effacйs par la ferveur de leur charitй. Mais chez les
autres ils doivent purger ces pйchйs par quelque, peine car on ne parvient а
obtenir la vie йternelle que si l’on est exempt de tout pйchй et dйfaut. Il
faut donc admettre des peines purificatrices aprиs cette vie. Mais ces peines ont leur effet de purification selon la condition de
ceux qui les subissent; or ils ont la charitй par laquelle ils sont conformes а
la volontй de Dieu et par la vertu de cette charitй les peines qu’ils endurent
leur sont utiles pour les purifier. D’oщ ceux qui n’ont pas la charitй, comme
sont les damnйs, les peines ne les purifient pas, mais l’imperfection du pйchй
demeure et donc la peine dure toujours. CHAPITRE 183: POUR UNE FAUTE TEMPORELLE, RЙPUGNE-T-IL A LA JUSTICE
DIVINE QU’ON SUBISSE UNE PEINE ЙTERNELLE?
Ce n’est pas contraire а la justice divine que quelqu’un subisse une
peine йternelle, car mкme les lois humaines ne font pas dйpendre une peine en
la mesurant au temps. En effet pour le pйchй d’adultиre ou d’homicide commis en
un court moment, la loi humaine fait encourir parfois l’exil ou mкme la mort;
ce qui sйpare pour toujours de la sociйtй civile; que si cet exil ne dure pas
pour toujours c’est accidentel puisque la vie humaine n’est pas perpйtuelle,
mais l’intention du juge semble bien tendre, autant que possible, а punir pour
toujours. D’oщ il n’y a rien d’injuste si pour un pйchй momentanй et temporel
Dieu dйcide une peine йternelle. Semblablement il faut admettre que la peine est infligйe au pйcheur
qui ne se repent pas de son pйchй et qui donc perdure en lui jusqu’а la mort.
Et comme il pиche dans son кtre йternel il est rationnel que Dieu le punisse
йternellement. Tout pйchй commis contre Dieu revкt une sorte d’infinitй par rapport
а Dieu. Il est manifeste en effet que la personne offensйe plus elle est
importante plus aussi l’offense est grave: celui qui gifle un soldat est plus
gravement coupable que s’il donne ce soufflet а un rustre; et encore davantage
s’il s’agit d’un prince ou d’un roi. Or comme Dieu est infiniment plus grand,
l’offense commise contre Lui est en quelque sorte infinie, d’oщ une peine en
somme infinie lui est-elle due. Mais la peine n’est pas infinie en intensitй
parce que rien de crйй ne peut кtre infini. D’oщ il reste qu’une peine de durйe
infinie est due pour le pйchй mortel. De mкme. A celui qui peut кtre corrigй on inflige une peine
temporelle pour sa correction ou amendement. Si, donc quelqu’un ne peut кtre
corrigй, mais que sa volontй reste obstinйment affermie dans le pйchй, comme on
l’a dit des damnйs (chapitre 174 et 175), sa peine ne peut avoir de terme
final. CHAPITRE 184: CE QU’ON A DIT PRЙCЙDEMMENT CONVIENT AUSSI AUX AUTRES
SUBSTANCES SPIRITUELLES COMME AUX ВMES
Comme l’homme en sa qualitй de nature spirituelle est comparable а
l’ange chez qui peut aussi se trouver le pйchй comme aussi chez les hommes,
comme on l’a vu (chapitre 112 et 120), tout ce qui est dit de la peine ou 4e la
gloire des вmes doit кtre entendu de la gloire des bons et de la peine des
mauvais anges. Cependant il y a cette diffйrence entre les hommes et les anges
que la confirmation de la volontй dans le bien et l’obstination dans le mal de
l’вme humaine a lieu lorsqu’elle se sйpare du corps, comme on l’a vu (chapitre 174)
tandis que les anges aussitфt que de volontй dйlibйrйe ils ont fixй leur fin en
Dieu ou dans le crйй, dиs ce moment ils sont bons ou mauvais, bienheureux ou
malheureux. En effet dans l’вme humaine le changement est possible non
seulement selon la libertй volontaire, mais de par la mutation corporelle; chez
les anges seul le libre arbitre dйcide. Et donc chez eux dиs le premier choix
sont-ils immuablement fixйs tandis que nos вmes le sont seulement aprиs leur
sйparation du corps. Donc c’est pour exprimer la rйcompense des bons qu’il est dit dans
le Symbole de la Foi: "La vie йternelle". Cette vie, ne
doit pas кtre seulement comprise quant а sa durйe mais plutфt а cause de la
jouissance йternelle. Mais comme а ce propos beaucoup d’autres choses sont а croire,
et qu’on a dites au sujet des peines des damnйs et de la fin du monde, pour
rйsumer tout cela il est dit au Symbole
des Pиres: "La vie du siиcle futur". Car le siиcle futur comprend toutes ces
choses.
SECOND TRAITЙ: L'HUMANITE DU CHRIST
CHAPITRE 185: DE LA FOI DANS L’HUMMANITИ DU CHRIST
Comme on l’a dit au commencement, la foi chrйtienne s’occupe
principalement de deux choses: c’est-а-dire de la divine trinitй et de
l’humanitй du Christ. Aprиs avoir traitй de la divinitй et de ses effets, il
reste а considйrer ce qui a trait а l’humanitй du Christ. Et comme l’Apфtre dit
que le Christ est venu en ce monde pour sauver les pйcheurs (1 Tim 1, 15) il
faut au prйalable considйrer ce que fut la chute du genre humain dans le pйchй
afin que soit connu ‘avec plus d’йvidence comment l’humanitй du Christ a
dйlivrй les hommes de leurs pйchйs. A — Le rйgne du pйchй (chapitre 186 а 198)
CHAPITRE 186: DES PRЙCEPTES DONNЙS AU PREMIER HOMME ET DE LA PERFECTION
DE CELUI-CI EN SON PREMIER ЙTAT
Comme nous l’avons dit plus haut (chapitre 152), l’homme fut
constituй par Dieu dans une condition telle que le corps soit entiиrement
soumis а l’вme; en outre, parmi les parties de l’вme, les forces infйrieures
devaient кtre soumises sans rйpugnance а la raison et la raison elle-mкme а
Dieu. Or de ce que le corps йtait soumis а l’вme il se faisait qu’aucune
passion du corps ne pouvait se produire qui rйpugnerait а la domination de
l’вme sur le corps. D’oщ ni la mort, ni l’infirmitй n’avaient place en l’homme.
Et par la soumission des forces intйrieures а la raison rйgnait dans l’homme
une parfaite tranquillitй d’esprit parce que la raison humaine n’йtait troublйe
par aucune passion dйsordonnйe. De ce que la volontй de l’homme йtait soumise а
Dieu, l’homme rapportait tout а Dieu comme а sa fin derniиre; ce en quoi
consistaient sa justice et son innocence. De ces trois (le corps, l’вme et Dieu), le dernier йtait cause par
rapport aux deux autres. En effet ce n’йtait pas de la nature du corps, si l’on
considиre ses composants, qu’en lui n’ait pas lieu la dissolution ou tout autre
passion qui rйpugne а la vie puisqu’il йtait composй d’йlйments contraires. Semblablement
il n’йtait pas dans la nature de l’вme que les forces mкme sensibles soient sou
mises а la raison sans aucune rйpugnance puisque ces for ces sensibles se
meuvent naturellement vers ce qui est dйlectable aux sens et qui rйpugne en
bien des maniиres а la droite raison. Cela donc venait d’une vertu supйrieure,
c’est-а-dire de Dieu. De mкme qu’il avait uni au corps une вme raisonnable,
laquelle excиde toute proportion du corps et des forces corporelles, comme sont
les facultйs sensibles, ainsi Il a donnй а l’вme rationnelle la vertu
nйcessaire pour maintenir le corps au-dessus de sa condition, et comme aussi
des forces sensibles, comme il con venait а une вme rationnelle. Afin donc que la raison maintienne les choses infйrieures fermement
sous elle il fallait qu’elle-mкme se main tienne fermement sous Dieu dont elle
tenait la vertu prйcitйe, supйrieure а sa condition naturelle. Donc l’homme fut
ainsi constituй qu’а moins que sa raison ne se soustraie а Dieu, ni son corps
ne pouvait se Soustraire а un ordre de l’вme, ni les forces sensibles а la
rectitude de la raison: d’oщ une vie immortelle et impassible, c’est-а-dire
qu’il ne pouvait mourir ni souffrir s’il ne pйchait pas. Mais il pouvait pйcher
tant que sa volontй n’йtait pas encore confirmйe en l’adoption de la fin
derniиre et dans cette йventualitй il pouvait souffrir et mourir. Et en cela diffиrent l’impassibilitй et l’immortalitй du premier homme
de celle que les saints auront а la rйsurrection qui jamais ne pourront ni
souffrir ni mourir, leur volontй йtant complиtement confirmйe en Dieu, comme on
l’a dit plus haut (chapitre 166). Une autre diffйrence aussi existait, car
aprиs la rйsurrection, les hommes n’useront plus ni de la nourriture ni des
choses de la chair; or le premier homme de celles que les saints auront а la
rйsurrection qui jamais ne pourront ni souffrir ni mourir, leur d’assurer la
race, le genre humain se multipliant а partir d’un seul. D’oщ il reзut deux
prйceptes pour sa condition: pour la premiиre il lui fut dit: "De tout
arbre qui est dans le paradis tu mangeras"; pour la seconde il lui fut
dit: "Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre." CHAPITRE 187: CE PARFAIT ЙTAT AVAIT NOM: JUSTICE ORIGINELLE, ET DE
L’ENDROIT OЩ L’HOMME FUT PLACЙ
Cet йtat de l’homme si bien ordonnй s’appelle justice originelle,
par laquelle il йtait soumis а son supйrieur et les choses infйrieures lui
йtaient soumises selon ce qui est dit: "Qu’il prйside aux poissons de
la mer et aux oiseaux du ciel." Et parmi ses parties l’infйrieure
aussi йtait soumise sans rйpugnance а la supйrieure. Cet йtat fut а la vйritй
concйdй au premier homme non comme а une personne singuliиre mais comme au
principe de la nature humaine, de sorte que par lui il serait transmis avec la
nature humaine а ses descendants. Et parce qu’а chacun est dы un endroit а la convenance de sa
condition, l’homme ainsi rйglй, fut placй dans un lieu le plus tempйrй et
dйlicieux pour que toute vexation lui soit йpargnйe non seulement quant aux
peines intйrieures mais aussi de toutes autres extйrieures. CHAPITRE 188: DE L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL ET DU PREMIER
PRЙCEPTE DONNЙ A L’HOMME
Parce que cet йtat de l’homme dйpendait de la soumission de la
volontй humaine а Dieu, pour que l’homme dиs le commencement s’habituвt а
suivre la volontй de Dieu, celui-ci lui proposa des prйceptes c’est-а-dire
qu’il pыt manger de tous les arbres du paradis, lui dйfendant sous menace de
mort de manger de l’arbre de la science du bien et du mal; manger de ce fruit
йtait dйfendu non qu’il fыt en soi mauvais mais pour que l’homme au moins en ce
peu de choses obйisse pour l’unique raison que c’йtait dйfendu par Dieu: d’oщ
le fait de manger de cet arbre devint mauvais parce que dйfendu. Cet arbre de
la science du bien et du mal йtait ainsi appelй non qu’il aurait йtй cause de
connaissance mais par ce qui s’en sui vit c’est-а-dire que l’homme en le
mangeant apprit par expйrience la diffйrence entre le bien de l’obйissance et
le mal de la dйsobйissance. CHAPITRE 189: LE DIABLE SЙDUIT ЙVE
Le diable donc qui avait dйjа pйchй, voyant l’homme ainsi constituй
qu’il pouvait parvenir а l’йternelle fйlicitй, d’oщ lui йtait tombй, et
nйanmoins qu’il pourrait pйcher, entreprit de le dйtourner de la droite
justice, attaquant l’homme par le cфtй le plus faible, tentant la femme chez
qui rйgnait moins le don ou la lumiиre de la sagesse; et afin de l’entraоner
plus facilement dans la transgression du prйcepte, il exclut frauduleusement la
crainte de la mort et il lui propose ce а quoi l’homme tend naturellement:
йviter l’ignorance, lui disant: "Vos yeux s’ouvriront" et
l’excellence de leur condition. "Vous serez comme des dieux" et
la perfection de la connaissance "Sachant le bien et le mal".
L’homme en effet du cфtй de l’intelligence fuit naturellement l’ignorance et
dйsire la science; du cфtй de la volontй, qui naturellement est libre, il
aspire а l’йlйvation et а la perfection pour n’кtre soumis а personne ou aux
moins d’hommes possible. CHAPITRE 190: QU’EST-CE QUI A SЙDUIT LA FEMME
La femme convoita donc l’йlйvation promise et en mкme temps la
perfection de la science. A cela s’ajoute la beautй et la suavitй du fruit
appйtissant et ainsi, mйprisant la crainte de la mort, elle transgressa le
prйcepte divin en mangeant du fruit dйfendu; et ainsi son pйchй s’est trouvй
кtre multiple: d’abord la superbe qui aspire а une excellence dйsordonnйe; en
second lieu la curiositй en dйsirant une science au-delа des limites prescrites;
en troisiиme lieu la gourmandise que la suavitй du fruit poussa а manger; en
quatriиme lieu l’infidйlitй par une fausse estimation de Dieu, croyant aux
paroles du diable contrairement а celles de Dieu; cinquiиmement, la
dйsobйissance en transgressant le prйcepte divin. CHAPITRE 191: COMMENT LE PЙCHЙ PARVINT JUSQU’A L’HOMME
C’est par la persuasion de la femme que le pйchй par vient jusqu’а
l’homme qui cependant, comme le dit l’Apфtre, ne fut pas sйduit comme la femme
(1 Tim 2, 14) c’est-а-dire en ce qu’il aurait cru aux paroles du diable qui
contredisait Dieu. En effet il ne pouvait lui venir а l’idйe que Dieu avait
menacй par quelqu’astuce et dйfendu inutilement une chose utile. Cependant il
fut allйchй par la promesse du diable en dйsirant indыment l’excellence et la
science. Par lа sa volontй s’йloignait de la droite justice et voulant plaire а
sa femme, il la suivit dans la transgression du prйcepte divin en mangeant du
fruit de l’arbre dйfendu. CHAPITRE 192: CONSЙQUENCE DE LA FAUTE: RЙBELLION DES FORCES INFЙRIEURES
A LA. RAISON
Comme donc de cet йtat si parfaitement ordonnй toute l’intйgritй
dйpendait de la soumission de la volontй humaine а Dieu, la consйquence fut que
une fois soustraite а la soumission а Dieu, dйpйrisse en mкme temps la
soumission des forces infйrieures а la raison et du corps а l’вme. D’oщ la
consйquence que l’homme sentоt dans l’appйtit sensible infйrieur les mouvements
dйsordonnйs de la concupiscence, de la colиre et des autres passions non selon
l’ordre de la raison, mais plutфt lui rйsistant et le plus souvent l’obnubilant
et comme la perturbant; c’est la rйsistance de la chair contre l’esprit dont
parle l’Ecriture (Rom 7, 14-25; Gal 5, 16-26). Car comme l’appйtit sensitif
ainsi que les autres forces sensitives, opиrent par un instrument corporel, la
raison de son cфtй sans aucun organe corporel, il est juste que ce qui
appartient а l’appйtit sensitif soit imputй а la chair et ce qui appartient а
la raison imputй а l’esprit pour autant que les substance ces spirituelles sont
dites celles qui sont sйparйes des corps. CHAPITRE 193: DE LA PEINE PORTЙE QUANT A LA NЙCESSITЙ DE MOURIR
Il s’en suivit aussi que le corps serait affectй de la corruption et
que par lа l’homme encourrait nйcessairement la mort, l’вme n’йtant plus en
quelque sorte capable de contenir le corps pour toujours en lui fournissant la
vie. D’oщ l’homme en est devenu passible et mortel, non seulement comme pouvant
souffrir et mourir comme auparavant mais comme condamnй а la souffrance et а la
mort. CHAPITRE 194: DES AUTRES DЙFAUTS CONSЙCUTIFS DANS L’INTELLIGENCE ET LA
VOLONTЙ
Par voie de consйquence s’en suivirent dans l’homme beaucoup
d’autres dйfauts. En effet dans l’appйtit infйrieur abonda le dйsordre des
moeurs; en mкme temps aussi dans la raison s’йteignit la lumiиre de la sagesse
par laquelle Dieu l’йclairait tandis que la volontй lui йtait sou mise; en
consйquence il assujettit son coeur aux choses sensibles qui l’йloignиrent de
Dieu l’entraоnant dans de nombreux pйchйs. Progressivement il se fit l’esclave
des esprits impurs croyant trouver chez eux une aide pour sa conduite dans
l’acquisition de ces choses. Et ainsi dans le genre humain l’idolвtrie et
toutes sortes de pйchйs firent leurs ravages et plus en cela l’homme se
corrompait plus il s’йloignait de la connaissance et du dйsir des biens
spirituels et divins. CHAPITRE 195: COMMENT CES DЙFAUTS SE SONT TRANSMIS A LA POSTЙRITЙ
Ce bienfait de la justice originelle attribuй divinement au genre
humain en la personne du premier pиre devait кtre par celui-ci transmis а ses
descendants. Or la cause йtant йcartйe il en fut de mкme pour ses effets de
sortes que le premier homme privй par son propre pйchй de ce bienfait tous les
descendants en йtaient privйs et ainsi du reste c’est-а-dire qu’aprиs le pйchй
du premier parent tous sont nйs sans la justice originelle et avec tous les
dйfauts qui en rйsultent. Et ce n’est pas contraire а l’ordre de la justice
comme si Dieu punissait dans les fils ce que le premier pиre a commis; car
cette peine n’est que la soustraction de ce qui fut concйdй divinement au
premier homme dans l’ordre surnaturel et par lui devait кtre transmis а
d’autres Donc ce n’etait dы а d’autres qu’а la condition de leur кtre transmis
par leur premier pиre. C’est comme un roi qui gratifie un soldat d’un fief pour
кtre transmis par lui а ses hйritiers; que s’il pиche contre le roi il mйrite
de perdre ce fief qui ne pourra pas кtre par aprиs transmis aux hйritiers; d’oщ
les descendants sont justement privйs par la faute du pиre CHAPITRE 196: LA PRIVATION DE LA JUSTICE ORIGINELLE ENTRAОNE T ELLE UNE
CULPABILITЙ CHEZ LES DESCENDANTS?
Mais une question plus pressante se pose: est-ce que la privation de
la justice originelle chez ceux qui sont nйs du premier pиre peut revкtir un
caractиre de culpabilitй. Ce caractиre consiste en ce que, comme on l’a dit
plus haut (chapitre 120), le mal est imputable s’il est au pouvoir de celui а
qui la faute est imputйe. En effet personne n’est rendu coupable de ce qui
n’est pas en lui de faire ou de ne pas faire. Or il n’est pas au pouvoir de
celui qui naоt de naоtre avec ou sans la justice originelle; d’oщ il semble
bien qu’une telle privation ne puisse avoir un caractиre de culpabilitй. Mais ce problиme se rйsout facilement si l’on distingue entre la
personne et la nature. De mкme en effet que dans une seule personne il y a
beaucoup de membres ainsi dans la seule nature humaine il y a beaucoup de
personnes de sorte que par participation а l’espиce beaucoup d’hommes sont
regardйs comme йtant un seul homme, comme le dit Porphyre (Isag. 2 c De
specie). Or il faut savoir au sujet du pйchй d’un homme que des membres
diffйrents commettent diffйrents pйchйs et il n’est pas requis а la culpabilitй
que chacun des pйchйs soit voulu de la volontй des membres qui les commettent
mais de la volontй de ce qui est principal en l’homme c’est-а-dire la partie
intellective. En effet la main ne peut pas ne pas frapper, ni le pied ne pas
marcher quand la volontй l’ordonne. De cette maniиre donc la privation de la justice originelle est un
pйchй de nature en tant qu’il provient de la volontй dйsordonnйe du premier
principe de la nature humaine, а savoir du premier pиre, et ainsi il est
volontaire en regard de la nature, c’est-а-dire de par la volontй du premier
principe de la nature et ainsi il passe en tous ceux qui reзoivent de lui la
nature humaine comme s’йtendant а ses membres. Et а cause de cela il est appelй
pйchй d’origine car par origine il est descendu du premier pиre dans ses
descendants. Comme donc les autres pйchйs c’est-а-dire actuels se rapportent
directement а la personne qui pиche, celui-ci se rapporte directement а la
nature. Car le premier pиre par son pйchй a portй atteinte а la nature et
celle-ci affectйe affecte la personne des fils qui l’ont reзue. CHAPITRE 197: TOUS LES PЙCHЙS NE SONT PAS TRANSMIS AUX DESCENDANTS
Nйanmoins tous les autres pйchйs, soit du premier pиre, soit aussi
des autres ne sont pas transmis aux descendants; car le premier pйchй du
premier pиre enleva tout le don confйrй surnaturellement pour la nature humaine
en la personne du premier pиre et ainsi est-il dit avoir corrompu ou infectй la
nature. D’oщ les pйchйs qui ont suivi n’ont rien qu’ils puissent soustraire а
toute la nature humaine mais ils enlиvent ou diminuent un bien particulier
c’est-а-dire personnel, ni ne corrompent la nature si ce n’est en ce qui
regarde telle ou telle personne. Or l’homme n’engendre pas son semblable en
personne mais en nature; et c’est pourquoi n’est pas transmis par le pиre en
ses descendants ce qui vicie la personne mais le premier pйchй qui a viciй la
nature. CHAPITRE 198: LE MЙRITE D’ADAM NE FUT PAS UTILE A SES DESCENDANTS POUR
LA RЙPARATION
Bien que le pйchй du premier pиre ait infectй toute la nature
humaine cependant toute la nature ne put кtre rйparйe par sa pйnitence ou
quelqu’autre mйrite. Il est en effet йvident que la pйnitence d’Adam ou tout
autre mйrite fut l’acte d’un particulier; or l’acte d’un individu n’a aucune
influence sur toute la nature de l’espиce. En effet les causes qui ont une
telle influence sont des causes йquivoques et non univoques. Le soleil en effet
est la cause de la gйnйration dans toute l’espиce humain&, mais l’homme est
la cause de la gйnйration de cet homme Donc le mйrite particulier d’Adam ou de
tout autre homme ne pouvait suffire а la rйintйgration de toute la nature. Que
par un acte singulier du premier homme toute la nature ait йtй viciйe c’est une
consйquence accidentelle en tant que privй de l’йtat d’innocence il ne put le
transmettre а d’autres. Et bien que par la pйnitence il soit rentrй en grвce,
il ne put cependant revenir а sa premiиre innocence а laquelle avait йtй
concйdй par Dieu le don de la justice originelle. Semblablement il est йvident que cet йtat de justice originelle fut
un don spйcial de la grвce; la grвce ne s’acquiert pas par mйrite mais est
gratuitement confйrйe par Dieu. Donc de mкme que le premier homme n’a pas
mйritй dиs le commencement la justice originelle mais de par un don de Dieu,
ainsi aussi et beaucoup moins encore pouvait-il la mйriter par la pйnitence ou
quelqu’autre oeuvre. B — Le mystиre de l’incarnation (chapitre 199 а 220)
1° Les motifs (chapitre 199 а 201)
CHAPITRE 199: LA RЙPARATION DE LA NATURE HUMAINE PAR LE CHRIST
Or il fallait que la nature humaine ainsi infectйe soit rйparйe par
la providence divine. Elle ne pouvait parvenir а la bйatitude parfaite que si
cette infection йtait йcartйe, parce que la bйatitude йtant le bien parfait ne
tolиre aucune dйficience et surtout pas le pйchй lequel en quel que sorte
s’oppose а la vertu qui est le chemin qui con duit а Dieu, comme on l’a vu (chapitre
172). Et ainsi comme l’homme est fait pour la bйatitude parce qu’elle est sa
fin derniиre, il s’en suivrait que l’oeuvre de Dieu serait frustrйe dans une si
noble crйature; ce que le Psalmiste juge inconvenant en disant: "Est-ce
donc en vain que tu as crйй les enfants des hommes ?" (Ps 88, 48). Il
fallait donc que la nature humaine soit rйparйe. En outre la bontй divine excиde le pouvoir de la crйature pour le
bien. Or il est clair par ce qu’on a dit (chapitres 144, 145 et 174) que telle
est la condition de l’homme aussi longtemps qu’il est en cette vie mortelle de
mкme qu’il n’est pas confirmй inйbranlablement dans le bien ainsi, aussi ne
l’est-il pas dans le mal. Il est donc propre а la condition humaine de pouvoir
кtre purifiйe de l’infection du pйchй. Il ne fut donc pas convenable que la
bontй divine laissвt totalement vaine sa puissance, ce qui aurait eu lieu si
elle ne lui eut pas procurй un remиde pour sa rйparation. CHAPITRE 200: C’EST PAR SEUL INCARNЙ QUE LA NATURE A DЫ КTRE RЙPAREE
On a montrй (chapitre 198) que ni Adam ni quelqu’autre homme aussi
pur soit-il (selon le texte latin: "pur" veut dire "simple"
comme on dit: un simple mortel, surtout que le mot revient trois lignes plus
bas: un pur homme) ne pouvaient nous racheter, soit parce que nul homme
particulier n’avait prййminence sur toute la nature, soit que nul pur homme ne
puisse кtre cause de la grвce. Par la mкme raison donc aucun ange ne pouvait
rйparer, parce que l’ange ne peut кtre cause de la grвce ni la rйcompense de
l’homme quant а la parfaite et derniиre bйatitude а laquelle l’homme devait
кtre ramenй, car en cela ils sont йgaux[16].
Il reste donc que Dieu seul pouvait opйrer cette rйparation. Mais si Dieu eut rйparй l’homme par sa seule volontй et puissance,
l’ordre de la divine justice n’aurait pas йtй sauf qui veut que satisfaction
soit faite pour le pйchй. Or Dieu n’est pas susceptible de satisfaire ou de
mйriter car cela est affaire de subalterne. Ainsi donc il n’йtait pas de la
compйtence de Dieu de satisfaire pour le pйchй, ni un pur homme ne le pouvait (chapitre
198). Il fut donc juste que Dieu se fit homme afin qu’ainsi ce soit le mкme qui
puisse et rйparer et satisfaire; et cette cause de l’incarnation divine
l’Apфtre l’indique: "Le Christ Jйsus est venu dans le monde pour sauver
les pйcheurs" (1 Tim 1, 13). CHAPITRE 201: DES AUTRES MOTIFS DE L’INCARNATION DU FILS DE DIEU
Il y a cependant d’autres causes de l’incarnation divine. Parce
qu’en effet l’homme s’йtait йloignй des choses spirituelles pour se livrer tout
entier aux choses corporelles, en raison de quoi il ne pouvait par lui-mкme
retourner vers Dieu, la divine sagesse, qui avait fait l’homme, assuma la
nature corporelle et visita l’homme gisant dans les choses corporelles afin de
le rappeler par le mystиre de son corps aux choses spirituelles. De mкme il fut nйcessaire au genre humain qu’en devenant homme Dieu
fasse ressortir la dignitй de l’homme afin qu’ainsi il ne soit pas l’esclave
des dйmons ni des choses corporelles. En mкme temps aussi en voulant se faire homme, Dieu fit montre de
l’immensitй de son amour pour que par lа les hommes ne se soumettent pas а Dieu
par crainte de la mort que le premier homme avait mйprisйe mais par attachement
de charitй. Par lа aussi nous est donnй un exemple de cette union bienheureuse
par laquelle l’intelligence crййe sera pour la connaissance unifiйe а l’esprit
incrйй. En effet il n’y a rien d’incroyable а ce que l’intelligence d’une
crйature puisse кtre unie а Dieu en voyant son essence puisque Dieu s’est uni а
l’homme en prenant sa nature. Par lа aussi
s’achиve l’oeuvre divine toute entiиre en ce que l’homme qui avait йtй crйй le
dernier, comme par un cercle revient а son principe, uni au principe mкme des
choses par l’oeuvre de l’incarnation. 2° Les erreurs
thйologiques (chapitre 202 в 208)
CHAPITRE 202: DE L’ERREUR DE PHOTIN AU SUJET DE L’INCARNATION
Ce mystиre de l’incarnation divine Photin pour sa part a tentй de le
rejeter. Car а la suite d’Ebion de Cerinthe et de Paul de Samosate, il affirma
que le Seigneur Jйsus n’avait йtй qu’un pur homme, qu’il n’avait pas existй
avant la Vierge Marie, mais que par le mйrite d’une sainte vie et la patience
dans la mort il avait mйritй la gloire de la divinitй de sorte qu’il est dit
Dieu non par nature mais par la grвce de l’adoption. Ainsi donc il n’y aurait
pas eu d’union de Dieu et de l’homme mais il y aurait un homme dйifiй par
grвce, ce qui n’est pas particulier au Christ mais commun а tous les saints
bien qu’en cette grвce certains soient tenus pour plus excellents que les
autres. Cette erreur est contraire а l’autoritй de l’Ecriture. Il est dit en
effet chez Jean que: "Au commencement йtait le Verbe" et
ensuite: "Le Verbe s’est fait chair." Donc le Verbe qui йtait
depuis toujours auprиs de Dieu a pris chair et non un homme qui йtait
auparavant dйifiй par grвce d’adoption. De mкme en saint Jean, le Seigneur dit:
"Je suis descendu du ciel non pour faire ma volontй, mais la volontй de
celui qui m’a envoyй" (6, 38). Or selon l’erreur de Photin, il ne
convenait pas au Christ d’кtre descendu mais seulement d’кtre montй, alors que
cependant l’Apфtre dit: "Qu’Il est montй, qu’est-ce sinon qu’il est
descendu d’abord dans les parties infйrieures de la terre" (Eph 4, 9).
De cela il devient йvident que dans le Christ l’ascension n’aurait pas eu lieu
si sa descente n’avait pas prйcйdй. CHAPITRE 203: L’ERREUR DE NESTORIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA
RЙPROBATION
Ce que voulant йviter, Nestorius se sйpara en partie de l’erreur de
Photin, car il confesse le Christ fils de Dieu non seulement par adoption de
grвce mais de nature divine en laquelle Il existe coйternel au Pиre; en partie
il est d’accord avec Photin en disant: Le Fils de Dieu n’est pas ainsi uni а un
homme pour devenir une personne divine et humaine mais par la seule
inhabitation en lui; et ainsi cet homme-lа, de mкme que selon Photin йtait dit
Dieu par la seule grвce, ainsi aussi selon Nestorius, il est dit Fils de Dieu
non pas parce que il est vraiment Dieu mais а cause de l’inhabitation du Fils
de Dieu en lui, laquelle se fit par grвce. Or cette erreur rйpugne а l’autoritй de la sainte Йcriture. En effet
cette union de Dieu et de l’homme, l’Apфtre l’appelle un anйantissement en
disant du Fils de Dieu: "Lui qui йtait en forme divine il n’a pas jugй
une rapine d’кtre l’йgal de Dieu" mais il s’est anйanti lui-mкme
prenant forme d’esclave" (Phil 2, 6). Or ce n’est pas un anйantissement
pour Dieu d’habiter la crйature rationnelle par la grвce; autrement le Pиre et
l’Esprit Saint s’anйantiraient, car eux aussi habitent la crйature rationnelle
par grвce, le Seigneur disant de lui-mкme et du Pиre: "Nous viendrons
en lui et nous y ferons notre demeure" (Jean 14, 23), et l’Apфtre dit
de l’Esprit Saint: "L’Esprit de Dieu habite en vous" (1 Cor 3,
16). De mкme il ne conviendrait pas que cet homme йmette des mots divins s’il
n’йtait pas Dieu personnellement. C’est donc trиs prй somptueusement qu’il
aurait dit: "Moi et le Pиre nous sommes un" (Jean 10, 30) et "Avant
qu’Abraham fut j’йtais" (ib. 8, 58). Le mot "je" dйnote
en effet la personne qui parle; or c’йtait un homme qui parlait; c’est donc une
mкme personne divine et humaine. Donc pour exclure ces erreurs est-il dit dans
le Symbole des Apфtres et des Pиres en faisant mention de la personne du Fils "Qui
a йtй conзu du Saint-Esprit, est nй, a souffert, est mort et ressuscitй."
En effet ce qui est de l’homme ne serait pas attribuй au Fils de Dieu si ce
n’йtait pas la mкme personne du Fils de Dieu et de l’homme; car ce qui convient
а une personne n’est pas de ce fait attribuable а une autre. Comme ce qui
convient а Paul n’est pas pour cela attribuable а Pierre. 1. Allusion historique а ce que dit le Christ devant le grand
prкtre.
CHAPITRE 204: L’ERREUR D’ARIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA
RЙFUTATION
Donc pour confesser l’unitй de Dieu et de l’homme, des hйrйtiques
prirent un parti contraire en disant: de Dieu et de l’homme il n’y a pas
seulement une personne mais aussi une nature. Le principe de cette erreur vient
d’Anus. Celui-ci afin que ce qui est dit du Christ dans les Ecritures, par quoi
il est dit moindre que le Pиre, ne puisse кtre rapportй au Fils de Dieu que
selon sa nature assumante, a йnoncй que dans le Christ il n’y a pas d’autre вme
que le Verbe de Dieu. Et ainsi lorsque le Christ dit: "Mon Pиre est
plus grand que moi", ou comme on dit qu’il a priй ou qu’il a йtй contristй,
cela doit кtre rapportй а la nature mкme du Fils de Dieu. Cela posй il s’en
suit que l’union du Fils de Dieu avec l’homme s’est faite non seulement en la
personne mais aussi en la nature. En effet il est manifeste que de l’вme et du
corps est constituйe l’unitй de l’humaine nature. La faussetй d’une telle position qui affirme que le Fils est moindre
que le Pиre on l’a montrйe plus haut (chapitres 41 а 43) oщ nous avons dit que
le Fils est йgal au Pиre. Quant а ce que le Verbe de Dieu, selon lui, йtait
comme l’вme du Christ, on peut en dйmontrer la faussetй par ce qui a йtй dit
auparavant. En effet on a montrй (chapitres 85 et 90) que l’вme est unie au
corps comme sa forme; or il est impossible que Dieu soit la forme d’un corps (chapitre
17). Et pour que peut-кtre Anus ne dise pas cela du Pиre Dieu Suprкme, la mкme
chose peut кtre montrйe au sujet des anges qui selon leur nature ne peuvent
кtre unis а un corps par maniиre de forme puisque selon leur nature ils sont
sйparйs des corps. A fortiori donc le Fils de Dieu qui a crйй ces anges,
ce qu’admet Anus, ne peut кtre la forme d’un corps En outre le Fils de Dieu mкme s’il йtait crйature, comme Anus ose le
dire, cependant selon lui il dйpasse dans la bйatitude tous les esprits crййs.
Or la bйatitude des anges est si grande qu’ils ne peuvent кtre tristes. En
effet il n’y aurait pas de vraie et entiиre fйlicitй si quelque chose manquait
а leurs dйsirs. Or la bйatitude est par dйfinition le bien final et parfait et
le repos du dйsir. A bien plus forte raison le Fils de Dieu ne peut-il кtre
attristй ou craindre selon sa nature. Mais on dit qu’il fut contristй: "Jйsus fut pris de peur, de
dйgoыt et de tristesse" (Mc 14, 33). Et lui-mкme avoue sa tristesse en
disant: "Mon вme est triste jusqu’а en mourir" (Ib. 34). Il
est manifeste que cette tristesse n’йtait pas du corps mais d’une substance
apprйhensive. Il faut donc en plus du Verbe et du corps dans le Christ qu’il y
eut une autre substance qui puisse souffrir la tristesse et que nous appelons
l’вme. De plus, si le Christ a pris ce qui est nфtre pour nous purifier du
pйchй il nous йtait encore plus nйcessaire d’кtre purifiйs selon l’вme oщ le
pйchй a son origine et qui est sujet du pйchй: Il n’a donc pas pris un corps
sans вme mais avant tout une вme, aussi donc un corps avec une вme. CHAPITRE 205: DE L’ERREUR D’APOLLINAIRE ET SA RЙFUTATION AU SUJET DE
L’INCARNATION
Par lа aussi on exclut l’erreur d’Apollinaire qui suivit d’abord
Anus ne mettant dans le Christ une autre вme que le Verbe de Dieu. Mais il ne
suivait pas Anus en ce qu’il faisait du Fils de Dieu une crйature; or comme
beaucoup de choses sont dites du Christ qui ne peuvent pas кtre attribuйes au
corps ni convenir au crйateur, telles la tristesse, la crainte et autres, il
fut enfin contraint de mettre une вme au Christ pour sanctifier son corps et
pouvoir кtre le sujet de ces passions mais qui n’avait cependant ni raison ni intelligence;
mais le Verbe tenait lieu au Christ-homme d’intelligence et de raison. Or cela est faux de beaucoup de maniиres. D’abord parce que c’est
contraire а la nature des choses qu’une вme irrationnelle puisse кtre forme
pour l’homme mкme s’il pouvait avoir la figure d’un corps. Or on ne peut rien
admettre de monstrueux et contre nature dans l’incarnation du Christ. Ensuite
c’eut йtй contraire au but de l’incarnation qui est de rйparer l’humaine nature
principalement quant а la partie intellective qui est susceptible de pйchй.
D’oщ il convenait principalement qu’Il assumвt la partie intellective de
l’homme. On dit aussi que le Christ s’est йtonnй (Mt 8, 10)[17].
Or l'йtonnement est seulement dans l’вme rationnelle et ne peut aucunement
convenir а Dieu. De mкme donc que la tristesse nous oblige а admettre dans le
Christ une вme sensitive, de mкme aussi l’йtonnement oblige а admettre dans le
Christ une partie intellectuelle de l’вme.
CHAPITRE 206: DE L’ERREUR D’EUTYCHИS QUI POSE UNE UNION DE NATURE
Eutychиs les a suivis en quelque chose. Il avance en effet qu’il y
eut une seule nature de Dieu et de l’homme aprиs l’incarnation; mais il
n’avance pas qu’il manquait au Christ soit l’intelligence soit l’вme soit
quelque chose de ce genre qui regarde l’intйgritй de la nature. Mais la
faussetй de cette opinion apparaоt manifeste. En effet la nature divine est en
elle-mкme parfaite en soi et immuable. La nature qui est parfaite en soi ne
peut faire avec une autre une seule nature sans se changer en l’autre comme la
nourriture en celui qui se nourrit ou que l’autre se change en elle comme le
bois en feu ou que l’une et l’autre ne se transforment en une troisiиme comme
les йlйments en corps composй; or tout cela la divine immutabilitй les rejette.
Ce qui se change en un autre n’est pas immuable, ni ce qui peut кtre changй.
Comme la nature divine est parfaite en elle-mкme il ne peut кtre question
qu’elle se rencontre en une autre une seule nature. De plus si on considиre l’ordre des choses, l’ajout d’une plus
grande perfection change la nature de l’espиce; autre en effet est l’espиce de
ce qui est et vit seulement, telle la plante, que ce qui est seulement; et ce
qui est, vit et sent, tel l’animal, que ce qui est vit seulement, telle la
plante. De mкme ce qui est, vit, sent et pense tel l’homme, est d’une autre
espиce que ce qui est vit et sent seulement comme l’animal brut. Si donc cette
unique nature qu’on donne au Christ, en plus de toutes ces choses possйda ce
qui est divin, il s’en suit que cette autre nature fut d’une autre espиce que
la nature humaine comme celle-ci est autre que l’animal brut. Et donc le Christ
ne fut pas un homme de la mкme espиce; ce qui se prouve кtre faux commencement
de son Evangile en disant: "Livre de la gйnйration de Jйsus-Christ,
Fils de David, Fils d’Abraham" (1, 1). CHAPITRE 207: CONTRE L’ERREUR MANICHЙENNE QUI DIT QUE LE CHRIST N’EUT
PAS DE CORPS MAIS SEULEMENT UNE APPARENCE
De mкme que Photin avait йvacuй le mystиre de l’Incarnation en
enlevant au Christ la nature divine, ainsi Mani le fit en lui enlevant la
nature humaine. Comme il prйtendait en effet que toute la nature corporelle
avait йtй crййe par le diable et qu’il ne convenait pas que le Fils du Dieu bon
assumвt une crйature du diable il mit donc en avant que le Christ n’avait pas
une vraie chair mais seulement une apparence; et tout ce qui est racontй dans les
Evangiles au sujet du Christ appartenant а sa nature humaine il affirmait que
tout cela s’йtait passй en apparence et non en rйalitй. Une telle position contredit manifestement la Sainte Йcriture qui
affirme que le Christ est nй d’une vierge, fut circoncis, ayant eu faim, ayant
mangй et endurй tout ce qui appartient а la nature de l’humaine chair. Ce que
disent les Evangiles serait donc faux qui racontent cela du Christ? De nouveau, le Christ dit de lui-mкme: "Je suis nй et je
suis venu dans le monde pour rendre tйmoignage а la vйritй" (Jean 18,
37). Il n’eut pas йtй tйmoin de la vйritй, mais de la faussetй s’il avait fait
voir en lui ce qu’il n’йtait pas, surtout aprиs avoir prйdit qu’il souffrirait
des choses qu’on ne peut souffrir sans une vraie chair: qu’il serait livrй aux
mains des hommes, conspuй, flagellй, crucifiй. Dire donc que le Christ n’a pas
eu de vraie chair ni d’avoir supportй rien de ce genre en vйritй mais en
imagination c’est faire du Christ un imposteur. En outre dйtromper les hommes dans leur persuasion la plus intime
c’est le fait d’un fourbe or le Christ a dйtrompй ses disciples dans une telle
persuasion. En effet lorsqu’aprиs sa rйsurrection il apparut а ses disciples
qui croyaient voir en lui un esprit ou quelque fantфme il dit: "Touchez
et vous verrez qu’un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai"
(Lc 24, 39). Et dans un autre endroit comme Il marchait sur la mer, ses
disciples estimant que c’йtait un fantфme et а cause de cela йtant dans la
crainte, le Seigneur de leur dire: "C’est bien moi, ne craignez pas"
(Mt 14, 27; Mc 6, 50; Jean 6, 20). Si donc l’opinion des disciples est vraie,
il est nйcessaire de dire que le Christ fut un imposteur; or le Christ est la
vйritй comme il le dit de lui-mкme (Jean 14, 6). Donc une telle opinion est
fausse. CHAPITRE 208: CONTRE VALENTIN: LE CHRIST EUT UN VRAI CORPS QUI N’ЙTAIT
PAS DU CIEL
Valentin admet bien que le corps du Christ йtait rйel; mais il
disait qu’Il n’avait pas pris chair de la Vierge, mais qu’Il avait apportй du
ciel un corps formй qui traversa la Vierge, comme l’eau traverse le canal, et
qu’Il n’en a rien reзu. Cela est aussi contraire а la vйritй de l’Ecriture.
L’Apфtre dit en effet: "Qui a йtй fait de la semence de David selon la
chair" (Rom 1, 3) et "Dieu envoya son Fils unique fait de la
femme" (Gal 4, 4). Et Mathieu dit aussi: "Et Jacob engendra
Joseph l’йpoux de Marie de laquelle est nй Jйsus, qu’on appelle le Christ"
(1, 16) et ensuite il la nomme sa mиre: "Comme sa mиre Marie йtait
fiancйe а Joseph" (ib. 18). Ces affirmations seraient fausses si le
Christ n’avait pas pris chair de la Vierge. Il est donc faux qu’il ait apportй
un corps cйleste. Mais ce que l’Apфtre dit: "Le second homme est
cйleste venu du ciel" (1 Cor 15, 47) doit кtre compris qu’il descendit
du ciel selon la divinitй non selon la substance du corps. Encore, il n’y aurait aucun motif pourquoi Il eыt apportй un corps
du ciel et fыt entrй dans le sein de la Vierge s’il n’en avait rien pris. Mais
il y aurait quelque feinte de laisser voir, en sortant du sein de la Vierge,
qu’Il en reзыt une chair sans l’avoir reзue. Comme donc toute faussetй est
йtrangиre au Christ il faut simplement admettre que le Christ vint aussi du
sein de la Vierge dont Il en a reзu sa chair. 3° Qu’est-ce que l’Incarnation ? (chapitres
209 а 212)
CHAPITRE 209: QUE DIT AU SUJET DE L’INCARNATION?
De ce qu’on a dit jusqu’а prйsent on peut conclure selon la vйritй
de la foi catholique que le Christ eut un vrai corps de notre nature, une вme
rationnelle, en mкme temps et avec cela une parfaite divinitй. Or ces trois
substances se rencontrent dans une seule personne mais non dans une seule
nature. Pour exposer cette vйritй certains se sont engagйs dans des voies
erronйes. Certains en effet considйrиrent que tout ce qui advient а quelqu’un
aprиs son кtre complet lui est ajoutй accidentellement, tel un vкtement; ainsi,
disent- ils, par une union accidentelle l’humanitй a йtй unie а la divinitй
dans la personne du Fils de sorte que la nature assumйe se rapporterait а la
personne du Fils de Dieu comme le vкtement а l’homme. En confirmation de cela
ils citent ce que dit l’Apфtre au sujet du Christ: "Et on le tenait
extйrieurement pour un homme" (Ph 2, 7). De nouveau ils considйraient que de l’union de l’вme et du corps
rйsulte un individu de nature rationnelle qu’on appelle "personne".
Si donc l’вme dans le Christ eut йtй unie au corps ils ne pouvaient pas
s’apercevoir qu’au con traire une telle union constituait une personne. Il y
aurait donc deux personnes dans le Christ c’est-а-dire celle qui assume et
l’autre assumйe; en effet dans l’homme qui est vкtu il n’y a pas deux
personnes, car le vкtement n’est pas une personne. Or si le vкtement йtait une
personne, il s’en suivrait que dans un homme vкtu il y a deux personnes. Afin
d’йviter cela d’autres ont dit que l’вme du Christ ne fut jamais unie au corps,
mais que la personne du Fils de Dieu a pris sйparйment l’вme et le corps. Mais
cette opinion en voulant йviter un inconvйnient est tombйe dans un plus grave.
Il s’en suit en effet nйcessairement que le Christ n’a pas йtй un vrai homme.
En effet la vйritй de la nature humaine exige l’union de l’вme et du corps; car
est homme celui qui est composй des deux. Il s’en suivrait aussi que le Christ
ne fut pas une vraie chair et qu’aucun de ses membres ne fut rйel. Sans вme en
effet il n’y a ni oeil, ni chair, ni os sinon que d’une maniиre йquivoque comme
quelque chose en peinture ou en sculpture. Il s’en suivrait aussi que le Christ
ne fut pas rйellement mort: car la mort est privation de la vie. Il est en
effet manifeste que la vie divine ne peut кtre supprimйe par la mort; et le
corps n’a pu кtre vivant s’il n’a йtй uni а une вme. Il s’en suivrait de plus
que le corps du Christ n’a pu avoir de sensation, car le corps n’a pas de
sensation s’il n’est uni а une вme. Encore: cette opinion retombe dans l’erreur de Nestorius tout en
voulant l’йviter. En ceci en effet consiste l’erreur de Nestorius quand il
avance que le Verbe de Dieu fut uni au Christ homme selon l’habitation de la
grвce de sorte que le Verbe de Dieu a йtй dans cet homme comme dans son temple.
Il n’importe guиre qu’ils disent а ce sujet que le Verbe est en l’homme comme
dans un temple et que la nature humaine advient au Verbe comme un vкtement, si
ce n’est que cette derniиre opinion est pire, car elle ne peut confesser que le
Christ est un vrai homme. Elle a donc йtй justement condamnйe. Encore: un homme vкtu ne peut кtre personne d’un habit ou d’un
vкtement et on ne peut dire qu’il est de l’espиce vкtement. Si donc le Fils de
Dieu a pris la nature humaine comme vкtement il ne peut aucunement кtre une
personne de nature humaine ni aussi de mкme espиce que les autres hommes. Et
cependant l’Apфtre dit de Lui qu’il "fut comme les autres hommes"
(Ph 2, 7). D’oщ il ressort que cette opinion est а rejeter totalement. CHAPITRE 210: IL N’Y A PAS EN LUI DEUX HYPOSTASES
D’autres ont voulu йviter ces inconvйnients et ils ont dit que dans
le Christ l’вme fut unie а un corps et que d’une telle union un homme s’est
constituй qu’ils disent assumй par le Fils de Dieu en l’unitй d’une personne en
raison de quoi, disent-ils, cet homme est Fils de Dieu et le Fils de Dieu est
cet homme. Et parce que cette"assomption"se termine, disent-ils, en
l’unitй de la personne ils confesse raient а la vйritй dans le Christ une seule
personne de Dieu et de l’homme; mais parce que cet homme qu’ils disent
constituй d’une вme et d’un corps est un sщppфt ou hypostase d’humaine nature
ils posent dans le Christ deux suppфts et deux hypostases, l’une de nature
humaine crййe et temporelle, l’autre de nature divine incrййe et йternelle. Or
cette position quoique verbalement diffйrente de celle de Nestorius, cependant
examinйe а fond de l’intйrieur revient а celle de Nestorius. Il est manifeste
en effet que la personne n’est rien autre que la substance individuelle de
nature rationnelle; or l’вme humaine est rationnelle. Et de cela mкme qu’on
pose dans le Christ une hypostase ou suppфt de nature humaine, temporel et
crйй, on pose aussi dans le Christ une personne temporelle, crййe; c’est en
effet ce que signifie le mot "suppфt" ou "hypostase"
c’est-а-dire une substance individuelle. Met tant donc dans le Christ deux
suppфts ou deux hypostases, s’ils comprennent ce qu’ils disent, ils doivent
admettre qu’il y a deux personnes. De mкme ce qui diffиre comme suppфt fait que ce qui est propre а
l’un ne peut convenir а un autre. Si donc ce n’est pas le mкme suppфt que le
Fils de Dieu et le fils de l’homme il suit que ce qui est du fils de l’homme ne
peut кtre attribuй au Fils de Dieu ni inversement. On ne pourra donc pas dire
qu’un Dieu a йtй crucifiй ou nй de la Vierge Marie, ce qui est l’impiйtй
nestorienne. Si quelqu’un voulait dire а cela que ce qui est de cet homme est
attribuй au Fils de Dieu et inversement а cause de l’unitй de la personne, bien
qu’il y ait des suppфts divers, cela ne peut pas tenir. Il est manifeste en
effet que le suppфt йternel du Fils de Dieu n’est pas autre que sa personne
mкme. Donc tout ce qui est dit du Fils de Dieu en raison de sa personne se
dirait йgalement de lui en rai son mкme de son suppфt; mais ce qui est de
l’homme n’est pas dit de Lui en raison de son suppфt parce qu’on pose que le
Fils de Dieu diffиre du fils de l’homme comme suppфt. Ni donc ne pourront кtre
dits de la personne du Fils de Dieu les choses qui sont propres du fils de
l’homme, comme naоtre de la Vierge, mourir et autres choses semblables. Encore, si au sujet d’un suppфt temporel quelconque on lui attribue
le nom divin, c’est du rйcent et du nouveau’. Mais tout ce qui est rйcent et
nouveau et qu’on applique а Dieu ce n’est pas Dieu sinon qu’on le fait Dieu; or
ce qu’on a fait Dieu n’est pas Dieu naturellement mais par adoption seulement.
Il s’en suit donc que cet homme n’aura pas йtй Dieu vraiment et naturellement,
mais seulement par adoption, ce qui revient а l’erreur de Nestorius (chapitre 203). CHAPITRE 211: DANS LE CHRIST IL N’Y A QU’UN SUPPФT ET QU’UNE PERSONNE
Ainsi donc il faut dire que dans le Christ non seulement il y a une
seule personne divine et humaine, mais aussi un seul suppфt et une seule
hypostase; non pas une nature mais deux. Pour en faire l’йvidence il faut
considйrer que ces trois noms: personne, hypostase et suppфt dйsignent une
certaine entiиretй (intйgritй). En effet on ne peut pas dire que la main ou la
chair ou toute autre partie soit une personne ou une hypostase ou un suppфt
mais ce tout qui est cet homme. Mais les noms qui sont communs aux individus,
substances et accidents, peuvent s’appliquer au tout ou aux parties, comme "individu"
et "singulier". Car les parties ont quelque chose de commun
avec les accidents c’est-а-dire qu’elles ne sont pas par elles-mкmes mais sont
dans les autres, bien que de maniиre diffйrente. On peut donc dire que la main
de Socrate ou de Platon est quelque chose d’individuel ou de singulier, bien
qu’elle ne soit ni hypostase, ni suppфt, ni personne. De plus il faut aussi savoir que des choses rйunies, con sidйrйes en
elles-mкmes constituent parfois une entiиretй, mais que rйunies autrement oщ
s’ajoute quelque chose d’autre il n’y a plus cette entiиretй ainsi dans la
pierre la rencontre des quatre йlйments fait un tout; d’oщ ce qui est composй
des йlйments peut кtre dit suppфt dans la pierre ou l’hypostase qu’est cette
pierre, mais non pas personne parce que ce n’est pas une hypostase de nature
rationnelle. Quant а la composition des йlйments dans l’animal, elle ne
constitue pas un tout mais une partie, c’est-а-dire le corps, car il est
nйcessaire que quelque chose d’autre advienne pour l’animai complet
c’est-а-dire l’вme; d’oщ l’ensemble des йlйments ne constitue pas chez lui un
suppфt ou une hypostase, mais c’est tout l’animal qui est hypostase ou suppфt. Cependant
ce n’est pas que l’ensemble des йlйments dans l’animal soit moins efficace que
dans la pierre mais bien davantage parce qu’ordonnй а une chose meilleure. Ainsi donc chez les hommes l’union de l’вme et du corps constitue
l’hypostase et le suppфt car rien d’autre n’est au-delа de ces deux. Dans le
Seigneur Jйsus en plus de l’вme et du corps advient une troisiиme substance
c’est-а-dire la divinitй. Il n’y a donc pas mis а part le suppфt, l’hypostase,
comme non plus la personne dans ce qui est constituй de l’вme et du corps; mais
le suppфt ou hypostase ou la personne est ce qui subsiste des trois
c’est-а-dire le corps, l’вme et la divinitй; et ainsi dans le Christ, de mкme
qu’il n’y a qu’une seule personne ainsi aussi un suppфt et une hypostase, Mais l’вme advient au corps d’une autre maniиre que la divinitй а
ces deux. Car l’вme advient au corps comme forme existante du corps; d’oщ de
ces deux se constitue une nature qu’on appelle la nature humaine. Mais la
divinitй n’advient pas а l’вme et au corps comme leur forme ni comme une partie;
en effet cela est contraire а la perfection divine. D’oщ de la divinitй, de
l’вme et du corps ne se constitue pas une seule nature; mais la nature divine
elle-mкme entiиrement elle-mкme et sans mйlange s’est assumйe d’une maniиre
incomprйhensible et ineffable la nature humaine constituйe de corps et d’вme;
et cela provient de son infinie vertu. Nous constatons en effet que plus la
vertu d’un agent est grande d’autant mieux s’adjoint-il un instrument pour
accomplir son oeuvre. De mкme donc que la vertu divine est de sa nature infinie
et incomprйhensible: ainsi le mode par lequel le Christ s’est uni la nature
humaine comme un instrument ordonnй au salut de l’homme est pour nous ineffable
et dйpassant toute autre union de Dieu et de la crйature. Et parce que, comme nous l’avons dйjа dit, la personne, l’hypostase
et le suppфt dйsignent quelque chose d’entier, si la nature divine dans le
Christ est une part et non un tout comme l’вme dans la composition de l’homme,
l’unique personne du Christ ne se tiendrait pas seulement du cфtй de la nature
divine mais serait constituйe des trois comme aussi dans l’homme la personne, I’hypostase
et le suppфt est ce qui est constituй de l’вme et du corps. Mais parce ce que
la nature divine est un tout qui assume la nature humaine en une union
ineffable, la personne se tient du cфtй de la divine nature de mкme que
l’hypostase et le suppфt. L’вme et le corps sont attirйs vers la personnalitй
de la personne divine pour que soit la personne du Fils de Dieu comme aussi la
personne du fils de l’homme, comme l’hypostase et le suppфt. On peut aussi trouver dans les crйatures quelque chose de semblable.
En effet le sujet et l’accident ne sont pas ainsi unis qu’ils constituent une
troisiиme chose. Le sujet dans cette union n’est pas une partie mais comme un
tout qui est la personne, l’hypostase et le suppфt. Mais l’accident est attirй
а la personnalitй du sujet pour que soit de la mкme personne l’homme et sa
blancheur, et semblablement mкme hypostase et mкme suppфt. Ainsi donc selon une
certaine ressemblance la personne, l’hypostase et le suppфt du Fils de Dieu
sont personne, hypostase et suppфt de l’humaine nature dans le Christ. D’oщ
certains а cause de cette ressemblance ont osй dire que l’humaine nature dans
le Christ dйgйnиre en accident et qu’elle serait unie accidentellement au Fils
de Dieu, ne distinguant pas la vйritй de la ressemblance. Il est donc clair par ce qui prйcиde qu’il n’y a pas dans le Christ
d’autre personne que l’йternelle, qui est la personne du Fils de Dieu, ni
d’autre hypostase ou suppфt; d’oщ lorsqu‘on dit "cet homme" en
dйsignant le Christ on y inclut le suppфt йternel. Ni cependant en suite de
cela il n’y a pas d’йquivoque en ce mot "homme" dit du Christ
et des autres hommes; car l’йquivoque ne vient pas de la diversitй de ce qui
est posй mais de ce qui est signifiй. Le mot "homme" attribut
de Pierre et du Christ signifie la mкme chose c’est-а-dire leur nature humaine
mais ne pose pas une mкme chose, car ici il s’agit du suppфt йternel et lа du
suppфt crйй. Mais parce que de tout suppфt d’une nature donnйe on peut dire ce
qui se rapporte а cette nature dont est le suppфt, le suppфt йtant le mкme dans
le Christ pour sa nature divine et humaine, il est йvident que de ce suppфt de
deux natures, soit que le nom suppose la divine nature ou la personne, ou
l’humaine nature, on peut dire indiffйremment ce qui est de la nature divine et
ce qui est de la nature humaine: par exemple si nous disons que le Fils de Dieu
est йternel et que le Fils de Dieu est nй de la Vierge; et de mкme nous pouvons
dire que cet homme est Dieu et qu’Il a crйй les йtoiles et qu’Il est nй, mort
et ressuscitй. Ce qui est attribuй а un suppфt est attribut selon une forme ou une
maniиre comme Socrate est blanc selon la blancheur et est rationnel selon
l’вme. Or on a dit plus haut (chapitres 209 а 211) qu’il y a deux natures dans
le Christ et un suppфt. Si donc on se rйfиre au suppфt il est indiffйrent
d’attribuer au Christ l’humain ou le divin. Il faut cependant distinguer selon
quoi l’un et l’autre sont attribuйs, car les choses divines sont dites du
Christ selon la nature divine et les choses humaines selon la nature humaine, CHAPITRE 212: DE CE QUI EST DIT DANS LE CHRIST UN OU MULTIPLE
Comme dans le Christ il y a une personne et deux natures il faut
considйrer в partir de leur convenance ce qui doit кtre dit un dans le Christ
et ce qui est multiple. En effet tout ce qui est multipliй selon la diffйrence
de nature doit кtre dans le Christ reconnu multiple. Quant а cela il faut
d’abord considйrer: comme la nature est acquise par gйnйration ou naissance, il
est nйcessaire que comme dans le Christ il y a deux natures il y ait aussi deux
gйnйrations ou naissances: une йternelle selon laquelle il acquiert la nature
divine du Pиre, l’autre temporelle selon laquelle il acquiert la nature humaine
de sa mиre. Semblablement aussi tout ce qui est lйgitimement attribuй а Dieu et
а l’homme concernant la nature il est nйcessaire qu’ils soient dits multiples
dans le Christ. Or on attribue а Dieu l’intelligence et la volontй et leurs
perfections, par exemple la science ou sagesse, la charitй ou justice, choses
qui sont aussi attribuйes а l’homme (comme) appartenant а la nature humaine.
Car la volontй et l’intelligence sont des parties de l’вme et leurs perfections
sont sagesse, justice et autres. Il faut donc mettre dans le Christ deux
intelligences c’est-а-dire humaine et divine et йgalement deux volontйs; aussi
une double science ou (aussi) charitй, crййe et incrййe. Quant au suppфt ou hypostase, il faut n’en admettre qu’un seul dans
le Christ; d’oщ si on entend par l’кtre d’un unique suppфt on dira que dans le
Christ il n’y a qu’un кtre. Il est en effet йvident que des parties sйparйes ont
chacune leur propre кtre; mais selon qu’elle sont considйrйes dans leur tout
elles n’ont pas leur кtre mais elles sont toutes par l’кtre du tout. Si donc
nous considйrons le Christ lui-mкme comme un tout, suppфt de deux natures, il
n’aura qu’un кtre, de mкme qu’un seul suppфt. Et comme les actions sont celles
des suppфts il a semblй а certains que de mкme que dans le Christ il n’y a
qu’un suppфt il n’y aurait aussi qu’une opйration. Mais ils se trompent; car en
tout individu il y a beaucoup d’opйrations, s’il se trouvent plusieurs
principes de ces opйrations, comme dans l’homme autre est l’opйration de penser
et autre celle de sentir а cause de la diffйrence du sens avec l’intelligence;
comme dans le feu il y a une diffйrence entre sa chaleur et son ascension selon
ce qu’il y a de chaud et de lйger. Or la nature est comparйe а l’opйration
comme son principe. Il n’y a donc pas une seule opйration dans le Christ а
cause d’un seul suppфt, mais deux а cause des deux natures, comme inversement
dans la Trinitй il y a une opйration de trois personnes а cause d’une nature. Cependant l’opйration humaine dans le Christ a quel que part а
l’opйration de la vertu divine. En effet de tout ce qui se rencontre dans un
suppфt lui vient en aide ce qui est principal, le reste comme instrument, comme
les autres parties de l’homme sont instruments de l’intelligence. Ainsi donc
dans le Christ son humanitй peut кtre regardйe comme organe de la divinitй. Or
il est clair que l’instrument agit en vertu de l’agent principal. D’oщ dans
l’action de l’instrument n’intervient pas seulement la vertu de l’instrument
mais aussi celle de l’agent principal, comme on fait un coffre au moyen d’une
hache en tant qu’elle est sous la direction de l’artisan. Ainsi donc aussi
l’activitй humaine du Christ recevait une impulsion divine par delа la vertu de
l’homme. En effet en touchant un lйpreux il y avait activitй humaine, mais que
cet attouchement guйrоt venait du pouvoir divin. Et de cette maniиre toutes ses
actions et passions humaines furent salutaires de par la vertu divine. C’est
pourquoi Denys appelle thйandrique l’activitй humaine du Christ c’est-а-dire
humano-divine parce qu’elle procйdait ainsi de son humanitй cependant que
s’exerзait la vertu divine. Certains aussi jettent un doute sur sa filiation, si elle est unique
dans le Christ а cause de l’unitй du suppфt ou double а cause de la dualitй de
sa naissance. Il semble bien qu’il y en ait deux, car la cause йtant multiple
les effets sont multiples: or la naissance est cause de la filiation. Comme
donc il y a deux naissances dans le Christ il suit semble-t-il qu’il y ait deux
filiations. Rien n’empкche que la filiation soit une relation personnelle
c’est-а-dire constituant une personne: ce qui est vrai en effet de la filiation
divine. Sa filiation humaine ne constitue pas une personne mais vient s’ajouter
а une personne constituйe. De mкme aussi rien n’empкche qu’un homme par une
unique filiation se rapporte а un pиre et а une mиre parce que c’est de la mкme
naissance qu’il naоt du pиre et de la mиre. Or oщ est la mкme cause de relation
lа aussi la relation est une rйellement, bien que les rapports soient
multiples. En effet rien ne s’oppose que quelque chose ait rapport а une autre
sans que rйellement existe en elle une relation comme ce qui est connaissable
se rapporte а la connaissance sans relation en lui: ainsi aussi rien n’empкche
qu’une mкme relation rйelle ait plusieurs rapports. Car de mкme qu’une relation
en sa cause est une chose, ainsi aussi elle est une ou multiple et de mкme
comme le Christ n’est pas nй de la mкme naissance de pиre et de mиre il semble
que deux relations rйelles soient en lui а cause des deux naissances. Mais autre chose s’oppose а ce qu’il y ait plusieurs filiations
rйelles dans le Christ. En effet tout ce qui naоt d’un autre n’est pas pour
cela son fils mais seulement le suppфt complet. En effet la main n’est pas
fille de quelqu’un, ni le pied son fils, mais bien le tout singulier qui est
Pierre ou Jean. Donc le propre sujet de la filiation est le suppфt. Or on a
montrй plus haut (chapitres 210 et 211) que dans le Christ il n’est pas d’autre
suppфt que l’incrйй auquel dans le temps ne peut advenir une relation rйelle
mais comme nous l’avons dit (chapitre 99) toute relation de Dieu а la crйature
est seulement de raison. Il faut donc que la filiation par laquelle le suppфt
йternel du Fils se rapporte а la Vierge sa mиre ne soit pas une relation rйelle
mais seulement un rapport de raison; ce qui n’empкche pas que le Christ soit
vraiment et rйellement le Fils de la Vierge sa mиre parce qu’Il est rйellement
nй d’elle. De mкme aussi Dieu est vraiment et rйellement le Seigneur de la
crйature parce qu’il possиde le pouvoir rйel de maоtriser la crйature et
cependant la relation de maоtrise n’est attribuйe que selon la raison. Mais
s’il y avait dans le Christ plusieurs suppфts, comme certains l’ont avancй,
rien n’empкcherait de mettre dans le Christ deux filiations parce que а la
filiation temporelle serait sous-jacent le suppфt crйй. 4° La grвce du Christ (chapitre 213
а 216)
CHAPITRE 213: IL FALLAIT QUE LE CHRIST FЫT PARFAIT EN GRВCE ET EN
SAGESSE DE VЙRITЙ
Comme on vient de le voir l’humanitй du Christ est pour sa divinitй
comme son organe; or la disposition et la qualitй des organes s’apprйcient
surtout а partir de la fin et aussi de l’aptitude de celui qui utilise un
instrument; d’aprиs cela nous pouvons considйrer quelle fut la qualitй de la
nature humaine que le Verbe de Dieu a assumйe. Or la fin pour laquelle le Verbe
de Dieu a revкtu la nature humaine est le salut et la rйparation de l’humaine
nature. Il a donc fallu que le Christ, selon la nature humaine, soit tel qu’Il
puisse кtre, conformйment а elle, auteur de notre salut. Or le salut consiste dans la jouissance divine qui rend l’homme
bienheureux; et c’est pourquoi il a fallu que le Christ selon la nature humaine
jouisse parfaitement de Dieu. En effet un principe en quelque genre que ce soit
doit кtre parfait. Or la jouissance divine est faite de deux choses, selon la
volontй et selon l’intelligence: selon la volontй en adhйrant а Dieu
parfaitement par amour, selon l’intelligence en connaissant Dieu parfaitement.
Or la parfaite adhйsion de la volontй а Dieu par amour c’est la grвce par
laquelle l’homme est justifiй, selon la lettre aux Romains: "Justifiйs
par grвce gratuitement" (3, 24). De lа en effet vient que l’homme est
juste en ce qu’il s’attache а Dieu par la grвce. La parfaite connaissance de
Dieu se fait par la lumiиre de la sagesse qui est connaissance de la vйritй
divine. Il a donc fallu que le Verbe de Dieu incarnй soit parfait en grвce et
en la sagesse vйritable. D’oщ il est dit: "Le Verbe s’est fait chair,
et il a habitй parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme Fils unique
du Pиre, plein de grвce et de vйritй" (Jean 1, 14). CHAPITRE 214: LA PLЙNITUDE DE GRВCE DU CHRIST
On doit d’abord traiter de la plйnitude de sa grвce. A ce sujet il
faut savoir que le mot "grвce" peut s’entendre de deux faзons: d’une
faзon qui est d’кtre agrйable; nous disons en effet que quelqu’un a la grвce de
quelqu’un parce qu’il lui est agrйable. D’une autre faзon de ce qui est donnй
gratuitement. On dit en effet que l’un fait une grвce а l’autre lorsqu’il lui
accorde gratuitement un bienfait; et ces deux acceptions de la grвce ne sont
pas totalement distinctes. En effet on donne quelque chose gratuitement а un
autre parce que celui а qui l’on donne est agrйable а celui qui donne, soit
absolument soit а un certain йgard. Absolument, quand le bйnйficiaire agrйe au
bienfaiteur qui se l’attache d’une certaine maniиre. En effet ceux qui nous
agrйent, nous nous les attirons autant que nous le pouvons dans la mesure et de
la faзon qu’ils nous sont agrйables. A un certain йgard, quand le bйnйficiaire
agrйe au bienfaiteur pour en recevoir quelque chose mais non jusqu’а se
l’attacher. D’oщ il ressort que quiconque possиde ce qui lui est donnй
gratuitement n’est pas pour cela agrйй par le bienfaiteur. Et donc on distingue habituellement une double grвce, l’une qui est
simplement grвce donnйe gratuitement, l’autre qui aussi rend agrйable. Est
donnй gratuitement ce qui n’est dы en aucune maniиre. Quelque chose est dы de
deux maniиres: d’une part selon la nature, d’autre part selon l’opйration.
Selon la nature est dы а une chose ce que l’ordre naturel de cette chose exige,
ainsi il est dы а l’homme qu’il ait une raison, des mains et des pieds. Selon
l’opйration comme la rйmunйration а celui qui travaille. Ces dons-lа sont donc
donnйs gratuitement aux hommes par Dieu, et qui excиdent l’ordre de la nature,
et qui ne sont pas acquis mйritoirement bien qu’aussi ce qui est donnй par Dieu
pour des mйrites parfois ne perde pas son nom ou sa raison de grвce, soit que
le principe du mйrite vient de la grвce, soit aussi que soit donnй en surabondance
ce que ne requiиrent pas les mйrites de l’homme, comme il est dit: "La
grвce de Dieu, c’est la vie йternelle" (Rom 6, 23). Parmi ces dons il y en a qui excиdent les possibilitйs de l’humaine
nature et ne sont pas une rйtribution pour des mйrites, ils ne rendent pas non
plus agrйable а Dieu celui qui les a, comme les dons de prophйties, de faire
des mi racles, de science et de doctrine ou quelqu’autre chose accordйe par
Dieu. Par eux en effet on n’est pas uni а Dieu sinon peut-кtre par une certaine
similitude nous faisant participer а sa bontй et de cette maniиre tout peut
nous assimiler а Dieu. Certains dons rendent l’homme agrйable а Dieu et
unissent а Lui. Et non seulement on les appelle grвces en ce qu’ils sont donnйs
gratuitement mais aussi en ce qu’ils rendent l’homme agrйable а Dieu. Or double est l’union avec Dieu: l’une par l’affection et c’est la
charitй qui en quelque sorte par l’affection fait que l’homme est un avec Dieu,
comme il est йcrit "Celui qui adhиre а Dieu est une seule вme (avec Lui)"
(I Cor 65, 17). Par elle aussi Dieu habite en l’homme: "Si quelqu’un
m’aime il gardera ma parole, et mon Pиre l’aimera, et nous viendrons а lui et
nous ferons en lui notre demeure" (Jean 14, 23). Elle fait aussi que
l’homme habite en Dieu: "Celui qui demeure dans la charitй demeure en
Dieu et Dieu en lui" (Jean 4, 16). Celui-lа donc par le don gratuit
reзu est rendu agrйable а Dieu et est conduit jusqu’а devenir un esprit avec
lui par l’amour de charitй de sorte que lui-mкme soit en Dieu et Dieu en lui.
D’oщ l’Apфtre dit que sans la charitй les autres ne sont pas d’utilitй pour les
hommes, parce qu’ils ne peu vent rendre agrйable а Dieu si la charitй ne s’y
trouve pas (l Cor 13, 1 sq). Mais cette grвce est commune а tous les saints. D’oщ
le Christ-homme la demande pour ses disciples en priant: "Pour qu’ils
soient un" (Jean 17, 22) c’est-а-dire par le lien de l’amour "Comme
nous aussi sommes un". Il y a cette autre union de l’homme avec Dieu non seulement par
l’affection ou l’inhabitation mais encore par l’unitй hypostatique ou de la
personne c’est-а-dire qu’une et mкme hypostase est Dieu et homme. Cette union
-est propre au Christ dont on a dйjа dit plusieurs choses (chapitres 202 а
212). C’est aussi une grвce singuliиre de l’homme Christ d’кtre uni а Dieu dans
l’unitй de la personne; et c’est un don gratuit car il excиde la facultй
naturelle et aucun mйrite ne le prйcиde. Mais il le rend infiniment agrйable а
Dieu de sorte qu’il est dit de lui singuliиrement: "Celui-ci est mon
Fils bien-aimй en qui je me suis complu" (Mat 3, 17 et 17, 5). II y a cependant cette diffйrence entre l’une et l’autre grвces que
la grвce qui unit l’homme а Dieu par l’affection est quelque chose d’habituel
dans l’вme; car comme cette union se fait par acte d’amour, et les actes
parfaits procиdent par habitus, il faut а cette trиs parfaite disposition par
laquelle l’вme est unie а Dieu par l’amour qu’une grвce habituelle soit infusйe
dans l’вme. Mais l’кtre personnel ou hypostatique ne vient pas d’une
disposition (habitus) mais des natures dont sont les hypostases ou les
personnes. Donc l’union de la nature humaine avec Dieu en l’unitй de la
personne ne se fait pas au moyen d’une grвce habituelle mais par la rйunion des
natures elles-mкmes en une seule personne. Dans la mesure oщ une crйature s’approche plus prиs de Dieu dans la
mкme mesure participe-t-elle davantage de la bontй divine et est-elle remplie
sous son influence de dons plus abondants, comme participe plus а la chaleur du
feu celui qui s’en approche davantage. Or aucune maniиre de s’approcher
davantage de Dieu pour une crйature n’existe ni ne peut кtre imaginйe que de
lui кtre unie dans l’unitй de la personne. Donc de par l’union elle-mкme de la
nature humaine а Dieu dans l’unitй de la personne il s’en suit que l’вme du
Christ fut plus que toutes les autres remplie des dons habituels de la grвce.
Et ainsi la grвce habituelle du Christ ne dispose pas а l’union mais plutфt
elle est l’effet de cette union; ce qui devient manifeste par la maniиre mкme
de s’exprimer de 1'Evangйliste dans les paroles dйjа citйes: "Nous
l’avons vu comme le Fils unique du Pиre, plein de grвce et de vйritй"
(Jean 1, 14). Or cet homme le Christ est le Fils unique du Pиre en tant que le
Verbe s’est fait chair. De ce que donc le Verbe s’est fait chair il en est
rйsultй qu’il est plein de grвce et de vйritй. Oщ se trouve une grande plйnitude de bontй et de perfection, en est
plus rempli ce qui dйborde sur les autres choses, comme brille davantage ce qui
illumine les autres. Donc comme cet homme le Christ avait obtenu la plйnitude
suprкme de la grвce comme Fils unique du Pиre, il s’en est suivi qu’elle
dйbordait de lui sur les autres, de sorte que le Fils de Dieu fait homme fit
des hommes des Dieux et des Fils de Dieu, selon l’Apфtre "Dieu envoya
son Fils fait de la femme nй sous la loi, pour racheter ceux qui йtaient sous
la loi pour que nous recevions l’adoption des fils" (Gal 4,4 sq). De ce que du Christ la grвce et la vйritй dйrivent en d’autres il
est juste qu’Il soit la tкte de l’Eglise. Car c’est de la tкte aux membres, qui
lui sont naturellement conformes, que d’une certaine faзon les sensations et
les mouvements dйrivent De mкme c’est du Christ que la grвce et la vente dйrivent
chez les autres hommes. D’ou aux Ephйsiens "Et Il l’a donnй comme tкte
sur toute l’Eglise qui est son corps" (Eph 1, 22 sq). Il peut aussi кtre dit la tкte non seulement des hommes, mais aussi
des anges quant а l’influence et а l’excellence quoique non quant а une
conformitй de nature selon la mкme espиce. D’ou avant les paroles prйcitйes
l’Apфtre dit que Dieu l’a constitue, c’est-а-dire le Christ, а sa droite dans
les cieux au-dessus de toute principautй, puissance, et vertu et domination. Ainsi donc d’aprиs ce qui prйcиde on attribue habituellement au
Christ trois grвces: d’abord la grвce d’union selon laquelle la nature humaine,
sans aucun mйrite prйcйdent, a reзu le don d’кtre unie au Fils de Dieu en
personne; ensuite une grвce singuliиre par laquelle l’вme du Christ plus que
toutes les autres fut remplie de grвce et de vйritй; enfin la grвce capitale
selon laquelle la grвce dйborde de Lui sur d’autres. Ces trois choses
l’Evangйliste les fait se succйder dans l’ordre: quant а la grвce d’union il
dit: "Le Verbe s’est fait chair"; quant а la grвce singuliиre:
"Nous l’avons vu comme un Fils unique du Pиre plein de grвce et de
vйritй." Quant а la grвce capitale il ajoute: "Et de sa plйnitude
nous avons tous reзu" (Jean 1, 14 et 16). CHAPITRE 215: LA GRВCE DU CHRIST EST INFINIE
Il est propre au Christ que sa grвce soit infinie, car au tйmoignage
de saint Jean-Baptiste, Dieu n’a pas mesurй son Esprit au Christ-homme comme il
est dit en Jean chapitre trois (verset 34)[18].
Aux autres, l’Esprit est donnй avec mesure: "A chacun de nous la grвce
est donnйe selon la mesure du don du Christ" (Eph 4, 7). Si on
rapporte cela а la grвce d’union il n’y a aucun doute sur ce qui en est dit.
Car aux autres saints il est donnй d’кtre des dieux ou fils de Dieu par
participation а partir de l’infusion d’un don qui йtant crйй est nйcessairement
fini comme les autres crйatures. Mais il est donnй au Christ selon la nature
humaine d’кtre Fils de Dieu par nature et non par participation. Or de sa
nature la divinitй est infinie. De par l’union elle-mкme il a reзu un don
infini; d’oщ il n’y a aucun doute а ce que la grвce d’union soit infinie. Mais au sujet de la grвce habituelle on peut douter qu’elle soit
infinie; comme en effet cette grвce est un don crйй il faut admettre qu’elle
est finie en son essence. Mais elle peut кtre dite infinie pour une triple
raison. D’abord de la part de celui qui la reзoit. En effet il est manifeste
que la capacitй de n’importe quelle nature crййe est finie parce que bien
qu’elle puisse recevoir un bien infini par la connaissance et la jouissance
cependant elle ne peut le recevoir infiniment. Il y a donc pour toute crйature
selon son espиce ou sa nature une mesure dйterminйe selon sa capacitй; ce qui
cependant n’empкche pas la divine puissance de pouvoir faire une autre crйature
de capacitй plus grande. Mais elle ne serait plus de la mкme nature spйcifique,
comme quand on ajoute l’unitй au nombre trois n a une autre sorte de nombre. Quand
donc on ne donne pas а quelqu’un autant de la bontй divine qu’il en est capable
selon son espиce naturelle, cela lui est donnй selon une certaine mesure. Mais
quand la capacitй naturelle est remplie, ce ne lui est plus donnй selon une
mesure car s’il y a une limite chez celui qui reзoit, il n’y en a pas chez
celui qui donne, qui est disposй а tout donner, comme celui qui portant un vase
va а la riviиre trouve de l’eau а sa disposition et а volontй bien qu’il la
reзoive avec mesure а cause de la quantitй dйterminйe du vase. Ainsi donc la
grвce habituelle du Christ est finie selon l’essence et elle est dite donnйe
infiniment et non selon une mesure parce qu’elle est donnйe selon qu’en est
capable sa nature crййe. Ensuite elle est infinie du cфtй mкme du don reзu. Rien n’empкche en
effet que quelque chose soit fini selon son essence qui cependant en raison
d’une certaine forme est infini. En effet l’infini selon l’essence est ce qui a
toute la plйnitude de l’кtre; ce qui n’appartient qu’а Dieu qui est l’кtre
mкme. Mais si l’on suppose une forme spйciale n’existant pas dans un sujet,
comme la blancheur et la chaleur, elle n’aurait pas une essence infinie parce que
limitйe а un genre ou une espиce, mais elle possйderait toute la plйnitude de
l’espиce d’oщ а raison de l’espиce elle serait sans limite ni mesure ayant tout
ce qui peut appartenir а cette espиce. Mais si la blancheur ou la chaleur sont
reзues dans un sujet elles n’ont pas toujours tout ce qui est de la raison de
cette forme, toujours et nйcessairement, mais seulement quand elles ont toute
la perfection possible c’est-а-dire que la maniиre de possйder йgale la
possibilitй de ce qui est reзu. Ainsi donc la grвce habituelle du Christ fut
finie selon l’essence cependant elle est dite sans limite ni mesure parce que
tout ce qui pouvait кtre en raison de la grвce le Christ l’a entiиrement reзu. Les
autres ne reзoivent pas tout, mais l’un ainsi, l’autre autrement. En effet il y
a des partages de grвces, comme il est dit aux Corinthiens (1 Cor 12, 4). Enfin du cфtй de sa cause la grвce du Christ peut кtre infinie: car
l’effet se trouve en une certaine maniиre dans la cause. Quiconque dispose
d’une cause au pouvoir infini d’action a de quoi agir sans mesure et d’une
certaine faзon infiniment; comme quelqu’un qui disposerait d’une source d’oщ
l’eau s’йcoule continuellement on dirait de lui qu’il a de l’eau sans mesure et
en quelque maniиre infiniment. Ainsi donc l’вme du Christ possиde une grвce
infinie et sans mesure par cela qu’Il possиde le Verbe qui Lui est uni et qui
est le principe intarissable et infini de toute la production des crйatures. De ce que la grвce singuliиre de l’вme du Christ est infinie, de la
maniиre qu’on a vu, on en conclut а l’йvidence que sa grвce est aussi infinie
selon qu’il est la tкte de 1’Eglise. En effet Il dйverse de ce qu’Il a. D’oщ
comme Il a reзu sans mesure les dons de l’Esprit il a le pouvoir de les
dйverser sans mesure, ce qui appartient а sa grвce de chef; c’est-а-dire que sa
grвce suffit non seulement au salut de quelques hommes mais aussi du inonde
entier, selon Jean: "Et lui-mкme est propitiation pour nos pйchйs et non
seulement pour les nфtres mais aussi pour ceux du monde entier" (1 Jean 2,
2). On pourrait aussi ajouter de plusieurs mondes s’ils existaient. CHAPITRE 216: DE LA PLЙNITUDE DE LA SAGESSE DU CHRIST
1. Il faut ensuite parler de la plйnitude de la sagesse du Christ. En
quoi vient d’abord en considйration, qu’йtant donnй qu’en Lui il y a deux
natures divine et humaine, tout ce qui appartient aux deux natures doit
nйcessairement se dйdoubler dans le Christ, comme on l’a dit plus haut (chapitre
212). Or la sagesse convient а la nature divine et а l’humaine. Il est en effet
dit de Dieu: "Il est sage en son coeur et fort en puissance" (Job
9, 4). Mais les hommes sont aussi sages selon l’Ecriture, soit selon la sagesse
mondaine: "Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse mondaine"
(Jer 9, 23); soit selon la sagesse divine: "Voici que je vous envoie
des prophиtes, des sages et des scribes" (Mt 23, 34). Il faut donc
admettre deux sagesses dans le Christ selon ses deux natures: la sagesse
incrййe comme Dieu et la sagesse crййe comme homme. Et selon qu’Il est Dieu et
Verbe de Dieu il est la sagesse engendrйe du Pиre: "Le Christ vertu de
Dieu est sagesse de Dieu" (1 Cor 1, 24). En effet le verbe intйrieur
de tout кtre qui pense n’est autre que sa sagesse. Et parce que le Verbe de
Dieu, nous l’avons dit (chapitre 41 а 44) est parfait et Lui est uni, il est
nйcessaire que le Verbe de Dieu soit le parfait concept de la sagesse du Pиre,
c’est-а-dire que tout ce qui est contenu dans la sagesse du Pиre de faзon non
engendrйe est tout entier contenu dans le Verbe de faзon engendrйe et conзue. Et
de lа vient ce qui est dit du Christ: "En Lui sont cachйs tous les
trйsors de la sagesse et de la science" (Col 2, 3). 2. Quant au Christ-homme il possиde une double connaissance: une qui
est dйiforme selon qu’Il voit Dieu par essence et les autres choses en Dieu
ainsi que Dieu lui- mкme se pensant pense toutes choses; par cette vision, Dieu
lui-mкme est bienheureux ainsi que toute crйature rationnelle jouissant
parfaitement de Dieu. Or comme nous disons que le Christ est l’auteur du salut
de l’homme, il est nйcessaire de dire qu’une telle connaissance convient ainsi
а l’вme du Christ comme il sied а l’auteur (du salut). Or un principe devrait
кtre immobile et de vertu excellente entre toutes. Il fut donc juste que cette
vision de Dieu, en laquelle la bйatitude des hommes et le salut йternel
consistent, convienne au Christ plus excellemment que chez d’autres et en tant
que principe immobile. 3. Or il y a cette diffйrence entre les choses mobiles et immobiles
que les premiиres n’ont pas leur perfection en commenзant mais qu’elles y
arrivent par succession de temps; les choses immobiles obtiennent leur
perfection dиs qu’elles commencent а exister. Donc le Christ auteur du salut de
l’homme dиs le commencement de son incarnation a possйdй la pleine vision de
Dieu, n’y йtant pas parvenu par succession de temps comme les autres saints y
parviennent. 4. Il йtait donc juste qu’а l’encontre des autres crйatures cette вme
soit bйatifiйe en la vision divine, elle qui йtait de plus prиs urne а Dieu;
dans cette vision on note une gradation selon que les uns voient Dieu plus
clairement que les autres, Lui qui est la cause de toutes choses. Or plus une
cause est pleinement connue plus on peut y percevoir d’effets. Une cause en
effet n’est mieux connue que quand son pouvoir est plus pleinement connu et
cette connaissance ne peut venir que de la connaissance de ses effets. Car la
quantitй d’un pouvoir se mesure habituellement par ses effets. De lа vient que
parmi ceux qui voient l’essence de Dieu certains perзoivent en Dieu mкme plus
d’effets ou de raisons des oeuvres divines que d’autres qui voient moins
clairement; et d’aprиs cela les anges supй rieurs instruisent les infйrieurs,
comme nous l’avons dit plus haut (chapitre 126). Donc l’вme du Christ qui
possиde la suprкme perfection de la vision divine parmi les autres crйatures
contemple en Dieu mкme pleinement toutes les oeuvres divines et leurs raisons
quelles qu’elles soient, seront ou ont йtй; et elle illumine non seulement les
hommes mais aussi les anges les plus йlevйs; ce qui fait dire а l’Apфtre: "En
Lui sont cachйs tous les trйsors de la sagesse et de la science" (Col
2, 5) et "Tout est а nu et а dйcouvert а ses yeux" (Hйbreux 4,
13). 5. Cependant l’вme du Christ ne peut atteindre а comprendre la
divinitй. Car comme on l’a dit plus haut (chapitre 106) comprendre c’est
connaоtre une chose autant qu’elle est connaissable et tout est connaissable en
tant qu’кtre et vrai; or l’кtre divin est infini comme aussi sa vйritй. Dieu est donc infiniment connaissable. Or aucune crйature ne peut
connaоtre infiniment quoique ce qu’elle connaisse soit infini. Donc aucune
crйature en voyant Dieu ne le comprend. Et l’вme du Christ est une crйature et
tout ce qui dans le Christ se rapporte seulement а la nature humaine est crйй,
autrement dans le Christ sa nature humaine ne diffйrerait pas de sa nature
divine qui seule est incrййe. Mais l’hypostase du Verbe de Dieu, ou la
personne, est incrййe qui est une en deux natures; c’est pour cela que nous ne
disons pas que le Christ est une crйature, simplement parlant, parce que par le
nom de Christ on entend l’hypostase; cependant nous disons que l’вme ou le
corps du Christ sont des crйatures. Donc l’вme du Christ ne comprend pas Dieu
mais le Christ Dieu comprend Dieu dans sa sagesse incrййe; c’est dans ce sens
que le Seigneur dit: "Personne ne connaоt le Pиre si ce n’est le
Fils" (Mt 11, 27) indiquant par lа sa connaissance de comprйhension. 6. Or il faut savoir que c’est une mкme chose de comprendre l’essence
d’une chose et sa vertu. En effet rien ne peut agir que s’il est en acte. Si
donc l’вme du Christ n’est pas en mesure de comprendre l’essence divine, comme
on l’a montrй, il est impossible qu’elle connaisse la vertu divine; elle la
comprendrait si elle connaissait tout ce que Dieu peut faire et par quelles
voies Il peut produire ses oeuvres; or cela est impossible. Donc l’вme du
Christ ne connaоt pas tout ce que Dieu peut faire, ou par quelles raisons il
peut agir. Mais parce que le Christ selon qu’Il est homme est par Dieu le Pиre
prйposй а toute la crйature il est juste que de tout ce que Dieu a fait en
quelque maniиre le Christ en ait la pleine connaissance dans la vision de
l’essence divine, mкme. Et d’aprиs cela l’вme du Christ est dite omnisciente
parce qu’elle a la connaissance de toutes les choses prйsentes, passйes ou
futures. Parmi les autres crйatures qui voient Dieu, d’aucunes plus pleinement,
d’autres moins pleinement, perзoivent les effets susdits dans la vision mкme de
Dieu. 7. En plus de cette vision par laquelle l’intelligence crййe a
connaissance des choses crййes, dans la vision de la divine essence sont
d’autres modes de connaissance pour la connaissance des choses. Car les anges
outre la connaissance matinale par laquelle ils connaissent les choses dans le
Verbe, possиdent la connaissance vespйrale par laquelle ils connaissent les
choses en leurs propres natures. Cette connaissance est autre chez les hommes
selon sa nature que chez les anges Car selon l’ordre naturel, les hommes
recueillent la vйritй intelligible des choses а partir des sens, au dire de
Denys (De div. nom. c. 7) c’est-а-dire que les espиces intelligibles en
leurs intellects sont abstraites des phantasmes par l’intellect agent. Mais
sous l’influence de la lumiиre divine les anges acquiиrent la connaissance des
choses, c’est-а-dire que de mкme que les choses arrivent а l’кtre par Dieu
ainsi aussi dans l’esprit angйlique sont imprimйes par Dieu les natures des
choses ou leurs similitudes. Outre cette connaissance des choses selon leur
nature on trouve chez les hommes aussi bien que chez les anges une connaissance
surnaturelle des mystиres divins sur lesquels les anges sont йclairйs par
d’autres anges et les hommes aussi sont instruits par la rйvйlation
prophйtique. 8. Et parce qu’aucune perfection accordйe aux crйatures ne doit кtre
refusйe а l’вme du Christ qui est de toutes les crйatures la plus excellente,
il est juste de lui attribuer une connaissance en plus de la connaissance par
laquelle Il voit l’essence divine et toutes choses en elle et cette connaissance
est triple. Une qui est expйrimentale comme pour les autres hommes en tant
qu’Il connut certaines choses par ses sens comme il appartient а la nature
humaine. 9. Une seconde qui est divinement infuse pour connaоtre toutes ces
choses auxquelles la connaissance naturelle de l’homme s’йtend ou peut
s’йtendre. Il convenait en effet qu’а la nature humaine assumйe par le Verbe de
Dieu aucune perfection ne fоt dйfaut puisqu’elle devait restaurer toute la
nature humaine. Or est imparfait ce qui existe en puissance avant d’кtre rйduit
en acte. Et l’intelligence humaine est en puissance aux intelligibles que
l’homme peut naturellement connaоtre. De toutes ces choses l’вme du Christ
reзut la science divinement par des espиces infuses par cela que toute la
puissance de l’intellect humain fut rйduite en acte. 10. Mais parce que le Christ selon la nature humaine ne fut pas
seulement le rйparateur de cet nature mais encore le propagateur de la grвce,
une troisiиme connaissance lui fut adjointe par laquelle il connut en toute sa
plйnitude ce qui concernait les mystиres de la grвce qui excиdent la
connaissance naturelle de l’homme; cependant qu’ils nous sont connus par le don
de sagesse ou par l’esprit de prophйtie. Car pour les connaоtre l’intelligence
humaine est en puissance bien qu’elle soit rйduite en acte par un agent plus
йlevй; ce qu’elle obtient par la lumiиre divine. 11. De tout ce qui prйcиde il ressort clairement que l’вme du Christ
obtint le plus haut degrй de connaissance entre toutes les autres crйatures quant
а la vision de Dieu qui fait voir l’essence divine et en elle toutes les autres
choses. Et semblablement aussi quant а la connaissance des mystиres de la grвce
comme quant а la connaissance des choses naturelles connaissables. En aucune de
ces trois connaissances le Christ ne put progresser. Mais il est manifeste
qu’au cours du temps il connut toujours davantage les choses sensibles par
l’expйrience des sens; et donc seulement le Christ put progresser en la science
expйrimentale, comme saint Luc le dit: "L’enfant avanзait en вge et en
sagesse" (2, 52). Bien qu’on puisse l’entendre autrement de sorte que le
progrиs de la sagesse du Christ est dit non de ce qu’Il devenait plus sage mais
de ce que la sagesse progressait chez les autres, c’est-а-dire que par sa
sagesse ils йtaient de mieux en mieux instruits. Ce qui s’est fait
intentionnellement pour qu’Il se montrвt semblable aux autres hommes de peur
que si en son jeune вge il eut fait montre d’une science parfaite le mystиre de
son incarnation ne parыt illusoire. 1. La seconde vient plus loin et sera subdivisйe en trois
parties.
5° La nature
humaine du Christ et sa conception (chapitre 217 а 226)
CHAPITRE 217: DE LA MATIИRE DU CORPS DU CHRIST
Selon les prйmisses il apparaоt donc avec йvidence ce que dut кtre
la formation du corps du Christ. En vйritй Dieu pouvait le former du limon
terrestre ou de quelqu’autre matiиre, comme Il avait formй le corps du premier
pиre. Ce qui toutefois ne s’accordait pas avec la restauration de l’homme pour
laquelle le Fils de l’homme, comme nous l’avons dit (chapitre 200) assuma la
chair. En effet la nature du genre humain dйrivйe du premier pиre et qui devait
кtre guйrie n’eut pas йtй suffisamment restaurйe dans sa premiиre noblesse si
pour vaincre le diable et triompher de la mort lesquels tenaient captifs le
genre humain а cause du pйchй du premier pиre Il avait pris d’ailleurs son
corps. Or les oeuvres de Dieu sont parfaites et Il mиne а la perfection ce
qu’Il veut restaurer pour ainsi surajouter а ce qui avait йtй soustrait, selon
ce que dit l’Apфtre: "La grвce de Dieu par le Christ a surabondй"
(Rom 5, 20), au-delа du dйlit d’Adam. Il йtait donc juste que le Fils de Dieu
prоt un corps propagй naturellement d’Adam. De plus le mystиre de l’incarnation est rendu profitable aux hommes
par la foi. En effet les hommes ne pour raient suivre l’auteur de leur salut
qu’en croyant Fils de Dieu celui qui leur apparaissait comme homme; ce que ne
firent pas les Juifs qui du mystиre de l’incarnation а cause de leur
incrйdulitй ont encouru la damnation plutфt que le salut. Donc pour que l’on
croie plus facilement au mystиre ineffable de l’incarnation le Fils de Dieu
disposa toutes choses de faзon а montrer qu’Il йtait vйritablement homme; ce
qui n’eut pas йtй aussi йvident s’il avait pris la nature de son corps ailleurs
que de la nature de l’homme. Il йtait donc juste qu’Il prit un corps propagй а partir
du premier homme. De mкme le Fils de Dieu apporta le salut au genre humain non
seulement en y apportant le remиde de la gi mais aussi en lui offrant un
exemple qu’on ne pouvait rйpudier. D’un autre homme en effet et la doctrine et
la vie peuvent susciter des doutes а cause du manque de connaissance ou de
vertu de l’homme. Mais de mкme quon croit indubitablement vrai ce que le Fils
de Dieu enseeigne, ainsi croit-on indubitablement bon ce qu’Il fait. Or il
fallait qu’en Lui nous trouvions un modиle et de la gloire que nous espйrons et
de la vertu qui nous la mйrite. En effet, l’un et l’autre exemple eussent йtй
moins efficaces s’Il avait pris la nature de son corps ailleurs que chez les
autres hommes. Si en effet on persuadait quelqu’un de supporter les souffrances
comme le Christ, d’espйrer ressusciter comme le Christ, il pourrait trouver
excuse dans la condition diverse du corps. Donc pour que l’exemple du Christ
fыt plus efficace il convenait qu’Il n’assumвt pas un corps ailleurs que de la
nature propagйe а partir du premier pиre. CHAPITRE 218: LA FORMATION DU CORPS DU CHRIST N’EST PAS SЙMINALE
Il ne convenait cependant pas que le corps du Christ fыt formй en la
nature humaine comme sont formйs les corps des autres hommes. Comme en effet,
il prenait cette nature pour la purifier du pйchй Il devait l’assumer de telle
faзon qu’Il n’encourrait aucune contagion du pйchй. Or les hommes encourent le
pйchй originel йtant engendrйs par la vertu active humaine qui est en la
semence virile, laquelle a prйexistй selon la raison sйminale en Adam pйcheur. En
effet de mкme que le premier homme eut pu transmettre la justice originelle а
ses descendants avec la transfusion de la nature, ainsi aussi a-t-il transmis
la faute originelle en transfusant la nature, ce qui se fait par la vertu
active de la semence virile. Il a donc fallu qu le corps du Christ soit formй
sans semence virile. De mкme: la vertu active de la semence virile agit naturellement et
donc l’homme qui est engendrй de la semence virile n’est pas aussitфt amenй а
l’йtat parfait, mais progressivement. En effet toutes les choses naturelles
parviennent а une fin dйterminйe par des intermйdiaires dйterminйs. Or il
fallait que le corps du Christ soit par fait, dиs le dйbut informй d’une вme
rationnelle[19]; car le
corps put кtre assumй par le Verbe de Dieu en tant qu’il est uni а une вme
rationnelle sans pour cela кtre parfait selon la quantitй voulue. Le corps du
Christ donc ne devait pas кtre formй par la vertu d’une semence virile. CHAPITRE 219: QU’EST-CE QUI A FORMЙ LE CORPS DU CHRIST?
Comme le corps humain est naturellement formй а partir de la semence
virile, de quelque autre faзon que le corps du Christ ait йtй formй une telle
formation- fut au- dessus de la nature. Or Dieu seul a instituй la nature, Lui
qui opиre surnaturellement dans les choses naturelles, comme on l’a dit plus
haut (chapitre 136). D’oщ il reste que Dieu seul a formй miraculeusement ce
-corps а partir d’une matiиre de l’humaine nature. Mais comme toute opйration
divine dans la crйature est commune aux trois personnes, toutefois en raison
d’une certaine convenance la formation du corps du Christ est attribuйe au
Saint- Esprit. En effet l’Esprit Saint est l’amour du Pиre et du Fils par
lequel ils s’aiment et nous aussi."Dieu а cause de la trиs grande charitй
par laquelle Il nous a aimйs" (Eph 2, 4) dйcida que son Fils
s’incarnerait. C’est donc -- juste titre que la formation de la chair est
attribuйe а l’Esprit Saint. De mкme l’Esprit Saint est l’auteur de toutes les grвces puisqu’Il
est le premier en qui tous les dons sont donnйs gratuitement; or ce fut une
grвce surabondante qu’une autre nature humaine soit assumйe dans l’unitй d’une
personne divine, comme il ressort de ce qui a йtй dit plus haut (chapitre 214).
Donc pour indiquer ce qu’est cette grвce, la formation du corps du Christ est
attribuйe а l’Esprit Saint. Ce qui est aussi justement dit par ressemblance du verbe humain et
du souffle humain. En effet le verbe humain existant dans le coeur a une
ressemblance avec le Verbe йternel: qu’Il existe dans le Pиre. Or de mкme que
le verbe humain prend une voix pour se faire connaоtre sensiblement aux hommes
ainsi aussi le Verbe de Dieu a pris une chair pour apparaоtre visiblement aux
hommes. Or la voix humaine est formйe par le souffle de l’homme; d’oщ aussi la
chair du Verbe de Dieu devait кtre formйe par l’Esprit du Verbe. 1. Mкme formule en saint Jean, dans le dialogue avec Nicodиme: "l’esprit
souffle oщ il veut" (3, 8). CHAPITRE 220: EXPOSITION DE L’ARTICLE DU SYMBOLE SUR LA CONCEPTION ET LA
NAISSANCE DU CHRIST
Pour rejeter l’erreur d’Ebion et de Cйrinthe qui dirent que le corps
du Christ fut formй d’une semence virile, le Symbole des Apфtres affirme qu’il
a йtй conзu du Saint- Esprit. Au Symbole des Pиres (Nicйe) au lieu de ces mots
on trouve: "Et Il s’est incarnй de l’Esprit Saint" pour qu’on
ne voie pas qu’Il a pris un corps imaginaire selon les Manichйens mais une
vraie chair. Dans ce mкme Symbole des Pиres on ajoute: "Pour nous les
hommes" pour exclure l’erreur d’Origиne qui enseigne que les dйmons aussi
pouvaient кtre libйrйs par la passion du Christ. Dans le mкme (Symbole) on
ajoute: "Pour notre salut" afin de montrer que le mystиre de
l’incarnation suffit au salut des hommes contre l’hйrйsie des Nazarйens qui
jugeaient que la foi au Christ sans les oeuvres de la loi ne pouvait suffire au
salut des hommes. On ajoute: "Il descendit du ciel" pour
rejeter l’erreur de Photin (chapitre 202) qui affirmait que le Christ йtait un
pur homme, disant qu’Il avait pris en Marie son commencement pour que par le
mйrite d’une bonne vie ayant commencй sur terre il monte au ciel plutфt que,
d’origine cйleste, prenant chair, Il soit descendu sur terre. On ajoute aussi: "Et
Il s’est fait homme" pour rejeter l’erreur de Nestorius (chapitre 203)
qui affirmait que le Fils de Dieu, dont parle le Symbole, avait habitй un homme
plutфt que d’кtre lui- mкme un homme. CHAPITRE 221: IL CONVENAIT QUE LE CHRIST NAQUIT D’UNE VIERGE
Il a йtй dit (chapitre 217) qu’il йtait juste que le Fils de Dieu
prenne chair de la matiиre de la nature humaine; or c’est la femme qui fournit
la matiиre de la gйnйration humaine; il йtait donc juste que le Christ prоt
chair d’une femme selon ce que dit l’Apфtre: "Dieu envoya son Fils fait
de la femme" (Gal 4, 4). Or la femme a besoin de s’unir а son mari
pour que la matiиre qu’elle fournit soit formйe en un corps humain. Or la
formation du corps du Christ ne devait pas se faire par la vertu de la semence
virile, comme dйjа on l’a montrй (chapitre 218). D’oщ sans l’intervention de
semence virile cette femme a conзu, de laquelle le Fils de Dieu a pris chair. On est d’autant plus rempli de dons spirituels qu’on est plus
dйtachй des choses de la chair. Car par l’esprit l’homme est attirй en haut,
par la chair il est tirй vers le bas. Or comme la formation du corps du Christ
devait se faire par l’Esprit Saint il a fallu que cette femme de laquelle le
Christ a pris un corps soit au maximum rem plie des dons spirituels pour que
par l’Esprit Saint non seulement l’вme soit fйconde en vertus, mais aussi son
sein en lignйe divine. D’oщ il fallait que non seulement son esprit soit exempt
du pйchй mais qu’aussi son corps soit йtranger а toute corruption de la
concupiscence charnelle. D’oщ non seulement pour la conception du Christ
n’a-t-elle pas connu l’union maritale mais encore ni avant ni aprиs. Cela convenait aussi а celui qui naоtrait d’elle. En effet le Fils
de Dieu venait en ce monde prenant chair pour nous йlever а l’йtat de
ressuscitйs, dans lequel "on ne se marie, ni n’est mariй, oщ les hommes
seront comme des anges dans le ciel" (Mt 22, 30). D’oщ aussi son
enseignement sur la continence et la virginitй pour que la vie des fidиles
resplendisse а l’image en quelque sorte de la gloire future. II convenait donc
qu’aussi en son origine il recommande cette vie virginale en naissant d’une
vierge. Et c’est pourquoi il est dit dans le Symbole: "Nй de la Vierge
Marie." Dans le Symbole de Nicйe on dit qu’Il "s’est incarnй
de la Vierge Marie"; par quoi on exclut l’erreur de Valentin et
d’autres qui dirent que le corps du Christ йtait tel un fantфme ou d’une autre
nature (chapitre 207) et non pris du corps de la Vierge, ni formй en elle. CHAPITRE 222: LA BIENHEUREUSE VIERGE EST LA MИRE DU CHRIST
Par lа est exclue l’erreur de Nestorius qui refusait d’admettre que
la Bienheureuse Vierge Marie йtait Mиre de Dieu. Or les deux Symboles ont
affirmй que le Fils de Dieu est nй ou incarnй de la Vierge Marie. La femme dont
quelqu’un est nй est dite sa mиre en ce qu’elle four nit la matiиre de la
conception. D’oщ la Bienheureuse Vierge Marie qui a fourni la matiиre а la
conception du Fils de Dieu doit кtre dite la vraie mиre du Fils de Dieu. En
effet il n’importe pas а la maternitй par quelle vertu est informйe la matiиre
de la mиre. Elle n’est donc pas moins mиre celle qui fournit la matiиre que
l’Esprit Saint informe, que celle que la semence virile informe. Si quelqu’un voulait dire que la Bienheureuse Vierge ne doit pas кtre
dite la mиre de Dieu parce que la divinitй n’en a pas йtй prise mais la chair
seulement, comme le disait Nestorius, celui-lа ne sait pas ce qu’il dit. En
effet on n’est pas mиre de quelqu’un parce que tout ce qu’on a en a йtй pris.
Car l’homme est fait d’une вme et d’un corps et on est plus homme par l’вme que
par ce qui est du corps. Or l’вme d’un homme ne vient pas de la mиre mais ou
bien elle est crййe immйdiatement par Dieu comme. il est certain, ou bien elle
serait transmise, comme certains l’ont avancй, et alors elle viendrait plutфt
du pиre que de la mиre parce que dans la gйnйration des animaux, selon la
doctrine des philosophes, le mвle donne l’вme et la femelle le corps[20]. Donc de mкme que la mиre de tout homme est cette femme dont il a eut
son corps, ainsi la Vierge Marie est-elle Mиre de Dieu si d’elle a йtй pris le
corps de Dieu. Il faut dire que c’est le corps de Dieu s’il a йtй assumй en
l’unitй de la personne du Fils de Dieu qui est vйritablement Dieu. Pour ceux
donc qui confessent que la nature humaine a йtй assumйe par le Fils de Dieu
dans l’unitй de la personne il faut nйcessairement dire que la Vierge Marie est
mиre de Dieu. Mais parce que Nestorius niait l’unitй de la personne en Dieu et
en l’homme Jйsus-Christ il devait en consйquence nier que la Vierge Marie йtait
Mиre de Dieu. CHAPITRE 223: L’ESPRIT SAINT N’EST PAS LE PИRE DU CHRIST
D’abord parce que dans la bienheureuse Vierge Marie se trouve tout
ce qui fait la maternitй. En effet elle a fourni la matiиre pour la conception
du Christ pour кtre informйe par l’Esprit Saint, comme le requiert la maternitй
mais du cфtй de l’Esprit Saint ne se trouve pas tout ce qui fait la paternitй. La
paternitй en effet veut que le pиre produise de sa nature un fils qui lui est
connaturel. D’oщ si quelqu’agent fait quelque chose non pas de sa substance, ni
ne la produit en ressemblance de sa propre nature, on ne peut pas dire qu’il en
est le Pиre. Nous ne disons pas en effet que l’homme est le pиre des choses
qu’il fait comme artisan, sinon que mйtaphoriquement. L’Esprit Saint est en
vйritй connaturel au Christ selon la nature divine selon laquelle Il n’est pas
le pиre du Christ mais plutфt Il en procиde. Et selon la nature humaine Il
n’est pas connaturel au Christ. Car la nature humaine dans le Christ est autre
que la nature divine, comme on l’a dit (chapitres 206, 209, 211). Rien non plus
en la nature humaine n’a йtй communiquй de la nature divine, comme on l’a dit (chapitre
206). Il reste donc que l’Esprit Saint ne peut кtre dit le pиre du Christ De mкme en tout fils, ce qu’il y a de principal vient du pиre, et de
la mиre ce qui est secondaire. En effet chez les autres animaux l’вme est du
pиre et le corps est de la mиre. Or dans l’homme quoique l’вme rationnelle ne
soit pas du pиre mais crййe par Dieu, cependant la vertu sйminale du pиre opиre
dispositivement а la forme. Or ce qu’il y a de principal dans le Christ c’est
la personne du Verbe qui d’aucune faзon n’est de l’Esprit Saint. Il reste donc
que l’Esprit Saint ne peut кtre dit le pиre du Christ. CHAPITRE 224: DE LA SANCTIFICATION DE LA MИRE DU CHRIST
Puisque, comme il ressort des prйmisses (chapitres 221, 222) la
Bienheureuse Vierge Marie est devenue la mиre du Fils de Dieu en concevant de
l’Esprit Saint, il fallait qu’elle fыt ornйe d’une puretй-йminente qui
s’accordвt а un tel Fils. Et donc on doit admettre qu’elle a йtй exempte de toute
tache de pйchй actuel, non seulement mortel mais aussi vйniel; ce qui ne peut
arriver а aucun saint aprиs le Christ, puisqu’il est dit en saint Jean: "Si
nous disons que nous n’avons pas de pйchй, nous nous illusionnons, et la vйritй
n’est pas en nous" (1 Jean 1, 8). Mais au sujet de la Mиre de Dieu on
peut entendre ce que dit le Cantique des Cantiques: "Tu es toute belle,
mon amie, et il n’y a pas de tache en toi" (4, 7). Non seulement elle fut exempte de tout pйchй actuel mais aussi
originel, purifiйe par un privilиge spйcial. A la vйritй il fallait qu’elle
soit conзue avec le pйchй originel, puisque sa conception s’est faite par
l’union des deux sexes. En effet ce privilиge que vierge elle conзoive le Fils
de Dieu lui йtait rйservй et а elle seulement. Mais l’union des deux sexes qui
ne va pas sans la concupiscence depuis le pйchй du premier pиre transmet а la
lignйe le pйchй originel. De mкme si Elle avait йtй exempte du pйchй originel dans sa
conception elle n’aurait pas eu besoin de la rйdemption par le Christ et ainsi
le Christ ne serait pas le rйdempteur universel des hommes; ce qui porte
atteinte а la dignitй du Christ. Il faut donc tenir qu’elle fut conзue avec le
pйchй originel mais purifiйe par Lui d’une faзon particuliиre. Il y en a en
effet qui sont purifiйs du pйchй originel aprиs la naissance comme ceux qui
sont sanctifiйs par le baptиme. Il y en a qui par un privilиge de la grвce
furent sanctifiйs dans le sein maternel comme il est dit de Jйrйmie: "Avant
que je te forme dans le sein je t’ai connu, avant que tu sortes du giron je
t’ai sanctifiй" (Jer 1, 5) et de Jean-Baptiste l’ange dit: "Il
sera rempli de l’Esprit Saint dиs le sein de sa mиre" (Lc 1, 15). Ce
qui fut accordй au prйcurseur du Christ et au prophиte on ne doit pas croire
que ce fut refusй а sa mиre. Aussi croit-on qu’elle fыt sanctifiйe dans le sein
maternel c’est-а-dire avant sa naissance. Cette sanctification n’a pas prйcйdй l’infusion de l’вme. Ainsi en
effet elle n’aurait pas йtй sujet du pйchй originel et elle n’aurait pas eu
besoin de rйdemption. En effet ne peut кtre sujet du pйchй originel que la
crйature rationnelle. Egalement la grвce sanctifiante a d’abord sa racine dans
l’вme et elle ne parvient au corps que par l’вme. D’oщ on doit croire qu’elle
fut sanctifiйe aprиs l’infusion de l’вme. Mais sa sanctification a йtй plus totale que pour les autres
sanctifiйs dans le sein. Car s’ils ont йtй purifiйs du pйchй originel,
cependant il ne leur fut pas donnй de ne pouvoir pйcher dans la suite au moins
vйniellement. Mais la Bienheureuse Vierge Marie fut sanctifiйe d’une telle
abondance de grвce que par la suite elle fut gardйe exempte de tout pйchй non
seulement mortel mais aussi vйniel. Et parce que le pйchй vйniel se contracte parfois par surprise,
comme par exemple lorsque s’йlиve quelque mouvement de la concupiscence ou
d’une autre passion qui prйvient la raison, et que pour cela les premiers
mouvements sont appelйs pйchйs, il s’en suit que la Bienheureuse Vierge Marie
n’a pas pйchй vйniellement parce qu’elle n’a pas connu les mouvements
dйsordonnйs des passions. Or ces mouvements dйsordonnйs se produisent en ce que
l’appйtit sensitif, qui est le sujet de ces passions, n’est pas tellement
soumis а la raison qu’il ne soit parfois mы vers quelqu’objet au-delа des
limites de la rai son, et parfois contrairement а la raison, ce en quoi
consiste le mouvement du pйchй. Ainsi donc il y eut dans la Bienheureuse Vierge
un appйtit sensible soumis а la raison par la vertu de la grвce qui la
sanctifiait ne pouvant jamais кtre mы contre la raison mais selon la raison.
Cependant il pouvait se produire des mouvements subits йtrangers а la raison. Mais il y eut quelque chose de plus total encore en Notre Seigneur
Jйsus-Christ. En lui l’appйtit infйrieur йtait ainsi soumis а la raison qu’il
n’йtait mы а rien si ce n’est selon l’ordre de la raison, c’est-а-dire que la
raison ordonnait ou permettait que l’appйtit infйrieur se meuve de son propre
mouvement. Or cela semble bien avoir appartenu а l’intйgritй de l’йtat primitif
que les forces infйrieures soient totalement soumises а la raison. Cette
soumission a disparu par le pйchй du premier pиre non seulement pour lui-mкme
mais aussi chez les autres qui contractent de lui le pйchй d’origine. Chez eux
aussi aprиs avoir йtй purifiйs du pйchй par la grвce du sacrement subsiste la
rйbellion ou la dйsobйissance des forces infйrieures а la raison, ce qu’on
appelle ferment ou (source) du pйchй. Et cela ne s’est jamais prйsentй dans le
Christ, comme on l’a dit. Mais comme dans la Bienheureuse Vierge Marie les for ces infйrieures
n’йtaient pas totalement soumises а la raison de sorte qu’elles n’auraient eu
aucun mouvement qui ne fыt ordonnй par la raison, cependant elles йtaient
retenues par la vertu de la grвce de telle maniиre qu’elles ne s’opposaient
d’aucune faзon а la raison; а cause de cela on dit communйment qu’en la
Bienheureuse Vierge aprиs sa sanctification demeurait la source du pйchй selon
la substance, mais йtait liйe. 1. Voir note chapitre 92 а la fin.
2. Le mot latin "fomes" qui veut dire excitant,
aliment trouve aussi sa valeur dans le mot ferment. Mais le verbe franзais "fomenter"
a ici sa racine et mкme sens.
CHAPITRE 225: DE LA PERPЙTUELLE VIRGINITЙ DE LA MИRE DE DIEU
Si par la premiиre sanctification elle fut ainsi garantie contre
tout mouvement du pйchй, bien davantage encore la grвce agit-elle en elle, et
le ferment du pйchй fut affaibli et mкme totalement dйtruit, le Saint-Esprit
survenant en elle selon la parole de l’Ange pour que d’elle soit formй le corps
du Christ (Lc 1, 35). C’est pourquoi lorsqu’elle fut devenue le sanctuaire de
l’Esprit Saint et l’habitacle du Fils de Dieu il n’est pas permis de croire que
non seulement il y eut en elle quelque mouvement du pйchй mais encore qu’elle
n’a pas connu la dйlectation de la concupiscence charnelle. C’est donc une
abomination l’erreur d’Helvidius qui, mкme s’il affirme que le Christ est nй de
la Vierge, cependant dit qu’elle engendra d’autres fils а Joseph. Et on ne peut pas apporter en faveur de cette erreur ce que dit
Matthieu "Joseph ne la connut pas (Marie) jusqu’а ce qu’elle ait mis au
monde son premier nй" (---, 25), comme si aprиs avoir engendrй le
Christ il l’ait con nue; car le mot "jusqu’а" ne signifie pas
ici un temps fini mais indйterminй. C’est en effet habituel а la Sainte
Ecriture de prйsenter une chose comme faite ou non jusqu’au moment oщ il peut
subsister un doute (а son sujet), comme par exemple au Psaume 109 il est dit: "Assieds-toi
а ma droite jusqu’а ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds."
On pouvait en effet douter si le Christ s’assiйrait а la droite de Dieu aussi
longtemps qu’on ne voyait pas ses ennemis lui кtre sou mis; ce qu’йtant arrivй
aucun doute ne subsistait. Un doute semblable pouvait venir si avant la
naissance du Fils de Dieu Joseph avait connu Marie[21].
C’est ce que 1’Evangйliste a eut soin d’йcarter ne laissant planer aucun doute
qu’aprиs la naissance Joseph ne l’a pas connue. Et on ne peut pas davantage argumenter que le Christ est dit
premier-nй (Mt 1, 25; Lc 2, 7) comme si par aprиs sa mиre aurait engendrй
d’autres fils. La Sainte Йcriture en effet parle de premier-nй avant lequel
aucun n’est nй mкme si aprиs lui aucun autre ne suit, comme il ressort des
premiers-nйs qui selon la loi sont offerts au Seigneur et prйsentйs aux prкtres
(Nm 18, 15-19). Aucun argument non plus que dans l’Йvangile il est question des
frиres du Seigneur (Mt 13, 55; Jean 2, 12; Gal 1, 19), comme si sa mиre avait
eu d’autres fils. En effet l’Йcriture a l’habitude d’appeler frиres tous ceux
qui sont de la mкme parentй, comme Abraham appela Loth son frиre quoiqu’il fыt
son neveu (Gn 13, 8; 11, 27; 12, 15; 14, 12). Et d’aprиs cela les neveux de
Marie et aussi les consanguins de Joseph qui йtait regardй comme pиre du Christ
sont appelйs frиres du Christ. Et donc il est dit dans le Symbole: "Qui est nй de la Vierge
Marie" laquelle est dite vierge absolument, elle qui demeure vierge et
avant la naissance, et lors de la naissance et aprиs. Et qu’il ne fut pas portй
prйjudice а sa virginitй avant ni aprиs la naissance on en a dit assez. Mais
non plus au moment de la naissance sa virginitй ne fut violйe. En effet le
corps du Christ qui entra chez les disciples les portes йtant closes pouvait
aussi par la mкme puissance sortir du sein fermй de sa mиre. En effet il ne
convenait pas qu’en naissant Il portвt atteinte а cette intйgritй, lui qui
voulait naоtre pour rйtablir dans son intйgritй ce qui йtait corrompu. C- La passion du
Christ (Ch 226-235)
CHAPITRE 226: DES DЙFECTUOSITЙS DU CHRIST
1. De mкme qu’il convenait que le Fils de Dieu en assumant la nature
humaine pour le salut de l’homme montrвt, dans cette nature qu’Il assumait, que
le but de ce salut йtait la perfection de la grвce et de la sagesse (chapitre 213
sq), ainsi aussi convenait-il que dans la nature humaine assumйe par le Verbe
de Dieu certaines conditions existent les plus conformes possibles а la
dйlivrance du genre humain. Or le mode йminemment le plus apte йtait que
l’homme qui avait pйri par son injustice soit rйparй par la justice. 2. Et l’ordre de la justice exigeait que celui qui s’est rendu
dйbiteur d’une peine en pйchant soit libйrй en s’acquittant de sa dette. Ce que
nous faisons ou subissons par des amis c’est un peu comme si nous le faisions
ou subissions nous-mкmes en ce que l’amour est une vertu rйciproque qui en
quelque sorte de deux qui s’aiment n’en fait plus qu’un; et donc il n’est pas
contraire а l’ordre de la justice si quelqu’un est libйrй par son ami satisfaisant
pour lui. Or par le pйchй de notre premier pиre, le genre humain tout entier
allait а sa perdition et la peine d’un homme ne pouvait suffire а libйrer tout
le genre humain. En effet ce n’йtait pas satisfaire dignement et йquivalemment
que tous les hommes puissent кtre libйrйs par la satisfaction d’un simple
mortel. Semblablement ce n’йtait pas suffisant а la justice si un ange par
amour des hommes satisfaisait pour eux. Car l’ange ne possиde pas une dignitй
infinie pour que sa satisfaction puisse йgaler l’immensitй des pйchйs d’une
foule immense de pйcheurs. Or Dieu seul est d’une infinie dignitй qui en
prenant chair pouvait satisfaire suffisamment comme nous l’avons dйjа dit plus
haut (chapitre 200). Il fallut donc qu’Il assumвt une telle nature humaine en
laquelle II pыt souffrir pour l’homme ce que l’homme par le pйchй mйritait afin
que ses souffrances pussent satisfaire pour l’homme. 3. Or ce n’est pas toute peine encourue par le pйchй de l’homme qui
est apte а satisfaire. En effet le pйchй de l’homme provient de ce qu’il se
dйtourne de Dieu en se tournant vers des biens passagers. Or l’homme est puni
pour le pйchй par rapport а ces deux choses. Car il s’est privй de la grвce et
des autres dons qui l’unissaient а Dieu; il mйrite aussi de souffrir labeur et
privation en ces choses par lesquelles il s’est dйtournй de Dieu. L’ordre donc
de la satisfaction requiert que par les peines qu’il souffre dans les biens
pйrissables, il revienne vers Dieu. Or sont contraires а ce retour ces peines
qui sйparent l’homme de Dieu. Personne donc ne satisfait а Dieu s’il est privй
de la grвce, ou s’il ignore Dieu, ou si son вme est livrйe au dйsordre bien que
ce soit lа des peines du pйchй, mais s’il йprouve en lui quelque regret et un
dom mage dans les biens extйrieurs. 4. Le Christ n’a donc pas dы prendre sur lui les dйfauts qui nous
sйparent de Dieu, mкme si ce sont les peines du pйchй, telle la privation de la
grвce, l’ignorance et autres choses semblables. Par lа en effet il se rendait
moins apte а la satisfaction. Bien au contraire pour кtre l’auteur de notre
salut il йtait requis qu’Il possйdвt la grвce et la sagesse comme on l’a dйjа
dit (chapitres 213 а 216). Mais parce que l’homme par suite du pйchй devait
mourir et souffrir dans son corps et dans son вme, le Christ a voulu prendre
sur lui ces misиres pour qu’en subissant la mort pour les hommes Il puisse
racheter le genre humain. 5. Il faut cependant savoir que ces misиres si elles nous sont
communes avec le Christ elles ne le sont pas au mкme titre. En effet ces
misиres, comme on l’a dit (chapitre 193) sont la peine du premier pйchй. Parce
que donc par une origine viciйe nous avons contractй la faute originelle, en
consйquence nous disons l’avoir contractйe; mais le Christ en son origine
n’avait contractй aucune tache de pйchй; d’oщ Il n’est pas dit avoir contractй
ces misиres mais plutфt les avoir assumйes: c’est volontairement qu’Il les a
acceptйes. Contracter en effet veut dire ce qu’on traоne (ou tire)
nйcessairement avec un autre. Or le Christ pouvait assumer la nature humaine
sans ces misиres tout comme Il l’a assumйe sans la laideur de la faute. Et
l’ordre rationnel semblait demander que celui qui йtait exempt de faute le soit
aussi de la peine. Et ainsi il ressort qu’aucune nйcessitй ni d’origine viciйe
ni de justice ne les Lui ont imposйes; d’oщ il reste qu’elles n’ont pas йtй
contractйes mais assumйes en lui. 6. Mais parce que notre corps est soumis а ces misиres comme peine du
pйchй — car avant le pйchй nous en йtions exempts — il convient de dire que le Christ
a pris l’apparence de pйchй en tant qu’Il a assumй ces misиres en sa chair
selon ce que dit l’Apфtre: "Dieu a envoyй son Fils en l’apparence de la
chair de pйchй" (Rom. 8, 3). D’oщ la passibilitй mкme du Christ ou sa
passion appelйe pйchй par l’Apфtre lorsqu’il ajoute: "Et а cause du
pйchй il a condamnй en sa chair le pйchй" (ibid.). Et encore: "Par
sa mort il est mort au pйchй une fois pour toute" (Rom 6, 10). Et plus
admirablement encore pour la mкme raison l’Apфtre dit: "Il s’est fait
pour nous malйdiction" (Gal 3, 13). Pour cette raison aussi Il est dit
avoir assumй pour nous la simple nйcessitй de la peine pour consumer notre
double nйcessitй de la faute et de la peine. 7. Il faut considйrer ultйrieurement que les misиres pйnales sont de
deux sortes pour le corps. Certaines sont communes а tous, comme la faim, la
soif, la fatigue aprиs le travail, la douleur, la mort et le reste; certaines
ne sont pas communes а tous mais propres а quelques uns comme la cйcitй, la
lиpre, la fiиvre, la mutilation des membres et le reste. De ces misиres la
diffйrence est que les premiиres nous viennent d’un autre, а savoir de notre
premier pиre qui les a encourues pour le pйchй; quant aux secondes, elles
naissent en des particuliers pour des causes spйciales. 8. Or dans le Christ l’existence d’aucune misиre ne se motivait, ni
par son вme qui йtait remplie de grвce et de sagesse et unie au Verbe de Dieu,
ni par son corps qui йtait parfaitement organisй et disposй, formй qu’il йtait
par la toute puissance de l’Esprit Saint; mais Il fit volontairement exception
en vue de nous procurer le salut et il accueillit certaines de nos misиres. Il
dut donc accueillir celles qui dйrivent des autres et qui nous sont communes а
tous non pas celles qui sont propres а quelques uns et qui naissent de causes
particuliиres. Pareillement aussi parce qu’il йtait venu principalement pour
restaurer la nature humaine, il dut accepter ces misиres qui se trouvaient dans
toute la nature. 9. Il est clair aussi, selon ce qui prйcиde et au dire de saint Jean
Damascиne, que le Christ a pris des misиres non-infamantes, c’est dont on ne
peut en faire un reproche. Si en effet Il eut accueilli le dйfaut de science ou
de grвce, ou mкme la lиpre, ou la cйcitй ou autre chose en ce genre c’eut йtй
au prйjudice de sa dignitй et eut donnй l’occasion aux hommes d’en dire du mal,
ce qui n’a pas lieu pour les misиres qui se trouvent partout dans la nature. CHAPITRE 227: POURQUOI LE CHRIST A-T-IL VOULU
MOURIR?
1. Il est йvident d’aprиs ce qui vient d’кtre dit que le Christ a pris
certaines misиres non par nйcessitй mais en vue d’une fin c’est-а-dire а cause
de notre salut. Or tout pouvoir ou disposition ou habiletй est ordonnйe а
l’action comme vers une fin; d’oщ la passibilitй en vue de satisfaire ou
mйriter ne peut suffire sans une souffrance actuelle. En effet on ne dit pas de
quelqu’un qu’il est bon ou mauvais de ce qu’il peut agir en ce sens, mais de ce
qu’il agit en rйalitй; ni la louange ou le blвme ne sont dыs а l’aptitude mais
а l’action; d’oщ aussi le Christ ne prit pas seulement notre passibilitй pour
nous sauver mais encore Il voulut souffrir en satisfaction de nos pйchйs. 2. Il a donc souffert pour nous ce que nous devions souffrir pour le
pйchй du premier pиre et principalement la mort а laquelle toutes les autres
souffrances humaines sont ordonnйes comme йtant la derniиre. "Car le
salaire du pйchй c’est la mort" au dire de l’Apфtre aux Romains (6,
23). D’oщ le Christ lui aussi a-t-Il voulu souffrir la mort pour nos pйchйs
afin qu’en acceptant sans faute de sa part la peine qui nous йtait due Il nous
dйlivrerait du chвtiment de la mort, comme celui qui serait libйrй de la dette
d’une peine qu’un autre subit а sa place. 3. Il voulut aussi mourir non seulement pour que sa mort soit un
remиde satisfactoire mais encore le sacrement de notre salut pour qu’en
ressemblance de sa mort nous mourrions а la vie charnelle en passant а une vie
spirituelle selon ce que dit saint Pierre: "Le Christ est mort une fois
pour nos pйchйs, juste pour des injustes, en offrande а Dieu: mort а la chair
et vivifiй en l’esprit" (1 Petr 3, 18). 4. Il voulut aussi mourir pour que sa mort soit pour nous le modиle de
la vertu parfaite. Quant а la charitй d’abord, parce que "Personne n’a
de plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis" (Jean 15, 13).
En effet on montre d’autant plus son amour qu’on ne recule pas devant des
souffrances rйpйtйes et pйnibles pour son ami. Or de tous les maux de l’homme
la mort est le plus pйnible qui nous enlиve la vie humaine; d’oщ il n’y a pas
de plus grand signe d’amour que si un homme expose sa vie pour un ami
vйritable. Quant au courage ensuite qui reste fidиle au devoir malgrй
l’adversitй car c’est surtout le fait du courage que quelqu’un mкme sous menace
de mort ne s’йcarte pas de la vertu. D’oщ ce que dit l’Apфtre parlant de la
passion du Christ "Pour que par sa mort Il dйtruisоt celui qui avait
l’empire de la mort, c’est-а-dire le diable; et qu’Il dйlivrвt ceux qui par
crainte de la mort pour toute la vie йtaient soumis а l’esclavage" (Hйbreux
2, 14 sq). En effet en ne refusant pas de mourir pour la vйritй il bannit la
crainte de la mort а cause de laquelle les hommes trиs souvent se soumettent а
l’esclavage du pйchй. Quant а la patience qui dans l’adversitй ne laisse pas la
tristesse s’emparer de l’homme, mais plus sont grandes les traverses plus
resplendit la vertu de patience. D’oщ dans le plus grand des maux qu’est la
mort on donne un exemple de parfaite patience si on l’endure sans trouble de
l’esprit. C’est ce que le Prophиte prйdit du Christ: "Comme l’agneau
qui se tait devant le tondeur Lui aussi n’ouvrit pas la bouche" (Is
53, 7). Quant а l’obйissance qui est d’autant plus louable que l’on obйit dans
les choses plus difficiles; or le plus difficile entre tout est la mort; d’oщ
pour recommander la parfaite obйissance du Christ l’Apфtre dit: "Il
s’est fait obйissant" а son Pиre "jusqu’а la mort"
(Ph 2, 8). CHAPITRE 228: DE LA MORT DE LA CROIX
Pour les mкmes raisons on voit pourquoi le Christ a voulu souffrir
la mort de la croix. D’abord parce qu’elle convient comme remиde satisfactoire.
Il est juste en effet que l’homme soit puni en ces choses oщ il a pйchй: "On
est puni par quoi on a pйchй" (Sag 11, 17). Le premier pйchй de
l’homme fut d’avoir mangй le fruit de l’arbre de la science du bien et du
contrairement au prйcepte de Dieu; а sa place le Christ s’est laissй attacher а
la croix pour payer ce qu’Il n’avait pas pris comme il est dit au Psaume (68,
5)[22]. Ce qui se justifie aussi quant au sacrement. En effet le Christ a
voulu montrer par sa mort que nous devions mourir а la vie charnelle pour que
notre coeur s’йlиve vers les choses d’en haut. D’oщ Lui-mкme nous dit: "Quand
je serai йlevй de terre j’attirerai tout а moi" (Jean 12, 32). Cela s’accorde aussi avec l’exemple d’une vertu par faite. Il arrive
en effet que les hommes ne redoutent pas moins une mort ignominieuse que les
affres de la mort, d’oщ il semble bien que pour la perfection de la vertu en
vue du bien de la vertu on ne redoute pas de subir une mort ignominieuse. D’oщ
pour recommander la parfaite obйissance du Christ, aprиs avoir dit de Lui qu’Il
s’йtait fait obйissant jusqu’а la mort l’apфtre ajoute: "La mort, oui,
de la croix" (Ph 2, 8). Cette mort йtait considйrйe comme la plus
ignominieuse selon la Sagesse; "Condamnons-le de la mort la plus
honteuse" (Sap 2, 20).
CHAPITRE 229: LA MORT DU CHRIST
Dans le Christ sont rйunies trois substances: son corps, son вme et
la divinitй du Verbe, dont deux, l’вme et le corps sont unies en une seule
nature, sйparйes cependant а la mort. Autrement le corps ne serait pas
rйellement mort puisque la mort pour le corps est sa sйparation d’avec l’вme;
cependant ni l’un ni l’autre ne furent pas sйparйs du Verbe de Dieu dans
l’union de la personne. De l’union de l’вme et du corps rйsulte l’humanitй; l’вme
йtant donc sйparйe du corps du Christ par la mort il n’y eut pas d’homme
pendant les trois jours de sa mort. Or on a dit plus haut (chapitres 203 et
211) а cause de l’union en la personne de l’humaine nature au Verbe de Dieu que
tout ce qui est dit du Christ-homme peut correctement кtre attribuй au Fils de
Dieu. Or comme dans sa mort subsistait l’union personnelle du Fils de Dieu а
l’вme et au corps du Christ, tout ce qui est dit des deux peut кtre attribuй au
Fils de Dieu. D’oщ dans le Symbole est-il dit du Fils de Dieu qu’"Il a
йtй enseveli"parce que le corps qui lui йtait uni reposa dans le tombeau
et qu’Il descendit aux enfers", son вme y descendant. Il faut aussi savoir que le genre masculin dйsigne la personne et le
neutre la nature: d’oщ nous disons dans la Trinitй que le Fils est autre que le
Pиre, mais non quelque chose d’autre. D’aprиs cela dans les trois jours de sa
mort le Christ fut tout entier dans le tombeau, tout entier en enfer, tout
entier au ciel, а cause de la personne qui йtait unie et а la chair gisant dans
le tombeau, et а son вme qui dйpouillait les enfers, et il subsistait en la
nature divine en rйgnant au ciel. Mais on ne peut pas dire qu’Il se trouva
entiиrement dans le tombeau ou en enfer, parce que ce n’est pas toute la nature
humaine, mais une partie qui fut dans le tombeau ou en enfer. 1- A rapprocher du chapitre 186,
peu aprиs le dйbut: "de ces trois choses" (le corps, l’вme et Dieu).
CHAPITRE 230: LA MORT DU CHRIST A ЙTЙ VOLONTAIRE
Donc la mort du Christ a йtй conforme а la nфtre quant а ce qui
regarde la nature de la mort et qui est la sйparation de l’вme avec le corps,
mais la mort du Christ fut diffйrente de la nфtre а un certain point de vue. Nous
mourons comme soumis а la mort par nйcessitй ou naturelle ou d’une violence qui
nous est faite. Or le Christ est mort non par nйcessitй mais par sa puissance
et sa propre volontй. Et lui-mкme dit: "J’ai le pouvoir de disposer de
ma vie et de la reprendre de nouveau" (Jean 10, 18). La raison de cette diffйrence est que les choses naturel les ne sont
pas au pouvoir de notre volontй; or l’union de l’вme et du corps est naturelle
et donc il n’est pas au pouvoir de notre volontй que l’вme reste attachйe au
corps ou qu’elle en soit sйparйe; mais cela dйpend de la vertu d’un agent. Or tout
ce qui йtait dans le Christ selon la nature humaine йtait naturel et tout
entier soumis а la volontй а cause de la vertu divine а laquelle est soumise
toute la nature. Il йtait donc au pouvoir du Christ qu’aussi longtemps qu’Il le
voulait, son вme reste unie au corps et aussitфt qu’Il le voulait, elle en soit
sйparйe. Or un signe de ce pouvoir divin le centurion le comprit qui se tenait
debout prиs de la croix du Christ le voyant expirer dans un grand cri; ce qui
montrait а l’йvidence qu’Il ne mourait pas d’un dйfaut naturel comme les autres
hommes. En effet ceux-ci ne peuvent pas rendre l’вme en criant puisqu’а
l’article de la mort ils peuvent а peine mouvoir et agiter la langue. D’oщ
parce que le Christ expira dans un cri Il manifesta son pouvoir divin et а
cause de cela le centurion dit: "Vraiment Il йtait le Fils de Dieu"
(Mt. 27, 54). Cependant on ne peut pas dire que les Juifs n’ont pas fait mourir le
Christ ou que Lui-mкme s’est donnй la mort. Celui-lа tue quelqu’un qui est la
cause de sa mort; cependant il n’y aura pas de mort а moins que ce qui cause la
mort l’emporte sur ce qui conserve la vie. 0r il йtait au pouvoir du Christ de
cйder devant la cause qui le dйtruisait ou de lui rйsister aussi longtemps
qu’Il le voulait. Et donc le Christ est mort volontairement et cependant les
Juifs l’ont fait mourir. CHAPITRE 231: DE LA PASSION DU CHRIST QUANT A SON CORPS
Or non seulement le Christ a voulu souffrir la mort mais aussi les
autres choses qui proviennent dans les descendants par le pйchй du premier pиre
afin qu’en acceptant intйgralement la peine du pйchй Il nous libйrerait
parfaitement, par sa satisfaction, de nos pйchйs. On distingue ce qu’Il a
souffert avant sa mort et aprиs sa mort. Prйcйdиrent la mort du corps les
souffrances tant naturelles, comme la faim, la soif, la lassitude et d’autres
choses de ce genre, que les violentes, comme les blessures, la flagellation et
autres choses semblables que toutes le Christ a voulu souffrir comme provenant
du pйchй. En effet si l’homme n’avait pas pйchй. Il n’eut pas ressenti la faim
ou la soif ou la lassitude ou le froid ni souffert la violence extйrieure. Cependant le Christ supporta ces souffrances d’une autre maniиre que
les hommes. En effet chez les autres hommes rien ne fait obstacle а la
souffrance. Dans le Christ non seulement la vertu divine pouvait rйsister а ses
souffrances, mais aussi la bйatitude de son вme dont la force йtait telle au
dire de saint Augustin qu’elle dйbordait sur le corps (Ep. ad Diosc. c. 3). Et
donc aprиs la rйsurrection par lа mкme que l’вme sera glorifiйe par la vision
divine et par une pleine et entiиre jouissance, le corps uni а la gloire de
l’вme deviendra glorieux, impassible et immortel. Donc comme l’вme du Christ jouissait de la parfaite vision divine,
autant qu’il se peut, il s’en suivait que le corps devenait impassible et
immortel par ce dйbordement de la gloire de l’вme sur son corps. Mais il y fut
fait exception de sorte que l’вme jouissant de la vision divine, le corps en
mкme temps souffrirait sans aucun dйbordement de la gloire de l’вme sur le
corps. En effet comme on l’a dit (chapitre 230), ce qui йtait naturel dans le
Christ йtait soumis selon la nature humaine а sa volontй. Il pouvait donc а sa
guise empкcher le dйbordement naturel des parties supйrieures sur les
infйrieures et laisser chaque partie souffrir ou agir ce qu’il lui йtait propre
sans l’intervention de l’autre partie; ce qui ne peut avoir lieu chez les
autres hommes. D’oщ vient aussi que le Christ souffrit une douleur extrкme
parce que la douleur corporelle n’йtait en rien adoucie par la partie
supйrieure de la rai son, comme en revanche la douleur corporelle n’empкchait
pas la joie de sa raison. De lа aussi il appert que le Christ fut а la fois voyageur et
voyant. En effet il jouissait de la vision divine, ce qui est propre au voyant,
de telle maniиre cependant que son corps restait sujet aux souffrances, ce qui
appartient au voyageur. Et comme c’est le propre du voyageur de mйriter pour
soi ou pour les autres par le bien qu’il fait par charitй, de lа vient que le
Christ, quoique bienheureux, mйrita cependant par ses actions et pour Lui et
pour nous. Pour Lui non pas la gloire de l’вme qu’Il avait depuis le dйbut de
sa conception, mais la gloire du corps а laquelle Il parvint par sa passion. A
nous aussi chacune de ses souffrances et actions furent profitables а notre
salut, non seulement comme exemples, mais aussi comme mйrites, parce que par
l’abondance de sa charitй et de sa grвce. Il put nous mйriter la grвce, pour
qu’ainsi les membres reзoivent de la plйnitude de la tкte. Chacune de ses souffrances si petites qu’elles fussent suffisait а
racheter le genre humain si on considиre la dignitй du patient. Plus en effet
est digne la personne а laquelle on inflige une souffrance plus aussi est
grande l’injure, comme par exemple de frapper le prince que de frapper
quelqu’un du peuple. Comme le Christ est d’une infinie dignitй toute souffrance
chez Lui a un prix infini qui suffirait а abolir une infinitй de pйchйs. Cependant la rйdemption du genre humain ne fut pas achevйe par
n’importe quelle souffrance mais par la mort que pour les raisons apportйes
plus haut (chapitres 227 et 228) Il a voulu subir pour racheter le genre humain
du pйchй. Dans tout achat en effet est requis non seulement l’apprйciation juste
mais aussi le versement fait а l’achat. CHAPITRE 232: L’ВME SOUFFRANTE DU CHRIST
1. L’вme йtant la forme du corps il s’en suit que si le corps souffre,
l’вme souffre aussi d’une certaine faзon d’oщ selon la condition passible du
corps le Christ souffrit aussi en son вme. Il faut considйrer qu’il y a une
double souffrance de l’вme: l’une du cфtй du corps l’autre du cфtй de l’objet: ce
qu’on peut considйrer en quelqu’une des puissances. En effet comme l’вme est au
corps, ainsi une partie de l’вme est а une partie du corps. Or la puissance
visuelle est affectйe par son objet, comme lorsque la vue est offusquйe par un
trop grand йclat; du cфtй de l’organe, comme lorsque la pupille йtant lйsйe, la
vue en est йmoussйe. 2. Si donc on considиre la souffrance de l’вme du Christ а partir du
corps ainsi toute l’вme souffrait, le corps souffrant. L’вme est en effet la
forme du corps selon son essence; or dans cette essence toutes les puissances
s’enracinent; d’oщ il reste que si le corps souffre, chacune des puissances de
l’вme souffre d’une certaine faзon. Si l’on considиre la souffrance de l’вme du
cфtй de l’objet, toute puissance de l’вme ne souffrait pas, selon que souffrir
а proprement parler suppose un dommage. En effet du cфtй de l’objet tout
n’йtait pas nocif en chacune des puissances de l’вme. 3. Dйjа en effet il a йtй dit plus haut (chapitres 216 et 231) que
l’вme du Christ jouissait de la parfaite vision de Dieu. Donc la raison
supйrieure de l’вme, qui chez le Christ s’attache а la contemplation et а
l’ordonnance des choses йternelles, n’offrait rien de contraire ou
d’incompatible qui puisse donner lieu а subir du dommage. Quant aux puissances
sensitives dont les objets sont des choses corporelles elles subirent le contre
coup des souffrances du corps; d’oщ son corps souffrant, le Christ en ressentit
une douleur sensible. Et parce que la lйsion corporelle, de mкme qu’elle est
ressentie dommageable et qu’ainsi aussi l’imagination intйrieure l’apprйhende
comme nocive, il s’en suit une douleur intйrieure, mкme si elle n’est pas
ressentie dans le corps; et nous disons que cette passion de la tristesse a йtй
dans l’вme du Christ. Et non seulement l’imagination, mais aussi la raison
infйrieure saisit aussi ce qui nuit au corps. Et donc aussi l’apprйhension de
la raison infйrieure qui est des choses temporelles pouvait donner lieu а la
passion de la tristesse dans le Christ c’est-а-dire en tant que la raison
infйrieure apprйhendait la mort ou autre lйsion du corps comme nocives et
contraires а l’appйtit naturel. 4. De l’amour qui de deux hommes ne fait qu’un en quelque sorte, il
arrive que l’on йprouve de la tristesse de choses que l’imagination ou la
raison infйrieure apprйhendent comme nocives non seulement pour soi mais aussi
pour ceux qu’on aime. Lа aussi le Christ йprouvait de la tristesse de ce qu’Il
connaissait le danger de la faute ou de la peine qui menaзait ceux qu’Il aimait
d’un amour de charitй. D’oщ son affliction non seulement pour lui-mкme mais
aussi pour nous. Mais bien que c’est а la raison supйrieure que se rapporte
l’amour du prochain, en tant qu’on l’aime par charitй pour Dieu, cependant dans
le Christ la raison supйrieure ne pouvait s’attrister au sujet des dйfauts du
prochain comme il arrive chez nous. Parce qu’en effet la raison supйrieure du
Christ jouissait de la pleine vision de Dieu, elle apprйhendait ces dйfauts comme
ils sont contenus dans la sagesse divine qui a prйvu et permis un tel pйchй et
qu’il en soit puni. Et donc ni l’вme du Christ, ni le bienheureux qui voit
Dieu, ne peuvent concevoir de la tristesse des dйfauts du prochain. 5. Il en va autrement chez les vivants qui n’atteignent pas а la
vision de la sagesse. Ils s’attristent en effet aussi selon la raison
supйrieure des dйfauts d’autrui pendant qu’ils considиrent pour l’honneur de
Dieu et l’exaltation de la foi que certains soient sauvйs qui cependant sont
damnйs. Ainsi donc Lui qui souffrait selon les sens, l’imagination et la raison
infйrieure, de ces mкmes choses Il s’en rйjouissait selon la raison supйrieure
en tant qu’Il les rapportait а l’ordonnance de la divine sagesse. Or il est
propre а la raison de savoir comparer les choses l’une а l’autre et donc on dit
ordinairement que la raison du Christ repoussait la mort considйrйe en
elle-mкme c’est-а-dire qu’elle est naturellement haпssable; cependant Il
voulait la souffrir considйrйe en son motif. 6. De mкme que le Christ s’est attristй ainsi aussi a-t-il connu les
passions qui naissent de la tristesse comme la peur, la colиre, etc. Ce qui en
effet peut par sa prйsence causer la tristesse est aussi la cause de la crainte
par l’apprйhension des maux futurs et si quelqu’un nous lйsant provoque la
tristesse nous nous irritons contre lui. Cependant ces passions n’йtaient pas
les mкmes qu’en nous. Chez nous en effet elles prйviennent le plus souvent le
jugement de la raison, parfois elles outrepassent la mesure de la raison. Dans
le Christ elles ne prйvenaient jamais le jugement de la raison ni n’excйdaient
jamais la mesure fixйe par la raison; mais l’appйtit infйrieur seul йtait mы,
qui est sujet de passion, autant que la raison l’avait dйcidй. Il pouvait donc
se faire que selon la partie infйrieure l’вme du Christ refuse ce que d’autre
part elle dйsirait selon la partie supйrieure. Cependant une contrariйtй
d’appйtit n’existait pas chez Lui, ou la rйbellion de la chair contre l’esprit,
choses qui arrivent chez nous parce que l’appйtit infйrieur surmonte Je
jugement et la mesure raisonnable. Mais le Christ йtait mы selon la raison
permettant а chacune des forces infйrieures de se mouvoir de leur propre
mouvement selon qu’il convenait. 7. D’aprиs ces considйrations il est manifeste que la rai son
supйrieure du Christ par rapport а son objet se rйjouissait toute entiиre (car
rien ne pouvait se prйsenter de ce cфtй qui fыt cause de tristesse) mais elle
souffrait aussi toute entiиre du cфtй du sujet comme on l’a vu (chapitre 232). Et
ni la jouissance ne diminuait la souffrance, ni celle-ci n’empкchait la
jouissance, puisqu’il n’y avait pas dйbordement de l’une а l’autre; mais il
йtait laissй а chacune des puissances d’agir en propre comme il a йtй dit (chapitre
231). 1. La raison supйrieure est celle qui s’occupe des choses
йternelles en elles- mкmes ou dans leurs applications: en elles-mкmes en les
mйditant et dans leurs applications а notre conduite (2 Th I 79, 9 C).
CHAPITRE 233: LA PRIИRE DU CHRIST A L’AGONIE
Comme la priиre expose un dйsir, de la diversitй des appйtits il est
possible de se faire une idйe de ce que fut la priиre du Christ а l’imminence
de sa passion: "Mon Pиre, s’il est possible, que ce calice s’йloigne de
moi: ce pendant que ta volontй soit faite et non la mienne" (Mt 26,
39). En effet en disant: "Que ce calice s’йloigne de moi" Il
dйsigne le mouvement de l’appйtit infйrieur et du dйsir naturel par quoi chacun
repousse la mort naturellement et dйsire vivre. En disant: "Cependant
non pas comme je veux mais comme tu le veux" Il exprime le mouvement
de la raison supйrieure qui considиre tout dans l’ordre de la divine sagesse. A cela se rapporte aussi: "Si ce n’est pas possible" qui
dйmontre que cela seul peut se faire qui procиde selon l’ordre de la divine
volontй. Et bien que le calice de la passion ne se soit pas йloignй sans qu’Il
le boive, on ne peut pas dire que sa priиre n’a pas йtй exaucйe. Car selon
l’Apфtre: "Il a йtй exaucй en tout а cause de sa piйtй" (Hйbreux
5, 7). Puisque la priиre expose un dйsir, comme on vient de le dire, nous
demandons simplement ce que nous dйsirons simplement; d’oщ le dйsir des justes
obtient d’кtre exaucй auprиs de Dieu, selon ce que dit le Psaume: "Le
Seigneur a exaucй le dйsir des pauvres" (Ps 9, 17). Or nous dйsirons
simplement quand nous dйsirons selon la raison supйrieure qui seule donne le
consentement а l’acte. Or le Christ a simplement demandй que la volontй du Pиre
se fasse parce c’est elle qu’Il a voulu simplement et non que le calice
s’йloigne de Lui: ce qu’il ne voulait pas simplement, mais selon la raison
infйrieure, comme on l’a dit (chapitre 232). CHAPITRE 234: LA SЙPULTURE DU CHRIST
Le pйchй avait entraоnй aprиs la mort d’autres misиres et du cфtй du
corps et du cфtй de l’вme. Du cфtй du corps, il serait rendu а la terre d’oщ il
est pris. Or pour le corps il y a deux sortes de misиres: selon la position et
selon la dйcomposition, car le cadavre est placй sous terre dans un tombeau et
il se dйcompose en йlйments dont le corps est fait. Le Christ a voulu subir la
premiиre c’est-а-dire que son corps soit placй sous terre. L’autre il ne l’a
pas subie c’est-а-dire que son corps aurait йtй dйcomposй. D’oщ il est йcrit: "Tu
ne permettras pas que ton saint connaisse la corruption" (Ps 15, 10)
c’est-а-dire la putrйfaction. La raison en est que le corps du Christ prit la
matiиre а par tir de la nature humaine, mais sa formation ne fut pas par un
pouvoir humain mais par la vertu de l’Esprit Saint. Et donc а cause de la
substance matйrielle, Il a voulu endurer un endroit souterrain qu’on a
l’habitude d’accorder aux morts. En effet est dы aux corps le lieu de l’йlйment
prйdominant. Mais Il n’a pas voulu souffrir la dissolution d’un corps oeuvre de
l’Esprit Saint; car c’est en cela qu’Il diffйrait des autres hommes. CHAPITRE 235: LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS
Du cфtй de l’вme, il y a chez l’homme aprиs la mort en suite du
pйchй, la descente aux enfers, non seulement quant au lieu mais aussi quant а
la peine. De mкme que le Christ fut sous terre selon le lieu mais ne fut pas
dйcomposй, ainsi l’вme du Christ descendit aux enfers quant au lieu mais n’y
subit pas la peine, mais plutфt pour en dйlivrer ceux qui а cause du premier
pйchй y йtaient dйtenus et pour lequel il avait dйjа pleinement satisfait en
souffrant la mort. D’oщ aprиs la mort il ne restait plus rien а souffrir, mais
sans souffrance pйnale. Il descendit localement aux enfers pour se montrer en
libй rateur des vivants et des morts. De lа aussi on dit qu’Il est le seul "parmi
les morts а avoir йtй libre" (Ps 87, 6), parce que l’вme n’a pas connu
la peine de l’enfer, ni son corps la corruption du tombeau. Quoique le Christ descandant aux enfers dйlivrвt ceux qui pour le
pйchй du premier pиre y йtaient dйtenu, cependant, il y laissa ceux qui pour
leurs pйchйs personnels s’y trouvaient condamnйs. Et c’est pour cela qu’il est
dit de lui: "il a mordu l’enfer" mais Il ne l’a pas absorbй,
parce qu’il libйra une partie et y laissa l’autre. Aux dйficiences du Christ le
Symbole de foi fait allusion: "A souffert sous Ponce Pilate, a йtй
crucifiй, est mort, a йtй enseveli, est descendu aux enfers." 1. Ero mors tua, o mors; morsus tuus ero inferne (Os
13, 14). D- La rйsurrection et l’ascension (chapitre 236 а 240)
CHAPITRE 236: LA RЙSURRECTION ET LE TEMPS DE LA RЙSURRECTION DU CHRIST
1. Puisque le Christ a dйlivrй le genre humain de ses maux causйs par
le pйchй du premier pиre, il fallait que de mкme qu’Il avait supportй nos maux
pour nous en dйlivrer, qu’ainsi aussi apparaоtraient en lui les prйmices de la
rйparation de l’homme accomplie par lui. Par ces deux choses le Christ nous est
proposй comme signe de notre salut quand dans sa passion nous considйrons ce
que nous avons encouru pour le pйchй et ce que nous devions souffrir pour en
кtre dйlivrй, et quand nous con sidйrons par son exaltation ce que nous devons
espйrer par lui. 2. Donc ayant vaincu la mort causйe par le premier pйchй Il est le
premier ressuscitй а la vie immortelle: afin que de mкme qu’en Adam pйchant,
pour la premiиre fois apparut la vie mortelle, ainsi dans le Christ
satisfaisant pour le pйchй, pour la premiиre fois la vie immortelle
apparaоtrait dans le Christ. D’autres йtalent revenus а la vie avant le Christ
ressuscitйs par Lui ou par les Prophиtes mais qui mourraient de nouveau, tandis
que le Christ ressuscitй des morts ne meurt plus (Rom 6, 9). D’oщ ayant йchappй
le premier а la nйcessitй de mourir Il est appelй le premier d’entre les morts,
les prйmices de ceux qui dorment (Act 26, 23; Col 1, 18; 1 Cor 15, 20),
c’est-а-dire qu’Il est le premier sorti du sommeil de la mort en secouant le
joug de la mort. 3. La rйsurrection ne devait pas кtre retardйe ni avoir lieu aussitфt
aprиs la mort. Si en effet il йtait revenu а la vie aussitфt aprиs la mort la
rйalitй de cette mort n’йtait pas prouvйe. Si la rйsurrection йtait trop
longtemps retardйe il n’y avait pas de preuve de sa victoire sur la mort, ni
aucun espoir n’йtait donnй aux hommes d’кtre dйlivrйs par Lui de la mort. D’oщ
il remit sa rйsurrection jusqu’au troisiиme jour, car ce temps йtait suffisant
pour prouver la rйalitй de sa mort ni trop long pour enlever l’espoir de la
dйlivrance. On l’a bien vu chez les disciples d’Emmaьs dont l’espoir
s’estompait, et qui disaient, le troisiиme jour: "Nous espйrions qu’Il
sauverait Israлl" (Lc 24, 21). 4. Cependant le Christ n’est pas demeurй trois jours entiers dans le
tombeau. Il est cependant dit qu’Il resta trois jours et trois nuits dans le
sein de la terre selon qu’on prend la partie pour le tout. Comme en effet le
jour naturel est fait du jour et de la nuit que le Christ fut dans la mort Il
est dit avoir йtй dans la mort tout ce jour-lа. Et l’Ecriture a coutume de
compter la nuit avec le jour suivant parce que les Hйbreux comptent le temps d’aprиs
la lune qui fait son apparition le soir. Or le Christ a йtй dans le tombeau а
la fin du sixiиme jour qui compte avec la nuit qui le prйcиde donnera environ
un jour naturel; la nuit suivant le sixiиme jour avec le sabbat entier Il fut
dans le tombeau et ainsi on obtient deux journйes. Il gоt encore dans la mort
la nuit suivante, qui prйcиde le jour du Seigneur oщ Il est ressuscitй, soit а
minuit selon saint Grйgoire (In Ev. 2,21) soit dиs l’aube selon
d’autres. D’oщ si l’on compte toute la nuit ou une partie avec le jour du
Seigneur suivant on aura le troisiиme jour naturel. 5. Qu’Il ait voulu ressusciter le troisiиme jour, il y a lа un mystиre
afin de montrer qu’Il est ressuscitй par la vertu de toute la Trinitй. D’oщ on
dit tantфt que le Pиre l’a ressuscitй, tantфt que c’est de lui-mкme; ce qui est
aussi vrai comme c’est la mкme vertu du Pиre et du Fils et de l’Esprit Saint. C’est
aussi pour montrer que la restauration de la vie n’a pas йtй faite le premier
jour du siиcle а savoir sous la loi naturelle, ni le second а savoir sous la
loi mosaпque, mais le troisiиme а savoir au temps de la grвce. 6. Il y a aussi une raison а ce que le Christ est restй un jour entier
et deux nuits entiиres dans le tombeau parce que par l’unique vйtustй qu’Il a
prise, c’est-а-dire de la peine, Il a absorbй nos deux vйtustйs, de la faute et
de la peine, qui sont signifiйes par les deux nuits. CHAPITRE 237: DE LA QUALITЙ DU CHRIST RESSUSCITЙ
Non seulement le Christ a rйcupйrй pour le genre humain ce qu’Adam
avait perdu en pйchant mais aussi ce а quoi Adam aurait pu parvenir par ses
mйrites. Car beaucoup plus grande fut l’efficacitй du Christ pour le mйrite que
celle de l’homme avant le pйchй. En effet par le pйchй, Adam encourut la mort
ayant perdu le privilиge de ne pas devoir mourir s’il ne pйchait pas. Quant au
Christ non seulement cette nйcessitй de la mort est exclue, mais encore il
acquit la nйcessitй de ne pas mourir. D’oщ le corps du Christ aprиs la
rйsurrection est devenu impassible et immortel non comme le premier homme qui
pouvait ne pas mourir mais absolument, ne pouvant plus mourir; ce que dans
l’avenir nous attendons pour nous- mкmes. Et parce que l’вme du Christ avant sa
mort pouvait souffrir selon que le corps souffrait il s’en suit qu’avec
l’impassibilitй du corps l’вme aussi devenait impassible. Maintenant que le
mystиre de la rйdemption de l’homme est accompli, а cause que par exception la
jouissance de la gloire avait йtй contenue en la partie supйrieure ne pouvant
dйborder sur la partie infйrieure et jusqu’au corps mais qu’il fut permis а
chaque partie d’agir ou de souffrir ce qui lui йtait propre, il s’en est suivi
dйsormais par le dйbordement de la gloire а partir de l’вme supйrieure que le
corps йtait glorifiй totalement ainsi que les forces infйrieures. Et de la
vient qu’ayant йtй voyant avant sa passion а cause de la jouissance de l’вme et
voyageur а cause de la passibilitй du corps, Il ne fut plus dйsormais voyageur
aprиs le rйsurrection mais uniquement voyant. CHAPITRE 238: Y A-T-IL DES PREUVES CONVAINCANTES DE LA RЙSURRECTION DU
CHRIST?
Comme on l’a dit (chapitre 236) le Christ a anticipй sa rйsurrection
pour qu’elle fыt pour nous un motif d’espйrance et que nous puissions aussi
ressusciter. Pour cela il fallait que sa rйsurrection et le privilиge du ressuscitй
se manifestent par des preuves convaincantes. Ce n’est pas а tous
indiffйremment qu’Il a manifestй sa rйsurrection, comme Il l’avait fait pour
son humanitй et sa passion, mais seulement а des tйmoins prйdestinйs par Dieu
(Act 10, 41), c’est-а-dire ses disciples qu’Il avait choisis pour procurer aux
hommes le salut. Or l’йtat de rйsurrection appartient а la gloire du voyant
dont la connaissance n’est pas due а tous mais а ceux qui s’en rendent dignes. Le Christ leur manifesta et la vйritй de la rйsurrection et la
gloire du ressuscitй: pour la premiиre en leur montrant que c’йtait bien le
mкme qui йtait mort et ressuscitй quant а sa nature et quant а son personnage:
quant а la nature car Il montra qu’Il avait un corps humain vйritable en se
prйsentant au toucher et а la vue des disciples auxquels Il dit: "Touchez
et voyez car un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai"
(Lc 24, 39). Il se manifesta aussi en mangeant et buvant avec eux, actions qui
conviennent а la nature humaine, et en parlant et marchant en leur compagnie
qui sont des actes d’un homme vivant. Cependant se nourrir n’йtait plus une
nйcessitй; en effet les corps des ressuscitйs sont incorruptibles et n’ont plus
besoin de nourriture puisqu’en eux il n’y a aucune dйperdition а restaurer;
d’oщ la nourriture prise par le Christ ne servit pas d’aliment pour son corps
mais elle revint а la matiиre prйcйdente. Nйanmoins de cela mкme qu’Il mangea
et but Il montra qu’Il йtait homme. Quant au personnage Il prouva qu’Il йtait le mкme qui avait йtй mort
en laissant voir les traces de sa mort en son corps c’est-а-dire les cicatrices
des blessures. D'oщ Il dit а Thomas "Mets ton doigt ici et regarde mes
mains et approche ta main et mets-la dans mon cфtй" (Jean 20, 27). Et
encore: "Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi" (Lc 24,
38). Et c’йtait exceptionnellement qu’Il avait gardй les cicatrices de ses
blessures en son corps pour prouver la rйalitй de sa rйsurrection; en effet le
corps incorruptible d’un ressuscitй doit avoir toute son intйgritй; on peut
cependant admettre que chez les martyrs des marques de prйcйdentes blessures
apparaоtront avec une certaine beautй en tйmoignage de leur vertu. Il montra
йgalement qu’Il йtait le mкme personnage а sa faзon de s’exprimer et autres
maniиres d’agir qui font reconnaоtre les hommes. D’oщ ces disciples le
reconnurent а la fraction du pain (Lc 24, 30 et 35). Et lui-mкme se montra
ouvertement en Galilйe oщ il avait eu l’habitude d’кtre avec eux. Il manifesta la gloire du ressuscitй en entrant chez eux les portes
йtant fermйes (Jean 24, 31). En effet il appartient а la gloire d’un ressuscitй
de pouvoir apparaоtre а un regard non glorieux quand il le veut ou de
disparaоtre а son grй. Cependant comme la foi en la rйsurrection faisait difficultй c’est par
plusieurs indices qu’Il dйmontra tant la rйalitй de sa rйsurrection que la
gloire de son corps ressuscitй. Car s’Il avait totalement dйcouvert
l’exceptionnelle condition d’un corps glorifiй Il eut causй prйjudice а la foi
en la rйsurrection car l’immensitй de sa gloire aurait enlevй jusqu’а la
vraisemblance de son identitй. Il donna aussi des preuves non seulement par des
signes visibles mais encore par des preuves intellectuelles en leur faisant
comprendre le sens des Ecritures; et par les йcrits prophйtiques Il montra
qu’Il devait ressusciter. CHAPITRE 239: DES DEUX VIES RESTAURЙES EN L’HOMME PAR LE CHRIST
De mкme que le Christ par sa mort a dйtruit notre mort ainsi par sa
rйsurrection il a rйparй notre vie. Or il y a en l’homme une double mort et une
double vie: une mort selon le corps par sa sйparation d’avec l’вme, l’autre par
sa sйparation d’avec Dieu. Or le Christ chez qui la deuxiиme mort n’a pas eu
lieu, en souffrant la premiиre, c’est-а-dire corporelle, dйtruisit en nous
l’une et l’autre. Semblablement aussi а l’opposй on trouve une double vie: celle du
corps par l’вme et qui s’appelle vie naturelle et l’autre qui vient de Dieu et
qu’on appelle vie de justice ou vie de la grвce; et elle vient par la foi par
laquelle Dieu habite en nous: "Mon juste vivra de sa foi" (Hab
2, 4; Rom 1, 1.7). Et d’aprиs cela il y a une double rйsurrection, l’une
corporelle par laquelle l’вme est rйunie au corps, l’autre spirituelle par
laquelle elle est de nouveau unie а Dieu. Et cette seconde rйsurrection n’eut
pas lieu dans le Christ parce que son вme ne fut jamais sйparйe de Dieu par le
pйchй. Donc par sa rйsurrection Il est cause de l’une et de l’autre
c’est-а-dire corporelle et spirituelle. Il faut cependant remarquer que comme le dit saint Augustin (Tract.
super Joan. 19) "Le Verbe de Dieu ressuscite les вmes mais le Verbe
fait chair ressuscite les corps ". Donner la vie а l’вme n’appartient qu’а
Dieu. Mais parce que sa chair est instrument de la divinitй et que l’instrument
agit en vertu de la cause principale notre double rйsurrection et corporelle et
spirituelle se rapporte а la rйsurrection corporelle du Christ comme en sa
cause. En effet tout ce qui s’est passй dans la chair du Christ nous a йtй
salutaire en vertu de son union а la divinitй; de notre rйsurrection
spirituelle dit: "Il a йtй livrй а cause de nos dйlits et Il est
ressuscitй pour notre justification" (Rom 4, 25); et de notre
rйsurrection corporelle, il dit: "Si on annonce le Christ ressuscitй
comment d’aucuns disent-ils parmi vous qu’il n’y a pas de rйsurrection des
morts?" (1 Cor 15, 12). Excellemment l’Apфtre attribue la rйmission des pйchйs а la mort du
Christ et notre justification а sa rйsurrection, pour dйsigner la conformitй et
la ressemblance de l’effet avec la cause. Car de mкme qu’on dйpose le pйchй qui
est remis, ainsi le Christ en mourant a dйposй sa vie passible en laquelle se
trouvait la ressemblance du pйchй. Et lorsqu’on est justifiй, on acquiert une
nouvelle vie; ainsi le Christ par sa rйsurrection obtint la nouveautй de la
gloire. Ainsi donc la mort du Christ est cause de la rйmission de notre pйchй,
et effective instrumentalement, et exemplaire sacramentellement, et mйritoire;
il en est de mкme de sa rйsurrection effective et exemplaire, quoique non
mйritoire: et parce qu’il n’йtait plus voyageur et parce que la gloire de sa
rйsurrection fut la rйcompense de sa passion, comme il ressort de la lettre aux
Philippiens (2, 8). Ainsi donc il est йvident que le Christ doit кtre appelй le
premier-nй de ceux qui ressuscitent d’entre les morts, non seulement selon
l’ordre du temps puisqu’Il est le premier qui est ressuscitй (chapitre 236),
mais aussi dans l’ordre de la cause parce que sa rйsurrection est cause de la
nфtre, et dans l’ordre de dignitй parce que plus glorieuse. Cette foi dans le rйsurrection
du Christ se trouve au Symbole de la foi а ces mots: "Le troisiиme jour
Il est ressuscitй des morts." CHAPITRE 240: DE LA DOUBLE RЙCOMPENSE DE L’HUMILIATION DU CHRIST,
C’EST-A-DIRE LA RЙSURRECTION ET L’ASCENSION
1. Selon l’Apфtre l’exaltation du Christ a йtй la rйcompense de son
humiliation. Il suit de lа qu’а sa double humiliation rйpond une double
exaltation. Car Il s’est humiliй d’abord en souffrant la mort dans une chair
passible qu’Il avait assumйe, ensuite quant au lieu: son corps dйposй dans un
tombeau et son вme descendant en enfer. A la premiиre humiliation rйpond
l’exaltation de la rйsurrection dans laquelle de la mort Il revint а la vie
immortelle; а la seconde humiliation rйpond l’exaltation de l’ascension. D’oщ
l’Apфtre dit: "Celui qui est descendu est le mкme qui est montй
au-dessus des cieux" (Eph 4, 10). 2. De mкme qu’on dit du Fils de Dieu qu’Il est nй, a souffert, a йtй
enseveli et qu’Il est ressuscitй non pas cependant selon la nature divine mais
humaine, ainsi on dit du Fils de Dieu qu’Il est montй au ciel non pas cependant
selon la nature divine mais humaine. Car selon la nature divine Il n’a jamais
quittй le ciel, se trouvant par tout et toujours; d’oщ en saint Jean Il dit: "Personne
ne monte au ciel sinon celui qui descend du ciel, le Fils de l’homme qui est au
ciel" (Jean 3, 13). Par quoi on nous donne а entendre qu’Il est ainsi
descendu du ciel assumant la nature humaine tout en demeurant toujours au ciel. 3. D’oщ il faut aussi savoir que seul le Christ de son propre pouvoir
est montй au ciel. Cet endroit en effet йtait dы а celui qui йtait descendu en
raison de son origine. Les autres ne peuvent y monter par eux-mкmes mais par la
vertu du Christ йtant devenus ses membres. Et de mкme que monter au ciel
convient au Fils de Dieu selon la nature humaine ainsi vient s’ajouter autre
chose qui lui convient selon la nature divine, c’est-а-dire de s’asseoir а la
droite du Pиre. En effet il ne s’agit pas d’une droite ni d’une session
corporelle. Mais comme la droite est pour l’homme la place d’honneur on veut
faire comprendre que le Fils est йgal au Pиre n’ayant rien perdu selon sa
nature divine mais se trouvant en une parfaite йgalitй avec lui. 4. Cependant on peut attribuer cela mкme au Fils de Dieu selon sa
nature humaine de sorte que selon la divine nature nous entendions que le Fils
est dans le Pиre en unitй d’essence avec qui Il partage le siиge de la royautй
c’est-а-dire la mкme puissance. Mais comme de coutume le roi a des assistants
qui participent en quelque chose а la puissance royale, celui-lа est le plus
puissant que le roi met а sa droite, а juste titre donc le Fils de Dieu mкme
selon la nature humaine est dit кtre assis а la droite du Pиre, comme йtant
йlйvй au-dessus de toute crйature en la dignitй du royaume cйleste. 5. De deux maniиres donc s’asseoir а la droite est propre au Christ. D’oщ
l’Apфtre dit: "Auquel des anges a-t-il jamais йtй dit: Assieds-toi а ma
droite ?" (Heb 1, 13). Cette ascension du Christ nous la confessons
dans le Symbole en disant: "Il est montй au ciel; Il est assis а la
droite de Dieu le Pиre". E — Le jugement (chapitre 241 а 245)
CHAPITRE 241: LE CHRIST JUGERA SELON SA NATURE HUMAINE
De ce qu’on a dit (chapitre 226 sq. 231 et 239) on peut conclure que
par la passion et la mort du Christ, par la gloire de la rйsurrection et de son
ascension nous avons йtй libйrйs du pйchй et de la mort et avons obtenu la
justice et la gloire de l’immortalitй, celle-lа en rйalitй, l’autre en
espйrance. La passion, la mort, la rйsurrection et aussi l’ascension ont йtй
accomplies dans le Christ en sa nature humaine. En consйquence il faut dire que
relativement а ce que le Christ a souffert ou fait en sa nature humaine nous
dйlivrant des maux tant spirituels que corporels Il nous a par lа promus aux
biens spirituels et йternels. Or il va de soi que celui qui acquiert certains biens en faveur
d’autres il les leur dispense. Cette dispensation faite а un grand nombre
demande un jugement pour que chacun reзoive selon ce qui lui est dы. Il est
donc juste que le Christ, selon la nature humaine selon laquelle Il accompli
les mystиres du salut des hommes, soit constituй par Dieu juge des hommes qu’Il
a sauvйs. D’oщ en saint Jean est-il йcrit: "Il lui a donnй la puissance
de faire le jugement, parce qu’Il est le Fils de l’homme" (5, 27). On
peut aussi en donner une autre raison il est juste en effet que ceux qui
doivent кtre jugйs voient leur juge. Mais voir Dieu en sa nature lui qui a
l’autoritй pour le jugement est une rйcompense qui lui est rendue par le
jugement. Il faut donc que Dieu comme juge soit vu des hommes, qui doivent кtre
jugйs, les bons comme les mauvais, non en sa nature propre mais en la nature
qu’Il a assumйe. Car si les mauvais voyaient Dieu dans sa divinitй ils seraient
rйcompensйs; ce dont ils sont indignes. C’est aussi une juste rйcompense pour son humiliation que cette
exaltation du Christ lui qui fut injustement jugй par un juge humain. Pour
exprimer cette exaltation, est significatif ce que nous confessons dans le
Symbole qu’il a souffert sous Ponce Pilate. Donc cette exaltation de juge selon
qu’Il est homme lui йtait due par Dieu pour juger tous les hommes les morts
aussi bien que les vivants: "Ta cause fut celle d’un impie, tu recevras
en retour la cause et le jugement" (Job 36, 17). Et parce que cette puissance judiciaire fait partie de son
exaltation tout comme la gloire de la rйsurrection, le Christ au jugement
apparaоtra non en le mйrite de son humilitй mais dans sa forme glorieuse qui
est sa rйcompense. D’oщ l’Йvangйliste dit: "On verra le Fils de l’homme
venant dans la nuйe avec une grande puissance et une grande majestй"
(Lc 21, 27). La vision de sa gloire sera une joie pour les йlus qui l’auront
aimй et aux quels est promis qu’ils verront le roi en sa splendeur (Is 33, 17).
Pour les impies elle sera un sujet de confusion et de tristesse parce que la
gloire et la puissance de celui qui juge entraоnera pour eux, qui s’attendent а
leur damnation, la tristesse et la peur "Qu’ils contemplent et qu’ils
soient confondus ces peuples jaloux et que le feu dйvore tes ennemis"
(Is 26, 11). Et quoique Il se montre dans sa gloire cependant apparaоtront en Lui
les marques de sa passion non comme des dйficiences, mais glorieuses et
honorables, pour qu’а leur vue les йlus en conзoivent de la joie et les damnйs
de la tristesse d’avoir nйgligй un si grand bienfait. D’oщ dans l’Apocalypse: "Tout
oeil le verra, ceux aussi qui le crucifiиrent et toutes les tribus de la terre
gйmiront sur Lui." CHAPITRE 242: CELUI QUI CONNAОT L’HEURE A REMIS LE JUGEMENT AU FILS
"Le Pиre a donnй tout jugement au Fils," dit saint Jean (5, 22). Or maintenant, selon ce que dit Abraham, la
vie humaine est soumise au juste jugement de Dieu "Lui-mкme est celui
qui juge toute la terre" (Gen 18, 25). Il n’y a aucun doute aussi que
ce jugement, par lequel Dieu gouverne les hommes dans le monde appartient а la
puissance judiciaire du Christ. D’oщ ces paroles que le Pиre Lui adresse au
Psaume 109: "Assieds-toi а ma droite jusqu’а ce que je fasse de tes ennemis
l’escabeau de tes pieds". Il s’assied en effet а la droite de Dieu
selon sa nature humaine en tant que du Pиre Il reзoit le pouvoir de juger. Ce
pouvoir Il l’exerce maintenant avant mкme qu’apparaisse que ses ennemis sont
soumis sous ses pieds. D’oщ Il dit aussitфt aprиs sa rйsurrection: "Toute
puissance m’a йtй donnйe au ciel et sur la terre" (Mt 28, 18). Il y a un autre jugement de Dieu au sortir de cette vie quand chacun
reзoit la rйtribution selon l’вme et d’aprиs ses mйrites. Les justes libйrйs de
leur corps demeurent avec le Christ selon le dйsir de saint Paul (Ph 1, 23)[23];
les pйcheurs а leur mort sont ensevelis en enfer (Lc 16, 22). Cette
discrimination ne se fait pas sans un jugement qui appartient а la puissance
judiciaire du Christ; surtout qu’Il le dit а ses disciples: "Si je m’en
vais et vous prй pare une place, je reviendrai et je vous prendrai prиs de moi
afin que oщ je suis vous y soyez aussi" (Jean 14,3). Кtre enlevй (dans
le langage du Christ) n’est pas autre chose qu’кtre dissout (ou libйrй) pour
que nous puissions кtre avec le Christ; parce que "Aussi longtemps que
nous sommes en ce corps nous marchons loin du Seigneur" (2 Cor 5,6). Mais parce que la rйtribution de l’homme consiste non seulement dans
les biens de l’вme mais aussi dans les biens du corps que l’вme devra de
nouveau revкtir aprиs la rйsurrection et comme toute rйtribution requiert un
jugement, il faut donc un second jugement oщ les hommes seront rйtribuйs selon
ce qu’ils auront fait non seulement dans l’вme mais aussi en leur corps. Et ce
jugement appartient au Christ; car de mкme qu’Il est mort pour nous, est ressuscitй
en gloire et est montй aux cieux, ainsi aussi Il ressuscitera nos humbles
dйpouilles pour nous con figurer а son corps glorieux et nous transfйrer au
ciel oщ il nous a prйcйdй а son ascension, ouvrant la route devant nous comme
le prophиte Michйe l’avait prйdit (2, 13). La rйsurrection de tous les hommes
aura lieu а la fin des siиcles, comme on l’a dit plus haut (chapitre 162). Ce
jugement sera donc gйnйral et final et pour cela nous croyons que le Christ "viendra
dans la gloire" une seconde fois. Mais comme au psaume 35, 7 on dit que "Les jugements de Dieu
sont un abоme profond" et l’Apфtre aux Romains: "Incomprйhensibles
sont ses jugements" (11, 33), dans chacun de ces jugements il y a
quelque chose de profond et d’incomprйhensible а notre humaine connaissance. En
effet dans le premier jugement de Dieu, pour lequel la vie prйsente nous est
donnйe, lй temps de ce jugement est manifeste, mais le sens des rйtributions
nous est cachй, parce que surtout les maux en ce monde adviennent aux bons et
aux mйchants les joies. Mais dans les deux autres jugements de Dieu ce que sera
la rйtribution nous le savons, mais nous en ignorons le temps, tel le moment de
la mort: "L’homme ne connaоt pas sa fin" (Qoh 9, 12); quant а
la fin des siиcles personne ne peut la connaоtre. En effet nous ne savons pas
d’avance les choses а venir dont nous ne connaissons pas les causes. Or Dieu
est la cause de la fin du monde et sa volontй nous est inconnue; d’oщ la fin du
monde ne peut кtre connue d’aucune crйature mais de Dieu seul selon ce que dit
saint Matthieu: "Le jour et l’heure personne ne le sait, ni les anges
au ciel mais seulement le Pиre" (24,36). Mais comme dans saint Marc
(13,32) on lit: "Ni le Fils" certains y ont trouvй matiиre а erreur
pour dire que le Fils est moindre que le Pиre, parce qu’Il ignore ce que fait
le Pиre. On pourrait йviter cela en disant peut-кtre que cette ignorance se
rapporte а sa nature humaine assumйe, non а sa divinitй selon laquelle Il
possиde la mкme Sagesse que son Pиre; ou plus prйcisйment, on dira qu’Il est la
Sagesse mкme conзue dans le sein du Pиre. Mais il ne semble pas convenable que
le Fils, mкme selon la nature assumйe, ignore le jugement de Dieu puisque son
вme, au tйmoignage de l’Evangile, est pleine de grвce et de vйritй, comme on
l’a vu plus haut (chapitres 213-216). Il n’est pas non plus vraisemblable que le Christ reзoive la
puissance de juger parce qu’Il est fils de l’homme et qu’Il ignore le temps de
son jugement selon la nature humaine. En effet le Pиre ne Lui aurait pas donnй
tout jugement s’il lui йtait фtй la dйcision de dйterminer le temps de son
avиnement. Il faut donc comprendre cela selon la maniиre dont use l’Ecriture
habituellement quand elle dit que Dieu sait quelque chose au moment oщ Il donne
connaissance de cette chose, comme Il dit а Abraham: "Maintenant je
sais que tu crains le Seigneur" (Gen 22, 12) non qu’Il commencerait
alors de connaоtre Lui qui connaоt tout depuis toujours, mais parce qu’Abraham
avait montrй par cet acte sa soumission. Ainsi donc le Fils ignore le jour du
jugement parce qu’Il n’en a pas donnй connaissance а ses disciples, mais il a
rйpondu: "Il ne vous appartient pas de connaоtre les temps ni les
moments que le Pиre a dйcidйs en sa puissance" (Act 1, 7). Et dans ce
sens donc le Pиre n’ignore pas qu’Il a au moins donnй au Fils la connaissance
de cette chose par йternelle gйnйration. Certains cependant s’en tirent plus briиvement en disant qu’il faut
l’entendre du fils adoptif. Et donc le Seigneur a voulu que le temps du futur
jugement soit cachй pour que les hommes soient plus vigilants de peur que le
temps du futur jugement ne les prenne au dйpourvu. C’est aussi la raison pour
laquelle Il a voulu que l’heure de notre mort soit ignorйe. Chacun en effet
comparaоtra tel au jugement qu’il s’en est allй dans la mort. D’oщ le Seigneur
dit: "Veillez parce que vous ne savez pas а quelle heure votre maоtre
viendra" (Mt 24, 42). 2."II montera ouvrant le chemin devant eux; Il brise et eux
traversent la porte et leur roi marche devant et le Seigneur est а leur
tкte."
CHAPITRE 243: TOUS SERONT-ILS JUGЙS?
Ainsi il ressort de ce qui a йtй dit (chapitre 241) que le Christ a
le pouvoir de juger les vivants et les morts. Il exerce en effet le jugement et
sur ceux qui vivent en ce monde prйsent et sur ceux qui quittent ce monde par
la mort. Mais au jugement final Il jugera ensemble les vivants et les morts
soit qu’on entende par vivants les jus tes qui vivent de la grвce et par morts
les pйcheurs qui ont perdu la grвce; soit qu’on entende par vivants ceux qui а
l’avиnement du Seigneur seront trouvйs en vie et les morts ceux qui dйcйdиrent
avant. Par lа on ne doit pas comprendre que d’aucuns seront ainsi jugйs
vivants sans avoir connu la mort corporelle, comme certains l’ont avancй. En
effet l’Apфtre dit clairement: "Tous nous ressusciterons" (1 Cor 15,
51); et une variante dit: "Tous nous dormirons", c’est-а-dire
nous mourrons; soit comme on trouve en certains livres: "Non pas tous
nous dormirons" ainsi que l’йcrit saint Jйrфme а Minerius а propos de
la rйsurrection de la chair, ce qui n’infirme pas la sentence prйcйdente. Car
peu avant l’Apфtre avait dit: "De mкme qu’en Adam tous meurent, ainsi
dans le Christ tous ont la vie." Et ainsi ce qu’on dit lа "Non
pas tous nous dormirons" ne se rap porte pas а la mort du corps qui
est passйe а tous par le pйchй du premier pиre (Rom 5, 12-2 1) mais doit кtre
exposй du sommeil du pйchй dont il est dit aux Йphйsiens: "Lиve-toi,
toi qui dors; lиve-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera"
(5, 14). Seront donc distinguйs ceux qui а l’avиnement du Seigneur seront
trouvйs en vie, de ceux qui dйcйdиrent avant, non qu’ils ne mourront pas mais
parce que dans le fait d’кtre enlevйs ils mourront en allant dans les airs
rencontrer le Christ et aussitфt ressusciteront, comme le dit saint Augustin. Il faut cependant considйrer que trois choses concourent au
jugement: premiиrement que quelqu’un est prйsentй au juge; deuxiиmement que ses
mйrites sont discutйs; troisiиmement qu’il reзoit sa sentence. Quant au premier
point, tous bons et mйchants, depuis le premier homme jusqu’au dernier, seront
soumis au jugement du Christ, car il est dit: "Tous nous devons
comparaоtre devant le tribunal du Christ" (2 Cor 5, 10) et aussi tous
les petits enfants qui dйcйdиrent avec ou sans baptкme, comme le dit la Glose
au mкme endroit. Quant а la discussion des mйrites tous ne seront pas jugйs ni les
bons ni les mйchants. En effet la discussion d’un jugement n’est pas nйcessaire
а moins que le bien ne soit mкlй au mal. Mais lorsque le bien est sans mйlange
de mal ou inversement alors la discussion n’a pas lieu. Parmi les bons donc il
y en a qui ont totalement mйprisй les biens temporels ne vaquant qu’а Dieu seul
et aux choses de Dieu. Comme donc il y a pйchй en ce qu’on mйprise le bien
immuable pour adhйrer aux biens passagers, il n’y a pas chez eux mйlange de
bien et de mal, non qu’ils vivent а l’abri du pйchй, comme en leur personne il
est йcrit: "Si nous disions que nous n’avons pas pйchй, nous nous
sйduirions nous-mкmes" (1 Jean 1, 8), mais parce que chez eux les
quelques pйchйs lйgers sont en quelque sorte consumйs par la ferveur de la
charitй, de sorte qu’ils sont comme n’existant pas, ils ne seront donc pas
jugйs quant а la discussion de leurs mйrites. Mais ceux qui vivent leur vie de la terre s’attachant aux affaires
du siиcle s’en servant non contre Dieu mais y adhйrant plus que de juste, ils
ont mкlй du mal au bien de la foi et de la charitй dans une mesure assez
notable et il n’est pas facile de discerner ce qui prйvaut; d’oщ ils seront
jugйs aprиs discussion de leurs mйrites. De mкme quant aux mйchants, il faut noter que le principe
d’accession а Dieu est la foi: "Celui qui veut s’approcher de Dieu doit
croire qu’il existe" (Heb 11, 6). Celui donc qui n’a pas la foi n’a
rien de bon en lui qui puisse se mкler а ce qu’il y a de mal et rendre douteuse
sa condamnation; et donc il sera condamnй sans discussion sur ses mйrites. Quant
а celui qui a la foi sans la charitй et les bonnes oeuvres il a quelque chose
qui l’unit а Dieu; d’oщ une nйcessaire discussion des mйrites pour faire
paraоtre clairement ce qui pиse le plus, le bien ou le mal; d’oщ un tel sera
damnй avec discussion des mйrites. Comme le roi terrestre condamne un citoyen
fau tif aprиs l’avoir entendu, mais l’ennemi, sans aucune forme de procиs, il
le punit. Quant а la promulgation de la sentence, tous seront jugйs parce que
tous selon cette sentence du Christ obtiendront ou la gloire ou le chвtiment,
comme il est йcrit que "chacun emportera son salaire pour ce qu’il a
fait en sa vie soit le bien soit le mal" (2 Cor 5, 10). CHAPITRE 244: L’EXAMEN LORS DU JUGEMENT NE VIENT PAS DE CE QUE LE CHRIST
DEVRAIT КTRE INFORMЙ. LA MANIИRE ET LE LIEU DU JUGEMENT
Il ne faut pas s’imaginer que la discussion sera nйcessaire au
jugement pour que le juge soit informй, comme c’est le cas dans le jugement des
hommes, puisque tout est а nu et а dйcouvert а ses yeux (Hйbreux 4, 13); mais
elle est nйcessaire pour que chacun connaisse pour soi-mкme et pour les autres
de quelle peine ou de quelle gloire chacun est digne, ainsi les bons se
rйjouiront en tout de la justice de Dieu et les mйchants s’irriteront contre
eux- mкmes. Et il ne faut pas penser que cette discussion se fera de vive voix. Il
faudrait un temps infini pour dйnombrer les pensйes, les paroles et les actes,
bons ou mauvais de chacun. C’est en quoi Lactance s’est trompй en avanзant
mille ans pour le jour du jugement; et mкme ce temps serait insuffisant puisque
pour le jugement d’un seul homme il faudrait dans cette hypothиse plusieurs
jours. Donc par la vertu divine en un instant tout le bien et tout le mal que
chacun aura fait apparaоtront et pour lesquels il doit кtre rйcompensй ou puni;
et non seulement pour un chacun en ce qui le regarde mais aussi pour ce qui
regarde les autres. Oщ donc le bien est grand а ce point que le mal apparaisse
sans signification ou inversement, il n’y aura aucune concertation des biens
d’avec les maux selon l’estimation humaine et pour cela on peut dire qu’ils
sont sans discussion rйcompensйs ou punis. Dans ce jugement bien que tous seront prйsents au Christ, les bons
diffйreront des mйchants non seulement quant а la cause du mйrite mais ils en
seront mis а part localement. Car les mйchants qui aiment les choses de la
terre et se sont йloignйs du Christ demeureront sur la terre; mais les bons qui
adhйrиrent au Christ iront а la rencontre du Christ йlevйs dans les airs (1
Thes 4, 17) pour Lui кtre conformes non seulement configurйs а sa glorieuse
clartй mais associйs localement selon ce que dit saint Mathieu: "Partout
oщ sera le corps lа se rassembleront les aigles" (24, 28) lesquels
reprйsentent les saints. Il est significatif qu’au lieu de "corps"
en Hйbreu on a "joathan" selon saint Jйrфme, ce qui veut dire
cadavre, pour rappeler la passion du Christ, par laquelle Il a mйritй son
pouvoir de juger et ceux qui auront йtй conformйs а sa passion seront associйs
а sa gloire, selon ce que dit l’Apфtre: "Si nous souffrons avec Lui,
nous rйgnerons avec Lui" (2 Tim 2, 12; Rom 6, 8). Et de lа on croit que le Christ descendra pour le jugement au lieu
de sa passion selon ce que dit Joлl: "Je rassemblerai toutes les
nations et je les conduirai а la vallйe de Josaphat et je ferai avec elles le
jugement" (3, 2); ce lieu est situй au pied du Mont des Oliviers, d’oщ
le Christ est montй au ciel. C’est pour cela aussi que le Seigneur venant juger
le monde, le signe de la croix et les autres indices de sa passion
apparaоtront, selon saint Matthieu: "Et alors apparaоtra le signe du
Fils de l’homme dans le ciel" (Mt 24, 30), afin que les impies voyant
celui qu’ils crucifiиrent soient pйnйtrйs de regret et de douleur et les
rachetйs se rйjouissent de la gloire du Rйdempteur. Et de mкme que le Christ
est assis а la droite de Dieu selon son humanitй comme йlevй aux biens les plus
excellents du Pиre ainsi les justes au jugement se tiendront а sa droite
occupant en quelque sorte auprиs de Lui la place la plus honorable. 1.
Ce mot n’existe pas en hйbreu. Selon de Rubeis (Dissert. 17 in s. Tho mam 4. 4),
il y a faute de copiste. En grec: le mot "ptoma" signifie "cadavre
", saint Luc donne"soma" = corps. CHAPITRE 245: LES SAINTS JUGERONT
En ce jugement le Christ ne sera pas seul juge mais aussi d’autres,
dont certains jugeront rien qu’en confrontation: bons, confrontйs avec moins
bons, mйchants confrontйs aux plus mauvais, comme le dit saint Matthieu: "Les
hommes de Ninive se lиveront lors du jugement avec cette gйnйration et ils la
condamneront" (12, 41). D’aucuns jugeront en approuvant la sentence et
ainsi tous les justes seront juges, selon ce que dit le livre de la Sagesse: "Les
saints jugeront les peuples" (3, 8). 1 D’aucuns jugeront comme ayant
reзu du Christ le pou voir de juger: "Des glaives а double tranchant en
leurs mains" (Ps 149, 6). Cette derniиre puissance judiciaire le
Christ l’a promise aux Apфtres: "Vous qui m’avez suivi, lors du
renouveau, lorsque le Fils de l’homme siйgera dans sa majestй, vous aussi
siйgerez sur douze trфnes pour juger les douze tribus d’Israлl" (Mt
19, 28). Mais il ne faut pas penser que les seuls Juifs appartenant aux douze
tribus d’Israлl seront jugйs par les Apфtres, mais dans les douze tribus
d’Israлl, sont compris tous les fidиles qui ont hйritй de la foi des
patriarches. Car les infidиles furent dйjа jugйs. Semblablement aussi ce ne
sont pas les douze d’alors qui jugeront avec le Christ. Car Judas ne jugera
pas; mais Paul qui plus que tous les autres a travaillй ne sera pas privй du
pouvoir de juger Surtout comme lui-mкme le dit: "Ignorez-vous que nous
jugerons les anges ?" (1 Cor 6, 3). Mais aussi cette dignitй appartient а
ceux qui ayant tout quittй ont suivi le Christ; en effet cela fut promis а
Pierre qui s’enquйrait en disant: "Voici que nous avons tout quittй et
nous t’avons suivi, qu’en sera-t-il de nous ?" (Mt 19, 27) et Job dit: "Il
a donnй aux pauvres le jugement" (36, 6). Et c’est а juste titre,
comme on l’a dit en effet (chapitre 243), il sera discutй des actes des hommes
qui auront bien ou mal usй des choses terrestres. Or pour un jugement droit il
est requis que le juge soit libre а l’йgard des choses qu’il doit juger et donc
de ce que d’aucuns ont le coeur totalement dйtachй des choses de la terre ils
mйriteront de pouvoir exercer le jugement. Contribue aussi au mйrite de cette dignitй le fait d’avoir annoncй
les prйceptes divins; d’oщ le Christ viendra avec ses anges pour le jugement
(Mt 25, 31): il s’agit des prйdicateurs, au dire de saint Augustin, au Livre De
poenitentia (Sermon 351, 4): "Il convient en effet que ceux-lа
discutent les actes des hommes au sujet de l’observance des prйceptes divins
qui ont annoncй les prйceptes de vie. Ils jugeront en tant qu’ils coopйreront а
ce qu’apparaisse а chacun le motif du salut et de la damnation tant de soi que
des autres, de la mкme maniиre que les anges supйrieurs йclairent les infйrieurs
ou aussi les hommes." Ce pouvoir judiciaire donc nous le confessons
dans le Christ, au Symbole des Apфtres en disant: "D’oщ Il viendra
juger les vivants et les morts." F — Rйpartition des articles du symbole (chapitre 246)
CHAPITRE 246: COMMENT SE RЙPARTISSENT LES ARTICLES DU SYMBOLE D’APRИS CE
QUI A ЙTЙ DIT PLUS HAUT
Ayant donc considйrй ce qui a trait а la vraie foi chrйtienne il
faut savoir que tout ce qui a йtй dit peut se ramener а quelques articles:
selon certains а douze, selon d’autres а quatorze. Comme la foi s’occupe de
choses qui sont incomprйhensibles а la raison, si quelque vйritй nouvelle se
prйsente incomprйhensible а la raison, s’ajoutera donc un nouvel article. Il y
a donc un article se rapportant а l’unitй en Dieu. Bien que la raison puisse
prouver que Dieu est un, cependant il revient а la foi de dire qu’Il prйside
ainsi immйdiatement а toutes choses, ou qu’Il doit кtre honorй ainsi
singuliиrement. Au sujet des trois personnes il y a trois articles. Pour les
trois oeuvres divines, c’est-а-dire la crйation qui regarde la nature, la
justification qui regarde la grвce, la rйmunйration qui regarde la gloire, il y
a trois autres articles; et ainsi pour la divinitй il y a en tout sept
articles. Quant а l’humanitй du Christ on compte sept autres articles: le
premier traite de l’incarnation et de la conception; le second, de la naissance
qui offre une difficultй spйciale par suite de sa sortie du sein inviolй de la
Vierge; le troisiиme, de la mort, de la passion et de la sйpulture; le quatriиme,
de la descente aux enfers; le cinquiиme, de la rйsurrection; le sixiиme, de
l’ascension; le septiиme, de la venue au jugement; et ainsi on a quatorze
articles. D’autres assez rationnellement enferment la foi en trois personnes
sous un article en ce que on ne peut croire au Pиre sans croire au Fils et а
l’amour qui les relie et qui est l’Esprit Saint. Mais ils distinguent l’article
de la rйsurrection de l’article de la rйmunйration; et ainsi il y a deux
articles sur Dieu: un de l’unitй et un de la trinitй et quatre sur les oeuvres:
la crйation, la justification, la rйsurrection gйnйrale, la rйmunйration. Et il en va de mкme au sujet de la foi en l’humanitй du Christ: la
conception et la nativitй sont comprises sous un seul article comme aussi la
passion et la mort. Ainsi donc en tout, selon ce compte, il y a douze articles.
Et cela suffit pour ce qui est de la foi. DEUXIИME PARTIE: L’ESPЙRANCE
A — En gйnйral (chapitre 1 а 4)
CHAPITRE 1: LA VERTU D’ESPЙRANCE EST NЙCESSAIRE А LA PERFECTION DE LA
VIE CHRЙTIENNE
1. Comme selon la sentence du Prince des Apфtres (1 P 3, 15) nous
sommes avertis d’avoir а rendre compte de notre foi et aussi de cette espйrance
qui est en nous, aprиs avoir traitй briиvement de l’objet de notre foi
chrйtienne il reste а exposer pour toi (Rйginald), et en un raccourci, ce qui
concerne l’espйrance. 2. Il faut considйrer que le dйsir de l’homme trouve son repos dans la
connaissance; car son dйsir naturel le porte а connaоtre le vrai. C’est dans
cette connaissance une fois possйdйe qu’il se sent en suretй. Or dans la con
naissance de foi l’homme ne trouve pas ce repos; en effet ce qu’on croit, on ne
le voit pas; c’est pourquoi l’Apфtre dйfinit "La foi: un argument de
choses qu’on ne voit pas" (Hйbreux 11, 1). En possession de la foi,
l’вme aspire а autre chose, c’est-а-dire а la parfaite vision de cette vйritй
qu’elle croit et au moyen d’y accйder. Mais comme parmi ces arguments de foi
nous disions qu’il fallait croire que Dieu exerce sa providence sur les choses
humaines, alors s’йveille au coeur du croyant un йlan d’espйrance, enseignй
qu’il est par la foi des biens qu’il dйsire naturellement et qu’il peut
atteindre par son secours. Ainsi donc aprиs la foi, pour la perfection de la
vie chrйtienne, l’espйrance est nйcessaire, comme nous l’avons dit plus haut
(I, chapitre 1). CHAPITRE 2: C’EST AVEC RAISON QU’UNE PRIИRE A ЙTЙ PRESCRITE QUI NOUS
FAIT OBTENIR CE QUE NOUS ESPЙRONS DE DIFFЙRENCE ENTRE LA PRIИRE ADRESSЙE A ET
AUX HOMMES
1. Selon une disposition de la divine providence, а chaque кtre est
attribuй le mode de parvenir а sa fin selon ce qui convient а sa nature; aux
hommes est aussi concйdй un mode convenable d’obtenir de Dieu ce qu’ils en
espиrent selon ce que l’exige la condition humaine. En effet la condition
humaine veut que l’on interpose une supplique pour obtenir de quelqu’un,
surtout un supйrieur, ce que par lui on espиre acquйrir. Et pour cela la priиre
est prescrite aux hommes par laquelle ils obtiennent de Dieu ce que par Lui ils
espиrent obtenir. 2. Autrement cependant nйcessaire est la priиre pour obtenir quelque
chose de l’homme, autrement de Dieu. Chez l’homme en effet elle intervient
d’abord comme un dйsir de celui qui demande et pour exprimer une nйcessitй;
ensuite pour flйchir le coeur de celui qu’on supplie pour qu’il concиde. Ce qui
n’a pas lieu dans la priиre adressйe а Dieu. Nous ne cherchons pas en effet
dans la priиre а manifester nos nйcessitйs ou nos dйsirs а Dieu qui connaоt
tout. D’oщ cette parole du psaume: "Seigneur, tu connais mon dйsir"
(37, 10). Et il est dit dans l’Йvangile: "Votre Pиre sait que vous
avez besoin de tout cela" (Mt 6, 32). Et aussi la divine volontй n’est
pas inflйchie par des paroles humaines а vouloir ce qu’elle ne voulait pas
d’abord. Car il est йcrit: "Dieu n’est pas comme l’homme qui trompe, ni
comme un enfant des hommes qui change" (Num 23, 19) "Il n’a rien а
regret ter pour devoir changer d’avis" (1 Sam 15, 29). Mais la priиre
est nйcessaire а l’homme pour obtenir de Dieu, а cause de celui-lа mкme qui
prie, c’est-а-dire pour connaоtre en soi-mкme sa pauvretй et pour plier son
coeur а dйsirer fervemment et pieusement ce qu’il dйsire obtenir en priant;
ainsi se rend-il apte а кtre exaucй. 3. Autre diffйrence entre la priиre faite а Dieu ou faite а l’homme;
pour celle-ci en effet il faut auparavant кtre familiarisй avec cet homme pour
pouvoir introduire une demande. Mais la priиre qui s’adresse а Dieu nous le
rend familier quand notre coeur s’йlиve vers Dieu et que nous Lui parlons avec
amour spirituel, l’adorant en esprit et en vйritй, et ainsi rendus familiers
par la priиre on se crйe une ouverture pour prier de nouveau avec plus de confiance.
D’oщ il est йcrit: "J’ai criй", c’est-а-dire dans une priиre
confiante, "car tu m’as exaucй, mon Dieu" (Ps 16, 6), reзu en
quelque sorte en sa familiaritй par une premiиre priиre il crie ensuite avec
une plus grande con fiance. Et voilа pourquoi l’assiduitй а la priиre faite а
Dieu, la frйquence mкme de nos demandes ne l’importunent pas; mais cette priиre
Dieu l’estime et l’accepte. D'oщ, en effet, "toujours prier et ne
jamais se lasser." CHAPITRE 3: POUR LA PERFECTION DE NOTRE ESPЙRANCE, IL CONVENAIT QUE LE
CHRIST NOUS APPRENNE LA MANIИRE DE PRIER
1. Pour faire notre salut l’espйrance est aussi nйcessaire que la foi.
De mкme que notre Sauveur est l’auteur et le consommateur de la foi qui, elle,
renferme les secrets des cieux, ainsi fut-il nйcessaire qu’Il nous conduise а
une vivante espйrance en nous enseignant une maniиre de priиre qui excite
extrкmement notre espйrance en Dieu tandis que c’est Dieu lui-mкme qui nous
enseigne ce que nous devons lui demander. En effet Il ne nous inviterait pas а
le prier s’Il ne se proposait de nous exaucer et personne ne fait une demande а
un autre sinon de qui il espиre et il lui demande les choses qu’il en espиre. Ainsi
donc en nous apprenant а demander certaines choses а Dieu Il nous engage а
espйrer en Dieu; et ce que nous devons espйrer de Lui il le montre par les
choses qu’Il indique а demander. 2. Ainsi donc en nous attachant а ce qui est contenu dans l’oraison dominicale
nous dйmontrerons tout ce qui peut кtre l’objet de l’espйrance chrйtienne
c’est-а-dire en qui nous devons mettre notre espйrance, et pour quel motif, et
les choses que nous devons espйrer de lui. C’est en Dieu qu’il faut espйrer et
que nous devons aussi prier selon le psaume: "Espйrez en lui,
c’est-а-dire en Dieu, vous toute l’assemblйe du peuple, rйpandez devant Lui vos
coeurs, c’est-а-dire par la priиre" (Ps 61, 9). CHAPITRE 4: POURQUOI CE QUE NOUS ESPЙRONS NOUS DEVONS LE DEMANDER A DANS
LA PRIИRE
1. La cause pour laquelle nous devons espйrer vient en premier lieu de
ce que nous appartenons а Lui comme l’effet а la cause. Or rien n’agit
inutilement mais pour une fin dйterminйe. Il appartient donc а tout agent de
produire son effet de telle sorte que rien ne lui manque pour pouvoir arriver а
sa fin; de lа vient que dans ce que les agents naturels font, la nature ne fait
pas dйfaut dans les choses nйcessaires mais elle fournit а tout ce qu’elle
engendre ce qui Constitue son кtre et lui permet d’agir et d’arriver а sa fin,
а moins que peut-кtre il n’y ait empкchement par dйfaut de l’agent qui ne soit
pas en mesure de procurer ces choses. 2. Or un agent douй d’intelligence, non seulement en produisant son
effet lui apporte ce qu’il faut pour le but visй, mais encore, une fois
l’oeuvre achevйe, il l’emploie а son usage qui est la fin de l’ouvrage. Non
seulement l’ouvrier fabrique un couteau mais il en dispose pour couper. Or
l’homme a йtй produit par Dieu tout comme l’objet frabriquй par l’artisan. D’oщ
il est dit en Isaпe: "Et maintenant, Seigneur, tu es notre potier et
nous sommes l’argile" (64, 8). Et c’est pourquoi de mкme que le vase
d’argile s’il avait la connaissance pourrait espйrer du potier de servir а bon
usage, ainsi aussi l’homme doit-il avoir l’espoir que Dieu le gouverne
sagement. D’oщ il est йcrit: "Comme la glaise dans les mains du potier
ainsi vous, maison d’Israлl, кtes-vous dans mes mains" (Jer 18, 6). 3. Or cette confiance que l’homme a en Dieu doit кtre des plus sыres.
On a dit en effet (I, chapitre 112) qu’un agent parvient а rйaliser son oeuvre
а moins que quelque dйfaut ne l’en rende incapable. Or en Dieu ne se trouve
aucun dйfaut, ni ignorance, chez Lui "Tout est а nu et а dйcouvert а
ses yeux" (Hйbreux 4, 13); ni impuissance car "sa main n’est
pas si courte qu’elle ne puisse nous sauver" (Is 59, 1), ni mauvaise
volontй, car "Dieu est bon pour ceux qui espиrent en Lui, pour l’вme
qui le cherche" (Thren 3, 25). Et donc l’espйrance par laquelle
quelqu’un se confie en Dieu "ne confond pas celui qui espиre"
(Rom 5, 5). 4. En outre il faut savoir que si la Providence veille sur toutes ses
crйatures, d’une faзon spйciale cependant elle prend soin des crйatures
rationnelles c’est-а-dire marquйes de la dignitй de son image et qui sont capables
de le con naоtre et de l’aimer, et qui ont le domaine de leurs actions pour
juger du bien et du mal. D’oщ il leur faut espйrer en Dieu non seulement pour
conserver leur кtre selon l’exigence de leur nature comme il en est des autres
crйatures, mais aussi pour pratiquer le bien et rejeter le mal et ainsi mйriter
aux yeux de Dieu. D’oщ il est dit: "Tu sauves les hommes et les bкtes"
(Ps 35, 7), en tant qu’Il accordй aux hommes en mкme temps qu’aux кtres sans
raison ce qui soutient leur vie. Mais le psaume ajoute: "Les fils des
hommes espйreront sous la garde de tes ailes" (ib. 8) comme protйgйs
d’un soin spйcial de sa part. 5. Il faut de plus considйrer qu’une perfection qui s’ajoute donne une
possibilitй nouvelle d’action ou d’acquisition, par exemple l’air illuminй par
le soleil fait qu’on voit; l’eau que la chaleur fait bouillir a la propriйtй de
cuire; ce que ces йlйments pourraient espйrer s’ils avaient la sensibilitй. Or
а l’вme naturelle de l’homme vient s’ajouter la perfection de la grвce par
laquelle "elle participe а la divine nature" (2 P 1, 4); d’oщ
et d’aprиs cela nous sommes dits rйgйnйrйs en fils de Dieu, selon Jean: "Il
leur a donnй le pouvoir de devenir des fils de Dieu" (1, 12). Devenus
fils de Dieu ils peu vent espйrer l’hйritage "S’ils sont fils, ils sont
hйritiers" (Rom 8, 17). Et donc selon cette rйgйnйration spirituelle
l’homme est en mesure de mettre en Dieu assez haute son espйrance qui est
d’atteindre l’hйritage йternel: "Il nous a rйgйnйrйs pour une vivante
espйrance grвce а la rйsurrection de Jйsus-Christ d’entre les morts, pour un
hйritage incorruptible, sans tache et inflйtrissable et mis en sыretй au
ciel" (1 P 1, 3-4). Et parce que l’Esprit d’adoption que nous avons reзu nous fait crier:
"Abba, Pиre" (Rom 8, 15), alors pour nous montrer que c’est а
partir de cette espйrance qu’il nous faut prier, le Seigneur a fait commencer
sa priиre en invoquant son Pиre par le mot de "Pиre". Et de
mкme qu’il dit Pиre, le coeur de l’homme se dispose а prier dans la puretй du
coeur pour obtenir ce qu’il espиre. 7. Les enfants doivent aussi imiter leurs parents; celui donc qui
confesse que Dieu est Pиre doit s’efforcer d ‘imiter Dieu en йvitant ce qui le
rend dissemblable а Dieu et en s’attachant а ce qui nous fait ressembler а
Dieu. D’oщ il est йcrit: "Tu m’appelleras Pиre et tu ne cesseras pas de
me suivre" (Jer 3, 19). "Si donc, dit Grйgoire de Nysse, tu
diriges ton regard vers les choses mondaines ou situ cherches la gloire
humaine, comment toi qui vis une vie de corruption appelles-tu Pиre l’auteur de
l’incorruptibilitй?" (De or. dom. 2). B — La priиre du pater (chapitre 5 а 10)
CHAPITRE 5: A QUI NOUS DEMANDONS CE QUE NOUS ESPЙRONS EN PRIANT DOIT
КTRE APPELЙ PAR CELUI QUI PRIE: "NOTRE PERE" ET NON PAS MON PERE
1. Entre autres choses ce qui compte surtout pour celui qui se
reconnaоt fils de Dieu c’est d’imiter Dieu dans sa charitй: "Soyez des
imitateurs de Dieu comme des fils trиs chers et marchez dans la dilection"
(Eph 5, 1). Or en Dieu la dilection n’est pas quelque chose de privй mais elle
s’йtend а tous. Il aime en effet tout ce qui est, dit la Sagesse (11, 25) et
spйcialement les hommes: "II a aimй les peuples" (Deut 33, 3).
Et donc saint Cyprien de dire "La priиre est chez nous publique et commune;
et quand nous prions ce n’est pas seulement pour un seul mais pour tout le
peuple, parce que nous sommes un, tout un peuple" (Or. dom. 8). Saint Jean
Chrysostome dit: "Prier pour soi, la nйcessitй nous y pousse; prier
pour un autre la charitй fraternelle nous y invite" (In Matt. Hom. 19,
4). Et donc nous ne disons pas "mon Pиre", mais "Notre
Pиre". 2. Il faut aussi considйrer que mкme si notre espйrance s’appuie
principalement sur l’aide de Dieu, cependant nous nous aidons les uns les
autres afin d’obtenir plus facilement ce que nous demandons: "Il nous
dйlivrera lorsque vous nous secourez de votre priиre" (2 Cor I, 11).
D’oщ chez saint Jacques: "Priez les uns pour les autres pour кtre sauvйs"
(5, 16). Comme en effet le dit saint Ambroise: "Beaucoup de petits sont
grands, qui s’assemblent et ne font qu’un seul coeur". Les priиres
d’un grand nombre ne manqueront pas d’кtre exaucйes, selon ce que dit saint
Matthieu: "Si deux ou trois parmi vous sur la terre unissent leur voix
pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordй par mon Pиre qui est
dans les cieux" (18, 18). Et donc nous n’йlevons pas chacun pour soi
notre priиre vers Dieu mais dans un commun accord nous disons "Notre
Pиre ". 3. Il faut encore savoir que notre espйrance en Dieu repose sur le
Christ: "Justifiйs par la foi, nous sommes en paix avec Dieu grвce а
Notre Seigneur Jйsus-Christ, lui qui nous a donnй d’avoir accиs par la foi en
cette grвce en laquelle nous sommes affermis et nous nous glorifions dans
l’espйrance de la gloire de Dieu" (Rom 5, 2). Par Lui en effet qui est
le Fils de Dieu par nature nous devenons des fils d’adoption, car il est йcrit:
"Dieu a envoyй son Fils pour que nous recevions l’adoption des
fils" (Gal 4, 5). C’est dans ce sens que nous devons confesser Dieu
comme Pиre pour ne pas dйroger au privilиge du fils unique. D’oщ saint Augustin:
"Ne revendique rien pour toi spйcialement. Du Christ seul (Dieu) est
Pиre spйcialement; de nous tous en commun il est Pиre, parce que il a engendrй
celui-lа seul, tandis qu’Il nous a crййs. Et donc on dit Notre Pиre"
(Serm. 84 apocr.). CHAPITRE 6: QUE NOTRE PИRE QUE NOUS PRIONS PUISSE NOUS ACCORDER CE QUE
NOUS ESPЙRONS C’EST CE QUE DISENT LES MOTS: QUI ES AUX CIEUX
1. Le dйfaut d’espйrance arrive habituellement de l’impuissance de
celui dont on espиre le secours. Il ne suffit pas en effet pour une espйrance
confiante que celui sur lequel s’appuie notre espoir veuille nous aider il faut
encore qu’il en ait le pouvoir. En professant que Dieu est pиre, est exprimйe а
suffisance la promptitude de la volontй divine а nous aider; mais pour que l’on
ne doute pas de l’excellence de son pouvoir on ajoute: "Qui es aux
cieux". En effet on ne dit pas cela simplement comme йtant contenu aux
cieux mais comme embrassant les cieux de son pouvoir, selon le Siracide: "Seule,
dit la Sagesse, j ‘ai fait le tour des cieux" (24, 8). Bien plus c’est
au-dessus de toute la grandeur des cieux que son pouvoir est йlevй, au Psaume
8, 2: "Йlevйe est ta grandeur au-dessus des cieux." Et donc
pour affermir un confiant espoir nous professons son pouvoir qui soutient les
cieux et les transcende. 2. Par lа aussi on exclut tout obstacle а la priиre. Car il s’en
trouve qui soumettent les choses humaines а la fatale nйcessitй des astres,
contrairement а ce qui est йcrit: "Ne craignez pas les signes du ciel
mкme si les paпens en йprouvent de la terreur" (Jer 10, 2). Selon
cette erreur le fruit de la priиre est perdu; car si la vie йtait soumise а la
fatalitй des astres rien ne pourrait кtre changй. En vain demandons-nous des
bienfaits а la priиre ou la dйlivrance de nos maux. Donc pour enlever tout obstacle
а la confiance chez ceux qui prient, nous disons: "Qui es aux cieux"
c’est-а-dire comme le moteur et le modйrateur des cieux. Et ainsi le pouvoir
des corps cйlestes ne peut mettre osbstacle au secours que nous espйrons de la
part de Dieu. 3. Mais pour que la priиre soit efficace auprиs de Dieu, l’homme doit
demander а Dieu ce qui est digne de Lui. Il est dit en effet: "Vous
demandez et vous ne recevez pas parce que vous demandez indыment" (Jac
4, 3). En effet sont indыment demandйes les choses que la sagesse terrestre
suggиre. Et donc saint Jean Chrysostome enseigne: "En disant “qui
es aux cieux” nous n’y enfermons pas Dieu; mais le coeur de celui qui
prie s’arrache а la terre pour s’attacher aux rйgions cйlestes" (Hom.
in Mt 19, 4). 4. Il est encore un autre obstacle а la priиre ou а la confiance que
celui qui prie a au sujet de Dieu: c’est-а-dire si l’on pense que la vie
humaine est soustraite а la divine providence, comme disent les impies: "Il
se cache dans les nuйes et Il ne prend pas nos affaires en considйration, mais
Il voyage dans les sphиres cйlestes" (Job 22, 14); et encore: "Le
Seigneur ne voit pas, Il a dйlaissй la terre" (Ez 8, 12). L’Apфtre
saint Paul affirme le con traire, prкchant aux Athйniens il dit: "Il
n’est pas loin de chacun de nous; en Lui en effet nous vivons, nous nous
mouvons et nous sommes" (Act 17, 27, 28). Car Il nous conserve l’кtre,
gouverne notre vie, dirige notre con duite. Et la Sagesse: "Pиre, ta
providence gouverne toutes choses depuis toujours" (14, 3), jusqu’aux
moindres animaux qui ne sont pas soustraits а sa providence: "Est-ce
que deux passereaux ne se vendent pas un sous et l’un d’eux ne tombe pas sur
terre sans votre pиre? Vos cheveux de la tкte, tous sont comptйs" (Mt
10, 29). 5. Cependant les hommes sont sous la garde de Dieu de faзon si
excellente que l’apфtre en comparaison dit que des boeufs Dieu n’en a pas la
garde (1 Cor 9, 9) non qu’il n’ait nullement soin d’eux mais pas comme Il l’a
des hommes qu’Il punit ou rйmunиre selon le mal ou le; bien et qu’Il prйdestine
а l’йternitй. D’oщ le Seigneur ajoute а ce qu’Il vient de dire: "Vos
cheveux sont tous comptйs" en tant que tout sera rйparй а la
rйsurrection et par lа que toute dйfiance de notre part doit кtre exclue, d’oщ
il ajoute au mкme endroit: "Ne craignez pas, vous кtes plus que
beaucoup de passereaux" (ib. 30). Et а cause de cela comme on l’a dйjа
dit: "Les fils des hommes espйreront protйgйs sous tes ailes"
(Ps 35, 8). 6. Et bien que Dieu soit dit proche des hommes par le soin particulier
qu’Il en a, plus particuliиrement est-Il proche des bons, eux qui s’efforcent
de s’approcher de Lui par la foi et l’amour: "Approchez-vous de Dieu et
Il s’approchera de vous" (Jac 4, 8). Non seulement Il s’en approche mais Il y habite par sa grвce: "Tu
es en nous, Seigneur" (Jer 14, 9). Et donc pour augmenter l’espйrance
des saints on dit: "Qui es aux cieux" c’est-а-dire dans les
saints, selon saint Augustin, qui dit "qu’il y a autant de distance
spirituelle entre les pйcheurs et les justes qu’entre la terre et le ciel
corporellement". Pour signifier cela nous nous tournons dans la priиre
vers l’Orient d’oщ s’йlиve le ciel’. Ce qui augmente encore l’espйrance des
saints outre leur proximitй de Dieu c’est la dignitй qu’ils ont obtenue de Dieu
qui en a fait des cieux par le Christ, selon Isaпe: "Afin de tendre les
cieux et d’affermir la terre" (51, 16). En effet celui qui a fait
d’eux des cieux, ne leur refusera pas les biens cйlestes. 1.
Mouvement du firmament. CHAPITRE 7: DES CHOSES QU’IL FAUT ESPЙRER DE ET DE LA NATURE DE
L’ESPЙRANCE
1. Aprиs avoir vu ce qui peut faire naоtre l’espйrance chez l’homme,
il faut considйrer quelles sont les choses que nous devons espйrer de la part
de Dieu. Or on considиre que l’espйrance prйsuppose le dйsir; donc pour que
quelque chose Soit espйrй il est requis qu’il soit dйsirable. Ce qui n’est pas
dйsirй, on ne le dit pas espйrй mais craint et mкme mйprisй. Ensuite il faut
que ce qui est espйrй soit tenu pour possible а atteindre et cela fait que
l’espйrance s’ajoute au dйsir. L’homme en effet peut toujours dйsirer mкme s’il
sait ne pouvoir obtenir mais en cela il n’est pas question d’espйrance. En
outre ce qu’on espиre doit кtre ardu; car ce qui est de peu d’importance nous
le mйprisons plus que nous l’espйrons, ou si nous le dйsirons comme presque en
notre possession nous ne l’espйrons pas comme futur, mais nous le tenons comme
prйsent. 2. Il y a aussi а considйrer que parmi les choses ardues que l’on
espиre acquйrir certaines le sont par l’entremise d’un autre, d’autres par
soi-mкme. Mais il y a cette diffйrence que dans ce dernier cas on s’appuie sur
son propre pouvoir et dans l’autre on fait intervenir une demande; s’il s’agit
d’un homme c’est une simple demande; si on espиre de la part de Dieu c’est
proprement la priиre qui comme le dit saint Jean Damascиne est une demande de
choses dйcentes faite а Dieu (De Fide orth. 3, 24). 3. Mais on ne parle pas d’espйrance quand on s’appuie sur soi-mкme ou
sur autrui, mais seulement sur Dieu. D’oщ il est dit: "Maudit soit
l’homme qui se confie en l’homme et qui met son secours dans la chair"
(Jer 17, 5) et on ajoute: "Bйni soit l’homme qui se confie dans le
Seigneur et dont Jahvй est l’espйrance" (ib. 7). Ainsi donc ce que le
Seigneur nous a enseignй dans la priиre nous apparaоt comme possible mais ardu,
de sorte que nous y parvenons non par notre pouvoir d’homme mais par le secours
divin. CHAPITRE 8: DE LA PREMIИRE DEMANDE OЩ NOUS DЙSIRONS QUE LA
CONNAISSANCE DE COMMENCЙE EN NOUS SE PERFECTIONNE ET DE SA POSSIBILITЙ
1. Il faudra donc considйrer dans quel ordre le dйsir provient de la
charitй pour que d’aprиs cela on puisse saisir l’ordre des choses que nous
devons espйrer et demander de la part de Dieu. Or l’ordre de la charitй veut
que Dieu soit aimй par dessus tout. Et donc la charitй meut notre premier dйsir
pour les choses divines. Or comme tout dйsir est d’un bien а venir tandis que
Dieu pris en lui-mкme ne connaоt pas de futur mais demeure йternellement le
mкme, notre dйsir ne peut se porter sur ce qui est divin en soi comme pour que
Dieu obtienne des biens qu’Il n’a pas. Mais notre dilection se porte ainsi sur
eux de sorte que nous les aimions comme existants. 2. Au sujet de Dieu on peut cependant dйsirer qu’Il grandisse dans
l’estime et le respect de tout le monde lui qui lui-mкme est toujours grand. Or
cela ne doit pas кtre estimй impossible. Comme en effet l’homme est destinй а
la connaissance de la grandeur de Dieu, si d’autre part il ne pouvait y
parvenir il semblerait exister en vain. Or il est dit: "Est-ce donc
vainement que tu as crйй les fils des hommes?" (Ps 88, 48). 3. Vain aussi serait le dйsir de la nature par lequel tous dйsirent
naturellement avoir quelque connaissance des choses divines; personne donc
n’est privй totalement de cette connaissance, selon Job: "Tous les
hommes le voient" (36, 25). Mais c’est une chose ardue qui dйpasse
toute facultй humaine: "Dieu est si grand qu’Il dйpasse notre savoir"
(ib. 26). Et donc la connaissance de la grandeur divine et de sa bontй ne peut
parvenir aux hommes sans la grвce de la rйvйlation divine selon ce qui est dit:
"Nul ne connaоt le Fils si ce n’est le Pиre, ni personne ne connaоt le
Pиre si ce n’est le Fils et celui а qui le Fils l’aura rйvйlй" (Mt 11,
27). D’oщ saint Augustin: "Nul ne connaоt Dieu si Lui qui se connaоt ne
se montre lui-mкme" (Tract. 3 in Joan). 4. Dieu en effet donne aux hommes une certaine con naissance naturelle
en infusant aux hommes la lumiиre de la raison et par les crйatures visibles en
lesquelles resplendissent les traces de sa bontй et de sa sagesse: "Ce
qu’on peut connaоtre de Dieu", par la raison naturelle, "leur
est manifeste", c’est-а-dire aux gentils: "Dieu en effet le
leur a rйvйlй", par la lumiиre de la raison, aussi par les crйatures
qu’Il a faites. D’oщ l’Apфtre ajoute "Les choses invisibles en Dieu depuis
la crйation du monde se laissent voir а l’intelligence а travers ses oeuvres: son
йternelle puissance et sa divinitй" (Rom 1, 19-20). Cependant cette
connaissance est imparfaite; car mкme la crйature nous est imparfaitement
connue et elle ne reprйsente Dieu que trиs imparfaitement; car la vertu de
cette cause dйpasse а l’infini son effet. D’oщ Job "Peut-кtre
connaоtras-tu quelque vestige de Dieu; mais connaоtras-tu jamais le Tout-puissant
?" (11, 7). Et aprиs avoir dit que tous les hommes le verront (36,
25), il ajoute: "Chacun le voit de loin." 5. De cette connaissance imparfaite il s’en est suivi que les hommes
s’йcartant de la vйritй ont diversement errй au sujet de Dieu а tel point que
l’Apфtre dit: "Dans leurs raisonnements ils ont perdu le sens et leur
coeur inintelligent s’est obscurci. Ils se prйtendaient sages et ils sont
devenus fous; ils ont йchangй la gloire d’un Dieu incorruptible en l’image
d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupиdes, de reptiles" (Rom 1,
21). Et donc pour les arracher а ces erreurs Dieu a donnй d’une faзon plus
prйcise aux hommes la connaissance de l’Ancienne Loi par laquelle les hommes
sont ramenйs au culte d’un seul Dieu: "Ecoute Israлl le Seigneur ton
Dieu est unique" (Deut 6, 4). Mais cette connaissance de Dieu йtait
enveloppйe dans l’obscuritй des figures et rйservйe au seul peuple juif: "Dieu
est connu en Judйe, en Israлl son nom est grand" (Ps 75, 1). 6. Donc pour que la vraie connaissance de Dieu par vienne а tout le
genre humain, Dieu le Pиre envoya dans le monde sa parole toute puissante, son
Fils unique, pour que par lui le monde entier parvienne а la vraie connaissance
du nom divin. Ce que le Seigneur lui-mкme commenзa de faire chez ses disciples:
"J’ai manifestй ton nom aux hommes que tu m’as donnйs, que tu avais
retirйs du monde" (Jean 17, 16). Et son intention ne s’arrкtait pas
aux seuls disciples, afin qu’ils aient la connaissance de la divinitй mais que
par eux elle soit divulguйe dans tout l’univers. D’oщ il ajoute: "Afin
que le monde croie que tu m’as envoyй" (ib. 21 c). Il continue d’agir
ainsi par les Apфtres et leurs successeurs tandis qu’ils amиnent les hommes а
la connaissance de Dieu jusqu’а ce que tout le monde entier sanctifie et
cйlиbre le nom de Dieu, comme le prйdit Malachie: "Du lever du soleil
jusqu’а son cou chant grand est son nom parmi les Gentils et en tout lieu on
offre un sacrifice а mon nom comme une offrande pure" (1, 11). 7. Donc pour que ce qui a commencй parvienne а son achиvement nous
demandons et disons: "Que ton nom soit sanctifiй." Et saint
Augustin explique: "On ne fait pas cette demande comme si le nom de
Dieu n’йtait pas saint mais pour qu’il soit reconnu tel par tous et que Dieu se
fasse ainsi connaоtre que rien d’autre ne soit tenu plus saint" (Serm.
in mont. 2, 5). Parmi les signes qui manifestent la saintetй de Dieu aux
hommes, le plus йvident est la saintetй des hommes sanctifiйs par
l’inhabitation divine. En effet saint Grйgoire de Nysse dit: "Qui est а
ce point stupide qui voyant chez les croyants leur puretй de vie ne
glorifierait pas le nom qu’on invoque dans une telle vie" selon le
dire de l’Apфtre aux Corinthiens "Si tous prophйtisent et qu’entre un
infidиle ou un йtranger il est convaincu par tous, alors tombant la face contre
terre il adorera Dieu, annonзant que Dieu est vraiment parmi vous" (1
Cor 14, 24 — Or. dom. 3). Et c’est pourquoi selon saint Jean
Chrysostome: "En disant “Que ton nom soit sanctifiй” il ordonne aussi
que l’orant demande qu’Il soit glorifiй par notre vie, comme s’il disait: Fais
nous vivre ainsi que, par nous, tous les hommes te glorifient" (In
Matt. Hom. 19, 4). 8. Or nous sanctifions Dieu dans l’esprit des autres en tant que Lui
nous sanctifie; d’oщ, en disant "Que ton nom soit sanctifiй", "Nous
dйsirons, dit saint Cyprien, que son nom soit sanctifiй en nous"
(Or. dom. 12). En effet йtant donnй que le Christ dit: "Soyez saints
parce que je suis saint", nous demandons qu’ayant йtй sanctifiйs dans
le baptкme nous persйvйrions en ce que nous avons commencй d’кtre. Nous demandons
aussi chaque jour notre sanctification nous qui pйchons chaque jour pour que
cette sanctification continuelle nous purifie de nos dйlits. La raison pour
laquelle cette demande vient en premier lieu, dit saint Jean Chrysostome, est
que: "Digne est la priиre de celui qui implore Dieu parce qu’il ne
demande rien avant la gloire du Pиre mais fait passer sa louange avant tout"
(In Matt. Hom. 19, 4). 1. Empruntй au Lev 11, 44; ne se trouve par littйralement dans
l’Йvangile; mais a son йquivalent en Mt 5. 48: "Vous donc soyez
parfaits comme votre Pиre cйleste est parfait." CHAPITRE 9: LA SECONDE DEMANDE EST QUE NOUS FASSE PARTICIPER A LA
GLOIRE
1. Aprиs le dйsir et la demande de la gloire divine il est consйquent
pour l’homme de dйsirer et de rechercher la participation а la gloire divine.
Et c’est pourquoi vient la seconde demande: "Que ton rиgne vienne."
A ce propos, comme d’ailleurs pour la premiиre demande il faut considйrer 1° qu’il
est juste de dйsirer le rиgne de Dieu; 2° que
l’homme puisse parvenir а l’atteindre; 3°
qu’il ne peut l’obtenir par sa propre vertu mais par le seul secours de la
grвce; 4°
comment arrive le rиgne de Dieu. 5°
Saint Thomas ne dйveloppera que le premier point et n’amorcera que le second au
chap. 10. 2. Donc pour le premier point il faut considйrer que toute chose
dйsire naturellement son propre bien: d’oщ on dйfinit convenablement le bien: ce
que tous dйsirent. Or le bien propre de chaque chose est ce par quoi cette chose est
parfaite. En effet nous disons bonne n’importe quelle chose en ce qu’elle
atteint sa propre perfection. Et elle manque d’autant а la bontй dans la mesure
oщ elle manque de sa propre perfection. Donc toute chose aspire а sa perfection
et donc l’homme aspire naturellement а кtre parfait. Et comme nombreux sont les
degrйs de la perfection humaine cela vient en premier lieu et principalement en
son appйtit naturel ce qui concerne son ultime perfection. Or ce bien se
reconnaоt а ce signe que le dйsir de l’homme y trouve son repos. En effet comme
le dйsir naturel de l’homme ne tend qu’а son propre bien, et qui consiste en
une certaine perfection, il est consйquent qu’aussi longtemps que quelque chose
reste а dйsirer, il n’est pas encore parvenu а son ultime perfection. 3. Or c’est de deux maniиres qu’il reste quelque chose в dйsirer. La
premiиre quand ce qu’on dйsire on le recherche pour autre chose; d’oщ il faut
bien que l’ayant satisfait on ne puisse s’y reposer mais qu’on se porte vers
l’autre. La seconde quand il y a insuffisance pour obtenir ce que l’homme
dйsire, comme une nourriture insuffisante au soutien de la nature; d’oщ
l’appйtit naturel n’est pas satisfait. Donc ce bien que l’homme dйsire en
premier et principalement doit кtre tel qu’il n’est pas cherchй en vue d’un
autre et qu’il suffise в l’homme. Et ce bien on l’appelle communйment fйlicitй
en tant que bien principal de l’homme. Nous disons en effet que certains sont
heureux parce que nous estimons qu’ils se trouvent bien. On l’appelle aussi
bйatitude en tant qu’il signifie une certaine excellence. On peut aussi
l’appeler paix en tant que l’appйtit est en repos. Car le repos de l’appйtit
procure la paix intйrieure; d’oщ au psaume il est dit: "Qui a mis la
paix а tes frontiиres" (147, 14). 4. Ainsi donc il apparaоt que l’homme ne peut trouver son bonheur ni
sa bйatitude dans les biens du corps. D’abord parce qu’ils ne sont pas
recherchйs pour eux- mкmes mais qu’on les dйsire naturellement pour autre chose;
ils conviennent en effet а l’homme en raison de son corps. Or le corps de
l’homme est ordonnй а l’вme comme vers sa fin; car d’une part le corps est
instrument de l’вme qui le meut; or tout instrument est а l’usage d’un art ou
mйtier; d’autre part le corps est а l’вme comme la matiиre а la forme. Celle-ci
est la fin de la matiиre comme l’acte l’est de la puissance. D’oщ il suit que
ni dans les richesses, ni dans les honneurs, ni dans la santй ou la beautй, ni
en quelqu’autre chose ne peut consister l’ultime fйlicitй de l’homme. 5. Ensuite il est impossible que les biens du corps suffisent а
l’homme: ce qui apparaоt de plusieurs maniиres. D’abord parce qu’il y a dans
l’homme une double tendance intellectuelle et sensitive et donc une double
aspiration. Celle-lа tend principalement aux biens de l’intelligence que
d’autre part les biens corporels ne peuvent satisfaire. Ensuite parce que les
biens du corps йtant infйrieurs dans l’ordre des choses par leur diversitй ne
procurent pas une bontй totale mais dispersйe: une chose en effet possиde telle
bontй, par exemple le plaisir; une autre, par exemple la bonne hygiиne du corps
et ainsi du reste. D’oщ en rien de cela l’appйtit humain qui naturellement
cherche le bien universel ne peut кtre satisfait mкme si ces biens sont
nombreux et variйs parce que l’infini du bien universel leur fait dйfaut. D’oщ
il est йcrit: "L’argent ne peut rassasier l’avare" (Qoh 5, 9). 6. Enfin l’intelligence humaine saisit le bien universel qui n’est
circonscrit ni localement ni dans le temps. Il s’en suit que l’appйtit humain
dйsire le bien selon qu’il s’accorde а la saisie de l’intelligence qui n’est
pas circonscrite par le temps. L’homme cherche donc une perpйtuelle stabilitй
qui ne se trouve pas dans les choses du corps soumises qu’elles sont а la
corruption et а de multiples changements. D’oщ il est naturel que le dйsir de
l’homme ne trouve pas а se satisfaire dans les biens corporels. Il ne peut donc
y avoir en eux pour l’homme de fйlicitй ultime. 7. Quant aux puissances sensitives, comme leurs opйrations corporelles
s’effectuent par des organes corporels sur des choses corporelles, il est
consйquent que dans les opйrations de la partie sensitive on ne trouve non plus
l’ultime fйlicitй de l’homme, par exemple dans les plaisirs charnels. 8. L’intelligence humaine s’exerce aussi sur des choses corporelles
par la connaissance spйculative des corps et en disposant d’eux par
l’intelligence pratique. Et ainsi il se fait que l’homme mкme en sa propre
activitй spйculative ou pratique mais qui s’adresse aux choses matйrielles ne
puisse trouver sa perfection et son ultime fйlicitйe. 9. Pas d’avantage non plus quand l’вme dans l’activitй intellectuelle
rйflйchit sur elle-mкme. Et pour un double motif: d’abord parce que l’вme
considйrйe en elle-mкme n’est pas heureuse sans quoi elle ne devrait pas
s’йvertuer а la recherche du bonheur. Elle n’obtient donc pas la bйatitude par
cela seul qu’elle se tourne vers soi. Ensuite parce que la bйatitude est
l’ultime perfection de l’homme, comme on l’a vu plus haut. Or comme la
perfection de l’вme consiste en sa propre opйration il est consйquent que son
ultime perfection soit celle de sa meilleure activitй selon son meilleur objet
puisque les opйrations se spйcifient par leur objet. Or l’вme n’est pas le
meilleur vers quoi son opйration peut tendre. Elle saisit en effet qu’autre
chose est meilleur qu’elle. D’oщ il est impossible que l’ultime bйatitude de
l’homme consiste en une activitй oщ il se tourne vers soi, ou en quelqu’autres
substances supйrieures dиs qu’il y a quelque chose de meilleur qu’elles, vers
quoi l’opйration de l’вme humaine puisse tendre. Or l’activitй de l’homme tend
vers n’importe quel bien parce que le bien universel est ce que l’homme dйsire
puisque c’est par l’intelligence qu’il apprйhende le bien universel. D’oщ а
quelque degrй que puisse s’йtendre un bien, s’y porte en quelque maniиre
l’activitй de l’intelligence et donc aussi de la volontй. Or le bien suprкme se
trouve en Dieu parce que par son essence il est bon et le principe de toute
bontй. D’oщ il s’en suit que l’ultime perfection de l’homme et son bien final
est en ce qu’il adhиre а Dieu: "Il m’est bon d’adhйrer а Dieu"
(Ps 72, 28). 10. Ce qui apparaоt aussi manifeste si l’on examine la participation de
toutes choses. Chaque homme en effet est en vйritй ce qu’il est par cela mкme
qu’il participe а l’essence de son espиce et non parce qu’il ressemble а un
autre homme; et il participe а l’essence de l’espиce en ce qu’il est engendrй
par un autre: le pиre engendre un fils. Or la bйatitude ou fйlicitй n’est rien
d’autre que le bien parfait. Ce sera donc en participant а l’unique bontй divine
qui est l’essentielle bontй de l’homme que tous ceux qui participent а cette
bйatitude seront heureux, bien que l’un aide l’autre pour y atteindre. D’oщ
saint Augustin: "Ce n’est pas la vue des anges qui nous rend heureux
mais en voyant la vйritй par laquelle nous les aimons et que nous nous en
rйjouissons ensemble" (De vera reig. 55). 11. Or l’esprit de l’homme se porte vers Dieu de deux maniиres: en
lui-mкme ou par un autre. En lui-mкme, quand Il est vu lui-mкme et aimй par
lui-mкme. Par un autre, lorsque depuis ses crйatures notre coeur s’йlиve vers Dieu:
"Les choses invisibles de Dieu par ses oeuvres nous deviennent intelligibles"
(Rom 1, 20). Or il n’est pas possible que la parfaite bйatitude consiste en ce
qu’on tende vers Dieu par une autre chose. D’abord parce que la bйatitude qui
signifie la fin de tous les actes humains n’est la vraie et parfaite bйatitude
qu’en raison du terme mais non en raison plutфt du mouvement vers cette fin. Or
que Dieu soit connu et aimй par autre chose c’est agir en un certain mouvement
de l’esprit humain qui d’une chose parvient а une autre. II n’y a donc pas en
cela de vraie et parfaite bйatitude. 12. En second lieu parce que si la bйatitude consiste en l’adhйsion de
l’esprit humain а Dieu il s’en suit que la parfaite bйatitude requerra que
cette adhйsion soit par faite. Et il n’est pas possible que l’esprit humain
adhиre parfaitement а Dieu au moyen d’une crйature connue ou aimйe. En effet
toute forme crййe quelle qu’elle soit est infiniment dйficiente а reprйsenter
la divine essence. De mкme donc qu’il n’est pas possible par la connaissance
des choses infйrieures d’arriver а connaоtre celles d’un ordre supйrieur, par
exemple la substance spirituelle par le corps ou le corps cйleste par un
йlйment, ainsi a fortiori n’est-il pas possible de connaоtre l’essence divine
par le moyen d’une forme crййe. Mais de mкme que par la con sidйration des
corps infйrieurs on peut percevoir la nature des corps supйrieurs nйgativement,
par exemple que ceux-ci ne sont ni lourds ni lйgers, et par nos corps nous
concevons nйgativement des anges qu’ils sont immatйriels et incorporels, ainsi
aussi par les crйatures nous ne savons pas au sujet de Dieu ce qu’Il est mais
plutфt ce qu’Il n’est pas. Йgalement la bontй d’une crйature quelle qu’elle
soit est bien minime en regard de la bontй divine qui est infinie: d’oщ les
bontйs des choses qui proviennent de Dieu, qui sont des bienfaits de Dieu ne
peuvent soulever l’esprit jusqu’au parfait amour de Dieu. Il n’est donc pas
possible que la vraie et parfaite bйatitude consiste en ce que l’esprit adhиre
а Dieu autrement que par Lui. 13. Enfin l’ordre des choses veut que le moins connu nous vienne par le
plus connu et semblablement que ce qui est moins bon nous fasse aimer ce qui
est meilleur. Puis donc que Dieu est la premiиre vйritй et la bontй suprкme, en
lui-mкme le plus connaissable et le plus aimable, l’ordre naturel veut que tout
soit connu et aimй par Lui. Si donc l’esprit ne peut parvenir а connaоtre Dieu
et а l’aimer que par le moyen des crйatures cela tient а son imperfection. Il
n’est donc pas encore parvenu а la parfaite bйatitude qui exclut toute
imperfection. 14. Il reste donc que la parfaite bйatitude est pour l’esprit d’adhйrer
а Dieu par Lui aimй et connu. Et de mкme que le roi conduit et gouverne ses
sujets, ce qui rиgnera chez l’homme dйpendra de ce qui le conduira en toutes
choses. D’oщ l’avertissement de l’Apфtre: "Que le pйchй ne rиgne pas
dans votre corps mortel" (Rom 6, 12). Puis donc que la parfaite
bйatitude veut que Dieu lui-mкme soit connu et aimй par lui-mкme pour que par
Lui le coeur se porte aux choses d’En-Haut c’est chez les bons que Dieu rиgne
vraiment et parfaitement. D’oщ cette parole: "Le Dieu de misйricorde
les rйgira et les abreuvera aux fontaines des eaux" (Is 49, 10),
c’est-а-dire que par Lui ils seront restaurйs dans les plus grands des biens. 15. Il faut en effet savoir que de mкme que l’intelligence saisit tout
ce qu’elle connaоt par quelque forme ou espиce, comme йgalement la vue
extйrieure voit la pierre par la forme de la pierre, il n’est pas possible que l’intelligence
voit Dieu en son essence par quelque forme ou espиce crййe qui reprйsenterait
la divine essence. Nous constatons en effet que l’espиce d’un ordre infйrieur
des choses ne peut reprйsenter une chose d’un ordre supйrieur selon son essence;
d’oщ aucune espиce corporelle ne peut faire comprendre une substance
spirituelle quant а son essence. Puis donc que Dieu surpasse tout l’ordre de la
crйation, bien davantage encore que ne le fait la substance spirituelle dans
l’ordre des choses matйrielles, il n’est pas possible qu’une espиce matйrielle
fasse voir Dieu en son essence. 16. Cela aussi est manifeste si l’on considиre ce que signifie voir
quelque chose par son essence. On ne voit pas en effet l’essence de l’homme
quand on ne saisit pas ce qui est essentiel en l’homme, comme celui qui ne le
connaоtrait que dans son animalitй. Or tout ce qui est dit de Dieu lui convient
essentiellement et il n’est pas possible qu’une seule espиce crййe reprйsente
Dieu quant а toutes les choses qu’on dit de Dieu. Car dans notre intelligence
crййe autre est la notion qui saisit la vie, et la sagesse et la justice et
tout ce qui est encore de l’essence divine. Il n’est pas possible que
l’intelligence crййe soit informйe par une unique notion qui reprйsente
l’essence divine de sorte que Dieu puisse кtre vu en elle par son essence. Et
s’Il l’йtait par un grand nombre d’espиces il y manquerait encore l’unitй qui
est identiquement son essence. Il est donc impossible que l’intelligence crййe
soit йlevйe а la vision de Dieu en lui-mкme soit par une notion crййe soit par
plusieurs. 17. Il reste donc, pour qu’on voie Dieu en son essence, que celle-ci
soit vue par elle-mкme et non par une autre notion et cela s’opиre par l’union
avec Dieu de l’intelligence crййe. C’est ce que dit Denys (Div. nom. chapitre
1): "Quand nous aurons atteint notre trиs bienheureuse fin par
l’apparition de Dieu nous serons remplis d’une con naissance de Dieu au-dessus
mкme de l’intelligence." 18. Or il est particulier а l’essence divine que l’intelligence puisse
lui кtre unie sans le secours d’aucune ressemblance parce que l’essence divine
est son кtre, ce qui ne s’accorde en rien avec aucune autre forme. D’oщ il faut
que toute forme soit dans notre intelligence. Et donc une forme qui existant
par elle-mкme ne peut informer l’intelligence, comme la substance angйlique, si
elle doit кtre connue d’une autre intelligence, il faut que cela se fasse: par
quelque ressemblance qui informe l’intelligence; ce qui n’est pas requis dans
la divine essence qui est son кtre. 19. Ainsi donc par la vision mкme de Dieu l’вme bienheureuse en le
saisissant devient une mкme chose avec Dieu. Il faut donc que ce qui est saisi
et ce qui saisit soient en quelque sorte un: et donc Dieu rйgnant dans les
saints ceux-ci aussi rйgneront avec Lui. Et c’est de leur personne qu’il est
йcrit: "Tu nous a faits pour notre Dieu un royaume de prкtres et nous
rйgnerons sur la terre" (Apoc 5, 10). En effet ce royaume par lequel
Dieu rиgne dans les saints et les saints avec Lui est appelй le royaume des
cieux: "Faites pйnitence, le royaume des cieux est proche" (Mt
3, 2) de la maniиre dont on dit que Dieu est au ciel, non qu’Il soit contenu
dans des cieux matйriels mais pour dйsigner ainsi l’йminence divine au-dessus
de toute la crйation, comme les cieux planent sur toute la crйature matйrielle:
"Le Seigneur est йlevй au-dessus de toutes les nations et sa gloire est
au-dessus des cieux" (Ps 112, 4). Ainsi donc aussi la bйatitude des
saints est dite royaume des cieux non que leur rйcompense se trouve dans des
cieux corporels, mais dans la contemplation de la nature supra cйleste. D’oщ
des anges est-il йcrit: "Leurs anges (des enfants) dans le ciel voient
la face de mon Pиre qui est dans le ciel" (Mt 18, 10). Ce qui fait
dire а saint Augustin, exposant s. Matthieu "Votre rйcompense est
grande dans les cieux": "Je ne pense pas que les cieux ici
soient dits les parties supйrieures de ce monde visible. Notre rйcompense en
effet n’es pas а placer dans les choses inconstantes mais dans 1e firmaments
spirituels oщ habite l’йternelle justice" (Serm in monte 1, 5). 20. Ce bien final qui consiste en Dieu est aussi appelй vie йternelle
comme on dit que l’action de l’вme vivifiante est vie. D’oщ on distingue autant
de modes de vie qu’il a de genres d’actions de l’вme parmi lesquelles est
l’opйration de l’intelligence et selon le Philosophe l’action de l’intelligence
est vie. Et parce que l’acte est dйterminй par son objet, de lа vient que la
vision divine est appelйe vie йternelle, comme il est йcrit: "Ceci est la
vie йternelle qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu". (Jean 17,
3). 21. Ce bien final est aussi appelй "comprйhension" selon
la lettre aux Philippiens: "Je cours aprиs pour, si possible, le
comprendre" (3, 12). Ce qui ne veut pas dire que la comprйhension soit
une inclusion. En effet ce qui est inclus par quelque chose est totalement
contenu en lui. Or il n’est pas possible que l’intelligence crййe voie totalement
l’essence divine de sorte qu’elle atteigne d’une maniиre parfaite et complиte а
la vision de Dieu et qu’elle voie Dieu autant qu’Il est visible. Dieu est en
effet visible selon la splendeur de sa vйritй qui est infinie; Il est donc
infiniment visible, ce qui ne peut s’accorder avec une intelligence crййe dont
le pouvoir de saisir est fini. Dieu seul donc qui par l’infinie puissance de
son intelligence se saisit infiniment, se comprend lui-mкme en se saisissant
totalement. Si la comprйhension est promise aux saints c’est dans le sens d’une
apprйhension. Lorsqu’en effet quelqu’un poursuit un autre on dit qu’il
l’apprйhende quand il a mis la main sur lui. Ainsi donc"aussi long
temps que nous sommes dans le corps nous marchons loin du Seigneur. En effet
nous avanзons dans la foi et non dans la vision" (2 Cor 5, 6). Et
ainsi nous tendons vers Lui comme en quelque chose de distant. Mais quand nous
le verrons par actuelle vision nous le tiendrons prй sent en nous-mкmes. D’oщ
aux cantiques, "l’йpouse qui cherche celui que son вme aime"
l’ayant enfin trouvй dit: "Je le tiens et ne le lвcherai plus" (3,
4). 22. Ce bien final nous comble d’une joie continuelle et totale. D’oщ la
parole du Seigneur: "Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit
parfaite" (Jean 16, 24). Or aucune crйature ne peut donner une joie
entiиre mais Dieu seulement chez qui est la plйnitude de la bontй. D’oщ le
Seigneur au serviteur fidиle: "Entre dans la joie de ton maоtre" (Mt
25, 21) c’est-а-dire pour que tu te rйjouisses de ton maоtre; selon ce que dit
Job: "Tu seras inondй de dйlices auprиs du Tout-Puissant" (22,
26). Et parce que Dieu trouve sa joie principalement en lui-mкme, le serviteur
fidиle entre dans la joie de son maоtre en tant qu’il entre dans la joie mкme
de Dieu, comme le promet ailleurs le Seigneur а ses disciples: "Je dispose
pour vous du royaume comme mon Pиre me l’a donnй pour que vous buviez et
mangiez а ma table dans mon royaume" (Lc 22, 29). Non que dans ce bien
final les saints fassent usage de nourritures corporelles eux qui sont dйjа
incorruptibles; mais la table signifie la nourriture que fournit la joie, celle
que Dieu lui-mкme - et les saints par lui. 23. Il faut donc considйrer la plйnitude de la joie non seulement dans
la chose dont on jouit mais selon la dis- position de celui qui se rйjouit
c’est-а-dire que la chose dont il se rйjouit il l’a prйsente et que toute son
affection se porte vers la cause de sa joie. Or nous venons de voir que par la
vision de la divine essence l’esprit crйй saisit Dieu comme prйsent; la vision
elle-mкme enflamme totalement l’affection pour le divin amour. Si en effet
toute chose est aimable en vertu de sa beautй et de sa bontй, au dire de Denys:
"Il est impossible que Dieu qui est essentiellement beautй et bontй
puisse кtre vu sans qu’on l’aime" (De div. nom. chapitre 4). Et donc de
la parfaite vision de Dieu naоt le parfait amour. D’oщ saint Grйgoire dit: "Le
feu de l’amour qui ici-bas commence а s’enflammer, quand il aura vu celui qu’il
aime brыlera toujours davantage en son amour" (Super Eze. chapitre
2, 9). Or la joie qu’on йprouve de la prйsence d’un кtre qu’on aime est
d’autant plus grande qu’on l’aime davantage; d’oщ il suit que cette joie est
pleine non seulement de la part de son objet mais aussi de la part de celui qui
en jouit: elle porte а son comble la bйatitude humaine. D’oщ saint Augustin dit
que: "La bйatitude est la joie de la vйritй" (Conf. 10, 23). 24. Il faut en outre considйrer que Dieu йtant la bontй essentielle il
s’en suit que Lui-mкme est le bien de tout bien; d’oщ en le voyant on voit tout
le bien, selon la parole du Seigneur: "Je te montrerai tout bien"
(Ex 33, 19). Par consйquent une fois possйdй on a aussi tout bien: "Tous
les biens me sont venus avec elle (la sagesse divine)" (Sap 7, 11).
Ainsi donc en voyant Dieu en ce bien final, nous possйderons en pleine
suffisance tous les biens. D’oщ le Seigneur promet au serviteur fidиle qu’Il le
placera а la tкte de tous ses biens (Mt 24, 47). 25. Mais comme le mal s’oppose au bien il faut nйcessairement qu’en
prйsence de tout bien le mal soit totalement exclu. Car "Il n’y a pas
de participation possible de la justice avec l’iniquitй, ni de la lumiиre avec
les tйnиbres" (2 Cor 6, 14). Ainsi donc en ce bien final on ne
trouvera pas seulement le parfait contentement mais aussi le plein repos et la
sйcuritй dans l’immunitй de tout mal: "Celui qui m’йcoutera reposera
sans terreur et jouira dans l’abondance, toute crainte enlevйe" (Prov
1, 33). 26. En outre ce sera la paix absolue. En effet ce qui empкche la paix
chez l’homme c’est l’inquiйtude des dйsirs intйrieurs tandis qu’il dйsire ce
qu’il ne possиde pas ou aussi le chagrin causй par la souffrance subie ou
apprйhendйe; et lа rien n’est а craindre. Car l’inquiйtude du dйsir cessera par
la plйnitude de tout bien. La souffrance externe disparaоtra, car tout mal en
sera absent. Il y aura donc lа une parfaite paix et tranquillitй: "Mon peuple
prendra place dans la beautй de la paix" (Is 32, 18) c’est-а-dire la
paix parfaite. Et la cause de cette paix? "Et la sйcuritй dans tes
tentes" c’est-а-dire qu'aucun mal n’est а craindre; "dans
l’abondance du repos" c’est-а-dire l’affluence de tout bien (ib.). 27. La perfection de ce bien final n’aura pas de fin. En effet les
biens dont l’homme jouira ne feront jamais dйfaut puisqu’ils sont йternels et
incorruptibles: "Tu verras Jйrusalem la citй opulente et son temple qui
ne sera jamais plus dйplacй" (Is 33, 20). Et la cause en est que "Il
n’y aura lа que la magnificence du Seigneur notre Dieu" (ib.). Toute
la perfection en effet de cet йtat consistera en la jouissance de l’йternitй de
Dieu. 27 bis. Pour la mкme raison cet йtat ne cessera pas suite а la corruption
de ceux qui y sont: car ou bien ils sont naturellement incorruptibles comme les
anges ou bien ils seront transfйrйs dans l’incorruption; tels seront les hommes:
"Car il faut que ce corps corruptible revкte l’incorruptibilitй" (1
Cor 15, 53). D’oщ il est dit dans l’Apocalypse: "Celui qui aura vaincu,
j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus"
(3, 12). 28. Cet йtat durera: car la volontй de l’homme ne s’en dйtournera pas
par lassitude. Car plus Dieu est contemplй, qui est la bontй par essence,
d’autant en est-Il aimй et sa jouissance toujours plus dйsirйe: "Ceux
qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif"
(Sir. 24, 29). Ce qui fait qu’au sujet des anges qui voient Dieu il est йcrit: "Celui
que les anges dйsirent contempler" (1 P 1, 12). 29. Cet йtat ne subira pas l’attaque de quelqu’ennemi parce que lа
cessera toute atteinte du mal selon ce que dit Isaпe "Il n’y aura pas
de lion", а savoir les attaques du diable, "et la mйchante
bкte", а savoir l’homme mйchant, "n’y montera pas, ni ne s’y
trouvera" (Is 35, 9). D’oщ ce que dit le Seigneur de ses brebis
qu’elles ne pйriront jamais et que personne ne les arrachera de sa main (Jean
10, 28). 30. Cet йtat n’aura pas de fin en ce sens que Dieu pourrait en exclure
certains. En effet personne n’en sera rejetй а cause d’une faute, qui ne sera
aucunement oщ tout ce qui est mal est absent: d’oщ ce que dit Isaпe "Ton
peuple, ce sont tous les justes" (Is 60, 21); ni en vue d’un bien
meilleur comme il arrive qu’en ce monde Dieu enlиve mкme aux justes les
consolations spirituelles et ses autres bienfaits pour qu’ils le recherchent
plus avidement et reconnaissent leurs limites. Car cet йtat n’est pas celui de
l’amendement et du progrиs mais bien de la perfection finale. Et c’est pourquoi
le Seigneur dit: "Celui qui vient а moi je ne le jetterai pas dchors"
(Jean 6, 37). En cet йtat se trouvera donc la pйrennitй de tous ces biens: "Ils
exulteront pour toujours et tu habiteras parmi eux" dit le Psaume (Ps
5, 12). 31. Ce rиgne est donc la bйatitude parfaite en tant qu’on y trouve tout
en suffisance et sans aucun changement. Et parce que les hommes dйsirent
naturellement la bйatitude il est consйquent 4ue tous dйsirent le rиgne de
Dieu. CHAPITRE 10: IL EST POSSIBLE D’OBTENIR LE RКGNE: LA VISION DE DIEU
1. Il faut ensuite que l’homme puisse parvenir а ce royaume afin que
ce ne soit pas lа une simple espйrance et une vaine demande. Or cela est possible
de par la promesse divine. En effet le Seigneur nous dit: "Ne craignez
pas, petit troupeau, car il a plu а votre Pиre de vous donner le royaume"
(Lc 12, 32). Or, le bon plaisir divin est capable de rйaliser ce qu’il a une
fois comme il est йcrit: "Mon conseil tiendra toutes m volontйs se
feront" (Is 46, 20). Et encore: "Qui rйsiste а ma volontй?"
(Rom 9, 19).
Ici s'achиve
le Compendium. Suite а une extase pendant la messe, le frиre Thomas s'est
refusй а poursuivre sa dictйe, disant: "Face а ce que j'ai vu, tout ce que
j'ai йcrit est paille." La suite est une compilation de Frиre Rйginald.
2. On peut aussi le montrer par un exemple йvident qu’on trouve dans
les choses habituelles. En effet une chose subsistante par elle-mкme ne peut
кtre forme d’une matiиre si en elle se trouve de la matiиre; comme une pierre
ne peut informer de la matiиre; mais si une chose est exempte de matiиre elle
peut informer la matiиre, telle notre вme. Et semblablement en quelque sorte
l’essence divine qui est l’acte pur, bien que son кtre soit absolument distant
de l’intellect, lui devient cependant comme forme dans l’acte de l’intelligence.
Et donc Pierre Lombard dit que l’union du corps а l’вme rationnelle est un
exemple de la bienheureuse union de l’esprit rationnel avec Dieu. 3. Il est patent en effet que le bonheur de toute crйature consiste en
sa plus parfaite opйration. Or ce qui est suprкme en la crйature rationnelle
est son intelligence d’oщ il faut que son bonheur consiste en la vision la plus
noble de l’intelligence; or la noblesse de la vision intellective vient de la
noblesse de ce qu’elle saisit; en effet Aristote dit que la vision atteint le
plus haut degrй de son opйration quand au mieux de sa perfection elle peut voir
ce qu’il y a de plus beau (Eth. 10, 9). Si donc la nature rationnelle ne
parvenait pas а voir la divine essence, son bonheur ne serait pas Dieu mais
quelque chose en dessous de Dieu. Ce qui est impossible parce que l’ultime
perfection de toutes choses est d’atteindre а leur principe. Or c’est Dieu lui-mкme
qui a crйй immйdiatement toutes les natures rationnelles, comme le dit notre
foi. D’oщ il faut, selon la foi, que toute crйature rationnelle qui parvient а
la bйatitude voie Dieu par essence. 4. En ce qui concerne la vision de la divine essence il faut
considйrer qu’elle ne sera jamais vue d’un oeil corporel ou de quelque sens ou
de l’imagination, puisque les sens ne perзoivent que des sensations
corporelles. Or Dieu n’est pas un corps"Dieu est esprit" (Jean 4, 22)
dit Jйsus а la Samaritaine. Ensuite l’intellect humain aussi longtemps qu’il
est uni au corps ne peut voir Dieu, alourdi qu’il est d’un corps corruptible,
de sorte qu’il ne peut parvenir au sommet de la contemplation. De lа vient que
plus l’вme est libйrйe des passions et purifiйe de l’attachement aux choses
terrestres, elle s’йlиve d’autant plus amplement en la contemplation de la
vйritй et goыte combien le Seigneur est bon (Ps 33, 8). Or le sommet de la
contemplation est la vision de Dieu par essence; et donc aussi longtemps que
l’homme vit dans un corps, lequel est soumis nйcessairement а bien des passions
il ne peut voir Dieu, selon qu’il est йcrit: "L’homme ne me verra pas
et vivra" (Ex 33, 20). Donc pour que son intellect voie l’essence
divine il faut qu’il soit sйparйment de son corps, ou par la mort comme le
souhaite l’Apфtre: "Nous aimons mieux quitter notre corps pour habiter
auprиs du Seigneur" (2 Cor 5, 8) ou bien qu’il soit entiиrement
soustrait aux sens par le rapt comme saint Paul: "Je connais un homme
dans le Christ, ravi jusqu’au troisiиme ciel, dans son corps ou sans son corps,
je ne sais pas" (2 Cor 12, 2). 5. Mais il faut considйrer et voir comment on connaоt Dieu par
essence. Puisqu’en toute vision il faut quelque chose qui fasse voir ce qui est
vu, ou bien ce sera l’essence mкme de ce qui est vu, comme Dieu qui se con naоt
lui-mкme, ou bien une ressemblance comme quand on voit une pierre. Et cela
parce que de celui qui connaоt et de ce qui est saisi il faut que d’une
certaine maniиre se produise une seule chose. 6. Or on ne peut pas dire
qu’un intellect crйй voie l’essence divine par quelque ressemblance. En effet
en toute connaissance par ressemblance le mode de connaissance est une
conformitй de ressemblance avec ce qu’elle reprйsente; et je dis conformitй de
reprйsentation, comme l’image en notre вme qui est conforme avec la chose
extйrieure non selon son кtre naturel. Et donc si la ressemblance n’est pas
selon l’espиce, mais selon le genre la chose sera connue gйnйriquement mais non
spйcifiquement. Si l’image reзue ne reprйsente mкme pas le genre, elle
reprйsenterait la chose selon une convenance analogique seulement; alors elle
ne serait mкme pas connue sous la raison de genre, comme si la substance serait
connue par ressemblance d’accident 7. Et donc ceux qui disaient que Dieu n’est pas vu son essence,
disaient que se verra un йclat de la divine essence, entendant par йclat cette
ressemblance lumiиre incrййe par laquelle Dieu est vu, dйficiente cependant а
reprйsenter la divine essence, comme fait dйfaut lumiиre reзue dans la pupille
de l’oeil, de la clartй qui est dans le soleil, le regard ne pouvant se fixer
sur la clartй du soleil ne le voyant que par son йclairage. 8. Il reste donc que ce par quoi l’intellect crйй voit Dieu par son
essence est son essence mкme Or ce n'est pas l’essence divine qui devient la
forme de l’intellect mais elle y est comme une forme, pour que de mкme que de
la forme qui fait partie d’une chose et de sa matiиre s’effectue un seul кtre
en acte, de mкme bien que diffйremment, de l’essence divine et de l’intellect
crйй se produit une seule chose dans la saisie mкme de sorte que l’essence
divine est saisie en elle-mкme. 8 bis. Comment maintenant une essence sйparйe peut se joindre comme une
forme а l’intellect, voici comment le montre le Commentateur au 3 Livre de
l’вme (comm. 5 et 6): "Chaque fois que deux choses se reзoivent
mutuellement dans un milieu et dont l’une est plus parfaite, le rapport de
celle-ci а la moins parfaite est comme le rapport de la forme а ce qu’elle
perfectionne," comme la lumiиre est perfection de la couleur quand
toutes deux sont reзues dans un milieu diaphane Et comme l’intellect crйй dans
une substance crййe est plus imparfait que la divine essence existant en lui,
cette derniиre se comparera а cet intellect d’une certaine maniиre comme sa
forme. 9. Quelque chose de ce genre peut se rencontrer dans les choses
naturelles. En effet une chose subsistant par soi ne peut кtre forme d’une
matiиre si en elle se trouve quel que chose de la matiиre, comme une pierre qui
ne peut кtre forme d’une matiиre; mais une chose existant par soi et qui n’a
pas de matiиre peut informer une matiиre, comme il en est de l’вme. Et donc
d’une certaine maniиre l’essence divine qui est l’acte pur bien qu’elle soit
l’кtre tout а fait distinct de l’intellect lui devient cependant forme dans la
saisie mкme qui se produit dans l’intellect. Et c’est pourquoi Pierre Lombard
dit que l’union du corps а l’вme rationnelle est un exemple de la bienheureuse
union de l’esprit rationnel avec Dieu (2 Sent. Dist. 2). 10. Ou bien autrement. Selon l’intelligence nous pouvons connaоtre les
choses en gйnйral, ce dont notre pou voir sensoriel n’est pas capable. Si
d’autre part il est connaturel а l’ange de connaоtre les natures immatйrielles,
cela est au-dessus de la facultй naturelle de l’вme humaine en l’йtat de la vie
prйsente par laquelle nous sommes unis а un corps. Quant а connaоtre l’кtre
mкme subsistant cela est connaturel au seul intellect divin. Voir Dieu comme
lui-mкme se connaоt est donc au-dessus de la vertu naturelle d’un кtre crйй
parce qu’aucune crйature n’est son кtre mais possиde un кtre participй. Donc
l’intellect crйй ne peut voir Dieu en son essence que si Dieu par sa grвce se
joint а lui comme se rendant intelligible а l’вme. Or notre intelligence, comme
d’ailleurs celle de l’ange, йtant naturellement йlevйe au-dessus de la matiиre
peut кtre haussйe en quelque sorte au-dessus de sa nature par un effet de la
grвce. 11. Et l’indice de ceci est que la vue ne peut connaоtre abstraitement
ce qu’elle connaоt concrиtement, elle ne peut percevoir une nature uniquement
que comme celle-lа. Mais notre intelligence peut connaоtre abstraitement le
concret. Car bien qu’elle connaisse les choses ayant leur forme dans la matiиre
elle fait cependant le dйpart des deux dans le composй pour ne considйrer que
la forme elle-mкme en soi. Et l’intellect de l’ange semblablement bien qu’il
lui soit connaturel dй connaоtre l’кtre concret en une certaine nature peut
cependant faire le dйpart de l’кtre mкme tandis qu’il connaоt qu’autre il est
lui et autre est son кtre. Et donc puisque l’intellect crйй est а mкme par sa
nature de saisir une forme concrиte et l’кtre concret dans l’abstraction comme
par mйthode d’analyse, il peut par la grвce s’йlever afin de connaоtre une
substance sйparйe subsistante et l’кtre sйparй subsistant (Dieu). 12. Enfin tout ce qui est йlevй а ce qui dйpasse sa nature doit y кtre
disposй par quelque chose qui soit au- dessus de sa nature... Or lorsqu’un
intellect crйй voit Dieu par son essence celle-ci devient forme intelligible de
l’intellect. Il faut donc qu’une disposition surnaturelle lui soit ajoutйe pour
кtre йlevйe а une telle sublimitй. Puis donc que la vertu naturelle de
l’intellect crйй ne suffit pas pour la vision de l’essence divine il faut de
par la grвce divine que lui soit ajoutй le pouvoir de saisir l’essence divine.
C’est cette augmentation du pouvoir intellectif que nous appelons illumination
de l’intellect, comme aussi l’intelligible lui-mкme est appelй lumiиre. Et de
cette lumiиre il est йcrit: "La clartй de Dieu l’illuminera" (Apoc
21, 23) c’est-а-dire la sociйtй des bienheureux voyant Dieu. Et de cette
lumiиre, ils sont faits dйiformes c’est-а-dire semblables а Dieu, selon ce qui
est йcrit "Lorsqu’il apparaоtra nous lui serons semblables et nous le
verrons comme il est" (1 Jean 3, 2). 13.6 Puisque la bйatitude consiste en l’obtention de la fin derniиre,
les choses qui sont requises pour la bйatitude doivent кtre considйrйes а
partir du rapport mкme de l’homme а la fin. Or vers une fin intelligible
l’homme est ordonnй en partie par l’intellect, en partie par la volontй; par
l’intellect en tant que dans celui-ci prйexiste une certaine connaissance
imparfaite de la fin; par la volontй: d’abord par l’amour qui est le premier
mouvement de la volontй vers quelque chose, ensuite par le rapport rйel de
l’amant pour l’aimй. Or ce rapport est triple: parfois en effet l’aimй est
prйsent а l’amant et alors il n’est plus cherchй; parfois il n’est pas prйsent
mais il y a impossibilitй de l’atteindre et alors aussi il n’est plus cherchй;
parfois il y a possibilitй de l’obtenir mais il est au-dessus du pouvoir de
l’amant en sorte qu’il ne peut кtre possйdй tout de suite et ceci est le
rapport de celui qui espиre а ce qu’il espиre et ce seul rapport est cause de la
recherche de la fin. Et а ces trois choses rйpondent certaines dans la
bйatitude mкme. Car la parfaite connaissance rйpond а l’imparfaite; la prйsence
de la fin rйpond au rapport de l’espoir. Mais la dйlectation en la fin dйjа prй
sente est le rйsultat de la dilection (Si l’on objecte que) puisque la vision
correspond а la foi, la dйlectation ou la jouissance а la charitй et que
celle-ci est plus grande que la foi, donc que la dйlectation ou la jouissance
est plus que la vision, (on rйpond que) la charitй, en effet, ne cherche pas le
bien aimй pour la dйlectation mais c’en est une consйquence que de se plaire
dans le bien aimй et possйdй; ce n’est donc pas la dйlectation qui lui rйpond
comme fin mais plutфt la vision de Dieu qui d’abord lui a rendu la fin prйsente
(I-II 4, 2 ad 3). De la mкme maniиre que la chaleur est insйparable du feu
ainsi la dйlectation est insйparable de la bйatitude. En effet elle est causйe
par le repos dans le bien obtenu. Et donc comme la bйatitude n’est rien autre
que l’obtention du bien suprкme il n’est pas possible qu’il y ait bйatitude
sans le plaisir qui l’accompagne (ib. I C). 14. Et donc pour la bйatitude ces trois choses doivent concourir:
c’est-а-dire la vision qui est la connaissance parfaite de la fin intelligible;
la comprйhension qui comporte la prйsence de la fin; la dйlectation, ou
jouissance, qui comporte le repos de la chose aimante dans l’aimй. Ces trois
choses correspondent aux trois vertus thйologales: la vision а la foi, la
comprйhension а l’espйrance, la dйlectation а la charitй (suppl. 95, 5).
1. Voir division au dйbut du chapitre
9. 2. De Ventate 8, 1 c. 3. L’aveugle de Bethsaпde ne
distinguant pas tout de suite rйpond а Jйsus: Je vois des hommes qui marchent semblables
а des arbres. Mc 8, 24. 4. Comme l’exprime le Ps 35. 10:
"En la lumiиre nous verrons la lumiиre." 5. L’eau est diaphane."Est
diaphane ce qui est transparent ou ce qui n’a pas sa propre couleur pour qu’il
puisse кtre vu en lui-mкme mais peut recevoir une couleur externe selon
laquelle il est visible" (2 De anima 14 b et 15 e). 6. I-II 4, 3c. 7. En termes йquivalents, le P.
Pиgne dans sa traduction de la Somme йcrit: La triple maniиre dont l’homme peut
se trouver ordonnй а la fin derniиre qui est la bйatitude est d’abord la
connaissance imparfaite de cette fin, puis la volontй qui aime cette fin et qui
espйrant l’obtenir est en mouvement vers elle. Et alors saint Thomas dit: "а
ces trois modes se trouve quelque chose de correspondant dans la bйatitude mкme".
Car la connaissance parfaite de la fin (vision) correspond а la connaissance
imparfaite. La prйsence de la fin constituйe prйcisйment par le fait de la
vision "correspond au rapport qui йtait dans l’espйrance". Et
la dйlectation de la fin prйsente (par ce mкme acte de la vision) sera la suite
de la dilection (cf. a 2 ad 3).
TROISIИME PARTIE: LA
CHARITЙ
ARTICLE 1: EST-ELLE QUELQUE CHOSE DE CRЙЙ DANS
L'AME ?
1. Tout ce qui est reзu l’est а la mesure de ce qui reзoit. Si donc la
charitй est reзue en nous depuis Dieu il faut qu’elle le soit d’une maniиre
finie, а notre mesure. Or ce qui est fini est crйй. La charitй est donc en nous
quelque chose de crйй. 2. Certains ont posй qu’en nous la charitй par laquelle nous aimons
Dieu et le prochain n’est autre que l’Esprit Saint comme il ressort de Pierre
Lombard au premier livre des sentences dist. 17 I lib. Pour en avoir une idйe
plus complиte il faut savoir que l’acte de dilection pour Dieu et le prochain,
selon Pierre Lombard, est quelque chose de crйй en nous comme aussi les actes
des autres vertus; mais il posait la diffйrence entre l’acte de charitй et ceux
des autres vertus en ce que l’Esprit Saint, pour ce qui est des actes des
autres vertus, meut l’вme par l’intermйdiaire de certains habitus qu’on appelle
vertus mais il meut а l’acte de dilection immйdiatement par lui-mкme sans aucun
habitus. Et il y est amenй а cause de l’excellence de la charitй et de
l’autoritй de saint Augustin. Or il eut йtй ridicule de dire que l’acte mкme de
dilection que, nous expйrimentons tandis que nous aimons Dieu et le prochain
soit l’Esprit Saint. Mais cette opinion ne peut absolument pas tenir. De mкme
en effet que les actions naturelles et les mouvements procиdent de quelque principe
interne qui est la nature, ainsi aussi les actions volontaires doivent procйder
d’un principe intйrieur. Car de mкme que l’inclination naturelle dans les
choses naturelles se nomme appйtit naturel ainsi dans les choses rationnelles
l’inclination qui suit l’apprйhension de l’intellect est l’acte de la volontй. 3. Il est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par
un agent extйrieur non par un principe intйrieur par exemple quand une pierre
est projetйe vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou action ne procйdant pas
d’un principe intйrieur soit naturel c’est tout а fait impossible parce qu’en
soi il implique une contradiction. D’oщ comme il n’est pas dans la puissance
divine que les contradictoires soient йgalement vrais, Dieu ne peut faire que
le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient pas d’un principe interne,
soit naturel. Il peut donner а la pierre un pouvoir par lequel comme par un
principe externe elle s’йlиve naturellement mais non que ce mouvement lui soit
naturel s’il n’est pas donnй par la nature. Et de mкme il ne peut pas se faire
divinement qu’un mouvement de l’homme, ou interne ou externe, venant d’un
principe externe, puisse кtre volontaire; d’oщ tous les actes de la volontй se
ramиnent comme en leur premiиre racine а ce que l’homme veut naturellement et
qui est la fin derniиre. Les choses qui sont pour la fin nous les voulons а
cause de la fin. 4. Donc un acte qui excиde toute la facultй de la nature humaine ne
peut кtre volontaire pour l’homme que si est surajoutй а la nature humaine
quelque chose d’intrinsиque qui parfait la volontй pour qu’un tel acte
provienne d’un principe interne. Si donc l’acte de charitй dans l’homme ne
procиde pas d’un principe interne surajoutй а la puissance naturelle mais par
la motion de l’Esprit Saint il s’en suit de deux choses l’une ou que l’acte de
charitй n’est pas volontaire, ce qui est impossible parce que cela mкme qui est
d’aimer est un vouloir; ou bien qu’il n’excиde pas la facultй de la nature et
cela est hйrйtique. 5. Ceci йtant йcartй il s’en suivra d’abord que l’acte de charitй est
volontaire. Ensuite si l’on admet que l’acte de la volontй puisse кtre
totalement de l’extйrieur, comme l’est l’acte de la main ou du pied, il s’en
suivra aussi, si l’acte de charitй est seulement а partir d’un principe
extйrieur qui meut, qu’il n’est pas mйritoire. En effet tout agent qui n’agit
pas selon sa forme propre mais seulement selon qu’il est mы par un autre est
agent instrumental seulement comme la hache que meut l’artisan. 6. Ainsi donc, si l’вme n’agit pas l’acte de charitй par une forme
propre mais selon qu’elle est mue par un agent extйrieur, c’est-а-dire l’Esprit
Saint, il s’en suivra qu’elle ne sera qu’un instrument. Il n’est donc pas dans
l’homme de faire cet acte ou de ne le faire pas et ainsi il ne pourra кtre
mйritoire. Cela en effet est seulement mйritoire qui est en quelque maniиre en
nous; et ainsi est enlevй totalement le mйrite humain puisque la dilection est
la racine du mйrite. Enfin l’inconvйnient est que l’homme qui a la charitй ne
soit pas prompt а l’acte de charitй ni ne le pose avec plaisir. En effet les actes
des vertus nous sont dйlectables en ce que l’habitus nous les rend conformes et
que nous y sommes inclinйs naturellement. Et cependant l’acte de charitй est
des plus dйlectables et des plus prompts pour celui qui a la charitй et par
elle tout ce que nous faisons ou souffrons nous devient dйlectable. Il reste
donc qu’il faut que soit en nous un habitus de charitй crйй qui soit principe
formel de l’acte de dilection. 7. Par-lа il n’est cependant pas exclu que l’Esprit Saint qui est la
charitй incrййe ne soit dans l’homme qui a la charitй crййe, amenant l’homme а l’acte
de dilection de mкme que Dieu meut toutes les choses а leurs actes aux quels
cependant elles sont enclines de par leurs propres formes. Et de lа vient qu’il
dispose tout suavement par ce qu’il donne а toutes, les formes et les vertus
qui les inclinent а ce а quoi il meut pour qu’elles y tendent non for cйment
mais spontanйment. 1.
5 Trin. 17 "Nous ne dirons pas que la charitй est dite Dieu non pas а
cause que la charitй est la substance qui est digne de Dieu, mais parce qu’elle
est le don de Dieu, comme on dit de lui “Tu es ma patience” parce qu’elle est
en nous par lin. Or on ne dit pas “Seigneur tu es ma charitй, mais Dieu est
charitй” comme on dit: “Dieu est esprit”." ARTICLE 2: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE VERTU?
1. Les prйceptes de la loi ont trait а des actes de vertu. Mais l’acte
de charitй est ordonnй dans la loi; dans Mt 22, 37, il est dit qu’il est le
premier et le plus grand des commandements: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu.
Donc la charitй est une vertu. 2. A cela il n’y a aucun doute. En effet comme la vertu fait bon celui
qui l’a et rend son oeuvre bonne, il est manifeste que c’est par une vertu
appropriйe que l’homme est ordonnй а son propre bien. Or le propre bien de
l’homme doit кtre entendu diversement selon que l’homme s’entend de diverses
maniиres. Car le propre bien de l’homme comme tel est le bien de la raison, du
fait que l’кtre de l’homme est d’кtre rationnel. Le bien de l’homme selon qu’il
est artisan est le bien de son art; et ainsi aussi selon qu’il est politique
son bien est le bien commun de la citй. Puis donc que la vertu opиre pour le
bien il est requis quant а la vertu de chacun d’кtre ainsi qu’il opиre bien en
vue du bien c’est-а-dire volontiers et promptement et joyeusement et aussi avec
fermetй. Ce sont en effet lа les conditions de l’action vertueuse qui ne
peuvent s’accorder а quelqu’action que si l’acteur aime le bien pour lequel il
agit parce que l’amour est le principe de toutes les affections volontaires. En
effet ce qu’on aime on le dйsire quand on ne l’a pas et il apporte la joie
quand on l’a et ce qui empкche la possession de ce qu’on aime est cause de
tristesse. Aussi ces choses qu’on fait par amour se font avec fermetй,
promptitude et joie. 3. Pour la vertu donc est requis l’amour du bien pour quoi la vertu
agit. Or le bien pour quoi la vertu agit et qui est humaine est connaturel а
l’homme; donc l’amour de ce bien existe naturellement dans sa volontй et c’est
le bien de la raison. Mais si nous prenons la vertu de l’homme selon une autre
considйration non naturelle а l’homme il faudra pour cette vertu que l’amour de
ce bien auquel cette vertu est ordonnйe soit quelque chose de surajoutй а la
volontй naturelle. En effet l’artisan n’opиre bien que si lui survient l’amour
du bien qu’il poursuit par l’action de son art. D’oщ Aristote dit que pour кtre
un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la citй. Si donc l’homme
en tant qu’il est admis а prendre part au bien d’une citй, est fait citoyen de
cette citй, des vertus lui incombent pour accomplir ce qui est du citoyen et
pour aimer -le bien de la citй. Ainsi lorsque l’homme par la grвce divine est
admis а participer а la bйatitude cйleste qui consiste en la vision et en la
jouissance de Dieu il devient comme le citoyen et le compagnon de cette
bienheureuse sociйtй qui est appelйe la Jйrusalem cйleste selon ce qui est
йcrit aux Ephйsiens 2, 19: "Vous кtes les citoyens des saints faisant
partie de la maison de Dieu." 4. D’oщ а l’Homme inscrit de la sorte pour les choses cйlestes lui
sont propres des vertus gratuites qui sont des vertus infuses; pour bien s’en
acquitter est prй exigй l’amour du bien commun а toute la sociйtй, qui est le
bien divin d’aprиs qu’il est l’objet de la bйatitude. 5. Or aimer le bien d’une citй se rйalise en deux choses: d’une part
pour qu’il soit, d’autre part qu’il se con serve. Aimer le bien de la citй pour
qu’il soit et pour le possйder ne fait pas le bien politique parce qu’ainsi
aussi le tyran aime le bien de la citй pour y dominer; ce qui est s’aimer
soi-mкme plus que la citй; c’est pour soi en effet qu’il convoite ce bien et
non celui de la Citй. Mais aimer le bien de la citй pour le conserver et le
dйfendre c’est lа vraiment aimer la citй; ce que fait le bon politique jusqu’а savoir
s’exposer aux pйrils de la mort et nйgliger son bien privй pour le conserver et
l’amplifie. Ainsi donc aimer le bien auquel les bienheureux participent pour
l’avoir et le possйder ne fait pas l’homme bien disposй pour la bйatitude parce
que les mйchants aussi convoitent ce bien; mais l’aimer selon ce qu’il est,
pour qu’il demeure et soit rйpandu, et pour que rien ne soit fait contre lui
c’est ce qui fait l’homme bien disposй pour cette sociйtй des bienheureux. Et
telle est la charitй qui aime Dieu en soi et les prochains, qui sont capables
de la bйatitude, pour eux-mкmes; et elle rйpugne а tous les obstacles et en
soi-mкme et dans les autres. D’oщ elle ne peut jamais exister avec le pйchй
mortel qui est l’obstacle а la bйatitude. Ainsi donc la charitй est non seulement une vertu mais la plus
grande des vertus. 1. Saint Thomas entendra d’abord par
naturel l’homme comme tel: sera non naturel ce qui de quelque maniиre s’ajoute
а l’homme: l’artisan, le citoyen; pour en venir ensuite а ce qui s’ajoute Comme
кtre surnaturel. ARTICLE 3: LA CHARITЙ EST-ELLE FORME DES VERTUS?
1. Elle est la forme et la mиre des vertus. Elle en est en plus le
moteur et la racine. Pour en avoir l’йvidence il faut juger des habitus selon leurs actes;
d’oщ lorsque ce qui est d’un habitus est comme formel dans l’acte d’un autre
habitus, qu’il soit а l’autre habitus comme sa forme. Or dans tous les actes
volontaires ce qui est du cфtй de la fin est formel; la rai son en est que tout
acte reзoit sa forme et son espиce selon la forme de l’agent, comme le fait de
chauffer vient de la chaleur. 2. Or la forme de la volontй est son objet qui est le bien et la fin,
comme l’intelligible est forme de l’intellect. D’oщ il faut que ce qui est de
la fin soit formel dans l’acte de la volontй. D’oщ ce qui est mкme acte
spйcifiquement selon qu’il est ordonnй а une telle fin tombe sous la forme
vertu; et selon qu’il est ordonnй а une autre fin tombe sous la forme vice,
comme il ressort de celui qui fait l’aumфne ou pour Dieu ou par vaine gloire. L’acte
d’un vice selon qu’il est ordonnй а la fin d’un autre vice endosse sa forme;
par exemple celui qui vole pour forniquer est formellement intempйrant et
matйriellement voleur. 3. Or il est manifeste que les actes de toutes les autres vertus sont
ordonnйs а la fin propre de la charitй qui est son objet c’est-а-dire le bien
suprкme. Et des vertus morales cela est manifeste; car ces vertus ont trait а
des biens crййs qui sont ordonnйs au bien incrйй comme а leur fin derniиre.
Mais des autres vertus thйologales la mкme chose est manifeste; car l’кtre
incrйй est l’objet de la foi comme vrai et en tant qu’il est dйsirable il a
raison de bien. Et ainsi la foi tend vers lui en tant que dйsirable puisque
personne ne croit que s’il veut l’objet de l’espйrance, bien qu’il soit l’кtre
incrйй en tant qu’il est bon, cela dйpend cependant de l’objet de la charitй;
en effet le bien est objet d’espйrance en tant que dйsirable et obtenable;
personne en effet ne dйsire obtenir quelque bien que parce qu’il l’aime. 4. D’oщ il est manifeste que dans les actes de toutes les vertus est
formel ce qui est de la part de la charitй et pour autant elle est dite la
forme de toutes les vertus c’est-а-dire que tous les actes de toutes les vertus
sont ordonnйs vers le bien suprкme aimй, comme on l’a mon rй. Et parce que les
prйceptes de la loi ont trait aux actes des vertus de lа vient ce que dit
l’Apфtre 1 Tim 1, 5: "La fin du prйcepte est la charitй." 5. Et de lа aussi il apparaоt comment la charitй est le moteur de
toutes les vertus en tant qu’elle en suscite les actes. En effet toute vertu ou
puissance supйrieure est dite mouvoir par commandement une puissance infйrieure
du fait que les actes de celle-ci sont ordonnйes а la fin de celle-lа; comme le
bвtisseur commande au maзon parce que l’art du maзon est pour la forme de la
maison qui est le but du bвtisseur. D’oщ comme toutes les autres vertus sont
ordonnйes la fin de la charitй celle-ci commande les actes de toutes les vertus
et de lа elle est dite leur moteur. 6. Et parce qu’une mиre reзoit et conзoit, ainsi la charitй est dite
mиre de toutes les vertus, en tant qu’ayant conзu sa fin elle produit les actes
de ces vertus; et pour la mкme raison elle est la racine des vertus. 1. La forme en philosophie est la nature
d’une chose, ce qui fait ce qu’elle est. D’oщ dans le langage courant la forme
est ce qui traduit а l’extйrieur ce qu’une chose est: je reconnais une chose а
sa forme. 2. La nature (forme) de la chaleur est
pour chauffer, comme le fait de vкtir explique le vкtement, sa forme est pour
revкtir un corps; au fond ce qui est formel vient de la fin: celle-ci explique,
fait connaоtre la nature (forme) d’une chose et l’action de l’agent (cf. a 7 ad
17 fin). ARTICLE 4: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE UNIQUE VERTU?
1. Rien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet la charitй est une;
car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve, en l’autre, elles sont
une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement. C’est
donc la mкme charitй par laquelle nous aimons Dieu et le prochain. De plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais
la charitй est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une. 2. L’unitй de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du
cфtй de son objet; et cela parce que ce qui fait une puissance c’est sa
relation avec ce qui est possible, est l’objet. Et ainsi la raison et l’espиce
de la puissance a son sens dans l’objet et semblablement pour un habitus qui
n’est rien autre qu’une disposition d’une puissance complйtйe par son objet. 3. Or dans un objet on considиre quelque chose de formel et quelque
chose de matйriel. Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte
а la puissance ou habitus; matйriel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme
exemple l’objet de la puissance visuelle: l’objet formel est la couleur ou
quelque chose de semblable, en tant en effet que quelque chose est colorй il
est visible; mais ce qui est matйriel c’est le corps qui a la couleur. 4. D’oщ il ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte а la
raison formelle de l’objet, par soi, а ce qui est matйriel dans l’objet, par
accident. Et ce qui est par accident ne varie pas la chose mais seulement ce
qui y est par soi. Donc la diversitй matйrielle de l’objet ne diversifie pas la
puissance ou l’habitus mais la diversitй formelle. Une est en effet la
puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes et le
ciel parce que cette diversitй est matйrielle et non selon la raison formelle
du visible. Mais le goыt diffиre de l’odorat selon la diffйrence qu’il y a dans
la saveur et dans l’odeur qui: sont des sensibles en soi. 5. Et cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charitй. Il
est йvident en effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux maniиres: ou en
raison de lui-mкme ou d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-mкme
quand nous l’aimons en raison de son propre bien d’aprиs qu’il est en soi
honnкte, ou pour nous dйsirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison d’un
autre parce qu’il tient а un autre que nous aimons De ce qu’en effet nous
aimons quelqu’un en lui-mкme nous aime tous ses familiers, ses consanguins et
ses amis en tant qu’ils tiennent а lui. Cependant en tous ceux-lа il n'y a
qu’une seule raison de dilection c’est son propre bien que nous aimons en
raison de lui-mкme et en quelque sorte nous l’aimons en tous les autres. 6. Il faut donc dire que la charitй aime Dieu en raison de lui-mкme et
les autres en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnйs а Dieu; d’oщ en
quelque sorte elle aime Dieu dans tous ses proches; ainsi en effet nous aimons
le prochain par charitй parce qu’en lui est Dieu ou pour que Dieu soit en lui.
D’oщ il est йvident que c’est le mкme habitus de charitй par lequel nous aimons
Dieu et le prochain. 7. Mais si nous aimions le prochain en raison de lui- mкme et non en
raison de Dieu cela ressortirait а une autre dilection par exemple une
dilection politique ou naturelle ou а quelqu’autre qu’Aristote touche au chapitre
8 du 8 Livre des Ethiques. ARTICLE 5: LA CHARITЙ EST-ELLE UNE VERTU
SPЙCIALE DISTINCTE DES AUTRES?
1. L’Apфtre la distingue d’avec d’autres vertus: "Maintenant
demeurent la foi, l’espйrance et la charitй, ces trois choses" (1 Cor
13, 13). La charitй est une vertu distincte des autres vertus pour en avoir
l’йvidence considйrons que toutes les fois qu’un acte dйpend de plusieurs
principes qui ont un ordre entre eux il est requis pour la perfection de cet
acte que chacun de ces principes soit parfait. Si en effet l’imperfection se
trouve dans le premier ou dans le moyen ou dans le dernier l’acte est
imparfait, comme quand l’artisan n’est pas capable ou l’instrument dйfectueux,
l’oeuvre en est imparfaite. 2. Et cela peut aussi entrer en considйration pour les puissances
mкmes de l’вme. En effet si droite est la raison qui meut les puissances
infйrieures, et que le concupiscible est indisposй, on opйrera selon la raison
mais l’action sera imparfaite parce qu’il y aura un obstacle, indisposйe
qu’elle est par le concupiscible qui l’entraоne vers l’opposй, comme il
apparaоt chez le continent; et donc en pour qu’on soit bon dans le
concupiscible qu’on soit tempйrant afin d’agir promptement et sans empкchement. 3. Et de mкme qu’il en est pour les diverses puissances oщ l’une meut
l’autre, la mкme considйration doit кtre faite pour les divers objets dont l’un
est ordonnй а un autre comme а sa fin. En effet une et mкme puissance selon
qu’elle est une fin meut, en ce qui est pour la fin, non seulement l’autre
puissance mais elle-mкme. Et donc pour une action droite doit-on кtre bien disposй
non seulement pour la fin mais aussi pour ce qui est а la fin autrement suit
une action dйfectueuse; comme il en est de celui qui veut la santй mais ne
prend pas les remиdes nйcessaires. 4. Et ainsi il est manifeste que puisque la charitй dispose correctement
aux choses qui sont pour la fin derniиre ainsi faut-il d’autres vertus qui
disposent correctement а la fin. La charitй est donc autre que celles qui sont
pour la fin, bien qu’elle soit plus principale et constructrice par rapport aux
autres qui sont ordonnйes а ces choses qui sont pour la fin; comme par exemple
la mйdecine par rapport а la pharmacie et l’art militaire par rap port а la
cavalerie. Etant vertu spйciale distincte des autres vertus elle est la
principale et meut les autres. ARTICLE 6: LA CHARITЙ PEUT-ELLE EXISTER AVEC LE
PЙCHЙ MORTEL?
1. Au Livre de la Sagesse (1, 5) on lit: "L’Esprit Saint qui
nous йduque fuit la duplicitй et il s’йcarte des pensйes qui sont sans
intelligence et il sera rejetй par l’iniquitй qui survient." Mais l’Esprit
Saint est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charitй; car il habite en
nous par la charitй. Donc l’iniquitй qui survient rejette la charitй et ainsi
elle ne peut кtre en mкme temps que le pйchй mortel. 2. De plus, quiconque a la charitй est digne de la vie йternelle,
selon ce que dit l’Apфtre а Timothйe II 4, 8: "Il ne me reste plus qu’а
recevoir la couronne de gloire qui m’est rйservйe; le Seigneur le juste juge me
la donnera en ce jour-lа, non seulement а moi mais а tous ceux qui auront aimй
son avиnement." Or quiconque pиche mortellement est digne de la peine
йternelle: Rom 6, 23: "Le salaire du pйchй est la mort." Mais
on ne peut кtre en mкme temps digne de la vie йternelle et de la peine
йternelle. Donc la charitй ne peut pas кtre en mкme temps que le pйchй mortel. 3. Il faut d’abord considйrer que le pйchй mortel est directement
opposй а la charitй. Quiconque en effet met en avant une chose de prйfйrence а
une autre, celle qu’il met en avant il l’aime davantage: sa propre vie et son
existence que la voluptй; quelle que grande que soit celle-ci, il s’en
abstiendra s’il l’estime кtre infailliblement dommageable а sa vie. A cause de
cela saint Augustin dit au L. 83 des Questions: "La crainte de
la douleur est plus grande que le dйsir de la voluptй puisque nous voyons les
animaux les plus sauvages s’abstenir des plus grandes voluptйs par crainte de
la douleur." 4. On pиche mortellement en ce qu’on choisit plutфt une chose que de
vivre selon Dieu et de lui adhйrer. Il est donc йvident que quiconque pиche
mortellement du fait mкme qu’il aime un autre bien que Dieu. Si en effet il
aimait Dieu davantage il mettrait en avant de vivre selon Dieu plutфt que de
possйder quelqu’avantage temporel. Or il est dans la nature de la charitй que
l’on aime Dieu au-dessus de tout, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut;
d’oщ tout pйchй mortel va а l’encontre de la charitй. 5. En effet la charitй est rйpandue par Dieu en l’homme. Or ce que
Dieu cause par-lа, non seulement a besoin de l’action divine dans son principe
pour commencer а кtre, mais en toute sa durйe pour sa conservation, tout comme
l’illumination de l’air a besoin de la prйsence du soleil non seulement lorsque
l’air vient d’кtre йclairй mais aussi longtemps qu’il demeure йclairй. Et voilа
pour quoi si un obstacle s’interpose interceptant l’action directe du soleil la
lumiиre cesse dans l’air; et semblablement quand le pйchй mortel advient qui
empкche le regard direct de l’вme vers Dieu, par cela qu’elle prйfиre autre
chose а Dieu, l’influx de la charitй est interrompu et la charitй cesse
d’exister en l’homme selon ce que dit Isaпe "Nos pйchйs nous ont divisйs entre nous et notre Dieu"
(69, 2). Mais lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter ses
regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne se fait pas sans la
grвce) il revient de nouveau а l’йtat de charitй. ARTICLE 7: LA NATURE RATIONNELLE PEUT-ELLE КTRE
AIMЙE PAR CHARITЙ?
1. Au Lйvitique (18, 18) on dit: "Tu aimeras ton prochain
comme toi-mкme" et la Glose dit: "Prochain non seulement par
la proximitй du sang mais par la sociйtй de la raison ". Donc selon
que quelque chose est en sociйtй avec nous par la nature raisonnable ainsi
est-il diligible par charitй. La nature raisonnable est donc objet de charitй. 2. Lorsqu’on s’informe de ces choses qui sont soumises а une puissance
ou habitus il faut considйrer la raison formelle d’objet de cette puissance ou
habitus. En effet selon que certaines choses ont rapport а cette raison ainsi
sont-elles soumises а cette puissance ou habitus; de mкme que les choses
visibles selon qu’elles se rapportent а la nature visuelle, selon cette mкme
raison sont visibles en soi ou accidentellement. Or comme l’objet de l’amour
pris en gйnйral est le bien pris communйment il est nйcessaire que de chaque
amour spйcial il y ait un objet bon spйcial: comme de l’amitiй naturelle qui va
aux consanguins son objet propre est le bien naturel selon qu’il est tirй des
parents; dans l’amitiй politique l’objet est le bien de la citй. D’oщ la
charitй a un certain bien spйcial comme son propre objet, c’est-а-dire le bien
de la bйatitude divine, comme on l’a vu а l’art. 4. Selon donc que certaines choses ont un rapport а ce bien ainsi
sont-elles diligibles par charitй. 3. Puisqu’aimer est vouloir du bien а quelqu’un, une chose peut кtre
aimйe doublement: ou bien comme ce а quoi nous voulons du bien ou comme le bien
que nous lui voulons. De la premiиre maniиre ces choses-lа seules peu vent кtre
aimйes auxquelles nous pouvons vouloir le bien de la bйatitude йternelle et qui
sont а mкme d’avoir ce bonheur. D’oщ comme la seule nature intellectuelle est а
mкme d’avoir la bйatitude йternelle, elle seule doit кtre aimйe par charitй
comme on aime ces choses auxquelles nous voulons du bien. Selon que certaines choses peuvent avoir diversement la bйatitude
йternelle, saint Augustin en distingue quatre qu’on doit aimer par charitй[24]’.
Il y a en effet ce qui a la bйatitude йternelle par essence et c’est Dieu; et
ce qui l’a par participation et c’est la nature rationnelle tant celle qui aime
que celles qui peuvent lui кtre associйes dans la participation а la bйatitude.
Enfin il y a ce а quoi revient la bйatitude par une sorte de retombйe comme
notre corps qui est glorifiй par retombйe de la grвce depuis l’вme jusqu’а lui.
D’oщ, Dieu doit кtre aimй par charitй comme racine de la bйatitude; tout homme
doit s’aimer par charitй afin de participer а la bйatitude; le prochain comme
compagnon dans cette participation; notre propre corps qui est glorifiй selon
que retombe sur lui la bйatitude. 4. D’aprиs les biens que nous voulons aux autres, tous les biens
peuvent кtre aimйs en tant qu’ils sont les biens de ceux qui peuvent avoir la
bйatitude. Toutes les crйatures en effet sont pour l’homme une voie vers la
bйatitude et de plus toutes sont ordonnйes а la gloire de Dieu en tant qu’en
elles se manifeste la divine bontй. Maintenant donc nous pouvons tout aimer par
charitй en l’ordonnant cependant а ces choses qui ont la bйatitude ou peuvent
l’avoir. 5. Les dilections sont entre elles comme aussi les biens qui sont
leurs objets. D’oщ comme tous les biens humains sont ordonnйs а la bйatitude
йternelle comme en la fin derniиre, la dilection de charitй comprend sous elle
toutes les dilections humaines а l’exception de celles qui se fon dent sur le
pйchй lequel n’est pas destinй а la bйatitude. D’oщ si des consanguins s’aiment
mutuellement ou certains concitoyens, ou ceux qui voyagent ensemble ou tous
autres que ce soit, cela peut avoir du mйrite aussi par charitй; mais que
d’aucuns s’aiment pour leur communication dans la rapine ou l’adultиre cela ne
peut кtre mйritoire ni par charitй.
ARTICLE 8: L’AMOUR DES ENNEMIS EST-IL DE LA
PERFECTION DE CONSEIL?
1. Saint Augustin dans 1’Enchiridion chapitre 73 dit: "Il
est de la perfection des fils de Dieu d’aimer leurs ennemis: en cela chacun
doit se montrer fidиle." 2. Aimer ses ennemis, d’une certaine maniиre tombe sous la nйcessitй
de prйcepte et d’une certaine maniиre sous la perfection de conseil. Il faut en
effet remarquer comme on l’a vu а l’art. 4 que l’objet propre et par soi de la
charitй est Dieu; et tout ce qu’on aime par charitй est aimй en raison de son
appartenance а Dieu, comme lorsque nous aimons quelqu’un nous aimons par
consйquent tous ceux qui lui sont attenants mкme s’ils sont nos ennemis. Or il
est constant que tous les hommes appartiennent а Dieu en tant qu’il les a crййs
et sont capables de la bйatitude qui consiste en sa jouissance. Il est donc
manifeste que ce motif de dilection que considиre la charitй se trouve chez
tous les hommes. 3. Ainsi donc chez celui qui exerce son inimitiй contre nous
trouve-t-on deux choses: l’une qui est la raison de la dilection c’est-а-dire
son appartenance а Dieu et l’autre qui est la raison de la haine c’est-а-dire
qu’il est notre adversaire. Or partout oщ se rencontrent ces deux choses la
dilection et la haine si, passant outre а la dilection nous nous tournons vers
la haine il est manifeste que ce qui est raison de haine a le dessus en notre
coeur sur ce qui est raison de dilection. Si donc quelqu’un hait son ennemi
l’inimitiй qu’il a pour lui a le dessus sur l’amitiй divine. Il hait donc
l’amitiй de celui-lа plus que d’aimer Dieu. Or nous haпssons quelque chose dans
la mesure oщ nous aimons le bien que l’ennemi nous soustrait. Il reste donc que
quiconque hait son ennemi aime un certain bien crйй plutфt que Dieu; ce qui est
contraire au prйcepte de la charitй. Donc haпr son ennemi est contraire а la
charitй; d’oщ il est nйcessaire que si le prйcepte de la charitй nous oblige а
ce que la dilection de Dieu l’emporte en nous sur la dilection de n’importe
quelle chose et par con sйquent sur la haine de son contraire il s’en suit donc
que de nйcessitй de prйcepte nous sommes tenus d’aimer les ennemis. 4. Mais il faut remarquer que quand nous sommes tenus d’aimer le prochain
le prйcepte ne s’йtend pas а ce que nous aimions actuellement tout prochain en
particulier ou que nous fassions le bien а chacun d’une faзon spйciale; car
personne n’arriverait а penser а tous les hommes de sorte qu’on aimerait
spйcialement chacun actuellement; ni aussi on n’arriverait pas а faire le bien
ou а servir chacun en particulier. 5. Nous sommes cependant tenus en particulier d’aimer certains et de
leur кtre utile qui nous sont conjoints par quelqu’autre raison d’amitiй, car
toutes les autres dilections permises sont comprises dans la charitй, comme on
l’a vu plus haut; d’oщ ce que dit saint Augustin: "Comme tu ne peux
кtre utile а tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui selon les lieux et les
temps ou toutes autres opportunitйs des choses te sont plus йtroitement unis
par le sort; par sort en effet il faut entendre quiconque t’est liй
temporellement et qui adhиre а toi, ce qui fait que tu choisis de
l’avantager" (Doctr. chrйt.). 6. D’oщ il ressort qu’en vertu du prйcepte de la charitй nous ne
sommes pas tenus d’кtre poussйs par affection de dilection ou effectivement en
particulier pour celui qui ne nous est uni par aucun autre lien si ce n’est
peut-кtre selon le temps ou le lieu, parce que nous le Voyons en quelque
nйcessitй d’oщ il ne pourrait кtre secouru sans nous[25].
Nous sommes tenus cependant par affection et effet de charitй par quoi nous
aimons tous les prochains et prions pour tous, de ne pas exclure mкme ceux-lа
qui ne nous sont unis par aucun lien spйcial comme par exemple ceux qui
habitent les Indes ou l’Ethiopie. 7. Puisque aussi nulle autre union avec notre ennemi ne reste que
l’union de la charitй nous serions tenus de nйcessitй de prйcepte de les aimer
en gйnйral, effectivement et affectueusement et en particulier dans un cas de
nйcessitй imminent. Mais que l’homme tйmoigne une spйciale affection et une
effective dilection qu’il a pour ceux qui lui sont unis, aussi pour ses ennemis
а cause de Dieu, c’est de la perfection de la charitй et tombe sous le conseil.
En effet de la perfection de la charitй procиde que la seule charitй pousse
ainsi vers l’ennemi comme pousse vers l’ami la charitй et une dilection
spйciale. Or il est manifeste que de la perfection d’une vertu active procиde
que l’action de l’agent s’йtende а ce qui est loin. Plus parfaite en effet est
la vertu du feu par laquelle non seulement il rйchauffe ce qui est prиs mais ce
qui est loin, ainsi est plus parfaite la charitй par laquelle on est poussй non
seulement vers ceux qui nous sont proches mais aussi vers les йtrangers et plus
loin vers nos ennemis, non seulement en gйnйral mais aussi en particulier en
les aimant et en leur faisant du bien.
ARTICLE 9: Y A-T-IL UN CERTAIN ORDRE DANS LA
CHARITЙ?
1. Au Cantique des cantiques il est dit: "Le roi m’a introduit
dans la cave а vin, il a disposй en moi la charitй" (2, 4). Selon
toute sentence et autoritй de l’Ecriture il faut tenir de faзon indubitable
pour cet ordre de la charitй que Dieu soit aimй par-dessus tout en affection et
en fait. Mais en ce qui regarde la dilection des prochains il y eut une opinion
que l’ordre de la charitй se prenne selon le fait et non selon l’affection; on
y fut poussй par ce que dit saint Augustin au L. I de la Doctrine chrйtienne chapitre
28, que tous les hommes doivent кtre aimйs йgalement "mais comme tu ne
peux кtre utile а tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui selon les temps
et les lieux ou toutes autres opportunitйs te sont plus йtroitement unis comme
par un certain sort". 2. Mais cette position ne semble pas rationnelle. En effet Dieu
pourvoit а chacun selon que le veut sa condition: d’oщ а ces choses qui tendent
а la fin naturelle leur sont imprimйs l’amour et l’appйtit de la fin selon que
l’exige leur condition pour tendre а la fin; d’oщ celles dont le mouvement est
plus vйhйment selon la nature vers une fin donnйe, plus grande aussi est
l’inclination vers elle; mais on a alors l’appйtit naturel, comme il est clair
dans les choses lourdes et lйgиres. De mкme en est-il dans la dilection de
charitй qui est une inclination rйpandue dans la nature rationnelle afin de
tendre vers Dieu. Selon donc qu’il est nйcessaire а quelqu’un de tendre vers
Dieu d’aprиs cela y est-il inclinй par charitй. 3. Or а ceux-lа qui tendront vers Dieu comme а leur fin ce qui leur
est le plus nйcessaire avant tout est le secours divin; deuxiиmement ce qui
vient de soi; enfin la coopйration qui vient du prochain: et en cela il y a
gradation. Car certains coopиrent seulement en gйnйral; d’autres qui sont plus
proches, en particulier; tous en effet ne peuvent coopйrer pour tous dans les
choses particuliиres. Ce qui nous vient en aide aussi comme instrument c’est le
corps et йgalement ce qui est nйcessaire au corps. 4. D’oщ il faut que l’affection de l’homme soit ainsi ordonnйe par la
charitй que d’abord et principalement il aime Dieu; ensuite soi-mкme; enfin le
prochain et parmi les prochains davantage ceux qui sont plus proches et plus а
mкme de nous aider. Pour ceux qui sont un obstacle en tant que tels on doit les
avoir en aversion quels qu’ils soient; d’oщ ce que dit le Seigneur en Luc 14,
26: "Si quelqu’un vient а moi et n’a pas son pиre ou sa mиre en
aversion... il ne peut кtre mon disciple." Notre corps enfin lui aussi
doit кtre aimй. Ainsi йgalement selon l’ordre d’affection devons-nous exercer
la charitй dans nos actes. 5. Mais comme on l’a vu plus haut aux Articles 7 et 8, il y a encore
d’autres dilections licites et honnкtes qui viennent d’autres causes et qui
peuvent кtre ordonnйes а la charitй; et ainsi la charitй peut commander les
actes de ces dilections; et ainsi ce qui est plus aimй selon une d’elles, l’est
davantage sur ordre de la charitй. Or il est manifeste que selon la dilection
naturelle on doit aimer davantage les proches aussi selon l’affection, et selon
la dilection sociale davantage les associйs et ainsi des autres dilections. D’oщ il est manifeste que mкme selon l’affection, l’un des prochains
doit кtre aimй plus qu’un autre et en tant que vertu qui commande les actes des
autres amitiйs licites. ARTICLE 10: LA CHARITЙ PEUT-ELLE КTRE PARFAITE
EN CETTE VIE?
1. Puisque tout pйchй rйpugne а la charitй, la perfection de la
charitй requiert que l’homme soit absolument sans pйchй. Mais cela est
impossible en cette vie selon ce que dit I Jean 1, 8: "Si nous disons
que nous n’avons pas de pйchй nous nous trompons nous-mкmes." Rien n’est aimй s’il n’est connu. Mais en cette vie Dieu ne peut
кtre parfaitement connu selon 1 Cor 13, 9: "Maintenant nous connaissons
partiellement." Donc aussi il ne peut кtre parfaitement aimй. Ce qui peut toujours progresser n’est pas parfait. Mais la charitй
en cette vie peut toujours progresser comme il est dit au sermon sur la
Montagne (Mt 5, 48)[26].
Donc la charitй en cette vie ne peut pas toujours кtre parfaite en cette vie. La charitй parfaite met dehors la crainte: (1 Jean 4, 18). Mais en
cette vie l’homme ne peut pas кtre sans crainte. 2. Il y a trois sortes de perfections: ce qui l’est simplement; ce qui
est parfait selon sa nature; ce qui est par fait selon le temps. Est parfait
simplement ce qui en tous points est parfait et а quoi rien ne manque. Est
parfait naturellement ce а quoi rien ne manque de ce qui est dы а cette nature,
comme est parfaite l’intelligence de l’homme non qu’il possиde la connaissance
de tous les intelligibles mais parce que rien ne manque de ce qui le rend а
mкme de comprendre. Est parfait selon le temps quand rien ne manque de ce qu’on
est а mкme d’avoir selon le temps, comme nous disons un enfant parfait parce
qu’il a ce qui est requis а l’homme selon cette вge-lа. 3. Ainsi on doit donc dire que la charitй parfaite est en Dieu
uniquement. La charitй parfaite selon sa nature peut кtre chez l’homme non en
cette vie. Celle qui est selon le temps, mкme en cette vie peut exister. 4. Puisque l’acte et l’habitus ont leur espиce de par leur objet c’est
de lа qu’il faut prendre la raison de perfection. Or l’objet de la charitй est
le souverain bien; la charitй est donc parfaite simplement qui se porte vers le
bien souverain autant qu’il est aimable. Or le souverain bien est infiniment
aimable puisqu’il est le bien infini. D’oщ aucune charitй de la crйature qui
est finie ne peut кtre simplement parfaite mais ainsi peut кtre dite parfaite
la seule charitй de Dieu par laquelle il s’aime lui-mкme. 5. Mais alors selon la nature de la crйature rationnelle la charitй
est dite parfaite lorsque selon son pouvoir elle se tourne а aimer Dieu. Or
trois choses empкchent l’esprit de l’homme en cette vie de se porter totalement
vers Dieu. D’abord l’inclination contraire de son esprit, c’est-а-dire quand
celui-ci se tourne par le pйchй vers un bien changeant comme а une fin pour se
dйtourner du bien immuable. Ensuite а cause de l’occupation des choses
sйculiиres, car comme le dit l’Apфtre: "Celui qui est avec l’йpouse est
soucieux des choses du monde et comment il plaira а l’йpouse et il est
divisй." (1 Cor 7, 33) son coeur donc ne se meut pas seulement vers
Dieu. Enfin il y a l’infirmitй de la vie prйsente qui nйcessairement par ses
nйcessitйs l’occupe et le retient de se porter actuellement vers Dieu, tels
sont le sommeil, les repas et autres choses de ce genre, sans lesquelles la vie
prйsente ne peut exister. Et de plus de par la lourdeur du corps l’вme est
rabaissйe et ne peut ainsi voir la divine lumiиre en son essence, selon ce que
dit l’Apфtre: "Aussi longtemps que nous sommes dans le corps nous
marchons loin du Seigneur nous avanзons en effet dans la foi et non par la
vue" (2 Cor 5, 6). 6. Or l’homme en cette vie peut vivre dans le pйchй mortel qui le
dйtourne de Dieu et en plus sans occupation de choses temporelles comme saint
Paul dit: "Celui qui n’a pas d’йpouse se soucie des choses de Dieu et
comment il lui plaira" (1 Cor 7, 33). Mais du fardeau de la chair corruptible
il ne peut кtre dйchargй en cette vie. D’oщ la charitй peut кtre parfaite en
cette vie par l’йlimination des deux premiers obstacles mais non du troisiиme. Et
donc cette perfection de la charitй qui sera aprиs cette vie personne ne peut
l’avoir s’il n’est en mкme temps voyageur et contemplatif, ce qui fut le propre
du Christ. ARTICLE 11: TOUT LE MONDE EST-IL TENU A LA
CHARITЙ PARFAITE?
1. Personne n’est tenu а ce qui n’est pas en lui. Mais avoir la
charitй parfaite ne vient pas de nous mais de Dieu. Donc elle ne peut pas кtre
de prйcepte. 2. La solution dйpend des prйmisses. On a en effet montrй qu’il existe
une certaine perfection qui est insйparable de la nature de la charitй, celle
qui йcarte toute inclination contraire а la charitй. Or il y a une perfection
qui n’exige pas la charitй et qui est du bien-кtre de la charitй; c’est-а-dire
qui consiste en l’йloignement des occupations sйculiиres qui retardent
l’affection de l’homme pour qu’il ne puisse progresser librement vers Dieu. Et
il y a cette autre perfection de la charitй qui n’est pas possible en cette
vie. Et il y en a une а laquelle aucune nature ne peut atteindre, comme on l’a
vu plus haut. 3. Il est manifeste que tous sont tenus а ce sans quoi le salut ne
peut кtre obtenu. Or sans la charitй personne ne peut obtenir le salut йternel
et une fois qu’on l’a on obtient le salut йternel. 4. D’oщ tous sont tenus а la premiиre perfection de la charitй comme а
la charitй elle-mкme. A la seconde perfection sans laquelle la charitй peut
exister les hommes n’y sont pas tenus puisque toute charitй suffit au salut. Encore
beaucoup moins sont-ils tenus а la troisiиme et quatriиme perfection comme
personne n’est tenu а l’impossible. ARTICLE 12: LA CHARITЙ UNE FOIS ACQUISE
PEUT-ELLE SE PERDRE?
On lit dans l’Apocalypse 2, 4: "J’ai contre toi que tu t’es
relвchй de ton premier amour. Rappelle-toi donc d’oщ tu es tombй, et repens-toi
et pratique tes premiиres oeuvres." - Saint Grйgoire le Grand dit dans une homйlie (30 in Evang.) "Dans
les coeurs de certains Dieu vient mais n’y fait pas sa demeure parce que par la
componction ils conзoivent du respect pour Dieu mais dans la tentation ils
retournent ainsi aux pйchйs comme s’ils ne les avaient pas pleurйs." Au premier livre des Rois 16, 13 on dit de David que le Seigneur
йtait avec lui. Mais par la suite il pйcha commet tant l’adultиre et
l’homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charitй. Donc aprиs avoir reзu la
charitй on peut la perdre en pйchant mortellement. La charitй est la vie de l’вme selon ce que dit 1 Jean 3, 14: "Nous
savons que nous avons йtй transfйrйs de la mort а la vie parce que nous aimons
nos frиres." Mais la vie naturelle peut se perdre par la mort
naturelle; donc aussi la vie de charitй par la mort du pйchй mortel. 1. Pierre Lombard a posй que la charitй en nous est l’Esprit Saint. Or
ce n’йtait pas son intention de dire que notre acte de dilection soit l’Esprit
Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre вme а aimer Dieu et le prochain,
comme aussi pour les autres vertus; mais aux actes des autres vertus il meut
l’вme par des habitus de vertus infuses; pour les actes de dilection de Dieu et
du prochain il meut sans aucun autre habitus intermйdiaire. D’oщ son opinion
йtait vraie en ce que l’Esprit Saint meut l’вme а aimer Dieu et le prochain;
mais elle йtait imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus crйй
par lequel la volontй humaine serait perfectionnйe en vue d’un tel acte de
dilection. Il faut en effet mettre dans l’вme un tel habitus, comme on l’a vu
au premier article. 2. On peut considйrer la charitй sous quatre aspects. D’abord du cфtй
de l’Esprit Saint qui meut l’вme et quant а cela il faut dire nйcessairement
que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace selon son intention. En
effet il opиre dans l’вme distribuant а chacun comme il le veut, comme il est
dit 1 Cor 12, 11; et donc а ceux aux quels selon son bon plaisir il veut donner
le mouvement de persйvйrance dans la divine charitй il ne peut y avoir chez eux
de pйchй excluant la charitй. Je dis qu’il ne peut du cфtй de la vertu motrice
bien que ce soit possible de la part de la versatilitй du libre arbitre. Ce sont
lа en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement
libйrйs tous ceux qui sont libйrйs, comme saint Augustin le dit au Livre de la
Prйdestination des saints. Or а certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir
donne d’кtre mыs pour un temps du mouvement de dilection de Dieu non qu’ils
persйvиrent en cela jusqu’а la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de
la Correction et de la Grвce. 3. En second lieu on peut considйrer la charitй du cфtй du pouvoir de
la charitй et quant а cela quiconque a la charitй ne peut pйcher en vertu mкme
de la force de la charitй, comme celui qui a une certaine forme ne peut opйrer
contre cette forme en vertu de cette mкme forme comme ce qui est chaud par la
force de ce qu’il est ne peut pas refroidir ou кtre froid, il peut cependant
perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’aprиs cela saint Augustin expose ce qui
est dit en Mt 7, 18: "Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais
fruits." Il dit en effet que de mкme qu’il peut se faire que ce qui
fut neige ne le soit plus, non que la neige soit chaude, ainsi il peut se faire
que celui qui fut mauvais ne le soit plus, non cependant que le mauvais fasse
bien; et il en est de mкme du bien selon n’importe quelle vertu, parce qu’on ne
se sert mal d’aucune vertu. 4. En troisiиme lieu on peut considйrer la charitй du cфtй de la
volontй en tant que celle-ci lui est soumise comme la matiиre а la forme. Oщ il
faut remarquer que quand la forme remplit toute la potentialitй de la matiиre, il
ne peut plus y avoir de place dans la matiиre pour une autre forme; d’oщ elle a
cette forme inamissiblement comme il ressort dans la matiиre cйleste. Il y a
une forme qui ne remplit pas toute la potentialitй de la matiиre mais il y a
place pour une autre forme et donc cette forme est amissible du cфtй de la
matiиre ou du sujet comme il ressort dans les formes des corps йlйmentaires. Or
la charitй comble la potentialitй de son sujet en le ramenant а l’acte de
dilection et donc c’est dans la patrie oщ la crйature rationnelle aime Dieu de
tout son coeur et actuellement et n’aime rien d’autre sinon qu’en le rapportant
actuellement а Dieu c’est lа que la charitй est possйdйe inamissiblement. Dans
l’йtat de voie la charitй ne comble pas toute la potentialitй de l’вme qui
n’est pas constamment et actuellement tournйe vers Dieu, rapportant tout а lui
par intention actuelle, et donc la charitй de la voie est amissible du cфtй du
sujet. 5. Enfin on peut considйrer la charitй du cфtй du sujet d’aprиs qu’on
le compare spйcialement а la charitй elle- mкme comme la puissance а l’habitus.
Il faut ici considйrer que l’habitus de la vertu incline l’homme а agir
droitement selon que par elle l’homme a une juste estimation de la fin; car
comme il est dit au L. des Йthiques 3, com. 5): "Selon ce qu’on est telle
apparaоt la fin."De mкme en effet que le goыt juge des saveurs selon qu’il
est affectй d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient а l’homme
selon la disposition habituelle lui adhйrente, bonne ou mauvaise, est estimй
par lui bon; ce qui ne convient pas est estimй mauvais et rйpugnant; d’oщ ce
que dit l’Apфtre 1 Cor 2, 14: "l’homme animal ne perзoit pas les choses
qui sont de l’Esprit de Dieu". 6. Il arrive parfois cependant que ce qui paraоt кtre selon
l’inclination de l’habitus ne le soit pas selon autre chose; comme au luxurieux
selon l’inclination de son propre habitus lui paraоt bonne l’inclination de la
chair mais selon la dйlibйration de la raison ou l’autoritй de l’Ecriture elle
lui paraоt contraire. Et donc celui qui est habituй а la luxure agit parfois
selon cette estimation con traire а son habitus, et semblablement le vertueux
agit parfois contrairement а son habitus parce que quelque chose d’autre lui
paraоt autrement, par exemple par passion ou une autre sйduction. 7. Alors donc personne ne pourra agir contre l’habitus de la charitй
parce que personne ne peut avoir une autre estimation de la fin et de l’objet
de la charitй que selon l’inclination de la charitй que lorsqu’il sera dans la
patrie oщ l’essence mкme de Dieu sera contemplйe et qui est l’essence mкme de
la bontй. De mкme donc que mainte nant personne ne peut vouloir une chose que
sous la commune raison de bien, ni que le bien sous sa raison de bien ne peut
ne pas кtre aimй ainsi aussi alors ce bien qui est Dieu personne ne pourra pas
ne pas l’aimer. Et а cause de cela personne voyant Dieu par essence ne peut
agir contrairement а la charitй. Et de lа vient que la charitй de la patrie est
inamissible. 8. Mais maintenant notre entendement ne contemple pas l’essence de la
divine bontй mais un certain effet qui peut paraоtre bon et non bon selon des
considйrations diffйrentes; comme le bien spirituel paraоt n’кtre pas bon en
tant qu’en est contrariйe la dйlectation charnelle chez ceux qui en sont
victimes. Et donc la charitй de la voie peut se perdre par le pйchй mortel. ARTICLE 13: LA CHARITЙ SE PERD-ELLE PAR UN SEUL
PЙCHЙ MORTEL?
1. Saint Jean dit (I Jean 3, 17) "Celui qui possиde les biens
de ce monde et voit son frиre dans la nйcessitй, lui ferme ses entrailles,
comment l’amour de Dieu demeure- t-il en lui ?" Et il semble bien que
par le pйchй d’omission on perde la charitй. Mais le pйchй de transgression
n’est pas moindre que le pйchй d’omission. Donc par tout pйchй (grave) se perd
la charitй. 2. Sans aucun doute par tout acte de pйchй mortel l’habitus de la
charitй est retirй; en effet s’il est dit pйchй mortel c’est parce que par lui
l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut кtre si la charitй est prйsente
qui est la vie de l’вme. Semblablement aussi par le pйchй mortel l’homme
devient digne de la mort йternelle, selon ce qui est dit aux Romains 6, 23: "Le
salaire du pйchй c’est la mort." Or quiconque a la charitй mйrite la
vie йternelle en effet le Seigneur promet а celui qui l’aime de se manifester а
lui; ce en quoi consiste la vie йternelle. D’oщ il est nйcessaire de dire que
par tout acte de pйchй mortel l’homme perd la charitй. Il est en effet
manifeste que en tout acte de pйchй mortel se produit l’aversion du bien qu’on
ne peut йchanger en rien d’autre et auquel nous unit la charitй а laquelle le
pйchй mortel s’oppose. 3. Mais comme l’acte ne contrarie pas directement l’habitus mais
l’acte, on pourrait penser que l’acte du pйchй mortel empкcherait un acte de
charitй opposй sans que soit enlevй l’habitus comme il en est dans les habitus
acquis; en effet on ne perd pas l’habitus d’une vertu infuse si on agit contre
cette vertu. Mais il en va autrement de l’habitus de charitй. L’habitus de
charitй n’a pas sa cause dans le sujet mais dйpend totalement d’une cause
extrinsиque; la charitй en effet est rйpandue en nos coeurs par l’Esprit Saint
qui nous a йtй donnй (Rom 5, 5). Or Dieu ne cause pas ainsi la charitй dans
l’вme qu’il n’en soit que la cause de son devenir et non quant а sa
conservation, comme le bвtisseur est cause de la maison seulement pour son
devenir, d’oщ s’il disparaоt la maison subsiste. Mais Dieu est cause de la
charitй et de la grвce dans l’вme et quant а leur devenir et quant а leur
conservation; comme le soleil est cause de la lumiиre dans l’atmosphиre. Et
donc de mкme que la lumiиre cesserait dans l’air si intervenait un obstacle,
ainsi l’habitus de charitй cesse aussitфt quand l’вme se dйtourne de Dieu par
le pйchй. Et c’est ce que saint Augustin dit au L. 8 de la Genиse ad
litteram chapitre 12: "Dieu ne justifie pas le juste de sorte que
s’il se retire, ce qu’il a fait demeure, lui absent; mais plutфt de mкme que
l’air en prйsence de la lumiиre n’a pas йtй fait lumineux mais le devient,
ainsi l’homme, Dieu lui йtant prйsent, est illuminй, absent aussitфt il est
obscurcit."
[1] Vertu =
pouvoir, facultй.
[2] La
matiиre n’est pas infinie elle est, dit s. Jean Damascиne, limitйe (donc
privйe) par le lieu et le temps ou ce qu’on peut lui attribuer, tandis que Dieu
est infini par ce qu’on ne peut pas le limiter (nйgativement) ni quant au
temps, ni quant au lieu, ni quant а toute autre qualitй ou propriйtй comme sa
puissance, sa sagesse, etc.
[3] L’infini,
qui est dans les quantitйs, signifie le dйsir insatisfait de la matiиre vers sa
dйtermination.
[4]
Ressemblance principale c’est-а-dire du pиre et du fils, en opposition а la
ressemblance йloignйe qui existe entre la pensйe d’une oeuvre et son exйcution,
par exemple le plan d’une maison et sa rйalisation.
[5] Hypo: en
dessous; stase: ce qui est debout; ce qui se tient en dessous.
[6] Les
relations sont constituйes par une opposition. Le Pиre, le Fils, le
Saint-Esprit forment trois rйalitйs distinctes entre elles а cause de la
relation de chacune avec les autres.
Bien que paternitй et filiation soient une
mкme chose en rйalitй avec l’essence divine, cependant la paternitй et la
filiation impliquent dans leurs raisons propres, des rapports qui s’opposent.
C’est pourquoi elles se distinguent l’une de l’autre.
Il y a quatre relations, deux pour chaque
procession: Paternitй et Filiation pour la procession de l’intelligence;
Spiration et Procession pour la procession de la volontй.
[7] Il y a
deux sortes d’abstraction: la formelle dйgage une dйtermination d’un кtre de ce
qu’il est: par exemple la blancheur du mur blanc, ou la mobilitй du corps en
mouvement (cf. chapitre 61); la totale dйgage l’universel du singulier, oщ
demeure un tout aprиs l’abstraction, qu’est (ce tout) composй d’un sujet et
d’une forme: par exemple si je fais abstraction chez Socrate de la matiиre
constituante, il reste "l’homme" (кtre vivant douй de raison); si je
dйgage de l’homme la diffйrence spйcifique "douй de raison", il reste
"le vivant". Si l’abstraction appauvrit le contenu il y a
compensation par une plus grande profondeur de la connaissance: l’essentiel est
rendu visible et dйgage du concret.
[8] En
d’autres termes, Dieu est intrinsиquement "un", c’est-а-dire qu’il
n’y a pas trois Dieu, mais un seul.
[9] La
relation comme telle n’a pas de quoi subsister ou faire subsister; cela en
effet ressortit а la substance seule. Les relations distinguent comme
relations: ainsi comportent-elles une apposition. Donc la paternitй en tant
qu’elle constitue la personne du Pиre — ce qu’il a en tant qu’il est la mкme
que la substance divine —, est antйcйdente а la gйnйration; selon qu’elle
distingue, la gйnйration est antйcйdente а la paternitй (Pot 8, 3 ad 7).
[10] Aristote:
Phys 3. 1 [ a 10-15].
[11] Libres de
leur dйcision.
[12]
C’est-а-dire les anges.
[13] Telle fut
la position d’Aristote et des anciens scholastiques. Ce qui semble assez
йtrange si l’on tient compte qu’une forme substantielle possиde en elle toute
la vertu spйcifique de ce qu’elle informe (voir chapitre 93, § 4). Ce n’est,
semble-t-il, que par un jeu de l’imagination que l’on distingue des йtapes dans
une forme mйtaphysiquement parfaite par dйfinition. Il n’est mкme pas besoin de
recourir aux dйcouvertes de la biologie pour apprendre qu’il en est bien ainsi;
ces dйcouvertes servent de confirmation, mais non de preuve philosophique.
[14] Le futur
contingent n’est pas encore parce que la cause doit en кtre posйe, mais il
existe dйjа dans sa future particularitй et c’est ainsi que Dieu le connaоt
parce qu’il en connaоt la cause.
[15] Sum. Th.
I-II, 22, 2 ad 3: "Un organe est affectй dans sa constitution naturelle
comme quand il se refroidit ou s’йchauffe. Ce changement est accidentel."
[16] I. 3d 1:
1, 2.
[17] Guйrison du fils du centurion. [18]
"Celui que Dieu a envoyй, dit les paroles de Dieu parce que Dieu ne lui a
pas donnй son esprit avec mesure."
[19] Cf. ce qui a йtй dit: note du chapitre 92. [20] Aristote:
Gen. anim. 1. 2 (716 a 5).
[21] Avant la
naissance du Christ, nous savons par saint Matthieu 1, 18 que Marie n’a pas
connu Joseph et que celui-ci a voulu la renvoyer parce qu’elle йtait enceinte.
Et l’ange apparaоt а Joseph pour lui dire que ce que Marie porte en elle, elle
l’a de l’Esprit Saint.
[22] Ce que je n’ai pas dйrobй, je le rendais
"Quae non rapuj tunc exsolvebam". [23] "Je dйsire ma libйration pour кtre avec
le Christ, ce qui serait le meilleur." [24] De Doctrina christ. L. 1 chapitre 23. [25] Ce qui s’est prйsentй pour
le bon Samaritain.
[26] "Soyez parfaits comme votre Pиre cйleste
est parfait". (Saint Thomas ou l’йditeur ne donnent aucune rйfйrence. On
l’a donc ici supposйe). |
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