"Ensemble, c’est tout" - читать интересную книгу автора (Gavalda Anna)6Il etait moins de six heures quand il planta sa bequille sur le parking de l'hopital. La dame de l'accueil lui annonca que le temps des visites etait passe et qu'il pouvait revenir le lendemain a partir de dix heures. Il insista, elle se raidit. Il posa son casque et ses gants sur le comptoir: – Attendez, attendez… On ne s'est pas bien compris, la… essayait-il d'articuler sans s'enerver, j'arrive de Paris et je dois repartir tout a l'heure, alors si vous pouviez me… Une infirmiere apparut: – Que se passe-t-il? Celle-ci lui en imposait plus. – Bonjour euh… excusez-moi de deranger, mais je dois voir ma grand-mere qui est arrivee hier en urgence et je… – Votre nom? – Lestafier. – Ah! Oui! elle fit un signe a sa collegue. Suivez-moi… Elle lui expliqua brievement la situation, commenta l'operation, evoqua la periode de reeducation et lui demanda des details sur le mode de vie de la patiente. Il avait du mal a percuter, soudain gene par l'odeur du lieu et par le bruit du moteur qui continuait de bourdonner a son oreille. – Le voila votre petit-fils! annonca gaiement l'infirmiere en ouvrant la porte, Vous voyez? Je vous l'avais bien dit qu'il viendrait! Bon, je vous laisse, ajouta-t-elle, passez me voir dans mon bureau sinon on ne vous laissera pas sortir… Il n'eut pas la presence d'esprit de la remercier. Ce qu'il voyait la, dans ce lit, lui brisa le c?ur. Il se retourna d'abord pour retrouver un peu de contenance. Defit son blouson, son pull, et chercha du regard un endroit ou les accrocher. – Il fait chaud, ici, non? Sa voix etait bizarre. – Ca va? La vieille dame, qui essayait vaillamment de lui sourire, ferma les yeux et se mit a pleurer. Ils lui avaient retire son dentier. Ses joues semblaient affreusement creuses et sa levre superieure flottait a l'interieur de sa bouche. – Alors? Tu as encore fait la folle, c'est ca? Prendre ce ton badin exigeait de lui un effort surhumain. – J'ai parle avec l'infirmiere, tu sais, et elle m'a dit que l'operation s'etait tres bien passee. Te voila avec un joli morceau de ferraille a present… – Ils vont me mettre dans un hospice… – Mais non! Qu'est-ce que tu nous chantes la? Tu vas rester ici quelques jours et apres tu iras dans une maison de convalescence. C'est pas un hospice, c'est comme un hopital mais en moins grand. Ils vont te chouchouter et t'aider a remarcher et apres, hop, au jardin la Paulette! – Ca va durer combien de jours? – Quelques semaines… Apres, ca dependra de toi… Il faudra que tu t'appliques… – Tu viendras me voir? – Bien sur que je viendrai! J'ai une belle moto, tu sais… – Tu ne roules pas trop vite au moins? – Tttt, une vraie tortue… – Menteur… Elle lui souriait dans ses larmes. – Arrete ca, meme, sinon je vais chialer, moi aussi… – Non, pas toi. Tu ne pleures jamais, toi… Meme quand t'etais minot, meme le jour ou tu t'es retourne le bras, je ne t'ai jamais vu verser une larme… – Arrete quand meme. Il n'osait pas lui prendre la main a cause des tuyaux. – Franck? – Je suis la, meme… – J'ai mal. – C'est normal, ca va passer, il faut que tu dormes un peu. – J'ai trop mal. – Je le dirai a l'infirmiere avant de partir, je lui demanderai de te soulager… – Tu vas pas partir tout de suite? – Mais non! – Parle-moi un peu. Parle-moi de toi… – Attends, je vais eteindre… Elle est trop moche cette lumiere… Franck remonta le store, et la chambre, qui etait orientee a l'ouest, baigna soudain dans une douce penombre. Il bougea ensuite le fauteuil de place pour se trouver du cote de la bonne main et la prit entre les siennes. Il eut du mal, d'abord, a trouver ses mots, lui qui n'avait jamais su parler ni se raconter… Il commenca par des bricoles, le temps qu'il faisait a Paris, la pollution, la couleur de sa Suzuki, le descriptif des menus et toutes ces betises. Et puis, aide en cela par le declin du jour et le visage presque apaise de sa grand-mere, il trouva des souvenirs plus precis et des confidences moins faciles. Il lui raconta pourquoi il s'etait separe de sa petite amie et comment s'appelait celle qu'il avait dans le collimateur, ses progres en cuisine, sa fatigue… Il imita son nouveau colocataire et entendit sa grand-mere rire doucement. – Tu exageres… – Je te jure que non! Tu le verras quand tu viendras nous voir et tu comprendras… – Oh, mais je n'ai pas envie de monter a Paris, moi… – Alors on viendra, nous, et tu nous prepareras un bon repas! – Tu crois? – Oui. Tu lui feras ton gateau de pommes de terre… – Oh, non pas ca… C'est trop rustique… Il parla ensuite de l'ambiance du restaurant, des coups de gueule du chef, de ce jour ou un ministre etait venu les feliciter en cuisine, de la dexterite du jeune Takumi et du prix de la truffe. Il lui donna des nouvelles de Momo et de madame Mandel. Il se tut enfin pour ecouter son souffle et comprit qu'elle s'etait endormie. Il se leva sans faire de bruit. Au moment ou il allait passer la porte, elle le rappela: – Franck? – Oui? – Je n'ai pas prevenu ta mere, tu sais… – T'as bien fait. – Je… – Chut, il faut dormir maintenant, plus tu dormiras et plus vite tu seras sur pied. – J'ai bien fait? Il hocha la tete et posa un doigt sur sa bouche. – Oui. Allez, dors maintenant… Il se sentit agresse par la violence des neons et mit un temps fou a retrouver son chemin. L'infirmiere de tout a l'heure le happa au passage. Elle lui designa une chaise et ouvrit le dossier qui le concernait. Elle commenca par lui poser quelques questions pratiques et administratives, mais le garcon ne reagissait pas. – Ca va? – Fatigue… – Vous n'avez rien mange? – Non, je… – Attendez. On a ce qu'il faut ici… Elle sortit de son tiroir une boite de sardines et un paquet de biscottes. – Ca ira? – Et vous? – Pas de probleme! Regardez! J'ai plein de gateaux! Un petit coup de jaja avec ca? – Non merci. Je vais prendre un Coca au distributeur… – Allez-y, moi je me sers un petit verre pour vous accompagner, mais… motus, hein? Il mangea un peu, repondit a toutes ses questions et reprit son barda. – Elle dit qu'elle a mal… – Ca ira mieux demain. On a mis des anti-inflammatoires dans sa perfusion et elle se reveillera en meilleure forme… – Merci. – C'est mon metier. – Je parlais des sardines… Il roula vite, s'effondra et s'etouffa dans son oreiller pour ne pas craquer. Pas maintenant. Il avait tenu le coup si longtemps… Il pouvait lutter encore un peu… |
||
|