"Ensemble, c’est tout" - читать интересную книгу автора (Gavalda Anna)

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– Monsieur Lestafier!

– Oui, chef!

– Telephone…

– Non, chef!

– Quoi, non?

– Suis occupe, chef! demandez qu'on rappelle plus tard…

Le bonhomme secoua la tete et retourna dans l'espece de placard qui lui tenait lieu de bureau derriere le passe.

– Lestafier!

– Oui, chef!

– C'est votre grand-mere… Ricanements dans l'assemblee.

– Dites-lui que je la rappellerai, repeta le garcon qui desossait un morceau de viande.

– Vous faites chier, Lestafier! Venez prendre ce putain de telephone! Je ne suis pas la demoiselle des postes, moi!

Le jeune homme s'essuya les mains avec le torchon qui pendait a son tablier, epongea son front sur sa manche et dit au garcon qui travaillait sur la planche d'a cote, en faisant mine de le saigner:

– Toi, tu touches a rien, sinon… couic…

– C'est bon, fit l'autre, va commander tes cadeaux de Noel, y a Mamie qu'attend…

– Connard, va…

Il entra dans le bureau et prit le combine en soupirant:

– Meme?

– Bonjour Franck… Ce n'est pas ta grand-mere, c'est madame Carminot a l'appareil…

– Madame Carminot?

– Oh! qu'est-ce que j'ai eu comme mal a te retrouver… J'ai d'abord appele aux Grands Comptoirs et puis on m'a dit que tu n'y travaillais plus, alors j'ai app…

– Qu'est-ce qui se passe? la coupa-t-il brusquement.

– Mon Dieu, c'est Paulette…

– Attendez. Bougez pas.

Il se leva, ferma la porte, reprit l'appareil, s'assit, hocha la tete, palit, chercha sur le bureau de quoi ecrire, dit encore quelques mots et raccrocha. Il enleva sa toque, prit sa tete dans ses mains, ferma les yeux et resta ainsi plusieurs minutes. Le chef le devisageait a travers la porte vitree. Il finit par fourrer le morceau de papier dans sa poche et sortit.

– Ca va mon gars?

– Ca va, chef…

– Rien de grave?

– Le col du femur…

– Ah! fit l'autre, c'est frequent chez les vieux… Ma mere, ca lui est arrive y a dix ans et vous la verriez aujourd'hui… Un vrai lapin de garenne!

– Dites, chef…

– On dirait que tu vas me demander ta journee, toi…

– Non, je vais faire le service de midi et je ferai ma mise en place de ce soir pendant ma pause, mais j'aimerais bien quitter apres…

– Et qui c'est qui fera le chaud ce soir?

– Guillaume. Il peut le faire, lui…

– Il saura?

– Oui, chef.

– Qu'est-ce qu'y m'dit qu'y saura?

– Moi, chef.

L'autre grimaca, apostropha un garcon qui passait par la et lui ordonna de changer de chemise. Il se tourna de nouveau vers son chef de partie et ajouta:

– Allez-y, mais je vous previens, Lestafier, s'il y a une couille pendant le service de ce soir, si j'ai une seule remarque a faire, une seule, vous m'entendez? C'est sur vous que ca retombera, on est bien d'accord?

– On est bien d'accord, chef.

Il retourna a sa place et reprit son couteau.

– Lestafier! Allez d'abord vous laver les mains! On n'est pas en province ici!

– Fais chier, murmura-t-il en fermant les yeux. Faites tous chier…

Il se remit au travail en silence. Au bout d'un moment son commis osa:

– Ca va?

– Non.

– J'ai entendu ce que tu disais au gros… Le col du femur, c'est ca?

– Ouais.

– C'est grave?

– Nan, j'crois pas, mais le probleme c'est que je suis tout seul…

– Tout seul pour quoi?

– Pour tout.

Guillaume ne comprit pas mais prefera le laisser tranquille avec ses emmerdes.

– Si tu m'as entendu parler avec le vieux, ca veut dire que t'as compris pour ce soir… t

- Yes.

– Tu pourras assurer?

– Ca se monnaye…

Ils continuerent de travailler en silence, l'un penche sur ses lapins, l'autre sur son carre d'agneau.

– Ma becane…

– Quoi?

– Je te la prete dimanche…

– La nouvelle?

– Ouais.

– Eh ben, siffla l'autre, il l'aime sa mamie… OK. Ca marche.

Franck eut un rictus amer.

– Merci.

– He?

– Quoi?

– Elle est ou ta vieille?

– A Tours.

– Et alors? T'en auras besoin de ton solex dimanche, si tu dois aller la voir?

– Je peux m'arranger autrement… La voix du chef les interrompit:

– Silence, s'il vous plait messieurs! Silence! Guillaume affuta son couteau et profita du bruit

pour murmurer:

– C'est bon, va… Tu me la preteras quand elle sera guerie…

– Merci.

– Ne me remercie pas. Je vais te piquer ton poste a la place…

Franck Lestafier hocha la tete en souriant.

Il ne prononca plus une seule parole. Le service lui parut plus long que d'habitude. Il avait du mal a se concentrer, aboyait quand le chef envoyait les bons et tachait de ne pas se bruler. Il faillit rater la cuisson d'une cote de b?uf et ne cessait de s'insulter a voix basse. Il songeait au merdier qu'allait etre sa vie pendant quelques semaines. C'etait deja complique de penser a elle et d'aller la voir quand elle etait en bonne sante, alors la… Quelle chienlit, putain… Il ne manquait plus que ca… Il venait de se payer une moto hors de prix avec un credit long comme son bras et s'etait engage dans de nombreux extras pour payer les traites. Ou est-ce qu'il allait bien pouvoir la caser au milieu de tout ca? Enfin… Il n'osait pas se l'avouer, mais il etait content de l'aubaine aussi… Le gros Titi venait de lui debrider son engin et il allait pouvoir l'essayer sur l'autoroute…

Si tout allait bien, il allait se regaler et serait la-bas en a peine plus d'une heure…

Il resta donc seul en cuisine pendant la coupure avec les gars de la plonge. Passa ses fonds, fit l'inventaire de sa marchandise, numerota des morceaux de viande et laissa une longue note a l'attention de Guillaume. Il n'avait pas le temps de repasser chez lui, il prit donc une douche aux vestiaires, chercha un produit pour nettoyer sa visiere et quitta les lieux l'esprit confus.

Heureux et soucieux a la fois.