"L’ultime secret" - читать интересную книгу автора (Werber Bernard)

10.

M. Jean-Louis Martin etait un homme vraiment tres ordinaire. Mari modele d'une femme sachant preparer a la perfection le veau Marengo, pere de trois filles turbulentes, il vivait dans la banlieue de Nice ou il exercait un metier qui lui convenait parfaitement: responsable du service contentieux a la BCRN, Banque du Credit et du Reescompte Nicois.

Son travail quotidien consistait a entrer dans l'ordinateur central de la banque la liste de tous les clients dont le compte etait negatif. Il accomplissait sa tache avec calme et detachement, satisfait de ne pas avoir a les appeler au telephone pour les sommer, comme le faisait son voisin de bureau, Bertrand Moulinot.

– Chere madame, nous constatons avec etonnement que votre compte est debiteur. Nous sommes desoles d'avoir a vous rappeler a l'ordre…, entendait-il a travers la cloison en polystyrene.

Le samedi soir, les Martin aimaient bien regarder ensemble, affales dans les divans, l'emission «Quitte ou double».

Quitte: je m'arrete la, je gagne peu mais au moins je suis sur de ne pas rentrer bredouille. Double: je continue, je prends des risques et je peux decrocher le gros lot.

Voir l'angoisse des joueurs au moment ou ils etaient sur le point de tout perdre ou tout gagner les ravissait. Ils se demandaient ce qu'ils auraient fait a leur place.

Tout le drame des etres qui ne savent pas s'arreter, qui ne savent pas choisir et qui pourtant veulent braver leur chance, parce qu'ils se considerent exceptionnels, etait la.

Et la foule les encourageait toujours a prendre des risques. «Double! Double!» criait-elle. Et les Martin criaient avec eux.

Les dimanches pluvieux, Jean-Louis Martin aimait jouer aux echecs avec Bertrand Moulinot. Il ne se definissait que comme un «pousseur de bois» mais, comme il disait: «Je prefere reussir une jolie choregraphie de bataille que d'obtenir une victoire a tout prix.»

Lucullus, son vieux berger allemand, savait que l'heure de la partie d'echecs etait propice aux caresses. Il percevait d'ailleurs indirectement la partie, les caresses devenant plus rudes lorsque son maitre etait en difficulte et plus douces lorsqu'il menait.

Apres la bataille, les deux hommes aimaient deguster un alcool de noix, pendant que leurs femmes, qui ne travaillaient pas, se retrouvaient dans un coin du salon pour discuter a haute voix de l'education comparee de leurs enfants et des possibilites de promotion de leurs maris.

Jean-Louis Martin aimait aussi s'essayer a la peinture a l'huile, sur des themes de son idole picturale: Salvador Dali.

La vie s'ecoulait ainsi paisiblement, sans qu'il en ressente vraiment le cours. La banque, la famille, le chien, Bertrand, les echecs, «Quitte ou double», la peinture de Dali. Les vacances lui apparaissaient presque comme un moment de trouble venant rompre un rythme bienfaisant.

Il ne souhaitait qu'une chose: que demain soit un autre hier. Et chaque soir, en s'endormant, il se disait qu'il etait le plus heureux des hommes.