"Saga" - читать интересную книгу автора (Benacquista Tonino)

Moi

– Le Maestro disait souvent: «Le récit est comme une flèche qui pointe vers sa cible sitôt l'arc bandé.»

– En clair?

– Il faut toujours connaître la fin d'une histoire dès ses prémices. L'épilogue doit être inclus dans le prologue. On devrait connaître la morale de l'histoire à peine prononcés les mots: «Il était une fois…»

Nous nous sommes tous retrouvés, comme prévu, au café habituel à 20 h 30. Il nous reste dix minutes avant le tout dernier épisode de Saga. Dix minutes avant nos adieux.

Mathilde commande un grand calva et un café. Elle est étrangement belle, belle, épuisée et sereine. Elle arrive au bout d'une course folle qu'elle vient juste de gagner. Jusqu'au dernier moment, nous étions sûrs qu'elle allait craquer. Mathilde et son cœur monté sur ressorts. Mathilde à qui on peut demander la lune en échange d'un sourire. Nous n'étions pas très rassurés à l'idée de la laisser dans une pièce close avec ce bellâtre qui ne mérite que des baffes. Notre Mathilde n'a pas défailli! Elle a terrassé le dragon de ses amours perdues. Au fil des mois, elle a su se servir de nous comme d'une palette de couleurs: un fond de Jérôme pour l’inventivité dans la vengeance, une nuance de Louis pour la finesse du trait, une petite touche de moi pour la détermination. Mathilde est enfin libre, débarrassée de ses démons. La Saga aura réussi ça.

– Je vais regretter la vodka au poivre, dit Jérôme. Il faut que je m'habitue tout de suite au Jack Daniel's, double.

Je commande la même chose que lui. Tristan l'attend, dehors, affalé dans la Renault Espace qu'ils louent depuis deux jours. Je pense n’avoir jamais vu Jérôme aussi heureux que ce soir. Il m'a promis de me montrer le film où Sauvegrain tombe dans son piège incensé. Là encore, je ne suis pas pour rien dans l'écriture de cette saynète. Si le dialogue est entièrement de Jérôme, l'apparition furtive de Spielberg est une idée à moi (j'y suis allé de ma théorie sur la crédibilisation maximale par la surenchère et le détail réaliste). Combien d'heures avons-nous passées à mettre au point cette scène toute simple qui, sur le papier, n'occupait pas plus de cinq feuillets. Au bout de la huit ou dixième version, nous l'avons fait lire à Louis qui a changé deux ou trois répliques et nous a donné sa bénédiction. Sans oublier de nous traiter de dingues. Le casting fut l'affaire de Lina et ses chercheurs de tête. À l'heure qu'il est, Jérôme peut se considérer comme un homme riche qui vient de retrouver son honneur et le respect de lui-même. Prêt à faire tenir tout Hollywood dans le creux de sa main. Plus encore que le bourbon, il semble goûter chaque minute de notre séparation, comme s'il se préparait déjà un souvenir.

Louis commande une grappa. À sa manière, il nous fait comprendre qu'il est déjà loin. Lui aussi.

– C'est un truc de novice que de vouloir partir comme un fou sur une idée de départ en se disant qu'on trouvera bien une fin en cours de route.

La fin. Il lui a bien fallu en trouver une avant de quitter Paris. Hanté par le fantôme de Lisa, il ne pouvait plus reculer le duel avec l’acteur. La seule qui pouvait lui venir en aide était Mathilde. Si l’atout cœur de notre fine équipe est une conseillère conjugale hors pair et une spécialiste ès-adultère, elle n'a pas son pareil pour décrypter le langage étrange de la jalousie.

Sur le téléviseur perché dans un coin du bistrot, je vois le visage du présentateur du 20 h s'effacer derrière le générique. Les pubs et la météo vont suivre; le compte à rebours est enclenché. Il est trop tard pour changer quoi que ce soit.

– J'aimerais bien voir la tête que ferait votre Maestro devant le moindre épisode du feuilleton.

Louis nous montre un énorme sac de sport plein à craquer.

– J'emporte l'intégrale de la Saga en cassettes, dernier épisode compris, William m'en a fait une copie. Je suis sûr que le Maestro appréciera à sa juste valeur, même s'il est pris de tics nerveux dès qu'il passe devant un écran télé. J'ai envie de lui montrer tout ce que j'ai fait hors de sa vue.

Hors de sa vue. Chaque fois qu'il évoque le Maestro, je pense à un œil. Peut-être un regard. Celui d'un voyeur ou d'un Dieu scrutateur. Dans l'œil de Louis, on lit la hâte d'aller le retrouver.

Le bonheur de nos amis ne fait pas toujours le nôtre.

– À quelle heure est ton train, Louis?

– Dans trente minutes, Gare de Lyon. Je serai à Rome vers 10 heures, demain. Je redoute surtout le petit tortillard qui va à Palestrina. Je pourrais proposer une série sur les trains italiens…

– On peut te déposer à la gare si tu veux, il y a encore de la place dans l'Espace. Je dois passer prendre Oona et les trente kilos de fringues qu'elle a achetées à Paris.

– C'est un vol direct pour Los Angeles?

– On passe d'abord par le Montana pour installer Tristan chez elle. Je n'aurais pas trop su à qui le confier, le temps de trouver mes repères.

Tout semble réglé comme sur du papier à musique. Mathilde fourrage dans son sac Vuitton pour y retrouver des cigarillos. Elle non plus n'a rien laissé au hasard.

– On pourra venir vous visiter, sur votre île?

– Bien sûr! Mais je ne sais pas combien de temps ils vont avoir besoin de moi.

– Vous allez enfin nous dire ce que c'est, ce boulot secret si cette île mystérieuse? Ne nous faites pas le coup du cliffhanger.

– Vous êtes les trois personnes au monde en qui j'ai le plus confiance, mais j'ai promis de ne rien dire et je suis superstitieux. Dès que ça aura démarré, je vous enverrai à chacun une carte postale.

L'épisode n° 80 va commencer. Il ne sera pas encore terminé que mes trois collaborateurs seront déjà loin. Inaccessibles. Libres. Je commence à me demander si j'ai eu raison de vouloir rester.

– Et toi, Marco?

Moi? Oui, au fait. Qu'est-ce que je deviens, moi? J'ai un film à écrire, dès demain. Comment se fait-il alors que je me sente si désempare?

– Tu es sûr que tu ne veux pas quitter Paris?

– Tu peux l'écrire n'importe où, ton film.

– À vous entendre, je risque les pires emmerdes…

J'attends quelques secondes qu'on me rassure. Personne ne le fait.

– … Vous croyez vraiment que je vais avoir des emmerdes?

Du doute dans les regards. De toute façon, la question ne se pose même pas, quelles que soient les retombées de ce dernier épisode, je dois rester à Paris. La Saga vient de nous débarquer et je suis sûr que Charlotte m'attend à quai en agitant son foulard bien haut.

Mathilde se lève la première pour rompre un inquiétant silence.

– Je dois être à Austerlitz dans vingt minutes, j'ai juste le temps de prendre mon taxi.

Elle saisit son sac et donne aux autres le signal du départ. Louis prend ses bagages.

– On se revoit bientôt, tous?

Personne n'osait le dire. Il a bien fallu que je me dévoue. À moins que je ne sois le seul à le penser vraiment.

– Venez me voir à Rome, si vous avez un moment.

– Je vous fais signe dès que j'ai une adresse à L.A.

Les mots nous restent bloqués dans la gorge. Nous nous embrassons, encore et encore. Comme si les dialogues, les aventures au coin de la rue, le sens de tout ça, le devenir de chacun, n'avaient plus aucun intérêt.

Sans doute pour la dernière fois, nous nous serrons fort dans les bras les uns des autres.

Ils quittent le café au moment où la fugue de Bach se fait entendre.

Putain de Saga.

Nous voilà seuls, tous les deux.


*

Mes amis viennent de me quitter et la nuit va être longue. La première nuit d'été.

Le ciel est chargé d'étoiles, toutes les fenêtres sont ouvertes, il y a de la bière fraîche dans le frigo, mes amis sont déjà loin, la femme que j'aime m'a quitté, et j'ai beaucoup bu avant de rentrer chez moi. C'est le moment ou jamais d'avoir le blues.

Je débranche le téléphone, il va sonner une bonne partie de la nuit et chaque fois je vais penser que c'est Charlotte. Chaque fois je vais être déçu. Si elle est vraiment revenue, elle peut bien attendre une nuit de plus.

La chaleur va avec le silence.

Vous êtes tous de beaux enfoirés de faire de moi un orphelin. Il est quatre heures du matin et la nuit est calme comme s'il ne s'était rien passé, comme si personne ne pleurait sur le cadavre de Saga. Je ne pleurerai pas non plus, cette salope m'a abandonné, moi qui l'ai aimée comme personne et l'ai vue grandir comme un père. Crève, chienne, vingt millions d'âmes perdues te regretteront sauf nous. Jérôme, Louis, Mathilde et moi t'avons taillé un suaire dans l'étoffe la plus noire que nous avons pu trouver, un noir qui ferait passer les ténèbres pour de la dentelle de femme. Où l'avons-nous puisée, cette encre obscure? Impossible à dire. Cela ne nous ressemblait pas. Il a fallu aller loin dans l'enfer de notre inspiration. Écouter les muses de l'abjection et de la perfidie. Laisser ricaner la hyène qui sommeillait en chacun de nous.

Je me penche à la fenêtre et tends l'oreille pour écouter le bruit du chaos.

Rien.

Pas même un souffle d'air.

Un suicide collectif? Vingt millions de morts sur la conscience. Ou est-ce déjà l'oubli, et tout le monde s'en fout?

Pourtant, je nous revois encore, hier midi, mes compagnons et moi, devant l'écran. Dégoûtés par notre propre désir de vengeance. Je l'ai déjà vu, cet épisode n° 80, le vrai, celui que nous avons fait passer au nez et à la barbe de Séguret.

Nous avons fait un travail d'orfèvres et de faussaires grâce à William et ses tours de passe-passe. Ces dizaines de séquences qui n'ont pas été montrées, nous les avons gardées, revues et corrigées, imbriquées, montées et mixées, avec patience, pour rester maîtres jusqu’au bout de notre aventure. Comment Séguret a-t-il pu s'imaginer que nous le laisserions éclabousser Saga de sa médiocrité? William a repiqué dans les anciens épisodes, il a fait des collages d’images, il a même réussi à plaquer de nouveaux dialogues sur des situations qui n'ont plus rien à voir. Ce petit monstre que nous avons créé comme des savants fous, la nuit, dans le secret, a été diffusé hier soir. Il nous a même fallu imaginer un scénario encore plus complexe pour que l'épisode passe les contrôles techniques et soit considéré comme Prêt-À-Diffuser sans que personne ne s'aperçoive de rien. Nous n'avons pas lésiné sur les séances occultes, les brainstormings avec le diable pour tromper la vigilance de la grande machine à maîtriser l'imaginaire. Avant de partir, il nous restait à finir en apocalypse.

In cauda venenum.

J'ai besoin de revoir l'épisode seul. Pendant que la cassette se rembobine, je m'allonge sur le canapé, une bière à la main. Soûl. Mes amis sont partis. La Saga est morte. Mieux valait qu'elle meure de nos mains plutôt que de la voir vivre entre celles de Séguret. Rien de moins qu'un crime passionnel.

Générique.

№ 80

Walter se prépare un cocktail avec les fonds de bouteilles vides trouvées dans le bar des Fresnel. Il tourne la mixture avec l'index. Quelle image restera-t-il de lui? Celle d'un alcoolique qui ne cherche plus à surmonter quoi que ce soit. Parce que la vie est une mascarade et l'alcool nous aide, grâce à Dieu, à la débarrasser, parfois, de ses guenilles. Si la phrase nue partait du cœur, l'alcool nous offre le regard nu et l'ivresse n'est qu'un pied de nez à la mort. Voilà pourquoi Walter se remet à boire de plus belle. Le second verre le rend lyrique, et ce lyrisme le rend beau. Et demain? Demain, il y aura plein d'autres verres qui lui donneront la force de briller la nuit. Et, un jour, de s'éteindre, lentement. Très lentement. Le chômeur de Roubaix va retenir la leçon.

Marie, notre petite Marie tant aimée, qu'es-tu devenue? J'ai cru à ton indépendance, ta fraîcheur intacte de jeune fille. Tu savais penser aux tiens sans t'oublier, tu avais des désirs qui faisaient parfois passer la femme avant la mère, c'est ce qui te rendait si forte. Si aimable. Et te voilà de retour au bercail après une escapade. Coupable et fatiguée. Implorant le pardon du bout du regard. Mon Dieu qu’elle est triste, cette scène. Mathilde ne t'a rien épargné. Pour la sernière fois tu as honte de tes rides et de ces quarante-cinq ans qui aujourd'hui paraissent le double. Où sont-ils passés, tous ces prétendants qui se seraient damnés pour toi? Walter te regarde comme une pute qui ne lui donne même plus envie de traverser le palier et Fred te méprise pour ton innocence dilapidée. Ta petite vie retrouvée ne va même pas rassurer la ménagère du Var. Celle qui n'a jamais pu suivre le bel inconnu t'en voudra à mort d'être revenue. Les autres te traiteront de salope. Tu n'avais pas mérité ça.

Où est-il le Jonas qui nous faisait croire que le vengeur masqué n'était peut-être pas tout à fait mort? La réponse est simple: si le seul vrai combat de tout homme l'oppose à sa propre lâcheté, pourquoi en serait-il autrement pour Jonas? Pourquoi lui, justement, devrait-il exalter sa part d'héroïsme? Personne ne naît avec une part d'héroïsme. Il était temps pour lui de se dire qu'il n'aura qu'une et une seule vie et qu'elle est faite, comme toutes les vies de compromis et de lâcheté ordinaire. Qui oserait le lui reprocher? Qui manquerait de vergogne à ce point? Surtout pas le pêcheur de Quimper. Que les héros se désignent! Et qu'ils aillent s'attaquer à Pedro Menendez eux-mêmes. Pedro Menendez les attend. Jérôme s'en est donné à cœur joie dans le dialogue de leur dernier face-à-face. Quand Jonas annonce à Pedro qu'il passe la main, Pedro en a presque pitié pour son adversaire de toujours. Mordécaï a besoin d'un garde du corps, il paiera Jonas à prix d'or, c'est toujours ça. L'argent et l'héroïsme n'ont jamais fait bon ménage.

Parlons-en, de Mordécaï. Il n'a jamais su quoi faire de son argent, mais il a bien fini par trouver. Depuis qu'on lui a dit que le Bien et le Mal étaient tombés en désuétude, il s'est mis à lire. Surtout la Bible, et Sade. Et comme par hasard, il a été foudroyé par la beauté de L'Écclésiaste, seul passage de la première qui aurait pu être écrit par le second. Vanité, tout n'est que vanité. Rien ne lui est apparu aussi clairement que le deuil des illusions et des utopies. Il y a trouvé une vérité, celle de son propre désenchantement. Il ne lui reste donc qu'une seule chose à faire: jouir. Jouir, jouir, jouir pendant qu'il en est encore temps car chaque minute nous rapproche du néant. Il puise chez Sade tous les scénarios de jouissance imaginables, jusqu'au bout du plaisir et de la décadence. Toute sa fortune y sera consacrée. Vingt millions d'individus? Autant dire vingt millions de fantasmes et de désirs qui resteront à jamais inassouvis. Mordécaï a décidé de les vivre, pour tous les autres.

Celui qui croit à l'amour croit forcément à la haine. Ça ne devra étonner personne de voir Mildred et La Créature se haïr aussi fort qu’ils se sont aimés. Mathilde n'aurait laissé à personne le privilège de finir le boulot à sa place. Elle a soigné le travail comme une petite main, à l'ancienne. Le processus de décomposition du couple est si minutieusement rendu que ça m'en a découragé de courir après Charlotte. Il lui a suffi de trois courtes séquences pour éradiquer toute idée de bonheur conjugal. Du grand art. Même Jérôme est incapable d'une telle violence. Mildred est supérieurement intelligente, elle invente des tortures morales d'une rare sophistication. La Créature garde intacte toute sa beauté sauvage, pour un peu il ne se douterait même pas du mal qu'il est en train de lui faire. C'est dans sa nature. Cette passion, on le comprend dès la première scène, ne peut se terminer que par l'élimination physique de l'un ou l'autre. Mais Mathilde nous l'épargne; avant d'en arriver à la délivrance finale, elle préfère parler de l'enfer de chaque instant. Le couple n'est qu'une longue succession d'instants qui exclut tout alentour, il fonctionne sur un principe de vases communicants qui empoisonne chaque geste d'amour et gangrène tout plaisir.

Et Bruno, le petit Bruno? Quel sort lui faire subir? Il a la vie devant lui. Il doit faire ses premiers pas vers l'âge adulte et piloter à vue tout au long de cette étrange odyssée qu'est l'existence. Mais en a-t-il seulement l'étoffe? Comme tous les adolescents, Bruno doute de lui-même depuis le début du feuilleton. Et il a raison, parce qu'il sait déjà, bien au fond de lui-même, que sa vocation est de rejoindre le plus grand nombre. De grossir les rangs de ceux qui sont là parce qu'il faut y être. La jungle qu'il aurait dû ouvrir à la machette n'est qu'un sentier en ligne droite parfaitement balisé. Il en voit déjà le bout. Et déjà sa part d'oubli commence à manger sa part de rêve. Il ne sera ni Rimbaud ni Évariste Gallois, il n'aura même pas ce quart d'heure de gloire que promettait Warhol. C'est comme ça.

Menendez, lui, n'a jamais cessé de se poser des questions. Ses seules réponses sont le plastique et la dynamite. C'est peut-être ce qui a fait fléchir Jonas: l'intime conviction de Pedro qu'il faut en passer par là. Personne ne sait vraiment pourquoi Pedro fait sauter des bombes. Mais quelles que soient ses raisons, elles ne peuvent être que mauvaises.

Non…?

Sûrement.

Quoique…

La question est laissée en suspens tout au long de cet épisode comme une énigme qu'il vaut mieux ne jamais résoudre. Qui n'a jamais pensé, dans un isoloir, un bulletin à la main: à quoi ça sert? Qui n'a jamais senti qu'on le regardait d'en haut comme une fourmi prête à être écrasée si elle ne remplit plus sa tâche? Qui n'a jamais souffert de l'absurdité des institutions? Qui n'a jamais eu envie de hurler à l'injustice et maudit ceux qui refusaient de l'entendre? Qui n'a pas eu envie de tout faire péter? Menendez est sûrement un salaud et un crétin. Il n'y a que la connerie individuelle pour chercher à plastiquer la connerie collective. Un jour, il mourra dans une embuscade et il l'aura bien cherché. Mais ce jour-là, agonisant, il n'avouera pas les raisons qui l'ont poussé à tout faire sauter. Personne n'en saura jamais rien. Nous lui avons laissé son secret. Ceux qui insistent pour le connaître n'auront qu'à relire Kafka.

Et Fred, celui que l'on attend tous, la coqueluche de toute la Saga, celui qui fait figure de Sauveur? Eh bien, le Sauveur en a marre de l'humanité. L'humanité est ingrate, l'humanité mord celui qui tend la main vers elle, que ce soit pour mendier ou lui venir en aide. S'il invente de quoi panser un mal, l'humanité va ouvrir dix autres plaies. Elle a un sixième sens, pour ça. Fred ne prononce pas un seul mot de tout l'épisode mais son cri intérieur nous vrille les oreilles. Lui qui a inventé la machine à broyer les guerres, la machine à éradiquer les virus, la machine à nourrir ceux qui ont faim, la machine à redonner l'espoir, il commence à se demander si tout ça a servi à quelque chose. C'est dommage. Il venait d’inventer une machine à nettoyer l'Inconscient. Une sorte de technique chirurgicale pour opérer l'âme, lui enlever ses kystes et ses caillots sans laisser de séquelles. Mais il la jette au panier des qu'elle est au point. Ça aurait pu servir, allez savoir.

Une seule fin s'imposait, un seul épilogue. Il s'agissait d'un rêve de Camille qui n'a jamais été montré. Tout de suite après, elle se réveillait en sursaut et son Jonas préféré la prenait dans ses bras. Ce rêve, nous sommes allés l'exhumer du fin fond d'une poubelle pour le rendre à la vie réelle des personnages. Et peut-être à la vie tout court.

Camille nous en menaçait depuis trop longtemps. La séquence est extrêmement courte. Elle se regarde dans son miroir, éclate de rire, un vrai rire qui part du cœur, puis elle lance un Viva la Muerte à ceux qui veulent l'entendre, pose le canon du revolver dans sa bouche et tire. Un impact de sang se fiche dans le mur.

Générique.