"Saga" - читать интересную книгу автора (Benacquista Tonino)Jérôme La salle était remplie de gosses excités et déjà pressés de sortir. Le reste du public attendit la fin du générique puis se dispersa dans la pénombre vers les portes battantes. Quand la pleine lumière revint, il n'y avait plus que Jérôme, perdu au milieu d'un désert de fauteuils. Blanc comme un linge, il se leva et chercha des yeux un endroit pour vomir. Le voyant vaciller, une ouvreuse le suivit dans les toilettes et tira quelques serviettes en papier du distributeur. – C'est le film qui vous met dans un état pareil? – … Je suppose que ça marche du tonnerre? – Pensez… Stallone et Schwarzenegger dans le même film… La séance de midi était pleine, on va refuser du monde pour la suivante. On ne prend plus de réservations au téléphone pendant toute la semaine. Jérôme plongea directement sa tête sous un robinet d'eau froide, comme pour dessoûler. Sa dernière goutte d'alcool remontait à plus de trois semaines. Il sortit – J'ai lu là-dedans qu'aux États-Unis, il avait fait plus d'entrées que Batman. Vous savez combien ça a rapporté au créateur du personnage de – Tant mieux pour lui, dit-elle. Jérôme eut envie de la gifler. Il aurait frappé n'importe qui, à cette seconde-là, même une innocente. Sans le moindre sou en poche, il se demandait comment il allait nourrir Tristan, ce soir, et les jours à venir. Trente-neuf francs pour sur les Grands Boulevards. Il regrettait de ne pas avoir essayé la sortie de secours mais ça avait été plus fort que lui, il s'était précipité au guichet. Pour voir. Pour En attendant la tombée de la nuit, il alla se réfugier dans le bois de Boulogne comme il le faisait trop souvent depuis ces derniers mois d'errance. À une centaine de mètres du lac, il sortit son boomerang au milieu d'une aire déserte et dégagée. Un souffle de vent parfait lui parvenait dans la bonne direction. Dès le premier lancer, l'engin décrivit une parabole si savante que Jérôme ne se déplaça que de cinq mètres vers la gauche pour le rattraper au vol. Le boomerang était, avec son imper, le dernier vestige d'une vie antérieure qu'il pensait ne jamais regretter. Il se l'était fabriqué lui-même, en forme de point d'interrogation, et Tristan l'avait peint aux couleurs du drapeau américain. Un petit bijou capable de tenir en vol une trentaine de secondes. Juste assez pour s'imaginer qu'il ne rentrerait plus jamais au bercail. Au moment d'armer son tir, il ressentit quelque chose de bizarre au fond du ventre. Comme un acide qui lui rongeait l'estomac. Un tison qui fourrageait dans ses tripes. La brûlure était si forte que Jérôme regretta de n'avoir plus rien à vomir. Il avait créé Pourtant, un doute horrible vint lui déchirer les entrailles: … Il s'assit un instant sous un abribus des Champs-Elysées. De autre côté de l'avenue, il pouvait apercevoir cette longue terrasse où des ombres entrechoquaient des coupes de Champagne. Tout près de lui, une femme ne cessait de fixer ses chaussures de tennis déchirées et son jean blanchi jusqu'à la trame. Jérôme regardait vers ces silhouettes en smoking, brillantes comme des lucioles. Là-haut, les lumières s'éteignirent enfin. Il traversa l'avenue et se posta au bas de l'immeuble où les camions des traiteurs commençaient à remballer. Jérôme ramassa un carton d'invitation qui traînait dans un caniveau et s'adossa à la pierre blanche de la bouche du métro Georges-V. LES PRODUCTIONS BLUE-STAR PICTURES VOUS INVITENT À FÊTER LA SORTIE DE DEATHFIGHTER DE NORMAN VAN VUYS AVEC SYLVESTER STALLONE ET ARNOLD SCHWARZENEGGER Une poignée d'invités commençait à sortir. Yvon Sauvegrain en tête, vaguement éméché, la veste de smoking sur l'épaule. Quelqu'un proposa de continuer la fête ailleurs et Sauvegrain, ravi, grimpa à l'arrière d'une Mercedes ou s'entassait la petite bande de fêtards. Tout à coup, on hurla son nom du côté de la bouche de métro. Sauvegrain reconnut Jérôme au premier coup d'oeil, laissa passer une seconde de surprise et rassura son entourage d'un geste de la main. – Attendez-moi une minute. Il sortit de la voiture et avança d'un pas rapide vers Jérôme en glissant la main vers son portefeuille. – Prenez ça et disparaissez, j'ai horreur du ridicule. Abasourdi, Jérôme se retrouva avec un billet de 560 francs en main. – – … Vous allez perdre le peu qui vous reste. – Deux ans! Je vous l'ai envoyé il y a deux ans, et vous m'avez fait retravailler jusqu'à obtenir exactement le scénario du film que j'ai vu ce matin! Vous avez juste changé le titre! – Dans ce métier, tout le monde se fait avoir au moins une fois. Prenez ça comme un baptême. Un baptême de luxe, soit. C'est un boulot où la naïveté confine à la bêtise, et on paye toujours pour sa bêtise. Quelle idée d'envoyer un scénario à un collègue quand on ne l'a même pas déposé à la Société des Auteurs… Moi, c'est la première chose que j'ai faite en recevant le vôtre. La main de Jérôme plongea dans son imper et se crispa sur le boomerang… Il ferma une seconde les yeux et vit la pale s'écraser au ralenti sur le visage de Sauvegrain. L'image était nette: les traits déformés sous le choc, un filet d'hémoglobine qui gicle d'une arcade, une lèvre qui éclate, le tout en couleur et format scope. Un tel geste aurait pu le délivrer de sa douleur, mais une seule chose l'empêcha de le faire. La chose, c'était Tristan. – Je pensais que personne n'était capable de ça. – Bienvenue au club. Sauvegrain voulut rejoindre son groupe, Jérôme le retint par le bras. – J'ai un frère qui ne va pas bien du tout, je suis à la rue et… – Le ministre de la Culture a tenu personnellement à me féliciter pour avoir montré aux Américains que nous pouvions écrire comme eux. Il m'a même proposé de lui établir un rapport sur la crise du scénario en France. Ne me menacez surtout pas. Jérôme tenta de le retenir encore mais cette fois, il reçut le revers de sa main en pleine figure. – Les Américains commencent à parler de |
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