"Enfer d’un paradis" - читать интересную книгу автора (Voutcho Vouk)

XI. Petit Loup. Le souvenir d'un cauchemar.

Et si c’était un mythomane, un imposteur?


Son image ne cessait de me hanter, son visage éclairé par l’incendie de forêt, ses oreilles de vampire dressées sous sa casquette. Prosper et Sandrine avaient beau essayer de me convaincre que nous étions rentrés ensemble nous coucher, je savais que ce ne pouvait être vrai, car il n’existe pas de rêves laissant une vision aussi vivace.


«Il ne manque que ta signature, frérot, répéta Ignace.


– Et si je refusais! m’écriai-je.


– Alors je serais obligé de te zigouiller.»


Depuis le matin, je m’efforçais désespérément de faire revivre dans ma mémoire les derniers instants de ce cauchemar. J’étais si tendu que les veines gonflaient sur mes tempes et que mon cerveau était la proie d’une douleur lancinante, comme si quelqu’un m’enfonçait un poinçon de fer dans l’occiput.


Ignace ne m’avait jamais appelé «frérot». Il aurait dit «p’tit gars». Je me souvenais de chaque détail. Ignace avait donc posé le bout de ses doigts sur mes lèvres. Ses doigts étaient si glacés que l’on pouvait se demander s’ils n’appartenaient pas à un animal à sang froid.


«Tu es cuit, mon p’tit gars, dit-il en souriant. Ce qui t’attend, maintenant, c’est le départ au royaume des taupes.»


Monsieur Ignace n’aurait rien dit de pareil; il n’aurait jamais utilisé l’expression «tu es cuit». D’ailleurs, à cet instant, il ne souriait pas. Au contraire, il s’était assombri comme le ciel avant l’orage, avec ses doigts glacés sur mes lèvres, avant de me tourner le dos. À présent, je voyais comme sur un écran de cinéma ses oreilles pointues se dessiner sur un arrière-plan de flammes. S’il s’agissait réellement d’une créature à sang froid, alors ce ne pouvait être que le fantôme d’un mauvais rêve, et dans ce cas-là Prosper et Sandrine avaient raison: nous étions rentrés ensemble nous coucher!…


Et si c’était un fabulateur, un calomniateur, qui n’avait rien en commun avec la pègre de Toulon?…


«Tu es cuit, p’tit gars, dit Ignace.


– Vous n’avez pas honte, répondis-je, de faire chanter des personnes honnêtes, au nom d’un parrain toulonnais inventé de toutes pièces!…»


Pendant que je ressassais cette vérité, sachant que je vivais dans un monde où le réel menaçait toujours de s’effondrer sous le fardeau de l’illusion, le poinçon de fer s’enfonçait de plus en plus dans mon cerveau.